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Commission des affaires sociales

Mardi 24 janvier 2017

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente

– Examen de la proposition de loi de Mme Marie-George Buffet visant à agir concrètement en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (n° 4347) (Mme Marie-George Buffet, rapporteure)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 24 janvier 2017

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission des affaires sociales examine, sur le rapport de Mme Marie-George Buffet, la proposition de loi visant à agir concrètement en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (n° 4347).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que la proposition de loi de Mme Marie-George Buffet, objet de la présente réunion, sera examinée en séance publique le jeudi 2 février prochain, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe Gauche démocratique et républicaine (GDR).

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Les femmes représentent aujourd’hui environ 48 % de la population active. Avec un taux d’activité de 66 %, l’écart n’est plus que de neuf points avec les hommes. Ces chiffres témoignent d’une volonté des femmes d’être de plain-pied dans le travail. Pourtant, l’égalité professionnelle ne leur est pas assurée.

Les femmes gagnent en moyenne 24 % de moins que les hommes. À niveau de compétence égal et dans une même catégorie socioprofessionnelle, d’âge et d’expérience, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes – ce que l’on appelle l’écart « inexpliqué » – s’élève encore à 10 %. Sur 144 pays, la France détient ainsi une triste 134e place en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

En raison d’une ségrégation professionnelle persistante, les femmes sont également exposées à une plus grande précarité : 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, tandis que 31 % des femmes salariées le sont à temps partiel. Les femmes sont également deux fois plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois peu qualifiés d’employés ou d’ouvriers ; elles représentent plus des deux tiers des travailleurs pauvres.

Dans l’entreprise, l’accès aux postes à responsabilité et aux rémunérations les plus élevées est également plus difficile pour les femmes, davantage sujettes aux discriminations, directes ou indirectes. En raison du genre ou de la parentalité, les femmes ont des déroulements de carrières moins favorables et se heurtent de plein fouet au fameux « plafond de verre ».

Ces données interrogent. Comment pouvons-nous tolérer qu’en France, les inégalités professionnelles soient toujours aussi vives entre les femmes et les hommes ? Mais l’interrogation porte surtout sur le fait que ces inégalités demeurent alors que le combat pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n’est pas récent. L’un des premiers jalons de ce combat, et non des moindres, est sans conteste la loi Roudy du 13 juillet 1983 qui a, pour la première fois, imposé aux entreprises de dresser un état des lieux de la parité dans le monde de l’entreprise, via notamment l’obligation d’établir un rapport de situation comparée. L’on peut d’ailleurs regretter que ce rapport ait été supprimé, au cours de la législature, par la loi Rebsamen.

Depuis trente ans, pas moins de huit lois ont proposé des mesures visant à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Mais les faits sont têtus, et les inégalités demeurent. Soit les mesures proposées dans ces lois ne sont pas efficaces, soit elles ne s’appliquent pas dans l’entreprise et sont donc insuffisamment contraignantes. De fait, lorsque l’on regarde dans le détail l’état d’application des mesures visant à lutter contre les inégalités professionnelles, il apparaît clairement que les mesures prévues par la loi ne sont pas suffisamment appliquées dans les entreprises.

Il en est ainsi de la négociation annuelle obligatoire relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En application de l’article L. 2242-8 du code du travail, toute entreprise de cinquante salariés et plus doit négocier chaque année sur ce thème et être couverte, a minima, par un plan d’action définissant notamment des objectifs précis de suppression des écarts de rémunération. Or 60 % des entreprises assujetties à cette obligation ne sont couvertes ni par un accord ni par un plan d’action. Ce chiffre s’élève même à 69 % pour les entreprises entre 50 et 300 salariés.

Les sanctions, quand elles existent, ne sont que très rarement mises en œuvre : à peine plus d’une centaine d’entreprises ont été sanctionnées financièrement pour manquement à leurs obligations, soit une infime partie des entreprises concernées. Comment, dans ces conditions, peut-on faire progresser les droits des femmes et réduire les inégalités dans les entreprises ? C’est la question à laquelle la présente proposition de loi propose de répondre.

Notre groupe n’a pas souhaité créer de nouveaux dispositifs qui viendraient s’ajouter à l’existant sans qu’on puisse s’assurer que ces dispositifs soient effectivement mis en place. La ligne directrice de ce texte est de faire appliquer les mesures prévues par le code du travail, et de renforcer les droits des femmes salariées lorsque notre droit n’est pas suffisamment protecteur – je pense essentiellement au travail à temps partiel.

À cet égard, permettez-moi de contester la philosophie des amendements de suppression déposés par Mme Marie-Françoise Clergeau et ses collègues, qui nous renvoient aux équilibres trouvés dans les lois ou accords passés. Si ceux-ci sont peu efficaces, comme en témoignent les données recueillies dans mon rapport, voter les amendements de suppression reviendrait à s’arrêter en chemin dans le combat pour l’égalité professionnelle.

J’en viens à la présentation des articles de cette proposition de loi.

Le titre Ier, tout d’abord, vise à inciter les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière de dialogue social à bouger. L’article 1er propose ainsi d’inciter les 60 % d’entreprises ne respectant pas leurs obligations de négocier sur les rémunérations et sur l’égalité professionnelle à le faire, en supprimant la réduction de l’allégement sur les cotisations patronales. Je présenterai un amendement qui permettra de prendre en compte la situation des entreprises qui disposent d’un plan d’action et ne sont, à ce titre, pas concernées. Quant à l’article 2, il vise à faire réagir les entreprises qui ne renseignent pas la base de données économiques et sociales avec les indicateurs relatifs à la situation comparée entre les femmes et les hommes.

