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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 9 novembre 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de M. Olivier Meneux, directeur du projet Médicis-Clichy-Montfermeil

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 9 novembre 2016

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’audition de M. Olivier Meneux, directeur du projet Médicis-Clichy-Montfermeil.

M. le président Patrick Bloche. Constitué en décembre 2015, l’établissement public de coopération culturelle Médicis-Clichy-Montfermeil a pour objet de préparer la création, à l’horizon 2024, d’un lieu culturel à vocation artistique, mais aussi éducative, sociale et économique, sur un territoire du Grand Paris en pleine rénovation urbaine.

Ce grand projet – car c’en est un – se situe à la rencontre des compétences de notre commission en matière d’éducation, de culture et de jeunesse. Le bureau de notre commission a souhaité vous rencontrer, monsieur le directeur, afin d’en savoir plus sur ce que le ministère de la Culture présente comme « un laboratoire pour la politique culturelle de demain ». Mme Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, y a d’ailleurs fait explicitement référence hier, lors de son audition sur les crédits de son ministère pour 2017.

Votre audition vise à donner une plus grande lisibilité, sinon visibilité, à ce grand projet. Nous nous posons quelques questions très simples : quels sont les origines de ce projet, sa philosophie et ses grands axes de développement ? Quels en sont les partenaires et le calendrier ? D’un point de vue plus personnel peut-être, quels sont vos priorités et, pourquoi pas, vos espoirs pour ce grand chantier de la création et de la transmission culturelles ?

M. Olivier Meneux, directeur du projet Médicis-Clichy-Montfermeil. Je vous remercie infiniment de me donner l’occasion de présenter ce grand projet culturel national et d’en débattre avec vous.

L’établissement public de coopération culturelle (EPCC) – intitulé qui en dit déjà long sur la forme prise par cette aventure et sur son ambition – n’existe que depuis un an. Nous avons opéré volontairement à bas bruit ; nous sommes engagés dans un temps de travail long et âpre. Nous avons d’abord établi un diagnostic, préalablement à la création de l’EPCC. Puis nous avons travaillé, pendant un an, à la structuration du projet. Il est désormais temps de le lancer. Cette audition coïncide donc avec le passage à la deuxième phase du projet.

Avant de présenter les axes de développement et les priorités du projet, je reviens sur son origine.

Nous sommes dans une situation géographique particulière. Il n’est pas habituel, dans les politiques culturelles françaises, d’envisager un projet d’envergure nationale hors des murs de Paris. Nous nous situons à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, dans le nord-est de la région parisienne. Chacun d’entre vous connaît bien, parfois pour de tristes raisons, les particularités de ce territoire. Fortement enclavé, marqué par une relégation absolue, il se voit renvoyé à une assignation supplémentaire depuis les émeutes de 2005 : il est soudain devenu le territoire de la violence sociale. Il ne l’est pourtant pas plus qu’un autre, mais les dispositifs médiatiques produisent, on le sait, de la représentation et de l’assignation.

Le fait que le ministère de la Culture et de la Communication ait décidé, en 2014, de relancer, précisément en ce lieu, ce projet dédié à la jeune création, à l’émergence artistique et culturelle, à la transmission et à l’éducation artistique est donc plus qu’un symbole. Mais c’est aussi une volonté de réinventer ce qui fonde l’intervention publique en matière culturelle et, en termes d’aménagement, de ne pas situer les pôles fondamentaux que constituent les grandes agences et les grands établissements publics nationaux uniquement dans le centre des métropoles, principalement à Paris. On parle donc bien d’un établissement national situé en bordure du Grand Paris.

Le projet est né en 2007-2008 de la volonté de MM. Claude Dilain et de Xavier Lemoine, maires respectivement de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil. Après l’assignation sociale tragique faite à leur territoire à la suite des émeutes, ils ont considéré que la culture pouvait avoir pour effet de retourner cette image, de donner un rayonnement nouveau à ce territoire, de contribuer à sa réinvention.

Il s’agissait pour eux d’aller au-delà de la politique de la ville. Rappelons que ce territoire est en rénovation urbaine permanente depuis le début des années 2000, plus fortement encore à partir de 2008 avec le lancement d’un des plus grands plans de rénovation urbaine, et à nouveau depuis un an avec la rénovation de la cité du Chêne-Pointu dans le cadre du deuxième plan national de renouvellement urbain (PNRU 2). On est donc depuis quinze ans dans la rénovation des bâtiments, c’est-à-dire aussi dans la poussière. Cette réhabilitation urbaine est nécessaire, mais on voit bien que, dans les politiques de l’État à l’égard de ce territoire – elles sont parfois trop en « silos » ; je sais que vous plaidez pour l’interministérialité et la convergence des politiques publiques –, la logique de réparation l’a emporté sur toute autre.

Les maires des deux communes ont donc décidé de mettre la culture et l’éducation sur le devant de la scène, en considérant qu’elles pouvaient être, elles aussi, des éléments de reconstruction du territoire. À ce moment-là, l’État, dans un premier geste, par l’intermédiaire du ministre de la Culture et de la Communication, M. Frédéric Mitterrand, a considéré que l’on pouvait aussi, pourquoi pas, bâtir à Clichy-sous-Bois et Montfermeil un centre Pompidou, un musée du Louvre ou une Villa Médicis, en tout cas implanter dans ce quartier de la République un lieu de référence pourvu d’un identifiant culturel majeur, de portée nationale. L’État s’est alors doté d’un équipement en achetant la tour Utrillo, située au cœur du quartier des Bosquets. Finalement, le projet n’a pas abouti, mais le coup était parti, si j’ose dire.

En octobre 2014, la nouvelle ministre, Mme Fleur Pellerin, a relancé l’initiative en me confiant une mission de réflexion stratégique : elle m’a demandé de réfléchir aux conditions d’élaboration de ce projet pour le XXIe siècle, en abordant des questions tant locales que nationales. Le projet a été confirmé par Mme Audrey Azoulay à son arrivée rue de Valois, non seulement avec la création de l’EPCC en décembre 2015, mais aussi avec l’attribution d’un certain nombre de missions que je vais vous exposer.

Quelles sont les ambitions de ce projet ?

J’ai parlé d’un temps long. Pourquoi a-t-on fixé 2024 comme date cible ? Parce qu’il faut du temps pour créer un projet culturel et permettre aux politiques d’évoluer. Il faut le temps de l’appropriation, de la construction, de l’élaboration. L’émergence des grands projets, de la Cinémathèque française ou de la Philharmonie de Paris, entre autres, a été aussi longue, voire plus longue. Vous avez débattu de ces projets au sein de la représentation nationale bien avant qu’ils n’émergent. Parfois, ils ont connu quelques périodes chaotiques.

Il a été décidé que ce territoire méritait que ce laboratoire s’implante dès sa phase de préfiguration. Le projet cible ne pourra émerger en 2024 que si nous prenons le temps de réfléchir localement sur son implantation, de dialoguer avec les habitants et les parties prenantes, notamment les établissements publics culturels nationaux.

Nous avons aussi choisi 2024 parce que, à cette date, le territoire sera relié au Grand Paris. Actuellement, je l’ai dit, le territoire est enclavé, et la « zone d’expression » du projet, qui s’étend à moins de vingt minutes de son centre d’activité, comprend environ 60 000 habitants. En 2024, cette zone d’influence n’en comptera pas moins de 800 000, puisqu’une gare du Grand Paris Express sera implantée au pied même du projet Médicis-Clichy-Montfermeil. Pendant la durée des travaux, nous aurons donc un laboratoire de préfiguration, puis, en 2024, le rayonnement deviendra francilien au premier abord, mais au-delà il sera national. Je vais en permanence vous parler de ces trois cercles : nous construisons à l’échelle locale, nous pensons à l’échelle du Grand Paris, nous nous projetons à l’échelle nationale. Cette structuration en trois temps et en trois espaces est essentielle dans l’élaboration du projet.

Ce projet national est important du point de vue de la convergence des politiques publiques. Nous sommes, je l’ai dit, dans un territoire de la politique de la ville qui, actuellement, est pensé uniquement dans le cadre d’une approche en silos. Or, on ne peut pas bâtir un projet ambitieux au cœur de la République, dans un quartier de la relégation, sans dialoguer avec nos homologues de l’Éducation nationale, de la médiation sociale et culturelle, de l’éducation et de la transmission, mais aussi du développement économique. L’éducation et la culture, en particulier, doivent absolument s’allier et faire « bon ménage ». Il s’agit bien d’un projet culturel et artistique qui porte au cœur de son ambition la jeune création et l’émergence artistique, mais aussi la problématique de la transmission. La Seine-Saint-Denis est l’un des territoires les plus jeunes de France ; Clichy-sous-Bois Montfermeil est le territoire le plus jeune de la Seine-Saint-Denis.

Pourquoi monter ce projet de la sorte ?

