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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 12 novembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président, puis de M. Dominique Raimbourg, Vice-président

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (n° 1986) (Mme Sonia Lagarde, rapporteure)

– Examen du projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 2331) (M. Carlos Da Silva, rapporteur)

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine, sur le rapport de Mme Sonia Lagarde, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (n° 1986).

Mme Sonia Lagarde, rapporteure. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été adoptée par le Sénat le 28 mai 2014, dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire du groupe Union des démocrates et indépendants — Union centriste (UDI-UC) du Sénat. Le groupe UDI de notre Assemblée a demandé son inscription à l’ordre du jour le 27 novembre prochain, avec l’espoir que, sur un sujet aussi sensible, notre Assemblée puisse dépasser les clivages politiques et adopter un texte susceptible de faire consensus.

Les agressions sexuelles sont des infractions difficiles à dénoncer, à l’origine de douleurs et de traumatismes psychologiques extrêmement lourds. Le législateur doit tenir compte de ces particularités pour adapter le régime de la répression de ces infractions et faciliter l’action en justice des victimes.

En préambule, je rappellerai quelques chiffres. Selon la dernière enquête de victimation de l’Institut national de la statistique et des études économiques et de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, réalisée en 2012, 383 000 personnes majeures, âgées de dix-huit à soixante-quinze ans, ont déclaré avoir été victimes d’une ou plusieurs agressions sexuelles en 2010 ou 2011 – soit, en moyenne, 191 500 personnes sur une année. Cependant, en 2011, seules 23 000 plaintes ont été déposées auprès des services de police ou de gendarmerie, et le nombre de condamnations a été encore plus faible : 9 950, réparties en 1 250 condamnations pour viol et 8 700 pour agression sexuelle de nature correctionnelle.

Cet écart entre le nombre de faits déclarés dans le cadre des enquêtes de victimation et le nombre de faits dénoncés et condamnés peut s’expliquer par deux facteurs. Premièrement, près de la moitié des faits sont commis dans le cadre familial, soit par un conjoint ou un ex-conjoint, soit par un membre de la famille. Aussi, les victimes hésitent souvent à porter plainte, par crainte de ne pas être crues, mais aussi de bouleverser la cellule familiale.

Deuxièmement, de nombreuses victimes, en particulier mineures – mais pas seulement –, sont atteintes par un phénomène d’amnésie traumatique : pour surmonter le choc et la violence de l’agression subie, elles enfouissent les faits dans leur inconscient, jusqu’au jour où ces faits refont surface, à l’occasion par exemple d’une psychothérapie ou d’un événement tel qu’un décès, une naissance ou une autre agression. L’amnésie peut aussi avoir été causée par des drogues administrées par le violeur, qui font perdre à la victime la conscience de ce qu’elle se voit infliger.

Dans une certaine mesure, la loi tient déjà compte de la situation particulière dans laquelle se trouvent les victimes d’agressions sexuelles, en prévoyant des règles dérogatoires en matière de prescription de l’action publique au bénéfice des victimes mineures au moment des faits. Dans ce cas, en effet, le délai de prescription est allongé de dix à vingt ans pour les crimes et de trois à dix voire vingt ans pour les délits, et le point de départ de la prescription est reporté au jour de la majorité de la victime.

Mais ces règles ne sont pas toujours suffisantes pour permettre aux personnes victimes d’agressions sexuelles au cours de leur enfance d’agir en justice. Il n’est pas rare que la prise de conscience de telles agressions intervienne après l’âge de quarante ans, trop tard pour permettre à la victime d’intenter des poursuites contre l’auteur des faits. En outre, ces règles ne sont pas applicables aux personnes majeures, pour lesquelles les délais de prescription de dix ans pour les crimes et de trois ans pour les délits ne font l’objet d’aucun aménagement.

Partant de ce constat, nos collègues sénateurs Muguette Dini, Chantal Jouanno, Michel Mercier, François Zocchetto et le groupe UDI-UC du Sénat ont déposé une proposition de loi visant à reporter – pour toutes les infractions sexuelles, que la victime soit mineure ou majeure – le point de départ de la prescription de l’action publique au jour où les faits apparaissent à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. Cette disposition aurait remplacé la règle actuelle, qui reporte le point de départ de la prescription pour les infractions sexuelles subies par les mineurs au jour de leur majorité.

Cependant, ce texte soulevait deux difficultés. D’une part, il faisait régresser la situation des victimes mineures, en supprimant le bénéfice du report de la prescription au jour de leur majorité, qui s’applique aujourd’hui de plein droit. D’autre part, sa rédaction n’était pas assez précise, ce qui faisait courir un risque de censure constitutionnelle pour atteinte aux principes de légalité des délits et des peines, d’égalité devant la loi et de nécessité des peines.

Pour ces raisons, le Sénat a, sur l’initiative du rapporteur Philippe Kaltenbach et avec un avis de sagesse du Gouvernement, modifié la proposition de loi pour substituer à la nouvelle règle de report initialement proposée un allongement des délais de prescription pour les infractions commises sur les mineurs, tout en conservant la règle actuelle de report du point de départ à leur majorité. Dans le texte adopté par le Sénat, les délais passeraient de vingt à trente ans pour les crimes, et de dix à vingt ans ou de vingt à trente ans pour les délits, selon la nature du délit concerné.

En ma qualité de rapporteure, je considère que ce texte va dans le bon sens et qu’il devrait pouvoir, a minima, faire consensus parmi nous, comme cela a été le cas au Sénat. Néanmoins, il me semble que nous pourrions encore enrichir ce texte, en le complétant par une disposition visant à améliorer la situation des victimes de viol, majeures au moment des faits, qui auraient été frappées d’amnésie, soit par l’effet d’une drogue que l’agresseur leur aurait administrée à leur insu, soit en raison du choc qu’elles ont subi.

L’arrêt que vient de rendre la Cour de cassation en assemblée plénière ce vendredi 7 novembre 2014 peut nous aider à trouver une rédaction juridiquement satisfaisante qui permette de répondre à ces situations. La Cour a en effet admis, pour la première fois en matière criminelle, qu’un « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » avait pour effet de suspendre le délai de prescription. Dans l’affaire en cause, qui concernait une femme ayant tué huit de ses enfants nouveau-nés, elle a confirmé l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait estimé que l’obésité de l’intéressée – élément empêchant que ses grossesses ne soient décelées par ses proches –, le fait que les accouchements aient eu lieu sans témoin, l’absence de déclaration des enfants à l’état civil et la dissimulation des corps avaient constitué un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites.

M’appuyant sur cet arrêt, je vous proposerai tout à l’heure un amendement qui vise à consacrer dans la loi la notion d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » et qui prévoit que « l’amnésie de la victime l’empêchant d’avoir conscience des faits qu’elle a subis » peut constituer un tel obstacle. Cet amendement ne présente pas les mêmes défauts que la proposition de loi initiale. D’une part, il n’emporterait pas de régression pour les victimes mineures au moment des faits, puisque la règle du report du point de départ de la prescription au jour de la majorité demeurerait inchangée. D’autre part, nous faisons disparaître tout risque de censure constitutionnelle en utilisant des notions précises : celle d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », qui est issue de la jurisprudence de la Cour de cassation, et celle d’« amnésie », que l’amendement définit précisément comme une situation « empêchant la victime d’avoir conscience des faits qu’elle a subis ».

Je vous propose donc, a minima, d’adopter la proposition de loi telle qu’elle a été votée par le Sénat en mai dernier. Mais je pense que nous pourrions aussi franchir une étape supplémentaire au bénéfice des victimes atteintes d’amnésie, en inscrivant dans la loi la notion d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites et en prévoyant que l’amnésie peut constituer un tel obstacle.

Mme Colette Capdevielle. La proposition de loi que nous examinons vise à modifier le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles. Elle a été votée par le Sénat après bien des vicissitudes, et je constate que nous nous orientons vers de nouveaux changements. Ce texte aborde un sujet ultrasensible et complexe : les agressions sexuelles, viols et incestes commis sur des personnes, hommes ou femmes, mineures au moment des faits – ceux-ci remontant souvent à l’enfance, voire à la petite enfance – et qui sont victimes d’une amnésie post-traumatique. Je partage le constat des auteurs du texte, Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno. Au nom du groupe socialiste, je salue leur travail, ainsi que l’esprit de leur proposition. Nous souhaitons nous aussi apporter, en la matière, une réponse digne, efficace et conforme à notre droit.

Cette proposition de loi est née, d’une part, de la critique d’un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 18 décembre 2013 et, d’autre part, du constat clinique que le droit de la prescription ne serait pas ou plus adapté aux victimes d’une amnésie traumatique consécutive à un viol ou à une agression sexuelle, celles-ci ne prenant conscience des faits que des années voire des décennies plus tard.

Ainsi que vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, lorsque des agressions sexuelles ont été commises par un proche – un parent ou une personne ayant autorité sur la victime, par exemple un enseignant, un éducateur sportif ou une personne religieuse – et qu’elles se sont inscrites dans la durée, elles peuvent provoquer un traumatisme profond pouvant aller jusqu’à l’amnésie. Plus les faits sont anciens et violents, plus le traumatisme est fort et enkysté. L’amnésie fait partie des conséquences jugées possibles des infractions sexuelles subies, notamment par les enfants. Le déni est malheureusement souvent la seule protection pour la jeune victime. Les faits peuvent ressurgir à la suite d’un choc, d’une rencontre, d’une naissance, plus souvent d’une psychothérapie, les troubles du comportement étant souvent inquiétants : conduites addictives ou à risques, tendances suicidaires, troubles de l’alimentation ou de l’humeur, automutilations, etc.

Des délais de prescription dérogatoires au droit commun sont déjà applicables aux victimes d’agressions sexuelles, mineures au moment des faits : depuis la loi du 10 juillet 1989 sont intervenues six modifications législatives, qui ont porté à vingt ans le délai de prescription de certains crimes sexuels commis sur des mineurs. Une partie de la doctrine a critiqué ces remaniements successifs, car ils rendent très délicate, selon elle, la détermination des règles applicables.

La rédaction de la proposition de loi a été totalement revue et corrigée par le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Kaltenbach, tellement elle était insatisfaisante juridiquement. Ainsi que de nombreux sénateurs l’ont relevé en commission comme en séance publique, le texte initial risquait très clairement d’être déclaré inconstitutionnel tant au regard du principe de légalité des délits et des peines que du principe d’égalité : en laissant la victime décider du moment où elle pouvait déposer plainte, il rendait les infractions visées imprescriptibles. Or seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles en droit pénal français.

Pour tenter de sauver cette proposition de loi, M. Kaltenbach a proposé un dispositif qui modifie complètement l’économie du texte initial : tout en maintenant le point de départ du délai de prescription à la majorité pour les victimes mineures – qui restent donc seules bénéficiaires de cette exception –, il a allongé la prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour les crimes, et de dix à vingt ans pour les délits.

Cependant, la constitutionnalité de l’allongement de la prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour une seule catégorie d’infractions et une seule catégorie de victimes reste très fragile au regard du principe de proportionnalité des crimes, des délits et des peines. À ce jour, les crimes qui se prescrivent par trente ans sont notamment les crimes de guerre, c’est-à-dire ceux qui impliquent des meurtres ou des viols en série.

La nouvelle rédaction de la proposition de loi pose très clairement la question plus globale de la prescription pénale. Les délais actuels de prescription et leur déclinaison selon la gravité de l’infraction – crimes, délits, contraventions – ont été fixés par le code d’instruction criminelle de 1808. Depuis vingt-cinq ans environ, la très remarquable stabilité de ces règles est remise en cause par la multiplication des dérogations, soit à l’initiative du législateur – tel est le cas en l’espèce –, soit à l’initiative du juge – comme en atteste la décision de la Cour de cassation de vendredi dernier que vous avez évoquée, madame la rapporteure.

Or cette situation est source de confusion et d’insécurité juridique : les révisions fragmentaires des règles de prescription fragilisent complètement le système. Il est temps d’avoir une approche globale et cohérente, et de revoir le droit de la prescription dans son ensemble. Plusieurs sénateurs se sont d’ailleurs exprimés en ce sens au cours des débats. En 2007, les sénateurs Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung relevaient déjà, dans leur excellent rapport d’information, que le droit de la prescription était devenu complexe et incertain, et que l’échelle des délais de prescription de l’action publique et celle des durées de prescription de la peine ne correspondaient plus. Ainsi, en cas de délit, la prescription de l’action publique est passée de dix à vingt ans, alors que la prescription de la peine est restée à cinq ans ! Le dispositif a perdu sa cohérence.

