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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 25 janvier 2017

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 56

Présidence
de M. Dominique Lefebvre,
Vice-président
puis de
M. Gilles Carrez,
Président

–  Examen de la proposition de résolution européenne pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (n° 4379)

–  Informations relatives à la commission

–  Présences en réunion

La commission examine la proposition de résolution européenne pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (n° 4379) (M. Alain Bocquet, rapporteur).

M. Alain Bocquet, rapporteur. C’est un plaisir de siéger au sein de la commission des finances, c’est la seule que je n’avais pas visitée en trente-neuf ans de présence dans cette maison !

En matière d’évitement fiscal, les scandales se suivent et se ressemblent. Après les affaires Swissleaks, Luxleaks, les affaires UBS et HSBC et les Panama Papers, ce sont les Football Leaks qui rythment désormais l’actualité.

C’est quotidiennement que l’on parle d’évasion fiscale, et ce fut encore le cas avec l’ubuesque procès des Wildenstein, qui doivent au bas mot 500 millions d’euros aux services fiscaux mais viennent de bénéficier d’une relaxe confondante. Dans le même temps, des lanceurs d’alerte comme Antoine Deltour, qui ont révélé la vérité sur des pratiques illicites et ont même fait gagner de l’argent au fisc, sont poursuivis.

La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales est donc au cœur des débats, mais malgré d’indéniables avancées législatives ou réglementaires, les réponses concrètes et efficaces tardent à venir. Ayant commis un rapport avec notre collègue Nicolas Dupont-Aignan en 2013 dans le cadre d’une mission d’information, qui s’intitulait : « Lutte contre les paradis fiscaux : si on passait des paroles aux actes », et venant de publier l’ouvrage : « Sans Domicile Fisc » avec mon sénateur de frère, rapporteur de multiples commissions d’enquête au Sénat sur l’évasion fiscale, j’ai proposé au groupe GDR de déposer une proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui, et dont la principale mesure est d’instaurer une Conférence des parties (COP) de la finance et de la fiscalité mondiales. Cette proposition a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes le mardi 17 janvier.

Le consentement à l’impôt, et son égale répartition entre les citoyens et entre les entreprises, sont au cœur du processus démocratique. Selon l’ancien secrétaire d’État américain Henri Morgenthau, « l’impôt est le prix à payer pour une société civilisée ». Il permet en effet la levée et l’allocation des ressources, la redistribution permettant de combattre les injustices et de conduire les politiques publiques décidées par la nation ou par ses représentants.

Cependant, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la concurrence fiscale entre États – qui s’intensifie – l’évitement fiscal, qui inclut aussi bien la fraude que l’optimisation et l’évasion fiscales, s’est largement propagé. Si ces mécanismes touchent une proportion réduite des particuliers, les grandes entreprises pratiquent l’évasion fiscale à un niveau industriel, privant bien souvent les États développés comme ceux en développement des ressources nécessaires pour lutter contre la pauvreté et investir dans la santé, l’éducation et l’emploi.

En effet, entre 1980 et 2013, si les bénéfices nets déclarés par les plus grandes entreprises du monde ont plus que triplé en termes réels, passant de 2 000 à 7 200 milliards de dollars, cette augmentation ne s’est pas traduite par une hausse correspondante des contributions fiscales des entreprises. Au contraire, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les recettes que les pays collectent via l’impôt sur les sociétés ont chuté de 3,6 % à 2,8 % du PIB entre 2007 et 2014, sous l’effet de l’évasion mais aussi de la concurrence fiscale qui pousse les États à baisser le niveau de leur imposition.

Cette tendance ne s’essouffle pas, bien au contraire. Elle prend des proportions inouïes et inquiétantes comme l’illustrent les promesses de campagne du président Trump, qui tendent à faire des États-Unis un paradis fiscal. Il a annoncé vouloir baisser l’impôt sur les sociétés de 35 % à 15 % et faire appel aux repentis fiscaux, qui détiennent 2 200 milliards de dollars de fonds à l’étranger, pour qu’ils rapatrient ces sommes à un taux d’imposition de 10 %.

