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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 10 juillet 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

Suspension et reprise de la séance

1. Attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique

Deuxième lecture

Présentation

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Sébastien Denaja

M. Patrick Devedjian

M. Gilles Bourdouleix

M. Paul Molac

M. Alain Tourret

M. Marc Dolez

Mme Elisabeth Pochon

M. Georges Fenech

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

Discussion des articles

Article 1er

M. Patrick Hetzel

M. Marc Le Fur

M. Julien Aubert

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Dominique Raimbourg

Amendements nos 1, 7, 28, 42, 53, 75, 94

Mme la présidente

Amendements nos 16, 22, 37, 60, 72, 86, 38, 10, 13, 31, 45, 56, 66, 78, 39, 2, 8, 29, 54, 64, 76, 3, 6, 27, 41, 52, 62, 4, 5, 26, 40, 51, 61, 73

Suspension et reprise de la séance

Article 1er bis A

Amendements nos 11, 32, 57, 92

Article 1er bis

Amendements nos 12, 33, 58, 68, 80, 90

Article 2

Amendements nos 17, 21, 36, 50, 71, 84, 15, 19, 34, 48, 59, 69, 81

Article 3

Amendements nos 18, 20, 35, 49, 70, 82, 9, 14, 30, 44, 55, 65, 77

Article 4

Amendement no 24

Vote sur l’ensemble

2. Élections des conseillers de Paris

Discussion d'une proposition de loi

Présentation

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures, est reprise à quinze heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

1

Attributions du garde des sceaux
et des magistrats du ministère public
en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique

Deuxième lecture

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique (nos 1227 et 1230).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, veuillez me pardonner, j’ai pédalé aussi vite que me le permet mon âge avancé. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Quelle coquetterie !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’attendais des protestations un peu plus vigoureuses et mieux réparties, plus bilatérales, dirons-nous. (Sourires.)

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous nous retrouvons pour la deuxième lecture de ce projet de loi qui vise à définir les attributions du garde des sceaux en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, à préciser donc ses relations avec le ministère public.

Lors de la récente discussion de ce texte en première lecture, vos interventions ont montré que vous établissiez de manière assez systématique un lien entre ce projet de loi et le projet de réforme constitutionnelle. De fait, il s’agit de deux textes de loi cohérents et complémentaires que le Gouvernement a voulu soumettre au Parlement avec l’objectif d’assurer l’indépendance de la justice mais surtout de rétablir la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.

Cette deuxième lecture était une configuration plausible – sans doute puisqu’elle est effective – mais ce n’était pas celle que nous imaginions. Le projet de loi constitutionnelle ayant été profondément dénaturé lors de sa première lecture au Sénat, le Gouvernement a décidé d’interrompre provisoirement son parcours législatif.

M. Guy Geoffroy. Enfin une bonne nouvelle !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Une bonne nouvelle, certainement pas pour les citoyens, et certainement pas même pour vous qui, depuis plusieurs semaines, mettez en cause la magistrature et les magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – M. Thierry Braillard applaudit également.) Nous avons une opportunité, grâce à certaines dispositions, de rétablir le lustre de cette instance et vous choisissez de ne pas y faire droit.

M. Xavier Breton. Vous êtes au pied du mur !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si j’étais pessimiste, je citerais Schopenhauer, philosophe d’un pessimisme particulier mais doté d’une lucidité extraordinaire.

M. Patrick Devedjian. Il était fort misogyne !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nul n’est parfait.

Vous goûterez sans doute son affirmation selon laquelle toute vérité franchit trois étapes : elle est d’abord ridiculisée, elle subit ensuite une très forte opposition, enfin elle est considérée comme une évidence. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Christian Assaf. Une leçon d’humilité pour tous les conservateurs !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous savons que nous avons le temps pour nous et nous allons prendre ce temps pour nous. Nous conservons la finalité et l’ambition d’accorder à l’autorité judiciaire l’indépendance qui lui sied et qui lui permettra d’exercer ses missions principales : au niveau du Conseil supérieur de la magistrature, nommer les magistrats du siège et du parquet, mais aussi remplir le rôle de juge des juges pour les sanctionner éventuellement ; pour l’ensemble de la magistrature, pouvoir juger en toute impartialité, surtout en dehors de toute suspicion d’ingérence du pouvoir politique dans l’exercice de cette belle mission.

L’essentiel des dispositions du présent projet de loi – dont vous connaissez le contenu parfaitement puisque le débat en première lecture a été très nourri – consiste à introduire dans le code de procédure pénale l’interdiction des instructions individuelles, autrement dit les instructions du pouvoir politique dans les affaires pénales individuelles.

Nous prenons cette décision en connaissance de cause et nous en tirons toutes les conséquences.

Conséquences structurelles, fondées sur l’ordonnance de 1958 car nous maintenons le lien hiérarchique qu’elle définit. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, nous ne touchons pas au parquet à la française.

Conséquences opérationnelles ensuite : les autres articles du projet visent à définir les attributions des procureurs généraux et des procureurs.

Ce sont des dispositions conformes à un engagement clair, officiel, public, pris par le Président de la République. Ce sont des dispositions que je respecte depuis un peu plus d’un an que je suis aux responsabilités et qui ont été énoncées notamment dans la circulaire pénale que j’ai publiée le 19 septembre 2012.

Comme vous le savez, ce texte, après son passage au Sénat, a perdu ses dispositions essentielles.

M. Georges Fenech. Preuve de sagesse !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Sénat a en effet choisi, par amendements, de supprimer l’interdiction des instructions individuelles. Je ne doute pas que vous la rétablirez. Cette certitude, je la tire du contenu même de vos interventions en première lecture, qui ont été de qualité : elles ont montré que ce n’était pas par inadvertance mais bien par choix et par ambition que vous avez décidé qu’il fallait inscrire cette interdiction dans le code de procédure pénale.

M. Pascal Popelin. C’est exact.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certains arguments laissent entendre, à un moment ou à un autre de grande distraction, qu’il y aurait quelque vertu à vouloir maintenir les instructions individuelles. En quoi consistent-elles ? Elles sont écrites et versées au dossier en l’état actuel de la rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale. Elles renvoient à la possibilité pour l’exécutif de saisir le parquet pour demander de diligenter une enquête préliminaire, d’ouvrir une information judiciaire ou de poursuivre. Une fois la juridiction saisie, le pouvoir politique peut demander au parquet de requérir un non-lieu, une relaxe, telle ou telle peine ou encore un appel.

Nous décidons de rompre avec cela, en toute connaissance de cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Certes, les lois de janvier et août 1993 ont imposé que les instructions individuelles prévues par l’ordonnance de 1958 devaient être écrites et versées au dossier. Ainsi, a été instaurée une prohibition implicite des instructions orales – non écrites et non versées au dossier. Actuellement, on ne peut pas donner l’ordre de ne pas poursuivre tant que la juridiction n’a pas été saisie, mais dès lors qu’elle l’est, il est évident que l’on peut donner l’instruction de ne pas condamner, puisque l’on peut donner l’instruction du non-lieu ou de la relaxe.

Nous estimons que les inconvénients des instructions individuelles sont extrêmement lourds tandis que les avantages liés à leur maintien ne sont pas avérés.

À ceux qui s’inquiètent de voir l’État totalement désarmé…

M. Marc Le Fur. Oui, que pourra faire l’État ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela fait un an que je ne donne pas d’instructions individuelles ; mon prédécesseur, Michel Mercier, s’est toujours réclamé du fait qu’il n’en avait pas données non plus durant les dix-huit mois qu’il a été au Gouvernement. Et il y a un peu moins d’une quinzaine d’années, sous le gouvernement de M. Jospin, pendant cinq ans, les gardes des sceaux successifs, Elisabeth Guigou et Marylise Lebranchu n’en ont pas données. Eh bien, pendant aucune de ces périodes, je n’ai eu connaissance de drames ou de tragédies sur des contentieux graves et importants mettant en jeu le terrorisme ou la préservation des intérêts fondamentaux de la nation qui motivent ce genre d’instructions – c’est leur aspect vertueux que de ne pas vouloir laisser l’État démuni. Ces contentieux ont été au contraire extrêmement encadrés et correctement traités par nos juridictions.

M. Guy Geoffroy. De là à en supprimer le principe !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’y a donc pas d’avantages évidents à maintenir les instructions individuelles ; il n’y a que des inconvénients majeurs : une suspicion se nourrit de cette situation en laissant supposer au citoyen ordinaire que le pouvoir politique s’immisce dans les procédures individuelles, qu’il prend des positions partisanes, qu’il préserve les puissants et les amis du pouvoir et laisse le justiciable ordinaire démuni, tout à sa fragilité, face à l’institution judiciaire.

Nous faisons donc le choix de renoncer à ces instructions individuelles et de faire en sorte que les citoyens retrouvent confiance dans l’institution judiciaire. Et je ne doute pas que vous allez rétablir leur interdiction.

C’est un texte que nous connaissons bien. Nous savons quels sujets ont fait débat en première lecture dans votre assemblée puis au Sénat.

Les instructions individuelles n’ont guère fait débat ici, puisque les arguments que vous avez-vous mêmes développés ont montré que c’est bien par conviction que vous estimiez qu’il fallait inscrire leur prohibition dans l’article 30 du code de procédure pénale.

Toutefois, il est indiqué très clairement que le garde des sceaux est responsable de la politique pénale, que celle-ci est définie, énoncée, diffusée par circulaire générale et impersonnelle et que, dans la régulation des relations entre le garde des sceaux et le ministère public, il revient aux parquets généraux, chargés d’animer et de coordonner l’action publique, de faire remonter au garde des sceaux, par rapport annuel, l’application des politiques pénales au cours de l’année.

Par ailleurs, vous avez choisi, en première lecture que le garde des sceaux rédige et publie un rapport annuel sur la politique pénale et vienne en rendre compte devant le Parlement. Cette disposition est essentielle tant pour l’information de la représentation nationale que dans notre réflexion sur la publicité de ces circulaires générales.

Le garde des sceaux diffuse en effet des circulaires générales sur sa politique pénale. Ces circulaires, bien qu’impersonnelles, peuvent être limitées à un territoire présentant un profil de délinquance et de criminalité particulier ; elles peuvent être également thématiques.

Dans un premier temps, et même si vous avez nuancé votre position lors de la deuxième lecture, vous avez souhaité rendre d’une certaine façon générale et presque systématique la publicité des circulaires. C’est une exigence de transparence que l’on peut parfaitement comprendre car elle est totalement légitime.

Toutefois, votre disposition permettant au garde des sceaux de rendre public son rapport et de venir le défendre devant vous introduit de la transparence, et ce au bon moment. En effet, faire connaître toutes les orientations des circulaires une fois que ces orientations ont commencé à être appliquées est plus pertinent, plus judicieux que leur publication immédiate. En effet, ces circulaires visent l’efficacité de l’action judiciaire ; or leur publication immédiate, générale et systématique peut nuire à l’efficacité de cette action judiciaire.

Imaginons certains contentieux particuliers et sensibles, tels que le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée : les circulaires relatives à ces contentieux peuvent contenir des éléments de stratégie judiciaire, ainsi que des indications concernant des techniques d’enquête à privilégier ou à développer, des informations à destination des seuls magistrats concernant des organismes, des techniques ou des partenaires. Dans ces contentieux, la publication de ces circulaires nuirait à l’efficacité de l’action judiciaire.

Pour ces raisons, je vous demande de reconsidérer la question de la publicité de ces circulaires, étant entendu que lorsque le garde des sceaux vous en rendra compte, vous aurez connaissance de tous les éléments. En tout état de cause, en considération de votre qualité de parlementaires, c’est sans la moindre difficulté que je mettrai à votre disposition les informations vous concernant ou vous intéressant sur le contenu de ces circulaires. Mais leur publicité me paraît pernicieuse, ou tout du moins comporter des risques assez singuliers pour l’efficacité de l’action judiciaire.

Je rappelle par ailleurs que certaines circulaires peuvent faire l’objet d’une publication très étendue, comme la circulaire générale de politique pénale publiée le 19 septembre 2012. J’ai en effet souhaité qu’elle soit diffusée le plus largement possible, car elle contient à la fois les orientations, les principes directeurs de l’action publique en matière pénale, et la nouvelle architecture des attributions du garde des sceaux, de celles du ministère public et des relations entre le garde des sceaux et le ministère public. Il me paraissait donc important que cette circulaire soit le plus et le mieux connue possible.

Les autres circulaires font également l’objet de publication. Ainsi, lorsqu’elles portent la mention « NOR », comme les décrets ou les lois, ces circulaires font l’objet d’une publication au Bulletin officiel du ministère de la justice, voire au Journal officiel. Des garanties d’information existent donc ; pour autant, il me paraît délicat d’envisager que l’action de l’État soit fragilisée dans certains contentieux du fait de cette obligation de publication.

Au cours du débat, les formulations de cette nécessité de publicité ont évolué. Nous pourrions débattre sans fin de l’appréciation du bien-fondé du recours à l’exception, alors que, de fait, la publication est déjà la règle générale : il est bon, me semble-t-il, de reconnaître à l’exécutif le discernement nécessaire pour choisir de ne pas rendre publiques certaines circulaires, dont le nombre sera résiduel.

Le dernier point faisant encore discussion concerne une mention introduite par votre rapporteur, et à laquelle il est, je crois, très attaché.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Il n’est pas le seul !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit de compléter la rédaction de l’article 31 du code de procédure pénale par une mention sur le respect du principe d’impartialité qui incombe aux magistrats du parquet, donc au ministère public.

Sur ce point, je pense en effet qu’il y a réellement matière à débat. Vous vous souvenez qu’en première lecture, j’avais émis sinon des objections, du moins des réserves concernant cette disposition introduisant, dans ce seul article, cette obligation d’impartialité. En effet, le sens même, profond, de cette réforme – de ce projet de loi, et également de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature – consiste à créer les conditions d’impartialité pour les juges.

De plus, le fait de l’inscrire dans ce seul article du code de procédure pénale, et non dans les autres articles traitant du juge, alors que le juge est tenu tant à l’indépendance qu’à l’impartialité, me pose un certain nombre de problèmes, que je vous ai déjà exposés.

Je vous rappelle également que nous avons choisi de ne pas toucher au parquet à la française. Comme vous le savez, des débats existent sur le ministère public, son rôle, sa nature, son statut particulier. Je réaffirme, conformément à la Constitution, l’unité du corps judiciaire, l’unité de la magistrature, qu’il s’agisse du parquet ou du siège. Cette unité est essentielle, même s’il est certain, du fait notamment de l’ordonnance de 1958, que la relation de l’exécutif avec le ministère public n’est pas de la même nature que celle qu’il entretient avec les juges du siège.

Néanmoins, nous avons une conception constitutionnelle de l’autorité judiciaire, laquelle comprend bien un ministère public. Nous avons évoqué ces débats lors de la première lecture, et notamment les avis émis par la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par la Cour de cassation. En revanche, le Conseil constitutionnel considère de façon constante que le ministère public appartient à l’autorité judiciaire.

La conception conventionnelle de l’autorité judiciaire entend essentiellement l’autorité de jugement, donc la capacité à prononcer des mesures privatives de liberté. En ce sens, naturellement, le ministère public n’est pas une autorité de jugement. Il n’en demeure pas moins que, du point de vue constitutionnel, le ministère public reste une autorité judiciaire : sans avoir la responsabilité incombant au juge de prononcer des décisions de privation de liberté, il est le garant des libertés individuelles.

Pour cette raison, nous tenons à la préservation de ce statut. Aussi, le fait de le distinguer de cette façon dans l’article 31 me paraît de nature à conforter les interrogations sur le statut et le rôle du ministère public.

Il nous a été répondu parfois que le ministère public est une partie au procès pénal. C’est incontestable ! Mais il n’est pas une partie comme les autres, une partie ordinaire, car il est chargé de défendre l’intérêt de la loi, l’intérêt de la société. À ce titre, il est chargé, dans ses enquêtes notamment, ainsi que lorsqu’il requiert, de veiller à l’émergence de la vérité, il doit instruire à charge et à décharge, il doit exercer une mission d’une extrême rigueur. Pour cela, il est une partie au procès, mais une partie particulière : une partie poursuivante.

En tant qu’autorité de poursuite, il n’est pas visé par la Convention européenne des droits de l’homme, dans ses dispositions concernant l’impartialité ; il en va de même avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, concernant l’article 6 de la Convention. Quant à l’article 5 relatif à la privation de liberté, il dispose que, parce que le parquet est autorité de poursuite, il ne peut assurer le contrôle de la garde à vue. Il revient donc au juge, au-delà de 48 heures, de se prononcer, précisément parce que le juge et le tribunal sont des autorités indépendantes et impartiales.

Voilà les raisons pour lesquelles je conserve des réticences sur cette périphrase ajoutée par le rapporteur, soutenue par la commission des lois et votée par l’Assemblée nationale. Je m’inclinerai si vous décidez de la maintenir, non pas parce que je n’ai pas le choix – encore que je n’ai pas le choix !... (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. C’est justement observé, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Néanmoins, il me paraissait utile de vous expliquer les raisons de mes réticences, parce que je crains tout de même que l’on introduise ainsi une confusion sémantique entre le sens déontologique de l’impartialité, qui concernerait le parquet, et le sens juridique de l’impartialité, qui concernerait davantage les magistrats du siège.

L’impartialité est attendue du ministère public et des magistrats du siège. Aussi, l’inscrire de cette façon à l’article 31 du code de procédure pénale me paraît susceptible, à l’avenir, d’entraîner des contestations intenses, voire intensives, de l’impartialité du ministère public. Telles sont les raisons pour lesquelles je maintiens mes réticences, même si vous persévérez dans votre choix d’ajouter cette périphrase à l’article 31.

En substance, ce projet de loi ainsi que le projet de réforme constitutionnelle visent avec ambition, avec audace et avec clarté à renforcer nos institutions. Nous voulons des institutions fortes et insoupçonnables. Nous les voulons ainsi pour les justiciables, pour les citoyens ordinaires, pour ceux qui ne peuvent pas protester dans les médias, pour ceux qui n’ont pas les moyens de mobiliser des réseaux d’influence, pour ceux qui souvent n’ont même pas les moyens de s’offrir une défense spécialisée.

Pour ceux-là, nous voulons que les institutions soient fortes et insoupçonnables ; c’est tout le sens de ces deux textes de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, chers collègues, il n’y a pas de menu plaisir à quereller notre ministre de la justice sur certains sujets, quand on adhère par ailleurs autant que faire se peut au sens de sa politique !

M. Philippe Gosselin. C’est un acte d’allégeance !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’Assemblée nationale est aujourd’hui saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique.

Ce texte a été adopté en première lecture le 4 juin 2013 par notre assemblée, puis par le Sénat le 4 juillet dernier.

Il a pour objectif d’éliminer tout soupçon qui affecte l’indépendance de la justice du fait de la subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux – subordination qu’il n’est pas question de remettre en cause.

La fin du soupçon passe, d’une part, par la restitution au garde des sceaux de la responsabilité d’animer la politique pénale et, d’autre part, par le renforcement de l’indépendance du parquet, lequel se voit garantir, notamment avec la suppression des instructions individuelles du ministère de la justice, le plein exercice de l’action publique.

À l’issue de la première lecture, j’ai constaté et, dans le même temps, regretté l’existence d’importantes divergences de vues entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Ainsi, l’article 1er, article central du texte, qu’il fonde en quelque sorte puisqu’il entend prohiber sans exception toute instruction du ministère de la justice dans des affaires individuelles, a été privé par le Sénat d’une grande partie de sa portée.

De la même manière, si la Haute assemblée a souscrit au dispositif proposé par l’Assemblée nationale d’une information annuelle du Parlement sur la conduite de la politique pénale, elle n’avait pas fait siennes les modalités d’information – introduites par notre commission des lois – des magistrats du siège et du parquet, au niveau de chaque cour d’appel et de chaque tribunal de grande instance, sur l’application de cette politique.

Les deux assemblées ne sont pas davantage parvenues à s’accorder sur la publicité des instructions générales adressées par le garde des sceaux. Enfin, le rappel du principe d’impartialité dans l’exercice de l’action publique a fait l’objet d’appréciations divergentes.

Dans ces conditions, notre commission des lois a été amenée à examiner hier, en deuxième lecture, un texte qui s’éloignait dans une trop large mesure de celui adopté, en première lecture, par notre assemblée.

Par conséquent, elle a adopté, sur ma proposition, une série d’amendements, destinés à rétablir – parce que c’était important pour susciter l’adhésion que vous avez sollicitée tout à l’heure – et à conserver l’esprit, à défaut de la lettre, du texte issu de nos travaux en première lecture.

Permettez-moi de vous présenter brièvement les dispositions que nous avons adoptées en commission.

En premier lieu, notre commission a rétabli l’ambition originelle de ce texte, qui est de prohiber toute instruction du garde des sceaux à l’occasion d’une affaire individuelle. Nous sommes, madame la garde des sceaux, parfaitement dans la ligne de ce que vous avez dit il y a quelques instants.

Cette prohibition sans exception a une valeur symbolique très forte, puisqu’elle marque la volonté du législateur de garantir, en toutes circonstances, l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de lever tout soupçon quant à une éventuelle motivation politique des interventions du garde de sceaux. Parce que ce texte va obliger le garde de sceaux lui-même et c’est en cela qu’il est important.

J’entends dire ici et là que les instructions individuelles seraient en nombre infime et qu’il n’y aurait donc pas lieu de les prohiber. Je rappellerai d’abord que ce que nous savons n’est pas forcément ce qui s’est fait et, en second lieu, que le principe même de l’instruction individuelle constitue une immixtion directe du pouvoir exécutif dans une procédure juridictionnelle, qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs.

Dans le respect de l’engagement du Président de la République que vous avez rappelé, madame la garde de sceaux, cette réforme a l’ambition de graver dans le marbre de la loi l’interdiction des instructions individuelles que vous vous imposez en pratique depuis votre prise de fonctions en 2012. Vous avez rappelé les positions de Mme Guigou et Mme Lebranchu dans le gouvernement de M. Jospin. Vous avez aussi rappelé ce que M. Mercier avait fait. L’exigence de proscrire ces instructions dans le code de procédure pénale s’impose et c’est pourquoi nous avons rétabli le texte approuvé par l’Assemblée.

En supprimant l’interdiction de toute instruction individuelle du garde des sceaux, le Sénat avait dénaturé ce texte. Nous la rétablissons et j’invite l’Assemblée à approuver la rédaction de la commission.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Notre commission s’est également attachée à organiser, dans un souci de transparence, l’information des magistrats et, plus largement des citoyens, sur l’application de la politique pénale sur l’ensemble du territoire.

En première lecture, par cohérence avec l’information annuelle du Parlement au niveau national, notre commission avait estimé nécessaire d’organiser, au niveau local, l’information annuelle de l’ensemble des magistrats de la cour d’appel et du tribunal de grande instance sur l’application, dans leur ressort, de la politique pénale.

Estimant que ces modalités d’information relevaient non pas du domaine législatif, mais de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire, le Sénat a supprimé ces dispositions, invitant par la même occasion le Gouvernement à les mettre en œuvre par voie réglementaire.

Afin de conserver le principe d’une information annuelle des magistrats, au niveau local, sur la politique pénale conduite dans chaque ressort, ce que je considère comme important, et tout en répondant aux observations légitimes des sénateurs, notre commission a adopté, en deuxième lecture, un amendement qui vise à faire peser sur les procureurs généraux et les procureurs de la République une seule obligation de résultats – à savoir informer, au moins une fois par an, les magistrats du siège et du parquet de l’application de la politique pénale. Il ne s’agit donc, en aucun cas, d’une obligation de moyens, dans la mesure où le projet de loi n’entend pas préciser les modalités de mise en œuvre de cette information, renvoyant ainsi implicitement au pouvoir réglementaire le soin de les définir.

Mais la connaissance de la politique pénale ne peut pas, à mon sens, être réservée à la seule représentation nationale et aux seuls magistrats : elle doit au contraire être ouverte à tous les justiciables. C’est le sens du débat qui s’est engagé avec vous, madame la garde des sceaux.

Je considère en effet que la fin du soupçon implique que chaque citoyen puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le ministre de la justice et qui seront désormais débattus, chaque année, au Parlement.

C’est dans ce souci de transparence – souci qui a constamment guidé nos travaux – que notre commission avait, sur ma proposition, inscrit en première lecture, dans la lettre même du code de procédure pénale, le principe de la publicité des instructions générales de politique pénale adressées par le garde des sceaux. Le Sénat n’a toutefois pas souhaité retenir cette publicité. Loin d’y être hostile par principe, le rapporteur du Sénat a notamment estimé que les instructions générales doivent pouvoir être rendues publiques, sauf si l’intérêt général s’y oppose.

Considérant les précautions que vous avez souhaité prendre et conscient des difficultés que peut poser le contenu de certaines instructions, j’ai pensé que nous pourrions réaffirmer le principe de publicité des circulaires de politique pénale, tout en veillant à l’encadrer : ainsi, cette publicité pourra être écartée lorsqu’elle risque de porter atteinte à la sûreté de l’État, à la sécurité publique, au déroulement des procédures engagées ou des investigations préliminaires à ces procédures. Voilà la proposition que j’avais faite pour faire un pas vers le Sénat en prenant en compte votre dispositif. Je reconnais qu’en altérant ainsi le principe de publicité, j’ouvre, comme on le sait très bien en droit, toutes les hypothèses de contestation – vous avez évoqué le débat il y a quelques instants.

Vous avez déposé, madame la garde de sceaux, un amendement visant à supprimer cette partie du dispositif. Je me suis permis de demander à la commission de repousser cet amendement, non par principe, mais parce que je considère comme loyal à l’égard des membres de la commission de ne pas reprendre un débat clôturé par le vote que je lui avais proposé. Néanmoins, nous devrons avoir ce débat en séance publique, débat qu’il faut envisager avec l’intelligence dont le Parlement doit faire preuve et notamment notre assemblée. Nous allons donc étudier la manière dont l’amendement que vous déposez peut ou non être retenu, compte tenu des difficultés que vous avez évoquées.

Enfin, notre commission a voulu réaffirmer avec force et conviction l’exigence d’impartialité qui s’impose dans l’exercice de l’action publique. Vous avez, madame la garde des sceaux, rappelé mon attachement à ce principe : je suis de ceux qui veulent défendre le parquet à la française et je sais qu’il est critiqué, contesté, au profit d’autres systèmes juridictionnels qui tendent à s’imposer, y compris dans notre Europe. En outre, il y a dans cette contestation la remise en cause constitutionnelle de l’unité du corps des magistrats, qui comprend ceux qui jugent et ceux qui poursuivent. On a vu la Cour de cassation elle-même, excusez du peu, préférer l’approche conventionnelle à l’approche constitutionnelle. C’est un problème qui intéresse ceux qui, comme moi, aiment le débat, la controverse juridique au plus haut niveau de l’intelligence telle qu’elle est sollicitée dans nos modestes compétences, mais je reconnais aussi qu’il y a un danger pour notre pays, madame la garde des sceaux. Il ne faudrait pas qu’un jour, une question prioritaire de constitutionnalité vienne nous poser des problèmes alors que, je le rappelle, à trois reprises déjà, notre pays a été condamné pour des décisions de maintien en détention prises uniquement par le parquet.

