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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 9 octobre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Denis Baupin

1. Régulation économique outre-mer

Rappel au règlement

M. Didier Quentin

M. le président

Présentation

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer

Mme Ericka Bareigts, rapporteure de la commission des affaires économiques

M. Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer

Discussion générale

M. Serge Letchimy

M. Didier Quentin

M. Philippe Gomes

M. François-Michel Lambert

Mme Annick Girardin

Mme Huguette Bello

Mme Chantal Berthelot

M. Daniel Gibbes

Mme Sonia Lagarde

M. Thierry Robert

M. Bruno Nestor Azerot

Mme Catherine Vautrin

M. Ary Chalus

Présidence de Mme Catherine Vautrin

M. Gabriel Serville

Présidence de M. Denis Baupin

M. Jean Jacques Vlody

Mme Pascale Got

Mme Gabrielle Louis-Carabin

Mme Marie-Lou Marcel

M. Jean-Philippe Nilor

M. David Vergé

M. François Pupponi

M. Boinali Said

Mme Frédérique Massat

M. Alfred Marie-Jeanne

M. Ibrahim Aboubacar

Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Mme Monique Orphé

Mme Audrey Linkenheld

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Régulation économique outre-mer

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer (nos 233, 245, 243).

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour un rappel au règlement.

M. Didier Quentin. Mon rappel au règlement est fondé sur l’article 58-1. Ces dernières semaines, le groupe UMP a déjà eu l’occasion de faire quelques rappels au règlement pour s’étonner de l’organisation des séances. Force est de constater que ces observations n’ont malheureusement pas été entendues ! Aujourd’hui, la séance a été levée à dix-sept heures trente, après les votes solennels, et elle ne reprend que maintenant, à vingt-et-une heure trente. Nous aurions donc pu commencer l’examen de ce texte dès cet après-midi si la conférence des présidents en avait ainsi décidé ce matin. Cela représente une perte de temps que nous sommes nombreux à regretter, d’autant qu’il est toujours prévu d’ouvrir des séances vendredi pour terminer l’examen de ce texte sur la régulation économique de l’outre-mer si le temps nous manque demain soir.

C’est pourquoi nous demandons solennellement au Gouvernement d’organiser à l’avenir de manière plus optimale l’examen des textes en séance publique.

M. le président. Comme vous l’avez indiqué, cet horaire a été décidé par la conférence des présidents, et personne n’a fait de remarque à ce sujet.

Par ailleurs, permettez-moi une taquinerie : je trouve que cet horaire convient particulièrement à nos compatriotes d’outre-mer, en tout cas pour certains d’entre eux…

M. Didier Quentin. À cause du décalage ?

M. le président. Exactement. Du fait du décalage horaire, certains peuvent suivre ce débat en direct, à des heures qui leur conviennent peut-être mieux.

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre des outre-mer.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame le rapporteur ou plutôt la rapporteure – je sais que vous préférez…

Mme Ericka Bareigts, rapporteure de la commission des affaires économiques. En effet !

M. Victorin Lurel, ministre. Je ne dirai pas : « la rapporteuse »… (Sourires.)

Mesdames et messieurs les députés, les outre-mer nous regardent et nous écoutent. Au moment où il vous revient d’examiner le projet de loi de régulation économique dans les outre-mer, il y a dans ces territoires de la République une espérance qui ne veut pas être déçue : l’espérance de nous voir réussir là où tant d’autres avant nous n’ont pas pu – ou n’ont pas su – apporter les réponses à cette réalité douloureuse et à cette injustice flagrante qui frappent durement, depuis longtemps, nos compatriotes, et qu’une expression très explicite a fini par résumer en deux mots : la « vie chère ».

Mesdames et messieurs les députés, la longue marche vers l’égalité réelle que constitue l’histoire des outre-mer dans la République marque ce soir une étape importante, ici, dans cette Assemblée.

J’ai pu mesurer l’élan que cette espérance, ô combien précieuse en des temps où tant de citoyens désespèrent de la politique, peut donner à l’action publique, de Saint-Denis à Fort-de-France, de Mamoudzou à Pointe-à-Pitre en passant par Cayenne. J’ai pu aussi l’entendre s’exprimer avec force par la voix des élus de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna, de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Car partout dans ces territoires des outre-mer français, pourtant baignés d’océans différents et avec des histoires si diverses, il y a ce constat partagé d’écarts de prix considérables avec ceux pratiqués ici, dans l’Hexagone, pour des produits de grande consommation. Je rappelle les chiffres maintes fois entendus : les écarts de prix s’échelonnent de 22 % à 38,5 % selon les données INSEE de 2010 pour les seuls produits alimentaires, alors que le revenu médian outre-mer est inférieur de 38 %.

Si l’espérance de nos compatriotes est aujourd’hui si vive et si puissante, c’est parce que le texte soumis aujourd’hui à votre examen a cheminé depuis trois mois et qu’il a, au fil des jours, révélé quelque chose de suffisamment rare pour être souligné : une convergence sur la réalité des écarts de prix, mais surtout – et c’est plus inattendu –, un consensus sur la nécessité pour les pouvoirs publics, et en premier lieu pour l’État, d’agir sur les structures mêmes des économies outre-mer pour changer durablement les choses.

Nous avons choisi d’agir en instillant une belle dose de concurrence dans ces économies qui, pour des raisons historiques et – disons-le aussi – politiques, se sont plutôt structurées autour de monopoles ou d’oligopoles sinon de distribution, en tout cas d’importation.

Mesdames et messieurs les députés, nos compatriotes des outre-mer nous regardent et nous écoutent en se demandant si, enfin, nous sommes décidés à agir résolument contre ce qui pèse si lourd dans leur vie quotidienne déjà rendue si difficile par la dure crise économique que nous connaissons tous.

Cette urgence et cette impatience, le Président de la République les a comprises, lui qui s’était rendu plusieurs fois outre-mer ces deux dernières années. Il y a pris des engagements qu’il convient de rappeler à cette tribune : lutter contre les monopoles et les marges abusives, renforcer les instances de contrôle et les observatoires des prix et des revenus, lutter contre les exclusivités accordées aux agences de marques, créer des plateformes logistiques mutualisées pour la distribution alimentaire et artisanale, mettre en place un bouclier qualité-prix, encourager les circuits courts de distribution, favoriser la mise en marché des productions locales, et favoriser l’organisation des consommateurs. Le Premier ministre et le Gouvernement m’ont chargé de mettre en œuvre ces engagements, qui se trouvent traduits dans le projet de loi sur la régulation économique dans les outre-mer qui constitue – je le rappelle – une première étape.

Je l’ai dit : ce texte a cheminé durant trois mois, pendant lesquels il a été mis entre les mains de l’ensemble des acteurs de la vie économique et sociale des outre-mer, mais aussi de l’ensemble des élus locaux. Nous avons écouté leurs objections, leurs observations et leurs propositions dans le cadre d’une concertation exemplaire de la méthode que souhaite employer le Gouvernement. Depuis sa mise en ligne dans les premiers jours du mois d’août, il a d’ailleurs été très significativement modifié. Ces modifications n’ont pas porté sur sa philosophie générale, car il s’agit de lutter contre la vie chère, non plus en s’attaquant simplement aux symptômes, comme cela a pu être le cas jusqu’ici, mais en ciblant les causes réelles, aujourd’hui bien identifiées, de la vie chère dans les outre-mer. Nous ne pouvions nous départir de cette philosophie générale car elle est fondatrice de notre action. Je crois, d’ailleurs, qu’elle a été comprise au regard des approbations reçues qui transcendent très largement les courants politiques et les différents groupes d’intérêt.

En revanche, ce texte a été enrichi et, dans une très large mesure, perfectionné. Comme j’aime à le dire, il est devenu le produit d’une intelligence collective en mouvement en laquelle je crois beaucoup. Le Parlement a effectué un travail absolument remarquable auquel je tiens à rendre très solennellement hommage. Le Sénat a contribué à rendre encore plus opérationnels les outils de régulation que nous avions imaginés. L’Assemblée nationale, sur d’autres points, a proposé d’apporter des améliorations particulièrement bienvenues pour l’efficacité de nos dispositifs. Je félicite pour le travail précieux qu’ils ont fourni, en sagesse, Mme la rapporteure Erika Bareigts et les administrateurs de la commission des affaires économiques. Je salue aussi Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis de la commission des lois, ainsi que Jean-Claude Fruteau, président de votre toute nouvelle délégation aux outre-mer. Je ne doute pas que nos débats apporteront encore de nouvelles améliorations à l’ensemble.

Pour lutter contre la vie chère, ce projet de loi propose de créer de nouveaux outils de régulation mis à la disposition des pouvoirs publics. Ces outils vont des interventions sur les marchés de gros au contrôle de la chaîne logistique, en passant par la lutte contre les exclusivités abusives et la régulation de la grande distribution.

L’article 1er propose de réguler par décret les marchés de gros, c’est-à-dire les marchés entre entreprises qui ne concernent pas directement le consommateur final, mais qui le pénalisent. Le remarquable travail des députés en commission a permis de clarifier très significativement sa rédaction : le passage de la loi au règlement s’en trouve sécurisé.

L’article 2 interdit les accords exclusifs d’importation lorsque ceux-ci vont à l’encontre de l’intérêt des consommateurs. Je précise qu’il ne s’agit en aucune façon d’interdire l’activité des grossistes-importateurs, mais ceux-ci devront désormais démontrer qu’ils sont un circuit d’approvisionnement efficace et compétitif afin de continuer leur activité.

L’article 3 étend le pouvoir de saisine de l’Autorité de la concurrence par les régions d’outre-mer. Au titre de leur compétence de coordination économique, elles se voient attribuer un pouvoir général de saisine quel que soit le secteur, qui leur permettra d’être les porte-parole naturels de toutes les entreprises qui n’osent pas porter plainte elles-mêmes.

L’article 4 abaisse de 7,5 millions à 5 millions d’euros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce de détail en outre-mer, permettant ainsi d’inclure les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 m².

L’article 5, qui instaure la disposition « d’injonction structurelle », a fait débat, au Sénat puis au sein de votre Assemblée. Les discussions ont été fort utiles, car elles ont permis à chacun de se positionner clairement. Il y a incontestablement une divergence entre ceux qui veulent s’en tenir à l’article L. 752-26 du code de commerce, dont on sait pourtant qu’il s’est avéré jusqu’ici inopérant, et notre approche qui est différente. L’article L. 752-27 que nous voulons créer est en effet un dispositif résolument innovant qui doit, pour remplir sa mission dissuasive en matière de contrôle des rentes de monopole, présenter des garanties d’efficacité aussi solides que les garanties juridiques qui doivent nécessairement l’entourer. Beaucoup des amendements déposés sur cet article cherchent à nous faire revenir à un outil du passé qui ne fonctionne pas. Or à nos yeux, seule une injonction structurelle opérant, si nécessaire, comme échelon ultime de la grille de sanctions, peut permettre de combattre les comportements conduisant à des prix abusifs. Nous entendons donc garder le cap en ce domaine. Les conservateurs feront leur choix ; nous avons fait celui de l’audace et de la nouveauté.

L’article 6 bis a été inséré au Sénat par le biais d’un amendement du Gouvernement. Il prévoit les conditions de mise en œuvre du bouclier qualité-prix, qui figurait – je le rappelle – parmi les engagements du chef de l’État contre la vie chère. Cette disposition nouvelle est le résultat de la maturation de la réflexion collective tout au long de la période de concertation. Elle est d’application immédiate, ce qui correspond à la demande sociale que j’ai pu mesurer en me rendant dans les outre-mer ces derniers mois. Elle correspond aussi à des propositions que j’ai pu entendre à plusieurs reprises de la part d’acteurs locaux de la distribution qui souhaitaient, eux aussi, démontrer leur bonne volonté à agir concrètement et rapidement en baissant les prix de certains produits de consommation courante.

Là encore, nous avons fait le choix d’innover pour rompre avec l’approche de 2009 qui conduisait à fixer de nombreux prix de détail produit par produit alors que nous visons une procédure plus souple et, nous le souhaitons, plus efficace qui permettra de peser sur les prix d’un grand nombre de produits – plus d’une centaine dans mon esprit. Très concrètement, dans chaque territoire, dès la promulgation de la loi, s’ouvriront avec les distributeurs des négociations sur un chariot-type composé de produits de consommation courante, alimentaires et non alimentaires, en incluant, lorsque c’est possible, des produits locaux. C’est le prix plafond global du panier qui sera négocié, permettant ainsi aux distributeurs de se faire concurrence entre eux sur les marques des produits composant le panier. Cette concurrence devra bénéficier très directement aux consommateurs.

Le Gouvernement n’oublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Mais la plupart des dispositions du texte relèvent de la compétence de ces territoires. Elles n’ont donc pas vocation à s’y appliquer. Il appartiendra aux autorités de ces deux territoires, si elles l’estiment opportun, de transposer celles des dispositions qu’elles jugent adaptées à leur situation locale.

Le Gouvernement, je l’ai dit et je le répète ici, les accompagnera dans cette démarche et a accueilli avec bienveillance des amendements relatifs à ces territoires.

Je tiens aussi à vous dire quelques mots de la seconde partie du projet de loi qui prévoit une mise à jour du cadre législatif des outre-mer par la voie de ratification d’ordonnances, d’habilitation pour des ordonnances nouvelles ou par la validation législative de loi de pays. Je commenterai, en particulier, l’article 8 qui supprime l’obligation – mais laisse la faculté – pour une collectivité d’outre-mer de prendre en charge au moins 20 % du financement des projets dont elle assure la maîtrise d’ouvrage.

Cette disposition dérogatoire existe déjà pour la Corse et il s’agit pour l’État de l’utiliser dans des cas très précis pour des investissements d’intérêt public majeur lorsque la collectivité concernée manque de ressources. Certaines situations le justifient, comme celle des communes de l’ouest guyanais qui ne parviennent pas à financer des infrastructures de traitement des déchets ce qui vaut à l’État d’être condamné par la justice européenne à payer de lourdes astreintes.

Nous avons là l’occasion de faire, tous ensemble, œuvre utile au bénéfice des outre-mer. Et c’est bien le signal que nous devons adresser à nos compatriotes.

Également dans cette seconde partie, deux dispositions concernent la Nouvelle-Calédonie. Le nouvel article 9 bis a pour objectif de garantir l’effectivité des transferts de compétences en matière de droit civil en Nouvelle- Calédonie. Il habilite le Gouvernement à agir par ordonnance. Et l’article 11 sexies étend et adapte à la Nouvelle-Calédonie les dispositions de la loi du 6 juillet 1989, ce qui garantit les droits des locataires dans leur relation aux bailleurs.

Pour conclure mon intervention, je voudrais dire quelques mots sur le sens général du projet qui vous est soumis.

Au cours de mes déplacements de ces derniers mois, dans les cinq départements d’outre-mer, et à travers les débats publics auxquels j’ai participé pour expliquer notre démarche, quelques grandes lignes de fracture politique ou idéologique sont apparues entre soutiens et opposants au projet de loi. Et j’en commenterai plus particulièrement deux, car elles sont révélatrices des grands équilibres du texte : la question de l’économie administrée et celle de l’articulation de la loi et du contrat.

L’économie administrée tout d’abord. Défendant partout un texte où le mot concurrence apparaît presque à chaque article et répétant sans cesse que l’objectif du Gouvernement est d’éviter d’avoir à recourir à la réglementation des prix, j’ai évidemment été surpris de me voir accusé de vouloir imposer une économie administrée.

Malentendu ou amalgame, cette accusation révèle une confusion entre la régulation de l’économie et l’administration de l’économie.

Comme chacun le sait désormais, les marchés ne s’autorégulent pas naturellement. Certes, ils fonctionnent à partir de mécanismes bien connus comme la formation du prix par la rencontre de l’offre et de la demande, l’arrivée spontanée des concurrents sur les nouveaux marchés en développement ou l’allocation des capitaux vers les investissements rémunérateurs.

Mais tous ces beaux mécanismes ne produisent leurs effets que dans des marchés qui fonctionnent bien : pas de concurrence s’il n’y a pas de concurrents, pas d’entrée sur des marchés verrouillés, pas de prix efficaces si les producteurs peuvent jouir d’une rente de situation.

La théorie économique a bien décrit ces « défaillances de marché » et les juristes en ont tiré les conséquences en inventant le droit antitrust, c’est-à-dire l’intervention publique pour remettre d’aplomb des marchés où la concurrence se meurt. Et depuis plus d’un siècle, le droit de la concurrence nous montre que cette intervention publique n’est pas de l’économie administrée, mais la condition même de la survie de l’économie de marché.

Comme disent les juristes américains : La concurrence est une idée de droite, mais le droit de la concurrence est une idée de gauche. (Sourires.) La formule est, certes, un peu caricaturale, mais elle a un fond de vérité. (Murmures sur quelques bancs du groupe UMP.) La régulation de l’économie est bien au cœur du logiciel de la gauche qui préfère des marchés régulés qui fonctionnent à des marchés dérégulés qui ne fonctionnent pas. C’est une évidence.

Voilà en deux mots ce qui résume notre texte. Dans nos outre-mer, vous le savez tous, certains marchés ne fonctionnent pas bien et depuis longtemps, trop longtemps. Il est donc temps de s’atteler à cette tâche urgente : les remettre en ordre de marche et tel est le but des mesures que nous soumettons au débat et à votre agrément.

Combattre les exclusivités d’importation, ouvrir les marchés de gros, surveiller les marges des activités de fret ou de services portuaires, veiller à ce que la détention des infrastructures de stockage ne donne pas des avantages indus, tout cela n’est pas de l’économie administrée, c’est de la régulation intelligente et c’est ce que nous allons faire, parce que nos économies d’outre-mer, étroites, isolées et lointaines en ont besoin pour fonctionner mieux alors qu’abandonnées à elles-mêmes, elles n’ont jamais fonctionné correctement. Voilà pour l’économie administrée.

La loi et le contrat maintenant. C’est un air que j’entends sans cesse depuis trois mois : « surtout pas de loi, monsieur le ministre, vous obtiendrez bien plus par la négociation ». Voilà ce que me disent beaucoup d’opérateurs qui sont prêts à prendre immédiatement des engagements pour apaiser nos inquiétudes et contourner le Parlement. Eh bien, au risque de surprendre certains, je vous le dis : cet air me plaît beaucoup. Je suis ravi de ces propositions de négociation qui se multiplient et j’y répondrai très favorablement, une fois que la loi sera votée !

Oui au contrat ; oui à la négociation ; oui à la contribution des entreprises qui vont nous apporter leur connaissance des marchés. Oui à tout cela, mais une fois seulement que nous nous serons dotés des moyens de nous faire notre propre opinion, d’avoir les informations nécessaires à la transparence des prix et des coûts.

Car l’État ne doit pas négocier en position de faiblesse en étant incapable de surmonter des situations de blocage. S’il engage des négociations, il doit aussi être en capacité de leur trouver un point d’aboutissement.

Comme je l’ai répété, le Gouvernement a besoin de nouveaux outils d’intervention et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui allez les lui donner.

Dès la promulgation de cette loi, un travail considérable nous attend et consistera pour commencer à prendre la forme d’un dialogue avec les opérateurs : marché par marché, territoire par territoire. Sans révéler de secret, je peux même vous dire, mesdames et messieurs les députés, que dans certains secteurs, le message est si bien passé que nous avons déjà eu des offres de service et obtenu des résultats !

Autour de ces deux axes de travail : un objectif de régulation clairement assumée et une volonté de concertation sans complaisance, vous l’avez tous compris, c’est une forme de retour de l’État que je vous annonce. Réarmer l’État pour mieux agir.

Les outre-mer qui nous regardent et qui nous écoutent ne demandent et n’attendent pas autre chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, du groupe GDR, sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires économiques.

Mme Ericka Bareigts, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer est un texte nécessaire. Aujourd’hui, les outre-mer sont vivement frappés par des seuils de pauvreté plus importants que dans l’hexagone, alors que le coût de la vie y est bien supérieur.

Ainsi, selon une étude de l’INSEE, le revenu médian des ménages dans les DOM est inférieur de 38 % à celui des ménages dans l’hexagone. La moitié de nos populations vivent, du moins survivent, avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté national. Ce pourcentage est de 24 % sur le sol hexagonal. Dans le même temps, l’INSEE soulignait que le niveau moyen des prix était supérieur de 6 % 13 % dans les DOM et de 34 % à 49 % pour les seuls produits alimentaires. Concrètement, cela signifie qu’avec des revenus inférieurs, nos familles doivent payer plus cher pour se nourrir et nourrir leurs enfants. Ces écarts n’ont cessé de se creuser, quasiment dans l’indifférence de la République.

Ce projet de loi arrive donc à point nommé, alors que les territoires ultramarins ont été plus durement frappés que l’hexagone par la crise économique, qu’ils sont secoués depuis 2009 par des revendications sociales fortes, et que les résultats des élections présidentielle et législatives de 2012 ont suscité un vif espoir.

Les « Trente engagements pour les outre-mer » du candidat François Hollande ont témoigné de sa ferme volonté d’inscrire durablement les collectivités ultramarines dans la République, loin des stigmatisations et des préjugés dont celles-ci souffrent trop souvent. Les promesses du candidat étaient nombreuses et je ne peux que me réjouir de voir le chef de l’État tenir certaines d’entre elles dès à présent. Le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer répond à l’urgence ressentie dans nos territoires face à la vie chère.

La cherté de la vie s’explique certes par les caractéristiques structurelles de nos territoires ultramarins, comme l’éloignement des réseaux d’approvisionnement, l’isolement, l’insularité et l’étroitesse des marchés. Tous ces facteurs sont à l’origine de dysfonctionnements de ces marchés et entravent le libre jeu de la concurrence. Mais il y a aussi des taux de concentration élevés qui illustrent la domination d’une poignée d’entreprises dans chaque secteur en même temps qu’ils témoignent des difficultés de nouveaux acteurs à entrer sur le marché. Outre-mer, l’oligopole et le monopole sont quasiment la règle.

En 2009, nos concitoyens ultramarins ont ainsi poussé un cri d’alerte, de frustration et de désespoir. En Guadeloupe, à l’appel du collectif LKP, des milliers de nos concitoyens sont descendus dans la rue pour manifester contre la cherté de la vie, relayés bientôt par les populations de Martinique, de Guyane, de Mayotte et de La Réunion. Je sais aussi combien la situation est difficile dans le Pacifique et combien nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis et Futuna souffrent de cette situation insupportable.

Or ce projet de loi est animé d’une volonté de changement. Il ne s’agit pas, pour une énième fois, d’en rester aux soins palliatifs comme le faisait la LODEOM. Porteuse d’espoir, cette loi apportait des solutions à la cherté de la vie qui étaient en fait bricolées dans l’urgence. Elles n’ont pas eu les effets escomptés. La meilleure preuve en est la poursuite des contestations. L’année 2011 a été émaillée d’importantes manifestations dans les collectivités du Pacifique, tandis que les DOM ont à nouveau été secoués au cours de l’année 2012. Aujourd’hui, nos concitoyens ultramarins attendent des solutions efficaces et pérennes.

C’est parce qu’il l’a bien compris que le Président de la République, dans sa campagne, a dépassé la stigmatisation dont ces territoires sont trop souvent l’objet et s’est engagé à y favoriser la concurrence. Dans le cinquième de ses trente engagements, il a affirmé sa volonté de « lutter contre les monopoles et les marges abusives par le renforcement des instances de contrôle ainsi que des observatoires des prix et des revenus et par l’encouragement de la concurrence en luttant contre les accords d’exclusivité. »

Le diagnostic est donc clair. Les outre-mer souffrent d’un déficit de concurrence. La représentation nationale doit les accompagner dans le cadre de réformes structurelles plutôt qu’en apportant des remèdes complexes et ponctuels. Ce projet de loi opère donc un changement profond. Il abandonne les ressorts habituels de l’action publique centrés sur l’encadrement systématique des prix au profit d’outils novateurs permettant de modifier les processus de formation des prix. En somme, on privilégie désormais l’amont sur l’aval.

Ainsi, le projet de loi s’attaque aux situations acquises, aux monopoles et aux oligopoles en privilégiant la négociation et l’échange plutôt que la réglementation à outrance. Il s’agit de remédier aux distorsions de concurrence afin de permettre à tous les acteurs de s’émanciper. À l’heure actuelle, ces distorsions accroissent le coût de la vie ; elles enlèvent à nos familles leur dignité lorsqu’elles ne peuvent se nourrir ni payer leur loyer ou encore leur facture d’eau et d’électricité ; elles empêchent nos entreprises d’exporter, décourageant l’esprit d’entreprise et affectant la rentabilité de certaines d’entre elles.

La commission des affaires économiques de l’Assemblée a adopté ce projet de loi sans enregistrer le moindre vote défavorable, ce qui témoigne de l’engagement de chacun auprès des territoires ultramarins. Je vous remercie par avance, mes chers collègues, de soutenir sur tous les bancs cette initiative courageuse.