Le Royaume-Uni menace de faire de même si l’Union européenne n’entend pas ses exigences dans le cadre du Brexit : « Chacun pour soi et Dieu pour tous ! ». Il y est prévu de réduire l’impôt sur les sociétés à 18 %, bientôt 15 %. Tout est tiré vers le bas, comme le disait hier la représentante d’une organisation non gouvernementale (ONG) qui participait à une réunion de concertation en vue de cette réunion et de la niche parlementaire réservée au groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

En matière d’évitement fiscal, l’ingénierie et l’opacité prospèrent et permettent des schémas d’optimisation ou de fraude d’une sophistication extrême, exonérant les contribuables concernés de tout ou partie de leurs obligations fiscales.

En dépit des avancées, réelles, accomplies ces dernières années en matière de coopération fiscale entre les États, notamment le plan d’action base erosion and profit shifting (BEPS) sous l’impulsion de l’OCDE, nous restons au bord du précipice. Les États demeurent en effet assez largement impuissants pour lutter contre l’évitement fiscal, quand ils ne sont pas eux-mêmes complices des stratégies d’évitement.

La présence de paradis fiscaux, qui lessivent aussi l’argent sale de la mafia, de la drogue, du trafic d’armes, de la prostitution et même du terrorisme, et l’existence d’une concurrence fiscale exacerbée conduisent à une situation dommageable pour tous les acteurs, à l’exception notable des groupes multinationaux et des individus les plus fortunés. En ce sens, l’évitement fiscal correspond pleinement à une situation de passager clandestin qui rompt l’égalité de traitement et fragilise la cohésion de nos sociétés.

Peut-on continuer plus longtemps à accepter la réalité que vient de révéler l’ONG OXFAM à la veille du sommet de Davos ? Huit privilégiés de la fortune possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population du monde, c’est-à-dire 3,6 milliards de personnes. Pour atteindre cette proportion, il fallait 62 de ces privilégiés en 2015 et 388 et 2010.

L’évasion fiscale représente des sommes considérables : 1 000 milliards d’euros annuels au niveau de l’Union européenne ; 60 à 80 milliards d’euros pour la seule France. Le coût pour les pays en développement serait même 30 % plus élevé.

Il est donc indispensable de renforcer la coopération fiscale entre tous les États et d’améliorer le cadre de la gouvernance mondiale.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que la France doit proposer la tenue d’une Conférence des parties de la finance, sur le modèle de la COP en matière environnementale. Comme pour les changements climatiques, l’urgence est là en matière financière. Cette Conférence des parties permettrait d’avancer de manière simultanée et internationale sur plusieurs chantiers, tels que la définition des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux, la protection des lanceurs d’alerte et le soutien à la reconversion des économies qui tirent l’essentiel de leurs ressources de leur statut de paradis fiscal.

Cette grande Conférence des parties devrait, en outre, se tenir sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU), restée jusqu’à présent trop en retrait de cette question au profit d’organisations moins représentatives des pays en développement telles que l’OCDE, le G7, le G8 ou le G20. Elle pourrait également conduire à la création d’une organisation mondiale de la finance qui reprendrait certains traits de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à commencer par l’organisation de cycles réguliers de négociations, l’évaluation régulière des progrès obtenus et la définition de sanctions en cas de comportement non coopératif persistant de la part de certains acteurs. Il est très clair que nous voulons aujourd’hui réunir tout le monde autour de la table.

La France, par sa stature internationale et européenne, par la force et la compétence de sa diplomatie et de son administration fiscale, a de nombreux atouts pour lancer ce mouvement. Il y va de notre capacité à lutter contre les nombreux dérèglements du monde qui portent atteinte à notre idéal démocratique, à la paix comme à notre sécurité.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient tout juste d’adopter très largement un avis dans le même sens. Une telle COP fiscale serait l’embryon possible d’un service public mondial de maîtrise et de connaissance de l’activité des multinationales, pour viser le bien commun partagé. Surtout quand on sait, mes chers collègues, qu’à peine 2 % des transactions financières reposent aujourd’hui dans le monde sur l’économie réelle quand 98 % sont purement spéculatives. C’est très périlleux et c’est à nous d’avancer aujourd’hui !

Dans le détail, la proposition de résolution européenne que nous vous présentons aujourd’hui insiste sur la nécessité de parvenir à une définition large, objective, effective et sans exception de la notion de paradis fiscal. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts en matière de transparence fiscale. Il faut aller plus loin encore s’agissant des rescrits fiscaux. Enfin, un statut européen unique pour les lanceurs d’alerte doit être défini.

