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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 17 février 2016

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 52

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Suite de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473) (Mme Colette Capdevielle et M. Pascal Popelin, rapporteurs)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission poursuit l’examen, sur le rapport de Mme Colette Capdevielle et de M. Pascal Popelin, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473).

M. le président Dominique Raimbourg. Nous avons entendu la semaine dernière le garde des Sceaux sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Nous poursuivons aujourd’hui nos travaux à un rythme soutenu, et je remercie nos rapporteurs, Mme Colette Capdevielle et M. Pascal Popelin, le rapporteur pour avis de la commission des Finances, M. Yann Galut, et les administrateurs, qui ont travaillé dans des conditions difficiles.

Je suis intervenu auprès de la présidence pour que le délai de dépôt des amendements en séance soit repoussé du vendredi 26 au lundi 29 février, à 17 heures. La Conférence des Présidents en a accepté le principe. De plus, l’examen des articles ne commencera que le mercredi 2 mars, les séances de la veille étant consacrées à la seule discussion générale. J’attire également votre attention sur le fait que les séances du vendredi 4 mars ont été ouvertes.

Je propose à présent de donner la parole au rapporteur pour avis, qui ne s’est pas exprimé la semaine dernière, puis d’en venir à l’examen des articles du projet de loi.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances. J’ai été saisi pour avis du chapitre IV du titre Ier du projet de loi, relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ainsi que de l’article 33, au chapitre II du titre II, autorisant le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance afin de transposer en droit interne la directive européenne du 20 mai 2015, dite « quatrième directive anti-blanchiment », ainsi que le règlement européen portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds.

Les mesures sur lesquelles j’ai eu à me prononcer constituent des avancées majeures. Elles permettent tout d’abord de renforcer les moyens d’action des deux acteurs essentiels que sont Tracfin et les services douaniers, dans la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme. Ensuite, en encadrant l’utilisation des cartes prépayées, le projet de loi tire les conséquences nécessaires de l’apparition, au sein des organisations criminelles, de nouvelles pratiques de financement. Ces mesures semblent satisfaire les acteurs concernés, ce qui tend à prouver qu’elles sont opérationnelles.

Ce projet de loi a fait l’objet d’une procédure accélérée, ce qui était souhaitable au vu du contexte actuel mais ce qui nous a laissé peu de répit pour creuser d’éventuelles pistes d’amélioration. J’ai néanmoins profité du peu de temps qui m’était imparti pour travailler sur certaines propositions qui viendront utilement renforcer et sécuriser notre corpus juridique de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux. J’ai déposé à cet effet devant la commission des finances onze amendements, dont huit ont été adoptés ; j’ai fait le choix de retirer les trois autres, qui portaient sur des sujets plus polémiques et demandaient donc un temps de réflexion supplémentaire. Je me suis par ailleurs engagé à redéposer l’ensemble de ces amendements en séance, afin qu’ils puissent donner lieu à un débat constructif.

Les principales avancées adoptées en commission des finances sont les suivantes : plafonnement du rechargement en liquide des cartes prépayées ; exonération de responsabilité et sécurisation de l’environnement juridique des banques lorsqu’elles agissent dans le cadre d’un nouvel appel à vigilance de Tracfin ; possibilité pour les douanes de mener des enquêtes sous pseudonyme et possibilité pour ces mêmes services de recourir au prélèvement d’échantillons.

Je souhaite maintenant avancer sur les points suivants dans la perspective de la discussion en séance : donner compétence en matière de lutte contre le financement du terrorisme aux services des douanes ou, a minima, aux services de la douane judiciaire ; renforcer l’obligation déclarative en abaissant le seuil à 5 000 euros pour les transferts intracommunataires ; pour les montants les plus importants, imposer des documents permettant de justifier de la provenance des fonds et rendre parallèlement plus dissuasif le manquement à cette obligation déclarative en renforçant les sanctions pécuniaires, voire en érigeant ce manquement en délit.

TITRE Ier – DISPOSITIONS RENFORÇANT LA LUTTE CONTRE LE CRIME ORGANISÉ, LE TERRORISME ET LEUR FINANCEMENT

Chapitre Ier

Dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires

Article 1er (art. 706-90 à 706-92 du code de procédure pénale) : Perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en matière de terrorisme

La Commission examine l’amendement CL163 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. La première partie de l’article 1er prévoit d’autoriser les perquisitions de nuit en enquête préliminaire. Or le renforcement constant des pouvoirs autorisés en enquête préliminaire pose différents problèmes : d’une part, faute de révision constitutionnelle, le parquet ne bénéficie toujours pas de garanties équivalentes à celles des magistrats du siège ; d’autre part, l’ouverture de l’instruction, qui offre à la justice des moyens supplémentaires et ouvre des droits pour le justiciable, se retrouve de plus en plus retardée.

Le juge d’instruction se retrouve ainsi pris entre le parquet et le juge des libertés et de la détention (JLD), à qui on demande de valider les enquêtes demandées. La situation statuaire et matérielle des JLD ne leur permet pourtant pas d’exercer pleinement ce rôle de juge de l’enquête. Il y a également un paradoxe à faire du JLD un juge de l’enquête, alors que ce juge a été créé pour séparer conduite de l’enquête et décision sur la détention provisoire. Les pouvoirs importants supplémentaires offerts au parquet en enquête préliminaire par ce projet de loi vont aggraver cette tendance, sans pour autant qu’une véritable réflexion accompagne cette évolution lourde. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer les alinéas 1 à 3.

M. Pascal Popelin, rapporteur. La possibilité offerte par les alinéas 1 à 3 du présent article de procéder, sous des conditions strictes, à des perquisitions domiciliaires de nuit en enquête préliminaire répond à un réel besoin des services judiciaires de l’antiterrorisme, sans porter aux droits et libertés une atteinte disproportionnée. Le champ de la mesure est en effet strictement limité, puisqu’elle ne s’applique que dans le cadre de la répression des infractions à caractère terroriste, en cas d’urgence et « afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ».

Par ailleurs, elle nécessite une autorisation impérative du JLD, magistrat du siège indépendant, dont les conditions statutaires devraient être prochainement renforcées par le projet de loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, les garanties procédurales prévues par les articles 706-92 à 706-94 du code de procédure pénale sont applicables de plein droit, « à peine de nullité ». En d’autres termes, une perquisition nocturne requiert une ordonnance écrite et motivée comportant les considérations de droit et de fait fondant l’autorisation ; elle ne peut pas avoir d’autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans l’autorisation ; le JLD enfin a la possibilité de se déplacer sur les lieux pour tout contrôler.

Ces dispositions correspondent à un réel besoin. En effet, non seulement la majorité des enquêtes ouvertes du chef d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme le sont sous la forme préliminaire mais, face à des perspectives imminentes de passage à l’acte, il est de surcroît impératif de ménager un effet de surprise et de pouvoir pénétrer dans un local d’habitation en urgence.

Il n’y a donc pas de marginalisation de l’instruction puisque les mêmes pouvoirs sont reconnus au juge d’instruction lors d’une information judiciaire. Au contraire, il s’agit d’un rééquilibrage entre enquête et information judiciaire.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à cet amendement.

M. Yves Goasdoué. Je m’étonne de cet amendement visant à supprimer une mesure qui s’inscrit pleinement dans le cadre classique de notre droit commun et n’est en rien assimilable aux dispositions susceptibles d’être prises durant l’état d’urgence.

Les perquisitions de nuit sur des lieux d’habitation dont il est question ici sont subordonnées à l’autorisation d’un magistrat du siège, qui doit motiver sa décision, laquelle étant obligatoirement prise dans le cadre de la répression d’infractions à caractère terroriste. J’ajoute par ailleurs que, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ces perquisitions nocturnes doivent, pour ne pas être réputées disproportionnées, aboutir à des résultats qu’une perquisition classique, effectuée de jour, n’aurait pas permis d’obtenir.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements de précision CL242 et CL243 du rapporteur.

Elle en vient ensuite aux amendements identiques CL70 de M. Georges Fenech et CL147 de M. Michel Zumkeller.

M. Georges Fenech. Je voudrais insister sur le déséquilibre entre les garanties qui entourent, d’une part, l’enquête préliminaire et, d’autre part, l’instruction, laquelle demeure au cœur de notre système judiciaire.

Nous devons nous prononcer ici sur une procédure dans laquelle le procureur qui décide d’une perquisition doit en demander l’autorisation au JLD. Le juge d’instruction en revanche, lorsqu’il ordonne une perquisition, n’a à en référer à personne. Il en décide souverainement et est le seul à en apprécier la légalité et la proportionnalité, le seul contrôle de légalité possible étant le contrôle a posteriori devant la chambre d’instruction.

C’est ce qui a fait dire à M. Robert Badinter que notre juge d’instruction était à la fois Salomon et Maigret, juge et enquêteur, alors que, dans les pays anglo-saxons soumis à l’Habeas corpus, le prosecutor qui souhaite procéder à une perquisition ou à des écoutes téléphoniques doit se conformer à la règle de la probable cause, et préciser la nature des indices graves et concordants qui motivent une telle atteinte à la liberté individuelle. Dans un document très étoffé, appelé affidavit, il a l’obligation d’indiquer ce qu’il recherche, pourquoi il le recherche et à quel endroit il pense trouver l’objet utile à la manifestation de la vérité, à partir de quoi le juge effectue un contrôle strict avant de donner son autorisation.

En France au contraire, le cumul et la confusion des fonctions assumées par le juge d’instruction augmentent les risques d’arbitraire et d’atteinte aux libertés fondamentales. C’est pourquoi mon amendement propose une mini-révolution, en obligeant le juge d’instruction à demander au JLD l’autorisation de procéder à une perquisition, mesure par nature attentatoire aux libertés individuelles.

M. Michel Zumkeller. Si on s’en tient à la rédaction actuelle de l’article 706-90 du code de procédure pénale, le contrôle du JLD est induit, mais nous souhaiterions que cela soit inscrit de manière explicite dans la loi.

M. le rapporteur. Ces amendements précisent le cadre des perquisitions nocturnes ordonnées non dans le cadre de l’instruction – alinéa 5 – mais en enquête préliminaire – alinéa 3. Or, s’agissant des enquêtes préliminaires, ils sont doublement satisfaits, d’une part par la rédaction de l’alinéa 3 du présent article, qui vise les perquisitions nocturnes  en enquête préliminaire « mentionnées à l’alinéa précédent » lorsqu’elles ont lieu dans un local d’habitation, c’est-à-dire les perquisitions telles qu’elles sont autorisées par le JLD sur requête du procureur et selon les modalités prévues à l’article 706-92 du code de procédure pénale ; d’autre part, par la rédaction actuelle de ce même article 706-92, qui prévoit que, « à peine de nullité, les autorisations prévues par les articles 706-89 à 706-91 sont données pour des perquisitions déterminées et font l’objet d’une ordonnance écrite ».

S’agissant des informations judiciaires, les perquisitions sont déjà soumises à l’autorisation préalable et motivée du juge d’instruction, magistrat du siège présentant toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance au sens de la jurisprudence conventionnelle et constitutionnelle. La personne concernée pourra toujours, en temps utile, soulever des nullités si elle souhaite contester ces perquisitions et faire annuler les moyens de preuve collectés. Mon avis est défavorable.

M. Patrick Devedjian. Monsieur le rapporteur, vous ne répondez pas à l’objection soulevée avec pertinence par M. Georges Fenech, qui souligne que le juge d’instruction – dont Balzac, avant M. Robert Badinter, dénonçait déjà la toute-puissance – est à la fois juge et partie. D’où sa proposition d’étendre le contrôle du JLD à tous les cas de perquisition.

M. Guy Geoffroy. Le JLD a précisément été créé pour mettre fin à cette dualité des fonctions du juge d’instruction. Pour respecter le parallélisme des formes comme la volonté du législateur, le JLD doit donc se prononcer sur les initiatives du parquet comme sur celles du juge d’instruction.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ce qui nous est proposé ici, c’est de soumettre les perquisitions effectuées dans le cadre d’une enquête préliminaire à l’autorisation d’un JLD mais, si l’on veut appliquer les mêmes règles à l’instruction, c’est toute notre procédure judiciaire – procédure inquisitoire et non accusatoire comme celle des anglo-saxons – qu’il faut revoir, et M. Georges Fenech a raison de parler de révolution juridique. Cela étant, je ne pense pas que cela soit l’objet de ce projet de loi.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL244 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL12 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à revenir sur les conditions des perquisitions ordonnées dans le cadre de l’enquête préliminaire en ne les limitant pas nécessairement aux cas où elles sont nécessaires afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique.