Il faut donc que nous donnions des signes. Il y en avait un magistral, madame la garde des sceaux, et nous reprendrons l’ouvrage avec vous : la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ce point est fondamental et je vous assure qu’avec Dominique Raimbourg, et l’aide du président de notre commission, nous reprendrons ce dossier, parce qu’il est impossible que nous ignorions cette exigence.

Par ailleurs, il importe de rappeler le principe d’impartialité dans l’article du code de procédure pénale, qui confie au parquet l’exercice de l’action publique. Après avoir supprimé les instructions individuelles, c’est signifier que le statut des magistrats du parquet s’inscrit constitutionnellement dans l’unité du corps. Le magistrat est impartial quand il classe au nom de l’opportunité des poursuites, impartial quand il choisit une procédure – le renvoi devant le juge d’instruction, la comparution immédiate, la reconnaissance préalable de culpabilité, l’ordonnance… Toutes ces procédures, le parquet doit les utiliser dans l’idée qu’il exerce l’action publique et qu’il l’exerce avec impartialité. Cette proclamation n’est pas une suspicion, mais un rappel indiquant que les magistrats du parquet agissent dans l’impartialité.

M. Alain Tourret. Excellent !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Et cela nous évitera au passage, mes chers collègues, d’entendre des commentaires sur ce qu’a fait ou n’a pas fait, ce qu’aurait dû ou ce que devrait faire tel parquet général et tel procureur de la République. C’est pour cela, madame la garde des sceaux, que je souhaite conserver ce principe et que je vous demande de participer à ce débat.

Chers collègues, l’ensemble des amendements que vous avez déposés en commission, j’ai considéré que nous devions les réexaminer en séance publique : c’est pourquoi je les ai rejetés. Nous avons en effet statué, hier, sur l’ensemble des amendements et je n’ai pas pensé provoquer, par mon avis personnel, un infléchissement des débats.

Chers collègues, c’est un beau texte. C’est un texte dont les gens ne mesurent pas immédiatement l’importance,…

M. Patrick Devedjian. C’est sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. …mais qui s’inscrit dans le travail que nous faisons, petit pas après petit pas, pour que la justice se distingue de la politique, dans ce qu’elle a de noble et de moins noble. Nous voulons que la distance prise soit pour nos concitoyens une garantie que la justice est au service de la justice : uniquement de la justice ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Madame la garde des sceaux, j’ai bien failli gravir les marches de cette tribune en courant, pour tenter de conquérir le maillot de meilleur grimpeur, mais assurément nous ne vous disputerons pas le maillot jaune de la meilleure oratrice, car à peine descendue de votre bicyclette et le souffle un peu court, vous nous avez prouvé que vos discours, eux, ne manquaient jamais de souffle. (Sourires.)

M. Marc Le Fur. Si les magistrats sont comme ça…

M. François Vannson. À peine démago !

M. Sébastien Denaja. Nous voici réunis pour la deuxième lecture du projet de loi sur les relations entre la chancellerie et le parquet, autrement dit sur la conduite de la politique pénale.

Je souhaite avant tout rappeler que ce texte s’articulait avec le projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM.

Notre majorité défendait ainsi la conception d’une justice pleinement indépendante qui se trouve être à l’opposé de la position d’une certaine droite, d’une droite conservatrice, considérant comme naturelle la soumission de la justice au pouvoir politique.

M. Patrick Devedjian. Allons !

M. Sébastien Denaja. Je déplore donc que le Sénat n’ait pas voté dans des termes proches des nôtres la réforme du CSM. C’est un mauvais coup porté à l’indépendance de la justice, à la démocratie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Le présent projet de loi a néanmoins sa propre cohérence. En définitive, c’est parce que les conservateurs de tout poil empêchent la réforme du CSM qu’à plus forte raison il nous faut clarifier l’organisation des relations entre la chancellerie et le parquet.

Il est en effet devenu indispensable de réformer la loi en plusieurs points. Tout d’abord, nous avons le devoir impérieux de restaurer la confiance des Français en leur justice – vous l’avez dit, madame la garde des sceaux –, car ils sont imprégnés de l’idée que certains puissants disposent du moyen de ralentir ou même d’arrêter le bras de la justice.

Cette justice à la tête du client, cette République des affaires étouffées, ce n’est pas la nôtre. Et c’est à votre honneur, madame la garde des sceaux, d’avoir mis fin à cette pratique insidieuse des instructions dans des affaires individuelles.

M. Georges Fenech. Des noms !

M. Sébastien Denaja. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 pose le principe que la loi doit être la même pour tous. Près de deux cent trente ans après, nous allons enfin supprimer l’insidieuse possibilité d’arranger des affaires personnelles au détriment de l’intérêt général : c’est le sens du nécessaire rétablissement de la prohibition explicite des instructions individuelles.

Le présent projet de loi organise également, de manière plus claire, la définition et l’exécution de la politique pénale. Nous devons revenir aux fondamentaux d’une politique déterminée par le ministre et appliquée par les parquets dans l’intérêt général.

La conduite de cette politique doit se faire dans la sérénité, loin de la frénésie textuelle qui avait agité le précédent quinquennat. Faut-il rappeler qu’en 2011, il arrivait près d’une circulaire d’instruction générale tous les trois jours dans les tribunaux ? Est-ce ainsi que l’on entend conduire une politique cohérente et intelligible ? Bien sûr que non.

En outre, ce texte sécurise notre droit vis-à-vis des règles européennes. Nous ne pouvions en effet continuer à prendre le risque de fragiliser le parquet dans son action. Il suffit de relire l’arrêt Medvedev de 2010 pour comprendre qu’une grande partie de nos procédures judiciaires pourraient être mises en péril au regard de la position européenne si nous ne précisions pas la place du parquet comme une entité hiérarchisée, certes, mais exempte de pressions individuelles.

C’est là tout l’équilibre de ce texte : l’opportunité des poursuites exige en retour le respect absolu de l’intérêt général et, vous avez raison, monsieur le rapporteur, le respect du principe d’impartialité.

Par ailleurs, la question de la transparence publique des instructions générales a fait l’objet d’un débat durant cet examen parlementaire. Au cours de la première lecture, il avait semblé logique aux députés du groupe SRC que les citoyens puissent accéder à ces informations ; c’était le sens de notre vote. Après nos débats et ceux du Sénat, nous nous en remettrons sans doute à votre sagesse, madame la garde des sceaux, même si, par le dépôt d’un amendement proposant de revenir au texte initial, nous souhaitons, à tout le moins, approfondir notre réflexion.

Ce projet de loi est important également parce qu’il organise méthodiquement une politique d’évaluation des objectifs et de leur mise en œuvre effective. L’administration de la justice doit respecter le principe d’unité de la République.

Il importe donc d’apprécier l’exécution des politiques voulues par le Gouvernement ressort par ressort pour garantir le respect de l’égalité des citoyens devant la loi sur l’ensemble du territoire. Il est de plus essentiel, en cette période où l’argent public est rare et où le besoin de justice au sens le plus élevé du terme s’exprime avec une acuité particulière, de pouvoir évaluer concrètement les résultats de l’action des parquets.

Enfin, l’information du Parlement sur la mise en œuvre de la politique pénale en vue d’un débat me paraît essentielle. À cet égard, je ne partage par les craintes d’ordre constitutionnel émises au Sénat quant à l’instauration d’un débat annuel au Parlement sur la politique pénale, débat qui me paraît indispensable.

J’irai même plus loin : de même que nous votons les missions budgétaires, de même l’Assemblée devrait s’engager plus avant dans la co-construction d’une politique judiciaire plus partagée.

Chers collègues, le Sénat a, si ce n’est dénaturé, en tout cas modifié significativement le texte que nous avions adopté en première lecture. Croyant en la sagesse de la Haute assemblée – pari pascalien sans doute –, croyant en tout dans l’intérêt du débat entre nos deux chambres, je crois qu’il est de notre responsabilité de rétablir le texte dans son économie générale, tel qu’issu de la première lecture.

Je renouvelle en tout cas, au nom du groupe SRC, notre attachement au principe d’une claire définition de la politique pénale par le garde des sceaux, au principe de transparence et de respect de l’intérêt général qui est absolument contraire à la pratique des instructions individuelles, à la nécessité, enfin, d’une évaluation des politiques générales qui sont conduites ressort par ressort.

Pour ces raisons, à l’issue de notre débat, le groupe SRC appellera à voter ce beau texte – vous avez raison de le qualifier ainsi, monsieur le rapporteur –, qui inscrira ces principes dans notre réalité judiciaire, en vue de poser l’une des pierres sur lesquelles doit reposer la République exemplaire que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je reprendrai, madame la ministre, les points que vous avez énumérés avec beaucoup d’à-propos, à mon avis, même si je ne partage pas toujours vos conclusions. Je résumerai mon intervention en qualifiant le texte d’inutile, d’hypocrite et de contradictoire.

M. François Vannson. Très juste !

M. Patrick Devedjian. Pourquoi le texte me paraît-il inutile ? Vous l’avez vous-même souligné, madame la garde des sceaux : depuis les lois de 1993 – une loi de gauche, une loi de droite –, la question des instructions individuelles a été tranchée et, me semble-t-il, de manière très raisonnable. On a alors établi que les instructions individuelles devaient être écrites et jointes au dossier, donc communicables à la défense. Au texte a été très loyalement jointe une étude d’impact qui, de 2004 à 2013, dresse l’inventaire des instructions individuelles données et établit qu’il n’y a eu aucun incident et aucune polémique. La question paraissait donc vraiment réglée : elle n’a donné lieu à aucun problème depuis 1993.

Le Gouvernement explique, M. Denaja affirme que les petits arrangements sont désormais finis. Mais je rappelle que les instructions individuelles, vous le savez, naturellement, étaient uniquement destinées aux poursuites et non pas au classement ou aux petits arrangements. Contrairement à ce que soutient M. Denaja, elles ne permettaient pas cette facilité.

Ensuite, nonobstant les satisfecit que vous avez attribués à plusieurs de vos prédécesseurs, j’ai encore à l’esprit les propos de Mme Guigou, ici même, quand elle était à la chancellerie, protestant – de mon point de vue à juste raison – contre les déclarations intempestives d’un acteur politique et invitant, sans avoir besoin de donner des instructions écrites, à poursuivre cette personne.

Quand le Gouvernement, qu’il s’agisse du garde des sceaux – ce n’est pas votre cas –, assez rarement, du ministre de l’intérieur souvent, ou d’autres ministres, appelle publiquement à des poursuites en réaction à tel ou tel événement, si le parquet n’entend pas, c’est qu’il est bien sourd. Il ne sert par conséquent à rien de dire que c’en est fini avec les instructions quand le Gouvernement émet aussi publiquement son souhait : il se trouve des gens pour comprendre sans avoir besoin de davantage d’explications.

M. Georges Fenech. Tout à fait !

M. Patrick Devedjian. Deuxième point, il s’agit d’un texte hypocrite parce que nous savons bien comment fonctionne le parquet. De manière très naturelle, les parquets sont en relation avec la direction des affaires criminelles et des grâces ; le directeur des affaires criminelles et des grâces, et c’est légitime, est nommé par le Gouvernement, et le cabinet lui-même est en relation, et c’est tout aussi légitime, avec le directeur des affaires criminelles et des grâces. Le canal est assez évident et l’on n’a pas besoin de donner des instructions écrites.

Tocqueville avait déjà abordé ce débat de manière très circonstanciée et il avait une formule assez heureuse et toujours valable en ce qui concerne les procureurs : « Qu’importe qu’on ne puisse le contraindre si on peut le gagner. » Cette observation, d’un grand magistrat, demeure d’actualité.

Enfin, ce texte est contradictoire. Vous avez abordé vous-même, madame la garde des sceaux, la question des instructions générales. Moi aussi, monsieur le rapporteur, je suis favorable au fait que ces instructions soient publiques ; je n’ai pas du tout d’état d’âme à cet égard. Je m’étonne néanmoins que vous ayez pu penser qu’on pouvait en excepter les cas où sont en jeu la sûreté de l’État ou la sécurité publique – vaste domaine : même le vol de poules est une forme d’atteinte à la sécurité publique. (Sourires.)

Monsieur le rapporteur, vous préconisez en réalité des instructions secrètes puisqu’elles ne pourront pas être publiées. Vous supprimez les instructions individuelles transparentes pour établir des instructions générales secrètes, et vous estimez que c’est un grand progrès du droit ! L’avocat que vous êtes peut-il penser que, dans ces conditions, les libertés de la défense y trouvent leur compte, que le procès équitable est ainsi possible, que l’égalité des armes est garantie ?

Vous avez abordé la question du statut du parquet, en indiquant que ce n’est pas une partie comme les autres. Je me souviens de ce disait un grand garde des sceaux de gauche, Moro-Giafferi : « C’est par une erreur de menuiserie que le parquet est situé plus haut dans le prétoire. »

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est une erreur historique !

M. Patrick Devedjian. Moro-Giafferi s’est sûrement trompé, mais c’était un grand avocat.

Or vous, vous voulez établir des instructions secrètes. Les libertés publiques seront-elles respectées lorsque des circulaires auront un caractère secret ? Je rappelle qu’une circulaire est un acte juridique qui peut faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État ; c’est un acte qui fait grief ; et vous voudriez qu’il puisse être secret ! C’est d’ailleurs assez amusant, historiquement, parce que cela correspond à un travers tout à fait classique : les gouvernements qui veulent la transparence en viennent finalement, le plus souvent, à réduire les libertés publiques les plus élémentaires au nom même de cette transparence. Vous n’échappez pas à ce paradoxe.

Comme Mme la garde des sceaux, je m’interroge sur le concept d’impartialité que vous avez voulu créer. De manière très amusante, et cela figure dans le rapport, vous nous avez dit qu’il existait plusieurs sortes d’impartialités. Comme Alfred de Musset, je crois, pour ma part, qu’une porte doit être ouverte ou fermée : on est impartial ou on ne l’est pas ; on ment ou on dit la vérité. Entre les deux, il y a le mensonge par omission, j’entends bien, mais c’est un mensonge tout de même.

L’impartialité ne se divise pas, ne se distingue pas. Je partage les inquiétudes de la garde des sceaux sur les effets que votre conception curieuse peut engendrer. Franchement, comment un procureur peut-il rester impartial quand il est soumis à des instructions générales auxquelles il doit se tenir ? Il agit dans le cadre de la discipline imposée par les instructions générales, ce qui exclut le cas de conscience. Je rappelle, s’agissant de l’ouverture d’une information ou de réquisitions écrites, que la plume est serve. Que vient donc faire ici le principe tel que vous le définissez ?

En réalité, vous confondez le juge et le procureur.

M. Georges Fenech. C’est exactement cela !

M. Patrick Devedjian. Vous les mettez tous les deux sur le même piédestal, et c’est assez grave au regard de la notion de procès équitable, du rapport à la défense. L’accusation est le symétrique de la défense. À cet égard, je ne partage pas votre point de vue, madame la garde des sceaux. Vous avez déclaré que le parquet était une partie particulière. Non : c’est une partie comme les autres, d’abord parce qu’il arrive qu’un particulier agisse sur citation directe et exerce des poursuites. Il arrive qu’il soit plaignant et que la constitution de partie civile soit obligatoire pour que les poursuites soient diligentées. Le parquet est donc une partie absolument, historiquement, comme les autres. Nous avons bel et bien un désaccord sur ce point.

Malgré la proclamation gouvernementale, le texte est en réalité, paradoxalement, un texte de recul des libertés judiciaires. Ce n’était pas votre projet, j’entends bien : je ne doute pas de votre bonne foi et je ne vous soupçonne pas de malignité ; mais vous vous êtes laissée entraîner par votre propre discours. Vous supprimez les instructions individuelles transparentes ordonnant l’accusation pour les remplacer par des instructions générales secrètes dont le champ est d’une étendue extraordinaire puisqu’il concerne la sécurité publique : tout est possible !

M. Philippe Gosselin. Voilà une très belle démonstration !

M. Patrick Devedjian. Vous privez donc la défense de l’égalité des armes et vous privez le citoyen d’une liberté publique, celle justement de former recours contre un acte qui fait grief.

Vous comprendrez que, dans ces conditions, nous ne puissions pas vous suivre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nos débats s’engagent aujourd’hui dans un contexte particulier, puisque le présent projet de loi se voit privé de ce que le Gouvernement présentait comme son pendant, nécessaire à l’engagement d’une réforme cohérente, à savoir le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Pour notre part, nous considérons qu’en privilégiant une certaine logique autogestionnaire, la réforme du CSM n’était pas souhaitable en l’état. Réunir le Congrès sur ce seul texte, selon une procédure dont nous connaissons tous la lourdeur et le coût important, n’était pas pertinent. Nous nous réjouissons donc que nos débats se limitent aujourd’hui au projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière pénale et d’action publique.

Ce texte a pour principal objet de clarifier la nature des relations entre le ministre de la justice et les magistrats du parquet. Cette question s’articule autour d’un principe fondamental dans une démocratie qui se veut respectueuse de la séparation des pouvoirs : celui de l’indépendance de la justice. De ce principe, de cette exigence, dépendent, non seulement la crédibilité des institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays. Or, la justification d’une intervention du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires individuelles est contestée, à cause des soupçons d’une éventuelle motivation politique à l’origine des instructions adressées par le garde des sceaux.

En outre, les récentes décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que le procureur de la République ne peut être une autorité judiciaire, en raison de son manque d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, ont relancé le débat sur le rôle, le statut et l’indépendance de ce parquet à la française. C’est en effet de cette subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux que découlent les principaux soupçons pouvant affecter l’indépendance de la justice. Le texte entend restituer au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, et confier le plein exercice de l’action publique aux seuls magistrats du ministère public.

Tirant les conséquences de la restitution au bénéfice des seuls magistrats du parquet de l’exercice de l’action publique, le projet de loi prohibe toute instruction du garde des sceaux aux magistrats du ministère public dans des affaires individuelles. En supprimant cette disposition essentielle, le Sénat a vidé le projet de loi de sa substance. En effet, la suppression des instructions individuelles est au cœur des débats sur la clarification de l’architecture des attributions du garde des sceaux et de ses relations avec le parquet général.

Il s’agit de consacrer la volonté du législateur de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin aux doutes pouvant s’insinuer dans le déroulement des procédures judiciaires. Nous pourrions difficilement nous opposer à une telle mesure, qui relève d’une intention louable, et qui de plus revêt une portée symbolique forte.

En revanche, nous considérons, ainsi que je l’avais indiqué en première lecture, qu’il est des moments, lorsque la sécurité de l’État est en jeu, où le garde des sceaux doit conserver la responsabilité de la cohérence de l’action publique. De ce fait, nous estimons que le ministre de la justice doit être en mesure de donner des instructions individuelles aux procureurs généraux dans les seules affaires mettant en jeu les intérêts fondamentaux de l’État. Les infractions consistant en atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État, et notamment le terrorisme, que le code pénal qualifie de « crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique », touchent à la sécurité, qui est l’un des domaines de responsabilité essentiels de l’État, et dont il est inconcevable qu’il se dessaisisse. Cette exception permettrait de maintenir la régulation de l’action publique, tout en écartant les risques de suspicion politique.

Pour autant, nous regrettons la portée limitée de ce texte. Les problématiques qui entourent la question de l’indépendance de la justice sont vastes et ne sauraient se résumer à ces seules dispositions. Car, convenons-en : nous allons institutionnaliser une pratique dont nous savons bien qu’elle ne suffira pas, à elle seule, à améliorer le fonctionnement de la justice et à garantir son indépendance.

L’un des objectifs affichés de ce projet de loi, celui de rénover la confiance de nos concitoyens dans la justice, implique d’aller plus loin et de repenser la justice dans son ensemble, en ne prenant pas seulement en compte les relations entre la chancellerie et les magistrats du ministère public, mais en considérant l’ensemble des acteurs de notre système judiciaire et l’ensemble des problématiques qui l’entourent. Notre système judiciaire englobe, en effet, toute une chaîne de compétences, depuis l’agent qui reçoit les justiciables à l’accueil d’un tribunal jusqu’au juge, en passant par tous les personnels de la chaîne juridique.

De même, les dysfonctionnements de la justice, responsables du désarroi des professionnels, des citoyens et des justiciables, sont nombreux. Nous sommes face à un service public de la justice qui ne dispose plus de capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société en pleine judiciarisation. Nous sommes face à une justice jugée complexe, parfois illisible, dont l’usage est difficile et souvent incohérent. Nous sommes face à une défense à deux vitesses et à une réelle inégalité en matière d’accès au droit. En somme, ce dont notre société a besoin, c’est une réforme en profondeur de la justice.

Mes chers collègues, en dépit de ces réserves, et compte tenu du rétablissement dans le texte de la suppression des instructions individuelles – que nous souhaitons –, le groupe UDI votera, dans sa très grande majorité, en faveur de la clarification des rapports entre la chancellerie et les magistrats du ministère public, qui est opérée par le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons que déplorer le vote du Sénat et l’attitude de l’opposition, qui ont tenté de vider de leur sens ou de bloquer deux textes importants pour l’indépendance de notre système judiciaire, celui sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et celui qui est aujourd’hui en discussion, et dont la principale mesure vise à interdire les instructions individuelles de la chancellerie aux magistrats du parquet.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture répond pourtant à une exigence fondamentale de notre démocratie. Vous connaissez notre attachement à l’indépendance la plus large possible du système judiciaire et des juges ; de tous les juges, ceux du parquet, comme les autres. Ils doivent bien sûr dépendre des lois, mais certainement pas du pouvoir politique.

C’est ce qui fait toute l’importance de ce projet de loi, qui vise à empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures judiciaires, et notamment des procédures pénales. L’enjeu est important : nous avons tout intérêt à dissiper les soupçons de nos concitoyens sur les liens, parfois incestueux dans le passé, entre le pouvoir politique et l’autorité judiciaire. Le lien de confiance entre la justice et les citoyens s’est distendu au fil des chroniques judiciaires, au point que la cote de désamour des juges en vient à tutoyer les sommets. Vous me pardonnerez ce trait d’ironie, mais je dirais que les juges ont presque aussi mauvaise réputation que les hommes politiques.

Il importe donc d’inscrire clairement dans la loi la prohibition des instructions individuelles du ministre de la justice aux magistrats du parquet, et nous savons gré à notre rapporteur d’avoir réintroduit, lors de la réunion de la commission des lois qui s’est tenue hier, l’article introduisant cette mesure, à laquelle nous apportons tout notre soutien. Cela permet d’entrevoir la fin de cette pratique contestable pour notre démocratie.

Rappelons toutefois que si les instructions individuelles écrites sont peu fréquentes, les instructions orales ont été bien plus nombreuses, et bien plus discrètes, puisque, du fait de leur nature, elles ne sont pas versées au dossier. Plusieurs médias ont ainsi souligné que des membres du cabinet de différents gardes des sceaux et la direction des affaires criminelles et des grâces étaient intervenus en transmettant oralement des consignes aux parquets.

Ces faits sont permis par l’organisation très hiérarchique du parquet, dont le ministre de la justice est maître des carrières. Tant que l’évolution des carrières restera en partie dans les mains de la chancellerie, il subsistera un doute sur la soumission, consciente ou non, des magistrats du parquet à leur environnement politique proche. Le fait que les substituts puissent être dessaisis à tout moment par leur procureur pose également le problème de leur indépendance. Cela relève toutefois moins des liens entre la chancellerie et le parquet, que de l’organisation du parquet lui-même. Il faudra veiller à ce que l’autonomie et la protection des magistrats du parquet rejoignent, à terme, celles des magistrats du siège.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, initialement proposée par le Gouvernement, était une avancée importante dans ce domaine, puisqu’elle entendait confier au CSM un rôle substantiellement renforcé dans la nomination des magistrats du parquet. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature aurait dû accompagner ce projet de loi, pour que la fin des instructions individuelles données par le pouvoir exécutif ait une plus forte incidence sur l’indépendance des juges du parquet.

Dès lors, nous ne pouvons que regretter le refus exprimé par l’opposition de soutenir ces deux textes, car l’indépendance de la justice aurait mérité un consensus transpartisan. L’opposition pourra continuer à s’élever dans la presse contre les décisions de justice qui ne lui conviennent pas, mais ce genre d’attaques risque de décrédibiliser le système judiciaire, et par extension la démocratie, qui reposent sur l’État de droit. Les vives critiques, émises encore récemment, contre les membres du Conseil constitutionnel, pourtant jugés impartiaux par certains membres de l’ancienne garde présidentielle, qui en avait d’ailleurs nommé un certain nombre, ne renforcent pas l’autorité judiciaire.

En ce qui concerne ce projet de loi, j’ai cru comprendre que certains d’entre nous craignaient l’avènement d’une République des magistrats – que j’ai même entendu qualifier de « roitelets de la République » – où ceux-ci, étant parfaitement indépendants, pourraient se servir de la justice à des fins personnelles ou politiques. Nous en sommes très loin en France, où la dépendance des juges du parquet vis-à-vis du pouvoir politique a maintes fois été critiquée par la Cour européenne des droits de l’homme. Nous ne sommes pas dans un pays où les juges sont élus, et le projet du Gouvernement ne va absolument pas dans ce sens.

Ces critiques sur la possibilité d’un gouvernement des juges masquent en fait une opposition au renforcement de la démocratie au sein de nos institutions judiciaires, au moment où un ancien Président de la République semble vouloir revenir aux affaires, alors qu’il est lui-même cerné par les affaires.

M. Philippe Gosselin. Oh !

M. Paul Molac. En tout état de cause, il convient de supprimer dès aujourd’hui, dans la loi, les types de pressions qui peuvent déjà l’être. Les instructions individuelles sont autorisées par le dernier alinéa de l’article 30 du code de procédure pénale résultant de la loi du 9 mars 2004. Mettons-y un terme, en veillant à ce que le terme d’« instructions individuelles » couvre le spectre le plus large de pratiques. Il ne faudrait pas qu’avec la suppression des instructions écrites, versées au dossier, nous oubliions les instructions orales qui, pour être moins visibles – parce que non versées au dossier – n’en existent pas moins.

Sur ce point, nous avons été rassurés par la garde des sceaux lors de la première lecture : elle nous a affirmé que, depuis sa prise de fonctions, aucune instruction, de quelque type que ce soit, n’avait été donnée. Elle renoue ainsi avec une pratique de la gauche héritée du gouvernement de Lionel Jospin, puisqu’aucune instruction écrite n’avait été relevée entre 1997 et 2002 – à titre de comparaison, une centaine d’instructions écrites ont été rédigées entre 2002 et 2012. C’est bien là l’exemple de deux visions totalement différentes du rôle de la justice et de son assujettissement. On ne peut, dès lors, que se féliciter que ce projet de loi contribue à la réalisation de l’engagement n° 53 du Président de la République, stipulant qu’il garantirait « l’indépendance de la justice et de tous les magistrats », en même temps qu’il interdirait « les interventions du Gouvernement dans les dossiers individuels ».

En première lecture, nous avions affiché notre satisfaction lorsque, à l’initiative du rapporteur, il a été décidé de donner une plus forte publicité aux instructions générales de politique pénale adressées par le garde des sceaux. Encore une fois, je ne peux que regretter que le Sénat se soit opposé à ce principe de transparence et qu’il n’ait pas jugé utile de reprendre les modalités d’information introduites par notre commission.