En 2024, la tour Utrillo sera démolie et une gare du Grand Paris Express sera édifiée. Ce territoire sera relié tout d’un coup : il suffira alors de 25 minutes en transports en commun pour se rendre dans le centre de Paris, contre une heure et demie aujourd’hui, et de 10 minutes pour rejoindre les principales gares du Grand Paris Express. Ce territoire va donc changer totalement de visage et de perspective. Il va connaître un tournant en termes de développement économique et de construction.

Actuellement, il n’y a pas de grand équipement culturel dans le nord-est de la région parisienne. Il y a une scène conventionnée à Tremblay-en-France ; il y en avait une précédemment au Blanc-Mesnil. La Seine-Saint-Denis mène, on le sait, une politique culturelle très active, mais ses équipements culturels sont, malgré tout, situés au bord du périphérique et particulièrement tournés vers Paris. Peu d’équipements sont situés au cœur de ce qu’on peut encore appeler la banlieue.

Dès lors, avec l’adjonction d’une gare et d’un équipement majeur, notre ambition est de créer une porte culturelle du Grand Paris.

Pourquoi une ambition sur site dès maintenant ?

Premièrement, parce qu’en souhaitant sortir ce territoire de sa relégation, on va construire, pendant les dix ans que vont durer les travaux, encore plus de relégation ou de ghettoïsation. La volonté politique, nationale et territoriale, est majeure pour ce territoire ; la construction de la gare et du tramway, le renouvellement urbain sont des projets magnifiques, mais ils vont aussi bloquer le territoire, qui n’est desservi que par deux voies d’accès principales. Les travaux d’excavation préalables à la construction de la gare, par exemple, vont se traduire par le passage d’un camion semi-remorque rempli de terre toutes les huit minutes pendant six mois ! Il faut donc penser ce temps-là aussi.

Je vous fais part d’une anecdote. Lorsque nous avons relancé le projet avec la ministre de la Culture Fleur Pellerin il y a un an, j’ai rencontré un enfant de douze ans, qui s’émerveillait de ce nouveau déplacement de ministre à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil et m’a demandé ce que nous allions faire. Je lui ai expliqué que, dans huit ans, là où il se trouvait, il y aurait une gare et, peut-être, un équipement culturel – à l’époque, nous n’en étions pas aussi sûrs ; aujourd’hui, nous sommes véritablement lancés. Il m’a répondu : « Ce n’est pas pour moi, monsieur : en 2024, j’aurai 22 ans. » Puis il s’est tourné vers son petit frère ou son cousin de 8 ans et lui a dit : « En revanche, ce sera pour toi. »

Ainsi, la politique publique de reconstruction correspond au temps d’une génération ; ces huit ans, il ne faut pas les oublier. C’est une des raisons pour lesquelles nous constituons ce projet dès à présent. Il s’agit non pas de répondre à une urgence culturelle, mais de bâtir dès maintenant une première réponse.

Deuxièmement, il est nécessaire de le faire parce que, pour un tel projet national, il faut prendre le temps de penser hors des cadres, c’est-à-dire hors de nos labels, de nos prescriptions, voire de nos conservatismes. Les politiques publiques doivent se renouveler. C’est le temps long que j’ai déjà évoqué tout à l’heure.

Comment allons-nous travailler ?

Lors de la création de l’EPCC en décembre 2015, notre ambition a d’abord été de développer le partenariat le plus large, d’obtenir l’adhésion territoriale la plus grande. L’État s’est fortement engagé, ainsi que l’a rappelé la ministre de la Culture et de la Communication hier devant vous. Mais un projet de cette envergure ne peut pas se réaliser sans coopération, sans ambition partagée. D’ores et déjà, les deux communes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, qui avaient manifesté à l’origine le désir d’un projet, et l’établissement public territorial Grand Paris-Grand Est de la métropole se sont impliqués dans le projet.

Pendant toute cette année, nous avons travaillé avec toutes les autres collectivités qui n’avaient pas eu le temps d’adhérer au projet lors de son lancement. Sans me prévaloir des décisions qui seront prises par leurs assemblées délibérantes, je peux vous annoncer aujourd’hui que la région Île-de-France, le département de la Seine-Saint-Denis, la métropole du Grand Paris et la ville de Paris souhaitent rejoindre cette aventure. Forts de la volonté de tous ces territoires, nous allons passer à une « version 2 » du projet d’ici au début de l’année 2017. Rappelons néanmoins que l’ambition de l’État reste prégnante dans ce dossier.

Bâtir un projet culturel en 2017, c’est d’abord se poser la question de la jeunesse et de la transmission. Tout au long de son histoire, le ministère de la culture a évidemment nourri une ambition forte en matière de création artistique : les artistes sont au cœur des dispositifs d’intervention. Il ne m’appartient pas de le remettre en question, ni à titre personnel, ni à titre professionnel, mais il semble que, trop souvent, la transmission et l’éducation artistique soient considérées par bon nombre de professionnels, sinon comme un alibi, du moins comme une forme secondaire d’intervention. Or, un État qui se veut fort en matière culturelle doit penser la création et la transmission comme les deux axes fondateurs de sa politique publique.

À mon sens, ce projet est l’un des premiers dans lequel l’acte de création et l’acte de transmission seront considérés comme deux pans essentiels et consubstantiels à sa construction. D’abord, parce que le territoire sur lequel il s’implante est jeune, je l’ai dit, mais, surtout, parce que les nouvelles générations d’artistes n’interviennent plus aujourd’hui sans se poser les questions de leur rapport au territoire et au public, de la transmission et de l’accompagnement des publics. Il ne s’agit évidemment pas de réduire l’acte créatif à un simple instrument, mais il faut aussi savoir demander ou commander des actes d’intervention sociale aux artistes et aux équipes artistiques. Ils sont d’ailleurs tout à fait volontaires en la matière.

Dès janvier 2017, nous allons monter une quinzaine de résidences artistiques sur site, avec quinze modes d’expression différents. Pendant un an, ces artistes vont travailler sur leurs œuvres, en résidence, selon un schéma assez classique – il est même défini dans des circulaires. Mais, en sus, nous allons leur demander de mener une réflexion commune sur le thème de l’espace public, du déséquilibre dans l’espace public et de la manière de vivre dans cet espace public. L’année prochaine, nous travaillerons peut-être sur la question de la traduction au sens large, non seulement du point de vue linguistique, mais aussi du point de vue anthropologique, notamment sur le problème crucial des catégorisations et de l’assignation. Pendant dix ans, nous allons former, avec ces artistes, un répertoire de réflexion qui nourrira le projet et son ambition culturelle. Cela se fera dans le cercle local, mais ces artistes sont des « artistes-monde » : il ne s’agit pas simplement de confier des projets à des artistes issus d’un territoire donné ; ce sont des artistes que nous repérons dans un cadre de jeune création et d’émergence artistique.

Le deuxième axe du volet création est dédié à la jeunesse et à la transmission, avec un appel à candidatures intitulé « Création en cours », lancé par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. Il s’agit du premier dispositif en matière de professionnalisation des jeunes artistes. Pour les nouvelles générations issues des écoles supérieures « culture », on le sait, l’accès au marché de l’art, aux représentations, aux institutions, aux dispositifs de soutien, à tout ce qui forme le champ de l’intervention publique et privée en matière culturelle, est souvent délicat. Dans le cadre de « Création en cours », 100 artistes seront accueillis en résidence dans 100 écoles et collèges de la République – il s’agit donc, par définition, d’un projet national. Il leur sera proposé de travailler avec nous à des formes de création et de recherche.

Par ailleurs, à l’image de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), dont la mission photographique a révolutionné la commande publique en la matière et nourri, pendant trente ans, nos regards et nos représentations sur l’évolution de la France, au-delà même du champ culturel, nous allons commander chaque année, pendant dix ans, une recherche spécifique à une dizaine de photographes sur les mutations du Grand Paris.

Ainsi, dès 2017, tout en étant un établissement de préfiguration, nous allons accompagner près de 150 équipes artistiques dans des projets de recherche et de création, tous tendus vers la question de la mutation urbaine, de la transmission, de l’accompagnement des regards. L’ensemble de ces protagonistes, chercheurs et créateurs, nourriront au quotidien le travail de l’équipe projet qui est chargée d’élaborer le projet scientifique et culturel pour 2024. Le lieu que nous bâtissons aujourd’hui n’est donc pas le lieu cible de 2024, qui sera beaucoup plus ample et ambitieux.

Le calendrier du projet, monsieur le président, est relativement complexe. Nous avons diagnostiqué en 2015, nous avons élaboré en 2016, nous lançons en 2017. En 2018, nous ouvrirons une maison du projet, une « maison-balise », si je puis dire, de près de 1 000 mètres carrés, qui sera un lieu d’expression et un le lieu de rencontre avec les habitants et les différents publics. Entre 2018 et 2021, nous continuerons cette politique culturelle, tout en bâtissant notre projet scientifique et culturel, dont l’ambition est double, vous l’avez compris : transmission et création.