Courageux ne veut cependant pas dire dogmatique. Pour élaborer ce projet de loi, le Gouvernement a tenu à entendre toutes les parties et à voir sur le terrain quelle était la réalité de la situation, ce qui fonctionnait et ne fonctionnait pas. C’est pour cette raison que le ministre des outre-mer, Victorin Lurel, a visité nos collectivités ultramarines depuis l’élection. Je l’en remercie vivement.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Le projet de loi vise donc d’abord à réguler l’économie outremer de manière structurelle. Cette régulation revêt deux aspects.

Premièrement, il convient d’agir sur l’environnement concurrentiel qui conduit à la formation des prix. Ainsi, l’article 1er permettra à l’État de réglementer les marchés de gros par décret en Conseil d’État. Il conviendra donc de regarder si des dysfonctionnements affectent l’accès aux marchés, la loyauté des transactions, les marges des opérateurs et la gestion des facilités essentielles tout en tenant compte de la protection des consommateurs. Votre commission a souhaité préciser que la réglementation ne pourrait intervenir qu’après avis public de l’autorité de la concurrence, ce qui permettra aux avis de l’autorité de servir de guide et de grille de lecture pour l’ensemble des acteurs économiques.

De même, l’article 2 vise à interdire les exclusivités d’importation injustifiées au regard de l’intérêt des consommateurs. À ce titre, la commission des affaires économiques a souhaité compléter cette disposition afin de permettre à l’autorité de la concurrence de transmettre toute information aux juridictions judiciaires qui lui en feraient la demande tout en garantissant la confidentialité des documents relevant de la procédure de clémence. Cet ajout permettra de protéger les personnes contribuant à la détection des ententes secrètes.

Deuxièmement, il faut agir sur le fonctionnement actuel des marchés. Pour ce faire, le projet de loi permet de mieux encadrer les opérations de concentration. Ainsi, l’article 4 abaisse le seuil de notification des opérations de concentration à l’autorité de la concurrence de 7,5 à 5 millions d’euros. Par ailleurs, l’article 5 dote l’autorité de la concurrence d’un nouveau pouvoir d’injonction structurelle. Il s’agit de l’un des dispositifs majeurs de ce projet de loi. L’autorité de la concurrence pourra ainsi remettre en cause les situations acquises afin de protéger les intérêts des consommateurs.

Bien évidemment, l’objet n’est pas de systématiser les sanctions ni d’obliger les entreprises du secteur de détail à céder des actifs. Le mécanisme est fondé sur la négociation entre l’autorité de la concurrence et les opérateurs concernés, qui auront ainsi toute latitude pour proposer des solutions permettant de faire baisser les prix.

Ce projet de loi met donc en œuvre une véritable transition économique outre-mer. Or, au-delà de cette vaste ambition, il s’agit d’accompagner ce processus par des mesures d’urgence répondant aux interrogations de nos concitoyens ultramarins.

Pour cette raison, la commission a souscrit à l’instauration par le Sénat d’un bouclier qualité-prix. Le nouvel article 6 bis crée donc, plutôt qu’un encadrement permanent des prix, le principe d’une négociation annuelle obligatoire entre l’État et les organisations professionnelles de commerce de détail afin de définir un prix global d’une liste de produits. Ce bouclier permettra ainsi de répondre aux angoisses de nos concitoyens dans l’attente des effets des réformes structurelles engagées par ce projet de loi sans perdre de vue pour autant la nécessité d’une adhésion des acteurs économiques au processus. Nous avons ainsi tenté de tirer les enseignements des erreurs passées mais également de nos succès, comme le montre la négociation entre le préfet et les organisations professionnelles après un avis de l’observatoire des prix et des revenus.

Créés par le législateur en 2000, ces OPR ne sont devenus effectifs qu’en 2007. Malgré leur manque de moyens, financiers et humains, les OPR ont su trouver leur place dans les territoires. Les premières études témoignent de leur utilité. J’ai proposé à la commission des affaires économiques de consacrer leur existence et leur mission. J’espère que cette évolution juridique sera bientôt complétée par un renforcement financier et humain. Monsieur le ministre, je compte sur votre engagement !

La qualité de ce projet de loi se mesure également à sa capacité à s’appuyer sur des organes existants. Votre commission n’a pas souhaité en rester là. En effet, la cherté de la vie outre-mer ne concerne pas uniquement les prix des produits de première nécessité ou certains produits de consommation courante, alimentaires pour la plupart, visés par le bouclier qualité-prix. Votre commission a ainsi invité le Gouvernement à analyser la structuration des prix des liaisons aériennes et à modifier le code monétaire et financier afin d’assurer davantage de transparence en matière de tarifs bancaires.

Mais ce projet de loi ne porte pas uniquement sur la régulation économique. Il vise également à étendre et adapter le droit applicable aux collectivités territoriales d’outre-mer. L’article 8 supprime ainsi l’obligation faite aux collectivités ultramarines de cofinancer les projets dont elles ont la maîtrise d’ouvrage. Alors que la situation financière de ces collectivités est fortement dégradée, cette évolution permettra aux territoires ultramarins de créer ou de moderniser des équipements publics dans de nombreux domaines tels que l’accès à l’eau potable, le traitement des déchets ou l’électrification des zones rurales. Cet article permettra à des Français des outre-mer d’avoir accès aux équipements publics essentiels qui existent depuis des décennies dans l’hexagone.

Par ailleurs, plusieurs articles habilitent le Gouvernement à procéder par ordonnances afin d’étendre le droit applicable outre-mer, notamment à Mayotte. Si l’objectif de sécuriser l’environnement juridique de nos territoires est compréhensible, notamment dans le cadre du processus de départementalisation et d’accès au statut de région ultrapériphérique de Mayotte, il est en revanche regrettable que les outre-mer soient si souvent perçus par les gouvernements comme des territoires où l’on peut agir par ordonnance, sans mériter un débat de la représentation nationale. Ce projet de loi procède à la ratification d’une trentaine d’ordonnances. La commission s’est prononcée en faveur de ces articles et je compte sur la vigilance de son président pour ne pas voir ces situations se reproduire. Enfin, le projet de loi procède à l’homologation de nombreuses peines prévues par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. La commission des affaires économiques a adopté trois articles permettant de conforter le droit applicable en Nouvelle-Calédonie.

Chers collègues, ce texte est fondateur pour les outre-mer. Il est fondateur car il s’agit de la première étape d’une réflexion plus globale pour nos territoires. Elle s’articulera autour de plusieurs grands rendez-vous : la conférence économique et sociale des outre-mer délocalisée sur les territoires dans les prochaines semaines, la préservation dans le projet de loi de finances des dispositifs applicables à l’outre-mer, la refonte de l’octroi de mer en vue de l’échéance de 2014, la grande loi agricole ainsi que la loi attendue relative à la transition énergétique.

Au-delà, une analyse approfondie des modalités permettant de favoriser l’intégration économique régionale de nos territoires est incontournable. Celle-ci ne peut se faire sans le renforcement des filières de production locale, qui permettront de garantir à nos territoires une croissance de long terme et un recul du chômage, véritable tragédie humaine.

Pour conclure, je veux dire que je pense en ce moment à la jeunesse de nos territoires qui manifeste son désespoir au quotidien. Ces jeunes vivent dans l’espérance de devenir rapidement des citoyens pour lesquels l’avenir aura à nouveau du sens. Notre responsabilité par cette loi, et par toutes celles qui suivront, est de donner aux outre-mer ce cadre juridique adapté à leurs difficultés structurelles afin de les compenser, et de tendre vers un développement dynamique et harmonieux.

Les oppositions seront, sont déjà peut-être, grandes face à notre volonté de modifier en profondeur les situations acquises depuis trop longtemps. Nous ferons face de manière courageuse et responsable, car l’espérance est grande et légitime. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la nouvelle délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie, en première lecture, du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer, adopté par le Sénat le 28 septembre 2012. Cela doit être vécu comme une fierté pour nos compatriotes ultramarins de voir le Parlement se saisir en toute priorité, et en début de législature, des questions qui les concernent au quotidien.

Le 3 octobre dernier, la commission des lois a émis un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des articles dont elle s’était saisie pour avis, à savoir les articles 1er à 5, 7 bis B, 8, 9, 10, 11, 11 bis et 11 ter.

Ce texte, tel qu’il ressort des travaux de la commission des lois et de ceux de la commission des affaires économiques – je tiens à cet égard à saluer l’excellent travail de sa rapporteure, Mme Ericka Bareigts –, a vocation à améliorer durablement et efficacement les conditions de vie de nos concitoyens d’outre-mer. Il regroupe, dans cette perspective, deux séries de dispositions : la première concerne la restauration du libre jeu concurrentiel dans les outre-mer ; la seconde consolide la législation qui y est applicable.

Le chapitre Ier comporte un ensemble de dispositions dont l’objet est de renforcer le libre jeu de la concurrence dans les outre-mer afin d’y faire baisser les prix.

Depuis 2009, les outre-mer ont été secoués par des crises sociales, parfois violentes, souvent très dures, qui ont eu pour facteur de déclenchement la cherté de la vie, notamment des produits alimentaires.

Dans son avis du 8 septembre 2009 sur le commerce de détail outre-mer, l’Autorité de la concurrence estimait ainsi que les écarts de prix en magasin avec la métropole étaient supérieurs de 55 % pour plus de 50 % des produits retenus pour l’enquête. L’INSEE a confirmé cette analyse dans une enquête de 2010, qui a mis en évidence des écarts de prix de 34 % à 49 % pour les produits alimentaires.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce niveau élevé des prix dans les territoires ultramarins. On peut citer l’éloignement et l’insularité ainsi que l’étroitesse des marchés. Ces facteurs, bien que fondamentaux, ne sont toutefois pas les seuls qui permettent d’expliquer cette situation. Il faut également tenir compte de l’insuffisance structurelle de concurrence entre les opérateurs économiques locaux.

Confrontées à une telle situation, nos collectivités ultramarines ont besoin de nouveaux outils afin de combattre la vie chère et de restaurer le libre jeu de la concurrence.

L’article 1er prévoit ainsi d’autoriser le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros, dans les secteurs où le libre jeu de la concurrence est entravé.

L’article 2 vise à interdire les accords qui ont pour objet ou pour effet de donner des droits exclusifs d’importation à un opérateur, sauf lorsque ces droits sont justifiés « par des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique au bénéfice des consommateurs », ce qui est rarement le cas.

L’article 3 du projet de loi permet aux régions et aux autres collectivités d’outre-mer détenant une compétence économique, comme le nouveau département de Mayotte, de saisir l’Autorité de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles qui concernent leur territoire.

L’article 4 abaisse de 7,5 millions d’euros à 5 millions d’euros le seuil prévu pour le contrôle des concentrations dans le commerce de détail outre-mer afin de contrôler la plupart des opérations portant sur des surfaces de vente supérieures à 600 mètres carrés.

L’article 5 confère à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’« injonction structurelle » en matière de commerce de détail, pour l’outre-mer, en cas de position dominante détenue par une entreprise ou un groupe d’entreprises soulevant des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés – j’insiste sur le mot « élevés ». L’Autorité de la concurrence pourra enjoindre à l’entreprise ou au groupe d’entreprises concerné de modifier, de compléter ou de résilier, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique permettant ces pratiques. En dernier recours, s’il s’agit du seul moyen permettant de garantir une concurrence effective, elle pourra même les forcer à céder des actifs. Il s’agit d’une disposition très novatrice, dont la rédaction a été améliorée grâce aux initiatives de la commission des lois et de la commission des affaires économiques.

Je me félicite enfin que ces deux commissions aient conjointement décidé de supprimer l’article 7 bis B qui créait un comité de suivi, un de plus, chargé d’évaluer l’application du projet de loi. L’opportunité et la pertinence de créer un nouveau comité de suivi ad hoc dédié à la seule évaluation de l’application du présent texte étaient en effet loin d’être avérées d’autant que cette évaluation relève de notre propre mission.

Les dispositions contenues dans le chapitre II du présent projet de loi ont un double objectif.

Il s’agit, en premier lieu, de poursuivre l’extension de la législation dans les départements d’outre-mer, et particulièrement à Mayotte dans le cadre de la mise en place de la départementalisation de cette collectivité.

L’article 9 habilite à cet effet le Gouvernement à étendre et à adapter, dans cette collectivité, la législation de droit commun, notamment en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

Cette dernière habilitation est rendue nécessaire par l’accès de Mayotte au statut de RUP, région ultrapériphérique de l’Union européenne, ce changement de statut nécessitant évidemment une reprise de l’acquis communautaire en matière de droit de l’entrée et du séjour des étrangers. Le Sénat avait souhaité mieux encadrer cette habilitation, en lui donnant pour finalité de créer un nouveau visa applicable à Mayotte, à la place du visa actuel, dit « visa Balladur ». Cet ajout posait problème, car il restreignait le champ de l’habilitation à ce visa, alors que la modification devra nécessairement porter sur d’autres sujets, tels que l’adaptation aux deux directives européennes évoquées. À mon initiative, une rédaction alternative a été adoptée : l’objectif assigné à l’habilitation est désormais de « définir des conditions mieux adaptées au défi migratoire ». Chacun d’entre vous sait l’actualité souvent dramatique de cette question.

Au-delà des habilitations conférées en amont au Gouvernement pour étendre la législation dans le département de Mayotte, l’article 11 du présent projet de loi procède, en aval, à la ratification de vingt-six ordonnances. Sur ces vingt-six ordonnances, sept relèvent de la compétence de la commission des lois et pour chacune d’elles, j’ai observé que le délai d’habilitation, le champ de cette dernière ainsi que le délai de dépôt du projet de loi de ratification étaient respectés par le Gouvernement.

Il s’agit, en second lieu, de mettre en œuvre des dispositifs propres aux départements et aux collectivités d’outre-mer.

Dans cette perspective, l’article 8 exonère les départements d’outre-mer ainsi que les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin de l’obligation qui leur est actuellement faite de financer au moins 20 % des projets d’investissement dont ils assurent la maîtrise d’ouvrage. Cette exonération permettra demain de mieux prendre en compte les difficultés budgétaires chroniques de ces collectivités et leurs besoins d’équipements sensiblement plus élevés qu’en métropole.

L’article 10 vise à homologuer les peines d’emprisonnement prévues dans la réglementation de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française. Pour chacune des peines que nous sommes invités à homologuer aujourd’hui, je constate que les exigences constitutionnelles et organiques, que je viens de présenter, sont toutes respectées.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous rappelle que le présent projet de loi met en place de nouveaux outils afin de combattre efficacement la vie chère dans les outre-mer. Les attentes de nos concitoyens vivant outre-mer sont si fortes dans ce domaine que nous nous devons de poursuivre notre mobilisation sur ce sujet. Pour toutes ces raisons, je ne peux que vous inviter, sur tous les bancs, à adopter le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, chers collègues, c’est en tant que président de la toute nouvelle délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale que j’ai le plaisir de m’exprimer devant vous aujourd’hui.

Cette délégation a été créée le 17 juillet 2012 par la conférence des présidents. Tout juste installée, elle a décidé de se saisir du projet de loi déposé par le Gouvernement relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer, et de faire part de ses recommandations.

Avant toute chose, je tiens à souligner la rapidité avec laquelle le Gouvernement a décidé d’agir en faveur des outre-mer. En effet, cela mérite d’être souligné, c’est, je crois, la première fois qu’un texte uniquement consacré aux outre-mer est examiné en tout début de législature. Il s’agit d’une marque d’attention à l’égard de nos territoires si durement frappés par la détresse sociale.

La cherté de la vie est en effet un des problèmes majeurs de nos outre-mer. Elle touche tout le monde et en particulier, bien sûr, les plus défavorisés. Elle détériore le niveau des revenus disponibles des ménages, déjà très faibles, et elle ralentit considérablement les économies locales. Ainsi, il faut le répéter, les revenus des habitants d’outre-mer sont inférieurs de 38 % au revenu médian national. Le PIB des territoires ultramarins est inférieur de moitié à celui de la nation, et plus de 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Pour faire face à cette situation gravement dégradée, le projet de loi comporte un certain nombre de mesures qui visent à réguler les marchés de manière volontariste, en s’attaquant aux phénomènes structurels qui déterminent la formation des prix. C’est la nouveauté de la démarche du Gouvernement, conforme aux propositions faites par le Président de la République dans ses trente engagements pour les outre-mer. La méthode est nouvelle. Désormais, nous allons nous attaquer aux problèmes structurels par la régulation plutôt que par le contrôle des prix, qui, même s’il reste toujours possible, a montré ses limites par le passé.

Parmi les principales dispositions du projet de loi, je souhaite revenir sur celles qui me paraissent essentielles.

Il est essentiel que le Gouvernement puisse légiférer par décret pris après avis de l’Autorité de la concurrence pour réglementer les différents secteurs du commerce de gros afin de permettre l’émergence de bonnes pratiques concurrentielles.

Il est essentiel, dans des économies aussi captives que les nôtres, que les clauses exclusives d’importation soient interdites dans les accords commerciaux, sauf si – et seulement si – elles apportent des avantages objectifs certains en termes d’approvisionnement.

Il est essentiel que les seuils de concentration des entreprises entraînant un contrôle de l’Autorité de la concurrence soient abaissés pour l’outre-mer et que cette autorité dispose d’un pouvoir d’injonction structurelle dans le domaine du commerce de détail.

Enfin, il est essentiel que le coût de l’itinérance téléphonique, en particulier en matière de téléphonie mobile, puisse être plafonné et que soit poursuivie une baisse tarifaire qui, à terme, je l’espère, conduira nos territoires vers l’égalité avec la France hexagonale.

Le texte traite également d’autres questions que la cherté de la vie. L’une de ses mesures phares permettra ainsi aux collectivités territoriales d’engager des projets sans qu’elles soient contraintes de respecter l’obligation d’assurer un financement minimal de 20 % pour les projets cofinancés avec l’État et pour lesquels elles disposent de la maîtrise d’ouvrage. Par ailleurs, le Gouvernement sera habilité à légiférer par ordonnance pour la poursuite de la départementalisation à Mayotte. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, les peines privatives de liberté édictées dans la réglementation locale seront homologuées. Enfin, différentes ordonnances prévoyant l’extension et la transposition du droit national à Mayotte et aux collectivités d’outre-mer seront ratifiées.

Tel quel, le texte constitue une avancée significative, qui réinstalle les outre-mer au premier plan des préoccupations des décideurs politiques. Nous ne pouvons qu’en remercier le Gouvernement et le Président de la République et leur rendre hommage.

Dans le cadre de ses travaux, la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a formulé neuf recommandations, qui s’articulent autour de six grands thèmes.

Premièrement, nous souhaitons qu’une attention toute particulière soit portée aux marchés de gros et, au sein de ces marchés, aux produits de première nécessité. Le Sénat, partageant le même souci, a d’ailleurs étendu, par le biais d’un amendement à l’article 1er du projet de loi, le champ des décrets susceptibles d’être pris par le Gouvernement pour organiser les marchés à la gestion des « facilités essentielles ». Il s’agit là d’une excellente mesure qui rejoint nos préoccupations. J’ajoute que ce dispositif peut concerner aussi les carburants, secteur non moins vital outre-mer. Dans le prolongement de ces dispositions, nous vous demanderons, monsieur le ministre, d’être particulièrement vigilant sur ce point.

Deuxièmement, dans la perspective de l’application de la loi, la délégation souhaite, d’une part, que l’information du public soit améliorée, tant sur les injonctions faites par l’Autorité de la concurrence aux entreprises opérant dans le secteur des marchés de gros que sur le coût de l’itinérance téléphonique et, d’autre part, que des amendes soient prévues pour les contrats ou les accords commerciaux en cours disposant d’une clause d’exclusivité et qui ne seraient pas mis en conformité avec la réglementation dans les délais prévus.

Troisièmement, dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, la délégation a formulé le souhait que tous les moyens puissent être mobilisés afin d’obtenir très rapidement une baisse du coût de l’itinérance téléphonique. J’ai ainsi déposé un amendement en commission visant à compléter le périmètre d’intervention de l’ARCEP, car c’est cet organisme qui a pour mission de surveiller les opérateurs de téléphonie et qui doit intervenir pour rappeler à l’ordre ceux qui ne joueraient pas le jeu dans le domaine de l’itinérance. Cet amendement a été accepté par la commission des affaires économiques et je l’en remercie. En effet, il est impératif que les opérateurs appliquent le plafond européen devant permettre une diminution sensible de l’itinérance, qui devrait passer de 35 centimes à 17 centimes d’euros par minute à l’horizon de 2013-2014. Dans tous les cas, nous comptons beaucoup sur l’ARCEP pour faire respecter aussi bien le dispositif européen que ceux qui pourront être consentis de manière contractuelle entre le Gouvernement et les opérateurs de téléphonie.

Quatrièmement, la délégation a étudié le problème de l’électricité à Wallis-et-Futuna, qui a été soulevé par les députés de ce territoire, où la situation, dans ce domaine, est anormale.

Cinquièmement, la délégation a souligné auprès des pouvoirs publics et notamment auprès de vous, monsieur le ministre, combien les tarifs bancaires, dans les départements et les collectivités d’outre-mer, ainsi que les tarifs des liaisons aériennes, sont élevés. Elle a ainsi adopté une recommandation de notre collègue Lebreton afin d’obtenir plus de transparence en ce domaine. S’agissant des tarifs bancaires, et plus particulièrement des tarifs des douze services les plus courants, identifiés comme tels dans le code monétaire et financier, j’espère qu’il nous sera possible d’avancer quant à leur plafonnement dans les DOM, ces tarifs bancaires ne pouvant en aucun cas excéder ceux qui sont en vigueur dans l’hexagone dans les mêmes établissements.

Enfin, la délégation s’est souciée, pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, de l’adaptation à ces territoires d’un certain nombre de dispositions qui pourraient être intéressantes pour ces collectivités territoriales.

Pour conclure, je veux vous dire, en tant que président de la délégation aux outre-mer, que les travaux de cette délégation ont été riches et intéressants ; vous les trouverez présentés en annexe de notre rapport. Je veux croire que leur qualité et leur pertinence seront de nature à apporter un éclairage utile dans le cadre de nos débats.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui et qui pourra être encore enrichi tout au long de nos débats marque une rupture avec la politique attentiste et méprisante menée par la précédente majorité. Nous sommes loin, ici, des théories fumeuses du développement endogène. Nous sommes dans l’action, l’action concrète, l’action déterminée, l’action courageuse. C’est pourquoi je voterai avec enthousiasme ce texte fondateur. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Letchimy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Serge Letchimy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, mes chers collègues, je débuterai mon propos en évoquant la méthode. En dépit du peu de temps dont il disposait, le ministre s’est en effet rendu dans plusieurs départements et régions d’outre-mer, où il a rencontré les élus de tous bords politiques. Des débats ont été organisés sur place avec les autorités, la société civile, les acteurs économiques, grands et petits, notamment les commerçants. Dans certaines régions, notamment en Martinique, nous sommes même allés jusqu’à avancer certaines délibérations, en demandant que le conseil général et le conseil régional se prononcent en assemblée plénière par un vote. Nous ne sommes pas habitués à une telle méthode, car, d’une manière générale, nous recevions le texte sur lequel il nous fallait émettre un avis la veille ou le lendemain de son vote à l’Assemblée nationale. Les choses ont donc énormément changé. Du reste, lorsqu’un débat sur l’outre-mer est organisé à l’Assemblée, les députés présents sont habituellement très peu nombreux. Ce soir, je constate que nous sommes en nombre acceptable. Je tenais à le signaler, et je souhaite que cela se renouvelle, car, jusqu’à présent, nous avions le sentiment que l’outre-mer était un peu à part et que l’on ne s’y intéressait que ponctuellement. Merci à tous de votre présence dans l’hémicycle ! (Applaudissements.)

Ce projet de loi est un texte précis qui cherche à répondre à une préoccupation centrale, outre-mer : le coût de la vie. N’ayons pas peur des mots : il s’agit d’un véritable fléau, lié à des monopoles, des oligopoles, et à la concentration des richesses. Il faut le dire très clairement : il y a des dérives et des comportements inacceptables. À ce propos, je rappelle qu’une action de démocratie sociale très puissante, née en Guadeloupe, fut menée notamment par des syndicats, auxquels se sont associées beaucoup de personnes, pour dénoncer les incohérences d’un marché où la régulation économique n’est pas encadrée. Il faut avoir le courage de dire que l’économie locale est une économie de consommation, de comptoir, imprégnée des logiques de domination liées à la dérégulation très spéculative des marchés notamment financiers.

« Pwofitasyon » : ce néologisme créole désigne de la manière la plus claire un système où ceux qui détiennent des privilèges abusent des plus petits, des plus faibles : le petit peuple. Je rappelle que, sur les 400 000 habitants que compte la Martinique, mon pays, 80 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté, que le taux de chômage y est de 24 % – il est de 30 % à la Réunion –, que les revenus y sont inférieurs de 35 % à ceux de l’hexagone et que le taux de couverture des exportations par les importations est de 14 %.

