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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 17 janvier 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Accord France-Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts

2. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

3. Adhésion de la Croatie à l’Union européenne

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes

M. Philip Cordery, rapporteur de la commission des affaires étrangères

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

Discussion générale

M. André Chassaigne

M. Jérôme Lambert

M. Axel Poniatowski

M. François Rochebloine

M. Denis Baupin

Mme Françoise Imbert

M. Pierre Lellouche

M. Jean-Philippe Mallé

M. Patrick Bloche

M. Thierry Mariani

M. Bernard Cazeneuve,

Article unique

M. Jacques Myard

Vote sur l’article unique

4. Abrogation de la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative

Mme Sandrine Doucet, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Motion de rejet préalable

M. Luc Chatel

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée, M. Patrick Bloche, président de la commission, M. Yves Durand, M. Xavier Bertrand, M. Philippe Gomes

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Accord France-Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel
de la participation aux acquêts

Procédure d’examen simplifiée

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, en application de l’article 103 du règlement, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’accord entre la République française et la République fédérale d’Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts (nos 569, 102, 308).

Ce texte n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je mets directement aux voix, en application de l’article 106 du règlement, l’article unique du projet de loi.

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

2

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

Mme la présidente. Je suis heureuse de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation du parlement de la République de Croatie, conduite par son président, M. Josip Leko. (Mmes et MM. les députés et M. le ministre délégué chargé des affaires européennes se lèvent et applaudissent longuement.)

3

Adhésion de la Croatie à l’Union européenne

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat,
après engagement de la procédure accélérée

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne (nos 588, 582).

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je salue à mon tour le président du Sabor, la diète croate, monsieur l’ambassadeur de Croatie ainsi que les membres de la délégation qui les accompagnent. Leur présence témoigne, s’il en était besoin, de l’intérêt qu’ils portent à nos débats et, surtout, de l’attention qu’ils portent à la relation entre nos deux pays. La Croatie est engagée depuis de nombreuses années dans un processus d’adhésion qui a fait l’objet d’un dialogue très approfondi avec les institutions de l’Union européenne.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte par la discussion du traité d’adhésion pour rappeler les liens d’amitié qui unissent la France à la Croatie, pour dire la profondeur de ces liens, inscrits dans l’histoire longue de nos relations, enfin pour, au nom du Gouvernement, remercier la représentation nationale de l’intérêt qu’elle a manifesté pour ce débat, à la fois en commission et en séance plénière, où il s’est agi d’aller au bout des interrogations.

Mesdames et messieurs les députés, j’insisterai d’abord sur le contexte dans lequel s’inscrit ce débat. La Croatie, il y a vingt ans, combattait pour son indépendance et était confrontée à la guerre. Cette guerre, qui a affecté les Balkans, n’a pas épargné ses peuples. Ce fut une guerre cruelle au terme de laquelle il a été difficile de retrouver le chemin de la paix. Pourtant, aujourd’hui, dans cette partie des Balkans, la paix l’a emporté, les rapports entre les pays se sont apaisés, les relations entre voisins sont non seulement bonnes mais ont permis d’engager des coopérations très utiles dans de multiples domaines sur lesquels je reviendrai.

Il faut par conséquent voir dans le processus d’adhésion une manière de dire notre volonté que l’ensemble du continent européen connaisse durablement la paix, des relations, j’y insiste, apaisées, permettant de lancer des coopérations fructueuses. C’est pour nous également l’occasion d’affirmer que l’Europe est un extraordinaire moteur pour le développement d’un certain nombre de valeurs auxquelles nous croyons,…

M. Jean-Pierre Le Roch. Très juste !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …qu’il s’agisse de la démocratie, des droits de l’homme, de l’indépendance de la justice, de la lutte contre le crime organisé, de la résistance des États aux effets de la corruption dont on sait à quel point ils sont funestes pour les peuples. L’Europe, c’est l’ensemble des valeurs portées par le Conseil de l’Europe et dont nous sommes satisfaits, à la faveur de l’élargissement, qu’elles deviennent le patrimoine commun de l’Union européenne dans son ensemble et celui, plus largement, du continent.

Évoquer aujourd’hui dans cette enceinte le traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, c’est une manière de saluer les efforts faits par ce pays sur le chemin de la démocratie, des droits de l’homme, du respect des minorités, autant de sujets sur lesquels nous avions un agenda européen déterminant les conditions de cette adhésion. Cet agenda a permis la réalisation de nombreux progrès que nous ne pouvons pas ne pas saluer.

J’insisterai ensuite sur la dimension plus juridique de la présente discussion. Vous allez débattre du traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, de l’acte d’adhésion qui définit les conditions dans lesquelles ce processus de rapprochement de la Croatie et de l’Union européenne a été rendu possible. Je fais également référence aux neuf annexes, sans oublier le protocole, l’acte final et les quatre déclarations, autant de textes dont la portée juridique a fait l’objet d’un examen très attentif de la part de l’Assemblée.

Par son adhésion à l’Union européenne, la Croatie décide de faire siennes l’ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de l’Union européenne, contenues dans le traité de l’Union européenne, dans le traité de fonctionnement de l’Union européenne, dans l’acte établissant la communauté EURATOM, règles également contenues dans les textes de droit dérivé qui, dans de multiples domaines, définissent le droit de la concurrence, le fonctionnement des institutions de l’Union, les dispositions multiples régissant le fonctionnement du marché intérieur. L’ensemble de ces normes de droit donne force et cohérence à l’Union européenne. Désormais, ces règles s’appliqueront à la Croatie comme elles s’appliquent déjà aux vingt-sept pays de l’Union européenne.

Bien entendu, pourront être définies, pendant une période transitoire, des adaptations qui, du reste, ont déjà fait l’objet d’un dialogue entre l’Union européenne et la Croatie. Je pense aux conditions, pour les ressortissants croates, d’accès au marché du travail, sans oublier les dispositions de Schengen ou celles relatives à l’union économique et monétaire, qui pourraient faire l’objet d’une deuxième phase d’approfondissement de nos relations : on sait les conditions d’unanimité qui président au franchissement de cette étape parlementaire au sein de l’Union européenne. Il existe enfin quelques dispositions transitoires relatives aux conditions de représentation de la Croatie au sein des institutions de l’Union ou des modalités de financement des politiques dont elle bénéficiera pleinement demain au terme du processus d’adhésion, lequel aboutira le 1er juillet prochain sous réserve de ratification du présent traité par l’ensemble des pays de l’Union.

J’insisterai sur un troisième point : au-delà de ce que signifie cette adhésion en termes de retour de la paix, de relations de voisinage apaisées, au-delà de la dimension juridique de la présente discussion, c’est dans le cadre de négociations que l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne a été rendue possible. Ces négociations ont été rigoureuses et exigeantes, comme c’est le cas pour chaque candidature à l’Union européenne.

Il est d’usage, les débats au Sénat l’ont rappelé, d’opposer l’approfondissement et l’élargissement de l’Union européenne. Les exigences de l’approfondissement, réelles, qui doivent constituer notre agenda, rendraient impossible voire dangereux l’élargissement. Nous avons certes besoin d’approfondir le fonctionnement de l’Union européenne dans le périmètre actuel. J’irai même plus loin : nous avons besoin d’approfondir le fonctionnement de la zone euro, sa gouvernance.

M. Jacques Myard. Vaste problème !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si nous n’améliorons pas la gouvernance de la zone euro à dix-sept, nous ne parviendrons pas à maintenir l’intégrité du marché intérieur à vingt-sept, qui est sinon un espace de croissance, du moins un espace d’opportunité de croissance pour l’Europe confrontée à la crise.

C’est l’un des sujets sur lesquels l’Union européenne s’est penchée et continuera de se pencher dans le cadre de la feuille de route élaborée par Herman Van Rompuy : comment faire en sorte que nous puissions, à dix-sept, améliorer nos dispositifs de gouvernance afin de surmonter les difficultés auxquelles la monnaie unique se trouve confrontée ? Cela implique des réunions plus régulières des États de la zone euro, la mise en place, au sein de l’Eurogroupe, de dispositifs garantissant une plus grande permanence du pilotage de la zone euro, une plus grande efficience des solutions aux crises auxquelles elle est confrontée. Il s’agit par là d’assurer l’irréversibilité de la monnaie unique et l’intégrité de la zone euro comme des objectifs constants de l’agenda européen des dix-sept.

Reste que ce que nous faisons pour améliorer la gouvernance de la zone euro n’est en aucun cas antinomique par rapport à ce que nous pouvons faire en termes d’élargissement ou de fonctionnement du marché intérieur. Ce qui est bon pour la zone euro est bon pour le marché intérieur. Ce dernier, en effet, ne peut pas être un espace de croissance si la zone euro n’est pas bien organisée et pas bien gouvernée. Tout ce que nous faisons pour améliorer la gouvernance de la zone euro n’est pas exclusif de ce que nous pouvons et devons faire pour articuler les dix-sept et les vingt-sept. Par conséquent, ce que nous proposons en élargissant l’Union européenne et en accueillant en son sein des pays qui ont fourni les efforts nécessaires pour améliorer leur gouvernance, leur appareil judiciaire, la respiration démocratique de leurs institutions, ne s’oppose pas à l’approfondissement ; les deux processus doivent s’articuler.

La Croatie, je l’affirme devant le président du Sabor, devant l’ambassadeur de ce pays, a fait de considérables efforts que je vais rappeler. Nous avons vu les relations de voisinage, je l’évoquais tout à l’heure, progresser considérablement. Ainsi, sur la question de la baie de Piran, la décision d’avoir recours à une procédure arbitrale permettant l’apaisement des relations avec la Slovénie a été un élément non négligeable dans l’engagement d’un processus d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne du coup plus dynamique. L’Union européenne est très sensible aux coopérations qui se sont nouées en matière de justice, de sécurité, entre la Croatie et la Serbie. Nous ne pouvons pas ne pas observer avec attention l’accueil très positif réservé par la Croatie à la possible adhésion, demain, de la Serbie à l’Union européenne. Tout cela montre un apaisement profond des relations entre la Croatie et son voisinage, tout cela a rendu possible le processus d’adhésion.

J’insisterai par ailleurs sur les progrès réalisés en matière d’indépendance de la justice, de lutte contre le crime organisé, de lutte contre la corruption. Les conditions très exigeantes dans lesquelles nous avons ouvert le chapitre 23 de la négociation, relatif à la justice et aux droits fondamentaux, ont marqué la qualité du processus d’adhésion, la Croatie respectant chacune des étapes dans le cadre du dialogue entre la Commission, le Conseil et la Croatie elle-même.

Enfin, je veux aussi souligner à quel point la reconnaissance des droits des minorités par la Croatie a été un élément important du processus d’adhésion. Le fait que huit députés soient désormais en charge de la représentation des minorités au sein du Parlement croate et que des dispositions aient été prises au printemps 2011 pour permettre l’accès au marché du travail de ces minorités témoignent de la volonté de la Croatie d’ancrer durablement son avenir dans le progrès, le respect des valeurs démocratiques, et le principe de la séparation des pouvoirs. Sans l’ensemble de ces efforts, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne n’aurait pas été possible. C’est parce que ces efforts ont été fournis et qu’ils ont été vérifiés de manière rigoureuse que ce processus d’adhésion est désormais souhaité par l’Union européenne et par la France avec autant de force qu’il l’a été par la Croatie au cours de ces dernières années.

Je soulignerai pour conclure deux points. Premièrement, ce processus d’adhésion a contribué à renforcer considérablement les relations entre la Croatie et la France. Nous ne pouvons manquer de nous réjouir ensemble de la qualité des relations économiques entre nos deux pays : la France représente aujourd’hui plus de 8 % des investissements réalisés par l’Union européenne en Croatie. Des entreprises françaises – et non les moindres – ont été retenues par la Croatie pour investir dans des secteurs stratégiques. Je pense notamment à l’aéroport de Zagreb et aux autoroutes d’Istrie, pour la construction ou la modernisation desquelles des entreprises françaises importantes ont été mobilisées.

Je ne peux non plus passer sous silence la qualité des relations culturelles entre nos deux pays. Cette année sera extrêmement riche et dense en événements culturels franco-croates. Nous avons ouvert le Festival de la Croatie en France au début de l’automne, en présence du Président de la République de Croatie et du Président de la République française. La culture croate, ses créateurs et ses artistes s’exposent au palais de Tokyo, au centre Georges-Pompidou, à la Comédie-Française, dans de nombreux lieux du spectacle vivant et dans de nombreux musées français. Nous découvrons ainsi une grande partie de ce qu’est l’art croate.

M. Jacques Myard. Ce sont quand même les inventeurs de la cravate !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je veux dire la très grande fierté que tire la France de la qualité de ces relations culturelles, qui se sont développées à la faveur du processus d’adhésion.

Enfin, j’insisterai sur la nécessité de maintenir, au cours des négociations à venir, le niveau d’exigence et de rigueur attaché jusqu’ici au processus d’adhésion. L’élargissement ne peut se faire sans cette rigueur, sans cette exigence, sans cette attention portée au respect de chaque étape de la négociation par les pays qui prétendent intégrer l’Union européenne.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Telle est l’exigence de la France, rappelée au Conseil européen lorsqu’il s’est agi d’examiner les conditions dans lesquelles nous entamerons le dialogue avec le Monténégro, le Kosovo et la Serbie. Cette méthode continuera à nous inspirer dans l’avenir.

Je vous demande donc d’approuver les textes qui vous sont présentés aujourd’hui le plus largement possible, voire unanimement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philip Cordery, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Philip Cordery, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour M. le président de la Diète croate et M. l’ambassadeur de Croatie. Leur présence montre à quel point les liens d’amitié entre nos deux pays sont étroits.

Dix-sept ans après la fin de la sanglante guerre de Croatie, j’ai le plaisir, aujourd’hui, de vous proposer de ratifier le traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. L’attribution, l’an passé, du prix Nobel de la paix à l’Union européenne nous rappelle notre objectif, notre engagement politique de consolider la paix en conservant l’ouverture qui caractérise le projet européen.

C’est en juin 1999 que l’Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d’association, qui est le cadre d’une politique ambitieuse et à long terme vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux. La vocation européenne de ces pays a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française, et a été régulièrement réaffirmée depuis. L’entrée de la Croatie dans l’Union européenne ne peut donc être appréhendée de façon isolée : elle inaugure l’extension de l’Union européenne aux Balkans occidentaux, dont tous les pays ont vocation à la rejoindre.

Le fait que l’élargissement aux Balkans occidentaux aille dans le sens de l’histoire ne rend pas pour autant automatique l’intégration de ces pays. Forte de l’expérience retirée des précédents élargissements et consciente des difficultés qu’elle affronte, l’Union européenne a renforcé la qualité et la rigueur du suivi du processus de négociation.

Au cours des négociations avec la Croatie, d’importants efforts ont été réalisés pour assurer une préparation optimale et prévenir les difficultés rencontrées lors des précédents élargissements. Cela confère à cette adhésion un caractère exemplaire pour les adhésions futures.

D’une part, le processus de négociation pour la Croatie fut plus exigeant que celui appliqué lors des élargissements de 2004 et 2007, du fait de l’augmentation du nombre de chapitres de l’acquis communautaire. D’autre part, l’Union européenne a fait preuve d’une grande fermeté sur certains dossiers, par exemple en matière de sécurité, de transports ou de contrôles vétérinaires, pour lesquels elle a refusé toute dérogation. La Croatie a aussi dû procéder à des investissements importants pour sécuriser les futures frontières extérieures de l’Union européenne.

Le contenu du traité d’adhésion, s’agissant de l’intégration de l’acquis communautaire, est tout à fait satisfaisant. Peu d’exemptions sont prévues, alors que figurent des clauses de sauvegarde et deux périodes transitoires introduites à la demande de l’Union européenne. L’une d’elles, dont M. le ministre a déjà parlé, restreint l’accès au marché du travail des salariés croates. À ce jour, la France n’a pas fait connaître sa position quant à la durée de cette période transitoire. Pourriez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, quant aux intentions du Gouvernement à ce sujet ?

Sur les autres aspects du traité, notamment institutionnels et budgétaires, l’intervention de M. le ministre a été exhaustive : je n’y reviendrai pas.

Enfin, toujours dans le souci de renforcer la qualité du processus d’adhésion, un mécanisme spécifique de suivi renforcé, qui fait le lien entre les négociations et l’adhésion, a été introduit suite à une initiative conjointe franco-allemande. Il porte une attention toute particulière aux questions de justice et de droits fondamentaux, ainsi qu’à la restructuration des chantiers navals, sans pour autant s’y limiter. Il permet à la Commission d’évaluer, chapitre par chapitre, le respect des engagements pris au cours des négociations d’adhésion, et d’en référer au Conseil. Des modalités spécifiques pour l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen ont également été agréées dans le cadre de ce mécanisme de suivi renforcé.

Dans son dernier rapport, remis le 10 octobre 2012 dans le cadre de ce processus de suivi renforcé, la Commission a souligné le fait que l’alignement croate est désormais quasi complet, tout en identifiant les domaines dans lesquels des efforts restent nécessaires d’ici au 1er juillet 2013, et en établissant à cet effet une liste de dix actions. Le rapport de suivi que la Commission remettra au printemps prochain – qui, en théorie, doit être le dernier avant l’adhésion – se concentrera sur ces dix actions. Le 11 décembre dernier, les 27 États membres se sont félicités d’accueillir bientôt la Croatie au sein de l’Union européenne, ont pris note des progrès et ont appelé à poursuivre ces efforts.

La Croatie devrait donc présenter un niveau de préparation très satisfaisant à la date du 1er juillet prochain. Elle pourra dès son adhésion consolider et développer son poids en Europe. Il faut rappeler que l’économie croate est d’ores et déjà étroitement liée à celle de l’Union européenne, qui représente 60 % de ses échanges commerciaux, et que son PIB par habitant a atteint 61 % de la moyenne de l’Union européenne, dépassant ainsi plusieurs nouveaux États membres.

J’insisterai plus particulièrement sur les aspects politiques. La Croatie est un pays profondément européen, qui voit dans l’Union européenne la possibilité de consolider la paix, la liberté et la prospérité sur le continent, et à ce titre souhaite son renforcement. Pour la Croatie, le chemin ne s’arrête pas le jour de l’adhésion : il faut le souligner. Nous accueillons un État convaincu de la nécessité de faire progresser l’Union européenne, qui manifeste un intérêt prononcé pour développer des solutions nouvelles et construire des politiques communes. C’est évident en matière de politique de voisinage, et plus largement de politique étrangère. Ça l’est aussi en termes d’évolution vers une architecture différenciée qui permettra plus d’Europe et mieux d’Europe.

Concernant la politique étrangère européenne, la Croatie s’est déjà fortement investie. Elle a acquis une grande expérience des situations post-conflit et de renforcement des institutions. Il est intéressant de souligner que dans le cadre des négociations relatives aux chapitres « Relations extérieures » et « PESD », la Croatie s’est engagée à reprendre l’intégralité de l’acquis, sans exemption, et à s’aligner sur les stratégies et actions communes de la PESC. Elle est évidemment très investie sur les questions relatives à son voisinage immédiat. La déclaration du Parlement croate d’octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l’Europe du Sud-est a confirmé son engagement à soutenir les autres pays de la région dans leur cheminement vers l’Union européenne. La Croatie a par ailleurs continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre et contribue toujours activement au processus de la déclaration de Sarajevo afin de parvenir à une solution durable pour tous les réfugiés de la région.

Je dirai quelques mots des relations bilatérales que la Croatie entretient avec ses voisins. Elles sont globalement très bonnes. L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne aura d’ailleurs des conséquences importantes sur le plan économique, puisqu’elle quittera l’accord de libre-échange d’Europe centrale. Elle aura aussi des conséquences géopolitiques, du fait de l’accès à la mer de la Bosnie-Herzégovine, qui coupe le territoire croate sur une dizaine de kilomètres.

