Accueil > Travaux en commission > Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Jeudi 18 février 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 54

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Audition de M. Laurent Fabius, dont la nomination à la fonction de membre du Conseil constitutionnel a été proposée par le Président de la République

– Vote sur la proposition de nomination de M. Laurent Fabius, dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement

– Audition de Mme Corinne Luquiens, dont la nomination à la fonction de membre du Conseil constitutionnel a été proposée par le Président de l’Assemblée nationale

– Vote sur la proposition de nomination de Mme Corinne Luquiens, dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement

– Examen, en vue de sa lecture définitive, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (M. Erwann Binet, rapporteur)

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission procède à l’audition de M. Laurent Fabius, dont la nomination à la fonction de membre du Conseil constitutionnel a été proposée par le Président de la République.

M. le président Dominique Raimbourg. En application de l’article 56 de la Constitution, notre commission doit statuer sur la nomination des membres du Conseil constitutionnel. Dans ce cadre, nous recevons ce matin M. Laurent Fabius, dont la nomination au Conseil constitutionnel a été proposée par M. le président de la République.

M. Georges Fenech, rapporteur. Monsieur Fabius, notre commission doit se prononcer aujourd’hui sur votre nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de M. Jean-Louis Debré. Cette nomination est proposée par le Président de la République qui, si vous accédez à cette fonction, souhaite vous désigner président du Conseil constitutionnel.

Vous serez auditionné à onze heures par la commission des Lois du Sénat, qui rendra également un avis sur votre nomination. En application des articles 13 et 56 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à votre nomination si l’addition des votes négatifs dans chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Votre parcours politique, connu de tous, vous a conduit à exercer des responsabilités éminentes au service de l’État : ancien Premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale, vous avez occupé différents postes ministériels, dont celui de ministre des affaires étrangères jusqu’à l’annonce de votre possible nomination au Conseil constitutionnel, la semaine dernière.

Si celle-ci est confirmée, vous accéderez à la présidence d’une institution dont le rôle s’est profondément transformé et renforcé au fil du temps. La dernière de ces grandes évolutions est le développement de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), entrée en vigueur il y a six ans. Elle permet à toute personne de provoquer la saisine du Conseil constitutionnel, au cours d’une instance, si elle estime qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

La QPC occupe une part importante dans l’activité du Conseil constitutionnel : en 2014, sur 118 décisions rendues, 92 l’ont été en matière de contrôle de constitutionnalité, dont 68 QPC. Outre cela, la QPC a eu des conséquences sur la nature même du Conseil constitutionnel, de plus en plus « juridictionnalisé » et engagé dans un « dialogue des juges » avec la Cour de cassation et le Conseil d’État.

Je vous ai adressé la semaine dernière un questionnaire auquel vous avez bien voulu apporter des réponses écrites. Elles ont été transmises aux membres de la Commission et publiées sur le site internet de l’Assemblée nationale. Je retiens de ces réponses votre attachement aux règles relatives à l’indépendance et à l’impartialité des membres du Conseil constitutionnel, et votre intention, si votre nomination est confirmée, de vous déporter « dans tous les cas où cela sera nécessaire », par exemple pour les lois dont vous avez eu la charge en tant que ministre.

J’approuve par ailleurs la décision que vous avez prise de renoncer à vos fonctions de président de la COP 21 ; elles me paraissaient incompatibles avec la qualité de membre du Conseil constitutionnel.

Autre point marquant de vos réponses : vous n’êtes pas favorable à un bouleversement de nos traditions juridiques, qu’il s’agisse de l’hypothèse d’une Cour suprême unique, de la levée du secret du délibéré pour publier les opinions dissidentes ou d’une possible saisine pour avis du Conseil constitutionnel avant l’adoption de la loi.

S’agissant du contrôle de conventionalité, vous exprimez votre préférence pour la recherche d’une cohérence des contrôles opérés par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de cassation, plutôt que pour une évolution du rôle du Conseil constitutionnel l’amenant à exercer lui-même ce contrôle.

L’audition qui commence sera l’occasion d’approfondir cet échange.

M. Laurent Fabius. Je vous remercie de m’entendre, dans le cadre des textes. Puisque, comme l’a indiqué votre rapporteur, j’ai répondu aux questions qu’il a bien voulu me poser et que ces réponses ont été diffusées, je ne reviendrai pas d’emblée sur chacune d’elles, mais je suis à votre disposition pour le faire. Je mettrai plutôt l’accent sur d’autres points, et pour commencer sur ce que fut mon parcours, en insistant sur les épisodes intéressants au regard des fonctions auxquelles je serai nommé le cas échéant.

J’ai commencé ma carrière professionnelle au Conseil d’État. J’y ai appris le métier de juge pendant quatre années, avant d’être arraché à cette belle maison pour prendre des fonctions politiques. J’ai gardé de ces années intenses une formation au droit qui, si je suis désigné à ces nouvelles fonctions, me sera extrêmement utile.

J’ai aussi passé trente-huit ans à l’Assemblée nationale. J’ai été élu député pour la première fois en 1978, j’ai eu la chance d’être réélu, et j’ai eu le bonheur de présider deux fois votre maison. Eu égard aux décisions auxquelles je pourrais être associé, c’est une expérience irremplaçable. Au-delà, l’Assemblée nationale est le cœur de la démocratie. Le Conseil constitutionnel est une institution éminente, mais c’est ici que se fait la loi et il est utile de le garder en mémoire quand on traverse la Seine pour gagner le Palais-Royal.

Comme l’a rappelé votre rapporteur, le Conseil constitutionnel, pendant ces mêmes années, a connu une évolution profonde. À l’origine, dans l’esprit des rédacteurs de la Constitution de 1958, l’institution avait pour fonction principale, chacun le sait, de veiller à ce que le Parlement n’empiète pas trop sur l’exécutif. Ensuite ont eu lieu trois étapes décisives.

D’abord, avec la décision du 16 juillet 1971, le contrôle change de nature : il ne s’agit plus seulement de vérifier si la loi est conforme à tel article de la Constitution, mais aussi de juger de sa conformité avec le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et avec celui de la Constitution du 27 octobre 1946, et ainsi avec une série de droits et de libertés. Cette démarche est profondément novatrice.

Ensuite, la réforme de 1974 voulue par le président Giscard d’Estaing, en donnant la possibilité à soixante députés ou à soixante sénateurs de déférer une loi au Conseil constitutionnel, a rendues fondamentales les relations entre le Parlement et le Conseil constitutionnel — j’ai moi-même eu l’occasion de signer de tels recours. J’ai aussi, ès qualités, nommé deux membres du Conseil constitutionnel : M. Jacques Robert et Jean-Claude Colliard.

Enfin, la question prioritaire de constitutionnalité introduite par la réforme constitutionnelle de 2008 est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Il sera utile de dresser le bilan de cette procédure au terme d’une décennie — en 2018 peut-être ? —, mais les premières conclusions que l’on peut en tirer sont extrêmement positives.

Au terme de cette évolution, le Conseil constitutionnel est, sans aucun doute, devenu un organe juridictionnel ; il n’est pas seulement cela, mais il est cela aussi.

Vous avez pris connaissance de mes réponses au questionnaire de votre rapporteur, et je m’apprête à répondre aux questions que vous allez me poser — mais je sais d’expérience que, lorsque l’on est confronté au réel, certaines idées peuvent évoluer. Vous comprendrez d’autre part que je ne puisse prendre position sur des questions dont je pourrais être amené à délibérer.