Après le mouvement de 2009, le CIOM avait proposé 132 mesures, dont très peu ont été concrètement mises en œuvre. Les dispositions du projet de loi doivent donc être appliquées, monsieur le ministre – mais je vous connais et je sais que vous allez tenir vos promesses – car il ne faut pas créer une nouvelle déception. L’Autorité de la concurrence avait, quant à elle, soulevé deux problèmes : la situation de la concurrence sur le marché des carburants – qui a conduit à la réglementation du prix de vente de ces derniers, permettant la maîtrise des prix – et les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d’outre-mer. Cette autorité a également souligné trois points : l’insuffisance de la régulation des prix des monopoles d’approvisionnement, l’incroyable opacité du système et le fait que le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire était trop peu concurrentiel.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est donc très attendu. Il est courageux et déterminant pour l’avenir. Son examen rapide, au début de la législature, témoigne du respect des engagements pris par le Président de la République, François Hollande.

Ce texte, dont j’apprécie qu’il vienne en début de mandature, est aussi novateur dans ses dispositifs, face au laisser-faire des marchés et à l’insuffisance notoire – M. le ministre a d’ailleurs été très clair à propos de l’article 5– des actions qui pourraient être menées, compte tenu des difficultés de mise en œuvre.

Le projet de loi prend le problème autrement, en cherchant à agir sur les structures économiques par le biais d’une meilleure régulation des marchés – à budget constant pour l’outre-mer, ce qui, en période de restriction budgétaire, n’est pas anodin. Je rappelle que la décision politique a été prise, dans le cadre du PLF 2013, de maintenir les transferts financiers associés à la défiscalisation. Elle doit être saluée, car la bataille est difficile, les risques sont grands, et je souhaite que l’ensemble des élus d’outre-mer soient présents. Nous faisons confiance au Gouvernement.

À ce titre, il a été proposé un ensemble de dispositifs. Premièrement, une décentralisation poussée, par la possibilité donnée au Conseil régional de saisir l’Autorité de la concurrence, afin de rapprocher cette autorité indépendante des acteurs économiques.

Deuxièmement, le renforcement des moyens et pouvoirs de cette autorité destinée à assurer une régulation la plus équilibrée possible des marchés. Dans ce cadre, le pouvoir d’injonction qui lui sera confié en cas de « préoccupations de concurrence » n’a rien de scandaleux en soi, il est même essentiel. Si les pouvoirs publics sont reconnus comme devant avoir un pouvoir de régulation des équilibres, ils doivent aussi avoir des outils et des armes à leur disposition. À défaut, leur intervention dans ce domaine restera un vœu pieux. Un marché libre ne signifie pas un marché sans contrôle, et ce n’est pas parce que des mécanismes de régulation viennent limiter les abus que nous passons à une économie administrée, à un système soviétique, comme certains ne manqueront pourtant pas de le prétendre.

Troisièmement, l’interdiction des contrats d’importation exclusive, comme l’a dit notre collègue Bernard Lesterlin, sauf, bien entendu, lorsque ces exclusivités s’avèrent bénéfiques pour le consommateur – un amendement tout à fait justifié a été déposé afin de répondre à cette exigence.

Quatrièmement, le renforcement des moyens de l’État sur les marchés de gros, figurant à l’article 1er, ce qui constitue un point essentiel.

Cinquièmement, le renforcement des outils de transparence, permettant aux consommateurs et aux acteurs économiques d’avoir accès à l’information. Le renforcement de l’observatoire des prix, appelé à jouer un rôle de plus en plus important, en est un premier élément essentiel et, à cet égard, je soutiens l’amendement présenté par Mme Bareigts pour que cela figure dans la loi.

Sixièmement, maintenir la capacité du Gouvernement à intervenir directement sur les prix des produits de première nécessité, dès lors que les dispositifs précédents ne sont pas en mesure d’assurer une régulation minimale du coût de la vie, en modifiant les dispositions de la LODEOM relatives à l’intervention sur le prix de vente après avis de l’autorité de la concurrence.

Pour la première fois, une négociation annuelle obligatoire, ou NAO, aura lieu chaque année pour parvenir à maîtriser les prix et accompagner la structuration d’un véritable bouclier des prix – si, en d’autres temps, on a instauré un bouclier fiscal au profit de certains, il s’agit là de créer un bouclier des prix destiné à protéger les plus démunis, ce qui est une excellente chose.

À ce sujet, je rappelle que le différentiel de prix par rapport à l’hexagone est de 20 % à 40 % suivant les produits. Au-delà des prix des produits de première nécessité, la structuration de la vie chère concerne des produits vitaux, notamment l’eau, qui atteint le prix de 2,61 euros le mètre cube en Martinique, contre 1,50 euro dans l’hexagone De même, les frais bancaires, les frais de tenue de compte se situent entre 16 et 34 euros aux Antilles-Guyane, contre 5 euros dans l’hexagone – la moyenne dans l’outre-mer est de 25,24 euros. Nous sommes donc doublement pénalisés : d’une part, pour l’accès à l’eau et à la nourriture, d’autre part, pour l’accès à un compte bancaire.

Les chiffres que j’ai donnés à l’instant mettent en évidence qu’il existe un problème structurel d’accès à l’eau et aux produits de première nécessité. Le problème existe également pour l’électricité, qui bénéficie cependant du mécanisme de la contribution au service public de l’électricité. Pour cette raison, je salue la suppression du cofinancement de 20 % pour les opérations d’investissement dont les collectivités locales assurent la maîtrise d’ouvrage, car certaines collectivités se trouvent en grande difficulté, et la fiscalité ne joue pas en leur faveur.

En dépit des apports de ce projet, monsieur le ministre, notre vigilance doit rester intacte. D’abord, parce qu’il reconnaît une compétence discrétionnaire au Gouvernement – que nous avons souvent critiquée ici – pour agir par habilitation. Nous vous demandons d’être attentif à cette procédure. Ensuite, parce que la mise en œuvre des mesures essentielles définies par le projet de loi est subordonnée à l’élaboration d’un certain nombre de décrets d’application, notamment à l’article 6 pour les accords annuels de modération des prix – ou plutôt des marges. La notion de revenu avait été introduite précédemment, afin de pouvoir aborder la question des 40 %, stigmatisés à l’époque. La notion de marge, introduite dans ce projet de loi par un amendement, devrait être beaucoup plus claire.

J’en viens aux critiques, puisqu’il y en a, et c’est bien normal. Contrairement à ce qu’affirment certains, je n’ai pas vu – ni dans ce texte ni sur le terrain – de « racisme » contre l’entreprise ou de mépris du Gouvernement envers ceux qui entreprennent. Plutôt que de diaboliser les entreprises et les acteurs économiques, nous devons nous efforcer de construire les bases d’un partenariat pour atteindre un objectif commun et salvateur. Si nous laissons prospérer les abus qui naissent spontanément, nous risquons d’assister à un autre février 2009.

Certains évoquent l’argument d’une certaine fragilité juridique du texte, pourtant loin d’être aussi évidente qu’ils le disent. Face à la situation de blocage à laquelle nous sommes confrontés, il est légitime que le législateur tire le maximum des possibilités offertes par le droit existant, y compris en profitant des marges d’innovation qu’il autorise. C’est précisément à ce prix que l’on peut rompre avec l’immobilisme auquel nous étions jusqu’à présent confrontés, un immobilisme dénoncé tout à l’heure par notre collègue Fruteau.

Je sais, mes chers collègues, que l’article 5 relatif à l’injonction structurelle ne fait pas l’unanimité : c’est une question de valeurs, de philosophie et de principes. L’essentiel est de pouvoir organiser le caractère opérant du dispositif proposé.

Le texte sous-estime-t-il le poids de la fiscalité et du fret sur la formation des prix ? C’est un sujet en soi, monsieur le ministre. L’article 1er montre très clairement que tout ne se résume pas à la question du prix ; celle de l’acheminement est, elle aussi, très importante. En ce qui concerne l’acheminement, les lignes gèrent en monopole de fait par le vessel sharing agreement, un accord de partage de vaisseaux, c’est-à-dire une mise en commun de moyens sans accord de prix, constituant les bases d’un monopole inacceptable. Des études très sérieuses ont été menées sur ce point, qui montrent que la participation de l’acheminement à l’évolution du prix peut atteindre 30 % à 35 % !

Au-delà de l’acheminement, c’est la question du régime fiscal de l’octroi de mer qui se pose. Certes, l’octroi de mer apporte des ressources fondamentales pour les collectivités locales, et permet, dans une certaine mesure, de protéger les productions locales. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l’octroi de mer est assis essentiellement sur l’importation, ce qui paraît incohérent : comment peut-on faire dépendre 30 % à 60 % des recettes d’une collectivité de la fiscalité basée sur une importation massive ? Cette pratique, qui semble incompatible avec l’objectif d’un développement économique du pays, constitue un grave problème qu’il convient de régler rapidement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Je ne dis pas que l’octroi de mer doit être condamné, mais que la fiscalité doit absolument être revue.

Votre texte ouvre une porte, monsieur le ministre, mais, vous l’avez dit, il ne règle pas tout. Lutter contre la hausse des prix et obtenir une baisse significative de ces prix peut conduire à une compétition entre des produits de même qualité, de même nature, dont la production locale risque de souffrir. Ainsi, en 2010, 5 651 produits étaient importés en Martinique, dont 1 250 en concurrence directe avec la production locale. Il convient d’être prudent, en tenant compte de ce facteur.

Il est également nécessaire de développer les filières économiques, qui constituent un enjeu considérable pour la croissance interne – une croissance partagée, de nature à créer de l’activité et de l’emploi, mais pas une croissance servant à enrichir une partie de la population et à appauvrir le reste.

Mes chers collègues, nous venons de ratifier, cet après-midi, le traité de stabilité budgétaire, avec des mesures astreignantes sur le plan budgétaire. Dans une zone euro en grande difficulté, le taux de croissance de la France serait de 0,8 % pour 2013. Malgré le volet croissance et le volet social introduits par le Président de la République, les tentatives de maîtrise des marchés financiers, les efforts exceptionnels en matière de santé, d’éducation, de logement, d’emploi des jeunes, accomplis par le gouvernement actuel, il faut se préparer à des lendemains difficiles.

Le taux de chômage, déjà élevé, a encore progressé en un an de 4 % en Martinique, de 9 % en Guyane et 5,4 % en Guadeloupe. L’histoire de nos pays nous a souvent montré qu’il faut compter d’abord sur nous-mêmes, c’est pourquoi je ne fais pas de cette loi la seule solution à nos problèmes. Je la trouve courageuse, inédite et politique. Elle nous invite à opposer à la dérégulation et à la « profitation » des moyens publics pour lutter contre la vie chère. Elle ouvre les portes à une nouvelle démocratisation du fonctionnement économique. Elle donne les moyens d’intervention, mais elle nous invite aussi à développer l’économie chez nous, et à explorer tout ce qui peut conduire, chez nous, à une croissance économique partagée, dont les bases ne sont ni celles de l’économie d’habitation, ni celles de l’économie de la « profitation ».

Oui, nous avons besoin d’investisseurs. Oui, nous avons besoin de créateurs d’entreprise. Oui, nous avons besoin de commercer et d’échanger. Oui, nous avons besoin d’une politique d’investissement – car pour 12 000 euros d’investissements publics en métropole, il n’y en a que 5 000 dans les départements d’outre-mer, ce qui constitue une injustice flagrante.

Nous avons surtout besoin de construire des bases saines pour une politique de développement de la pêche, de l’agriculture, de l’industrie et du tourisme. En fait, chers collègues, nous avons besoin de produire, de repenser la répartition des richesses, mais aussi de sortir de l’assistanat et de l’économie des rentiers. Pour atteindre cet objectif, il nous faut changer de modèle économique. Nous devons nous saisir de toutes les innovations possibles, de toutes les énergies possibles, de toutes les richesses possibles, de tout ce que nous donnent notre nature, notre environnement caribéen d’Amérique du Sud pour la Martinique, d’Afrique du Sud pour La Réunion, ce que nous donnent nos milliers de jeunes formés, qui font le bonheur de très nombreuses entreprises à l’étranger, ce que nous donne notre appartenance à une République qui se doit de construire des champs de responsabilités régionales, où l’application de l’égalité des droits, conquête de la Constitution de 1946, ne peut en aucune manière s’ériger contre le besoin d’expression des différences.

C’est pour toutes ces raisons que, dès le départ et de manière continue, nous avons soutenu votre texte, et que je demande à l’Assemblée de le voter. Ce n’est là que la première étape d’un long chemin vers un autre développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin. Monsieur le président, monsieur le ministre des outre-mer, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le problème de la vie chère est récurrent pour les outre-mer et mérite une attention particulière, que la précédente majorité lui avait d’ailleurs accordée. Les inquiétudes qui s’étaient exprimées en 2009 revêtaient bien sûr un caractère multiforme, mais c’est la cherté de la vie qui avait été l’élément déclencheur du mouvement de protestation.

Le précédent gouvernement s’était efforcé d’y répondre par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, dont j’avais été le rapporteur, et par la mise en place d’un dialogue sans précédent, avec les états généraux de l’outre-mer, à l’issue desquels le conseil interministériel de l’outre-mer avait arrêté des mesures, dont plusieurs étaient relatives à la diminution du coût de la vie.

Nous sommes donc bien conscients que la cherté de la vie est une préoccupation majeure des populations ultramarines. En cela, monsieur le ministre, vous vous inscrivez dans une forme de continuité de l’action engagée par vos prédécesseurs. Pour autant, les solutions apportées par ce projet de loi ne nous paraissent ni les plus appropriées ni les plus utiles.

En effet, de nombreuses mesures ont déjà été mises en place sous la législature précédente. Il aurait été préférable d’en faire un bilan complet et objectif, quitte à opérer ensuite, le cas échéant, des ajustements.

La délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, qui vient d’être créée – le groupe UMP s’en félicite et je salue son président, Jean-Claude Fruteau –, aurait pu être opportunément mobilisée pour une telle mission d’évaluation.

Permettez-moi aussi de rappeler que la LODEOM avait pour objectif de créer les conditions d’un développement économique en outre-mer en privilégiant la compétitivité des entreprises, notamment dans leur environnement régional.

La loi a ainsi créé des zones franches d’activité, ce qui se traduit par des exonérations fiscales significatives, en particulier pour ce qui est de l’impôt sur les bénéfices, de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés bâties. En outre, elle permet de réglementer par décret en Conseil d’État le prix de vente des produits de première nécessité dans les collectivités ultramarines où l’État détient cette compétence.

Entre mars et juillet 2009, après la crise sans précédent traversée par les territoires d’outre-mer, se sont tenus les états généraux de l’outre-mer, qui ont associé tous les acteurs ultramarins et ont permis d’élaborer une véritable feuille de route. Le conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009 a ainsi décidé de 137 mesures concrètes et opérationnelles couvrant tous les domaines.

La question de la baisse des prix et de la transparence des circuits de distribution a constitué un axe de réflexion majeur et a donné lieu à des mesures concrètes, que je me permets de rappeler.

Premièrement, l’Autorité de la concurrence a été dotée de pouvoirs renforcés lors des opérations de rachat de supermarchés ou d’hypermarchés.

Deuxièmement, le seuil de notification des opérations de concentration pour le secteur du commerce de détail a été abaissé de 15 à 7,5 millions d’euros par la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services.

Troisièmement, les groupes d’intervention régionaux concurrence ont été créés par arrêté préfectoral en 2010. Les GIR concurrence réunissent les compétences des services en charge de la concurrence et de la consommation, ainsi que des douanes et des services fiscaux. Ils effectuent des enquêtes sur le fonctionnement des secteurs commerciaux et assurent une veille efficace du respect des règles de la concurrence.

Quatrièmement, les présidents des observatoires des prix et des revenus, suite au recueil des données statistiques, peuvent pour avis l’Autorité de la concurrence.

Or, au lieu d’un véritable travail de fond, nous examinons ce soir un texte à l’ambition limitée et, pour tout dire, assez cosmétique. La rapidité, voire la précipitation avec laquelle ce texte a été élaboré et est examiné nous interpelle. Cela semble s’apparenter à une simple loi d’affichage.

En effet, ce texte vise uniquement le contrôle des prix et la régulation économique. Or, améliorer la situation des outre-mer, ce n’est pas que cela. Il y a d’autres pans de l’économie qui méritent une action appropriée. J’en citerai quelques-uns.

D’abord, il faut aider les PME à exporter et à conquérir de nouveaux marchés.

Ensuite, il convient de valoriser les filières de production locale, notamment l’agriculture et l’aquaculture. À cet égard, monsieur le ministre, que fait le Gouvernement pour tenir compte des spécificités de l’outre-mer dans la réforme à venir de la politique agricole commune ?

Par ailleurs, il faut promouvoir les espaces naturels et la biodiversité, ce qui permettrait par exemple de répondre à une nouvelle demande en matière de tourisme : celle d’un écotourisme plus responsable. L’économie en outre-mer, c’est aussi l’économie touristique.

Au nom du groupe UMP, je souhaite enfin – même si je vous ai entendu tout à l’heure, monsieur le ministre, faire un distinguo subtil entre la concurrence, qui serait de droite, et les lois de la concurrence, qui seraient de gauche – mettre en garde contre la mise en place d’une économie suradministrée,…

M. Razzy Hammadi. Oh !

M. Didier Quentin. …fût-elle rebaptisée – je vous cite – « régulation intelligente ».

Certes, il faut des contrôles et il faut réguler les marchés, pour éviter les abus – ou la « profitation », comme il a été dit tout à l’heure –, mais il faut aussi faire attention à ne pas réduire à néant les principes de liberté du commerce et de liberté d’entreprendre.

À cet égard, l’article 5 de ce texte accorde à l’Autorité de la concurrence des pouvoirs importants par des dispositions dérogatoires au droit commun. Ces pouvoirs sont assortis de la possibilité de prononcer des sanctions lourdes, qui seraient appliquées en cas de pratiques anticoncurrentielles, mais celles-ci ne sont pas caractérisées dans l’article en question.

Comme l’ont indiqué nos collègues Catherine Vautrin, devant la commission des affaires économiques, et Philippe Houillon, devant notre commission des lois, il convient – si toutefois l’on peut s’exprimer ainsi – de garantir les droits de la défense. Il importe donc que l’Autorité de la concurrence précise la notion de « préoccupation de concurrence » et démontre l’impact négatif sur les prix pour les consommateurs.

Nous proposerons également d’écarter la notion de marge, qui relève de la stratégie de l’entreprise, pour ne parler que du prix, qui seul touche le consommateur final. Des amendements seront défendus en ce sens.

S’agissant du transfert de compétence des greffes des tribunaux de commerce vers les chambres consulaires pour la gestion du registre du commerce et des sociétés, une telle mesure peut soulever quelques craintes en matière de conflits d’intérêts. De surcroît, les chambres consulaires ne possèdent pas les compétences requises.

Sans méconnaître les difficultés actuelles d’enregistrement des entreprises, il nous paraît inopportun de déroger au droit commun, d’autant plus que les efforts accomplis ces dernières années par tous les gouvernements ont visé à rapprocher, d’un point de vue normatif, les départements d’outre-mer de la métropole, conformément à l’article 73 de la Constitution. J’ajoute qu’une telle disposition est contraire au droit européen. La directive 2006/123/CE interdit en effet aux chambres de commerce et d’industrie de délivrer des autorisations administratives individuelles.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les observations que je tenais à faire au nom du groupe UMP. Nous restons par conséquent, je le répète, dubitatifs quant à l’impact réel qu’aura ce projet de loi, même si nous ne mésestimons pas certaines avancées. Nous regrettons également les conditions de son examen. Les territoires ultramarins méritent mieux. C’est pourquoi le groupe UMP s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs, les raisons qui nous conduisent à nous réunir aujourd’hui ont déjà été développées dans les interventions précédentes.

Nos outre-mer sont d’abord des micromarchés insulaires, avec ce que cela suppose de difficultés à y accéder pour les opérateurs économiques, mais aussi pour les produits. Qui plus est, ces micromarchés sont éloignés de leurs zones d’approvisionnement, ce qui nous conduit à supporter des coûts de transport et de fret significatifs. De plus, un certain nombre de groupes se sont constitué, au fil du temps, des positions dominantes, ce qui les donne une marge de manœuvre de plus en plus importante pour décider de leur prix. Nos populations, captives sur leurs îles, en subissent les conséquences ; elles souffrent chaque jour davantage du coût de la vie, avec des revenus particulièrement faibles – j’y reviendrai – si on les compare à ceux de la métropole.

Oui, la vie est plus chère dans nos outre-mer – 55 % plus chère pour plus de la moitié des produits que l’on trouve dans la grande distribution. Eh oui, c’est incroyable ! Disons-le donc, répétons-le et faisons en sorte que ce constat soit entendu partout : la moitié des produits sont 55 % plus cher.

Un rapport de l’INSEE précise également que les produits alimentaires sont plus chers de 35 % à 50 % dans l’ensemble de l’outre-mer. Voilà ce qu’est la réalité de la vie dans nos outre-mer ; voilà ce que subissent nos populations. Aucun observatoire au monde, y compris celui que va créer cette loi, ne pourra nous dire le contraire, sauf si le texte produit les beaux fruits, gros et nombreux, que nous en attendons.

La cherté de la vie dans les DOM ayant été largement évoquée, je me contenterai de traiter du problème dans mon territoire, la Nouvelle-Calédonie, et dans le Pacifique. Là-bas, nous avons mieux qu’un observatoire des prix et des revenus, mieux qu’un rapport de l’INSEE, mieux qu’une étude de l’Institut d’émission d’outre-mer, mieux que le Comité consultatif du secteur financier, mieux que l’Observatoire des tarifs bancaires : nous avons l’« indice Big Mac ». (Sourires.)

Cet indice a été développé dans cinquante pays dans le monde. Il est pertinent, parce que certains paramètres locaux s’y retrouvent, qu’il s’agisse du coût du travail salarié sur ce produit manufacturé – qui se compose, de plus, de produits agricoles –, ou du coût de l’énergie et de l’immobilier commercial, qui sont répercutés sur le prix final. Sachez donc que le Big Mac calédonien est le cinquième Big Mac le plus cher du monde – titre de gloire dont on se passerait –, derrière les Big Mac norvégien, finlandais, suédois et danois et devant le Big Mac de Polynésie française – il n’y a pas de Mac Donald’s à Wallis-et-Futuna. Une autre étude publiée par l’UFC-Que Choisir montre également que les prix sont de 50 % plus élevés outre-mer. Oui, la cherté de la vie dans l’ensemble de l’outre-mer, et dans le Pacifique en particulier, est une réalité.

Nos revenus sont-ils pour autant 50 % plus élevés, afin de nous permettre d’absorber le coût de la vie ? Non, les revenus médians dans les DOM sont en moyenne 38 % inférieurs à ceux de la métropole. En Nouvelle-Calédonie, 17 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 600 euros par mois. En province Nord, les revenus moyens d’un ménage sont de 1 900 euros. Dans la province des Iles, ils sont de 1 600 euros, la moitié de la population vivant avec moins de 1 000 euros par mois. La Polynésie française connaît également une grave crise et c’est dans tout le Pacifique, comme dans le reste de l’outre-mer, que les revenus sont inférieurs à ceux de la métropole. Vous le savez, le PIB par habitant dans les DOM est inférieur de 30 % à 40 % aux chiffres constatés en métropole.

Il est donc légitime de se demander comment nos populations sont restées calmes aussi longtemps, comment elles ont pu faire preuve d’une telle sérénité face à une vie aussi difficile. Le couvercle a fini par sauter, de manière différente selon les endroits. En Nouvelle-Calédonie, une intersyndicale s’est constituée et près de 25 000 Calédoniens ont marché pour dénoncer la cherté de vie. Des accords économiques et sociaux ont finalement été signés avec les principaux partis politiques du pays pour que des réformes en profondeur soient engagées.

La première raison de cette vie chère, c’est l’insuffisance de la concurrence, moribonde dans nos territoires. Ce texte pourrait lui insuffler un peu de vie, mais il ne produira ses effets qu’à moyen et long termes. En effet, il s’accorde mal au temps médiatique, sa vocation étant avant tout structurelle.

Oui, les positions dominantes sont un handicap. L’Autorité de la concurrence, dans son rapport du 8 septembre 2009, indiquait que dans les DOM, un certain nombre de groupes de la grande distribution disposaient à l’échelle départementale, régionale ou d’une zone de chalandise de plus de 40 % des parts de marché. En Nouvelle-Calédonie, les deux principaux groupes contrôlent 85 % des parts de marché du Grand Nouméa, où vivent les trois-quarts de la population. En Polynésie française, la situation est plus grave encore. Sur nos îles, le duopole, le monopole, l’arrangement collusif ou les petits arrangements entre amis sont habituels à tous les étages de nos économies et contribuent fortement à la cherté de la vie.

Les nouveaux outils mis en place par le Gouvernement ne doivent pas faire abandonner ceux d’hier. J’ai entendu des critiques injustes à l’égard de la LODEOM, et je le regrette car les débats étaient extrêmement constructifs en commission. Cette loi – qui n’est pas abrogée, ce qui tend à prouver qu’elle n’est pas sans qualités – a créé des outils pour le développement économique : des zones franches d’activité, dont l’intérêt s’est peut-être tari depuis la réforme de la taxe professionnelle, la création d’aides au fret, d’aides à la rénovation hôtelière, une défiscalisation orientée plus particulièrement vers le logement social. Le premier article, qui prévoyait l’encadrement des prix, même s’il a été corrigé é – à juste titre – par le Sénat, pourrait être opérationnel. Il y avait, dans cette loi, de quoi dynamiser l’économie de nos territoires. Il faut tirer le bilan de ce texte, que certains d’entre vous ont adopté, et, le cas échéant, l’améliorer.