Le titre II, ensuite, est le cœur de la proposition de loi, puisqu’il s’attaque à la problématique du temps partiel. Soyons clairs : le temps partiel est un aménagement du temps de travail contraire à l’égalité professionnelle. N’oublions pas que temps partiel signifie salaire partiel et retraite partielle. Il faut donc absolument encadrer le recours à ce mode de gestion du temps de travail, qui est devenu habituel dans certains secteurs comme la grande distribution ou les entreprises de propreté. Les efforts réalisés au début de la législature pour encadrer le travail à temps partiel, grâce à l’instauration d’une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, ont été malmenés à cause des très nombreuses dérogations accordées. Résultat, aujourd’hui, les 24 heures ne sont absolument pas devenues la norme dans les entreprises ; elles constituent plutôt l’exception dans certains secteurs, qui n’ont pas hésité à négocier des accords prévoyant une durée minimale de travail bien inférieure à 24 heures, parfois seulement deux ou trois heures dans certaines branches.

Les dérogations accordées par le législateur sont contestables, car non seulement elles ont vidé de sens la durée minimale de 24 heures, mais elles ont aussi permis de limiter au minimum la rémunération des travailleurs à temps partiel, en accordant des majorations de rémunération bien inférieures à celles qui prévalent pour les salariés à temps complet. Les articles 3 à 6 de la proposition de loi ont donc vocation à freiner les recours abusifs au travail à temps partiel, en pénalisant les entreprises qui y ont massivement recours, et en accordant une juste rémunération pour les salariés qui n’ont d’autre choix que d’accepter les contrats à temps partiel avec un faible quota d’heures hebdomadaires.

Ainsi, l’article 3 pénalise financièrement les entreprises qui ont recours de manière habituelle au travail à temps partiel, en diminuant de 20 % la réduction sur les cotisations patronales dès lors que l’effectif moyen par catégorie d’emploi compte en moyenne, sur une année civile, plus de 15 % de salariés à temps partiel. L’article 4 propose de majorer la rémunération de chaque heure travaillée lorsque la durée de travail à temps partiel hebdomadaire prévue par le contrat de travail est inférieure à 24 heures. Pour faire suite aux auditions, je présenterai un amendement visant à simplifier le calcul de la majoration, en limitant la mesure à deux taux : un taux de 25 % quand la durée de travail est comprise entre 15 et 24 heures ; un taux de 50 % pour une durée de travail inférieure ou égale à 15 heures par semaine. L’article 5 majore la rémunération des heures complémentaires, c’est-à-dire les heures effectuées en plus de celles prévues par le contrat de travail. L’article 6, enfin, propose de majorer la rémunération des heures effectuées dans le cadre d’un complément d’heures prévu par avenant. Je vous proposerai un amendement pour harmoniser toutes les majorations.

Je proposerai également un article additionnel après l’article 6, visant à rétablir le délai de sept jours de prévenance. Tous les syndicats et associations féministes entendus ont insisté sur ce besoin.

Le titre III propose ensuite de mieux répartir les congés autour de la naissance, qui sont aujourd’hui très inégalement répartis entre le père et la mère. En France, seuls 4 % des parents qui prennent un congé parental sont des hommes, soit l’un des taux les plus bas de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a par ailleurs proposé de contraindre les pères à prendre leur congé de paternité.

L’article 7 propose d’allonger de deux semaines la durée de congé de maternité, afin de mettre notre droit en conformité avec les recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT). L’article 8 propose d’allonger la durée du congé de paternité à quatre semaines consécutives, contre seulement onze jours aujourd’hui.

Enfin, le titre IV propose de s’attaquer à la problématique des discriminations, en se concentrant sur les discriminations à l’embauche.

Régulièrement, le Défenseur des droits nous rappelle que les discriminations à l’embauche, quel qu’en soit le motif, sont une plaie pour les demandeurs d’emplois, mais aussi pour les entreprises qui se privent ainsi de talent. Les études du Défenseur des droits montrent aussi que la grande majorité des personnes s’estimant victimes de discrimination n’osent pas entreprendre de démarches pour la faire reconnaître, souvent faute de connaître leurs droits. L’article 9 propose donc de renforcer la connaissance des discriminations, en demandant aux entreprises d’inscrire dans le registre unique du personnel les coordonnées personnelles des personnes candidates à un emploi. Il propose de renforcer la connaissance des voies de recours contre les discriminations en obligeant les employeurs à remettre, au cours de l’entretien d’embauche, une fiche rappelant le droit à la non-discrimination et listant les personnes auxquelles les personnes victimes de discrimination peuvent faire appel.

Cette proposition de loi vise à une plus grande efficacité de la lutte pour l’égalité professionnelle. C’est pourquoi, afin de permettre un véritable débat sur toutes ces mesures, j’émettrai un avis défavorable aux amendements de suppression proposés par nos collègues.

Mme Marie-Françoise Clergeau. L’égalité entre les femmes et les hommes est une politique qui a progressé depuis plusieurs dizaines d’années en France. Les formations de gauche ont largement joué un rôle moteur dans chaque avancée en faveur d’une égalité, non seulement de principe, mais de réalité. Depuis 2012, plusieurs lois ont ainsi intégré l’objectif d’égalité et ont prévu des sanctions en cas de manquement. Ces lois furent adoptées à l’initiative du Gouvernement ou des parlementaires, et souvent sous l’aiguillon bien utile de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de notre assemblée. Elles le furent aussi grâce à la combativité et à la présence active des femmes élues.

Notre collègue Marie-George Buffet souhaite « agir concrètement en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ». Or, je l’ai dit, il y a eu des avancées sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes depuis 2012, et des avancées concrètes, même si l’arsenal répressif qui y est attaché peut lui sembler trop doux.

Notons aussi, au passage, qu’à un mois de la fin de la législature, la discussion en première lecture d’une proposition de loi permet, ne serait-ce que par le jeu de la navette entre les assemblées, de douter sérieusement de son caractère concret, même si les intentions en sont tout à fait louables et sincères. C’est pourquoi, tout au long de l’examen de ce texte, le groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) prônera la responsabilité et la cohérence avec ses travaux lors de cette législature.