M. le rapporteur. Cela me paraît une extension excessive. La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux perquisitions de nuit dans un local d’habitation, telle qu’elle résulte de sa décision du 2 mars 2004 sur la loi dite « Perben II » est très stricte, puisqu’elle exige que ces perquisitions soient cantonnées à la constatation de crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle ; que les restrictions apportées aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises ; que ces perquisitions enfin ne puissent pas être réalisées à un autre moment.

Pour ces raisons, il appartient au législateur de définir précisément les conditions dans lesquelles de telles perquisitions sont possibles en enquête préliminaire, ce qui est le cas à l’alinéa 3 qui pose trois conditions : en matière terroriste, en cas d’urgence et lorsque c’est nécessaire à la prévention d’un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. La suppression de l’une de ces trois conditions n’est donc pas souhaitable. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL367 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL164 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Le risque doit être sérieux et imminent pour justifier la nécessité d’une telle perquisition.

M. le rapporteur. M. Coronado souhaite aller dans le sens inverse de M. Ciotti et restreindre les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Il me semble néanmoins que le dispositif est équilibré en l’état. Avis dévavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL165 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Les atteintes à l’intégrité physique pouvant recouvrir un nombre de situations très larges, il me semble opportun de limiter les perquisitions aux situations comportant des risques d’atteinte à la vie.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL245 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement tend à préciser expressément que le régime juridique encadrant le recours aux perquisitions nocturnes tel qu’il est prévu par l’article 706-92 est applicable aux perquisitions domiciliaires nocturnes décidées dans le cadre d’une enquête préliminaire instituées par l’alinéa 3 du présent article, comme le précise déjà l’article 706-91 en matière d’information judiciaire.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL246 et CL247 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite successivement les amendements CL166 et CL167 de M. Sergio Coronado.

Puis elle examine l’amendement CL369 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement précise que le magistrat ayant autorisé les perquisitions doit être informé dans les meilleurs délais des actes accomplis.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL157 de Mme Élisabeth Pochon.

Mme Élisabeth Pochon. Il importe de préciser que l’autorisation de procéder à des perquisitions doit être spécialement motivée.

M. le rapporteur. Juridiquement, la différence entre une décision « motivée » et « spécialement motivée » est assez difficile à établir. Je vous demanderai donc de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La Commission est saisie de l’amendement CL93 de M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Nous souhaitons que l’avocat de la personne perquisitionnée soit obligatoirement informé, dès le début de la perquisition.

M. le rapporteur. Votre amendement n’a pas pour objet de prévoir l’information obligatoire de l’avocat lors des perquisitions domiciliaires de nuit comme le précise l’exposé sommaire, mais pour toutes les perquisitions décidées par le juge d’instruction en vertu de l’article 92 du code de procédure pénale.

Or les perquisitions domiciliaires de droit commun demandées par le juge d’instruction, juge du siège indépendant, sont déjà encadrées par les articles 92 à 99-4 du code de procédure pénale : si la perquisition a lieu au domicile d’une personne mise en examen ou gardée à vue, elle doit se dérouler en sa présence ou celle d’un représentant de son choix ou, à défaut, de deux témoins ; dans les autres hypothèses, la personne dont le domicile est perquisitionné est invitée à y assister, la perquisition ayant lieu en présence de parents ou de témoins en cas d’absence de la personne perquisitionnée.

La chambre criminelle de la Cour de cassation juge avec constance que l’absence de convocation de l’avocat lors d’une perquisition n’est pas irrégulière dès lors que la personne mise en examen n’est pas soumise à un interrogatoire, une confrontation ou une reconstitution. Elle considère que l’absence de l’avocat lors de la perquisition ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable du demandeur.

S’agissant des perquisitions domiciliaires de nuit en matière de criminalité et de délinquance organisées, elles sont justifiées par un motif d’urgence. Il paraît donc pour le moins compliqué de prévenir l’avocat de la personne concernée, sauf à faire perdre de son utilité à la mesure qui est prise à son insu. Avis défavorable.

M. Alain Marsaud. Monsieur le président, je vous remercie de m’accueillir dans votre Commission dont je ne suis pas membre. Les personnes faisant l’objet d’une perquisition sous ce régime juridique ne sont pas mises en examen et n'ont pas d’avocat. Si la police procédait à une perquisition au domicile de M. Salah Abdeslam, comment pourrait-elle prévenir son avocat ? Ces gens ne désignent pas d’avocat ! Il faut dire que, bien souvent, on n'est pas sûr de l’identité des personnes ciblées. Mon cher collègue Patrick Devedjian ne se rend pas compte des contextes dans lesquels se déroulent de telles opérations.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 (art. 706-95-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Mise en œuvre de dispositifs techniques de proximité de recueil de données techniques de connexion (IMSI catcher) en matière de criminalité et de délinquance organisées

La Commission étudie l’amendement CL168 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à limiter le recours à l’International mobile subscriber identity (IMSI)-catcher. Nous avons déjà débattu de l’emploi de cet instrument très intrusif au moment de l’examen de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Comme il procède à une captation massive de données, nous proposons que son emploi ne soit possible que lors de l’instruction et que l’on ne puisse l’utiliser lors de l’enquête préliminaire.

M. le rapporteur. Votre amendement, monsieur Coronado, est motivé par une prévention contre cet outil. Le texte du projet de loi prévoit l’encadrement de son recours, y compris lors des enquêtes de flagrance ou préliminaires. Son utilisation est ainsi limitée à la recherche et à la constatation d’une infraction relevant du champ de la criminalité et de la délinquance organisées. Seul le juge des libertés et de la détention (JLD) peut autoriser le recours à cet instrument. La durée d’installation du dispositif ne peut excéder un mois, même si elle peut être renouvelée une fois. Certes, une procédure d’urgence est aménagée au stade de l’enquête, mais le JLD doit confirmer dans les vingt-quatre heures l’autorisation alors délivrée par le procureur de la République, sous peine de l’arrêt immédiat des opérations.

Je m’étonne toujours que l’on fasse une fixation sur l’IMSI-catcher, car d’autres instruments, comme les interceptions judiciaires, s’avèrent bien plus intrusifs que celui-ci, et, pourtant, on ne propose pas de les supprimer.

Au surplus, la rédaction de votre amendement conduirait à permettre l’installation de l’IMSI-catcher pour l’enquête, mais il confierait l’autorisation et le contrôle de l’emploi de l’outil au juge d’instruction, ce qui constituerait un mélange des compétences ni conforme ni souhaitable à l’organisation du système judiciaire. J’émets donc un avis défavorable à son adoption.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CL169 de M. Sergio Coronado et CL248 du rapporteur.

M. Sergio Coronado. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, identique à celui proposé par M. le rapporteur.

M. le rapporteur. En effet. J’y suis donc favorable.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CL249 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à renforcer les garanties applicables à la délivrance de l’autorisation de recourir à un dispositif de recueil de proximité des données de connexion, en précisant qu’elle devra faire l’objet d’une ordonnance motivée du JLD ou du juge d’instruction, comme pour la mise en œuvre d’autres mesures spéciales d’investigation.

M. Georges Fenech. Monsieur le rapporteur, vous souhaitez contraindre le JLD et le juge d’instruction à motiver l’autorisation de recourir à un tel dispositif, ce qui constituerait une innovation. Je m’en réjouis, mais un tel mouvement épouse les remarques que je formulais tout à l’heure sur les perquisitions.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL250 du rapporteur.

La Commission en vient à l’amendement CL251 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement précise que la possibilité pour le procureur de la République d’autoriser, en cas d'urgence, le recours à un dispositif de proximité de recueil des données techniques de connexion ne vaut que dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, et non dans celui d'une information judiciaire, pour laquelle seul le juge d'instruction restera compétent pour délivrer cette autorisation.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL252 et CL253 du rapporteur.

La Commission aborde l’amendement CL170 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à réduire de vingt-quatre à douze heures le délai dans lequel le JLD doit valider l’utilisation d’un IMSI-catcher.

M. le rapporteur. On a retenu la durée de vingt-quatre heures car elle s’applique à d’autres dispositifs et semble raisonnable. J’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement CL113 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. L’article 2 du projet de loi complète la loi sur le renseignement en prévoyant l’utilisation d’un IMSI-catcher pour recueillir des données de connexion ; le texte prévoit l’encadrement de cette procédure par le juge, à l’exception des cas d’urgence où l’autorisation est délivrée par le procureur de la République sans validation préalable du juge. Le JLD peut néanmoins suspendre l’opération de recueil des données s’il n’en confirme pas l’autorisation dans les vingt-quatre heures. En revanche, le texte ne précise pas le sort des données collectées dans cet intervalle d’une journée. Mon amendement vise à ce que celles-ci soient détruites.

M. le rapporteur. Vous soulevez un sujet important, monsieur Tardy. L’alinéa 5 de l’article 2 prévoit que l’opération cesse si l’autorisation délivrée par le procureur de la République n’a pas été confirmée dans les vingt-quatre heures par le JLD ; dans ce cas, les données recueillies dans l'intervalle seront réputées nulles et non avenues.

Je travaille avec le Gouvernement à l’ajout de dispositions – qui seront, je l’espère, prêtes pour l’examen du texte en séance publique – renforçant les garanties entourant le recours à l’IMSI-catcher. Il conviendrait notamment de centraliser davantage le recueillement des données, afin de faciliter les contrôles. Nous pourrions nous inspirer des dispositions élaborées en matière de renseignement, même si le système, en cours de construction, diffère pour les interceptions judiciaires.

Les droits de la défense interdisent de détruire des données tant que la procédure relative à l’infraction concernée demeure ouverte, car les avocats des parties doivent connaître la nature des données collectées pour soulever d’éventuels arguments de nullité. J’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je regrette que vous ne souteniez pas cet amendement, monsieur le rapporteur, car M. Tardy met en lumière un point essentiel. Un pouvoir peu précautionneux pourrait procéder à des écoutes qui ne pourront certes pas être utilisées dans une procédure judiciaire, mais dont les résultats seront connus des services de renseignement et de police, voire des autorités politiques. Il s’avère donc essentiel de s’assurer de la destruction des éléments collectés.

Mme Cécile Untermaier. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen (SRC) estime indispensable d’encadrer la collecte des données dans les cas d’urgence. Il convient de se pencher sur les conditions dans lesquelles il sera procédé à la destruction de ces données.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il faudra prévoir la destruction physique des données, et non leur simple suppression informatique qui ne ferait que les placer dans des répertoires où l’on pourrait facilement les récupérer.

M. Lionel Tardy. Toutes les interventions vont dans le même sens. La rédaction de l’alinéa 5 de l’article 2, indiquant qu’à défaut de validation de l’autorisation par le JLD, il est « mis fin à l’opération », ne s’avère pas assez protectrice. Le texte doit prévoir la destruction des données, la question du contrôle de cette destruction restant ouverte. 

M. Sergio Coronado. Nous partageons la volonté d’encadrer l’utilisation de ces données, et la formulation actuelle du projet de loi n’offre pas suffisamment de garanties, comme vient de le souligner mon collègue Lionel Tardy. Le temps a manqué car le Gouvernement a choisi d’examiner ce texte selon la procédure accélérée, mais vous devez nous donner votre opinion, monsieur le rapporteur : soit vous soutenez cet amendement et obtenez du Gouvernement la suppression des données, soit vous garantissez que les données recueillies ne puissent être utilisées dans d’autres procédures judiciaires – j’ai déposé un amendement allant dans ce sens.

M. le rapporteur. J’ai clairement indiqué mon intention de rédiger d’ici à la séance publique un amendement traitant de la centralisation des données recueillies dans un contexte d’urgence et des modalités de leur destruction.