La perspective est celle d’un équipement francilien majeur pour la création, la transmission et la diffusion – en cela, nous dépassons sans doute le projet d’une Villa Médicis. Actuellement, je le répète, il n’y a pas de grand équipement culturel au nord-est de l’Île-de-France. Notre cahier de prescriptions cite un certain nombre de fonctions cibles pour 2024 : un plateau d’art contemporain, qui accueillera vingt à trente artistes par an ; sans doute une école de la deuxième chance ; sans doute une université populaire et, également, un projet dédié à l’enseignement supérieur artistique. Pour le bâtiment, nous nous orientons vers un espace de 17 000 à 25 000 mètres carrés.

Nous allons étudier tout cela au cours des 18 mois qui viennent. J’aurai l’occasion, je l’espère, de venir vous présenter le fruit de notre réflexion stratégique. Nous pensons que, d’ici un an et demi, l’ensemble des conditions seront réunies, avec tous les partenaires publics engagés dans l’EPCC, mais aussi, demain, des partenaires privés – je sais que la question du mécénat vous tient à cœur. Je ne peux malheureusement pas vous en donner la liste aujourd’hui, car ce travail est en cours. Sachez simplement que nous dialoguons avec plusieurs partenaires potentiels et que de grands mécènes, notamment des fondations
– Orange, Total, Bettencourt Schueller –, souhaitent rejoindre et accompagner le projet. J’aurai le plaisir d’annoncer les conclusions de ces discussions d’ici quelques semaines.

Mme Sandrine Doucet. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour cette présentation du projet culturel Médicis-Clichy-Montfermeil. Il s’agit d’un projet très important, non seulement pour la culture en général, mais aussi pour la dynamique d’un territoire qui a subi, en 2005, des événements tragiques et des émeutes, et qui doit aujourd’hui être connu pour d’autres aspects, positifs cette fois. Il est d’ailleurs heureux que nous puissions parler, en ce jour particulier, de rayonnement culturel et de démocratisation de la culture, qui est un symbole et un facteur de cohésion sociale. Le projet Médicis-Clichy-Montfermeil participe de la dynamique territoriale autour de la tour Utrillo, rachetée par le ministère de la Culture et de la Communication, dont il faut souligner la constance dans le soutien au projet.

La présentation que vous venez de faire montre l’importance du lieu dans la construction des projets culturels. Cela corrobore les observations de terrain que j’ai pu faire dans le cadre de la mission parlementaire que je conduis sur le parcours d’éducation artistique et culturelle. Bien souvent, en effet, la dynamique se crée autour d’un lieu, culturel ou éducatif. Je cite quelques exemples, certes bien modestes par rapport au projet Médicis-Clichy-Montfermeil : Côté sciences à Floirac, la Casa Musicale à Perpignan, la ferme de Trielle dans le Cantal. Et, quand ce lieu n’est pas le centre du projet d’éducation artistique et culturelle, il permet de retranscrire le travail effectué, à l’instar, entre autres, des théâtres qui s’ouvrent aux pratiques amateurs.

Pour ma part, en tant que Bordelaise, j’ai bénéficié, avec une jubilation peut-être un peu provinciale, de ce lieu culturel d’avant-garde qu’était le centre d’arts plastiques contemporains (CAPC), ouvert en 1973 par le maire Jacques Chaban-Delmas.

L’ouverture prochaine de Médicis-Clichy-Montfermeil autorise bien des espoirs. C’est un projet grandiose et chargé de symbole, dans la couronne parisienne en souffrance. Monsieur le directeur, c’est un immense défi que vous devez relever avec vos équipes, et nous ne pouvons que souhaiter votre pleine réussite. Vous le soulignez : le développement culturel doit être vu comme un levier de cohésion sociale, de fierté territoriale, et ce projet doit être innovant et fédérateur.

Tout est réuni pour que le projet soit un succès : la mobilisation des acteurs, tout d’abord, avec l’impulsion de l’État via le ministère de la Culture et de la Communication et la préfecture de la Seine-Saint-Denis, l’implication des maires, de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et de la Société du Grand Paris ; ensuite, le lien avec les réseaux de transport en construction – vous avez insisté sur l’accessibilité, qui est une condition première pour la diffusion culturelle ; en outre, l’inclusion du projet dans le Grand Paris, avec une réflexion menée à l’échelle métropolitaine ; enfin, l’élaboration par étapes du projet, qui permettra à la réflexion sur le projet urbain, architectural et culturel de mûrir en fonction des différents moments artistiques qui seront programmés.

Cependant, dans la note de présentation du projet que vous nous avez transmise, j’aurais aimé voir davantage de place accordée à l’éducation artistique et culturelle, scolaire, périscolaire et extrascolaire. En effet, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 prévoit, dans son article 10, que tous les élèves bénéficieront d’un parcours d’éducation artistique et culturelle tout au long de leur scolarité. Cette loi précise que ce parcours doit être mis en œuvre localement et que les acteurs culturels, artistiques et associatifs sont associés. L’accès à la culture est donc inscrit dans la loi. Dans la note que vous nous avez transmise, vous évoquez rapidement l’éducation artistique et culturelle, notamment par le biais de la « diffusion de petites formes et [de] résidences en milieu scolaire ». Est-ce à dire que l’échelle du projet Médicis-Clichy-Montfermeil est finalement trop importante, que la structure est « trop grosse » pour pouvoir concerner le « très local », la classe, l’élève ? Ou cela signifie-t-il que le rayonnement métropolitain implique un territoire trop important pour développer ce parcours d’éducation artistique et culturelle ?

Cette interrogation sur l’éducation artistique et culturelle est l’occasion d’un questionnement sur le lien entre le projet culturel et l’exigence territoriale de proximité. Cette proximité est nécessaire pour l’inclusion sociale et l’appropriation du projet par les habitants, ainsi que vous l’avez souligné, mais aussi pour le développement du parcours d’éducation artistique et culturelle dans ses trois composantes : scolaire, périscolaire et extrascolaire. Selon moi, il faut à tout prix éviter un « effet tunnel » qui ferait que les projets du futur équipement n’irrigueraient pas assez les structures locales et ne concerneraient pas les enfants les plus proches. Mais je ne doute pas que vous saurez me rassurer à ce sujet.

M. François de Mazières. Merci, monsieur le directeur, pour votre présentation. Elle est nécessaire pour que nous comprenions bien ce projet. Ainsi que vous l’avez rappelé, il est relativement ancien : il est né en 2011. Il a connu plusieurs versions, et ce que vous nous présentez aujourd’hui est presque encore une nouvelle mouture. C’est ce qui en fait l’intérêt, mais c’est aussi une source d’inquiétude.

Il est assez légitime de créer sur ce site un lieu favorisant l’émergence culturelle et la création, et tout à fait normal de développer, à cette fin, une structure sur ce terrain. Mais une question se pose : faut-il faire un « grand machin » supplémentaire, surtout à un moment où les contraintes budgétaires pour la culture sont très fortes ? Plusieurs chiffres ont circulé : j’ai entendu que l’investissement devait atteindre 30 millions d’euros, mais, avec le bâtiment de 25 000 mètres carrés que vous avez évoqué, on dépassera assurément ce montant. Les sommes en jeu sont très importantes. L’année dernière, nous avons voté un million d’euros de crédits pour des études. Cette année, on nous propose d’accorder 1,5 million d’euros supplémentaires. Cela fait beaucoup d’études, d’autant qu’il y en a déjà eu un certain nombre auparavant !

D’autre part, a-t-on intérêt à installer une grande institution culturelle de plus dans l’agglomération parisienne ? Sur le budget du ministère de la Culture, Paris représente actuellement 900 millions d’euros, soit plus du quart des subventions. Or le problème que nous avons aujourd’hui en France en matière de culture et de création, c’est une forme de désertification, qui n’est pas du tout propre à la région parisienne. Je dirais même que la région parisienne est moins abandonnée que bien d’autres territoires.

On peut s’interroger : ne fallait-il pas préférer une structure légère ? D’autant que la création aime bien ce type de structures. Si l’on observe ce qui s’est passé en matière de création en France ces dernières années, on constate que, souvent, on a commencé par de petites unités où il y avait une grande énergie. En l’espèce, on a tout de suite voulu une grande institution, ainsi que vous l’avez dit à plusieurs reprises au cours de votre présentation. Je crains qu’on ne fasse un peu fausse route.

Surtout, le caractère fluctuant du projet est un peu inquiétant. Ce que vous nous avez présenté est séduisant, mais c’est complètement flou : on ne sait plus ce que c’est ! À un moment donné, il était question d’une Villa Médicis, on voyait alors un peu à quoi cela correspondait. Désormais, ce n’est plus du tout une Villa Médicis, c’est une accumulation de structures culturelles : on ajoute une couche supplémentaire à chaque fois, et le projet devient de plus en plus flou, ce qui est, selon moi, dangereux.