M. le président Dominique Raimbourg. Je vous remercie. La parole est maintenant à ceux de mes collègues qui souhaitent vous interroger.

Mme Sandrine Mazetier. J’aimerais vous entendre préciser votre position sur l’évolution des missions et de l’activité du Conseil constitutionnel. Étant donné le nouvel article 61-1 de la Constitution, n’est-il pas temps pour le Conseil d’accepter d’opérer un contrôle de conventionalité ? Ne devrait-il pas, a minima, s’aligner sur le niveau de protection des droits fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ? D’autre part, le Conseil constitutionnel refuse depuis 1962 de contrôler les lois référendaires ; ne peut-on imaginer qu’il contrôle, ou qu’à tout le moins il examine, les décrets de convocation des électeurs à un référendum ?

M. Ibrahim Aboubacar. Les principes, droits et libertés consacrés dans le préambule de la Constitution de 1946 sont-ils, selon vous, inférieurs par nature à ceux consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? L’actualité de l’interrogation est d’autant plus nette que chacun aura noté la création, au sein du Gouvernement, d’un secrétariat d’État chargé de « l’égalité réelle ».

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Au nombre des questions écrites qu’il vous a posées, notre rapporteur vous a demandé si vous pensez opportun que le Conseil constitutionnel puisse être saisi pour avis par le pouvoir exécutif ou par le pouvoir législatif avant l’adoption d’un projet ou d’une proposition de loi. Vous écartez cette idée, rappelant le rôle du Conseil d’État en cette matière et arguant aussi d’un manque de moyens, les membres du Conseil constitutionnel étant au nombre de neuf seulement. Cependant, beaucoup de nos concitoyens, d’élus et même de juristes semblent avoir le sentiment que les deux institutions ont les mêmes fonctions. Que leur dire ?

Sur un autre plan, la tendance, en Europe, est à la construction du droit à partir de l’usage, sur le modèle de la common law anglo-saxonne ; en France, on part plutôt de principes auxquels on ajuste progressivement le monde. Qu’en pensez-vous ?

M. Laurent Fabius. Vous m’avez interrogé, madame Mazetier, sur l’opportunité d’un contrôle de conventionalité. Au stade actuel de ma réflexion, je pense que le système français en vigueur est pertinent. À la différence de ce qui vaut dans d’autres pays, nous avons deux ordres de juridiction — la juridiction judiciaire chapeautée par la Cour de cassation, la juridiction administrative par le Conseil d’État —, et le Conseil constitutionnel. Ailleurs, les structures juridiques sont différentes. À mesure que le droit international gagnait en importance, il a fallu trouver de nouvelles formules, tout en respectant la Constitution. C’est le contrôle de la constitutionnalité qui a été choisi et non le contrôle de la conventionalité — même si les juridictions judiciaires et administratives peuvent, d’une certaine manière, l’exercer.

Tout cela aboutit à ce qu’un grand juriste, M. Bruno Genevois, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, appelait le nécessaire « dialogue des juges », qu’il opposait au « Gouvernement des juges », voire à la paralysie des juges. Certains considèrent que, puisque le corpus des normes internationales augmente et qu’il peut y avoir des contradictions de jurisprudence, il faut évoluer. Le Conseil constitutionnel pourrait prendre une orientation différente, mais, en l’état présent de ma réflexion, j’invite à la prudence et je suis favorable au système actuel, à condition que le dialogue des juges soit pratiqué.

S’agissant du contrôle des lois référendaires et notamment du décret de convocation des électeurs, il existe une jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, mais, à ma connaissance, il n’y a pas eu de décision par laquelle le Conseil constitutionnel se prononce explicitement sur cette question. Nous verrons. Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel ne saurait considérer qu’une loi référendaire est une loi comme une autre. Il est exclu de revenir sur ce principe : quand le peuple français s’est prononcé, il y a une spécificité qui ne peut être remise en cause.

Non, monsieur Aboubacar, les principes consacrés dans le préambule de la Constitution de 1946 ne sont pas inférieurs à ceux que contient la Déclaration de 1789. Ils constituent, ensemble et sans hiérarchie, le bloc de constitutionnalité, et ont la même valeur juridique. C’est important, car, si la Déclaration de 1789 exprime des principes de portée générale, la Constitution de 1946 met l’accent sur certains droits sociaux.

Le Conseil constitutionnel pourrait-il être saisi pour avis par le pouvoir exécutif ou par le pouvoir législatif avant l’adoption d’un projet ou d’une proposition de loi ? Je vous livrerai, madame Le Dain, l’état de ma réflexion à cet instant, ce qui ne signifie pas que ma position soit définitivement arrêtée et que, si j’accède aux fonctions auxquelles certains me destinent, je doive m’y soumettre perinde ac cadaver, car il faut tenir compte de l’expérience. Lorsque le Gouvernement soumet pour avis un texte au Conseil d’État, ce dernier l’examine, et, si un recours est formé sur ce texte, il l’examine aussi. Mais on prend soin que les personnes appelées à se prononcer dans les deux cas ne soient pas les mêmes ; étant donné le nombre de conseillers d’État, cela ne présente pas de difficultés insurmontables. Je vois mal comment le Conseil constitutionnel, qui compte en tout neuf membres nommés et un membre de droit, pourrait être saisi pour avis sur un texte puis se prononcer sur une saisine contentieuse, à moins d’élargir sérieusement le nombre de ses membres ou de scinder le collège pour ces examens — mais ce serait contraire à la règle qui veut que toute décision soit prise par sept membres au moins.

Il se pose aussi une question de philosophie politique. Si le Conseil constitutionnel peut être saisi aussi bien avant l’adoption d’un projet ou d’une proposition de loi, qu’après que le texte a été adopté, la capacité d’initiative du Parlement n’en sera-t-elle pas bridée ? Enfin, une telle évolution ne réglerait en rien le problème des amendements. Je laisse la porte ouverte à la réflexion, mais, à la lumière de mon expérience de parlementaire, de président de l’Assemblée nationale et de ministre, cette suggestion ne suscite pas chez moi un enthousiasme spontané.

En ce qui concerne le développement de la common law, censée tenir compte de la réalité, il faut rappeler que la définition du courage selon Jaurès — « aller à l’idéal et comprendre le réel » — s’applique à de nombreuses fonctions, dont celle de membre du Conseil constitutionnel… D’ailleurs, dans certaines de ces décisions, le Conseil prend soin de noter « Compte tenu des circonstances » : si les circonstances changent, les décisions peuvent changer aussi.

Mais votre question, madame, appelle une réponse plus large. Jean-Louis Debré, ayant accompli un mandat remarquable, a dit dans son dernier discours quelles pistes d’avenir sont à explorer. Rien ne sert de changer pour changer, mais l’on peut se demander dans quelle direction le Conseil constitutionnel doit aller, et il me semble particulièrement important de favoriser le rayonnement du droit français à l’international. Ministre des affaires étrangères, je me suis interrogé sur ce qui fait le rayonnement de la France : son économie, sa défense, son histoire et sa langue, certes, mais aussi son droit. Il y a une concurrence entre le droit français et le droit anglo-saxon, concurrence qui a des conséquences considérables et sur l’équilibre de la société et en matière économique. MM. Robert Badinter et Jean-Louis Debré se sont penchés sur cette question, mais je me demande si l’on ne pourrait pas aller plus loin, en montrant que le droit français apporte des solutions extrêmement utiles dans le monde contemporain.