Ainsi, nous rejetterons les articles 1 à 6 et l’article 9 qui remettent en cause les équilibres récemment trouvés, soit par les partenaires sociaux dans le cadre des accords nationaux interprofessionnels, soit par le législateur dans le cadre de dispositions législatives récemment adoptées.

Pour ce qui est de l’article 1er, il introduit une obligation de résultats sur la négociation annuelle obligatoire relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. Or le principe même de négociation est incompatible avec l’idée d’obligation de résultats. La négociation ne peut aboutir qu’à deux hypothèses : soit un accord est conclu entre les parties, soit aucun accord n’est conclu et un procès-verbal de désaccord est établi.

L’article 2 propose une pénalité à l’encontre des entreprises de cinquante salariés et plus qui ne transmettent pas d’informations permettant d’apprécier la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise ; or une telle pénalité existe déjà.

Les articles 3, 4, 5 et 6 remettent en cause les équilibres conclus par les organisations syndicales et patronales et encadrés et améliorés par le législateur, ou adoptés par lui.

Quant à l’article 9, le groupe de travail, lancé à l’automne 2014, sur la lutte contre les discriminations dans le monde du travail a émis, dans son rapport remis en mai 2015, de fortes réserves concernant la proposition d’instauration d’un registre d’embauche. Il préconise plutôt de poursuivre la réflexion avant toute mise en œuvre, « si on veut déboucher sur des mesures crédibles, car opérationnelles ». Ce même article 9 crée une obligation de notification des droits garantis dans le code du travail en matière de lutte contre les discriminations. Or cette obligation existe par l’article L. 1142-6 du code du travail, qui dispose que, dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les candidats sont informés, par tout moyen, des dispositions pénales existant en matière de discrimination.

Toutefois, toujours dans un souci de cohérence, nous adopterons l’article 7 étendant le congé maternité. Il anticipe des dispositions européennes à venir ; il s’inscrit dans un mouvement d’amélioration de la protection des femmes enceintes, dans la continuité, notamment, de la loi travail qui a porté de quatre à dix semaines la période de protection contre le licenciement.

Enfin, concernant l’article 8, l’allongement du congé de paternité, devenu, grâce à notre majorité en 2012, « congé de paternité et d’accueil de l’enfant », nous paraît opportun. Mais cet allongement doit rester réaliste et raisonnable au regard des dépenses qu’il engendre. C’est pourquoi nous nous abstiendrons pour le vote en commission et proposerons, en séance publique, un amendement cohérent avec ce que nous proposions dans une précédente proposition de loi en 2010, soit un allongement de trois jours, portant ce congé de onze à quatorze jours et de dix-huit à vingt et un jours en cas de naissances multiples. Notons également que les trois jours de naissance s’ajoutent à ce congé.

Vous l’avez compris, le groupe SER ne pourra pas voter en l’état ce texte.

Mme Isabelle Le Callennec. Malgré une surproduction législative – Mme la rapporteure a dénombré huit lois –, force est de constater la réalité : un écart de salaire net moyen entre les femmes et les hommes de 19 %, dont 10 % non expliqués ; davantage de femmes que d’hommes au chômage ; 80 % des emplois à temps partiel occupés par des femmes. L’on ne peut donc que souscrire à l’objectif de la proposition de loi qui prétend en finir avec les inégalités professionnelles. Pour autant, l’on ne peut vous suivre sur des mesures qui auraient pour conséquence d’alourdir encore un peu plus les charges qui pèsent sur les entreprises et donc, à terme, de créer du chômage.

Notre groupe a toujours soutenu activement l’égalité professionnelle et n’est pas contre le principe de sanctions. C’est bien dans la loi Woerth de 2010 qu’a été voté le principe de 1 % de la masse salariale applicable aux entreprises de plus de cinquante salariés non couvertes par un accord ou un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle. Plutôt que d’alourdir les pénalités, veillons déjà à appliquer la loi. Le 14 décembre dernier, la Direction générale du travail (DGT) a confirmé que les entreprises se mettaient majoritairement en règle après une mise en demeure. D’après le ministère en charge des droits des femmes, en août 2016, 85 % des entreprises de plus de mille salariés sont couvertes par un accord. Il est juste de rappeler que c’est moins dans les entreprises de moins de mille salariés : 70 % entre 50 et 300 salariés. Pas moins de 2 270 mises en demeure ont été prononcées depuis 2013 et 107 pénalités ont été appliquées. D’où la nécessité de continuer à sensibiliser et à inciter au respect de la loi, par le dialogue social, au plus près de l’entreprise.

Nous vous rejoignons sur l’idée de lutter contre le temps partiel subi, mais reconnaissez que le travail partiel choisi existe aussi. Notre groupe n’a pas voté la mise en place du plancher de 24 heures dont les multiples dérogations, que vous avez évoquées, illustrent les difficultés d’application pour certains métiers. Lors de son audition, la DGT a clairement affirmé que la majorité des branches ayant négocié avaient fait des 24 heures le principe, et de la dérogation l’exception. Dont acte. Mais j’entends, madame la rapporteure, que vous ne partagez pas forcément cette analyse.

Quant au rapport de situation comparée, il a été fondu dans la base de données unique, censée s’appliquer aux entreprises de plus de cinquante salariés. Si la base de données donne la visibilité nécessaire sur l’évolution de la politique d’égalité entre hommes et femmes dans l’entreprise, qui sert de base à la négociation collective, c’est satisfaisant. Si elle n’est pas renseignée ou pas communiquée annuellement, il convient, en effet, de maintenir les sanctions.