Il existe également des difficultés récurrentes avec la Slovénie. Un différend bancaire bilatéral né à la suite de l’effondrement de la Fédération yougoslave menace à l’heure actuelle le processus de ratification en Slovénie. L’élection à la présidence de la République de Slovénie de M. Pahor, qui avait permis le déblocage du dossier du différend frontalier sur la baie de Piran, est un signe positif. À ce jour, toutefois, la Slovénie demeure le seul pays à ne pas avoir engagé un processus de ratification du traité d’adhésion de la Croatie. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer si des progrès ont été réalisés à ce sujet, au moins pour que ce différend soit traité indépendamment de l’adhésion ?

Concernant la poursuite de l’approfondissement, la Croatie est disposée à concéder des transferts de souveraineté et voit d’un bon œil les efforts déployés pour renforcer l’Union européenne, y compris par une intégration plus poussée de l’union économique et monétaire. À cet égard, la Croatie a fait part de sa volonté de participer à l’exercice du semestre européen 2013 avant même sa pleine adhésion. Elle prépare déjà son entrée dans la zone euro, espérant être prête d’ici cinq à six ans, et escompte également être rapidement prête à intégrer l’espace Schengen.

Sur de nombreux dossiers, nous partageons une vision commune. Je suis persuadé que nos relations bilatérales se renforceront encore avec l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. Nos relations politiques se sont déjà fortement densifiées, comme l’a démontré la récente visite du Président Ivo Josipovic au Président de la République, François Hollande. Notre partenariat stratégique, signé en juillet 2010, a permis à la France d’aider la Croatie à mieux se préparer à son adhésion prochaine à l’Union européenne, notamment pour les questions relatives au renforcement des institutions. Il permettra de poursuivre notre appui aux capacités administratives croates au-delà de l’adhésion, et de développer encore plus notre coopération économique et culturelle. L’organisation de la saison culturelle croate en France « Croatie, la voici » a d’ailleurs été un beau succès.

Dans le cadre de l’Union européenne, au-delà des grandes réformes institutionnelles qui nous attendent, l’amélioration du marché intérieur et le renforcement du modèle social européen sont des priorités partagées par le président du gouvernement croate, Zoran Milanovic, et notre gouvernement.

À cet égard, l’élargissement ne doit pas se confondre, comme on l’entend, malheureusement, trop souvent, avec une dissolution du projet politique au profit de la généralisation d’une économie libérale porteuse de moins-disant social et de délocalisations.

M. Thierry Mariani. C’est le cas !

M. Philip Cordery, rapporteur. L’ouverture n’est pas un renoncement, bien au contraire. L’élargissement, c’est la poursuite du projet de solidarité entre les peuples européens qui permettra, avec la réorientation initiée par le Président de la République, de consolider l’espace social, d’harmoniser les politiques et les niveaux de vie et, si l’on parvient à sortir de cette période d’ajustements brutaux, de construire une Europe unie et solidaire.

Pour conclure, mes chers collègues, en réussissant à intégrer l’Union après un processus de négociation particulièrement rigoureux, la Croatie prouve aux autres États désireux d’intégrer l’Union que le projet européen demeure inclusif. La Croatie a procédé à la ratification du traité par voie référendaire le 22 janvier 2012. À ce jour, vingt États membres ont procédé à cette ratification. Je vous propose aujourd’hui d’adopter le projet de loi approuvé hier par la commission des affaires étrangères, afin que la France devienne le vingt et unième. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer la délégation du Parlement croate conduite par son président, M. Josip Leko. Je me félicite, monsieur le président, que vous soyez présent avec votre délégation pour assister à notre débat.

Nous devons nous réjouir de l’adhésion prochaine de la Croatie à l’Union européenne. L’élargissement de l’Union européenne aux États issus, comme le vôtre, de l’éclatement de la Fédération yougoslave, va dans le sens de l’histoire, comme M. le ministre vient de le rappeler. Il y a désormais plus de vingt ans que la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance. J’en ai un souvenir personnel, puisque j’exerçais à l’époque les fonctions de ministre déléguée aux questions européennes auprès de François Mitterrand.

Après la Slovénie, la Croatie est le second État des Balkans occidentaux à intégrer l’Union européenne. La Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, tous ont vocation à rejoindre l’Union européenne en temps voulu. Avec le début de ce processus, nous vivons, je le crois, aujourd’hui un moment historique.

Hier, la commission des affaires étrangères a adopté à l’unanimité le projet de loi après son adoption, la veille, par le Sénat. Lorsque l’Assemblée en aura fait autant, je l’espère à l’unanimité, la France deviendra le vingt et unième État à approuver l’entrée de la Croatie le 1er juillet prochain.

Le processus de stabilisation et d’association avec l’Union européenne, lancé en juin 1999, se fondait sur trois éléments. Le premier était l’idée qu’une perspective européenne crédible serait le meilleur levier pour inciter ces pays à réaliser les réformes politiques et économiques nécessaires. Le second était la nécessité que les États des Balkans occidentaux établissent entre eux des relations normales afin de contribuer à la stabilité politique et économique de la région. Le dernier était le désir d’adopter une approche fondée sur des éléments communs – conditions économiques et politiques précisément définies dans l’accord – tout en permettant à chaque pays de progresser à son rythme et selon ses mérites propres dans son processus de rapprochement avec l’Union européenne. J’ajouterai, car c’est essentiel, que les pays des Balkans occidentaux se sont engagés dans une pleine coopération avec le Tribunal pénal international, condition préalable pour le lancement des négociations d’adhésion.

Au cours des négociations, la Croatie s’est engagée à entretenir de bonnes relations avec ses voisins balkaniques et à favoriser, à terme, leur adhésion à l’Union européenne. Cela a été confirmé par la déclaration du Parlement croate d’octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l’Europe du sud-est, comme en témoigne le soutien apporté aux candidatures monténégrine et serbe. Les relations de voisinage sont globalement bonnes même si, nous le savons, des différends subsistent, notamment avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie.

Le processus de réconciliation avec la Serbie se poursuit, concernant, notamment, la question sensible des réfugiés, et les gestes symboliques mémoriels se multiplient. La Croatie a reconnu l’indépendance du Kosovo dès mars 2008 et soutient le dialogue entre Belgrade et Pristina. La Croatie entretient des relations que je qualifierai de prudentes avec son voisin bosniaque. Elle a par ailleurs, continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre aux niveaux bilatéral et régional. Depuis l’alternance démocratique de janvier 2000, suite au décès du président Tudjman, la Croatie a poursuivi une politique de coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et reconnu sa compétence pour les « crimes de guerre commis pendant et après les opérations Éclair et Tempête ». Aucune difficulté n’est à signaler avec l’Albanie, la République de Macédoine et le Monténégro. Il est en revanche vrai, que les contentieux avec la Slovénie ont freiné les négociations d’adhésion et un différend bancaire bilatéral menace encore le processus de ratification du traité d’adhésion par la Slovénie, seul pays à ne pas avoir encore commencé ce processus. Le nouveau président slovène semble disposé à aboutir à un règlement, ce dont il faut se réjouir, mais l’éventuelle tenue d’élections législatives anticipées rend incertaine la possibilité pour le Parlement slovène de ratifier le traité avant le 1er juillet, ce qui serait à nos yeux tout à fait dommageable dès lors que la Croatie sera prête à intégrer l’Union européenne à cette date.

Le rapporteur a, en effet, rappelé il y a un instant que cet élargissement est le fruit de négociations particulièrement rigoureuses et qui ont été suivies par notre commission et par la commission des affaires européennes, représentée ici par sa présidente. Le nombre de chapitres a été augmenté, les critères ont été strictement mis en œuvre et les exemptions dans l’application de l’acquis très limitées. Un processus de suivi post-clôture des négociations a aussi été mis en œuvre dont tout le monde reconnaît aujourd’hui l’utilité. Il était notamment essentiel de tirer les enseignements de la création du mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie.

Comme l’ont souligné les ministres des affaires étrangères de l’Union le 11 décembre dernier, la Croatie répond quasiment à toutes les exigences fixées. Le prochain rapport de la Commission au printemps portera essentiellement sur les progrès réalisés quant aux dix actions identifiées dans son dernier rapport concernant notamment la restructuration des chantiers navals et les questions de justice, de droits fondamentaux et de lutte contre la corruption. Je sais que les autorités croates s’attachent à répondre dans les délais en conduisant les ultimes aménagements requis par la Commission.

Les nouveaux outils mis en place pour garantir une préparation optimale avant l’adhésion attestent cette exigence de qualité qui crédibilise le processus d’élargissement, garantit à la Croatie qu’elle aura toute sa place au sein de l’Union dès son adhésion et offre une perspective crédible aux autres États des Balkans désireux de rejoindre l’Union européenne.

Je veux aussi souligner que ce processus de qualité tient, d’abord et avant tout, aux efforts considérables de la Croatie et des Croates pour atteindre un degré de préparation remarquable. Je trouve à cet égard, que l’on salue trop peu les profondes réformes que les États candidats mettent en œuvre, au plan légal, mais aussi dans l’application effective de la réglementation dans les domaines les plus variés, pour se hisser au niveau des standards de l’Union européenne. Peut-on imaginer ce que cela signifie d’absorber un acquis communautaire toujours plus étoffé et toujours plus exigeant ? Peu de dispositions transitoires sont d’ailleurs prévues dans l’acte d’adhésion. Or ces efforts ont été conduits dans un contexte économique particulièrement difficile.

La volonté et le courage dont font preuve les États candidats à l’adhésion pendant le long processus de négociation afin de réunir les conditions posées pour leur intégration révèlent aussi, comme M. le ministre l’a souligné, qu’en dépit de la crise qui secoue l’Union européenne en général et la zone euro en particulier, le projet européen exerce encore une formidable attraction et qu’il est porteur d’espoir. Il est en effet le creuset d’un continent pacifié et prospère. Un continent pacifié d’abord, la Croatie est le premier État issu de l’ex-Yougoslavie qui ait eu à connaître un conflit armé d’ampleur dans les guerres qui ont déchiré les Balkans et dont l’Europe porte le traumatisme. La vocation de paix du projet politique européen est renouvelée par cet élargissement et prend un sens tout particulier.

Un continent prospère aussi. La crise actuelle est initialement une crise financière et une crise de l’endettement privé, puis public. Elle ne doit pas masquer le fait que l’Union européenne demeure une grande économie – la première au monde – et il nous faut convaincre les citoyens qu’elle peut répondre au défi de la mondialisation. L’élargissement, c’est la consolidation de la place de l’Europe dans l’économie mondiale et de sa prétention à jouer un rôle de premier plan face aux autres grandes économies. Ensemble, en effet, nous serons plus forts.

Naturellement, nous savons très bien que l’élargissement doit aller de pair avec la poursuite de l’approfondissement pour que l’Europe tienne son rang et continue d’incarner une solution d’avenir. Ce nouvel élargissement doit être l’occasion d’insister sur la nécessité d’approfondir d’avantage l’intégration européenne et de parvenir à un processus décisionnel efficient.

J’ai pu mesurer, au cours de mes rencontres avec les autorités croates – le ministre des affaires étrangères, le Président de la République lors de sa venue à Paris en octobre dernier – à quel point elles ne voient pas dans l’adhésion la fin d’un processus, mais le début d’une participation pleine et entière à la conduite de projets communs et à la réflexion sur l’avenir de l’Union aujourd’hui commencée.

Élargissement et approfondissement ne sont pas incompatibles, bien au contraire. L’un et l’autre peuvent se renforcer mutuellement, pourvu que la volonté politique soit là. Nous avons besoin d’une grande Europe, comme nous avons besoin d’une zone euro renforcée et rééquilibrée. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur la nécessité de repenser l’architecture de l’Union européenne. Il convient à mon sens d’aller vers une différenciation accrue. Il faut permettre aux États qui le souhaitent d’aller plus avant dans l’intégration et la conduite de projets communs. C’est d’ailleurs une nécessité s’agissant de la consolidation de l’union économique et monétaire. Celle-ci doit rester ouverte, à mes yeux non obligatoire, à ceux qui veulent et qui peuvent y adhérer. La différenciation accrue nous permettra aussi de maintenir l’Union européenne ouverte aux États désireux de l’intégrer.

Je conclurai, madame la présidente, en disant que l’euro et la création de l’espace Schengen, depuis plus de vingt ans, presque trente ans concernant l’espace Schengen, sont les premières formes de coopération renforcée et sont le fruit d’une telle méthode. Je note avec une grande satisfaction que la Croatie souhaite participer à ces deux ensembles, même si, naturellement, elle ne remplit pas encore les conditions requises. Je souhaite à cet égard que la France soit présente aux côtés de la Croatie pour préparer ces nouvelles échéances, comme elle le fut pendant toute la préparation à l’adhésion. Pour l’heure, il s’agit de donner notre accord à l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité d’adhésion. Nous espérons que les incertitudes relatives à l’achèvement des processus de ratification seront rapidement levées et que nous pourrons accueillir la Croatie le 1er juillet prochain. Je suis convaincue que la Croatie contribuera, avec la France, à forger une Europe plus forte. Je vous invite, mes chers collègues à adopter, je l’espère à l’unanimité, ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le président du Sabor, monsieur l’ambassadeur de Croatie, mes chers collègues, je suis ravie que nous soyons réunis pour, après le Sénat, étudier et, je l’espère, ratifier l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne.

Plusieurs fois dans notre histoire européenne, le terme « Balkans » a été synonyme de guerre, de 1914 au conflit dit de l’ex-Yougoslavie encore bien présent dans nos mémoires. Chaque fois, les populations civiles ont payé le prix fort. Aussi l’arrivée, après la Slovénie, de la Croatie dans l’Union européenne rappelle à tous que l’Europe n’est pas qu’une union d’intérêts économiques mais d’abord un symbole fort, consacré par le prix Nobel, celui de la construction de la paix.

Le chemin parcouru par la Croatie a été long et jalonné de réformes importantes ; l’exposé de M. le ministre ainsi que ceux de M. le rapporteur et de Mme la présidente de la commission des affaires étrangères l’ont bien montré.

La commission des affaires européennes y est attentive depuis le début des négociations d’adhésion, en octobre 2005. Une délégation conjointe de notre commission et du Bundestag s’était d’ailleurs rendue en Croatie pour travailler sur cette adhésion. Nous nous apprêtons à faire de même à Belgrade, où nous nous rendrons avec le Bundestag au mois d’avril. Notre commission a proposé une résolution, adoptée par l’Assemblée en décembre 2011, pour soutenir fermement cette adhésion. Et les Croates sont partants : lors d’une consultation menée en janvier 2012, 67 % des votants ont manifesté leur désir de nous rejoindre.

La ministre des affaires étrangères et européennes de Croatie, que nous avons reçue en septembre dernier, a fait valoir les mesures économiques prises par son pays pour se conformer aux standards européens. Elle a également souligné les efforts de lutte contre la corruption, y compris au plus haut niveau, qui donnent de réels résultats.

Par ailleurs, dans la communication de la Commission transmise au Parlement européen en octobre dernier, nous avons relevé les constatations suivantes.

La Croatie continue de remplir les critères politiques. Les efforts dans le domaine de la justice, visant à renforcer l’indépendance, la responsabilité et l’impartialité, se poursuivent.

En matière de critères économiques, le secteur bancaire conserve une bonne capitalisation et les autorités se sont efforcées d’endiguer la hausse du déficit.

Concernant les obligations découlant de l’adhésion, en particulier dans les secteurs auxquels il convient d’accorder une attention particulière, conformément à l’article 36 du pacte d’adhésion, la Croatie respecte dans l’ensemble ses engagements dans le domaine de la politique de concurrence. Même constat dans le domaine du pouvoir judiciaire et des droits fondamentaux, même si des efforts supplémentaires sont nécessaires pour continuer à renforcer l’État de droit. Surtout, une attention particulière continue d’être portée à la circulation aux frontières, à l’intégration des groupes de migrants les plus vulnérables et à la lutte contre la traite des êtres humains.

La Commission a donc dressé une liste de dix actions spécifiques à mener, que votre rapporteur a bien ciblées. Dans ses conclusions du 11 décembre 2012 sur la stratégie d’élargissement, le Conseil porte une appréciation très positive sur le degré de préparation de la Croatie et lui a demandé de répondre à ces dernières recommandations. Nul doute qu’elle aura à cœur de procéder à ces derniers ajustements.

À compter de son adhésion à l’Union européenne, la Croatie disposera de douze sièges au Parlement européen, elle aura un commissaire, et elle pourra accéder aux fonds structurels, avec des priorités d’affectation pour l’écologie, les transports, l’énergie, le développement régional et rural. Elle sera, nous en sommes convaincus, à nos côtés pour approfondir l’intégration politique de l’Union et aller vers une meilleure reconnaissance des représentants des citoyens européens que sont les parlementaires nationaux.

Au moment d’accueillir un nouveau membre, rappelons que notre destin européen doit s’appuyer sur un vrai projet social et écologique de développement, en associant mieux les citoyens européens aux prises de décision. C’est la seule voie possible pour un développement durable de l’ensemble de l’Union, et la seule manière de couper court aux tentations ultranationalistes qui, un peu partout en Europe, germent sur le terrain de la crise et de l’austérité.

Je conclurai en rappelant qu’une vingtaine d’États européens sur vingt-sept ont déjà procédé, par la voie parlementaire, à la ratification du présent projet de loi. J’espère que nous serons le vingt et unième, à l’unanimité. En octobre dernier, en ma qualité de présidente de la commission des affaires européennes, j’ai écrit à notre ministre pour souligner que la ratification rapide du traité par le Parlement « constituerait un signal très positif donné par la France à la Croatie, manifestant clairement notre intérêt pour ce pays et pour l’avenir européen de la région ». Au nom de la commission des affaires européennes, je réitère un soutien sans faille à la ratification de ce traité d’adhésion. Chers collègues, accueillons chaleureusement ce nouveau maillon dans la grande chaîne européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour autoriser la ratification d’un traité important puisqu’il concerne l’élargissement de l’Union européenne et que c’est la dernière fois que le Parlement français pourra autoriser la ratification d’un tel élargissement à la majorité simple. Les prochains élargissements devront être adoptés soit par référendum, soit, depuis la dernière révision constitutionnelle de 2008, par le Parlement à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Si l’ensemble des pays européens ratifient le présent traité, la Croatie deviendra en juillet prochain le vingt-huitième membre à part entière de l’Union européenne. Cette intégration correspond à une attente forte du peuple croate, qui en a approuvé massivement le principe par un référendum ayant réuni 66 % de votes favorables.

Nous ne voudrions pas, en ce qui nous concerne, décevoir cet espoir. Nous ne négligeons pas non plus l’encouragement que pourrait constituer cette adhésion à engager ou conforter, après la phase de préparation, les réformes nécessaires en matière de justice, de lutte contre la corruption ou le crime organisé, à mettre éventuellement un frein au développement d’un nationalisme agressif, toujours présent dans ce pays. Sous ce rapport, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne représente une chance et un facteur de paix et de stabilité dans cette région des Balkans, où les tensions restent très fortes, où les différends ethniques et territoriaux sont des sujets permanents de friction. Ces différents éléments ont été développés avec précision, notamment par Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Ces constatations militent en faveur de l’adhésion de la Croatie, dans la continuité de celle de son voisin slovène. Nous restons cependant très dubitatifs quant à l’opportunité de prolonger le processus d’élargissement en une période où l’Europe traverse une crise profonde, crise que la mise en œuvre des critères d’éligibilité actuels, dits critères de Copenhague, ne peut que renforcer.