M. Guillaume Larrivé. C’est la première fois que la commission des Lois a l’honneur d’entendre une personnalité pressentie par le Président de la République pour présider le Conseil constitutionnel. Ce progrès de la démocratie a été rendu possible par la révision constitutionnelle de 2008, adoptée à l’initiative de Nicolas Sarkozy, alors chef de l’État. Personne ne doute, monsieur Fabius, que votre cursus honorum vous destine assez naturellement aux fonctions que vous allez sans doute exercer.

Le classicisme de votre réponse relative au contrôle de la conventionalité des lois me réjouit : je me félicite que vous n’envisagiez pas d’engager le Conseil constitutionnel dans cette voie hasardeuse. Il est vrai que le Conseil est déjà juge conventionnel quand il est juge électoral ; mais, quand il est juge de la conformité des lois aux normes constitutionnelles, il me paraît sain de s’en tenir à la lettre de la Constitution.

Je me réjouis tout autant que vous ayez exclu le contrôle de constitutionnalité des lois référendaires. Cependant, le Conseil constitutionnel, juge de l’organisation des référendums, est amené à donner un avis sur le décret de convocation des électeurs, qui comporte le texte de la question posée et la date du vote ; la publication de cet avis est-elle envisageable ? Et, puisqu’il n’y a pas véritablement de juge de ce décret — le Conseil d’État jugeant depuis 1970 qu’il s’agit d’un acte de gouvernement —, le Conseil constitutionnel peut-il se juger compétent pour connaître, au contentieux, de la conformité de tels décrets à la Constitution ?

M. Jean-Michel Clément. Vous qui avez brillamment présidé aux destinées de la COP21, donnez-vous à la Charte de l’environnement la même valeur que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ?

M. Alain Tourret. Je me réjouis, monsieur Fabius, de vous trouver ici dans ce contexte. Le Conseil constitutionnel comptera donc, aux côtés de cinq personnalités, quatre responsables politiques représentant des sensibilités différentes. Je regrette à cet égard que, depuis le départ de Maurice Faure, le Conseil ne compte plus de personnalités radicales…

Vous avez mentionné le rayonnement du droit français. Mais le droit anglo-saxon étant issu du droit normand et le droit français du droit romano-canonique, mon cœur balance ! (Sourires.)

Plus sérieusement, vous allez engager un mandat de neuf ans ; pendant ce long temps, envisagez-vous de consolider l’institution, ou de la transformer, et dans quelles proportions ? Êtes-vous favorable à la publication, pour chaque décision, des avis dissidents et des majorités obtenues ?

M. Laurent Fabius. Je vous remercie, monsieur Larrivé, pour vos propos auxquels je suis sensible. Vos premières observations ouvrent un point de droit sur lequel le secrétaire général du Conseil constitutionnel a appelé mon attention : c’est au titre de personnalité pressentie pour être membre du Conseil que m’entend votre commission. Il se trouve que le Président de la République a indiqué que, si l’avis des commissions compétentes du Parlement n’était pas défavorable à ma nomination, il envisageait de me désigner à la présidence de l’institution, mais cela n’a rien d’obligatoire.

Sur le contrôle de conventionalité, j’ai en effet une position classique, mais le classicisme n’empêche pas d’être réformateur.

Pour ce qui est des référendums, je sais ce que fait le Conseil d’État, et je sais que le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur tous les aspects de la question. Je pense qu’il n’y aurait pas d’obstacle à publier l’avis sur les décrets de convocation des électeurs, mais c’est à vérifier.

Je sais, monsieur Clément, que l’on discute à nouveau de la Charte de l’environnement dans certaines formations politiques et je saisis l’occasion que me donne votre question pour faire le point sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel à ce sujet. La Charte est l’aboutissement d’un projet engagé par le président Jacques Chirac. Adoptée en 2004, elle a été « adossée » à la Constitution par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Elle se compose d’un préambule et de dix articles. Même si c’est sous la forme d’un appendice, la Charte fait partie de la Constitution : en vertu d’une décision de 2008, elle a valeur constitutionnelle, son préambule compris.

S’agissant de l’articulation entre la Charte et la QPC, le Conseil constitutionnel a affirmé dans une décision de 2011 que la méconnaissance des droits garantis par la Charte pouvait être invoquée au soutien d’une QPC. En revanche, selon une décision de 2014, les sept alinéas du préambule ne constituent pas des « droits et libertés » pouvant être invoqués à l’appui d’une QPC.

L’article 1er de la Charte dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Par une décision de 2011, le Conseil a reconnu à cet article, en lien avec l’article 2, une portée normative, pour dégager l’existence d’une obligation de « vigilance environnementale ». Chacun est donc tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité. Le législateur est compétent pour définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée contre le pollueur sur le fondement de cette obligation de vigilance, mais la loi ne saurait restreindre excessivement ce droit d’agir.

L’article 3 dispose que « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences », et l’article 4 que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ». Le Conseil constitutionnel a précisé que ces articles renvoient à la loi ; dans le cadre défini par elle, le soin revient aux autorités administratives de déterminer les conditions de la participation de chaque personne à la prévention et à la réparation des dommages à l’environnement.

L’article 5 de la Charte, relatif au « principe de précaution », est celui qui a été le plus commenté et le plus controversé. Il dispose : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » En contrôle a priori, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il lui incombait de s’assurer que le législateur n’avait pas méconnu le principe de précaution et avait pris des mesures propres à garantir son respect par les autres autorités publiques. Pour le moment, le Conseil constitutionnel n’a jamais été amené à juger si le principe de précaution est invocable en QPC.

L’article 6 dispose : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Le Conseil constitutionnel a jugé en 2012 que cet article n’institue pas « un droit ou une liberté que la Constitution garantit » ; dès lors, la méconnaissance de cet article ne peut être invoquée à l’appui d’une QPC.

L’article 7 de la Charte dispose : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » Le Conseil constitutionnel a jugé en 2011 que ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et qu’il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives, de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions. D’autre part, le Conseil a censuré des dispositions relatives à la publication des projets de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées qui n’assuraient pas la mise en œuvre du principe de participation du public.

Le Conseil n’a pas encore eu l’occasion de préciser si la méconnaissance des articles 8, 9 et 10 pouvait être invoquée dans le cadre d’une QPC.

J’ignore, monsieur Tourret, si l’une ou l’autre des personnalités membres du Conseil constitutionnel a ou n’a pas une sensibilité radicale… Par ailleurs, on peut être, comme vous l’êtes et comme je le suis, très attaché à la Normandie, mais pas au point de privilégier le droit anglo-saxon au détriment du droit français. (Sourires.)

Faudra-t-il, au cours des neuf années à venir, conserver l’institution en l’état ou la transformer ? Les transformations se font en fonction de ce que l’on constate, compte tenu des possibilités que l’on a d’agir. Si des améliorations sont nécessaires, j’y contribuerai.

Je crois comprendre que vous êtes favorable à la publication des avis dissidents ; je suis plutôt d’une opinion contraire. Au nombre des arguments qui plaident en faveur de la publication, il y a que de nombreuses cours le font, et en particulier la Cour suprême des États-Unis. Mais ce à quoi cela conduit donne précisément à réfléchir : après que les avis minoritaires sont publiés, les commentaires vont bon train sur le fait que les votes ont, « comme d’habitude », été acquis par 5 voix de juges considérés comme conservateurs contre 4 voix de juges présumés progressistes — cela s’est encore vu récemment à propos d’une décision concernant l’environnement.