Monsieur Lagarde, vous avez évoqué les autorités politiques, mais ce dispositif s’inscrit dans le cadre d’une procédure judiciaire et non dans celui des activités de renseignement.

L’adoption de cet amendement créerait un système inopérant. Monsieur Tardy, je ne doute pas de votre confiance dans ma sincérité à vouloir avancer sur ce sujet. Si mon amendement en séance ne vous satisfaisait pas, vous pourriez nous soumettre à nouveau votre proposition. Si vous mainteniez votre amendement en Commission, j’émettrais un avis défavorable à son adoption.

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous discuterons en séance du texte adopté en Commission, si bien qu’il importe d’adopter cet amendement aujourd’hui. L’IMSI-catcher est tellement large, le dispositif tellement intrusif, qu’il convient de l’encadrer. Certes, il est utilisé dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais vous savez, monsieur le rapporteur, que les services de police judiciaire rendent parfois compte de leurs activités à leur hiérarchie, voire à l’autorité politique. Cela s’est vu sous tous les gouvernements, mais il s’agissait d’écoutes ciblées alors que ce système s’avère bien plus large. Le texte doit donc fixer les conditions de la destruction des données recueillies.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. M. Tardy refuse que l’on conserve les données recueillies et souhaite l’annulation de la procédure ou le lancement d’une enquête administrative si tel n’était pas le cas. La destruction des données vise à atteindre ces deux objectifs.

M. le rapporteur. La destruction des données oblige tout d’abord à prévoir leur centralisation.

Nous avons trouvé une solution satisfaisante à ce problème lors de l’examen de la loi sur le renseignement. Le texte que nous examinons aujourd’hui concerne uniquement des données de connexion et non des contenus d’échanges, contrairement à la loi sur le renseignement qui ouvre les deux possibilités, l’utilisation des contenus d’échanges étant soumise à un fort encadrement.

M. Lionel Tardy. Je maintiens mon amendement, car il faut détruire ces données. Monsieur le rapporteur, il est libre à vous de trouver une rédaction encadrant cette destruction. 

Mme Élisabeth Pochon. Nous souhaiterions déposer un amendement en vue de la séance publique prévoyant l’élaboration d’un décret fixant les conditions dans lesquelles il est procédé à la destruction matérielle des données à l’issue de l’opération. 

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL254 du rapporteur.

La Commission est saisie de l’amendement CL171 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Nous proposons que les données recueillies ne puissent pas être utilisées pour d’autres procédures que celle ayant justifié l’autorisation du recours à l’IMSI-catcher.

M. le rapporteur. La rédaction de votre amendement soulève des interrogations sur son objet précis. S'agit-il de prévoir que les opérations de recueil des données ne sauraient, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans la décision du magistrat qui les a autorisées ? Si tel était le cas, il nous faudra aboutir, avec le Gouvernement, au renforcement des garanties entourant le recours à cette technique. S’agit-il au contraire de frapper de nullité des procédures incidentes lorsque les données collectées révèlent d'autres infractions que celles visées dans la décision du magistrat qui les a autorisées ? Cela ne me paraît pas souhaitable car, pour d’autres techniques d’enquête, les articles 706-96 et 706-102-4 du code de procédure pénale disposent que la nullité des procédures incidentes n’est pas constituée en l’espèce.

J’émets donc un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est difficile d’écarter les délits incidents lorsque l’on mène une enquête, mais les contenus de conversation n’entrant pas dans le champ du texte, la probabilité que l’on en découvre semble faible. Par contre, lorsque l’on enquête sur des faits de grande criminalité, on peut avoir connaissance d’un délit terroriste, et il ne faudrait pas s’empêcher de réaliser la connexion entre les deux infractions.

M. Guy Geoffroy. Monsieur Coronado, excusez mon purisme grammatical, mais il conviendrait de rédiger ainsi votre amendement : « Les données recueillies ne peuvent être utilisées pour d’autre enquête ou information que celle ayant justifié l’autorisation ».

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL172 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement a pour objet de supprimer les données recueillies par l’IMSI-catcher au bout d’un délai de 90 jours. Il reprend les dispositions prévues en matière de renseignement administratif.

M. le rapporteur. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet et j’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL71 de M. Georges Fenech, CL148 de M. Michel Zumkeller et CL94 de M. Patrick Devedjian.

M. Georges Fenech. Cet amendement vise à assurer la protection du secret professionnel des avocats, des magistrats, des journalistes, des députés et des sénateurs. Ces dispositifs intrusifs s’avèrent utiles pour lutter contre le crime organisé et le terrorisme, mais ils ne doivent pas porter atteinte à des secrets protégés par la loi.

M. Michel Zumkeller. Mon amendement s’inscrit dans la même logique que celui de M. Zumkeller, et il oblige le juge d’instruction à informer le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, le bâtonnier ou le procureur général près la juridiction si l’IMSI-catcher est utilisé à l’encontre d’un député, d’un sénateur, d’un avocat ou d’un magistrat. Il importe d’encadrer davantage le système lorsqu’il doit s’appliquer à ces professions ou à ces fonctions pour lesquelles le secret professionnel revêt une dimension particulière.

M. Patrick Devedjian. Mon amendement va dans le même sens que celui de M. Georges Fenech. Des procès-verbaux paraissent dans la presse trois jours après leur signature, ce qui me rend prudent sur la possibilité de protéger le secret professionnel.

M. Patrice Verchère. Je suis favorable à l’adoption de ces amendements ; mais que se passerait-il si un juge souhaitait utiliser l’IMSI-catcher pour écouter le président de l’Assemblée nationale, le bâtonnier ou le procureur général de la juridiction ? Qui devrait-il informer ?

M. Jean-Christophe Lagarde. La rédaction que M. Michel Zumkeller et moi-même proposons utilise le terme de « parlementaires », incluant ainsi les membres du Parlement européen, alors que les autres amendements n’évoquent que les députés et les sénateurs nationaux.

M. le rapporteur. L’IMSI-catcher n'a pas vocation à être installé au domicile ou au bureau des personnes, et il s’avère techniquement impossible de ne pas recueillir telle ou telle nature de données. Agissant comme une sorte d'antenne relais factice, il est installé à un endroit sans qu’il soit nécessaire de pénétrer dans un lieu privé. Si l’on entre dans un lieu privé, on change de technique d'investigation et de régime juridique.

Le cadre juridique entourant l’utilisation de l’IMSI-catcher est adapté à la nature des données collectées, celles-ci ne portant pas sur le contenu des échanges mais sur des données techniques ; il diffère donc de celui des interceptions de correspondances.

Des dispositions particulières sont prévues pour le recours aux IMSI-catchers à l'encontre des professions protégées en matière de renseignement administratif, car le juge judiciaire n’intervient ni pour autoriser, ni pour contrôler la mise en œuvre de cette technique. La loi sur le renseignement fixe une composition différente de la formation de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) suivant le régime juridique qui s’applique. La Commission se réunit en formation plénière – c’est-à-dire avec la présence de quatre parlementaires – pour les professions d’avocat et de journaliste et pour la fonction de parlementaire. Le législateur a donc prévu des garanties particulières pour l’utilisation de ces outils à l’encontre de ces professions dans le cadre d’une procédure administrative. Dans une procédure judiciaire, c’est un magistrat du siège indépendant – JLD avant l’ouverture d’une information judiciaire, et juge d’instruction une fois la procédure enclenchée – qui autorise le recours à l’IMSI-catcher.

Monsieur Fenech, l’adoption de votre amendement conduirait à exclure purement et simplement l’application de cette technique d'enquête pour les avocats, les magistrats et les parlementaires, ce qui n'est pas acceptable.

J’émets un avis défavorable à l’adoption de ces amendements.

M. Georges Fenech. L’IMSI-catcher ne peut en effet pas trier les données qu’il recueille, mais vous pourriez prévoir un système les détruisant rapidement lorsque leur conservation porte atteinte au secret professionnel. En l’état actuel, le texte ne garantit pas la protection des avocats, des magistrats et des journalistes puisque ces données pourront être utilisées dans une procédure judiciaire.

M. le rapporteur. On utilise l’IMSI-catcher pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Monsieur Fenech, je n’imagine pas que vous souhaitiez interdire l’emploi de cette technique à l’encontre des avocats, des journalistes et des parlementaires. Il nous faut cependant établir des garanties pour encadrer le recours à cet outil contre des membres de ces professions en raison de la nature des secrets professionnels dont ils sont détenteurs. La réunion en plénière de la CNCTR apporte des garanties dans le cadre d’une procédure administrative, et la fonction des personnes autorisant son recours dans une procédure judiciaire fournit également les assurances nécessaires.

En outre, on ne peut pas utiliser les données étrangères au motif ayant justifié l’emploi de l’IMSI-catcher. Vous proposez l’interdiction de l’utilisation de cet outil pour les professions d’avocat, de magistrat et de journaliste et pour la fonction de parlementaire. Je ne partage pas ce souhait, car je ne vois pas au nom de quoi certaines professions seraient soustraites du droit commun. Par ailleurs, qui considère-t-on comme journaliste ? Quelqu’un se qualifiant de directeur de la publication d’un blog peut revendiquer la qualité de journaliste. Un contrôle accru doit s’opérer lors de l’utilisation de l’IMSI-catcher à l’encontre d’un membre d’une profession protégée, mais on ne doit pas prévoir l’impossibilité du recours à cette technique contre ces personnes.  

M. Jean-Christophe Lagarde. Il ne s’agit pas, à mes yeux, d’interdire cette technique, mais d’encadrer et de contrôler son usage. L’utilisation d’un IMSI-catcher ne vise pas nécessairement un avocat, un magistrat, un parlementaire ou un journaliste : le dispositif est installé, et, au milieu du flux de connexions et d’informations obtenu, on entend l’une de ces professions. Il faut donc prévoir, sinon l’interdiction de l’usage, la destruction des données ou l’interdiction d’en prendre connaissance. J’entends bien qu’en cas de besoin, une de ces professions peut faire l’objet d’une enquête, avec un contrôle. Imaginons cependant qu’un IMSI-catcher soit installé pour surveillance à proximité du Palais Bourbon, c’est toute l’Assemblée nationale qui se trouvera concernée.

D’ici à l’examen du texte en séance publique, il faut trouver la bonne rédaction établissant que, si à l’occasion de l’utilisation du dispositif, en entend une personne qui doit être protégée, il faut prévoir la destruction des données. La question de M. Coronado, relative à l’interdiction d’utiliser les données au sujet de délits connexes, se pose alors dans toute son acuité. Nous avons parmi nous un ancien ministre de l’intérieur qui ne se livrait pas à ce type d’exercice, mais un service de police peut enquêter à côté pour avoir une information qu’il cherche en fait sur quelqu’un d’autre ; cela peut être dangereux. Il faut donc prévoir que, pour ces professions, il ne peut être question de délit connexe : soit un délit est soupçonné et l’on mène une enquête sur l’intéressé, soit l’enquête concerne quelqu’un d’autre et l’on ne tombe pas par hasard sur ce type de profession.

M. le président Dominique Raimbourg. Ce qui est proscrit aujourd’hui, c’est l’utilisation, dans une procédure judiciaire, d’informations obtenues par cette technique : elles ne peuvent pas servir de preuve. C’est cette nullité qui protège les professions en question, le recours à un IMSI-catcher rendant impossible la discrimination entre les connexions établies.

M. le rapporteur. Je rappelle que l’information sur le nombre des appareils utilisés est classifiée et qu’ils ont des capacités de captation différentes. Or c’est toujours le plus faible faisceau qui est recherché, faute de quoi les résultats sont inexploitables.

Il reste deux questions importantes. D’une part, ces professions protégées bénéficient-elles de garanties supplémentaires ? De mon point de vue, celles-ci existent de par la qualité de la personne susceptible de demander une captation.

S’agissant, d’autre part, des données recueillies de façon incidente, le Gouvernement est au fait de ce débat, et je m’engage à m’en entretenir avec lui afin de dégager des solutions applicables, particulièrement pour la destruction des données concernées. Je demande donc le retrait de ces amendements. Au demeurant, si la rédaction que je proposerai en séance ne vous convenait pas, vous pourriez faire vos propres propositions.