Les recommandations du rapport d’information restent plus que jamais d’actualité, et il est d’ailleurs très étonnant que le Sénat ne s’en soit pas inspiré pour enrichir la proposition de loi. J’appelle en particulier votre attention sur la deuxième et la troisième des sept recommandations du rapport en matière pénale : « veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant les réformes partielles » ; « préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ».

Enfin, s’agissant d’infractions de nature sexuelle, pour lesquelles la matérialité des faits reste souvent difficile à établir en elle-même, faisons très attention aux faux espoirs que nous pourrions susciter chez les victimes, trente ans après les faits. Même si la modernisation des méthodes d’investigation facilite la manifestation de la vérité, il faut rappeler que le procès pénal concerne avant tout l’auteur présumé des infractions : la victime n’y a qu’une petite place et peut se sentir perdue. Comment apporter la preuve de faits anciens et partiellement occultés ? Est-il opportun pour la victime de subir des années de procédure, longues et douloureuses, avec le risque qu’elles aboutissent à un classement sans suite, à un non-lieu, à une relaxe ou à un acquittement ? Dans ce cas, c’est une deuxième blessure – parfois bien plus grave que la première – qui est infligée à la victime. C’est un déni supplémentaire, institutionnel cette fois, puisque la justice ne répond pas à la demande légitime de la victime de voir son statut reconnu et d’obtenir réparation.

Nous devons avoir un débat général sur la prescription des délits et des crimes, notamment sur le point de départ des délais de prescription, sur leur durée et sur leur adaptation à l’échelle des peines. Nous avons besoin d’une remise à plat en la matière et, peut-être, d’un texte législatif global. Telle est la position du groupe SRC. Compte tenu de ces explications, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

M. Jacques Bompard. Je salue cette proposition de loi, qui me semble traiter de manière pragmatique un sujet très douloureux, depuis trop longtemps prisonnier du laxisme français face à un crime abominable.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dresse un constat implacable : en France, 16 % des femmes déclarent avoir subi un viol ou une tentative de viol au cours de leur vie. Une jeune femme de moins de vingt ans sur dix a connu la même horreur. De grandes campagnes médiatiques tentent d’incriminer des réflexes machistes ou d’autres aspects psychologiques, qui concourent bien entendu au passage à l’acte, mais ne semblent pas en être l’élément déterminant.

Entre 2012 et 2013, 80 000 femmes auraient connu cet enfer. Selon d’autres estimations d’associations féministes, on approcherait en France de 75 000 viols par an. Je tiens à rappeler que de nombreux phénomènes incitatifs demeurent abandonnés à un laxisme sans vergogne : envahissement du sexe dans l’inconscient des jeunes enfants, parfois avec le soutien de l’éducation nationale… (Protestations.) Il n’y a que la vérité qui blesse ! Je ne vous empêche pas de dire ce que vous voulez, accordez-moi la même liberté !

Parmi les phénomènes incitatifs, il faut également citer le refus de toute action réellement coercitive face à la pornographie, et la banalisation de l’acte sexuel. En croyant libérer ses mœurs, notre société n’a fait que libérer ses pulsions égoïstes et, en définitive, nuire aux plus faibles – en l’occurrence, dans la grande majorité des cas, aux femmes. Ses tares sont nées du remplacement des règles spirituelles par la recherche du profit et du pouvoir à tout prix. Notre société et notre loi encouragent cette involution par la prolifération d’une vision mercantile du corps de la femme, par les méandres de la société de consommation, par la dictature des plaisirs et des volontés plutôt que par la recherche de l’harmonie des êtres et des corps.

Je ne veux pas catéchiser – même si ce serait bien utile dans cette Assemblée ! –, mais, si nous ne prenons pas en considération ces éléments d’une importance insigne, nous ne faisons qu’essayer de panser des plaies qu’il serait de notre devoir de prévenir pour les réduire. Beaucoup ont compris que le viol était le signe d’une grande faiblesse de notre société, mais le charivari progressiste que je viens encore une fois de subir incite à ne donner pour but à nos lois que la satisfaction des désirs individuels et la mise en œuvre de droits sans devoirs, ce qui entraîne paradoxalement la recrudescence des viols.

J’ai déposé deux amendements de bon sens à la proposition de loi, le premier pour étendre le délai de prescription applicable aux personnes majeures, le second pour que l’action publique s’occupe aussi des viols commis par des étrangers sur notre territoire, dont de récents épisodes survenus à Calais nous invitent à traiter. (Exclamations parmi les commissaires membres du groupe SRC.)

M. Guy Geoffroy. Je regrette la position du groupe SRC, qui est en recul par rapport au travail qu’ont accompli de nombreux sénateurs de gauche pour modifier un texte bien intentionné, mais qui allait dans le mur constitutionnel.

Le droit de la prescription doit rester cohérent, il faut éviter trop de relâchement à cet égard ; j’en suis d’accord et un travail de notre Commission à l’initiative de notre président sur ce sujet me semblerait bienvenu, mais le texte qui nous est soumis ne l’est pas moins. Il n’est pas contradictoire, en effet, d’ajuster une prescription nécessairement différente s’agissant des agressions sexuelles et de veiller, plus globalement, à la cohérence. Ce texte pose un vrai problème et y apporte enfin une réponse meilleure que dans sa version initiale. La manière dont la rapporteure envisage de modifier la proposition de loi en séance est, elle aussi, plutôt satisfaisante.

Sans rejeter l’idée qu’il faut améliorer encore davantage la cohérence du droit de la prescription, nous jugeons donc utile de voter ce texte, notamment pour les trop nombreuses victimes.

M. Patrick Mennucci. La question de la prescription pénale est ici posée dans sa globalité. Trop de bricolages ont fragilisé le système au cours des vingt dernières années. Il est donc temps de réviser entièrement le droit de la prescription. Je ne pense pas qu’une nouvelle dérogation contribue à la clarté de notre droit – même si les arguments qui l’appuient sont respectables –, d’autant que, dans ce domaine, beaucoup de dérogations couvrent déjà le champ de la proposition de loi.

Je veux dire par ailleurs que la manière dont M. Bompard a parlé de l’éducation nationale est indécente. Prétendre qu’elle favoriserait je ne sais quelle déviance ou pulsion d’agressivité sexuelle est absolument insupportable.

M. Dominique Raimbourg. Je m’associe aux propos de Patrick Mennucci sur les accusations injustes visant l’éducation nationale, laquelle promeut l’égalité bien plutôt que l’agression.

La proposition de loi s’attaque à un problème bien réel, mais reste insatisfaisante. La prescription soulève deux questions, celle de sa durée et celle de son point de départ, qui ne sont aujourd’hui pas tranchées, ou le sont mal. Pour combler cette lacune, la proposition de loi procède à deux distinctions indues. Entre les crimes, d’abord, alors que l’on ne peut pas traiter un meurtre très différemment d’une agression sexuelle ou d’un crime sexuel : pourquoi la prescription serait-elle de dix ans pour un meurtre, mais beaucoup plus longue pour un crime sexuel ? Entre les victimes, ensuite, puisque l’allongement de la prescription est réservé aux victimes mineures, de sorte que l’amnésie d’une victime de dix-huit ans et demi ne serait pas prise en considération. Il est donc opportun de renvoyer cette question à un débat d’ensemble sur la prescription.

Mme Cécile Untermaier. Je dénonce moi aussi l’accusation proférée par M. Bompard envers l’éducation nationale, qui relève de la posture politicienne.

Il faut revisiter l’institution pénale qu’est la prescription. Certaines jurisprudences récentes de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui ont interpellé l’opinion, nous y encouragent-elles ? Elles démontrent en tout cas à coup sûr que les juges veulent préserver le délai de prescription dans toute sa plénitude et sa force utile s’il s’impose pour la manifestation de la vérité. Il faut donc sans doute revoir les dispositions pénales, non dans l’urgence, mais avec cohérence, loin d’un pointillisme dévastateur pour l’économie des lois. À cet égard, les sept recommandations en matière pénale formulées dans le rapport d’information des sénateurs Hyest, Portelli et Yung constituent un excellent point de départ.

Cette proposition de loi a l’intérêt de nous donner du grain à moudre dans ce débat particulièrement important au sein d’un État de droit. On observe bien une tendance contemporaine à l’allongement des prescriptions qui, par définition, ne s’arrêtera que lorsqu’il n’existera plus de prescription. Mais cette petite proposition de loi, qui revient finalement à remettre en question le système prescriptif de manière sectorielle et anonyme, nous oriente vers un débat beaucoup plus large.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il est difficile de prendre position sur ce texte. D’un côté, les victimes – j’en ai rencontré moi aussi dans le cadre de mes permanences – vivent la prescription comme une double peine : à la violence de l’agression subie s’ajoute l’impossibilité que justice soit rendue. Or, si autrefois, en droit pénal, la prescription était simple – un an pour les contraventions, trois ans pour les délits, dix ans pour les crimes –, elle a beaucoup évolué, subissant six modifications législatives depuis 1989. Instinctivement, j’ai donc plutôt envie de m’associer à votre démarche, madame la rapporteure.

En même temps, le droit doit être lisible, ce qui devrait nous dissuader d’opérer de telles modifications « à la carte ».

Je m’abstiendrai donc, comme l’ensemble du groupe SRC, mais je crois que nous devrions aller jusqu’à rejeter le texte en séance publique, pour une raison très concrète. Nous avons une base : le rapport Hyest de 2007. Au sein de notre Commission, le travail mené par Alain Tourret et Georges Fenech sur la révision des condamnations pénales a été une expérience vertueuse et féconde. Si ces deux parlementaires en étaient d’accord, et je crois savoir qu’ils le sont, ils pourraient le prolonger de manière à nous éclairer en vue d’une révision d’ensemble de la prescription. Tout le monde aurait à y gagner et je ne vois pas pourquoi le Gouvernement n’accompagnerait pas cette démarche. On ne peut pas laisser la Cour de cassation écrire le droit. Or c’est ce qui se passe aujourd’hui dans ce domaine.

Je ferai donc cette proposition à la Commission, quel que soit le sort réservé au texte du groupe UDI, dont la démarche est parfaitement légitime.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cette issue me paraît satisfaisante. Comme vous, monsieur le président, je suis gêné lorsque nous laissons les instances judiciaires écrire la loi, en principe et peut-être encore davantage en l’espèce, vu la gravité du sujet. En revanche, il me semble nécessaire que la proposition de loi soit discutée en séance publique, afin que le débat oriente les travaux futurs de nos deux collègues. Ainsi pourrions-nous résoudre le problème qui nous est posé tout en respectant le travail accompli au sein de notre Commission.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Ce texte est une proposition de loi d’appel. Nous devons absolument faire évoluer la prescription. Comme vous, monsieur le président, je m’abstiendrai donc.

Mme la rapporteure. J’ai bien compris le souhait général d’une réforme globale de la prescription en droit pénal. Si je partage cette ambition, j’observe toutefois que la question ne fait aujourd’hui l’objet d’aucun projet de loi déposé devant le Parlement ni même en préparation. De ce fait, en rejetant la proposition de loi, nous ne reporterions pas seulement de quelques mois l’examen de cette question cruciale, sur laquelle nos collègues sénateurs ont jugé bon de se prononcer : nous nous priverions de la possibilité d’apporter aux victimes les réponses qu’elles méritent au cours de la présente législature.

Même si certains sénateurs ont dénoncé le caractère imparfait du texte, le Sénat l’a soutenu, y compris le groupe socialiste par la voix de Catherine Génisson, qui concluait ainsi en séance : « Malgré ses imperfections, le dispositif envisagé constitue, me semble-t-il, un progrès. C’est pourquoi le groupe socialiste votera la proposition de loi ainsi amendée ».

Quant à la proposition du président Urvoas en vue de mener ce travail plus loin, il faudrait, si tous les membres de la Commission l’approuvaient – ce que je déplorerais –, que tous les groupes, en particulier le groupe UDI, soient associés à l’entreprise.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. 7 du code de procédure pénale) : Allongement du délai de prescription de l’action publique pour les crimes sexuels ou violents commis contre des mineurs

La Commission est saisie de l’amendement CL6 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Par un arrêt rendu le 7 novembre 2014, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a admis qu’un « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » avait pour effet de suspendre le délai de prescription.