Pour adhérer à l’Union européenne, un nouvel État membre doit remplir, nous le savons, trois critères. De ces trois critères, seul le premier, le critère politique, fait consensus entre nous. Il est naturel en effet de soumettre l’adhésion d’un État à la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection. Les deux autres critères, le critère économique et le critère de l’acquis communautaire, sont autrement plus contestables. Le premier impose la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union. Le second requiert l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

La Croatie est encore soumise aujourd’hui au mécanisme européen spécifique de suivi renforcé de ses engagements, dans le cadre duquel les autorités européennes ont par exemple invité les responsables croates à engager la privatisation totale de leurs chantiers navals. Ce mécanisme fait aussi des bas salaires un avantage comparatif dans la concurrence, ce qui aboutit à ce que le marché européen soit élargi sans que les droits des peuples ne suivent. La Croatie est donc poussée, comme les autres, à privatiser, à précariser à tout va les salariés, à libéraliser et à déréglementer les échanges, quitte à créer un énorme déficit commercial.

Est-ce là l’Europe que nous voulons construire ? Ne sommes-nous pas là à la source de l’incompréhension et de l’inquiétude légitime que suscite la politique d’élargissement chez une grande partie de nos concitoyens ? Voulons-nous une Europe de la coopération et de la solidarité, une Europe des peuples, ou bien entendons-nous en rester à une Europe de la mise en concurrence des territoires et des peuples ? Pouvons-nous continuer d’élargir l’Europe sans tirer les enseignements de la crise qui la traverse ? Pouvons-nous poursuivre l’élargissement sur l’air de Tout va très bien, madame la marquise, alors que la maison européenne brûle et que l’exigence de bâtir une Europe plus soucieuse de l’intérêt des peuples et plus respectueuse aussi de leur souveraineté se fait chaque jour plus pressante ?

Dans le contexte de la crise actuelle, nous sommes de ceux qui préconisent de donner la priorité à la réorientation de la construction de l’Union européenne. Les problèmes soulevés par l’élargissement de l’Union tiennent moins en effet aux limites territoriales qu’au projet de société dont l’Europe est porteuse.

La seule réponse des gouvernements à la crise financière qui a failli emporter l’Europe a été de faire payer la facture aux populations, de durcir le Pacte de stabilité et de croissance et de sanctionner les pays ne respectant pas le dogme aveugle et socialement injuste de la lutte contre les déficits budgétaires. Nous ne nous sommes en aucune façon attaqués aux racines de cette crise, qui n’est pas d’abord une crise de la dette mais une crise de compétitivité qui trouve elle-même son origine dans le système monétaire et l’indépendance de la Banque centrale européenne. Nous partageons sur ce point l’analyse de l’économiste Jacques Sapir : « L’idée d’une alliance France-Allemagne, le Merkozy, était fondée sur l’illusion que la crise de la zone euro était uniquement une crise de la dette. Si tel avait bien été le cas, il est probable que l’on aurait pu trouver un terrain d’entente stable… Mais la crise de l’euro est avant tout une crise issue de l’hétérogénéité des économies, hétérogénéité qui s’accroît naturellement dans un système de monnaie unique et avec une politique monétaire uniforme en l’absence de flux de transferts massifs, et qui débouche sur une crise majeure de compétitivité, qui elle-même engendre une montée des déficits. »

Nous avons donc une crise de compétitivité, au sens où la fuite en avant dans la concurrence fiscale et salariale est devenue l’unique variable d’ajustement. Cette course détruit des emplois. Elle détruit aussi les solidarités sociales et territoriales. La crise a aggravé encore cette logique et la plupart des pays européens se sont lancés dans une course effrénée au moins-disant salarial. En Irlande, par exemple, le coût du travail moyen est passé de 107 % à 92 % du coût français entre 2008 et 2012. L’écart s’est encore davantage creusé avec les pays européens hors zone euro, Pologne, Roumanie, Hongrie, du fait de l’évolution du taux de change des monnaies de ces pays.

La France doit-elle s’engager à son tour dans la course au moins-disant salarial ? Nous ne le pensons pas et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons dit notre hostilité au pacte de compétitivité adopté le mois dernier. Le risque est grand qu’en transférant vers les ménages une partie de l’imposition des entreprises nous n’alimentions une logique récessive.

N’oublions pas en effet que si l’économie de la zone euro ne s’est pas davantage repliée pour l’instant, malgré les drames sociaux que nous constatons tous, c’est surtout parce que la consommation a un peu progressé en France et en Allemagne. Si la consommation devait de nouveau chuter, la situation économique risquerait de s’aggraver en France comme en Europe, sans que les entreprises n’investissent davantage, en raison des maigres perspectives de croissance.

Est-ce que ce sont là des circonstances favorables à l’accueil d’un nouvel entrant au sein de l’Union européenne ?

Certains seront tentés de nous répondre que plus le nombre de pays rejoignant l’Union européenne s’accroîtra, plus notre continent sera en mesure de prendre des mesures efficaces de régulation financière et d’harmonisation sociale et fiscale. Cela a été dit et cela sera dit. Rien cependant n’indique de volonté politique en ce sens. Les nouveaux entrants ne sont nullement appelés à définir des normes sociales et fiscales compatibles avec la construction d’une Europe sociale. Ils doivent au contraire se soumettre à la concurrence effrénée qui a cours dans le marché unique, et qui se traduit chez eux par une privatisation généralisée de l’économie entraînant bas salaires et précarisation de l’ensemble des populations.

Nous mesurons à quelle impasse conduit la voie poursuivie aujourd’hui par l’Union. Pour que l’adhésion d’un nouvel État au projet européen fasse sens, il faudrait que l’Europe soit synonyme de coopération et de solidarité, d’harmonisation des normes fiscales et sociales. Tout le contraire de ce que préconisent à l’heure actuelle les autorités européennes !

Nous sommes donc lucides, sans illusions sur les conséquences néfastes des adhésions proposées en application des critères néolibéraux de Copenhague. Aussi, à défaut d’une réorientation significative de la construction européenne en vue de bâtir une Europe plus sociale et solidaire, les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce vote.

M. Axel Poniatowski. Oh !

M. François Rochebloine. C’est vraiment dommage !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Madame a présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er juillet 2013, l’Union européenne ne sera plus l’Europe des 27, mais deviendra pour un temps l’Europe des 28. Au terme en effet de dix années d’une procédure engagée en 2003 et vingt-deux ans après la proclamation de son indépendance, la Croatie va terminer son processus d’adhésion. La Croatie devrait donc rejoindre notre Union si l’ensemble des pays membres consultés en ce sens le décident au terme de l’étape ultime de ce processus : la ratification du traité d’adhésion selon des dispositions propres à chaque pays et qui sont, pour nous, équivalentes à toutes celles des ratifications antérieures. Nous savons que, par la suite, pour d’autres élargissements, aussi possibles que souhaitables, ces dispositions seront différentes.

Notre assemblée, à l’occasion de cette séance, examine un projet de ratification important, car il engage une nouvelle page de l’avenir de l’Europe – chaque étape constituant un nouveau pas dans la construction de l’espace européen. Nous savons bien que cette étape d’intégration d’un second pays issu de l’ex-Yougoslavie, après celle de la Slovénie en 2004, est une étape essentielle afin que toute cette région européenne des Balkans, si durement éprouvée par des années de conflits subis il y a peu encore, conforte aujourd’hui, grâce à cette nouvelle adhésion, sa stabilité dans la paix et la coopération, en défendant les valeurs européennes de démocratie et de respect de tous.

Toutefois, même si certains enjeux que je viens de rappeler sont primordiaux pour la stabilité de toute l’Europe, le processus qui va aboutir a été extrêmement précis et rigoureux, afin de garantir une adhésion sans faille de ce pays après les difficultés rencontrées à l’issue des précédentes vagues d’adhésion de 2004 et 2007, qui avaient été conduites dans une certaine précipitation, compte tenu des conditions politiques qui prévalaient à l’époque. Les leçons des derniers élargissements ont été tirées.

Nous pouvons donc considérer que le processus d’adhésion de la Croatie a été plus exigeant que ceux qui ont précédé, par la définition de critères nouveaux, qui ont été ajoutés en tirant les leçons des précédents élargissements.

Malgré ces étapes plus exigeantes que la Croatie a su franchir grâce à une évolution rapide de son système politique, économique, social et juridique, destinée à le conformer aux règles européennes, l’adhésion du peuple croate a été sans détour puisque, le 22 janvier 2012, plus de 66 % des Croates approuvaient par référendum les termes du traité d’adhésion. Beaucoup d’entre nous se réjouiraient de parvenir dans notre pays à un tel consensus sur un sujet européen ! Cela démontre, s’il en était besoin, que la construction européenne demeure un processus séduisant, alors que nous, qui sommes déjà partie de l’Europe, faisons parfois la fine bouche. Suite aux négociations, certains mécanismes particuliers ont été introduits afin de garantir la plus totale adéquation entre les exigences de l’adhésion à l’Union européenne et la réalité croate.

À ce jour, avant l’adhésion effective prévue le 1er juillet 2013, la Commission doit encore veiller, à des degrés divers, à l’alignement sur l’acquis communautaire de quelques sujets relativement hétérogènes. Jusqu’à son terme, le processus pourrait en pratique être encore retardé si ces exigences d’alignement n’étaient pas pleinement satisfaites, ce qui permet d’offrir des garanties supplémentaires quant au sérieux de la démarche entreprise conjointement par la Croatie et l’Union européenne.

Permettez-moi à ce stade d’apporter un témoignage personnel sur le processus qui nous rassemble aujourd’hui.

L’Assemblée nationale a en effet suivi de très près l’ensemble des étapes qui conduiront à l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. Notre commission des affaires européennes, sous la précédente législature, a présenté deux rapports sur cette question : le premier l’a été à l’issue de la visite d’une délégation parlementaire qui a eu pour particularité d’être une mission parlementaire franco-allemande.

C’est ainsi qu’à l’initiative de Pierre Lequiller, qui présidait à l’époque la commission des affaires européennes, et de Gunther Krichbaum, président de la commission des affaires européennes du Bundestag, je me suis rendu à Zagreb en janvier 2011, avec Michel Herbillon et Bernard Deflesselles, pour y retrouver quatre parlementaires allemands, afin de conduire ensemble toute une série d’entretiens politiques au plus niveau. Nous avons pu rencontrer, en premier lieu le Président de la République croate, M. Josipović, et la Première ministre, qui était à ce moment-là Mme Kosor, ainsi que de nombreux autres responsables gouvernementaux et parlementaires.

Ces entretiens franco-germano-croates auxquels j’ai participé avaient une valeur symbolique extrêmement forte, eu égard à l’histoire des Balkans dans l’histoire européenne, et ils furent particulièrement appréciés à ce titre par tous les participants, à commencer par les Croates eux-mêmes.

J’espère avoir à nouveau l’occasion de vivre une telle situation de dialogue et d’échange, grâce à laquelle nous mesurons tout particulièrement le sens concret de la construction européenne au regard de l’histoire de notre continent : cela sera bientôt le cas avec la Serbie, comme l’a indiqué Mme Danielle Auroi, notre présidente de la commission des affaires européennes.

À la suite de cette mission, la commission des affaires européennes a poursuivi l’examen attentif du processus d’adhésion en cours, jusqu’à la présentation par Pierre Lequiller, en novembre 2011, d’un rapport d’information qui mettait en avant la volonté de l’Union Européenne d’offrir une perspective d’intégration à l’ensemble des pays des Balkans, dès lors qu’ils remplissaient les conditions requises pour leur adhésion, et qui soulignait la crédibilité de la préparation de la Croatie à celle-ci pour l’échéance de l’été 2013.

Nous sommes donc aujourd’hui au terme de l’examen par l’Assemblée Nationale de ce processus d’adhésion qui a fait l’objet de toute notre attention au fil du temps. Mme Auroi vient de rappeler certains entretiens menés récemment encore au sein de la commission des affaires européennes.

Aussi ne puis-je qu’approuver le texte de ce projet de loi de ratification, en souhaitant qu’il serve d’exemple à tous les autres pays des Balkans qui ont eux aussi vocation à rejoindre l’Union européenne, afin que l’ensemble de notre continent œuvre main dans la main à la construction de notre futur commun.

Même si l’Europe connaît des difficultés, à l’origine desquelles elle n’est pas souvent, surtout ces derniers temps, elle offre les meilleures perspectives d’avenir à tous nos peuples à condition, bien entendu, que nous sachions y mener les politiques de progrès qui fondent des sociétés humaines et politiques durables, en protégeant et en garantissant toutes les sécurités de celles et ceux qui font le choix de la rejoindre.

La Croatie qui a connu, comme d’autres pays et plus que d’autres aussi, tant de bouleversements aspire à poursuivre son chemin de progrès avec nous tous. Sachons l’accueillir avec raison mais aussi avec l’enthousiasme qu’elle mérite. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Axel Poniatowski.

M. Axel Poniatowski. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a à peine plus d’une vingtaine d’années la Croatie proclamait son indépendance de la République fédérative socialiste de Yougoslavie. S’ensuivit une guerre particulièrement meurtrière et dramatique sur le sol européen, nous ramenant aux heures les plus sombres de notre histoire commune. Cette guerre a laissé des traces encore vivaces dans ces territoires et il faut se féliciter des efforts faits par ce pays, ses institutions et son peuple pour parvenir, moins de dix ans après l’ouverture des négociations, à intégrer l’Union.

Aujourd’hui, après nos collègues du Sénat, l’Assemblée est amenée à se prononcer sur la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République croate à l’Union européenne.

À ce jour, une vingtaine de nos partenaires ont d’ores et déjà ratifié ce traité. La Croatie est le dernier pays entrant dans l’Union à bénéficier d’une ratification parlementaire simple, puisque la réforme constitutionnelle voulue par le président Sarkozy prévoit que les prochaines ratifications des adhésions à l’Union seront soumises soit à référendum soit à la majorité qualifiée des trois-cinquièmes du Parlement.

La Croatie deviendra ainsi le 1er juillet 2013 le vingt-huitième pays de l’Union européenne. Je ne reviendrai pas sur les dix ans du processus d’adhésion de la Croatie et les diverses difficultés et péripéties rencontrées, car notre rapporteur a fort bien détaillé cet aspect.

Ce qui importe aujourd’hui, c’est que ce pays soit prêt à entrer dans l’Union. Nos collègues du Sénat l’ont rappelé, le processus d’adhésion auquel la Croatie a été confrontée est bien plus exigeant que les précédents, ce dont il faut se réjouir. Le nombre de chapitres de l’acquis communautaire est passé de trente à trente-cinq, dont un nouveau chapitre 23 « Pouvoirs judiciaires et droits fondamentaux ». Les différents chapitres de l’acquis communautaire ont vu leurs critères d’ouverture et de clôture augmentés et renforcés.

Le respect de cette stricte conditionnalité permet à ce pays d’être à peu près bien préparé, même si l’on peut avoir encore quelques interrogations, s’agissant des chapitres 23, 24 et 8 relatifs aux droits fondamentaux, à la justice et à la politique de concurrence.

Certains des précédents candidats devenus membres connaissent en effet toujours des difficultés, car ils n’étaient pas suffisamment bien préparés – je veux parler de la Roumanie et de la Bulgarie, dont la période d’association aurait dû être prolongée de quelques années.

Je profite de cette occasion, monsieur le ministre, pour vous demander de faire rapidement le point sur les autres candidatures à l’Union en cours dont trois sont issues, elles aussi, de la dislocation de l’ex-Yougoslavie : l’ancienne république yougoslave de Macédoine, la Serbie et le Monténégro, dont, je le rappelle, l’euro est la monnaie depuis 2002, alors qu’il ne fait pas partie de la zone euro.

La vocation européenne des pays des Balkans est très largement reconnue et acceptée. Il convient néanmoins de faire désormais preuve de fermeté quant au respect complet de l’acquis communautaire.

N’oublions pas que la stratégie d’élargissement de l’Union a été renforcée en 2006 avec des critères durcis sur les plans politique et économique, et sur celui des acquis communautaires en matière d’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion.

Par ailleurs, la notion de « capacité d’absorption » de l’Union européenne a aussi été introduite, c’est-à-dire la capacité de l’Union européenne d’assimiler, financièrement notamment, de nouveaux États membres, tout en maintenant l’élan de l’intégration européenne.

Il s’agira donc de faire preuve d’une plus grande responsabilité et de plus d’exigences pour l’adhésion des autres États des Balkans. L’Union européenne a décidé en l’occurrence de s’abstenir de fixer d’éventuelles dates limites tant que les négociations ne seront pas sur le point d’aboutir : cette considération relève du bon sens.

Sur la question de la Turquie, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, où en est l’Union ? Il semblait que la Commission avait décidé de mettre en place un nouvel agenda pour relancer les relations entre la Turquie et l’Union.

Vous le savez, la famille politique à laquelle j’appartiens est dans sa très grande majorité hostile à l’intégration de la Turquie dans l’Union,…

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Pierre Lellouche. Pas totalement !

M. Axel Poniatowski. …ce qui ne nous empêche pas de souhaiter la mise en œuvre d’un vrai partenariat avec notre voisin turc, dont le rôle et le poids au Proche-Orient est de nouveau mis en avant, à l’occasion de la crise qui touche aujourd’hui la Syrie. Mais pour cela l’Europe doit être claire et constante dans sa relation avec la Turquie.

L’adhésion de la Croatie que nous allons ratifier aujourd’hui démontre encore, si besoin était, l’attractivité que l’Union exerce sur nos voisins. À l’heure où l’Union traverse une crise économique, politique et sociale sans précédent, c’est aussi un message d’espérance et d’optimisme qui nous est adressé par la Croatie : en pleine crise de la zone euro, en janvier 2012, les électeurs croates ont approuvé à 66 % l’adhésion de leur pays à l’Union.

Parce que, dès l’année 2000, sous la présidence française de l’Union européenne, le Conseil européen a reconnu « la vocation européenne » des pays des Balkans, nous sommes heureux d’accueillir le 1er juillet prochain la Croatie.

Le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 décembre 2011, au terme de près de six années de procédure, la Croatie signait, à Bruxelles, le traité relatif à son adhésion à l’Union européenne. L’événement est d’importance. Après la Slovénie, État charnière de l’Est européen, la Croatie est la deuxième composante de l’ex-Yougoslavie qui rejoint l’Union européenne. Sa démarche confirme la force d’attraction que conserve l’idée européenne en dépit de toutes les contestations et de toutes les critiques. Au groupe UDI, nous ne pouvons que nous réjouir d’un tel constat.

La démarche de la Croatie revêt bien sûr une signification toute particulière dans cette région des Balkans occidentaux frappée, il y a bien peu de temps encore, par de durs conflits qui ont imprimé leur marque dans les paysages comme dans les mentalités. Il ne fait pas de doute que le parcours européen de la Croatie sera suivi avec attention en Serbie, au Monténégro, en Macédoine, partout où vit l’espoir d’une future intégration européenne.

Nous souhaitons ce que j’appelle « la contagion de l’esprit de sécurité collective et de solidarité », qui, dès les origines de la construction européenne et au-delà de toutes les procédures institutionnelles, a fait de l’espace communautaire un espace de paix. Cette contagion positive est la preuve que le projet européen repose, encore et toujours, sur une communauté de destin et de valeurs. Elle donne à la démarche d’adhésion de la Croatie une forte charge symbolique. Dans vingt des États membres, le parlement a reconnu la validité de cette démarche en autorisant la ratification du traité d’adhésion. Il nous incombe aujourd’hui de décider si la France doit faire de même.