La volonté de créer cette COP est largement partagée par des experts, des représentants d’ONG, des syndicats, et le Comité économique, social et environnemental. La commission des affaires européennes a adopté cette proposition de résolution. Nous savons que cette démarche sera longue à mettre en place, mais c’est une réponse nécessaire pour amener cette finance folle, qui a pris le pouvoir, à la raison.

En cette fin de législature, notre Assemblée nationale peut faire œuvre utile dans ce combat pour la justice sociale, la démocratie et la paix.

M. le président Gilles Carrez. Je suis très heureux que ce sujet, qui préoccupe beaucoup la commission des finances, y soit de nouveau abordé à l’occasion de l’étude de ce projet de résolution.

Ces questions d’optimisation, d’évitement voire de fraude fiscale, au niveau international et parfois européen, sont aujourd’hui considérées de manière beaucoup plus sérieuse par les États qu’il y a quelques années. Confrontés à la nécessité de financer des dépenses, notamment dans le domaine de la sécurité, les États subissent l’érosion de leurs recettes. Le terrain est donc propice pour avancer.

Il y a deux ans, nous avions reçu M. Pascal Saint-Amans, qui pilote les travaux sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) au sein de l’OCDE. Ces travaux ont progressé, notamment sur le terrain de l’échange d’informations, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Sachez, monsieur Bocquet, que votre proposition de résolution porte sur un sujet de préoccupation majeur de notre commission. Parmi plusieurs missions, celle menée par Pierre-Alain Muet et Éric Woerth sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international a donné lieu à un rapport très intéressant. En cette fin de législature, je souhaite que cet objectif de travail de la commission des finances soit maintenu, car il est prioritaire à mes yeux.

M. Christophe Caresche. Nous avons déjà débattu de cette proposition de résolution lors de son examen par la commission des affaires européennes. Le sujet mérite toute notre attention, et nous y avons beaucoup travaillé. Nous ne pouvons qu’appuyer cette réaffirmation symbolique de notre volonté de lutter de manière vigoureuse contre ce type de pratique.

La résolution souligne que ce combat a une dimension nationale, que nous avons cherché à traiter, mais aussi une dimension internationale. Pour avancer sur cette question, il faut que les pays s’unissent et qu’une dynamique se lance à l’échelon international. Il est proposé dans la résolution d’élargir le cercle des pays qui travaillent aujourd’hui sur cette question, avec une certaine efficacité, il faut le reconnaître. Des résultats positifs ont été enregistrés : le G20 a demandé à l’OCDE de travailler sur cette question, et le remarquable travail de l’OCDE permet d’avancer. Essayer d’élargir le cercle des pays concernés ne pose pas de difficultés en principe, pourvu que cette démarche ne fasse pas obstacle au travail de l’OCDE. Ce travail continue, et une réunion est prévue en février sur la question.

Le groupe socialiste votera donc cette résolution.

M. Joël Giraud. Je remercie nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine de cette initiative. À l’heure actuelle, il n’y a pas de pilote dans l’avion car il n’y a pas de poste de pilotage… Cette résolution propose d’y remédier, même si le défaut de volonté politique internationale est à relativiser au regard des travaux du forum mondial, rattaché à l’OCDE. Il demeure que c’est sous la pression de certaines initiatives citoyennes ou de parlements nationaux ou régionaux qu’un certain nombre d’affaires sont sorties. La liste de ces affaires est d’ailleurs évoquée dans le rapport.

Cette proposition de résolution répond à la nécessité vitale de mettre en place une gouvernance internationale. Notre collègue a rappelé les risques nés de l’élection de Donald Trump aux États-Unis et du Brexit, qui ranime la tentation du Royaume-Uni d’adopter des pratiques fiscales déloyales. Tout ce qui peut permettre de ne pas soumettre le Royaume-Uni à la tentation – et de le délivrer du mal – est forcément important…

La première partie de cette proposition de résolution porte sur l’ouverture de cette COP. Il s’agit du plan international dont notre collègue Caresche vient de parler.

La seconde partie porte sur la définition internationale des territoires non coopératifs, auxquels une fiscalité spécifique doit être appliquée pour lutter plus efficacement contre la technique des prix de transferts. Sur ce sujet, j’ai récemment demandé à notre ministre du budget la raison de l’importante différence du nombre d’États figurant dans la liste française et dans la liste européenne, alors que toutes deux se fondent sur les travaux du forum mondial.