Il serait plus intéressant de créer un lieu véritablement dédié à l’émergence culturelle, qui essaie de relayer ce qui se passe sur le terrain. Vous nous avez dit que vous alliez faire venir dès l’année prochaine des « artistes-monde » : qui sont-ils ? Où seront-ils logés ? De même, je m’étonne que l’opération « Création en cours », qui vise à accueillir 100 artistes en résidence dans des écoles et des collèges dans toute la France, soit tout entière liée au projet. Pour ma part, je préférerais que l’on aide directement notre quarantaine d’écoles artistiques, qui en ont bien besoin, car elles sont dans une situation très difficile. Tout focaliser aujourd’hui sur ce lieu me paraît une erreur. En revanche, intégrer ce lieu dans une réflexion générale me paraîtrait la bonne logique. En l’occurrence, on a l’impression qu’on est un peu, pardonnez-moi, dans le gadget.

Pour avoir mené la création d’un établissement public culturel, je sais combien il est dangereux de ne pas avoir un projet bien précis et bien défini dès le départ. Car vous allez avoir des milliers d’idées ! Certes, vous allez faire des choix, me direz-vous, mais ce sera difficile. Il vaudrait mieux que vous disposiez d’un projet plus cadré, plus solide, avec des perspectives financières. J’ai lu le document que vous nous avez transmis : il est intéressant, mais il ne contient aucune projection financière sérieuse. Or nous vivons une période de crise budgétaire, il faut en avoir conscience….

Telles sont les interrogations du groupe Les Républicains.

Mme Gilda Hobert. Je ne ressens pas les choses de la même manière que M. de Mazières.

Monsieur le directeur, le projet Médicis-Clichy-Montfermeil, que vous conduisez, éveille autant d’espoirs qu’il soulève de questions. Il est séduisant et ambitieux à plus d’un titre. Je tiens à vous féliciter, et ne cache rien de l’engouement que suscite l’idée de lier, comme vous le dites, une ambition culturelle et une ambition populaire.

Ainsi que vous l’avez indiqué, l’implantation du projet n’est pas anodine : le choix d’un quartier en pleine restructuration, qui a bénéficié de nombreux travaux financés par l’ANRU, est, à mon sens, le choix le plus ambitieux. En effet, la perception de l’espace et la mobilité varient selon les populations et selon les territoires.

Plusieurs ministres se sont engagés, avec constance, dans cette démarche en faveur de la culture et de la cohésion sociale. Ce projet se fonde et se greffe presque naturellement sur ce qui a été fait depuis plusieurs années : rénovation urbaine, construction d’un nouveau tramway, modernisation de la gare. Il contribue au développement d’une infrastructure de qualité dans la région en même temps qu’il la complète. L’offre de transport public a vocation à combler la fracture spatiale. Pour votre part, vous désirez combler la fracture mentale. En effet, ce n’est pas parce qu’un établissement s’implante en banlieue que ses habitants vont automatiquement s’en emparer.

Au-delà des partenariats que vous allez conclure, entre autres, avec le Palais de Tokyo ou la MC93, je trouve que toute votre programmation est ambitieuse et inclusive. Vous ne mésestimez pas l’importance du territoire d’implantation du projet, ni celle de ses habitants. À vous entendre et à vous lire, il s’agira non pas d’un lieu fermé ou élitiste, mais, au contraire, d’un espace de collaboration et de concertation, d’un espace sans discrimination, conformément à ce que doit créer la culture, d’un espace, enfin, qui ne sera pas figé dans le temps.

À cet égard, la construction d’un lieu éphémère, qui constituera un véritable laboratoire d’idées pour le futur établissement, favorisera le lien avec les habitants et les acteurs locaux, notamment les associations et les établissements scolaires, dont ma collègue Sandrine Doucet a souligné le rôle. C’est possible : ainsi que nous l’avons vu avec le Louvre-Lens ou le centre Pompidou-Metz, toutes les formes de la culture peuvent s’ouvrir au plus grand nombre à travers un partenariat avec les établissements scolaires et une tarification progressive. Au-delà d’une programmation ambitieuse, comment comptez-vous faire, monsieur le directeur, pour ne pas laisser une frontière se créer entre les habitants et ce lieu ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’espace de collaboration avec les habitants et avec le tissu culturel qui existe déjà sur le territoire ? Vous évoquez, à raison, la réappropriation du territoire par ses usagers premiers et questionnez votre propre implantation à Clichy-sous-Bois et Montfermeil. Quelle en sera la teneur ?

La diversité est le maître mot de ce projet : il doit y avoir une diversité des usages, laquelle passe obligatoirement par une diversité des projets. Un établissement de ce genre se doit d’être multiple. C’est le cas, ou cela le sera, l’ambition étant d’ouvrir trois pôles : recherche et création, diffusion culturelle, enseignement et transmission.

Je voudrais m’arrêter sur la création. Vous avez lancé un dispositif de soutien à 100 jeunes artistes, qui seront accueillis dans les écoles et collèges « les plus éloignés de l’offre culturelle ». À ce titre, vous citez, entre autres, les quartiers prioritaires, qui sont pourtant un vivier important de culture urbaine en tout genre. Allez-vous vous appuyer sur cette force vive ?

Le fait que le projet ait pris la forme d’un EPCC et les coopérations que vous avez engagées à la fois avec les collectivités territoriales et avec le ministère de la Culture témoignent de votre volonté de vous inscrire pleinement dans un territoire, tout en développant une ambition à l’échelle nationale et internationale. Je suis bien placée pour savoir à quel point il est rare de voir tous les acteurs institutionnels faire corps autour de la création d’un nouvel établissement ou du soutien à un établissement. Vous aurez des interlocuteurs nombreux, divers, dont les intentions ou les velléités seront également multiples. Pensez-vous pouvoir allier l’ambition, l’ouverture et la promotion de la culture comme facteur de cohésion sociale avec ces intentions multiples ? Comment cela peut-il s’organiser, se mettre en place ? Quelles seront vos exigences – il est nécessaire d’en avoir – pour établir ces partenariats ? Un temps de réflexion s’impose, mais vivement 2024 !

M. Michel Piron. J’ai lu soigneusement la note que vous nous avez transmise, monsieur le directeur.

Le choix du lieu est tout à fait justifié. Ainsi que vous le soulignez dans la note, c’est un lieu remarquable, sur lequel un énorme travail a été fait, notamment par l’ANRU. Il est emblématique d’un essai de reconstitution d’un tissu urbain, non seulement minéral, mais aussi social. L’histoire de ce lieu, c’est celle de la reconstruction collective d’un quartier et de la relation de ce quartier avec la ville ou la cité. Quant à l’intention ou l’idée telle qu’elle est développée dans la note, elle ne peut évidemment que me plaire, à moi comme à beaucoup d’autres.

Mais, de l’intention au projet ou, soyons plus modestes, à l’avant-projet, il y a un énorme pas à franchir. À la lecture de la note, j’ai le sentiment que, à ce stade, on veut embrasser un peu tous les domaines. Or, qui trop embrasse mal étreint. N’y a-t-il pas un risque – tout projet comporte des risques ; je ne vous fais aucun procès d’intention – que la diversité extrême des champs que vous voulez couvrir nuise à la lisibilité du projet ou de l’avant-projet ? Selon moi, la question de la lisibilité est tout à fait fondamentale. La lisibilité du projet ne conditionne-t-elle pas son appropriation future par la population locale et par le territoire ? Encore une fois, l’intention est tout à fait louable, et le projet constitue un complément parfait au lieu et à son histoire, mais il semble manquer, aujourd’hui, d’un minimum de consistance, d’orientation ou de ligne directrice.

M. Hervé Féron. Monsieur le directeur, nous sommes ravis d’évoquer aujourd’hui avec vous ce beau projet Médicis-Clichy-Montfermeil. Il est temps d’être volontariste, et il ne faut pas céder à la critique facile. Dans ce contexte si inquiétant de « trumpisation » de la planète, cette belle initiative publique est rafraîchissante. À l’instar d’Antoine Vitez qui parlait d’un « théâtre élitaire pour tous », je dirais que la culture populaire doit être la culture élitaire pour tous. Alors, que l’on démolisse la tour Utrillo, mais que l’on n’oublie pas Utrillo !

Vous valorisez le soutien aux jeunes créateurs. Vous avez notamment évoqué l’appel à projets « Création en cours », lancé par le ministère de la Culture en lien avec le ministère de l’Éducation nationale, qui vise à soutenir 100 jeunes artistes qui seront accueillis en résidence dans les écoles et collèges français « les plus éloignés de la culture ». Pouvez-vous nous dire en quoi vous vous inscrivez dans ce projet ? De manière plus générale, comment entendez-vous valoriser la jeune création, notamment celle d’expression francophone ?