Bien sûr, la publication des avis permet au public de prendre connaissance des arguments échangés et fait progresser la transparence. En dépit de cela, je suis réservé. Que les opinions dissidentes puissent avoir été émises au sein de l’instance, c’est une évidence : les points de vue différents s’expriment, on discute longuement, puis on vote. Mais l’expression des opinions divergentes est une chose, la publication de leur nombre ou des avis dissidents proprement dits en est une autre. Je n’y suis guère favorable, car cette pratique encourage systématiquement à avoir des différences d’opinions et elle aurait pour effet de politiser le Conseil constitutionnel, dont les membres se trouveraient en quelque sorte en délicatesse s’ils n’exprimaient pas une position divergente.

Les personnalités qui siègent au Conseil constitutionnel sont désignées par des responsables politiques aux sensibilités diverses, mais, une fois les nominations faites, les avis se fondent en un tout : la décision du Conseil. Ces personnalités, qui, compte tenu de la durée de leur mandat et de leur âge, ne peuvent ni rien redouter ni rien espérer, sont libres, et la liberté incline à l’indépendance. Si l’on décide de publier les avis minoritaires, je crains que les positions ne se figent et que l’institution ne se politise. Or, si le Conseil constitutionnel a acquis une grande autorité, c’est aussi parce que, une fois la discussion close, il prend des décisions collégiales.

Je pense, pour ces raisons, que la publication des avis dissidents ne serait pas très opportune. Je n’ai pas toujours eu ce point de vue in petto et je reconnais la force des arguments adverses, mais un cheminement personnel m’a amené à cette conclusion.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Un ancien Président de la République, aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel, appelait les Français à « faire le bon choix » ; en ce qui vous concerne, il me semble qu’il s’agit du meilleur choix et nous nous en réjouissons sincèrement, étant donné votre compétence et votre expérience.

Je suis conscient de la difficulté qu’il y a à résoudre la question du contrôle de conventionalité. Je me souviens néanmoins de la décision que le Conseil, lors de sa saisine concernant le contrat première embauche (CPE), a légitimement prise de le déclarer conforme à la Constitution, en dépit du fait que la convention 158 de l’Organisation internationale du travail aurait pu l’inciter à prendre une décision différente s’il avait procédé à un contrôle de conventionalité. En l’absence d’un tel contrôle, ce type de problème se reposera. Je mesure toutefois la difficulté qu’aurait le Conseil constitutionnel à l’exercer, compte tenu du risque de superposition des normes juridiques.

Ce risque de superposition, justement, existe aussi s’agissant des juridictions suprêmes, qu’elles soient nationales comme le Conseil constitutionnel ou européennes comme la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme. Sans doute faudra-t-il adopter une solution plus définitive que celle qu’a arrêtée avec sagesse le Conseil constitutionnel, car les problèmes vont en s’accroissant.

Je conclurai en vous faisant part de notre vive satisfaction que vous soyez non seulement pressenti, mais certainement désigné à la présidence du Conseil constitutionnel. Mon seul souci est le suivant : le nombre de membres brillants et compétents du Gouvernement, déjà restreint, diminuera encore.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Ma question est simple, monsieur le Premier ministre, et je la pose à tous ceux qui sont à votre place lorsque la Commission est consultée : elle porte sur le droit local, auquel vous savez combien les Mosellans et les Alsaciens sont attachés. Or il a été remis en cause à de nombreuses reprises, y compris par le Président de la République qui, lors de sa campagne, avait tenu des propos inquiétants — qu’il a rapidement corrigés.

Le Conseil constitutionnel a émis un avis très clair à l’occasion des quelques questions prioritaires de constitutionnalité dont il a été saisi, et d’autres sont en préparation. Quel est donc votre point de vue personnel sur le droit local ?

M. René Dosière. La France, monsieur le président — je fais là référence non pas aux fonctions que vous vous apprêtez à exercer, mais à celle que vous avez occupée dans notre assemblée —, dispose d’une autre assemblée législative : le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Il est habilité à adopter des lois du pays qui sont directement soumises au Conseil constitutionnel. Vous semble-t-il envisageable que celui-ci, le cas échéant, fasse référence dans ses décisions à la tradition, aux coutumes et à la culture kanak, plutôt que de s’en tenir au corpus constitutionnel classique en lui conférant une portée universelle ?

M. Laurent Fabius. Avant de répondre, permettez-moi de préciser qu’il ne serait pas sage de ma part de me prononcer trop nettement sur des sujets dont je pourrais avoir à connaître comme membre du Conseil constitutionnel.

Il est vrai, monsieur Dosière, que le Conseil constitutionnel est compétent concernant les décisions de pays adoptées en Nouvelle-Calédonie, sur lesquelles il peut être appelé à se prononcer. En toute franchise, je ne connais pas suffisamment sa jurisprudence en la matière, mais, dès lors que les décisions en question respectent la Constitution et qu’il n’existe aucun autre élément juridique en contradiction avec elle, alors aucun obstacle ne s’oppose à leur adoption.

Veuillez excuser ma prudence concernant le droit local, madame Zimmermann : comme vous l’avez vous-même indiqué, de nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité sont en préparation. Lorsque j’ai eu à me prononcer sur ces questions dans le cadre de responsabilités politiques, j’ai toujours veillé à ce que ce qui fonctionne bien ne soit pas remis en cause.

Je vous remercie, monsieur Schwartzenberg, pour vos propos auxquels je suis très sensible, venant d’un éminent juriste comme vous. En matière de contrôle de conventionalité, vous l’avez dit : il faut rester aux aguets, car il pourrait se produire des évolutions qui compliqueraient des choses semblant pourtant simples. Pour ma part, je crois beaucoup à la notion de dialogue des juges. En revanche, je ne suis guère favorable à un bouleversement général de l’approche actuelle.

Au fond, quelles qualités exige-t-on des membres du Conseil constitutionnel ? L’indépendance, tout d’abord : tous les membres actuels du Conseil et ceux dont la nomination a été proposée en attestent. De surcroît, les conditions pratiques d’exercice de ce mandat favorisent l’indépendance. Autres qualités requises : l’expérience, à coup sûr, et la compétence, à quoi j’ajouterai le bon sens. Les décisions à prendre doivent non seulement être pertinentes et justes, mais aussi perçues comme telles — même si cela ne signifie pas qu’il faut toujours emprunter la direction de l’opinion dominante. Si les conditions juridiques sont réunies pour que je rejoigne cette éminente institution qu’est le Conseil constitutionnel, je m’efforcerai de répondre à ces différents critères et qualités.

M. le président Dominique Raimbourg. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, pour ce dialogue fructueux, et vous laisse quitter la salle afin que la Commission puisse procéder au scrutin à huis clos, dont le résultat sera annoncé à douze heures, au même moment qu’au Sénat.

Délibérant à huis clos, la Commission procède vote par scrutin secret, dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Laurent Fabius à la fonction de membre du Conseil constitutionnel.

Les résultats de ce scrutin ont été annoncés le 18 février à 12h30, en même temps que la commission des Lois du Sénat, également appelée à se prononcer sur cette nomination.