La seconde partie de cette proposition est de nature à fournir un certain nombre de réponses en la matière. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste est donc favorable à cette proposition.

M. Nicolas Sansu. Vous ne serez pas étonné d’apprendre que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient cette proposition de résolution européenne !

L’érosion des bases fiscales a été prise à bras-le-corps par l’OCDE, et la question est d’importance au vu des tentations de concurrence fiscale qui risquent de miner toutes les démarches collectives. Aujourd’hui, nous nous inquiétons que les États-Unis ne deviennent un paradis fiscal. Nous souhaitons que cette question fiscale soit traitée au même niveau que les autres dérèglements qui affectent notre planète. Dans le cas des dérèglements climatiques, la société civile, les chercheurs et les entreprises se sont mobilisés pour trouver des solutions. Sur la question du consentement à l’impôt et à l’effort collectif, il faut la même démarche.

C’est l’objet de cette proposition de résolution. Nous n’envisageons pas une harmonisation fiscale mondiale, mais ne pas apporter de réponse en termes de gouvernance à la mondialisation financière qui a permis à ces transnationales d’échapper à l’impôt serait une erreur qui laisserait le champ libre à ceux qui ont mis en place cet évitement fiscal depuis une dizaine d’années.

Nous aurons l’occasion de rediscuter de cette question en séance publique le 2 février, chiffres à l’appui, pour démontrer qu’il en va de l’honneur de la France de porter cette proposition de COP fiscale, comme l’a proposé le CESE.

Mme Véronique Louwagie. Des initiatives fortes ont été prises par le G20 ou l’Union européenne en faveur d’une meilleure transparence fiscale, notamment pour contribuer à l’identification des paradis fiscaux et à la lutte contre ces derniers.

Au cours du G20 de Londres, en 2009, les responsables politiques des principales puissances mondiales ont déjà engagé un certain nombre d’actions et ont qualifié la lutte contre l’évasion fiscale de priorité absolue. Nous partageons tous cette vision.

Nous avons connu un certain nombre d’avancées, certes insuffisantes. Le combat contre l’évasion fiscale n’est pas gagné. Des mesures du BEPS et du paquet européen doivent encore être appliquées de manière globale.

Ce projet de résolution m’amène cependant à m’interroger sur l’intérêt d’une énième conférence internationale, aux contours assez flous, et qui pourrait apparaître superflue au regard de la pratique internationale.

Un débat doit se tenir, et de réelles questions se posent sur la transparence, la fraude, l’optimisation, les questions de justice et d’équité fiscales, mais ne devrions-nous pas plutôt débattre des modalités de mise en œuvre des accords internationaux qui existent déjà et de leur suivi et leur évaluation ?

M. Éric Alauzet. Merci au groupe de la Gauche démocrate et républicaine pour cette initiative que je partage, tant dans son intention que dans son contenu.

Je tiens à souligner les avancées au cours de ce mandat. Concernant l’évasion fiscale des particuliers, nous progressons. Nous avons la main sur cette affaire, comme en témoignent les 2,5 milliards d’euros versés au budget tous les ans grâce au retour des évadés fiscaux. La transparence a progressé, mais la communication au public des éléments financiers concernant les entreprises reste un point difficile, sur lequel nous avons achoppé tout au long de ce mandat. Néanmoins, les lois françaises ainsi que l’OCDE et le G20 ont permis de faire des progrès.

Pour autant, un déséquilibre patent est né du fait que l’Union européenne a considéré en permanence que pour rééquilibrer les budgets, la seule solution était de baisser les dépenses, sans se préoccuper de la façon d’améliorer la recette et de restaurer l’assiette fiscale. Nous nous sommes égarés dans des débats sur l’offre et la demande, mineurs rapportés à celui portant sur l’assiette fiscale.

Le point sur la communication des éléments financiers au public me semble très important. Nous avons ici été confrontés au sempiternel argument de la compétitivité des États et des entreprises, qui nous a empêchés d’avancer sur ce point.

M. Marc Francina. Je trouve notre débat un peu utopique. M. Jérôme Cahuzac, quand il présidait notre commission, soutenait qu’il n’y avait pas de rapport avec la Suisse. Et pourtant, il faut faire avec ces pays. Or les Suisses ne sont pas près de nous laisser la marge nécessaire.