La façon dont vous questionnez le modèle culturel institutionnel français est passionnante. Vous évoquez notamment « l’interdisciplinarité entre les différents champs de l’art, mais aussi entre les arts et les sciences », ce qui m’a interpellé. En effet, bien que les gestes artistiques comme scientifiques procèdent d’une même interrogation sur notre perception de la réalité, ces deux domaines restent trop souvent et artificiellement opposés. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre démarche et nous donner des exemples concrets ?

Vous souhaitez aussi favoriser la réappropriation du territoire par ses habitants au sein de l’espace public, qui est celui de la cité. Je me demande quelle sera la place des femmes dans ce projet, sachant que ces dernières ont aujourd’hui du mal à trouver leur place dans l’espace public, avec les problèmes de harcèlement de rue que l’on connaît.

Mme Dominique Nachury. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour votre présentation de ce projet de grand lieu à vocation culturelle, artistique, éducative, sociale et économique. L’EPCC Médicis-Clichy-Montfermeil a été créé en 2015 mais le projet de transformation de cet immeuble vide depuis les années 1990 est en réalité beaucoup plus ancien.

À l’emplacement de la tour Utrillo se trouvera en 2023 une gare du futur métro du Grand Paris. Concrètement, comment se situera votre projet ? Y aura-t-il assez de place pour édifier l’ensemble des infrastructures prévues ? Vous avez en effet évoqué de nombreuses fonctions.

D’autre part, on évoque une « Villa Médicis du XXIsiècle » mais vous semblez vous en démarquer puisque vous dites dans une de vos interviews : « Ici, on n’aura pas d’artistes en chambre. Il faudra penser les projets avec les habitants. » L’analogie avec la Villa Médicis, qui, rappelons-le, est une résidence d’artistes, a-t-elle vécu ? Si oui, le nom même du projet est-il toujours d’actualité ? Ma question peut sembler dérisoire mais nommer est important car derrière un nom, il y a du sens.

Mme Annie Genevard. Vous avez beaucoup insisté dans votre propos sur la dimension territoriale. Plaidant moi-même pour une approche territoriale de la culture, je ne peux vous jeter la pierre à cet égard. Mais j’observe qu’une fois de plus, c’est l’Île-de-France qui capte des crédits importants – plus de trente millions d’euros – pour un projet culturel. Je voudrais élever une forme de protestation, comme élue d’un territoire de province, et dire à quel point nous peinons à obtenir des financements pour réaliser des opérations ou des équipements. À force d’oublier certains territoires, comme l’explique le géographe Christophe Guilluy, on risque d’assister à des phénomènes comparables à ceux que l’on observe dans d’autres pays et qui font l’actualité ce matin.

L’un des aspects intéressants de ce projet réside dans le fait qu’il lie cet équipement à la mobilité. Mais au fond, vous assignez à la culture une fonction de pansement social
– nouvelle fonction que l’on voit émerger dans ce champ depuis quelque temps. Ce n’est absolument pas suffisant. Dans le cadre de l’ANRU, des sommes considérables ont été déversées sur ces territoires sans que cela résolve les problèmes qu’ils connaissent. Si l’on ne traite pas les questions d’éducation et d’autorité de l’État, votre projet – si beau soit-il – restera inefficace. À l’inverse, une école de la fondation « Espérance banlieues » accomplit à Montfermeil un travail remarquable avec des moyens réduits, ce qui montre bien que l’on peut mener des actions importantes dans les territoires relégués – ségrégués, comme vous dites – sans y consacrer des volumes budgétaires aussi conséquents que ceux que nécessitera ce projet.

Vous avez insisté sur la dimension artistique, sur la création, sur les résidences d’artistes et sur la diffusion. Mais au fond, quel sens politique donnez-vous à votre projet, sachant que l’objectif de cohésion est menacé sur ce territoire ?

Mme Virginie Duby-Muller. Je vous remercie pour cette présentation très intéressante d’un projet ambitieux. Je salue votre intention de décloisonner la culture pour faire vivre nos territoires. Cependant, au-delà des intentions, le plus difficile dans nos quartiers est souvent de créer une dynamique permettant aux habitants de s’approprier le lieu, de le fréquenter et de le faire vivre. Certains projets sont très réussis en ce sens, comme par exemple le Musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée (MuCEM) à Marseille qui fait aujourd’hui partie intégrante de la ville, au cœur de la vie de ses habitants. Comment comptez-vous « rencontrer le public » ? Comment y parviendrez-vous ?

Le projet Médicis-Clichy-Montfermeil est présenté comme « fondé sur un modèle économique innovant, conforme à l’objectif de maîtrise des dépenses publiques et faisant intervenir des financements privés ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus, notamment sur ces financements privés ? Comment se déroule votre recherche de mécènes ?

Par ailleurs, comment comptez-vous inscrire ce lieu dans la dynamique d’innovation numérique ?

Enfin, quels rapports pensez-vous entretenir avec les autres structures existantes qui proposent à la fois une offre culturelle diversifiée, des résidences d’artistes et des lieux de rencontre artistique, comme le 6B à Saint Denis ou le 104 dans le 19e arrondissement de Paris ?

M. Olivier Meneux. Je vous remercie de vos multiples questions et tiens à préciser que le document qui vous a été transmis hier est une note liminaire sur ce projet.

Vous avez exprimé des inquiétudes de deux ordres : l’une concerne l’articulation entre le local et le national, l’autre, le risque de créer un nouveau « machin » – pour reprendre l’expression de M. de Mazières.

Il est bien dans notre intention de ne pas créer de nouveau « machin ». Dire qu’il s’agit d’une ambition nationale et d’un grand projet ne signifie pas que nous allons bâtir une énorme structure dont les missions seraient subsidiaires par rapport à celles d’autres lieux. Notre objectif est bien de penser les projets culturels « en archipel ». D’où l’importance de cette logique de non-exclusivité sur laquelle je n’ai visiblement pas assez insisté dans mon propos liminaire. Nous ne bâtirons pas une aventure au XXIsiècle en réinventant un lieu qui travaillerait seul, en cathédrale, comme beaucoup d’autres lieux se le sont fait reprocher. Je ne ferai d’ailleurs pas le procès de ces derniers, essentiels de mon point de vue à la vitalité économique, sociale et culturelle de nos territoires. Ces lieux contribuent au rayonnement de la France. Néanmoins, au XXIsiècle, compte tenu des contraintes budgétaires mais aussi du décloisonnement profond des frontières symboliques, culturelles et territoriales, bâtir un lieu n’a peut-être pas autant de sens qu’il y a cinq ou dix ans. Notre projet repose non seulement sur un équipement, mais aussi sur un réseau et une plateforme d’échanges. Il est difficile de vous présenter ce projet dans sa complexité en aussi peu de temps mais j’espère avoir l’occasion de le défendre plus avant dans les documents que nous vous fournirons dans les mois à venir.

Il ne s’agit pas de remettre en question le concept de la Villa Médicis mais de le réinventer. Je me suis rendu il y a quelque temps, à l’invitation des directeurs de la Casa Velasquez, de la Villa Kujoyama et de la Villa Médicis, à un événement organisé au Louvre pour évoquer l’avenir de ces espaces de création qui fondent notre modèle culturel français. Il m’a été donné l’occasion lors de cette rencontre, de répondre à la question suivante : « De quel dépaysement êtes-vous le sujet ? ». En effet, ces lieux ont été bâtis à une époque où l’académisme était essentiel. Il s’agissait alors d’aller se nourrir d’ailleurs. La villégiature artistique a toujours une fonction majeure qu’il ne m’appartient pas de remettre en cause. Mais vous comprendrez qu’à Clichy-sous-Bois, on aborde les choses autrement. On ne va pas à Clichy-sous-Bois ni à Montfermeil comme on va à Rome, à Kujoyama ou à Madrid. La référence à Médicis est donc un point de départ volontariste.

La volonté publique, antérieure au projet qu’on m’a demandé de concevoir et de porter, consiste à affirmer que ce territoire relégué – qui est la France comme ailleurs – a aussi le droit au meilleur. On aurait pu faire référence au Louvre ou au centre Pompidou mais ç’aurait été un peu facile, me direz-vous. Il a été envisagé, tout au long de l’année, de renommer ce projet, non pour remettre en cause cette initiative, mais bien pour tenir en compte de la nouveauté de ses fonctions. Une grande partie du projet visera le même objectif qu’une villégiature artistique : associer des artistes dans leur recherche et leur création, dans un temps long et sur un même territoire. Cet équipement aura par ailleurs pour objet la transmission et la diffusion – objectifs que ne poursuivent pas les deux autres villas. Mais les administrateurs de cet EPCC et les collectivités concernées considèrent comme majeure la référence à Médicis. Cette dernière exprime l’excellence que l’on veut sur ce territoire. On pourra attribuer d’autres fonctions à l’établissement : il ne s’agira alors pas de remettre en question sa fonction initiale mais de la dépasser et de la déplacer.