Nombre de votants : 22

Bulletin blanc, nul ou abstention : 1

Suffrages exprimés : 21

Avis favorables : 20

Avis défavorable : 1

La commission a donc émis un avis favorable à la nomination de M. Laurent Fabius en qualité de membre du Conseil constitutionnel.

M. le président Dominique Raimbourg. Les résultats du scrutin qui s’est tenu au Sénat étant connus, je vous indique que, en additionnant les votes des deux commissions, M. Fabius a recueilli 38 avis favorables, 1 avis défavorable et 3 bulletins blancs.

*

* *

La Commission procède ensuite à l’audition de Mme Corinne Luquiens, dont la nomination à la fonction de membre du Conseil constitutionnel a été proposée par le Président de l’Assemblée nationale.

M. le président Dominique Raimbourg. Nous allons procéder à l’examen de la candidature, présentée par le président de l’Assemblée nationale, de Mme Corinne Luquiens à la fonction de membre du Conseil constitutionnel.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je tiens avant toute chose à vous faire part de l’honneur et du plaisir que j’ai à rapporter la proposition du président Bartolone de nommer Mme Corinne Luquiens — que l’on ne présente plus dans cette assemblée — au Conseil constitutionnel à partir du mois prochain. Notre avis est requis en application des articles 13 et 56 de la Constitution. La confirmation de sa nomination relève exclusivement de l’Assemblée nationale, et plus précisément de notre commission ; nous n’aurons donc pas à attendre que le Sénat délibère, comme c’est le cas pour la proposition de nomination de M. Fabius, qui émane du Président de la République. Je rappelle que, pour que la proposition de nomination de Mme Luquiens soit rejetée, il faudrait que notre commission s’y oppose à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Le président Bartolone a proposé la nomination de Mme Luquiens pour qu’elle succède à M. Guy Canivet, nommé en février 2007 par le président Debré et dont le mandat s’achève. Les secrétaires généraux de l’Assemblée nationale et de la présidence occupent une place de choix au sein de l’éminente institution qu’est le Conseil constitutionnel, puisque deux anciens secrétaires généraux y ont déjà siégé : M. Michel Ameller, nommé en 1995 par le président Philippe Séguin, et Jean-Louis Pezant, nommé en 2004 par le président Jean-Louis Debré. Ainsi, madame Luquiens, si la Commission confirme par son vote la proposition du président Bartolone, vous serez le troisième secrétaire général de notre assemblée à siéger au Conseil constitutionnel.

Comme le veut la règle, je vous ai adressé plusieurs questions au nom de la Commission auxquelles vous avez selon moi répondu de manière précise et avisée. Je vous en remercie, car vos réponses nous ont permis de bien mesurer ce que représente pour vous cette proposition de nomination et ce que vous pourrez apporter au Conseil constitutionnel.

Votre parcours est bien connu : voici bientôt quarante et un ans que vous êtes entrée comme administratrice dans cette belle et grande maison qu’est l’Assemblée nationale, où vous avez franchi de nombreuses étapes avant d’être nommée secrétaire générale de l’Assemblée et de la présidence. Votre formation de juriste passée par l’Institut d’études politiques et titulaire d’une licence en droit et d’un diplôme d’études supérieures de droit public s’est conclue par le concours — très difficile — d’administrateur à l’Assemblée, point de départ d’un parcours éloquent sur lequel je ne reviens pas.

Je ne serai pas plus long. Après vous avoir entendue nous donner quelques indications sur la façon dont vous entendez participer aux travaux du Conseil constitutionnel pendant les neuf prochaines années, mes collègues et moi-même vous poserons si nécessaire quelques questions.

Mme Corinne Luquiens. Permettez-moi avant tout de vous dire que c’est un grand honneur pour moi de me trouver aujourd’hui devant vous. Je suis d’autant plus honorée par la proposition que le président de l’Assemblée nationale a faite de me nommer au Conseil constitutionnel que je sais quelles personnalités éminentes y ont siégé et y siègent encore. J’ai une pensée particulière pour deux d’entre eux — M. le rapporteur a bien voulu les citer — qui sont mes prédécesseurs à la fonction de secrétaire général de l’Assemblée, car je les ai connus personnellement. En effet, j’ai commencé ma carrière auprès de M. Michel Ameller et j’ai directement travaillé aux côtés de Jean-Louis Pezant, à la commission des Lois d’abord, puis au service de la séance. Il est prématurément décédé sans avoir pu achever son mandat, mais je sais que, tout comme Michel Ameller, il a laissé une excellente image au Conseil constitutionnel.

Si je suis honorée de me trouver devant vous aujourd’hui, je dois vous avouer que je suis également impressionnée. J’ai assisté à d’innombrables réunions de la commission des Lois, d’abord comme jeune administratrice puis comme chef de secrétariat, mais jamais je n’avais imaginé que j’aurais un jour à m’exprimer devant elle. L’exercice auquel je dois me livrer n’est donc pas des plus faciles : je dois me présenter, ce qui n’est jamais simple et qui l’est moins encore pour une fonctionnaire parlementaire qui, à ce titre, est peu habituée à parler d’elle-même.

En outre, ma carrière est des plus linéaires : après des études généralistes en sciences politiques et en droit, j’ai passé le concours d’administrateur de l’Assemblée nationale à l’âge de vingt-deux ans, et je suis donc entrée voici près de quarante et un ans dans cette institution. Il pourra sembler étrange que l’on effectue toute sa carrière au sein d’une même administration, mais c’est la règle qui prévaut encore aujourd’hui : en vertu des principes de séparation des pouvoirs et d’autonomie des assemblées, chaque assemblée recrute son propre personnel, lequel exerçait à mon époque toute sa carrière et en exerce encore aujourd’hui la majeure partie au sein de l’institution qui l’a recruté.

Cette pérennité de carrière est heureusement compensée par une mobilité interne qui permet d’exercer plusieurs métiers au sein d’une même administration. Pour ma part, j’ai commencé ma carrière dans les services de la questure, mais je suis aussi passée par des services variés comme celui de la communication et celui des relations internationales. Depuis que je suis secrétaire générale, j’exerce, parallèlement à mes fonctions liées à l’activité législative, la gestion administrative de l’Assemblée avec mon collègue secrétaire général de la questure.

Toutefois, j’ai accompli l’essentiel de ma carrière à la commission des Lois, au service de la séance, puis au secrétariat général. J’ai acquis dans ces fonctions une expérience approfondie de la rédaction législative. Lorsque j’étais administratrice à la commission des Lois, j’ai suivi des textes relevant de domaines très variés : collectivités territoriales, droit de la fonction publique, droit des étrangers, droit électoral ou encore règlement et Constitution, mais aussi droit pénal et même, à l’occasion, droit civil. À l’époque, cette polyvalence semblait nécessaire pour faire face au volume très élevé de textes — de ce point de vue, les choses n’ont guère changé depuis, la charge de travail de la commission des Lois demeurant assez substantielle. J’ai donc souvent eu à m’interroger sur la constitutionnalité de la loi, parfois sans éviter l’écueil de l’inconstitutionnalité. Je me souviens notamment de deux propositions de loi sur lesquelles j’ai travaillé et qui ont été globalement censurées par le Conseil constitutionnel — même si ce n’était pas entièrement une surprise. (Sourires.)