Sur la parentalité, nous pouvons tout à fait débattre de l’idée d’allonger la durée du congé de maternité et du congé de paternité. À titre personnel, j’y suis favorable. Pour mémoire, en Europe, les situations sont très disparates : cinquante-deux semaines à 40 % du salaire au Royaume-Uni, seize semaines à 60 % du salaire en France environ, quatorze semaines à 100 % du salaire en Allemagne. Mais, pour débattre, il faudrait disposer de toutes les données. L’allongement que vous proposez a un coût. Il n’est pas chiffré et vous ne dites pas par qui et comment il serait financé. Les indemnités journalières sont prises en charge par la branche maladie de la sécurité sociale. Comment couvrirez-vous ces dépenses nouvelles ?

Enfin, l’on ne peut qu’être perplexe devant l’article 10, qui crée un « registre d’embauche » au sein du registre unique du personnel. Je n’en comprends pas l’objectif. Et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) estime que les données personnelles ne doivent être a priori conservées que pendant le temps de présence dans l’entreprise. Quel est l’intérêt de les conserver davantage ?

En conclusion, le groupe Les Républicains partage l’intention d’une égalité professionnelle réelle entre les femmes et les hommes, et l’on voit bien qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Mais nous doutons de l’efficacité des mesures qui sont proposées. Nous pensons qu’il convient d’explorer aussi d’autres pistes : formations conciliables avec le mode de vie et les contraintes des femmes, développement du télétravail, mais aussi lutte contre le travail partiel subi.

M. Francis Vercamer. Agir pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est un combat permanent pour ceux qui luttent contre les discriminations, qu’elles se fondent sur l’origine, le sexe, la situation de famille ou encore la grossesse, et qui sont condamnées et dans le code pénal et dans le code du travail. Ces articles sont anciens et les lois sont nombreuses pour essayer de lutter contre l’inégalité professionnelle. Malheureusement, cette inégalité a la vie dure. Même s’il s’agit de principes constitutifs de notre république, il faut constater que les entreprises, et la société elle-même, n’avancent sur ce sujet qu’à vitesse très réduite. Des rappels, des règlements et des lois, peuvent donc être nécessaires pour atteindre ce principe d’égalité consacré par les lois constitutives de la république.

Gestion des carrières, temps de travail, rémunération, mais aussi discrimination à l’embauche : les motifs d’insatisfaction dans le milieu professionnel sont nombreux. Les femmes sont surreprésentées dans certaines professions puisque 47 % des femmes se concentrent sur une douzaine de métiers. Au contraire, elles sont quasiment absentes de certains autres.

Je suis celui qui avait réussi à faire passer le CV anonyme dans la loi. Il permettait de choisir les salariés en fonction de leur compétence et de leur expérience, non en fonction de leur origine, de leur sexe ou de leur famille. Malheureusement, François Rebsamen a supprimé ce dispositif pendant la législature, au cours de laquelle nous aurons donc ainsi reculé un peu dans la lutte contre les discriminations. Il faut ajouter les attitudes sexistes dans les entreprises au nombre des difficultés qu’y connaissent les femmes.

Les chiffres soulignent que l’égalité professionnelle est une question toujours légitime. Pourtant, malgré des intentions louables, il faut reconnaître que certaines mesures de cette proposition de loi ne semblent pas opportunes. Les dispositions relatives au recrutement apparaissent davantage comme des mesures d’affichage, dans la mesure où notre arsenal législatif permet déjà de condamner les recruteurs, si jamais ils se livraient à des pratiques discriminatoires. Le code pénal contient aussi des possibilités de sanction.

Il ne semble pas non plus opportun de créer de nouvelles obligations pour l’ensemble des entreprises ; il conviendrait plutôt, sur ce sujet, d’encourager les bonnes pratiques et la publication des statistiques en matière de recrutement – ou d’éviter que la discrimination puisse se développer, comme j’avais essayé de le faire à travers le CV anonyme.

S’agissant des mesures relatives au temps partiel, les députés du groupe UDI restent très prudents. Face à la crise économique que connaît encore notre pays et au chômage de masse, il serait davantage utile de développer la flexibilité du travail plutôt que de multiplier les mesures restrictives à l’embauche.

Si nous partageons la volonté de réduire le recours excessif au temps partiel et de lutter contre le temps partiel subi, nous estimons également que cet objectif ne doit pas, une nouvelle fois, mettre en danger l’équilibre d’entreprises, de secteurs d’activité et de branches professionnelles qui ont besoin du temps partiel. Vous avez d’ailleurs remarqué que des accords ont été trouvés en leur sein.

Ces remarques formulées, nous estimons toutefois que les dispositions relatives à la parentalité et à l’allongement du congé maternité sont intéressantes et nécessiteraient un débat. Je suis heureux que le groupe socialiste ait décidé de maintenir ces articles, ce qui nous permettra de le tenir effectivement, en commission ou en séance.

Le droit en la matière n’est pas figé, comme en témoigne la prolongation de la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité. Cette mesure fut soutenue par le groupe UDI et inscrite dans la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Mme Dominique Orliac. La problématique de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n’est pas nouvelle. La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, votée par notre majorité, a renforcé l’arsenal législatif, mais le parti radical de gauche estime que des mesures plus coercitives doivent être prises afin d’arriver à la plus parfaite égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes.

À nos yeux, cette égalité professionnelle et salariale est un véritable impératif. Les dispositifs de sanction financière à l’encontre des discriminations salariales doivent être étendus à toutes les entreprises. Ainsi, cette proposition de loi, qui formule des mesures très concrètes en faveur de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, nous semble très intéressante.

D’après l’Observatoire des inégalités, le salaire mensuel net moyen des hommes, pour un poste à temps plein, était d’environ 2 410 euros en 2014, alors que celui des femmes s’approchait péniblement de 1 962 euros. L’Observatoire pointe, à juste titre, que l’écart ainsi constaté de 448 euros représente presque un demi-SMIC. Toujours selon lui, les femmes recevaient en 2014, en moyenne et en équivalent temps plein, un salaire inférieur d’environ 20 % à celui des hommes, selon les diverses méthodologies employées pour le calcul. L’on peut donc estimer qu’il y a une énorme inégalité professionnelle et qu’il faut absolument arriver à résoudre enfin le problème.