Pour éclairer notre choix, nous pouvons bien entendu nous référer aux enseignements tirés de la procédure d’adhésion. Les négociations conduites au sein des institutions européennes se font, chacun le sait, sur des critères précis et déterminés à l’avance, sur lesquelles est fondée l’Union : existence d’un État de droit, respect des principes fondamentaux de la démocratie, acceptation des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En 2000, le Conseil européen de Zagreb a reconnu la vocation européenne des pays des Balkans occidentaux. Depuis lors, en 2006, l’accueil de la Roumanie et de la Bulgarie a manifesté l’ambition de réconcilier, au sein de l’Union européenne, une Europe artificiellement divisée par le rideau de fer. La forte dimension géopolitique de cette ouverture n’a pas été sans poser quelques problèmes, on s’en souvient, quand il s’est agi de décliner dans la pratique les conséquences d’une décision conçue comme généreuse. On doit remercier la Commission européenne d’avoir tiré les enseignements de ces difficultés en renforçant les exigences préalables de la négociation, en augmentant le nombre de critères d’ouverture et de clôture, et en assurant le suivi de la procédure d’adhésion après l’achèvement des négociations. Ainsi a été évité pour l’avenir le recours au mécanisme de coopération et de vérification appliqué, de manière inévitable mais quelque peu paradoxale, à la Roumanie et à la Bulgarie. L’exigence de cohésion européenne, à la source du renforcement des critères d’adhésion, retentit avec une force renouvelée s’agissant des frontières de l’Union, question avec laquelle elle entretient une sorte de relation dialectique : il ne servirait à rien d’étendre à l’excès l’aire géographique de l’Europe si cette extension devait se faire au prix d’une dilution de l’intégration dans l’Union.

Au regard de ces considérations, comment peut-on apprécier la candidature de la Croatie ?

Que ce soit dans le domaine de la justice et des droits fondamentaux, de la lutte anticorruption ou du respect des droits des minorités, les efforts fournis par la Croatie depuis 2005 plaident en faveur de son adhésion. La France, qui entretient avec ce pays d’étroites et fructueuses relations de coopération bilatérale, a apporté au cours de ces dernières années un soutien résolu à sa candidature.

Nous n’oublions pas que l’adhésion est la conséquence d’un processus progressif, impliquant à la fois lucidité et encouragement. Lucidité, pour évaluer les sources possibles d’insuffisance au regard des standards européens des droits fondamentaux, par exemple dans la lutte contre la corruption au niveau local, dans la poursuite et le jugement des criminels de guerre ou dans les garanties assurant un retour durable des réfugiés. Mais aussi encouragement à une nation et à un gouvernement qui semblent sur la bonne voie pour satisfaire de telles exigences. Aux efforts consentis par la Croatie pour correspondre aux attentes de l’Union européenne, il existe une contrepartie : que l’Union européenne fasse tout ce qui est en son pouvoir pour correspondre aux attentes du peuple croate comme de tous les autres peuples de l’Union.

La question de l’identité européenne, de la substance du projet européen, ne manque pas d’être posée à chaque nouvelle adhésion. L’état actuel de la dynamique de l’Union, sur lequel il est permis de porter un jugement modérément enthousiaste, risque de se traduire par une certaine indifférence à l’accueil de la Croatie. Ce serait dommage pour ce pays comme pour l’Union. La récente prise de position du gouvernement britannique en faveur d’une sorte d’adhésion sélective à la discrétion de chaque État membre n’est pas très stimulante pour l’esprit européen. Nous le regrettons et nous ne saurions pour notre part y souscrire. L’incertitude quant à l’avenir de l’Union européenne, que ce dernier épisode révèle cruellement, est emblématique de l’euroscepticisme ambiant et de la tentation du repli national, lesquels sont par nature exactement opposés à la dynamique de l’élargissement.

Le groupe UDI, porteur d’une tradition européenne et fédéraliste, est favorable à une Europe politique, véritablement intégrée, une Europe dont la solidarité entre les peuples est le ciment commun.

M. Jacques Myard. C’est beau comme du Corneille !

M. François Rochebloine. Dans les nouveaux équilibres internationaux qui se dessinent, le renforcement de la construction européenne est la clé de l’influence politique et de la puissance économique. Si des initiatives vigoureuses ne sont pas prises en ce sens, l’accueil de la Croatie perdra une grande partie de sa portée.

Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le ministre, et rendant hommage à la volonté européenne de la Croatie, le groupe UDI votera bien évidemment le projet de loi autorisant la ratification du traité d’adhésion, en souhaitant bonne chance à ce pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions, monsieur le rapporteur, monsieur le président du Sabor, monsieur l’ambassadeur de Croatie, je ne vous cacherai pas mon enthousiasme pour la décision que nous nous apprêtons à prendre.

Vous le savez : notre famille politique est profondément européenne. Cela ne signifie pas que nous soyons des béni-oui-oui de tout ce qui se fait au nom de l’Europe, mais quand l’Europe progresse, quand l’Europe permet à de nouveaux peuples d’accéder à de nouveaux droits, et plus encore, quand elle contribue à construire la paix, alors oui, sans ambiguïté, nous nous réjouissons et nous approuvons avec détermination. Car le projet européen, c’est avant tout la paix, et, en cette période grave, c’est d’abord le message sur lequel je veux insister.

À quelques jours de la célébration du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, nous sommes bien placés, nous Français, pour savoir combien le projet européen a permis non seulement de cicatriser les plaies douloureuses de conflits dévastateurs avec nos voisins allemands, mais plus encore de construire un avenir commun pacifié, partagé et ambitieux.

Avec l’arrivée de la Croatie comme vingt-huitième pays de l’Union Européenne, nous poursuivons sur la même voie. Nous avons tous rappelé l’atroce guerre qui a déchiré l’ex-Yougoslavie il y a vingt ans, les villes martyres, les massacres, l’épuration ethnique, les tentatives génocidaires ; pendant cette période, nous avions l’impression d’un cauchemar qui recommençait, comme un éternel recommencement de déchirement des États entre eux. Malheureusement, il faut le reconnaître, à ce moment-là, l’Union européenne n’avait pas su empêcher le pire. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui : au contraire, avec l’entrée de la Croatie dans l’Union, par les perspectives ouvertes avec les pays des Balkans, avec ce que notre rapporteur a appelé une sixième vague d’élargissement de l’Union, nous montrons que non seulement les cicatrices de la guerre d’ex-Yougoslavie se referment, mais que la construction d’un projet commun pour la région trouve toute sa logique, toute sa plénitude et toute son ambition positive dans l’intégration européenne. Quand la construction européenne permet cela, oui, elle est digne de son prix Nobel de la paix, elle nous rend fiers de participer à un projet qui nous dépasse.

La deuxième raison pour laquelle nous nous réjouissons du vote de ce jour, c’est qu’avec l’élargissement de l’Europe ce sont des droits nouveaux et des valeurs qui sont renforcées, dans toujours plus de territoires, pour toujours plus de peuples. L’Union européenne est fondée sur les valeurs du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité de tous les citoyens en droits et en devoirs, sur les valeurs du respect de l’État de droit ainsi que du respect des droits de l’homme. Grâce à cet élargissement, aux discussions menées avec la Croatie et surtout grâce à la volonté des Croates, ces valeurs sont aujourd’hui en plein progrès. Qu’il s’agisse du fonctionnement de la justice, de son indépendance, de la lutte contre la corruption, qu’il s’agisse de la place des minorités – et on sait combien cette question est cruciale dans les Balkans –, de la question des réfugiés et déplacés, qu’il s’agisse du fonctionnement démocratique de la Croatie et de ses relations apaisées avec ses voisins, les efforts menés par les Croates ont été soulignés par tous. Je partage la conviction que vous avez exprimée, monsieur le ministre : l’adhésion à l’Union européenne a indéniablement été un moteur de cette évolution. Là encore, c’est une fierté pour nous que le projet européen soit aussi fécond. Quand l’Europe permet ainsi de faire progresser les libertés fondamentales et la démocratie, elle joue son meilleur rôle, celui qui nous fait nous sentir profondément européens. La volonté de la Croatie d’entrer dans l’espace Schengen montre que cette dynamique se poursuit. Ce sera une étape de plus, d’autant plus importante si on prend en compte la question de la lutte contre le trafic d’êtres humains.

Je voudrais saisir cette occasion, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour vous dire que, profondément européens, nous n’opposons pas, nous, élargissement et approfondissement. Nous voulons une Europe qui s’élargisse aux pays qui ont vocation à la rejoindre, mais nous voulons tout autant que le projet européen continue d’être construit, renforcé, d’être rendu désirable par nos concitoyens. En effet, nous le sentons tous avec la crise : les risques de replis nationaux ne sont jamais loin, surtout quand l’Europe apparaît, à tort et parfois à raison, comme l’instrument qui contribuerait à la fragilisation de la protection des personnes. Trop souvent il est vrai, les messages qui sont émis donnent le sentiment que la libre circulation des capitaux et des marchandises passe avant toute autre préoccupation. Non seulement les impacts sociaux et écologiques d’une telle orientation se font lourdement sentir, mais celle-ci ne peut constituer une perspective enthousiasmante pour les peuples.

Nous avons besoin de la construction d’une Europe sociale pour protéger nos concitoyens, élargir leurs droits, faire que le modèle social européen ne soit pas qu’un concept mais une réalité.

Nous avons besoin de la construction d’une Europe écologique, qui prenne toute sa place dans la transition énergétique, la lutte contre le dérèglement climatique et les pollutions.

Nous avons besoin d’une Europe citoyenne, plus démocratique, plus transparente, une Europe fédérale qui dépasse les États-nations.

Nous avons aussi besoin, on le voit tout particulièrement actuellement au Mali,…

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Denis Baupin. …d’une Europe plus présente au niveau international, capable d’intervenir conjointement, lorsque cela est nécessaire, pour défendre les droits des personnes quand ils sont menacés.

Le Président de la République a rappelé hier, lors de ses vœux, que l’année 2014 sera l’occasion d’un grand débat européen. Cela doit être l’occasion de redonner envie d’Europe, de redonner de la perspective, de redonner une ambition collective.

En décidant, à 67 %, lors de leur référendum, d’adhérer à l’Union, les Croates ont envoyé un signal clair, enthousiaste, le signal que le projet européen sait encore faire vibrer les peuples. Notre rôle est de rendre le projet européen suffisamment enthousiasmant pour que, dans tous les pays de l’Union, y compris le nôtre, il en soit de même.

C’est dans cet état d’esprit, convaincu et enthousiaste, mais exigeant et volontaire pour le projet européen, qu’au nom du groupe écologiste, je tiens à dire « bienvenue » à la Croatie au sein de la grande famille européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Imbert.

Mme Françoise Imbert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions, mes chers collègues, cette semaine, l’actualité internationale est grave : la situation au Mali a poussé la France à répondre à l’appel à l’aide lancé par le président de ce pays. Aujourd’hui, c’est un événement marquant dans la vie parlementaire qui nous réunit : la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.

Le 1er juillet 2013, la Croatie deviendra membre de l’Union européenne, qui a renforcé la qualité et la rigueur du processus de négociation permettant l’intégration de nouveaux pays. Il a donc fallu dix ans pour aboutir, apprendre à vivre ensemble, déterminer les objectifs de rapprochement et, début 2012, s’assurer de l’approbation du peuple croate.

Admise au Conseil de l’Europe en 1996, ayant signé un accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne en 2001, la Croatie est membre de l’OTAN depuis 2009. La France et la Croatie ont développé des relations diplomatiques depuis vingt ans maintenant, ainsi que des relations de coopération militaire, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre.

L’Assemblée nationale, quant à elle, entretient depuis longtemps également des relations avec la Croatie. Notre collègue Patrick Bloche, président du groupe d’amitié France-Croatie s’y attache depuis 2002.

L’intensité des relations bilatérales entre la France et la Croatie a participé au succès de l’adhésion de ce pays au sein de l’Union européenne. C’est à la demande de la France que la Croatie a répondu positivement pour intégrer l’Union pour la Méditerranée.

Même si la langue française est peu utilisée dans ce pays, depuis 2004 la Croatie est membre observateur de l’Organisation internationale de la francophonie. Des accords de coopération universitaire existent entre nos deux pays et ils permettent des échanges très fructueux entre étudiants et chercheurs.

Le rapprochement franco-croate se traduit dans le domaine culturel par une forte présence de la culture française en Croatie. Le domaine des arts visuels est notamment très développé. Depuis l’automne 2012, une série d’événements culturels sont organisés en France dans le cadre de « Croatie la voici ».

L’amélioration de la condition féminine est l’une des clauses de conditionnalité rendue nécessaire pour l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. En général, la perspective d’adhésion encourage les réformes politiques et économiques, transforme les sociétés, consolide l’État de droit et offre de nouvelles perspectives aux citoyens et aux entreprises.

Les droits des femmes constituent l’une des priorités majeures de l’action extérieure de la France en matière de respect et de protection des droits de l’homme. Durant la décennie 1990, le statut des femmes en Croatie s’était beaucoup dégradé. Elles ont particulièrement souffert pendant la guerre, puis elles ont été souvent reléguées à la maison ou précarisées durant l’importante crise économique qui a suivi. La situation s’est petit à petit améliorée, mais les femmes ont encore des difficultés à obtenir des postes de responsabilité.

Dans la sphère politique, on déplorait aussi la faible représentation des femmes, mais actuellement le Parlement compte 22 % de députées femmes. Les mentalités commencent à changer et les femmes exercent progressivement des responsabilités auparavant réservées aux hommes. La législation a été améliorée pour permettre à la fois la protection des femmes et la lutte contre les discriminations liées au genre.

Enfin, on observe une forte mobilisation féminine pour mettre en œuvre la société civile croate. Plusieurs associations féministes nationales ou rattachées à des groupes internationaux ont ainsi vu le jour et se chargent de pallier les carences résiduelles en matière de droits des femmes. Elles fournissent un support non négligeable pour l’aide aux femmes victimes de guerre ou battues et lutter contre les discriminations au travail.

En 2012, l’ambassade de France en Croatie a soutenu le magazine Zaposlena en partenariat avec le bureau gouvernemental pour l’égalité des genres dans son initiative de désigner la femme croate de l’année.

Mes chers collègues, la Croatie est prête à faire partie de l’Europe, devenant le vingt-huitième pays de l’Union européenne. En se prononçant favorablement sur l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, la France traduit sa vision ambitieuse d’une Europe, fondée sur la solidarité, le développement économique et les droits de l’homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée ratifie ce matin le traité d’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.

Ainsi que l’a indiqué mon collègue Axel Poniatowski, le groupe UMP votera en faveur de cette vingt-huitième adhésion à l’Union. J’en profite pour souhaiter la bienvenue à la Croatie et à ses représentants.

Cette adhésion constitue une double bonne nouvelle. D’une part, malgré toutes les difficultés que l’on connaît, elle signifie que l’attractivité de l’Union européenne demeure intacte à la périphérie de l’Union mais également dans le Caucase, ce qui est encourageant à un moment où le Royaume-Uni envisage d’en sortir. D’autre part, le traité confirme l’ambition première de l’Union européenne : la construction de la paix. Qui ne se souvient des circonstances extrêmement difficiles de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie en 1991-1992 que M. Baupin vient de rappeler, des tensions, y compris franco-allemandes, qui ont été suscitées à l’époque par la déclaration d’indépendance de la Croatie ?

Au fil des vingt dernières années et des différentes fonctions que j’ai occupées au sein de l’Alliance atlantique, de l’Union européenne ou lorsque j’étais en charge des affaires européennes au gouvernement, j’ai pu vérifier que la perspective atlantique mais surtout la perspective européenne demeurent un puissant levier de démocratisation, de pacification dans les Balkans, notamment en Serbie, au Kosovo, en Macédoine, en Bosnie, au Monténégro ou en Albanie.

Autre nouvelle encourageante : cet élargissement a été mieux préparé que les précédents, comme l’ont rappelé le rapporteur et le ministre. La conditionnalité a été plus rigoureuse que pour la Bulgarie ou la Roumanie, par exemple, ou même pour la Hongrie, dont l’on connaît les difficultés en matière de droits de l’homme notamment.

Reste que cette vingt-huitième adhésion vient en quelque sorte clore un cycle, celui des élargissements post-guerre froide, celui de l’Europe d’hier. Il est temps de profiter de ce débat pour nous projeter en avant, vers l’Europe de demain, et de nous interroger ensemble – formations politiques devant l’opinion publique qui s’éloigne de la machine européenne – sur l’avenir de nos institutions alors que nous sommes vingt-huit et peut-être bientôt trente, et surtout sur la vocation de l’Union européenne dans le monde.

Tel est le sens de la résolution que je déposerai avec d’autres collègues, Axel Poniatowski, Thierry Mariani et d’autres, conformément à l’article 24-1 de la Constitution et de l’article 136 de notre règlement. Nous voulons précisément poser ce type de questions.

Interrogeons-nous d’abord sur le fonctionnement. Saurons-nous fonctionner à vingt-huit comme nous le faisions à six ou à neuf ? Je pense aux modalités des prises de décision, de vote sur l’entrée dans la zone Schengen. À l’époque, j’étais le ministre qui a bloqué l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans Schengen car ces deux pays n’étaient pas prêts à garantir la frontière commune. Or la machine européenne les avait laissés approcher case après case de cette entrée considérée comme quasi automatique, ou même pour faire plaisir. Gardons-nous de faire les mêmes erreurs et de prendre des décisions inconsidérées pour faire plaisir, parce qu’il convient de cocher les cases – je pense par exemple à la présence de certains pays dans l’union monétaire.

Interrogeons-nous aussi sur certaines modalités institutionnelles. Si tous les pays de l’ex-Yougoslavie entrent dans l’Union, ils auront plus de commissaires à eux seuls que les pays fondateurs membres de l’Union. Est-ce normal ? D’ores et déjà Slovénie et Croatie ont deux commissaires alors que la France en a un et l’Allemagne un. Je ne dis pas cela pour être méchant mais parce que cela pose quelques problèmes au niveau des décisions.

Au-delà de ces sujets institutionnels, la vraie question est la vocation de l’Europe. Si c’est la paix, comme je l’ai dit tout à l’heure, laquelle ? La paix d’hier, celle de la guerre froide, a été construite sur la fin de la guerre froide et l’ancrage euro-atlantique des nouvelles démocraties dans l’Union. C’est très bien. Mais actuellement, qui ne voit que la sécurité de l’Europe a vocation à être confrontée au terrorisme et aux conflits à sa périphérie ? Dans ces conditions, on peut se demander si l’Europe fait ce qui est nécessaire.

Ce matin, une semaine après le début de l’intervention française au Mali, comment ne pas être choqué – le mot n’est pas exagéré – par le contraste ? Ce matin, nous élargissons l’Union à un vingt-huitième membre, ce qui est très bien. La semaine prochaine, 500 députés élus et tout le Gouvernement iront en grande pompe à Berlin pour fêter l’amitié franco-allemande, le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée. À côté de cela, nous constatons l’extrême solitude de la France, de nos soldats qui sont les seuls à se battre en ce moment même en Afrique.

M. Axel Poniatowski. Eh oui, c’est un vrai sujet !

M. Pierre Lellouche. Ils se battent non pas pour une sorte de néocolonialisme ou au nom de la Françafrique, mais tout simplement en réponse à l’appel d’un État ami – article 51 de la Charte des Nations unies – attaqué de l’extérieur par des troupes djihadistes non maliennes, au service d’une sécurité qui n’est pas seulement celle du Mali, de la région ou même du Sahel, mais celle de l’Europe tout entière et pas seulement celle de la France. L’attaque en Algérie vise la totalité des Occidentaux, comme nous pouvons le constater.