Le texte que nous examinons ce soir abaisse le seuil de contrôle des opérations de concentration de 7,5 millions à 5 millions d’euros. Les OPR sont confortés ; mis en place en 2007, ils seront enfin opérationnels dès lors qu’ils seront dotés des moyens humains et financiers nécessaires. L’injonction structurelle, arme de dissuasion massive qui a vocation à ne pas être utilisée, devra l’être lorsqu’un groupe en position dominante pratiquera des marges ou des prix élevés par rapport à des moyennes constatées dans un même secteur d’activité. Que l’Autorité de la concurrence puisse obliger le groupe à céder une part de ses actifs peut être perçu comme une procédure violente, mais c’est la condition pour que nous retrouvions un peu de cette concurrence qui nous fait aujourd’hui tant défaut.

Je remercie la commission et le Gouvernement d’avoir accepté un certain nombre d’amendements que j’ai déposés au nom du groupe UDI. Le premier, qui vise à plafonner les frais bancaires en Nouvelle-Calédonie, sera, je l’espère, étendu à la Polynésie française au cours de la séance de demain. Comme le montre l’Observatoire des tarifs bancaires, les tarifs pratiqués en Nouvelle-Calédonie sont jusqu’à 10 fois plus élevés que ceux constatés en métropole. Un autre amendement permet d’étendre le champ d’application de la loi Mermaz de 1989 pour protéger les locataires. Enfin, les victimes dans le statut civil coutumier Kanak pourront désormais bénéficier d’une indemnisation dans le cadre d’un procès pénal grâce à un amendement adopté par la commission. De leur part, merci.

Le groupe UDI votera cette loi. J’espère que demain, nous pourrons ensemble nous féliciter du travail effectué. Même si c’est sur le terrain qu’une loi connaît le baptême du feu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI, du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre des outre-mer, madame la rapporteure, mes chers collègues, la loi qui nous est soumise est relative à la régulation économique outre-mer. On l’appelle communément loi sur la « vie chère ».

Oui, la vie est chère en outre-mer. Il aura fallu plusieurs années et le changement de gouvernement pour se rendre compte que la France ne se limitait pas seulement à l’Ile-de-France.

Les différents mouvements de contestation de ces dernières années nous rappellent l’importance et l’urgence de régler définitivement ces problèmes d’inégalité territoriale, d’inégalité face à la consommation, d’inégalité de l’offre.

Plusieurs étapes sont nécessaires pour relever ce défi. Il convient d’abord de légiférer sur les marchés pour casser les positions dominantes déjà présentes. Il faut ensuite permettre une régulation et un contrôle de l’État sur ces marchés. On pourra alors, mais alors seulement, inverser la logique commerciale en outre-mer – l’importation massive – et permettre un développement économique local et régional. Enfin, il faudra assurer un suivi efficace de ces politiques économiques.

Il faut, en premier lieu, retrouver au plus vite une situation saine de concurrence. L’article premier permet au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour enrayer les abus de position dominante, notamment dans les marchés de gros de biens, de services, d’acheminement, de stockage et de distribution des produits.

L’Autorité de concurrence voit son pouvoir renforcé pour accomplir cette mission par les articles 2 et 3. Les régions d’outre-mer pourront saisir cette autorité si elles estiment que le marché de la concurrence est faussé par certains acteurs. Pour que l’Autorité de concurrence fasse respecter ses décisions, un pouvoir d’injonction structurelle lui est conféré.

Il est capital d’assurer la concurrence en outre-mer pour revenir à des prix raisonnables. En mars 2010, le niveau général des prix à la consommation était globalement plus élevé dans les départements d’outre-mer qu’en métropole. Les chiffres sont éloquents. Sur les produits alimentaires, l’écart peut être de 40 %. Le plus alarmant est que les écarts de prix sont restés du même ordre depuis 1985, selon des études menées par l’INSEE.

L’outre-mer a ainsi été laissé aux mains des oligopoles, monopoles et cartels pendant trente ans. Ces situations amènent parfois à des pratiques douteuses. On peut citer le cas d’un grand groupe de distribution en Nouvelle-Calédonie, épinglé dernièrement pour des infractions concernant des pratiques de marges arrière à l’encontre de plusieurs de ses fournisseurs. Au détriment du consommateur, encore une fois, le prix de vente augmentant irrémédiablement.

Pour protéger les consommateurs, il faut davantage de transparence dans les transactions et dans les prix. L’instauration d’un bouclier « qualité-prix » dans l’article 6 bis permettra de réglementer les prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité.

Une fois les marchés régulés, nous pourrons construire un avenir économique pérenne pour les outre-mer. Le constat est bien là : les outre-mer sont dépendants de la métropole dans leurs importations.

La situation actuelle est le résultat d’une exploitation coloniale orientée vers la métropole, empêchant l’apparition de processus locaux d’entraînement financier, commercial et social. À une certaine époque, il était interdit aux colonies de développer des activités susceptibles de concurrencer celles de la métropole ! Cette dépendance implique notamment de longs trajets de marchandises, qui alourdissent les tarifs, sans parler du coût carbone.

Cela a aussi un impact sur l’économie locale. Il fallait mettre fin une bonne fois pour toutes à cet esprit colonial toujours présent. La première étape consiste donc à enclencher le développement de la coopération entre les territoires ultramarins et leurs voisins, sur le plan économique, social et sanitaire, dans les domaines éducatif, culturel et environnemental. Il est absolument nécessaire d’inscrire de nouveau les territoires d’outre-mer dans l’espace qui leur est propre.

Leur expérience, leurs spécificités font la richesse de ces territoires. De meilleurs échanges permettraient de diversifier leurs économies, d’exploiter des qualités qui le sont trop peu et par exemple une biodiversité rare et recherchée, de créer des emplois stables et de qualité, de faire du développement soutenable.

Il est également nécessaire de développer fortement la production locale et de permettre à ces territoires d’exporter. Le coût de la vie diminuera avec la baisse des importations de métropole qui, je le rappelle, concernent 80 % des produits consommés.

L’article 8 du projet de loi modifie le code général des collectivités territoriales pour instaurer une exception à la règle voulant que toute collectivité territoriale maître d’ouvrage d’une opération d’investissement doive assurer une participation minimale au financement de ce projet. Ainsi, il est donné à ces territoires la possibilité d’être entièrement financés par d’autres structures, dont l’État. Cela facilitera les opérations économiquement structurantes dont ces territoires ont tant besoin.

Le groupe écologiste propose d’aller plus loin dans le fléchage de ces sommes. Par ailleurs, il convient de s’assurer que ces opérations respectent des critères sociaux et environnementaux, quand on sait que les collectivités d’outre-mer ont un besoin urgent de structures de transports collectifs, de production d’énergies renouvelables ou encore de centres d’assainissement. Le maître mot, c’est l’efficacité. Il faut privilégier les opérations qui font évoluer les territoires vers plus d’autonomie et prennent en compte leur potentiel local.

Avec cette loi, nous prenons les choses en main. Je me réjouis que le groupe UMP ait choisi de s’abstenir – ce qui, à mes yeux, vaut approbation – et que le groupe UDI s’apprête à voter en faveur de ce projet de loi. Nous nous dirigeons donc vers une adoption à l’unanimité. Je regrette seulement que nous soyons aussi peu nombreux dans l’hémicycle ce soir, alors que nous sommes nombreux à nous retrouver sur ce projet.

Le Gouvernement a bien pris en compte les réalités du terrain et les actions à mettre en œuvre. Cependant, il est primordial d’effectuer un suivi régulier des politiques menées.

L’article 7 bis CA crée un observatoire des prix et des revenus en outre-mer. Il est composé de différents acteurs locaux : parlementaires, collectivités, État, syndicats et associations de consommateurs.

Un amendement déposé au Sénat par mes collègues Aline Archimbaud et Joël Labbé proposait plutôt la création d’un comité de suivi, chargé d’évaluer l’application de la présente loi, avec, en fond, des questions de bon sens : Quel usage le Gouvernement fera-t-il des nouveaux outils qui lui seront conférés ? Suffisamment de moyens seront-ils donnés à l’Autorité de la concurrence pour qu’elle puisse mener à bien les missions qui lui sont confiées ?

Je crains qu’aujourd’hui l’article 7 bis CA, dans lequel le Gouvernement ne reprend que partiellement cette proposition, ne fasse l’impasse sur ces questions. Nous aurions préféré que l’on crée un comité aux compétences et aux moyens d’action beaucoup plus larges plutôt qu’un simple observatoire. Nous serons donc très attentifs à la mise en place de cette structure.

Pour conclure, nous souhaitons élargir le débat dans le cadre de ce projet de loi, par exemple aux nombreux produits alimentaires de consommation courante qui ont une concentration en sucre supérieure à celle du même produit de même marque vendu en France métropolitaine. Ces écarts sont inadmissibles et, à l’heure où les enjeux de santé publique sont au cœur des préoccupations, l’on ne peut accepter en outre-mer ces produits dangereux pour la santé de nos compatriotes. Nous proposerons donc un amendement réglementant le taux de sucre dans certains produits.

Toujours dans un souci de santé publique, nous souhaitons interdire définitivement les épandages aériens sur les territoires d’outre-mer. Il nous semble indispensable d’appliquer dans ces territoires fragiles une législation très stricte pour permettre un développement soutenable.

Monsieur le ministre, vous faites par cette loi ce que vos prédécesseurs n’ont pas su ou voulu faire : restaurer l’égalité dans les territoires d’outre-mer. Nous, écologistes, soutenons fortement ce projet de loi. Par nos amendements, nous souhaitons montrer que la transition économique pour plus d’égalité et de pérennité ne peut se faire qu’avec une vision intégrant les fondamentaux de l’écologie : production locale, valorisation des richesses et des territoires, préservation de l’équilibre socio-économique et environnemental, réappropriation enfin de leur territoire par les citoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin, pour le groupe RRDP.

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vie chère constitue manifestement un frein majeur au développement économique des outremers. Il s’agit d’une réalité incontestable à laquelle ce gouvernement aura eu le grand mérite et le courage de s’attaquer rapidement avec ce projet de loi, prouvant ainsi que les outre-mer constituent une préoccupation de premier rang pour la nouvelle majorité. Et je veux à nouveau féliciter Victorin Lurel pour avoir porté avec ténacité ce texte qui ne fait pas l’unanimité.

Cependant, cette réponse urgente, adaptée pour s’attaquer à la problématique de la vie chère dans les DOM, ne l’est pas obligatoirement pour les collectivités d’outre-mer. En effet, la petite taille de Saint-Martin, Saint-Barthélemy ou de Saint-Pierre-et-Miquelon fait que la question ne se présente pas toujours selon les mêmes termes. Par exemple, la régulation de la concurrence, qui constitue bien un impératif dans les DOM, aura chez nous un impact beaucoup plus limité, car la majeure partie des acteurs économiques d’envergure se trouve souvent en situation de monopole naturel et inévitable. Aussi, une approche au cas par cas s’imposera.

Concernant Saint-Pierre-et-Miquelon, les sources de la vie chère sont bien identifiées. Tout d’abord, la desserte en fret dont dépend l’archipel pour la quasi-totalité de sa consommation demeure encore pénalisante pour l’économie locale, alors que l’État mobilise – et il faut s’en féliciter – de très importants moyens, notamment dans le cadre d’une délégation de service public pour le fret maritime, qui devra être renégociée.

Ensuite, notre faible population entraîne de faibles volumes d’importation, qui mettent en situation désavantageuse les importateurs lorsqu’il s’agit de négocier avec leurs fournisseurs.

Notre économie est également directement exposée aux fluctuations, plutôt défavorables ces dernières années, du taux de change entre l’euro et le dollar canadien.

Le régime douanier et le système de taxation en vigueur pèsent sur le coût de la vie et méritent une refonte en profondeur. Mais dans la mesure où ces compétences dépendent directement du Conseil territorial, l’État ne pourrait ici avoir qu’un rôle d’accompagnement si tel était, bien entendu, le souhait de la collectivité.

En tout état de cause, il est incontestable que notre archipel subit une inflation structurelle très élevée. Il s’agit donc de mener une action en amont pour s’attaquer aux causes de l’inflation, afin de réduire le coût de la vie à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ceci passe par la régulation des prix de certains produits essentiels, ce qui est déjà le cas, par exemple, pour le carburant. L’Observatoire des prix et des revenus pourrait ici être un support utile… Encore faudra-t-il lui en donner les moyens humains et financiers – je rejoins ici Serge Letchimy, pour qui le mot « marges » pourrait fort bien se substituer au mot « revenus » dans son intitulé.

Toujours concernant les conditions de formation des prix, une intervention directe de l’État, étendant aux échanges avec le Canada l’aide aux intrants et aux extrants mise en place par la LODEOM, serait hautement bénéfique. C’est en tout cas une demande déjà formulée par l’ensemble des acteurs locaux.

À cette action structurelle en amont, il est aussi nécessaire d’ajouter une action en aval pour remédier aux conséquences de la vie chère. C’est tout le sens de notre combat, et pour cela il nous faut rattraper les retards pris par l’archipel. Je pense ici notamment au pouvoir d’achat des retraités de la caisse de prévoyance sociale et de l’ENIM, qui attendent que l’État respecte enfin ses engagements politiques, pris lors du vote de la LODEOM. Et je compte sur votre soutien, monsieur le ministre, pour que ce soit chose faite avant la fin de l’année.

Je souhaiterais également vous remercier, monsieur le ministre, pour l’évidente volonté du Gouvernement de voir aboutir dans ce projet de loi certaines mesures tant attendues par mes concitoyens, comme l’extension à l’archipel des aides au logement et des modalités de financement de l’action sociale.

Il nous reste cependant à réduire certaines inégalités. C’est le but de mon action en faveur d’une adaptation du fonctionnement des aides à la continuité territoriale, et tout particulièrement du passeport-mobilité, pour tenir compte des spécificités géographiques et économiques de notre territoire. Et j’espère, monsieur le ministre, que le travail que nous avons entamé ensemble et avec vos services, à l’image de celui qui a été effectué pour les territoires du Pacifique, aboutira bientôt à l’adoption du décret nécessaire.

Quant au climat, il n’est nullement comparable à celui que connaissent les autres DOM ou COM et a des conséquences financières importantes sur le budget des ménages et des entreprises, dont l’illustration la plus parlante est la nécessité spécifique de se chauffer douze mois sur douze. Cette situation appelle une réponse tout aussi spécifique de la part de l’État : à ce titre, ne pourrait-on pas envisager une pérennisation à Saint-Pierre-et-Miquelon du dispositif de prime à la cuve mis en place il y a quelques années de cela ?

Enfin, une action s’impose afin de clarifier la perception que peuvent avoir les différents acteurs, notamment publics, de ce décalage du coût de la vie entre l’archipel et la métropole – de 30 % à 60 %. Ceci passe effectivement – comme vous l’avez confirmé en première lecture de ce projet de loi au Sénat, monsieur le ministre – par une révision impérative du calcul du PIB ou encore des indicateurs fournis dans le cadre des travaux budgétaires annuels, qui laissent apparaître une situation en totale déconnexion avec les réalités économiques du terrain et qui ne correspondent en rien au pouvoir d’achat réel des Saint-Pierrais et Miquelonnais dans le contexte spécifique de vie chère que nous venons d’évoquer.

En tout état de cause, concernant les collectivités d’outremer, et tout particulièrement Saint-Pierre-et-Miquelon, il est clair que ce texte, pour nécessaire qu’il soit, ne constitue qu’une première étape d’un travail que nous avons cinq ans pour mener à bien.

Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, il s’agit, d’une part, du développement des équipements structurants de l’archipel, avec notamment l’inévitable remise à niveau des ports et, d’autre part, de l’accompagnement des entreprises et des porteurs de projets, particulièrement dans le secteur de l’économie maritime.

C’est à nous aujourd’hui, monsieur le ministre, de trouver ensemble les modalités d’une véritable action de fond de l’État pour accompagner efficacement les acteurs locaux et créer les conditions structurelles qui assureront l’avenir de l’archipel et de nos jeunes.

M. le président. Merci de conclure, madame Girardin.

Mme Annick Girardin. Pour conclure, monsieur le ministre, encore une fois merci pour ce premier texte, amélioré par nos collègues du Sénat, éclairé et précisé par les travaux de notre toute nouvelle délégation aux outre-mer ou encore en commission des affaires économiques. À nous maintenant, chers collègues, d’apporter par amendements les dernières modifications qu’il convient de faire, pour qu’il réponde au mieux à nos besoins. Quoi qu’il en soit, le groupe RRDP le votera. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe GDR.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les outre-mer, le coût de la vie est une préoccupation ancienne que rien n’est venu démoder. Rien : ni la mondialisation, qui a démultiplié les échanges à travers la planète, ni la restructuration du tissu commercial avec l’implantation, en 1988, du premier hypermarché, ni l’augmentation de la demande liée à la démographie et à la réalisation progressive de l’égalité sociale. La vie chère a résisté à tout. La vie chère, dans les outre-mer, a été jusqu’ici plus forte que tout. Plus grave encore : les prix ont même augmenté, particulièrement pour les produits alimentaires.

Rien de surprenant, donc, à ce que les populations n’aient cessé de déplorer et de dénoncer cette situation. Et la surprise est moins grande encore quand on sait que les revenus moyens sont parmi les moins élevés. Deux chiffres suffisent à éclairer l’ampleur des difficultés des familles : outre-mer, l’alimentation coûte presque 40 % de plus qu’en France hexagonale, alors que le revenu médian y est inférieur de près de 40 %. Comme le bon sens indique que le pouvoir d’achat est le rapport entre ces deux données, on voit que ce pouvoir d’achat, dans les outre-mer, obéit à la pire configuration qui soit.

Cependant, les pouvoirs publics ont tardé à réagir. Qu’on se souvienne que l’Observatoire des prix et des revenus est issu d’une initiative des députés de La Réunion lors de l’examen de la loi d’orientation pour l’outre-mer en 2000 et qu’il a été voté – je m’en souviens – contre l’avis du Gouvernement. Qu’on se souvienne qu’il a fallu des pétitions citoyennes pour que cet organisme voie le jour sept ans – oui, sept ans ! – plus tard.

Plus récemment, en 2008, lors de l’examen de la loi de modernisation de l’économie, le dispositif destiné à prévenir les concentrations dans la grande distribution a été supprimé contre l’avis des parlementaires d’outre-mer, et sans que nous soit étendu le dispositif sur les seuils de notification.

Il a fallu 2009 et les impressionnantes manifestations dont nous nous souvenons tous pour que la prise de conscience affleure au plus haut niveau. Depuis lors, études et diagnostics se sont multipliés qui, toutes et tous, confirment les appréciations des ménages, toutes et tous pointent les surcoûts qui ne cessent de s’additionner, de s’amonceler. « Chacun des acteurs de la chaîne logistique facture des prix plus ou moins élevés qui s’empilent et dont le seul consommateur final paie l’addition », peut-on lire dans une étude consacrée à La Réunion. De son côté, le Parlement européen, dans un rapport de 2011, met en évidence le fait que les économies des régions ultrapériphériques sont contraintes, presque dans tous les domaines, par les surcoûts. Dans un avis remarqué, l’Autorité de la concurrence a clairement recensé les difficultés, et montré que si elles tiennent en partie à nos spécificités, elles tiennent surtout aux modalités de commercialisation des marchandises.

Il apparaît clairement, à la lecture de ces travaux, que la cherté de la vie en outre-mer est loin d’être une fatalité. On peut même avancer l’hypothèse que l’éloignement, l’insularité et l’exiguïté de nos marchés, facteurs souvent mis en avant, ont constitué de très utiles paravents, à l’ombre desquels une économie de monopoles et de marges s’est tranquillement, beaucoup trop tranquillement, développée.

Même s’il n’aborde pas tous les aspects constitutifs de la vie chère, ce texte a le grand mérite de ne pas se limiter à un seul stade de la formation des prix, mais d’envisager toutes les étapes en remontant, pour ainsi dire, à la source du processus. Cette démarche n’avait jamais été entreprise. Elle est pourtant indispensable puisque, pour s’approvisionner, la grande distribution outre-mer, privilégie le circuit le plus long, circuit assorti d’intermédiaires, de pratiques d’exclusivité et, naturellement, de marges confortables.

Le temps est sous doute arrivé où il n’est plus possible de s’en remettre à la seule loi de l’offre et de la demande. Bientôt, les consommateurs risquent de se lasser de financer à perpétuité les dysfonctionnements de marchés livrés à eux-mêmes, ou plutôt à leurs outrances.

Quand des économies de marché agglomèrent à ce point des monopoles privés, des oligopoles et toutes sortes de concentrations, une régulation adaptée devient indispensable, cela à tous les niveaux de la formation des prix.

Mais, pour que les réductions de coût se répercutent aussi de maillon en maillon jusqu’au consommateur final, cette régulation doit s’accompagner d’une programmation précise d’objectifs partagés.

Nous avons bien noté qu’il ne s’agissait pas d’un texte de portée générale. Mais comment ignorer que l’éloignement a évidemment un coût ? Comment oublier que notre principale source d’approvisionnement est à des milliers de kilomètres ? La lutte contre la vie chère passe simultanément par une production locale soutenue, et par la concrétisation de cette politique de grand voisinage souhaitée désormais par tous. L’efficacité des dispositifs proposés dans ce texte s’en trouverait, à n’en pas douter, décuplée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. Chers collègues, j’ai laissé parler un peu plus longtemps tous les orateurs de chacun des groupes.

Nous avons encore une vingtaine d’inscrits dans la discussion générale. J’invite donc chacun d’entre vous à essayer de respecter au mieux son temps de parole. Faute de quoi, la séance ira très tard dans la nuit.

La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je voudrais souligner l’intérêt évident de cette loi sur la régulation économique des outre-mer et appuyer les réponses concrètes qu’elle propose de mettre en œuvre au cœur des règles du commerce dans nos outre-mer.

Le contexte économique de nos régions ultramarines nécessite depuis des années des décisions politiques. Elles trouvent aujourd’hui, grâce à l’initiative du Gouvernement et à votre détermination, monsieur le ministre, une traduction pertinente et équilibrée dans les lois de la République.

Il aura fallu aux petits producteurs et aux entreprises locales attendre beaucoup de temps pour que des règles équitables soient instituées, tout comme il aura fallu beaucoup de courage et de patience pour que cette équité soit garantie aux familles de nos territoires sous contraintes.

Je veux vous exprimer ma solidarité sur le fond de ce projet de loi pour lequel vous avez mené, monsieur le ministre, une concertation sérieuse et plurielle.

La vie dans nos territoires est devenue une lutte contre la vie chère laquelle accentue l’insécurité : insécurité sociale et précarité des hommes, des femmes et de leur foyer face au chômage – comme dans l’hexagone, c’est vrai, mais plus encore en outre-mer ; insécurité économique, en raison des contraintes géographiques particulières de nos terres outre-mer, face auxquelles nos économies locales méritent d’être soutenues.

Oui, tous les jours, des hommes et des femmes s’appauvrissent et, légitimement, s’interrogent sur les prix des denrées alimentaires les plus basiques : qu’elles soient importées ou qu’elles soient produites sur place, leurs prix n’obéissent plus qu’à peu de règles. Vous l’avez vous-même, monsieur le ministre, constaté sur le marché de Cayenne, lors de votre récente visite en Guyane. Je veux saluer votre initiative, car vous osez participer, avec le Gouvernement, à cette lutte.

Monsieur le ministre, oui, il s’agit bien de mettre de l’ordre et de modifier les règles. De nouvelles règles devront faire écho aux mouvements sociaux de la fin 2008 en Guyane, alors confrontée à des augmentations abusives des prix du carburant ; elles devront répondre aux attentes exprimées lors des graves crises sociales qui ont eu lieu en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion en 2009 et en 2012, sans oublier Wallis-et-Futuna, puis Mayotte en 2011.

Ce projet de loi de régulation économique, s’agissant des prix, mais aussi des marges sur les ventes de produits et de services, qui sont de 30 % à 50 % supérieurs à ceux pratiqués dans l’hexagone, doit néanmoins être renforcé.

Je suis fortement pour rendre obligatoire la communication des coûts d’itinérance des produits, ainsi que l’étendue des marges pratiquées par les distributeurs sur les produits de première nécessité.

Pour encore plus d’équité, je crois qu’il faut aussi protéger nos productions locales contre toutes les pratiques de marges arrière des grossistes et des grandes entreprises. De même, il faut dissuader les producteurs locaux de tout abus au prétexte de la saisonnalité et de l’absence de calcul de marges raisonné sur la vente de leur production aux consommateurs.

Il faut aussi que les consommateurs soient correctement informés, non plus sur la seule traçabilité biologique et technique des produits, mais aussi sur une certaine forme de traçabilité mercantile.