Cet amendement vise, d’une part, à inscrire dans la loi cette notion d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » et, d’autre part, à prévoir que « l’amnésie de la victime l’empêchant d’avoir conscience des faits qu’elle a subis » peut constituer un tel obstacle.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous nous demandions tout à l’heure si c’est bien à la Cour de cassation d’écrire la loi. Si le choix de reprendre ici sa formulation me semble pour le moins sujet à débat, il paraît en tout état de cause inutile de citer l’amnésie. Pourquoi évoquer un cas particulier alors que l’on vient d’introduire dans la loi une formulation générale ? Cette rédaction m’amène à être extrêmement réservé sur l’amendement.

La chambre sociale de la Cour de cassation a récemment décidé que les traiteurs ne pouvaient employer des extras que si l’emploi en question avait un caractère temporaire, et non plus si l’activité de l’entreprise nécessitait d’engager de la main-d’œuvre de façon exceptionnelle. Cette position a provoqué la faillite et le dépôt de bilan de plusieurs entreprises du secteur. Voilà ce qui arrive lorsque le Parlement ne dispose plus d’outils suffisamment souples pour préciser la législation, et lorsque l’envie vient à telle ou telle chambre de la Cour de cassation d’opérer un revirement de jurisprudence. À l’occasion de la réforme de notre Règlement, je propose en conséquence que soit réintroduit le formidable instrument de régulation que constituait le texte portant diverses dispositions d’ordre sanitaire et social, qui, tous les ans, en fin de session, permettait de procéder à des ajustements.

M. Gilbert Collard. Aujourd’hui, la Cour de cassation ne respecte plus du tout la séparation des pouvoirs. Elle joue quasiment un rôle de législateur, ce qui crée une incertitude très angoissante et peut même parfois avoir des effets rétroactifs en s’appliquant à des procédures en cours. En matière de presse, par exemple, vous pouvez apprendre après avoir engagé une procédure qu’elle n’est plus recevable du fait d’une nouvelle jurisprudence. Tout cela est inquiétant, et il serait temps que le Parlement réagisse pour rappeler à la Cour de cassation le principe de la séparation des pouvoirs.

En ce qui concerne l’amendement, j’estime qu’on ne peut pas à la fois faire référence à une notion générale, l’« obstacle insurmontable » – sous laquelle on rangera tout ce que l’on voudra, comme c’est le cas pour la notion d’ordre public, combattue et supprimée en matière criminelle pour la détention –, et au cas précis de l’amnésie. Il faut choisir : soit on s’en tient aux catégories générales – qui, on le sait, sont les ennemies de la sécurité juridique –, soit on définit précisément ce qu’est « l’obstacle insurmontable ».

Je ne peux adhérer à un amendement qui nous en dit si peu sur cette notion nouvelle dont nous ne connaissons pas le sens – celle de « cas de force majeure » est par exemple précisée par la jurisprudence. Si vous voulez introduire l’« obstacle insurmontable » dans la loi, définissez-le !

Mme Colette Capdevielle. Cet amendement s’inspire directement d’un arrêt rendu la semaine dernière par la Cour de cassation pour modifier l’article 7 du code de procédure pénale. Mais comparaison n’est pas raison : nous ne sommes pas dans la même affaire et les faits sont totalement différents.

Je rappelle que l’action publique n’est pas engagée par les victimes, mais par le ministère public. Les critiques relatives à la proposition de loi initiale s’appliquent en conséquence à l’amendement. En citant le cas de l’amnésie, il va très loin dans l’interprétation de l’arrêt de la Cour de cassation.

Nous voterons contre l’amendement.

M. Dominique Raimbourg. Il est en effet délicat de rapprocher l’« obstacle insurmontable » et l’amnésie. Dans l’arrêt de la Cour de cassation, la découverte du corps des nourrissons constitue le point de départ du délai de prescription. Comment faire le parallèle avec l’amnésie, qui reste un élément subjectif ? Elle peut être partielle ou totale et donner lieu à des expertises compliquées.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 1er sans modification.

Article 2 (art. 8 du code de procédure pénale) : Allongement du délai de prescription de l’action publique pour les délits sexuels ou violents commis contre des mineurs

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Après l’article 2

La Commission examine l’amendement CL3 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement visait à modifier les conditions de prescription, mais, le président ayant proposé de confier une mission sur ce sujet à M. Fenech et à M. Tourret, je le retire. Je précise, s’il en était besoin, que j’approuve le dessein de la proposition de loi.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL4 de M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Le délai de prescription de l’action publique est augmenté de dix années pour les agressions sexuelles commises sur des mineurs. Il passe donc de vingt à trente ans. Toutefois, pour les victimes majeures, il n’est que de dix ans en cas de viol, et de trois ans pour les autres infractions sexuelles, comme les attouchements. Pour une meilleure efficacité, l’écart entre les victimes mineures et les victimes majeures au moment du crime doit être comblé, d’autant que certains cas de viols de voisinage sont difficiles à traiter.

Mme la rapporteure. Je suis défavorable à l’amendement sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, il vise à modifier les délais de prescription pour le crime de viol et le délit d’agression sexuelle, mais il modifie l’article 7 du code de procédure pénal qui traite des crimes. Par ailleurs, il vise les délits mentionnés aux articles 222-22 et 222-27 du code pénal alors que ces articles concernent un crime et un délit.

Sur le fond, l’amendement propose que le même délai de prescription de vingt ans s’applique au crime de viol et au délit d’agression sexuelle, ce qui est sans doute contraire au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

La Commission rejette l’amendement.

Article 3 (supprimé) : Report du point de départ du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et les délits sexuels ou violents au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique

La Commission maintient la suppression de cet article.

Article 4 : Application de la loi dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Après l’article 4

La Commission est saisie d’un amendement CL5 de M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. L’amendement vise à ce que nul ne puisse être naturalisé s’il a commis un des crimes mentionnés aux articles 222-22 et 222-27 du code pénal. En effet, obtenir la nationalité est un honneur et un engagement. Il y a des crimes contre l’honneur, l’agression sexuelle en est un, contre l’honneur de l’acteur et contre l’honneur de la victime qui est méprisée et déshumanisée. Refuser cet amendement, ce serait dire à ceux qui veulent obtenir la nationalité française que violer des Françaises est un droit ou une tolérance. (Vives protestations.) C’est cela que l’on doit absolument récuser. Je vous entends réagir et je constate que vous êtes plus soucieux de l’honneur des demandeurs que de celui des citoyens.

M. Patrick Mennucci. M. Bompard se croit à une réunion de la Ligue du Sud !

M. Jacques Bompard. C’est le bon sens ! Organisons un référendum pour savoir s’il faut accorder la nationalité aux violeurs de Françaises !

M. Patrick Mennucci. Vous devriez vous renseigner : les services du ministère de l’Intérieur examinent le casier judiciaire de ceux qui demandent la nationalité française, et vous êtes sûrement incapable de citer un seul exemple d’une personne qui aurait violé une femme, qu’elle soit française ou étrangère – car, une fois de plus, vous établissez une différence entre les personnes –, et qui aurait obtenu ensuite la nationalité française.

M. Jacques Bompard. Si mon amendement s’applique déjà, en quoi vous gêne-t-il ?

M. Patrick Mennucci. Vous racontez des balivernes ! Votre amendement est inutile : il suffit aujourd’hui d’excès de vitesse répétés pour se voir refuser la nationalité !

Mme Colette Capdevielle. Je rappelle que les victimes sont aussi bien des hommes que des femmes, et que la considération que nous devons leur porter n’a rien à voir avec leur nationalité.

La moindre condamnation pénale constituant aujourd’hui un obstacle à l’acquisition de la nationalité française, tout autre argument serait de nature à nous éloigner de la considération due aux victimes.

M. Gilbert Collard. Je ne partage pas l’opinion de l’auteur de l’amendement, mais notre collègue a le droit d’exprimer son opinion et je trouve scandaleux les hurlements qui ont salué son intervention. Vous pourriez être un peu démocrates ! Que cela vous plaise ou non, c’est du pareil au même ! Continuez de hurler si vous le voulez, cela vous va à merveille ! Vous hurlerez bientôt dans le désert : vous avez raison de vous y préparer.

J’estime toutefois que l’amendement n’est pas adapté à l’infraction. Aristide Briand a été poursuivi et condamné pour attentat à la pudeur et, si mes souvenirs sont exacts, pour viol. Gardons-nous de nous précipiter pour créer des infractions qui feraient perdre la nationalité ! Je pense que des infractions beaucoup plus graves sur le plan de l’atteinte à la nation devraient être prises en considération.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Sur la forme, cet amendement est sans lien direct avec l’objet du texte, à savoir la poursuite pénale des infractions sexuelles. Sur le fond, les articles 21-23 et 21-27 du code civil excluent déjà la naturalisation de personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement. La question est donc déjà réglée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur Collard, nous avons « hurlé » parce que M. Bompard a tenu un raisonnement inacceptable en indiquant que ceux qui ne voteraient pas son amendement seraient d’accord pour que les violeurs acquièrent la nationalité française. Un tel argument est totalement insupportable pour ceux qui n’ont pas l’intention, comme c’est mon cas, de voter l’amendement. On ne peut tout de même pas les considérer comme des complices de violeurs !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

*

* *

Puis la Commission examine le projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 2331) (M. Carlos Da Silva, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La plupart de la centaine d’amendements au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, portent sur l’article 1er. Sachant qu’un amendement du rapporteur risque d’en faire tomber un certain nombre, je propose que ceux qui le souhaitent interviennent sur l’article 1er lors de la discussion générale, afin que les auteurs des amendements puissent tous s’exprimer. J’informe les membres de la commission des Lois que la commission mixte paritaire se tiendrait le jeudi 27 novembre prochain, à 13 heures 45, à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il s’agit d’une bonne méthode respectueuse de chacun des nombreux parlementaires présents pour débattre de ce texte.

M. Carlos Da Silva, rapporteur. Nous sommes à nouveau saisis du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, adopté par le Sénat en deuxième lecture le 30 octobre dernier par 175 voix contre 33.

Cette nouvelle étape est décisive pour une réforme qui permet non seulement de bâtir de grandes régions renforcées, mais aussi une France plus équilibrée entre son cœur, la région Île-de-France, et l’ensemble du territoire national. Ce projet de loi vise aussi à mettre en place une architecture mieux adaptée aux enjeux économiques et démocratiques des prochaines décennies dans l’intérêt de nos concitoyens, de nos entreprises et de toutes les forces qui animent le tissu économique et associatif.

Il s’agit d’enclencher le grand mouvement indispensable à l’adaptation et au redressement de la nation. Les Français l’ont bien compris : si la réforme territoriale a pu, dans un premier temps, réveiller quelques passions et susciter quelques revendications excessives, elle est désormais regardée par la plus grande partie de nos concitoyens comme une avancée considérable, indispensable au renforcement du pays, de sa cohésion territoriale et de sa décentralisation. Elle était attendue depuis longtemps et elle a été souhaitée, tour à tour, sur tous les bancs de notre assemblée.

Contrairement au texte adopté par le Sénat en première lecture, qui avait été vidé de sa substance et ne proposait aucune carte, celui que nous examinons aujourd’hui témoigne d’une approche plus constructive. Nous ne pouvons que nous réjouir que le Sénat ait adopté le principe d’un regroupement des régions – il correspond, à deux cas près, à la carte que nous avions adoptée en première lecture –, et celui d’une modification du calendrier électoral, tout en entérinant le souhait du Gouvernement d’organiser les prochaines élections départementales en mars 2015. Je ne doute pas que nos débats en commission et en séance seront tout aussi constructifs.

Le Sénat a cependant apporté des modifications non négligeables au texte que nous avions adopté en première lecture. Je note que certaines d’entre elles semblent méconnaître des règles, comme celle dite de l’entonnoir, voire aller à l’encontre de principes constitutionnels.

Le Sénat a rétabli un article préliminaire réaffirmant les compétences ayant vocation à être exercées par chaque niveau de collectivité.

