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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 11 octobre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Aide médicale d’Etat

Présentation

M. Dominique Tian, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Discussion générale

M. Christian Jacob

M. Arnaud Richard

M. Sergio Coronado

Mme Marie-George Buffet

M. Christophe Sirugue

M. Claude Goasguen

M. Denys Robiliard

M. Gilbert Collard

Mme Annie Genevard

Mme Barbara Romagnan

M. Laurent Marcangeli

M. Olivier Veran

M. Dominique Tian, rapporteur

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission

Mme Marisol Touraine, ministre

Discussion des articles

Article 1er

M. Laurent Marcangeli

M. Gérard Sebaoun

M. Jérôme Guedj

M. Jean-Pierre Door

M. Christian Hutin

M. Claude Goasguen

Mme Annie Genevard

M. Jacques Myard

M. Hugues Fourage

Amendement no 1

Article 2

M. Gérard Sebaoun

Mme Marietta Karamanli

Mme Isabelle Le Callennec

M. Claude Goasguen

M. Jean-Pierre Door

M. Christian Jacob

Amendement no 2

Rappels au règlement

M. Bruno Le Roux

M. Christian Jacob

Article 2 (suite)

Rappel au règlement

M. Guy Geoffroy

Mme la présidente

Article 3

Amendement no 3

Après l’article 3

Amendement no 4

Rappel au règlement

M. Christian Jacob

Après l’article 3 (suite)

Suspension et reprise de la séance

2. Formation aux cinq gestes qui sauvent face à un accident de la route

Présentation

M. Bernard Gérard, rapporteur

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Aide médicale d’Etat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Christian Jacob relative à l’aide médicale d’État (nos 145, 241).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Dominique Tian, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous voilà réunis pour la première niche parlementaire de l’UMP. Avant de souligner l’importance de ce texte, je voudrais saluer notre président de groupe, Christian Jacob, ainsi que Claude Goasguen qui interviendra en qualité de porte-parole du groupe et qui a travaillé, avec Christophe Sirugue, sur le dossier de l’aide médicale d’État.

Le groupe UMP a souhaité inscrire cette proposition de loi en priorité car elle constitue un marqueur très fort des opinions de droite et de gauche.

M. Michel Issindou. Eh oui ! Malheureusement !

M. Christophe Sirugue. Il l’avoue dès l’ouverture !

M. Dominique Tian, rapporteur. Nous allons pouvoir démontrer aux Français que générosité et responsabilité ne doivent pas être confondues. Nous sommes, nous, généreux et responsables, là où l’idéologie de gauche est depuis toujours, et en l’espèce jusqu’à la caricature, d’une naïveté coupable et irresponsable.

M. Christophe Sirugue. C’est vous qui êtes caricatural !

M. Dominique Tian, rapporteur. Les positions sur l’aide médicale d’État sont tranchées, ce qui permettra aux Français de se faire une idée assez précise de ce que sont la générosité de droite et la générosité de gauche. Celle-ci entend continuer à gaspiller l’argent public et à désespérer nos concitoyens par son ignorance de la responsabilité. Elle va même les pousser à la révolte en traitant un étranger entré illégalement sur le territoire national mieux qu’un étranger qui y est entré légalement ou même qu’un de nos concitoyens.

M. Michel Issindou. Caricature !

M. Dominique Tian, rapporteur. En effet, la gauche souhaite permettre aux étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire national d’accéder gratuitement aux soins les plus coûteux, parfois même aux soins les plus injustifiés, tout cela sans rien débourser !

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

Mme Marie-George Buffet. Évidemment, ils n’ont pas de revenus !

M. Dominique Tian, rapporteur. À nouveau – car nous avions pris les mesures nécessaires pour éviter ce gaspillage d’argent public, le monde entier pourra venir se faire soigner gratuitement, aux frais de nos concitoyens, dans un système hélas très peu contrôlé dont nous dénonçons les dérapages financiers et les abus.

M. Christophe Sirugue. Le monde entier ! Voyez-vous ça !

M. Dominique Tian, rapporteur. Ces abus sont connus des professionnels comme des Français. À l’époque de Nicolas Sarkozy, nous avions pris des mesures courageuses. Vous les contestiez, elles n’en ont pas moins porté leurs fruits.

Il s’agit, à la suite des décisions irresponsables que vous avez prises en début de législature contre l’avis des Français, très majoritairement opposés à cette décision, d’en revenir à des mesures de bon sens. Il ne s’agit pas, pour le groupe UMP, de remettre en cause l’aide médicale d’État mais d’en améliorer la gestion pour garantir sa légitimité auprès de nos concitoyens.

Les dépenses de l’AME sont passées de 138 millions d’euros en 2000, année de sa création, à 633 millions d’euros en 2011. C’est donc un dérapage considérable. L’augmentation des dépenses a culminé en 2009 à 13,3 % et se situait encore à 12,3 % en 2010. C’est évidemment très au-dessus des dépenses de l’Ondam, c’est-à-dire des sommes qui sont consacrées aux soins des Français. Nous sommes dans un contexte de crise financière générale. Comme l’a excellemment rappelé Didier Migaud hier, les déficits de notre système social sont considérables.

M. Michel Issindou. Vous y êtes un peu pour quelque chose !

M. Christophe Sirugue. Il fallait y penser avant ! Ça fait dix ans que vous les laissez filer !

M. Dominique Tian, rapporteur. Ce sont les plus élevés du monde ! Le déficit de la sécurité sociale dépasse 100 milliards d’euros. L’aspirine que vous achèterez après avoir écouté mon discours sera probablement payée par vos petits-enfants. Peut-on laisser se poursuivre cette dérive des comptes ? Peut-on aller jusqu’à la caricature qu’est le rétablissement de l’ancien régime de l’AME ? L’UMP ne le veut pas et refuse de le cautionner.

Vous dites à nos concitoyens qu’il va falloir faire des efforts. Vous allez augmenter les impôts et les taxes de plusieurs dizaines de milliards d’euros, comme le montrera jusqu’à la caricature le PLFSS que nous allons examiner. En revanche, vous refusez de demander une participation symbolique de trente euros, qui ne représentent pas grand-chose, à des gens qui vont bénéficier très largement de la gratuité des soins dans notre pays ! Trente euros !

Plusieurs députés du groupe UMP. Par an !

M. Dominique Tian, rapporteur. Cela vous paraît trop, alors que très souvent ces personnes ont payé des milliers d’euros pour venir illégalement sur le territoire national par le biais de filières de passeurs professionnels largement rétribués.

M. Christophe Sirugue. C’est cela qu’il faut combattre !

M. Dominique Tian, rapporteur. Ils ont donc dépensé des milliers d’euros pour venir se faire soigner gratuitement en France, mais leur demander la somme symbolique de trente euros, c’est encore trop pour vous ! Vous n’envisagez que la gratuité de A à Z sans la moindre contribution !

Je rappelle quand même que, pour les assurés du régime général, la Sécurité sociale prend en charge 70 % des dépenses de soins de ville, au grand dam de tout un chacun et en particulier du groupe socialiste. S’y ajoutent les franchises, le paiement d’un euro forfaitaire par consultation et le forfait hospitalier. Mais ça, c’est pour les Français, pas pour les autres !

Ainsi, un travailleur français sans mutuelle payant des cotisations sociales obligatoires a une moins bonne couverture qu’un étranger en situation irrégulière. Ce n’est pas acceptable, ni pour l’UMP ni pour nos concitoyens !

D’ailleurs, la France est comme souvent une exception en Europe et même dans le monde. Même l’Espagne, qui avait une règlementation assez proche de la nôtre, a récemment adopté des mesures prévoyant la participation des personnes de nationalité étrangère aux dépenses de soins. Tous les pays d’Europe font la même chose.

Le rapport de la mission parlementaire sur l’AME de MM. Claude Goasguen et Christophe Sirugue estime que le régime de l’AME semble adapté aux caractéristiques de la population dont nous parlons et permet de maintenir une distinction administrative et symbolique entre les personnes en situation irrégulière et les étrangers disposant d’un titre de séjour. Nous sommes attachés, je le répète, au maintien de l’aide médicale d’État.

Mme Marie-George Buffet. Il faut régulariser !

M. Dominique Tian, rapporteur. Mais nous ne pouvons que constater l’explosion de ces dépenses d’AME. Nous devons assurer à nos concitoyens la pérennité de notre protection sociale tout en justifiant à nouveau la légitimité de cette aide médicale d’État. Il faut donc la réguler.

Sous la précédente législature, le Gouvernement a engagé des réformes que vous avez contestées en votant contre. Vous êtes même revenus dessus. Nous avions pourtant décidé de mieux gérer l’aide médicale d’État. Nous avons notamment conduit la réforme de la tarification des soins hospitaliers avec la mise en place d’un agrément pour les soins coûteux et un forfait de 30 euros pour les adultes hors soins d’urgence.

M. Christophe Sirugue. Ce n’est pas le sujet !

M. Dominique Tian, rapporteur. Ces bonnes mesures ont porté leurs fruits dans la mesure où, après la forte croissance de 13 % des dépenses d’AME constatée en 2009, nous avons limité cette croissance des dépenses d’AME à 7,5 %. C’est encore beaucoup trop, mais c’est un effort de régulation qui nous semble important et dont chacun devrait se féliciter. Malheureusement, ce n’est pas le cas ! La première action du Gouvernement que vous soutenez, sitôt supprimées les exonérations de charge sur les heures supplémentaires, a été de faire payer davantage les salariés français, et plus du tout les étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire national. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

Comme si ce message n’était pas de nature à désespérer nos concitoyens ! Vous avez donc supprimé l’agrément pour les soins coûteux, puis la participation annuelle de 30 euros. Ce sont de très mauvaises décisions, dont on ne comprend pas, en outre, pourquoi vous en avez fait une priorité absolue.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Christian Jacob. Mais c’est très intéressant !

M. Dominique Tian. Ces mesures ont malheureusement un impact financier important et nos concitoyens peinent à comprendre qu’ils vont être mis à contribution et pas les autres. D’ailleurs, un sondage de l’IFOP le prouve : 60 % des Français désapprouvent la suppression du droit de timbre de 30 euros.

Ces mesures sont donc importantes. Elles sont nécessaires et responsables. À l’UMP, la générosité n’est jamais gratuite. Nous ne faisons de cadeaux à personne. Quand des cadeaux sont faits, ils le sont par les contribuables et les assurés sociaux. Il faut les respecter et en tenir compte. C’est toute la différence entre la générosité de droite et l’irresponsable et coûteuse générosité de gauche qui désespère le peuple. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Claude Goasguen. Très bien monsieur Tian !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le rapporteur, qui est parti je ne sais où…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Pire, il vous tourne le dos ! Quel malpoli !

M. Christian Paul. Scandaleux !

M. Bernard Deflesselles. Elle n’a pas écouté une seconde le discours de M. Tian ! Pas de leçon à ce sujet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous l’avez dit vous-même, il s’agit aujourd’hui de débattre de la première proposition de loi déposée par l’UMP qui a fait le choix de s’attaquer à l’aide médicale d’État, c’est-à-dire à l’accès aux soins des étrangers et des personnes les plus fragiles ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Lemorton. Vous voyez qu’elle vous a écouté !

Mme Marisol Touraine, ministre. On peut saluer l’esprit d’initiative et même la témérité de l’UMP, qui revient la fleur au fusil à de multiples reprises sur une question déjà tranchée. Il faut pour cela un certain panache, ou peut-être un certain sens de l’idéologie pour elle-même, comme l’a dit le rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous l’avez dit, votre seul objectif, c’est marquer la différence entre la droite et la gauche ! Vous y êtes parvenu. De fait, nous ne pouvons approuver cette proposition de loi et le Gouvernement, assurément, recommandera de ne pas la voter.

Je voudrais faire un bref rappel des origines de la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’est en effet une vieille histoire, qui, comme toutes les vieilles histoires, permet d’éclairer les obsessions du présent. En 2011, vous avez décidé de conditionner l’aide médicale d’État à un droit de timbre de 30 euros. Cette décision, vous l’avez prise contre l’avis de tous.

M. Christian Jacob. Avec la majorité à l’Assemblée, tout de même !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous l’avez prise contre l’avis des médecins, libéraux comme hospitaliers, qui vivent la situation au quotidien et qui ont fermement condamné votre décision, non par dogmatisme mais parce qu’ils prennent chaque jour en charge les patients en difficulté et qu’ils connaissent la réalité du terrain !

M. Guy Geoffroy. Comme si nous ne la connaissions pas !

Mme Marisol Touraine, ministre. Face aux dangers sanitaires que votre loi faisait peser sur les patients, les hôpitaux ont pris la décision de s’acquitter eux-mêmes du droit de timbre. Il n’était pas question pour eux d’encourager la fraude, pas davantage de contourner la loi.

M. Claude Goasguen. Tant mieux ! Tant mieux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il s’agissait simplement pour eux d’éviter que chaque médecin enfreigne le serment qu’il a prêté de soigner tout malade.

M. Christophe Sirugue. Eh oui !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous avez également pris cette décision contre les recommandations objectives de deux corps d’inspection, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances. Ce rapport conjoint, c’est vous-même qui l’aviez commandé en juillet 2010. Il vous fut remis en novembre 2010. Étrangement, il n’a pas été rendu public au moment de l’examen de la loi de finances pour 2011.

M. Christophe Sirugue. Ils l’ont caché !

Mme Marisol Touraine, ministre. Que révélait-il donc qui était si compromettant pour la majorité de l’époque ? Pourquoi une telle dissimulation ?

M. Claude Goasguen. Demandez à Mme Bachelot !

M. Michel Issindou. Elle ne l’a pas lu !

Mme Marisol Touraine, ministre. Les conclusions étaient tout simplement sans appel. Ce rapport recommandait explicitement de ne pas mettre en place un droit de timbre pour les bénéficiaires de l’aide médicale d’État. Il ajoutait même que la taxe de 30 euros coûterait plus cher qu’elle ne rapporterait, en retardant notamment la prise en charge des patients.

À l’été 2012, conformément à nos engagements, à la réalité sociale et à la réalité que vivent les Français, nous avons fait le choix de supprimer le droit de timbre. Nous avons alors eu droit à un florilège d’assertions diverses et d’affirmations non démontrées qui, répétées à l’envi, n’en devenaient pas pour autant des vérités.

La droite ne fut à cette occasion ni sociale, ni populaire, encore moins forte, mais tout simplement extrême ; extrême dans son acharnement idéologique et dans la violence inouïe des propos que nous avons pu entendre.

Vous avez alors habillé une décision dogmatique d’arguments budgétaires et, malgré vos arguments invoquant la responsabilité, vous n’en avez clairement pas fait preuve.

M. Christian Jacob et M. Claude Goasguen. Ah bon !

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme votre rapporteur a eu l’honnêteté de le dire, vous avez purement et simplement voulu afficher un choix idéologique et politique.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Depuis la loi de finances rectificative pour 2012, le dépôt de la demande d’AME peut, de nouveau, être réalisé auprès des centres communaux d’action sociale, des services sanitaires et sociaux du département de résidence, ainsi qu’auprès des associations ou organismes à but non lucratif agréés à cet effet.

Votre proposition de loi a pour objectif de revenir à l’ancien système avec un guichet unique pour le dépôt des demandes d’AME. Les caisses d’assurance maladie seraient de nouveau seules habilitées à enregistrer l’entrée dans le dispositif. L’argument principal que vous avancez, sans citer aucun chiffre d’ailleurs, est celui de la lutte contre les fraudes. Je crains qu’il ne s’agisse de votre part que d’un artifice dans le but de restreindre l’accès à l’AME.

Pour notre part, nous avons fait le choix, dans la loi de finances rectificative, de faciliter l’accès au droit des demandeurs d’AME. En effet, vous savez très bien que certains d’entre eux ne savent pas déposer une demande et n’osent pas se rendre dans des locaux administratifs. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Tian, rapporteur. Tu parles !

M. Jean-Pierre Door. Vous ouvrez à la fraude !

Mme Marisol Touraine, ministre. Ces renoncements sont autant de soins non prodigués et la seule conséquence du rétablissement du monopole des caisses serait la dégradation de l’état de santé d’une partie des habitants de notre territoire.

Mme Marie-George Buffet. Exactement.

Mme Marisol Touraine, ministre. Les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, les services départementaux et les associations agrées jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement et facilitent l’accès au droit des bénéficiaires de l’AME, même s’ils ne reçoivent que 20 % des dossiers. Comme le soulignait très justement le rapport, cosigné par Christophe Sirugue et Claude Goasguen en juin 2011, l’expertise des fonctionnaires territoriaux et des associations d’aide aux bénéficiaires est reconnue par les caisses elles-mêmes. Au passage, j’invite vivement les parlementaires de l’opposition à se plonger dans la lecture de ce rapport bipartisan qui démontre que le chemin que nous propose de prendre cette proposition de loi n’est pas celui qu’il faut privilégier. L’expertise des fonctionnaires territoriaux et des associations permet aux caisses de traiter des dossiers complets, notamment grâce à l’intervention de traducteurs, qui lèvent les barrières de la langue. Elles améliorent la constitution du dossier et facilitent l’instruction des demandes. Ce travail en commun génère à terme des économies de gestion pour l’ensemble du dispositif.

Si je résume, votre proposition de loi consiste donc à restreindre l’accès à l’AME en accumulant les freins administratifs. Il est tout de même étrange que le législateur veuille multiplier les obstacles et compliquer la situation, y compris pour nos propres administrations.

Vous avancez une autre idée dans votre texte en voulant mettre en place d’une autorisation préalable à l’accès aux soins de ville : à chaque demande, la caisse devrait vérifier que le bénéficiaire est présent sur le territoire depuis plus de trois mois, condition effectivement requise pour l’attribution de l’AME.

Citons un cas concret qui démontrera l’absurdité de votre proposition. Un malade diabétique, en manque d’insuline, qui, bien sûr, maîtrise parfaitement les arcanes du droit et a lu attentivement la loi dont il n’ignore rien, fera en conséquence une demande d’autorisation. L’administration ne va pas se précipiter pour lui répondre dans la demi-journée ; la réponse à sa requête va donc tarder à venir – mais j’imagine que c’est ce vous souhaitez. Respectueux de la loi, notre malade verra sa santé se détériorer rapidement. Vous connaissez la chute de cette histoire : cette personne terminera aux urgences de l’hôpital dans une situation sanitaire difficile, faute d’avoir obtenu, dans des délais raisonnables, le fameux sésame. C’est donc finalement l’hôpital qui supportera le coût financier de votre proposition qui générera des frais de gestion supplémentaires pour l’ensemble des acteurs.

C’est exactement ce qui s’est déjà passé en 2011 : alors que, suite à votre décision, nous constations une baisse logique du nombre de bénéficiaires de l’AME, les dépenses progressaient de 5 % environ.

M. Christophe Sirugue. CQFD !

M. Claude Goasguen. Ce sont les hôpitaux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Elles furent tirées non pas par les soins de ville, mais par l’augmentation des dépenses hospitalières. En effet, en cas d’urgence, les malades vont à l’hôpital où l’on ne s’interroge pas sur leur situation financière ou administrative – contrairement à ce qui se passe dans certains pays – car l’enjeu consiste à éviter les phénomènes de contagion et à garantir la santé publique.

Derrière les propositions qui sont les vôtres, toutes teintées d’une suspicion permanente et infondée à l’égard des malades, savez-vous qui sont vraiment les bénéficiaires de l’AME ?

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je me permets, à nouveau, de citer le rapport de l’IGAS et de l’IGF dont vous avez manifestement fait une lecture trop rapide : « Les bénéficiaires de l’AME sont majoritairement des hommes seuls, dans un état de santé dégradé. Ils ne recourent aux soins et à une couverture maladie qu’en cas de besoin. À plus de 80 %, ils n’ouvrent des droits que pour eux-mêmes. Les familles de six personnes et plus ne constituent que 0,5 % des ouvrants droit. » Encore une fois, les chiffres viennent démentir vos raccourcis et vos caricatures. Les campagnes internes pour la présidence de l’UMP n’autorisent pas tous les écarts. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Nous sommes tous présents et tous unis !

Mme Marisol Touraine, ministre. Ce débat aura permis de rappeler une nouvelle fois, si besoin était, que nous agissons dans ce domaine avec une double exigence.

D’une part, une exigence de santé publique qui vous est bien étrangère.

Si les médecins se sont prononcés contre votre dispositif, c’est parce que chacun sait que des soins tardifs représentent un risque sanitaire important et un surcoût pour l’assurance maladie. Ma priorité, celle du Gouvernement, comme aurait dû l’être celle de chaque gouvernement, c’est d’assurer la sécurité sanitaire sur notre territoire.

D’autre part, une exigence humaniste, affichée, revendiquée et assumée.

L’AME est l’expression d’une conception ouverte et rassembleuse de notre modèle social. À l’heure du repli sur soi et de la stigmatisation de l’autre, le Gouvernement appelle à privilégier la cohésion plutôt que la division.

Pour l’ensemble des raisons que je viens de vous exposer, vous comprendrez que le Gouvernement ne soutient pas cette proposition de loi et qu’il appelle les députés à la rejeter de façon massive. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, si vous le voulez bien je m’exprimerai depuis l’hémicycle sans monter à la tribune. Si je reste au niveau de M. Tian, peut-être me comprendra-t-il mieux ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Deflesselles. C’est élégant !

M. Christian Jacob. Avec vous, on n’est jamais déçu !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Dans mon parcours professionnel, j’ai eu à prendre en charge des bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat. Pour l’opposition, nous sommes trop généreux ; elle nous traite d’humanistes et considère que nous sommes irresponsables. Au-delà du fait que cela me paraît bien paradoxal, je pose une question : qui sont globalement les étrangers qui arrivent en situation irrégulière ? Ce sont des personnes qui ont fui leur pays non pour bénéficier d’une cure thermale ou de la procréation médicalement assistée ni pour une opération de chirurgie esthétique, mais parce que, dans leur pays, elles sont persécutées, parce qu’il y a des famines...

M. Guy Geoffroy. Oh !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Monsieur Geoffroy, il ne vous a pas échappé qu’il y a des guerres dans le monde !

M. Guy Geoffroy. Arrêtez l’angélisme !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Ce n’est pas de l’angélisme ; ce sont les faits !

Je crois que vous ne connaissez pas le parcours du combattant qui permet d’obtenir l’AME.

