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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 21 janvier 2015

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 37

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen de la proposition de loi de Mmes Danielle Auroi, Barbara Pompili et M. François de Rugy et plusieurs de leurs collègues relatives au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 1519) (Mme Danielle Auroi, rapporteure)

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’examen de la proposition de loi de Mmes Danielle Auroi, Barbara Pompili et M. François de Rugy et plusieurs de leurs collègues relatives au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 1519) (Mme Danielle Auroi, rapporteure).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Danielle Auroi pour rapporter la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qu’elle a déposée avec ses collègues du groupe écologiste.

Mme Danielle Auroi, rapporteure. Cette proposition de loi est le résultat d’un travail mené depuis deux ans par des députés de plusieurs groupes politiques avec l’ensemble des organisations non-gouvernementales (ONG) concernées, tous les syndicats, y compris les syndicats de cadres, et certains juristes de haut vol parmi lesquels je tiens à citer M. Antoine Lyon-Caen, universitaire et avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et M. Charley Hannoun, avocat spécialisé en droit des sociétés.

Je suis heureuse de présenter un texte qui rassemble les valeurs humanistes que nous partageons tous, et qui me paraît fondé sur les valeurs sociales et environnementales en général dévolues à la gauche. Les quatre groupes politiques de gauche de l’Assemblée nationale ont d’ailleurs déposé des propositions de loi identiques – j’en profite pour remercier tous les collègues concernés, en particulier M. Dominique Potier qui nous rejoint.

Nous avons rarement l’occasion de voter un texte qui fasse avancer de façon aussi évidente les droits de l’homme, et qui s’inscrive autant dans la lignée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de Victor Schœlcher et de l’abolition de l’esclavage, de Jean Jaurès et de la question sociale.

Car il s’agit bien de lutter contre une forme moderne d’esclavage organisé sous nos yeux dans le contexte de la mondialisation, par l’exploitation d’hommes et de femmes, dissimulée sous des relations de sous-traitance et de filiales. Deux exemples illustrent suffisamment notre sujet.

Le 24 avril 2013, dans un faubourg de Dacca, capitale du Bangladesh, s’effondrait le Rana Plaza, immeuble abritant plusieurs usines spécialisées dans la production textile, en particulier pour des marques occidentales. Quasiment deux ans après un drame qui a causé la mort de près de 1 200 personnes et fait des centaines de blessés, le fonds d’indemnisation n’est pas abondé à hauteur de la moitié du niveau nécessaire. À ce jour, la plupart des victimes n’ont rien perçu ! Sans pression de la loi, il est clair que les entreprises traînent les pieds.

L’exemple de la préparation de la coupe du monde de football de 2022 au Qatar est moins connu, mais il est significatif. De très nombreuses entreprises françaises et européennes ont recours à des sous-traitants qui, sur place, n’ont pas hésité à pratiquer l’esclavage moderne. Songez que le parking de l’hôtel Sheraton, qui doit accueillir le siège local de la fédération internationale de football pendant l’événement, a été construit par des Népalais auxquels on a retiré leur passeport et qui étaient contraints de travailler douze heures consécutives chaque jour dans les conditions climatiques que vous imaginez. Il y a eu des morts sur ce chantier. Ce sont les damnés de la Terre de notre temps ! Malgré cela, les multinationales donneuses d’ordre n’hésitent pas à affirmer qu’elles ne sont responsables de rien puisque la loi est muette sur le sujet.

Il est vrai que le principe d’autonomie des personnes morales les dégage de toute responsabilité quant au comportement de leurs cocontractants. On peut comprendre la logique juridique qui veut que l’on ne soit responsable que de ses actes et non de ceux des autres, mais l’on saisit surtout qu’existe un biais économique dans le cadre d’une véritable course à la rentabilité. La justice qui se veut exemplaire doit aussi être accessible à tous. La loi doit veiller à ce que cela soit bien le cas.

Tout le monde admet désormais que l’entreprise a un rôle à jouer dans la société au-delà de sa stricte activité industrielle. Les entreprises elles-mêmes se dotent de chartes et de référentiels de bonnes pratiques pour la protection des droits fondamentaux, de la santé et de l’environnement. Ces initiatives conservent toutefois une portée interne ; elles ne règlent pas la question des sous-traitants ou des filiales.

De nombreux textes internationaux issus par exemple de l’Organisation internationale du travail (OIT), des Nations unies (ONU), de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), ou de l’Organisation internationale de normalisation – je pense à la norme ISO 26000 –, acceptés par les entreprises et les gouvernements, promeuvent le respect de ces droits dans les relations avec les cocontractants. Ces documents n’ont cependant pas de valeur juridique : ils ne constituent que des incitations à agir que les bons élèves traduisent en actes alors que les autres s’en dispensent.