Comment, dans ce contexte, mettre tout le monde d’accord sur une résolution européenne ? Je pense d’ailleurs moi aussi que les États-Unis seront tentés de faire un régime fiscal à part.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’arrive de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de Strasbourg, et j’y repars tout à l’heure. Dans l’assemblée parlementaire de cette organisation qui regroupe non moins de 48 pays, des résolutions sont également prises sur les questions fiscales internationales. Hier, nous y examinions justement une résolution sur les rapports internationaux. Entre les États membres, une grande disparité s’observe entre leurs régimes fiscaux et sociaux.

Je lis dans la proposition de résolution que « cette démarche permettra également d’impliquer sur un pied d’égalité les pays en voie de développement ». Mais les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui se situent plutôt en Azerbaïdjan ou en Ukraine, me semble-t-il.

Le chemin que l’on nous propose est pavé de bonnes intentions. Il serait certes anormal d’occulter ce sujet. Mais une conférence internationale, qui plus est en lien avec les Nations unies, est-elle l’instrument pertinent ? Les pays en voie de développement n’ont absolument pas la même assiette fiscale que la nôtre, ni les mêmes moyens de contrôle. Ce que l’on nous propose n’est qu’un rêve. Nous voyons tout à travers un prisme fiscal franco-français, alors que nous devrions élever le débat.

Mme Claudine Schmid. La semaine dernière, à Davos, notre ministre de l’économie, M. Michel Sapin, a réclamé, dans un panel organisé en marge du forum économique mondial, une liste noire des pays abritant des sociétés et des trusts géants de fonds liés à des affaires de corruption. Il a aussi évoqué des mesures de rétorsion.

Quelles réponses les participants au même panel lui ont-ils apporté ? Quelles sont ces mesures envisagées ?

M. le président Gilles Carrez. Vous relèverez, monsieur le rapporteur, qu’il n’y a aucune objection sur le fond ni sur les objectifs recherchés, mais que des interrogations subsistent sur la méthode et sur la nécessité d’une conférence spécifique, alors que beaucoup d’instances existent déjà, où ces questions sont discutées – et progressent d’ailleurs parfois. Citons, à l’OCDE, le programme BEPS, qui a incontestablement permis des progrès sur les échanges d’information. Mais je reconnais que l’on a moins avancé sur certaines questions liées à la fiscalité des grands groupes internationaux.

À côté de la dimension internationale, il me semble qu’il y a une dimension européenne essentielle. L’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, au moins en ce qui concerne les impôts qui pèsent sur les entreprises, est un serpent de mer.

M. Pascal Terrasse. En novembre 2015, à Antalya, l’OCDE s’est accordée sur l’idée que la fiscalité applicable à une entreprise doit être celle du territoire sur lequel cette entreprise est implantée. Beaucoup de lieux existent déjà, beaucoup de conférences sont déjà organisées, où les vues convergent sur la fiscalité.

Deux problèmes demeurent cependant. D’abord, quels sont les acteurs qui doivent se mettre d’accord et comment ? Pourquoi les Allemands, les Polonais et les Italiens s’aligneraient-ils sur notre fiscalité et auraient-ils moins raison que nous ? À quel titre les Français détiendraient-ils, plus que d’autres, leur part de vérité ?

Ensuite, les solutions internationales butent sur l’absence de contrôle démocratique. Au niveau européen, le Parlement européen ne saurait prendre de décision en matière fiscale, tandis que la Commission européenne n’est que le plus petit dénominateur commun.

Ce que je trouve très positif dans cette résolution, c’est le rôle accordé à l’Europe. Nous en avons en effet besoin plus que jamais. Et elle peut jouer un rôle sur la scène internationale.

M. le rapporteur. J’ai entendu prononcer le mot d’utopie. Mais voulons-nous défendre pour une génération l’idée qu’il faut, dans ce monde dominé par la finance, créer les conditions d’un équilibre et d’une régulation qui permette d’éviter toutes ces dérives, voire des dangers, quant à l’avenir de la société, pour les générations futures ?

Dans l’évasion ou évitement fiscal, le blanchiment a pris ces dernières années une part grandissante, par le truchement d’établissements financiers reconnus. Comme le montrait un documentaire il y a trois semaines sur La Chaîne parlementaire, l’argent de la drogue, du terrorisme et des passeurs gagne de plus en plus d’influence. Auparavant très réticentes, les banques le sont de moins en moins, vu l’ampleur des montants en jeu… Car l’argent n’a pas d’odeur.