M. Christian Jacob. Alors pourquoi y a-t-il une augmentation des bénéficiaires de 700 % en dix ans ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Il n’y a qu’à voir les contraintes imposées en matière de domiciliation. Il se passe parfois dix-huit à vingt-quatre mois entre l’arrivée d’un étranger sur notre territoire et le moment où il peut bénéficier de l’AME. J’ai été confronté à des cas que je peux vous citer.

Monsieur Tian, vous avez parlé de la procréation médicalement assistée. Ce matin, à huit heures trente, j’ai téléphoné au professeur qui dirige le centre de procréation médicalement assistée de Toulouse, grand centre de PMA, pour lui demander combien de personnes bénéficiant de l’AME étaient traitées annuellement à l’époque où cela était autorisé. Deux personnes m’a-t-il répondu ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est déjà trop !

M. Laurent Marcangeli. Deux de trop !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je parle donc d’un grand centre de PMA et d’une époque où cela était autorisé. Quand je pense à toutes les inepties que nous avons entendues en novembre 2010 ! Pour les cures thermales je n’ai pas eu besoin d’aller plus loin. J’ai demandé au maire de Bagnères-de-Luchon, station thermale de Haute-Garonne, si les bénéficiaires de l’AME étaient si nombreux dans les centres de cure de sa ville. Bien évidemment, sa réponse fut négative. Mais vous savez tout cela parfaitement.

En novembre 2010, l’opposition utilisait donc toute une série d’arguments contestables en nous cachant des éléments d’information essentiels. M. Jacob répondait tout à l’heure à la ministre que la décision de 2010 relevait d’un vote de la majorité de l’Assemblée. Certes, mais lorsque l’Assemblée vote et qu’elle ne dispose pas de rapports importants à même de l’éclairer, elle vote mal. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous avez considérablement restreint l’accès au titre de séjour pour étranger malade. Il est désormais possible de renvoyer un ressortissant malade dans son pays sous prétexte qu’il pourrait y trouver une boîte du médicament dont il a besoin. Il suffit donc qu’il y ait une boîte de médicament disponible dans tout le Mali pour justifier qu’on y renvoie un malade. Mais le fait qu’un produit soit disponible dans un pays ne veut pas dire qu’il soit accessible.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas le sujet !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Mme la ministre vous a déjà répondu pour ce qui concerne le déficit des hôpitaux, et je crois que M. Sirugue reviendra sur ce point.

En juillet dernier, je n’ai pas eu le temps de répondre à un député de l’opposition, présent ce matin, qui disait une très grosse bêtise – je ne vous donnerai pas son nom. Selon ce parlementaire, les bénéficiaires de la CMU seraient moins bien traités que ceux bénéficiant de l’aide médical d’État. Je veux rappeler que les bénéficiaires de la CMU ne paient pas les franchises médicales.

M. Claude Goasguen. C’est faux !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. En novembre 2010, un amendement de M. Tian proposait de récupérer le trop-perçu touché par les bénéficiaires de l’AME. À l’époque, Mme Bachelot qui savait que j’avais raison n’avait même pas osé me répondre. Que pourrions-nous récupérer alors que les malades en question ne font pas l’avance de leur frais et ne touchent donc jamais d’argent ? Moi, je ne sais pas récupérer de l’argent qui n’a jamais été distribué !

Vous menez un combat idéologique ridicule. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Deflesselles. C’est vous !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Vous agitez le problème pour faire réagir les Français. C’est vous qui mettez l’accent sur un faux problème. Notre pays est une terre d’accueil même si nous ne disons pas qu’il faut accueillir le monde entier et toute la misère de la planète.

M. Bernard Deflesselles. Un peu quand même !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Faites attention à ce que vous dites ! Faites attention au chemin que vous empruntez ! Regardez à qui vous donnez raison ! Vous porterez, en tout cas, l’entière responsabilité des conséquences de vos choix,…si vous voyez ce que je veux dire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob. Madame Lemorton, vous auriez pu faire la même intervention en étant plus détendue.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Sur ce sujet, j’ai du mal !

M. Christian Jacob. Nous le constatons, intervention après intervention, et cela vous amène régulièrement à déraper.

Mme Marie-George Buffet. Celui qui dérape, c’est vous !

M. Christian Jacob. Tout à votre obsession de passer par pertes et profits ce que nous avions fait, vous avez décidé de supprimer la réforme de l’AME menée en 2011. Au moment où nos finances publiques connaissent de sérieuses difficultés et où les Français attendent de nous une gestion rigoureuse de l’argent public, cette décision – notre rapporteur l’a très bien rappelé – est totalement incomprise. À preuve, selon un sondage de l’IFOP, 83 % de nos compatriotes déplorent le retour à la gratuité totale des soins pour les titulaires de l’AME. Si les Français sont prêts à accepter que s’appliquent les grands principes de solidarité et de générosité, ils rejettent la gabegie et redoutent sincèrement qu’une AME hors de contrôle ne soit le signe d’un appel d’air pour l’immigration illégale.

Notre proposition de loi est marquée par un souci d’équilibre. Nous ne remettons pas en cause la nécessité absolue de soigner celles et ceux qui sont en danger ; du reste, cette tradition a prévalu sans discontinuer dans notre République depuis la loi du 15 juillet 1893, qui a créé l’assistance médicale gratuite. Nous ne remettons pas non plus en cause la priorité qu’il convient de donner aux enfants et aux femmes enceintes ni, d’une manière générale, les mesures nécessaires à la prévention de l’apparition ou de la propagation de maladies. Par ces rappels, je réponds à la série de mensonges que nous avons entendus tout à l’heure et aux procès d’intention qui nous sont faits.

Ce que nous combattons, c’est l’explosion des dépenses d’AME, qui sont passées de 75 millions d’euros en 2000 à environ 600 millions en 2011, soit près de 700 % d’augmentation en une décennie. Voilà la réalité ! On peut nous faire tous les procès d’intention que l’on veut, mais une telle augmentation pour un nombre de bénéficiaires resté stable est tout de même peut-être le signe qu’il existe un problème. C’est à ce problème que nous voulons apporter une solution. Cette augmentation est-elle raisonnable ? Bien sûr que non. Est-elle justifiée ? Bien sûr que non. Est-ce juste ? Évidemment non. D’autant que, je le répète, le nombre de bénéficiaires est resté stable durant cette période.

Le rapport de l’IGAS de 2011 puis le rapport du comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale ont mis en lumière les dérives du système. C’est bien évidemment la fraude qui est pointée du doigt – je pense aux détournements organisés, concernant notamment le Subutex, qui ont défrayé la chronique dans notre pays –, mais il ne faut pas négliger les prescriptions coûteuses, les conséquences du nomadisme médical ou le système de tarification de l’AME, qui a entraîné une augmentation du coût des hospitalisations, estimé par l’IGAS à 130 millions d’euros.

M. Claude Goasguen. Par an !

M. Christian Jacob. En 2010 puis en 2011, la majorité a permis de faire un premier pas vers plus d’encadrement et de contrôle, grâce à la création du titre sécurisé d’admission à l’AME, à la réduction du panier de soins, à l’agrément préalable pour les soins hospitaliers de plus de 15 000 euros et au versement d’un forfait de 30 euros.

Votre majorité vient d’annoncer un budget pour lequel il est demandé à tous les Français de grands efforts, puisqu’il prévoit des hausses d’impôts massives, voire un véritable matraquage fiscal. Le comble serait que vous ne demandiez aucun effort à celles et ceux qui sont entrés ou se maintiennent illégalement sur le territoire national.

M. Jean-Pierre Door. Eh oui !

M. Christian Jacob. Nous n’acceptons pas qu’un étranger en situation irrégulière soit mieux traité qu’un étranger en situation régulière (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Christophe Sirugue. C’est faux !

M. Christian Jacob. Non, c’est la réalité.

Ni qu’il soit mieux traité qu’un petit retraité qui n’a pas les moyens de se payer une mutuelle. (Mêmes mouvements.)

M. Christophe Sirugue. À qui la faute ?

M. Christian Jacob. La solidarité nationale a ses limites : celles qu’imposent l’égalité et l’équité ainsi que le principe tout simple selon lequel, pour recevoir, il faut donner et contribuer.

L’AME ne pourra être légitime que si les Français ont la certitude que l’argent de leurs contributions est utilisé à bon escient, sans dérive, sans fraude. Ce n’est malheureusement plus le cas. C’est pourquoi nous proposons un dispositif profondément refondé, en prévoyant le rétablissement de l’accord préalable à la prise en charge des soins dispensés par les médecins de ville et hospitaliers, le rétablissement d’une franchise, fixée à 50 euros, pour les bénéficiaires de l’AME et, enfin, le rétablissement d’un guichet unique de traitement des dossiers confié à l’assurance maladie.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Christian Jacob. Je termine, madame la présidente.

Notre proposition se fonde sur trois principes forts : la bonne gestion des deniers publics, la justice et la lutte contre la fraude. Si vous persistez à la refuser, vous endosserez une lourde responsabilité, celle de l’exaspération du peuple français, qui serait en droit de penser qu’il y a vraiment deux poids deux mesures dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Denaja. Elle est dure, la ligne Copé : très à droite !

M. Serge Janquin. Il faut plutôt sanctionner la fraude fiscale !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, SRU, classes moyennes, peines plancher, bouclier fiscal, valeur travail, droit de vote des étrangers, mariage pour tous, dépénalisation du cannabis, financement des établissements scolaires privés : autant de sujets de société qui sont des marqueurs politiques, comme on dit, et dont on ne peut plus parler avec sérénité.

L’aide médicale de l’État fait partie de ces sujets extrêmement difficiles qui prêtent à confusion et – nous l’avons vu ce matin – soulèvent les passions : comme tout marqueur politique, elle fait l’objet, de part et d’autre, de simplifications et d’exagérations.

M. Christian Paul. Qu’est-ce qu’un « marqueur politique » ?

M. Arnaud Richard. Pourtant, à sa création, l’objectif de cette mesure d’ordre sanitaire était partagé. Il s’agissait d’aligner cette aide sur la CMU et de créer un panier universel de soins. Aujourd’hui, si vous êtes favorable à l’AME gratuite, vous êtes, pour les tenants du dispositif actuel, un type formidable…

M. Christian Jacob. 83 % des Français pensent le contraire !

M. Arnaud Richard. …et, pour d’autres, un altermondialiste irresponsable. À l’inverse, si vous considérez que chacun doit contribuer à la réussite et à l’équilibre de notre modèle de société, vous êtes presque accusé par les mêmes d’être un salaud. Eh bien, moi, je renvoie les partisans de ces deux positions dos à dos,…

M. Claude Goasguen. Ça, c’est du centrisme !

M. Arnaud Richard. …car je refuse d’être instrumentalisé par l’un ou l’autre camp.

Madame la ministre – je vois que l’Ipad est également un outil de travail pour les membres du Gouvernement…

M. Bernard Deflesselles. Elle ne vous a pas entendu !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Il est vrai que Xavier Bertrand nous écoutait toujours…

M. Arnaud Richard. En effet, le ministre Xavier Bertrand écoutait toujours les parlementaires. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, n’interrompez pas l’orateur.

Monsieur Richard, poursuivez sans vous laisser perturber, s’il vous plaît.

M. Arnaud Richard. Il me semble que la méthode générale de gouvernement doit consister à tendre la main à ceux qui sont les plus faibles – la force d’une nation dépendant de la force de son maillon le plus faible – mais que chacun doit contribuer à la hauteur de ses moyens. Les hommes et les femmes de notre pays ont des droits inaliénables, mais c’est la reconnaissance de ces droits qui confèrent à tous le droit d’avoir des droits.

Depuis sa création, le budget de l’AME est, nous en convenons tous, devenu objectivement disproportionné par rapport aux prévisions. Il fallait trouver un responsable de cette augmentation : certains dénoncent les abus des bénéficiaires, d’autres la mauvaise gestion du dispositif. Dans le rapport d’information qu’ils ont consacré à ce sujet, nos collègues, ici présents, Christophe Sirugue et Claude Goasguen, ont conclu à la nécessité de clarifier la gestion de l’AME, afin d’éviter que cette question n’empoisonne le débat sur l’immigration. Hélas ! Celui-ci est déjà empoisonné. Notre collègue socialiste, Danièle Hoffman-Rispal, et moi-même avons, quant à nous, souhaité, dans notre rapport d’information sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence, que l’accueil des demandeurs d’asile, de leur arrivée jusqu’à leur départ lorsqu’ils font l’objet de ce qu’on appelle une OQTF – obligation de quitter le territoire français –, soit traité sereinement et au fond. Une telle approche permettrait peut-être de trouver des solutions et de démystifier ces sujets afin qu’ils ne soient plus des marqueurs politiques. Mais la droite et la gauche le souhaitent-elles vraiment ? Il leur faut bien trouver des raisons de s’opposer, même sur le dos des demandeurs d’asile ou des personnes en situation irrégulière.

Nous estimons, quant à nous, qu’il nous faut rester extrêmement sereins et mettre en œuvre la nécessaire réforme de la gestion de l’AME afin de sortir de cette ornière assez profonde. Parmi les pistes de réflexion que nous pouvons envisager, je citerai la réforme de la facturation des séjours hospitaliers, l’amélioration de l’organisation de ces séjours, la correction de l’effet de seuil des ressources et, pourquoi pas, la fusion des dispositifs CMU et AME ou, à tout le moins, leur harmonisation administrative rapide. Il s’agit bien, tout en faisant preuve de la plus grande humanité, qui caractérise notre beau pays – et je crois que nous n’avons pas à rougir de la manière dont nous appliquons le droit d’asile –, d’améliorer la gestion d’une ligne budgétaire qui explose. En effet, ainsi que l’ont rappelé les orateurs précédents, d’environ 75 millions d’euros en 1999, le budget de l’AME avait déjà doublé lors de la première année d’application et il atteint aujourd’hui un montant très inquiétant.

La proposition de loi de notre collègue prévoit la création d’une franchise de 50 euros – franchise qui s’élevait, avant d’être supprimée, à 30 euros. Il est des personnes, dans notre pays, pour qui 50 euros, c’est beaucoup. Pour ces personnes-là, qui réfléchissent à deux fois avant de se soigner et qui souvent ne peuvent avancer les frais, devoir payer l’aide médicale d’État est un problème. On peut s’enorgueillir d’avoir une véritable politique d’asile, mais celle-ci doit être rationnelle. Comme disait Michel Rocard, qui fut élu de ma circonscription, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est ce que j’ai dit !

M. Arnaud Richard. Absolument, madame la présidente de la commission, et je partage cette idée.

Madame la ministre, si vous étiez, comme vous l’affirmez, cohérente et soucieuse de justice, vous pourriez supprimer la franchise médicale pour tous nos concitoyens, plutôt que de jeter l’anathème et de réagir de manière, me semble-t-il, excessive aux propositions qui sont faites aujourd’hui. De grâce, cessez de prétendre qu’une AME tout aussi humaine mais dont la gestion serait un peu plus sérieuse contribuerait à la réapparition d’épidémies qui n’existaient plus dans notre pays. Je ne pense pas qu’il faille présenter les choses de cette manière. Abordons-les avec la plus grande humanité, mais sachons que nos compatriotes ne comprendraient pas que nous ne soyons pas soucieux d’une gestion sérieuse. Par ailleurs, il n’est pas sérieux de lancer des anathèmes en dénonçant des abus en matière de cures ou de PMA.

Claude Goasguen et Christophe Sirugue, qui ne sont pas toujours d’accord, ont fait un travail de grande qualité.

M. Claude Goasguen. Vous allez le gêner !

M. Arnaud Richard. Il faudrait que nous trouvions, dans le PLFSS ou le PLF, le moyen d’en finir avec les excès et de ne plus faire de cette question un marqueur politique.

M. Dominique Tian, rapporteur et M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, François Hollande s’est engagé, pendant sa campagne, à sortir le pays du climat de stigmatisation et de division qui avait marqué le quinquennat précédent. Il fallait en effet en finir avec une situation où l’étranger, notamment, était l’objet de tous les soupçons. Hélas, lorsque j’entends certaines déclarations faites à cette tribune, je crains que la route ne soit encore longue. Rappelons que, depuis 2002, pas moins de cinq lois sur l’immigration ont été adoptées, rendant chaque fois plus difficile pour les étrangers l’accès aux titres de séjour comme à la nationalité française. L’ancienne majorité, chaque fois que cela était possible, a durci les conditions de vie des étrangers arrivant en France : création de diverses taxes, restriction du droit d’asile, délit de solidarité, restriction des droits en règle générale. Tout y est passé.

Le Gouvernement s’est donc attelé à appliquer les engagements du Président de la République. Respectant ses promesses, celui-ci a tenu à ce que son gouvernement supprime, dès juillet 2012, le droit de timbre qui avait été instauré pour l’accès à l’aide médicale d’État. Deux principes ont guidé une telle décision : d’une part, l’accès aux soins est un droit universel, d’autre part, un principe de réalité. En effet, ainsi que Mme la ministre l’a rappelé, le dernier rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF a montré que, plus nous retardons l’accès aux soins, plus nous payons l’aggravation des conditions de santé des patients et les soins qui en découlent.

Il est donc regrettable – mais faut-il s’en étonner ? – que la toute première niche des députés de l’UMP soit consacrée à l’aide médicale d’État.

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est fait exprès !

M. Sergio Coronado. Sans doute cette volonté de continuer à stigmatiser l’étranger, en l’espèce les plus fragiles d’entre eux, c’est-à-dire les sans papiers, est-elle dans l’air du temps, à droite.

M. Dominique Tian, rapporteur. Non, ce n’est pas cela que nous voulons !

M. Sergio Coronado. Ce n’est guère étonnant, en effet, lorsque l’on voit un ancien ministre de la République reprendre les thématiques et les mots de l’extrême droite pour gagner un congrès.

M. Claude Goasguen. Ça recommence !

M. Sergio Coronado. Celui-là même qui réclamait, voilà peu, non pas la remise en place du droit d’entrée, mais la suppression pure et simple de cet outil de solidarité et de fraternité.

Dans le contexte actuel de crise sociale, il paraît irresponsable de s’attaquer à l’aide médicale d’État, qui est un instrument de solidarité et de fraternité entre tous et toutes.

M. Christian Jacob. 700 % d’augmentation !

M. Sergio Coronado. Je ne crois pas que votre proposition de loi s’attaque aux problèmes de financement de cette question. Lors du débat sur la loi de finances qui avait vu la suppression du droit de timbre, le groupe écologiste avait salué cette avancée. En effet, au Sénat, en juillet dernier, ma collègue Aline Archimbaud s’était félicitée de la fin de mesures qui tenaient du non-sens sanitaire et économique. Ce dispositif, supprimé par la majorité et que vous proposez de rétablir, constitue une atteinte clairement aux droits et ses conséquences économiques pour la santé publique seraient bien plus lourdes que celles que vous dénoncez en raison de la gestion de l’AME.

Permettez-moi de donner les raisons qui conduisent les écologistes à rejeter cette proposition de loi. Je rappellerai d’abord que les étrangers ont bénéficié de la couverture santé de droit commun, dans des conditions identiques aux Français jusqu’à la réforme Pasqua, en 1993, qui les a exclus de toute prestation, à l’exception de l’aide médicale qui existe aujourd’hui. On ne peut pas dire que la droite, sur cette question, manque de cohérence.

J’ai lu aussi, sous la signature de certains des auteurs de cette proposition de loi, que la lutte contre la fraude motive ce texte. Les mêmes ont pourtant affirmé il n’y a pas si longtemps, conjointement avec Christophe Sirugue et en accord avec le rapport de l’IGAS et de l’IGF, que le déficit de l’AME n’était pas dû à la fraude – d’autant plus que les dispositifs de contrôle, en fait, se sont multipliés ces dernières années et que ces fraudes, minimes, sont vraiment anecdotiques comparées à des fraudes plus importantes comme la fraude fiscale. Les contrôles sont d’ailleurs tels que les demandeurs de l’AME sont parfois présumés fraudeurs lors de l’inscription et doivent fournir la preuve de leur absence de ressources afin d’avoir accès à leurs droits.

Vous dénoncez également la disparition du guichet unique, dont vous faites l’un de vos chevaux de bataille dans la rationalisation des dépenses publiques. Vous n’êtes pourtant pas sans savoir qu’il n’y a qu’un seul instructeur de dossiers, la CNAM, et que le guichet unique avait pour seul objectif de rendre plus difficile aux sans-papiers l’accès aux soins. En effet, à Paris, on ne comptait plus que deux guichets et pour tout le Val-de-Marne, un seul point d’accès, à Créteil.

Vous dénoncez également le fait que la couverture des sans-papiers serait meilleure que celle du régime traditionnel. Il s’agit là d’un mensonge et ce n’est pas parce qu’on répète de manière continue un mensonge qu’il devient une vérité.

Dans le droit comme dans la pratique, les personnes affiliées à l’AME sont couvertes au même taux que celles, ayant le même niveau de ressources, soumises au régime de la CMU complémentaire.

Vous déclarez enfin que trente euros, c’est peu. Vous oubliez de préciser ce que représentent trente euros quand le revenu mensuel s’élève à 660 euros : 5 % des revenus.

Nous savons aujourd’hui que seulement 220 000 personnes ont recours à l’aide médicale d’État chaque année et que 200 000 personnes environ restent éloignées de l’accès aux soins. Nous sommes donc dans une situation sanitaire assez inquiétante.

Il convient d’apporter plusieurs explications complémentaires sur l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’AME.

D’abord, et vous le savez, dès 2008, les citoyens de l’Union européenne sans papiers, en particulier de nationalité roumaine ou bulgare, ont été dirigés vers l’AME, venant ainsi grossir le nombre des bénéficiaires.

La politique de baisse de l’immigration légale, notamment sur les titres de séjour pour soins, a par ailleurs multiplié le nombre de personnes qui ont été dirigées vers l’AME.

De même, les déclassements pratiqués par certaines caisses à l’encontre d’une population de migrants précaires ou de demandeurs d’asile contribuent à grossir le chiffre des bénéficiaires de l’AME.

D’autres, qui ont un travail, se voient, eux, refusés aux guichets de l’AME. Ces travailleurs sans papiers au dessus du plafond de ressources – 661 euros pour une personne seule, je vous demande d’imaginer ce que veut dire vivre aujourd’hui avec 661 euros par mois – n’ont de facto droit ni à une couverture santé, ni à l’assurance maladie. Ce sont autant de personnes que nous laissons hors du système de solidarité sur notre territoire.