Il est aujourd’hui nécessaire d’avancer et de proclamer par la loi qu’une grande entreprise doit veiller à ce que ses partenaires ne se comportent pas en négriers des temps modernes. Le reporting extra-financier et la loi dite Savary du 10 juillet 2014 sur les travailleurs détachés ont été des initiatives françaises avant que l’Union européenne ne les reprenne. De la même façon, si la France fait un pas en avant, elle pourrait être suivie par l’Europe. D’autres pays de l’OCDE ou de l’Union européenne ont déjà de meilleures pratiques que les nôtres – on peut citer l’Allemagne, le Royaume-Uni ou le Canada qui avancent dans le sens recommandé par les Nations unies.

Cette proposition de loi est d’abord un texte de prévention qui vise à éviter les excès. Son dispositif simple assigne à l’entreprise un devoir de vigilance, et il présume sa responsabilité en cas de dommage survenu du fait de ses sous-traitants ou de ses filiales. Évidemment, des garde-fous sont prévus car personne ne peut croire qu’une entreprise peut tout surveiller, fût-elle une firme.

Seuls seront concernés les dommages graves à l’environnement, à la santé et aux droits fondamentaux. La société mère pourra prouver sa bonne foi en montrant qu’elle a pris les précautions nécessaires – les Nations unies avaient évoqué les procédures de « diligence raisonnable » – pour réduire le risque. Les efforts déployés seront appréciés en fonction des moyens de l’entreprise, ce qui protège les PME.

Je veux dissiper un malentendu : ce texte n’est pas une déclaration de guerre aux entreprises françaises…

M. Guy Geoffroy. Cela se saurait !

M. Lionel Tardy. Il s’agit sans doute d’un encouragement ?

Mme la rapporteure. …ni un moyen de les détourner de leurs marchés extérieurs. Elles ont beaucoup progressé en matière de responsabilité sociale et environnementale grâce aux discussions qui ont eu lieu au sein du Point de contact national (PCN). La proposition de loi leur demande une diligence raisonnable, pas de changer le monde ! Notez que la démonstration du lien de causalité entre le dommage subi et l’entreprise concernée est à la charge de la victime – ce qui n’est pas simple quand on sait que la plupart d’entre elles se trouvent dans des pays du Sud.

Il s’agit aussi de protéger les entreprises des dégâts causés à leur réputation par de mauvaises associations dont elles n’ont parfois pas conscience. Il est clair que la catastrophe du Rana Plaza a eu un impact négatif sur l’image des groupes Auchan et Carrefour, dont j’ai reçu des responsables. Depuis le drame, Carrefour a par exemple mené un travail considérable pour afficher son exemplarité.

Je suis fière, en tant que femme de gauche, de porter un texte si important pour les droits de dizaines de milliers de personnes à travers le monde, et pour l’environnement des générations futures. Je remercie les députés socialistes, communistes, radicaux qui ont accompagné les écologistes dans la préparation de cette proposition de loi. Je me félicite, enfin, que la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises, créée en juin 2013 au sein du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, propose aujourd’hui un texte proche des dispositions qui vous sont soumises.

Je suis évidemment ouverte à l’adoption d’amendements qui amélioreraient la proposition de loi d’ici à son examen en séance publique, le jeudi 29 janvier prochain. J’espère que l’Assemblée nationale s’honorera en portant haut le principe de la dignité humaine et qu’elle entraînera le monde dans la bonne direction.

Mme Geneviève Levy. Alors que les acteurs économiques ressentent le besoin d’être rassurés et qu’ils réclament plus de sécurité juridique afin de surmonter les difficultés de tous ordres auxquelles ils sont confrontés, nous aurions pu imaginer qu’une trêve serait déclarée dans la production de la réglementation asphyxiante qui les contraints. Au lieu de cela, un nouveau message de défiance leur est envoyé avec la création d’une présomption de responsabilité automatique, particulièrement surprenante dans notre droit, qui constitue un nouveau facteur d’insécurité juridique.

Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Sur le sujet qui vous préoccupe, les entreprises françaises sont déjà très avancées. Plutôt que d’encourager leurs efforts, vous présentez un texte qui risque de décourager les entrepreneurs et de les pousser à délocaliser.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cette proposition de loi a pour objectif louable d’introduire progressivement un peu de morale dans notre économie mondialisée. Il vise en particulier les personnes qui travaillent dans des conditions épouvantables, souvent à l’autre bout de la planète, sans que les consommateurs en soient vraiment informés, sinon après des catastrophes, comme cela s’est produit avec celle de Bhopal en décembre 1984 ou avec le drame du Rana Plaza.

Pour autant, si l’on veut légiférer, il importe d’être audible au niveau international et de mener une action qui concerne toutes les entreprises multinationales qui pourraient s’installer dans le monde ou dans notre pays, d’où qu’elles viennent. Il faut en conséquence cibler la nature des entreprises concernées, ce que ne fait pas la proposition de loi qui s’applique aux entreprises unipersonnelles et aux artisans, alors que seules devraient être visées les grandes entreprises utilisant des sous-traitants à l’étranger.