Je vous avoue toutefois notre scepticisme quant à la nouvelle formulation proposée par notre rapporteur, qui vise à instaurer un principe d’exception à cette nécessité de transparence si la publicité est de nature à porter atteinte à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou au déroulement des procédures engagées devant les juridictions, ou des investigations préliminaires à de telles procédures. Par définition, la reconnaissance d’exceptions au principe de transparence ne peut qu’en affaiblir la portée : il sera toujours sujet à interprétation, voire à des instrumentalisations de tous types. C’est une vraie difficulté.

Nous sommes, en revanche, satisfaits que notre rapporteur ait réintroduit l’information, au moins une fois par an, de l’assemblée des magistrats du siège et du parquet sur les conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées par le garde des sceaux. Nous sommes par ailleurs attachés au caractère obligatoire de cette information, tel que réintroduit par notre commission. Cela procède de la logique de transparence, à laquelle nous tenons beaucoup.

Au final, même si elle est amputée de celle du Conseil supérieur de la magistrature, cette réforme est emblématique des principes directeurs qui guident la nouvelle politique pénale qu’a décidé d’impulser notre garde des sceaux, et nous la soutenons totalement dans cette voie. Cette réforme s’inscrit également dans la lignée de la politique du Gouvernement qui, depuis le début, s’est efforcé d’être responsable et garant de l’indépendance de la justice : la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac en est l’exemple. En instaurant des rapports plus sains et transparents entre la chancellerie et le parquet, la gauche désire ainsi mettre fin aux soupçons d’une justice qui serait aux ordres, et dont les citoyens en ont plus qu’assez d’apprendre les ressorts dans la presse.

Consacrer l’indépendance de la justice était un engagement du Président de la République, et nous sommes fiers de pouvoir y contribuer aujourd’hui. C’est donc avec la même conviction qu’en première lecture que nous voterons, une nouvelle fois, pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, durant les quarante ans au cours desquels j’ai participé à l’œuvre de justice, j’ai rêvé d’une justice dont la clef de voûte serait le garde des sceaux, ministre au-delà des ministres, ministre incontestable. C’eût été le premier de tous les ministres, siégeant par définition à la droite du Président de la République, ministre d’État, et incontestable dans sa capacité à diriger l’ensemble du parquet de France. Cela aurait pu être une grande personnalité, chaque fois choisie par la droite et par la gauche.

Ce rêve est resté un vœu pieu, et nous sommes restés dans un système traditionnel où le garde des sceaux est un ministre parmi les ministres. Je regrette profondément que nous ne soyons pas allés jusque-là.

Cette réforme doit impérativement restaurer la confiance du citoyen dans le système judiciaire. Cette confiance est gravement altérée, ce qui soulève un certain nombre de questions. La première d’entre elles, c’est celle des instructions individuelles qui pourraient être déposées dans chaque dossier et notifiées aux parties. Pendant très longtemps, avec mon ami Michel Crépeau qu’il me semble encore entendre en parler, j’ai défendu ce système. Est-il encore d’actualité ? Nous devons évoluer, et je m’interroge sur ce point.

Dès lors que l’usage a rendu les instructions individuelles caduques, il me semble de bon sens de les supprimer. J’avoue que cela a constitué une évolution dans le cheminement jacobin qui est le mien en la matière. J’ai fini par admettre que les instructions individuelles soient supprimées et que cela soit inscrit dans le texte de la loi, mais cela m’a été difficile, madame le garde des sceaux, très difficile ! (Sourires.) Si vous ne m’en aviez pas convaincu, je n’y serais jamais arrivé !

Puisque nous supprimons les instructions individuelles, et que vous avez démontré l’absolue nécessité qui est la vôtre d’intervenir par des instructions générales, quelles caractéristiques auront ces instructions générales ? Il est indispensable qu’autour du garde des sceaux se fasse l’unité de l’action publique sur l’ensemble du territoire. Il n’est pas concevable que puisse varier, selon les secteurs de la République, la manière d’appréhender l’ordre public. Je comprends que celui-ci puisse avoir une intensité plus ou moins grande, mais serait-il possible qu’ici, un procureur décide de ne plus poursuivre le trafic des drogues douces au motif que ce sujet est en débat, tandis que, là, on place en détention provisoire certains citoyens pour les mêmes agissements, dans l’attente d’une décision de justice ?

M. Marc Le Fur. C’est vrai !

M. Alain Tourret. Une chose est certaine : il ne peut pas y avoir, sur l’ensemble du territoire de la République, deux manières d’appréhender l’action publique.

M. Xavier Breton. Excellent !

M. Philippe Gosselin. Il est décidément bien, cet Alain Tourret !

M. Alain Tourret. Dès lors, vos instructions générales ont un poids très important, madame le garde des sceaux. Doivent-elles être rendues publiques ? Je vous le dis d’autant plus facilement que je vous apprécie beaucoup : je ne comprends pas votre argumentation sur cette question.

M. Patrick Hetzel. Nous non plus !

M. Alain Tourret. Nous en avons discuté ce matin, et je pense vraiment que vos instructions générales doivent, par définition, être rendues publiques. Vous allez m’expliquer que la confidentialité peut être nécessaire pour tel ou tel acte de terrorisme. Mais c’est l’image même qui compte, madame le garde des sceaux : elle est essentielle, et elle dépasse tout. Vos instructions doivent donc nécessairement être rendues publiques, et les exceptions que vous apporterez à ce principe général vous seront reprochées.

Tout ce que vous aurez gagné par la suppression des instructions individuelles, à laquelle je suis désormais converti, vous allez le perdre avec cette mesure sur les instructions générales. C’est à mon avis une perte pour l’action politique que vous menez par cette réforme.

Je souhaite également partager mes réflexions sur le terme d’impartialité. Nous en avons longuement discuté avec M. le rapporteur, et c’est à la suite de cette discussion qu’il a décidé de réintroduire le principe d’impartialité du parquet. Je m’étais permis à ce sujet une formule à la Robespierre : « L’impartialité, c’est une vertu ; l’indépendance, c’est une qualité. »

M. Franck Gilard. Bien trouvé !

M. Alain Tourret. Ce n’est pas la même chose. L’impartialité recouvre la notion d’équité, qui dans ce sens est utilisée par anglicisme. J’ai écouté avec beaucoup d’attention ce que disait Patrick Devedjian : si l’on applique le principe de l’opportunité des poursuites, l’impartialité est encore plus nécessaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Bien sûr !

M. Alain Tourret. Dans un système de légalité, il n’y a pas besoin d’impartialité ; dans un système d’opportunité, elle est essentielle. Et l’impartialité n’est pas l’objectivité. Je vous renvoie à cette définition de Raymond Aron : l’objectivité ne signifie pas l’impartialité, mais l’universalité. Cela veut bien dire que l’impartialité, plus que l’objectivité, plus que l’universalité, est la vertu essentielle dont je parlais tout à l’heure.

Que voulons-nous ? Nous voulons que les citoyens retrouvent confiance dans la justice, et d’abord dans leurs procureurs. Car après tout, c’est au regard de l’action publique que l’on juge en bien ou en mal l’action de la justice. L’ajout de la notion d’impartialité est donc à mon avis indispensable.

Voilà, madame la garde des sceaux, les observations que je voulais vous faire. Nous allons adopter ce Projet de loi. Il s’agit d’un texte d’équilibre qui rappelle que l’action publique est le centre même de l’action de l’État, et qu’il ne peut y avoir de véritable État sans une action publique objective, mais surtout impartiale. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Monsieur Tourret, vous avez été excellent aujourd’hui. Bien meilleur qu’hier !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme notre groupe l’a indiqué avec force en première lecture, la clarification des compétences respectives du ministre de la justice et des magistrats du parquet constitue une exigence républicaine et un impératif démocratique.

Le renforcement de l’indépendance des magistrats du parquet est aujourd’hui une nécessité afin de lever le soupçon qui pèse de manière récurrente sur la capacité du parquet à mener ses missions en toute impartialité.

Ce projet de loi, simple et lisible, vise à empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales par la clarification de l’architecture des relations entre le garde des sceaux et les magistrats du ministère public. Sans remettre en cause le statut du parquet à la française et le principe de subordination hiérarchique, il restitue au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique pénale, et confie au ministère public le plein exercice de l’action publique.

L’article 30 du code de procédure pénale, largement réécrit, dispose que le garde des sceaux « conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement » sur le territoire de la République, conformément à l’article 20 de la Constitution. Cette nouvelle rédaction lève toute équivoque sur la possibilité pour le garde des sceaux d’intervenir dans la mise en œuvre de l’action publique devant les tribunaux.

Le ministère public, pour sa part, se voit confier le plein exercice de l’action publique et constitue ainsi le véritable relais local de la politique pénale du garde des sceaux.

Les instructions générales du garde des sceaux – justifiées par le principe de la subordination hiérarchique des membres du ministère public – apparaissent nécessaires, tant pour garantir une bonne conduite de la politique pénale de la nation que pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi sur l’ensemble du territoire de la République.

Au contraire, les instructions individuelles alimentent les soupçons de pression politique qui pèsent sur les magistrats du parquet. C’est pourquoi l’inscription explicite dans la loi de l’interdiction sans exception des instructions du garde des sceaux dans les affaires individuelles constitue une avancée importante et revêt une forte valeur symbolique.

C’est aussi la raison pour laquelle, en commission, nous avons souscrit à la proposition de notre rapporteur de rétablir à l’article 1er cette prohibition curieusement supprimée par le Sénat.

C’est évidemment la disposition majeure de ce projet de loi. Elle affirme clairement que les consignes particulières données par le ministre dans le cadre d’affaires spécifiques ne relèvent pas d’une politique pénale légitime, mais s’apparentent au contraire à des pressions exercées sur l’autorité judiciaire.

Cette disposition permet de concilier le principe selon lequel le Gouvernement conduit la politique de la nation, en l’occurrence la politique pénale, avec l’exercice de l’action publique par des magistrats indépendants et impartiaux, bien que hiérarchiquement subordonnés. Cette prohibition sera désormais gravée dans le marbre de la loi, même s’il est vrai qu’aucune disposition du texte n’en garantit l’effectivité.

Notre groupe est également satisfait que la commission des lois ait rétabli l’essentiel des garanties supplémentaires de transparence votées en première lecture par notre assemblée, notamment en ce qui concerne la publicité des instructions générales de politique pénale. Nous préférerions cependant, madame la garde des sceaux, que cette publicité ne connaisse pas d’exception.

Je terminerai en vous faisant part de deux remarques. Tout d’abord, la question des moyens alloués aux parquets, et plus généralement à la justice, reste cruciale. Sans l’attribution de moyens adaptés, ce projet de loi pourrait ne pas avoir d’incidence réelle sur le fonctionnement des parquets.

Par ailleurs, il s’inscrit explicitement dans le prolongement du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, lequel renforce l’indépendance statutaire des magistrats du parquet, par une modification de leur mode de nomination et de leur régime disciplinaire. Ces deux textes sont évidemment complémentaires.

C’est pourquoi nous ne pouvons que déplorer que la discussion du projet de loi réformant le CSM soit actuellement suspendue. C’est aussi pour cela que nous souhaitons, comme la garde des sceaux et le rapporteur, que le processus parlementaire soit rapidement réengagé sur ce projet de loi constitutionnelle.

Ceci étant précisé, c’est avec conviction que les députés du front de gauche confirmeront en deuxième lecture leur vote de première lecture en faveur de ce projet de loi clarifiant les attributions du garde des sceaux et des magistrats du parquet. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, « la justice n’est pas une administration comme les autres, confrontée aux défis de la modernité, elle a pour fin ultime la Justice, c’est-à-dire une valeur ». Ces mots du professeur Loïc Cadiet illustrent la particularité et l’importance de la mission dévolue à l’institution judiciaire.

L’article 66 de la Constitution le rappelle avec force lorsqu’il dispose que l’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle. Cette mission est fondamentale dans un État de droit soucieux de la séparation des pouvoirs, et donc de l’indépendance de la justice.

C’est tout le sens de ce projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. L’exposé des motifs du texte le souligne d’emblée, en rappelant que « l’indépendance de la justice constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse ». Pourquoi, dès lors, s’opposer à une plus grande indépendance des magistrats, derniers remparts contre l’arbitraire qui nourrit chez nos concitoyens le sentiment d’injustice et la défiance envers les institutions ? Pourquoi ne pas parvenir à aller au-delà des postures, lorsqu’il s’agit de renforcer l’effectivité d’un principe salutaire alors que l’actualité est rythmée par la multiplication des affaires impliquant les plus hauts sommets de l’État ?

En réalité, mes chers collègues, nous ne devons pas nous étonner des choix que fait la droite en matière de justice, ni des réticences qu’elle manifeste. La droite a tant malmené l’institution judiciaire et ses magistrats lors du dernier quinquennat !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oh !

Mme Elisabeth Pochon. Il ne faut y voir que la crainte d’une vérité qui est l’objectif de la justice. Nous, nous avons choisi le changement. Nous voulons rendre caducs les propos de La Fontaine qui déclarait : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

M. Julien Aubert. Bravo ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Belle formule, madame !

Mme Elisabeth Pochon. Cette défiance à l’égard de l’institution judiciaire et des magistrats ne date pas d’aujourd’hui. Puisque vous aimez les citations, vous en aurez d’autres ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Ah ! Très bien !

Mme Elisabeth Pochon. Au XVIIe siècle, La Bruyère manifestait son désarroi en ces termes : « Le devoir des juges est de rendre la justice ; leur métier de la différer ; quelques-uns savent leur devoir et font leur métier. » Quant à Anatole France, deux cents ans après, il prêtait à l’abbé Coignard les propos suivants : « Cela me cause un insurmontable embarras qu’il faille que ce soient les juges qui rendent la justice. »

M. Philippe Gosselin. On ne raisonne pas que par citations, madame !

M. Marc Le Fur. Réfléchissez par vous-même !

Mme Elisabeth Pochon. Le mal est donc ancien et semble intemporel. La droite l’alimente constamment lorsqu’elle critique l’intégrité de nos magistrats ou remet sans arrêt en cause les décisions de justice, au risque de déstabiliser les institutions et la démocratie.

Nous, nous respectons les décisions de justice et nous les acceptons. Nous n’attendons pas du juge un quelconque accommodement selon que la décision nous cause du tort ou nous satisfait. Ce n’est qu’au service du citoyen et du justiciable que nous concevons que la force de la justice se déploie. C’est l’égalité de chacun devant la loi qui dicte notre conception de la justice.

Nous apportons à ce mal une partie du remède avec ce projet de loi qui fait un pas vers plus d’indépendance, et qui est une nécessité que la Cour européenne des droits de l’homme appelle de ses vœux depuis les arrêts Medvedyev et Moulin rendus en 2010, sous l’ancienne majorité qui n’a rien fait depuis. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

C’est dans cet esprit que s’inscrit ce projet de loi qui s’articule autour de deux axes forts : l’affirmation de la souveraineté du Gouvernement dans la définition de la politique pénale, et le renforcement de l’indépendance de la justice par l’interdiction formelle, pour le garde des sceaux, d’adresser des instructions individuelles.

Nous redéfinissons donc avec cohérence la manière dont est conduite la politique pénale sur le territoire, en réaffirmant le principe de subordination hiérarchique des magistrats du ministère public qui permet de donner une cohérence d’ensemble à l’exercice de l’action publique. Nous restons ainsi attachés à l’article 20 de la Constitution,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela tombe bien !

Mme Elisabeth Pochon. …aux termes duquel « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Le garde des sceaux donnera donc des instructions générales, publiques, aux magistrats du parquet qui auront pour mission de décliner localement les orientations définies par le Gouvernement.

En parallèle, ce projet de loi comporte une vraie avancée en réaffirmant l’interdiction des instructions dans les affaires individuelles. Il met fin à une possibilité tout à fait discutable au regard du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, et que la doctrine dénonce avec vigueur. En 1997, déjà, la commission Truche avait proposé de l’interdire. Sous le gouvernement Jospin, les ministres de la justice s’étaient interdit de donner des instructions. Alors que la droite avait renforcé le pouvoir hiérarchique du garde des sceaux en maintenant son pouvoir d’instructions individuelles et en étendant ses prérogatives à l’action publique, nous, nous respectons la ligne fixée par le Président de la République François Hollande pour empêcher toute ingérence du pouvoir exécutif dans les procédures pénales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Tu parles !

M. Julien Aubert. Vous avez déjà terminé ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Où sont les autres citations ?

Mme Elisabeth Pochon. Je vous en apporterai d’autres ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons qu’approuver la position du Sénat, qui n’est pas plus conservatrice, me semble-t-il, que celle de l’opposition ici représentée à l’Assemblée nationale.

La politique pénale d’un pays a besoin de cohérence et d’unité. Or les seules instructions générales adressées par le garde des sceaux aux parquets généraux ne peuvent assurer cette unité sans ce prolongement, rare mais nécessaire dans certaines situations, effectif, que représentent des instructions individuelles transparentes et versées au dossier.

En effet, la mise en œuvre d’une politique pénale incombe, in fine, au garde des sceaux, seul détenteur légitime de cette responsabilité gouvernementale devant le peuple. Vouloir rendre les parquets totalement autonomes relève d’une confusion des rôles entre le procureur et le juge.

M. Julien Aubert. Parfaitement !

M. Georges Fenech. Si le juge, magistrat du siège, doit bénéficier d’une garantie d’indépendance totale, notamment par son statut, pour rendre la justice, le procureur, chargé de la poursuite, appartient à une hiérarchie indivisible dont le ministre de la justice est le chef ultime. Si l’on poussait le raisonnement jusqu’à l’absurde, pourquoi ne pas supprimer aussi les instructions du procureur général aux procureurs de la République ?

M. Julien Aubert. En effet !

M. Georges Fenech. Pourquoi ne pas supprimer les instructions du procureur de la République à ses substituts ?

M. Julien Aubert. Vous avez raison !

M. Georges Fenech. La mise en œuvre d’une politique pénale ne saurait, en effet, être à géométrie variable. Madame la garde des sceaux, en supprimant les instructions individuelles – au demeurant fort peu nombreuses : une dizaine en moyenne par an –, vous ferez régner au sein des parquets une grande cacophonie à l’origine d’une rupture d’égalité des citoyens devant la loi. Les procureurs seront livrés à eux-mêmes et devront décider de tout dans leur coin, en leur âme et conscience et non plus au nom de la République tout entière. Le parquet, aujourd’hui indivisible et fondu dans l’unité, se divisera en autant de principautés judiciaires que notre pays compte de cours d’appel. Et gageons qu’au sein d’un même parquet, certains substituts n’hésiteront plus à revendiquer leur propre sphère d’autonomie.

Madame la garde des sceaux, je vous mets au défi, très respectueusement, de citer un seul exemple d’instruction individuelle versée au dossier qui aurait été entachée d’une suspicion quelconque de protection d’intérêts particuliers, d’autant que, comme vous l’avez rappelé dans votre intervention, l’article 36 du code de procédure pénale n’autorise que des instructions de poursuite, jamais de classement sans suite.

Personne, à cet égard, n’a émis de critiques sur le fait que le garde des sceaux Dominique Perben ait enjoint au procureur général de Bordeaux de former un pourvoi en cassation à la suite de la libération anticipée de Maurice Papon. De même, personne n’a émis de critiques lorsque Michèle Alliot-Marie a donné des instructions individuelles dans l’affaire de Youssouf Fofana et du gang des barbares.

M. Julien Aubert. C’est vrai !

M. Georges Fenech. Qu’en sera-t-il, demain, lorsqu’un grave conflit social, de nature syndicale, pouvant causer un trouble important à l’ensemble de la société française, sera laissé à l’appréciation des différents procureurs dans leurs ressorts respectifs ? Il n’y aura plus d’unité de la politique pénale, puisqu’il n’y aura plus d’instructions dans les dossiers.

Rappelons-nous aussi que la matière pénale n’est pas la seule concernée. Nous ne l’avons pas encore évoqué au cours de nos débats : le procureur dispose – faut-il le rappeler ? – d’importantes attributions en matières commerciale et civile. Je ne prendrai qu’un seul exemple : celui du contentieux de la nationalité. Aujourd’hui, les procureurs généraux appliquent strictement les instructions générales, mais aussi individuelles, dans des situations d’une grande complexité qui nécessitent une harmonie actuellement assurée par la direction des affaires civiles et du sceau. Demain, ce ne sera plus le cas.

En outre, madame la garde des sceaux, la suppression des instructions individuelles risque de mettre le parquet sous la pression indirecte des médias et de vous-même. N’avez-vous pas, lors du procès des viols collectifs de Fontenay-sous-Bois, rappelé que les parties civiles – c’est-à-dire les victimes – pouvaient faire appel ? Le parquet a aussitôt fait appel, entendant sans doute vos bons conseils. N’allez-vous pas augmenter le risque de réhabiliter les instructions orales, suggérées ou secrètes ?

M. Julien Aubert. Parfaitement !

M. Georges Fenech. Finalement, en supprimant les instructions individuelles, vous faites aussi évoluer le ministère de la justice que vous transformez en un simple ministère de la loi. Sans le dire, vous videz d’une partie de sa substance l’article 20 de la Constitution, qui dispose que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », dont la politique judiciaire est un élément à part entière. En d’autres termes, vous nous demandez de réformer, d’une certaine manière, la Constitution sans passer par une révision constitutionnelle.

Madame la garde des sceaux, le projet de réforme du CSM semble renvoyé aux calendes grecques, s’il n’est pas complètement abandonné – nous le verrons plus tard. Vous seriez bien inspirée, pour préserver la confiance de nos concitoyens dans la justice, de reporter également le présent projet de loi à une date ultérieure ou, en tout cas, de ne pas persister à vouloir faire adopter cette réforme à la fois inutile et dangereuse pour l’unité de la justice dans l’ensemble du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je souhaite, par courtoisie, remercier les différents intervenants. J’interviendrai assez sommairement car je sais que de nombreux amendements ont été déposés, et que nous aurons donc l’occasion de revenir sur un certain nombre de points.

M. Patrick Hetzel et M. Jean-Frédéric Poisson. Oh oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je salue à nouveau la constance avec laquelle les députés de la majorité, mais aussi l’orateur du groupe UDI – même s’il n’est plus avec nous –, conçoivent l’importance de la prohibition des instructions individuelles. Je salue également la constance avec laquelle ils s’expriment sur la question de la publicité des circulaires – avec des interrogations qui ne sont pas négligeables –, ainsi que sur la question de l’impartialité, même s’il est normal que nous débattions de ce point.

Je remercie également les orateurs de l’opposition, même si je vois dans leurs interventions des contradictions et une diabolisation qui me paraît assez inutile. On me demande, par exemple, pourquoi je souhaite à la fois supprimer les instructions individuelles et me permettre de ne pas diffuser immédiatement certaines instructions générales. Je crois avoir été claire : quelles que soient nos différences d’opinion, de sensibilité ou d’appréciation, nous avons suffisamment le sens de l’État pour savoir que la responsabilité d’État consiste, dans certaines situations, à agir sans qu’il soit nécessaire que les informations soient rendues publiques.

Je le rappelle : en règle générale, les circulaires sont publiées. Depuis que je suis en responsabilité, elles l’ont toutes été, sans exception. J’en tiens la liste à votre disposition : il y en a seize. Toutes n’ont pas été signées de ma main : certaines l’ont été par la directrice des affaires criminelles et des grâces, tandis qu’en matière civile, elles peuvent être signées par le directeur des affaires civiles et du sceau. Toutes les circulaires ont été publiées, au Bulletin officiel du ministère de la justice et parfois au Journal officiel. La publication est donc la règle.

Bien que nous renoncions aux instructions individuelles, les contentieux que vous évoquez – ou que vous n’évoquez pas mais que l’on devine en écoutant vos propos – ne vont pas poser problème, parce que les juridictions sont organisées et que les procédures sont au point. La vigilance des procureurs et des procureurs généraux permet à la justice de fonctionner, notamment pour les contentieux les plus graves.

En tout état de cause, la société peut être confrontée à une situation particulière qui justifierait que le garde des sceaux, sans donner d’instructions individuelles, puisse publier une circulaire générale impersonnelle qui contiendrait, comme je l’ai dit tout à l’heure à la tribune, des éléments de stratégie judiciaire assurant l’efficacité de l’action publique. Dès lors, il est nécessaire que ces informations ne soient pas immédiatement publiées ; toutefois, je vous rappelle que ce projet de loi introduit l’obligation consentie – je proclame que je suis consentante et je suppute que mes successeurs le seront également (Sourires) – de publier annuellement un rapport sur les politiques pénales. Je dis « les politiques pénales », au pluriel, car j’ai publié une circulaire générale de politique pénale, mais également quatre circulaires territoriales,…

M. Philippe Gosselin. Certes.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …tandis que nous sommes en train d’en finaliser deux autres.

M. Philippe Gosselin. Quelle production ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous allons donc rendre public le rapport sur la politique pénale, qui sera transmis au Parlement devant lequel nous nous présenterons, s’il le souhaite, pour donner toutes les explications nécessaires. Dès lors, une circulaire dont l’efficacité est garantie par le fait qu’elle est entre les mains du parquet général et du parquet sans être mise en circulation, peut être rendue publique.

Et, je le disais tout à l’heure, si vous le souhaitez, vous pouvez en avoir connaissance. Le rapport de l’exécutif au législatif, vous le savez, c’est un rapport de confiance, puisque des documents qui ne sont pas publics peuvent être transmis aux parlementaires. Ceux-ci peuvent se présenter dans les administrations, interroger sur toutes sortes de sujets et accéder aux informations. Il existe pour cela des commissions d’accès aux documents administratifs. Mais un certain nombre de ceux-ci, vous le savez, ne font pas l’objet d’une publication ; cela résulte de la loi du 6 janvier 1978 qui a créé la CNIL. Il y a des documents dont la publication peut être immédiate et automatique, il y en a d’autres qui ne font pas l’objet de publication.

Je vous le répète : Nous avons suffisamment le sens de l’État pour considérer que cette possibilité doit demeurer, tout en sachant que la règle, c’est la publicité. Je le répète aussi : en un an, je n’ai pas eu à ne pas publier la moindre circulaire ; elles ont toutes été publiées, et je tiens à votre disposition leur liste, que j’ai apportée. Vous le savez, et je pense que vous m’en ferez crédit, je mets à votre disposition toutes les informations qui sont nécessaires. J’ai ainsi tenu à ce que l’on dresse, pour l’étude d’impact, la liste exhaustive de toutes les interventions individuelles, de façon à ce que vous ayez connaissance non seulement des contentieux concernés mais également des procédures. C’est que je sais avoir, vis-à-vis des parlementaires, un devoir d’information et de transparence,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça, c’est vrai !

M. Julien Aubert. C’est même dans la Constitution ! Ça nous fait un point d’accord !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …qui me conduit à mettre à votre disposition tous ces éléments.

J’ai donc du mal à comprendre que l’on réclame de conserver la possibilité d’instructions individuelles tout en prétendant que les instructions générales ne devraient pouvoir en absolument aucune circonstance ne pas être publiées immédiatement, et c’est sur ce dernier mot que j’insiste, car en réalité, le rapport que je présenterai au Parlement vous donnera toutes les informations.

On a aussi prétendu qu’il y aurait des instructions orales, ou que les procureurs entendent…

M. Philippe Gosselin. La chancellerie n’est pas muette, et les procureurs ne sont pas sourds !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Que se passe-t-il lorsqu’on m’interroge sur une procédure ? M. Fenech prétend que si je dis que les parties civiles peuvent faire appel, c’est une consigne donnée au procureur. Pardonnez-moi, mais nous sommes là en pleine schizophrénie !