Mais les inégalités de salaire ne s’arrêtent pas là. L’on pourrait penser que, plus le salaire est important, plus l’écart se resserre : il n’en est absolument rien. Cette différence est notamment due au fait que les femmes sont beaucoup moins nombreuses en haut de l’échelle salariale, et donc savent beaucoup moins se défendre et faire entendre et valoir leurs droits.

De plus, la proposition de loi souligne très justement, dans son exposé des motifs, la réalité qu’aujourd’hui les entreprises ont souvent recours au temps partiel. Pour les radicaux de gauche, l’activité à temps partiel, quand elle est subie par les femmes, doit être évitée par des incitations à d’autres nouvelles façons de travailler, comme le télétravail et le travail à domicile, tant auprès des entreprises qu’auprès des administrations.

L’article 7 propose d’étendre le congé de maternité à dix-huit semaines, en citant les recommandations de l’OIT et de la Confédération européenne des syndicats. Cet article s’inscrit bien dans l’idée que les radicaux de gauche avaient portée dans le cadre de l’ordre du jour réservé à leur groupe, il y a tout juste un an, lors de la discussion sur le projet de loi relatif au travail. Il portait sur des mesures législatives destinées à mieux protéger les femmes à l’issue de leur congé maternité, en prolongeant la période légale pendant laquelle elles ne pouvaient être licenciées. Cette proposition de loi avait été adoptée à l’unanimité. Elle protégeait aussi, pour le même temps, les hommes, ce qui représentait une avancée importante dans ce domaine. La discussion avait d’ailleurs été assez dure pour faire comprendre que l’égalité entre hommes et femmes s’entendait ainsi de manière réciproque.

Quant au partage de la parentalité, nous sommes totalement ouverts sur la question, et bien évidemment d’accord avec la proposition de nos collègues du groupe de la gauche démocratique et républicaine, qui vise à allonger, à l’article 8, le congé de paternité de onze jours à vingt-huit jours, voire à quarante-deux jours en cas de naissances multiples.

Enfin, nous saluons l’esprit de l’article 9, visant à instaurer un registre d’embauche et imposant à l’employeur de remettre à chaque candidat une notification des droits.

Le groupe des radicaux de gauche attend de voir la tournure que vont prendre nos débats en commission. D’ores et déjà, je regrette les amendements de suppression portés par nos collègues du groupe SER. Notre groupe apporte son soutien de principe à ce texte qui est, certes, coercitif, mais franchement bienvenu, tant les disparités n’arrivent pas à être réglées dans notre pays, et ce malgré bientôt quarante ans de lois sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Mme la rapporteure. Nous sommes tous d’accord sur le constat que beaucoup de lois relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes se sont succédé, sous la droite comme sous la gauche. Mais les faits sont toujours là. Ces lois n’ont pas trouvé leur pleine efficacité.

Sur le temps partiel, la loi a, par ailleurs, peu fait. Certes, elle a posé le principe d’un plancher de 24 heures, mais cette notion est malmenée par les accords de branche. Il n’en reste, pour ainsi dire, rien. Or ce sujet est au cœur de l’inégalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Enfin, il ne s’agit pas d’alourdir, par les dispositions proposées, les charges qui pèsent sur les entreprises. Au contraire, il s’agit d’user plus de l’incitation que de la sanction. Les réductions de cotisations sociales dont les entreprises bénéficient sont des appels à faire des pas en avant. Si elles n’en font pas, pourquoi ces réductions leur seraient-elles maintenues ? Selon les chiffres dont je dispose, seulement 2 000 mises en demeure ont été prononcées pour 37 000 entreprises assujetties aux obligations de respect de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C’est très peu.

Madame Clergeau, vous dites que le texte n’aura pas le temps de faire la navette entre les deux chambres parce que nous sommes en fin de législature. Mais cela est vrai aussi des textes que vous présenterez lors de la séance consacrée à l’ordre du jour réservé à votre propre groupe, qui se tiendra encore après la nôtre. Il s’agit aussi de mettre le débat dans l’actualité. Il faut se donner les moyens de faire progresser la loi dans une future mandature, d’aller plus loin dans ce domaine.

La Commission en vient à l’examen des articles.

TITRE Ier
RENDRE EFFECTIVE L’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

La Commission adopte l’amendement de coordination AS12 de la rapporteure.

Article 1er : Suppression des allégements de cotisations patronales en cas d’absence d’accord d’entreprise portant sur la rémunération ou sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

La Commission est saisie de l’amendement AS1 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Par le présent article, vous assortissez d’une obligation de résultat une négociation obligatoire, alors que les deux notions sont incompatibles. La négociation ne peut avoir que deux issues : la conclusion d’un accord ou un désaccord constaté par procès-verbal. L’article va même plus loin en sanctionnant financièrement, non pas l’absence de négociation, mais l’absence de résultat de la négociation. Personne ou presque ne saurait remettre en cause l’existence d’un droit des salariés à la négociation collective depuis 1971, ni l’obligation de négocier depuis 1982. Toutefois, il apparaît tout à fait inopportun de transformer cette dernière en obligation de conclure, car « ne négocie qui ne veut ». Pour cette raison majeure, il est proposé de supprimer cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. L’obligation de résultat ne doit pas s’entendre comme une obligation de conclure une négociation. On ne peut pas imposer à des parties de conclure un accord, a fortiori un mauvais accord ; ce serait, en effet, remettre en cause la liberté contractuelle. Mon amendement AS13 suivant clarifie justement ce point, en précisant que la sanction est applicable à défaut d’accord ou de plan d’action relatif à l’égalité professionnelle. L’intention de l’article 1er est bien de sanctionner les entreprises qui n’engagent jamais de négociation sur l’égalité professionnelle, c’est-à-dire 60 % des entreprises de cinquante salariés et plus.