Voilà donc une Europe qui s’élargit, qui célèbre sa contribution à la paix – un orateur a évoqué le prix Nobel de la paix – et qui, au moment où il faut prendre des décisions – et nous avons soutenu la décision du président Hollande dans l’affaire malienne – laisse la France totalement seule.

Ce n’est malheureusement pas la première fois. Pour avoir été responsable de l’Afghanistan-Pakistan, j’ai vu qui était sur le terrain et qui se battait : la France et l’Angleterre.

M. Jacques Myard. Cela vous étonne ?

M. Pierre Lellouche. En Libye, qui s’est battu au nom des droits de l’homme et des printemps arabes ? La France et l’Angleterre.

M. Jacques Myard. C’est pour cela que les Anglais ne doivent pas sortir de l’Europe !

M. Pierre Lellouche. Qui s’est battu dans l’ex-Yougoslavie ? La France et l’Angleterre. Qui se bat aujourd’hui au Mali ? La France toute seule.

Quelle solidarité ? Tel est le sens de cette résolution et de mon questionnement, monsieur le ministre. On ne peut pas être dans l’Union européenne, avoir une contribution nette qui s’élève à 20 milliards d’euros – c’est le coût de la carte de membre de la France, soit un point de PIB –, assurer la sécurité de l’Europe…

M. Jacques Myard. Rendez-nous notre argent !

M. Pierre Lellouche. ...et, le jour où il y a un problème, considérer que nous sommes les mercenaires qui doivent payer, en argent et par le prix du sang, le prix de la sécurité de nos amis européens.

Cette conception de l’Europe n’est pas la mienne. C’est une sorte d’Europe à la carte où l’on vient se servir, où l’on entre pour prendre ce qui est utile – le marché unique, peut-être la monnaie, voire la circulation des hommes et des personnes à l’intérieur de l’Union – mais quand il s’agit de sécurité commune, il n’y a plus personne.

Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Lellouche. La question de la sécurité commune et de la solidarité est posée. Je profite de ce débat pour la poser solennellement devant l’ensemble des formations politiques. Je ne doute pas que le projet de résolution que nous allons soumettre bénéficiera du soutien non seulement de l’UMP mais, je l’espère, de l’ensemble des formations politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Rochebloine. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Philippe Mallé.

M. Jean-Philippe Mallé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre approbation a pour objet d’autoriser l’adhésion de la République de la Croatie à l’Union européenne, en ratifiant le traité signé entre elles à Bruxelles le 9 décembre 2011. Mardi dernier, le 15 janvier, le Sénat a adopté à l’unanimité le traité d’adhésion à l’Union européenne de la Croatie.

Il vous est donc proposé, mes chers collègues, de faire de la Croatie le vingt-huitième État de l’Union européenne. J’en profite pour saluer la présence de M. le président du Sabor et de M. l’ambassadeur de Croatie.

Je vous recommande chaleureusement d’adopter ce traité car la Croatie fait partie intégrante de l’Europe, de son histoire, de sa richesse culturelle et patrimoniale. Nous poursuivons ainsi le processus historique de fond qui vise, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, à rassembler au sein d’une même entité les pays européens.

Avec l’entrée de la Croatie en son sein, c’est un nouvel élargissement de l’Union européenne que nous opérons. Souvenons-nous. Il y avait, au départ, les six pays signataires du traité de Rome. Un premier élargissement a eu lieu en 1973, avec l’entrée du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni. En 1981, la Grèce nous a rejoints, puis, en 1986, l’Espagne et le Portugal. Un quatrième élargissement a été réalisé en 1995, avec l’intégration de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède. En 2004, Chypre, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et Malte nous rejoignaient également, suivies en 2007 par la Bulgarie et la Roumanie. Rien de plus normal, donc, que d’accueillir aujourd’hui la Croatie. Oui, qui pourrait contester au pays de l’Istrie et de la Dalmatie, de Raguse – Dubrovnik – et de Zagreb de faire pleinement partie de l’Europe, de son histoire et de sa culture ?

Mais, vous le savez, pour obtenir le statut de pays candidat à l’Union européenne, il ne suffit pas d’être reconnu comme étant un pays européen ; il convient, en outre, d’être reconnu comme étant un État démocratique. Cela a été chose faite, les 21 avril et 18 juin 2004, par la Commission et le Conseil européen, qui ont émis un avis favorable à l’accession de la Croatie au statut de pays candidat à l’Union européenne.

Puis, entre le mois d’octobre 2005 et le mois de juin 2011, se sont déroulées des négociations serrées, pointues, exigeantes, entre l’Union européenne et la Croatie, qui ont conduit l’Union à donner son feu vert à une adhésion de la Croatie. Il est certain, au passage, que le niveau d’exigence demandé à la Croatie a été plus élevé que celui qui a prévalu lors des élargissements de 2004 et de 2007. Mais c’était aussi un prérequis pour une intégration plus facile, plus fluide dans un ensemble de vingt-sept États.

Le traité d’adhésion a donc été signé à Bruxelles le 9 décembre 2011 et a été approuvé par les Croates lors du référendum du 22 janvier 2012, avec près de 67 % des suffrages exprimés. Si vous décidez, mes chers collègues, avec les parlementaires des autres pays de l’Union européenne, d’accueillir la Croatie, cela se fera officiellement le 1er juillet 2013, concluant ainsi un processus long de presque treize ans. Cet aboutissement sera aussi un commencement, celui de l’intégration dans l’Union européenne du premier des États des Balkans occidentaux, parachevant ainsi un peu plus l’unité européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe SRC.

M. Patrick Bloche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, monsieur le rapporteur, monsieur le président du Sabor, chers collègues parlementaires croates, monsieur l’ambassadeur de Croatie en France, c’est avec beaucoup d’émotion que j’interviens aujourd’hui sur le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.

En tant que président depuis plus de dix ans du groupe d’amitié France-Croatie au sein de notre assemblée, c’est naturellement avec enthousiasme que je salue l’aboutissement du processus d’adhésion de la Croatie. En effet, durant ces années, j’ai pu constater le chemin parcouru et les efforts réalisés au fil des ans pour arriver à cet objectif.

Car, rappelons-le, le processus de négociation a été particulièrement exigeant pour la Croatie, qui aura au total été soumise à vingt-trois critères d’ouverture et à cent quatre critères de clôture. Lorsque me reviennent ainsi à l’esprit la restructuration des chantiers navals, l’affaire dite « Gotovina » ou, plus récemment, le différend territorial avec la Slovénie, je mesure – comme vous, chers collègues – ce qu’il a fallu de détermination, de courage et de conviction que l’avenir de la Croatie ne pouvait être qu’européen, pour surmonter bien des obstacles et clore enfin tous les chapitres.

De la guerre et de l’indépendance à l’adhésion à l’Union, le 1er juillet prochain, en tant que vingt-huitième pays membre, la Croatie a, depuis une vingtaine d’années, connu de nombreux bouleversements. Dans le même mouvement, la relation franco-croate a évolué de manière si positive que c’est l’honneur de la France d’avoir été le grand pays de l’Union européenne le plus militant pour l’adhésion de la Croatie.

Il est vrai que nos deux pays entretiennent des relations culturelles, linguistiques et artistiques anciennes, qu’illustrent si parfaitement les figures de Boskovic, dont le nom sera prochainement inscrit dans l’espace public parisien, ou de Mestrovic, l’élève de Rodin. Et j’évoque souvent le fait que la Croatie, alors provinces illyriennes, est sans doute le seul pays européen qui ait gardé un bon souvenir des conquêtes napoléoniennes.

M. Jacques Myard. Voilà que Bloche est impérialiste !

M. Patrick Bloche. La Croatie et la France ont également en commun d’avoir été, au siècle dernier, particulièrement éprouvées par deux guerres mondiales, nos deux peuples ayant subi concomitamment deux régimes collaborant avec l’occupant nazi. Et c’est une fierté partagée que des résistances nationales aient contribué si activement à la libération de nos deux pays.

J’ai évidemment présent à l’esprit le fait que le peuple croate, pour avoir à nouveau le droit de disposer de lui-même et de décider de son destin, a connu au xxe siècle une troisième guerre, qui l’a profondément et si cruellement meurtri. Rendons à cet instant hommage et ayons une pensée toute particulière pour celles et ceux qui en ont été les victimes.

C’est donc une aspiration naturelle à une paix durable, d’ailleurs constitutive du projet européen, qui a conduit la Croatie, ayant tout juste recouvré son indépendance, à vouloir confondre son destin national avec celui de l’Union.

Le 1er juillet 2013, la France et la Croatie se trouveront donc à égalité de droits et de devoirs au sein de l’Union européenne. Dans cette perspective, je lance un message à nos amis croates, pour qu’ils contribuent fortement à donner au projet européen cette dimension culturelle, qui se doit d’être plus que jamais renforcée.

Pour l’avenir, avec le soutien de Mme l’ambassadrice de France en Croatie, le groupe d’amitié France-Croatie de notre assemblée va continuer à multiplier les initiatives, en lien étroit avec le groupe d’amitié Croatie-France au Sabor, pour que les relations franco-croates se développent dans les domaines économique et touristique, mais aussi dans les domaines culturel et éducatif. En effet, plus que jamais, notre partenariat s’inscrit, je le crois, dans une triple dimension, européenne, méditerranéenne et francophone, puisque nous avons la chance d’avoir un continent, une mer et une langue en partage.

J’appelle donc de mes vœux un renforcement des échanges éducatifs, en souhaitant notamment que la France accueille de nombreux étudiants croates, mais aussi que la Croatie accueille de nombreux étudiants français.

Je souhaite également que se renforcent nos échanges culturels. Le festival « Croatie, la voici », qui s’est déroulé en France entre septembre et décembre derniers et qui a connu un immense succès, notamment en termes de fréquentation, a déjà merveilleusement témoigné des liens culturels aussi anciens que riches entre nos deux pays.

Pour toutes ces raisons, chers collègues, permettez-moi, en mon nom personnel et au nom des membres du groupe d’amitié France-Croatie de l’Assemblée nationale, de vous appeler à voter cette ratification, qui va dans le sens de l’histoire, celle de la Croatie, celle de la France et, bien entendu, celle de l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani, pour le groupe UMP.

M. Thierry Mariani. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je vous prie d’excuser mon absence lors de cette discussion générale, mais nous procédons actuellement, avec Chantal Guittet, à des auditions, dans le cadre de la mission que nous a confiée la commission des affaires étrangères. Je tenais néanmoins à participer, même brièvement, au débat, pour dire que je voterai cette ratification, mais que je la voterai sans enthousiasme et avec beaucoup d’incertitudes sur l’avenir.

Je la voterai d’abord pour les Croates. En effet, le chemin qu’ils ont parcouru depuis les événements tragiques dont chacun se souvient est remarquable. Le processus d’adhésion auquel ils ont été soumis a été beaucoup plus rigoureux et beaucoup plus sérieux qu’il ne l’avait été pour la Roumanie et la Bulgarie. Ensuite, notre communauté d’histoire, de civilisation et de géographie fait que, de toute évidence, la Croatie appartient à l’Europe.

Je m’interroge cependant sur le projet que s’apprêtent à rejoindre nos amis croates. Nous serons bientôt vingt-huit, mais où en est exactement l’Europe aujourd’hui ? Au contraire de vous, monsieur le rapporteur, je pense que nous nous dirigeons de plus en plus vers une simple zone de libre-échange et que le projet européen des pères fondateurs, de droite comme de gauche, est bien loin : les projets économiques ont aujourd’hui pris le dessus sur les ambitions politiques.

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Thierry Mariani. Sans refaire l’histoire des responsabilités, il faut avoir présent à l’esprit que la France ne dispose déjà plus que d’un seul commissaire, alors que l’ex-Yougoslavie en comptera deux, jusqu’à l’adhésion prochaine de la Serbie, du Monténégro, de la Macédoine, puis du Kosovo et de la Bosnie – il y aura au total huit états de l’ex-Yougoslavie. Même si les institutions doivent être réformées en vertu du traité de Lisbonne, tout cela prend à mes yeux des airs de jury de l’Eurovision !

L’actualité nous rappelle tragiquement l’absence de toute action politique. Mme Ashton a beau nous expliquer que, depuis deux ans, elle s’est saisie de la question malienne et qu’elle a fait voter des résolutions, nous sommes bien seuls, même si nous avons raison d’y aller.

En matière de politique de la défense, l’Europe est totalement absente. De même, dans le domaine économique et monétaire, en matière également d’immigration, le projet à vingt-sept – bientôt à vingt-huit – s’étiole et se fragmente, la communauté étant réduite pour l’essentiel à du libre-échange et, accessoirement, à quelques projets mis en place avec certains de nos partenaires.

À l’heure où un vingt-huitième État s’apprête à nous rejoindre, bientôt suivi d’autres États de l’ex-Yougoslavie, je voudrais, en conclusion, attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la Moldavie, qui est sans doute le seul des États de l’ex-Union soviétique à avoir réussi sa transition démocratique, même si de très nombreux problèmes restent à régler. Je sais que vous recevrez bientôt le ministres affaires étrangères moldave. Cela vaut la peine, sans urgence, de suivre cet État, sans doute le plus proche de nous parmi les anciennes républiques soviétiques, qui a accompli de réels efforts et de réels progrès en matière de gouvernance.

Je voterai donc cette ratification, monsieur le ministre, mais sans enthousiasme, je le répète, et tout en m’interrogeant sur l’avenir de l’Europe. J’adhère évidemment à la résolution qui sera déposée par Pierre Lellouche au nom de l’UMP, car il me semble que le temps est venu, après l’adhésion de la Croatie, de nous demander ce que nous voulons vraiment faire aujourd’hui de l’Europe, quels sont nos projets et les ambitions de la France en matière de souveraineté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais commencer par remercier les orateurs de l’ensemble des groupes, pour la qualité de leurs interventions et la précision de leurs interpellations. Je remercie également chaleureusement Mme la présidente de la commission des affaires étrangères et Mme la présidente de la commission des affaires européennes, ainsi que le rapporteur Philip Cordery, pour l’importance du travail fourni par les commissions afin d’assurer la qualité de nos débats.

Je voudrais, sans tarder, répondre à l’ensemble des questions, en tentant, à défaut d’être exhaustif, d’être le plus précis possible. Les sujets abordés l’ont été de façon assez consensuelle, voire unanime, par l’ensemble des groupes. Certains d’entre eux sont d’une actualité immédiate, et je voudrais justement commencer par ceux-là, c’est-à-dire les questions liées à l’Europe de la défense et à notre intervention au Mali, sur lesquelles plusieurs orateurs m’ont interpellé.

Monsieur le ministre Lellouche, monsieur le président Axel Poniatowski, vous vous souvenez sans doute des débats qui se sont tenus ici voici quelques mois lorsque le Gouvernement auquel vous apparteniez, la majorité dont vous étiez membres, proposaient que la France réintègrât le commandement de l’OTAN, en expliquant à la représentation nationale que cette réintégration rendrait possible ce qui ne l’avait pas été jusqu’à présent, c’est-à-dire la création d’une véritable Europe de la défense. Je constate à travers vos propos, car votre honnêteté intellectuelle ne peut pas vous conduire une minute…

M. Axel Poniatowski. Ce n’était pas cela, notre argument.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Certes, mais c’est ma réponse et je vais la terminer : votre honnêteté intellectuelle ne saurait vous conduire à imputer à ce Gouvernement, qui n’est à la tête du pays que depuis sept mois, l’échec de la construction d’une Europe de la défense. Je pense par conséquent qu’à travers vos propos vous constatez vous-mêmes que la réintégration de la France dans le commandement de l’OTAN n’a pas permis de créer immédiatement cette Europe de la défense.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas ce que nous avons dit.

M. Jacques Myard. Elle n’existe pas, l’Europe de la défense !

M. Axel Poniatowski. Vous ne devez pas culpabiliser.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Venons-en au Mali. J’ai des choses assez précises à vous dire sur le processus qui s’était engagé jusqu’au déclenchement de notre intervention, et sur ce qui s’est passé depuis.

Pour ce qui concerne la période qui a précédé le déclenchement de notre intervention, la France a été à la pointe des initiatives concernant le Mali. Vous l’avez souligné et je vous en remercie, comme je vous remercie d’ailleurs du fort consensus…

M. François Rochebloine. Sauf les Verts.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …qui entoure cette opération au moment où nos troupes sont engagées, avec une perte humaine déjà constatée. La France a agi ainsi parce que nous avons toujours considéré que l’État malien devait pouvoir recouvrer son intégrité territoriale, ce qui se passe au nord du Mali représentant, comme l’a très bien dit Pierre Lellouche, un danger pour le Mali lui-même mais aussi pour la totalité de la zone et pour l’Europe, ce danger étant lié aux activités terroristes que l’on sait et contre lesquelles nous nous battons. Nous avons pris des initiatives pour que le conseil de sécurité des Nations Unies crée les conditions d’une intervention de la communauté internationale au Mali, dans le respect du droit international. Nous avons également arrêté au sein de l’Union européenne des dispositions pour que l’Union puisse s’engager dans la formation de l’armée malienne, de manière à ce que ce soient les Africains eux-mêmes, avec notre concours en coopération, qui parviennent à lutter contre le terrorisme en créant les conditions de l’intégrité territoriale du Mali.

Il s’avère que les événements nous ont obligés à adapter l’agenda. Nous avons pris nos responsabilités et vous avez bien voulu, dans ce cadre, pour un très grand nombre de groupes, nous apporter votre soutien, ce dont, une fois encore, nous vous remercions.

Depuis lors, deux phénomènes se sont produits. Tout d’abord, la France a reçu un fort soutien de la communauté internationale dont on ne peut que se réjouir et qui s’est traduit, dès l’engagement de cette opération, par une déclaration du Président Barroso appuyant l’opération française au nom des institutions de l’Union européenne. Par ailleurs, le conseil de sécurité lui-même a eu à se prononcer et beaucoup de pays de l’Union européenne ont manifesté leur soutien en prenant contact avec le Président de la République. Depuis quelques jours, ces soutiens se traduisent concrètement par des moyens dont je vais vous donner la liste pour vous en montrer l’importance.

Le Royaume-Uni fournit des avions de transport tactique et stratégique. J’étais à Berlin hier avec mon homologue allemand devant le Bundestag et j’ai eu confirmation que l’Allemagne étudie une aide logistique, humanitaire et médicale.

M. Jacques Myard. « Étudie »…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Elle a mis à notre disposition hier deux moyens aériens.

Les Belges nous fournissent deux avions de transport C130, le Danemark a annoncé l’envoi d’un C130. Quant aux États-Unis – je reconnais qu’ils ne sont pas dans l’Europe, mais leur implication montre l’ampleur du soutien international –…

M. François Rochebloine. C’est l’élargissement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …ils nous apportent leur concours dans le domaine des transports, des communications, des renseignements.

M. Pierre Lellouche. En somme on a quatre avions !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les choses sont en train de s’organiser, monsieur Lellouche. Préalablement à l’engagement de l’opération a été lancée une action, en coopération avec nos partenaires européens, pour former les troupes maliennes. L’opération s’est accélérée et nous sommes en train d’en améliorer l’efficience, en dialogue avec eux. Peu à peu, ils mobilisent des moyens.

M. Pierre Lellouche. Quand M. Hollande convoquera-t-il un sommet européen pour le Mali ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Des échéances sont prévues sur ce sujet. Un conseil européen se tiendra dans deux semaines. Il portera sur les sujets déjà inscrits à l’ordre du jour, qui concernent nos relations commerciales avec l’extérieur de l’Union européenne et le budget européen, mais il n’est jamais interdit d’ajouter à l’ordre du jour, compte tenu de l’actualité, un certain nombre de questions.