Concernant la carte, s’il a tenté de respecter la plupart des grands équilibres établis par notre assemblée à l’issue de la première lecture, il a purement et simplement supprimé deux regroupements que nous avions opérés : celui du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, et celui de l’Alsace, de la Champagne-Ardenne et de la Lorraine. La carte qui nous est proposée compte donc quinze régions métropolitaines, si l’on inclut la Corse.

En ce qui concerne les règles de détermination des futurs noms et chefs-lieux des nouvelles régions, il a confirmé le dispositif de libre choix prévu par notre Commission, en supprimant quelques précisions qui encadrent ces dispositions. Il a également modifié le nom de la région Centre, renommée Centre-Val de Loire, sans que le conseil régional concerné ait pu délibérer sur cette question.

S’agissant des modalités d’évolution volontaire de la carte régionale et de ce qui est improprement désigné sous le nom de « droit d’option », le Sénat a globalement accepté le principe de la suppression des conditions référendaires au profit d’une décision des organes délibérants des collectivités concernées à la majorité des trois cinquièmes. Cependant, s’agissant de la possibilité offerte à un département de changer de région, il a curieusement estimé que la région de départ n’aurait pas à donner son accord, mais pourrait seulement faire part de son opposition, ce qui laisse à penser que cette question pourrait ne pas concerner les élus en question. Il a aussi estimé que ces évolutions ne pourraient être mises en œuvre que durant l’année 2016, en prévoyant toutefois que les procédures en cours pourraient être achevées par la suite, alors que nous avions prévu d’ouvrir cette possibilité jusqu’en mars 2019, soit un an avant les élections suivantes.

À cette fin, il a imaginé un dispositif permettant de modifier par voie réglementaire le tableau des effectifs des conseils régionaux, voire d’organiser le transfert de certains conseillers régionaux en cours de mandat… Autant le premier point mérite d’être pris en considération, autant il me paraît constitutionnellement périlleux de prétendre, même « à titre transitoire », faire siéger dans un conseil régional des conseillers régionaux élus dans une autre région.

Le tableau des effectifs a été adapté par le Sénat afin de tenir compte des modifications qu’il a apportées à la carte des régions. Une réduction de 10 % des effectifs des conseils régionaux comptant plus de 150 membres, à l’exception de la seule Île-de-France, a été adoptée. Elle concernerait les nouvelles régions regroupant Nord-Pas-de-Calais et Picardie d’une part, Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes d’autre part et également Auvergne et Rhône-Alpes.

Enfin, tout en confirmant le principe du plancher garantissant à chaque département un nombre minimal d’élus au sein du conseil régional, le Sénat a porté ce nombre à cinq, au lieu de deux, comme cela avait été prévu dans le texte de notre assemblée en première lecture. Sur ce point également, il me semble que le risque constitutionnel que fait courir le texte du Sénat est particulièrement élevé.

En ce qui concerne les prochaines échéances électorales, le Sénat a adopté les dispositions relatives au remplacement des conseillers départementaux votées par l’Assemblée nationale. À la demande du Gouvernement, il a modifié le calendrier électoral afin de supprimer le report des élections départementales de mars à décembre 2015, et il a entériné le déroulement des prochaines élections régionales en décembre 2015. Contre l’avis du Gouvernement et du rapporteur, il a fixé l’échéance des mandats acquis en 2015 à mars 2021 plutôt qu’au mois de mars 2020, date prévue dans le projet initial.

Le Sénat a également ébauché une solution concernant la situation des candidats et des collectivités territoriales ayant, de bonne foi, engagé des dépenses pouvant être considérées comme relevant de la propagande électorale avant le 28 octobre 2014, date de la déclaration du Premier ministre devant le Sénat confirmant le souhait du Gouvernement d’abandonner le report des élections départementales de mars à décembre 2015.

À la demande de certains élus réunionnais et guadeloupéens, il a inséré des dispositions nouvelles concernant l’évolution des deux collectivités ultramarines et la perspective de mise en place des collectivités uniques. Ces ajouts me semblent contraires à la règle de l’entonnoir qui prévaut à ce stade de la procédure parlementaire.

Enfin, le Sénat a supprimé les dispositions insérées par l’Assemblée, à l’initiative de M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, visant à organiser la place des oppositions au sein des conseils régionaux, et les dispositions relatives au calendrier d’organisation de la carte intercommunale en Île-de-France.

Le texte qui nous est soumis comporte quelques avancées, mais aussi des retours en arrière, voire des dispositions nouvelles qui ne peuvent constitutionnellement prospérer en deuxième lecture. Mes amendements tâcheront d’apporter des réponses concrètes et conformes à notre droit sur chacun de ces sujets. En tenant compte des apports du Sénat, je proposerai de rétablir les grands équilibres que nous avions réussi à trouver en première lecture.

M. Dominique Bussereau. Sur le plan politique et constitutionnel, il me semble paradoxal de débattre d’un texte qui traite des modes d’élections dans les collectivités territoriales et trace la carte des régions avant d’avoir examiné le projet de loi relatif à leurs compétences. Le Sénat sera saisi de ce dernier texte au mois de décembre prochain, et l’Assemblée seulement au début de l’année 2015, ce qui signifie que nos compatriotes seront amenés à élire, les 22 et 29 mars prochains, des assemblées départementales dont ils ne connaîtront pas les compétences.

Le Gouvernement n’est pas très sérieux lorsque, en novembre, il demande à sa majorité de fixer, pour les élections départementales, une date différente de celle qu’il lui avait demandé d’adopter en juillet. Je condamne cet amateurisme sans précédent dans l’histoire de notre République. Il n’est guère de nature à inciter nos concitoyens à voter au mois de mars prochain, d’autant qu’un scrutin à deux élus risque de les décontenancer.

Monsieur le rapporteur, vous avez souligné que nous ne connaissions pas l’avis de la région Centre sur sa nouvelle dénomination. Je rappelle que nous avons tous reçu un courrier de M. François Bonneau, président de la région. Certes, il ne s’agit pas d’une délibération de l’assemblée régionale, mais la parole du président d’une assemblée élue, bénéficiant d’une solide majorité, mérite tout de même d’être entendue.

J’ai remarqué que certains collègues avaient déposé des amendements visant à remarier la malheureuse région Poitou-Charentes, soit avec le Centre, soit avec les Pays de la Loire. Pourtant les quatre conseils départementaux, qui sont de sensibilités politiques très différentes, la quasi-totalité des députés et sénateurs, y compris ceux qui viennent d’être élus, se sont prononcés en faveur d’un rapprochement avec l’Aquitaine et le Limousin, et une capitale régionale, Bordeaux. Puis-je dire à tous ceux qui veulent parler en notre nom que je ne me permettrai pas de parler en le leur ? Nous sommes tout de même bien placés pour savoir ce que nous souhaitons dans cette région.

M. Philippe Gosselin. Je salue la sagesse de notre rapporteur qui a rendu hommage à celle du Sénat. L’alternance a du bon, semble-t-il ; peut-être faudrait-il y songer pour notre propre assemblée.

Ce qui a été présenté comme l’un des grands projets de cette partie du quinquennat n’est, en fait, qu’une réforme a minima qui manque d’ambition. Des pressions nombreuses se sont exercées venant de toutes parts, y compris de la majorité, et ce texte constitue « l’aboutissement » de tergiversations qui durent depuis près de deux ans. Jeudi dernier, sept mois après en avoir annoncé la suppression, le Premier ministre a déclaré que les départements étaient devenus une priorité nationale. On fait un pas en avant, puis un pas en arrière. Il y a un mois, il s’agissait de rassurer les présidents de régions ; j’imagine que, dans trois semaines, nous entendrons au Congrès des maires des discours qui caresseront l’auditoire dans le sens du poil. Tout cela est brouillon et manque de travail en amont.

Si nous avons entendu trop d’annonces contradictoires, c’est parce que le Gouvernement ne sait pas vraiment quels objectifs il poursuit. Aucun des arguments avancés ne tient vraiment. Il s’agirait de dépenser moins, nous dit-on. En ce domaine, rien n’est démontré. André Vallini, secrétaire d’État à la Réforme territoriale, nous a d’abord annoncé une économie de 25 milliards d’euros avant de s’en tenir prudemment à 10 milliards. En tout état de cause, nous savons que les fusions de collectivités sont d’abord coûteuses, notamment en matière de personnel, et qu’il faut du temps avant qu’elles ne produisent des effets vertueux. Sur le plan financier, nous sommes donc loin du compte, à moins que l’opération ne vise à réduire les dotations aux collectivités tout en leur attribuant des compétences supplémentaires – mouvement qui, à vrai dire, est déjà à l’œuvre.

L’objectif serait aussi de rapprocher les élus des citoyens, mais je doute que cela se produise vraiment. Non seulement la modification des dates des élections des assemblées départementales risque, au contraire, de détourner nos concitoyens des urnes, mais, si cela ne suffisait pas pour les dissuader, vous leur demanderez d’élire des conseillers départementaux dont les compétences seront totalement inconnues. C’est du jamais vu !

Que dire par ailleurs des contours des régions ? Il y a matière à discussion comme le prouvent les très nombreux amendements dont nous sommes saisis. Je suis un peu effrayé de constater que le siège des régions sera fixé par un décret provisoire en 2015, puis par un décret définitif en 2016. Vous imaginez ce qui pourra se produire entre villes concurrentes dans l’intervalle.

L’argument de la réduction du millefeuille territorial me laisse également dubitatif, puisque nous n’avons pas encore d’informations concernant les compétences des diverses collectivités.

La copie reste donc à revoir, même si le Sénat a apporté un peu de sagesse au débat. Il s’agit pour l’instant d’un brouillon qui ne convaincra personne.

M. Sébastien Denaja. Je salue l’initiative du président de la République qui a eu le courage d’engager une réforme majeure de l’architecture institutionnelle locale de notre pays. Ce courage est d’autant plus grand que l’exécutif aurait pu se contenter de dessiner par décret le contour des circonscriptions. Au contraire, pour la première fois, elles seront tracées par le Parlement par la voie démocratique, sous les yeux de nos concitoyens. La transparence me paraît constituer une excellente méthode.

Le choix d’examiner la carte des régions avant de se pencher sur leur compétence me paraît également de bonne méthode. Si vous me permettez cette comparaison hasardeuse, avant de distribuer les cartons d’un déménagement, je préfère savoir si je les confie à un grand costaud ou à un petit gringalet. En l’espèce, une fois que nous disposerons de grandes régions, nous saurons que nous pouvons leur confier de grandes compétences.

Au mois de juillet dernier, le groupe SRC avait collectivement dessiné une carte qui allait plus loin que celle proposée par le Gouvernement. Il maintiendra cette position et proposera de rétablir une grande région à l’est de la France, car il ne faut pas laisser l’Alsace dans une situation d’isolement.

M. Éric Straumann. Vous croyez que l’Alsace est isolée ? Êtes-vous déjà venu dans notre région ?

M. Sébastien Denaja. Il ne serait pas non plus justifié que Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon restent isolées, alors que se constitue au sud-ouest une très grande région Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes et qu’au sud-est existe déjà la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. En s’unissant, ces deux régions pourront équilibrer le territoire au sud et former un troisième ensemble régional de taille comparable aux deux autres. Tous les trois pourront alors affronter l’avenir avec davantage de confiance.

M. Éric Straumann. Le Sénat a voté à une majorité de plus des deux tiers le maintien de l’Alsace dans ses contours. Depuis juillet, les trois collectivités concernées – les conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et le conseil régional d’Alsace – ont délibéré solennellement : 96 % des élus, y compris socialistes, ont rejeté la réforme. Peut-on aller contre la volonté d’un tel nombre d’élus ? Peut-on aller contre la volonté de la population alsacienne – sans aller jusqu’à parler d’un peuple ?

Les Alsaciens ne manifestent pas souvent. Or jamais, depuis 1924 ou 1953, ils n’étaient descendus en aussi grand nombre dans la rue que le 3 octobre dernier à Strasbourg. Ils ont aussi été plusieurs dizaines de milliers à signer des pétitions s’opposant à la réforme. Je crois que plus de 300 délibérations en ce sens ont été prises par des conseils municipaux.

Je vous garantis que nous reviendrons sur une réforme qui ne respecterait pas la volonté des élus et des Alsaciens. Les trois candidats aux élections à la présidence de l’UMP ont d’ores et déjà pris l’engagement qu’un retour de l’UMP au pouvoir se traduirait par un retour à la région Alsace.