Le droit d’entrée à trente euros, c’est une mesure inéquitable et injuste. À revenu équivalent, les bénéficiaires de l’assurance maladie et de la CMU complémentaire n’ont pas de droit d’entrée à payer.

Je rappelle aussi que les bénéficiaires de l’AME participent comme tout résident au financement de leur couverture santé. Ils sont soumis aux prélèvements obligatoires, payent la TVA et parfois, même, des cotisations sociales.

Le rétablissement du ticket d’entrée est une mesure dangereuse pour la santé publique. Imposer une charge financière à des personnes vulnérables, qui souffrent parfois de pathologies lourdes – et vous savez que dans le public ayant accès à l’AME, les pathologies lourdes sont surreprésentées : le VIH, les problèmes cardiaques, les problèmes de santé mentale – est en contradiction avec toute politique de santé publique cohérente : des pathologies simples s’aggravent et le coût des soins tardifs est bien plus lourd pour les finances publiques.

C’est une mesure démagogique, sans impact sur les finances publiques. Les bénéfices escomptés sont de l’ordre de 5 millions d’euros : rien, au regard du budget global de l’AME.

Il s’agit d’une mesure qui vise à dissuader, il s’agit d’une proposition d’affichage en ces temps où la droite a décidé de faire la course aux thèmes de l’extrême droite.

Vous prônez l’exemple de l’Espagne comme cas de bonne pratique de nettoyage des dépenses publiques ; plutôt qu’à ce que fait le gouvernement Rajoy, je me référerai au cas de l’Andalousie, qui a décidé de maintenir un régime commun pour toutes et tous, avec la fraternité au fronton. C’est mon choix, c’est le choix des écologistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, le moins que l’on puisse dire, chers collègues de l’UMP, c’est qu’avec cette proposition de loi vous avez le mérite de la constance.

M. Christian Jacob. Oui !

Mme Marie-George Buffet. Cela tourne même à l’obsession, quand il s’agit de stigmatiser et de priver de droits des catégories bien ciblées, les plus fragiles, parmi les hommes et les femmes qui vivent sur notre territoire.

Le fonds idéologique de l’UMP et de la Droite populaire est-il à ce point réduit qu’il vous faut, pour votre première niche parlementaire, chercher une fois encore à diviser notre peuple en opposant ceux et celles qui cotisent à ceux et celles qui ne peuvent pas le faire faute de papiers, le salarié ou le petit retraité à l’étranger ?

Nous voici donc à rediscuter de l’aide médicale d’État, moins de trois mois après que le projet de loi de finances rectificatif de juillet a toiletté le dispositif des péages à l’accès aux soins que vous-même, monsieur Tian, et vos amis de l’UMP aviez fait voter en loi de finances voilà deux ans.

S’agit-il vraiment, dans cette proposition, d’encadrer le recours à l’AME pour que ce dispositif soit moins coûteux pour les finances publiques, ainsi que vous l’affirmez ? À l’évidence, non. Vous auriez choisi d’autres leviers que ceux que vous proposez dans les articles de cette proposition.

Car la question de l’accroissement des dépenses liées à l’aide médicale d’État est très bien documentée par le rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances, mais aussi par celui commis par nos collègues MM. Sirugue et Goasguen : ces rapports ont montré que ni la fraude massive que vous fantasmez et prétendez dénoncer, ni l’explosion du nombre de bénéficiaires que vous instrumentalisez ne sont responsables de l’augmentation des dépenses de l’AME. Sur ce point, votre vue partisane vous pousse à passer sous silence les turpitudes du précédent quinquennat. C’est la politique d’accueil du gouvernement Fillon et de la précédente majorité qui, en bridant le droit d’asile, a mécaniquement accru le nombre d’étrangers en situation irrégulière et, partant, le nombre de personnes éligibles à l’aide médicale.

M. Claude Goasguen. Cela n’a rien à voir !

Mme Marie-George Buffet. Sans ces restrictions, les soins prodigués aux patients concernés auraient fait l’objet d’une tarification de droit commun, à l’activité donc, et non pas sur la base de tarifs spécifiques, au demeurant bien plus élevés, nous en convenons.

Si votre préoccupation, du moins ce que vous en affichez, est bien d’ordre budgétaire, pourquoi ne pas avoir proposé l’alignement de la tarification des actes à l’AME sur la tarification à l’activité dans les établissements hospitaliers ?

Une telle proposition aurait certes eu moins d’impact aux yeux des citoyens que vous convoitez en les flattant de votre rhétorique stigmatisante.

Ce qui vous anime est donc beaucoup plus inquiétant, beaucoup plus malsain : il s’agit ni plus ni moins, vous l’avez dit monsieur le rapporteur, d’un marqueur, particulièrement à droite. Quitte à faire peser sur l’ensemble de la population des risques non négligeables de santé publique.

Vous nous avez fait le chantage à l’exaspération de notre peuple, mais monsieur le rapporteur, notre peuple est beaucoup plus généreux que cela : notre peuple veut que chacun ait droit au logement, droit à la santé, droit à l’éducation. C’est ce qu’il vous a dit, d’ailleurs, il y a quelques mois.

De quoi s’agit-il dans cette proposition ? L’article premier vise à rétablir le guichet unique pour faire des caisses primaires d’assurance maladie les seules dépositaires des demandes d’aide médicale. Rappelons que c’est à la demande de ces mêmes caisses qu’on a permis aux associations, aux CCAS, de monter les dossiers d’AME : une demande justifiée en raison de leur plus grande proximité avec le terrain et de leur expérience des publics concernés. Votre mesure aurait donc pour effet de rigidifier le parcours administratif des personnes éligibles et donc de restreindre le nombre des bénéficiaires. Cet article est d’autant plus déroutant que le récent rapport que j’ai cité a souligné l’importance du tissu associatif dans l’accompagnement des demandeurs et donc dans leur accès aux soins.

L’article 2 procède d’une instrumentalisation honteuse de cas isolés d’abus. Si nous sommes tous ici contre la fraude et les abus, nous ne pouvons tolérer que la loi se construise sur cette base. Ne vous en déplaise, les bénéficiaires de l’aide médicale ne viennent pas sur notre territoire pour faire du tourisme médical aux frais du contribuable français. Je ne pense pas que les établissements thermaux, ni que les services de chirurgie plastique soient assaillis par les bénéficiaires de l’AME.

Faut-il en outre rappeler que si abus il y a, la responsabilité en incombe avant tout aux prescripteurs ? Dès lors, ce n’est pas tant les bénéficiaires que vous offensez, mais le diagnostic et la prescription des praticiens que vous mettez en doute. Nous ne l’acceptons pas davantage. Encore une fois, cet article n’est pas conforme aux objectifs assignés à votre proposition de loi. L’agrément préalable est particulièrement coûteux à mettre en place et son efficacité n’a pas été prouvée. En revanche il contribuerait de manière certaine à retarder la prise en charge des bénéficiaires, au mépris là encore des enjeux de santé publique. Faut-il rappeler que chez les bénéficiaires de l’AME, certaines pathologies infectieuses – VIH, et je vois ici des collègues qui appartenaient au groupe d’action contre le SIDA, tuberculose, hépatite C – sont surreprésentées ? Le rétablissement de l’agrément préalable risquerait ainsi d’exposer la population à des risques épidémiques graves et entraînerait, en corollaire du diagnostic tardif, une augmentation des coûts de prise en charge des pathologies.

Pour avoir, tout au long du mandat précédent, présidé le groupe des parlementaires contre le SIDA, je peux témoigner que de très nombreux médecins et acteurs de la santé que nous avons eu l’occasion d’auditionner voyaient dans l’AME un atout important pour lutter contre la pandémie. Ils nous avaient également fait part de leur incompréhension quant à l’instauration d’un droit d’entrée de trente euros.

Fort heureusement nous avons abrogé cette mesure scandaleuse. Cette injustice à peine expurgée, vous revenez à la charge à travers l’article 3, qui vise à soumettre les bénéficiaires de l’AME aux franchises médicales. Justifier un tel article par une volonté de « rétablir l’équité » entre bénéficiaires de l’AME et assurés sociaux du régime général relève d’un cynisme que seules les personnes aveugles aux réalités vécues par ces populations peuvent se permettre. Pour pouvoir prétendre à l’AME, il faut justifier d’un revenu mensuel inférieur à 661 euros pour une personne seule et de moins de 500 euros par personne pour un couple. L’AME s’adresse donc à un public en très grande précarité tant sociale que sanitaire, qui n’a pas davantage les moyens de payer les franchises médicales que le ticket d’entrée de trente euros que vous aviez fait voter !

L’objectif de votre proposition, c’est de limiter l’accès aux soins et de maintenir une population en grande difficulté dans un état de santé des plus précaires, et ce en dépit du bon sens médical qui plaide évidemment pour que ces populations soient prises en charge afin que leur état de santé ne se dégrade pas. Votre proposition est contraire à l’intérêt supérieur de la santé publique de notre pays, mais également à celui des finances publiques, puisqu’il est évident que plus on restreint l’accès aux soins, plus coûteuse sera leur prise en charge.

En définitive, votre proposition de loi s’inscrit dans une visée idéologique qui n’a rien à voir avec la santé publique : stigmatiser l’étranger, instrumentaliser voire déformer des faits pour les jeter en pâture, en espérant susciter la vindicte populaire. Dresser les populations les unes contre les autres, voilà l’enjeu réel de cette proposition de loi et de votre projet politique : c’est votre fonds de commerce.

Bien entendu le groupe GDR votera contre ce texte. Contrairement à vous, nous sommes fiers sur ces bancs de défendre l’accès universel à la santé sur notre territoire, tant par tradition humaniste que dans un souci de santé publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Alors que le pays connaît une crise économique et sociale particulièrement difficile, que tous les acteurs se mobilisent pour combattre le chômage, favoriser la croissance, dynamiser le pays, voilà que la première proposition de loi du groupe UMP, dans la première journée parlementaire qui lui est réservée, qui plus est déposée par le président du groupe UMP en personne, concerne l’aide médicale d’État.

Non pas que ce dispositif soit secondaire ou anecdotique, tant il est nécessaire, comme je vais le démontrer, d’autant plus que le nombre d’heures passées à en débattre au sein même de cet hémicycle commence à être conséquent – pas plus tard qu’en juillet dernier, nous avions déjà abordé ce sujet à l’occasion du projet de loi de finances rectificatif présenté par le Gouvernement. Il a même fait l’objet, comme chacun le sait, de plusieurs rapports, dont les derniers en date sont celui de l’IGAS et de IGF, ainsi que celui que j’ai moi-même commis en juin 2011, dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle, en compagnie de notre collègue Claude Goasguen.

Dès lors, la question qui mérite d’être posée du haut de cette tribune est de savoir quelle est la véritable motivation de cette nouvelle proposition de loi. A-t-elle cette vocation vertueuse consistant à vouloir comprendre, puis analyser et corriger une situation particulière ? Quelle est, justement, cette situation particulière ? Nous constatons une augmentation importante des dépenses relatives au dispositif de l’AME. Cette augmentation, incontestable, est forte bien qu’irrégulière, passant de 140 millions d’euros en 2000 à 603 millions d’euros en 2011.

M. Dominique Tian, rapporteur. Très bien !

M. Christophe Sirugue. Elle a surtout connu un dynamisme important à partir de 2009, c’est-à-dire sous la responsabilité du précédent gouvernement – vous verrez que je ne fais pas cette remarque sans raison.

M. Christian Jacob. Nous sommes passés de 200 000 bénéficiaires en 2006 à 208 000 aujourd’hui !

M. Christophe Sirugue. Cependant, même avec 603 millions d’euros, elle ne représente que 0,2 % des dépenses du budget général de 2011 – mais, aux yeux de l’UMP, cela méritait visiblement un débat prioritaire !

En commission, notre rapporteur, que l’on ne peut pas suspecter d’une quelconque complaisance à l’égard de l’AME, expliquait lui-même que cela n’était pas dû à une augmentation des ayants droit – ce que confirment d’ailleurs les chiffres de l’IGAS et de l’IGF.

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est vrai !

M. Christophe Sirugue. Le même rapport, ainsi que celui que j’ai corédigé avec Claude Goasguen, autre personnalité dont on connaît les positions, expliquaient également que cette hausse des dépenses n’était pas due non plus à la fraude, puisque selon les données de la CNAMTS, le taux de fraude varie entre 0,2 et 0,3 %, ce qui représente une donnée relativement stable et comparable à celle observée pour d’autres dispositifs – en fait, la situation majoritaire est plutôt celle d’un non-recours aux droits que d’un abus de droits. Dernier élément d’analyse : la consommation moyenne est restée constante ces dernières années et n’a commencé à évoluer que lors des dernières années.

Dès lors, et comme cela avait déjà été démontré dans les débats précédents, toute recherche d’une culpabilité reposant sur un mauvais comportement des bénéficiaires de l’AME se voit contrariée par la réalité des analyses que je viens de rappeler. En réalité, comment la hausse du montant des dépenses s’explique-t-elle ? Essentiellement par deux motifs aujourd’hui bien identifiés.

Premièrement, c’est une augmentation des bénéficiaires, à distinguer des ayants droit, particulièrement marquée depuis 2008. Et cette augmentation, comble de l’ironie, est pour l’essentiel la conséquence des choix faits par la précédente majorité. En effet, l’application de la législation relative au droit d’asile, en accroissant le nombre de déboutés qui n’ont plus droit à la CMU complémentaire, se solde par une orientation de ces personnes sur l’AME.

Par ailleurs, la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité du 11 mai 2011 prévoit que la procédure « étranger malade » ne pourra être accordée qu’en cas d’absence du traitement approprié dans le pays d’origine. Or, les personnes se retrouvant en situation irrégulière sont, de fait, orientées vers l’AME. Enfin, la hausse des ressortissants est aussi due à une directive européenne de 2004, transcrite en 2007, qui a modifié les conditions de régularité de séjour des ressortissants communautaires. Sur ce premier champ d’explication, pas un article de votre proposition de loi ne viendra modifier quoi que ce soit.

M. Claude Goasguen. Si, la nature des soins !

M. Christophe Sirugue. La seconde cause identifiée tient au mode de facturation hospitalière, comme indiqué dans le rapport que j’ai rédigé avec Claude Goasguen.

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est vrai !

M. Christophe Sirugue. Avec l’effet conjugué, d’une part, d’une meilleure recherche de solvabilité de la part des établissements – ce dont nous nous félicitions –, aboutissant au recours à l’AME plutôt qu’à l’inscription en créances irrécouvrables comme cela était le cas auparavant ; et, d’autre part, du maintien pour l’AME du tarif journalier de prestation inscrit dans la loi en 2009 par une disposition issue de la loi HPST.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Christophe Sirugue. Cette base de tarification étant assez élevée, certains établissements en ont parfois un peu abusé…

M. Dominique Tian, rapporteur et M. Claude Goasguen. Ah !

M. Christophe Sirugue. …ce qui peut s’expliquer par la situation financière critique où votre politique les avait conduits. Par ailleurs, l’application de la tarification journalière, différente de la tarification à l’activité, explique que certaines prestations identiques aient été facturées plus cher dans le cadre de l’AME qu’elles ne l’auraient été dans le cadre de la TAA.

M. Claude Goasguen. Cela n’a pas changé !

M. Christophe Sirugue. Mais là encore, rien de ce que vous nous proposez dans les trois articles de votre proposition de loi ne permet de corriger cette difficulté connue, que le Gouvernement traitera dans le cadre de sa réflexion générale sur l’hôpital.

M. Claude Goasguen. Mais si !

M. Christophe Sirugue. Votre proposition de loi permettrait-elle enfin de corriger des abus, à supposer qu’ils soient avérés ? Malheureusement non, et je souhaite profiter de cette intervention pour revenir sur des affirmations fréquemment avancées pour justifier des abus qui seraient constatés quant au recours à l’AME. Que n’a-t-on entendu sur ce sujet ! Il n’est sans doute pas inutile de rappeler clairement que, parmi les éléments du décret que l’ancienne majorité avait promulgué, l’interdiction de la prise en charge par l’AME des cures thermales et de la procréation médicalement assistée demeure. On ne peut donc pas financer ces actes par le biais de l’AME.

Un autre élément régulièrement avancé est celui selon lequel, puisque nos compatriotes sont soumis aux franchises, il serait normal que les étrangers en situation irrégulière assument, eux aussi, un droit de timbre. Je trouve déjà curieux que l’UMP puisse nous proposer une approche politique « à la carte » : bien qu’en situation irrégulière, les bénéficiaires de l’AME devraient être traités comme n’importe lequel de nos concitoyens, alors qu’ils relèvent d’un dispositif différent de celui du droit commun. Comprenne qui peut !

M. Claude Goasguen. L’AME, c’est l’État !

M. Christophe Sirugue. Mais je voudrais surtout signifier que les bénéficiaires de l’AME ne sont pas les seuls à ne pas être assujettis aux participations forfaitaires et aux franchises : il en est de même pour les bénéficiaires de la CMUC. Et il est inexact de dire que l’AME donne accès aux mêmes droits que les bénéficiaires du régime général, de la CMU et même de la CMUC puisque, je le rappelle, la prise en charge des bénéficiaires de la CMUC est meilleure pour l’optique, les prothèses dentaires ou l’audioprothèse. Je vous renvoie au rapport que j’ai réalisé avec Claude Goasguen, dont l’un des chapitres est intitulé : « Les prestations délivrées aux bénéficiaires de l’AME sont d’un niveau inférieur à celles qu’ouvre le dispositif de la CMUC ».

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Très bien !

M. Christophe Sirugue. Dès lors, vouloir agiter la thématique de l’égalité, voire de la justice, entre des dispositifs qui ne recouvrent ni les mêmes dépenses, ni les mêmes droits, me paraît être, là encore, une erreur importante – pour ne pas dire un raccourci dont on comprend bien qu’il permet ensuite tous les amalgames, donc toutes les justifications.

Puisque les différences existent, votre volonté d’exiger, au travers de cette proposition de loi, un effort par le rétablissement du droit de timbre au nom de l’équité ne tient pas.

M. Christian Jacob. Et l’agrément ?

M. Christophe Sirugue. Enfin, l’AME ne peut pas être non plus, comme le propose M. Copé, un dispositif n’ayant vocation à traiter que les urgences. Une politique sanitaire digne de ce nom doit permettre tout à la fois la prévention, l’accès aux soins et la prise en compte des urgences. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) À vouloir ignorer l’une de ces politiques publiques, on en arriverait à retrouver, dans le cadre de l’AME, des personnes que l’on a voulu ignorer, avec des pathologies devenues bien plus graves, donc des frais hospitaliers bien plus conséquents. En fait, votre proposition de loi n’est pas une bonne nouvelle pour les finances publiques : elle aggraverait leur situation, car les quelques millions d’euros que vous récupéreriez avec votre droit de timbre seraient largement inférieurs au coût des pathologies lourdes qui arriveraient ensuite directement dans les hôpitaux !

Votre proposition de loi ne s’inscrit pas dans le cadre d’une politique sanitaire cohérente pour notre pays. Aussi, je reviens à ma question initiale : pourquoi cette proposition comme premier élément législatif du groupe UMP, et pourquoi maintenant ? Tout simplement, mes chers collègues de l’opposition, parce que c’est l’un des éléments constitutifs de la dérive droitière qui marque l’UMP depuis quelque temps. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) Et que cela vienne de M. Jacob, proche, comme chacun le sait, de M. Copé – adepte, en ce moment, de la théorie du pain au chocolat – ne peut pas être un hasard.

Comme je vous l’ai dit en commission, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi est en fait exclusivement accusatoire, inutile et dangereuse. Pour toutes ces raisons, elle ne peut que se voir opposer le refus de son adoption de la part du groupe socialiste, républicain et citoyen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par répondre à la question qui semble préoccuper M. Sirugue : pourquoi la question de l’aide médicale d’État fait-elle l’objet de notre première proposition de loi ? J’y répondrai en rappelant à nos collègues de la majorité qu’ils ont eux-mêmes initié le débat en introduisant en juin dernier, dans une loi de finances qui n’avait rien à voir avec l’AME, un codicille qui n’avait à l’évidence pas d’autre justification que d’ouvrir le dossier de l’AME sous un angle idéologique.

M. Christophe Sirugue. Non, c’était le respect d’un engagement !

M. Claude Goasguen. Et aujourd’hui, vous venez nous reprocher de répondre à la question que vous avez posée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Deflesselles. Bien sûr ! Il a raison !

M. Claude Goasguen. Soyez honnêtes et assumez le fait que c’est vous qui avez commencé à évoquer la question de l’AME – et ne venez pas vous plaindre que l’on vous réponde !

Pour ma part, je ne me place pas du tout sur un plan idéologique quand je parle de ce sujet compliqué. Je tiens avant tout à souligner qu’un certain nombre de questions sont mal posées sur le plan technique. Ainsi, quand vous nous dites qu’il faudrait augmenter le nombre de centres délivrant la carte AME, vous oubliez que cette carte est aujourd’hui la seule pièce d’identité pour les immigrés en situation de clandestinité – si vous alliez sur le terrain, les centres de sécurité sociale et les services de police pourraient vous le confirmer. Il faut donc faire preuve d’un minimum de prudence quand il s’agit de délivrer un élément relevant de la sécurité et, sur ce point, je vous invite à prendre vos responsabilités.

Par ailleurs, vous nous dites que la CMU et l’AME ne sont pas la même chose et que dans le cadre de la CMU, on ne paie rien. C’est faux : si, pour la CMU de base – qui présente, en termes de ressources, le même taux d’entrée et de sortie que l’AME –, il n’y a pas de droit d’entrée, il y a tout de même une franchise de 50 euros, et vous qui êtes pharmacienne, madame Lemorton, vous n’êtes pas sans savoir que la CMU de base…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. C’est faux !

M. Claude Goasguen. J’ai vérifié !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Et moi, je suis pharmacienne, comme vous le dites vous-même, et je sais ce que je dis !

M. Claude Goasguen. Le bénéficiaire de la CMU de base règle une partie des médicaments qui lui sont prescrits, à hauteur de la franchise de 50 euros : deux euros par transport sanitaire, 50 centimes par acte paramédical, et cætera – ce qui, à ma connaissance, n’est pas le cas pour les bénéficiaires de l’AME.