L’ajout d’une référence à l’Union européenne dans le texte permettrait, par ailleurs, de créer une dynamique de responsabilité qui, selon nous, doit être imposée à toute la chaîne de sous-traitance.

Les quatre groupes politiques de gauche ont déposé des propositions de loi identiques sur le bureau de l’Assemblée nationale. Cela devrait permettre de faire avancer le dossier et de trouver la solution afin que la voix de la France s’impose rapidement et fermement sur ce sujet majeur. Nous vous proposons de voter contre la proposition de loi de manière à en préparer une autre, dans des termes similaires, avec Mme la rapporteure.

M. Jacques Bompard. Cette proposition de loi est une belle initiative. Elle propose de poser des principes d’intérêt général dans une société qui pèche, à l’évidence, dans la défense du bien commun. Elle propose de sortir de la logique du caveat emptor, selon laquelle il revient au seul acheteur d’être vigilant, en rappelant aux entreprises, comme à tous les autres acteurs de la société, qu’à côté de chaque droit existent des devoirs afférents, et cela est vrai des droits économiques comme des autres.

L’exposé des motifs le précise à raison : cette proposition de loi serait une occasion de réduire le dumping social qui encourage les délocalisations. Elle permettrait donc, d’une certaine manière, de protéger notre économie. Puisque nous avons délaissé beaucoup des droits fondamentaux d’une nation au profit d’instances bruxelloises ou mondialistes, toute possibilité de protectionnisme, même par les normes, est à saluer.

J’ajoute qu’il s’agit d’une proposition de loi de bon sens. Elle prend en effet en compte la dissolution des responsabilités dans une économie mondialisée où les comportements, les incitations, les groupes de pression ont cherché avec assiduité à rompre l’ensemble des lois qui devaient protéger les acteurs de notre société.

Je vais même jusqu’à croire que les rédacteurs de cette proposition de loi ont laissé une chance aux entreprises d’agir elles-mêmes plutôt que de vouloir les astreindre à un cadre rigide. Voilà donc le si sain principe de subsidiarité respecté jusque dans les textes de loi écologistes ! Un cadre légal qui exige une responsabilisation instaure une régulation sans tomber dans l’étatisme. Je crois en effet que le monde économique se responsabilisera lorsque nous cesserons de fantasmer une autorégulation qui n’a eu pour conséquences que le retour à la prédation mercantile et le recours à l’importation de travailleurs.

Il me semble cependant que deux pistes de travail devraient être explorées.

La première concerne les migrations internationales. Les multinationales aiment en effet à jouer des vagues migratoires pour réduire leurs coûts, et faire primer la valeur sur les droits fondamentaux des peuples. C’est un phénomène que je dénonce en France depuis longtemps, mais la chape de plomb du politiquement correct nous interdit souvent d’aller plus avant. Peut-être quelques visites au Proche-Orient ou au Qatar permettraient-elles d’altérer les points de vue et d’admettre que des millions de travailleurs se déplacent aujourd’hui par le monde, sans que leurs droits ne soient respectés et sans qu’en réalité aucun autre choix ne leur soit proposé ? Cela conduit à des drames humains, familiaux et économiques. Il me semble que la vigilance des sociétés donneuses d’ordre devrait être exigée à ce sujet.

Une seconde piste concerne le sujet éthique de la définition de l’homme. Si cette proposition de loi est un bien indéniable, elle se concentre sur les personnes morales que sont les multinationales et sur leurs structures attenantes. Or c’est bien en cherchant à « marchandiser » les parcours de vie humains que les mondialistes sont parvenus à leurs fins. La financiarisation a réduit l’homme à l’état de matériel cristallisant non plus un don et une vocation, mais bien des possibilités d’exploitation économique. La pression expliquant la réussite personnelle par l’accomplissement de la carrière professionnelle a détruit beaucoup des cadres naturels de la société tels que la vie familiale, le rapport au corps ou les structures traditionnelles.

Il serait donc important de préciser que les sociétés donneuses d’ordre doivent être poursuivies quand elles imposent des changements heurtant le cadre de vie des individus qui doivent travailler pour elle. On connaît, en effet, de trop nombreux cas de stérilisations forcées ou de propagande n’ayant d’autre but que d’accroître la productivité des travailleurs embauchés par les filiales de société multinationales. Le cosmopolitisme financier et commercial détruit les conditions de vie et de transmission des peuples. Cette proposition de loi est un bon pas pour contraindre son avancée.

Je conclus en citant le propos d’un philosophe de gauche, M. Jean-Claude Michéa, qui montre l’urgence d’en revenir au localisme, à l’enracinement, et au bon sens de toute urgence : « c’est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès. »

M. Paul Molac. Cette proposition de loi transpose en droit des engagements de la France et clarifie le paysage juridique actuel, avec l’objectif d’œuvrer au respect des droits humains et des normes environnementales dans les échanges commerciaux. Madame Levy, cette proposition de loi ne va pas provoquer des délocalisations ; ce sont plutôt les délocalisations déjà bien réelles qui nous obligent à légiférer parce que des entreprises font produire ailleurs que sur le territoire national dans les conditions que nous dénonçons. Il s’agit d’instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.