C’est en 2024, pas en 2017 que ce projet verra le jour et sa taille critique doit encore être définie. Il m’appartient aujourd’hui de monter un avant-projet qui ne nous enferme absolument pas dans un avenir prescrit d’avance. J’ai parlé tout à l’heure de 25 000 mètres carrés mais en réalité, le projet-cible fait aujourd’hui entre 11 000 et 18 000 mètres carrés de bâtiment : 11 000 mètres carrés de fonctions culturelles et 6 000 à 7 000 mètres carrés de fonctions privées, d’accueil mécénal et, pourquoi pas, d’accueil d’entreprises.

On parle aujourd’hui, dans le domaine du développement urbain, de « mixité sociale et fonctionnelle ». Or, ce territoire est actuellement une plaque monofonctionnelle, exclusivement consacrée au logement. Dans dix ans, il sera relié à l’échelle francilienne et à l’échelle nationale. Il est aujourd’hui plus facile de se rendre à Bruxelles qu’à Clichy-sous-Bois au départ de Paris. J’entends parfaitement que vous parliez de désertification des territoires car j’ai travaillé pendant dix ans en Picardie et pendant cinq ans en région Centre. Si je suis directeur de ce projet, c’est d’abord parce que je travaille depuis des années sur des territoires relégués et privés d’équipements.

Le Nord de la Seine-Saint-Denis n’est pas densément servi en structures culturelles. Il convient effectivement, madame Genevard, de ne pas surinvestir l’Île-de-France au détriment d’autres territoires. J’ai plaidé bien des fois pour qu’on rééquilibre la cartographie des équipements culturels mais ce territoire de 800 000 habitants ne dispose d’aucun équipement culturel majeur, contrairement à nombre de métropoles urbaines françaises. Il est d’ailleurs d’autres départements d’Île-de-France qui ne sont guère mieux desservis, tels que la Seine-et-Marne ou les Yvelines. J’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec la nouvelle présidente du Conseil régional : en termes d’intervention publique, la région parisienne comporte de véritables zones blanches. Il ne m’appartient pas de résoudre ces questions dans les fonctions qui sont les miennes mais je partage votre interrogation.

M. François de Mazières. Le cinéma à Saint-Denis est un grand projet !

M. Olivier Meneux. Tout à fait. On pourra travailler dans le champ cinématographique, la Seine-Saint-Denis étant le plus grand plateau de tournage européen, avec 60 % des industries. Mais cela ne profite pas immédiatement à ses habitants en termes de rayonnement et de diffusion culturels.

M. François de Mazières. Cela devrait !

M. Olivier Meneux. Je partage votre avis mais c’est un autre sujet.

Médicis correspond à une réalité d’excellence et le projet n’a pas vocation à déborder de sa perspective budgétaire de départ. Il restera même peut-être en deçà de celle-ci. Le bâtiment ne devra pas faire 18 000 mètres carrés à tout prix : c’est une cible – peut-être la plus élevée que l’on puisse viser. Dans l’année et demie qui vient, nous allons édifier ce projet et réfléchir à sa réalité.

Si je fais référence au principe de subsidiarité, c’est que l’Île-de-France jouit d’un grand nombre d’équipements. Je ne veux pas vous dire aujourd’hui – parce que je ne le sais pas encore – comment nous articulerons la fonction d’accueil d’artistes, de musiciens, de musicologues et de cinéastes, en lien avec la cité de Luc Besson et la Philharmonie de Paris. Mais comme nous nous inscrivons dans une logique de transversalité et de partage – non pas de moyens mais de compétences –, penser le projet en complémentarité avec les autres équipements devrait réduire la facture. Il ne s’agit pas de bâtir un équipement isolé, mais bien en archipel. Je suis très sensible à la pensée d’Édouard Glissant que j’ai souvent cité dans mes interventions sur l’aventure Médicis. La devise de notre projet est la suivante : « Une seule île ne nous suffit pas. En matière culturelle, c’est un archipel qu’il faut ». On ne peut plus travailler aujourd’hui sur la base d’équipements qui ne sont pas reliés ni articulés entre eux.

C’est pour cette raison que cette aventure doit prendre un peu de temps. Nous travaillons depuis un an à l’élaboration de la « version 2 » de l’établissement ; il ne s’agit pas, M. de Mazières, de dépenser des crédits d’étude, mais bien de bâtir une équipe projet qui, aujourd’hui, est déjà à l’œuvre.

Vous m’avez interrogé sur l’inscription de cet équipement dans son territoire d’implantation. Le projet n’est pas encore entièrement lisible aujourd’hui parce que nous avons pris le parti de ne pas trop communiquer à son sujet. Il ne s’agit pas d’afficher une ambition sur le dos d’un territoire, sans l’avoir véritablement éprouvée dans sa relation aux habitants. Ce territoire reçoit la visite d’un ministre quasiment tous les mois depuis près de dix ans : il en a besoin et la représentation nationale a accompli un travail colossal de réparation. Mais on ressent aussi, de ce point de vue, une certaine lassitude. C’est pourquoi nous travaillons dans un temps lent et long avec les associations.

Je n’ai pas évoqué tout à l’heure la politique de transmission, car elle se concrétisera en septembre 2017. Mais il est évident que nous travaillerons avec l’ensemble des écoles et des collèges et avec le lycée de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil – le troisième ou quatrième lycée de France en termes de capacité à faire progresser ses élèves, selon les nouveaux critères d’évaluation des équipements publics d’éducation. L’éducation est au cœur de notre préoccupation. Nous travaillons d’ores et déjà avec les associations au quotidien pour que des médiateurs et des chefs de projet dialoguent quotidiennement avec l’ensemble de ces acteurs. L’art ne peut pas grand-chose s’il n’est pas accompagné. Il peut tout dès lors qu’il converge avec les autres politiques publiques.

Je n’emploierai pas, comme vous, le terme d’« instrumentalisation ». Mais je parlerai sans hésiter d’éducation populaire, d’appropriation et de l’urgente nécessité de faire en sorte que les acteurs culturels et les artistes s’interrogent sur la cité, tout en conservant leurs préoccupations. Un artiste qui intervient à l’école reste un artiste : ce n’est pas un éducateur. Mais sa présence y est nécessaire pour que l’enfant puisse se construire symboliquement. La Seine-Saint-Denis est un département précurseur depuis dix ans en matière d’éducation artistique et culturelle. Bon nombre d’artistes déplorent depuis des années ce qu’ils considèrent comme une logique d’instrumentalisation. En tant qu’ancien directeur de structures culturelles et d’éducation, je peux vous dire que j’ai très souvent entendu ce genre de réflexions. Mais comme en témoigne votre Commission, l’éducation artistique est aujourd’hui considérée comme un pan majeur de la politique publique de la culture. Nous allons travailler – et travaillons d’ores et déjà – avec des artistes en résidence qui montent leurs projets artistiques et culturels en lien étroit avec les habitants.

Dans mon propos liminaire, j’ai parlé d’« artistes-monde » pour souligner que nous n’allions pas limiter le choix des artistes à un territoire spécifique. Les artistes que nous accueillons aujourd’hui sont tous francophones et de création française, mais ils appartiennent à des champs disciplinaires différents. Le thème de cette année, « Faire lieu, prendre place », est le liant de leur travail quotidien. C’est peut-être en cela que nous innovons ou, du moins, que nous travaillons différemment des autres établissements du type « villa Médicis ». Habituellement, les artistes sont choisis au sein d’un champ artistique et se voient offrir la possibilité, pendant un an, de créer leur œuvre. Nous dépassons ce principe en souhaitant accompagner les artistes dans leur champ créatif mais nous allons leur demander de travailler avec nous, dans le temps de la transmission. Si c’est cela que vous appelez « instrumentaliser », alors, j’instrumentalise et j’en suis fier. Nous posons aux artistes une question commune qu’ils portent dans leur œuvre. La cinéaste Alice Diop soulève le problème de la traduction, de la représentation et de l’adaptation des Passagers du Roissy-Express de François Maspero. Quand Marianne Rubinstein publie chez Vertical Detroit, dit-elle ou qu’elle soulève dans son prochain roman la question des villes résilientes, elle représente elle-même une forme d’hybridation puisqu’elle est à la fois économiste, universitaire et écrivain. Elle va travailler avec nous sur la question de l’espace public, non seulement à Clichy-sous-Bois mais aussi à Aulnay. On peut parler de commandes croisées puisque les artistes vont à la fois travailler sur leur œuvre et traiter avec les habitants de questions symboliques fortes pour le territoire.