Dans la mesure où notre droit a fait de l’entreprise l’un des acteurs principaux de l’égalité professionnelle, tant qu’il n’y aura pas de dialogue social sur le sujet et surtout d’accord visant à réduire concrètement les écarts salariaux entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise, ces inégalités persisteront. C’est en ce sens que nous fixons une obligation de résultat. C’était d’ailleurs le sens de la loi Ameline de 2006, qui fixait une date butoir à partir de laquelle les entreprises avaient l’obligation de « supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ».

Sur le choix de la sanction, dont j’ai dit qu’elle est en réalité une incitation, nous ne proposons pas une pénalité financière mais une réduction des exonérations de cotisation.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé, et l’amendement AS13 de Mme Marie-George Buffet tombe.

Article 2 : Pénalité en cas de défaut de production des données relatives à la situation comparée entre les femmes et les hommes

La Commission examine l’amendement AS2 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. L’article 2 propose de pénaliser les entreprises de plus de quarante-neuf salariés qui ne transmettent pas d’informations permettant d’apprécier la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise. Or une telle pénalité existe déjà ; son montant est apprécié par le directeur de la DIRECCTE et peut atteindre jusqu’à 1 % de la masse salariale. Dans le cadre de la loi dite Rebsamen, nous avons renforcé les informations devant être fournies annuellement dans la base de données économiques et sociales. Ces informations sont mises à la disposition du comité d’entreprise ou des délégués du personnel ainsi que du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et permettent de préparer la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Par le présent article, vous élargissez le champ de la pénalisation prévue à l’article L. 2242-9 du code du travail aux manquements liés, non pas à la négociation annuelle obligatoire, mais aux obligations d’information de l’employeur vis-à-vis des institutions représentatives du personnel. Or ce défaut de transmission est déjà pénalement sanctionné. Pour ces différentes raisons, nous proposons de supprimer cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Le premier problème dans la mise en œuvre des politiques d’égalité professionnelle est lié à l’identification des inégalités. Dans de nombreuses entreprises, le diagnostic est incomplet. Les négociations démarrent en s’appuyant sur des données partielles. Il s’agit d’un frein à la réalisation de l’égalité professionnelle. Bien souvent, les entreprises raisonnent « toutes choses égales par ailleurs » et excluent des variables de leur diagnostic. Elles ne prennent en compte que les temps pleins, les métiers comparables à ceux effectués par les hommes, excluant les métiers exercés principalement par les femmes, le salaire de base, excluant les primes et les variables. Elles passent alors à côté des causes structurelles des inégalités.

La suppression par la loi Rebsamen du rapport de situation comparée n’a fait qu’aggraver les difficultés liées à l’identification des inégalités. Ce rapport avait le mérite d’être un outil connu et bien identifié par les acteurs de l’entreprise. Des pratiques s’étaient installées. Désormais, les indicateurs sur l’égalité sont dilués dans une base de données unique, ce qui nuit à la réalisation des diagnostics.

Sans revenir sur cette évolution, l’article 2 vise à inciter les employeurs à produire les informations sur l’égalité professionnelle qui sont le support indispensable et préalable à la négociation sur ce thème.

Enfin, vous avez raison, le défaut de transmission par l’employeur des informations destinées aux représentants du personnel est déjà sanctionné pénalement. Toutefois, il ne s’agit pas ici de sanctionner le défaut de transmission, caractéristique d’une entrave, mais le défaut de production de ces données, ce qui n’est pas la même chose.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé, et l’amendement AS11 de Mme Marie-George Buffet tombe.

TITRE II
ENCADRER LE TEMPS PARTIEL IMPOSÉ

Article 3 : Diminution de la réduction sur les cotisations patronales en cas d’embauche à temps partiel

La Commission est saisie de l’amendement AS3 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Dès l’été 2012, la grande conférence sociale a mis en lumière que le temps partiel subi était un facteur de précarisation et une source de contraintes majeures pour les salariés concernés, en particulier pour les femmes qui représentent 80 % des salariés employés à temps partiel. C’est pourquoi les partenaires sociaux ont décidé de formaliser des mesures concrètes dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013.

L’instauration du seuil minimal de 24 heures hebdomadaires, par la loi de sécurisation de l’emploi adoptée au printemps 2013, permet de lutter contre le temps partiel subi en faisant de l’accord de branche le pivot pour l’organisation du temps partiel. En effet, les modalités d’organisation du travail, notamment lorsque la branche entend déroger à la durée minimale de 24 heures par semaine ou mettre en place le complément d’heures, sont déterminées par les partenaires sociaux.

L’article 12 de la loi de sécurisation de l’emploi est le fruit d’un compromis qui définit un équilibre général sur la prévisibilité de leur emploi pour les salariés à temps partiel. De plus, cet article renvoie à l’équilibre de l’accord collectif, la définition des souplesses et des contreparties. Nous avions constaté, lors de l’évaluation de la loi, que des branches ne négociaient pas. C’est pourquoi, dans la loi sur la formation professionnelle de 2014, nous avons décidé de prolonger le délai pour parvenir à des accords, ce qui a eu des effets notables.

L’instauration du principe de la durée minimale a permis une réforme structurelle de l’organisation du travail à temps partiel : prévisibilité des plannings, organisation des coupures, majoration des heures complémentaires... Or, par l’article 3 de votre texte, vous proposez de remettre en cause le pivot qu’est l’accord de branche pour imposer une sanction fiscale. Outre le fait que vous revenez, une fois encore, sur des dispositions voulues par les organisations patronales et syndicales lors de la signature de l’ANI, vous remettez en cause un équilibre fruit de la négociation. Il ne nous apparaît pas opportun de remettre en cause la philosophie même du dispositif récemment adopté. C’est pourquoi nous vous proposons de supprimer cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Je ne reviens pas sur le poids du temps partiel dans les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, et sur la précarité des femmes. Depuis trente ans, le temps partiel s’est développé sans qu’aucune loi ne le freine ; au contraire, certaines lois l’ont encouragé.