M. Georges Fenech. Non !

M. Nicolas Dhuicq. Du clivage, pas de la schizophrénie !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suppose que c’est une réplique d’expert, monsieur Dhuicq ! (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. Fait personnel, madame la garde des sceaux ! (Sourires.)

Mme la présidente. Écoutons Mme la garde des sceaux, mes chers collègues.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. Devedjian nous a fait un exposé sur les circulaires secrètes, assez revigorant en cette heure de l’après-midi, mais nous ne sommes pas dans une salle obscure. Aussi, si le scénario était bien ficelé, cela n’allait pas plus loin.

Un député du groupe UMP. On n’est pas chez les bisounours !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Précisément, parce qu’on n’est pas chez les bisounours, je demande que l’État puisse avoir la possibilité, en cas de stratégie judiciaire, en cas de consigne particulière relative à des techniques d’enquête, de ne pas rendre publiques les circulaires.

D’autre part certains, notamment M. Bourdouleix, ont mis en avant des capacités insuffisantes. J’entends constamment l’antienne des moyens, et je remercie les parlementaires de la majorité de ne pas la faire leur. Nous connaissons la situation des finances publiques en général, et donc les contraintes très fortes qui s’imposent à nous ; nous savons aussi à quel point les moyens de la justice ont été réduits, et notamment les effectifs : c’est le cas pour les magistrats, les greffiers, d’autres fonctionnaires, et la protection judiciaire de la jeunesse a perdu 600 emplois en moins de trois ans ! On a tout entendu sur la délinquance des mineurs, et il y a lieu de lutter contre elle, d’être sévère et efficace, mais il faut aussi que les mineurs entrent en désistance, c’est-à-dire qu’ils sortent du parcours de délinquance. Or 600 emplois supprimés en trois ans, cela fait quand même 8 % de l’effectif ! Autre réalité : la réforme de la carte judiciaire a supprimé 80 postes de magistrat et 400 postes de greffier, et la pénitentiaire a aussi perdu des postes, comme la PJJ.

Donc, je veux bien entendre cette antienne, mais, je vous ai donné l’information nécessaire.

Nous allons avoir 1 400 départs en retraite sur le quinquennat. Je suis obligée de mettre en place toute une série de dispositifs pour essayer de les compenser.

M. Franck Gilard. La retraite à soixante-cinq ans ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En plus, je vous en ai informé, 368 postes sont vacants sur l’ensemble du territoire, 368 postes qui existent et que l’on ne peut pourvoir,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Pourquoi ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …faute de magistrats ! Je vous ai même indiqué que nous cherchions des solutions immédiates et à terme. Des solutions à terme, avec les promotions de l’École nationale de la magistrature, avec les concours spécifiques, les concours externes ; mais aussi des solutions immédiates, et pour cela j’ai mobilisé la direction des services judiciaires pour sur la situation des magistrats qui sont actuellement dans des structures extérieures. Ils représentent près de 3 % de l’effectif du corps. J’ai fait établir la liste exhaustive de ces magistrats, et je fais examiner leur situation pour voir dans quelle mesure nous pourrons en récupérer et en ramener en juridiction.

Voilà la réalité des effectifs : suppression de postes, pas de prévisibilité, pas d’anticipation des départs à la retraite. Malgré tous les postes que nous créons – 500 chaque année dans le cadre de la programmation triennale, soit 1 500 postes –, nous avons un certain nombre de difficultés. Donc, si je veux bien entendre l’antienne sur les effectifs, chacun doit prendre sa part.

L’essentiel, ce sont les juridictions et la façon dont elles doivent fonctionner. Je suis totalement d’accord avec vous : l’accumulation de textes ces dernières années a élargi du périmètre d’intervention des magistrats, diversifié leurs missions, engendré une complexité et donc de réelles difficultés, qu’ils affrontent tous les jours. Comment y ai-je répondu ? J’ai d’abord confié une étude à l’institut des hautes études sur la justice, qui m’a rendu son rapport. Cette étude portait sur les juridictions du vingt-et-unième siècle et sur la mission de juger, c’est-à-dire l’office du juge. Il s’agit de recentrer très précisément la mission du juge sur l’acte de juger et de travailler sur l’équipe qui doit l’entourer, notamment sur les profils d’assistants spécialisés. J’ai également mis en place des groupes de travail, l’un sur les juridictions du vingt-et-unième siècle, un autre sur les juges du vingt-et-unième siècle.

Effectivement, vous avez raison : nous devons réfléchir à la façon d’organiser nos juridictions sur l’ensemble du territoire, aussi bien en première instance qu’au niveau des cours d’appel, et nous devons réfléchir à la mission de juger.

Cher, cher Alain Tourret,…

M. Philippe Gosselin. Quand on le dit deux fois, généralement, c’est un rappel à l’ordre ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Jamais deux sans trois !

Un député du groupe UMP. C’est pour le garder dans la majorité !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cherissime Alain Tourret (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs), nous savons quelle vision chacun de nous a des institutions ; nous avons eu suffisamment d’échanges sur ce sujet.

Je n’ai rien à offrir, il n’y a donc nul lieu à la complaisance, et encore moins à la flagornerie, des parlementaires à mon égard. Ils n’ont rien à m’offrir non plus,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça, c’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …sinon la qualité intellectuelle de nos débats. Je leur en sais gré. Par conséquent, ce ne sont pas des politesses que nous échangeons.

J’ai entendu les préoccupations que vous exprimez, monsieur Tourret. Je les comprends, parce que je les connais de longue date, et je connais votre argumentation sur ce point. Je vous demande simplement, de votre côté, en ce qui concerne la publicité des instructions, d’entendre ce que j’ai exposé tout à l’heure. On a proposé une série d’exceptions. Cette méthode est beaucoup plus susceptible d’engendrer polémiques et discussions sans fin. La publication étant la règle générale, il appartiendra au Gouvernement de s’expliquer devant la représentation nationale s’il estime qu’il y a lieu de ne pas publier dans l’immédiat.

Monsieur Dolez, j’ai bien entendu également vos préoccupations. Je vous remercie pour l’engagement constant du Front de gauche sur les deux textes de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et sur cette réforme des attributions du garde des sceaux et de ses rapports avec le ministère public.

Je crois vraiment qu’il s’agit d’un texte responsable. Le climat actuel de notre société est délétère, de la confiance de plus en plus rabougrie que les citoyens accordent aux institutions en général, à la justice en particulier. Nous devons y apporter une réponse. Nous ne pouvons rester sur notre Aventin, en considérant que ce que fait chacun est incontestable et qu’il ne faut rien changer. Nous devons entendre les inquiétudes des citoyens ordinaires, les inquiétudes de la société, et nous y répondons de cette façon responsable.

Je vous remercie profondément, vous qui ferez en sorte que ces dispositions soient adoptées. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Comme mes collègues ont déjà pu l’indiquer dans le cadre de la discussion générale, avec ce texte, nous n’aurons plus d’unité de la politique pénale. En réalité, ce n’est pas la première fois que vous procédez de la sorte. Depuis le début de la législature, votre logique est de chercher à diviser, à cliver. Et, avec ce texte, vous vous attaquez à une vision unifiée de la politique pénale.

M. Julien Aubert et M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Patrick Hetzel. Cela a été indiqué à plusieurs reprises. On voit bien que vous êtes dans un véritable processus de déconstruction des fondements de notre société.

M. Julien Aubert. Tout à fait !

M. Patrick Hetzel. Je crois que c’est quelque chose de grave. Il y a deux possibilités : ou bien vous ne mesurez pas l’impact réel du texte que vous proposez, même si, depuis son retour du Sénat, il est fortement en retrait par rapport à vos intentions initiales ; ou bien vous avez parfaitement conscience de ce que vous faites, et c’est d’autant plus grave que vous êtes en train de déconstruire la politique pénale, alors qu’il est essentiel qu’elle soit la même pour tous nos concitoyens, quel que soit le lieu où ils résident. À l’unité, à l’unicité de cette politique, vous proposez de substituer l’éclatement, dans votre perspective de déconstruction.

C’est évidemment ce qui nous amène à nous opposer à ce texte et à défendre un certain nombre d’amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, avec cet article premier, nous revenons à ce qui fait l’essentiel du texte : la suppression des instructions individuelles, la publication, ou non, des instructions générales et le rapport que vous vous engagez à faire devant le Parlement. Mes collègues Devedjian et Fenech ont été excellents, et ils ont dit l’essentiel.

M. Julien Aubert. Tout à fait !

M. Marc Le Fur. Moi qui ne suis ni magistrat ni avocat, je m’exprimerai ici en tant que citoyen et en tant que député. La vraie question est la suivante : la politique pénale regarde-t-elle le peuple ? À mon avis, oui, elle regarde le peuple, elle regarde donc les représentants du peuple.

M. Julien Aubert. Parfaitement !

M. Marc Le Fur. En dépouillant le garde des sceaux – c’est la logique de ce texte –, vous dépouillez une autorité qui répond de son action devant nous, donc indirectement devant le peuple. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) En lui retirant tous ses pouvoirs, vous conférez ceux-ci à une aristocratie certes de qualité mais qui ne répond ni devant le peuple ni devant ses représentants, une aristocratie qui a sa logique, laquelle sera de plus en plus, comme les uns et les autres ont su le dire, une logique régionale. En effet, en dernière analyse, ce sont les procureurs généraux des cours d’appel qui auront la main et se substitueront à une action publique qui relevait naguère de votre autorité, madame la garde des sceaux.

Nous étions parvenus à une situation qui me semble assez saine. Il y a une totale traçabilité des instructions écrites : on sait qui les donne, elles sont jointes au dossier, et l’ensemble des parties peut en avoir connaissance. Cette logique de traçabilité disparaît. On a l’impression que désormais, le rôle du ministère de la justice sera de se complaire dans des propos généraux, dans une réflexion globale, et ne mettra plus les mains dans le cambouis.

Je reviendrai sur ce point à l’occasion de l’examen des amendements de suppression à l’article 1er. Il me semble que nous devons promouvoir une logique de transparence. Je crois que M. Tourret a presque accepté cette logique ; il aurait tout intérêt à l’accepter. Nous savons que les instructions générales sont nécessaires. Notre collègue Georges Fenech a parfaitement illustré cela en donnant des exemples considérables comme l’affaire Papon, les affaires sociales ou les conflits sociaux.

M. Julien Aubert. Très bien !

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Le Fur.

M. Marc Le Fur. On ne peut pas laisser au seul parquet, pris isolément, la possibilité d’engager des poursuites. Il faut qu’il y ait une cohérence au niveau national.

M. Patrick Hetzel. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Madame la garde des sceaux, ce texte pose deux problèmes à la représentation nationale : il s’agit d’un recul du droit, et d’un problème politique.

Il s’agit tout d’abord d’un affaiblissement du droit. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt ! Il existe des instructions individuelles. Vous voulez les supprimer. Si elles existent, c’est pourtant qu’elles ont une utilité. Croire qu’elles n’existeront plus parce que vous les supprimerez en droit, cela relève d’une démarche très optimiste quant à la nature humaine. Cela peut aussi témoigner d’une forme de reconnaissance du fait que le ministre de la justice est incapable de piloter son administration.

Or, comme mon collègue Georges Fenech l’a souligné, vous privez les citoyens de tout recours pour excès de pouvoir dans le cas où une instruction individuelle restreignant les droits serait donnée par voie orale. C’est en cela qu’à mon avis, vous affaiblissez le droit : vous enlevez aux citoyens un moyen de corriger les dysfonctionnements éventuels de la justice.

Le deuxième problème est encore plus grave : il touche à l’esprit de ce texte. Qu’il s’agisse de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ou du texte qui nous est présenté aujourd’hui, vous suivez toujours la même logique, et présidez à un repli de l’autorité judiciaire sur elle-même, faisant ainsi de la réussite au concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature le seul titre permettant aux magistrats de diriger la politique pénale et judiciaire de ce pays. À cela, nous répondons : non ! Il doit y avoir une politique pénale, car il n’y a pas de pouvoir judiciaire, simplement une autorité judiciaire. C’est au Parlement de contrôler cette politique. Vous ne pouvez pas l’émanciper totalement du politique.

Que cache la tentation de dire que le garde des sceaux doit flotter quelque part au-dessus de son ministère, qu’il doit se contenter d’être une sorte de concierge de la place Vendôme ? Une méfiance profonde envers le politique. Cette méfiance profonde, vous l’avez alimentée avec les projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique, en pointant systématiquement du doigt les responsables politiques. Pour vous, dès que l’on prononce le mot « politique », il faut se méfier ! Vous vous méfiez du politique, des hommes politiques : c’est pourquoi vous voulez interdire les instructions individuelles. Quelque part, en effet, le message que vous envoyez aux citoyens est le suivant : il faut se méfier du ministre de la justice, car il peut cacher des arrière-pensées

À mon avis, c’est pour cela que vous vous trompez. Il doit y avoir une politique pénale : il ne faut la remplacer par une forme de bureaucratisme pénal.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la garde des sceaux, je ferai trois remarques, l’une d’ordre général, les deux autres plus étroitement liées à cet article.

Premièrement, il est vrai que la notion même d’indépendance de la justice est difficile à penser. Il faut assurer le contrôle de l’autorité judiciaire par le pouvoir politique, car ce dernier doit assurer la cohérence de la politique pénale sur l’ensemble du territoire, par souci d’égalité de traitement des citoyens. L’indépendance de la justice ne peut donc, par définition, être absolue : elle est régulée, contenue. Certes, cette limitation concerne les décisions et la mise en œuvre de moyens : elle ne va pas au-delà. Dès lors, bien évidemment, se pose la question de l’intervention du pouvoir exécutif et du pouvoir politique en général dans le fonctionnement des institutions judiciaires.

Je peux, madame la garde des sceaux, comprendre les motifs qui justifient le texte que vous nous proposez. Simplement, il comporte quand même une part d’affichage extrêmement importante ! En effet, vous avez l’intention de rendre totalement impossible quelque intervention que ce soit dans le cours des affaires judiciaires, du moment qu’elle est de nature politique. Mais cela, personne ne peut le garantir ! Par surcroît, chacun peut voir que le passage d’un régime dans lequel toutes les instructions sont publiques à un régime dans lequel il est possible de n’en pas publier un certain nombre affaiblit le principe des droits de la défense.

Je veux bien reconnaître votre bonne foi, et prendre acte de ce que vous avez dit devant le Parlement. Je n’ai pas de raison de remettre en cause vos propos quand vous dites qu’aucune des circulaires que vous avez signées n’a été couverte par le secret, que toutes ont été publiées. C’est très bien : je comprends que vous en tiriez argument pour justifier vos intentions. Mais nous ne sommes pas en train d’évaluer la politique que vous avez menée depuis un an, nous sommes en train d’établir des principes généraux de fonctionnement de l’institution judiciaire.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Justement !

M. Jean-Frédéric Poisson. Votre action peut tout à fait être appréciée au regard de ce que vous nous dites. Encore une fois, je ne la remets pas en cause. Pour autant, sur le plan des principes, le fait que l’autorité politique puisse apprécier elle-même et décider seule des raisons pour lesquelles telle ou telle instruction ne serait pas publiée, me paraît relever, pour le coup, plutôt d’une extension du pouvoir politique que de l’inverse. C’est peut-être contraire à ce que disaient mes collègues tout à l’heure : ils m’en excuseront !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est vrai : il y a une contradiction dans l’opposition.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cette organisation générale ne me paraît donc pas convenable. C’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à cet article – moi, en tout cas, je m’y opposerai.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Je ferai trois brèves observations, en réponse à mes collègues de l’opposition.

Ce texte a beaucoup de vertus. La première, c’est d’afficher la vertu : c’est très important pour rétablir la confiance de nos concitoyens. La deuxième, c’est qu’il représente la première étape vers l’instauration, dans notre pays, d’un débat de politique pénale. Nous n’avons jamais organisé, en France, de débat de politique pénale. Il ne s’agit pas d’un débat à l’occasion de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi, mais d’un débat sur la politique pénale menée au quotidien, et sur ses résultats.

Nous commençons à essayer de discuter de cela : nous voulons qu’un tel débat soit organisé chaque année devant le Parlement. C’est quelque chose de neuf. Cela représente une reprise en main de la politique pénale par le politique, ce qui est extrêmement important.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Très bien !

M. Dominique Raimbourg. Troisièmement, des efforts sont nécessaires pour que la loi pénale soit appliquée de manière uniforme dans notre pays. Il s’agit là d’un point important. Aujourd’hui, les modes de poursuite diffèrent d’un département à l’autre, d’un ressort de tribunal à l’autre. C’est le procureur qui décide de cela, en fonction de ses priorités et de ses moyens. Nous savons que le choix du mode de poursuites influe énormément sur l’application de la loi. Cela veut donc dire qu’en instaurant ces circulaires de politique générale, nous essayons de donner une plus grande uniformité à la politique pénale sur l’ensemble du territoire. Il faut saluer cet effort, qui est extrêmement important. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Nous en venons à l’examen des amendements à l’article 1er.

Je suis saisie de sept amendements identiques, nos 1, 7, 28, 42, 53, 75 et 94, visant à supprimer l’article 1er.

La parole est à M. Le Fur, pour présenter l’amendement n° 1.

M. Marc Le Fur. Je me suis déjà exprimé sur l’article ; permettez-moi d’y revenir.

Vous voulez supprimer les instructions individuelles, qui disparaîtront donc en théorie. Elles avaient la particularité d’être exceptionnelles, mais ce n’est pas parce qu’elles étaient très rares – voire inexistantes – qu’elles ne sont pas nécessaires dans certaines circonstances. Elles avaient pour autres particularités d’être écrites, d’être authentifiées, et d’être connues des différentes parties. Que voulez-vous substituer à ce système ? L’opacité et l’hypocrisie !

M. Julien Aubert. Très bien !

M. Marc Le Fur. Chacun sait que, dans notre société, l’écrit n’est plus un passage obligé. M. Bell – je ne parle pas du président du Sénat, mais de l’inventeur du téléphone – a découvert un certain nombre de moyens de transmission qui permettent de ne pas passer par l’écrit. Des instructions diverses et variées, qui seront peut-être même encore plus incertaines, parviendront aux parquets et aux parquets généraux : elles rendront le fonctionnement de la justice plus opaque et plus hypocrite. Évitons cela !

Personne n’est naïf, ici : nous savons parfaitement qu’un garde des sceaux ne peut se désintéresser de certaines affaires. Quoi qu’il en soit, un certain nombre de magistrats, de procureurs et de procureurs généraux considéreront les choses de cette manière. Ils seront donc à l’affût de tous les éléments, de tous les indices qui leur apparaîtront comme des instructions déguisées. Ils utiliseront ces éléments comme des perspectives, des hypothèses de travail. Soyons clairs, disons-le clairement : il existe des instructions qui ne sont pas illégitimes. Elles ne sont illégitimes que dans le cas où elles visent à protéger des gens. Si c’est le cas, il faut les dénoncer. Mais, d’une manière générale, cela n’est pas le cas !

Dans la plupart des cas, il s’agit de combattre la drogue, la pédophilie. Il faut donc se donner les moyens de travailler et d’agir, pour ne pas en rester à des principes et à des règles abstraites et générales, et pour considérer les situations dans leur singularité. Il n’y a pas de règle qui ne s’applique concrètement. Le responsable politique, dans cette affaire, n’est pas un être éthéré !

Pour toutes ces raisons, nous considérons que la disparition des instructions individuelles est une erreur. Je suis convaincu que nous ferions mieux de revenir à quelque chose de simple, de clair, de traçable, de lisible, et d’identifié. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour défendre l’amendement n° 7.

M. Georges Fenech. Je regrette, madame la ministre, que vous n’ayez pas pris le temps – ou la peine – de répondre aux arguments que j’ai développés tout à l’heure.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je les ai écoutés avec patience.

M. Georges Fenech. C’est pourtant un vrai débat ! Je respecte votre position, mais vous aussi devez respecter les opinions des autres, qui peuvent aussi avoir du sens. Vous vous êtes simplement contentée de traiter ma position de schizophrénique. Je vis mal cette façon de me répondre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en suis désolée.

M. Georges Fenech. J’argumente ici en tant que représentant de l’opposition. Je vous ai opposé des arguments. Je vous ai également mise au défi de me donner l’exemple d’une instruction individuelle, adoptée par le passé, qui ait posé un problème. Or vous ne m’avez pas répondu !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est une scène !

M. Georges Fenech. Je vous ai également dit, toujours à propos de l’article 1er, que vous voulez réformer la Constitution sans le dire. Que dit l’article 20 de la Constitution ? Tout le monde le sait : que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Or la politique de la Nation, c’est aussi la politique judiciaire. De facto, vous faites une exception à l’article 20 : si la politique pénale est déterminée au moyen de la loi, de circulaires et d’instructions générales, vous privez le Gouvernement du moyen de la conduire quand c’est nécessaire, dans certains cas particuliers. Vous n’avez pas répondu à cet argument.

De même, vous savez très bien que si la plume est serve, la parole est libre. Certes, cet adage n’a pas valeur constitutionnelle. Un procureur de la République qui reçoit des instructions individuelles n’en demeure pas moins un magistrat ! Il ne lui est pas interdit de développer oralement, à l’audience, des réquisitions contraires à ses réquisitions écrites, ces dernières étant rédigées selon les instructions de la chancellerie. Cela s’est déjà vu : c’est tout à l’honneur des magistrats du parquet. C’est une protection à valeur constitutionnelle.

Vous voulez, pour des raisons d’affichage, rompre le cordon ombilical qui relie le garde des sceaux aux procureurs de la République. Les parquets font déjà, en réalité, leur travail en toute conscience, mais ils ont parfois besoin d’instructions : il en va de l’harmonie de la politique pénale de la France.

J’aimerais donc, madame la ministre, que vous preniez la peine de répondre à mes arguments.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour défendre l’amendement n° 28.

M. Xavier Breton. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cet amendement tend à supprimer l’article 1er, qui est au cœur de ce projet de loi.

Comme on l’a bien vu lors de la discussion générale, grâce aux démonstrations magistrales de nos collègues Patrick Devedjian et Georges Fenech, cet article pose deux grands problèmes. D’une part, il supprime les instructions individuelles : il faut rappeler que ces instructions sont écrites et communicables. On a vu qu’en pratique, elles ne posent pas de problème. Cette question a été posée deux fois par notre collègue Georges Fenech : y a-t-il un exemple d’instruction individuelle qui ait posé problème ? Si oui, dites-nous lequel ! Il serait intéressant d’examiner des cas précis plutôt que de nourrir des fantasmes, ce qui ne conduira à rien de bon dans ce débat.

Deuxième point : en plus de la suppression des instructions individuelles, des instructions générales feront leur apparition. Certaines de ces instructions générales seront publiques, d’autres ne le seront pas. Des incertitudes pèsent sur cette délimitation, ce qui prêtera à suspicion. Nous voyons bien que la rédaction de ces dispositions n’est pas du tout fixée : il suffit de voir l’évolution du texte depuis la version présentée au conseil des ministres. La première lecture à l’Assemblée nationale, puis la première lecture au Sénat, puis enfin l’examen en deuxième lecture par la commission des lois l’ont fait évoluer : il y a beaucoup d’imprécision sur des questions qui sont quand même importantes.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. C’est bien de cela qu’il s’agit : c’est un texte d’affichage. Notre collègue Dominique Raimbourg disait tout à l’heure que ce projet de loi permettra d’afficher la vertu : le problème, c’est que la vertu, cela ne s’affiche pas. Au contraire, il faut se méfier de ceux qui affichent la vertu. La vertu, cela se vit ! Ce sont les Tartuffes qui affichent leur vertu : ce texte aboutit effectivement à une tartufferie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n° 42.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ferai deux remarques pour réagir aux propos de notre collègue Dominique Raimbourg et je poserai une question à Mme la garde des sceaux.

Je me souviens, cher collègue, que dans le débat que nous avons eu sur les conditions de détention, vous avez souhaité effectivement, que se tienne dans notre enceinte un débat sur la politique pénale, même si ce n’est pas le seul endroit où cela peut se dérouler. Aucun signal ne me permet de considérer qu’un tel débat approche, mon cher collègue. Je le regrette d’ailleurs, car cet exercice serait intéressant. Sans remettre en cause la véracité de votre intention, car je vous sais sincère sur ce point comme sur d’autres, je ne vois pas de référence dans le texte que nous étudions à ce souhait que nous partageons parce que je crois que c’est l’intérêt du Parlement.

Vous avez dit tout à l’heure, mais peut-être cela a-t-il outrepassé votre pensée, que ce texte instaurait des circulaires générales. Non ! Je vois que vous corrigez votre propos en opinant du chef. Mon analyse est donc la bonne. Les circulaires existent, en effet, déjà, mais nous en modifions, ici, la forme et la destination.

Madame la garde des sceaux, je saisis l’occasion de cette défense d’amendement de suppression de l’article 1er pour vous demander si vous avez prévu, dans les décrets d’application de ce projet de loi, de préciser les modalités selon lesquelles seront établies les notions de sécurité publique, de sûreté de l’État ou toutes les notions mentionnées comme des conditions possibles de non-publication de ces circulaires, d’en définir le contour, les circonstances ou, en tout cas, de citer un certain nombre de cas d’espèce permettant d’en délimiter clairement la portée afin que personne ne se considère comme étant face à une zone floue. Que l’on soit bien d’accord, je ne parle pas de vos intentions personnelles, car tel n’est pas ici le problème, mais des principes généraux de fonctionnement de l’institution judiciaire. Il me paraît nécessaire que les modalités en vertu desquelles ces circulaires pourraient ne pas être publiées soient précisées d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre. Vous ne voulez pas que cela figure dans la loi, ce que je peux comprendre. Cela relève, en effet, sans doute du pouvoir réglementaire. Si vous pouviez nous éclairer sur cette dimension réglementaire, nous aurions une réponse à quelques-unes de nos interrogations.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 53.

M. Nicolas Dhuicq. Madame la garde des sceaux, vous essayez de résoudre, par ce texte, l’inéluctable tension entre la nécessité pour l’exécutif de gouverner et la supposée indépendance absolue des magistrats. Ces dernières années, le balancier a plutôt penché de l’autre côté, jusqu’à pousser certains de nos collègues dans cet hémicycle à la tentative de police de la pensée et d’organisation des interdits verbaux, y compris dans l’hémicycle. Mais vous prenez un peu les pieds dans le tapis parce que vous êtes contrainte d’intégrer parallèlement ce que l’on appelait auparavant, à juste titre, la raison d’État. L’éthique du prince n’est pas la morale individuelle. Elle est parfois en contradiction avec cette morale individuelle pour la sauvegarde de la nation et l’intérêt même de l’État. Vous créez, en fait, avec toutes ces contradictions, une absence de clarté, une confusion et une ambiguïté supplémentaires. Vous supprimez ces instructions éthiques qui, nous l’avons constaté, n’ont posé jusqu’à présent aucune difficulté, pour essayer d’intégrer modestement l’indéfinissable dans le texte de loi.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que cet article 1er doit être supprimé.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 75.