Alors, lutter contre les monopoles, oui ; contre les accords exclusifs d’importation, oui ; contre les marges intermédiaires élevées, oui ; pour encadrer les prix des produits de première nécessité, encore oui.

Mais, il faudra aller plus loin.

Je voudrais saluer Mme la rapporteure pour son écoute et pour le travail mené ensemble sur les amendements que j’ai déposés. J’ai en effet proposé de réformer l’Observatoire des prix et des revenus par un amendement visant en premier lieu une modification de l’intitulé qui est lourd de sens. Pour ma part, la mission de cet observatoire se situe clairement au cœur de l’évaluation et du contrôle des prix, mais surtout des marges.

De plus, cette réforme devra faire une place plus significative aux représentants des consommateurs.

Car ne sont-ils pas, ou devrais-je dire ne sommes-nous pas tous, en tant que consommateurs, les premiers juges et aussi les premières victimes de ces dérégulations des marchés ? Si c’est le cas alors, est-il pensable qu’un juge ne siège pas au moment des verdicts ?

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, chers collègues, cette loi est une avancée importante, car réussir à modérer les prix apportera une amélioration notable au budget des ménages et in fine à leur pouvoir d’achat. Je crois en cet élément de croissance-là, plutôt qu’à celui qu’ont privilégié ceux qui vous ont précédé.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, je ne vais pas conclure tout de suite. Si vous me le permettez, je vais parler une minute de plus.

M. le président. Cela va être compliqué…

Mme Chantal Berthelot. Nos outre-mer connaissent la paupérisation de nos populations, ils connaissent les écueils du chômage et du non-emploi, ils connaissent la déshérence de notre jeunesse et, plus que tout, ils connaissent la déstructuration de nos sociétés humaines.

Alors, mon dernier « oui » est pour ces mesures fondamentales qui permettront de retrouver une forme de justice économique dans un premier temps, ensuite, une forme de régulation et d’organisation plus équitable du monde économique, et enfin, une forme d’espoir et d’ouverture à nos environnements géographiques proches.

Je vais faire plaisir au président en passant dès maintenant à ma conclusion.

Monsieur le ministre, je crois que le vrai enjeu politique dont il est question aujourd’hui est que les plus riches s’enrichissent tandis que les plus pauvres sont encore plus pauvres. Cet engrenage se généralise. C’est pour cet enjeu que je me mobilise sur le plan de l’économie de nos territoires. C’est pour cet enjeu que je veux vous encourager, monsieur le ministre, à aller plus loin au nom de la fraternité et de l’égalité, partout sur toutes les terres de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Il ne s’agit pas tant de faire plaisir au président que de respecter un règlement et une répartition des temps de parole. Cela étant, madame la députée, je vous remercie d’avoir écourté votre propos.

La parole est à M. Daniel Gibbes.

M. Daniel Gibbes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, en tant qu’élu ultramarin, je veux voir dans ce projet de loi – au-delà des divergences politiques claniques – une extension naturelle et cohérente des dispositifs mis en place par la majorité précédente, après la crise sociale sans précédent traversée par nos territoires en 2009.

M. Daniel Fasquelle. Très bonne remarque !

M. Daniel Gibbes. La lutte contre la cherté de la vie outre-mer est un objectif qui fait consensus.

Un diagnostic aussi précis qu’exhaustif des problématiques spécifiques à chacun de nos territoires ultramarins a pu être établi grâce à la tenue des états généraux de l’outre-mer, au lendemain de ces bouleversements sociaux. Ces états généraux ont débouché sur la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer : une LODEOM dont l’objectif était de créer les conditions d’un développement économique outre-mer en privilégiant la compétitivité des entreprises, notamment dans leur environnement régional.

Des mesures concrètes s’attaquant à la problématique de la baisse des prix et de la transparence des circuits de distribution ont ainsi pu voir le jour. L’Autorité de la concurrence a été dotée de pouvoirs renforcés lors des opérations de rachat de supermarchés ou d’hypermarchés. Le seuil de notification des opérations de concentration pour le secteur du commerce de détail a été abaissé de moitié. Des groupes d’intervention régionaux de la concurrence ont été créés en 2010 dans chaque territoire d’outre-mer, par arrêté préfectoral.

M. Daniel Fasquelle. C’est exact.

M. Daniel Gibbes. Malgré ces avancées concrètes, ce texte de la LODEOM méritait non seulement des ajustements, mais aussi d’aller plus loin, je le conçois.

Néanmoins je m’interroge aujourd’hui sur la méthode souhaitée par le Gouvernement : ces ajustements n’auraient-ils pas pu être, par exemple, débattus, dessinés par les parlementaires de la jeune délégation des outre-mer de l’Assemblée nationale, présidée par M. Fruteau ? Malgré l’urgence de la situation outre-mer, fallait-il faire adopter à la va-vite un texte qui aurait mérité d’être un peu plus ambitieux, en collant plus à la réalité et à la complexité de nos territoires ? Nos nombreuses interventions sont la preuve de cette complexité.

De plus, nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut des contrôles, que la régulation des marchés est nécessaire pour éviter les abus. En revanche, il ne faut pas perdre de vue qu’une économie « suradministrée » risque de réduire à néant les principes de la liberté du commerce ou de la liberté d’entreprendre.

C’est en ce sens que j’avais déposé devant la commission des affaires économiques une série d’amendements dont le but était d’exclure la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin des dispositifs contenus aux articles 1er, 2, 3 et 5 du chapitre Ier de ce projet de loi. Ces amendements ont été, sans surprise, monsieur le ministre, rejetés en commission…

M. Daniel Fasquelle. Quel dommage !

M. Daniel Gibbes. …mais il me semblait important de mettre en évidence les risques de « l’envers de la médaille » – si je puis m’exprimer ainsi – du projet de loi pour cette jeune collectivité d’outre-mer.

M. Daniel Fasquelle. C’est en effet une situation particulière.

M. Daniel Gibbes. Il ne s’agit pas de prêcher pour ma paroisse, monsieur le ministre, mais plutôt de prendre un exemple que je connais bien, puisqu’il s’agit de ma circonscription…

M. Victorin Lurel, ministre. C’était la mienne…

M. Daniel Gibbes. C’était en effet la vôtre il y a peu ! (Sourires.)

En effet, renforcer de la sorte le carcan législatif sur ce petit territoire binational, sans frontière matérialisée avec sa sœur PTOM – pays et territoires d’outre-mer – qui dispose, elle, d’infrastructures majeures, et avec laquelle elle peine d’ores et déjà à rivaliser sur le plan de la concurrence ou des coûts du travail, c’est pousser à la délocalisation les entreprises françaises en partie hollandaise. Je n’ai fait que le répéter dans diverses commissions.

Sur une île où l’économie est déjà exsangue, cette suradministration pourrait avoir des conséquences dangereuses.

C’est donc tout naturellement que, comme mes collègues du groupe UMP, je suis assez dubitatif sur l’impact qu’aura ce projet de loi et j’en regrette les conditions d’examen.

M. Daniel Fasquelle. Il a raison !

M. Serge Letchimy. Non, il a tort !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Que proposez-vous, monsieur Gibbes ?

M. Daniel Gibbes. Je souhaite néanmoins souligner l’importance, pour nos territoires, de l’article 11 bis – je suis sûr que Serge Letchimy ne me démentira pas sur ce point – qui vise à transférer, dans nos outre-mer, la tenue du registre du commerce et des sociétés, actuellement géré par les greffes des tribunaux mixtes, aux chambres de commerce et d’industrie locales.

Sur ce point encore, j’ai souhaité attirer l’attention du Gouvernement, par le dépôt d’un amendement, sur la nécessité de confier la gestion du registre du commerce et des sociétés, à titre dérogatoire, à la chambre de commerce et d’industrie de Saint-Martin, sous la surveillance d’un juge, afin notamment de réduire les délais ubuesques de délivrance d’extraits Kbis – trois mois alors que les délais normaux sont de vingt-quatre heures…

M. Serge Letchimy. Ce serait plutôt six mois !

M. Daniel Gibbes. L’objectif est de favoriser le développement d’activités économiques sur le territoire ou tout simplement de mieux contrôler l’activité des entreprises à Saint-Martin.

J’espère, monsieur le ministre, être entendu sur ce point particulier…

M. Daniel Fasquelle. Il doit être entendu !

M. Daniel Gibbes. …qui représente pour tous nos territoires, je crois, une avancée majeure. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le ministre, merci ! Merci d’avoir fait de la lutte contre la vie chère en outre-mer votre priorité et d’avoir apporté des réponses concrètes, dans un temps aussi court, au travers de ce projet de loi.

La vie chère – vous le savez mieux que quiconque, étant vous-même un îlien – est devenue un véritable fléau dans nos départements et collectivités. Il y avait donc urgence à traiter cette situation, urgence à prendre des mesures concrètes face à l’appétit toujours croissant de certains, face à la recherche de plus en plus exacerbée du profit par la grande distribution, souvent en situation de monopole ou de duopole.

Est-il important de rappeler les émeutes de 2009 aux Antilles, de 2011 à Mayotte, de 2012 à La Réunion ou encore la marche de 2011 en Nouvelle-Calédonie qui avait réuni 25 000 personnes derrière le slogan : « Halte à la vie chère » ? La réponse est oui !

Est-il nécessaire d’alerter nos collègues en appelant leur attention sur la réalité calédonienne : 53 000 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté avec 600 euros par mois, 10 000 personnes logeant dans des squats faute d’une politique volontariste de construction de logements sociaux ? Est-il nécessaire de souligner que la fracture sociale s’aggrave ? La réponse est oui !

Monsieur le ministre, si ce projet de loi ne permet de lutter contre la vie chère que dans les départements d’outre-mer, c’est que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont compétentes en matière de concurrence, de réglementation des prix et d’organisation des marchés et que les dispositions réglementaires à prendre, même lorsqu’elles touchent au droit commercial, ne peuvent relever de la compétence générale de l’État.

Toutefois, ce texte a été pour nous une belle occasion de déposer des amendements.

Je pense en particulier à celui qui consiste à plafonner les frais bancaires, qui sont globalement cinq fois plus élevés qu’en France métropolitaine. À ce titre, je remercie la commission des affaires économiques d’avoir intégré cette disposition au projet de loi, car elle aura un impact réel sur le pouvoir d’achat des Calédoniens : elle s’inscrit donc pleinement dans l’esprit de la loi.

Je pense également à la transposition de la loi de juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs : elle permettra de pacifier les rapports entre propriétaires et locataires en leur apportant un cadre juridique sécurisé.

Plus spécifiquement, ce projet nous a permis de soulever avec beaucoup plus d’acuité la problématique locale de la vie chère et d’insister sur l’impérieuse nécessité de la mise en place d’une autorité locale de la concurrence. Celle-ci devra passer par une modification de la loi organique. Il appartiendra donc aux élus calédoniens d’en accepter le principe début décembre lors du comité des signataires de l’accord de Nouméa.

Dans un récent rapport, l’Autorité de la concurrence rappelle que la cause première de la cherté des prix en Nouvelle-Calédonie est structurelle : c’est le manque de concurrence. Elle préconise donc, pour qu’une libre concurrence s’exerce, une régulation en amont et en aval du marché, ainsi que la mise en place d’une autorité indépendante avec un pouvoir de contrôle et de sanction. Toujours selon ce rapport, les problèmes de vie chère que connaît la Nouvelle-Calédonie sont les mêmes que dans les DOM. Il y a donc la même urgence pour le gouvernement local à prendre les mesures qui s’imposent.

Il est essentiel que l’État nous apporte son aide, notamment en termes d’expertise, afin que le congrès de la Nouvelle-Calédonie puisse adopter dans les meilleurs délais des dispositions réglementaires portant sur la régulation en amont et en aval des marchés. Je sais pouvoir compter sur votre soutien, monsieur le ministre.

Au moment du vote, chacun sera placé devant un choix : aider ou pas l’outre-mer ! Ce sera déterminant dans l’affirmation que l’outre-mer est bien la richesse de la France. Dans ce projet, je pense très sincèrement qu’il n’y a pas de place pour les clivages politiques, mes chers collègues. C’est pourquoi je sollicite de votre part un consensus, un vote unanime.

Je le dis solennellement à mes collègues de l’opposition : l’outre-mer nous regarde. Je souhaite que la représentation nationale parle d’une seule voix en lui envoyant un message de soutien collectif. Ce ne sera pas le cas, je l’ai bien compris ce soir. C’est dommage : cela aurait pu être un geste fort, celui de la solidarité nationale, celui d’un véritable engagement pour lutter contre la vie chère en outre-mer. Défendre l’outre-mer, c’est bien défendre la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Robert.

M. Thierry Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer ce soir l’initiative du Gouvernement qui, par ce projet de loi, tend à améliorer les conditions de vie dans les territoires ultramarins. La problématique de la vie chère et la question du monopole sur les produits pétroliers sont autant de facteurs qui contribuent, depuis de nombreux mois, à fragiliser notre tissu économique et social.

Je voudrais donc porter de nouveau à votre connaissance les principaux facteurs de l’appauvrissement de nos compatriotes d’outre-mer.

Le taux de chômage ne cesse de croître. Alors qu’en France hexagonale, l’on s’émeut à juste titre d’avoir franchi la barre symbolique des 10 % de chômeurs, dans les territoires de France d’outre-mer nous serions heureux de redescendre à ce taux. À La Réunion, le taux de chômage dépasse 30 % en 2012, dont 65 % chez les moins de vingt-cinq ans.

Le marché du travail métropolitain et européen est peu accessible à nos jeunes du fait, notamment, du prix trop élevé des billets d’avion, ce qui réduit les perspectives de mobilité.

Autre facteur déterminant : des entreprises en grandes difficultés économiques, conséquence directe de l’arrêt des grands chantiers et d’une économie locale en récession.

À cela s’ajoute une érosion du pouvoir d’achat, qui nourrit un sentiment d’injustice, avec des produits alimentaires jusqu’à 60 % plus chers qu’en France hexagonale et une augmentation continue du prix des carburants, qui vient grever encore plus le revenu des ménages dans une île en mal de transports collectifs performants.

L’urgence sociale va grandissant avec de plus en plus de factures d’eau et d’électricité impayées, de loyers non honorés et de familles expulsées. La plupart des retraités touchent le minimum vieillesse, soit moins de 450 euros par mois.

Enfin, plus inquiétant encore, nous devons faire face à un accroissement du nombre des violences intrafamiliales, essentiellement dû à la détresse sociale.

Chacun de ces éléments contribue à la paupérisation de notre île. Ce que je viens de vous énoncer à l’instant nous prouve à tous combien cette loi est attendue par la population : elle doit absolument être efficace et apporter des résultats probants dans les mois qui suivent sa promulgation.

J’ai bien conscience du fait que le coût des matières premières est soumis aux fluctuations des prix sur les marchés. Pour autant, la cherté de la vie à La Réunion est liée à son histoire car en réalité nous avons conservé la culture de l’économie de comptoir. Si le monopole de droit est banni, un monopole de fait existe bel et bien : il est le fruit de cette histoire coloniale. Quand je dis monopole de fait, il s’agit en réalité d’ententes illicites.

Certains cherchent à justifier ces marges par le coût des transports et la distance. Or, avec la mondialisation, l’offre des transports s’est accrue. Pourquoi dès lors les prix des produits restent-ils élevés ? Il est important que le législateur intervienne pour rapprocher les marges réalisées en outre-mer de celles pratiquées en France hexagonale.

Prenons l’exemple des aubergines, non soumises à l’octroi de mer, qui sont vendues dans un supermarché à Annemasse 99 centimes d’euro le kilo contre 1,45 euro le kilo dans un supermarché de Saint-Pierre, soit plus de 46,46 % d’écart !

Pour rendre plus efficace le présent projet de loi qui doit lutter contre la vie chère, je propose quatre amendements.

Le premier a pour objectif de permettre à l’Autorité de la concurrence, dès que la loi sera votée, d’agir concrètement pour que les marges pratiquées en outre-mer ne soient plus supérieures à celles pratiquées dans la France hexagonale.

Un deuxième amendement vise à permettre à l’Autorité de la concurrence, par décret en Conseil d’État, de réglementer le prix des billets d’avion sur les trajets entre la France d’outre-mer et la France hexagonale.

Le troisième tend à autoriser l’Autorité de la concurrence à encadrer les tarifs des établissements bancaires, anormalement élevés dans la France d’outre-mer.

Le quatrième, enfin, vise à favoriser l’abaissement des coûts et l’amélioration de la qualité des télécommunications en outre-mer, dans l’intérêt des consommateurs.

Pour conclure, je dirai que la production locale reste l’un des grands sujets que nous devrons aborder dans les prochains mois afin d’aller encore plus loin pour redresser le pouvoir d’achat. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Nestor Azerot.

M. Bruno Nestor Azerot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin ! Enfin un texte qui fait rupture après des années de vie chère, et même des décennies tant il est vrai que la situation de vie chère de l’outre-mer provient structurellement de notre histoire économique et sociale. Nos économies de l’exclusif colonial ont été transformées en économies de comptoir et d’entrepôt, à travers une histoire économique faite d’abus et d’octroi de rentes.

Ces vingt dernières années, cet état de fait a transformé nos économies en économies de marges où des structures oligopolistiques d’importateurs grossistes, fournisseurs et distributeurs, voire détaillants, et des monopoles comme la SARA, la société anonyme de raffinerie des Antilles, prédominaient et organisaient la cherté de la vie.

Les écarts de prix entre la métropole et l’outre-mer ont même atteint des sommets indécents. En 2010, l’INSEE a relevé des écarts allant de 22 % à 38,5 % pour les seuls produits alimentaires, alors même que les revenus restaient faibles, inférieurs de 38 % à la moyenne hexagonale. Le rapport du sénateur Doligé, de 2009, évoque pour sa part des écarts de prix constatés s’étendant de 42 % à 142 % et l’Autorité de la concurrence, dans son avis du 8 septembre 2009, indique l’existence d’écarts de prix en magasin de 55 % par rapport à ceux de la France hexagonale pour la moitié des produits observés.

Faut-il rappeler qu’en outre-mer la proportion de foyers fiscaux dont les revenus sont inférieurs à moins de 9 400 euros par an est de 50 % contre 25 % seulement en métropole ?

Ce à quoi vous deviez vous attaquer, monsieur le ministre, ce n’était pas un petit différentiel de prix mais un véritable gouffre ! Un gouffre qui souligne un problème majeur de nos territoires, où de vieux verrous entravent encore le libre jeu de la concurrence et du développement.

Notre démarche de ce jour est donc orientée vers la recherche de plus d’égalité. C’était déjà, et cela a toujours été, celle de nos ancêtres dès avant la conquête de notre liberté. En 1946, Aimé Césaire lui-même ne disait-il pas que la loi de départementalisation de nos vieilles colonies, dont il était rapporteur, était d’abord une loi d’égalisation ?

Monsieur le ministre, vous suivez encore aujourd’hui les traces de nos illustres prédécesseurs dans cette enceinte. C’est bien, car lutter contre la vie chère, tenter de réguler nos économies correspond à une demande forte de nos concitoyens. En l’occurrence, vous le savez, c’est quasiment un mandat impératif qu’ils nous ont confié pour que les choses changent, pour que leurs conditions de vie s’améliorent.

Vous répondez à cette attente. Vous répondez aussi à l’un des trente engagements du Président de la République François Hollande visant à lutter contre les pratiques anti-concurrentielles.

Nous sommes donc à vos côtés dans ce combat pour l’égalité, pour la transparence et pour le développement solidaire de nos pays, objectifs que nos compatriotes ont plébiscités en juin dernier. Je souhaite d’ailleurs vous remercier pour le dialogue et la concertation que vous avez menés avec nous à l’occasion de l’élaboration du projet et de sa réalisation. Ce dialogue s’est également révélé constructif au sein de la commission des affaires économiques, grâce à son président M. François Brottes.

C’est important car, au-delà du texte très ambitieux que vous nous proposez, se pose une grande question : sur quel mode de développement souhaitons-nous construire nos sociétés ?

Le retard de développement est-il une fatalité ? Le différentiel existant entre l’outre-mer et l’Hexagone est-il lié au coût du fret aérien et maritime, à notre fiscalité locale, au coût du travail, au coût du stockage, à la taille de nos petits marchés insulaires ? Sans doute, mais tout ceci n’explique pas l’ampleur des disparités constatées.

La situation pesant sur les ménages les plus modestes d’outre-mer est anormale. Récemment, des crises sociales fortes ont montré les limites de ce système inique, hérité de l’histoire, comme en Guyane et en Guadeloupe en 2008, en Martinique en 2009, à la Réunion en 2010 et à Mayotte en 2012.

Il y avait urgence à combattre la vie chère, à laquelle ni la LODEOM ni les États généraux de l’outre-mer n’ont pu apporter de réponse concrète. C’est ce que vous faites aujourd’hui, en vous dotant d’une méthode et d’une stratégie pour faire triompher l’intérêt général.

Certes, ce n’est qu’un premier pas, et la question de la vie chère ne sera pas réglée par cette loi. Mais ce premier pas est décisif, et devra être suivi par d’autres mesures concrètes.

Je souhaite ainsi que la question du fret, du coût du transport, soit abordée très rapidement. Je pense en effet que cette loi doit avoir des effets réels immédiats sur la vie quotidienne de nos populations.

La question des services, et notamment des services bancaires, doit également être évoquée afin que les entreprises de nos territoires puissent bénéficier des moyens de se développer.

Je souhaite encore que vous vous attaquiez aux problèmes du logement, de l’emploi des jeunes, et à la situation de plus en plus précaire de nos personnes âgées, qui ont du mal à vivre.

La situation financière déplorable de nos hôpitaux doit trouver une issue favorable, permettant de satisfaire aux besoins de soins de nos populations. Ces hôpitaux doivent être à la hauteur de notre pays et du rayonnement de nos régions dans leur environnement.

Je vous remercie d’ailleurs pour votre implication personnelle dans ce dossier, qui nous permet d’entrevoir un assainissement de la situation des hôpitaux dans nos régions à moyen terme. L’État devra pour cela respecter ses engagements, comme par exemple pour l’hôpital de Colson en Martinique, où les investisseurs privés sont encore en attente.

Je souhaite enfin que la question de l’épandage aérien soit abordée en toute transparence, et que des solutions alternatives soient très rapidement trouvées. En effet, élu d’une circonscription très dépendante de la culture bananière, je ne peux rester indifférent à l’exigence de respect de la santé de nos concitoyens, ni me montrer insensible à la situation de nos nombreux ouvriers ou exploitants agricoles qui vivent de la banane.

Je pense à eux, et j’agis donc pour que des solutions alternatives concrètes soient rapidement engagées. Nous menons, dans ma commune de Sainte-Marie, des expériences en collaboration avec des laboratoires israéliens particulièrement performants pour développer une souche bananière résistante à la cercosporiose noire, cette maladie qui gangrène nos champs de bananes et oblige encore à les traiter aujourd’hui.

J’attends, monsieur le Ministre, que vous nous accompagniez dans cette démarche de recherche active pour accélérer sa mise en œuvre à court terme. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Vautrin.

Mme Catherine Vautrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la problématique de la vie chère en outre-mer est une réalité. Il est indispensable d’y apporter des solutions concrètes et pragmatiques qui répondent aux spécificités structurelles du marché économique ultramarin.

À ce titre, nous ne pouvons que saluer la volonté poursuivie par ce texte, qui s’inscrit dans la lignée de la réflexion engagée par l’ancienne majorité avec la LODEOM et les Etats généraux de l’outre-mer. Pour autant, force est de constater que les solutions et les mesures envisagées sont encore insuffisantes.

Je souhaite également souligner le manque de concertation qui caractérise la préparation de ce texte. En effet, les acteurs ont été peu mobilisés et peu impliqués dans le processus législatif. Nous avons échangé avec plusieurs d’entre eux, souvent par téléphone en raison des délais impartis. Je me permets ainsi d’attirer l’attention du ministre sur la situation des grossistes, qui sont sans aucune nouvelle du Gouvernement depuis août dernier et qui dans leur majorité, comme d’autres acteurs du commerce d’ailleurs, regrettent l’absence de discussion avec les pouvoirs publics.

Nos remarques sur l’absence de volonté politique de mettre en place un réel dialogue avec les acteurs sont d’ailleurs confirmées par la suppression, lors de l’examen en commission, de l’article 7 bis B qui prévoyait la mise en place d’un comité de suivi sur l’application de la loi, comprenant des représentants du Gouvernement, des parlementaires, des élus, des associations et des syndicats locaux.

Le Président de la République avait soutenu la mise en place de la Conférence économique de l’outre-mer, à l’ordre du jour de laquelle la thématique de la vie chère constituait l’un des points principaux. Lors de votre audition en commission, monsieur le ministre, vous avez indiqué que cela aurait lieu après l’examen du projet de loi ; il aurait été souhaitable de le faire avant la discussion de ce texte. On peut regretter que cet engagement n’ait pas été tenu.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. L’important, c’est que cela se fasse !