Comme chef de secrétariat de la commission des Lois et plus encore au service de la séance, puis au secrétariat général, j’ai conseillé le président et les présidents de séance concernant la mise en œuvre de la procédure parlementaire, que j’ai pu suivre très étroitement. J’ai participé à de nombreux groupes de travail sur la réforme de cette procédure sous les présidences de MM. Séguin, Debré, Accoyer et Bartolone. J’ai suivi de près plusieurs réformes du règlement, en particulier celle de 2009 qui faisait suite à la révision constitutionnelle de 2008 et qui a abouti à la réécriture de plus de la moitié des articles du Règlement.

J’ajouterai pour conclure que les qualités requises d’un fonctionnaire parlementaire sont sans doute susceptibles — du moins je l’espère — de coïncider avec celles que l’on peut attendre d’un membre du Conseil constitutionnel : le sens de l’intérêt public, la neutralité, la réserve et l’indépendance, mais aussi la discrétion. J’ai surtout appris à travailler d’une manière objective sans tenir compte de mes convictions personnelles, mais en respectant celles de ceux auprès desquels j’exerçais. Cela devrait m’aider, si votre commission approuvait la proposition du président de l’Assemblée, à agir de la manière la plus objective qui soit dans les différents domaines d’intervention du Conseil constitutionnel et, en particulier dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, à respecter strictement le principe selon lequel le Conseil ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement.

Enfin, sans avoir de véritable expérience personnelle de la collégialité, j’ai toujours eu le goût du travail collectif et du dialogue avant toute prise de décision. De plus, j’ai eu l’occasion, non pas en tant qu’actrice, mais en tant que témoin, de voir fonctionner diverses instances collégiales au sein de l’Assemblée — je pense notamment aux réunions du collège des questeurs, à celles du Bureau et de la Conférence des présidents et, naturellement, à celles des commissions mixtes paritaires, dont je garde un excellent souvenir.

M. le président Dominique Raimbourg. Merci, madame la secrétaire générale. Nous en venons aux questions des commissaires, en commençant par le rapporteur.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Madame Luquiens, j’aimerais connaître votre opinion sur deux sujets peut-être moins éloignés qu’il n’y paraît de la question du contrôle de constitutionnalité.

Le premier est la procédure accélérée. Nous partons tous du principe que la règle est la navette normale. Nous concevons tous qu’à certains moments, dans certaines circonstances, ce que l’on appelait jadis la procédure d’urgence, rebaptisée procédure accélérée, doive être utilisée. Mais une pratique de la présente législature, que l’on a aussi pu connaître pendant d’autres législatures, tend à inverser cette logique. Selon vous, le fait de recourir à cette procédure trop fréquemment et s’agissant de textes à propos duquel on pourrait juger qu’elle n’est pas nécessaire est-il susceptible d’être mis en avant dans le cadre d’une demande de contrôle de constitutionnalité ?

En second lieu, les commissions parlementaires exercent désormais un rôle véritablement législatif s’agissant des lois ordinaires, puisque les amendements adoptés en commission sont considérés comme valant articles de loi sauf si l’on revient sur eux en séance publique. Or, récemment, une commission — une commission spéciale, de surcroît — a été amenée à se réunir, c’est-à-dire, donc, à faire la loi, en dehors de la session parlementaire. J’avais signalé le problème à l’ouverture des travaux de cette commission spéciale. Quel est votre sentiment sur ce point ? Est-il tout à fait constitutionnel qu’une assemblée législative légifère, par le biais de l’une de ses commissions, en dehors d’une session parlementaire ?

Mme Corinne Luquiens. La procédure accélérée a souvent fait l’objet de débats. Je conçois que les parlementaires éprouvent une forme de frustration lorsqu’ils constatent qu’on leur impose d’examiner la loi à marche forcée. Voilà pourquoi il y a toujours eu des critiques de l’usage de cette procédure, parfois considéré comme abusif.

Néanmoins, et ce n’est peut-être pas sans lien avec votre seconde question, il faut sans doute tenir compte de l’évolution que vous avez très justement soulignée : aujourd’hui, les commissions sont saisies préalablement des textes et font véritablement la loi. De ce fait, il existe déjà dans une certaine mesure deux lectures au sein de la première lecture : en commission, puis en séance publique. Peut-être la révision constitutionnelle n’est-elle pas allée au bout de sa logique en répartissant le travail entre la commission et la séance, de sorte que l’on peut avoir le sentiment que le débat se répète.

Par ailleurs, au cours de ma carrière qui a été assez longue, j’ai constaté une autre évolution que l’on peut juger regrettable : les deuxièmes lectures ne sont peut-être plus ce qu’elles devraient être selon la logique de la navette. À une certaine période, après une lecture à l’Assemblée et une lecture au Sénat, l’assemblée saisie en deuxième lecture cherchait véritablement à amender le texte adopté par l’autre assemblée, de sorte que le texte produit par la navette était le fruit de compromis, en tout cas d’un dialogue, entre les deux chambres. Mais, peut-être du fait des délais, de l’importance des textes, parfois d’une forte opposition entre les deux assemblées, les deuxièmes lectures me paraissent aujourd’hui s’apparenter moins à un exercice d’amélioration et d’enrichissement de la loi qu’à une répétition de la première lecture. On constate ainsi au service de la séance que les amendements déposés en première lecture le sont presque systématiquement en deuxième lecture, lorsque les articles concernés sont toujours en discussion.

Pour ces raisons, si la nécessité d’une navette déployée semble évidente du point de vue des principes, le fait de recourir à la procédure accélérée plus fréquemment qu’on ne le faisait auparavant, en tout cas à certaines périodes, ne devrait pas forcément être considéré comme un abus.

En tout cas, dès lors que cette procédure existe — et sachant que la Constitution permet aux deux Conférences des présidents d’y faire obstacle le cas échéant —, il serait difficile de soutenir que son usage, même s’il est fréquent, même s’il devenait quasi systématique, constitue en tant que tel un motif d’inconstitutionnalité.

À la seconde question que vous m’avez posée, je répondrai avec nuance. Je conçois que, dès lors que les commissions exercent désormais un rôle législatif, il soit peu satisfaisant, voire regrettable, qu’elles puissent être amenées à travailler en dehors des sessions, alors même que celles-ci durent bien plus longtemps aujourd’hui qu’au début de la Ve République. Toutefois, là encore, je ne pense pas que l’on puisse soutenir qu’il s’agit d’un motif d’inconstitutionnalité. Je ne voudrais pas me prononcer sur ce point, dans l’éventualité où ce motif viendrait à être invoqué dans le cadre d’un recours, à supposer que votre décision m’amène à siéger au Conseil constitutionnel. Il me semble néanmoins que la Constitution ne prévoit les sessions qu’en vue des séances publiques et qu’il est toujours arrivé que le travail en commission ait lieu pendant les intersessions.

Mme Sandrine Mazetier. Je m’associe aux propos élogieux de notre rapporteur, avec lequel nous sommes, je crois, tous d’accord à cet égard. Je le remercie du questionnaire qu’il vous a adressé et je vous remercie vous-même de vos réponses, dont je salue à mon tour la précision et la finesse.

N’y a-t-il pas une aberration à ce que le Conseil constitutionnel examine le Règlement de nos assemblées ?