M. Philippe Gosselin. L’indépendance de la justice est une vraie question que nul ne conteste ici. Cela a été excellemment bien dit par nos collègues Devedjian et Fenech. En réalité, la question est en pratique résolue depuis une vingtaine d’années. Nous ne rencontrons pas de difficultés particulières en la matière sauf à vouloir polémiquer. Je constate, ici, que le Gouvernement a, une fois de plus, choisi de cliver et de monter les uns contre les autres alors que ce sujet d’intérêt général concerne la paix publique au sens large. Je qualifierai donc volontiers ce texte d’affichage. Pour cette raison, il me paraît fondamental de supprimer cet article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert, pour soutenir l’amendement n° 94.

M. Julien Aubert. Une question devrait, en réalité, tous nous animer : à quoi sert un gouvernement qui ne peut plus donner d’ordres à ses fonctionnaires ?

M. Georges Fenech. Eh oui !

M. Pascal Popelin. Vous donnez des ordres aux magistrats ? C’est bien ! Cela mérite d’être dit !

M. Julien Aubert. La même philosophie anime l’action publique depuis près de trente ans. Nous avons démembré l’État, multiplié les autorités prétendument indépendantes, considéré que la démocratie était plus sauve quand un conseil ou un comité Théodule opaque requalifié de « Haute autorité » prenait la décision au lieu du politique. Nous en voyons le résultat : à force de convaincre le citoyen que le politique est dangereux lorsqu’il prend des décisions, le politique n’en prend plus, l’administration décide en totale autonomie et le citoyen se demande à quoi sert de voter !

Je me demande donc, madame la garde des sceaux, pourquoi vouloir absolument perdre tout moyen d’action sur l’action publique. Pour permettre l’indépendance, me répondrez-vous. Je procéderai par analogie. Ainsi, un comptable public est indépendant. Néanmoins, un ordonnateur peut le contraindre à décaisser une dépense, mais il engage alors sa responsabilité en signant un papier qui décharge le comptable public de sa responsabilité. Le comptable public est indépendant, mais l’écrit lui permet de dégager sa responsabilité. Il en va de même pour le magistrat, lequel engagera sa responsabilité s’il prend une initiative individuelle qui pourrait être néfaste. Vous voulez afficher la vertu, je vois surtout du dogmatisme puisque vous créez des problèmes là où il n’y en a pas et faites perdre du temps au Parlement alors qu’il pourrait traiter des vrais sujets qui intéressent les Français.

M. Sébastien Denaja. C’est vous qui avez déposé tous ces amendements !

M. Julien Aubert. Enfin, vous n’avez pas confiance dans vos propres procureurs et dans votre parquet. Ce n’est pas parce que l’on donne des instructions individuelles que les procureurs perdent leur esprit d’indépendance. Faisons confiance à la responsabilité politique ! Faisons confiance à nos magistrats !

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Les trois derniers amendements qui viennent d’être défendus n’ont pas pu être examinés par la commission, car déposés trop tardivement. C’est donc à titre personnel que je répondrai et je rejoindrai en cela notre commission qui a rejeté les premiers amendements.

J’ai trop pratiqué cet exercice pour ne pas éclairer tout de suite les étudiants en droit qui parcourront les procès-verbaux de notre séance et les grands débats lorsqu’ils voudront connaître la structuration du parquet en France. Je sais ce que c’est que gagner du temps et j’en connais la difficulté ! Je mesure également le risque qu’il y a, chers collègues, à être confronté à la contradiction des arguments. Vous nous avez dit que nous remettions en cause l’article 20 de la Constitution.

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. À vous entendre, la garde des sceaux ne fera plus rien sur les territoires, mais les membres du parquet agiront, en revanche, à leur guise.

M. Julien Aubert. Oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je me permets simplement de vous rappeler le texte de l’article 1er que vous voulez supprimer parce que c’est essentiel pour le sens du débat. « Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. » Permettez-moi de vous répondre que c’est la traduction concrète de l’article 20 de la Constitution.

M. Julien Aubert. Il conduit, mais il n’a pas de voiture ! (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je poursuis la citation « À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. » Il veille donc à la cohérence de l’application de la politique pénale.

Dans les deux autres articles de ce dispositif législatif, nous organisons les conditions dans lesquelles le parquet général met en œuvre ces instructions et coordonne leur application dans son ressort.

Nous précisons dans un autre article de quelle manière le procureur de la République, seul détenteur de l’exercice de l’action publique, je me le permets de le rappeler, coordonne l’action des magistrats et la met en œuvre sur le territoire.

Comme si c’était insuffisant, nous demandons à chacun de ces magistrats, le procureur au procureur général et le procureur général au garde des sceaux de rendre compte des conditions dans lesquelles les instructions générales sont appliquées.

Nous proposons, enfin, que le garde des sceaux rédige un rapport sur la politique pénale, sur les instructions générales et sur les informations émanant des procureurs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous aurons connaissance de ce rapport, chers collègues. Je suppose que vous savez tous ce que ce que signifie pour le Parlement la remise d’un rapport par le gouvernement.

C’est de cela que traitent ces articles. Vos arguments sont donc contradictoires.

En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements dont elle a eu à connaître. Concernant les trois derniers amendements qu’elle n’a pu examiner, j’en propose, à titre personnel, le rejet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette série d’amendements vise à supprimer l’article 1er du projet de loi. Tous les arguments que nous avons entendus ne concernent, cependant, que la suppression des instructions individuelles. Cet article 1er traite effectivement de la prohibition des instructions individuelles, il précise que le garde des sceaux est responsable de la politique pénale et qu’il la conduit par le biais d’instructions générales et impersonnelles. La commission des lois a demandé qu’un rapport annuel soit transmis au Parlement, lequel pouvait en débattre. Vous donnez comme seul argument votre opposition à la suppression des instructions individuelles ! Je n’en suis pas d’ailleurs le seul témoin. C’est prendre une tronçonneuse pour tailler un rosier ! Un alinéa vous dérange et vous proposez de supprimer l’intégralité de l’article !

Monsieur Fenech, la souffrance qui émanait de vos propos m’a extrêmement troublée !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est sincère !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque j’ai parlé de schizophrénie, j’évoquais les arguments contradictoires. Vous n’étiez pas, à ce moment précis, personnellement visé ! Connaissant davantage l’intention de vos propos que moi, si vous vous êtes senti visé, ce dont je serais profondément désolée, je n’y serai pour rien !

Je vous rappelle simplement que l’actuel article 20 de la Constitution confie à l’exécutif la conduite de l’action publique. Lorsque j’ai, un jour, rappelé que vous étiez magistrat, monsieur Fenech, des députés de votre groupe s’en sont trouvés froissés. Je vous ai alors demandé s’il était infamant d’être magistrat ! C’est n’est pas au magistrat que vous êtes, monsieur Fenech, que je rappellerai la différence entre la politique pénale et l’action publique. La loi du 9 mars 2004 a introduit dans le code de procédure pénale la disposition selon laquelle le garde des sceaux est responsable de la conduite de l’action publique sans dire toutefois un mot de sa responsabilité en matière de politique pénale. Vous prétendez que nous clivons. Mais ce sont vos arguments qui prouvent qu’il est impossible de débattre au fond des institutions ! Il est tout de même extraordinaire de constater qu’il n’y a pas un mot dans l’actuel code de procédure pénale sur la responsabilité du gouvernement en matière de conduite de la politique pénale ! Or certains d’entre vous – et peut-être vous-même, monsieur le député Fenech – ont rappelé qu’aux termes de l’article 20, l’exécutif, donc le gouvernement, était responsable des grandes politiques publiques sur le territoire. La politique pénale est une grande politique publique de la justice et vous savez parfaitement, monsieur le député, que l’action publique est directement exercée par le procureur et par personne d’autre ! Le procureur général doit l’animer et la coordonner ! Le fait de rappeler que le garde des sceaux est responsable de la politique pénale sur l’ensemble du territoire et que, par circulaire générale et impersonnelle, il donne ses orientations sur la politique pénale prouve l’engagement du Gouvernement à ce que la politique pénale soit la même sur tous les territoires. Les procureurs généraux doivent y veiller !

Nous savons aussi que, sur le territoire, il y a des situations différenciées, avec parfois des contentieux particuliers justifiant que l’on donne des orientations particulières. Lorsque nous sommes confrontés par exemple à de la criminalité organisée, à du grand banditisme ou à de la corruption, il y a lieu de définir une politique pénale territoriale, de donner des orientations sur les options possibles en matière d’enquête. C’est ce que nous avons fait sur certains territoires en indiquant par exemple que, chaque fois que c’était possible, il fallait privilégier la cosaisine, et nous commençons à avoir des résultats significatifs sur la saisie des avoirs criminels. Tous les territoires ne sont pas concernés par ce type de contentieux. Sur un territoire où ce type de contentieux est structuré, structurel et durable, il y a lieu d’avoir une politique pénale territoriale particulière. Le procureur général n’a pas un pouvoir discrétionnaire, il a des obligations et des devoirs, il a la responsabilité de s’assurer de la politique pénale menée sur le territoire qui relève de son ressort.

Vous me demandez de vous citer un seul exemple, mais la réponse est venue de vos rangs. C’est M. Jean-Frédéric Poisson qui vous répond que la question n’est pas de savoir comment nous organisons l’institution judiciaire et son fonctionnement. Il ne s’agit pas d’aller piocher un exemple. On peut s’amuser à ce jeu-là, je n’ai pas envie d’y jouer lorsqu’il s’agit des institutions.

M. Georges Fenech. Vous n’avez pas répondu.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous ai donné l’information. Il n’y a pas un seul cas de contentieux ayant donné lieu à une instruction particulière, et le recensement que j’ai fait établir est exhaustif, qui ne puisse pas faire l’objet d’une orientation par circulaire générale.

La question n’est pas de savoir s’il y en a un que l’on peut contester en particulier. Elle est de savoir si, à partir du moment où l’on décide de ne plus donner d’instructions individuelles et où la politique pénale s’organise sur des instructions générales, il y aurait un seul cas qui ne pourrait pas relever d’une circulaire. Il n’y en a pas un.

M. Georges Fenech. L’affaire Papon !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quel problème voulez-vous régler avec une instruction individuelle qui ne puisse pas se régler par une instruction générale ?

Monsieur Hetzel, vous essayez d’inventer des intentions et des projets qui n’existent pas et vous êtes dans la dramaturgie. Vous nous avez parlé de déconstruction, je pense que vous vouliez parler de destruction. Derrida appréciera.

Oui, les magistrats sont formés à l’École nationale de la magistrature. Lorsque vous en parlez, particulièrement M. Aubert, vous nous faites une suggestion que nous avons entendue explicitement lors des débats aussi bien sur la fraude fiscale que sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Je vous rappelle simplement que nous avons introduit la parité, prévu un collège, dont vous contestez la composition et, notamment, le fait que le CSM soit présidé par une personnalité civile. Mettez-vous d’accord, ou vous voulez que la magistrature s’enferme sur elle-même, que le CSM reste entre les mains de la magistrature et qu’à l’ENM, les magistrats restent entre eux, ou vous estimez qu’il faut ouvrir à la société et, dans ce cas, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est bien la réponse à vos préoccupations.

Vous me demandez, monsieur Poisson, si j’envisage de prendre un décret. Il n’y a pas lieu d’en prendre un. La rédaction actuelle introduit des exceptions,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans quels cas ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …qui sont énoncées. Ce n’est donc pas utile. Et si, ce que j’espère, cette disposition était revue par l’Assemblée nationale, ce ne serait pas non plus nécessaire puisque nous serions dans le droit actuel. Le Gouvernement n’a introduit aucune disposition concernant les circulaires. J’ai simplement précisé que la règle, c’était qu’elles soient publiées, mais qu’il fallait laisser à l’État la possibilité de ne pas les publier immédiatement. C’est le droit actuel, je ne vois pas pourquoi il faudrait un décret. Ce n’est pas prévu.

Le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Nous avons la chance inestimable d’avoir une ministre qui prend la peine de répondre point par point à chaque intervenant sur chacune des questions soulevées.

M. Christian Jacob. C’est la moindre des choses pour un ministre !

M. Sébastien Denaja. Nous avons en plus sur les bancs de l’UMP des collègues, pour lesquels j’ai le plus grand respect et la plus grande estime, qui défendent de réels arguments tout à fait respectables.

Cela dit, ne soyons pas naïfs, comme disait tout à l’heure M. Le Fur, nous sommes tout de même face à une entreprise d’obstruction qui vise à retarder nos débats puisque ce sont des amendements strictement identiques qui sont défendus en ce moment, et d’autres le seront par la suite, pour repousser l’examen d’un texte suivant qui, vous le savez, pose des questions beaucoup plus sensibles encore.

Plusieurs députés du groupe SRC. Exactement !

M. Sébastien Denaja. Je me demande donc, madame la garde des sceaux, s’il est bien nécessaire de répondre à chacun de nos collègues de manière aussi précise et détaillée (Protestations sur les bancs du groupe UMP), même si, je le sais, vous avez le souci de prendre le droit au sérieux et de mener le débat parlementaire avec beaucoup de soin.

Mme la présidente. Monsieur Denaja, votre intervention ressemblait plutôt à un rappel au règlement, sur le fondement de l’article 58, alinéa 1.

Vous avez pu remarquer que j’ai veillé attentivement à ce que chacun défende son amendement dans le temps prévu, qui est de deux minutes par amendement. Mme la garde des sceaux, comme tout membre du Gouvernement, a pris le temps qu’elle souhaitait pour répondre.

M. Christian Jacob. Ce qui est normal !

Mme la présidente. C’est à elle de décider du temps qui lui semble nécessaire, je me permets de vous le rappeler.

M. Sébastien Denaja. Je ne vous ai pas mise en cause.

Mme la présidente. Je vous réponds simplement sur la façon dont nos débats se déroulent. Au Parlement, comme vous le savez, le temps du Gouvernement n’est pas limité. Mme la garde des sceaux fait donc comme elle l’entend.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’avais renoncé à répondre au Gouvernement après les explications de Mme la garde des sceaux mais M. Denaja m’invite à lui répondre.

Tout le monde n’a pas votre sens du droit public, mon cher collègue, et souffrez que nous ayons besoin des explicitations tout à fait précises de la garde des sceaux sur des points de droit qui restent pour nous obscurs. Comprenez que, sur un texte d’une telle importance, nous ayons besoin de passer un peu de temps,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est un plaisir !

M. Jean-Frédéric Poisson. …car nous ne sommes pas en train d’imprimer dans le droit de petites modifications, ou alors vous êtes en train de mobiliser le Parlement pour des fadaises, ce que je ne peux même pas imaginer une seule seconde, au milieu de cette session extraordinaire.

Nous allons donc défendre nos amendements, Mme la garde des sceaux, qui est une femme courtoise et énergique, nous répondra certainement, avec toute la gamme de la mise en scène et de la mise en œuvre de ses propres émotions comme elle sait le faire, et nous verrons quand nous aborderons le prochain texte, qui, initialement, devait être débattu demain matin, je me permets de vous le signaler au passage. Mais, sur les modifications hâtives et brutales du calendrier parlementaire, nous aurons l’occasion de dire deux ou trois autres mots. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(Les amendements identiques nos 1, 7, 28, 42, 53, 75 et 94 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements identiques, nos 16, 22, 37, 60, 72 et 86.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 16.

M. Marc Le Fur. Nous revenons aux instructions générales et là, l’alternative est entre la rédaction du Sénat et celle de l’Assemblée. Celle du Sénat devrait faire l’unanimité puisqu’elle précise simplement que le garde des sceaux peut donner des instructions de nature générale.

Le sujet, c’est la publicité donnée à ces instructions. Vous souhaitez, monsieur le rapporteur, qu’elles soient rendues publiques et donc connues de tous. Pourquoi pas. Mais, immédiatement, vous constatez qu’il faut imaginer un certain nombre d’exceptions.

Tout le monde conviendra que, lorsque la sûreté de l’État est engagée, on est obligé de faire une exception. Mais il se pose un autre problème, et, sur ce point, madame la ministre, j’aimerais que vous me répondiez car je n’ai pas eu cette chance tout à l’heure, c’est lorsque l’instruction générale arrive précisément à un moment où une affaire est pendante devant un tribunal et revêt peut-être une certaine réalité médiatique, et que cette instruction générale peut être interprétée par les différentes parties comme une instruction très adaptée à la situation précise qui est à l’esprit des uns et des autres. Cela peut être une vraie difficulté.

Pour toutes ces raisons, je suis plutôt favorable à la formulation du Sénat, qui, si j’ai bien compris, a aussi votre agrément, c’est-à-dire que la règle soit la publicité mais qu’il puisse y avoir des exceptions, à l’initiative du garde des sceaux, sans que celles-ci soient définies précisément par la loi qui nous rassemble aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour défendre l’amendement n° 22.

M. Georges Fenech. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, pour vos réponses de tout à l’heure, qui sont assez éclairantes puisque vous n’avez pas été en mesure de nous citer une seule instruction individuelle qui, par le passé, aurait pu poser un problème. J’en prends acte.

Sur le fond, on peut avoir des opinions divergentes, mais je tiens tout de même à rappeler que le souci de l’indépendance des procureurs n’est pas l’exclusivité de la gauche. Je me souviens très bien que, sous Jacques Chirac, il avait été envisagé aussi de rendre les procureurs indépendants. On avait programmé une réforme constitutionnelle qui avait avorté la veille même du jour où elle devait être discutée, en 1998, me semble-t-il, et je reste persuadé que la réforme que vous nous proposez aujourd’hui pose un problème de constitutionnalité parce que supprimer les instructions individuelles, c’est rendre les parquets indépendants, c’est toucher au statut de la magistrature et, quelque part, à la Constitution.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour défendre l’amendement n° 37.

M. Xavier Breton. Mme la garde des sceaux nous a répondu qu’il n’y avait aucun dossier dans lequel une instruction individuelle avait pu être donnée de manière écrite et communicable et qui posait problème. M. Denaja ou M. Molac nous ayant expliqué dans la discussion générale que la suppression des instructions individuelles était un grand progrès par rapport à tout ce qui s’était passé, on se rend compte que ce n’est que dans les fantasmes et l’esprit de nos collègues qu’il y avait des instructions individuelles pouvant faire pression, et on peut s’inquiéter de l’évolution à venir.

Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 3 de l’article 1er, selon lequel les instructions générales seront publiques, sauf exceptions. Il y en a certaines que l’on peut entendre, notamment l’atteinte à la sûreté de l’État, mais il y a une définition sur laquelle on peut s’interroger, c’est l’atteinte à la sécurité publique. Qu’entend-on par sécurité publique ? M. Devedjian a évoqué la question à juste titre. Où est-ce que cela commence, où est-ce que cela se termine ? On risque d’avoir une notion très large, très floue, qui peut entraîner ensuite des contestations, des imprécisions, voire de la suspicion, et il serait intéressant que Mme la ministre et M. le rapporteur puissent nous éclairer sur cette notion de sécurité publique qui permettrait de ne pas publier les instructions générales.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour défendre l’amendement n° 60.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’amendement est défendu.

Madame la garde des sceaux, vous avez failli tout à l’heure, et je le dis amicalement, nous faire un tour de passe-passe. Cela me fait penser à cette remarque adressée un jour à un père jésuite : on dit que les jésuites répondent toujours à une question par une autre question. Ah oui, qui vous a dit ça, demande le père jésuite.

Nous sommes un peu dans le même cas de figure. M. Fenech vous demande s’il y a eu un seul cas d’instruction individuelle problématique par le passé et vous lui demandez en réponse s’il y a eu un seul cas exorbitant de l’ensemble des instructions générales publiées jusqu’à présent. Vous avez raison tous les deux, mais vous répondez par une question à la question de M. Fenech et, en ne lui répondant pas vraiment, vous attestez que les instructions individuelles ne posent pas de problème tel qu’elles méritent d’être supprimées.

Cet alinéa 3 m’interpelle. Vous écrivez : « sauf si cette publicité est de nature à porter atteinte à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou des investigations préliminaires à de telles procédures ». Le flou des notions de « procédures engagées » et d’« investigations préliminaires » ne permet pas de distinguer juridiquement les exceptions au principe, ce qui permet d’inclure beaucoup d’actes de procédure. C’est cette ambiguïté qu’il faut impérativement lever, en supprimant purement et simplement l’alinéa 3, pour une plus grande clarté.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 86.

M. Philippe Gosselin. Notre collègue Sébastien Denaja semble ennuyé par la longueur des réponses de Mme la garde des sceaux. Puis-je lui suggérer de ne pas lui donner d’instructions individuelles (Sourires), car elle est à même de décider de ce que doivent être ses réponses ?

Cet amendement n° 86 tend à supprimer l’alinéa 3. Vous voulez, madame la garde des sceaux, jouer la transparence. Nous avons tenté de démontrer qu’il s’agissait, au moins en grande partie, d’un affichage, mais dès lors que vous dites « transparence », pourquoi est-elle à géométrie variable ? Transparence quand cela vous arrange et non dans le cas contraire : c’est une conception que je trouve un peu curieuse. La transparence est ou elle n’est pas.

On peut admettre, pour des raisons impérieuses que chacun ici comprendra, que la sûreté de l’État soit un élément important, mais qu’est-ce que la « sécurité publique » ? Quelle définition peut-on en donner ? C’est une notion qui peut être très largement entendue et est donc de nature à restreindre considérablement la transparence. Nous en revenons à la case départ : c’est une transparence d’affichage, une espèce de chambre noire, alors que vous vouliez jouer la lumière, ainsi que vous l’avez dit. Je souhaiterais donc quelques explications sur cette notion. Sans précisions sur ce point, nous voterions un texte qui serait de la poudre aux yeux, et je ne peux imaginer que ce soit votre volonté.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Notre commission a rejeté ces amendements. Vous proposez, chers collègues, la suppression de l’alinéa 3 relatif aux instructions générales, alors que c’est un fondement de la loi ; ces amendements sont donc contraires à l’esprit et à la portée de celle-ci.

En ce qui concerne les questions de M. Le Fur et de notre autre collègue, ces points seront examinés dans quelques instants, à l’occasion d’autres séries d’amendements qui évoqueront les circonstances dans lesquelles sont ou non publiées les instructions générales. S’agissant de la sécurité de l’État, je renvoie très modestement nos collègues à la loi de 1978 sur la consultation des actes administratifs, car mon amendement vise très exactement les circonstances de cette loi. Nous aurons le débat dans un instant.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La réponse que j’ai donnée à M. Fenech est valable et solide. Je le répète : il n’y a pas un contentieux, dans la liste que je vous ai présentée, qui ne puisse faire l’objet d’une circulaire générale, qu’elle soit thématique, territoriale, sectorielle.

Nous avons vraiment un désaccord de fond. Nous estimons que l’exécutif n’a pas à s’immiscer dans les affaires individuelles. Vous pensez le contraire, c’est votre droit, mais nous présentons ce texte pour traduire notre volonté de ne pas permettre l’ingérence du pouvoir politique dans des affaires individuelles.

J’émets un avis défavorable sur ces amendements. Monsieur Gosselin, je connais le calendrier parlementaire et je sais qu’ont lieu trente-six réunions à la même heure, mais vous auriez eu la réponse à votre question en commission des lois, car c’est une rédaction de la commission et non du Gouvernement. Comme le rapporteur vient de l’indiquer, de telles dispositions sont déjà dans la loi de 1978.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Au fond, madame la garde des sceaux, vous nous expliquez qu’il n’est pas nécessaire de prendre des instructions individuelles puisque les instructions générales ont réponse à tout. On court ainsi le risque que ces dernières soient utilisées comme des instructions individuelles. Le rapporteur a d’ailleurs pressenti cette difficulté puisqu’il prévoit une exception. Dans le cas d’un contentieux en cours, quand celui-ci revêt une dimension médiatique, quand tout le monde est à l’affût de ce qui peut venir de la chancellerie, et qu’opportunément paraît une instruction générale qui, malgré son nom, est très adaptée à la situation particulière en question, nous sommes en pleine hypocrisie.

En réalité, vous ne supprimez pas les instructions individuelles : vous les appelez instructions générales ! Mais cela ne change rien. Je n’avais pas saisi la difficulté avant de vous entendre, mais c’est à présent très clair, et vous le dites vous-même, puisque aucune situation individuelle ayant donné lieu à instruction individuelle n’aurait pas pu être réglée par instruction générale.

Je repose donc ma question : que se passe-t-il quand une instruction générale de nature publique apparaît au moment d’un contentieux conséquent, médiatisé, divisant la France ? On peut imaginer tous les cas de figure, c’est arrivé par le passé. Il y a là une vraie difficulté. On peut d’ailleurs tout à fait considérer, dans un tel cas, que l’instruction ne soit pas publique, pour ne pas aggraver les difficultés dans le pays. J’attends des réponses, y compris de la part de notre rapporteur, puisque son amendement pressentait cette difficulté.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Pour prolonger la réflexion très juste de Marc Le Fur, je reprends l’exemple de Maurice Papon. Imaginons qu’une personne accusée pour crime contre l’humanité soit remise en liberté avant le jugement ; la question se pose : faut-il un pourvoi en cassation ou non ? Le garde des sceaux, évitant toute instruction individuelle, prendra dans l’urgence une instruction générale ainsi rédigée : « Lorsqu’un accusé est poursuivi pour crime contre l’humanité, qu’il est remis en liberté avant le procès, il y a lieu, dans tous les cas, de saisir la Cour de cassation pour un pourvoi. » Ce serait une instruction générale d’un caractère extrêmement particulier.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

(Les amendements identiques nos 16, 22, 37, 60, 72 et 86 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de neuf amendements, nos 38, 10, 13, 31, 45, 56, 66, 78 et 39, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 38, 10, 13, 31, 45, 56, 66 et 78 sont identiques.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n° 38.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’amendement tend à supprimer, à l’alinéa 3, les mots suivant « générales », de façon que l’alinéa se lise ainsi : « À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. » J’ai déjà largement développé les arguments justifiant cette demande : la règle est la publication, en quelque temps que ce soit, car nous écrivons des lois de portée générale et intemporelle.

M. Philippe Gosselin. L’intemporel peut parfois être très court !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je souhaite donc que cette disposition proposée par la commission ne soit pas introduite dans le texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 10.

M. Georges Fenech. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 13.

M. Marc Le Fur. Dans l’hypothèse de l’adoption de cet amendement gouvernemental, nous en reviendrions à la rédaction du Sénat, qui incite à la publication, sans en faire une obligation pour le garde des sceaux. Cela me convient, car je ne pense pas que notre rôle soit de lier les mains de l’exécutif, qui doit pouvoir, dans certains cas, s’adapter aux circonstances.

J’attends toujours, madame la garde des sceaux, une réponse à la question des instructions générales intervenant à un moment précis et dont le véritable objet est individuel et particulier, ces instructions pouvant de fait interférer dans une procédure. Il ne s’agit pas d’un cas de figure abstrait.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 31.

M. Xavier Breton. Il s’agit en effet de supprimer ce qui suit le mot « générales ». Je repose ma question sur la notion de sécurité publique, en m’adressant plus particulièrement au rapporteur, qui a introduit cette rédaction. C’est une notion très floue qui peut être interprétée de diverses manières. Nous proposons, par ces amendements, de supprimer les exceptions à la publication, parmi lesquelles figure l’atteinte à cette sécurité publique.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n° 45.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 56.

M. Nicolas Dhuicq. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n° 66.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ces amendements, identiques à celui du Gouvernement, visent à apporter de la clarté dans la publication des instructions. L’objectif est de revenir à la rédaction du Sénat, pleine de bon sens, et qui offre aux administrés une sécurité juridique ainsi qu’une meilleure lisibilité.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 78.