Vous semblez oublier que les 50 euros de franchise de la CMU constituent un plafond annuel…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. C’est incroyable !

M. Claude Goasguen. Non, c’est la réalité ! Vous savez très bien qu’il n’est demandé aucune participation à un immigré clandestin dans le cadre de l’AME, alors chaque bénéficiaire de la CMU de base contribue dans la mesure de ses moyens – même s’ils sont aussi faibles que ceux d’un immigré. Votre raisonnement ne tient pas et, pour notre part, nous ne demandons pas la suppression de l’AME : nous souhaitons que la participation soit identique dans les deux régimes. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Enfin, si nous voulons débattre de l’AME, c’est aussi pour souligner à quel point ce régime est mal géré. Quand on vous entend, madame la ministre, on ne sait plus si l’on a face à soi Roselyne Touraine ou Marisol Bachelot, car vous tenez exactement le même raisonnement que la ministre qui vous a précédée : l’AME est un tel cafouillage qu’il vaut mieux ne pas y toucher ! Vous poursuivez obstinément dans le refus de voir que nous sommes en présence d’un grave problème de gestion des crédits de l’État. Je vous souhaite beaucoup de plaisir le jour où vous vous déciderez à remédier à la situation actuelle – je crains que M. Sirugue ne se berce d’illusions sur ce point –, tant les problèmes sont nombreux, la prise en charge des soins hospitaliers n’en étant qu’un parmi d’autres.

En réalité, le problème de l’AME repose sur la responsabilité médicale. De même que je l’ai dit à l’ordre des médecins, je vous le dis tout net : je souhaite que les médecins prennent leurs responsabilités, qu’ils soient solidaires. Il y a, dans un certain nombre de cas, des abus qui ne viennent pas des immigrés. Quand vous nous dites que ces abus sont négligeables, et que vous citez le chiffre de 0,2 %, vous semblez oublier combien représente ce que vous prenez aux retraités – là aussi des petites sommes, selon vous !

M. Christophe Sirugue. Allons !

M. Claude Goasguen. Donc ne venez pas nous dire que nous regardons les choses au microscope, alors que c’est vous qui n’arrêtez pas de le faire !

Vous croyez que vous allez facilement faire passer cette idée ? C’est vous qui tombez dans l’idéologie. Vous espérez que l’on accepte facilement que vous preniez de petites sommes aux retraités, y compris ceux qui ont des pensions modestes, alors que, dans le même temps, vous donnez la possibilité à des gens qui ne sont pas en situation régulière de ne jamais payer leurs soins médicaux. Car, je le répète…

Mme la présidente. Cher collègue, il faut conclure !

M. Christian Jacob. C’est pourtant intéressant, madame la présidente !

M. Claude Goasguen. J’en termine.

Car, disais-je, ces gens sont les seuls, en France, à ne rien payer. C’est la raison pour laquelle nous avions mis en place ce timbre,…

M. Christophe Sirugue. Qui était inefficace !

M. Claude Goasguen. …qui ne constituait pas une recette fiscale, mais qui permettait de faire en sorte que, dans ce pays, quelle que soit la situation juridique dans laquelle on se trouve, on participe à l’effort national.

Telle était bien la signification du timbre. N’en faites donc ni un problème financier, ni une question idéologique, car vous risquez d’aller à l’encontre de vos propres intérêts en suscitant, par votre dogmatisme, des oppositions extrêmes que je condamne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérard Bapt. Nous avions ouvert un débat social, pas idéologique.

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Christophe Sirugue vous a parfaitement démontré que la proposition de loi de l’UMP n’apportait aucune solution ; je vais quant à moi m’efforcer de vous expliquer qu’elle ne crée que des problèmes – j’en ai dénombré six.

Le premier tient à une absence de considération envers le Parlement. Nous avons discuté en détail du problème de l’aide médicale d’État au cours de l’examen du projet de loi de finances rectificative. La loi a été promulguée le 16 août 2012 et, dès le 23 août, vous avez déposé votre proposition.

M. Michel Terrot. Eh oui !

M. Denys Robiliard. Je crois qu’il y a là, à tout le moins, une forme de désinvolture à l’égard du Parlement, pour ne pas dire un manque de considération. Étant donné que nous avons déjà débattu de la question, il n’est pas de bonne méthode…

M. Guy Geoffroy. Bref, on a le droit de se taire !

M. Denys Robiliard. Vous avez tous les droits, mon cher collègue, et j’ai, en ce qui me concerne, celui de vous donner mon point de vue.

Il n’est pas, disais-je, de bonne méthode parlementaire que de revenir sur un débat qui avait été large et au cours duquel vous aviez pu défendre vos amendements.

M. Claude Goasguen. Ben voyons !

M. Denys Robiliard. Le deuxième problème est d’ordre constitutionnel, car nous avons, quand même, une constitution dans notre pays ! Or le préambule de la Constitution de 1946, qui appartient au bloc de constitutionnalité, dispose, en son alinéa 11, que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».

M. Christian Jacob. En quoi le remettons-nous en cause ?

M. Guy Geoffroy. L’alinéa s’entend pour « la nation » et ceux qui la composent !

M. Denys Robiliard. Faisons donc, si vous le voulez bien, un petit commentaire de ce texte. L’adverbe « notamment », comme vous le savez, n’est pas limitatif : la liste qu’il introduit est indicative ; elle a valeur d’exemple. En l’espèce, l’adverbe a plutôt le sens de « particulièrement ».

À au moins six reprises, le Conseil constitutionnel a inscrit ou validé ce droit à la santé comme participant du bloc de constitutionnalité. Or il faut, à cet égard, pour que la Constitution soit respectée, que les soins urgents, dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé, soient assurés. Cela suppose que l’on puisse consulter un médecin – principe que vous remettez en cause insidieusement en dressant des obstacles.

M. Christian Jacob. C’est complètement hors sujet !

M. Denys Robiliard. Le troisième problème est d’ordre conventionnel.

L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à la vie, dont découle le droit à la santé – ce n’est pas là invention juridique de ma part, puisque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est là pour le prouver. Je ne citerai, pour exemple, qu’un seul arrêt, celui du 9 juin 1998.

M. Christian Jacob. Ce n’est toujours pas le sujet !

M. Denys Robiliard. Puisque vous ne voulez toujours pas comprendre, monsieur Jacob, je vous rappelle que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel la France est partie, ce qui oblige notre pays – vous connaissez à cet égard l’article 55 de la Constitution – dispose, en son article 12, que les États doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer « la création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie ».

M. Christian Jacob. Vous avez beau continuer sur ce thème, ce n’est pas le sujet !

M. Denys Robiliard. Or, à travers votre proposition de loi, vous voulez que l’État s’ingénie à retarder l’accès aux soins.

Le quatrième problème est de santé publique. À cet égard, je ne peux que répéter ce qui a été parfaitement expliqué par Christophe Sirugue : vous reculez l’accès aux soins, avec comme conséquence le risque d’une dissémination des maladies. C’est prendre le risque de la contagion et d’une aggravation des maladies, c’est-à-dire aussi d’une augmentation des soins.

Le cinquième problème, qui concerne sans doute plus particulièrement M. Tian, est celui que vous avez avec l’hôpital. Il y a en effet, de ce point de vue, ce que l’on pourrait appeler un paradoxe de M. Tian, qui ne cesse de critiquer l’hôpital et les frais qu’il génère, et qui pourtant, à travers ses propositions, concentre sur lui une partie des personnes qui pourraient être soignées par la médecine de ville. L’article 2 de votre proposition de loi conduit en effet à orienter les patients vers l’hôpital.

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est plutôt une question de tarification !

M. Denys Robiliard. Bref, en matière de santé publique comme de frais, vous prétendez jouer les pompiers quand vous êtes les incendiaires.

Le sixième et dernier problème est d’ordre politique, car vous en arrivez, malheureusement, à salir le beau mot de générosité. Quand je lis, en effet, M. Copé, je m’aperçois que, à l’en croire, c’est au nom de la générosité que vous proposez de réduire la durée des indemnisations de chômage ; c’est aussi au nom de la générosité que vous souhaitez, à travers ce texte, limiter l’accès aux soins pour les personnes qui en ont besoin. Pour ma part, j’estime que la France tire sa noblesse des droits de l’homme, auxquels votre proposition tourne le dos. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame le président…

Mme la présidente et Mme Marie-George Buffet. La présidente !

M. Gilbert Collard. …madame le ministre – ou, si vous préférez, la ministre –, monsieur le rapporteur,…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Merci pour moi !

M. Gilbert Collard. …ce débat sur l’aide médicale d’État divise, bien évidemment, comme on s’en est déjà rendu compte. On a ainsi pu entendre que certains étaient « ridicules », d’autres « extrémistes » et, pour certains, se pose même la question du « niveau ».

M. Dominique Tian, rapporteur. Oui, le mien ! (Sourires.)

M. Gilbert Collard. Mais peu importe : chacun est à son niveau.

Cette proposition de loi me permet d’acter une évolution dans la thérapeutique freudienne de l’UMP, dont je sens qu’elle se décomplexe un peu plus, ce qui est bien, même si ce n’est pas suffisant : à mon avis, il y a encore des progrès à faire ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

J’ai pu constater que M. Copé avait repris l’idée, qui n’avait malheureusement trouvé grâce ni à ses yeux, ni à ses oreilles le jour où je l’avais formulée, d’une suppression pure et simple de l’aide médicale d’État, sauf, bien sûr, dans les cas où se fait sentir la nécessité de soins d’urgence.

Je vais vous dire rapidement, car j’ai peu de temps, pourquoi je considère que l’on doit le faire. J’espère d’ailleurs que vous aurez la courtoisie, vu que nous ne sommes pas très nombreux contre vous, de me laisser m’exprimer. Un jour peut-être viendra où vous ne serez plus qu’un ou deux. Vous comprendrez alors ce que c’est ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

La France est endettée et édentée. La faute à qui ? À vous voir visiter les cimetières, on pense que c’est toujours l’ancienne majorité qui est coupable, mais peut-être serez-vous vous-mêmes, un jour, les fossoyeurs.

La France, disais-je, est endettée ; les hausses d’impôt et le déficit de la sécurité sociale sont là pour nous le rappeler, tout parti pris politique mis de côté.

Dans ce contexte, on économise et on impose d’un côté, tandis qu’on soigne gratuitement de l’autre. Je vous le dis donc très simplement, mais évidemment vous allez encore m’insulter et huer : l’hôpital socialiste se fout de la charité des contribuables.

M. Gérard Bapt. Quel talent !

Mme Pascale Got. Et quel humanisme !

M. Gilbert Collard. D’un côté, vous dites qu’il faut économiser et qu’il faut plus de 20 milliards d’euros d’impôts supplémentaires ; de l’autre, vous dites que vous êtes bons, généreux et humanistes, que vous aimez les droits de l’homme et que vous êtes pour la gratuité des soins pour les gens en situation illégale. Mais votre générosité, votre bonté, ce n’est pas en prenant dans vos poches que vous la financez, c’est en faisant celles des contribuables. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Popelin. Parce que nous ne sommes pas des contribuables ?

M. Gilbert Collard. Vous êtes bons et généreux par procuration ; vous êtes des pickpockets de la générosité ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

L’AME coûte 633 millions d’euros. Aujourd’hui, elle est confrontée à deux paradoxes. Le premier est d’ordre légal et, bien évidemment, vous dérange, parce que la légalité, vous valsez avec elle. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Le second est d’ordre moral : celui qui a des papiers est moins bien traité que celui qui n’en a pas.

Pour en revenir au paradoxe légal, dont vous devriez quand même essayer de vous tirer, ne serait-ce que pour l’éducation des jeunes générations, qui nous écoutent, on peut le formuler de la manière suivante : comment pouvez-vous dire que l’illégalité donne des droits ? Comment pouvez-vous soutenir, dans un État de droit, que la fraude fonde le droit, car c’est bien là le problème éthique qui est au cœur de la disposition qui nous intéresse ?

M. Michel Issindou. Gardez votre calme !

M. Gilbert Collard. Je comprends votre position et je la respecte, mais, encore une fois, je vous le demande : comment pouvez-vous fonder le droit sur l’illégalité ?

Je m’empresse de dire qu’il n’est pas question pour moi de considérer que quelqu’un qui serait gravement malade ne devrait pas être soigné. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Vous semblez vous rendre compte subitement que je suis humain ! Cela me fait plaisir.

Je voudrais vous rappeler l’existence de l’article 223-6 du code pénal, que vous connaissez tous, qui fonde la non-assistance à personne en danger. On peut, on doit soigner en cas d’urgence.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Gilbert Collard. Vous nous dites que, si l’on ne soigne pas les étrangers en situation irrégulière, les maladies vont se propager, comme si vous jouiez de la peur de la contamination.

M. Christian Paul. Pour ce qui est de jouer sur les peurs, vous êtes spécialiste !

M. Gérard Bapt. Vous ne savez pas qu’une maladie comme la rougeole peut effectivement se répandre ?

M. Gilbert Collard. Eh bien, sachez – mais vous ne l’ignorez pas – que les textes prévoient que l’on doit, quand on est médecin, intervenir et signaler tout risque de contagion.

Comme me le signalait la présidente, je dois conclure. Or je respecte toujours le temps qui m’est imparti.

Mme la présidente. Vous l’avez déjà dépassé !

M. Gilbert Collard. Je dirai donc simplement, pour finir, que charité bien ordonnée commence par soi-même. Mais pour vous, soi-même, ce ne sont pas les Français ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Très bien !

M. Michel Issindou. Démago !

Mme Pascale Got. Il n’avait rien à dire !

M. Christian Jacob. Ne l’insultez pas, il est votre allié ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GRD.)

M. Jérôme Guedj. Vous courez derrière lui !

Mme la présidente. Un peu de calme, mes chers collègues !

La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, cette proposition de loi vise à rétablir la franchise de trente euros pour les étrangers sans papiers qui bénéficient de l’aide médicale d’État. Vous avez supprimé cette disposition dès votre arrivée, dans le collectif budgétaire de juillet 2012.

Alors que la plupart des pays européens ne soignent que l’urgence pour les clandestins, la France, généreuse, prenait tout en charge, ce qui avait conduit à l’instauration, en 2011, de ce forfait modique qui visait à freiner des dépenses multipliées par huit en dix ans.

Madame la ministre, vous avez justifié ici même cette décision de supprimer la franchise annuelle de trente euros en invoquant les exigences de l’humanisme et de la justice.

Laissez-moi vous narrer une anecdote significative. Il y a quelques années, je recevais, dans ma ville, l’un de mes administrés d’origine étrangère, bien intégré et disposant d’un travail. Dans la conversation, il me disait ne pas vouloir abandonner sa nationalité au profit de la nationalité française, puisque cette dernière n’était de toute façon pas indispensable pour bénéficier de la sécurité sociale.

Mme Marie-George Buffet. Mais il cotise !

Mme Annie Genevard. Sur le moment, la remarque me parut incongrue, voire désagréable. Quelle vision utilitariste il avait de la nationalité !

En y réfléchissant, je fis une autre analyse, que je voudrais vous livrer. Cet homme exprimait l’idée selon laquelle la seule chose susceptible de le faire renoncer à sa nationalité, à laquelle manifestement il était très attaché, c’était la sécurité sociale française. C’est dire l’importance que celle-ci revêtait à ses yeux, plus que le droit de vote, plus que le droit au travail. C’est dire aussi l’attrait qu’elle exerce sur ceux dont les pays d’origine sont bien loin d’offrir de telles protections.

Mme Chaynesse Khirouni. C’est n’importe quoi !

M. Dominique Tian, rapporteur. Non, c’est vrai !

Mme Annie Genevard. C’est en effet un bien précieux que notre système de protection sociale, unique au monde dans sa générosité et ciment de notre pacte républicain depuis sa création par l’ordonnance du 4 octobre 1945. Chacun sait combien ce système est aujourd’hui fragile, malade et même en grave danger, faute de comptes équilibrés.

Or, madame la ministre, la première mesure que vous avez prise concernant la sécurité sociale aggrave son déficit. Est-ce bien raisonnable ? Est-elle juste quand de si nombreuses petites gens, elles aussi parfois seules et vulnérables – je reprends vos termes – peinent à se soigner ? Cette modeste contribution demandée aux étrangers en situation irrégulière n’est-elle pas équitable ? Vous y renoncez par humanité, dites-vous. Est-il inhumain de demander ces quelques euros quand chaque personne vivant sur notre territoire, même très modeste, participe financièrement à l’un des systèmes de santé les plus protecteurs au monde ?

M. Claude Goasguen. Très bien !

Mme Annie Genevard. Beaucoup de nos compatriotes ne comprennent pas cette exonération quand eux-mêmes peinent à assurer leur propre système de santé.

Finalement, cela accroît ce contre quoi, par humanité, vous prétendez lutter : la xénophobie. En privilégiant de façon incompréhensible pour beaucoup les étrangers en situation irrégulière, vous en faites dans l’opinion publique…

M. Michel Issindou. Des nantis !

Mme Annie Genevard. Non, ce n’est pas ce que je dis. Vous en faites des profiteurs et des assistés.

Mme Marie-Françoise Clergeau. C’est honteux !

M. Yves Fromion. Cela vous gêne ?

Mme Annie Genevard. Puis-je exprimer ce que l’opinion publique ressent ? Est-ce indécent ? Êtes-vous si sourds, si aveugles ?

Vous en faites, pour l’opinion publique, des profiteurs et des assistés…

M. Serge Janquin. Non ! C’est vous qui diffusez cette interprétation !

Mme Annie Genevard. …alors que beaucoup sont, en effet, les victimes de passeurs mafieux et de marchands d’illusions.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Annie Genevard. Je ne vois pas où est l’humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Romagnan.

Mme Barbara Romagnan. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au-delà de la pratique dommageable qui voudrait vider de sa substance une loi au lendemain de son adoption, entraînant ainsi une perte de temps, temps qui aurait pu être utile à d’autres réflexions…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ce que vous votez n’est pas toujours utile !

Mme Barbara Romagnan.… cette proposition va à l’encontre des exigences de santé publique et de toute pertinence économique. Elle est aussi contraire à un droit fondamental ; c’est sur ce point que je centrerai mon propos.

Je fais toujours en sorte de respecter les différents points de vues, particulièrement ceux que je ne partage pas.

M. Christian Jacob. Ça commence mal !

Mme Barbara Romagnan. Je comprends que les personnes non informées puissent s’interroger sur le fait qu’en France les personnes étrangères en situation irrégulière soient soignées gratuitement.

Mais j’avoue ne pas comprendre votre position. Vous mettez trop souvent ce sujet à l’ordre du jour pour ne pas bien le connaître ! Vous savez donc que retarder les soins coûte très cher à la collectivité : ils finissent par être administrés, mais trop tard pour que les personnes soient soignées correctement. Vous savez aussi que laisser se développer des maladies en ne soignant pas ceux qui en sont porteurs est non seulement dangereux pour eux mais aussi pour le reste de la population.

Pourquoi vous acharnez-vous de la sorte ? Pourquoi venez-vous insulter ces personnes, en situation de grande précarité et d’isolement, qui ont dû quitter la terre où ils sont nés parce qu’ils y étaient violentés, exclus, persécutés parfois, ou tout simplement parce qu’ils ne pouvaient pas y vivre ?

Vous arguez de la triche ! Ces malades seraient des fraudeurs qui viendraient bénéficier de cures thermales aux frais du contribuable français ? Une nouvelle fois, je m’interroge.

M. Yves Fromion. Caricature !

Mme Barbara Romagnan. Ce n’est pas moi qui caricature. Faut-il vraiment mettre en avant, comme vous l’avez fait, ces cas exceptionnels d’abus ou de tricherie, si tant est qu’ils existent, pour jeter le discrédit sur tous ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Peut-on légiférer sur de la caricature ?

Mme Barbara Romagnan. Je vous l’ai dit, j’ai trop de respect pour la représentation nationale pour imaginer qu’il s’agisse d’un vulgaire choix électoraliste.

Je vais donc cesser de m’interroger. Je vous dirai pourquoi nous défendons maintien de ce que nous avons voté et je reviendrai sur certaines imprécisions, dommageables à la sérénité du débat.

Qui est concerné par l’exonération de franchise ? Pas seulement les étrangers en situation irrégulière, mais aussi, selon le site de l’assurance maladie, les enfants et les jeunes de moins de 18 ans, les femmes prises en charge dans le cadre de la maternité, les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire et de l’AME.

M. Claude Goasguen. C’est fou d’entendre des bêtises pareilles !

Mme Barbara Romagnan. S’agissant de l’augmentation du nombre de guichets, vous confondez ou vous entretenez volontairement la confusion. Ils procèdent à la constitution des dossiers, non à l’instruction. Dans ce domaine, seules les CPAM sont compétentes.

M. Claude Goasguen. C’est faux !

Mme Barbara Romagnan. Si nous sommes partisans d’une aide médicale gratuite et d’une augmentation du nombre des guichets, si nous sommes opposés à l’accord préalable pour les soins hospitaliers coûteux, c’est parce que nous ne voulons pas jeter la suspicion sur ceux qui vivent déjà une situation très difficile. Nous voulons leur permettre de bénéficier de soins auxquels ils ont droit, conformément à la Constitution et au code de la santé publique.

Ce n’est évidemment pas l’illégalité qui fonde le droit, mais simplement l’humanité. Ces personnes sont des êtres humains et méritent d’être traitées comme tels.

Le principe d’égalité d’accès aux soins de santé figure à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946. La Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé ». Dans le chapitre préliminaire du code de la santé publique, il est précisé que ce droit fondamental « doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ».

Aucune exception n’est envisagée. C’est pourquoi une assistance médicale gratuite à destination des plus démunis – qu’ils aient ou non des papiers – a été mise en place par la loi du 15 juillet 1893…

M. Yves Fromion. Il n’y avait pas beaucoup d’immigrés en 1893 !

Mme Barbara Romagnan. …pour devenir l’aide médicale d’État en 1999, après la création de la CMU.

Remettre en cause la gratuité des soins pour les personnes les plus démunies en situation irrégulière, c’est ajouter une barrière à celles que constituent déjà les démarches administratives préalables et la crainte d’être renvoyé dans le pays d’origine – pays qui est très souvent la cause des pathologies.