Je vous rappelle, monsieur Lellouche, que se réunissent en ce moment même les ministres européens des affaires étrangères, pour un sommet extraordinaire à l’ordre du jour duquel est inscrit le Mali.

M. Jacques Myard. Mais enfin, ils traînent les pieds, c’est tout !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Voilà les réponses très concrètes que je voulais apporter à vos questions.

M. Pierre Lellouche. Quatre avions !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais à présent répondre aux questions posées par Axel Poniatowski sur l’élargissement, en particulier à la Serbie, au Monténégro et à l’ARYM, l’ancienne République yougoslave de Macédoine.

Nous avons, pour ces trois pays, souhaité que le cadre de négociations proposé par l’Union européenne soit extrêmement rigoureux, strict, et fasse l’objet d’un processus constant d’évaluation des réformes accomplies par ces pays en vue de leur intégration au sein de l’Union, afin que ne se reproduise pas ce qui s’était passé pour d’autres pays. La France a demandé à l’occasion du conseil Affaires générales de juin dernier que soit durci le cadre des négociations concernant le Monténégro. C’est à cette condition que nous avons pu confirmer l’acceptation, par le précédent gouvernement, de l’ouverture d’une perspective d’élargissement au Monténégro.

Pour ce qui concerne la Serbie, l’ouverture de la perspective dépend de l’apaisement définitif des relations de voisinage, en particulier sur la question du Kosovo, mais aussi de l’engagement résolu, par la Serbie, de réformes qui permettraient de conforter l’État de droit, l’indépendance de la justice, la lutte contre le crime organisé.

S’agissant de l’ARYM, un sujet particulier doit être réglé préalablement à l’engagement des discussions : celui du nom, sur lequel le débat se poursuit.

Enfin, vous avez évoqué, notamment M. Cordery, des sujets qui concernent plus particulièrement la mise en œuvre des conditions d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. S’agissant tout d’abord du marché du travail, un délai de deux ans devrait permettre d’ouvrir le marché aux ressortissants croates dans de bonnes conditions. S’il s’avère que les conditions ne sont pas réunies, il est toujours possible de proroger de trois ans. Toutes les précautions sont donc prises pour que l’ouverture du marché du travail européen aux ressortissants puisse se réaliser dans de bonnes conditions au bénéfice de ces ressortissants et dans un cadre bien maîtrisé. L’intégration doit en effet se faire dans de bonnes conditions pour que le marché intérieur continue à fonctionner correctement.

Ajoutons qu’il s’agit d’un pays de plus de 4 millions d’habitants. Dès lors que l’ouverture est maîtrisée, son impact sur le marché du travail de l’Union européenne n’est pas de nature à provoquer des perturbations considérables, ce qui devrait nous rassurer.

Pour ce qui est de la banque slovène, nous souhaitons bien sûr que cette question ne bloque pas le processus de ratification, ce qui suppose que les discussions entre la Croatie et la Slovénie se poursuivent. L’élection d’un nouveau président en Slovénie, qui s’est toujours montré très favorable au dialogue avec la Croatie, devrait permettre de créer les conditions politiques d’une issue favorable.

Enfin, le Gouvernement français a défini des principes simples pour préserver l’équilibre entre approfondissement et élargissement.

Tout d’abord, nous sommes favorables à l’approfondissement. En total accord avec Mme la présidente de la commission des affaires étrangères, nous souhaitons un approfondissement de la gouvernance de la zone euro. Ce serait bénéfique pour le marché intérieur et c’est une condition pour que l’Union européenne soit capable de surmonter la crise. Mais il n’y a pas d’antinomie entre la volonté d’approfondir et celle d’élargir, si l’élargissement se fait dans un cadre de négociations extrêmement rigoureux, en suivant un processus précis et méthodique d’évaluation des conditions dans lesquelles les pays candidats respectent les différentes étapes de réformes pour lesquelles nous montrons une exigence sans cesse réitérée.

Je vous remercie encore une fois pour la qualité de ce débat et je forme le vœu que nos amis croates, qui ont été très attentifs dans les tribunes, aient pu aujourd’hui ressentir l’attachement de la France à la qualité de la relation qui nous unit et la volonté de contribuer à la réussite de l’élargissement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)

Article unique

Mme la présidente. J’appelle maintenant dans le texte de la commission l’article unique du projet de loi.

M. Jacques Myard est inscrit sur l’article.

M. Jacques Myard. En matière d’Europe de la défense, il faut arrêter de se bercer d’illusions. Il est bien clair que l’Europe de la défense, c’est d’abord notre propre effort de défense et que le reste ne viendra que se coaguler sur les initiatives que nous prenons. Il faut arrêter de rêver car l’Europe de la défense est une idée d’avenir qui va le rester longtemps.

Nous sommes maintenant à vingt-huit États. Dont acte. Je salue bien sûr l’entrée de la Croatie. Il est tout à fait logique d’associer l’ensemble des États de l’Europe dans une coopération étroite. Il faut néanmoins regarder la réalité en face : nous n’échapperons pas à la nécessité de repenser cette construction européenne qui s’épuise aujourd’hui. Le quantitatif pose bien sûr un problème qualitatif. Une remise à plat s’impose. On voit bien que la machine est grippée, ce n’est rien de le dire. Elle est même totalement grippée : les décisions ne tombent pas, les affrontements deviennent de plus en plus durs entre les États, et quand vous nous parlez de la zone euro, reconnaissez que c’est devenu une machine infernale qui attise les différends entre les Européens. L’Europe s’est élargie, il faut maintenant qu’elle s’amaigrisse pour rester svelte, performante, car elle va mourir d’apoplexie du fait de son poids. On ne peut pas continuer à tout concentrer à Bruxelles.

Une étude allemande corroborait, voici quelques mois, ce que je viens de vous dire : 80, voire 85 % de nos lois sont prises à Bruxelles. C’est dire que ce Parlement, et tous les Parlements européens avec lui, deviennent des théâtres d’ombre. Il est temps de réinventer la subsidiarité pour, justement, justifier la coopération européenne.

L’Europe doit s’en tenir à l’essentiel : le marché intérieur, bien sûr, qui est le succès même de l’Europe. Je l’ai répété à plusieurs reprises à Jacques Delors, qui était d’accord avec moi, car il ne croit pas à l’Europe puissance ; il a dit très justement que c’était là une idéologie du quai d’Orsay, qui ne regarde pas les réalités en face.

Marché intérieur avec quelques règles, mais sans vouloir tout harmoniser. Il faut savoir arrêter, à un moment, ce prurit harmonisateur qui justifie les gnomes de Bruxelles. Politique de concurrence, oui, mais avec une politique industrielle qui fait défaut, tant au niveau français qu’européen. Politique commerciale, mais avec la réciprocité. Politique environnementale, mais avec quelques règles. Et bien sûr, des coopérations à la carte.

À défaut, si cette Europe ne se refonde pas, elle implosera et vous serez responsables de la désillusion de tous les peuples européens.

Vote sur l’article unique

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté à l’unanimité, ainsi que l’ensemble du projet.)

Mme la présidente. J’ai le plaisir de vous annoncer que la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne a été votée à l’unanimité de notre assemblée. (Applaudissements sur tous les bancs).

4

Abrogation de la loi visant à lutter
contre l’absentéisme scolaire

Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à abroger la loi 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (n°s 333, 549).

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Madame la présidente, madame la rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les députés, j’ai le plaisir d’être dans cet hémicycle pour examiner avec vous la proposition de loi issue du Sénat, qui vise à ouvrir la voie d’un nouveau dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire, en supprimant le contrat de responsabilité parentale et la sanction de suspension et de suppression des allocations familiales.

L’absentéisme, c’est avant tout le symptôme d’une situation sociale difficile pour des familles, souvent des mères célibataires, d’ailleurs, qui peinent à suivre l’éducation de leurs enfants.

L’absentéisme, c’est également la première étape d’un chemin qui mène ensuite au décrochage scolaire et enfin à l’exclusion sociale.

L’ancienne majorité, à l’initiative de M. Ciotti, avait proposé, pour traiter ce phénomène complexe et multifactoriel, une seule réponse, univoque, injuste, inefficace et tardive…

M. Luc Chatel. C’est faux !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée.…la suspension, puis la suppression des allocations familiales si l’élève demeure absentéiste, selon un dispositif qui se présente aujourd’hui de la manière suivante.

Dès lors que quatre demi-journées d’absence non justifiées sont constatées au niveau de l’établissement, le directeur ou le chef de l’établissement signale l’absence au directeur académique des services de l’éducation nationale, le DASEN.

Celui-ci adresse aux personnes responsables de l’élève un avertissement et leur rappelle leurs obligations légales et les sanctions pénales auxquelles elles s’exposent. Il peut également diligenter une enquête sociale.

Si, malgré tout, l’élève continue d’être absentéiste, le DASEN saisit le président du conseil général, qui propose un contrat de responsabilité parentale aux responsables de l’élève. Ce contrat rappelle les obligations du titulaire de l’autorité parentale et comporte des mesures d’aide sociale.

Si les représentants légaux refusent de signer le contrat, ou si les obligations qui leur incombent ne sont pas respectées, le président du conseil général peut demander la suspension, puis la suppression des allocations familiales.

Voilà le système de lutte contre l’absentéisme sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui.

Il n’a guère fonctionné…

M. Luc Chatel. Ce n’est pas vrai !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. … et a surtout été mis en place pour répondre à des objectifs d’affichage politique.

Ce dispositif est historiquement contesté et, à l’heure où il est défendu avec ardeur sur les bancs de l’opposition, il convient de revenir sur son historique.

L’ordonnance du 6 janvier 1959 avait prévu que les manquements à l’obligation scolaire pouvaient entraîner la suspension ou la suppression du versement des allocations familiales.

En 2003, le rapport Machard sur «les manquements à l’obligation scolaire », commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire et Christian Jacob, ministre délégué à la famille, préconisait la suppression de ce dispositif. M. Machard y voyait une sanction inéquitable, en ce qu’elle était appliquée de manière hétérogène sur le territoire et n’affectait que les familles qui percevaient ces prestations sociales. Il y voyait aussi une sanction injuste en ce qu’elle frappait les familles les plus démunies.

Monsieur Jacob, aujourd’hui président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, avait été convaincu par ce constat puisqu’il avait abrogé le dispositif dans la loi 2004-1 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance.

En 2006, était créé le contrat de responsabilité parentale. Et c’est seulement suite à la déroute de l’UMP aux élections régionales de mars 2010, et dans un contexte de durcissement de cette majorité, qu’a été votée la loi Ciotti – émanant d’ailleurs d’une proposition de loi et non à la demande du Gouvernement – que nous nous apprêtons à abroger.

Ce petit historique a ceci d’intéressant qu’il nous permet de constater que le dispositif avait d’abord été rejeté plusieurs fois par ceux-là même qui ne l’ont réintroduit en 2010 que pour des raisons d’affichage politique, alors qu’il n’a jamais réellement fait ses preuves.

M. Luc Chatel. Ce n’est pas vrai !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est une façon de faire qui ne nous semble pas très responsable. Ou alors, l’opposition actuelle est un peu amnésique…

C’est un dispositif inutile.

Voilà deux ans qu’il est mis en œuvre. Nous avons demandé aux services de la direction générale de l’enseignement scolaire de nous faire parvenir les statistiques d’application de la mesure. Ces statistiques sont exhaustives puisque tous les directeurs académiques des services de l’éducation nationale ont fait remonter leurs informations.

Or elles sont instructives. Sur 12 millions d’élèves concernés et environ 300 000 élèves absentéistes, il y a eu 619 suspensions des allocations sur la totalité de l’année scolaire 2011-2012. Sur ces 619 allocations suspendues, seulement 142 ont été reversées aux familles dans les mois qui ont suivi parce que l’élève était revenu à l’école.

M. Luc Chatel. Combien de signalements ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Cela signifie que, dans tous les autres cas, pour 80 % des 619 élèves dont vous avez suspendu les allocations, votre dispositif a échoué.

M. Éric Ciotti. Vous vouliez plus de sanctions ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Donc, non seulement la sanction est infinitésimale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…

M. Luc Chatel. Combien de signalements ?

Mme la présidente. Mes chers collègues, écoutez la ministre, s’il vous plaît !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Quand on voit le signalement, quand on s’intéresse aux jeunes, quand on discute avec les parents, alors on obtient des résultats.

M. Éric Ciotti. Combien sont retournés à l’école ?

Mme la présidente. Chers collègues, laissez Mme la ministre poursuivre son intervention !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est à ce moment-là que les choses bougent, cela ne vient pas de la suspension des allocations.

M. Luc Chatel. Assumez le succès de notre loi !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. On voit bien qu’il y a un résultat dès lors qu’on écoute les parents et qu’on dialogue avec eux. La suspension des allocations familiales arrive trop tard et elle ne sert à rien, car elle ne ramène pas les enfants à l’école ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans 90 % des cas, ce qui compte, c’est le dialogue avec la famille.

M. Luc Chatel. C’est déjà dans la loi que vous allez abroger !

Mme la présidente. Laissez Mme la ministre terminer son intervention ! Vous interviendrez après, mes chers collègues.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. À partir du moment où vous mettez en place ce dispositif, 80 % des familles…

M. Sylvain Berrios. Où est le rapport ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il n’y a pas de rapport (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) et vous le savez très bien !Il y a une note d’étape qui n’a pas vocation à être publiée, pas plus que vous ne publiiez les notes d’étapes dans votre ministère, monsieur Chatel ! De toute façon, vous êtes mal placé pour en parler, car, de votre temps, les rapports eux-mêmes n’étaient pas publiés !

M. Luc Chatel. Mais moi, je l’assumais !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est donc faire preuve d’un repentir tardif que de nous prêcher la transparence !

M. Sylvain Berrios. Vous avez une note sur laquelle vous vous appuyez et à laquelle nous n’avons pas accès !

Mme la présidente. Laissez Mme la ministre terminer son propos ! Vous interviendrez après.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je sais bien que ce que je dis ne fait pas plaisir à M. Ciotti, mais c’est la réalité. Le dispositif qu’il a mis en place n’a eu aucun impact sur l’absentéisme. Même le CRP, où vous avez été, monsieur Ciotti, extrêmement actif, n’a pas eu de résultats significatifs.

M. Luc Chatel. Que dit l’inspection générale ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il est d’ailleurs singulier que le contrat de responsabilité parentale ait été appliqué massivement dans les Alpes-Maritimes. On se demande pourquoi les autres départements n’ont pas été aussi convaincus par ce dispositif !

Toutefois, s’agissant du contrat de responsabilité parentale, nous sommes plus nuancés. Nous reconnaissons que c’est l’occasion de parler avec les parents. L’idée est de proposer des solutions d’accompagnement social et de parler avec les familles, mais le contrat est conclu dans des conditions inégalitaires puisqu’on dit aux familles que, si cela ne marche pas, le conseil général a la possibilité de les sanctionner.

Le principal problème, c’est que, pour que ce dispositif de sanction se mette en place, on a prévu des étapes. Et, durant tout ce temps, l’enfant ne va pas à l’école. On commence par s’apercevoir qu’il est absent en décembre, on convoque la famille, puis l’affaire remonte jusqu’au DASEN. Enfin, on alerte le président du conseil général. Par conséquent, avant qu’il y ait une réaction, pratiquement quatre mois se sont écoulés. On est déjà au mois de mai et l’année scolaire est fichue !

M. Éric Ciotti. Vous vouliez une sanction immédiate ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Votre problème, c’est que vous analysez l’absentéisme uniquement à l’aune de l’autorité parentale. Autrement dit, si nos enfants se sentent bien à l’école et y restent, c’est uniquement en raison de l’action des parents.

Pour notre part, nous pensons qu’il y a des causes multiples à l’absentéisme et que les premiers concernés et les premiers qui s’investissent pour faire revenir les enfants à l’école, ce sont les équipes enseignantes.

M. Éric Ciotti. Elles sont déjà dans la loi !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Prétendre que les seuls qui peuvent agir sur l’absentéisme des enfants, ce sont les parents, cela signifie que les équipes enseignantes et toutes les personnes qui s’occupent de l’enfant n’ont pas de pouvoir.

M. Éric Ciotti. Vous dites n’importe quoi ! C’est au cœur du dispositif !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Au contraire, nous disons que c’est la communauté éducative qui a le plus de poids pour intervenir et pour faire revenir les enfants à l’école.

Ce dispositif est historiquement contesté, inefficace et injuste.

Tout d’abord l’absentéisme de plus d’un tiers des élèves concerne des familles qui ne bénéficient pas des allocations familiales. Ces familles, qui, je le répète, représentent le tiers des élèves concernés par l’absentéisme, ne sont donc pas visées par le dispositif. Or très souvent le problème se pose à des mères de famille qui vivent seules avec un grand adolescent et qui ne parviennent pas à gérer la situation. Ces cas ne sont pas visés par le dispositif.

De notre point de vue, les familles sont souvent davantage dépassées que démissionnaires. En tant qu’élue, il m’est rarement arrivé de rencontrer des familles qui disaient se moquer royalement du sort de leur fils. En réalité, il y a beaucoup de gens qu’il faut épauler. Ce sera beaucoup plus efficace d’agir ainsi.

L’absentéisme des jeunes est un problème majeur. Nous sommes d’accord sur ce point : il faut prendre des mesures pour essayer de lutter contre. C’est d’autant plus vrai que, souvent, l’absentéisme est le premier pas d’une démarche qui mène au décrochage scolaire. C’est ce qui fait que nous avons, dans notre pays, tant de jeunes qui quittent l’école sans formation, sans qualification, sans possibilité d’insertion sociale. Nous sommes dans le droit-fil des prescriptions de l’Union européenne, qui disent que le décrochage scolaire est un problème majeur dans nos sociétés et qu’il faut prendre cette question à bras-le-corps.

Nous savons aussi que ce phénomène est multifactoriel. Il ne tient pas seulement à tel ou tel acteur. Il faut analyser les raisons du décrochage. C’est pourquoi nous proposons de réunir autour du jeune les acteurs de la communauté éducative : les chefs d’établissements qui représentent l’autorité, les assistantes sociales, le personnel encadrant, les services sociaux, le tissu associatif.

M. Éric Ciotti. Tout ce monde pour chaque élève !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est dans ce milieu que nous devons discuter pour déterminer le problème majeur et apporter une solution par le biais de la personne compétente. C’est en mobilisant un maximum d’acteurs au plus près du terrain auprès du jeune que nous arriverons à régler le problème.

De notre côté, nous proposons de réunir ces personnes autour du jeune avec un regard bienveillant en essayant de voir où les choses ont dérapé et comment on peut l’aider à traverser une mauvaise passe. Vous, au contraire, vous tentez de culpabiliser les familles et de les sanctionner. L’approche est, à l’évidence, très différente.

M. Lionel Tardy. Oui, la vôtre est laxiste !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il faut donc selon nous agir rapidement, dès que le problème est perçu. Madame Bertinotti et moi-même avons commencé à travailler, car nous savons que beaucoup de familles sont en difficulté et doivent être aidées. Il faut prendre le problème à bras-le-corps et encadrer ces familles.

M. Éric Ciotti. Et quand terminerez-vous ce travail ? À la fin du quinquennat ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Si vous aviez eu à vous occuper d’enfants adolescents, monsieur Ciotti, vous sauriez parfaitement qu’on peut être très intelligent et avoir un niveau bac + 12, sans être pour autant moins désemparé face à la crise d’adolescence. Je considère donc que cette façon de donner des leçons et de dire aux parents qu’ils sont nuls est assez présomptueuse. Les uns et les autres, riches ou non, députés ou non, élus ou non, proviseur ou non, lorsque nous avons des enfants qui sont adolescents, nous sommes parfois extrêmement maladroits et ne savons pas toujours comment faire. Dans ces cas-là, on est bien content d’être épaulé par des tiers qui ne vous lancent pas la pierre et ne vous traitent pas d’incapable et d’incompétent au motif que votre enfant a des problèmes !