M. Georges Fenech. Sur la foi de l’engagement pris par le rapporteur, je retire mon amendement.

M. Patrick Devedjian. Je tiens à faire quelques observations.

Dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a rappelé ses exigences fortes en matière de protection du secret professionnel. Ensuite, nous ne pouvons pas oublier que, même en matière de terrorisme, la fin ne justifie pas les moyens. Par ailleurs, la carte de presse n’est délivrée à un journaliste qu’à la condition que l’essentiel de ses revenus soit le fruit de cette activité : si donc n’importe qui peut se prétendre journaliste tout le monde ne peut pas avoir ce document. Enfin, le fait que la machine soit privée de discernement et le contexte de la lutte contre le terrorisme ne justifient pas que, finalement, on écoute tout le monde !

Concernant les parlementaires, nous sommes au cœur du débat démocratique, il ne s’agit pas de les protéger pour ce qu’ils sont : il s’agit de la protection de l’opposition, quelle qu’elle soit. Il faut éviter qu’une majorité – peut-être une autre que celle d’hier ou d’aujourd’hui – puisse utiliser ces moyens techniques pour écouter l’opposition. Vous introduisez dans nos institutions une technique dangereuse et totalement incontrôlée.

M. Michel Zumkeller. L’amendement est maintenu. Il ne vise pas à empêcher cette pratique, mais à l’encadrer.

L’amendement CL71 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL148 et CL94.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL14 et CL59 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Ces amendements visent à revenir sur les principales dispositions de la « loi Taubira » du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive. Le nouveau garde des Sceaux nous propose de modifier en profondeur la procédure pénale : nous lui donnons acte de sa volonté et de son pragmatisme, face au terrorisme, et, de façon plus générale, à la délinquance.

Cependant, l’efficacité de cette nouvelle politique pénale, que nous jugerons sur pièce, passe par l’abrogation de la contrainte pénale. Mesure d’autant plus dangereuse, qu’à partir de 2017, elle concernera tous les délits, y compris l’association de malfaiteurs en matière de terrorisme. Concrètement, cela signifie que les personnes condamnées pour des agressions sexuelles aggravées, des violences volontaires graves contre les forces de l’ordre, de proxénétisme ou encore de trafic de stupéfiants pourront éviter la prison. Cette mesure a gommé par idéologie toute référence à la prison et envoie un message d’impunité aux délinquants : nous proposons sa suppression.

M. le rapporteur. Ce sujet sortant du champ du texte que nous examinons ce matin, nous n’allons pas rouvrir ici un débat qui nous a déjà occupés très longuement. Avis défavorable. Monsieur Ciotti, vous pourrez toujours revenir sur la question en séance publique.

M. Georges Fenech. Je rappellerai que le projet de loi que nous examinons s’intitule « Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ». Cela implique que la question des moyens donnés aux enquêteurs doit également nous préoccuper. Or la contrainte pénale implique la surveillance d’individus susceptibles de récidiver alors que les forces de police sont fortement mobilisées pour prévenir les actes de terrorisme.

En outre, d’après les évaluations du ministère de la justice, la contrainte pénale va monter en puissance : 20 000 détenus pourraient ainsi sortir de prison, notamment avec l’extension du dispositif – dans moins d’un an – aux peines de cinq à dix ans d’emprisonnement. Nous sommes actuellement placés sous le régime de l’état d’urgence : vous adressez donc aux Français un message de protection maximale. Mais, dans le même temps, vous laissez perdurer une politique pénale décidée avant la menace terroriste qui aura pour conséquence d’alourdir considérablement la charge de travail de la police qui est exsangue aujourd’hui.

M. Philippe Goujon. La contrainte pénale, telle qu’elle pourra être appliquée à l’avenir, entre en contradiction avec bien des mesures positives relatives au régime des sanctions contenues dans ce projet de loi. En outre, son champ d’application devrait être élargi alors qu’aucune évaluation n’a été pratiquée.

M. Éric Ciotti. Dans le même esprit, mon amendement CL59 tend à exclure du champ d’application de la contrainte pénale les délits terroristes. Ne pas le faire serait extrêmement dangereux dans le contexte qui est le nôtre actuellement.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle étudie l’amendement CL15 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à rétablir au sein de notre arsenal juridique les peines minimales de privation de liberté en cas de récidive légale, communément dénommées « peines plancher ». Leur suppression a constitué une erreur majeure qui a privé la justice d’un outil important contre la récidive. Cette mesure était pourtant compatible avec le principe constitutionnel d’individualisation des peines puisque 40 % des cas éligibles bénéficiaient de peines plancher, laissées à l’appréciation du juge. Rappelons-le, la durée moyenne des peines des récidivistes était ainsi passée de neuf à seize mois d’emprisonnement.

M. Alain Tourret. Pour moi, la peine plancher constitue une monstruosité juridique totalement opposée au principe général du droit qu’est l’individualisation de la peine. Pourquoi ne pas proposer des peines collectives ?

M. Georges Fenech. Nous touchons là à l’ambiguïté qui sous-tend ce texte : vous proposez des moyens d’intrusion, d’investigation et d’enquête auxquels nous sommes favorables mais vous n’abordez pas la question de la sanction et de la répression. Vous n’insistez pas sur l’effet dissuasif inhérent à toute politique pénale en matière de récidive. Vous restez à mi-parcours, tant en termes de procédure que de sanctions parce que, pour des raisons politiques qui peuvent se comprendre, vous ne souhaitez pas remettre en cause la politique pénale de Mme Taubira.

Vous aurez beau mettre tous les moyens à la disposition des services de renseignement et des enquêteurs pour arrêter et identifier des candidats au terrorisme, si ceux-ci bénéficient de la contrainte pénale ou d’une libération conditionnelle prématurée ou de réductions de peine automatiques alignées sur le régime des primo délinquants, nous n’aurons pas une procédure pénale adaptée à la lutte contre le terrorisme.

Enfin, et contrairement à ce qu’a dit M. Alain Tourret, les peines a minima n’ont rien de scandaleux, d’autres pays y ont recours. Elles ont existé chez nous jusqu’à l’adoption du nouveau code pénal de 1994. Tous les textes prévoyaient des peines minima et maxima. Il faudra y revenir un jour.

M. le rapporteur. Les évaluations pratiquées ont montré que le taux de récidive n’a pas cessé de croître en dépit des peines plancher. Par ailleurs, la contrainte pénale est l’un des outils – pas une obligation – mis à la disposition du juge. Mais imaginerait-on un juge prononçant une mesure de contrainte pénale à l’encontre d’un terroriste dangereux – a fortiori sans aucun appel du ministère public ?

Il est légitime de défendre ses positions, mais prétendre que ne pas supprimer la contrainte pénale et ne pas rétablir les peines plancher à l’occasion de ce texte revient à faire la moitié du chemin n’est pas intellectuellement objectif. Outre que ce débat est hors-sujet, dire que la contrainte pénale est un outil d’affaiblissement de la politique de lutte contre le terrorisme et les peines plancher une amélioration de la lutte contre la récidive est contraire à la vérité.

La Commission rejette l’amendement.

Article 3 (art. 706-96, 706-98 à 706-101 et 706-102-1 à 706-102-8 du code de procédure pénale) : Extension à l’enquête de techniques spéciales d’investigation jusque-là réservées à l’instruction en criminalité et délinquance organisées

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL255, CL256, CL257, CL258 et CL259 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (art. 706-22-1 du code de procédure pénale) : Limitation de la compétence du juge de l’application des peines de Paris aux personnes condamnées pour actes de terrorisme par la juridiction parisienne

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Après l’article 4

La Commission est saisie de l’amendement CL260 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement vise à compléter la liste des obligations susceptibles d’être prononcées dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve telle qu’elle est prévue par l’article 132-45 du code pénal pour les condamnations à l’emprisonnement de cinq ans au plus en cas de condamnation pour infraction terroriste.

En effet, les auditions que j’ai conduites ont fait apparaître la nécessité de mentionner la possibilité pour des personnes condamnées pour les infractions terroristes les moins graves, et si leur personnalité s’y prête, d’accomplir un stage de « déradicalisation » ou, plus généralement, de faire l’objet d’une prise en charge particulière en la matière.

La Commission adopte l’amendement. L’article 4 bis est ainsi rédigé.

Puis elle examine l’amendement CL58 de M. Éric Ciotti.

M. Georges Fenech. Nous revenons à la question – non objective selon le rapporteur – de la sanction. Cet amendement issu de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, déposée par M. Philippe Bas et adoptée par le Sénat, propose que l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, actuellement délictuelle, puisse être davantage réprimée.

Il s’agit d’une part de créer une circonstance aggravante permettant de criminaliser les associations de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste, lorsqu’elles sont commises à l’étranger, ou après un séjour à l’étranger, sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.

D’autre part, cet amendement entend renforcer le quantum des peines relatives aux crimes terroristes, dès lors que l’association de malfaiteurs prépare un crime d’atteinte à la vie ou des actes susceptibles d’entraîner la mort. Actuellement punis de 20 ans de réclusion criminelle et de 350 000 euros d’amende, ces crimes seraient désormais punis de 30 ans d’emprisonnement et de 450 000 euros d’amende. La peine de réclusion criminelle pour les dirigeants d’un groupe terroriste, prévue à l’article 421-5 du code pénal, serait également portée à trente ans.

Enfin, il modifie l’article 421-3 du même code afin de permettre à la cour d’assises, en cas de condamnation pour meurtre commis en bande organisée en relation avec une entreprise individuelle ou collective terroriste, de prononcer soit une période de sûreté de trente ans si elle prononce une peine à temps, soit une période de sûreté dite « incompressible » si elle prononce une réclusion criminelle à perpétuité.

M. Alain Tourret. Nous n’en finissons pas d’augmenter les peines, bientôt nous appliquerons la réclusion criminelle à perpétuité pour tous les crimes et délits. À l’occasion de nos travaux sur la prescription en matière pénale, M. Georges Fenech et moi-même avons constaté à quel point les peines s’alourdissaient avec le temps : certains délits sont punis d’une peine d’emprisonnement de trente ans ! Il faut mettre un terme à cette dérive ou s’astreindre à reconsidérer l’ensemble de l’échelle des peines.

M. Philippe Gosselin. Le Sénat a fourni un travail de fond dont les constats sont partagés par beaucoup, au-delà du président de la commission des Lois, M. Philippe Bas. Il est important d’envoyer un signal fort.

M. le rapporteur. Vous empiétez peut-être sur les intentions du Sénat – nos collègues auront l’occasion de débattre de ces sujets.

À ce stade, je rappelle qu’une période de sûreté générale, à la moitié de la peine, ou aux deux tiers de la peine et pouvant atteindre 22 ans est déjà possible. L’amendement propose donc une modification substantielle du droit existant ne correspondant pas à une demande qui aurait été exprimée par les magistrats antiterroristes. Cette modification de l’échelle des peines ne manquerait pas de perturber l’équilibre établi par le législateur jusqu’à ce jour. Une telle criminalisation aurait pour effet de faire juger ces infractions par la cour d’assises spéciale de Paris, avec un risque d’engorgement de la justice antiterroriste et une perte de souplesse pour les magistrats. Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL61 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Goujon. Le présent texte vise à renforcer l’efficacité des mesures antiterroristes : notre amendement tend à rendre obligatoire la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les condamnés terroristes étrangers, sauf décision spéciale et motivée de la juridiction de jugement.

Cette peine complémentaire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement ou de réclusion.

Au regard du faible nombre de peines complémentaires aujourd’hui prononcées, il est proposé que celle-ci soit automatique, sauf décision spécialement motivée en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

M. le rapporteur. Il est déjà possible de prononcer de telles peines, mais cela n’est pas obligatoire – et pas toujours réalisable. Faut-il rendre la peine automatique ? À mes yeux, cela n’apporterait rien au droit, et, sur le plan des principes, je suis favorable à l’individualisation de chacune des décisions de justice. Mon avis est donc défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement CL60 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Goujon. Cet amendement a pour objet d’augmenter les durées maximales de détention provisoire pour les personnes mineures de plus de 16 ans mises en examen dans des procédures terroristes.