M. Yves Fromion. Quel délire !

Mme Barbara Romagnan. Tout comme l’aide sociale à l’enfance est accordée gratuitement à tout enfant en danger, quelle que soit sa nationalité ou son statut, du seul fait qu’il est un enfant, il ne semble pas excessif de défendre l’idée que l’aide médicale d’État soit accordée gratuitement à toute personne malade, quelle que soit sa nationalité ou son statut, du seul fait de sa maladie et de sa situation de précarité financière. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Fromion. Il n’y a que 6 milliards d’êtres humains, pourquoi ne pas les prendre tous en charge ?

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Marcangeli.

M. Laurent Marcangeli. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, les enjeux politiques de l’aide médicale d’État sont multiples. Financé directement sur crédits budgétaires, ce dispositif concerne en premier lieu la santé publique et rappelle le souci permanent de notre pays de placer l’humain au centre des politiques publiques. Objet de débats souvent passionnés – celui d’aujourd’hui le démontre une fois de plus –, sa dimension symbolique ne doit toutefois pas masquer les considérations budgétaires ainsi que son rapport avec la politique migratoire de la France.

Notre pays est le seul d’Europe à posséder un tel système, l’Espagne ayant supprimé depuis peu son dispositif. C’est ce qui fait la générosité de la France. Mais cette générosité ne doit pas être aussi peu encadrée si on veut qu’elle puisse perdurer tout en étant acceptée par nos concitoyens.

Le coût de l’AME a augmenté de plus de 700 % au cours des onze dernières années. Cette hausse ne résulte pas d’une recrudescence brutale des bénéficiaires mais de la gestion même du dispositif et de son champ d’application juridique.

Devant cette inflation imprévue, le gouvernement précédent avait mis en place un certain nombre d’outils destinés à mieux contrôler et à mieux réguler ce dispositif, avec notamment la mise en place d’un modèle de titre sécurisé d’admission à l’AME, la généralisation, comme pour les autres assurés sociaux, du recours aux médicaments génériques, la mise en place d’un guichet unique dans les CPAM, la réduction du champ de prise en charge, en excluant notamment certains soins, la création d’une procédure d’agrément préalable pour les soins hospitaliers coûteux programmés au-dessus de 15 000 euros et le versement symbolique d’un droit d’entrée à 30 euros dans le dispositif de l’AME.

Dès cet été, la majorité a supprimé sur proposition du Gouvernement ces trois dernières mesures, qui permettaient pourtant un meilleur contrôle des soins lorsqu’ils sont coûteux et non urgents ainsi que la mise en place d’une participation, certes symbolique, mais essentielle à nos yeux.

Cette proposition de loi n’a pas pour objet de supprimer cette aide. Celle-ci repose avant tout, je le rappelle, sur un impératif de santé publique et tient compte des principes de solidarité envers les plus faibles. Il convient cependant d’encadrer et de rationaliser la dépense engendrée par l’AME de façon juste et équitable.

Au moment où les Français doivent consentir à des efforts particulièrement importants pour garantir la pérennité de notre système de protection sociale, nous considérons qu’il n’est pas normal, qu’il n’est pas juste, qu’il n’est pas équitable que certains ne participent pas du tout à l’effort collectif.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Laurent Marcangeli. Il n’est pas juste, il n’est pas équitable qu’un étranger en situation irrégulière bénéficiaire de l’AME fasse l’objet d’un dispositif plus généreux qu’un assuré du régime général aux revenus modestes.

M. Christian Jacob. C’est la réalité !

M. Laurent Marcangeli. Une telle situation est contraire aux principes d’équité et de justice.

Comme vous l’aurez remarqué, j’emploie volontairement des mots souvent présents dans les déclarations des membres du Gouvernement et de la majorité car je considère qu’ils correspondent bien à l’esprit de cette proposition de loi qui réintroduit des mesures de gestion saines, tout en répondant à une exigence morale essentielle. Je demande donc au Gouvernement et à la majorité de passer des paroles aux actes en soutenant cette proposition déposée par Christian Jacob.

Je vous demande de soutenir le rétablissement du guichet unique pour les bénéficiaires de l’AME : cette disposition empêchera les doublons et permettra de lutter contre les fraudes. Je vous demande de rétablir l’agrément préalable pour des soins particulièrement coûteux qui ne constituent pas une urgence. Il semble normal que la sécurité sociale soit informée et donne son accord pour ce type de soins. Je vous demande d’accepter le fait que les bénéficiaires de l’AME devront payer une franchise, franchise dont s’acquittent les assurés sociaux du régime obligatoire et les bénéficiaires de la CMU.

Je vous demande de voter cette loi car elle est juste et équitable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Veran.

M. Olivier Veran. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes chargés aujourd’hui d’étudier une proposition de loi qui a cela de particulier qu’elle s’attaque aux personnes qui vivent dans les conditions les plus précaires, sans pouvoir travailler, sans pouvoir se loger décemment, sans pouvoir se nourrir correctement. Que reste-t-il donc à leur retirer, me demanderez-vous ? Manifestement, des conditions décentes d’accès à la santé.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Est-il possible de dire des choses pareilles ?

M. Olivier Veran. « Attention ! Préparons-nous à une nouvelle offensive contre l’AME accordée aux sans-papiers ! », alertaient les associations partout en France durant l’été. Bingo ! Dès la première proposition de loi UMP de la législature, la charge arrive.

Perpétuant cette logique qui a fait le lit de la politique menée pendant dix ans, l’UMP reste aujourd’hui arc-boutée sur sa volonté de stigmatiser les personnes les plus fragiles. Seulement, mes chers collègues, ce n’est pas la vision de notre majorité. D’ailleurs, soyons-en convaincus, ce n’est pas ce qu’attendent de nous les citoyens, au pays des droits de l’Homme.

J’ai entendu un grand nombre d’idées reçues, il convient de les pourfendre. Non, il ne s’agit pas de tourisme médical ! Il faut résider en France de manière stable et de façon continue depuis plus de trois mois pour prétendre à l’AME. Non, il ne s’agit pas d’un effet d’aubaine pour les étrangers ! La plupart des bénéficiaires ne sont pas des primo-arrivants, mais des résidents ayant perdu leur titre de séjour sur le territoire. Non, les bénéficiaires de l’AME ne sont pas assez riches pour payer leurs soins eux-mêmes. Leurs revenus ne doivent pas dépasser 7 934 euros par an.

M. Dominique Tian, rapporteur. Heureusement !

M. Olivier Veran. Non, les soins de confort ne sont pas pris en charge par le dispositif ! Seuls les soins ayant un service rendu avéré sont concernés, et le recours aux génériques est systématique.

M. Claude Goasguen. C’est faux !

M. Olivier Veran. L’exemple souvent entendu, rappelé encore ce matin, de la cure thermale témoigne – au mieux ! – d’une méconnaissance totale des textes.

Non, cette proposition de loi n’a pas vocation à responsabiliser des adultes profitant d’un système trop solidaire. Elle fragilise l’ensemble des ayants droit du dispositif, notamment, et en premier lieu, les enfants.

La logique qui sous-tend la proposition UMP est de rendre plus complexe le parcours des bénéficiaires de l’AME, en instaurant un agrément préalable, dispositif inefficace et coûteux. Mais les dégâts ne s’arrêtent pas là. Ce texte tend à consacrer l’idée d’un système de santé à géométrie variable, via la taxation exclusive des étrangers en situation irrégulière.

M. Claude Goasguen. Ben voyons !

M. Olivier Veran. Cette proposition, je suis désolé de le dire, s’inscrit dans l’extrême droite ligne politique qui veut opposer les uns aux autres.

M. Michel Issindou. Très bien dit !

M. Olivier Veran. Ceux qui ont les moyens contre ceux qui ne les ont pas. Ceux qui ont un accès aux soins légitimé contre ceux qui seraient illégitimes. Une manière de plus – une manière de trop – de faire croire qu’en France, tout est gratuit, facile, presque superflu. Quelle ironie et quelle erreur !

Ignorez-vous, chers collègues, que l’ONG Médecins du Monde est de plus en plus active au sein même de notre territoire ? Ce sont plus de cent programmes qui sont menés dans vingt-neuf villes métropolitaines. Chaque année, plus de 30 000 personnes fragiles, issues pour la plupart des populations migrantes, défavorisées, se rendent dans ces centres d’accueil. Allez interroger les milliers de bénévoles sur l’impact de votre proposition de loi sur ces populations qu’il est déjà si difficile d’insérer dans un parcours médico-social !

Et puis, lorsqu’on propose un tel texte, on doit en envisager les conséquences. En l’occurrence, une catastrophe – n’ayons pas peur des mots – en termes de santé publique.

M. Claude Goasguen. Ben voyons !

M. Olivier Veran. Tous les ingrédients sont là : retard de soins, report de soins, surmorbidité, complications graves, avec, pour corollaire, la nécessité de proposer des traitements plus lourds, plus chers et, au final, une perte de chance pour les malades.

M. Yves Fromion. C’est pire que le péril jaune !

M. Christian Jacob. Quelle démagogie !

M. Olivier Veran. Ensuite, alourdir les démarches et complexifier les conditions d’accès aux soins, c’est faire une croix sur une politique de prévention sanitaire efficace. Je pense notamment à la vaccination et au dépistage de maladies qui peuvent être contagieuses.

Enfin, et c’est avec toute la sincérité du médecin hospitalier que je vous le dis, ce projet de loi pose également un problème éthique et moral. Comment est-il possible de concevoir une seule seconde d’empêcher un médecin, une infirmière ou un kiné de soigner une personne malade, au motif qu’elle ne serait pas détentrice du bon formulaire, qu’elle n’aurait pas pu payer pour avoir accès à un droit fondamental ?

M. Claude Goasguen. Ils le font gratuitement ! C’est ça, le serment d’Hippocrate !

M. Olivier Veran. Est-ce le modèle que les Français attendent ? Évidemment, non.

L’aide médicale d’État était, reste et restera une avancée sociale considérable. Plutôt que de vouloir la supprimer, nous devrions l’améliorer et renforcer l’offre de soins dirigée vers les personnes les plus fragiles, en l’occurrence ces hommes et ces femmes, qui ont effectué des centaines de kilomètres pour venir dans notre pays et qui sont les premières victimes de l’onde sociale du séisme provoqué par la crise.

Les députés de l’opposition nous demandent de renoncer, comme ils semblent l’avoir fait, à l’idéal de l’universalité de l’accès aux soins prôné par le Conseil national de la Résistance et mis en avant par Pierre Laroque à la création de la sécurité sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mes chers collègues, nous devons, par notre mobilisation et notre action, préserver, renforcer, pérenniser ce qui constitue un joyau pour notre pays et dans notre histoire. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; applaudissements sur les bancs des groupes GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Tian, rapporteur. Je me félicite de la qualité de notre débat, qui permet à une droite responsable et généreuse de se confronter à une gauche qui n’a pas les mêmes qualités. Voilà du bon travail parlementaire !

Mme Marie-Françoise Clergeau. C’est n’importe quoi !

M. Dominique Tian rapporteur. Les Français jugeront, mais quand le dernier orateur parle d’un joyau à propos de l’AME, cela me paraît un peu excessif…

Je remercie le président Jacob pour ses propos et ses convictions. Il a porté cette proposition, qui n’est pas un coup politique mais une réaction à une décision absurde, que vous avez prise dès le début du mandat, conformément aux promesses de François Hollande – vous êtes donc fidèles à vos propositions absurdes.

Arnaud Richard a insisté sur la nécessité de clarifier les chiffres extrêmement inquiétants des dérapages de l’AME : je ne peux qu’être d’accord avec lui et le remercier de son soutien. Il a précisé, après la présidente de la commission et à l’instar d’un grand socialiste, que la France « ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. « Mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part » !

M. Dominique Tian, rapporteur. M. Coronado a indiqué qu’il respectait les promesses de François Hollande : qu’il en soit félicité. Selon lui, les mesures que nous comptons prendre sont inéquitables et injustes. De manière plus stupéfiante, il a indiqué que les gens entrés illégalement sur le territoire participaient évidemment à l’effort national puisqu’ils payaient la TVA ! Pourquoi pas, après tout ; c’est un petit geste de participation…

Mme Buffet a évoqué les problèmes de tarification à l’hôpital, mais de manière un peu étonnante, puisque nous avons noté, comme Claude Goasguen, que la sécurité sociale profitait allègrement, au détriment de l’État, de ce système de tarification. Mme la ministre sera d’ailleurs bientôt confrontée à ce problème, puisque le PLFSS va aggraver les choses. En vérité, un étranger en situation irrégulière bénéficiant de l’AME coûte deux à trois fois plus cher qu’un citoyen français, car la T2A ne lui est pas appliquée.

M. Christophe Sirugue. C’est faux ! Les chiffres sont dans le rapport !

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est totalement exact, monsieur Sirugue, vous l’avez évoqué en commission des affaires sociales, comme dans votre rapport. Il s’agit d’une clientèle très intéressante pour l’hôpital public, car elle rapporte deux à deux fois et demie plus qu’un citoyen français, dans la mesure où l’on n’applique pas la tarification à la pathologie et que les soins sont facturés le plus cher possible à la sécurité sociale, au détriment du budget de l’État.

M. Claude Goasguen. Évidemment !

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est une manne, et nous avons prouvé que certains services avaient intérêt à soigner les bénéficiaires de l’AME parce qu’ils rapportaient plus. C’est notamment le cas pour la procréation médicalement assistée, qu’a évoquée la présidente de la commission. Lorsque des gens viennent de Chine pour avoir recours à la procréation médicalement assistée, en rentrant illégalement sur le territoire, cela rapporte 6 000 euros à l’hôpital qui les accueille, soit bien davantage que pour un patient français. Régler ce problème de tarification permettrait d’économiser facilement 15 millions pour les hôpitaux parisiens et 8 millions pour les hôpitaux marseillais.

Mme Marie-Noëlle Battistel. On va le vérifier !

M. Dominique Tian. Tous les directeurs d’hôpitaux le savent, ce sont nos finances qui paient ce genre de dérives inacceptables. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Soyez honnêtes intellectuellement !

M. Christophe Sirugue. On va y revenir !

M. Dominique Tian, rapporteur. Mais ce sont des faits établis ! Expliquez-moi pourquoi, dans un même service hospitalier, une appendicite est facturée deux fois et demie plus cher pour un patient de l’AME. M. Sirugue est plein de contradictions, et il aura beaucoup de mal à se justifier sur certains de ses revirements.

Vous avez évoqué les uns et les autres les problèmes d’abus, en n’insistant pas assez sur un chiffre fourni notamment par le rapport annuel de performance de la mission 183 présenté au Parlement : selon une enquête des caisses primaires d’assurance maladie, 49,81 % des dossiers d’AME déposés en 2009 concernent des omissions notables.

M. Christophe Sirugue. Sur les 5 % de dossiers douteux ! Allez jusqu’au bout !

M. Dominique Tian, rapporteur. Cela ne concerne que 5 % des dossiers tirés au hasard, parmi lesquels un sur deux est faux !

M. Christophe Sirugue. Ce que vous dites est scandaleux !

M. Dominique Tian, rapporteur. Vous vous reporterez très facilement au dossier. Il s’agit d’une enquête réalisée auprès de cent six caisses primaires d’assurance maladie.

M. Christophe Sirugue. Nous y sommes allés aussi, avec Claude Goasguen !

M. Dominique Tian, rapporteur. Quoi qu'il en soit, les rapports des services de l’État sont formels : soit les dossiers sont faux, soit ils comportent d’importantes omissions.

M. Robillard a indiqué qu’il craignait des retards dans les soins, ce qui me permet de répondre à cette vieille lune du retour des épidémies du moyen âge. L’AME, mise en place par Mme Aubry, n’existe que depuis le gouvernement Jospin, mais je n’ai pas souvenir qu’elle ait fait reculer les grandes épidémies médiévales, la peste, la rubéole, la lèpre, qui auraient soi-disant envahi notre territoire national !

M. Christophe Sirugue. Et la tuberculose ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et le socialisme !

M. Dominique Tian, rapporteur. Cela étant, je m’interroge, du point de vue sanitaire, sur la pertinence de recevoir des malades extrêmement contagieux dans les salles communes des cabinets médicaux. La médecine de ville devrait sans doute cesser d’urgence de traiter ce type de malades, qu’il faudrait immédiatement diriger vers des dispensaires ou des hôpitaux, car entasser des malades atteints de la rubéole ou de la lèpre dans des salles d’attente constitue un véritable danger sanitaire.

Je ne partage évidemment pas les opinions de maître Collard (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et ne partage aucune connivence intellectuelle avec lui, mais je suis obligé d’admettre qu’il parle de bon sens (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) lorsqu’il affirme que vous êtes toujours généreux avec l’argent des autres, lorsqu’il s’agit de faire les poches des Français !

Mme Marie-Françoise Clergeau. « Je ne partage pas ses opinions, mais je suis d’accord avec lui » !

M. Dominique Tian, rapporteur. Il a également souligné qu’avec de telles mesures, l’illégalité fonde le droit, puisqu’en rentrant illégalement sur le territoire national, vous avez plus de droits qu’un Français, ce qui n’est pas tout à fait normal.

Mme Genevard a indiqué avec justesse que ce n’était pas en opposant les Français les uns aux autres (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) et en accueillant le monde entier sur notre territoire qu’on faisait progresser la générosité. Les Français sont un peuple généreux, capable de se mobiliser, mais qui ne supporte pas l’injustice.

M. Marcangeli a, lui aussi, souligné que notre pays était un pays généreux, mais composé de gens raisonnables pour qui il convenait d’avoir une gestion réaliste des dépenses. Je le remercie de son soutien.

Quant à M. Veran, je n’ai pas tout à fait compris ses propos, dont l’essentiel concernait, me semble-t-il, la crainte que le retard de soins conduise au développement de maladies infectieuses dramatiques pour la santé publique, sujet sur lequel j’ai déjà répondu.

Ce débat a été éclairant. Il a permis de préciser quelques vérités et de corriger un certain nombre d’inexactitudes proférées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Même si nous adoptons cette PPL, les étrangers entrés illégalement sur le territoire national continueront à être soignés gratuitement dans le cas où ils réclament des soins d’urgence ou nécessaires.

M. Claude Goasguen. Évidemment ! C’est de la prophylaxie !

M. Dominique Tian, rapporteur. On continuera d’être soigné gratuitement lorsque cela est nécessaire. C’est tout. Tout le reste n’est que faux débat. Nous sommes généreux, mais également responsables. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. À ce stade du débat, soit l’on méprise, soit l’on répond ; je répondrai puisque nous menons un débat républicain.

M. Christian Jacob. On a conscience de l’effort que vous faites !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Ne pensez pas, monsieur Jacob, qu’empêcher une personne de se soigner, fût-elle en situation irrégulière sur notre territoire, soit sans danger pour le reste de la population.

M. Christian Jacob. Vous n’êtes pas dans le mépris, vous êtes dans le mensonge permanent !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je tiens à rétablir la vérité car on a tronqué mes propos. Quand je dis qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, c’est la vérité ; mais, une fois qu’une personne est sur notre territoire, qu’en fait-on si elle est malade ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. On la soigne !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Vous parlez d’une demande d’entente préalable. Mme la ministre a fort justement donné l’exemple du diabète insulino-dépendant. Elle a cependant fait preuve d’un certain optimisme car, lorsqu’un diabétique ne se pique pas régulièrement à l’insuline, au bout de quarante-huit heures il n’est généralement plus de ce monde. Alors, quand vous dites qu’il faut faire des demandes d’entente préalable pour les soins coûteux…

M. Claude Goasguen. Absolument !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Laissez-moi développer mon argumentaire, monsieur Goasguen !

Lorsqu’on diagnostique une hépatite B, une hépatite C ou une tuberculose multirésistante, cela entraîne des soins coûteux. Cela étant posé, qu’est-ce qu’on fait ?

M. Claude Goasguen. On téléphone à la sécu !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Et comme les soins sont coûteux, on ne donne pas l’accord pour les soigner ? Mais il serait extrêmement dangereux de ne pas soigner ces gens. Vous voulez que nos enfants attrapent une tuberculose multirésistante ? Tout cela pour vous dire que, dans ces cas, la demande d’entente préalable est ridicule !

M. Claude Goasguen. Pourtant, ça existe, l’entente préalable !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Vous êtes en train de vous contredire. À partir du moment où quelqu’un arrive à l’hôpital et où l’on diagnostique une maladie, on le soigne. Si vous empêchez les gens d’accéder au système ambulatoire, vous ne ferez qu’accentuer l’augmentation des soins à l’hôpital. Voilà où mène votre logique !

Aujourd’hui, nous savons que les gens qui arrivent sur notre territoire de façon irrégulière sont moins de 6 % à savoir qu’ils sont malades, et vous le savez, monsieur Goasguen. Il faut arrêter de parler d’immigration médicale !

M. Claude Goasguen. Je n’ai jamais dit cela !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. C’est pourtant ce que l’on entend de votre côté…D’ailleurs, j’ai vu que vous opiniez du chef en écoutant les propos de M. Collard. Vous sembliez être d’accord avec lui, ce qui m’embête un peu.

M. Claude Goasguen. Vous opinez bien du chef en entendant les propos de votre collègue Sirugue…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Quand on parle du diagnostic de maladies graves, monsieur Tian, vous faites un parallèle avec le Moyen Âge. Je comprends pourquoi nous ne nous entendons pas : vous n’êtes pas du même siècle que nous ! (Rires sur divers bancs.) Oui, il y a des maladies qui ressurgissent, alors qu’elles devraient avoir disparu, comme la rougeole et la tuberculose, lesquelles sont des signes de pauvreté, même dans notre population.

Pour conclure, je vous rappelle ce qui s’est passé en 2010. Quelle honte d’avoir arrêté de manière drastique les campagnes de vaccination contre la rougeole faites par Médecins du monde dans les camps de Roms ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’était un pur scandale ! Ce n’était pas la France que l’on connaît, monsieur Jacob ! Pourtant, c’était l’image de la France ce jour-là, et ce jour-là, j’avais honte d’être française !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, quelques mots pour réagir à ce que j’ai entendu à l’occasion de la discussion générale.