Mme Catherine Vautrin. De même, je me souviens que sur ces bancs, vous nous avez très souvent interrogés sur l’opportunité du recours à l’urgence ; or, je remarque que vous avez déclaré l’urgence sur ce texte. Encore une fois, il aurait été souhaitable de prendre le temps d’en discuter, d’autant que le Gouvernement lui-même a eu bien du mal à finaliser ce texte, qui contient encore certaines sources d’insécurité juridique.

Je me permets ainsi d’attirer votre attention sur l’article 5, qui a pour objectif de créer un véritable pouvoir d’injonction structurelle au bénéfice de l’Autorité de la concurrence.

Dans son avis sur la version initiale du projet de loi, le Conseil d’État avait signalé que la disposition relative au prix abusif ne pouvait s’appliquer qu’à l’outre-mer. Mais dans le cadre de l’examen au Sénat, l’article a été modifié, introduisant la notion de « prix et de marges élevés en comparaison des moyennes du secteur ».

Cette rédaction appelle de notre part plusieurs observations.

Tout d’abord, la notion de « prix et de marges élevées » est floue, et non définie en l’état actuel de notre droit. La notion de marge ne concerne en rien le consommateur, qui n’est affecté que par le prix final. Seule la notion de prix devrait donc être mentionnée dans le texte.

Par ailleurs, le caractère abusif des prix ou de la position dominante, introduit à la suite de l’avis du Conseil d’État, a été supprimé. Cela signifie que l’on ne dispose pas de critère permettant de caractériser l’effet négatif de la position dominante. Or, c’est là le fond du sujet, dès lors que l’on souhaite que l’Autorité de la concurrence puisse s’exprimer.

De plus, j’ai déjà eu l’occasion de dire en commission que cette mesure semble permettre le retour de l’exception d’alignement, qui avait été supprimée par loi du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite loi Galland.

Pour être concrète et claire, monsieur le ministre, je répète que l’efficacité de cet article est totalement incertaine, parce que cet article n’est pas juridiquement stabilisé. Si le but que vous poursuivez avec ce texte est compréhensible, les moyens que vous prévoyez semblent en revanche insuffisants.

C’est pourquoi nous nous permettons de proposer, très humblement, quelques amendements. Après vous avoir écouté en commission, nous avons voulu introduire la notion d’obstacle à l’intensité de la concurrence de la zone de chalandise et à la baisse de prix en résultant. Nous n’avons évidemment pas inventé cette idée : elle est issue du rapport de Mme Hagelsteen, remis en 2008, sur la négociabilité des tarifs et les conditions générales de vente.

Cette notion permet de caractériser clairement la nouvelle pratique prohibée que vous souhaitez créer. Notre approche, monsieur le ministre, est constructive : nous cherchons une solution comportant les moyens juridiques nécessaires pour lutter contre la vie chère.

Avec cet outil, l’Autorité de la concurrence pourrait contrôler les situations de position dominante qui auraient comme effet, même potentiel, d’exclure des concurrents du marché ou de les désavantager. Cela aurait de facto un impact évident et certain sur les prix pour les consommateurs, ce qui est bien l’objectif poursuivi.

Par ailleurs, nous proposons que cette nouvelle pratique soit introduite différemment dans le code du commerce, afin d’en assurer une meilleure lisibilité et de garantir une plus grande stabilité juridique pour les acteurs. Il est en effet permis de s’interroger, lorsqu’on examine les références faites au code du commerce, sur les choix qui ont été opérés.

L’article 6 bis autorise les accords sur les prix. Dans le contexte économique tout à fait particulier de l’outre-mer, la politique des prix administrés peut être étudiée. Toutefois, vous mentionnez dans l’alinéa 2 les « produits ou familles de produits de première nécessité » et dans l’alinéa 3 « les produits de consommation courante ».

Cette imprécision dans la définition des produits visés pose la question des conséquences sur les filières susceptibles d’être concernées. Il est fondamental que la rédaction de l’article précise la définition de ces produits, car les sanctions seront ainsi plus efficaces.

L’article 7 bis A prévoit que le Gouvernement remette une étude qui proposera des dispositifs facilitant les échanges commerciaux sur les marchés régionaux. Cette thématique étant à l’ordre du jour de la Conférence économique sur l’outre-mer, nous souhaitons que les conclusions de la Conférence y soient intégrées, dans un souci de renforcement du dialogue. Un amendement a été déposé en ce sens.

Enfin, les articles 11 bis et 11 ter prévoient que la tenue des registres du commerce et des sociétés soit dévolue sous certaines conditions aux chambres de commerce et d’industrie.

Sans revenir sur l’imbroglio juridique que ces disposition laissent prévoir – je ne reviendrai notamment pas sur la notion de cavalier –, je m’interroge sur la concertation que vous avez pu mener avec les représentants des professions juridiques et judiciaires, notamment des greffiers des tribunaux de commerce.

Comme nombre de parlementaires, vous devez être interpellé par les greffiers de métropole, qui sont extrêmement mobilisés. Il serait intéressant de les écouter, voire de les entendre. Il est important de prendre en compte l’ensemble du dossier, ne serait-ce qu’en raison de la réforme de la gestion des greffes et de ses effets sur les délais de remise des immatriculations ainsi que, d’une manière plus générale, sur le traitement des dossiers.

Je suis parfaitement consciente qu’il existe en outre-mer des difficultés d’inscription ; pour autant, je pense qu’il est bon de discuter avec l’ensemble des acteurs, plutôt que d’adopter rapidement une solution qui, à moyen terme, risque de générer des difficultés.

Nous craignons concrètement que ce projet n’ait un impact limité, les conditions de son examen et le manque de concertation avec les acteurs n’ayant probablement pas permis d’examiner au fond un certain nombre de sujets.

Cela nous inquiète : quand on fait de l’affichage, on manque d’ambition. Or, nous pensons tous que l’outre-mer mérite mieux qu’une simple politique d’affichage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus.

M. Ary Chalus. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la vie chère en outre-mer est une réalité qui accentue la vulnérabilité de nos concitoyens, lesquels sont de plus exposés à des taux de chômage record.

Cette situation suscite périodiquement des crises sociales graves, donnant chaque fois matière à l’élaboration de multiples diagnostics – États généraux de l’outre-mer, comité interministériel de l’outre-mer – et à la rédaction de nombreux rapports, comme celui sur le coût des télécommunications.

Le contexte socio-économique ne s’en est pas moins dégradé, légitimant ainsi votre volonté politique d’agir vite.

Nous devons certes nous atteler à proposer des mesures ; mais celles-ci devront être pertinentes et efficaces, car la confiance de nos concitoyens et de nos populations dans l’autorité publique s’étiole, en raison du manque de résultats ou du temps consacré à de trop longues réflexions.

L’Autorité de la concurrence a, il y a de cela trois ans, relevé des écarts démesurés entre les prix de produits de consommation quotidienne, parfois supérieurs de 50 % à ceux pratiqués dans l’Hexagone.

Bien entendu, les causes régulièrement évoquées pour expliquer ces écarts demeurent, au gré des variations sémantiques : l’insularité, l’éloignement géographique, l’étroitesse du marché, ou encore une concurrence anesthésiée. Mais ces écarts entre les outre-mer et l’Hexagone peuvent également être constatés entre territoires ultramarins géographiquement voisins.

L’éloignement ne peut être le seul facteur expliquant ces écarts de prix. Désormais, pour être véritablement efficaces, il faudra s’attaquer à certaines pratiques d’accumulation de marges injustifiées tout au long du processus de distribution et de fixation des prix de détail et de gros.

Le projet de loi nous oriente donc dans le bon sens car il tend à rééquilibrer les rapports entre l’ensemble des acteurs pour parvenir à établir une plus grande équité.

Bien qu’il ait soulevé bon nombre d’interrogations et d’inquiétudes, en grande partie clarifiées par l’examen du projet de loi au Sénat, ce texte propose des avancées significatives et fait preuve d’une certaine audace. Je voudrais, d’une part, présenter quelques observations et, d’autre part, vous soumettre quelques propositions.

L’article 3 du chapitre 1er, qui offre l’opportunité aux collectivités territoriales de saisir l’Autorité de la concurrence pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles dans leurs territoires respectifs, était nécessaire. On ne peut en effet lutter efficacement contre la situation qui prédomine en outre-mer en laissant seuls les associations de consommateurs et les particuliers face à de grands groupes économiques structurés et organisés. Les collectivités locales devront désormais jouer pleinement leur rôle aux côtés des associations de consommateurs et devenir de véritables acteurs de la régulation économique.

L’article 5 qui donne à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle en matière de grande distribution pour l’outre-mer est également un outil nécessaire. Mais pour être efficace et ne pas tomber dans l’arbitraire, cet article gagnerait à mieux définir les critères et mieux qualifier les infractions.

Monsieur le ministre, votre projet de loi constitue la première étape d’un long processus d’actions contre la vie chère. Parallèlement, nous devons commencer à penser dès maintenant aux actions qui doivent permettre d’appréhender autrement la problématique de l’insularité, d’accepter qu’elle ne soit plus un handicap mais au contraire être capables de tirer profit de notre situation géographique pour en faire un atout.

Si les mesures envisagées par le Gouvernement permettront de limiter sensiblement l’hégémonie des sociétés déjà en situation de quasi-monopole, il faudra aussi veiller à consolider, voire à renforcer, la présence des petits commerçants, acteurs incontournables du lien social dans les quartiers et les territoires ruraux.

Œuvrer pour une meilleure intégration, à travers une véritable coopération dans le bassin caribéen, mais aussi permettre une plus large visibilité économique industrielle, touristique et culturelle en Europe, telles sont les mesures qui contribueront à améliorer le taux de couverture de nos territoires qui demeurent anormalement bas. À titre d’exemple, il était de 7 % en Guadeloupe en 2011.

Enfin, je considère que nous devrons encourager la production locale, la consommation locale, en favorisant les circuits courts, notamment à travers des mesures incitatives comme des campagnes de sensibilisation et des campagnes de communication sur la production locale.

Par ailleurs, pour que ces dispositions législatives soient efficaces et que l’on parvienne à une régulation économique pertinente, il nous faudra être très vigilants sur leur mise en application effective, car même si les enjeux nous imposent d’agir vite, ils nous commandent aussi d’agir durablement.

Monsieur le ministre, je voterai ce projet de loi qui s’inscrit dans le prolongement des propositions pour l’outre-mer, que je me suis engagé à défendre, du Président de la République. Ce texte voté en début de mandature témoigne, j’en suis convaincu, de la volonté manifeste du Gouvernement de tenir ses engagements, et ne pourra que renforcer la confiance de nos populations. J’espère qu’à l’avenir, avec la délégation aux outre-mer, nous serons aussi nombreux pour défendre un projet qui concerne nos territoires et que, face à cette crise, nous ferons passer la solidarité avant l’intérêt personnel. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

(Mme Catherine Vautrin remplace M. Denis Baupin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de saluer la réalisation de la promesse faite par le candidat François Hollande de lutter contre la vie chère dans les outre-mer et singulièrement en Guyane.

Rentes de situation, captations de richesses, marges outrageusement abusives et parfois endogamie de certaines élites économiques participent à l’opacité commerciale, la corruption et le cloisonnement de nos marchés.

En ce sens, la volonté affichée par le président François Hollande de remédier à ces situations dans nos territoires a été plébiscitée par nos collectivités et le présent projet de loi en est une première traduction, qui devrait en appeler d’autres.

Toutefois, cette occasion ne doit pas être, une fois encore, un rendez-vous manqué, tant est grande l’attente de nos populations qui ont gardé en mémoire les révoltes de 2008 et 2009.

Monsieur le ministre, vos intentions sont louables car s’attaquer aux structures, casser les monopoles et permettre à nos peuples d’assumer autrement leur destin en matière économique n’est pas chose aisée, et nous imaginons le courage que requiert un tel engagement. Voilà pourquoi ce projet doit réussir.

Certes, il n’aborde pas tous les aspects du problème. Cependant, promesse a été faite de poursuivre les réflexions en vue d’améliorer la panoplie législative et réglementaire. Nous vous faisons confiance, tout en rappelant le profond désir des députés des outre-mer d’être mieux écoutés par le Gouvernement.

En conférant une place centrale à l’Autorité de la concurrence, ce projet de loi s’en remet d’abord au droit de la concurrence pour atteindre son but. Cette autorité, qui a déjà fait la preuve de ses vertus, pour indépendante qu’elle soit, n’en est pas moins lointaine et la question demeure de savoir si elle sera à même de résoudre le problème de la vie chère en cassant durablement les rentes de situations. Elle risque d’être inopérante si nous ne cherchons pas à la rapprocher de nos territoires, avec des référents qui connaissent nos particularités et les pratiques commerciales de certains opérateurs historiques ou plus récemment installés dans nos territoires. Notre projet de loi manquera aussi de force de percussion si l’Autorité de la concurrence est systématiquement laissée seule juge de l’opportunité des suites à donner aux abus constatés. Avec elle, nous pourrions craindre des myriades d’interprétations, de contestations, de réserves et de preuves contradictoires en cascades qui retarderont immanquablement les objectifs à atteindre.

L’Autorité de la concurrence éprouvera certainement des difficultés à envisager des suites civiles contre les pratiques anticoncurrentielles auxquelles elle se limite. De surcroît, elle ne peut sanctionner ces pratiques qu’en démontrant qu’elles ont un effet anticoncurrentiel, c’est-à-dire qu’elles affectent le marché, et cela nécessiterait la délimitation d’un marché de produits et de services.

N’aurait-il pas été plus efficace de dépasser le strict cadre du droit de la concurrence ? Celui-ci s’intéresse avant tout à savoir si le marché est affecté ou faussé. En revanche, le droit des contrats s’occupe des conditions de validité et d’efficacité des obligations des parties et peut tenir compte de leurs puissances économiques respectives, si nous l’imposons par la loi. Il permettrait purement d’interdire ou simplement de contrôler les clauses d’exclusivité, qui sont la traduction juridique des situations de rentes à vie de certains opérateurs.

Enfin, quoi qu’il advienne, nous serons attentifs à ce que le projet limite les possibilités de contournement de la loi, envisagées jusque-là. De même, pour assurer l’effectivité de la loi dans nos territoires, certains concepts devront être clarifiés pour empêcher explicitement le cloisonnement du marché qui se conjugue avec les rentes et les abus.

Monsieur le ministre, mes chers collèges, à n’en point douter ce projet de loi apporte de nombreux outils aux avantages certains, et dont la mise en œuvre devrait être bénéfique aux consommateurs des outre-mer. Nous espérons simplement qu’en retour notre parole et nos propositions seront entendues par le Gouvernement, à leur juste valeur.

En conclusion, je veux vous dire à quel point j’ai été surpris qu’on m’ait annoncé que la discussion de ce projet devra être close dans la nuit de mercredi à jeudi, avant une heure trente. Cela m’a étonné compte tenu de l’importance que nous accordons à la vie chère en outre-mer. Il faudrait peut-être se donner le temps de la réflexion, du dialogue et faire en sorte que tous les partenaires et les parlementaires aient le temps de s’exprimer et de défendre les amendements qu’ils sont en mesure de porter pour faire en sorte que ce projet, une fois voté par l’Assemblée nationale, puisse être vraiment efficient sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

(M. Denis Baupin remplace Mme Catherine Vautrin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean Jacques Vlody.

M. Jean Jacques Vlody. Monsieur le ministre, je tiens en premier lieu à vous féliciter ainsi que le Gouvernement pour la rapidité avec laquelle vous nous proposez ce projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer.

La situation économique et sociale de nos territoires a souvent provoqué des manifestations ou des révoltes, tant la situation y est tendue et difficile.

Je salue l’initiative du Gouvernement qui mesure l’urgence de nos réalités en soumettant à la représentation nationale, trois mois et demi après notre installation, le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, avec la sagesse de ne pas attendre de nouvelles manifestations ou grèves.

Souvent, les députés déplorent – et j’en fais partie – les procédures accélérées qui nous laissent peu de temps pour étudier les textes. Mais dans ce cas précis, la nécessité de faire en sorte que le quotidien de nos concitoyens s’améliore nous oblige à agir rapidement.

Les Ultramarins, et les Réunionnais en particulier, ont assez souffert du manque de considération de leurs difficultés par les gouvernements précédents. Avec ce texte, le Gouvernement montre aujourd’hui que cette période est bel et bien révolue.

Mes chers collègues, ce projet de loi est indispensable et répond avec pertinence à la situation de nos territoires.

L’insularité, l’étroitesse des marchés, l’éloignement par rapport à l’hexagone, un manque d’investissement et de capitaux à disposition, tout cela concourt à ce que les marchés des régions ultrapériphériques génèrent des situations structurelles de quasi-monopoles ou d’oligopoles.

Dans un tel contexte, la supposée concurrence livrée à la seule loi des marchés est bien souvent faussée et des cas d’entente illicite ont déjà été sanctionnés par l’Autorité de la concurrence. Nous savons donc que les conditions d’une saine concurrence ne sont pas toujours réunies ou peuvent souvent être détournées. Il est par conséquent indispensable d’introduire une régulation spécifique des marchés sur nos territoires. C’est le sens de ce projet de loi.

En d’autres termes, et cela peut paraître paradoxal, si l’État doit intervenir sur les marchés ultramarins, ce n’est pas pour encadrer la concurrence, ce n’est pas pour la limiter, c’est bien pour qu’elle puisse tout simplement avoir lieu et jouer son rôle qui, nous l’espérons, permettra la baisse des prix de vente aux consommateurs.

Le Gouvernement a bien compris qu’il fallait sortir de ce cercle vicieux de la vie chère. Les pouvoirs publics ont donc le devoir d’une vigilance accrue. Il faut, pour ce faire, leur donner un arsenal législatif leur permettant d’agir plus efficacement.

La réalité des situations de nos territoires n’est plus tolérable, non seulement pour ceux qui y vivent et subissent la cherté de la vie comme une fatalité, mais aussi pour notre République qui ne doit plus accepter qu’une partie de ses citoyens soit prise en otage par des fournisseurs ou des distributeurs qui les étouffent par des prix exagérément élevés.

C’est la France tout entière, au nom de l’égalité entre les territoires, qui ne doit plus accepter que ces situations d’abus touchent une population, fût-elle ultramarine, qui souffre déjà de conditions économiques et sociales difficiles, encore aggravées par la crise, des territoires où les salaires moyens sont plus bas, les chômeurs plus nombreux mais où les prix sont plus chers. À La Réunion, les prix sont en moyenne 35 % plus élevés que dans l’hexagone, allant jusqu’à 200 % pour les pièces détachées automobiles.

Sachez aussi qu’au nom de la compétitivité supposée les conventions collectives ne sont pas toutes appliquées dans les outre-mer, en particulier dans le commerce, et le chantage à l’emploi y est récurrent dès que l’on aborde cette question.

Le projet qui nous est soumis traite en profondeur du problème de la vie chère pour apporter, je le crois, des changements sur le moyen et long terme. Il a été enrichi par des mesures de portée immédiate, agissant sur le court terme, en prévoyant des accords de modération sur les produits de première nécessité.

Certains articles peuvent cependant être améliorés ou complétés, notamment sur la transparence des prix et sur les critères de notification ou de contrôle des concentrations économiques.

Je soutiens, par ailleurs, les amendements de mes collègues qui visent à étendre la portée de ce texte aux secteurs bancaires et de la téléphonie dont on connaît les pratiques et les tarifs prohibitifs.

Ce projet de loi constitue une avancée certaine dans la lutte contre la vie chère. Mais il ne faudra pas s’arrêter en si bon chemin : il faudra l’inscrire dans un ensemble de mesures visant à répondre aux réalités des outre-mer, et en particulier, aux problématiques de la desserte aérienne et de la continuité numérique.

Dans le même esprit, j’appelle de mes vœux la mise en place d’une loi d’orientation agricole pour les outre-mer. Par ailleurs, avec l’ensemble des députés ultramarins, je serai bien évidemment extrêmement vigilant quant au maintien du dispositif de défiscalisation, fondamental pour le fonctionnement de nos économies insulaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Got.

Mme Pascale Got. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi doit nous permette d’amorcer la fin de l’inégalité économique entre l’outre-mer et l’hexagone, inégalité grandissante et accentuée par la crise économique et financière.

Le coût de la vie est devenu excessivement élevé, générant depuis 2008 des crises sociales récurrentes. À juste titre, les populations ultramarines ont exprimé leur colère face aux écarts de prix importants entre l’outre-mer et l’hexagone. Et il y a de quoi, lorsque les prix des produits alimentaires de première nécessité peuvent être de 30 à 50 % supérieurs à ceux de l’hexagone.

Face à cela, il est inutile de brandir systématiquement l’argument géographique qui voudrait que l’éloignement soit la seule et unique cause des prix élevés. Bien sûr que non ! L’organisation des marchés de gros et de détail a aussi sa part de responsabilité dans le manque de concurrence. Des prix trop élevés et des marges abusives dans un contexte de pauvreté : ce constat n’est pas le mien mais celui de l’INSEE à travers des chiffres publiés en 2010. C’est pourquoi il faut faire toute la lumière sur les mécanismes de formation des prix. Nos concitoyens n’ont cessé d’alerter l’État sur les limites des actions menées jusqu’à présent.

Ce texte, monsieur le ministre, devrait répondre à leurs premières attentes. Comment ? En établissant d’abord une concurrence effective grâce aux nouveaux outils de régulation dont se dotent les autorités publiques ; en favorisant ensuite la transparence dans la formation des prix, indispensable pour empêcher l’existence de marges abusives et de prix prohibitifs. Oui, ce texte met à la disposition des autorités publiques un arsenal juridique qui rétablira la confiance des Ultramarins dans l’économie et leur permettra de profiter peu à peu d’une baisse durable des prix.

Parce que l’augmentation du pouvoir d’achat est notre priorité, nous avons, par exemple, décidé d’intégrer une exception aux accords exclusifs d’importation : réserver aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Ainsi, nous montrons notre volonté de protéger le pouvoir d’achat de nos concitoyens et de ne plus le laisser à la merci d’accords monopolistiques et injustes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne restons pas sourds au désarroi grandissant d’une population qui attend beaucoup du Gouvernement et de la majorité parlementaire. Le texte, en donnant une traduction concrète au cinquième engagement de François Hollande pour les outre-mer, envoie un signal fort aux populations concernées et doit, à ce titre, recueillir tout notre soutien. Cependant, ne perdons pas de vue que la régulation économique outre-mer s’intègre dans un projet plus large pour ces territoires : explorer les pistes qui permettront de produire le plus possible localement en privilégiant l’éclosion d’initiatives territoriales qui favoriseront aussi la création d’emplois. C’est par une attention permanente que nous parviendrons à répondre aux besoins dans le respect des spécificités et dans le souci toujours plus grand de l’équité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, dans nos territoires respectifs nos populations ont toujours dénoncé la vie chère et, depuis 2009, la mobilisation, les protestations sont de plus en plus nombreuses. Nous assistons dans certaines de nos régions à des explosions sociales pour un pouvoir d’achat plus juste.

Il est un fait certain : se nourrir en Guadeloupe coûte 34 % plus cher qu’en métropole, à La Réunion 36 %, en Guyane 49 % et dans certains territoires encore beaucoup plus. Cherté de l’alimentation – premier poste de consommation des ménages –, mais aussi cherté du carburant, des télécommunications, des tarifs bancaires et j’en passe. Ces écarts de prix entre les outre-mer et l’hexagone s’expliqueraient par l’exiguïté de nos marchés, par l’éloignement des marchés d’approvisionnement.

Aussi, monsieur le ministre, respectant les engagements du Président de la République pour les outre-mer, défendez-vous devant la représentation nationale un premier projet de loi ambitieux modifiant des pratiques commerciales anachroniques et outrancières.

Le texte dote en effet les pouvoirs publics – État, collectivités locales, Autorité de la concurrence – de moyens d’envergure pour lutter contre la pwofitasyon. Il modifie le processus de formation des prix en amont. Il incite donc les outre-mer à revoir leur stratégie de développement économique pérenne, à modifier les rapports économiques, pour plus de rentabilité de nos entreprises, pour plus de diversification de l’approvisionnement. C’est pourquoi nous comptons fermement sur les propositions du Gouvernement visant à faciliter les échanges commerciaux avec les États voisins.

Après lecture du texte amendé par le Sénat, certains collègues et moi-même présentons des amendements qui méritent une attention soutenue du Gouvernement. Ceux que je vais défendre concernent le délai de paiement des marchandises commandées dans l’hexagone et livrées en outre-mer, ainsi que l’adaptation des règles de l’urbanisme commercial aux risques de constitution de monopoles locaux pour tenir compte de la rareté du foncier disponible et de l’existence du commerce de détail, poumon de notre économie insulaire ; à ce propos, la règle de l’uniformité n’a pas lieu d’être en matière d’urbanisme commercial en outre-mer.