Ce texte vise, en effet, à reconnaître à toute société un devoir de vigilance, qui induit qu’elle doit veiller aux impacts que son activité peut générer. Il s’agit de responsabiliser ainsi les sociétés transnationales afin d’empêcher la survenance de drames en France et à l’étranger, et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement.

Or, aux yeux du droit, chaque entité qui compose un groupe multinational est aujourd’hui considérée comme autonome et sans lien juridique avec la maison mère, ce qui empêche les victimes de saisir les juges français ou européens, alors même que ce sont parfois les décisions de la société mère ou donneuse d’ordre qui sont à l’origine du dommage. En effet, trop souvent, les sociétés mères, lorsqu’elles sont mises devant le fait accompli se retranchent derrière le caractère purement incitatif des principes directeurs internationaux de l’ONU, de l’OCDE, ou de la Commission européenne.

Pour y remédier, le devoir de vigilance que compte créer cette proposition de loi consiste en une obligation de moyens et non de résultat : une société est exonérée de responsabilité, à ce titre, si elle apporte la preuve qu’elle a mis en place des mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir les dommages. Cela permet de prendre en compte les investissements de moyens, qu’ils soient humains, matériels ou financiers, actuellement réalisés par la majorité des entreprises. Il s’agit de créer un devoir de vigilance et de sécurité, et de laisser les entreprises libres dans leurs choix pour répondre à cette obligation.

J’ajoute que l’obligation de vigilance aujourd’hui discutée répond au principe constitutionnel de précaution. Une telle obligation existe d’ailleurs déjà pour les banquiers, pour les médecins, ou en droit de l’environnement. Il s’agirait donc d’une simple extension aux multinationales.

L’adoption de cette proposition de loi permettrait de combattre l’insécurité juridique. Aussi forte que soit la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012 reconnaissant la société mère responsable pour les agissements de l’un de ses sous-traitants dans l’affaire Erika, elle a porté sur les engagements volontaires pris par l’entreprise. Les motifs retenus pour cette condamnation ont donc surpris les entreprises à l’époque car elles n’étaient soumises à aucune obligation juridique en la matière. Après l’adoption de la proposition de loi, leur responsabilité sera mieux encadrée : les entreprises sauront que cette dernière pourra être engagée sur les mesures mises en œuvre pour lutter contre la survenance de dommages.

Cette proposition de loi est donc solide juridiquement, comme le reconnaissent d’éminents juristes et professeurs de droit, dont M. Olivier De Schutter, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme à l’ONU, ou le professeur Antoine Lyon-Caen, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Cela ne doit bien évidemment pas empêcher le dialogue au sein de notre Commission, et en séance publique, en vue de l’améliorer par voie d’amendement.

L’idée selon laquelle un cadre légal pour le devoir de vigilance ne pourrait exister qu’au niveau international est fausse. Si les États qui abritent les sièges des multinationales ne prennent pas les devants, rien ne suivra, car c’est dans ces pays que le droit est le plus protecteur et qu’il est à même de réparer les dommages graves faits aux victimes.

En adoptant la proposition de loi, la France renforcerait son rayonnement économique et démocratique, comme l’ont déjà fait d’autres États membres de l’OCDE tels que les États-Unis, le Canada ou encore le Royaume-Uni et l’Italie qui disposent d’un mécanisme similaire de responsabilité pour lutter contre la corruption.

Cette proposition de loi reçoit d’ailleurs le soutien de l’ensemble des ONG impliquées sur le sujet et de nombreux juristes spécialisés. Je rappelle qu’elle a été déposée par les quatre groupes de gauche de l’Assemblée nationale, et je salue la présence parmi nous de Dominique Potier et Philippe Noguès qui ont largement participé à sa rédaction. Si nous ne commençons pas aujourd’hui à mettre un dispositif en place en votant ce texte, je crains que nous n’ayons pas le temps d’y revenir avant la fin de la législature et qu’il demeure dans les limbes. Au contraire, son adoption, devrait être perçue comme un marqueur important de notre législature.

M. Guy Geoffroy. Je ne sais pas si cette proposition de loi remplira son objectif de ressouder la majorité très à gauche ; ce dont je suis certain, c’est que pour ce qui est de l’union nationale, elle repassera !

Si ses objectifs généraux peuvent retenir l’attention de chacun d’entre nous, son adoption et sa déclinaison risqueraient d’avoir des effets tout à fait contraires au but recherché. Non, madame la rapporteure, ce texte n’est pas modéré ! Il s’agit, ni plus ni moins, que de créer une véritable présomption de responsabilité civile et pénale quasi irréfragable. L’entreprise cliente et la maison mère seront automatiquement tenues pour responsables : c’est une véritable inversion de la charge de la preuve ! Les belles paroles qui ont été prononcées ne parviendront ni à nous faire croire autre chose, ni à gommer les problèmes que cela pose.