Monsieur le président Jacob, vous avez eu quelques difficultés à essayer de faire croire que vous souhaitiez porter le débat sur la qualité de l’organisation du système de soins français, alors que tous ceux qui se sont exprimés au nom de votre groupe ont rivalisé d’inventions linguistiques pour expliquer qu’il s’agissait d’afficher un marqueur politique, de marquer clairement que les étrangers ne pouvaient pas bénéficier des mêmes dispositifs que les Français. Au fond, le label de bonne conduite que vous a décerné M. Collard est venu ruiner vos efforts de respectabilité ! Comme l’ont démontré plusieurs députés de la majorité, l’enjeu de cette proposition de loi est idéologique et ne porte absolument pas sur le fond.

Au regard des arguments avancés, et comme l’ont rappelé il y a un instant Mme Buffet ou Mme Romagnan, ainsi que d’autres intervenants, nous ne disposons d’aucun élément qui permette de dire que nous avons à faire face à un afflux de personnes souhaitant bénéficier de soins de confort, d’effets d’aubaine ou faisant du tourisme médical. L’enjeu n’est pas celui-là, et Olivier Veran, dont je salue l’intervention, a clairement montré que ce sont des publics en situation de précarité qu’il s’agit de prendre en charge, d’accompagner, de soutenir et de soigner.

Pour autant, comme pour tout système social, et d’ailleurs pour tout système quel qu’il soit, on ne peut pas affirmer de façon catégorique qu’il y aura 0 % de fraude ! Mais, monsieur Tian, ce n’est pas parce que, sur les 5 % de dossiers suspectés d’être frauduleux, vous en trouverez un peu moins d’un sur deux qui le soit, que vous pourrez en déduire qu’il y a un afflux massif de fraudes…

M. Jacques Myard et M. Claude Goasguen. Vous ne pouvez pas le nier !

Mme Marisol Touraine, ministre. Et le fait que la fraude existe, et doit être combattue, ne doit pas déteindre sur l’ensemble du dispositif. Il faut savoir raison garder.

Quels sont les soins pratiqués et les effectifs auxquels nous devons faire face ?

Christophe Sirugue a eu raison de constater l’augmentation des effectifs des personnes soignées dans le cadre de l’aide médicale d’État. Il ne faut pas faire comme si cette augmentation n’était pas une réalité. Mais la question, qu’il a parfaitement posée, est la suivante : votre proposition de loi permet-elle de résoudre la difficulté ? Comment expliquer la montée en puissance des effectifs ? Nous l’expliquons, notamment au cours des dernières années pendant lesquelles on a observé une montée significative des bénéficiaires de l’aide médicale d’État,…

M. Claude Goasguen. Allons bon !

Mme Marisol Touraine, ministre. …par les dispositifs législatifs ou réglementaires que la précédente majorité a adoptés.

M. Claude Goasguen. On n’a pas été assez sévères !

Mme Marisol Touraine, ministre. Le droit d’asile ayant été refusé bien plus massivement qu’auparavant, les personnes déboutées ont été exclues de la CMU, provoquant un basculement de la CMU vers l’AME. C’est votre responsabilité.

Même si Mme la présidente de la commission l’a indiqué de façon extrêmement ferme, je voudrais souligner le fait que les soins apportés visent des objectifs de santé publique. Comme il apparaît dans les rapports, les personnes concernées souffrent plus que la moyenne de la population de maladies contagieuses ; je pense notamment au VIH et à la tuberculose. Il s’agit donc d’apporter des réponses le plus rapidement possible pour éviter le surcoût que constitue un retard dans l’accès aux soins ; Sergio Coronado s’est exprimé en ce sens. Même si les enjeux d’humanisme sont importants, point sur lequel ont insisté plusieurs intervenants, notamment Denys Robillard, les enjeux de santé publique le sont tout autant.

Pour ce qui est du coût et de la facturation de ces soins, je voudrais rassurer ceux qui pensent que les bénéficiaires de l’aide médicale d’État seront dispensés de frais que les bénéficiaires de la CMU auraient à acquitter.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas pour la facturation qu’on s’inquiète, c’est pour le règlement !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je vous rappelle, monsieur Goasguen, qu’il n’y a pas de franchise pour les bénéficiaires de la CMU et que, de ce point de vue, il n’y a pas de différence.

M. Claude Goasguen. Arrêtez ! Ils paient.

Mme Marisol Touraine, ministre. Par ailleurs, monsieur Tian, pour ce qui est de la facturation à l’hôpital, la situation de la tarification à l’activité a évolué depuis le moment où les rapports ont été rédigés. Aujourd’hui, les actes réalisés dans le cadre de l’aide médicale d’État sont facturés à 80 % dans le cadre d’une tarification à l’activité. Aussi, ne dites pas que le dispositif n’existe pas ! Il y a une progression de cette tarification qui doit permettre de prendre en compte la précarité des publics, aide médicale d’État ou pas. C’est un point de divergence entre nous. Vous vous interrogez sur ce qui justifie une différence de facturation pour une appendicite, selon que c’est vous ou quelqu’un de votre famille qui en souffre ou un bénéficiaire de l’aide médicale d’État. La réponse est simple : la précarité de la personne, tout simplement !

C’est la raison pour laquelle nous nous sommes opposés à la convergence tarifaire que vous avez voulu imposer, et nous allons revenir dessus…

M. Claude Goasguen. Bien sûr, c’est le contribuable qui paie !

Mme Marisol Touraine, ministre. …parce que nous considérons que les éléments liés à la situation sociale des patients doivent être pris en compte et que cela se traduit à l’hôpital public par la prise en compte de ces engagements sociaux.

M. Jacques Myard. Arrêtez de faire de la démagogie !

Mme Marisol Touraine, ministre. La discussion générale a permis de montrer…

M. Jacques Myard. Que nous avons raison !

Mme Marisol Touraine, ministre. …les intentions réelles des auteurs de la proposition de loi. Dans cette discussion, l’opposition n’a apporté aucun élément qui justifie de donner un avis favorable à ce texte. Les intervenants de la majorité ont brillamment démontré qu’il y avait une exigence d’humanité et de santé publique…

M. Jacques Myard. Vous n’avez pas le monopole de l’humanité !

Mme Marisol Touraine, ministre. …à maintenir l’absence de droit de timbre pour l’aide médicale d’État et que cela ne se traduisait pas par des dérapages incontrôlés comme vous le prétendez. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté ce texte.

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à M. Laurent Marcangeli.

M. Laurent Marcangeli. L’article 1er vise à revenir sur la suppression du guichet unique que vous avez décidée au mois de juillet dernier.

Nous avons considéré, sous la précédente mandature, que les centres communaux d’action sociale ou les centres intercommunaux d’action sociale ne devaient pas être agréés pour pouvoir recevoir des personnes voulant être allocataires de l’AME. Nous avions préconisé la création d’un guichet unique via les caisses primaires d’assurance maladie.

L’article 1er permet de rationaliser le système et de lutter contre la fraude. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons d’accepter cet article qui va dans le sens d’une rationalisation. Nous ne sommes pas opposés à l’AME, au fait de soigner des personnes malades, y compris lorsqu’elles sont en situation irrégulière. Toutefois, pour être crédible, le système doit être rationalisé et s’appuyer sur une règle très simple ouvrant aux caisses primaires d’assurance maladie la possibilité de contrôler et d’émettre un avis avant de donner droit à l’AME.

M. Jacques Myard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. L’article 1er vise à rétablir la CPAM comme lieu unique de dépôt des demandes d’AME pour, dites-vous, contrôler le flux des bénéficiaires. Si j’en crois le rapporteur, le risque de fraude serait majeur ! C’est sur cette obsession de la fraude que je veux insister.

Le rapporteur s’est appuyé devant la commission des affaires sociales sur le fameux rapport IGF-IGAS de décembre 2010. Mais ce n’est pas une lecture attentive qu’il en a faite, c’est une lecture plus ou moins fallacieuse, en affichant des pourcentages impressionnants qui, en réalité, recouvrent de tout petits nombres, et ce, dans le seul but d’appuyer sa détestable démonstration.

Il a écrit que les plaintes déposées par la CPAM de Paris pour fraudes commises par des bénéficiaires de l’AME étaient passées entre 2008 et 2009 de 2,9 % à 9,8 %, autrement dit une véritable explosion. La réalité est tout autre. Les fraudeurs poursuivis par la caisse et bénéficiaires de l’AME étaient – écoutez bien – au nombre de treize !

Puis, il rapproche dans la foulée fraudeurs à l’AME et trafic de Subutex…

M. Dominique Tian, rapporteur. Absolument !

M. Gérard Sebaoun. …que nous combattons tous. Toujours à Paris, ce sont six plaintes, seulement six, qui ont concerné les bénéficiaires de l’AME !

M. Jean-Pierre Door. C’est trop !

M. Gérard Sebaoun. Bien sûr que c’est trop, monsieur Door, vous avez raison. Il n’en est pas moins vrai qu’il s’agit seulement de six plaintes.

Au travers de ces deux exemples de dévoiement des chiffres bruts en pourcentage, on ne peut que s’interroger sur ce que vous appelez une lecture attentive de l’excellent rapport IGF-IGAS. Pour ma part, j’y vois plutôt la lecture subjective d’un procureur obsessionnel qui s’acharne toujours sur les mêmes !

Derrière les quelques dizaines de fraudeurs, qui sont la réalité incompressible de tout système – et qu’il faut combattre –, il y a une autre réalité, celle de plus de 200 000 bénéficiaires, dont environ 80 000 en Île-de-France qui, heureusement, accèdent aux soins grâce à l’AME et qui, sinon, ne pourraient pas se soigner tant leurs ressources sont faibles.

Monsieur le président Jacob, mesdames et messieurs les signataires de cette proposition de loi, quand allez-vous cesser cette croisade détestable qui est une insulte à la santé publique ?

M. Jacques Myard. C’est scandaleux !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj. Je veux donner crédit à M. Tian qui nous a dit que ce débat avait été éclairant. À l’origine – et l’article 1er en est, si j’ose dire, le bras armé –, l’argument principal était celui de la rationalisation.

Nous avons vu, au cours du débat – je pense notamment à M. Tian qui a vu du bon sens dans l’intervention de M. Collard –, que c’est tout autre chose qui motive les porteurs de cette proposition de loi. Il s’agit bien de remettre en question ce qui est au cœur de notre modèle social, ou qui en est, en tout cas, partie prenante : l’accès aux soins des plus démunis comme logique de prévention sanitaire, comme logique humaniste, comme expression d’une certaine idée de la France.

En faisant de la CPAM le seul guichet d’accès pour bénéficier de la mesure, vous cherchez à mettre en place obstacles et contrariétés administratives : vous êtes dans l’erreur.

M. Claude Goasguen. Vous faites le contraire de ce qu’il faudrait !

M. Jérôme Guedj. Erreur sanitaire, tout d’abord. Je suis abasourdi d’entendre des parlementaires de la République continuer à s’interroger sur le lien entre renoncement aux soins et risques sanitaires et épidémiologiques. C’est le sens même des politiques de vaccination et des politiques d’accompagnement sanitaire que de mettre en œuvre une politique de prévention. Tourner le dos à cette logique, ce serait introduire une brèche dans notre dispositif global de prévention.

M. Christian Jacob. Pour un étranger en situation régulière ou un petit retraité, l’AME ne nous pose aucun problème ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jérôme Guedj. Erreur économique, ensuite. Différer le moment de se soigner, c’est inévitablement devoir recourir par la suite à des soins plus coûteux, notamment à l’hôpital.

M. Christian Jacob. Arrêtez d’inventer, vous êtes en plein délire !

M. Jérôme Guedj. Manifestement, les porteurs de cette proposition de loi n’ont rien à faire de la prévention sanitaire ni de la rationalité économique. Ils cherchent uniquement à tourner le dos à l’universalisme républicain, à notre modèle social et à une certaine idée de la France.

M. Jacques Myard. Appliquez ces principes à vous-mêmes !

M. Jérôme Guedj. C’est la raison pour laquelle je vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door. Contrairement à ce que laissent croire les déclarations quelque peu excessives que nous avons pu entendre, je rappelle tout de même que nous avons maintenu l’AME. En 2011, nous avons souhaité encadrer sa mise en œuvre, d’abord en établissant des règles de responsabilité pour le demandeur avec le paiement d’un droit de timbre de trente euros – alors que l’étranger en situation régulière en paie cinquante –, ensuite en constituant un guichet unique auprès des caisses primaires d’assurance maladie. Ces mesures, la nouvelle majorité les a supprimées.

Il nous paraît maintenant nécessaire de rétablir ce guichet unique.

Pourquoi ? Parce qu’en donnant un rôle important aux centres communaux d’action sociale, les CCAS, et aux centres intercommunaux, vous exposez les maires ou les présidents d’intercommunalité à de grandes difficultés pour constituer des dossiers et rassembler toutes les informations nécessaires. Il y a donc des risques de dérive et de laxisme. Nous en avons eu déjà la preuve – les maires le savent bien – avec les certificats d’accueil, qui sont souvent très difficiles à remplir et à contrôler ; on ne sait même pas ce qu’ils deviennent une fois que les personnes accueillies quittent le territoire français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Hutin.

M. Christian Hutin. Lors de la discussion générale, Mme Romagnan a eu raison de citer les lois de 1993 et 1998, et M. Jacob la loi de 1888. Vous ne m’en voudrez pas d’évoquer dans cet hémicycle les Encyclopédistes qui voyaient dans la santé un bien social que tout gouvernement a le devoir de préserver.

M. Franck Riester. On est d’accord !

M. Christian Jacob. Il n’y a pas de sujet !

M. Christian Hutin. C’est ce à quoi se sont attachés ce Gouvernement et cette majorité au mois de juin en supprimant les mesures que vous aviez prises.

Vous présentez le guichet unique comme une espèce de digue financière. En réalité, c’est une barrière sanitaire qui fonctionne à l’inverse des objectifs recherchés.

Monsieur le rapporteur, vous disiez qu’il n’y avait plus d’épidémie. Certes, le monde entier a réussi à éradiquer la variole et le monde occidental s’est affranchi de bon nombre de maladies depuis une trentaine d’années, mais depuis sept ans, les médecins rapportent de terribles évolutions. Ainsi, du fait des carences du système de santé américain, des cas de peste ont été recensés en Arizona car certaines personnes n’avaient pas pu se soigner.

M. Yves Fromion. Nous, on a le socialisme !

M. Christian Hutin. Nous ne sommes pas aux États-Unis mais en France, on observe depuis quelque temps une recrudescence et une aggravation de certaines maladies. Tout cela se traduira par des dégâts humains considérables, y compris pour les retraités, et par un coût financier très lourd.

Alors, de grâce, ne votons pas cet article 1er. Passons des rois thaumaturges au siècle des Lumières. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Vous pouvez toujours continuer à faire du discours sur l’AME un discours idéologique, comme vous l’avez déjà fait au mois de juin. Si cela vous amuse, profitez-en !

Mme Sandrine Hurel. C’est vous qui le faites !

M. Claude Goasguen. La suppression de cet article 1er va exactement à l’inverse de ce que vous souhaitez. Vous voulez accélérer la procédure, mais les services de la sécurité sociale n’ont pas envie de le faire. Alors vous avez choisi d’ajouter des éléments administratifs. Le problème, c’est qu’ils devront communiquer à la sécurité sociale les dossiers qu’ils vont instruire, ce qui ne me parait pas de nature à raccourcir les délais.

Cela ne change rien au problème. Vous savez très bien que la sécurité sociale, dans son état actuel, est dans l’impossibilité de contrôler : elle n’en a pas les moyens. Elle ne pourra pas contrôler non plus les services qui instruiront les dossiers.

Je note d’ailleurs que ces évolutions que vous enjolivez à coup de formules incantatoires – « il faut défendre la santé ! » – sont déjà marquées par l’emprise administrative qui s’impose à vous. En réalité, l’IGAS, l’IGF, les administrations n’ont pas envie de changer : l’AME, ça les embête ! Surtout ne rien toucher ! Et je disais tout à l’heure que vous manifestiez une singulière continuité avec la politique précédente du ministère de la santé, qui avait camouflé les rapports, ce que j’ai été parmi les premiers à dénoncer. Vous êtes en train de contracter les mêmes travers.

Mais aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation de plus en plus critique et je vous demande vraiment de bien réfléchir. Savez-vous que le seul papier d’identité dont dispose un immigré clandestin, c’est la carte de bénéficiaire de l’AME ? Renseignez-vous auprès de la préfecture de police, elle vous confirmera que c’est cette carte qui est présentée la plupart du temps lors des contrôles d’identité. Dans ces conditions, il serait peut-être temps de faire attention à la diffusion de ces cartes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Je suis choquée de voir comme vous cherchez à introduire de la confusion dans nos débats. En dépit des efforts que vous faites pour convaincre tout le monde du contraire, nous ne sommes pas hostiles à l’aide médicale d’État. Le débat pour nous ne se situe pas là.

S’agissant du guichet unique, je tiens à vous rappeler que dans tous les domaines, on essaie d’introduire cette logique pour simplifier, pour donner de la lisibilité et de l’efficacité. En multipliant les guichets d’entrée pour les demandes d’AME, vous complexifiez et vous empêchez une gestion appropriée, maîtrisée et contrôlée. Exercer un contrôle, ce n’est tout de même pas faire preuve de la dernière inhumanité. C’est normal, c’est logique !

Le guichet unique est un gage d’efficacité. Et vous y renoncez pour une raison proprement incompréhensible.

M. Claude Goasguen. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Chers collègues de gauche, vous n’avez pas le monopole de l’humanité ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Il ne faut tout de même pas pousser le bouchon trop loin. Il y a des gens de droite comme de gauche qui ont le sens de l’humain. Vous devriez le respecter.

M. Pouria Amirshahi. Il fait son Giscard !

M. Jacques Myard. Comme cela vient d’être rappelé, votre système va allonger les délais, coûter plus cher et complexifier les choses.

De surcroît, un guichet unique permet, à travers les directives données par le ministre des affaires sociales, une politique unique. Les CCAS sont sous l’autorité des maires et je peux vous dire que je connais des maires de gauche comme de droite qui vont veiller à bloquer des dossiers parce qu’ils sont scandalisés par votre attitude laxiste. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. –Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sébastien Denaja. Caricature !

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Fourage.

M. Hugues Fourage. Monsieur Myard, vous n’avez pas le monopole de la France et de la responsabilité. Il faut quand même être clairs à un moment donné. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Votre système de guichet unique favorise l’exclusion.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas vrai ! Redescendez sur terre !

M. Hugues Fourage. Je voudrais m’insurger contre les propos qui ont été tenus sur les présidents de CCAS et rendre hommage aux fonctionnaires de ces centres qui font un travail admirable. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. Jean-Pierre Door. Allez donc dans les réunions des CCAS !

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n° 1, sur lequel je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Christophe Sirugue, pour le soutenir.

M. Christophe Sirugue. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er.

Depuis tout à l’heure, nous voyons que certains cherchent à semer le trouble sur le rôle que nous attribuons à chaque organisme. Les CPAM sont les seules à pouvoir assurer l’instruction des dossiers et elles demeureront les seules à pouvoir le faire. Toutefois, à partir du moment où le législateur met en place un dispositif, il est normal de faire en sorte qu’il soit accessible le plus largement possible. Alors que la droite n’a eu de cesse de faire disparaître les antennes des CPAM, comment pouvez-vous nous expliquer aujourd’hui, chers collègues de l’opposition, que les CPAM devraient être les seules portes d’entrée pour ce dispositif ? Nous les avons visitées, avec M Goasguen, et nous avons pu constater que les seules CPAM étaient insuffisantes.

Ouvrir aux associations et aux CCAS la possibilité de recueillir les demandes d’AME, cela n’est pas leur donner le droit de les instruire. C’est uniquement leur permettre de constituer les dossiers. La ligne politique du Gouvernement sera assurée comme toujours par les seules CPAM.

Cette confusion que vous entretenez me semble assez significative de ce que vous comptez faire.

Nous voulons supprimer cet article tout simplement parce que nous voulons faciliter l’accès à des droits que le Parlement donne à nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Fromion. Ce sera un goulot d’étranglement, votre système !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Tian, rapporteur. Avis défavorable. Nous tenons à ce que les guichets des CPAM continuent à être les seuls à constituer les dossiers.

M. Guedj a tout à l’heure remis en cause l’étude des services de l’État et de l’IGAS en prétendant que ses conclusions étaient fausses. Que les choses soient claires : l’étude a consisté à prendre 5 % de dossiers au hasard, auprès de 109 CPAM, et a permis d’établir que 49 % d’entre eux étaient faux ou inexacts. Voilà la réalité statistique que les services de l’État ont établie.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Ce n’est pas ce que vous avez dit tout à l’heure !

M. Dominique Tian, rapporteur. Je l’ai expliqué mais M. Guedj n’a apparemment pas trop bien compris comment l’étude avait été menée.

Voilà donc ce qu’ont constaté les services de l’IGAS, de l’IGF et des CPAM. Libre à vous de les croire ou de ne pas les croire.

Nous considérons que les CCAS et les associations n’ont pas à constituer les dossiers. À l’évidence, ils n’ont pas le droit d’ouvrir des droits auprès de la sécurité sociale. Ce n’est pas leur travail. Il s’agit d’un problème non pas d’accès mais de rationalité. Si nous essayons d’introduire de la rationalisation dans le fonctionnement de cette machine, ce n’est sûrement pas pour retourner à la situation kafkaïenne que nous connaissions auparavant.

Je vous invite donc à rejeter cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Avis favorable. Je n’ajouterai rien à l’excellente argumentation de M. Sirugue.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je tiens à préciser que l’avis défavorable exprimé par M. Tian n’engage que lui et son groupe. La commission a voté pour cet amendement n° 1.

Mme la présidente. Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement n° 1.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 145

Nombre de suffrages exprimés 145

Majorité absolue 73

(L’amendement n° 1 est adopté et l’article 1er est supprimé.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, cet article n°2 n’est pas seulement le fruit d’une position idéologique, il est également révélateur d’un raisonnement absurde.

En effet, en refusant l’accès direct et sans délai à la médecine de ville aux bénéficiaires de l’AME, vous maximisez le risque de complication de pathologies banales. Ce faisant, vous commettez une faute contre la santé publique et un contresens économique, qui laissent pantois.

Pour tenter de vous en convaincre, si c’est encore possible, j’illustrerai mon propos avec l’exemple le plus banal qui soit, celui de l’angine. Le mal de gorge, la fièvre sont des motifs extrêmement fréquents de consultation chez un généraliste, et évidemment sans attendre vos quinze jours de franchise.