De plus, je réaffirme la nécessité d’une gestion des registres de commerce et des sociétés par les CCI des DOM plutôt que par des sociétés privées. Ainsi, les sociétés commerciales et industrielles d’outre-mer ne subiraient plus un impôt papier majoré par rapport à l’hexagone. Nous sommes plusieurs députés, c’est vrai, à avoir reçu un courrier à ce sujet d’une association de greffiers retraités ; mais nous leur répondons que nous pouvons voter l’amendement visant à une meilleure prise en compte de nos spécificités, à titre dérogatoire, en vertu de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Cette question récurrente, je le rappelle, est une demande déjà formulée sous la précédente législature, notamment lors de l’examen du texte de loi visant à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

Monsieur le ministre, l’ambition de votre texte est suspendue à une exigeante condition : celle que les ultramarins en voient les bénéfices immédiats – d’où l’intérêt de sa mise en œuvre dans un court délai. Il importe aussi qu’une évaluation régulière de son application soit faite. Bien entendu, certaines pratiques commerciales ne peuvent être modifiées en peu de temps. Lutter contre le fléau de la vie chère suppose l’implication de tous, à tous les niveaux.

Vous avez déclaré à cette tribune, monsieur le ministre, que les Ultramarins nous regardaient. Vous avez raison. Ils espèrent. Nous n’avons pas le droit de les décevoir. Ce texte, préparé en un temps record, prouve votre attachement à ces populations, votre sens du dialogue et, surtout, votre courage. Aussi mon soutien vous est-il acquis et, pour cette première étape, pouvez-vous compter sur mon engagement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.

Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, le présent texte revêt un enjeu crucial parce qu’il entend combattre une situation qui met à mal l’idée que nous nous faisons de l’égalité républicaine. En effet, notre République ne saurait supporter que des territoires soient inégaux entre eux.

Comment accepter que des territoires d’outre-mer soient, de fait, soumis à un modèle économique qui génère localement une hausse insupportable des biens de consommation courants ? La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, observe que sur cent produits importés de l’hexagone dans les quatre départements d’outre-mer, plus de cinquante sont plus chers de 55 % que ces mêmes produits en France hexagonale. L’INSEE souligne pour sa part que, d’une manière générale, les prix des produits alimentaires, dans ces mêmes départements, sont supérieurs de 40 % en moyenne à ceux pratiqués sur notre continent.

Cette disproportion de prix pour des produits de même nature et de première nécessité devait, en toute logique, amener le Gouvernement à agir. C’est tout l’objet du texte que vous nous proposez, monsieur le ministre : mettre un terme à cette injustice, que rend encore plus criante la situation sociale dans laquelle se trouvent plongées de nombreuses collectivités ultramarines.

Ce n’est un secret pour personne – et nous l’avons encore évoqué récemment à l’occasion de l’examen du projet de loi instaurant les emplois d’avenir – que le taux de chômage, à commencer par celui des jeunes, est encore plus élevé en outre-mer qu’en France métropolitaine. Rappelons que si le taux de chômage dans l’hexagone représente plus de 8 % de la population active, il représentait en 2007 – autrement dit avant l’aggravation de la crise – de 20 à 25 % de celle de Guadeloupe, Martinique, Guyane et de La Réunion. Le taux de chômage des 15-24 ans, qui atteint plus de 19 % dans l’hexagone, s’élève à plus de 55 % en Guadeloupe, à 50 % à La Réunion et à près de 48 % en Martinique.

Cette situation a pour corollaire un pouvoir d’achat souvent moins élevé que sur le continent. Elle génère surtout une tension au sein des sociétés ultra-marines et au sein de la communauté nationale. Nous nous souvenons tous, au mois de décembre 2008, du mouvement social et des barrages dressés en Guyane afin de demander la baisse des prix des carburants. Nous nous souvenons également des mois de janvier et février 2009 avec cette grève générale en Guadeloupe à l’appel du collectif contre l’exploitation outrancière. Ces crises n’auraient pas eu lieu si nous avions su, à temps, mettre un terme à certaines situations aberrantes entravant le développement local.

Il était donc temps qu’une telle situation prenne fin. L’un des axes majeurs du texte est donc de réguler en amont les prix en organisant les marchés, à commencer par les marchés de gros. Il est en outre proposé de mettre un terme à certains monopoles et, notamment, des monopoles d’importation en réprimant les accords exclusifs d’importation. Désormais, les collectivités d’outre-mer pourront saisir directement l’Autorité de la concurrence.

Dans le commerce de détail, le seuil de déclenchement du contrôle des opérations de concentration sera abaissé de 7,5 millions à 5 millions d’euros, permettant le contrôle de presque toutes les opérations portant sur des surfaces de vente supérieure à 600 mètres carrés.

Le texte prévoit notamment la mise en place de dispositifs visant à faciliter les échanges commerciaux entre le marché intérieur des territoires ultramarins et les États voisins de ces territoires. Ce dispositif permettra d’offrir aux productions ultramarines des débouchés sur des marchés nouveaux. Il bénéficiera ainsi tant aux producteurs qu’aux consommateurs.

Il est temps que s’ouvre une ère nouvelle pour l’économie d’outre-mer. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre : « Les consommateurs ultramarins méritent d’avoir, comme leurs compatriotes de l’hexagone, une économie qui fonctionne normalement avec des prix soumis à une pression concurrentielle effective et une liberté d’accès à de nouveaux acteurs économiques. Pour atteindre cet objectif, et compte tenu de leurs spécificités, les économies des outre-mer peuvent et doivent bénéficier d’une régulation spécifique de la concurrence. »

Comme cela a été demandé, il faut mettre en place un panier de la ménagère avec des produits de première nécessité qui devront être vendus en outre-mer au même prix qu’en métropole. Il n’est plus acceptable que les populations ultramarines soient les victimes de la position monopolistique de certains agents du marché et se retrouvent en position de clientèle captive de tel ou tel acteur ou opérateur économique. Il est enfin aberrant de nier les singularités de l’outre-mer et de ne pas lui permettre de mieux commercer avec son voisinage géographique immédiat.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de dynamiser et d’aider ces territoires qui contribuent à la richesse nationale, et d’adopter le présent texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, après l’immense déception engendrée par l’inefficacité des mesures prises en 2009 à la suite de la propagation des soulèvements populaires contre la « profitation », le présent texte suscite une grande espérance.

Les mesurettes d’alors n’ont entraîné aucune baisse des prix réelle et durable. Aussi le pouvoir d’achat n’a-t-il cessé de s’effondrer face à la crise doublement ressentie dans nos territoires.

C’est dire que désormais, nous n’avons pas le droit à l’erreur : nous avons en effet l’obligation de nous munir d’une boîte à outils suffisamment complète et performante pour améliorer les conditions de vie quotidienne et de survie de nos concitoyens.

Oui, trop d’erreurs ont été commises par le passé. Des erreurs d’analyse, de diagnostic, de sémantique, de logique et de politique économique ont conduit tous les gouvernements à des échecs récurrents outre-mer.

Ce projet de loi, je dois le reconnaître, entend marquer une certaine rupture avec les politiques publiques menées jusqu’ici outre-mer, lesquelles n’ont pas su, voulu ou pu poser les jalons d’un véritable développement. Pour une fois, nombre de nos compatriotes ont envie de croire que l’État n’est pas du côté des profiteurs.

Dans nos territoires, les prix des produits alimentaires sont de 30 à 50% plus élevés qu’en métropole, et les marges atteignent allègrement 40 à 50%, contre 2 à 3% dans l’hexagone, alors même que les revenus des ménages en outre-mer sont inférieurs de 38%.

À l’évidence, nos économies connaissent une concentration extrême, à la fois verticale et horizontale. Au carrefour de ces deux mouvements, on mesure aisément le chemin de croix vécu par les consommateurs, notamment les plus captifs, les plus défavorisés. Pour mettre un terme définitif aux nombreuses pwofitasyons sur les marges avant et arrière et sur les prix, et pour lutter concrètement contre la vie chère, pouvons-nous objectivement nous satisfaire d’une simple régulation économique ?

Il est vrai que la version initiale du projet de loi accordait un monopole – c’est un comble ! – aux solutions privilégiant la régulation des structures de marché. Cette première approche, exclusive et qui excluait parfois d’autres solutions, n’a pas résisté à la concertation large et intelligente menée sur le terrain par le ministère des outre-mer. En effet, la boîte à outils s’est progressivement enrichie d’un bouclier qualité-prix, visant l’encadrement des prix d’une liste limitative de produits de consommation courante, ainsi que d’un pouvoir de saisine directe des collectivités locales, et je m’en félicite.

Toutefois, il convient encore d’ouvrir le champ d’application de la loi, en tenant compte de la multiplicité des secteurs à réguler ou à encadrer, et de la complexité des interrelations entre ces secteurs : les transports, le fret, les banques, la téléphonie, les pièces détachées automobiles, le numérique, les carburants, etc.

En outre l’impératif de baisse des prix, si louable soit-il, ne doit pas pour autant causer la mort pure et simple du petit commerce de proximité, ni de la production locale. Nos productions n’ont pas vocation à hériter de miettes : elles doivent pouvoir pénétrer le monde, jusqu’ici hermétique, de la grande distribution. De même, nos pays n’ont pas vocation à être de simples déversoirs pour des marchandises importées : ce scénario découragerait toute initiative individuelle ou collective et nous maintiendrait dans une situation de dépendance qui ne ferait que s’accroître.

La défense de la production locale passe aussi par le maintien de l’octroi de mer : nous sommes nombreux à considérer que, s’il doit être amendé, il ne doit pas être remis en cause fondamentalement. La régulation doit aussi favoriser l’accélération des procédures et desserrer les freins administratifs qui pénalisent nos entreprises. Dans cette perspective, j’appuie clairement le transfert des registres du commerce aux CCI.

Pour garantir les conditions d’une concurrence effective, loyale et durable, l’instauration d’une autorité régionale de la concurrence ou, à défaut, d’une antenne régionale relève d’une impérieuse nécessité. Un ancrage dans nos bassins géographiques respectifs est indissociable du développement de nos régions. À titre d’exemple, la Martinique pourrait bénéficier de la géothermie de la Dominique, du gaz de Trinidad, du pétrole du Venezuela. De même, nos voisins pourraient bénéficier du savoir-faire de nos entreprises. Cela impose de faire exploser le verrou du pacte colbertiste de l’exclusif colonial. À ce jour, notre développement n’est ni en retard, ni structurellement handicapé : il est tout simplement bloqué.

Je sais bien qu’une seule loi, si ambitieuse soit-elle, ne peut pas embrasser toutes les problématiques, pas plus que les cinq minutes qui me sont imparties ne me permettent d’aborder tous les problèmes de fond. (Sourires) Je demeure cependant profondément convaincu qu’au-delà de cette loi, seule une politique globale et systémique des prix, des tarifs et des taux, une politique de diversification des sources d’approvisionnement et de distribution, de développement des réseaux de transports et de soutien à la production locale permettrait de marquer une rupture réelle et d’impulser, enfin, le vrai développement local, durable, solidaire et équitable que nous méritons pleinement.

Pour l’heure, je voterai la loi avec force conviction. Au terme de nos débats qui, je l’espère, permettront de poursuivre l’enrichissement du texte par l’adoption d’amendements le rendant encore plus opérationnel, plus efficace et en définitive plus applicable, je souhaite, monsieur le ministre, pouvoir le voter avec force enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. David Vergé.

M. David Vergé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à remercier notre ministre, au nom de l’ensemble de la délégation de Wallis et Futuna, d’avoir bien voulu la recevoir le 2 de ce mois. Grâce à votre intervention et à celle de notre Gouvernement, cette rencontre a permis de stabiliser le fragile équilibre de nos îles, par l’adoption de mesures sociales et par votre gestion du dossier, très sensible, de notre agence de santé. L’ensemble des tendances politiques et coutumières que vous avez reçues a salué votre dynamisme, votre attitude respectueuse, votre écoute et la réactivité de vos réponses. On peut le dire : le changement, c’est effectivement maintenant pour Wallis et Futuna.

Notre satisfaction se prolonge avec votre projet de loi sur la régulation de nos économies d’outre-mer. Il est évident que chacune d’entre elles a ses particularités, et que cette loi doit être ajustée et adaptée. Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire qu’elle ne doit pas être travaillée, chez chacun d’entre nous, en fonction de nos réalités propres. Elle n’en constitue pas moins un cadre et un support communs, des fondations communes à tous pour lancer un travail local, avec votre appui.

Je souhaiterais parler plus particulièrement, si vous le permettez, monsieur le ministre, de mes îles de Wallis et Futuna. Sous nos cocotiers, nos populations vivent un enfer : une misère qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a été que constatée. Ceux qui étaient hier au pouvoir trouvent aujourd’hui cette loi trop peu progressiste. J’aimerais leur rappeler leur bilan : pour Wallis et Futuna, il est catastrophique.

Wallis et Futuna sont également touchées par le fléau des monopoles et des oligopoles. Je tiens à rappeler que, souvent, ces puissantes plateformes cumulent le marché de gros, la distribution, mais aussi le transport maritime. Les actionnaires, souvent extérieurs au territoire, rapatrient leurs bénéfices sans réinvestir cette manne financière : ils vident ainsi nos îles de leur capacité d’investissement. Ces mêmes monopoles bloquent l’initiative des entrepreneurs locaux. C’est une évidence : ces monopoles tuent les îles de Wallis et Futuna.

Le résultat, c’est qu’aujourd’hui 85 % de la population sont sans revenus fixes, et qu’un exode massif, vers la Nouvelle-Calédonie notamment, fait que nos concitoyens sont désormais deux fois plus nombreux en Nouvelle-Calédonie que sur leurs îles natales.

Monsieur le ministre, je tenais à vous interpeller plus particulièrement, si vous me le permettez, sur le coût de l’électricité, qui est six fois supérieur à celui de l’hexagone. La situation n’est plus tenable pour les plus faibles, et je vous demande de traiter ce problème avec beaucoup de soin. Je me permets de rappeler que l’égalité et la fraternité doivent s’appliquer aussi aux concitoyens de Wallis et Futuna. Nous ne sommes pas des « sous-Français ».

Je ne reviendrai pas, comme l’ensemble de mes collègues, aux problématiques relatives à la continuité territoriale, ou à la fracture numérique, par exemple : nous avons, à Wallis et Futuna, les mêmes problèmes structurels, démultipliés par notre distance plus grande à notre mère patrie.

Pour conclure, monsieur le ministre, croyez à nos remerciements et soyez certain de notre soutien ; nous sommes heureux de valoriser notre fonction de député en vous soutenant, et de pouvoir rentrer chez nous avec le sentiment d’avoir apporté de la justice sociale, et d’avoir, simplement, servi utilement nos îles. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, je ne reviendrai pas plus en détail sur les événements qui ont présidé à l’élaboration de ce projet de loi.

Je crois que, tous autant que nous sommes, nous avons été frappés par les manifestations qui se sont déroulées dans les outre-mer, sur cette thématique de la « vie chère ». Je pense également que nombre de nos concitoyens métropolitains ont pris conscience de la réalité de la situation économique et sociale de nos territoires ultramarins, trop souvent réduits, dans l’imaginaire populaire, à la clémence de leur climat.

Monsieur le ministre, je vous félicite et je me réjouis donc de l’arrivée de ce texte devant le Parlement dès le début de notre législature. Ce texte est un texte de justice, de justice économique entre les Français de la métropole et ceux des outre-mer : nous ne pouvons accepter de telles disparités entre nos concitoyens.

Si l’insularité, ou encore l’émiettement de nos territoires ultramarins, explique en partie les différences du coût de la vie, ces explications ne sont pas suffisantes. De nombreux dysfonctionnements structurels sont en cause. Par ailleurs, le fait que les gouvernements qui se sont succédé depuis une décennie n’aient pour ainsi dire pas pris en compte les spécificités des espaces économiques ultramarins, a contribué à rendre la situation intenable, avant que la crise économique ne vienne encore l’aggraver. Il ne faut pas non plus passer sous silence l’attitude de certaines sociétés, aux comportements néocolonialistes.

Dans ce texte, le Gouvernement s’attaque au problème central de la concurrence, en instaurant, notamment, l’interdiction des droits exclusifs d’importation. C’est une mesure nécessaire pour recréer une réelle compétitivité de prix, susceptible de diminuer la part de l’alimentation et de l’énergie dans les dépenses des ménages et de stimuler l’activité économique. Je salue également la volonté du Gouvernement de proposer des mesures qui sécurisent l’environnement juridique des outre-mer, et d’autres qui tiennent compte des problèmes structurels particuliers qui frappent les finances des collectivités territoriales ultramarines.

Permettez-moi, monsieur le ministre, mon cher Toto, si je peux me permettre (Sourires), de vous dire que je me fais aujourd’hui le porte-parole de ces ultramarins qui vivent en métropole et qui observent avec beaucoup d’intérêt les débats qui nous mobilisent, car ce texte les concerne aussi. Je pense en particulier aux ceux qui, il y a plus de cinquante ans, sont arrivés dans le cadre du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, le BUMIDOM. Ce fut une période sombre de notre histoire ; c’est aussi pour eux que je voterai dès demain cette loi. (Applaudissement sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Boinali Said.

M. Boinali Said. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir pris en considération, de manière urgente, les difficultés économiques et sociales des collectivités territoriales d’outre-mer, des territoires caractérisés par la cherté de la vie.

En effet, ces derniers ont des niveaux de prix élevés qui s’expliquent par l’étroitesse de leurs marchés et les coûts de leur approvisionnement, mais surtout par un phénomène de monopole dû à un système économique qui ne favorise pas la concurrence. Cela a eu un impact direct sur la fixation des prix.

Ce projet de loi contribue ainsi à répondre à la problématique de la vie chère, en prévoyant la mise en place d’instruments destinés à faire face aux pratiques anticoncurrentielles. Ces outils permettront de lutter contre les monopoles sur nos territoires, en mettant fin à des comportements commerciaux qui conduisent à des marges cachées et abusives, et qui sont préjudiciables aux consommateurs, ainsi qu’à l’économie des outre-mer.

Le projet de loi prévoit également, dans le cadre d’un observatoire des prix, la négociation d’un accord de modération des prix entre le représentant de l’État et les organisations professionnelles du secteur de commerce de détail. Il aurait été bénéfique que les associations de consommateurs et les organisations syndicales participent à ces discussions pour promouvoir ainsi le dialogue dans l’ensemble de la société civile.

Le texte qui nous est soumis précise enfin que l’Autorité de la concurrence interviendra auprès des entreprises qui seraient en situation de position dominante du fait de leurs prix ou de leurs marges élevées, afin de les inciter à modifier leurs comportements.

Cet organisme aura donc le mérite de demander des comptes aux entreprises qui ne joueraient pas le jeu de la concurrence et dont les pratiques monopolistiques n’étaient pas jusqu’à présent identifiées, ni éventuellement réprimées. Il pourra être saisi par des collectivités territoriales, ce qui permettra à celles-ci d’être pleinement actrices de la lutte contre la vie chère au niveau local.

Nous comprenons que tout ne peut pas se réaliser en une seule loi. Il conviendra donc de réfléchir à l’élaboration d’une nouvelle norme définissant les modalités d’un développement économique local. Cela est indispensable pour permettre à nos territoires de limiter leurs importations et soutenir les productions locales susceptibles de contribuer à une baisse des prix sur certains produits de première nécessité.

Il conviendra aussi d’inciter les collectivités territoriales d’outre-mer à s’insérer davantage dans leur environnement géographique respectif pour bénéficier des opportunités commerciales de leurs régions.

Et enfin, dans le cas de Mayotte, comme nous l’avons souligné en commission, la question du visa attendra les conclusions du haut fonctionnaire missionné par le Gouvernement.

Ce projet de loi répond à l’évidence à la régulation économique dans les outre-mer. Cependant, dans le cas de Mayotte, il est également attendu que le Gouvernement légifère par voie d’ordonnance sur l’instauration de l’ensemble des prestations sociales, notamment les allocations logements, pour accroître le pouvoir d’achat des Mahorais dont le niveau de vie est trois fois inférieur à celui de leurs concitoyens des autres départements d’outre-mer, et six fois inférieur à celui de l’hexagone. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat.

Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, nous avons tous en mémoire les mouvements sociaux de grande ampleur qui ont témoigné de l’exaspération des populations dans les territoires français ultramarins ces dernières années.

La problématique du coût de la vie est récurrente dans ces régions. De rapports en rapports, d’états généraux en états généraux, de lois en lois, aucune réponse satisfaisante ou amorce de réponse n’a pu être apportée à la situation très inégalitaire que subissent les habitants de ces territoires.

Ce soir, nous avons tous compris que sur un échantillon de cent produits importés de l’hexagone dans les quatre DOM, les écarts de prix en magasin avec l’hexagone dépassent 55 % pour plus de 50 % des produits échantillonnés.

Cette réalité qui semble invraisemblable à nous, élus de l’hexagone, est pourtant celle que vivent nos concitoyens aujourd’hui. En cela, lutter contre ce fléau que constitue le coût élevé de la vie est une priorité. Les dispositifs actuels d’encadrement des prix, loin d’être efficaces, constituent plutôt une entrave à la baisse durable des prix. De plus, ils ne traitent pas de l’origine du problème, qui réside dans la structure de formation des prix dans laquelle interviennent de nombreux intermédiaires.

C’est pourquoi ce projet de loi est très attendu. Il représente des mesures innovantes qui permettront de lutter efficacement contre la vie chère, puisqu’il prévoit un véritable changement de stratégie en matière de régulation économique. Il vise en effet à s’attaquer à la source du problème, c’est-à-dire au processus de formation des prix.

Les débats en commission nous ont permis de mieux appréhender le contexte de ces territoires ultramarins et de découvrir le concept de « profitation », ignoré par la plupart d’entre nous, mais qui recouvre une situation bien réelle dans ces territoires.

Inconnue du dictionnaire français, mais bien connue de la langue créole, la profitation est une appropriation décomplexée du profit maximum. C’est une exploitation de type néocolonial qui enferme les pauvres dans leur pauvreté, à jamais. Les profiteurs ne craignent rien de l’opinion qu’ils croient résignée à accepter des injustices rendues naturelles et, en tout cas, qu’ils croient irréversibles.

Mais ce qui s’est passé dans les territoires ultramarins démontre le contraire. Quand le profit n’est pas partagé, la dignité humaine est abolie. Quand profiter s’effectue au détriment de ceux qui ne pourront jamais tirer profit de leurs propres activités, il y a agitation, colère, et émeutes.

C’est en ce sens que ce projet de loi a pour ambition de mettre un terme à la profitation et d’apporter des outils à ces territoires pour agir sur les prix. C’est donc dans une situation économique fragile et un contexte d’urgence sociale que nous étudions ce projet de loi qui suscite de grands espoirs dans les outre-mer. Il illustre la traduction législative d’engagements forts pris au cours de la campagne électorale par le Président de la République.

Enrichi par le Sénat et le travail des députés, il offre à l’État la possibilité de réguler les marchés de gros ; il vise à interdire les exclusivités d’importation lorsqu’elles ne peuvent être justifiées au regard de l’intérêt des consommateurs ; il permet aux régions d’outre-mer de saisir l’Autorité de la concurrence ; il s’attaque aux marges abusives en permettant à l’Autorité de la concurrence de déclencher des mesures d’injonction ; il institue un bouclier qualité-prix ; il donne la faculté de ne pas obliger une collectivité d’outre-mer qui assure la maîtrise d’ouvrage à prendre en charge au moins 20 % du financement ; il transfère la tenue du registre du commerce et des sociétés dans les outre-mer aux chambres de commerce et d’industrie ; il instaure un observatoire des prix, des revenus et des marges dans les territoires d’outre-mer.

Un certain nombre d’amendements adoptés en commission portent sur l’évolution des tarifs bancaires et des liaisons aériennes. Lors de la réunion de la commission sur le fondement de l’article 88 du Règlement, nous avons en effet adopté certains amendements qui, je le pense, apporteront une réponse aux préoccupations que nous avons entendues ce soir.

Ce texte est une première étape vers une politique plus respectueuse des outre-mer, qui constituent des parties intégrantes de la République et d’importants potentiels de développement de notre pays.

L’outre-mer et les personnes qui en sont originaires occupent une place particulière dans l’imaginaire métropolitain. Ces territoires sont perçus comme des régions baignées par le soleil, des plages de sable fin où les palmiers et les cocotiers bordent le rivage, des lagons aux eaux turquoise où il fait bon vivre, les vacances toute l’année, des territoires abondamment pourvus en subventions et dotations.

La réalité du quotidien de ces populations est bien loin de ces images oniriques. Les explosions sociales que nous avons connues dernièrement sont là pour nous le rappeler.

Et notre présence nombreuse ici et en commission des affaires économiques est le signe que nous sommes tous concernés par ces problématiques, élus d’outre-mer et de l’hexagone. L’éclairage apporté par les élus ultramarins nous permet certes de mieux appréhender la spécificité de ces territoires ; mais, même si nos analyses sont parfois moins pertinentes que les leurs, nous serons là pour les soutenir.

Au-delà de l’adoption de ce texte, il faudra continuer à travailler sur des dispositifs plus innovants et plus efficaces, envisager de remettre à plat les dispositifs actuels et surtout ne plus considérer les outres-mer comme des centres de coûts et des poches d’assistanat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, après le flot tumultueux de la rue, nous sommes amenés à débattre sereinement sur le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer. Qu’il me soit permis d’adresser un salut commun aux syndicats et aux autres partenaires parties prenantes au litige. Sans eux, nous ne serions pas là aujourd’hui, quoi que l’on pense, quoi que l’on dise.