M. le rapporteur. Il s’agit là aussi de l’un des articles de la proposition de loi de M. Philippe Bas au Sénat. Cet amendement paraît fort peu compatible avec les dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL6 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Goujon. Il s’agit de permettre la prolongation de la garde à vue de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes ou des délits constituant des actes de terrorisme. Le droit en vigueur autorise une durée maximale de six jours de garde à vue ; cet amendement, en autorisant le juge des libertés et de la détention à renouveler deux fois supplémentaires le maintien en garde à vue, porterait sa durée totale à huit jours.

M. Alain Tourret. Je suis favorable à cet amendement.

M. le rapporteur. C’est là l’un de ces amendements qui m’évoquent le « monsieur Plus » des publicités Bahlsen : c’est plus d’affichage. Six jours constituent d’ores et déjà une durée de garde à vue extrêmement longue, et aucun des magistrats que j’ai pu rencontrer ne demandait à disposer de plus de temps. Maurice Thorez disait qu’il faut savoir arrêter une grève : il faut aussi savoir limiter l’inflation des durées dont nous décidons. Mon avis est défavorable.

M. Philippe Goujon. Je peux comprendre la position du rapporteur, mais de nombreux exemples étrangers la démentent : dans un certain nombre de pays, même si leur système judiciaire est différent – je pense au Royaume-Uni –, les gardes à vue durent beaucoup plus longtemps qu’en France.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL4 de M. Éric Ciotti et CL37 de M. Philippe Goujon.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Par l’amendement CL4, nous proposons l’isolement systématique de tout individu condamné pour acte de terrorisme.

M. Alain Tourret. L’amendement ne prévoit pas de limitation dans le temps, et c’est tout le problème : une telle peine d’isolement perpétuel est inconcevable.

M. Philippe Goujon. L’amendement CL 37 vise à sécuriser juridiquement le regroupement des détenus prosélytes tel qu’il est actuellement expérimenté à Fresnes dans une unité de prévention du prosélytisme, en établissant un cadre légal proche de celui de la mise en isolement et assorti des mêmes garanties procédurales. De fait, les modalités et les critères de ces regroupements sont particulièrement flous. Ainsi, aucune procédure ne permet à un détenu de contester son placement dans cette unité. Par ailleurs, nous proposons d’appliquer ce dispositif non seulement aux individus mis en cause ou condamnés pour des faits en lien avec une entreprise terroriste, mais aussi aux détenus condamnés pour d’autres motifs mais qui se sont radicalisés et exercent des pressions graves sur leurs codétenus.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Les expérimentations en cours sont intéressantes et doivent, selon moi, être développées. Faut-il pour autant aller jusqu’à leur donner un fondement législatif ? Cela me semble prématuré.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle examine en discussion commune les amendements CL35 de M. Philippe Goujon, CL16 de M. Éric Ciotti, CL219 de M. Sébastien Pietrasanta et CL221 de M. Philippe Goujon, les trois derniers amendements étant identiques.

M. Philippe Goujon. Par l’amendement CL35, nous proposons de permettre au renseignement pénitentiaire d’être plus efficace. Il s’agit, tout d’abord, de l’autoriser à utiliser les IMSI-catcher, comme l’avait du reste proposé le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement. Il s’agit, ensuite, de lui permettre d’écouter les appels passés par les détenus avec un téléphone portable clandestin – je rappelle qu’environ 30 000 de ces téléphones sont saisis chaque année –, comme c’est déjà le cas pour les appels passés sur des téléphones fixes. L’administration pénitentiaire aurait ainsi la possibilité de saisir la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Je précise que ces écoutes seraient, bien entendu, réalisées par des personnes habilitées extérieures à la détention. Enfin, l’amendement vise à intégrer le renseignement pénitentiaire à la communauté du renseignement, comme l’avait d’ailleurs proposé l’ancien président de notre Commission, aujourd’hui garde des Sceaux, lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement. Il s’agit d’une demande ancienne de l’administration pénitentiaire. Il serait d’autant plus logique que le bureau du renseignement pénitentiaire figure dans cette instance que les douanes et TRACFIN font partie du premier cercle. En quoi, en effet, la lutte contre les évasions et la surveillance des détenus serait moins légitime que la lutte contre la fraude fiscale et douanière ?

M. Sébastien Pietrasanta. L’amendement CL219 vise à offrir au Gouvernement la possibilité de modifier le décret du 11 décembre 2015 afin d’intégrer le bureau du renseignement pénitentiaire – qui n’est plus surnommé l’EMS3 – dans le deuxième cercle de la communauté du renseignement. Je rappelle que, lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement, notre Commission avait émis un avis favorable à cette intégration, qui n’a cependant été retenue ni par le Sénat ni par la CMP. Les deux plans de lutte contre le terrorisme des mois de janvier et novembre 2015 ont doté le bureau du renseignement pénitentiaire de moyens budgétaires et de personnels supplémentaires, le recrutement de 66 agents permettant de porter ses effectifs à 150.

M. Alain Tourret. Je dois avouer que je suis très favorable à l’amendement CL35. Il ne s’agit pas d’obliger le Gouvernement à modifier le décret du 11 décembre 2005, mais de lui en donner la possibilité. Les prisons ne sauraient être des passoires. Loin de porter atteinte aux libertés, une telle mesure offrirait un moyen de contrôle indispensable.

Mme Sandrine Mazetier. Ce débat a déjà eu lieu, à l’Assemblée et au Sénat, lors de l’examen d’un précédent projet de loi. Le ministère de tutelle de l’administration pénitentiaire n'est absolument pas demandeur de ce type de dispositions et, à titre personnel, je n’y suis pas favorable.

M. Yves Goasdoué. Je ne pense pas que, aujourd’hui, le ministère de la justice ne soit pas demandeur : une réflexion a été menée sur ce point et des évolutions sont intervenues. Il ne nous semble pas opportun de maintenir le service du renseignement pénitentiaire en dehors de la communauté du renseignement. C’est pourquoi le groupe Socialiste, républicain et citoyen est favorable à l’amendement CL219 de M. Pietrasanta.

M. le rapporteur. Il s’agit, non pas d’intégrer le renseignement pénitentiaire dans la communauté du renseignement, qui comprend les six services du premier cercle, mais de donner la possibilité à l’administration pénitentiaire d’avoir recours directement à certaines techniques de renseignement. Par ailleurs, non seulement l’administration du ministère de la justice était, je crois, demandeuse de cette mesure, mais le garde des Sceaux actuel avait déposé un amendement en ce sens lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement.

Mme Sandrine Mazetier. La garde des Sceaux de l’époque n’y était pas favorable !

M. le rapporteur. Je n’ai parlé que de l’administration du ministère et de l’actuel garde des Sceaux.

En outre, un amendement similaire avait été adopté par notre Commission, puis en séance publique – je l’avais moi-même voté. Je ne vois donc pas pourquoi je serais défavorable à ces amendements sur le principe. Je suggère cependant à M. Goujon de retirer l’amendement CL35, sachant que je donnerai un avis favorable aux trois amendements identiques, dont deux portent sa signature.

M. Philippe Goujon. Je retire l’amendement CL35.

Mme Sandrine Mazetier. Je rappelle à toutes fins utiles que, lors des débats sur le projet de loi relatif au renseignement, un amendement similaire a en effet été adopté en séance publique, mais qu’il l’a été contre l’avis du Gouvernement, représenté alors par le ministre de l’intérieur.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Pour ma part, je ne voterai pas ces amendements. Je me rappelle très bien le débat que nous avons eu sur ce point : la garde des Sceaux de l’époque avait expliqué de manière précise et argumentée la nécessité de ne pas faire un camaïeu des différents services de renseignement en y incluant, comme si c’était naturel, les services de la justice. Elle avait notamment insisté sur le fait qu’il ne fallait pas transformer le métier de gardien de prison et que le bureau du renseignement pénitentiaire était une unité spécialement constituée qui pouvait, en relation avec les services, effectuer un renseignement efficace au sein des établissements pénitentiaires. Tout le monde est d’accord pour qu’un tel renseignement existe dans ces établissements, mais transformer le métier de la pénitentiaire en y incluant le renseignement n’est ni utile ni conforme à une saine pratique des institutions de la République.

M. Yves Goasdoué. Mme Bechtel a raison ; j’étais présent lors du débat qu’elle a évoqué. Mais, une fois n’est pas coutume, je ne suis pas entièrement d’accord avec elle. En effet, il ne s’agit pas de mélanger les fonctions, mais de permettre à un service dédié, rattaché à l’administration pénitentiaire, d’avoir, dans le cadre du « deuxième cercle », des rapports plus simples et juridiquement encadrés avec les autres services de renseignement. Nous nous plaignons tous du manque de fluidité de l’information dans ces services ; le moment est venu de remédier à cette situation.

M. Éric Ciotti. Si j’ai déposé l’amendement CL16, c’est parce que la prison, qui est un lieu de radicalisation, peut être aussi, pour les services, un lieu de détection et de prévention de la commission de crimes et de délits terroristes. Il est donc essentiel de rattacher les services de l’administration pénitentiaire à la communauté du renseignement et de faire en sorte que cette administration puisse recourir aux techniques de renseignement. Du reste, l’ancien président de notre Commission et actuel garde des Sceaux s’est beaucoup battu, hélas sans succès, en faveur de cette intégration, qui ne peut qu’améliorer nos dispositifs de sécurité.

M. Sébastien Pietrasanta. Je veux tout d’abord rappeler que, depuis l’adoption de la loi sur le renseignement, le bureau du renseignement pénitentiaire a été doté de moyens humains et financiers supplémentaires, de sorte qu’il est devenu un véritable service de renseignement. Par ailleurs, il est nécessaire de faciliter la fluidité et la transversalité des relations entre les différents services de renseignement. Enfin, il s’agit d’intégrer le renseignement pénitentiaire, non pas dans la communauté du renseignement, mais dans le deuxième cercle. Il est évident que la détection de la radicalisation dans les prisons est un enjeu primordial en matière de lutte contre le terrorisme. Or les amendements dont nous discutons visent à la faciliter. J’espère donc qu’ils seront adoptés.

L’amendement CL35 a été retiré.

La Commission adopte les amendements identiques CL16, CL219 et CL221. L’article 4 ter est ainsi rédigé.

Puis elle est saisie de l’amendement CL36 de M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Cet amendement en reprend un autre qui avait été déposé sur le projet de loi relatif au renseignement par l’actuel président de notre Commission et qui, hélas, n’a pas été préservé au cours de la navette parlementaire. Un détenu pouvant tenter de radicaliser ses codétenus par le vecteur de la correspondance, il est proposé de permettre la retenue de celle-ci en cas de « pressions graves ou réitérées sur autrui en faveur d’une religion, d’une idéologie ou d’une organisation violente ou terroriste ». Cet amendement a également pour objet d’introduire, à l’article 35 de la loi pénitentiaire, un nouveau cas de refus de permis de visite en permettant au chef d’établissement, sur décision motivée, de refuser d’accorder un permis de visite ou de retirer celui-ci à des personnes extérieures en cas de prosélytisme avéré en faveur de mouvements ou d’actions tendant à favoriser la violence ou le terrorisme.

M. le rapporteur. Avis défavorable. L’article 35 de la loi pénitentiaire de 2009 prévoit déjà des motifs suffisamment larges et généraux susceptibles de justifier le refus de délivrer un permis de visite. Quant au contrôle des correspondances écrites, il est autorisé à l’article 40 de la même loi.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL3 de M. Éric Ciotti et CL38 de M. Philippe Goujon.