M. Philippe Gosselin. Je sens le Gouvernement à la peine et je voudrais faire la démonstration que nous sommes une opposition ouverte, prête à tendre la main. Ces amendements ne diffèrent pas de celui qu’a présenté Mme la garde des sceaux, et je ne résiste pas à l’envie d’aider Mme Taubira à revenir à la rédaction du Sénat. Je ne crois pas qu’il faille lier l’exécutif outre mesure. La suppression de la fin de l’alinéa 3 va dans le bon sens. L’amendement du Gouvernement est une excellente chose.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir l’amendement n° 39.

M. Marc Le Fur. Il est défendu !

M. Sébastien Denaja. Le groupe socialiste, comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, souhaitait être cohérent. Il avait voté en première lecture la publicité générale des instructions. Hier, nous avons adopté en commission un amendement du rapporteur introduisant des dérogations à cette publicité. Personne, madame la garde des sceaux, n’osera vous disputer le maillot jaune de l’art oratoire.

M. Marc Le Fur. Vous allongez les débats !

M. Sébastien Denaja. En revanche, ce que vous ne disputerez jamais à un député de la majorité, c’est la faculté d’effectuer en un temps record un triple salto. (Sourires.) Nous avons voté la publicité en première lecture, nous avons adopté hier des dérogations, mais ce soir – c’est là le triple boucle piqué – nous allons sagement nous en remettre aux arguments d’une grande pertinence que vous avez avancés,…

M. Gérald Darmanin. Godillots !

M. Sébastien Denaja. …faisant évoluer la réflexion de l’ensemble du groupe socialiste, qui votera votre amendement. Je retire l’amendement n° 39.

M. Gérald Darmanin. Quel homme de conviction !

(L’amendement n° 39 est retiré.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Le Sénat a eu une excellente idée, et sa version est la bonne. Il faut rendre au Gouvernement ce qui lui appartient : je rappelle que le texte initial ne prévoyait pas la publicité des instructions générales et que c’est moi qui l’ai proposée à la commission. Par cet amendement, le Gouvernement revient à sa rédaction. Si j’avais évoqué la publicité des instructions générales, c’est parce que je pensais traduire la volonté fondamentale de ce texte : que les choses soient désormais dites et connues. Nous en avons débattu, et en commission puis en séance, adopté mon amendement, alors que le Gouvernement exprimait le souhait de maintenir la rédaction initiale.

Nous savions que des enjeux relatifs à la responsabilité de l’État et du Gouvernement pouvaient être mis en cause par une publicité non mesurée.

Ayant pris en compte les observations successives – et intangibles – du Gouvernement et celles du Sénat, j’avais proposé une rédaction plus modeste, avec des précisions permettant l’exclusion du caractère public, qui relèvent de la loi de 1978 – la loi d’accès par les particuliers aux documents administratifs. En tout état de cause, l’instruction générale pourra être connue d’un particulier qui pourra en demander la communication, puisque cela relève des actes de l’administration. En cas de besoin, la transmission en sera altérée, selon certains éléments contenus dans la loi de 1978 que j’ai repris. Je ne créais donc pas de règle particulière. Je reprenais ce que le citoyen se verrait opposer par la CADA transmettant la décision de l’administration, dans le cas où celle-ci ne voudrait pas communiquer un document.

Je suis à l’origine de cette rédaction et je le revendique franchement. Comme vous tous, j’ai l’envie d’être parlementaire jusqu’au bout : aussi ai-je proposé cette initiative. Je pensais prolonger la volonté du Gouvernement. Or celui-ci a toujours été contraire à cette idée. Hier, j’ai fait adopter cette disposition en commission – et je remercie la majorité de m’avoir suivi – pour voir jusqu’où pouvait aller cette hypothèse. La commission a donné un avis défavorable aux amendements identiques, mais je m’inclinerai très volontiers devant la décision que prendra notre assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Même si nous revenons à la rédaction du Sénat, qui était initialement celle du Gouvernement, demeure le problème des instructions générales prises à des moments délicats sur des sujets sensibles. J’aimerais obtenir sur cette question une réponse de Mme la garde des sceaux. Je n’en aurai pas, visiblement…

(Les amendements identiques nos 38, 10, 13, 31, 45, 56, 66 et 78 sont adoptés et l’amendement n° 23 tombe.)

M. Sébastien Denaja. La concorde nationale !

Mme la présidente. Je suis saisie d’une nouvelle série d’amendements identiques, nos 2, 8, 29, 54, 64 et 76.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Marc Le Fur. Nous revenons avec cet amendement au cœur de l’article 1er : les instructions individuelles qui, chacun l’a bien compris, disparaissent en théorie, mais continueront à exister de fait. Si nous voulons nous opposer à l’hypocrisie, à l’opacité et à ce qui se substituerait à ces instructions individuelles, c’est-à-dire à une forme de corporatisme – nous connaissons le fameux « mur des cons » –, mieux vaut des instructions provenant de l’exécutif, d’un membre du Gouvernement soumis au contrôle parlementaire, plutôt que de la doxa des syndicats de magistrats, fruit d’une atmosphère politique, ce qui serait redoutable.

Il faut que nous en revenions à des choses simples. L’instruction individuelle ne doit pas être la règle, mais une exception. Elle doit pouvoir exister. Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas été pratiquée pendant de longues années qu’elle n’a pas de raison d’être aujourd’hui. Notre pays peut connaître des crises considérables – ne serait-ce que des crises sociales, qu’il faut savoir oublier pour revenir vers des attitudes plus consensuelles. Il faut pour cela que le garde des sceaux ait une prise sur l’action publique et sur celle des parquets. Cela n’a rien d’illégitime ; encore faut-il que ces instructions soient connues, publiques, jointes au dossier et communiquées aux parties. C’est la solution qui existait jusqu’à présent : elle me semble être bonne.

Je suis convaincu que la suppression de ces instructions individuelles serait non seulement une erreur, mais une hypocrisie et plus encore un mensonge, puisque existera toujours un ministère, de même que les directions, les coups de fil, les échanges et les rencontres plus ou moins informelles qui ne laissent pas de traces – c’est bien cela la difficulté.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Paroles d’expert !

M. Marc Le Fur. Il faut revenir à des choses simples et plus lisibles.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 8.

M. Georges Fenech. En supprimant les instructions individuelles, vous supprimez de fait la clé de voûte de l’action publique. On peut suivre votre argumentation concernant l’ingérence ministérielle et réfléchir à cette question. Encore faudrait-il, si vous supprimez les instructions individuelles du garde des sceaux, que vous les remplaciez par autre chose qui puisse harmoniser l’action publique sur l’ensemble du territoire.

Nous avions réfléchi à l’UMP, au moment de la campagne électorale, sur l’institution d’un procureur général de la nation, d’un procureur général de la République qui aurait pu être une personnalité élue aux trois-cinquièmes par le Parlement et qui aurait harmonisé l’action publique. Ce pourrait d’ailleurs être le procureur général de la Cour de cassation, qui n’a aucun pouvoir aujourd’hui en matière d’action publique. Or vous supprimez la clé de voûte de tout le système de l’action publique sans la remplacer.

Une question précise : actuellement, lorsqu’un procureur n’exécute pas une instruction individuelle écrite, il s’expose à une sanction disciplinaire, est-ce qu’à l’avenir, avec la suppression des instructions individuelles, dans le cas où le procureur n’obéirait pas à des instructions générales, il continuerait à être soumis à des sanctions disciplinaires ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais bien sûr ! Il a son procureur général.

M. Georges Fenech. De plus, comment allez-vous apprécier l’application qu’il fera de ces instructions générales ?

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 29.

M. Xavier Breton. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 4 qui indique que le ministre de la justice ne peut adresser aux magistrats du ministère public aucune instruction dans des affaires individuelles. Comme on l’a déjà dit, ces instructions individuelles, qui existent, sont aujourd’hui écrites et communicables : il ne s’agit donc pas de choses secrètes, d’autant qu’elles n’ont provoqué aucun problème. La question que nous n’avons cessé de poser avec Georges Fenech n’a pas eu de réponse. Cela montre bien qu’il n’existe pas un seul exemple permettant de dire qu’une instruction individuelle a posé un problème. Nous sommes donc bien loin des fantasmes.

Dans le rapport de notre collègue Le Bouillonnec, nous pouvons lire, page 21 : « Cette interdiction de toute instruction du ministre de la Justice à l’occasion d’affaires individuelles revêt une valeur symbolique d’autant plus forte qu’elle consacre la volonté du législateur de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin au soupçon – qui trop souvent mine la confiance que les citoyens placent dans l’institution judiciaire – dans le déroulement des procédures judiciaires et notamment pénales. »

Mais le soupçon n’est pas appuyé sur des faits. Il est porté peut-être par des discours politiques qui contribuent à alimenter ces rumeurs…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les vôtres !

M. Xavier Breton. …en connivence avec certains pouvoirs médiatiques. Il vaut mieux dire la vérité, plutôt que d’avoir des instructions qui vont se donner par en dessous,…

M. Marc Le Fur. Exactement !

M. Xavier Breton. …de manière oblique et opaque, comme on a pu le voir dans des affaires récentes, avec des prisonniers politiques qui ont pu être libérés hier, ce qui montre que nous n’avons pas de leçons à recevoir dans ce domaine. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Denaja. Des prisonniers politiques !

Mme Anne-Yvonne Le Dain et Mme Elisabeth Pochon. C’est indécent !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 54.

M. Nicolas Dhuicq. Dans votre souci de pureté absolue et de transparence extrême, vous êtes en train de mettre en place un système totalitaire (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) qui opprime la pensée et qui opprimera toute pensée différente qui sera traitée de déviante, d’incorrecte ou de politiquement irrecevable, comme vous savez très bien le faire. Je l’ai dit à l’occasion d’autres textes : le drame, c’est que c’est la démocratie qui met en place le système totalitaire.

De deux choses l’une : Soit il faut extraire la fonction du garde des sceaux de l’exécutif et du Gouvernement, comme l’évoquait Georges Fenech, pour créer une espèce d’entité idéale qui serait totalement coupée du pouvoir politique – mais que faisons-nous alors dans cet hémicycle et, en agissant ainsi, ne prenons-nous pas le risque que le peuple soit encore plus coupé de sa justice, puisque les représentants de la nation que nous sommes n’auraient plus, à terme, leur mot à dire sur les affaires relatives à la justice ? Soit vous avez très peu confiance dans votre autorité et dans celle magistrats au point qu’il faudrait que des instructions soient transmises en sous-main.

Mais, à force de mettre du particulier dans le général, vous allez inéluctablement affaiblir le général, parce que vous allez encore une fois, comme dans d’autres textes, courir après le réel. Or le réel est toujours en avance sur les mots. C’est pourquoi notre Constitution est sage et la règle des instructions écrites était sage puisqu’elle permet au garde des sceaux, qui fait partie de l’exécutif, de transmettre en toute transparence des instructions, lorsque cela est nécessaire. S’agissant de la raison d’État, comme d’habitude dans ce gouvernement, vous êtes soit dans l’incapacité de connaître le monde tel qu’il est aujourd’hui, soit dans l’illusion la plus absolue qui, comme je le disais pour commencer, nous mènera au totalitarisme.

M. Sébastien Denaja. Au totalitarisme !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n° 64.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je veux revenir sur les propos de Georges Fenech qui avance que la suppression des instructions individuelles détruit la clé de voûte du système, ainsi que sur sa question. Lorsqu’un magistrat ne se soumet pas aux instructions individuelles, il est sanctionnable, lorsqu’il ne se soumettra pas aux instructions générales, Mme la garde des sceaux répond qu’« il a son procureur général ». Certes, mais est-ce à dire qu’avec la suppression des instructions individuelles, vous confiez la conduite de l’action publique aux procureurs généraux ? Cet inquiétant raccourci m’étonne.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 76.

M. Philippe Gosselin. Nous débattons de la question des instructions individuelles sur lesquelles on fantasme beaucoup. Il faut rappeler qu’il ne s’agit que de quelques cas par an. Nous ne sommes pas dans la multiplication des petits pains, ni dans le miracle républicain permanent, pour reprendre une expression de Jean-Pierre Chevènement. En réalité, depuis une vingtaine d’années, le cas de ces instructions individuelles s’est réglé sans poser aucune difficulté particulière, sauf à entretenir un certain nombre de fantasmes.

Il est important de rendre plus transparente la conduite de l’action publique et de clarifier les relations entre le ministère, le ministre et les parquets. Pour autant, pourquoi interdire au garde des sceaux la possibilité de demander aux procureurs généraux s’ils ont connaissance d’infractions à la loi et d’intervenir, à condition que l’instruction individuelle ait un intérêt et qu’elle soit faite au cas par cas ? Il s’agit bien d’individuel. Cela ne pose pas de difficulté particulière, dans la mesure où cette instruction est publique et accessible aux parties, et partant dans le respect des droits de la défense. Ce dernier élément est aussi à mettre dans la balance. C’est pourquoi mon amendement vise à supprimer l’alinéa 4 de ce texte de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La commission a repoussé toute hypothèse de réintroduction des instructions individuelles dans le dispositif législatif, alors que c’est leur suppression qui en fait le fondement. Il n’y a aucun moyen de transiger avec les amendements que vous avez déposés, puisque nous voulons supprimer les instructions individuelles. Nous nous approprions les intentions qui ont été celles du Président de la République…

M. Marc Le Fur. C’est l’ultime argument !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. …et qui sont celles de ce gouvernement. Il n’est pas question d’envisager autre chose que le maintien de cette suppression. Ayant regretté ce qu’a fait le Sénat qui a vidé ce texte de son sens, nous proposons de le rétablir purement et simplement. Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas une vraie démonstration. C’est seulement pour plaire au Président !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis également défavorable. Je veux répondre aux précédents intervenants. Il y a manifestement une confusion, que M. Fenech n’est pas censé faire, entre la responsabilité du procureur et celle du procureur général. C’est le procureur qui est le seul en capacité d’enclencher l’action publique. Vous pouvez imaginer des scenarii dans lesquels le procureur déciderait sur une affaire importante, médiatique, de ne pas poursuivre. Mais ce cas de désobéissance, y compris à des consignes écrites, est déjà prévu dans le code de procédure pénale. Si cela n’était pas suffisant, il reste la procédure disciplinaire qui sera déclenchée chaque fois que nécessaire.

Vous nous faites, notamment vous, monsieur Le Fur, une véritable dramaturgie à propos d’échanges téléphoniques, de M. Bell, alors que nous prohibons les instructions individuelles, c’est clair, nous le proclamons publiquement, et le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale comme celui du Sénat en porte foi au Journal officiel. Par ces déclarations du Gouvernement, nous protégeons les magistrats, y compris des instructions orales. Je ne peux pas attester de l’existence de ces dernières par le passé, vous êtes certainement mieux placé que moi pour le savoir puisque vous semblez évoquer un univers qui vous est parfaitement familier.

M. Marc Le Fur. C’est la vie ! C’est comme ça !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quant à nous, je le répète, nous protégeons les magistrats et par-dessus tout les justiciables.

(Les amendements identiques nos 2, 8, 29, 54, 64 et 76 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’une nouvelle série d’amendements identiques, nos 3, 6, 27, 41, 52 et 62.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Marc Le Fur. Imaginons un patron qui donnerait des instructions générales sans aller voir ce qui se passe, sans contrôler, sans sanctionner : ce ne serait pas un patron ! Plus rien ne serait dirigé ! Le propre d’une autorité, c’est de donner des instructions générales, abstraites, et de veiller à leur application, quitte dans certains cas à descendre au niveau d’une situation particulière. L’opinion attend de nous que nous prenions les choses en main, ce qui, dans le domaine de la justice, passe par une hiérarchie au sommet de laquelle vous vous trouvez, madame la garde des sceaux. Si la voie hiérarchique s’arrête aux procureurs généraux, on autonomise complètement le monde de la magistrature, et celui-ci va se fixer ses propres règles, qu’elles soient de nature syndicale, des règles de copinage, d’usage ou encore résultant des pressions des uns et des autres. Pourtant, chaque niveau hiérarchique le sait, l’instruction protège les autorités locales, en l’occurrence le parquet.

Chacun sait que les instructions individuelles étaient exceptionnelles, devaient être argumentées et versées au dossier, et le fait d’y renoncer me semble une erreur de fond. Il faut en revenir à une logique simple : le procureur général ne tient pas son autorité de je ne sais quel angélisme, mais de vous-même, madame la garde des sceaux, membre d’un gouvernement responsable devant le chef de l’État, parce que nous sommes en VRépublique, et devant nous, au titre du régime parlementaire. Si ce n’est plus le cas, comprenez bien que l’opinion va devenir de plus en plus populiste. « À quoi servez-vous, les uns et les autres, si chaque fois que quelque chose nous intéresse, vous nous expliquez que ce n’est vous, que c’est l’autre, qu’il faut aller voir le guichet d’à côté ? », va-t-on nous demander. Or ce qu’on attend de nous, c’est que l’on prenne les problèmes à bras-le-corps et qu’on l’assume, fût-ce en prenant des risques, et c’est ainsi que notre pays avancera. C’est le propre non pas de la démocratie, mes chers collègues, mais de la République, et je vous engage à y être attentifs.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 6.

M. Georges Fenech. Madame la ministre, je suis convaincu que votre réforme est à la fois incohérente et inachevée car pourquoi supprimer les instructions individuelles du garde des sceaux à l’égard des procureurs généraux et maintenir celles des procureurs généraux à l’égard des procureurs de la République ? De deux choses l’une : ou l’on veut que tous les procureurs soient indépendants, ou bien l’on estime qu’au sein d’une cour d’appel, il faut harmoniser la politique pénale et donc maintenir les instructions individuelles. C’est d’autant plus vrai que si le procureur de la République n’obéit pas aux instructions écrites du procureur général, celui-ci, vous le savez très bien, ne peut pas se substituer à lui pour déclencher l’action publique.

Par conséquent, allez jusqu’au bout de votre réforme : supprimez les instructions individuelles des procureurs généraux. Je repose la question à laquelle on aimerait avoir une réponse car elle est vraiment d’une importance majeure pour l’égalité des citoyens devant la loi : comment allez-vous harmoniser l’action publique sur l’ensemble du territoire ? J’ai connu des procureurs de la République qui ne poursuivaient jamais en matière d’usage de stupéfiants parce que c’était contraire à leur conscience… Comment allez-vous harmoniser l’action publique au niveau national si vous vous privez du moyen qu’offrent les instructions individuelles ?

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 27.

M. Xavier Breton. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 41 est également défendu.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 52.

M. Nicolas Dhuicq. Nous vivons dans un pays totalement morcelé, avec des réalités démographiques et sociales différentes, et un État central s’affaiblissant. À chaque fois qu’il y a un tel affaiblissement, ce sont les féodalités locales qui gagnent en puissance. Je rappellerai que l’Ancien Régime est tombé en partie à cause des parlements, constitués majoritairement de magistrats.

Votre texte, madame la garde des sceaux, porte clairement atteinte à la construction de la République, à son unité, affaiblit le pouvoir central et par conséquent nous fait tomber dans l’arbitraire local. Soit votre fonction a une utilité, et vous continuez donc à maintenir la possibilité d’instructions écrites qui sont rendues publiques, soit elle n’a pas d’utilité, et à ce moment-là autant supprimer la fonction de garde des sceaux et revenir à un système judiciaire totalement décentralisé, localisé : ce sera alors la fin de la République.

Mme la présidente. Madame Dalloz, l’amendement n° 62 est-il défendu ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Le contenu de ces amendements ne correspond pas aux explications que vous venez de nous donner, chers collègues. Ils avaient pour objet de permettre au garde des sceaux de dénoncer au procureur général les infractions à la loi dont il a connaissance et de lui demander quelles poursuites celui-ci entendait engager, son instruction étant versée au dossier de la procédure. Nous avons déjà eu ce débat et en commission, et en séance, et j’avais rappelé qu’il était inconcevable que le garde des sceaux, la seule autorité publique gouvernementale à figurer dans le code de procédure pénale, n’utilise pas les dispositions de l’article 40 qui impose à « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit […] d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas la seule fonction d’un garde des sceaux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vos amendements tendant à ce que le garde des sceaux transmette de tels éléments sont donc bien entendu superfétatoires puisqu’il est tenu, comme toute autorité publique, de le faire. Je me permets de vous rappeler, avec beaucoup de confraternité parlementaire, que c’était pourtant le sens de vos amendements, dont vous n’avez manifestement pas commenté le texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable. Je ne suis pas surprise de l’idée fixe qui embrume les argumentaires. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas un avis distancié, madame la ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Pas d’argutie de procédure, monsieur le rapporteur, bien que ce ne soit pas sans fondement. Le sujet de fond, c’est l’unité de l’action publique. Cette unité est déjà difficile à trouver : les policiers et les gendarmes savent bien qu’en fonction du substitut de service durant la nuit, l’action publique va être plus ou moins répressive ou plus ou moins mollassonne. Mais on va assister à un écart très net des décisions d’une cour d’appel à une autre. Mes chers collègues de la majorité, vous qui vous inscrivez plutôt dans une tradition jacobine – qui n’est pas du tout la mienne –, caractérisée notamment par les mots d’« unité », d’« égalité », vous allez casser la logique de l’action publique en différenciant la sanction. On saura que dans telle région, on risque ceci, et dans telle autre région cela ; ce sera la logique des cinquante États américains. Pourquoi pas ? Mais vous n’en acceptez pas le principe. Je ne comprends pas que vous soyez contre et que, dans la pratique, vous preniez des dispositions qui vont aboutir exactement à cela. Retrouvez un peu de logique. Il n’est en rien illégitime que le peuple contrôle l’action du Gouvernement, le Parlement celle du garde des sceaux et que celui-ci donne des instructions générales ou individuelles à ses procureurs généraux ; cela doit se faire de manière encadrée et selon une hiérarchie, mais c’est nécessaire.

(Les amendements identiques nos 3, 6, 27, 41, 52 et 62 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements identiques, nos 4, 5, 26, 40, 51, 61 et 73.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Marc Le Fur. Il y a des circonstances où même si l’instruction individuelle doit disparaître puisque telle est votre volonté, celle-ci s’impose car l’urgence, l’intérêt de l’État, la cohésion nationale l’exigent. Il faut au moins que le garde des sceaux ait la faculté d’exprimer très explicitement ce qu’il veut. Sinon, quand nous interrogerons le ministre dans cette enceinte, à la suite d’un drame, nous dira-t-il : « Je ne peux rien faire, même pas donner une instruction » ? Non, il nous répondra qu’il s’en occupe,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce sera du bla-bla !

M. Marc Le Fur. …mais très hypocritement puisqu’il ne pourra rien faire ! Nous allons donner le sentiment de n’avoir aucune prise sur les choses. Il faut donc qu’au moins dans des circonstances exceptionnelles, le pouvoir d’instruction demeure.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Georges Fenech. Je crois que les avocats, ceux de la défense notamment, n’aiment pas se retrouver face à des procureurs indépendants. Ils préfèrent débattre avec des procureurs hiérarchisés, qui appliquent une politique pénale. Autrement dit, ils préfèrent connaître la politique pénale plutôt que d’en ignorer le contenu, de ne pas savoir comment pense le procureur, quelles sont ses intentions et ses priorités. À cet égard, le sujet touche aussi aux droits de la défense.

Mais, de même que vous avez accepté, madame la ministre, des exceptions au régime de non-publicité des instructions générales, il serait important d’accepter aussi des exceptions pour les instructions individuelles qui mettent en cause l’intérêt fondamental de la nation. Je pense bien sûr notamment à la sûreté de l’État et aux affaires de terrorisme. Il faudrait qu’au moins dans de tels cas tout à fait exceptionnels, le représentant du Gouvernement, le seul responsable devant le pays, c’est-à-dire vous-même, puisse se réserver la possibilité d’imposer son point de vue au nom du peuple français – je rappelle que les procureurs n’ont jamais demandé autant de responsabilité parce qu’ils n’en ont pas la légitimité.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 26.

M. Xavier Breton. Dès lors qu’il n’y a plus d’instructions individuelles, il s’agit tout de même de les permettre dans des cas très délimités, liés aux infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal, parce qu’il y a certains dossiers qui justifient une exception. Autrement, on aura soit des déclarations d’intention, soit des suspicions, sur des dossiers pourtant essentiels puisqu’il s’agit de ceux qui touchent aux intérêts fondamentaux de l’État. L’exception est, je le répète, très encadrée, elle va dans le sens d’une amélioration du texte. Je ne comprends pas pour quelle raison on pourrait être contre ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n° 40.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je rappelle à notre hémicycle, pour la clarté de la discussion, que les faits visés dans cette série d’amendements concernent les attentats, les sabotages, les complots ou encore les insurrections, soit des actes extrêmement graves qui mettent en cause l’intégrité du territoire ou qui constituent des atteintes directes à la République, ce qui peut justifier des pratiques personnalisées en la matière.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 51.

M. Nicolas Dhuicq. Ce débat me rappelle quelque peu celui que nous avions eu, lors de la législature précédente, entre commissaires de la défense nationale et juristes à propos du secret-défense. Les membres de la majorité d’aujourd’hui avaient alors du mal à admettre le secret-défense. Dans le monde réel, la raison d’État existe pourtant et le chef de l’État, les ministres, leurs exécutants, peuvent prendre parfois des décisions qui n’obéissent pas aux règles communes.

Vous l’admettez à demi-mots tout en créant la confusion dans les cas individuels où vous refusez, encore une fois, d’utiliser votre autorité. Vous êtes dans une école de pensée politique qui n’admet pas que l’autorité puisse exister et être protectrice. Vous allez encore une fois créer le désordre, la désorganisation et l’affaiblissement du rôle de l’État !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour défendre l’amendement n° 61.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous nous disiez tout à l’heure, madame la garde des sceaux, que la réforme du CSM visait à ouvrir le monde de la magistrature à la société civile et ne plus avoir une entité qui ne parle qu’à elle-même. Nous avons entendu cela.

Mais l’action publique est conduite par l’État et lui seul. C’est bien son rôle. Quand la sécurité de l’État est menacée, il est nécessaire et fondamental de pouvoir revenir à la notion d’instruction individuelle. C’est la raison pour laquelle cet amendement prévoit une exception à la suppression des instructions individuelles dans des cas bien précis, notamment quand la sûreté de l’État est menacée.

Il est fondamental d’accepter cette notion et d’intégrer une telle exception. C’est ce que nous vous demandons par cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour défendre l’amendement n° 73.

M. Philippe Gosselin. Les intérêts fondamentaux de l’État sont ou doivent être supérieurs à tout. La République peut être en danger. On ne peut pas se permettre de laisser la République aller à vau-l’eau. Elle est ce bien commun qui nous réunit et qu’il est important de défendre.

Au nom de cet intérêt supérieur, on doit pouvoir continuer, dans des conditions très strictes et très encadrées, à permettre des instructions individuelles pour peu qu’elles soient écrites, publiques et motivées. Dans ces conditions, elles ne sont donc pas à la tête du client car tout est vérifiable et elles s’inscrivent dans le respect des droits de la défense. Cette procédure ne serait donc pas inéquitable, inique. Il me paraît important que l’État, le garde des sceaux puissent faire en sorte que la justice soit assurée et que la République puisse triompher quand les intérêts fondamentaux de l’État sont en jeu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements qui sont de même nature que les précédents.