Je reprends à mon compte les propos de Mme Le Dain car, une fois de plus, nous serions les seuls à agir pour traiter une problématique qui nous dépasse largement. En effet, contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, un dispositif aussi étendu que celui qui nous est proposé n’existe dans aucun autre pays du monde.

Est-il besoin de rappeler les promesses maintes fois réitérées de laisser enfin les entreprises tranquilles ? Comme s’il n’était pas suffisant de les faire se débattre avec le compte pénibilité, vous rajoutez à l’insécurité juridique qu’elles connaissent déjà en nous soumettant une proposition de loi de portée extraterritoriale contraire aux principes du droit européen.

La responsabilisation des entreprises que vous appelez de vos vœux n’est pas un terrain vierge. Le « Grenelle II » y invitait par de multiples voies. Nous n’avons rien contre l’idée de responsabiliser les entreprises. Il faut le faire, mais certainement pas de la manière choisie, en les décourageant et en risquant de produire des résultats économiques qui seraient à l’exact opposé de ceux que prétendent atteindre les responsables de notre pays.

Vous le comprendrez : notre groupe ne pourra pas voter autrement que contre cette proposition de loi.

M. Dominique Potier. Monsieur le président, je vous remercie de m’accueillir pour participer au débat de votre commission. Je me félicite que cette proposition de loi ait pu naître dans notre assemblée, où non moins de quatre groupes politiques l’ont déposée conjointement. Avec Philippe Noguès, Danielle Auroi et une quinzaine d’autres parlementaires de tous horizons et de toutes sensibilités, je n’ai jamais désespéré qu’elle puisse recueillir des appuis au-delà des rangs de la gauche, en intéressant des républicains et des démocrates qui partagent notre passion pour « l’économie France », mais qui veulent en faire un acteur d’une mondialisation juste et respectueuse des droits humains.

Je pense que ce texte, ou sa version renouvelée, doit pouvoir les rassembler, dans l’esprit du « 11 janvier ». Portée par quatre groupes, la proposition a vocation à réunir toute l’Assemblée nationale. Elle fut d’ailleurs élaborée avec les organisations syndicales, mais aussi avec des représentants du patronat, qui ne forme pas contre elle un bloc unanimement hostile. Les organisations non gouvernementales de diverses sensibilités se sont elles-mêmes efforcées d’harmoniser leurs positions, telles qu’Amnesty International ou le Comité catholique contre la faim et pour le développement, organisations affiliées à des fédérations internationales.

Nous posons le débat dans des termes dépassés. Les grandes entreprises le savent : tant le risque couru par leur réputation, que le risque de management induit par une éventuelle absence de motivation de leurs employés, ou encore les risques commercial et juridique, sont bien supérieurs à l’effort de sécurité juridique proposé par le présent texte. Une fraction du patronat veut continuer à pratiquer un libéralisme sans foi ni loi. Mais toute une autre partie, déjà confrontée à ces problèmes, ou voulant utiliser la responsabilité sociale et environnementale au profit d’une compétitivité accrue, est plutôt favorable à une évolution législative, même si elle ne prend pas la forme exacte de la proposition de loi dans son libellé actuel.

Travailler sur cette proposition de loi, c’est travailler sur une nouvelle génération de droits dans la mondialisation. Quant au soutien exprimé par notre collègue Jacques Bompard, je crains qu’il ne repose sur un malentendu. Car nous ne partageons ni les mêmes valeurs ni la même approche. Nous ne renions ni l’entreprise ni la mondialisation, mais nous voulons inscrire, comme l’a déclaré Thierry Mandon, le principe de loyauté dans la dynamique de l’entreprise et de la mondialisation. Nous ne sommes pas contre la mondialisation ; nous sommes partisans du principe de loyauté au sein de cette mondialisation.

À la superpuissance des multinationales, il faut opposer un principe de responsabilité pour éviter de fabriquer demain des victimes à l’autre bout du monde. J’ai recueilli des témoignages directs au cours de nombreuses auditions. Les contempteurs de cette proposition de loi invoquent des principes qui font trop vite fi des victimes de l’effondrement du Rana Plaza ou de la catastrophe de Bhopal, drames connus cachant d’autres drames invisibles. À M. Bompard, je voudrais dire que nous ne défendons pas des principes nationaux, mais les principes de la République française, fondée sur la valeur universelle des droits de l’homme.

Si, par malheur, cette proposition devait être repoussée, ce ne pourrait être, à mon sens, qu’au prix de l’élaboration d’une version rassemblant non seulement les quatre groupes politiques qui en étaient à l’origine, mais encore tous les partisans d’une mondialisation à visage humain.