Vous parliez tout à l’heure de décrochage et de la difficulté à soutenir un projet culturel sur quelque territoire que ce soit. L’un des enjeux aujourd’hui est de permettre à la jeunesse de comprendre ce qu’est une politique publique et d’y adhérer. Il ne s’agit pas de faire du storytelling. Mais il m’est plus facile d’expliquer aux habitants que nous allons travailler avec eux pendant un an sur leur territoire, avec dix artistes associés et des chercheurs, sur la question de savoir comment vivre dans un espace public enclavé et assigné que de dire à ces mêmes habitants que l’on va recevoir une urbaniste, chargée de traiter la question de la division internationale du travail en matière de développement urbanistique, ou bien un écrivain qui réfléchira aux nouvelles résiliences territoriales et à la difficulté de survivre sur un territoire comme celui de Clichy-Montfermeil. Les travaux spécifiques à chacun de nos chercheurs et artistes restent singuliers, mais tous nourrissent un questionnement sur le territoire.

La question de la transmission sera posée à ces artistes – mais pas seulement à ceux-ci. Je ne vous ai pas présenté ce matin de grande réflexion en la matière, car nous la co-construisons en ce moment-même avec les habitants, les associations, les établissements scolaires, le rectorat, les inspections académiques et la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale, ce jusqu’en février prochain. Nous pourrons ainsi bâtir, dès 2017, un programme de classes culturelles. Il est important que cette présence artistique majeure sur le territoire profite aux équipes pédagogiques et éducatives en complétant et en renforçant
– non en remplaçant – le travail qu’elles mènent au quotidien. Ayant mené, il y a dix ans, une expérience intitulée « La culture et l’art au collège » et contribué à un projet de résidence en Seine-Saint-Denis intitué In situ – qui fête ses dix ans cette année –, je vous invite à examiner les fruits de cette présence artistique dans les collèges concernés en termes de vitalité dans l’établissement. La présence artistique sera encore plus forte à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil – y compris dans les écoles. Les équipes artistiques nous accompagnant dans ce projet en seront les principaux acteurs.

L’expression de « grand machin » m’a frappé. Je peux tout à fait entendre que l’on fasse cette lecture de grands équipements. Mais j’ose espérer qu’on ne qualifiera pas demain la Philharmonie de Paris, la Bibliothèque nationale de France (BNF) ou le projet Médicis de « machins », mais bien de projets culturels majeurs pour la République, tant à des fins de rayonnement international que de structuration interne. Si nous soutenons une ambition nationale, c’est précisément avec la volonté de sortir de l’assignation locale. Quand on parle de Clichy-sous-Bois ou de Montfermeil, les commentateurs pensent qu’on va construire une maison des jeunes et de la culture (MJC) ou une petite scène conventionnée et ont du mal à croire que l’on puisse y bâtir un projet d’une importance comparable à celle de la BNF. Pourquoi n’est-ce pas concevable ? On a construit une maison de la culture à Bourges il y a plus de cinquante ans et l’on en reconstruit une nouvelle. Il est des territoires de la République qui méritent aussi de grands projets culturels. Pardonnez-moi cette position personnelle et singulière, mais pour avoir travaillé pendant dix ans en Seine-Saint-Denis, je peux vous dire que les territoires seront très fiers de bénéficier d’un équipement aussi grand qu’ailleurs – à Bordeaux, à Limoges et en quelque territoire de la République que ce soit. L’Île-de-France en a besoin.

Bien que ce projet ait été soutenu par trois ministres successifs, il y a des invariants entre le dispositif imaginé en 2011 par le ministre de la Culture d’alors, M. Frédéric Mitterrand, et son administration et l’ambition soutenue aujourd’hui par la ministre Audrey Azoulay – ce qui a plutôt tendance à me rassurer. Peut-être la présentation que je viens de vous faire et la note qui vous a été envoyée exposent-elles ce projet sous un angle nouveau, mais cette ambition me semble néanmoins conserver une certaine permanence depuis l’origine. C’est finalement l’arrivée programmée des infrastructures nouvelles de transports qui a permis la relance du projet. Si ce dernier a fait long feu la première fois, c’est qu’il n’était pas relié à la capitale par des transports en commun. Malgré la volonté politique forte affichée à l’époque, il n’était pas possible, dans de telles conditions, de fonder un projet culturel de premier plan à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil. L’arrivée du métro automatique n’était pas encore prévue lorsque le projet a vu le jour en 2010. Lorsqu’il a été relancé en 2015, était désormais prévue, au pied même de la tour Utrillo, une nouvelle gare qui sera à six minutes d’Aulnay-sous-Bois et de Sevran et à neuf minutes de Livry-Gargan – territoires qui sont tous aujourd’hui à près d’une heure de bus ou de voiture de Clichy-sous-Bois, alors que la distance qui les sépare n’est guère que de cinq kilomètres.

Vous avez parlé de multifonctionnalité et du lien entre le transport et les champs culturel et artistique. La tour Utrillo est située sur un espace foncier disponible, appartenant au ministère de la Culture, qui sera demain à deux encablures de cette gare du Grand Paris. La question de la relation – voire de la porosité – architecturale entre ces deux équipements doit être abordée : pourquoi ne pas inclure quelques fonctions culturelles dans la gare et quelques fonctions de la gare dans l’établissement culturel ? Le projet reste ouvert. Nous avons encore le temps d’y penser, non pas dans l’incertitude et le flou, mais dans un souci de qualité et d’efficience. Les problèmes de ce territoire sont systématiquement traités dans l’urgence et l’on y pose les fonctions les unes à côté des autres. Le temps dont nous disposons aujourd’hui pour concevoir ce projet nous permettra au contraire d’en assurer la cohérence.

La fonction économique, dont j’ai parlé tout à l’heure, n’est pas forcément évidente lorsqu’on évoque un projet artistique et culturel d’une telle envergure. Mais lorsqu’on se trouve à Clichy-sous-Bois ou à Montfermeil aujourd’hui, on y voit beaucoup de logements, et guère de moyens de transports ni d’activités économiques. Il est difficile de concevoir un équipement du XXIsiècle sans envisager qu’il permette l’émergence sur le territoire de fonctions économiques autres que celles qui seront liées à cet espace culturel – sans quoi ce territoire, bien que mieux relié à ses voisins, restera une zone de logements sans la moindre mixité fonctionnelle. La dimension économique du projet a été prévue : elle fera l’objet de recherches, de tractations et d’échanges avec plusieurs partenaires. Il est possible que d’autres fonctions irriguent ce projet, notamment des fonctions culturelles, en partenariat avec des écoles privées, mais aussi des fonctions sociales.

Il est ainsi une fonction économique qui me paraît évidente. Il y a sur ce territoire deux bibliothèques qui ne sont pas à la hauteur des ambitions qu’on serait en attente d’avoir à Clichy et à Montfermeil. Les maires de ces deux communes, MM. Olivier Klein et Xavier Lemoine, souhaitent vraiment développer la lecture publique et des lieux permettant l’apprentissage en dehors du temps scolaire. Ils souhaitent aussi que s’implante sur le territoire un quartier d’affaires, car ils jugent important que les travailleurs puissent bénéficier d’outils novateurs dans une zone où l’emploi est difficile d’accès. Ensuite, le territoire sera relié à une gare du Grand Paris Express – ce qui suppose la création d’espaces voyageurs d’autant qu’en 2024, le télétravail sera sans doute plus développé qu’aujourd’hui. On peut donc imaginer que ces quatre fonctions fondent un espace commun : une bibliothèque du futur permettrait aux travailleurs de s’installer quelques heures et de disposer de salles de réunion et d’imprimantes et profiterait aussi aux enfants et aux élèves. Prendre le temps de concevoir cette bibliothèque du futur, ce n’est pas cultiver le flou, mais bien davantage veiller à ce que quatre fonctions, souhaitées sur ce territoire, soient intégrées dans un même projet public. Ces fonctions ne sont pas au départ conçues comme parties intégrantes d’un projet culturel mais il me plaît de penser que demain, une école de la deuxième chance, une école supérieure de la culture, une quinzaine d’artistes en résidence, ainsi que ces fonctions que je viens de citer, pourront cohabiter.

Le MuCEM, évoqué tout à l’heure par l’un d’entre vous, me semble être un modèle de référence en termes d’inscription dans le territoire. Malheureusement, nous ne bénéficions pas de la qualité patrimoniale du fort qui fut à l’origine de ce projet, à l’intersection des docks et du Vieux Port de Marseille, à proximité du Panier – territoire connaissant, lui aussi, des difficultés sociales. Mais le fait que ce projet architectural ait été pensé de façon inclusive, dans la mesure où l’on se trouve déjà dans le lieu culturel avant d’accéder à ses fonctions, est un modèle d’inspiration pour nous.