M. Sébastien Denaja. Et vous les croyez !

M. Éric Straumann. Pourquoi vouloir imposer une réforme qui ne sera pas mise en œuvre ?

L’Alsace n’est pas isolée. Elle reçoit les plus importants investissements étrangers de France ; elle accueille sans doute la proportion la plus importante d’immigrés ; elle héberge probablement le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers. Vous commettriez une erreur historique en méconnaissant cette réalité. Prenez en compte l’avis du Sénat ! À ce sujet, les propos du président de l’Assemblée, qui estime que le travail du Sénat n’est pas sérieux, m’ont blessé.

Quoi qu’il arrive, nous reviendrons sur cette réforme. Non seulement vous feriez une erreur, mais ces allers-retours seraient contraires à la bonne administration de la république.

M. Jacques Valax. Je réaffirme mon soutien à une réforme de modernisation voulue par le président de la République et le Gouvernement. Ils ont su faire preuve de courage en présentant ce projet dès le mois de juin.

Vous nous accusez d’agir dans la précipitation, mais cela fait plus de vingt ans que l’idée de réduire le nombre de régions est évoquée et que le « millefeuille » est dénoncé. Combien de fois avez-vous appelé à simplifier les strates administratives ? Dépassons les conservatismes ! Installons-nous pleinement du côté des réformateurs ! Trop de sensibilités différentes, trop d’enjeux subjectifs ont jusqu’ici bloqué les évolutions nécessaires. Ne restons pas arc-boutés sur nos certitudes ! Agissons en législateurs et non en défenseurs de nos prés carrés ! Les citoyens ne nous le pardonneraient pas.

Le Sénat s’est opposé à l’idée de réunir Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Dans l’intérêt bien compris de ces deux régions, nous devons pourtant aller au bout de cette réforme équitable pour chacune d’elles. Pour reprendre l’argument utilisé par M. Straumann, je crois que, si l’on interrogeait l’ensemble des élus concernés, on recueillerait 96 % d’avis favorables à la fusion. La future région accueillera deux métropoles, dont Montpellier, entourées d’un réseau de villes moyennes de bonne taille. Avec 5,3 millions d’habitants, soit 8 % de la population française, il s’agira de la troisième région du pays.

Il faudra évidemment veiller à conserver la proximité indispensable, notamment dans les territoires ruraux ; les citoyens y sont particulièrement sensibles. Manuel Valls s’est exprimé à ce sujet devant le Sénat, tout comme Bernard Cazeneuve. L’un et l’autre seront particulièrement attentifs sur le sujet.

Il nous revient de nous mobiliser pour consolider une décentralisation juste, efficace et responsable. Nous devons renforcer nos régions avec la nouvelle carte et veiller à ce qu’elles atteignent, comme le disait André Vallini, une « taille critique pouvant leur permettre de développer davantage leur attractivité dans les années à venir ». La fusion Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon constituera l’un des éléments permettant de moderniser la démocratie locale et de rendre nos régions plus dynamiques et efficaces.

M. Michel Piron. Contrairement à mon excellent collègue Dominique Bussereau, je considère que les variations calendaires du Gouvernement constituent une sorte d’hommage à la grande souplesse de la majorité. (Sourires.)

Je regrette que la réflexion sur la relation entre région et département ait donné lieu à des hésitations qui finissent par devenir des non-choix. Je crains que l’agrandissement des régions justifie le maintien de l’échelon inférieur des départements. Les choses ne sont pas très bien engagées. Évidemment, il aurait été rationnel d’examiner dans un seul texte la carte et les compétences, la forme et le fond. L’œuvre aurait eu davantage de chance d’être reconnaissable.

Le droit d’option suscite aussi mon inquiétude. Il faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas un enjeu électoral lors de chaque échéance régionale. Pour son application, la question des majorités est donc essentielle : il ne peut s’agir d’une majorité simple, si l’on veut éviter que ce sujet ne soit un véritable facteur de déstabilisation.

Concernant cette « clause de revoyure », j’ai été très étonné par la proposition baroque qui rend la majorité des deux tiers nécessaire du côté de la région d’accueil pour donner un accord à une modification, et du côté de la région de départ pour s’y opposer. Il s’agit d’une symétrie en trompe-l’œil qui pose tout de même un certain nombre de questions sur le plan juridique et politique.

M. Patrick Hetzel. L’idée d’une méga-région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne s’apparente à une vision technocratique, ou du moins déconnectée des bassins de vie de nos populations. À ce jour, nous n’avons entendu aucun argument sérieux en faveur d’une telle organisation : on nous dit simplement que, sans elle, l’Alsace serait repliée sur elle-même.

L’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne correspondrait à un territoire plus vaste que la Belgique ou la Suisse : de toute évidence, ce serait ingérable et les décisions seraient prises très loin du terrain. Or nous sommes attachés à la proximité avec nos concitoyens, à l’efficacité de l’action publique, à la compétitivité de notre région et à son rayonnement, qui s’est créé au cours des dernières décennies autour du bassin rhénan.

Voilà pourquoi nous défendons une nouvelle organisation administrative de l’Alsace, dotée d’un conseil unique. Comme l’a rappelé Éric Straumann, 96 % des conseillers généraux et régionaux en ont tout récemment approuvé le principe. Il s’agit d’une réforme de fond de notre organisation territoriale, en lieu et place d’une méga-région qui marquerait une régression dans le processus de décentralisation. Contrairement à ce que j’entends très souvent dire, l’Alsace est prête à expérimenter en matière de gestion publique, mais en respectant la volonté de nos concitoyens : oui à la réforme, mais pas dans n’importe quelles conditions.

Je vous invite tous à prendre modèle sur ce qu’a fait le Sénat, avec une grande sagesse : plus de cinq heures de discussion autour de l’expérimentation alsacienne, que deux tiers des sénateurs ont approuvée, bien au-delà des clivages traditionnels. J’en appelle à la responsabilité de la majorité, qui devrait dialoguer davantage avec ses collègues sénateurs.

Cette expérimentation témoigne d’une véritable volonté de proposer une organisation nouvelle, fondée sur la fusion en un conseil unique d’Alsace des deux conseils généraux et du conseil régional. Pour la mener, il faut admettre que l’unité de la République n’est pas l’uniformité. Il serait dommage que cet élan soit freiné, voire que l’on aille contre le souhait de 96 % des élus du territoire.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Ce texte me laisse moi aussi insatisfait. Cela tient d’abord aux conditions dans lesquelles il a été préparé. À la rapidité des débuts, voire à l’improvisation, ont succédé deux ans d’incertitude sur un ensemble dont chaque pièce tendait à évoluer, comme dans un jeu de Rubik’s Cube, ce qui n’a rien de classique en matière législative.

En outre, beaucoup l’ont dit, délimiter les régions avant de connaître précisément leurs compétences et celles des départements – s’ils subsistent –, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Il faut savoir quoi faire, et non pas qui être ; ou, s’il faut savoir qui être, pour quoi faire ? En d’autres termes, il aurait mieux valu examiner les deux textes simultanément. Ce n’est pas une demande excessive du législateur, surtout s’il s’agit que les électeurs se prononcent au mois de mars en connaissant les compétences des collectivités et le devenir des départements.

Ces derniers ont fait l’objet d’étonnantes évolutions sinusoïdales. Voués d’abord à disparaître, puis à être « dévitalisés », selon le mot d’André Vallini, ensuite à être partiellement maintenus, selon le Premier ministre, ils seront finalement, selon le même Premier ministre, tous maintenus pour cinq ou six ans. Le parlementaire et l’électeur ont de quoi ne pas s’y retrouver. Pour le groupe RRDP, en tout cas, le maintien des départements est important, surtout dans de grandes régions, afin de préserver un échelon de proximité.

Enfin, le droit d’option a fait l’objet, après des amendements satisfaisants, de modifications qui le sont moins, ici ou au Sénat. Pour qu’un département puisse changer de région, il faut que les majorités requises ne soient pas trop élevées. Le fait que le droit d’option suppose actuellement la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans chacune des collectivités concernées le rend purement théorique.

Pourtant, le droit de changer d’avis a son importance. Un célèbre maire de Bordeaux – je veux bien sûr parler de Montaigne – n’en faisait-il pas l’éloge, en disant qu’« il n’y a que les fols certains et résolus » ? Il est vrai que le Gouvernement l’aura magnifiquement mis en pratique en préparant ce texte, qui n’en demeure pas moins très imparfait.

M. Jean-Luc Warsmann. Je suis d’accord avec mes collègues : nous manquons de visibilité et il n’est pas satisfaisant de modifier la délimitation des collectivités territoriales avant d’en déterminer les compétences.

En ce qui concerne la carte, j’ai soutenu en première lecture votre proposition, monsieur le rapporteur, car elle suscite un grand espoir dans mon territoire. La région Champagne-Ardenne exporte du champagne dans le monde entier, mais le premier client de l’économie régionale est l’Allemagne, le second la Belgique. Pour nous, une région Est peuplée de 5 millions d’habitants, tout entière orientée vers le transfrontalier, vers l’Allemagne et le Benelux, fait sens dans la perspective des décennies à venir. Elle serait vaste, c’est vrai, mais moins que la future région Rhône-Alpes-Auvergne. Surtout, voyez le protocole de financement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Est, entre la Lorraine et l’Alsace : grâce au cofinancement de toutes les collectivités du Grand Est, le temps de trajet entre Reims et Strasbourg sera ramené à une heure. Vous aurez donc mon soutien si vous maintenez votre position, monsieur le rapporteur.

J’ai toujours veillé à ne pas opposer les territoires les uns aux autres. Nous devons sortir de cette période, mettre fin aux modifications successives de la carte par chacune des chambres. De ce point de vue, l’annonce de la date de la commission mixte paritaire est bienvenue. Le Premier ministre s’est exprimé. Nous attendons maintenant de la visibilité et de la sécurité pour les territoires.

Mme Marie-Jo Zimmermann. À l’origine, cette réforme était marquée au coin du bon sens. Je regrette d’ailleurs vivement que le projet n’en ait pas été inscrit dans le programme du parti socialiste. Il aurait fallu faire la réforme en début de mandat, ou tout au moins demander alors aux présidents de conseils généraux et régionaux de travailler sur une carte, afin d’éviter l’improvisation dont nous avons été témoins en début de parcours.

Je veux saluer le bon sens dont a fait preuve le Sénat en définissant les compétences des collectivités dans l’article 1er A. Sur ce point, comme l’a dit Roger-Gérard Schwartzenberg, on avait mis la charrue avant les bœufs ! La réforme va entrer en vigueur pour au moins cinquante ans, du moins je l’espère. Ceux d’entre nous qui affirment que nous reviendrons en arrière lorsque nous serons majoritaires ne sont pas sérieux. Soyons réalistes, tenons compte de nos concitoyens.

Voilà précisément pourquoi je regrette l’improvisation initiale qui explique l’évolution ultérieure des cartes, laquelle prive nos concitoyens de toute lisibilité et empêche cette réforme d’être une grande réforme.

On évoque des régions à échelle européenne, comme en Allemagne, mais ce n’est pas du tout de ce type de régions que l’on est en train de doter la France. Voyez en revanche le Luxembourg, limitrophe de ma région et dont la dimension fait bien des envieux. Pour qu’une région réponde aux attentes des citoyens, s’agissant du chômage par exemple, elle doit posséder les compétences qui le permettent : celles-là mêmes qu’a introduites le Sénat, c’est-à-dire le développement économique et l’aménagement stratégique de leur territoire. Une grande réforme y aurait pourvu.

Je salue également la distinction établie par le Sénat entre le chef-lieu de région et la localisation de l’hôtel de région. S’il est vrai que la distance entre Reims et Strasbourg est quasi abolie, la préfecture de région reste l’endroit où se trouvent tous les services de l’État : on ne peut pas faire une grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne dont le chef-lieu et l’hôtel de région seraient nécessairement situés à Strasbourg.

En somme, je regrette que le texte n’ait pas été préparé au départ et que la carte qui nous a été présentée n’ait pas été portée par une véritable conviction, ce qui nous prive aujourd’hui d’un texte digne de ce nom, appuyé sur le travail méritoire du Sénat.