M. Éric Ciotti. L’amendement CL3 vise à autoriser la fouille des visiteurs et des détenus dans les établissements pénitentiaires. Lorsque nous l’avons auditionnée dans le cadre de la commission l’enquête sur les filières djihadistes, la directrice de l’administration pénitentiaire a indiqué qu’en 2014, environ 27 000 téléphones portables avaient été saisis dans les établissements pour peines et les maisons d’arrêt. Ce chiffre révèle la porosité de ces établissements. Il faut donc revenir sur la restriction des possibilités de fouiller les détenus, qui fait peser des menaces importantes sur le personnel pénitentiaire, auquel je veux rendre hommage pour le travail remarquable qu’il accomplit. Cette mesure de sécurité correspond, du reste, à l’une de ses revendications fortes et légitimes. On sait en effet que l’introduction d’objets, notamment de téléphones portables, dans les établissements pénitentiaires permet de maintenir la continuité de certains réseaux de délinquance, qui s’organisent depuis la prison ; ce fut notamment le cas, hélas ! dans certaines affaires de terrorisme. Nous devons donc, en particulier en cette période de menaces extrêmes et afin de lutter contre le terrorisme et la délinquance générale, revenir sur les dispositions inopportunes de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009. Je précise, à ce propos, que je n’ai pas voté cette loi et que je m’étais fortement opposé à son article 57, qui me paraît contraire au pragmatisme dont il faut faire preuve pour assurer la sécurité en prison.

M. le rapporteur. La prolifération du nombre de téléphones portables en milieu carcéral est un véritable sujet de préoccupation, mais il n’est pas nécessaire de modifier la loi sur ce point. En effet, le droit en vigueur, notamment la loi de 2009, permet les fouilles en cas de présomption d’une infraction ou en raison des risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Je rappelle, en outre, qu’en 2007, notre pays a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme, dans l'affaire « Frérot contre France », au motif que si les fouilles peuvent être justifiées par des considérations de sécurité, elles doivent cependant demeurer nécessaires et proportionnées au regard de leurs finalités.

Si des téléphones portables sont introduits dans les prisons, c’est davantage par manque de moyens humains pour faire appliquer la loi actuelle que par manque de moyens juridiques. La volonté politique et des moyens humains supplémentaires devraient donc permettre de régler le problème, sans qu’il soit besoin de nous mettre en difficulté par rapport aux conventions que nous avons signées.

M. Alain Tourret. Un tel amendement soulève deux problèmes. Tout d’abord, le terme de « visiteur » est extrêmement vague. Un enseignant, un avocat ou un député qui se rend en prison doit-il être considéré comme un visiteur et faire l’objet, à ce titre, d’une fouille systématique ? Pourquoi ne pas revenir, dans ce cas, sur la suppression des fouilles corporelles intégrales que nous avions votée dans la loi sur la présomption d’innocence ?

Ensuite, il conviendrait, si nous devions rétablir ces fouilles, de faire la différence entre ceux qui sont présumés innocents et ceux qui sont reconnus coupables, car ce n’est tout de même pas la même chose ! En tout état de cause, une telle mesure serait, selon moi, extraordinairement humiliante.

M. Georges Fenech. Monsieur le rapporteur, vous avez fait référence aux fouilles aléatoires, qui sont en effet toujours possibles. Mais cet amendement vise à rétablir les fouilles systématiques à chaque parloir. Je ne comprends pas que l’on puisse hésiter à adopter un tel amendement, car on sait très bien que la radicalisation se fait surtout en prison et par internet. Or, le téléphone portable offre un accès à internet et, par voie de conséquence, à la propagande de l’État islamique. Dans la période actuelle, le rétablissement des fouilles systématiques serait donc une mesure protectrice et préventive tout à fait indispensable : on ne peut pas continuer à laisser entrer dans les établissements pénitentiaires quelque 24 000 téléphones portables par an, surtout lorsque l’on sait que certains des attentats dont la France a été victime en 2015 auraient été cordonnés – je n’ai pas d’informations plus précises sur ce point – depuis des prisons à l’aide de téléphones portables. Encore une fois, et peu importent les recommandations européennes, il est absolument nécessaire de rétablir des fouilles systématiques avant les parloirs.

M. Philippe Goujon. Il convient de distinguer les fouilles aléatoires des fouilles systématiques. Le rapporteur a raison : les premières sont possibles. Mais l’amendement CL38 vise à rétablir les fouilles systématiques. En effet, plusieurs directeurs d’établissements nous l’ont dit : s’ils pratiquent de telles fouilles sur des détenus condamnés pour terrorisme, ces derniers porteront plainte et l’administration pénitentiaire leur recommandera de ne plus pratiquer ces fouilles. Par ailleurs, depuis l’application de la loi pénitentiaire, le nombre de téléphones portables interceptés a presque triplé. Une augmentation aussi considérable montre combien il est nécessaire de rétablir les fouilles systématiques.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CL39 de M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Il s’agit de donner une base légale à l’installation de la vidéo-protection dans les parloirs ordinaires, qui sont non seulement le point d’entrée privilégié des substances ou objets interdits en détention, mais aussi le lieu où les détenus – ce fut le cas notamment de Mohammed Merah – peuvent être approchés par des visiteurs extérieurs.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Il est inutile d’en dire davantage…

La Commission rejette l’amendement.

Chapitre II – Dispositions renforçant la protection des témoins

Article 5 (art. 306-1 et 400-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Audition de témoins à huis clos en cas de risques graves de représailles en matière de crimes contre l’humanité ou d’infractions graves

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL261 du rapporteur.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL355 du rapporteur, CL72 de M. Georges Fenech et CL158 de Mme Élisabeth Pochon.

M. le rapporteur. L’amendement CL355 vise à supprimer les menaces psychiques des critères devant être réunis pour la protection des témoins.

M. Georges Fenech. L’amendement CL72 a le même objet ; il est défendu.

L’amendement CL158 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL355.

En conséquence, l’amendement CL72 tombe.

La Commission adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

La Commission est saisie de l’amendement CL40 de M. Philippe Goujon, portant article additionnel après l’article 5.

M. Philippe Goujon. Il s’agit de supprimer la condition des cinq années d’existence prévue par le code de procédure pénale pour permettre à une fédération d’associations de victimes d’attentats de se porter partie civile lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. Nous entendons ainsi répondre à une demande exprimée par les victimes des attentats du 13 novembre, qui souhaitent être réunies dans une association constituée spécialement pour leur défense en raison de la spécificité du traumatisme subi.

M. Alain Tourret. Je suis très réticent. L’action publique appartient essentiellement au procureur de la République. Nous risquons de voir des dizaines, voire des centaines d’associations se constituer partie civile, si bien qu’un ou deux avocats défendent le prévenu, contre 100 ou 150 pour les parties civiles. Cela déséquilibre totalement les procès, comme on a pu le constater dans l’affaire Papon.

M. Georges Fenech. Entendons-nous bien. Nous parlons de plusieurs associations représentant un grand nombre de victimes des derniers attentats qui se heurtent à des difficultés considérables pour faire valoir leurs droits, que ce soit au niveau administratif ou judiciaire. Il est évident que l’association joue, en l’espèce, un rôle extrêmement utile. Au demeurant, je rappelle que les associations qui défendent les victimes de catastrophes naturelles n’ont pas besoin de justifier de cinq ans d’existence pour ester en justice. Nous devons donc permettre aux associations – je pense notamment à l’association « 13 novembre : fraternité et vérité » – de jouer un rôle utile auprès des milliers de victimes qui souhaitent être ainsi représentées. C’est pourquoi je soutiens cet amendement avec conviction.

M. Sébastien Pietrasanta. Cet amendement va dans le bon sens, dans la mesure où il répond aux attentes des victimes d’attentats, en particulier celles des attentats de l’année 2015 – que nous avons auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrrorisme –, dont les associations n’avaient, par définition, pas d’existence légale il y a quelques mois. Je suis donc favorable, à titre personnel, à cet amendement, mais je pense que la rédaction devra en être améliorée – éventuellement en lien avec les services du garde des Sceaux, qui est sensible à cette question – d’ici à l’examen du texte en séance publique, afin de caler la mesure sur le dispositif prévu en matière de catastrophe naturelle. En tout état de cause, il me paraît important d’adresser ce signal à ces associations et à ce collectif.

M. le rapporteur. Je partage l’état d’esprit des auteurs de l’amendement. Je crois que les choses ne doivent pas rester en l’état, mais qu’il ne faut pas non plus ouvrir les vannes. Or, la rédaction de l’amendement présente ce travers. Je m’engage donc à élaborer avec ses auteurs un dispositif similaire à celui qui existe pour les victimes de catastrophes naturelles, afin de satisfaire les attentes des associations représentatives de victimes d’attentats tout en évitant que le premier venu qui ne représenterait que lui-même puisse agir en justice en créant une association représentative des victimes. Je suggère donc à M. Goujon de retirer son amendement, et je lui propose, s’il le souhaite, que nous rédigions ensemble, avec M. Pietrasanta, un amendement commun. Je sais que, si nous parvenons à bien définir son champ d’application, le Gouvernement ne s’y opposera pas.

M. Philippe Goujon. Je fais confiance au rapporteur pour que la collaboration qu’il nous propose permette de remédier aux problèmes considérables que rencontrent ces associations pour ester en justice.

L’amendement CL40 est retiré.

Article 6 (art. 706-62-1 et 706-62-2 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Protection de l’identité et de la sécurité des témoins s’exposant à des risques graves de représailles dans certaines affaires (identification par un numéro, attribution d’une identité d’emprunt)

La Commission examine l’amendement CL180 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à permettre l’articulation du nouveau dispositif prévu par le présent article avec l’article 706-58 du code de procédure pénale, qui prévoit déjà une protection des témoins.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Il n’est pas nécessaire d’articuler les dispositions relatives à l'identification du témoin par un numéro avec celles qui sont relatives au témoignage anonyme, car ces deux dispositifs n'interviennent pas au même stade de la procédure et n'ont pas la même portée. En effet, la protection instaurée au nouvel article 706-62-1 du code de procédure pénale ne concerne que l'anonymisation, par l'attribution d'un numéro, de l'identité des témoins protégés, et ce uniquement dans les documents susceptibles d'être rendus publics ou au cours des audiences publiques, où les parties connaissent l'identité réelle du témoin. En revanche, les dispositions de l'actuel article 706-58 du même code relatives au témoignage anonyme prévoient la possibilité de recourir à la déposition sous X d'une personne s'exposant à de graves risques de représailles tout au long de la procédure – les parties ignorant dans ce cas qui est le témoin, sauf décision de levée de l'anonymat.

L’amendement CL180 est retiré.

La Commission passe à l’amendement CL159 de Mme Élisabeth Pochon.

Mme Élisabeth Pochon. Cet amendement vise à porter de trois à cinq ans d’emprisonnement le quantum minimum de la peine visée par une procédure ouvrant droit à l’anonymisation des témoins protégés.

M. le rapporteur. Je suis attaché à ce que les délais prévus soient peu ou prou les mêmes dans toutes les circonstances. Or, le critère d’un crime ou d’un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement figure déjà à l’article 706-58 du code de procédure pénale prévoyant le témoignage sous X. De plus, le nouveau dispositif de témoignage sous numéro n’est pas attentatoire aux droits de la défense dans la mesure où, à la différence du témoignage anonyme, l’avocat de la défense connaîtra l’identité du témoin en question. En conséquence, il apparaît à la fois cohérent et nécessaire de retenir un seuil équivalent à celui qui existe pour le témoignage sous X, lequel est le plus susceptible de porter atteinte aux droits de la défense. Je vous propose donc de retirer cet amendement.

L’amendement CL159 est retiré.

La Commission examine les amendements identiques CL177 de M. Sergio Coronado et CL262 de M. le rapporteur.

M. Sergio Coronado. Nul ne conteste l’utilité du témoignage sous X, qui peut contribuer à protéger des témoins pouvant être soumis à des menaces. Il pose toutefois plusieurs problèmes pour l’exercice des droits de la défense car il ne permet pas aux accusés de repousser des témoignages litigieux. Dès lors, la possibilité de témoigner sous X en cas de risque d’atteinte à l’intégrité psychique est problématique, cette notion étant très large. Cet amendement vise à restreindre le témoignage sous X aux cas de mise en danger grave. Cette précision figure d’ailleurs à l’alinéa 3 de l’article 5 et à l’alinéa 7 du présent article.

M. le rapporteur. Avis favorable : je présente un amendement CL262 identique.

La Commission adopte les amendements identiques.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL178 de M. Sergio Coronado et CL263 de M. le rapporteur, ainsi que l’amendement CL160 de Mme Élisabeth Pochon.