Suivons un instant le parcours médical d’un patient moyen, bénéficiaire ou non de l’AME, tel qu’il est préconisé par la Haute autorité de santé : une consultation chez un généraliste exerçant en secteur 1 plutôt qu’aux urgences de l’hôpital – c’est plus rapide et moins coûteux, chacun en conviendra – ; un test de diagnostic rapide réalisé si nécessaire en cinq minutes par le praticien, qui peut justifier le recours à une antibiothérapie classique de courte durée ; un traitement antibiotique avec la prescription d’un médicament générique bien codifié et peu onéreux, qui permet la guérison en quelques jours, évitant ainsi l’évolution en une angine bactérienne à streptocoques à risque – qui représente un quart des angines bactériennes environ, enfants et adultes confondus – ou en d’autres complications particulièrement graves, désormais méconnues dans notre pays, comme un rhumatisme articulaire aigu, une atteinte rénale sévère ou même cardiaque.

M. Claude Goasguen. Et le poumon !

M. Gérard Sebaoun. Voilà comment, avec votre article, vous fabriquez de toutes pièces – et je pèse mes mots – le risque d’une résurgence de complications devenues très exceptionnelles dans notre pays depuis l’avènement des antibiotiques.

Je vous invite évidemment à repousser cet article 2, véritable contresens humain, médical et économique.

M. Claude Goasguen. C’est du Molière !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cette proposition de loi présente une apparence d’équilibre entre d’une part un droit qui, pour des raisons de santé publique et de dignité, ne peut pas être frontalement remis en cause, et d’autre part une lutte contre les inégalités que ce même droit instituerait en défaveur des plus modestes des Français et au profit des immigrés, considérés comme des délinquants du fait de leurs conditions de séjour et présumés être en grand nombre fraudeurs. De nombreux chiffres sont avancés à l’appui de ce raisonnement à sens unique.

Cet article 2 cherche à rétablir l’agrément préalable en cas de soins hospitaliers coûteux pour les bénéficiaires de l’AME et à l’étendre aux soins de ville.

Je ferai deux remarques. Tout d’abord, l’augmentation des dépenses de l’AME ne peut être mise en relation avec l’existence de fraudes ou de filières organisées. Le rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, demandé par le ministre d’un gouvernement de la précédente majorité, rappelait que, je cite : « il n’est pas possible d’établir statistiquement un lien entre l’évolution des dépenses et l’évolution des abus et des fraudes », et ce en se fondant sur des audits de grandes caisses primaires d’assurance maladie.

Il est tout de même remarquable que le gouvernement et la majorité d’alors n’aient pas rendu publiques les conclusions de ce rapport, adoptant des mesures que celui-ci écartait jusqu’ici et que vous voulez aujourd'hui rétablir.

Ma deuxième remarque porte sur un point significatif, mais que vous avez omis dans votre exposé des motifs : si presque toutes les personnes admises à l’AME ont eu recours à des soins de ville, la dépense se concentre sur les quelques patients recevant des soins hospitaliers lourds et que l’on peut penser justifiés. Vous commettez donc un contresens médical et économique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Tout au long de nos débats, nous nous sommes tous comportés en humanistes. Nous ne voulons donc pas être caricaturés.

Si nous soutenons cette proposition de loi, c’est précisément parce que, tout comme vous, nous tentons de lutter contre le racisme et la xénophobie.

M. Sébastien Denaja. Avec des pains au chocolat !

M. Claude Goasguen. Le jour où ils te tomberont sur le dos, tu verras bien !

Mme Isabelle Le Callennec. En rétablissant ce que vous avez vous-mêmes voulu supprimer, nous essayons d’œuvrer en ce sens.

En supprimant la demande préalable pour des frais médicaux supérieurs à 15 000 euros, ainsi que la franchise, vous envoyez de faits un signal aux étrangers en situation irrégulière, et surtout aux filières organisées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

Mme Isabelle Le Callennec. Vous prenez le risque certain, et déjà vérifié sur le terrain, d’amplifier le racisme et de développer la xénophobie.

Vous qui vous parez du mot « justice » à chacune de vos interventions, mettez-vous un seul instant à la place des assurés sociaux, et particulièrement des immigrés en situation régulière qui sont parfaitement intégrés dans notre pays, ce dont nous nous réjouissons. Mettez-vous un seul instant à leur place ! Ils n’ont vraiment pas le sentiment d’une plus grande justice.

Finalement, vous ne faites qu’augmenter inlassablement – et j’espère que ce n’est pas sciemment – le risque du vote extrême et du rejet de l’autre. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est pourtant la réalité ! Ceci explique pourquoi nous soutenons cette proposition de loi. Encore une fois, ne nous caricaturez pas : nous ne voulons pas supprimer l’aide médicale d’État, mais seulement l’encadrer afin de rétablir un équilibre entre les droits et les devoirs de chaque citoyen sur ce territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Vous avez parlé d’absurdité ; mais alors c’est l’Europe entière qui est absurde ! Le système que nous proposons est en effet celui qui a cours dans l’ensemble de l’Europe.

M. Dominique Tian, rapporteur. C’est exact !

M. Claude Goasguen. C’est très bien de pousser un « cocorico » français de temps en temps, mais vous devriez tout de même réfléchir au fait que l’ensemble des Européens pense la même chose que nous !

Je vous le dis pour votre information, car vous citez souvent l’Europe en exemple dans d’autres domaines ; nous le constaterons de nouveau dans les semaines qui viennent. Je suis donc ravi, pour en revenir à notre question, d’apprendre que nos compatriotes européens sont tous absurdes !

Autre point, je vous signale que l’accord préalable existe dans les hôpitaux : ce n’est pas une révolution ! Lorsque des soins très coûteux sont envisagés pour un individu X ou Y, l’hôpital téléphone à la sécurité sociale. Posez donc la question à la caisse de sécurité sociale parisienne, elle vous le confirmera immédiatement.

M. Gérard Sebaoun. Pourquoi également pour les soins de ville ?

M. Claude Goasguen. Concernant les soins de ville, je trouve cela tout à fait normal. Je viens de vous expliquer que je souhaite la responsabilité médicale, et je pèse mes mots.

Dans certains départements, comme les Bouches-du-Rhône, la Seine-Saint-Denis et Paris, il existe des abus imputables au corps médical. J’ai d’ailleurs affronté le Conseil national de l’Ordre des médecins sur ce sujet : je souhaite véritablement que les médecins prennent leurs responsabilités.

Je connais bien entendu le serment d’Hippocrate, et je connais la loi ; mais rien ne justifie des abus dans la gestion de la sécurité sociale.

Je suis avocat, et lorsqu’une personne connaît des difficultés, je plaide gratuitement. Rien n’interdit aux médecins de soigner gratuitement ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme. la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door. Je souhaite confirmer les propos de M. Claude Goasguen, en rappelant pour celles et ceux qui n’auraient pas traîné leurs guêtres dans le milieu médical, que l’entente préalable existe pour les soins coûteux, chirurgicaux ou autres. Cela existe partout !

M. Claude Goasguen. C’est évident, enfin !

M. Jean-Pierre Door. Pourquoi dès lors existerait-il un système avec deux poids, deux mesures, alors que notre proposition ne vise que les soins coûteux de plus de 15 000 euros, autrement dit des soins très lourds ? Les soins urgents en revanche ne sont pas concernés.

Cet amendement n’est pas utile ; l’article 2 doit être rétabli.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob. L’accord préalable n’est pas une insulte ! Il signifie simplement que lorsque les soins dépassent 15 000 euros, une entente préalable doit être trouvée. Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant dans cette proposition !

Vous contestez par ailleurs l’existence d’une dérive financière. Reprenez donc les chiffres ! En 2000, les dépenses s’établissaient à 75 millions d’euros ; elles représentent aujourd'hui 600 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 700 % !

M. Gérard Sebaoun. Vous n’avez pas répondu à la question sur les soins de ville !

M. Christian Jacob. De plus, le nombre d’allocataires reste inchangé : on comptait 200 000 bénéficiaires en 2000, 200 000 également en 2006, et 208 000 aujourd'hui !

Le nombre d’allocataires ne bouge pas, mais la dépense augmente de 700 % : il faudrait peut-être se poser quelques questions et chercher à mieux réguler le système !

Par ailleurs, je souhaiterais répondre à notre collègue qui, tout à l’heure, a eu un petit moment d’égarement à propos des CCAS. Les CCAS ne sont pas des services administratifs composés de fonctionnaires (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) : ils sont présidés par les maires !

Si vous aviez un peu de culture locale et saviez comment fonctionne une mairie, vous ne présenteriez pas les CCAS comme des services de fonctionnaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les CCAS sont composés d’élus et présidés par les maires : c’est comme cela ! Montrez donc un peu de respect pour les élus locaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Romagnan, pour soutenir l'amendement n°2.

Mme Barbara Romagnan. Vous dites ne pas être hostile à l’AME ; nous en prenons acte, mais pourquoi dès lors cherchez-vous à en rendre l’accès plus difficile ?

Demander un accord préalable pour des soins coûteux n’est pas scandaleux dans l’absolu, naturellement. Mais bien souvent, en l’occurrence, les soins sont coûteux parce qu’il sont urgents. Si la sécurité sociale exprime un désaccord, doit-on demander aux malades de partir ?

Cet amendement propose la suppression de l’article 2, qui vise à rétablir l’accord préalable lui-même supprimé par la loi de finances rectificative pour 2012 concernant les soins hospitaliers programmés dont le coût dépasse 15 000 euros.

Présentant l’apparence du bon sens, cette mesure traduit en réalité une suspicion récurrente à l’égard des usagers et des bénéficiaires potentiels.

Par ailleurs, les hôpitaux et les caisses d’assurance maladie ont souligné qu’elle serait très complexe à mettre en œuvre sans pour autant être efficace contre la fraude – contre laquelle nous devons évidemment lutter, nous en sommes tous d’accord.

Enfin, au regard de la gestion d’ores et déjà très rigoureuse de l’aide médicale d’État…

M. Dominique Tian, rapporteur. Rigoureuse ?

Mme Barbara Romagnan. …il n’est absolument pas nécessaire de rajouter une procédure administrative, qui ne ferait que complexifier le dispositif et retarder les soins, mettant ainsi en danger la santé du patient.

Les personnes qui ont recours à l’AME le font le plus souvent à l’occasion d’une hospitalisation ou de la survenance d’une pathologie grave et donc coûteuse. Il faudrait de toute façon les prendre en charge pour des raison de santé publique : il n’est pas envisageable de mettre ces personnes dehors, que l’accord ait été obtenu ou non.

Cet amendement propose donc la suppression de l’article 2.

Mme la présidente. Je suis saisie par le groupe UMP d’une demande de scrutin public sur l’amendement n°2.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Rappels au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.

M. Bruno Le Roux. Je souhaite faire un rappel au règlement au titre de l’article 58 de notre règlement concernant le déroulement de la séance.

Vous venez d’annoncer un scrutin public, ce qui me semble parfaitement normal.

Plusieurs députés du groupe UMP. Heureusement !

M. Bruno Le Roux. Je souhaite toutefois rappeler la pratique constante de l’ancienne majorité concernant les propositions de loi de l’opposition d’alors.

Cette pratique a toujours consisté à réserver les articles des propositions de loi, empêchant ainsi toute possibilité de scrutin public et de débat. Nous, à l’inverse, acceptons de débattre aujourd'hui. La pratique constante était que la majorité quittait l’hémicycle après la discussion générale et qu’elle n’affrontait pas le débat, de recourir au vote bloqué et de reporter les choses. Aujourd’hui, nous voulons affronter les débats que pose l’opposition et répondre aux arguments qu’elle avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Un scrutin public a été demandé, et cette procédure est tout à fait normale. Cela montre qu’il y a un changement dans la façon dont nous considérons les débats et la manière dont nous entendons y répondre. (Même mouvement.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Jacob, pour un rappel au règlement.

M. Christian Jacob. Mon rappel au règlement est fondé sur l’article 58, alinéa 3, du règlement.

Monsieur Le Roux, je voudrais vous remercier d’avoir rendu hommage à Nicolas Sarkozy et à sa majorité d’hier (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) pour avoir créé ce temps à la disposition des groupes de l’opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Monsieur Tian, vous avez enfin la parole sur l’amendement n° 2.

M. Dominique Tian, rapporteur. Mme Romagnan, il est assez hallucinant de vous entendre, car en réalité les soins d’urgence ne sont pas concernés. Le texte prévoit bien que, quel que soit leur coût, les soins d’urgence continueront à être pris en charge. Vous venez d’énoncer une contrevérité.

M. Franck Riester. Eh oui !

M. Dominique Tian, rapporteur. Nous disons simplement que, lorsqu’un Français ou une personne entrée légalement sur le territoire national demande à bénéficier de soins s’élevant à plus de 15 000 euros, une entente préalable est demandée à la sécurité sociale. Au nom de quoi voulez-vous qu’un étranger entré irrégulièrement sur le territoire national échappe à cette procédure ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, je demande la parole…

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Mes chers collègues de la majorité, l’idéologie vous aveugle. (Rires sur les bancs du groupe SRC.) Redescendez sur terre !

Supprimer l’article 2 serait discriminatoire à l’égard de toutes celles et ceux qui sont en situation régulière. La disposition que vous proposez est donc à la limite de la constitutionnalité. Comment donner plus de droits à des personnes qui sont en situation irrégulière, alors même que les Français ou les étrangers en situation régulière doivent demander un agrément préalable en ce qui concerne un certain nombre de soins ? Les bras m’en tombent ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Comment peut-on faire marcher la pyramide sur la tête de cette façon ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, je demande la parole…

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous invite à regagner vos places, le scrutin ayant été annoncé il y a plus de cinq minutes.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, je demande la parole pour répondre au Gouvernement.

Mme la présidente. Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement n° 2.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 164

Nombre de suffrages exprimés 164

Majorité absolue 83

(L’amendement n° 2 est adopté et l’article 2 est ainsi supprimé.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour un rappel au règlement.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, il y a beaucoup d’acrimonie dans les échanges que nous avons ce matin. Sans vouloir en ajouter une dose supplémentaire, je souhaite faire une remarque sur la manière dont se déroule ce débat.

Dans cet hémicycle, il y a non seulement une pratique mais aussi une règle qui veut que tout parlementaire qui le souhaite a le droit de se voir donner la parole en réponse à la commission ou au Gouvernement.

J’ai levé la main à plusieurs reprises pour demander la parole – et le fonctionnaire de l’Assemblée qui est à vos côtés pourra vous le confirmer – avant même que le Gouvernement ne se soit exprimé. Vous ne me l’avez pas donnée. J’ai redemandé la parole pour répondre au Gouvernement, comme le prévoit notre règlement ; vous ne me l’avez toujours pas donnée. Je vous le dis sans animosité : cette manière de présider est étrange et elle n’est pas de nature à donner à nos débats la sérénité à laquelle nous aspirons tous. Sur de tels sujets, nous avons le droit de ne pas être d’accord et nous avons surtout le droit de pouvoir nous exprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Monsieur Geoffroy, la possibilité de s’exprimer sur un amendement et contre un amendement ayant été utilisée par un orateur, la présidence a la faculté de donner la parole à davantage de députés, mais c’est une faculté et non un droit.

M. Guy Geoffroy. Je prends acte du caractère démocratique de votre réponse !

Article 3

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n° 3, tendant à supprimer l’article 3.

Sur cet amendement, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Martine Carrillon-Couvreur, pour le soutenir.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Conformément aux engagements du Président de la République, le Gouvernement et sa majorité ont supprimé le droit de timbre annuel de 30 euros dont devaient s’acquitter les étrangers majeurs sollicitant le bénéfice de l’aide médicale d’État. À l’époque, chacun s’en souvient, un certain nombre de rapports avaient vu le jour et un certain nombre de contestations avaient été émises sur cette situation difficile.

L’article 3 de la proposition de loi vise à soumettre à la franchise médicale les bénéficiaires de l’AME qui en sont actuellement exonérés, comme les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMUC. Le montant de la franchise est de 0,50 euro par boîte de médicaments, de 0,50 euro par acte paramédical, de 2 euros par transport sanitaire ; il est plafonné à 50 euros par an pour l’ensemble des actes et prestations concernés. La franchise ne s’applique pas aux médicaments délivrés au cours d’une hospitalisation, ni aux actes paramédicaux effectués au cours d’une hospitalisation, ni aux transports d’urgence.

M. Claude Goasguen. Enfin quelqu’un qui le dit ! Il était temps !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Cette mesure aura pour effet, comme le droit de timbre, d’entraîner un renoncement ou un retard dans l’accès aux soins de personnes très vulnérables, avec un report vers l’hôpital de soins plus tardifs et plus coûteux.

Beaucoup d’entre nous ont expliqué depuis ce matin la situation dans laquelle se trouvent actuellement les personnes et les établissements. Cet amendement propose de supprimer cet article contraire au droit à la santé et, bien sûr, indifférent aux nécessités de santé publique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Tian, rapporteur. Avis défavorable.

Cet amendement me donne l’occasion de faire le point sur la différence qu’il y a entre un citoyen français et une personne entrée illégalement sur le territoire national.

Les bénéficiaires de l’AME sont remboursés à 100 %, alors que le travailleur bénéficiaire de la sécurité sociale n’est pris en charge qu’à hauteur de 70 % pour ses consultations, et entre 15 et 65 % pour les médicaments les plus répandus. Ainsi, un salarié au niveau du seuil de pauvreté, environ 950 euros par mois, paie la CSG, supporte la part salariale des cotisations sociales et doit de surcroît payer une complémentaire santé dont le tarif moyen est d’environ 30 euros par mois. Voilà pourquoi nous plaidons pour une participation minimale des bénéficiaires de l’AME par le biais des franchises, qui n’ont pas de répercussions sur l’accès aux professionnels de premier recours et qui seront plafonnées annuellement.

C’est donc un système unique au monde que vous voulez maintenir, puisque même l’Espagne vient de modifier sa réglementation. Il s’agit seulement d’une mesure de bon sens et de justice. Un citoyen français doit être traité de la même façon qu’une personne qui est entrée illégalement sur le territoire national. C’est pourquoi je suis défavorable à votre amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Avis favorable à l’amendement de suppression.

L’ensemble des rapports dont nous disposons a montré que les bénéficiaires de l’aide médicale d’État ont des droits moins étendus que les bénéficiaires de la CMU et la CMUC. L’article 3 constitue une lourdeur administrative supplémentaire, un frein renforcé à l’accès aux soins, et il ne ferait que retarder l’accès à des soins pour des personnes en situation de précarité.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je tiens à apporter tout mon soutien au rapporteur qui vient de démontrer, de manière paisible mais très argumentée, pourquoi il faut conserver cette disposition.

Tout à l’heure, le rapporteur a répondu à Mme Romagnan, également de manière fort paisible, qu’elle s’était trompée et qu’elle avait tout simplement confondu AME et urgence. Il me semble important de lui rappeler que tout ce qui concerne les soins d’urgence sera traité en urgence, hors toute considération relative à l’AME.

Demandez à un jeune – je l’ai fait – , à un adulte que vous pourriez croiser – je l’ai fait –, à un étranger en situation régulière – je l’ai fait –, à un de vos concitoyens retraité qui vient d’apprendre qu’on allait lui faire payer une surcotisation alors qu’il risque de perdre son autonomie – je l’ai fait – ce qu’ils pensent de cette mesure. Aucun ne conteste qu’il est tout à fait naturel que la solidarité implique celui qui en bénéficie.

La solidarité, ce n’est pas la gratuité, qui nie l’identité et la dignité. La solidarité, c’est la contribution de chacun à la grande œuvre collective qui fait l’honneur de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement n° 3 qui a reçu un avis favorable de la commission et du Gouvernement.

M. Christian Jacob. Mais un avis défavorable du rapporteur !

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 150

Nombre de suffrages exprimés 150

Majorité absolue 76

(L’amendement n° 3 est adopté et l’article 3 est ainsi supprimé.)

Après l’article 3

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 4, portant article additionnel après l’article 3.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Tian, rapporteur. En écoutant M. Sirugue, l’autre jour, en commission, j’ai compris qu’il me donnait raison,…

M. Christophe Sirugue. Ce n’est pas possible !

M. Dominique Tian, rapporteur. …ce qui était plutôt agréable ; puis que, finalement, tout était assez compliqué et que, donc, j’avais tort…

Nous avons déjà longuement évoqué le sujet : à appendicite égale, un citoyen français coûte deux fois et demie moins cher qu’une personne entrée illégalement sur le territoire national. Alors même qu’il s’agit d’un acte chirurgical identique, un facteur social est censé expliquer que les prix soient devenus complètement anormaux. En réalité, je le maintiens, c’est pour les hôpitaux une source financière des plus intéressantes, et pour les filières qui conduisent des gens à venir se soigner illégalement en France un commerce non moins intéressant. Cette pratique nous paraît ne pas devoir continuer. On a cité à cet égard les procréations médicalement assistées et d’autres soins particulièrement coûteux, bien utiles pour améliorer à la fois le taux de remplissage et la comptabilité des hôpitaux.

C’est ensuite la sécurité sociale qui adresse la facture et la paie, les déficits de nos comptes sociaux s’en trouvant ainsi aggravés de la manière la plus légale. C’est anormal. Une mesure transitoire a été décidée consistant à programmer sur quelques années l’application d’un système plus raisonnable. Or vous allez en interrompre l’application et ainsi contribuer à favoriser la surfacturation légale au profit des hôpitaux et au détriment de la sécurité sociale.

M. Franck Riester. M. Tian a raison !

M. Dominique Tian, rapporteur. Il faut mettre un terme à ce système. La tarification à l’acte doit s’appliquer aux citoyens français comme aux autres. L’environnement social est une notion dépourvue de sens. Il s’agit ici de supprimer un abus de la part des hôpitaux. Tel est l’objet de mon amendement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Évidemment défavorable pour des raisons que l’on ne va pas ressasser. Tout cela n’est pas raisonnable. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Quel mépris !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme l’a dit M. Tian, les actes pour les séjours des bénéficiaires sont tarifés à hauteur de 80 % de la tarification à l’activité. Vous contestez qu’en plus de cette tarification, soit appliqué un forfait de majoration de 30 % que peuvent facturer les hôpitaux au titre du caractère précaire des publics accueillis.