L’on organise des conférences des parties, ou COP, sur le climat. C’est légitime. Organisée à Paris, la COP21 a rencontré un succès d’estime. Il n’y a pas, dans ce type de conférences, que des experts, mais aussi des ONG, des représentants des parlements, des gouvernements… Les trous provoqués dans la couche d’ozone par les gaz à effet de serre sont bien repérés. Mais les trous provoqués par l’évitement fiscal et les paradis fiscaux dans les finances publiques mondiales, européennes et nationales sont aussi impressionnants. Certes, comme l’a dit Christophe Caresche, tout ce qui a été fait jusqu’ici est positif, et plus que globalement. Le rôle de l’OCDE est indéniable.

Mais, aujourd’hui, la donne a changé. Le président américain l’a dit clairement et un haut fonctionnaire nous a rappelé hier soir le temps où les États-Unis n’étaient pas coopératifs. Il semble qu’ils vont jouer en solo, en alliance avec le Royaume-Uni, dans le sillage du Brexit – l’on connaît déjà le statut de Jersey et de l’île de Man, ainsi que leurs liens avec la City. Ce n’est pas compliqué de faire des États-Unis un paradis fiscal ; il suffit de faire passer de 35 % à 15 % le taux de l’impôt sur les sociétés.

Dans ce contexte, quel rapport de forces doit-il se dessiner pour que la coopération internationale, incluant les pays en voie de développement, puisse endiguer ce qui se prépare, c’est-à-dire une déstabilisation mondiale ? L’Union européenne a un rôle à jouer. Mais quand la Commission européenne enjoint à l’Irlande de récupérer auprès d’Apple 13 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés, l’Irlande n’en veut pas ! C’est pourquoi une évaluation est nécessaire au sein d’instances internationales qui regroupent banquiers, gouvernements, ONG, parlements…

L’Assemblée nationale donnera-t-elle un signe en ce sens ? Nous proposons d’organiser au Burundi, dans un pays en développement, la première réunion de cette nouvelle Conférence des parties, ce qui n’aura certes pas lieu dès demain. Mais qui pourrait d’abord porter cette idée ? Les sommes qui sont en jeu sont colossales. L’avenir de la finance mondiale et sa maîtrise démocratique posent les mêmes défis que l’avenir du climat.

La commission adopte l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

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Informations relatives à la commission

1.– La commission a nommé M. Alain Bocquet rapporteur sur la proposition de résolution européenne pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (n° 4379).

2.– La commission a décidé de mettre en place un groupe de travail sur les conséquences de la modification des modalités de territorialisation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) des entreprises appartenant à un groupe de sociétés et sur la compensation des exonérations de fiscalité locale.

3.– La commission a reçu, en application de l’article 14 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, un projet de décret portant annulation de crédits d’un montant de 1 459 220 188 euros en autorisations d’engagement (AE) et de 7 673 207 euros en crédits de paiement (CP).

Ce mouvement à caractère technique vise à rembourser des trop-perçus sur fonds de concours. Il concerne les programmes suivants :

– programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde pour un montant de 14 500 euros en AE et CP ;

– programme 175 Patrimoines pour un montant de 73 266 euros en AE et CP ;

– programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire pour un montant de 443 451 euros en AE et CP ;

– programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, pour un montant de 60 520 euros en AE et CP ;

– programme 203 Infrastructures et services de transports, pour un montant de 1 451 546 981 euros en AE uniquement ;

– programme 156 Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local pour un montant de 8 972 euros en AE et CP ;

– programme 178 Préparation et emploi des forces pour un montant de 62 780 euros en AE et CP ;

– programme 155 Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail, pour un montant de 7 009 718 euros en AE et CP.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 25 janvier 2017 à 9 heures 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Michel Lefait, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Laurent Marcangeli, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, Mme Claudine Schmid, M. Pascal Terrasse, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, M. Olivier Dassault, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, M. Jean-Claude Fruteau, M. David Habib, M. Victorin Lurel, M. Hervé Mariton, M. Jacques Pélissard, Mme Valérie Rabault, M. Philippe Vigier

Assistait également à la réunion. - M. Gaby Charroux

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