Ma seconde question est un peu plus classique : selon vous, le Conseil constitutionnel a-t-il un rôle à jouer dans l’intelligibilité de la loi et dans la lutte contre l’insécurité juridique ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Vos réponses et votre présentation me font encore plus regretter que vous quittiez l’Assemblée nationale. Votre départ, dont je ne doute pas, car je n’ai aucun doute sur l’issue du vote, va laisser un vide : c’est une grande professionnelle qui va quitter l’Assemblée — mais c’est aussi une grande professionnelle qui va intégrer le Conseil constitutionnel. Le choix du président de l’Assemblée nationale me paraît donc excellent.

Ma question est toujours la même — peut-être inspirera-t-elle à tous ceux que nous auditionnons dans ce cadre, au moment où ils intégreront le Conseil, une petite pensée pour la députée mosellane que je suis ! Elle concerne le droit local d’Alsace-Moselle qui est très souvent, malheureusement, « secoué » par des questions prioritaires de constitutionnalité. L’évolution actuelle des réflexions sur la laïcité va sans doute accroître encore cette tendance. Qu’en pensez-vous ?

Mme Corinne Luquiens. Je remercie Mme Mazetier et Mme Zimmermann des propos très aimables qu’elles ont tenus à mon égard et auxquels je suis très sensible. Je vous l’ai dit, je suis plutôt impressionnée de me trouver devant vous ; dans cet état d’esprit, il est assez rassurant et agréable de se sentir ainsi soutenue.

Madame Mazetier, j’ai évoqué les réformes du Règlement auxquelles j’ai participé, comme administratrice puis chef de secrétariat au sein de cette commission, ou que j’ai vécues comme directrice de la séance, directrice générale ou secrétaire générale. Je sais combien il peut être difficile de sentir l’épée de Damoclès du contrôle très rigoureux que le Conseil constitutionnel exerce sur le Règlement. J’ignore toutefois si je peux vraiment prendre position sur ce point, dans la mesure où c’est la Constitution elle-même qui prévoit que le Conseil est saisi de toute réforme du Règlement de manière systématique, à la différence de ce qui se passe pour les lois. En ce sens, la question ne se pose pas pour l’instant.

Il est vrai que le Règlement joue, à côté de la Constitution, un rôle essentiel, y compris dans les rapports entre l’Assemblée et le Gouvernement. Certes, son adoption ou sa modification est un acte interne, voté dans chaque assemblée sous la forme d’une résolution, dont on pourrait considérer qu’il ne regarde que les assemblées. Toutefois, le Règlement peut avoir des conséquences sur les rapports entre les pouvoirs publics. C’est sans doute ce qui a amené le constituant à le soumettre au contrôle de constitutionnalité. En cette matière comme dans toutes les autres, le Conseil ne doit pas outrepasser son rôle en substituant son appréciation à celle du Parlement.

En ce qui concerne votre seconde question, le Conseil a évolué en donnant une valeur constitutionnelle au principe d’intelligibilité de la loi. Néanmoins, ce ne peut être que de manière relativement marginale qu’il contrôle la qualité de la loi. Voilà pourquoi la qualité de la loi n’a pu donner lieu à des censures du Conseil constitutionnel que dans les cas où celui-ci estimait que l’intelligibilité de la loi était compromise. En effet, si nul n’est censé ignorer la loi, il faut que le citoyen soit en mesure de comprendre celle-ci pour l’appliquer. Cet aspect est évidemment lié à l’insécurité juridique : si la loi n’est pas intelligible, il n’y a pas de sécurité pour le citoyen, qui ne sait pas comment l’appliquer. Je trouve équilibrée la manière dont le Conseil a procédé jusqu’à présent — en déclarant, dans certains cas limités, une disposition non conforme à la Constitution parce que, inintelligible, elle risquait de créer une insécurité juridique. Ce contrôle doit rester limité : je ne crois pas que le Conseil devrait s’engager trop loin dans cette voie.

S’agissant du droit local d’Alsace-Moselle, je connais mal le fond de la question, mais je crois que le Conseil a d’ores et déjà pris sur ce point une position qui devrait rassurer les Alsaciens-Mosellans : il a considéré que le droit local était un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ce qui est d’autant plus remarquable que de tels principes sont peu nombreux.

M. Georges Fenech. Madame Luquiens, je m’associe bien entendu à tous les propos qui ont été tenus à votre égard.

Ma question ne concerne ni le juge de la constitutionnalité que vous êtes appelée à devenir ni d’ailleurs le juge de la QPC, mais le juge de l’élection. En la matière, la décision du Conseil constitutionnel emporte trois lourdes conséquences : la possibilité d’invalider l’élection ; celle de prononcer une sanction financière sévère, par le non-remboursement des frais de campagne ; celle enfin de prendre une sanction personnelle plus sévère encore, en déclarant le candidat inéligible.

Je forme le vœu que la procédure suivie par le Conseil constitutionnel en pareil cas soit à l’avenir plus transparente, et surtout plus contradictoire. Actuellement, en effet, l’élu dont l’élection est contestée ne connaît ni le nom du rapporteur, ni a fortiori ses conclusions. Ce serait pourtant nécessaire à son argumentation au moment où on lui donne la parole devant le Conseil réuni en séance plénière, en présence de ses avocats — ce qui confirme que nous avons alors affaire à une véritable juridiction. Je connais cette frustration pour en avoir moi-même fait l’expérience. En outre, un autre grand principe juridictionnel n’existe pas non plus devant le Conseil constitutionnel : le double degré de juridiction. Au total, on a le sentiment d’être soumis à une procédure qui ne respecte aucun des grands principes directeurs d’ordre juridictionnel. J’espère que le Conseil constitutionnel y réfléchira.

M. René Dosière. Madame la secrétaire générale, pour reprendre un discours fréquent, voire récurrent, du président Jean-Louis Debré dont les parlementaires qui ont un peu d’ancienneté ont pu vérifier l’exactitude — comme vous, naturellement —, les lois sont de plus en plus volumineuses, notamment parce qu’elles sont « bavardes ». Ce qui signifie, d’une part, que l’on y trouve de plus en plus de déclarations dépourvues de valeur législative, mais qui sont autant de déclamations, et, d’autre part, qu’un nombre croissant de leurs dispositions relève non de la loi, mais du règlement. On constate d’ailleurs que le Gouvernement fait de moins en moins référence à cette distinction entre loi et règlement, laissant passer toute une série de dispositions réglementaires.

Le Conseil constitutionnel ne pourrait-il utilement contribuer à faire cesser ces dérives, en censurant sinon systématiquement, du moins très fréquemment, tous les articles qui n’ont aucun intérêt législatif et tous ceux qui ont manifestement un caractère réglementaire ?

Ma seconde question, que j’ai également posée à Laurent Fabius, concerne la Nouvelle-Calédonie, que vous connaissez très bien et où nous avons quelques souvenirs communs. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie dispose d’un pouvoir législatif. Cela crée une situation exceptionnelle, en tout cas inédite dans notre République. Lorsque le Conseil constitutionnel est amené à juger des textes concernant la Nouvelle-Calédonie, suffit-il qu’il fasse référence à sa jurisprudence classique et « universelle » ? Ne pourrait-il renvoyer dans ce cas à des traditions coutumières kanak ? En vous interrogeant sur ce point, j’ai conscience du fait que votre fonction actuelle vous incite à être très attachée aux précédents, c’est-à-dire, au fond, à la tradition plutôt qu’à l’innovation.