On sait très bien que le défaut de formation fait que, dans les accords de branche, les questions d’égalité professionnelle ne sont pas traitées au niveau qui convient. Et parfois les rapports de force sont inégaux. On a vu le résultat de la loi sur les 24 heures et des accords de branche : selon les branches, la durée minimale hebdomadaire est « de 8 à 10 heures », « 17 heures », « de 5 à 16 heures », « 3 heures 45 », « 12 heures », « de 2 à 24 heures », « de 7 à 24 heures », de « 5 à 24 heures », « de 5 à 10 heures ». Une infime majorité applique les 24 heures. Si les accords de branche sont à ce point défavorables aux intérêts des femmes et à l’égalité professionnelle, il faut que la loi limite le recours abusif au temps partiel. Sans remettre en cause la négociation collective, la loi peut poser des bornes pour que les femmes, qui représentent 82 % des travailleurs à temps partiel, ne soient pas les premières victimes des accords de branche.

Les syndicats le disent eux-mêmes, ainsi que Mme le professeur Jacqueline Laufer dans son remarquable livre L’Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, pour des raisons de mentalité et de formation, la question de l’égalité professionnelle n’est pas un sujet prioritaire dans les négociations syndicales.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Article 4 : Majoration de la rémunération des heures effectuées dans le cadre d’un contrat à temps partiel inférieur à 24 heures hebdomadaires

La Commission examine l’amendement AS4 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le système de la loi de 2013 prévoit une protection sous la forme d’une durée minimale hebdomadaire de travail de 24 heures. À partir de là, une dérogation est possible, cette dérogation étant elle-même assortie d’une protection : l’obligation de regrouper les horaires de travail du salarié par demi-journées. C’est un progrès majeur, car les horaires de travail dispersés sont un fléau bien connu. Nous ne saurions être contre les dérogations à la durée minimale, sous réserve de cette protection.

Vous souhaitez remettre en cause l’équilibre qui a été voulu par les organisations syndicales et patronales, amélioré et adopté par le législateur, et en cours de déploiement. Forts des arguments rappelés lors de la discussion de l’article précédent et de notre volonté de respecter le souhait des partenaires sociaux, nous proposons de supprimer cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. À la suite de nos auditions des organisations syndicales, j’ai déposé l’amendement AS16 pour réduire les majorations à 25 % pour un temps de travail hebdomadaire inférieur à 24 heures et à 50 % pour un temps de travail inférieur à 15 heures. Cet article vise à décourager les temps très partiels et à faire en sorte que les heures complémentaires soient indemnisées correctement.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est supprimé, et l’amendement AS16 de Mme Marie-George Buffet tombe.

Article 5 : Majoration de la rémunération des heures complémentaires

La Commission est saisie de l’amendement AS5 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le présent article vise à faire passer le taux minimal de majoration des heures complémentaires de 10 à 25 %. Rappelons que les heures complémentaires sont majorées d’au moins 10 % dès la première heure effectuée, depuis l’adoption par notre majorité de la loi de sécurisation de l’emploi. Par ailleurs, les heures effectuées au-delà du dixième de la durée de travail prévue au contrat, et dans la limite du tiers, sont majorées de 25 %. Notre majorité croit à la négociation collective et lui donne la priorité en l’encadrant. Il appartient, selon nous, à la négociation de fixer le taux de majoration, en respectant le minimum défini par le législateur. Nous proposons donc de supprimer cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. On dénombre seulement onze accords de branche avec des majorations d’heures complémentaires supérieures à 10 %. Outre la précarité qu’engendrent ces dispositions pour les femmes à temps partiel, elles entraînent une rupture d’égalité vis-à-vis des salariés à temps plein, qui peuvent bénéficier de taux de majoration d’heures supplémentaires supérieurs. C’est une grave rupture de l’égalité : les salariés à temps partiel n’ont pas les mêmes droits que les salariés à temps plein.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 5 est supprimé.

Article 6 : Majoration obligatoire de la rémunération des compléments d’heures

La Commission étudie l’amendement AS6 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. L’article 6 propose de revoir les règles de majoration des heures effectuées dans le cadre d’un complément d’heures par avenant. L’équilibre trouvé en 2013 a ouvert la possibilité d’augmenter de manière temporaire la durée de travail des salariés à temps partiel par avenant, à condition que ce dispositif soit expressément prévu par un accord de branche étendu. Ce dispositif est largement sollicité depuis sa création, et l’examen des accords conclus permet d’observer que le taux de majoration varie de 10 à 25 %. Aussi, nombreuses sont les branches dans lesquelles il a été décidé de limiter à huit le nombre d’avenants permettant d’augmenter temporairement la durée du travail. Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression de cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Les compléments d’heures étaient encore considérés il y a peu par la Cour de cassation comme des fraudes visant à contourner la législation sur le travail à temps partiel. La loi de sécurisation de l’emploi de 2013 a tenté d’encadrer ce dispositif. En pratique, le dispositif retenu permet surtout aux employeurs d’éviter de payer des heures complémentaires. D’ailleurs, plusieurs branches aujourd’hui ne prévoient aucune majoration des compléments d’heures.

Ces compléments d’heures ont des conséquences dramatiques : ils placent les salariés dans une précarité psychologique, ceux-ci ne sachant pas à l’avance quels seront leurs horaires de travail. Dans certaines branches, l’employeur peut imposer jusqu’à huit avenants par an, c’est-à-dire huit modifications substantielles de la durée du travail du salarié au cours d’une seule année. Comment, dans ces conditions, un salarié à temps partiel peut-il concilier ses heures de travail avec ses contraintes personnelles et familiales ? Cette précarité psychologique est accentuée par la possibilité de réduire les délais de prévenance à trois jours.