On veut créer de grandes régions, mais nous devons aussi veiller à la proximité, pour nos concitoyens. Pourquoi donc faire disparaître les départements ? Pourquoi ne pas repartir par exemple de la carte établie par Michel Debré et de la réflexion d’André Vallini ? Avec de grandes régions, il faut conserver les départements ; ou alors il faut opter pour un découpage en départements beaucoup plus importants, dotés de compétences réelles afin d’être efficaces au service de nos concitoyens.

Le législateur sera respecté dès lors qu’il travaille pour les citoyens. Saluons le travail du Sénat, représentant des collectivités ; et nous, représentants du peuple, assumons notre devoir de proximité vis-à-vis de nos électeurs.

M. Jean-Patrick Gille. Je soutiens moi aussi la constitution de grandes régions, qui suppose la fusion de certaines régions existantes. De ce point de vue, la carte de l’article 1er n’est pas satisfaisante s’agissant du Grand Ouest, comme en témoignent les amendements nombreux – et tous azimuts – déposés sur le sujet.

La carte dessine, d’ouest en est, une sorte de chapelet composé des régions Bretagne, Pays de la Loire, Centre, Île-de-France. S’agissant de la région Centre, trois questions se posent. D’abord celle de sa dénomination, que le Sénat a changée en « Centre-Val de Loire », à juste titre, me semble-t-il. Ensuite, celle de la fusion avec d’autres régions : inutile de rappeler le feuilleton qui nous a ballottés en tous sens, nous rattachant au Poitou-Charentes et au Limousin, puis aux Pays de la Loire dont nous sommes finalement dissociés. Notre souhait initial était de ne pas finir tout seuls : on ne peut pas dire que nous ayons été entendus ! Enfin, le droit d’option et ses assouplissements votés au Sénat, que je trouve intéressants, à condition que l’on se donne plus de temps pour user de ce droit.

Je proposerai donc, avec d’autres collègues, le rapprochement des régions Centre et Pays de la Loire, en vue de permettre ultérieurement à la Loire-Atlantique, voire à la Mayenne, de rejoindre la Bretagne. L’idée est de construire progressivement deux régions : la Bretagne, avec cinq ou six départements, et une grande région Centre-Val de Loire, dont la cohérence historique et géographique va de soi et qui serait « polycentrique », sans métropole, mais avec plusieurs agglomérations, du Mans à Orléans.

Il n’est de toute façon pas possible d’appliquer au Grand Ouest la démarche adoptée pour l’ensemble du pays, d’en rester au statu quo. Je ne voudrais pas que nos collègues des Pays de la Loire se sentent agressés par nos propositions : nous les formulons dans un esprit d’ouverture, afin de dessiner, grâce aux possibilités de fusion, mais aussi de compromis quant au droit d’option, un scénario évolutif en vue des années à venir.

M. Thierry Benoit. Je déplore pour ma part que le Gouvernement n’ait pas joint le geste à la parole. La parole, c’est celle du Premier ministre Manuel Valls qui appelait de ses vœux, dans son premier discours de politique générale, la simplification et une meilleure lisibilité de l’action publique, allant jusqu’à annoncer l’extinction des conseils généraux à l’horizon 2020, ainsi que la maîtrise de la dépense publique, à laquelle la réforme territoriale devait contribuer. Une semaine après que le Premier ministre eut confirmé la fin des conseils généraux, le président de la République, pour n’être pas en reste et pour apparaître lui aussi comme un réformateur, annonçait la création de méga-régions. Tout cela crée une véritable cacophonie qui empêche l’opinion publique et les élus des territoires de comprendre l’intime conviction du Gouvernement et la trajectoire de son action, dépourvue de perspective claire.

Pour cette seconde lecture, je formule par conséquent trois propositions. La première est le retour à un droit d’option simple qui permette à un département – à ses élus et à sa population – de choisir sa région de rattachement, sans que la majorité des trois cinquièmes soit requise.

La deuxième consiste à lever le verrou du droit de veto que le texte accorde à la région de départ, lui permettant d’empêcher, à la majorité des trois cinquièmes, un département de rejoindre une autre région.

Enfin, j’aimerais que nous étendions le droit à l’expérimentation et à l’innovation. Il nous faudra revenir à l’idée d’un conseiller territorial, qui devait permettre aux élus des territoires d’organiser leur schéma de compétences, voire d’envisager à titre expérimental des fusions entre départements ou entre un département et une région.

Monsieur le président, je suis breton et il y a ici d’autres députés bretons. Chez nous, les élus et la population se préoccupent de l’organisation institutionnelle territoriale. Certaines de nos intercommunalités existent depuis près de cinquante ans : celle de Fougères a été créée en 1966 ! Les pays, les bassins de vie nous tiennent à cœur. Je souhaite donc que les territoires qui veulent se saisir de la question le puissent, par l’expérimentation et l’innovation. En Bretagne, nombre d’élus souhaitent ainsi une assemblée de Bretagne, que préfigurait la création du conseiller territorial.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vous vouliez dire, bien sûr, que vous êtes député de la nation, élu en Bretagne.

M. Thierry Benoit. Naturellement.

Mme Sophie Rohfritsch. Pour qu’une réforme institutionnelle soit efficace, elle doit permettre de libérer les énergies locales et de dégager des moyens au profit du développement économique et de l’emploi. Or, avec la délimitation territoriale actuelle, l’Alsace offre une chance de concrétiser ces objectifs. Nous avons en effet uni l’ensemble des collectivités territoriales qui la composent, toutes tendances confondues – la communauté urbaine de Strasbourg, future métropole européenne, est à gauche –, et qui, depuis des années, travaillent ensemble sur des sujets stratégiques en y consacrant d’importants moyens financiers : enseignement supérieur, recherche, développement économique, innovation, tourisme, transport. Ces efforts partagés ont produit des résultats qui permettent à l’Alsace de peser, dans de nombreux domaines, bien plus lourd qu’elle ne devrait eu égard à son poids démographique. Cela n’est possible que si l’on travaille en cohérence, qu’on partage des objectifs et qu’on ne s’occupe pas exclusivement de politique.

Désormais, les chambres consulaires, les chambres de métiers, les agences de développement économique d’Alsace parlent d’une seule voix, et c’est pourquoi elles séduisent nos voisins suisses et allemands, avec lesquels nous travaillons à de nouveaux projets. La carte des régions issue des travaux du Sénat préserve et renforce cette efficacité, et adresse à tous ces partenaires un signe positif, les encourageant à poursuivre dans cette voie.

En faisant voler en éclat ces possibilités de concrétiser le développement économique – c’est-à-dire la croissance et l’emploi –, en diluant les compétences et les moyens dans une grande région, en nous privant de ces objectifs partagés, nous ne nous engagerions pas dans la voie du progrès et de la modernité, mais régresserions et renoncerions à défendre, non pas une identité particulière, mais la modernité et le progrès. J’espère que la majorité suivra ce bel exemple local de cohérence et, surtout, qu’elle entendra les Alsaciens, l’ensemble des élus du territoire et ses collègues du Sénat.

M. Paul Molac. Je n’étais pas favorable à la création de grandes régions, car je pense, comme M. Piron, qu’elle rendrait ensuite difficile la suppression des départements.

Pour une région, la question des moyens législatifs et réglementaires est décisive. Nous ne sommes, hélas, pas en Nouvelle-Calédonie, où existent des lois du pays et un pouvoir réglementaire. De quel pouvoir disposeront les régions en matière d’impôt et de développement économique ?

Si le Sénat n’a que peu modifié la carte, il a toutefois préféré séparer Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon. Certains veulent absolument que ces deux régions fusionnent. J’avoue, pour ma part, ne pas avoir d’opinion arrêtée sur le sujet. En revanche, je crois que ce serait une erreur de ne pas laisser l’Alsace toute seule. Il faut, en la matière, écouter les vœux des élus et de la population. Je sais bien que certains craignent que l’Alsace ne se replie sur elle-même, mais j’ai visité plusieurs fois cette région et n’y ai vu aucun signe de repli. Au contraire, on peut parler d’une véritable eurorégion, très ouverte sur l’extérieur, notamment sur l’Allemagne et la Suisse. Le repli identitaire français, avec certaines idées qui ont obtenu 25 % des suffrages aux dernières élections, m’inquiète bien davantage !

À l’ouest, nous nous retrouvons avec trois régions. Je rappelle ma préférence pour une région Bretagne et une région Val de Loire. Je souhaite également que le droit d’option soit assez souple pour permettre à des départements comme la Mayenne, la Vendée ou la Sarthe de se déterminer. On a bien compris que le président du conseil général de la Sarthe et le maire du Mans regardent vers Tours, ce qui paraît relativement cohérent. Je conseille à nos amis du Maine-et-Loire de regarder aussi de ce côté. La Loire-Atlantique a autant de partenariats avec Lorient, qui n’est pas dans la même région, qu’avec Angers.

Il restera ensuite à régler certaines questions, comme le report des élections et le nombre de conseillers régionaux par département. Dans ces domaines, nous attendons les propositions du Gouvernement.

La dernière fois qu’il a été procédé à un découpage des régions, elles sont restées en place pendant cinquante ans. Ne négligeons donc pas l’importance de cette loi.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président de la Commission

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le président Schwartzenberg a identifié la plupart des problèmes que pose ce texte et dit tout le mal qu’il fallait en penser. Monsieur le rapporteur, ce que vous appelez « passion » et « excès de langage », c’est l’expression libre et indépendante d’une conviction.

Le texte du Gouvernement pose mal le débat. La question des compétences des différentes collectivités territoriales aurait été un meilleur point d’entrée, tout comme une réflexion préalable sur les différents niveaux de collectivités et d’intercommunalité – communes, départements, régions, communautés de communes, communautés urbaines, communautés d’agglomération et métropoles.

Tout en regrettant le processus engagé, je veux redire mon attachement à l’identité de la région Languedoc-Roussillon, tant d’un point de vue historique et humain qu’économique. Dans leur grande majorité, les élus régionaux l’ont défendue, la commission spéciale du Sénat, sur proposition des radicaux de gauche, s’y est déclarée favorable et le Sénat a accepté de laisser vivre, et donc libre, le Languedoc-Roussillon. Nous serions bien inspirés de suivre cette position qui me semble très sage.

Monsieur le rapporteur, est-il exact que le système électoral retenu pourrait voir un département privé de tout élu dans le conseil régional ? Cela pourrait, semble-t-il, être le cas de la Lozère qui ne compte aujourd’hui qu’un seul élu régional sur soixante-sept. Si c’était le cas, je souhaiterais que notre Commission puisse prévoir une représentation minimale par département.

M. Michel Heinrich. À mon tour, je regrette que la réforme soit conduite de manière plus ou moins hasardeuse. Il est surprenant de définir les périmètres sans traiter des compétences. Que dirait-on d’entreprises qui attendraient d’avoir fusionné pour déterminer le marché auquel elles vont s’attaquer et les produits qu’elles vont fabriquer ? Les élections départementales risquent d’être assez cocasses, puisqu’il faudra présenter un projet départemental sans connaître les futures compétences des départements.

S’agissant de la région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, j’ai déposé un amendement qui vise à revenir au vote de l’Assemblée nationale en première lecture. J’étais initialement favorable au texte présenté par le Gouvernement, qui prévoyait simplement une fusion entre l’Alsace et la Lorraine, mais nos débats m’ont fait évoluer. Une région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine permettra une nouvelle dynamique économique, universitaire et touristique, et un renforcement des liens européens. Ces trois régions forment une eurorégion singulière dans une configuration transfrontalière avec quatre pays : la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse. Les enjeux transfrontaliers seront essentiels. En effet, il est important de donner à ce nouvel espace territorial des moyens permettant d’organiser une offre de services quotidiens de dimension transfrontalière.

Les échanges entre les pôles métropolitains du sillon lorrain, d’Alsace et de Champagne-Ardenne ont montré la complémentarité de leurs fonctions. Leur articulation en réseau est susceptible d’attirer et de fixer des flux européens nord-sud actuellement peu exploités sur le territoire français. Ainsi, les trois pôles métropolitains réunis contribueront au développement économique et à la qualité de vie des habitants au sein de notre nouvelle région. De même, la complémentarité des pôles de compétitivité – Hydreos, Materalia, et, en Lorraine, le pôle Fibres qui est en train de fusionner avec Alsace Énergivie – participera au développement économique. Le potentiel de développement économique à l’échelle des trois régions fusionnées plaide en faveur de cette réalisation.