M. Guillaume Larrivé. Merci, madame la secrétaire générale, de la précision de votre exposé.

J’aimerais vous poser la même question qu’à Laurent Fabius concernant la nature et l’objet du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur les opérations référendaires. Vous paraît-il opportun que le Conseil renforce son contrôle des opérations préalables à l’organisation du référendum ? Plus précisément, vous semble-t-il opportun que soit publié son avis sur le décret de convocation des électeurs — où sont indiquées la date du référendum et la question posée —, voire que ce décret puisse faire l’objet d’un contentieux devant le Conseil ? Le Conseil d’État, lui, s’interdit d’en juger, considérant qu’il s’agit d’un acte de gouvernement.

Mme Corinne Luquiens. Monsieur Fenech, je mesure la responsabilité que représente le fait de juger de la validité d’une élection, en particulier eu égard aux conséquences qui peuvent en découler pour les personnes intéressées. Je pense, même si ce n’est pas l’objet de votre question, que le Conseil constitutionnel doit prendre en considération l’intention du législateur de faire en sorte que l’inéligibilité ne soit plus systématique, mais écartée en cas de bonne foi, ce qui tient compte de la gravité de la sanction.

En ce qui concerne les règles de transparence et du contradictoire, un progrès a déjà été accompli, avec le développement des auditions. J’avoue ne pas savoir — même si je peux l’imaginer — pour quelles raisons précises le nom du rapporteur n’est pas connu, en matière électorale comme de manière générale, d’ailleurs. C’est une question qui peut se poser. J’hésite à me prononcer sur ce point alors que je n’ai pas encore l’expérience de l’institution et de son fonctionnement. Mais tout ce qui peut contribuer à la transparence et au contradictoire est évidemment utile, et le Conseil l’a montré en développant le contradictoire.

Monsieur Dosière, assez curieusement, le nombre de lois n’a pas véritablement augmenté, sinon depuis 1958, du moins depuis de très nombreuses années. En revanche, leur volume a connu une hausse considérable, pour les raisons que vous avez indiquées. La présence dans les textes de dispositions dont le caractère normatif est relativement limité, si l’on met à part ce problème de volume et le fait qu’il ne facilite pas la lecture de la loi, n’est pas en elle-même gênante : les dispositions non normatives, si elles ne créent pas de droits, ne sont pas non plus néfastes. Il me paraît difficile d’imaginer que le Conseil constitutionnel aille au-delà de ce qu’il a fait en ne censurant des dispositions au titre de la qualité de la loi que lorsque leur clarté et leur intelligibilité sont en cause. Car ce n’est pas la vocation du Conseil constitutionnel de réécrire la loi. Je suis très attachée à l’idée que le Conseil ne doit pas se substituer au législateur ; or c’est un peu ce qu’il ferait en s’engageant dans cette voie.

Quant au problème des dispositions réglementaires, il est ancien : le partage entre la loi et le règlement, qui apparaissait comme la grande révolution juridique de la Ve République, a assez rapidement été quelque peu délaissé. Actuellement, de nombreuses dispositions réglementaires se glissent dans les textes législatifs — le cas échéant dès leur rédaction initiale, et non systématiquement par voie d’amendement. Cela me semble constituer une forme de facilité dans la discussion : avant de voter une disposition législative, les parlementaires peuvent souhaiter des éclaircissements sur ses futures mesures d’application ; dans ce contexte, quoi de plus simple que de les introduire dans la loi ? Il existe en la matière, si je puis employer cette expression sans aucune connotation péjorative, une complicité entre le Gouvernement et les assemblées. J’observe d’ailleurs que les demandes de déclassement qui peuvent s’ensuivre sont assez rares — une dizaine par an. En somme, la séparation entre la loi et le règlement, qui semblait essentielle, paraît avoir perdu de son importance. La possibilité désormais offerte aux présidents des assemblées d’opposer eux-mêmes l’irrecevabilité au titre de l’article 41 n’a d’ailleurs guère été utilisée ; on voit apparaître du côté du Sénat quelques tentatives dont je ne sais pas si elles feront école.

Quant à la Nouvelle-Calédonie, au-delà de nos souvenirs communs (Sourires), il semble pour l’instant difficile de faire entrer les traditions coutumières dans le bloc de constitutionnalité. Si le droit d’Alsace-Moselle a été reconnu par le Conseil constitutionnel, on ne peut pas en dire autant de la coutume de ce territoire, dont vous savez bien mieux que moi combien elle est diverse ; il serait d’autant plus délicat de s’appuyer sur elle pour juger des lois du pays de Nouvelle-Calédonie. Sur ce point, je suis donc un peu perplexe.

Monsieur Larrivé, j’ai tendance à considérer qu’il ne revient pas au Conseil constitutionnel de juger de la régularité de la question soumise à référendum dès lors que la Constitution ne l’a, à l’évidence, pas prévu. Lorsque c’est une proposition de loi qui fait l’objet du référendum, la Constitution prévoit en revanche que le Conseil constitutionnel exerce sur elle un contrôle préalable. Bien que le jugement a contrario ne soit jamais très bon en droit, si ce contrôle préalable n’est pas prévu dans les autres cas, le Conseil ne pourrait s’autoriser à l’exercer que par une décision prétorienne au regard du texte de l’article 11. Ce n’est donc pas une voie qu’il pourrait envisager de prendre. En l’état actuel du droit, il est difficile, voire impossible de contrôler le contenu de la question soumise.

Sur la publication de l’avis, mon opinion n’est pas aussi nettement formée. Mais elle n’est pas non plus prévue par les textes.

De manière générale, sur bien des questions, il appartient au législateur ou, selon les cas, au constituant de faire évoluer la réglementation.

M. le président Dominique Raimbourg. Madame la secrétaire générale, nous allons maintenant procéder au scrutin hors de votre présence.

Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de Mme Corinne Luquiens à la fonction de membre du Conseil constitutionnel.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants : 18

Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 0

Suffrages exprimés : 18

Avis favorables : 18

Avis défavorables : 0

La commission a donc émis un avis favorable à la nomination de Mme Corinne Luquiens en qualité de membre du Conseil constitutionnel.

M. le président Dominique Raimbourg. La nomination de Mme Luquiens est adoptée à l’unanimité – avec les félicitations de la Commission !

*

* *

Enfin, la Commission examine, en vue de sa lecture définitive, le projet de loi relatif au droit des étrangers (M. Erwann Binet, rapporteur).

M. Dominique Raimbourg, président. Nous examinons en lecture définitive le projet de loi relatif au droit des étrangers en France. À ce stade de la procédure, nous n’avons d’autre choix que de nous en tenir au texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, le Sénat ayant rejeté ce texte avant-hier. Monsieur le rapporteur, est-ce bien votre proposition ?

M. Erwann Binet, rapporteur. C’est bien ma proposition.

La Commission adopte le projet de loi voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

*

* *

En conséquence, conformément à l’article 45, alinéa 4, de la Constitution et en application de l’article 114, alinéa 3, du Règlement, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République demande à l’Assemblée nationale d’adopter le texte voté par elle en nouvelle lecture.

La séance est levée à 11 heures 15.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jean-Michel Clément, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Guy Geoffroy, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Sandrine Mazetier, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Alain Tourret, M. Daniel Vaillant, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Dominique Bussereau, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, Mme Françoise Guégot, Mme Marietta Karamanli, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Jacques Valax

Assistait également à la réunion. - M. François Loncle