En outre, les compléments d’heures complexifient une législation sur le temps partiel déjà très compliquée. Les syndicats, pendant les auditions, nous ont d’ailleurs alertés sur le fait qu’il est devenu de plus en plus difficile d’expliquer les droits des femmes salariées à temps partiel.

Cet article vise donc à rendre la majoration obligatoire, et l’amendement AS15 suivant propose de relever à 25 % minimum le taux de majoration.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 6 est supprimé, et l’amendement AS15 de Mme Marie-George Buffet tombe.

Après l’article 6

La Commission examine l’amendement AS14 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à relever à sept jours ouvrés le délai minimum de prévenance pouvant être défini par accord d’entreprise en cas de changement de la répartition de la durée du travail d’un salarié à temps partiel. La loi du 8 août 2016 relative au travail a, en effet, permis à un accord d’entreprise de négocier un délai de prévenance de trois jours. Il faut bien imaginer ce que cela implique pour le salarié de devoir prévoir à trois jours des horaires de garde pour les enfants, une organisation de travail, des temps de repos différents. Nous pensons que sept jours sont un délai minimal, qu’il faut reconduire.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous voterons contre cet amendement, restant en cohérence avec les accords qui ont été passés entre les organisations syndicales et patronales.

La Commission rejette l’amendement.

TITRE III
PARTAGER LA PARENTALITÉ

Article 7 : Allongement de la durée du congé de maternité

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Article 8 : Allongement de la durée du congé de paternité

Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous allons nous abstenir sur le vote de l’article 8 aujourd’hui, car je présenterai un amendement en séance afin d’augmenter de trois jours la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant. On reviendra ainsi dans le cadre de la proposition de loi que nous avons présentée en 2010 et cela représente un bon compromis par rapport à la durée très longue que vous proposez.

Mme la rapporteure. Il est temps que la France se mette au goût du jour sur les questions de parentalité et notamment le congé de paternité. La France est à la traîne.

Nous n’avons pas souhaité élargir le champ du texte mais j’appelle aussi votre attention sur les questions de la grossesse. Notre droit est très restrictif s’agissant de la protection des femmes enceintes, dans la mesure où il dresse une liste des raisons permettant leur protection. Nous avons vu dans l’actualité de ces derniers mois que des femmes, dans le secteur du commerce par exemple, avaient perdu leurs bébés à cause de postes qui ne convenaient pas. Il faudra retravailler ces questions.

Mme Isabelle Le Callennec. Avez-vous commencé à chiffrer concrètement les conséquences de ces articles 7 et 8 pour la branche maladie de la sécurité sociale ?

Mme la rapporteure. Nous avons commencé et nous vous donnerons les chiffres d’ici à la séance.

La Commission adopte l’article 8 sans modification.

TITRE IV
LUTTER CONTRE LES DISCRIMINATIONS À L’EMBAUCHE

Article 9 : Améliorer l’information en matière de discrimination

La Commission est saisie de l’amendement AS9 de Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le Gouvernement a lancé, à l’automne 2014, un groupe de travail sur la lutte contre les discriminations dans le monde du travail. Et pour cause, comme l’a rappelé le Défenseur des droits dans son rapport d’activité de 2015, « 54 % des dossiers de réclamation dans le domaine de la lutte contre les discriminations concernent l’emploi ».

Depuis 2012, nous sommes passés à l’attaque pour lutter contre les discriminations à l’embauche. En avril 2015, suite aux conclusions rendues par le groupe de travail, nous avons engagé la promotion de nouvelles méthodes de recrutement – immersion, recrutement par simulation, CV vidéo… –, nous avons lancé et soutenu une campagne de testing et créé une action de groupe spécifique aux discriminations au travail dans le cadre de la loi « Justice du XXIe siècle » adoptée en octobre. Au passage, le CV anonyme dont a parlé M. Vercamer n’a jamais été appliqué, le Gouvernement, de 2006 à 2012, n’ayant jamais pris les décrets d’application.

M. Francis Vercamer. Ce n’est pas une raison pour le supprimer !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Le présent article propose d’instaurer un registre des candidatures adossé au registre unique du personnel. Dans son rapport remis en mai 2015 au Gouvernement, le groupe de travail présidé par M. Sciberras a émis de fortes réserves sur la mise en œuvre d’une telle mesure et préconise d’approfondir les réflexions sur le sujet. Ainsi peut-on lire en page 9 du rapport : « L’analyse de certaines propositions telles que la création d’un registre des candidatures a montré que les réflexions méritaient d’être approfondies si on veut déboucher sur des mesures crédibles car opérationnelles. » Il ne semble donc pas opportun d’adopter cette disposition en l’état, mais plutôt d’attendre la remise des travaux engagés par le groupe de travail.

L’article 9 crée une obligation de notification de l’employeur au candidat qu’il reçoit pour un entretien des droits garantis dans le code du travail en matière de lutte contre les discriminations. Or cette obligation est déjà garantie par l’article L. 1142-6 du code du travail qui dispose que, dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les candidats sont informés, par tout moyen, des dispositions pénales existant en matière de discriminations. Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet article.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. La citation de M. Sciberras est un appel à travailler sur cette question, ce que propose cet article. Rendons cette mesure opérationnelle et nous pourrons plus tard en tirer le bilan. Une information individuelle, par notification à chaque personne, serait plus efficace qu’une information par affichage.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 9 est supprimé.

Article 10 : Compensation des charges pour les organismes de sécurité sociale

La Commission adopte l’article 10 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le présent texte sera discuté en séance publique dans la niche GDR du 2 février prochain.

La séance est levée à vingt-deux heures trente.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 24 janvier 2017 à 21 heures 30

Présents. – M. Alain Ballay, Mme Marie-Françoise Clergeau, Mme Joëlle Huillier, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Michel Liebgott, Mme Dominique Orliac, M. Francis Vercamer

Excusés. – M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Louis Roumégas