M. Jacques Bompard. Je suis un adepte du localisme. Parmi les poisons du jacobinisme, il en est un dont la France n’a jamais cessé de s’étourdir : le centralisme. Celui-ci aime à prendre des habits de lumière : « rationnel », « économe », « républicain », « équitable », « citoyen », tout un lexique de mots vidés de leur contenu par le dirigisme parisien et par les très pauvres heures des réponses de notre Premier ministre.

Tout a été dit sur ce projet de loi : ses économies seront inconsistantes, sa méthode est parfaitement oublieuse de l’histoire de France et ses négociations furent pour le moins hasardeuses si ce n’est plus proches du copinage que de l’échange démocratique. Je me souviens avoir reçu dans la même enveloppe des fascicules prônant, d’un côté l’union des Pays de la Loire à la Bretagne, et de l’autre faisant de cette fusion une horreur inacceptable. Il faut être souverainement méprisant pour les identités terriennes et provinciales pour traiter de la sorte les contours de nos territoires.

Tous nos médias, tous nos experts célébraient hier le sacrifice héroïque de la France des provinces dans les tranchées et l’honneur de ceux qui y ont offert leur vie. Nombre d’entre eux doivent se retourner dans leur tombe quand on vend leurs pierres sur l’autel des injonctions bruxelloises et leurs clochers en réponse à des impératifs budgétaires nés d’une crise organisée pour et par le cosmopolitisme financier. Le labeur et l’identité seront une nouvelle fois les victimes du cortège d’énarques qui a préparé à la va-vite ce qui ressemble davantage à un mauvais songe d’administrateurs médiocres qu’à la recherche de la concorde sur les territoires français.

Je défendrai deux amendements qui montrent que les auteurs de cette farce gravissime ont bien conscience qu’elle n’aura d’assentiment que dans les couloirs de quelques ministères. Le premier souligne qu’il est tout à fait délirant de laisser au Conseil d’État le soin de désigner un chef-lieu pour une nouvelle région. Comment peut-on, en effet, imaginer que la classe politique, après tant d’années à vanter la décentralisation, en soit encore à demander à la haute administration de déterminer pour les provinces leur métropole ? En agissant de la sorte, la représentation politique ne fait que creuser sa tombe, trop heureuse par la suite de pleurer sur la désaffection des Français pour son action.

Vous laissez la possibilité de ne pas installer l’hôtel de région à l’endroit du chef-lieu de région. C’est à n’y plus rien comprendre. Voulez-vous inciter les collectivités à réaliser des économies ou n’agitez-vous qu’un nouveau monstre froid médiatique que l’on décrira dans dix ans comme une insulte au bon sens ? Laisser une telle possibilité au cœur de votre texte, c’est au moins inviter à la suspicion. Est-ce une possibilité laissée aux barons régionaux mécontents ? Cherchez-vous à éviter des échauffourées au bureau politique du parti socialiste ?

Dans l’idée de décentralisation, un grand Français a donné il y a longtemps déjà le programme de toute réelle décentralisation. Il écrivait : « Pour sauver le patriotisme, il faut réformer la patrie, comme il faut réformer l’État pour sauver la notion de gouvernement. L’État français sera conçu non pas moins un, sans doute, mais uni suivant des principes plus souples, plus conformes aux richesses de sa nature, plus convenables à nos mœurs et qui établiront une meilleure division du travail politique. Aux communes les affaires proprement communales, les provinciales aux provinces ; et que les organes supérieurs de la nation, dégagés de tout office parasitaire, président avec plus d’esprit de suite et de vigueur à la destinée nationale ». C’est en grand lecteur de mon compatriote provençal que François Mitterrand voulut s’y employer, mais ce texte trahit toutes les vertus qu’il faut pour retrouver l’énergie nationale. Il faut que les bureaux parisiens priment sur les territoires, préférer l’agitation du Premier ministre à la sagesse d’une paix réelle. En définitive, on n’a qu’une ambition : faire de l’État un parasite dans la vie de notre territoire plutôt que de l’encourager à se gorger des dynamiques régionales pour développer le bien commun, pourtant la seule chose qui justifie notre présence ici.

M. Michel Sordi. Telle qu’elle résultait des travaux de notre assemblée, la région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine était plus grande que la Suisse ou la Belgique. Les électeurs et les centres de décision s’éloignent les uns des autres, ce qui sera préjudiciable à notre région. Je ne vois pas comment on pourrait ignorer les délibérations concordantes des conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et de la région Alsace, qui souhaitent, au titre de l’expérimentation, fusionner en une entité pour créer un conseil d’Alsace.

L’Alsace a une identité très forte, née de son histoire : depuis 1870, elle a subi quelques turbulences. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’elle soit refermée sur elle-même. Son développement économique montre qu’elle est ouverte sur ses voisins. Mais, pour relever ses défis économiques, elle se tourne davantage vers le Bade-Wurtemberg ou les cantons suisses. Cela ne veut pas dire que la transfrontaliarité doive se traiter partout de la même manière : sinon, il faudrait fusionner du Nord jusqu’aux Alpes-Maritimes. Laissons l’Alsace poursuivre son expérimentation. Les départements auront ensuite la possibilité de se rattacher à la région de leur choix en fonction des vœux des uns et des autres.

M. Hervé Gaymard. La réforme qui nous est soumise le prouve : depuis deux ans et demi, le Gouvernement patauge. Nous pourrions nous en satisfaire ; au contraire, nous en sommes attristés, car notre pays a besoin d’une réforme territoriale ambitieuse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en 2010, nous avions créé le conseiller territorial qui permettait, d’une part, de diviser par deux le nombre d’élus territoriaux et, d’autre part, de reclasser les compétences entre l’échelon régional et l’échelon départemental, avec des configurations différentes selon les régions, car il faut cesser d’administrer la France de façon jacobine. Cette même loi, ne l’oublions pas, créait également les métropoles.

Par ailleurs, je déplore votre approche idéologique du sujet. En 2012, la nouvelle majorité s’est empressée d’abroger cette loi de 2010. Depuis, on ne sait pas où l’on va, c’est le bateau ivre ! Le Premier ministre a changé plusieurs fois de langage. Ainsi, en ce qui concerne le rôle des départements, le discours ne cesse de varier : au mois de janvier 2014, le Gouvernement transmettait au Conseil d’État un projet de loi visant à renforcer les compétences des départements, notamment en matière sociale ; un mois plus tard, le Premier ministre annonçait la suppression des départements à l’horizon 2020 ; depuis, de déclaration en déclaration, nous ne savons plus trop où nous en sommes. Le simple bon sens aurait voulu que l’on examine les compétences avant de modifier la cartographie.

Enfin, le découpage des régions procède de deux idées fausses, dont la prétendue trop petite taille des régions françaises. La taille moyenne des régions françaises est plus grande que celle des régions européennes. Elle est même plus grande que plusieurs États européens. Certes, certaines régions doivent être regroupées, parce qu’elles n’ont pas une masse critique suffisante, mais, en voulant faire d’immenses régions – par exemple la fusion entre la région Rhône-Alpes et l’Auvergne –, on n’apporte pas les bonnes réponses au souci de proximité des Français.

Quand on ouvre la boîte de Pandore du redécoupage régional, il ne faut pas s’étonner de déclencher des tempêtes, avec la question du rattachement de la Loire-Atlantique à la région Bretagne – et l’effet qu’il peut avoir par contrecoup sur la région Pays de la Loire et sur la région Centre –, avec la question alsacienne, avec les contestations de Mme Aubry sur la fusion des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie.

Vous ne tiendrez sans doute pas compte de la contribution de nos collègues sénateurs. Mais ce n’est pas parce que vous êtes majoritaires à l’Assemblée nationale et que ce redécoupage sera probablement adopté que ce sera une bonne réforme pour la France.

M. Laurent Furst. L’Alsace a une chance extraordinaire : elle a des amis dans tout le pays. Il est vrai que c’est un peu dur à supporter quand ceux-ci veulent penser à sa place. Faut-il répéter que 96 % des conseillers généraux et régionaux d’Alsace souhaitent la fusion des trois collectivités, et que c’est aussi le souhait de la population ? Pour avoir participé à dix commémorations ces jours derniers, je peux vous dire que, partout, nos concitoyens m’ont interpellé à propos de la fusion-dilution de l’Alsace dans une grande région. Ils sont inquiets. Les braises de la colère sont chaudes. Certes, ils ne manifesteront pas, ils ne sont pas violents. Mais je crains – je le dis solennellement – un immense accident électoral lors des élections régionales. Sommes-nous là pour faire le lit du Front national ?

Depuis la fin de la guerre, l’État a toujours encouragé la construction d’une Alsace rhénane, symbole politique de la paix entre la France et l’Allemagne. Les résultats de cette démarche sont bien réels : un salarié alsacien sur douze travaille en Allemagne ou en Suisse. La majorité des industries de notre territoire sont à capitaux rhénans, allemands ou suisses. Face au projet de redécoupage régional, l’anxiété économique est donc considérable. Strasbourg est plus proche de la frontière tchèque que de Paris ou des communes les plus éloignées de la Champagne, et elle le restera, demain, si une grande région devait voir le jour. La géographie est une réalité que l’on ne peut changer à son gré.

L’Alsace a exprimé le souhait quasi unanime de créer un conseil d’Alsace par la fusion des trois collectivités. Elle ne demande aucun pouvoir particulier, elle veut seulement être un laboratoire pour la République.

M. Hugues Fourage. Quelles que soient les différences que nous exprimions, nous nous accordons tous sur la nécessité d’une réforme. Plusieurs rapports ont d’ailleurs conclu en ce sens. Le débat porte tant sur la question du millefeuille que sur la maîtrise des dépenses publiques et sur la réorganisation territoriale. En termes de méthode, convient-il d’abord de réformer les compétences ou bien de procéder au redécoupage des régions ? À ce propos, Sébastien Denaja a fait une métaphore sur le déménagement, tandis que Roger-Gérard Schwartzenberg a regretté que nous mettions la charrue avant les bœufs. Pour ma part, j’estime que cela revient à s’interroger sur le point de savoir qui, de la poule ou de l’œuf, est apparu en premier !

D’autre part, rendons hommage au Gouvernement, qui a su écouter les uns et les autres, y compris sur la question des départements. Votre attitude est paradoxale, chers collègues de l’opposition : vous reprochez au Gouvernement d’avoir évolué par rapport à sa position initiale sur les départements tout en estimant qu’il n’a pas entendu les élus ! S’agissant de la méthode, je salue aussi le travail du rapporteur : la carte que nous avons adoptée en première lecture est issue des consultations qu’il a menées avec l’ensemble des présidents de région.

M. Bernard Roman. Ce qui ne veut pas dire qu’elle a recueilli leur accord !

M. Hugues Fourage. Certes. En tout cas, la discussion a eu lieu.

En entendant nos débats de ce matin, j’ai eu l’impression d’assister à une partie de ping-pong entre l’Alsace et la Bretagne sur la dimension identitaire. Quant à moi, je suis élu dans la région Pays de la Loire, dont personne ne voulait il y a quarante ans lorsqu’elle a été créée ! Or, aujourd’hui, les cinq départements qui la composent veulent rester ensemble. Car, on l’oublie trop souvent, au-delà des identités régionales, certes respectables, il y a le projet politique, c’est-à-dire la capacité des élus à travailler ensemble et à construire l’avenir d’une région. Il faut défendre cette vision plutôt que le réflexe identitaire. D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris pourquoi le champagne et le gewurztraminer ne pourraient pas se marier au sein d’une même grande région viticole !

Je suis au fait des discussions qui se sont déroulées au Sénat. Mais la sagesse des sénateurs me semble à géométrie variable : lorsque la majorité est de droite au Sénat et qu’elle est de gauche à l’Assemblée, ou inversement, ne dit-on pas que le Sénat bloque ? Quoi qu’il en soit, il est très positif que le Sénat ait proposé – enfin ! – sa propre carte et que nous puissions en discuter. À cet égard, c’est néanmoins la carte adoptée par l’Assemblée en première lecture qui me paraît inspirée par la sagesse : elle est issue de la concertation que j’ai mentionnée et prend en compte tous les éléments pertinents.