On trouve dans toutes les couches de la société des gens qui ont connu ces difficultés et qui savent qu’alors on ne roule pas des mécaniques. Venir donner des leçons aux parents, c’est faire preuve de beaucoup de présomption. On ne passe pas d’examen pour être parent, on l’est et on donne son affection à son enfant, en faisant généralement ce qu’on peut, au mieux. On n’est souvent pas très bon, c’est comme ça ! Au nom de quoi un autre parent peut-il venir vous dire qu’il est, lui, un excellent parent, qu’il sait comment il faut faire et que vous, en conséquence, vous êtes nul et à sanctionner ? C’est extrêmement présomptueux !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Absolument !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Nous allons donc travailler dès aujourd’hui sur ce dispositif alternatif. Dès que la loi permettra d’abandonner le dispositif actuel, nous allons faire en sorte qu’on puisse effectivement analyser au plus près les causes de l’absentéisme, favoriser la réactivité des services et veiller à ce que la procédure judiciaire ne puisse s’engager qu’en dernier recours.

M. Lionel Tardy. C’est du biniou ! Le laxisme, c’est maintenant !

M. Éric Ciotti. Analyser, ce n’est pas une solution !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Peut-être, monsieur Ciotti, n’allons-nous pas réussir plus que vous, mais comme vous avez échoué sur toute la ligne, je ne vois pas comment vous pourriez nous donner des leçons ! Nous ferons sans doute mieux que vous et, en tout cas, nous aurons au moins la possibilité de dire aux jeunes et aux familles de ce pays que nous ne sommes pas là pour les enfoncer, mais pour les aider et les épauler, d’autant plus que nous nous sentons concernés. Assurer un avenir à la jeunesse de ce pays, c’est important pour elle, car à cet âge-là, on a le droit d’être épaulé par des adultes pour réussir sa vie. Faire en sorte que tous les jeunes de ce pays réussissent leur vie, c’est la préoccupation de ce gouvernement ! Avec ou sans votre accord, nous ferons en sorte de trouver les moyens et l’énergie pour que les jeunes de ce pays sachent que leur réussite nous importe !

Plusieurs députés du groupe UMP. Quels moyens ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. La différence entre vous et nous, c’est que nous sommes prêts à assurer aux jeunes de ce pays un avenir. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) La jeunesse de ce pays sait qu’elle peut avoir confiance en nous, et que nous avons confiance en elle. C’est toute la différence entre vous et nous, et c’est pourquoi nous réussirons mieux que vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet,rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Mme Sandrine Doucet, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, avant de vous présenter le contenu de la proposition de loi tendant à abroger la loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, je ferai deux remarques introductives.

La première est un rappel historique. En proposant de supprimer le dispositif de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, le texte adopté en première lecture par le Sénat le 25 octobre s’inscrit dans le droit fil d’un choix effectué par la précédente majorité. En effet, la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance a déjà supprimé une sanction administrative du même type. La décision avait été prise sur la base d’une recommandation du délégué interministériel à la famille, Luc Machard, qui avait jugé la sanction imparfaite et injuste, puisqu’elle pénalisait les familles de manière inégalitaire au détriment des plus démunies.

D’autre part, rappelons que la loi Ciotti devait être intégrée au projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2. Devenue une loi particulière, elle en garde l’empreinte par son caractère pénalisant, comme si l’absentéisme était assimilable à une forme de délinquance !

M. Éric Ciotti. Rien à voir ! LOPPSI 2, c’est autre chose !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. C’est dire le décalage de la politique française en matière éducative, à ce moment-là, avec les perspectives européennes. En effet, en janvier 2011, le jour même d’entrée en vigueur de cette loi, la Commission européenne, dans une communication faite au Parlement européen, proposait les différents aspects d’une politique contre l’abandon scolaire. On y trouvait des préconisations centrées sur l’école visant à améliorer le climat scolaire : création d’environnements d’apprentissage favorables, meilleure coopération avec les parents à l’aide de systèmes d’alerte rapide, meilleure orientation, tutorat et – j’y insiste – soutien financier aux familles. Nulle trace de sanction contre celles-ci.

Ma deuxième remarque, c’est que la présente initiative s’inscrit dans un calendrier, puisque nous examinerons dans quelques semaines un grand projet de loi sur la refondation de l’école, qui proposera des outils aux équipes éducatives et pédagogiques pour prévenir deux maux de notre système éducatif, souvent corrélés : l’absentéisme et le décrochage scolaire. Dans ce contexte, maintenir à tout prix la loi Ciotti, stigmatisante et inefficace, n’aurait aucun sens. Actuellement, la suspension des allocations familiales ne se produit qu’une fois constatée, au cours de deux mois différents dans une même année scolaire, l’absence d’un élève au moins quatre demi-journées dans le mois sans motif légitime ni excuse valable. La sanction n’intervient qu’en dernier recours, à l’issue d’un processus qui permet à la famille de faire connaître ses observations.

Ce dispositif, socialement orienté, est très peu opérationnel. Le 16 octobre 2003, M. Christian Jacob, alors ministre délégué à la famille, l’avait déjà signalé au Sénat, où il déclarait que « le droit en vigueur se caractérise par un dispositif administratif de suspension des prestations familiales dont l’application s’est révélée à la fois inefficace et inéquitable ». En effet, les familles avec un seul enfant, qui ne perçoivent pas d’allocations, ou celles affiliées à la mutualité sociale agricole, ne sont pas concernées soit, au total, un tiers des élèves. Ne le sont guère plus les familles aisées, pour lesquelles les prestations familiales ne représentent qu’une ressource minime.

Autant dire que la loi Ciotti cible les familles les plus nombreuses, les plus pauvres, et les familles monoparentales. D’ailleurs, elle ne sanctionne pas seulement les parents, mais l’ensemble de la fratrie, ajoutant l’injustice à l’inégalité entre les familles. C’est pourquoi, en juin 2010, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale s’y est opposé. Par la suite, le 5 novembre 2010, le conseil d’administration de la Caisse nationale d’allocations familiales a émis sur le projet de décret d’application de la loi un avis défavorable, exprimé notamment par les représentants de l’Union nationale des associations familiales.

La ministre a pointé le 19 décembre dernier en commission l’inefficacité du dispositif, confirmée par les chiffres du rapport. En 2010-2011, la suspension des allocations a incité l’élève à retourner à l’école dans 78 cas sur 171 et en 2011-2012 dans 142 cas sur 649. Autrement dit, le taux d’échec de la sanction était l’an dernier de 70 %. En outre, au plan national, le taux d’absentéisme a progressé entre 2009-2010 et 2010-2011, première année de mise en œuvre de la loi Ciotti.

En réalité, celle-ci était d’emblée vouée à l’échec, car elle n’explique l’absentéisme que par une défaillance de l’autorité parentale, alors que tous les parents souhaitent la réussite de leur enfant et que l’absentéisme résulte de causes multiples. La première est l’ennui ou la souffrance d’élèves qui ne disposent pas des bases nécessaires pour maîtriser les matières générales et à qui l’on fait comprendre, au collège comme au lycée, qu’ils n’ont pas leur place dans les bonnes filières. Les autres causes sont l’orientation ; la violence et le harcèlement qui selon le délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, Éric Debarbieux, expliquent le comportement de 20 à 25 % des élèves absentéistes ; enfin l’environnement social et familial. Sur ces facteurs, la loi du 28 septembre 2010 n’a qu’une faible prise.

En outre, son application se heurte à des difficultés pratiques. Le dispositif n’est pas adapté aux lycées professionnels, où le taux d’absentéisme a atteint 14,8 % en 2010-2011 contre 2,6 % dans les collèges et 6,9 % dans les lycées généraux. Dans un lycée professionnel sur dix, il a dépassé 40 % en janvier 2011. Selon les témoignages recueillis par la mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance, il faudrait, pour appliquer les textes à la lettre, que les proviseurs ou leurs équipes signalent parfois aux autorités académiques l’absence de la quasi-totalité des élèves, ce qui est matériellement impossible.

La proposition de loi prévoit également de supprimer le CRP, créé par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances. La loi du 28 septembre 2010 avait modifié le dispositif qui encadre le contrat en supprimant la possibilité pour les présidents de conseils généraux de demander la suspension des allocations en cas d’absentéisme scolaire. La loi Ciotti a rendu le CRP caduc en privant les conseils généraux de toute initiative réelle en matière d’absentéisme.

M. Éric Ciotti. N’importe quoi !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Selon le ministère des affaires sociales, seuls 38 CRP ont été signés entre 2006 et 2010, 194 en 2010 et 174 en 2011. Mais l’écrasante majorité – 184 en 2010 et 165 en 2011 – l’a été dans les Alpes-Maritimes. D’où vient ce particularisme local ? (Rires sur les bancs du groupe SRC.) En novembre 2011, la mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance, qui a examiné la situation dans ce département, a mis en avant dans son rapport « la difficulté d’évaluer l’impact réel » des CRP, puisqu’il n’a pas été possible de formuler la moindre appréciation positive ou négative sur un grand nombre d’entre eux.

La proposition de loi, qui supprime deux dispositifs, préserve à juste titre la procédure d’avertissement et de rappel à la loi des parents d’élèves absentéistes. Le directeur administratif des services de l’éducation nationale, saisi par le chef d’établissement qui aura constaté l’absentéisme d’un élève, pourra toujours adresser un avertissement aux parents après les avoir mis en mesure de présenter leurs observations.

M. Éric Ciotti. Voilà qui va leur faire peur !

Mme Sandrine Doucet rapporteure. La proposition de loi laisse également intactes les dispositions du code pénal sanctionnant les manquements à l’obligation scolaire.

M. Guillaume Larrivé. Encore heureux !

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. En revanche, elle prévoit une nouvelle procédure d’accompagnement des parents, centrée sur l’établissement et contractualisée. Celle-ci permettra de guider les personnes responsables de l’élève, avec l’aide des membres concernés de la communauté éducative, qui comprend les enseignants, les parents d’élèves, les collectivités territoriales et tous les acteurs institutionnels associés au service public de l’éducation. Il s’agit de désigner un personnel d’éducation référent pour suivre les mesures mises en œuvre. La reprise d’une scolarité ordinaire ne doit pas se faire sous la menace mais au cœur d’un dispositif consolidé.

Je vous invite à adopter sans modification la proposition de loi, afin de tourner le plus rapidement possible la page des réponses univoques apportées par la loi Ciotti aux questions complexes que pose l’absentéisme scolaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, on nous reproche souvent, à nous législateurs, de multiplier lois et normes sans veiller à leur bonne application ni nous interroger sur leur nécessité. Aujourd’hui, et c’est suffisamment rare pour être souligné, nous sommes justement réunis pour revenir sur une loi inutile et inefficace !

M. Luc Chatel. Sans évaluation !

M. Patrick Bloche, président de la commission. C’est ce que les citoyens nous demandent de faire, et l’exercice auquel nous nous livrons fait honneur à notre majorité.

M. Éric Ciotti. Quels citoyens ? Les derniers militants socialistes ?

M. Patrick Bloche, président de la commission. À cet égard, je veux rendre hommage à notre collègue sénatrice, Françoise Cartron, pour avoir présenté le texte que nous examinons aujourd’hui, ainsi qu’à vous, madame la ministre, qui avez fait inscrire son examen par le Gouvernement à l’ordre du jour de notre assemblée.

Une loi inutile et inefficace, c’est ce qu’a montré avec beaucoup de talent et de persuasion la rapporteure de notre commission, Sandrine Doucet, que je remercie pour son investissement sur ce texte. J’ajouterai que la loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, dite loi Ciotti, souffrait également d’un défaut d’origine. En effet, conçue et présentée dans une optique purement sécuritaire et punitive, comme cela a été rappelé en faisant référence à la funeste loi LOPPSI 2 – qu’il faudra également réviser le moment venu –, cette loi amalgamait absentéisme et violence, elle confondait responsabilisation et stigmatisation des parents. Or, dans la vraie vie – car c’est bien de cela qu’il s’agit : la vraie vie ! –, quand l’école et les tensions dont elle peut être le lieu ne sont pas instrumentalisées, que constate-t-on ? Tout simplement que l’absentéisme est un phénomène bien connu, documenté et pris en charge par les institutions. Nul besoin de découvrir, comme certains ont fait mine de le faire il y a quelques années, la gravité d’un problème qui aurait été nié pour des raisons prétendument « idéologiques » – le mot terrible est lâché…

M. Éric Ciotti. C’est ce qui s’est passé !

M. Patrick Bloche, président de la commission. Oui, l’absentéisme scolaire existe, et toutes les études montrent d’ailleurs qu’il constitue un premier signe de décrochage. Là est véritablement le danger pour la collectivité, car c’est une perte de richesse collective et de progrès que de laisser des élèves au bord du chemin. C’est bien dans cet esprit que, pour notre part, nous abordons la question de l’absentéisme : d’abord et surtout en fonction de l’intérêt de l’enfant, dont le respect est inscrit dans une convention internationale dont la France a la fierté d’être signataire depuis plus de vingt ans.

À cet égard, la loi dite Ciotti prenait en quelque sorte la question à l’envers. En agitant la menace de la sanction financière, vue comme la punition des parents considérés irresponsables, elle laissait délibérément de côté l’aspect scolaire du comportement absentéiste. Il nous faut, bien au contraire, traiter d’abord de cet aspect scolaire, tout en en reconnaissant les composantes multiples. C’est ce à quoi s’attache désormais le ministre de l’éducation nationale et, bien entendu, la ministre de la réussite éducative que je salue à nouveau. Nous soutenons, bien évidemment, cette démarche.

M. Éric Ciotti. Et concrètement, comment faites-vous ?

M. Patrick Bloche, président de la commission. Sur un plan général, il s’agit de favoriser une atmosphère scolaire sereine, propice aux apprentissages, mais aussi au bien-être et à l’épanouissement des élèves, grâce à de bonnes conditions de travail. Sur le plan de la prévention de l’absentéisme, en particulier, l’effort est porté sur le renforcement des équipes pédagogiques et du suivi des élèves. Tout cela, mes chers collègues, a été et est rendu possible par la priorité donnée à l’éducation par le Président de la République et le Gouvernement, une priorité que nous avons concrétisée ici même par nos votes, notamment au moment de l’examen du budget, pour dégager les moyens financiers et en personnel que réclame cet effort.

M. Yves Durand. Absolument !

M. Patrick Bloche, président de la commission. Dans le même temps, nous regardons comme essentielle la relation avec les parents. Certes, j’énonce une évidence, mais c’est bien entendu avec les parents que doivent être identifiées les difficultés d’ordre personnel ou scolaire qui se traduisent par l’absentéisme à l’école ; c’est avec eux que les outils et les actions pour y remédier doivent être définis, mais, je le répète, pas sur le mode de la sanction aveugle, et sans les présupposés qui étaient ceux de la précédente majorité.

Pour ce qui nous concerne, nous nous inscrivons dans une vraie démarche de responsabilisation et de confiance – oui, de confiance ! –, une démarche dont le cœur relève de l’institution scolaire et non pas d’un acteur extérieur, comme pouvait l’être le président du conseil général dans la formule du contrat de responsabilité parentale que notre proposition de loi vise à supprimer. Je n’ai d’ailleurs par besoin d’insister sur ce contrat, dont la mise en œuvre avait tout de la poudre aux yeux. Les statistiques de son application, notamment la géographie des contrats conclus, qui viennent d’être rappelées, en sont le meilleur témoignage.

Le texte que nous proposons emprunte donc la seule voie envisageable, celle de la concertation avec les parents dans le cadre de la communauté éducative. Ainsi, en cas d’absentéisme constaté et réitéré, le chef d’établissement devra réunir les membres concernés de la communauté éducative, afin de proposer aux personnes responsables de l’élève une aide et un accompagnement adapté. Pour suivre les mesures à mettre en œuvre, un personnel référent sera désigné.

Voilà des mesures pragmatiques, les seules à même de nous permettre d’aborder la question de l’absentéisme dans l’ensemble de ses dimensions. Nous en verrons l’efficacité dans un cadre bien plus vaste, celui de la refondation de notre école, dont l’un des objectifs sera, bien évidemment, de réduire le décrochage et d’accompagner tous les élèves sans exception. À cet égard, je rappelle la recommandation issue de la concertation sur la refondation de l’école, qui réaffirme l’obligation de ne laisser aucun jeune sans solution. C’est à l’occasion de l’examen du projet de loi du Gouvernement, qui devrait être déposé sur le bureau de notre assemblée dès la semaine prochaine, que nous donnerons une traduction concrète à cette obligation, à la fois dans les orientations annexées au texte, dans le dispositif juridique et dans la programmation des moyens financiers et en personnel.

Notre débat d’aujourd’hui aura donc un prolongement dans les prochaines semaines – je le souligne parce que j’ai entendu, lors de nos travaux en commission, des critiques portant sur le fait que nous abrogerions sans réformer.

M. Éric Ciotti. C’est vrai !

M. Lionel Tardy. Et le reste du temps, vous êtes retoqués !

M. Patrick Bloche, président de la commission. Je forme le vœu que cela se déroule dans un esprit plus constructif que les controverses qui nous animent aujourd’hui sur l’efficacité supposée de la loi dite Ciotti. Je ne voudrais pas, d’ailleurs, achever mon propos sans vous faire part de mon étonnement quant à certains arguments qui ont été avancés en commission par nos collègues de l’opposition, qui montrent une interprétation pour le moins originale des chiffres disponibles.

Soyons sérieux : ce n’est pas parce que, sur 80 000 signalements annuels pour absentéisme, il n’y a eu que quelques centaines de suspensions durables des allocations familiales qu’on peut conclure que la loi Ciotti, ou la menace de son application, a permis à plus de 79 000 élèves de retrouver le chemin de l’école.

M. Luc Chatel. Ce sont pourtant les chiffres !

M. Éric Ciotti. C’est ça, la réalité !

M. Luc Chatel. Dès que vous citez des chiffres, vous êtes en difficulté ! On comprend que Mme la ministre ait refusé de le faire !

M. Patrick Bloche, président de la commission. Comment peut-on le croire ? Vous-même n’y croyez pas ! Et si vous vous en êtes persuadés, le mal est encore pire que nous ne l’imaginions. Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, cela signifie qu’en l’absence de la loi Ciotti, ces mêmes 80 000 élèves n’auraient jamais retrouvé le chemin de l’école.

M. Luc Chatel. C’est le cas !

M. Patrick Bloche, président de la commission. Je vous laisse juges, mes chers collègues, de l’absurdité d’une telle hypothèse.

Revenons donc aux éléments très concrets qui ont été rappelés, à la fois par Mme la ministre et par Mme la rapporteure, qui montrent bien le peu d’effectivité de la loi Ciotti. Cela suffit largement, aujourd’hui, à clore le débat. En conséquence, j’appelle notre assemblée à adopter le texte du Sénat sans modification : faisons simple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe GDR.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Luc Chatel.

M. Luc Chatel. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, par pur dogmatisme, l’actuelle majorité s’apprête à abroger une loi qui est aujourd’hui considérée, et je le démontrerai dans mon intervention, comme efficace dans la lutte contre un fléau que nous avons tous à cœur de combattre, l’absentéisme scolaire. Cette loi est efficace, mais aussi et surtout équilibrée : depuis le début, elle cherche à allier prévention, dissuasion et répression.