Vous ne le savez peut-être pas mais Clichy-sous-Bois et Montfermeil sont à deux cents mètres de l’une des plus grandes forêts d’Île-de-France : la forêt de Bondy – c’est-à-dire, en vieux français, la « forêt des bandits » – à laquelle tous les projets franciliens de développement urbain font référence. Cet arc paysager, qui part du canal de l’Ourcq, passe par la Poudrerie et va jusqu’à la forêt de Bondy, est un poumon économique et de villégiature pour le territoire. Je peux très facilement concevoir que dans huit ans, on vienne de Paris centre ou de sa périphérie à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil dans cet espace de villégiature pour se reposer, se promener ou assister à des spectacles.

Nous ne pourrons nous implanter sur ce territoire si nous n’offrons pas d’autres perspectives à ses habitants. C’est pourquoi il importe de relier au projet des fonctions économiques et sociales. Étant dans la phase exploratoire, nous n’avons aucun tabou – si ce n’est que nous souhaitons éviter de le sur-développer alors qu’il existe déjà un nombre important d’équipements en Île-de-France. Notre objectif est plutôt de relier ces équipements et d’établir des partenariats entre eux. Ainsi, je suis fier que le Palais de Tokyo m’ait proposé de faire en sorte que Clichy-sous-Bois et Montfermeil nourrissent l’an prochain une semaine de création dans cet établissement. De même, le Centre Pompidou souhaite travailler avec nous. Cette esquisse de convergence est très propice à la réflexion à venir. Je ne vous rendrai pas aujourd’hui mes conclusions : ce n’est que dans un an et demi que nous présenterons un projet scientifique et culturel qui sera lui-même débattu. Le projet n’est pas considéré comme acté ni finalisé. Son dimensionnement sera essentiel.

Vous avez parlé de « Création en cours ». Ce sont les ministres de la Culture et de l’Éducation nationale qui ont souhaité mettre en place ce dispositif afin d’accompagner les écoles supérieures de la culture et permettre aux artistes d’accéder au champ professionnel. Si ce dispositif a été confié au projet Médicis, c’est que, depuis le départ, nous avons dans l’idée de ne pas tout faire à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil et d’éviter la grandiloquence. La maison-mère de ce projet sera à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil mais la question de l’émergence artistique et culturelle est nationale. J’ai donc eu l’occasion de proposer aux deux ministres de la Culture que j’ai rencontrées dans le cadre de ce projet, Mme Fleur Pellerin puis Mme Audrey Azoulay, l’idée de créer un réseau des émergences artistiques et culturelles, s’appuyant sur des lieux intermédiaires partout en France, tels que les centres d’art dramatique nationaux, les scènes nationales, les scènes conventionnées et les réseaux de galeries. Ce projet a évolué au cours de notre échange pour effectivement aboutir à un appel à candidatures national à destination des écoles supérieures de la culture, au nombre de cent en France sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. Certaines de ces écoles sont sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, comme l’École nationale supérieure d’arts et techniques du théâtre (ENSAT) ou les Gobelins.

Nous allons faire en sorte que ce dispositif national ne soit pas une accumulation de projets, mais que Médicis-Clichy-Montfermeil soit le lieu de référence en matière de jeune création. Il est cohérent que la France se dote d’un équipement dédié à l’émergence artistique et culturelle : le projet Médicis n’aura pas l’exclusivité, mais permettra de mener une action forte en ce domaine. Ayant lancé, il y a trois mois, une commande photographique pour le Grand Paris, nous avons reçu quelque 250 candidatures pour dix bourses et l’immense majorité des candidats n’avaient jamais postulé une seule fois à des projets artistiques d’une telle envergure. Un espace s’ouvre donc pour permettre aux jeunes artistes de bénéficier d’un accompagnement, alors même que cela leur semble encore impossible aujourd’hui.

Vous m’avez interrogé sur la présence des femmes, sujet qui m’est cher et enjeu majeur dans l’espace public à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil. Il importe de veiller à ce que les femmes, en particulier les jeunes femmes, puissent bénéficier de nos politiques. L’ensemble des ateliers que nous allons mettre en place et des projets que nous menons bénéficient déjà à des groupes constitués de médiatrices. Le projet culturel à l’échelle locale concerne l’ensemble des populations. D’ailleurs, lorsque le musée du Quai Branly, qui a monté un projet quelques mois avant notre arrivée, est venu – une vingtaine de fois – à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil au cours de ces deux dernières années, l’immense majorité du public était constitué de femmes. Ces dernières, qui n’ont pas facilement accès à l’emploi, cherchent à se cultiver et à réfléchir à leur avenir. Aujourd’hui, nous reprenons la démarche entreprise par le Quai Branly et avons commencé à mener une action en la matière. Nous avons pu constater l’appétence des habitants. On parle souvent à leur propos de renoncement, de placidité et de refus d’avancer. Mais ils sont en réalité, comme en bien des endroits, animés par la curiosité et le désir.

Vous m’avez interrogé, monsieur le président, quant à mon ambition personnelle. Je ne m’autorise que très peu de réflexions subjectives. Nous essayons de rester dans le cadre majeur de la mission publique confiée à cet établissement. J’en conçois le projet mais j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une politique publique. On assigne trop souvent aux directeurs de projets culturels la responsabilité de les incarner, alors que cette responsabilité ne leur appartient pas forcément. Il s’agit bien d’un établissement public de coopération culturelle – dont vous avez voté l’institution il y a quelques années. Ce service public de la culture, créé ex nihilo, a deux grandes fonctions : celle de bâtir un projet à l’horizon de dix ans et celle d’en penser dès aujourd’hui le laboratoire dans le cadre d’une action qui n’est possible qu’à partir des habitants et du territoire. Si ce projet peut paraître encore peu lisible à certains d’entre vous, je ne m’en réjouis pas, mais cela ne m’inquiète guère non plus. C’est une donnée même de ce projet que le fait qu’il se construise dans le temps et qu’il ne soit pas entièrement défini par avance. C’est bien parce que l’on a trop souvent voulu prédéfinir certains projets qu’ils ont été infernaux à mener : ils étaient le projet d’un seul et ont pâti de ce que l’on appelle en économie une « stratégie de surqualité ». J’entends vos inquiétudes. J’ai trop géré de politiques publiques pour ne pas avoir, au cœur de mes préoccupations, la volonté d’éviter cet écueil. Nous ne réussirons pas à monter ce projet s’il n’est pas sobre et partagé par les habitants du territoire. Cela étant, la réalité de 2017 puis de 2024 sera fort différente de celle de 2000 ou de 2005, lorsque le projet a vu le jour.

Nous sommes quatorze collaborateurs à porter ce projet, à l’aide de médiateurs présents sur le territoire. Nous pourrions, en d’autres lieux, être bien plus nombreux que cela puisque c’est à la fois un projet scientifique et culturel que nous élaborons pour demain. Je me réjouis des moyens déployés par le ministère de la Culture en vue de mener à bien le projet Médicis, porté essentiellement par l’État. Pour avoir travaillé pendant de nombreuses années dans les territoires, je puis vous dire qu’il n’est pas si courant que l’État soit pilote, en matière budgétaire, de projets d’une telle dimension. Ce sont en général les collectivités territoriales qui en assurent le leadership. En l’occurrence, c’est l’État qui, en matière budgétaire, porte l’ambition initiale. Les collectivités le suivent fortement – ce dont je me réjouis – et l’ambition est partagée. Je souhaite que l’arrivée de nouveaux partenaires – la région, le département, la métropole du Grand Paris et la ville de Paris – contribue au rayonnement de cet équipement.

Je terminerai en abordant la question des financements privés. Nous sommes en contact permanent avec l’ensemble des fondations. Nous prenons notre temps pour le faire d’ici à 2024 car les grandes fondations privées ne se décident pas huit ans à l’avance mais à plus court terme. Notre souhait de réserver certains espaces fonciers aux fonctions économiques permet d’envisager un grand nombre de partenariats.

M. le président Patrick Bloche. Nous vous remercions pour toutes ces précisions, monsieur le directeur. Les questions que vous ont adressées mes collègues ici présents vous auront permis, au sein de notre assemblée, de resituer l’origine, la genèse et la dimension de ce projet. Par bien des aspects, vous avez illustré les enjeux que nous avons soutenus lors du long débat parlementaire que nous avons eu préalablement à la promulgation, en juillet dernier, de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

La séance est levée à onze heures quinze.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a désigné :

– M. Marcel Rogemont, rapporteur d’information sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de France Médias Monde (2016-2020) ;

– Mme Annie Le Houerou, rapporteure sur la proposition de loi de M. Bruno Le Roux relative à la promotion des langues régionales (n° 4096).

Présences en réunion

Réunion du mercredi 9 novembre 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, Mme Véronique Besse, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Jacques Dellerie, M. Pascal Demarthe, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Stéphanie Pernod Beaudon, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – M. Pouria Amirshahi, M. Ary Chalus, M. Jacques Cresta, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Herbillon, M. Romain Joron, Mme Sonia Lagarde, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, M. Jonas Tahuaitu