M. Philippe Houillon. Je voterai contre cette proposition de loi, qui accumule les contre-sens économiques et juridiques. Non seulement elle étend la responsabilité du fait d’autrui, mais elle renverse le système français de responsabilité, tant en inversant la charge de la preuve, qu’en créant une présomption irréfragable de responsabilité, tant civile que pénale, des entreprises. Si ce texte devait être adopté, le Conseil constitutionnel en serait saisi et déclarerait non conformes ces dispositions contraires à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puisqu’il reviendrait à créer une présomption de responsabilité pénale !

Mais il s’agit aussi d’un contre-sens économique, puisque ce texte ne fait qu’ajouter à la complexité et à l’insécurité juridiques, mettant à mal l’attractivité de notre territoire. Contrairement à ce qu’indique l’exposé des motifs, nous serions en effet les seuls à aller aussi loin dans le droit positif. Nos entreprises s’en trouveraient pénalisées, tandis que les sociétés étrangères se frotteraient les mains.

M. Lionel Tardy. Je suis étonné par le contenu cette proposition de loi, qui s’attaque aux entreprises sans en mesurer les conséquences. Remarquons que ce texte est soutenu par les quatre groupes de gauche.

La responsabilité sociétale des entreprises a connu un certain succès et doit être soutenue, car elle repose sur le volontariat. Dans ce texte-ci, ce sont toutes les entreprises qui sont montrées du doigt, sans discernement, en instaurant une présomption de responsabilité civile et pénale très lourde, quasi irréfragable, comme l’ont souligné mes collègues Guy Geoffroy et Philippe Houillon, vis-à-vis notamment de la société-mère. Une nouvelle épée de Damoclès pèserait ainsi au-dessus de leur tête. Ce dispositif n’existe dans aucun autre pays. En légiférant de manière isolée, nous pénalisons nos entreprises par rapport à d’autres.

L’année 2015 s’annonce difficile pour les investissements. La loi Macron ne répond pas à ce problème. Pire, cette proposition au ficelage juridique léger risque d’accroître encore l’incertitude des investisseurs, car elle relève d’un traitement hâtif du sujet. Son adoption donnerait un signal catastrophique aux entreprises françaises, qui sont pourtant parmi les plus avancées en matière de responsabilité sociale et environnementale. Plutôt que de leur imposer de nouvelles contraintes, mieux vaudrait leur demander un engagement constructif. Cette démarche aurait le mérite de ne pas être en contradiction aussi flagrante avec les prises de position du Premier ministre qui déclare dans toutes les langues « aimer les entreprises ».

M. Philippe Noguès. Comme membre de la Plateforme RSE, je peux vous assurer que nous ne nous attaquons pas aux entreprises. Aussi voudrais-je insister sur la portée économique de cette proposition de loi. Car la responsabilité des entreprises transnationales, ce n’est pas qu’une question morale, c’est aussi une question de compétitivité de notre économie et de nos entreprises, et c’est important de l’avoir en tête.

Outre son coût humain et environnemental inacceptable dans les pays où il est pratiqué, le moins-disant généralisé pénalise en effet notre compétitivité. Tout comme il existe un dumping social, il existe un dumping sur les droits de l’homme et sur les normes environnementales avec derrière, toujours en filigrane, une dilution organisée de la responsabilité.

Aujourd’hui, rien n’empêche une entreprise d’aller choisir une PME à l’étranger, avec tous les risques extra-financiers que cela comporte en matière environnementale et de droits de l’homme, plutôt qu’une PME française engagée dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale. Les chaînes de production deviennent de plus en plus complexes et de moins en moins lisibles tant pour le consommateur que pour les autorités. Certaines entreprises peuvent alors être tentées de contourner des contraintes qu’elles jugent trop lourdes. Mais elles sont victimes d’un trompe-l’œil, car elles s’exposent ainsi à d’autres risques tels que la concurrence sauvage, le risque pesant sur leur réputation ou le risque d’une indemnisation.

Le jour où la maison-mère pourra être tenue juridiquement responsable en France pour les atteintes aux droits de l’homme commises par l’une de ses filiales à l’étranger, elle sera obligée de prendre en compte et de chiffrer le risque juridique et financier que cela implique. Et on se rendra compte, alors, que les PME françaises sont finalement assez compétitives dès lors qu’on a une approche globale du risque financier et extra-financier, et donc du ratio coût/avantage.

Ce que je dis n’a rien d’utopique. Regardez les dernières grandes crises d’entreprise. Liées à des risques extra-financiers, elles se traduisent par des conséquences matérielles pour l’entreprise, en pièces sonnantes et trébuchantes. Le risque financier et extra-financier doit donc faire l’objet d’une approche globale. Les dernières crises d’entreprise sont nées de risques extra-financiers, tel le naufrage de l’Erika en Bretagne.

C’est pourquoi j’estime que la non-responsabilité des maisons-mères est une anomalie, un non-sens moral, politique et économique qui va à l’encontre aussi bien des intérêts des populations que des intérêts français et européens.