M. Sergio Coronado. L’amendement CL178 vise à supprimer la notion de risque d’atteinte à l’intégrité psychique.

M. le rapporteur. L’amendement CL262 est identique.

Mme Élisabeth Pochon. L’amendement CL160 est défendu.

La Commission adopte les amendements CL178 et CL163.

En conséquence, l’amendement CL160 tombe.

Puis la Commission adopte l’amendement rédactionnel CL264 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL179 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser que le magistrat ne peut décider le témoignage sous X qu’après avoir recueilli les observations des parties.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Comme je l’ai déjà indiqué, le nouveau dispositif de témoignage sous numéro n’est pas attentatoire aux droits de la défense dans la mesure où, à la différence du témoignage anonyme, l’avocat de la défense connaîtra l’identité du témoin sous numéro. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de demander le recueil préalable des observations des parties.

L’amendement CL179 est retiré.

La Commission adopte les amendements rédactionnels CL265 et CL266 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL107 de M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Cet amendement vise à ce que les infractions pénales prévues à cet article ne s’appliquent pas aux avocats dans l’exercice des droits de la défense, ce qui me semble légitime.

M. le rapporteur. Je partage votre préoccupation visant à concilier l’exercice des droits de la défense avec la nécessaire protection des témoins qui s’exposent à de graves risques de représailles et dont l’identité est pour cette raison remplacée par un numéro d’identification au cours des audiences publiques ou dans les jugements rendus publics. Toutefois, votre proposition conduirait de facto à amoindrir la portée de la mesure de protection, à priver ainsi le témoin protégé d’une garantie importante et, in fine, à vider de sa substance le mécanisme de protection.

La divulgation de l’identité du témoin ou des informations permettant son identification n’est pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense dans la mesure où les parties – défense comprise – en ont déjà connaissance ; seul le public ignore l’identité réelle du témoin. Dès lors, la protection instituée par le nouvel article 706-62-1 du code de procédure pénale constitue une mesure par essence bien plus favorable aux droits de la défense que le témoignage anonyme, lequel empêche, sauf exception, de connaître l’identité du témoin. Il ne faut pas selon moi aller au-delà.

M. Philippe Houillon. Autrement dit, la défense n’est plus libre !

M. le rapporteur. Elle n’est pas libre d’amoindrir un dispositif que nous souhaitons protecteur pour les témoins, en effet.

La Commission rejette l’amendement CL107.

Puis elle adopte l’amendement de coordination rédactionnelle CL368, l’amendement de précision CL268 et les amendements rédactionnels CL269, CL267 et CL270 à CL277 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 6 modifié.

Chapitre III – Dispositions améliorant la lutte contre les infractions en matière d’armes et la cybercriminalité

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL278 rectifié du rapporteur modifiant l’intitulé du chapitre III.

Article 7 (art. L. 312-3, L. 312-3-1 [nouveau], L. 312-4, L. 312-4-1 et L. 312-16 du code de la sécurité intérieure) : Renforcement du contrôle administratif de l’acquisition et de la détention d’armes

La Commission adopte les amendements rédactionnels CL279 à CL282 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Article 8 (art. 706-55, 706-73 et 706-106-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Renforcement des moyens d’investigation judiciaire en matière de lutte contre le trafic d’armes

La Commission examine l’amendement CL181 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à réserver l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, aux délits pour lesquels une peine de prison est encourue. Cette année, le nombre d’inscriptions aux différents fichiers a explosé. En l’espèce, est notamment concerné le délit prévu au deuxième alinéa de l’article 322-1 du code pénal. En effet, il semble disproportionné de permettre cette inscription dans les cas d’infractions qui ne sont punies d’aucune peine de prison.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous souhaitez limiter l’inscription au FNAEG aux seules traces génétiques de personnes définitivement condamnées pour une infraction punie d’une peine de prison et, en particulier, exclure du champ de cette mesure certaines dégradations de biens comme le fait de tracer des inscriptions, des signes et des dessins sans autorisation sur des façades, des véhicules, des voies publiques ou du mobilier urbain, lorsqu’il en est résulté un dommage léger.

Les infractions justifiant l’inscription de traces ou d’empreintes génétiques au FNAEG ne sont pas déterminées en fonction de la peine encourue mais de leur nature et des nécessités liées à l’identification et à la recherche de leurs auteurs. De ce seul point de vue, l’infraction mentionnée au second alinéa de l'article 322-1 est indivisible de l'incrimination pénale de destruction, dégradation, ou détérioration d'un bien appartenant à autrui.

La liste des infractions figurant à l'article 706-55 du code de procédure pénale a récemment été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil a considéré d’une part « qu'outre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, toutes ces infractions [portaient] atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, [incriminaient] des faits en permettant la commission ou ceux qui en tirent bénéfice » et « que pour l'ensemble de ces infractions, les rapprochements opérés avec des empreintes génétiques provenant des traces et prélèvements enregistrés au fichier [étaient] aptes à contribuer à l'identification et à la recherche de leurs auteurs », et, d’autre part, « que la liste prévue par l'article 706-55 [était] en adéquation avec l'objectif poursuivi par le législateur et que cet article ne [soumettait] pas les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire et ne [portait] atteinte à aucun des droits et libertés » constitutionnellement protégés.

J’émets donc un avis défavorable à cet amendement, même si je n’exclus pas d’envisager l’évolution de la liste des délits inscriptibles au FNAEG ; nous verrons d’ici au débat en séance si cette réflexion a pu progresser.

M. Sergio Coronado. Je vous invite à y réfléchir, en effet, car ce débat est déjà ancien. Presque toutes les actions syndicales ou revendicatives entrent dans le champ de la mesure.

M. le rapporteur. C’est précisément sur cette question que je souhaite travailler, monsieur Coronado, mais cela ne peut se faire au moyen de votre amendement, car il efface tout, en quelque sorte.

M. Sergio Coronado. Soit, mais j’ai déjà eu l’occasion de faire cette proposition en défendant un amendement à une proposition de loi déposée par M. Marc Dolez, qui avait initialement reçu l’aval du groupe majoritaire et du Gouvernement avant que le ministre compétent se rétracte le matin même sur une station de radio. Je ne fais qu’utiliser les « véhicules » dont je dispose. La proposition de loi en question était consacrée à ce que d’aucuns ont appelé une « amnistie » syndicale et politique ; elle visait à progresser en la matière. Le Gouvernement ne l’a pas souhaité in extremis ; qu’il change d’avis d’ici à la séance serait une excellente nouvelle.

M. le rapporteur. Évitons toute confusion entre la recherche que j’envisage, dont je ne saurais garantir à ce stade qu’elle aboutira et qui porte sur l’avenir, et le texte auquel vous faites référence qui concernait le passé. Cela étant, la préoccupation qui inspire votre amendement – auquel je demeure toutefois défavorable – concernant certains délits susceptibles d’être inscrits au FNAEG ne m’est pas étrangère, et je chercherai un moyen d’y remédier à l’avenir, notamment en matière de liberté syndicale.

M. Jean-Luc Warsmann. Le développement du FNAEG n’est pas un recul, bien au contraire : c’est un immense progrès. Rien ne doit être fait pour y porter atteinte, car ce fichier est un outil de recherche des auteurs d’infractions. Tant qu’il demeurera aussi prudent sur ce point, je soutiendrai le rapporteur ; l’amendement qui nous est proposé, en effet, est tout à fait inacceptable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement de simplification CL283 de M. le rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL182 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement, dont vous constaterez la cohérence avec les précédents, vise à empêcher que soient conservées les empreintes génétiques des personnes suspectées, poursuivies ou condamnées pour des délits d’atteinte aux biens – destructions, dégradations, détériorations ou menaces –, de violation de domicile ou d'atteinte à un système de traitement automatisé des données, quand ces délits ont été commis à l’occasion de conflits du travail, d’activités syndicales et revendicatives ou de mouvements collectifs revendicatifs relatifs aux problèmes liés au logement, à l’environnement, aux droits humains, à la santé, à l’éducation, à la culture, à la lutte contre les discriminations, aux langues régionales, au maintien des services publics et aux droits des migrants.

S’il est en effet légitime d’inclure dans le FNAEG les personnes suspectées de crimes ou de délits graves, notamment d’infractions sexuelles – qui ont justifié la création du fichier en premier lieu – afin d’en faciliter l’élucidation, il semble peu opportun, voire dangereux, de procéder au fichage génétique systématique de militants politiques et syndicaux. Si le prélèvement peut être utile à l’enquête, sa conservation n’est pas souhaitable, car elle s’apparenterait à un fichage génétique des militants politiques et syndicaux. Ces militants agissent en plein jour et à visage découvert. Ils assument et revendiquent leurs actes ; leur identification ne présente donc aucune difficulté.

M. le rapporteur. Nous venons d’avoir ce débat et mon avis demeure défavorable. Cependant, cet amendement cible plus particulièrement un sujet qui m’intéresse et que nous allons étudier de plus près.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL183 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à abroger une disposition qui semble contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH. En effet, le III de l’article 706-56 prévoit le retrait de plein droit de toutes les réductions de peine et interdit l’octroi de toute nouvelle réduction pour les personnes condamnées ayant refusé le fichage de leur ADN, en contradiction avec le principe d’individualisation des peines.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Votre raccourci me semble rapide : c’est la cour d’appel de Pau – pour laquelle j’ai le plus grand respect par ailleurs – qui estime que cette disposition est contraire à la jurisprudence de la CEDH ; ce n’est pas l’avis du Conseil constitutionnel qui l’a considérée conforme à notre Constitution.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de simplification CL284 et les amendements rédactionnels CL285 à CL288 du rapporteur.

Elle examine l’amendement CL217 de Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. M. le rapporteur peut-il nous préciser si l’autorisation d’acquérir des armes prévue au présent article est ponctuelle et délivrée pour telle ou telle transaction délictuelle ou, au contraire, de portée générale et destinée à couvrir l’ensemble de la mission de l’agent ? Si c’est le cas, cet amendement vise à préciser que les armes acquises font l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité en ayant autorisé l’acquisition. Il ne pourrait donc être question d’accorder une immunité pour des faits délictuels qui seraient délibérément cachés à l’autorité judiciaire.

M. le rapporteur. La technique du « coup d’achat » en matière de trafic d’armes – comme en matière de trafic de stupéfiants – est mise en œuvre dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, sous l’autorité, la direction et le contrôle du procureur de la République dans le premier cas et du juge d’instruction dans le second. Il n’est donc pas nécessaire de prévoir un dispositif de déclaration des armes acquises, qui serait concrètement très lourd pour les services concernés. La technique du « coup d’achat » est strictement encadrée par l’article 8 du projet de loi, puisqu’il y est expressément mentionné que « les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction ». Je vous propose donc de retirer cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement CL217 est retiré.

La Commission adopte l’article 8 modifié.

Article 9 (art. L. 317-4, L. 317-5, L. 317-7 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure et art. L. 2339-10 du code de la défense) : Renforcement de la répression pénale de certains faits de trafic d’armes

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL289, l’amendement de simplification CL290 et l’amendement de coordination CL291 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Article 10 (art. 67 bis – et 67 bis-1 du code des douanes) : Extension de certaines techniques spéciales d’enquête des douanes au trafic d’arme (infiltration et « coup d’achat »)

La Commission adopte les amendements rédactionnels CL292 et CL293 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 10 modifié.

Article 11 (art. 113-2-1 [nouveau] du code pénal et art. 43, 52, 382 et 706-73-1 du code de procédure pénale) : Modification des règles de compétence des juridictions en matière de « cybercriminalité »

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL294, l’amendement de précision CL295 et l’amendement de clarification rédactionnelle CL296 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL184 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Le délit d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données commis en bande organisée, prévu à l’article 323-4-1 du code pénal, a été créé par une loi de novembre 2014, et les amendes ont été alourdies par la loi sur le renseignement. Or, l’article 706-72 du code de procédure pénale prévoit déjà que de nombreuses dispositions du titre XXV du livre IV dudit code sont applicables à ce délit, à l’exception de la garde à vue spéciale et des perquisitions de nuit.