Vous essayez de redonner au garde des sceaux la capacité d’instruire, de dire comment il faut faire. Mais le Gouvernement détermine la loi pénale tandis que le parquet exerce l’action publique. Cela ne date pas d’aujourd’hui, il en a toujours été ainsi en vertu de l’article 31 du code de procédure. Telle est la règle que, loin d’entamer, nous confortons : le parquet exerce l’action publique et il est le seul à en avoir l’initiative. Sur ce point, c’est un renforcement.

Vous semblez oublier – de façon volontaire, je pense, car intellectuellement vous êtes parfaitement à même de l’apprécier – que l’article 30 du code de procédure pénale donne au ministre de la justice mission de conduire la politique pénale et de veiller à sa cohérence. Le ministre de la justice adresse des instructions qui, monsieur Fenech, ne seront plus publiques, en vertu de l’amendement du Gouvernement que nous avons adopté tout à l’heure.

Chaque année, le garde des sceaux fait un rapport sur la politique pénale qu’il a conduite dans lequel il précise les conditions de sa mise en œuvre et les instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Cela signifie que le garde des sceaux, le ministre de la justice, devra non seulement présenter la politique pénale suivie mais aussi rendre compte au Parlement de la mise en œuvre des instructions, ainsi que le texte le prévoit. Dans les articles 2 et 3, nous verrons la manière dont est structurée, au niveau des cours d’appel et des tribunaux de grande instance, la mise en œuvre de ces instructions générales.

Par ailleurs, je rappelle que l’article 40 du code de procédure pénale n’exclut pas l’autorité publique que représente le ministre de la justice.

Ces amendements doivent donc être rejetés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est également défavorable.

Madame Dalloz, puisque vous êtes revenue, je redis à votre intention que le Gouvernement s’assume comme responsable de la politique pénale et c’est pourquoi nous l’inscrivons à l’article 30 du code de procédure pénale. Ce n’était pas le cas avec la loi du 9 mars 2004 par laquelle le Gouvernement s’était donné la responsabilité de la conduite de l’action publique. J’ai envie de savoir et de comprendre comment cela a pu se faire.

L’action publique est réservée au ministère public. Le procureur enclenche et exerce l’action publique, et le procureur général la coordonne. Le Gouvernement, lui, est responsable de la politique pénale. Il l’assume en tant que telle, il rédige des circulaires établissant les orientations de politique pénale et veille à leur application sur l’ensemble du territoire. C’est précisément pour éviter que des territoires deviennent des fiefs, des zones réservées à une autorité discrétionnaire des procureurs généraux que ces circulaires générales de politique pénale sont établies et diffusées.

L’action publique revient donc au ministère public. Quant au Gouvernement, rompant avec les dispositions de la loi de 2004, comme le prévoit dorénavant l’article 30 du code de procédure pénale, il assume pleinement ses responsabilités en matière de conduite et d’application de la politique pénale parce que c’est lui qui répond devant la société, devant les citoyens, du bon fonctionnement de l’institution judiciaire, du service public de la justice.

Par conséquent, les choses sont claires, sans ambiguïtés. Les dispositifs qui existent, du fait notamment de l’ordonnance de 1958, fonctionnent.

Il n’y a pas d’inquiétude à avoir, vous le verrez à l’usage. Rappelons qu’il en a été ainsi pendant cinq ans, de 1997 à 2002, de même que depuis un an. En tout cas, j’en réponds pour ces gouvernements-là. Il vous revient d’en répondre pour les gouvernements que vous avez soutenus. En l’occurrence, le garde des sceaux du précédent gouvernement n’a pas cessé de dire que lui-même n’a pas procédé ainsi. Si vous avez envie de vous inventer des inquiétudes, vous en avez la liberté et la latitude, mais voilà ce qu’il en est du fonctionnement de la justice.

(Les amendements identiques nos 4, 5, 26, 40, 51, 61 et 73 ne sont pas adoptés.)

(L’article 1er est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 1er bis A

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques, nos 11, 32, 57 et 92, visant à supprimer l’article 1er bis A.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 11.

M. Georges Fenech. Madame la ministre, si vous me le permettez, je crois pouvoir dire que jamais à ma connaissance une affaire n’aura eu autant de conséquences que l’affaire Cahuzac.

Elle a provoqué une onde de chocs sans précédent puisqu’elle est manifestement à l’origine de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, du projet de loi sur la transparence, du projet de loi sur le procureur financier – dont les magistrats ne comprennent pas tellement l’utilité –, de l’interdiction des instructions individuelles.

Il nous faut rester raisonnables et essayer de maintenir au maximum le bon fonctionnement de nos institutions judiciaires.

J’aimerais poser une question car je ne crois pas avoir tout compris : la suppression des instructions individuelles vaut-elle également en matière civile – nationalité, adoption, mariage ? Vaut-elle en matière commerciale – je pense aux procédures collectives ? En matière prud’homale ? En matière administrative – contentieux des étrangers, rétentions administratives ? Vaut-elle pour les extraditions, lorsqu’il y a rapports d’État à État – et nous savons que certaines affaires ont posé des problèmes dans les relations avec des pays étrangers ?

Autrement dit, ces instructions individuelles vont-elles disparaître de tous les contentieux, en dehors du contentieux pénal ?

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 32.

M. Xavier Breton. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec notre amendement de suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 92

M. Marc Le Fur. Cet article est en cohérence avec une loi, loi dont nous ne voulons pas parce que nous considérons que chacun doit assumer ses responsabilités. Être homme, c’est être responsable ; être membre d’un gouvernement, c’est l’être un peu plus. Cela veut dire prendre des décisions, les assumer et ne pas donner le sentiment que l’on ne dirige pas pour utiliser d’autres biais.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ils ont été repoussés par la commission.

Les orateurs de l’opposition ne l’ont pas évoqué mais en introduisant cet article 1er bis A, le Sénat a voulu modifier certains intitulés du code de procédure pénale, en hiérarchisant les thématiques. Dans un premier temps, il a ainsi ajouté au début du titre de livre Ier : « De la conduite de la politique pénale ». Cela montre bien la nouvelle place qui est faite au garde des sceaux dans le code de procédure pénale : il est clairement associé à la conduite de la politique pénale alors que les dispositions qui suivent relèvent de chapitres relatifs à l’exercice de l’action publique.

Vos amendements de suppression reviennent à rejeter cette proposition très pertinente du Sénat.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. le rapporteur a eu raison de rappeler l’objet de l’article dont ces amendements visent la suppression. Les arguments invoqués pour les défendre n’ont strictement rien à voir avec l’article 1er bis A introduit par le Sénat, qui concerne exclusivement l’intitulé du livre Ier du code de procédure pénale.

Nous voyons bien que vous arrivez au bout de votre argumentation car le marqueur de l’épuisement d’arguments, nous l’avons constaté ces dernières semaines sur tous les textes, c’est d’en revenir à l’affaire Cahuzac. L’abandon des instructions individuelles remonte à juin 2012, ma circulaire, qui l’énonce explicitement, qui l’écrit précisément, date du 19 septembre 2012 et vous êtes en train d’expliquer cette modification d’intitulé par une affaire qui n’a strictement rien à y voir.

Quant à la question sur les instructions individuelles, j’y vois, là encore, un marqueur de l’épuisement de vos arguments : ce texte concerne le code de procédure pénale et vous voudriez que nous fassions des chapitres consacrés à d’autres codes juridiques.

Nous sommes rigoureux dans le travail législatif que nous produisons. Nous en restons au code de procédure pénale : ce sont bien les instructions individuelles dans les affaires pénales qui sont traitées par ce projet de loi, à travers l’article 30 notamment.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je vous remercie, madame la ministre, pour cette précision importante. Vous conserverez donc la possibilité de donner des instructions individuelles aux procureurs généraux dans d’autres affaires que les affaires pénales.

M. Marc Le Fur. Eh oui, c’est logique !

(Les amendements identiques nos 11, 32, 57 et 92 ne sont pas adoptés.)

(L’article 1er bis A est adopté.)

Article 1er bis

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements identiques, nos 12, 33, 58, 68, 80 et 90, visant à supprimer l’article 1er bis.

L’amendement n° 12 est défendu, monsieur Fenech ?

M. Georges Fenech. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Les amendements n°s 33, 58, 68, 80 et 90 sont également défendus.

Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ces amendements visent à supprimer la référence à l’impartialité que j’ai proposé d’introduire à l’article 31 du code de procédure pénale, qui attribue au parquet la compétence de l’exercice de l’action publique.

J’ai longuement développé les raisons pour lesquelles, à mes yeux, il est important d’introduire cette notion d’impartialité, non que j’imagine que les membres du parquet en sont dénués mais parce que l’inscrire dans cette partie du code permet de rappeler que leur statut de magistrats, au titre de l’unité du corps, implique le respect de cette exigence.

L’impartialité ne se confond pas avec l’indépendance, mes chers collègues. L’indépendance se définit par rapport aux autres ; l’impartialité, elle, se définit par rapport à soi-même. Elle renvoie à la capacité de se détacher de ses idées, parfois de ses idéologies, de ses conceptions propres. C’est cela qui est important. Quand le constituant a évoqué cette double exigence d’indépendance et d’impartialité, il a pensé à cet enjeu.

L’indépendance n’est pas concevable pour le parquet puisqu’il est dans un lien de subordination hiérarchique. L’inscription de l’impartialité permettra de rétablir les impératifs auxquels sont soumis les magistrats du parquet. Encore plus que de leur rappeler à eux, ce sera un signal donné à tous sur ce qu’est l’exercice de l’action publique, au nom de tous.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai tenu à traiter ce sujet extrêmement important dans mon intervention à la tribune, je ne reviendrai pas sur les arguments que j’ai déjà avancés. J’ai exposé aux parlementaires les réserves que j’émettais sur cet ajout à l’article 31.

Je maintiens ces réserves mais j’entends la préoccupation du rapporteur, de la commission des lois et des députés. Je prendrai acte du vote qui va suivre : je m’en remets à la sagesse de votre assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. J’avoue que je ne comprends plus très bien, monsieur le rapporteur. Vous recommandez aux procureurs de faire preuve de vigilance quant à leurs propres conceptions, leurs propres idéologies. Voilà un très bon conseil, peut-être un vœu pieu : ils apprécieront quelles précautions vous prenez à leur égard. Ainsi, vous leur rappelez ce qu’est l’objectivité d’un magistrat du parquet, si besoin en était.

Est-ce à dire que nous aurons demain des procureurs indépendants ? Il n’y a plus d’instructions individuelles : sont-ils encore dépendants ? Sont-ils encore hiérarchisés ? Nous sommes en pleine eau trouble : je ne sais plus quel est vraiment le statut du procureur que vous nous proposez.

Permettez-moi de vous dire que le procureur, c’est quand même l’accusation. L’accusation est partiale, que vous le vouliez ou non. Elle défend un point de vue, par définition partial : il n’y a rien de déshonorant ou de péjoratif à dire cela. Le procureur défend la société et l’avocat, lui aussi partial, défend un intérêt privé particulier. Je ne comprends pas ce que vous voulez apporter de plus au procureur avec cette mention de l’impartialité.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je n’ai pas pris la parole tout à l’heure pour défendre mon amendement mais puisque notre rapporteur nous y invite, j’interviens maintenant, dans le même esprit que mon collègue Georges Fenech.

Tous ces mots sont sympathiques : ils ne me posent pas de difficultés. Mais que les choses soient bien claires : le procureur défend la société, il défend un ordre nécessaire, qui protège les petits et les faibles, il défend les victimes. Ne nous étonnons pas ensuite que les victimes aient de plus en plus tendance à se porter partie civile, réclament des droits et veuillent obtenir un jugement en appel : elles se sentent mal défendues par le procureur. C’est peut-être une attitude exagérée, je veux bien l’admettre, mais plus on cultivera ce genre de position, plus on donnera l’impression aux victimes que le procureur est au-dessus de tout cela et qu’il n’est pas là pour les défendre.

Il me semble important de rappeler ces réalités.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Je ne sais pas s’il faut reprendre les termes « robespierristes » de notre collègue Tourret, qui affirmait tout à l’heure que l’indépendance est une vertu et l’impartialité une qualité – ou l’inverse, peut-être !

Quoi qu’il en soit, nous pensons, au groupe SRC, que nous aurions raison aujourd’hui d’entendre les arguments à nouveau avancés par le rapporteur, d’une part parce que ce sujet avait été longuement débattu en commission, d’autre part parce que lui-même avait accepté de revenir sur sa version initiale, dans laquelle il faisait référence tout à la fois à l’indépendance et à l’impartialité. En l’occurrence, il s’agit de ce que l’on appelle en droit européen l’impartialité subjective, plutôt que l’impartialité objective qui renvoie davantage à la notion d’indépendance.

Ce texte permettant d’assurer l’impartialité, cette disposition paraît avoir toute sa pertinence. C’est la raison pour laquelle les députés du groupe SRC, entendant l’appel à la sagesse de la garde des sceaux et souhaitant en même temps se montrer solidaires des travaux du rapporteur, voteront dans le sens indiqué par notre collègue Le Bouillonnec.

M. Philippe Gosselin. Quelle belle explication !

(Les amendements identiques nos 12, 33, 58, 68, 80 et 90 ne sont pas adoptés.)

(L’article 1er bis est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements identiques, nos 17, 21, 36, 50, 71 et 84.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 17.

M. Marc Le Fur. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Les amendements nos 21, 36, 50, 71 et 84 sont également défendus.

Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable : ces amendements ont été repoussés pour tous les motifs que nous avons exposés à plusieurs reprises.

(Les amendements identiques nos 17, 21, 36, 50, 71 et 84, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements identiques, nos 15, 19, 34, 48, 59, 69 et 81.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 15.

M. Marc Le Fur. Le projet de loi originel prévoyait que le rapport annuel de politique pénale du procureur général soit communiqué au premier président de la cour d’appel et fasse l’objet d’un débat lors de l’assemblée générale des magistrats et du parquet.

Un amendement du rapporteur de la commission des lois du Sénat a supprimé cet alinéa et une nouvelle rédaction, moins ambitieuse, semble-t-il, a été proposée par la commission des lois de notre assemblée. L’objet du présent amendement est de revenir à la rédaction initiale du texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 19.

M. Georges Fenech. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 34.

M. Xavier Breton. La nouvelle rédaction issue de la commission des lois prévoit une simple information et non plus un débat.

Or, si l’on veut respecter la logique et l’état d’esprit de ce texte, alors ce débat autour du rapport annuel de politique pénale établi par le procureur général pourrait être intéressant pour en assurer la publicité et permettre de discuter de la mise en œuvre, localement et régionalement, de cette politique pénale.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n° 48.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cet amendement fait écho tant aux propos de M. Breton qu’à ceux de notre collègue Raimbourg sur l’article premier, concernant l’utilité et la grande nécessité d’un débat complet dans cette enceinte, notamment sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 59.

M. Nicolas Dhuicq. Juste une remarque, madame la présidente, sur le précédent débat : je me méfie lorsque la loi est à ce point précise qu’elle doit devenir extrêmement bavarde et ajouter termes sur termes.

Quant à la question du rapport, je pense, comme beaucoup de nos compatriotes, qu’à chaque loi, nous votons systématiquement rapport sur rapport, que personne ne lit et qui s’entassent ; et au bout du compte, on ne prend aucune décision.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n° 69.

Mme Marie-Christine Dalloz. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 81.

M. Philippe Gosselin. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je souhaite faire un simple rappel, qui vaudra également probablement pour l’article 3 – cela nous fera économiser du temps.

Nous avions complété le texte en première lecture en faisant obligation au procureur général de transmettre le rapport pour le faire examiner par l’assemblée générale des magistrats.

Nos collègues sénateurs ont repris ce dispositif. En effet, Jean-Pierre Michel, le rapporteur, a reconnu le bien-fondé d’un dispositif destiné à permettre aux magistrats du parquet de la juridiction, mais également aux magistrats du siège, de débattre de la politique pénale du Gouvernement, ce qui renforce la conception unitaire française de l’ordre judiciaire.

Il s’était toutefois interrogé sur l’opportunité d’introduire une telle disposition au sein du code de procédure pénale plutôt que dans le code de l’organisation judiciaire qui fixe les règles relatives aux assemblées générales de magistrats.

C’est sous le bénéfice de cette observation pertinente que nous avons rétabli une rédaction différente, allant dans le sens de notre premier texte, mais tenant compte de l’hypothèse d’une introduction dans le code de l’organisation judiciaire des modalités selon lesquelles l’assemblée générale peut évoquer le rapport du procureur général s’agissant de la cour d’appel, et du procureur de la République s’agissant du tribunal de grande instance.

Madame la garde des sceaux nous confirmera peut-être que lorsque l’on revisitera le code de l’organisation judiciaire, notamment ces éléments, l’on précisera de quelle manière l’assemblée générale examinera ces rapports et en débattra.

Tel est le sens de la rédaction que votre commission a approuvée hier. Compte tenu de son approbation, je propose d’écarter ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis également défavorable, pour les mêmes raisons.

Ces amendements de suppression sont assez étonnants, car ils portent sur une disposition qui conforte l’égalité de la politique pénale sur l’ensemble du territoire et la mobilisation de tous les acteurs.

Pour répondre à M. le rapporteur, je confirme que cela relève effectivement de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire, et qu’un décret sera donc nécessaire. Il sera pris dans les délais – vous avez pu vous rendre compte, depuis un an, que je veille à ce que les décrets soient publiés dans les délais – pour préciser les modalités de transmission et de discussion de ces rapports. Avis défavorable.

(Les amendements identiques nos 15, 19, 34, 48, 59, 69 et 81 ne sont pas adoptés.)

(L’article 2 est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements identiques, nos 18, 20, 35, 49, 70 et 82, visant à supprimer l’article 3.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 18.

M. Marc Le Fur. Je constate une fois de plus qu’il existe un vrai risque d’imprévisibilité de l’action publique, et un risque d’inégalité selon les régions. Je souhaite donc que Mme la garde des sceaux puisse nous rassurer.

Ce n’est pas un risque, mais déjà une réalité ! Chacun sait que, autour de Marseille, du fait de la masse des contentieux, les poursuites à l’égard des trafiquants de stupéfiants ne sont pas de la même nature et n’ont pas la même intensité que dans d’autres régions. En vérité, ce risque va s’accentuer avec votre politique – absence de cohésion nationale, absence d’instruction individuelle.

Cet amendement de suppression de l’article 3 constitue donc un amendement d’appel afin que des garanties nous soient données quant à la cohésion de l’action publique sur l’ensemble de notre territoire.

Je ne suis pas du tout dans la tradition jacobine, mais plutôt dans la tradition girondine ; il n’en demeure pas moins qu’il faut un minimum de cohésion sur notre territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 20.

M. Georges Fenech. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 35.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise à la suppression de l’article 3, dont le deuxième alinéa ainsi rédigé : « En tenant compte du contexte propre à son ressort, le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général. », soulève de nombreuses interrogations.

Entre l’uniformité totale sur l’ensemble du territoire et une adaptation qui pourrait vraiment se faire au cas par cas et de manière partielle, il existe en effet de nombreux degrés. Nous nous interrogeons sur la manière dont cela sera mis en œuvre.

Que le territoire et ses caractéristiques soient pris en compte, cela se comprend et ne peut se nier. Mais l’on peut tout de même s’interroger sur la précision et l’adaptation par le procureur général, car le mot « adapter » peut laisser une grande marge de manœuvre, ce qui pose problème.

Compte tenu de l’imprécision de la rédaction de cet article 3, et particulièrement de son alinéa 2, nous proposons la suppression de cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n° 49.

M. Jean-Frédéric Poisson. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n° 70.

Mme Marie-Christine Dalloz. Prenons quelques exemples : dans une tribune publiée dans un journal très respecté trois magistrats ont lancé un appel à ne pas voter la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Parallèlement, le président de la Conférence nationale des procureurs de la République a quant à lui écrit à plusieurs députés pour les inviter à voter le projet de loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas bien !

M. Marc Le Fur. C’est scandaleux !

Mme Marie-Christine Dalloz. Je voudrais rappeler une évidence : le procureur de la République met en œuvre dans son ressort la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice et du procureur général.

Vous allez adresser aux procureurs une instruction pour faire appliquer les mêmes règles pénales sur l’ensemble du territoire français. Je souhaiterais savoir comment, dans ces différents cas, seront appliquées la règle et la loi dans chacun de leurs ressorts ?

Nous sommes confrontés là à un véritable exemple de distorsion ou de différence de comportements. Dans l’application de la loi, ils n’auront pas le même comportement, la même attitude ni la même lecture des instructions générales. C’est un vrai problème, et c’est la raison pour laquelle il me semble cohérent de supprimer cet article 3.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 82.

M. Philippe Gosselin. « La République est une et indivisible. » – sans doute cette citation paraît-elle trop ancienne, aujourd’hui ! Cela signifie que la politique pénale doit être appliquée de manière uniforme à l’ensemble des justiciables.

Je me pose réellement et sincèrement la question : qu’en sera-t-il si les magistrats du parquet peuvent, en fonction de la masse des contentieux qui leur est présentée, de la capacité de gestion des dossiers pénaux, adapter la loi ?

Comment, « en tenant compte du contexte de son ressort », le procureur pourra-t-il mettre en œuvre la politique pénale et comment, sur l’ensemble du territoire, cette politique pénale pourrait-elle être appliquée ? Les instructions générales n’y suffiront pas si l’on doit tenir compte de son ressort.

Le droit pénal est un droit très particulier, qui nécessite une application uniforme à l’ensemble du territoire. C’est la concrétisation du principe d’égalité : la République ne se découpe pas en ressorts. Il importe naturellement que la loi soit intelligible et applicable ; mais elle doit surtout être compréhensible sur l’ensemble du territoire.

Comment expliquer à un justiciable qu’en fonction du ressort dans lequel il serait jugé ou serait victime, les poursuites pénales seraient différentes ? Cela créerait une atteinte très forte à ce principe d’égalité.

La question sous-jacente est la suivante : faudra-t-il dorénavant tenir compte non seulement de la « jurisprudence locale », mais aussi de la politique choisie par le parquet ? Très sincèrement, je pense qu’il y a là le plus lourd risque de rupture du principe d’égalité et d’atteinte à l’unité de la politique pénale en France.

Plus encore que les autres éléments, cet article 3 me paraît nécessairement devoir être supprimé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’article 3 indique dans quelles conditions la politique pénale est mise en œuvre au niveau des tribunaux de grande instance.

Je voudrais rappeler que l’article 2 donne compétence au procureur général pour animer et coordonner l’action des procureurs…

M. Marc Le Fur. Au niveau des cours d’appel !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Laissez-moi finir : c’est parce que vous ne lisez pas le texte jusqu’au bout que vous me posez des questions !

Le procureur général anime et coordonne l’action des procureurs de la République, dans tous les domaines. Il procède à l’évaluation de leur application de la politique pénale. Cela veut dire que le procureur général regarde ce que font les procureurs de la République et l’évalue. C’est le lien de subordination.

L’article 3 indique de quelle manière les procureurs de la République mettent en œuvre la politique pénale, en tenant compte du contexte propre à leur ressort. Mes chers collègues, ce que prévoit ce texte est lié à une réalité incontestable puisque, je me permets de vous le dire, en territoire urbain, en territoire rural, à la montagne, au bord de la mer, dans un site insulaire, outre-mer, on n’applique pas la politique pénale de la même manière.

M. Marc Le Fur. C’est déjà une difficulté !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’essentiel, c’est l’application de la politique pénale sur ces territoires. Sur ce point, chers collègues, je vous rappelle que le procureur de la République dispose de l’opportunité des poursuites.

Si vous commencez à donner des réponses à des questions qui ne sont posées que pour alimenter le débat, des questions qui remettent en question ce principe, cela veut dire que vous vous placez dans le dispositif de légalité des poursuites, c’est-à-dire l’obligation pour le procureur d’agir en toutes circonstances pour poursuivre : alors, il faut le dire.

Je me permets de vous indiquer que vous remettriez en question non seulement toute la conception française du parquet, mais l’institution judiciaire elle-même. Vous ne l’avez d’ailleurs jamais fait lorsque vous étiez aux responsabilités.

Dire qu’il y a une politique pénale, qu’elle doit être mise en œuvre par le procureur de la République qui est le seul à exercer l’action publique et qui le fait en tenant compte des réalités de son territoire relève d’une évidence que nous traduisons dans la loi.

Cela signifie la notation des substituts par le procureur, celle des procureurs par le procureur général et, demain, la présentation par le garde des sceaux, devant la représentation nationale, de son rapport sur la politique pénale et sur sa mise en œuvre.

Tout cela est parfaitement cohérent et ne dissout pas la politique pénale en négligeant l’exigence d’égalité des citoyens devant la loi : l’opportunité des poursuites est au cœur de l’action publique qui est exercée par des magistrats – des magistrats ! – impartiaux.

Tout cela est cohérent et c’est pourquoi nous avons repoussé vos amendements en commission ; il faut, bien entendu, maintenir cette position.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable. J’invite les parlementaires de l’opposition à quitter le monde d’avant… Il est vrai que cela faisait plus de dix ans qu’il n’y avait pas eu de circulaire générale de politique pénale. Je comprends tous les exemples que vous donnez de parquets généraux qui définissent eux-mêmes la politique pénale. Désormais, d’une part il y en a une, d’autre part les procureurs généraux l’adaptent, dans le cadre strict de la circulaire générale.

Je vous l’ai déjà dit, la preuve que les procureurs généraux ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire, c’est qu’en cas de nécessité, le garde des sceaux publie une circulaire territoriale de politique pénale, en tenant compte d’un ressort particulier et de la typologie de la délinquance qu’on y trouve. Pour illustrer ce que je suis en train de vous dire, il est arrivé que des ressorts adaptent la politique nationale. C’est ainsi qu’à Lille, nous avons mis le focus sur la lutte contre le racisme et les discriminations, et à Marseille, toujours dans le cadre de la circulaire générale, sur les mineurs et sur la lutte contre l’habitat indigne ou encore sur les avoirs criminels. Tout cela se fait à l’intérieur d’une même politique et il faut cesser de mettre de l’inquiétude dans l’esprit des Français en leur faisant croire que la politique pénale va se disloquer sur le territoire. Désormais, il y a une circulaire générale.

M. Nicolas Dhuicq. Tout va bien...

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Que le procureur général évalue, très bien ! Cela me paraît, dans tous les cas, une nécessité. Mais une évaluation ne suffit pas en soi à assurer l’unité, si on n’en tire pas les conséquences.

Il faudra le cas échéant modifier les circulaires de politique pénale, cela va être un jeu incessant de montée et de descente qui va créer une insécurité juridique préjudiciable à nos concitoyens.

Je sais qu’il n’y a pas uniformité du territoire, j’entends bien les arguments de Mme la garde des sceaux et de M. le rapporteur sur la nécessité d’adapter la politique nationale selon qu’on est à la montagne ou au bord de la mer. Chacun d’entre nous le comprend, c’est du bon sens. Ce qui nous inquiète, c’est que le texte tel qu’il est formulé sous-entend que les adaptations pourraient aller bien au-delà des simples explications données tout à l’heure. Cette formulation me paraît avoir des conséquences sous-évaluées, sous-estimées, et je crois qu’il serait plus sage que le Gouvernement nous propose une autre formulation. Je maintiens mon amendement de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Nous avons quand même des soucis en matière de délinquance. Ne laissons pas croire que tout va bien et que les voyous sont sanctionnés.