S’agissant du droit d’option des départements, j’ai bien entendu les arguments de Thierry Benoit. Pour ma part, j’estime indispensable que la région de départ soit consultée et puisse donner son avis si un département souhaite la quitter pour une autre région. On peut discuter de la question de la majorité qualifiée, mais il est absolument nécessaire que la région de départ soit consultée, afin qu’elle puisse mesurer pleinement les enjeux d’une telle opération. Si la Loire-Atlantique devait rejoindre la Bretagne après avoir travaillé pendant quarante ans avec quatre autres départements au sein des Pays de la Loire, les conséquences économiques, financières et budgétaires seraient considérables.

Rappelons donc les enjeux fondamentaux de ce texte. Certes, les identités existent. L’un d’entre nous a même été tenté d’employer la notion de « peuple alsacien ».

M. Éric Straumann. Qui avait voté en faveur de la notion de « peuple corse » ? N’était-ce pas votre majorité ?

M. Hugues Fourage. Je n’étais pas député à l’époque, mon cher collègue. Quoi qu’il en soit, nous sommes tous des représentants de la nation, y compris ceux d’entre nous qui sont élus en Alsace et en Lorraine, et nous devons réfléchir à la nouvelle carte des régions en tant que tels.

M. Frédéric Reiss. Je regrette à mon tour la façon dont se déroule ce débat : l’improvisation est de mise, et le mécontentement est général. Les tergiversations gouvernementales quant aux compétences des régions et au rôle futur des départements n’ont fait qu’ajouter à la confusion.

Le Sénat a adopté, à une large majorité – 65 % –, un découpage territorial qui s’appuie sur les réalités économiques et sociales de notre pays. Celui-ci maintient l’Alsace dans ses contours actuels, en tant que région à part entière. La réforme territoriale voulue par le Gouvernement aura des conséquences dans l’organisation des collectivités territoriales, départements et régions. La majorité des grands électeurs qui se sont exprimés lors des dernières élections sénatoriales – qui ont concerné la moitié des départements – sont issus de ces collectivités. Le texte issu du Sénat traduit donc, de la manière la plus démocratique qui soit, les souhaits de nos concitoyens en matière de réforme territoriale. En l’absence d’étude d’impact précise, c’est la volonté des élus locaux qu’exprime le vote du Sénat.

En Alsace, la quasi-unanimité des élus ruraux – la majorité étant sans doute un peu moins nette au sein de la métropole – est favorable à une assemblée unique issue de la fusion du conseil régional et des deux conseils généraux. Certes, les électeurs alsaciens ont failli lors du référendum du 7 avril 2013, lequel aurait pu et dû devenir un tournant historique. Du reste, les conditions du succès étaient difficiles à réunir. Rappelons néanmoins que 58 % des suffrages exprimés se sont portés sur le oui. Aujourd’hui, de nombreux Alsaciens regrettent de ne pas s’être déplacés pour voter : « Ah, si l’on avait su ! », disent-ils. Mais c’est maintenant de l’histoire ancienne.

L’Alsace souhaite avancer sur la voie d’un projet novateur de fusion des collectivités et servir d’exemple à d’autres territoires. Nous revendiquons le droit à l’expérimentation et à l’innovation. Ne cherchez pas, avec votre réforme territoriale, à faire le bonheur de nos concitoyens contre leur gré ! Dans ma circonscription, les personnes favorables à une très grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne sont très rares. Et il ne s’agit nullement d’un quelconque repli sur nous-mêmes : notre région est forte de son identité, de son histoire tourmentée, de sa diversité, de sa culture et de son droit local ; elle est ouverte sur les régions limitrophes – françaises bien sûr, mais aussi suisses et allemandes –, ainsi que sur l’Europe dans son ensemble. Nous sommes persuadés que l’Alsace saura se montrer exemplaire dans l’organisation de son territoire et jouer une belle partition dans le concert des grandes régions européennes.

M. Patrick Mennucci. Je souhaite – peu d’entre nous l’ont fait ce matin – apporter mon soutien au Gouvernement et au Premier ministre, et saluer le travail du rapporteur. J’entends les nombreuses remarques que suscite ce projet de loi, et je peux comprendre qu’il bouscule beaucoup d’habitudes. Mais il est indispensable, car il correspond aux besoins du pays. Nos discussions montrent que nous pourrions discuter de ces sujets éternellement ! En effet, dès que nous modifions un aspect du projet de loi, nous en faisons bouger beaucoup d’autres et, à ce moment-là, une autre logique est à l’œuvre. Or il revient justement au Gouvernement de faire des propositions. Celles-ci ont d’ailleurs été améliorées il y a quelques mois par notre rapporteur, à l’issue des discussions qu’il a pu avoir.

J’ai entendu parler d’innovation, notamment de l’opportunité de faciliter la mise en œuvre du droit d’option pour les départements. Mais faisons très attention : qu’adviendrait-il d’une région qui serait progressivement quittée par la plupart des départements qui la composent ? Dans ce débat, nous devons adopter une attitude républicaine : nous sommes des représentants de la nation, pas seulement des intérêts de la Bretagne, du Centre…

Un commissaire membre du groupe UMP. …ou de Marseille !

M. Patrick Mennucci. En effet ! De même qu’en 1792, les Marseillais doivent défendre non pas les intérêts de leur ville, mais ceux de la République ! Nous avons intérêt à en terminer avec ce débat et à faire confiance aux propositions du Premier ministre.

M. le rapporteur. Les sujets que vous avez évoqués au cours de cette discussion, mes chers collègues, se rapportent généralement à des articles précis du projet de loi. Nous aurons donc l’occasion de les aborder de manière plus approfondie au cours de l’examen des amendements. Néanmoins, je crois utile d’apporter dès maintenant quelques premières réponses.

Je regrette que plusieurs d’entre vous continuent à invoquer l’argument – certes avec moins de véhémence que lors de la première lecture – d’une prétendue impréparation de la réforme et de la discussion sur la carte des régions.

M. Guy Geoffroy. Nous n’avons pas fini de le faire ! Nous allons y revenir !

M. le rapporteur. Je n’en doute pas, mon cher collègue. Mon rôle consiste néanmoins à vous répondre, et je vais tenter de ne pas me départir de mon calme.

Combien d’années une « bonne » préparation doit-elle durer selon vous, mes chers collègues ? Combien vous faut-il de rapports prônant la réduction du nombre de régions avant qu’un président de la République et un Gouvernement puissent enfin engager, au-delà des déclarations d’intention, cette réforme que chacun juge nécessaire ? Le moment est venu de la faire ! Notre travail s’appuie non seulement sur l’étude d’impact, mais aussi sur les nombreux rapports produits par l’Assemblée nationale et par le Sénat à ce sujet, avec le soutien des différentes familles politiques qui y sont représentées.

Personne ne conteste que la carte ait pu surprendre ou susciter des interrogations. Le débat a eu lieu tant au sein du groupe majoritaire que de notre Commission ou de la commission spéciale du Sénat, en première comme en deuxième lecture. Il se poursuit aujourd’hui. Cependant, j’ai le sentiment que la carte adoptée par notre Assemblée en première lecture représente un point d’équilibre. Elle a d’ailleurs recueilli des votes favorables sur tous les bancs. Certes, elle ne fait pas l’unanimité, mais je crois qu’il n’existe pas de carte consensuelle.

Chers collègues, si vous continuez à user de l’argument de l’impréparation – vous êtes tout à fait libres de le faire –, je continuerai à rappeler, avec d’autres, que la représentation nationale réfléchit depuis longtemps à cette question et qu’il est temps que cette réforme aboutisse.

Selon un deuxième argument, nouveau celui-là, il conviendrait d’écouter nos collègues sénateurs, qui seraient la voix de la sagesse. Il n’est guère étonnant que cette idée soit davantage défendue par nos collègues de l’opposition : il n’a échappé à personne que des élections sénatoriales se sont tenues récemment. D’ailleurs, une partie des sénateurs est sortie d’une forme d’ambiguïté, alors que, en première lecture, les alliances les plus improbables avaient empêché le Sénat d’adopter une carte, sur laquelle le débat aurait pu s’engager sereinement. Nous disposons désormais d’une telle carte, et l’Assemblée doit écouter les arguments de nos amis sénateurs. Vous pourrez d’ailleurs constater, au cours du débat en commission cet après-midi ou en séance publique la semaine prochaine, que nous tiendrons compte de certains d’entre eux. Pour autant, nous ne retiendrons pas la totalité des propositions du Sénat, notamment celles qui concernent la carte des régions. Telle est en tout cas la position que je défendrai au nom de la commission des Lois.

De nombreuses interventions ont porté sur cette carte, en particulier celles de collègues députés de la République, élus dans les départements alsaciens. Néanmoins, je relève des contradictions entre les déclarations faites ce matin par les collègues élus dans les trois régions concernées – Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne –, pourtant tous membres du même groupe politique. Or la carte – qui est non pas élaborée in abstracto, mais votée par la représentation nationale – doit constituer un point d’équilibre. Et je suis convaincu que ce point d’équilibre n’a pas varié depuis l’adoption de l’article 1er du projet de loi par notre Assemblée en première lecture. Nous le vérifierons cet après-midi en commission et la semaine prochaine en séance publique. Néanmoins, nous continuerons les uns et les autres à présenter nos arguments, et je reste à l’écoute. Peut-être – qui sait ? – ce point d’équilibre évoluera-t-il.

Il n’est pas étonnant que le droit d’option des départements continue à faire l’objet de longs débats devant notre Commission, comme cela avait été le cas devant chacune des deux assemblées et comme ce sera encore probablement le cas la semaine prochaine en séance publique. À l’instar d’une grande majorité de collègues, je souhaite trouver là aussi un point d’équilibre, qui peut être soit celui auquel nous étions parvenus en première lecture, soit celui que nous serions capables de déterminer au cours de la deuxième lecture. En tout cas, il faut que la région de départ, la région d’accueil et le département qui souhaite changer de région formulent chacun un avis non pas consultatif, mais qui s’impose. Nous disposons en effet d’un point de comparaison – et d’un seul – dans le code général des collectivités territoriales : pour qu’une commune puisse exercer son droit d’option et changer d’intercommunalité, il faut que la décision recueille l’accord des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes concernées représentant la moitié de la population, ou de la moitié au moins des conseils municipaux des communes représentant les deux tiers de la population. J’ai le sentiment de ne pas être sorti de cette épure en proposant, en première lecture, que les régions et le département concernés par l’exercice du droit d’option adoptent leurs avis respectifs à la majorité des trois cinquièmes. Mon amendement avait d’ailleurs été accepté par notre Assemblée. Néanmoins, je suis disposé à écouter les uns et les autres, et à rechercher, le cas échéant, un autre point d’équilibre. Quoi qu’il en soit, il me paraît impossible de ne pas solliciter l’avis de la région de départ, dont il convient de respecter la cohésion.

Enfin, Pierre Morel-A-L’Huissier a soulevé la question de la proximité à propos de la Lozère. Les départements les plus ruraux et les moins peuplés risquaient en effet d’être les plus touchés par la réforme territoriale. C’est pourquoi, en première lecture, aux termes d’un amendement que j’ai proposé, le nombre minimal de conseillers régionaux élus au titre d’un département a été relevé de un à deux. Certains objecteront que ce n’est pas suffisant. Telle a été la position du Sénat, qui a porté ce seuil à cinq, au mépris de la Constitution – je le dis avec tout le respect que je dois à nos collègues sénateurs : il est impossible, nous le savons, qu’une telle disposition passe la barrière du Conseil constitutionnel. Car nous devons affirmer notre volonté de préserver les intérêts des départements ruraux tout en respectant le principe constitutionnel d’égale représentation des citoyens. Ce seuil sera donc ramené à deux. Ainsi, aucun département ne sera représenté par moins de deux conseillers régionaux à l’issue des élections régionales de décembre 2015.

Je compléterai mes réponses cet après-midi au cours de l’examen des articles.

La séance est levée à 12 heures 35.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, Mme Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, M. Carlos Da Silva, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Sonia Lagarde, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, Mme Laurence Dumont, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier

Assistaient également à la réunion. - M. Thierry Benoit, M. Alain Calmette,
M. Jean-Louis Christ, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Laurent Furst, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Patrick Gille, M. Serge Grouard, M. Mathieu Hanotin, M. Michel Heinrich, M. Patrick Hetzel, M. Victorin Lurel, M. Michel Ménard, M. Michel Piron, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, Mme Sophie Rohfritsch, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Claude Sturni, M. Jean-Pierre Vigier