Rien ne me semble donc justifier une troisième modification du cadre législatif en deux ans, d’autant plus que le présent projet de loi ne revient pas sur l’article 706-72 précité.

M. le rapporteur. Avis défavorable. En l’état du droit, la poursuite, le traitement et le jugement des atteintes portées aux systèmes de traitement automatisé des données à caractère personnel mis en œuvre par l’État sont déjà soumis à la plupart des règles dérogatoires applicables à la criminalité organisée, à l’exception de la compétence des juridictions interrégionales spécialisées et des perquisitions de nuit. Ce sont ces deux nouvelles règles que le présent article applique à ces infractions.

Il aligne le régime procédural dérogatoire applicable à ces atteintes informatiques sur celui qui est prévu pour toutes les infractions de gravité comparable qui figurent à l'article 706-73-1 du code de procédure pénale. Rien ne justifiait en effet de leur appliquer des règles distinctes. Je rappelle que les infractions visées sont particulièrement graves: elles relèvent du cyberterrorisme, puisqu'elles portent sur des données informatiques détenues par l'État mais relatives à la vie privée des individus.

En revanche, il demeurera impossible d'appliquer à ces infractions les règles dérogatoires de la garde à vue prolongée, qui sont réservées aux seules infractions susceptibles de porter atteinte « à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Enfin, contrairement à ce que vous affirmez dans votre exposé sommaire, l’article 706-72 du code de procédure pénale, qui fixe actuellement les règles applicables à la poursuite de ces infractions, est bien abrogé par cohérence au V du présent article.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte les amendements de précision CL297 et CL298 et l’amendement de coordination CL299 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 11 modifié.

Chapitre IV – Dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

Article 12 (art. 421–2–7 [nouveau] du code pénal et art. 706–24–1 et 706–25–1 du code de procédure pénale) : Création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes

La Commission est saisie de l’amendement CL241 de Mme Colette Capdevielle, rapporteure.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Cet amendement vise à ajouter à l’alinéa 2 les mots « de transporter » au mot « transiter ».

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL185 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser les théâtres d’opérations concernés par le nouveau délit d’importation illégale de biens culturels afin que la liste en soit fixée par arrêté, et non par la jurisprudence.

Mme la rapporteure. Je comprends l’objectif de cet amendement, mais la définition de ces territoires a été adoptée en miroir de celle qui motive l’interdiction de sortie de territoire prévue à l’article L. 24-1 du code de la sécurité intérieure. Certes, on pourrait a priori croire nécessaire de fixer la liste des zones en question pour garantir la sécurité juridique du dispositif, mais les débats au Conseil d’État ont montré qu’il convient de conserver une certaine souplesse dans la définition de ces « théâtres d’opérations de groupements terroristes », et que ce n’est pas incompatible avec des garanties sérieuses : d’une part, la charge de la preuve repose naturellement sur l’accusation et, d’autre part, la personne poursuivie a la possibilité de prouver la licéité de l’origine du bien. Si l’amendement est maintenu, j’émettrai donc un avis défavorable.

M. Sergio Coronado. Je le maintiens : je suis d’accord pour que cette définition soit souple, mais pas aléatoire, ce qui serait le cas si elle se fondait sur la jurisprudence.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

Après l’article 12

La Commission examine les amendements identiques CL29 de M. Philippe Gosselin et CL49 de M. Pierre Morel-A -L’Huissier.

M. Philippe Gosselin. L’amendement CL29 est le premier d’une série qui porte sur le commerce illicite et le lien très souvent avéré qu’il entretient avec le terrorisme. Il faut en effet prévenir davantage la vente d’objets provenant d’actes de vol, de contrefaçon, de contrebande ou de fraude réalisée en violation de la réglementation propre à ces objets.

C’est pourquoi cet amendement vise à modifier l’article 131-21 du code pénal afin de faciliter la répression et de mieux cibler le dispositif en abaissant de cinq à trois ans d’emprisonnement le quantum de la peine au-delà de laquelle la charge de la preuve de la propriété est renversée.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le projet qui nous est soumis traite notamment des sources internationales de financement et des instruments assurant la circulation des fonds auxquels ont recours les mouvements terroristes. La lutte contre le commerce illicite passe nécessairement par des dispositifs efficaces de confiscation des biens issus du trafic. Dans plusieurs cas, la loi présume le lien entre l’infraction et le bien sur lequel porte la confiscation, de sorte que la preuve de l’origine licite de l’acquisition du bien repose sur la personne condamnée. Toutefois, dans sa rédaction actuelle, l’article 131-21 du code pénal applique ce mécanisme aux seules infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement lorsqu’elles ont procuré à leur auteur un profit direct ou indirect. L’amendement CL49 vise à assurer une plus grande efficacité répressive en l’élargissant à toutes les infractions dont la peine encourue est d’au moins trois ans d’emprisonnement.

Mme la rapporteure. Vous proposez d’élargir la peine complémentaire de confiscation à tous les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, au motif que cela permettrait d’inclure les délits de recel. Je vous rappelle néanmoins qu’en vertu de l’article 321-1 du code pénal, le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Autrement dit, votre intention est satisfaite puisque le recel est inclus dans les infractions visées. Je vous propose donc de retirer ces amendements, faute de quoi j’y serai défavorable.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques CL45 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier et CL111 de M. Philippe Gosselin.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. En droit, le commerce illicite ne fait pas l’objet d’une incrimination spécifique, ce qui semble préjudiciable à l’action des services d’enquête et à l’exercice de poursuites. L’amendement CL45 vise à y remédier.

M. Philippe Gosselin. L’amendement CL111 a le même objet : il est important de prévoir une incrimination spécifique pour le commerce illicite.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Vous souhaitez créer une infraction autonome de commerce illicite. Je rappelle néanmoins les termes de l’article 321-1 du code pénal : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ». La notion de recel permet déjà, selon moi, d’appréhender cette source de financement en incriminant tout à la fois la détention et la transmission des biens concernés. La vente illicite d’un objet relève bien de cette catégorie ; il n’est donc pas nécessaire de créer une nouvelle incrimination.

De surcroît, la question du commerce illicite dépasse les enjeux de lutte contre le financement du terrorisme même si, j’en conviens, il peut constituer l’une de ses sources de financement.

La Commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques CL46 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier et CL112 de M. Philippe Gosselin.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. L’amendement CL46 vise à créer une nouvelle circonstance aggravante au délit de recel prévu à l’article 321-1 du code pénal en visant expressément la vente comme une activité délictuelle. Le receleur qui revend ou qui fait commerce de produits obtenus frauduleusement encourrait ainsi une peine de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende.

M. Philippe Gosselin. L’amendement CL112 a le même objet. Cette mesure présente l’avantage d’adapter la répression du délit de recel à la réalité et à la gravité des réseaux structurés qui existent, et permettrait de mieux s’attaquer à l’économie criminelle.

Mme la rapporteure. La définition que donne le code pénal du recel est suffisamment large et permet d’inclure le commerce illicite. Il paraît donc inutile de prévoir que la vente constitue un délit aggravant, puisqu’elle est l’un des éléments constitutifs du délit de recel.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CL28 de M. Philippe Gosselin et CL48 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Philippe Gosselin. L’amendement CL28 vise à abaisser de cinq à trois ans la peine maximale encourue pour que le délit de non-justification de ressources s’applique, de sorte que de nombreuses situations délictuelles qui échappaient jusqu’à présent à la répression pourront désormais être appréhendées par la justice.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL48 est défendu.

Mme la rapporteure. Ces amendements me semblent n’avoir qu’un rapport assez lointain avec le projet de loi, car ils ne visent pas spécifiquement des infractions qui financent le crime organisé ou le terrorisme. L’article 321-6 du code pénal punit déjà d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien détenu. Est puni des mêmes peines le fait de faciliter la justification de ressources fictives. Dès lors, il me paraît tout à fait prématuré d’aggraver comme vous le proposez les sanctions sans justification particulière, alors même que les juges ne prononcent que rarement les peines maximales.

La Commission rejette les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques CL26 de M. Philippe Gosselin et CL52 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Philippe Gosselin. Pour démontrer une fois de plus le lien qui existe entre la contrefaçon et le terrorisme, l’amendement CL26 vise à ajouter le délit de contrefaçon en bande organisée à la liste des actes de terrorisme au sens de l’article 421-1 du code pénal.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL52 est défendu.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. L’article 421-1 du code pénal permet d’incriminer les actes terroristes, notamment les atteintes volontaires à la vie, mais aussi les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires. La qualification d’« acte terroriste » entraîne l’application d’un certain nombre de règles dérogatoires tenant à la spécificité des juridictions, concernant la prescription et les enquêtes sous pseudonyme, par exemple.

L’application de ces règles aux délits de contrefaçon en bande organisée qui, bien qu’ils puissent contribuer au financement du terrorisme, sont fondés sur un élément matériel et relèvent d’un trafic qui n’est pas susceptible de porter atteinte en lui-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes peut soulever de graves difficultés constitutionnelles au regard de la proportionnalité qu’il convient de respecter entre la gravité et la complexité des infractions et les mesures d’enquête. Je rappelle en outre que la législation actuelle permet déjà d’incriminer de manière substantielle le délit de contrefaçon.

M. Philippe Gosselin. Certes, mais nous visons là le délit de contrefaçon en bande organisée.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CL30 de M. Philippe Gosselin et CL50 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Philippe Gosselin. L’amendement CL30 est défendu.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL50 l’est également.

Mme la rapporteure. Avis défavorable : l’extension de la peine complémentaire de confiscation aux délits punis d’une peine de cinq ans d’emprisonnement est disproportionnée.

Mme Cécile Untermaier. Nous suivrons naturellement l’avis de la rapporteure sur ces amendements, mais nous estimons que la contrefaçon est un élément majeur du financement du terrorisme, comme la vente illicite de biens culturels. Sans doute serait-il opportun d’envisager d’ici la séance comment cibler cette source de financement.

M. Philippe Gosselin. Je remercie Mme Untermaier de souligner ce point, car la lutte contre la contrefaçon est un objectif partagé sur tous les bancs. Je rappelle que la loi relative à la contrefaçon de 2007 a été adoptée à l’unanimité, de même que la loi de 2014. Il s’agit d’un véritable fléau dont le lien avec le financement du terrorisme et des réseaux mafieux – qui ne sont pas tous terroristes – est de plus en plus avéré. C’est un vrai pillage qui dépasse les seules atteintes à la propriété intellectuelle et industrielle.

J’apprécie donc beaucoup que la majorité et l’opposition s’associent sur ce sujet, et je participerai volontiers aux travaux qui permettront de formuler en séance une proposition sérieuse et susceptible d’envoyer un véritable signal opérationnel.

Mme la rapporteure. Vous avez raison, monsieur Gosselin, mais il existe déjà des sanctions à la disposition des juges.

M. Philippe Gosselin. J’en conviens, mais il faut aller au-delà et envoyer un message ciblé.

Mme Untermaier. En effet, le recel n’est pas la contrefaçon.

Mme la rapporteure. La contrefaçon est déjà incriminée ; or, les juges ne prononcent pas toujours les peines maximales en la matière.

La Commission rejette les amendements.

Article 13 (art. L. 315–9 [nouveau] et L. 561–12 du code monétaire et financier) : Plafonnement des cartes prépayées et modalités de recueil d’information relatives à l’utilisation de ces cartes

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL229 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

La séance est levée à 13 heures.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

Il a été porté à la connaissance de la Commission que, à l’initiative de la direction générale de la gendarmerie nationale, des stages d’immersion dans diverses unités de la gendarmerie sont proposés à ses membres en métropole, à Mayotte et en Guyane.

Il a été indiqué que le Bureau de la Commission sera convoqué à l’issue de la semaine de suspension des travaux.

La Commission a désigné Mme Elisabeth Pochon, rapporteure sur les propositions de loi organique et ordinaire relatives à la modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle, en remplacement de M. Jean-Jacques Urvoas.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, M. Daniel Gibbes, Mme Françoise Guégot, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jacques Valax

Assistaient également à  la réunion. - M. Yann Galut, M. Alain Marsaud, M. Michel Ménard, M. Christophe Premat, M. Lionel Tardy, M. Jean-Pierre Vigier