Au-delà du ressenti propre à chacun de nous, au-delà des ressentiments, au-delà des tentatives de récupération et de surenchère toujours en cours, il faut retenir que l’année 2009 restera dans les annales de la mobilisation populaire.

En effet, des milliers de manifestants ont déferlé dans les capitales de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion. Tous, ils dénonçaient à tue-tête le coût trop cher de la vie. Tous, ils demandaient avec insistance une étude complète sur la formation des prix, détaillée au niveau de chaque maillon de la chaîne. Tous, ils réclamaient un renforcement, une vigilance et une fermeté accrue de l’Autorité de la concurrence.

Il faut donc avoir l’honnêteté de reconnaître que ce sont les syndicats, tous rassemblés pour la circonstance, qui ont déclenché le mouvement d’ensemble.

L’Autorité de la concurrence a été très rapidement saisie officiellement, dès le 18 février 2009, par le Secrétaire d’État à l’outre-mer en personne.

Ses conclusions sont les suivantes : il existe bel et bien « une concurrence insuffisante dans les marchés de détail et de gros. » Elle a ajouté que le secteur de la grande distribution, à dominante alimentaire dans les DOM, est trop peu concurrentiel. Elle termine en expliquant que la segmentation de l’approvisionnement entre différents opérateurs et intermédiaires empêche la réalisation d’économies d’échelle tout en accroissant le cumul des marges à chaque stade de la chaîne d’approvisionnement. Imaginez-vous ? Ce constat est à la limite un verdict de culpabilité sans appel.

L’Autorité de la concurrence a ainsi dressé la feuille de route à suivre.

Le présent projet de loi prend directement sa source et sa légitimité dans ce bloc d’événements, en tentant hardiment de mettre un terme aux abus les plus criants. Quoi de plus conséquent, de plus naturel et de plus logique ?

Le vrai dilemme réside actuellement dans la dextérité qu’il faudra déployer pour pagayer entre liberté d’entreprendre et liberté des prix, tout en cherchant à casser les ententes et pratiques illicites et anticoncurrentielles, et à empêcher leur retour en force. Disons-le franchement : c’est une gageure louable, j’en conviens volontiers.

C’était là le premier volet de mon intervention.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que l’ensemble de vos propositions constituait une boîte à outils. J’ai décelé que dans cette boîte, il y avait un sécateur, un sécateur de l’octroi de mer. J’anticipe déjà, me direz-vous ! Je préfère vous alerter. Car dans ce cas d’espèce, anticiper c’est prévenir.

Dans la panoplie des facteurs de vie chère, il est retenu le fret, les marges, et l’octroi de mer principalement. Mais que disent les études réalisées ?

Voici les réponses : « Aux surcoûts s’ajoute une taxe spécifique, l’octroi de mer, perçue par les collectivités locales sur les importations, et qui accroît mécaniquement les prix de vente aux consommateurs. »

« Cependant, ces spécificités ne suffisent pas à expliquer l’importance des écarts de prix constatés entre la métropole et les DOM. »

Un exemple est donné : « Sur un échantillon d’environ 75 produits importés de métropole dans les quatre DOM, les écarts de prix dépassent 55 % pour plus de 50 % des produits échantillonnés, un pourcentage trop élevé pour trouver exclusivement sa source dans les frais de transport et l’octroi de mer. » C’est concluant, je l’espère !

Et encore : « Un taux d’octroi de mer anormalement bas sur un produit encourage le recours à l’importation. L’existence d’un octroi de mer significatif peut conditionner les décisions ou non d’investir dans une activité de production venant en substitution de l’importation. L’octroi de mer peut être l’un des paramètres pris en compte dans la décision d’investir. » C’est concluant, je l’espère !

Chacun plaide pour sa chapelle, trop souvent au détriment de l’intérêt général.

L’outil économique qu’est l’octroi de mer est menacé dans son existence même, à la fois par la Commission européenne et par toute une série de francs-tireurs d’élite, alors qu’aucun produit de remplacement n’a encore été sérieusement envisagé.

Dans de telles conditions, démantibuler l’octroi de mer, c’est pratiquement enterrer le développement endogène.

Dans le même temps, il nous est recommandé de nous émanciper en développant des liens commerciaux avec la Caraïbe. Très bien ! Mais constatons que les pays de la zone conserveront leur protection avec leur negative list, tandis que nous sommes en train de perdre la nôtre.

Monsieur le ministre, intention n’est pas forcément action réussie. Je voterai pour l’intention affirmée dans ce texte, en essayant encore de l’amender. Toutefois, permettez que j’émette une crainte : je crains que les mesures adoptées aient une durée de vie éphémère.

En tout cas, ces sujets ébranlent toute la trame existentielle de la Martinique. À l’évidence, la nécessité d’un réel pouvoir martiniquais s’impose comme une urgence indispensable. Pour gagner en efficacité, il est urgent de mettre en place la collectivité unique. Prévue en 2012, reportée in extremis en 2014, nous apprenons avec étonnement qu’il est envisagé de repousser cette mise en place en 2016. À quoi servent tous ces renvois successifs ? La volonté populaire est bafouée, violentée.

En conclusion, monsieur le ministre, je me place toujours dans le registre de l’escalade des coûts. En politique, tout report d’une décision validée par le peuple a un prix, d’autant plus élevé lorsque s’y mêlent la discorde et l’inefficacité au moment où toutes les forces doivent œuvrer pour affronter les aléas d’aujourd’hui et les défis de demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, chers collègues, en montant à cette tribune, je pense entre autres aux quarante-quatre jours du mouvement contre la vie chère qui ont secoué Mayotte en octobre 2011 et dont les conséquences sont encore présentes dans l’esprit des Mahorais : accentuation du ralentissement économique, aggravation des difficultés financières des collectivités locales, coups portés à l’attractivité de l’île et montée de l’insécurité.

Lors des négociations au cours de ce conflit, j’ai été frappé par quatre éléments : l’impuissance des pouvoirs publics à intervenir, l’opacité des mécanismes de formation des prix, la défiance de la société civile à l’égard des informations mises sur la table, et l’incapacité du département à agir lorsqu’il était sollicité dans ses compétences fiscales et douanières.

Monsieur le ministre, je suis heureux de voir que le projet de loi qui nous est soumis apporte des réponses à au moins trois de ces quatre préoccupations. En effet, il n’était pas possible, à législation constante, de remédier aux abus décriés. De même, personne ne pense que nous y parviendrons du jour au lendemain, mais le défi est relevé, et de quelle manière !

Je voudrais saluer la souplesse de la démarche proposée, qui permet de s’attaquer au cœur du problème de la meilleure manière possible, tout en prenant en compte des situations différentes d’une collectivité à l’autre. Je pense au prix exorbitant, chez nous, des matériaux de construction comme le sable et le gravier, alors qu’ils ne sont pas importés.

Le texte se donne les moyens d’obtenir la transparence dans les prix. Il ne s’agit pas d’une intrusion indiscrète dans la liberté du commerce ou le secret des affaires : cette transparence ramènera la sérénité dans les débats et les négociations à venir, et évitera que soient accusés, éventuellement à tort, les acteurs économiques. C’est ainsi que les chefs d’entreprises doivent comprendre ce texte.

Ce texte donne également aux pouvoirs publics les moyens d’agir, non pas contre les entreprises, mais en considérant, pour paraphraser un auteur célèbre, que toute personne détenant un pouvoir sans contre-pouvoir avec un sentiment d’impunité est portée à en abuser. Ceci est vrai pour une personne physique comme pour une personne morale, et c’est le cas chez nous.

Chacun sait combien la mobilisation des services déconcentrés de l’État et des organismes appelés à intervenir sera nécessaire pour la réussite de ce combat. Dans le département-région de Mayotte, ces services, quand ils existent, sont souvent limités dans leurs actions : il s’ensuit une insuffisance de données économiques générales et une quantification lacunaire des phénomènes abordés ici. L’INSEE, la DGCCRF et les douanes doivent être mis en capacité d’assurer pleinement leurs missions.

Les collectivités locales ont aussi leur rôle à jouer, et la coordination de leur action avec celle de l’État est parfois nécessaire pour parvenir à des résultats. Cependant, ceci requiert un dialogue entre l’État et ces collectivités dont les difficultés objectives limitent, pour certaines d’entre elles, leur capacité à intervenir. C’est aussi pour cela que je salue, en particulier, les dispositions de l’article 8 du présent projet de loi ; il faudra certainement aller plus loin sur ce point.

Il sera également nécessaire de mobiliser les acteurs de la société civile qui ont su faire prendre en compte, comme l’a expliqué mon collègue Alfred Marie-Jeanne, la gravité de la problématique de la vie chère. Nous devons les respecter et leur donner les moyens d’agir, et je voudrais leur rendre hommage. Bien qu’il ne m’ait pas autorisé à le dire à la tribune, je voudrais rendre un hommage particulier à mon collègue Boinali Said, qui a été dignement à la tête de ce mouvement à Mayotte, avec lucidité et responsabilité. Là-bas, nous l’appelons « député de la vie chère ».

Enfin, ce texte comporte dans une seconde partie des dispositions diverses tendant notamment à mettre en œuvre la départementalisation de Mayotte et à préparer son accès au statut de région ultra-périphérique au 1er janvier 2014. C’est un défi formidable ! Nous souhaitons qu’à cette occasion, le Gouvernement précise le sens et le calendrier de cette action, selon les engagements pris par François Hollande à Mamoudzou le 31 mars dernier. Je ne doute pas de la détermination du Gouvernement sur ce sujet.

Monsieur le ministre, je dois évoquer un dernier point qui impactera les prix chez nous : il s’agit de la réforme fiscale et douanière prévue pour le 1er janvier 2014, sur laquelle les élus de Mayotte n’ont encore que peu d’informations.

Nous mesurons le chemin qui reste à parcourir. Monsieur le ministre, nous devrons préciser ensemble à nos concitoyens le mode d’emploi de tout ceci et les étapes à venir, pour rendre effective cette volonté de faire baisser dans nos collectivités les prix des produits de première nécessité. Nous sommes sur la bonne voie. Vous pouvez compter sur notre mobilisation pour cette cause. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le projet de loi qui vient en discussion ce soir est une réponse aux conditions manifestes de vie chère qui caractérisent nos territoires ultramarins. Ce projet de loi est un texte de progrès et de justice : à son origine, il y a quelques constats simples, ressentis et vécus durement et douloureusement par nos compatriotes des outre-mer comme une injustice flagrante.

Les problèmes de vie chère ont conduit en 2009 à des crises sociales sans précédent en Guadeloupe comme dans les autres territoires. Si ces crises ont permis de mettre en exergue ces problèmes, force est de constater que les conséquences sociales sont encore visibles et que la vie reste globalement toujours beaucoup plus chère dans nos régions que dans l’hexagone. Sur nos territoires, les prix demeurent bien supérieurs à ceux de l’hexagone : un écart de 22 à 38,5 % a été mesuré en 2010 par l’INSEE pour les produits alimentaires. Cette injustice est d’autant plus grande que les revenus sont notoirement plus faibles en outre-mer : le revenu médian y est inférieur de 38 % par rapport à l’hexagone.

Aussi souhaiterais-je tout d’abord féliciter le Gouvernement, et en particulier M. le ministre des outre-mer, de s’être emparé avec courage et promptitude de ce sujet. En effet, monsieur le ministre, en tant que président du conseil régional de la Guadeloupe, vous avez été le premier en 2008 à dénoncer le système opaque de fixation du prix de l’essence. Vous avez, par ailleurs, innové en créant en 2010 la SEM patrimoniale Région Guadeloupe qui a pour vocation d’accompagner et de soutenir le développement économique du territoire. Cette initiative a conduit au rachat par la SEM des locaux d’un supermarché, et à la signature par les sociétés exploitantes de « chartes de consommateurs » visant à proposer une offre de prix concurrentielle. Pendant que certains observaient et s’agitaient, vous avez agi ! Je ne doutais donc pas que la vie chère serait votre premier cheval de bataille en tant que ministre des outre-mer. Pour cela, au nom des Guadeloupéens et plus largement des ultramarins, je vous remercie.

Fort de cette expérience, vous avez décidé de vous attaquer non plus aux conséquences, mais bien aux causes identifiées de cette situation particulière aux outre-mer ; non plus aux prix de détail, partie émergée de l’iceberg, mais aux prix de gros, en amont de la chaîne, là où se situent les mécanismes de formation des prix excessifs.

Certains pourraient assimiler ce qui précède à de la flagornerie : qu’ils se détrompent ! S’attaquer aux causes de la vie chère dans nos territoires relève véritablement du courage politique, tant les pratiques et les habitudes limitant l’existence d’une concurrence saine sont ancrées et favorisées par les situations monopolistiques et oligopolistiques.

Les réactions virulentes de certains acteurs économiques locaux face à cette volonté de légiférer prouvent, s’il le fallait, que l’application du texte dont nous débattons aujourd’hui devrait mettre un terme à nombre de modi operandi qui, pendant longtemps, leur ont profité injustement. En effet, la clarification des chaînes d’approvisionnement prévue à l’article 1er, la prohibition des droits exclusifs d’importation prévue à l’article 2 et l’abaissement à cinq millions d’euros de chiffre d’affaires du seuil de concentration dans le secteur du commerce de détail sont autant de mesures qui contraindront les acteurs en place à tirer leurs prix vers le bas. Elles permettront par ailleurs de créer des conditions favorables à l’entrée de nouveaux acteurs sur des marchés jusque là biaisés par des pratiques anticoncurrentielles. Au-delà de l’intérêt évident pour le consommateur final, le marché de l’emploi outre-mer, ô combien sinistré, pourrait clairement bénéficier de cette nouvelle donne.

Chers collègues, la nouvelle majorité fera ce que la LODEOM votée en 2009 n’a pas réussi à faire. Le blocage des prix tel que le prévoyait la LODEOM n’a jamais été appliqué, faute, précisément, d’être applicable à l’ensemble des outre-mer, mais aussi faute de véritable volonté politique. Aujourd’hui, le texte qui nous est présenté a le courage d’instaurer un véritable bouclier qualité-prix par la négociation avec les organisations professionnelles, dans les collectivités d’outre-mer, d’un accord de modération du prix d’une liste de produits de grande consommation.

Ceci étant, si ce texte constitue, comme le dit M. le ministre, une véritable boîte à outils permettant à l’État et aux collectivités territoriales de mieux contrôler les prix et les pratiques commerciales outre-mer, vous devrez veiller à ce que la DGCCRF, les DIRECCTE ainsi que les observatoires des prix et des revenus disposent effectivement des moyens nécessaires à son application sur chaque territoire.

Pour conclure, je souhaite vous préciser que j’aurai l’occasion de défendre un amendement visant à permettre l’organisation, sur nos chaînes locales, d’émissions grand public sur la consommation en outre-mer. L’objectif de cette démarche, que j’assume, est de renforcer le rôle déterminant des associations de consommateurs, qui détiennent une réelle expertise, dans la lutte contre la vie chère. Cette démarche vers plus de visibilité des associations de consommateurs n’est qu’une première étape vers le renforcement de leur structuration au niveau local. Par la suite, je crois qu’il faudra réfléchir à l’optimisation des dispositifs d’aide financière et d’assistance juridique aux associations de consommateurs présentes dans les outre-mer.

En adoptant ce texte et en s’assurant de son application par l’affectation des moyens nécessaires, la puissance publique enverra un signal fort aux populations ultramarines en leur garantissant à terme un système de consommation juste et durable. En ces temps de crise, il y va de notre lien social et de la stabilité économique des outre-mer.

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur mon soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Orphé.

Mme Monique Orphé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, mesdames et messieurs les députés, nos territoires d’outre-mer ont, par leur histoire, leur population et leur culture, toujours occupé une place particulière au sein de la République. Confrontés à de nombreux enjeux du fait de notre situation insulaire, nous avons, depuis 1946, surmonté de multiples défis grâce à la solidarité nationale.

Le projet de loi sur la régulation économique en outre-mer s’inscrit dans cette continuité en s’attaquant au défi majeur de la vie chère. Comme l’ont rappelé mes collègues, en citant les chiffres les plus révélateurs, c’est un problème grave et urgent qui se pose aujourd’hui. Le coût élevé de la vie en outre-mer a un très fort impact sur le budget de nos concitoyens. Ce coût de la vie élevé est trop souvent justifié par l’étroitesse du marché et l’éloignement.

Comment expliquer, voire accepter avec fatalisme des prix représentant le double, voire le triple de ceux affichés dans l’hexagone alors que ces mêmes produits sont parfois exonérés de l’octroi de mer ?

Ce coût élevé de la vie pèse sur le niveau de vie déjà trop bas des populations d’outre-mer. À La Réunion, près de la moitié de la population vit avec moins de 800 euros par mois. La précarité gagne chaque jour du terrain dans nos territoires et s’est accentuée avec la crise.

Les grèves massives en Guadeloupe et en Martinique en 2009, puis à Mayotte en 2011, et plus récemment à La Réunion, ont illustré le malaise social qui règne dans nos territoires, des mouvements sociaux qui se sont inscrits dans un contexte d’accroissement des inégalités.

En effet, selon une étude de l’INSEE, ce sont les villes réunionnaises et martiniquaises qui occupent neuf des dix premières places des communes de France les plus touchées par les inégalités. À La Réunion, un ménage sur dix ne perçoit aucun revenu avant de toucher les minima sociaux. Pire, si l’on se réfère au coefficient de Gini qui mesure les inégalités de revenus dans une société donnée, on constate que La Réunion avec un taux de 0,42 est plus proche de la France de 1900 que de celle de 2008. Ces inégalités génèrent des frustrations et provoquent des ressentiments contre un État jugé impuissant. Elles développent aussi un sentiment de défiance vis-à-vis des politiques accusés souvent d’être complices de l’aggravation de ces inégalités.

La loi que nous examinons aujourd’hui est donc un signal fort envoyé à toutes ces populations ultramarines durement touchées par l’inflation et la vie chère. Elle marque une volonté courageuse d’agir contre les monopoles, les ententes illicites et les abus de position dominante qui imposent des prix abusifs pour satisfaire des marges excessives et injustifiées.

Après la loi sur les emplois d’avenir et celle sur le logement social, celle-ci montre de nouveau la volonté de ce Gouvernement de respecter les engagements pris par le Président de la République vis-à-vis de l’outre-mer.

Elle devrait, à terme, permettre d’agir sur la formation des prix et avoir un effet favorable sur le budget des ménages, notamment celui consacré aux dépenses d’alimentation courante. Elle devrait également permettre à de nouveaux acteurs économiques, notamment des jeunes entrepreneurs, de s’implanter et de développer plus facilement leurs activités. Elle devrait enfin contribuer à mieux répartir la richesse et favoriser ainsi un développement plus harmonieux et moins inégalitaire.

Néanmoins, cette loi ne produira des effets que si nous la faisons vivre et si la lutte contre les monopoles ne reste pas qu’un objectif théorique. La Haute autorité de la concurrence, ainsi que les lanceurs d’alertes comme les collectivités territoriales, devront, à ce titre, assumer pleinement leur rôle. Ils devront faire preuve d’une grande fermeté. Je souhaite aussi qu’à terme, les associations de consommateurs agréées jouent un plus grand rôle dans l’alerte de l’Autorité de la concurrence. Les consommateurs sont les premiers concernés par la vie chère et doivent donc être les premiers à se mobiliser pour les dénoncer. La vigilance de tous les acteurs de notre société est nécessaire afin de lutter efficacement contre ces monopoles.

Cela dit, monsieur le ministre, si cette loi s’attaque à un aspect essentiel de la crise de nos territoires, elle ne constitue qu’un premier pas vers une politique plus globale de lutte contre la vie chère. En effet, ce dont nous avons besoin aujourd’hui est une réflexion plus approfondie sur ce sujet, notamment sur les autres causes qui grèvent lourdement le pouvoir d’achat des ménages ultramarins. Je veux parler du prix des loyers, des frais bancaires, des coûts des transports notamment aériens, et des coûts des télécommunications.

Je conclurai, monsieur le ministre, en vous disant que nous ne pouvons nous exonérer d’une réflexion plus profonde sur un nouveau modèle de développement économique en outre-mer, mais aussi sur notre modèle de consommation qui est de plus en plus calqué sur le modèle européen. Nous devons certainement consommer mieux ou, comme le préconise le rapport Sueur sur les services publics, la vie chère et l’emploi des jeunes, nous tourner davantage vers la consommation de produits locaux ou issus de notre environnement régional.

Cela permettrait d’une part de stimuler nos industries locales et, d’autre part, de diminuer le coût des produits de première nécessité. Des amendements seront présentés en ce sens. J’espère qu’ils seront votés à l’unanimité.

En tout état de cause, vous pouvez compter sur mon soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues – pour ceux qui sont encore présents –, cela a été dit : même si le pouvoir d’achat est une question qui préoccupe tous les Français, le problème de la vie chère frappe tout particulièrement nos concitoyens ultramarins.

La crise économique se ressent avec une acuité renforcée en outre-mer et met la cohésion sociale de ces territoires à rude épreuve, comme l’ont montré les fortes revendications sociales en 2009 et les années suivantes. On comprend cette exaspération quand on voit que les prix des services et des biens de consommation courants y sont 30 % à 60 % plus chers que dans l’hexagone !

Cette cherté des prix traduit un déséquilibre économique qui touche toutes les catégories sociales, les plus modestes bien sûr, mais aussi les classes moyennes, dans le contexte d’un niveau de revenus en outre-mer bien intérieur à la moyenne nationale. Les ultramarins sont désemparés face aux phénomènes de monopoles et de collusions qui permettent à certaines entreprises d’accumuler des marges abusives et de bénéficier de rentes.

Je voudrais dire qu’en tant que socialiste, et je pense que mes collègues du groupe SRC approuveront, je crois en la nécessaire régulation de notre économie. C’est la raison pour laquelle j’approuve les orientations de ce projet de loi et les améliorations proposées.

Le débat sur la régulation de l’économie de marché ne date pas d’hier, mais reste plus que jamais d’actualité, et je veux le réaffirmer encore aujourd’hui : pour que l’économie soit à la fois efficiente et juste, nous ne pensons pas que le libre-échange et le libre jeu de l’offre et de la demande suffisent à garantir le bon équilibre et la bonne allocation des ressources.

Nous avons, nous législateurs, un rôle à jouer et surtout la responsabilité, non seulement de créer un environnement économique favorable, transparent et concurrentiel, mais aussi de mettre en place les conditions pour que les besoins essentiels de nos concitoyens soient satisfaits.

Comme vous le savez, j’ai l’honneur, pour quelque temps encore, d’être rapporteure du projet de loi sur la mobilisation du foncier public en faveur du logement social. À ce titre, je ne peux m’empêcher de rapprocher la régulation économique nécessaire en outre-mer de celle du marché immobilier. Ce sont en effet bien la pénurie de l’offre de logements et l’inadéquation de cette offre avec la demande qui sont à l’origine de la crise du logement et qui motivent surtout les mesures de régulation du marché immobilier.

Le décret d’encadrement des loyers pris en août dernier, le renforcement de la loi SRU que nous avons voté, l’incitation à la libération du foncier pour créer un « choc d’offre » telle que le prévoit le projet de loi de finances pour 2013, ce sont là des mesures de régulation. Et c’est aussi une régulation juste et ferme qu’il nous faut mettre en place en outre-mer pour remettre l’économie dans le bon sens et rendre ainsi à ceux qui y résident un pouvoir d’achat décent. L’insularité, la petite taille des marchés ultramarins et quelques mauvaises habitudes, si l’on peut exprimer cela ainsi, agissent aujourd’hui en défaveur des habitants de ces territoires, pris au piège de certains effets pervers du jeu de l’offre et de la demande. C’est à ce dérèglement structurel qu’il s’agit d’apporter une réponse aujourd’hui par le biais de ce projet de loi qui ne règle pas tous les problèmes ultramarins, mais s’attaque à l’un des plus douloureux.

Les spécificités des territoires d’outre-mer ne doivent pas être ignorées, et je voudrais conclure en soulignant combien je souscris à cette vision de la République qui, tout en étant la même pour tous, sait reconnaître les différences pour mieux garantir une égalité réelle entre tous les citoyens français.

Pour ma part, je suis l’élue non d’une île, mais de Lille (Sourires) dans la région Nord-Pas-de-Calais, qui je le crois, a beaucoup de choses en commun avec les outre-mer, peut-être pas le climat, mais la chaleur humaine, et surtout une population qui, chez nous aussi, est plus jeune que la moyenne et plus fragile socialement, mais qui, dans le même temps, montre une détermination sans faille et une solidarité qui lui permettent de surmonter bien des épreuves ; elle l’a montré dans le passé et continue de le faire dans le présent.

Voter ce projet de loi est à la fois un signal que la nation adresse aux outre-mer et un symbole de ce qu’est notre nation. Ce soir, nous montrons notre volonté de redresser l’économie dans la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. le président. La discussion générale est close.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Éloge funèbre d’Olivier Ferrand ; 

Vote solennel sur le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ; 

Texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement ;

Suite du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 10 octobre 2012, à une heure cinquante-cinq.)