Si je reviens à notre proposition de loi, elle a pour objet de transposer dans notre droit national les principes édictés au niveau de l’OCDE et de l’ONU. La France a approuvé ces textes élaborés au niveau international, qui ont pour objectif de créer un devoir de vigilance des entreprises, idée selon laquelle les entreprises ont la responsabilité de prévenir toute atteinte aux droits de l’homme dans le cadre de leurs activités économiques et de mettre en œuvre le cas échéant des mesures de réparation. Je rappelle au passage que ce devoir de vigilance, s’il n’est pas encore étendu à l’ensemble de nos entreprises, existe déjà par exemple pour les banquiers.

Sans entrer dans le débat entre hard law et soft law, il faut d’abord rappeler que les États signataires de ces textes sur le devoir de vigilance sont normalement tenus d’exercer leurs fonctions réglementaires. Quand il s’agit de respect des droits de l’homme sur les chaînes de production, on peut dire clairement et sans ambiguïté que le tout incitatif ne marche pas. Au vu de l’ampleur des conséquences humaines, environnementales et économiques de la situation, l’État a sur ce point la responsabilité d’agir, et c’est l’objet de ce texte.

Il se positionne, me semble-t-il, de manière très équilibrée dans le débat entre soft law et hard law. Je le vois comme une manière de mettre tout simplement les entreprises face à leurs engagements, car l’écrasante majorité des grandes entreprises ont déjà adhéré aux initiatives internationales en matière de RSE et conduisent déjà des audits sociaux. Celles qui ont adopté les meilleures pratiques seront donc valorisées par rapport aux autres.

Autrement dit, ce texte est un juste milieu entre le tout incitatif et le tout coercitif ; il place le curseur au bon endroit. Cette proposition de loi est l’opportunité pour les entreprises françaises de se positionner, d’organiser ce devoir de vigilance qui, heureusement, s’imposera inexorablement dans les années à venir.

Outre le fait que des législations comparables existent déjà dans un certain de nombre de pays occidentaux, comme le Canada ou les États-Unis, le phénomène se développe à grande vitesse sur toute la planète. Bien qu’elle soit encore en voie de développement, l’Inde vient ainsi d’imposer aux entreprises de consacrer 2 % de leur résultat imposable aux activités de RSE.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je nourris quelques doutes intellectuels sur le présent texte, tout en saluant l’état d’esprit de ses auteurs. Je relève une contradiction dans le discours de ceux qui sont vent debout contre la proposition car, en affirmant que les entreprises françaises font déjà de nombreux efforts, ils suggèrent malgré eux qu’elles ne seraient pas pénalisées par son adoption.

À la vérité, dans notre pays dont les très grands groupes font parfois travailler à l’étranger, dans le Sud, une division s’observe entre un patronat éclairé, habitué au dialogue social et soucieux de l’avenir de l’entreprise, et un patronat corporatiste et égoïste, dont les vues de court terme trouvent malheureusement quelques échos parmi nous.

Ce ne sont pas tant les moyens juridiques retenus par le texte que son fondement qui me pose problème. Certes, la création d’une présomption quasi irréfragable fait l’objet d’un débat justifié. Si elle existe déjà dans notre droit pénal, elle s’y accroche à des blocs plus consistants et plus solides qu’un simple manquement à un devoir de vigilance. Le texte serait pour le moins perfectible sur ce point.

Mais le problème de fond est que nous serions le seul pays à adopter une telle législation. Le système européen présente de grandes défaillances en matière de responsabilité sociale et environnementale, puisqu’aucune surveillance de la concurrence ne s’exerce sur les entreprises européennes recourant à des travailleurs à bas coût, et a fortiori sur celles qui ne le sont pas. L’absence de dispositif européen, qui me paraît particulièrement dommageable, ne me surprend pas bien qu’elle me meurtrisse.

Ce qui m’empêche définitivement d’adopter la proposition est la référence implicite, dans l’article 1er, à un principe de précaution qui mettrait sur le même plan les dommages sanitaires et environnementaux et les atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs. Le groupe écologiste se démarque en cela des députés du Mouvement républicain et citoyen (MRC), qui placent les droits de l’homme et les droits des travailleurs plus haut que les dommages causés à l’environnement. À nos yeux, le développement humain l’emporte sur le développement durable car la planète n’est pas un animal de compagnie : elle mérite d’abord et avant tout d’être sauvée parce qu’elle est habitée par des hommes et des femmes, d’ailleurs susceptibles de travailler dans des conditions inacceptables. Le MRC ne votera donc pas en faveur de cette proposition de loi.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Non moins de dix orateurs se sont exprimés.

Mme la rapporteure. Leur nombre m’incline à penser que la proposition de loi soulève de vrais problèmes. Aux orateurs de l’opposition, je répondrai que le groupe Bolloré lui-même demande une loi pour assurer la sécurité juridique en matière de responsabilité sociale et environnementale, tandis que Sanofi a désigné l’un des co-rapporteurs de la Plateforme RSE. Quant au risque d’une délocalisation, il ne s’est par exemple pas avéré lorsqu’une entreprise comme Total a été condamnée en France. Rappelons que des parlementaires, après le drame de l’Erika, voulaient pourtant qu’on évite d’ennuyer Total en invoquant précisément ce risque.