Monsieur le rapporteur, vous parlez d’or. Vous nous expliquez qu’il y a déjà de multiples forces centrifuges à l’œuvre, comme les contraintes respectives de chacun des ressorts. Il y a des endroits où la délinquance a pris des proportions telles…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il y a même des endroits où le parquet n’a pas les moyens d’agir, depuis des années !

M. Marc Le Fur. Peut-être, je ne le nie pas, mais nous savons aussi qu’il y a déjà des substituts plus répressifs ou plus laxistes que d’autres. Il en va de même du côté du siège : on se rappelle d’un juge pour enfants en Seine-Saint-Denis dont on connaissait la générosité, la gentillesse : on l’appelait Papa Noël… Il a d’ailleurs eu – et nous lui en savons gré – un éclair de lucidité au moment du débat sur le mariage, car là il a parfaitement compris qu’il fallait malgré tout conserver un certain nombre de principes.

Il n’en demeure pas moins qu’en présence de toutes ces forces centrifuges, il nous faut une cohérence. Nous revenons au cœur du texte : je crois que vous l’atténuez en incitant les procureurs généraux à tenir compte des circonstances particulières de leur ressort. Veillons à ce qu’il y ait une cohérence nationale, c’est déjà très difficile, même avec des instructions, même avec une hiérarchie. Au moins, conservons ce qui peut se faire.

(Les amendements identiques nos 18, 20, 35, 49, 70 et 82, mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’une nouvelle série d’amendements identiques, nos 9, 14, 30, 44, 55, 65 et 77.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 9.

M. Georges Fenech. Je voudrais bien savoir pourquoi, à partir du moment où vous supprimez les instructions individuelles, vous maintenez l’obligation pour les procureurs de vous adresser des rapports individuels. Il faut respecter le parallélisme des formes : plus d’instructions individuelles, plus de rapports individuels.

Actuellement, quand une affaire est dite « signalée », le procureur fait un rapport au procureur général, lequel vous adresse un rapport. Très bien, mais qu’est-ce que vous allez en faire, puisque vous ne pouvez pas donner d’instructions individuelles ? Vous allez peut-être répondre que cela va nourrir une réflexion générale pour une politique générale… On voit très bien l’utilité de tous ces rapports. Je crois donc que, dans un souci de parallélisme des formes, il faut supprimer aussi les rapports individuels. Et dans l’hypothèse où vous les maintiendriez, au moins versez-les aux dossiers pour que ce soit transparent et soumis à la contradiction de toutes les parties au procès.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour présenter l’amendement n° 14.

M. Marc Le Fur. Mon collègue Fenech a dit ce qu’il fallait dire. Vous êtes en pleine contradiction. À partir du moment où vous supprimez les instructions individuelles, il n’y a aucune raison qu’il y ait des remontées d’information, si ce n’est pour remplir les armoires, occuper le temps d’un certain nombre d’administrateurs ou de magistrats en administration centrale : cela n’a pas de sens.

Je ne vois pas très bien l’intérêt de ce dispositif. Et si ces remontées d’information sont très particulières, sur certaines affaires, il faut évidemment que l’ensemble des parties en aient connaissance. Il faut que ces rapports soient versés au dossier. Sinon, votre contradiction est totale.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n° 30.

M. Xavier Breton. On voit bien qu’il y a une contradiction, puisqu’il y aura des rapports particuliers, c’est-à-dire relatifs à des affaires, dont on peut se demander quelle va être l’utilité. Si on peut comprendre l’intérêt d’une remontée d’information, elle peut se faire à travers des rapports thématiques ou généraux. S’il s’agit de rapports particuliers, cela pose vraiment une question importante : à tout le moins, on doit prévoir, comme le précise mon amendement, que tout rapport particulier doit être versé au dossier de la procédure, sinon il y aurait une dissymétrie troublante.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n° 44.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 55.

M. Nicolas Dhuicq. Ce texte crée de l’aléatoire, à tel point qu’au dernier article, un collègue de la majorité défendra un amendement pour préciser qu’il s’applique sur l’ensemble du territoire de la République…

Quelle est la portée d’une loi si elle ne s’applique pas par définition sur l’ensemble du territoire de la République ? Vous êtes en pleine contradiction, en pleine défiance par rapport aux magistrats – et peut-être par rapport au Gouvernement, qui est relativement secoué, divers, dispersé, peu cohérent, parfois méprisant avec sa propre majorité –, néanmoins vous continuez à vouloir un système bavard,…

Mme Luce Pane. Vous avez dit bavard ?

M. Nicolas Dhuicq. …avec des rapports dans tous les sens, que personne ne lira, et au bout du compte, vous organisez l’arbitraire local, parce que vous détruisez l’État central.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n° 65.

Mme Marie-Christine Dalloz. Si ce texte supprime purement et simplement l’instruction individuelle, on comprend mal pourquoi vous tenez à ce système des rapports particuliers dans lequel le procureur de la République, soit à son initiative, soit à la demande du procureur général, peut vous adresser des rapports particuliers qui ne seront pas versés à la procédure. Sincèrement, s’agissant du parallélisme des formes, il y a un vrai problème.

Vous parlez souvent de « justice » pour définir vos différentes politiques : pour une vraie justice, il faudrait supprimer cette possibilité ou, à tout le moins, faire en sorte que ces rapports soient versés au dossier. Cela serait cohérent.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n° 77.

M. Philippe Gosselin. Puisque depuis quelques mois, avec l’affaire Cahuzac, le grand mot à la mode est « transparence, transparence ! », jouons la transparence !

M. Guy Delcourt. Oh, ça va !

M. Philippe Gosselin. À partir du moment où il y a des rapports particuliers, qu’ils soient publics et que chacun puisse en avoir connaissance : cela me paraît la meilleure solution, c’est ainsi qu’on assurera le respect des droits de la défense. C’est un principe qui me paraît aussi essentiel que celui de transparence.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vous faites une confusion volontaire – volontaire non pas dans l’intelligence que vous avez du texte, mais dans la volonté de prolonger nos débats. Ce dont nous parlons, ce ne sont pas des rapports que le garde des sceaux donnerait aux procureurs de la République, mais des rapports que les procureurs de la République transmettent au procureur général en vue de l’évaluation de la politique pénale poursuivie dans leurs ressorts.

C’est uniquement cela et donc je ne vois pas pourquoi ce rapport pose problème. Il y a une confusion délibérée de votre part entre la suppression des instructions individuelles et le rapport particulier – qui n’est pas, je tiens à le souligner, un rapport sur une affaire particulière. La procédure mise en place consiste en réalité à provoquer la remontée d’informations sur les modalités de mise en œuvre de la politique pénale dans son ressort par le procureur de la République au procureur général. C’est très exactement ce que signifie cet alinéa et c’est pourquoi je vous propose de rejeter ces amendements comme ils l’ont déjà été en commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces mêmes amendements ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Selon le rapporteur, un rapport particulier n’est pas un rapport sur une affaire particulière. Le rapport de la commission, enregistré le 21 mai dernier, indique pages 22 et 23, au sujet des articles 2 et 3, que, « plus qu’elles n’innovent, ces dispositions tendent à conforter la pratique existante en matière de remontée d’information, dans le souci de nourrir en particulier la réflexion du garde des sceaux dans la définition des instructions générales de politique pénale adressées ensuite aux magistrats du ministère public ». Et, comme l’avait souligné à juste titre le rapport de la commission de réflexion sur la justice présidée par Pierre Truche : « la politique nationale se nourrit des informations venues des parquets et parquets généraux à l’occasion d’affaires particulières et par un rapport annuel ».

Il y a donc effectivement un rapport annuel et des rapports particuliers qui concernent bien des affaires particulières, puisque vous vous appuyez sur le rapport de la commission Truche. Encore une fois, vous-même, dans votre explication, indiquez qu’il s’agit d’un rapport fait à l’occasion d’affaires particulières.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est vous qui ajoutez les mots « affaires particulières » !

(Les amendements identiques nos 9, 14, 30, 44, 55, 65 et 77 ne sont pas adoptés.)

(L’article 3 est adopté.)

Article 4

Mme la présidente. Nous en venons à l’article 4. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir l’amendement n° 24.

M. Sébastien Denaja. À l’issue de la première lecture, le texte devait être « applicable sur l’ensemble du territoire de la République ». Les sénateurs ont changé la version initiale, le texte devant désormais être « applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna ». Or si la garde des sceaux n’oppose aucun obstacle juridique à la première version qui, j’y insiste, prévoit une application pleine et entière du texte sur l’ensemble du territoire de la République, donc dans ces territoires ultramarins, nous souhaitons vivement le rétablissement de la rédaction initiale.

M. Philippe Gosselin. La République est indivisible !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je suis désolé, cher collègue Denaja, mais l’avis de la commission est défavorable. Je précise à notre collègue Dhuicq qu’il est inexact de dire que toutes les lois s’appliquent sur l’ensemble du territoire de la République. Plusieurs de nos collègues savent très bien qu’un certain nombre de dispositions ne s’appliquent pas de plein droit sur certains territoires qui ont un statut particulier et qui sont autorisés par la loi, y compris la loi constitutionnelle, à légiférer, de telle sorte que la précision que l’on apporte à cet égard dans les textes de loi a une importance considérable.

Sur le fond, ou bien l’on déclare qu’un texte s’applique sur tout le territoire, ou bien l’on déclare qu’il s’applique sur les territoires sur lesquels il pourrait ne pas s’appliquer. À la rédaction initiale qui prévoyait une application sur l’ensemble du territoire de la République, les sénateurs ont préféré mentionner la liste des collectivités dans lesquelles le texte pourrait ne pas s’appliquer et dans lesquels il va s’appliquer. Nous nous en sommes remis à la version du Sénat simplement parce que, sur le plan légistique, tout le monde pensait qu’il s’agissait de la plus pertinente, cher Sébastien Denaja.

La rédaction nous paraissant meilleure, il nous a paru plus intéressant de la garder. Voilà pourquoi, avec regret et humilité, au nom de la commission, j’ai donné un avis négatif.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les deux formules sont également recevables. La précision apportée par le Sénat a généralement du sens dans le cas de compétences partagées entre l’État et le territoire, ou bien en cas de transfert de compétences, ou encore quand un transfert est en cours. Par exemple, nous avons terminé le transfert de compétences pour la Nouvelle-Calédonie, l’échéance étant fin juillet 2013. La dernière ordonnance est passée en conseil des ministres il y a deux semaines. Les contrats sont une matière qui relève de la compétence des territoires. On précise dès lors, le cas échéant, que le dispositif en question ne s’applique pas sur tel ou tel territoire. Le droit des personnes est une matière qui, elle, s’applique sur l’ensemble du territoire et il n’est pas nécessaire de préciser.

Aussi votre observation est-elle parfaitement pertinente, monsieur le député, parce que le texte peut entrer dans le cas de figure que vous mentionnez. Le Sénat a souhaité préciser que le texte s’appliquerait dans les territoires qui relèvent de l’article 74 de la Constitution, donc de la spécialité législative. Cela ne me paraît pas indispensable. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de l’Assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Nous parvenons au terme de cette deuxième lecture et je souhaite vous dire, madame le garde des sceaux, qu’avec ce texte vous portez un mauvais coup à la justice.

M. Michel Issindou. Tout de suite les grands mots !

M. Georges Fenech. Vous affaiblissez l’action publique, vous désarmez le bras de Thémis.

M. Pascal Popelin. Rien que ça !

M. Georges Fenech. D’une République une et indivisible, vous faites des républiques judiciaires avec à leur tête des roitelets. Vous créez une rupture d’égalité des citoyens devant la loi. Votre réforme n’était souhaitée par personne, ni par les Français ni par les avocats ni par les magistrats ni par les justiciables ; mais, le rapporteur l’a rappelé, le Président de la République l’a voulue. Dont acte. C’est dire au passage l’importance que vous accordez au rôle du Parlement : nous nous soumettons à la volonté du Président de la République et, d’une certaine manière, nous affaiblissons la hiérarchie et l’institution judiciaire. C’est tout ce que je souhaitais dire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vous oubliez un peu vite votre attitude pendant le précédent quinquennat !

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Je souhaite préciser que le rapporteur n’a pas à être désolé de l’avis défavorable de la commission. C’est moi qui suis désolé pour lui puisqu’il s’agissait de revenir à la version initiale du texte que, sous sa houlette, nous avions votée. Mais ayant entendu les propos de la garde des sceaux sur le fait que les deux formulations étaient recevables, j’en suis encore moins désolé. Cela étant, elle s’en remet à notre sagesse et comme nous ne souhaitons pas heurter nos collègues et amis sénateurs, je retire cet amendement. (« Oh non ! » sur les bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n° 24 est retiré.)

M. Marc Le Fur et M. Jean-Frédéric Poisson. L’Assemblée n’est pas aux ordres du Sénat !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Si nous avons d’ores et déjà des doutes sur les territoires sur lesquels la loi serait applicable et si l’on se rappelle l’alinéa 2 de l’article 3 qui évoque le contexte particulier des ressorts, on n’est pas prêt de parvenir à une uniformité sur le territoire.

Je conclurai en soulignant, moi aussi, que Thémis a été très malmenée cet après-midi et ce soir et qu’il existe un risque réel d’atteinte à l’unité de la politique pénale, donc à l’égalité entre nos concitoyens. Je croyais encore, pour ma part, aux vertus de la République, à l’égalité, à la liberté, mais, j’y insiste, un des éléments a été ce soir malmené.

(L’article 4 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je vais maintenant mettre aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien dommage…

2

Élections des conseillers de Paris

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Jacques Urvoas, relative à l’élection des conseillers de Paris (nos 1145,1172).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il y a cinq mois, nous entamions l’examen de la réforme des modes de scrutins locaux, qui traduisait, parmi d’autres textes, l’ambition du Gouvernement et de la majorité de moderniser la vie territoriale de notre pays.

Nous proposions d’introduire dans ce texte un cadre clair et transparent, de nature à permettre au pouvoir exécutif de procéder à l’indispensable redécoupage des cantons dont les contours très historiques dérogeaient par trop au principe d’égalité devant le suffrage. En plaçant le critère démographique au cœur de ce travail de remodelage, nous faisions le choix de la neutralité et de la prudence juridique. Nous nous conformions aux exigences posées par la Constitution et par la jurisprudence de plus en plus stricte du Conseil constitutionnel.

Nos collègues de l’opposition avaient alors pris le parti de multiplier les mauvais procès,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ne commencez pas, monsieur le rapporteur !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …avec panache, parfois, endurance toujours, mais aussi une copieuse dose de mauvaise foi. Ils s’étaient ainsi émus à l’unisson de l’interprétation trop sévère, inflexible, que nous faisions à leurs yeux, de la jurisprudence selon laquelle il ne peut être dérogé aux critères essentiellement démographiques de tout découpage sur le territoire de la République française que de manière ponctuelle dans des limites n’excédant pas plus ou moins 20 % d’écart par rapport à la population moyenne des circonscriptions électorales concernées.

Dès la première lecture, M. Olivier Marleix résumait ainsi la pensée dominante de l’ensemble de l’opposition : « Vos arguments consistant à dire que la jurisprudence du Conseil constitutionnel vous contraint sont inexacts. Vous en faites une interprétation exagérée, en toute conscience. [...] Vous savez que vous avez la possibilité juridique de dépasser ce seuil de 20 %. Il faudra bien que vous nous entendiez, aujourd’hui ou demain. »

Mes chers collègues, nous vous avons effectivement longuement entendus vous obstiner dans ce déni de la réalité juridique. Force est de reconnaître que la décision du Conseil constitutionnel du 16 mai dernier, Conseil que vous-mêmes avez saisi, rappelle à chacun une réalité qui s’impose à tous, qu’il s’agisse des modalités du futur redécoupage cantonal ou de la répartition des conseillers de Paris. En décidant de censurer la nouvelle clé de répartition proposée pour la capitale, mais aussi le tableau de 1982, le juge constitutionnel ne fait en effet que durcir davantage sa jurisprudence.

Le Conseil constitutionnel nous invite à aller jusqu’au bout de la logique que nous avons développée depuis le départ. Tel est l’objet de la proposition du président Urvoas.

En trente ans, Paris a accueilli plus de 67 000 nouveaux habitants. Certains arrondissements se sont dépeuplés, comme le IVe, le VIe, le VIIe et le VIIIe arrondissements, quand d’autres ont connu une importante croissance démographique, en particulier les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements, qui ont absorbé la quasi-totalité de la hausse de la population parisienne.

M. Philippe Goujon. Et le XVe ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. La répartition imaginée en 1982 n’avait jusqu’ici connu aucune modification et devenait, de ce fait, éloignée des réalités démographiques de la capitale.

Par le biais de l’article 30 de la réforme des modes de scrutins locaux, le Gouvernement avait pour ambition de rectifier ces déséquilibres. Il l’avait fait en conservant les principes posés et validés à l’époque dans le cadre de la loi « PLM » de 1982, qui comprenaient un nombre minimum de trois sièges par arrondissement. Comme le Conseil constitutionnel l’a indiqué avec une grande clarté, ce seuil ne saurait être conservé car il rend mathématiquement impossible le respect de l’égalité devant le suffrage. C’est donc à raison que la répartition proposée par le président Urvoas fait sauter ce verrou.

Je veux donc remercier nos collègues auteurs de la saisine, sans doute animés de la volonté de rendre hommage à la première fiction cinématographique de Louis Lumière : non seulement la décision du Conseil constitutionnel appuie indéniablement l’intention initiale du Gouvernement de revoir une répartition totalement inadaptée, mais elle fournit des éléments de méthode qui deviennent dès lors inattaquables.

M. Philippe Goujon. N’oubliez pas que le Conseil constitutionnel vous a tout de même censurés !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Fallait-il profiter de cette décision pour tout changer ? Nous avons préféré nous en tenir au respect de la tradition républicaine selon laquelle on ne change pas les règles d’un scrutin dans l’année qui le précède. Nous sommes tenus juridiquement de procéder à un ajustement, mais ces modifications se doivent d’être les plus limitées possibles. Le président Urvoas a ainsi fait preuve d’une grande sagesse,…

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Comme d’habitude !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …comme l’y invitait la coutume républicaine. Tout en assurant le respect du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage et en répondant au vide juridique laissé par la décision du Conseil constitutionnel, sa proposition ne touche donc ni à la sectorisation par arrondissements ni à l’effectif du conseil de Paris, pas plus qu’au mode de scrutin en vigueur depuis plus de trente à Paris mais aussi, je vous le rappelle, à Lyon et à Marseille.

Pour la moitié des arrondissements parisiens, le texte ne prévoit aucun changement. Quant aux autres, les évolutions démographiques contrastées qu’ils ont connues au cours des trente dernières années justifient pleinement l’évolution du nombre de leurs conseillers.

L’article 1er prévoit ainsi que seuls 6 sièges sur 163 feront l’objet d’une redistribution. Le 1er arrondissement perdra deux sièges, les 2e et 4e arrondissements en perdront un chacun, de même que les 8e et 17e arrondissements ; les 10e, 15e, 18e, 19e et 20e arrondissements se verront attribuer les sièges correspondant. Ces modifications sont cohérentes avec les évolutions démographiques observées dans la capitale depuis 1982.

La méthode retenue pour cette redistribution est en outre simple et transparente : il s’agit d’une répartition à la proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne – comme c’est le cas depuis 1982 – rectifiée à la marge par un correctif démographique appliqué sur deux sièges, pour réduire les écarts à la moyenne restants et respecter ainsi la jurisprudence constitutionnelle.

Au regard de cette jurisprudence, le changement envisagé constitue un progrès indéniable. Alors qu’auparavant trois arrondissements se situaient en dehors des limites admises par le Conseil constitutionnel, la nouvelle répartition permet de réduire ces écarts à la moyenne. Tandis que les écarts allaient précédemment de - 15 à + 58 %, cette amplitude sera désormais amoindrie, avec une fourchette allant de - 4,47 % à + 25,7 %. Tous les conseillers de Paris représenteront donc un nombre d’habitants plus proche les uns des autres, et la voix de chaque Parisien aura un poids plus équitable. En redistribuant six sièges seulement, nous nous rapprochons donc considérablement de l’idéal démocratique.

Il demeure néanmoins que les habitants du 1er arrondissement se trouveront, avec cette nouvelle répartition, légèrement sous-représentés, puisque leur unique élu représente 17 308 électeurs, pour une moyenne de 13 766 habitants par élu dans l’ensemble de la capitale. Mais l’exigence démocratique se heurte ici aux contraintes de l’arithmétique : si l’on ajoutait un conseiller de Paris au 1er arrondissement, l’écart à la moyenne serait non plus de + 25 %, mais de – 37 %, ce qui n’est pas envisageable.

La proposition du président Urvoas est donc la seule solution possible. Elle est fondée sur le bon sens, et de surcroît, elle prend en compte tous les éléments qui s’imposaient à cette réforme : elle consacre un plus grand respect du principe d’égalité devant le suffrage et n’apporte que des modifications de portée limitée, compte tenu du calendrier électoral.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter en l’état cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, il nous faut aujourd’hui légiférer, pour fixer le nombre et la répartition des 163 sièges de conseillers de Paris dans les vingt arrondissements de la commune de Paris.

Lorsque je vous ai présenté la légère modification qui figurait dans le projet de loi sur les scrutins départementaux, communaux et intercommunaux, le Gouvernement pensait réellement que cette actualisation ne posait pas de problème constitutionnel, précisément parce que nous respections le plancher de trois conseillers par arrondissement figurant dans la loi de 1982, loi qui avait été validée par le Conseil constitutionnel à l’époque.

Mais le Conseil de 2013 n’est pas le Conseil de 1982.

M. Bernard Debré. On dirait !

M. Manuel Valls, ministre. Il a considérablement densifié sa jurisprudence et – c’est un élément fondamental de son évolution – il a souligné de plus en plus nettement son rôle de gardien de l’égalité du suffrage, donc sa vigilance en matière d’égalité de représentation dans toutes les circonscriptions. Dans sa décision du 16 mai 2013, le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble de la loi sur le scrutin départemental et intercommunal, en particulier ce qui touche à l’égalité du suffrage, qui avait pourtant été parfois contestée dans cet hémicycle, mais il nous a dit que le projet de loi n’allait pas assez loin pour ce qui concerne Paris. Sa censure de l’article consacré à la capitale est donc une incitation – et même une obligation – à aller plus loin dans l’égalité de représentation des Parisiens, arrondissement par arrondissement.

Le Conseil constitutionnel a considéré qu’en conservant un nombre minimal de trois conseillers de Paris par arrondissement, le législateur avait maintenu dans les 1er, 2e et 4e arrondissements, un rapport du nombre des conseillers de Paris à la population de l’arrondissement qui s’écartait de la moyenne constatée à Paris dans une mesure « manifestement disproportionnée ».

La proposition de loi du président Urvoas que nous examinons aujourd’hui, et qui a été excellemment rapportée par M. Pascal Popelin, a ainsi pour objet d’établir un nouveau tableau, conforme au principe d’égalité devant le suffrage défini par le Conseil constitutionnel, sans augmenter le nombre global de conseillers de Paris et sans modifier ni la composition des conseils d’arrondissement, fixée au minimum à dix conseillers d’arrondissement, ni leur fonctionnement.

Compte tenu de la proximité des élections municipales, ce nouveau tableau permettra de prendre acte de la décision du Conseil constitutionnel, sans pour autant bouleverser – le rapporteur l’a souligné – le régime électoral parisien. Il permettra également de conserver le parallélisme entre les régimes électoraux de Paris, Lyon et Marseille, sans augmenter le nombre des conseillers de Paris. Le choix a été fait de conserver la méthode de calcul employée en 1982, c’est-à-dire de répartir les sièges entre les arrondissements à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Cette méthode est également celle qui avait prévalu pour la répartition des conseillers municipaux à Lyon et à Marseille.

Pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, le nouveau tableau ne peut toutefois s’en tenir strictement à la méthode mathématique. En effet, dans les trois premiers arrondissements, l’application de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ne permet pas de respecter le bornage démographique mis en exergue par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence relative au principe d’égalité devant le suffrage. Ainsi, avec une application mathématique stricte, le 1er arrondissement présente un écart à la moyenne de 26 %, le 2e arrondissement de 67 %, et le 3e arrondissement de 29 %.

Il est dès lors nécessaire d’appliquer un correctif dans ces arrondissements, pour se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le respect des écarts manifestes à la moyenne. Un tel correctif apporté à la méthode de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne avait d’ailleurs été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision de juillet 1987, relative à la répartition des sièges au conseil municipal de Marseille.

Un siège supplémentaire est en conséquence attribué aux 2e et 3e arrondissements, qui obtiennent dès lors respectivement deux et trois sièges. Cette nouvelle attribution permet de respecter l’égalité démographique, puisque l’écart à la moyenne est ramené à - 16 %- dans le 2e arrondissement et à - 14 % dans le 3e arrondissement. Pour respecter le nombre actuel de conseillers de Paris, les deux sièges redistribués sont retirés aux derniers arrondissements bénéficiaires dans la répartition à la plus forte moyenne, soit le 12e et le 20e arrondissements.

Mme Sandrine Mazetier. Oui, ce sont les miens…

M. Manuel Valls, ministre. En revanche, le nombre de sièges du 1er arrondissement n’est pas modifié, car la réattribution d’un siège aggraverait la représentativité dans cet arrondissement qui passerait de + 26 % à - 37 %, avec pour effet une perte de sièges dans le 15e arrondissement.

M. Philippe Goujon. Ah, tout de même.

M. Manuel Valls, ministre. Au total, à moins d’un an de la prochaine élection des conseillers de Paris, le présent texte permettra ainsi de tenir compte de l’évolution démographique intervenue depuis la loi de 1982 relative à l’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, dans le respect – j’y insiste – des équilibres démographiques, et sans modifier l’organisation administrative de la commune de Paris.

Nous aurions pu faire un choix plus radical et réunir dans un seul et même arrondissement les 1er, 2e et 4e arrondissements, et éventuellement le 3e. Ce choix était constitutionnellement sûr, mais il bouleversait le cadre auquel les Parisiens sont désormais habitués et il supprimait trois ou quatre mairies d’arrondissement. Le Gouvernement a donc préféré faire un choix plus équilibré : le maintien des arrondissements, conjugué avec l’adaptation démographique.

Certes, il est un arrondissement, le 1er, qui s’écarte de l’écart à la moyenne – plus ou moins 20 % – auquel est attaché le Conseil constitutionnel. Mais nous considérons qu’il y a un motif d’intérêt général à assurer la représentation de chaque arrondissement, à assurer la lisibilité du scrutin dans un cadre dont les électeurs ont l’habitude et qu’ils connaissent, surtout à moins d’un an des élections municipales, dès lors que l’écart à la moyenne n’excède pas 26 % et est limité à un seul arrondissement.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, le sens du texte que nous examinons aujourd’hui, et que nous devons au président de la commission des lois. Le Gouvernement le remercie d’avoir permis que nous procédions rapidement, dès aujourd’hui, à l’examen de ces dispositions, sous la forme d’une proposition de loi.

Je crois que le bon sens, la stabilité des règles électorales, la juste représentation des électeurs et des arrondissements plaident pour une adoption rapide et, j’ose l’espérer, dans un esprit de grand consensus. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la proposition de loi relative à l’élection des conseillers de Paris ;

Suite de la proposition de loi tendant à modifier la loi relative à la bioéthique en autorisant, sous certaines conditions, la recherche sur l’embryon.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)