Je tiens toutefois à préciser que ce dispositif n’est pas spécifique à l’aide médicale d’État. Il s’agit d’une tarification complémentaire, sociale, qui s’applique pour l’ensemble des patients en situation de précarité. Cela revient à faire prendre en compte, pour le financement de l’hôpital, la réalité de la situation sociale des patients.

M. Claude Goasguen. Mais c’est l’État qui paie !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il n’y a donc pas de différence entre les personnes bénéficiant de l’aide médicale d’État et les autres publics précaires.

Ce qui nous distingue – et nous avons eu cette discussion hier en commission lors de l’examen du PLFSS –, c’est qu’à nos yeux un acte qui concerne une personne précaire doit être rémunéré davantage que le même acte concernant une personne non précaire, parce qu’on sait bien que l’environnement social peut expliquer des complications médicales qui doivent pouvoir être rémunérées.

M. Claude Goasguen. Sauf que ce ne sont pas les mêmes qui paient !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement donne un avis défavorable à cet amendement.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Jacob, pour un rappel au règlement.

M. Christian Jacob. Mon intervention se fonde sur l’article 58, alinéa 3.

Traditionnellement, la commission émet un avis par la voix du rapporteur. Bien souvent, celui-ci peut avoir un avis personnel différent de celui de la commission et la pratique veut qu’on puisse l’entendre. Or je suis surpris que l’on n’ait pas interrogé le rapporteur mais Mme Lemorton. Au nom de quoi Mme Lemorton donne-t-elle l’avis de la commission ? J’y insiste, le rapporteur est fondé à donner son avis. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Après l’article 3 (suite)

Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, êtes-vous favorable à l’amendement que vous avez soutenu ? (Sourires.)

M. Dominique Tian, rapporteur. La commission a rejeté mon amendement mais je reste évidemment d’accord avec moi-même. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Comme le président de votre groupe semblait en douter, je préférais que vous le précisiez, que vous réaffirmiez la cohérence de votre pensée.

(L’amendement n° 4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi. L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à douze heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Formation aux cinq gestes qui sauvent
face à un accident de la route

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Bernard Gérard, visant à former aux cinq gestes qui sauvent face à un accident de la route, lors de la préparation des permis de conduire.

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Gérard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Bernard Gérard, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, « Sauver une vie, ça s’apprend ! » : nous connaissons bien ce slogan, lancé par une grande association nationale de secourisme. Et pourtant, alors que la mortalité routière touche encore près de 4 000 personnes chaque année et qu’on dénombre en outre 80 000 blessés, dont 30 000 hospitalisés, moins de la moitié des Français déclarent avoir déjà bénéficié d’une formation ou d’une initiation aux gestes de premiers secours.

C’est que, si la nécessité d’une prise en charge immédiate d’un accidenté de la circulation est aujourd’hui présente dans les esprits, la formation aux notions élémentaires de secourisme reste un parent pauvre de la politique de sécurité routière. Alors même que cette dernière, développée de manière continue à partir des années 1970, a permis de diviser par quatre le nombre de tués sur les routes de France, l’apprentissage des gestes de premiers secours, et leur hiérarchie, – ces « gestes qui sauvent » –, n’a jamais été privilégié et reste dès lors trop ponctuel.

Bien sûr, tout doit d’abord être fait pour lutter contre l’accidentalité elle-même ; mais la diminution de la mortalité routière constitue un objectif essentiel, que seule peut aussi permettre d’atteindre la mise en œuvre plus systématique de politiques de formation aux connaissances élémentaires de secourisme.

Face à ce défi, le groupe UMP a choisi d’inscrire dans sa séance d’initiative réservée la présente proposition de loi, en préconisant une solution simple et pragmatique : une formation aux cinq gestes qui sauvent – alerter les secours, baliser les lieux et protéger les victimes, ventiler, à savoir libérer les voies respiratoires, comprimer l’hémorragie, enfin sauvegarder la vie des blessés, dernier point qui peut parfois se résumer à parler à la victime en attendant les secours.

Loin de tout esprit partisan, cette proposition rejoint de très nombreuses initiatives émanées de tous les bancs depuis plusieurs années : propositions de loi, amendements, questions au Gouvernement, voire promesses de dispositions réglementaires, jamais tenues… Au Sénat, une proposition de loi analogue a été déposée en février dernier par MM. Jean-Pierre Leleux et Jean-René Lecerf. Et je sais que le président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur, est très sensible à ce sujet, et plus particulièrement pour ce qui concerne les conducteurs de transport routier de personnes.

En outre, de nombreux pays voisins ont défini des dispositifs comparables dès les années 1970 et avec succès. Je pense notamment à l’Allemagne, l’Autriche ou à la Suisse. Dix-huit pays de l’Europe géographique ont adopté de telles mesures ; mais c’est aussi le cas de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande. C’est dire à quel point cette question est considérée partout comme essentielle.

Le principal objectif de ce texte, la lutte contre la mortalité routière, est naturellement bien identifié. Je l’ai dit : 4 000 personnes meurent sur les routes chaque année, ce qui équivaut à trente catastrophes aériennes, pour reprendre une analogie qui figurait en 2011dans une résolution du Parlement européen.

La place qui revient à la formation aux premiers secours est en fait très marginale.

Il existe, certes, des formations de secourisme ouvertes à tous les citoyens, en particulier la formation dite « de base », d’une durée de sept heures, qui est sanctionnée par l’attribution du certificat PSC 1, « Prévention et secours civiques 1 ». En outre, en application de l’article L. 312-13-1 du code de l’éducation, institué en 2004, tout élève est supposé bénéficier, dans le cadre de la scolarité obligatoire, d’un apprentissage des gestes élémentaires de premiers secours. Cependant, alors même que cette formation avait vocation à dispenser cet apprentissage au plus grand nombre, elle ne touche aujourd’hui que 20 %, au mieux, des collégiens. En outre, les connaissances acquises sont souvent en partie oubliées au moment du passage de l’examen du permis de conduire, qui survient de nombreuses années plus tard.

La Croix-Rouge n’a pas hésité à souligner, récemment, que « les Français n’ont pas la culture du risque et de la prévention », et qu’« ils possèdent un niveau de formation aux gestes qui sauvent largement insuffisant ».

Sans doute le législateur a-t-il commencé à se saisir de cette question : l’article 16 de la loi du 12 juin 2003, relative au renforcement de la lutte contre la violence routière, prévoit ainsi que les candidats au permis de conduire doivent être sensibilisés, dans le cadre de leur formation, aux notions élémentaires de premiers secours. Cet article renvoie le soin de fixer ses modalités d’application à un décret en Conseil d’État, qui n’a jamais été pris. Les nombreuses auditions que j’ai conduites ont confirmé que, dans les faits, cette sensibilisation est très insuffisante, voire totalement inexistante.

Aujourd’hui, ce sont environ un million de permis de conduire qui sont délivrés chaque année : inclure la formation aux notions élémentaires de premiers secours dans l’examen du permis de conduire permettrait donc de favoriser la formation d’un public particulièrement large. Même si la formation dispensée dans le cadre de la préparation du permis de conduire aurait un caractère très spécifique, puisqu’elle serait centrée, par définition, sur l’accidentalité routière, il est évident que les connaissances acquises pourraient ensuite être réutilisées, en cas d’urgence, dans de nombreuses circonstances de la vie quotidienne.

En outre, le fait d’avoir suivi une telle formation pourrait avoir, indirectement, un effet très positif en matière de sécurité routière : la prise de conscience du risque automobile pourrait inciter à un changement de comportement et à l’adoption d’une conduite plus vertueuse et plus apaisée. Cette forme d’apaisement prévaudra aussi, naturellement et a fortiori, en cas d’accident : un témoin qui, fort de sa connaissance des gestes simples à accomplir, aura reçu des consignes claires, sera à même d’intervenir de manière beaucoup plus sereine, sans céder à la panique.

La formation proposée pourrait être d’une durée de quatre heures. Parce qu’elle est simplifiée, elle permettra une diffusion au plus grand nombre, sans coût excessif, ni en temps, ni en argent, pour les candidats au permis de conduire. Le message transmis n’en sera que plus clair, et plus efficace. La formation sera axée sur les apprentissages essentiels relatifs à l’accidentalité routière et offrira, naturellement, toutes les garanties requises. La dispense et la validation de cette formation seront confiées aux associations de secourisme agréées, ce qui constitue le meilleur gage de qualité.

Il existe certes un certain nombre d’objections à la mise en place de ce dispositif, et la commission des lois n’a pas adopté ce texte. Je souhaite revenir ici sur les points qui font débat, car il me semble que les objections ne résistent vraiment pas à l’analyse.

On reproche d’abord à ce dispositif son coût et la lourdeur supposée de sa mise en œuvre : il risque, dit-on, de créer une charge nouvelle et importante pour l’État. La notion d’« épreuve », que nous avons retenue dans un souci de parallélisme avec la terminologie existante pour les apprentissages théorique et pratique, ne doit pas toutefois induire en erreur et laisser penser à l’organisation d’un examen spécifique, sur le modèle de ceux prévus pour le code ou la conduite. En effet, dans la pratique, la formation, ainsi que sa validation, seront prises en charge par les associations de secourisme agréées, qui remettront aux intéressés une attestation, valant sanction de la connaissance des notions élémentaires de premiers secours.

Que ce soit bien clair : les inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière ne seront pas investis d’une mission nouvelle, qui supposerait, pour eux, une charge de travail et une formation supplémentaires. Je présenterai un amendement tendant à préciser le rôle des associations dans le dispositif, et je proposerai également de supprimer l’article de gage, prévu à seul titre de précaution et devenu par là inutile. Le président de la commission des finances a du reste expressément validé cette proposition de loi, au regard des exigences de l’article 40 de la Constitution.

Ce dispositif – c’est la deuxième objection qui lui est faite – pourrait être trop coûteux pour les candidats au permis de conduire. Il est vrai qu’il aura un coût, mais que représente-t-il, au regard des 4 000 tués, des 80 000 blessés et des 30 000 personnes hospitalisées chaque année ?

Selon certaines estimations, et d’après les auditions que nous avons réalisées, le coût, à la charge de chaque candidat, ne devrait pas dépasser 25 euros, voire 20 euros. Si elle n’est naturellement pas négligeable, cette somme peut cependant être considérée comme extrêmement raisonnable, au regard de l’enjeu que représente la sécurité routière, comme au regard du coût global du permis de conduire.

Troisièmement, certains doutent de la capacité des associations de secourisme à faire face à la charge que constitue la formation de masse proposée. À cet égard, les auditions que j’ai conduites ont permis de rappeler qu’on dénombrait aujourd’hui quelque 35 000 moniteurs de premiers secours. En outre, les grandes associations nationales que nous avons entendues ont estimé que le défi pouvait tout à fait être relevé.

Quatrièmement, selon certains, l’apprentissage de masse des gestes de premiers secours devrait se faire à l’école, conformément au dispositif mis en place en 2004. Mais je vous répète, mes chers collègues, que ce dispositif laisse à l’écart au moins 80 % d’une tranche d’âge, et qu’il intervient à un moment qui peut être très éloigné du passage du permis de conduire. En attendant le jour où il concernera la majorité des élèves, pourquoi se priver d’un outil supplémentaire au profit de la généralisation de la formation aux premiers secours, lesquels, en réalité, devraient être enseignés tout au long de la vie ? Certains évoquent aussi l’initiation prévue dans le cadre des Journées défense et citoyenneté, les JDC, qui concernent 800 000 jeunes chaque année. Cette séance, qui ne dure parfois que trois quarts d’heure, ne saurait toutefois se substituer à un véritable apprentissage : il s’agit en réalité d’une simple démonstration, voire d’un rappel, pour certains.

D’aucuns estiment enfin que la mesure proposée serait d’ordre réglementaire. S’il est vrai que la question des différentes composantes du permis de conduire relève d’une disposition de nature réglementaire dans le code de la route, en revanche, le traitement d’un sujet de sécurité routière, comme la création du nouveau dispositif de formation aux premiers secours, peut justifier l’inscription dans le marbre législatif, comme cela fut fait pour l’apprentissage des notions de secourisme à l’école.

Aussi, je présente un amendement destiné à placer le nouveau dispositif dans la loi du 12 juin 2003, dédiée à la lutte contre la violence routière, en lieu et place de la seule sensibilisation aux notions élémentaires de premiers secours dans le cadre de la formation du permis de conduire, mesure dont, je le rappelle, le décret d’application n’a jamais été publié.

Je conclus. Tout le monde est d’accord : l’académie de médecine, la Croix-Rouge française, la fédération française de cardiologie, le SAMU, la fédération nationale des sapeurs-pompiers, le conseil national des professions de l’automobile, ainsi que la fédération nationale des enseignants de la conduite. La gauche et la droite sont d’accord ! Les experts sont d’accord !

Que convient-il donc de faire, mes chers collègues ? Voter ensemble cette loi, qui préservera la vie de nombre de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous abordons aujourd’hui, à l’initiative du groupe UMP, un sujet qui intéresse incontestablement les Français.

La présente proposition de loi touche au permis de conduire, épreuve indispensable, parfois redoutée, qui est souvent, nous le savons, la clé de l’autonomie pour les jeunes. Elle promeut par ailleurs la formation aux gestes qui peuvent sauver une vie. Vous proposez ainsi, monsieur le rapporteur, d’intégrer une troisième épreuve au permis de conduire, afin que tous les conducteurs maîtrisent les cinq gestes qui sauvent, et que vous avez vous-même rappelés : alerter les secours, baliser les lieux et protéger les victimes, ventiler par bouche-à-bouche, comprimer l’hémorragie, et sauvegarder la vie des blessés en détresse.

Je veux utiliser cette tribune pour faire passer, une nouvelle fois, un message de très grande vigilance et de prudence. En septembre, 334 personnes ont perdu la vie sur les routes de France et si, sur les neuf premiers mois de l’année 2012, le nombre de personnes tuées sur les routes est en baisse de 8,3% par rapport à la même période de l’année 2011, nous savons tous qu’il ne faudra jamais relâcher nos efforts en matière de sécurité routière.

L’entrée dans la période automnale, avec ses conditions de circulation plus difficiles, doit amener chaque usager de la route à redoubler de prudence. Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, nous ne devons en aucun cas baisser la garde. Ces quelques éléments rappelés, venons-en au cœur de votre proposition de loi.

Monsieur le rapporteur, votre initiative est intéressante, tout comme le débat qui en découle.

M. Guy Geoffroy. C’est pour cela qu’il faut la rejeter !

M. Manuel Valls, ministre. Votre objectif est tout à fait louable, mais…

M. Bernard Deflesselles. Ah ! Il y a un « mais » !

M. Manuel Valls, ministre. …un objectif, monsieur le député, peut-être desservi par le moyen utilisé pour l’atteindre.

Cette proposition de loi soulève un certain nombre de difficultés. Je n’en conteste ni la légitimité, ni l’intérêt, mais je voudrais vous exposer les points qui, de mon point de vue, et du point de vue du Gouvernement, la rendent inopérantes. La commission des lois, vous l’avez oublié, ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en émettant un vote négatif.

M. Guy Geoffroy. Il l’a rappelé !

M. Bernard Gérard. En effet !

M. Manuel Valls, ministre. Tout d’abord, cette proposition relève du domaine réglementaire, et non du domaine législatif. Nous ferions de la malfaçon législative, si vous me permettez cette expression, en décidant de traiter de ce type de disposition au niveau de la loi.

Je sais, en tant qu’ancien député, que la tentation est grande de soutenir des propositions de loi, de porter soi-même des réformes que l’on juge essentielles. Cela relève, du reste, de la libre initiative du Parlement. Je me rappelle d’ailleurs les réponses que recevaient les parlementaires de la part des ministres, il n’y pas si longtemps.

Néanmoins, l’Assemblée crée aussi du droit, et il convient donc de ne pas s’affranchir des règles en la matière. Au fond, j’ai bien conscience qu’en tenant ce discours, je ne fais que renvoyer la balle au Gouvernement. Je tiens à vous rassurer, et j’y reviendrai dans un instant : des avancées vont avoir lieu dans ce domaine.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, un certain flou entoure encore les modalités de mise en œuvre de votre proposition de loi. S’agit-il réellement d’une troisième épreuve ? Si c’était le cas, cela imposerait aux inspecteurs du permis de conduire une surcharge de travail importante. Vous êtes conscient de ce problème, puisque vous l’avez vous-même évoqué.

Je rappelle qu’en 2004, lorsque la durée de l’épreuve de la catégorie B du permis a été allongée, passant de vingt-deux à trente-cinq minutes, il a fallu recruter 195 inspecteurs supplémentaires. De la même façon, aujourd’hui, cela représenterait une charge importante pour l’État.

Par ailleurs, la mise en place de cette troisième épreuve du permis de conduire semble irréaliste en l’état, car elle nécessiterait la formation de l’ensemble des moniteurs d’auto-école, ce qui engendrerait, là aussi, une hausse notable des coûts de formation pour les apprenants. Je constate néanmoins, monsieur le rapporteur, à la lecture de vos amendements, que vous proposez en réalité une simple attestation, que le candidat devrait présenter.

Vous expliquez dans votre rapport, je vous cite, que « la notion d’épreuve, retenue en l’espèce dans un souci de parallélisme avec la terminologie préexistante, ne doit cependant pas être comprise comme supposant l’organisation d’un examen spécifique, mais plutôt comme correspondant à la satisfaction à l’exigence d’avoir participé à une formation et de l’avoir validée. » Vous précisez encore que « la dispense et la validation de cette formation seraient confiées aux associations de secourisme agréées ».

Mais confier à des associations le soin d’assurer cette formation, ainsi que sa validation, ne serait pas sans conséquences : de nouvelles questions se posent automatiquement et logiquement. Tout d’abord, les associations pourront-elles faire face à la masse que constituent les 900 000 candidats annuels au permis de catégorie B ? Une telle proposition ne va-t-elle pas créer un engorgement, et entraîner une augmentation des délais d’attente pour les candidats ? Je reçois beaucoup d’interpellations à ce sujet : les délais d’attente, qui approchent parfois trois mois avant qu’il soit possible de se représenter à l’épreuve pratique, suscitent de l’incompréhension, nous le savons. Je ne souhaite pas contribuer à cet engorgement par l’introduction d’une nouvelle obligation.

Se pose ensuite la question du coût, que vous pointez à juste titre dans votre rapport. Selon vous, les candidats devront sans doute supporter directement le coût de la nouvelle épreuve. Doit-on ajouter un coût supplémentaire à un permis déjà jugé trop cher ? Vous évoquez un montant de l’ordre de 25 euros ; de fait, il serait sans doute supérieur.

Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la facilité d’accès au permis de conduire est un sujet important. Nous y réfléchissons depuis des années au sein de cette enceinte. Les associations nous interpellent, les collectivités territoriales elles-mêmes mènent des actions en vue de faciliter cet accès, notamment en essayant d’en réduire le coût. Mais déléguer à des associations pose, outre la question du coût, celle du maillage territorial.

La question du périmètre de votre proposition de loi doit également être abordée, et plus précisément les cinq gestes qui sauvent. Derrière cette terminologie, des actes de nature très différente sont regroupés. Certains actes sont faciles à réaliser et ne nécessitent pas de compétence particulière : alerter les secours, baliser les lieux et protéger les victimes, sauvegarder les blessés de la route en détresse. D’autres actes sont des gestes de secourisme : ventiler par bouche-à-bouche, comprimer une hémorragie. Nous ne pouvons pas les mettre sur le même plan.

La sécurité civile souligne que la ventilation par bouche-à-bouche n’est plus obligatoire dans le cadre des primo-intervenants, une victime qui ne respire pas étant considérée en arrêt cardiaque. Par ailleurs, ce geste peut entraîner des manœuvres préjudiciables dans le cas de victimes de traumatismes du rachis. Quant à l’hémorragie, celle-ci se révèle le plus souvent interne, du fait de l’amélioration des mesures de sécurité et de sûreté des véhicules.

Monsieur le rapporteur, il convient donc d’être prudent. Si une formation de ce type doit être délivrée, celle-ci ne peut se résumer à quelques heures. Les conséquences d’actes mal exécutés peuvent être graves.

Enfin, si des réformes doivent être réalisées, elles devront faire l’objet d’une consultation et d’une concertation approfondie des acteurs : inspecteurs du permis de conduire, réseaux d’auto-école, associations et citoyens. Ceci nécessite du temps et de l’écoute, et vous ne me ferez pas dévier de cette méthode.

Vous l’aurez compris à l’écoute des multiples préventions que je viens de formuler, le Gouvernement n’est pas favorable à la présente proposition de loi. Néanmoins, je ne me contenterai pas de cette réponse, car je considère comme vous qu’il faut avancer en la matière. En ce domaine, les actions sont perfectibles : il faudra sans doute aller au-delà de la réforme de 2009, l’analyser et la corriger.

Voilà donc quelques propositions pragmatiques et utiles. Pour la formation des enseignants de la conduite, le programme national de formation à la conduite sera revu en 2014. Je propose de mettre en avant la formation au comportement à adopter en cas d’accident. Un seul paragraphe, comme c’est actuellement le cas, ne peut suffire, nous allons donc y travailler.

Concernant les candidats au permis de conduire, je souhaite vous proposer deux pistes de travail. Certains parlementaires, y compris au sein de la majorité, s’interrogent sur l’absence de décret d’application de l’article 16 de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière. Cet article dispose : « Les candidats au permis de conduire sont sensibilisés dans le cadre de leur formation aux notions élémentaires de premiers secours. » Le Gouvernement proposera un décret afin de mettre en application cette disposition. Encore une fois, la définition de ces notions élémentaires de premiers secours sera au cœur du débat.

Par ailleurs, les questions sur l’attitude à adopter en cas d’accident existent déjà dans la banque de questions de l’épreuve théorique que l’on appelle le code. Il s’agit, au fond, de renforcer ce thème. Les candidats, certains de devoir répondre à ce type de questions au moment de leur examen, seront poussés à les travailler sérieusement.

Vous le voyez, le Gouvernement souhaite avancer et répondre aux interrogations qui existent dans ce domaine, mais avec méthode et efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la proposition de loi visant à former aux cinq gestes qui sauvent face à un accident de la route lors de la préparation des permis de conduire ;

Proposition de loi portant obligation d’informer de la localisation des centres d’appels ;

Proposition de loi portant création des principes d’adaptabilité et de subsidiarité en vue d’une mise en œuvre différenciée des normes en milieu rural.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)