Pour la présomption de responsabilité introduite par le texte, elle ne serait pas irréfragable, comme l’ont montré des vérifications opérées par des juristes. Certains soulignent que les autres pays ne suivent pas le même chemin que la France en matière de responsabilité sociale et environnementale. Mais j’attire votre attention sur le fait que BNP Paribas s’est acquitté aux États-Unis de très fortes amendes pour corruption sans voir pourtant sa compétitivité entamée et sans renoncer à son activité sur place.

Je voudrais redire à ceux qui ont exprimé leur soutien à ce texte avec quelques réserves, et qui donc voteront contre, que ce dernier est amendable. Depuis deux ans, avec Dominique Potier et Philippe Noguès, nous rencontrons les entreprises et les parties prenantes, donnant l’occasion à tout le monde de s’exprimer. Il est légitime de se demander ce que fait l’Union européenne. L’Allemagne prépare une législation qui donnera l’exemple si nous n’adoptons pas nous-mêmes ce texte. En matière de reporting social et environnemental, notre pays a pourtant été le premier à adopter des dispositions avant d’être suivi par d’autres pays de l’Union européenne. Comme présidente de la commission des Affaires européennes, j’entends souvent que la démarche française peut inciter à l’adoption d’une directive au niveau européen. Force est par ailleurs de constater que la charte européenne des droits fondamentaux est bien connue par certaines entreprises, mais moins bien par d’autres.

Des inquiétudes se sont exprimées au sujet des PME. Dans les débats de la Plateforme RSE, il est fait explicitement référence aux entreprises de plus de 500 salariés. Nous pouvons inscrire ce seuil dans la loi. Je crois, en effet, qu’il vaut mieux avancer que recommencer toute la procédure sur la base d’une autre proposition, ce qui serait chronophage. Le groupe écologiste adopterait d’ailleurs en ce cas une simple position d’observateur.

L’article 3 est celui qui inquiète le plus les entreprises, car il modifie les règles de responsabilité pénale. Il peut être retravaillé ; c’est le code de commerce qui fixe en effet le cadre le plus important. Au MRC, j’indique que nous pouvons inverser dans le texte l’ordre d’apparition des droits environnementaux et des droits humains dès jeudi prochain, en séance publique, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe écologiste.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

TITRE 1ER : DU DEVOIR DE VIGILANCE DES SOCIÉTÉS DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES

Article 1er (art. L. 233-41 du code de commerce [nouveau]) : Institution d’une obligation de vigilance dans le code de commerce

La Commission examine l’amendement CL1 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’amendement vise à substituer aux mots « des filiales », les mots « des entreprises qu’elle contrôle au sens des II et III de l’article L. 233-16 du code de commerce ». Le terme de filiale est en effet très précis. Il désigne une entreprise dont plus de la moitié du capital est contrôlé par la société-mère. C’est assez restrictif.

Dans une affaire dont je ne mentionnerai pas le nom des protagonistes dans la mesure où elle sera prochainement jugée par la Cour de cassation, une grande entreprise plaide son irresponsabilité vis-à-vis des actes d’une société dont elle est le principal actionnaire avec un tiers du capital, et dont certains détails, comme la localisation du siège social, laissent supposer une proximité significative.

Je propose donc d’élargir la sphère des entreprises concernées par la proposition de loi en mentionnant, en lieu et place des filiales, les entreprises contrôlées au sens de l’article L. 233-16 du code de commerce. L’influence dominante, la nomination de la majorité des membres de la direction, la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote, me semblent caractériser un lien suffisamment solide pour fonder une obligation de vigilance.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 1er.

TITRE 2 : RESPONSABILITÉ DES SOCIÉTÉS DU FAIT D’UN MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE VIGILANCE DANS LE CADRE DE LEURS ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES OU COMMERCIALES

Article 2 (art. 1386-19 du code civil [nouveau]) : Institution d’une responsabilité civile des personnes morales pour manquement à l’obligation de vigilance

La Commission examine l’amendement CL2 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit d’un amendement de conséquence.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL3 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. La mention de l’adverbe « notamment » que je propose de supprimer instille plus de doute qu’il n’apporte de précision. Le devoir de vigilance porterait sur les atteintes graves aux droits fondamentaux, à la santé et à l’environnement. C’est tout et c’est bien suffisant.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3 (art. 121-3 du code pénal) : Institution d’une responsabilité pénale des personnes morales pour manquement à l’obligation de vigilance

La Commission rejette l’article 3.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

La réunion s’achève à onze heures trente.

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* *

La séance est levée à 11 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, Mme Danielle Auroi, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Gilbert Collard, M. Frédéric Cuvillier, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Geneviève Levy, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. – M. Carlos Da Silva, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Noguès, M. Dominique Potier, M. Lionel Tardy