Si nous sommes opposés à votre choix d’abroger par pure idéologie la loi Ciotti, nous reconnaissons que cela fait partie du débat parlementaire. Au demeurant, votre opposition à cette loi n’est pas une surprise, puisque vous vous étiez farouchement opposés à son approbation par la précédente majorité et nous avions eu ici, avec Éric Ciotti, de longs débats lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue. Ce qui me choque, c’est que vous utilisiez, pour abroger cette loi, des arguments d’une désarmante mauvaise foi.

M. Lionel Tardy. Tout à fait !

M. Luc Chatel. Je vous ai trouvée un peu mal à l’aise face aux résultats qu’engrange aujourd’hui ce dispositif, madame la ministre, mais ne voyez pas dans mes propos une attaque personnelle : envoyée au feu par votre ministre de tutelle, vous n’avez sans doute fait que votre devoir.

M. Lionel Tardy. Tout est dit !

M. Luc Chatel. Mon propre devoir consiste à rétablir certaines vérités. Pour cela, je veux revenir sur l’essence, sur la genèse de cette proposition de loi, dont son auteur, Éric Ciotti, parlera sans doute bien mieux que moi dans quelques instants. En fait, ce texte trouve son origine dans la conjugaison de deux phénomènes. Le premier, c’est le constat chiffré figurant très clairement dans le rapport, le véritable fléau que représentent les 300 000 élèves qui, par leur absentéisme, se placent hors de la logique d’assiduité. Ces 300 000 élèves représentent 7 % des élèves en moyenne, mais on sait que le taux d’élèves concernés peut dépasser les 15 % dans les lycées professionnels, et même atteindre des niveaux bien supérieurs dans certains établissements. C’est un fléau parce que, non content d’aboutir à l’échec scolaire, l’absentéisme mène au décrochage. Or, nous savons tous que l’un des fléaux du système éducatif français réside dans le fait de laisser au bord du chemin près de 150 000 jeunes chaque année. Si l’absentéisme ne mène pas systématiquement au décrochage, il s’agit bien d’un mal contre lequel il faut lutter systématiquement.

Mme Sylvie Pichot. C’est pour cela que vous avez supprimé tant de postes !

M. Luc Chatel. Le deuxième phénomène à l’origine de la proposition de loi Ciotti remonte à 2010. À la suite à de graves incidents survenus en milieu scolaire, le Gouvernement a organisé des états généraux de la sécurité à l’école, ayant pour but de mieux cerner et comprendre la violence et le décrochage scolaires, d’identifier les leviers de prévention les plus efficaces et de définir les modes d’action les plus appropriés pour assurer un environnement de sécurité au sein des établissements scolaires. En effet, pour permettre aux élèves de travailler dans des conditions correctes, il faut d’abord assurer la paix.

Tirant les enseignements de ces états généraux, le Gouvernement, avec le soutien de l’ancienne majorité, a engagé une politique dans quatre directions parallèles. La première – sur laquelle j’insiste, car vous semblez l’oublier, mesdames et messieurs les membres de l’actuelle majorité – était la responsabilisation des parents d’élèves ; je rappellerai dans un instant l’ensemble des dispositifs à l’œuvre dans ce domaine. La deuxième était la sécurisation des établissements scolaires, un axe majeur. La troisième était une politique de ressources humaines conçue pour mettre en place des équipes éducatives stables, soudées et sans doute mieux formées, adaptées à la réalité que l’on rencontre dans chaque établissement scolaire ; nous avons ainsi mis en place l’expérimentation du dispositif CLAIR, devenu ECLAIR, qui, en dotant certains établissements d’une autonomie renforcée, leur permettait de mieux s’adapter, de mieux prendre en compte la réalité locale. Enfin, la quatrième direction correspondait à la création d’« établissements de réinsertion scolaire » pour les élèves perturbateurs.

Et c’est alors que nous avons réfléchi avec Éric Ciotti pour tenter de déterminer comment une disposition spécifique sur l’absentéisme scolaire pourrait trouver sa place parmi ces quatre axes issus des états généraux sur la sécurité à l’école. Nous sommes convenus du dépôt d’une proposition de loi, défendue par Éric Ciotti, basée sur un principe majeur que je tiens à rappeler car, comme je l’ai déjà dit, votre mauvaise foi vous a conduits à ignorer cet aspect de la loi : je veux parler de l’aspect gradué du dispositif. Cette notion de progressivité dans la riposte, contribuant à l’équilibre du texte entre prévention, suspension et pédagogie, est essentielle.

Je veux rappeler le principe de la loi en vigueur, basé sur des étapes successives qui constituent la mise en œuvre pratique du principe de progressivité. Premièrement, lorsque le chef d’établissement constate l’absentéisme de l’élève, selon le critère de quatre demi-journées d’absence non justifiées sur un mois, il le signale au directeur départemental des services académiques.

Deuxièmement, l’inspecteur d’académie – le directeur départemental – adresse un avertissement à la famille, par lequel il informe celle-ci des outils d’accompagnement parental existants. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un courrier exposant la sanction de suppression des allocations familiales. Le directeur saisit parallèlement le président du conseil général pour l’éventuelle mise en place d’un contrat de responsabilité parentale.

Troisièmement, si, au cours de la même année scolaire, le chef d’établissement constate la persistance de l’absentéisme selon les mêmes critères, l’inspecteur d’académie saisit le directeur de la Caisse des allocations familiales, qui a l’obligation de suspendre le versement de la part des prestations familiales afférentes à l’enfant.

Ce qui est très important, c’est que la reprise du versement des allocations familiales intervient si l’inspecteur constate que l’enfant est à nouveau assidu pendant au moins un mois de scolarisation et que ce rétablissement est rétroactif sauf, naturellement, s’il y a eu des absences injustifiées depuis l’absence ayant donné lieu à la suspension.

On voit donc bien qu’il y a différentes étapes dans cette procédure et que, dans chacune d’elles, les outils d’accompagnement des parents sont présentés et proposés aux familles. Le président du conseil général est saisi dès la phase d’avertissement et peut prendre contact avec la famille pour lui proposer la mise en place d’un contrat de responsabilité parentale.

Cette démarche de dialogue existe également en amont : la loi énonce que le projet de l’école et le règlement intérieur doivent être présentés aux parents d’un nouvel élève, afin de nouer une relation de confiance entre les parents et l’école. Cela vise à faire en sorte que la communauté éducative ne soit pas un vain mot et qu’il y ait véritablement une logique de projet d’établissement scolaire, une vraie dynamique.

Alors oui, je n’ai pas peur de le dire ce matin, le présent texte est inepte. Pourquoi ? Cette proposition intervient seulement un an et demi après la mise en œuvre de la loi sur la lutte contre l’absentéisme scolaire. Ses auteurs lui reprochent son caractère injuste et stigmatisant pour les familles fragiles, les plus touchées par le phénomène de l’absentéisme, ce qui est véritablement une posture partisane. J’aimerais bien disposer d’études très précises sur le lien entre familles fragiles et absentéisme scolaire ; l’absentéisme scolaire, mesdames, messieurs les députés, concerne toutes les couches de la société. Ce fléau mine l’ensemble des familles de France.

Mme Sylvie Pichot. Ce n’est pas vrai !

M. Yves Durand. C’est faux !

M. Luc Chatel. D’autre part, cette proposition de loi postule, en maniant les chiffres, que ce dispositif aurait eu peu d’impact sur l’absentéisme ; je démontrerai dans quelques instants le contraire.

Vous nous dites, madame la ministre déléguée, que ce dispositif est injuste et stigmatisant. Pour notre part, nous considérons que les parents ont une responsabilité considérable quant à l’assiduité de leurs enfants. C’est un fait que certaines familles refusent d’assumer leur autorité sur leur enfant, laissant libre cours à leur absentéisme. L’école, en France, est gratuite, mais elle est aussi obligatoire. Les parents ont naturellement des droits, mais ils ont une responsabilité, celle d’exercer une autorité éclairée et vigilante sur leurs enfants, car il y va de l’avenir même de ces derniers.

Le dispositif de la loi Ciotti est avant tout un dispositif de responsabilisation des parents.

Madame la ministre déléguée, dans votre présentation en commission et ici même tout à l’heure, vous avez volontairement interprété cette loi dans un sens contraire à celui que nous avons voulu lui donner. En effet, vous dites que face à la souffrance des enfants à l’école, le dispositif Ciotti affirme « que les parents sont irresponsables, qu’ils ne s’occupent pas de leurs enfants, et qu’il faut les sanctionner en menaçant de suspendre les allocations familiales ». C’est là que je me permets de parler de mauvaise foi, parce que vous savez très bien que tout ce dispositif a été progressif et accompagné de mesures à destination des parents, avec un système équilibré, fondé sur une gradation qui, à chaque étape, laisse la place au dialogue et à la remédiation.

La responsabilisation et l’accompagnement interviennent dès qu’un premier mois d’absentéisme est constaté. En effet, lorsque l’inspecteur d’académie avertit les familles, il leur rappelle toutes les aides existantes pour remonter la pente : le contrat de responsabilité parentale, mais aussi le conseil des droits et des devoirs, le contrat local d’accompagnement à la scolarité, les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement qui existent dans certains quartiers.

Lors de la deuxième étape, la responsabilisation est également financière, puisque dès le retour de l’enfant à l’école la suspension des allocations est annulée. Les allocations familiales ne sont donc pas supprimées mécaniquement : la suspension peut être provisoire et, si tel est le cas, la reprise du versement des allocations familiales est rétroactive, ce qui souligne l’efficacité de la remédiation.

Il y a responsabilisation enfin dans la mesure où la suppression des allocations familiales est l’ultime étape du dispositif, lequel a véritablement un effet dissuasif.

Je voudrais maintenant vous démontrer que cette loi fonctionne depuis qu’elle a été mise en œuvre.

Précisons, avant d’examiner les chiffres, que votre proposition de suppression de la loi Ciotti n’intervient que dix-huit mois après son entrée en application. Je dois dire, monsieur le président de la commission, que j’ai du mal à vous suivre sur ce sujet : il est rare que notre assemblée soit amenée à délibérer de manière à ce point précipitée sur un texte en se fondant sur une expérience de seulement quelques mois et sans évaluation ; les chiffres dont nous disposons aujourd’hui sont en effet extrêmement partiels.

Je suis d’ailleurs quelque peu surpris, madame la ministre déléguée, par votre argumentation sur le fameux rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale consacré au bilan de la loi Ciotti.

Tout d’abord, ce n’est pas votre fait et vous assumez ici la parole du Gouvernement, mais je suis surpris que mon successeur ait, à grand bruit médiatique, présenté dix-sept rapports de l’Inspection générale au mois de juin dernier, en nous expliquant en quelque sorte que nous passions de l’ombre à la lumière.

M. Yves Durand. Des rapports que vous aviez cachés !

M. Luc Chatel. Monsieur Durand, nous avons souvent parlé de ce sujet. Pour ma part, j’assume pleinement le fait que l’Inspection générale est un service à la disposition du ministre. C’est, comme dans une entreprise, un service d’audit, d’expertise ; il est donc présent pour apporter une expertise, une orientation et il revient ensuite au ministre de décider s’il reprend les propositions de l’Inspection générale et s’il souhaite diffuser ses rapports. Si vous souhaitez que tous les rapports soient diffusés, il faut donner à l’Inspection générale une pleine autonomie. Pourquoi pas ! Je ne suis quant à moi pas complètement opposé à ce que nous ayons un service totalement indépendant – nous avons d’ailleurs créé un service de ce type dans l’enseignement supérieur – et que les rapports d’audits soient systématiquement publiés.

M. Yves Durand. Ce serait une bonne chose !

M. Luc Chatel. Toujours est-il que mon successeur a indiqué que nous entrions dans l’ère de la transparence et que, dorénavant, tous les rapports de l’Inspection générale seraient publiés. Chiche, madame la ministre déléguée ! Relayez tout à l’heure cette parole à votre ministre de tutelle lors de votre retour rue de Grenelle, publiez ce rapport de l’Inspection générale, qui éclairerait la représentation nationale avant qu’elle ne se prononce sur ce sujet.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Si je veux !

M. Luc Chatel. J’ai entendu votre argumentation tout à l’heure sur le sujet, madame la ministre déléguée. Vous expliquiez que ce document était non pas un rapport définitif mais seulement un rapport d’étape, ce qui montre bien que nous ne sommes pas en mesure de délibérer, puisque nous n’avons pas tous les éléments pour apprécier l’efficacité de ce dispositif.

M. Xavier Bertrand. Très bien !

M. Luc Chatel. Vous ne pouvez pas nous dire, d’une part, nous n’avons qu’un rapport d’étape, nous n’avons pas les chiffres définitifs et, d’autre part, il est urgent de délibérer. On voit donc bien qu’il y a un malaise et que le dogmatisme l’emporte : vous avez décidé d’abroger cette loi, comme vous l’aviez d’ailleurs annoncé…

M. Yves Durand. Nous, nous faisons ce que nous avons dit !

M. Luc Chatel. …et vous cherchez donc un certain nombre d’artifices pour habiller cette abrogation.

J’en viens aux résultats, à l’examen des chiffres de la loi Ciotti depuis son entrée en vigueur.

Je voudrais prendre pour exemple les chiffres de l’année 2011-2012, qui sont à notre disposition. Précisément 79 149 signalements d’absentéisme ont été reçus par les autorités académiques et 60 000 premiers avertissements ont été adressés aux familles.

À la suite de ce premier avertissement – qui correspond au courrier de l’inspecteur d’académie que j’évoquais tout à l’heure ou à la rencontre avec les autorités du lycée ou de l’inspection d’académie, et qui permet la présentation aux parents des différents dispositifs d’accompagnement et la responsabilisation –, les deux tiers des élèves concernés par les signalements, soit 40 000 élèves, sont retournés à l’école. Il n’a été nécessaire de pratiquer un deuxième signalement qu’auprès de 21 964 familles. Par conséquent, à l’issue de la première étape du dispositif, on mesure déjà l’efficacité de la loi par le fait que les deux tiers des enfants concernés par un signalement retournent à l’école.

Allons plus loin : à l’issue du deuxième signalement, on s’aperçoit que la demande de suspension des allocations familiales n’intervient que dans 1 418 cas et, à la fin, on ne compte que 619 suspensions effectives sur 79 149 signalements d’absentéisme reçus par les autorités académiques. Cela signifie que, au total, moins de 1 % des cas ont abouti à une suspension des allocations familiales ; en d’autres termes, 99 % des cas ont eu pour résultat un retour à l’école, ce qui veut dire que cette loi est efficace. En abrogeant cette loi, vous allez donc empêcher que 80 000 élèves retournent à l’école grâce à un système progressif, un système à la fois d’accompagnement, de prévention, de suivi, de suspension, de pédagogie et de suppression, uniquement si nécessaire ; une riposte graduée, mais efficace.

C’était très important de rappeler ces chiffres, parce qu’ils montrent à quel point vous nous présentez une vision partielle et partiale des choses pour justifier la suppression de cette loi.

Enfin, je rappelle que le dispositif Ciotti n’est qu’un axe de la mobilisation du gouvernement précédent dans la lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire.

Je voudrais revenir sur toutes les mesures de dialogue avec les familles que prône le Gouvernement : j’entends votre message sur ce sujet, qui a toujours été une priorité du gouvernement précédent, lequel ne s’est d’ailleurs pas contenté d’un message mais est passé à l’acte. Je présenterai donc quelques exemples des dispositifs d’accompagnement existant dans ce domaine.

Tout d’abord, la proposition de loi prévoit de supprimer le contrat de responsabilité parentale introduit par la loi Borloo en 2006, qui aurait été vidé de son sens par la loi Ciotti. Nous pensons que la loi Ciotti permet au contraire à ce contrat de mieux fonctionner grâce à l’articulation créée avec le conseil général et l’inspection d’académie et aux responsabilités accrues confiées à ce dernier. Nous avions en effet pour notre part évalué le dispositif du CRP, après non pas dix-huit mois mais cinq ans, et cette évaluation partielle nous avait conduits à faciliter la mise en œuvre, fluidifier la connexion et renforcer les responsabilités de l’inspecteur d’académie.

Les dispositifs que nous avons mis en place sont tous fondés sur le dialogue avec les familles. Vous l’avez d’ailleurs souligné dans votre rapport, madame la rapporteure, en indiquant que l’éducation nationale avait multiplié les actions de remédiation, qu’elles étaient aujourd’hui nombreuses et obtenaient, pour la plupart d’entre elles, des résultats.

Je mentionnerai à ce sujet quelques exemples. La création de 5 000 postes de médiateurs de réussite scolaire dans les établissements les plus sensibles, qui, au quotidien, repèrent les absences, a permis de créer un lien direct, rapide et journalier entre le lycée ou le collège et les familles.

Le système de repérage des absences fréquentes avec le logiciel SDO, suivi de l’orientation, mis en place dans tous les établissements depuis 2011, permet aux parents d’élèves d’avoir une information en temps réel. En tant que parent d’élève, il m’est arrivé, quand mon fils était en retard au lycée, de recevoir un SMS. Cette information directe des parents permet une responsabilisation et un suivi accentué de l’accompagnement de leurs enfants.

La mallette des parents est un dispositif qui repose sur des rencontres entre les parents et le chef d’établissement, les enseignants et les conseillers principaux d’éducation, avec des modules de formation pour les parents en informatique et en langue. Il a montré son efficacité dès son expérimentation dans l’académie de Créteil et a été étendu à tous les établissements dès 2010. On a constaté une baisse générale de l’absentéisme et une réduction des exclusions temporaires dès lors que les parents sont impliqués dans le projet éducatif.

J’avais été très intéressé par la mise en place du dispositif d’école des parents, qui concerne des parents éloignés de l’école car ils n’en n’avaient pas été proches par le passé. Chaque fois que l’on associe les parents au fonctionnement de l’établissement scolaire, la responsabilisation est au rendez-vous, l’implication est plus forte et les résultats scolaires s’améliorent.

Je veux également citer les dispositifs relais qui reposent sur une coopération avec le ministère de la justice, les collectivités territoriales et les associations. Ils prennent en charge temporairement, par très petits groupes, des élèves absentéistes, perturbateurs ou en voie de désocialisation.

Je tiens enfin à mentionner les microlycées, ces structures scolaires de quatre-vingts à cent élèves qui proposent un accompagnement sur mesure permettant à des jeunes déscolarisés de reprendre leurs études pour préparer le baccalauréat ou un projet de formation. Il en existe aujourd’hui un dans chaque académie.

Tous ces dispositifs sont fondés sur la personnalisation, concept que nous avons toujours retenu car nous pensons qu’il est le mieux adapté à cette lutte contre la démotivation qui peut malheureusement aboutir à l’absentéisme et donc à la déscolarisation, à la désocialisation et à l’exclusion scolaire.

Vos accusations, madame la ministre, celles de Mme la rapporteure ou de Mme Cartron, ne tiennent donc pas, on le voit.

Nous avions mis en place un dispositif qui alliait prévention, accompagnement des familles, responsabilisation et mise en place de suspension progressive. Dix-huit mois après son entrée en application, ce dispositif a un impact considérable puisque moins de 1 % des élèves concernés voient les allocations familiales de leurs parents suspendues, ce qui veut dire que dans 99 % des cas cette loi est efficace.

Vous vous apprêtez donc à supprimer un dispositif efficace, qui lutte contre un fléau majeur de notre société, en utilisant des arguments qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Surtout, madame la ministre, vous vous apprêtez à soutenir cette proposition de loi sans prévoir la moindre alternative pour lutter contre l’absentéisme scolaire.

M. Éric Ciotti. C’est détruire sans construire !

M. Luc Chatel. Abroger de manière idéologique suscite notre opposition, mais nous sommes particulièrement désemparés quand nous percevons la vacuité des propositions du Gouvernement en matière de lutte contre l’absentéisme scolaire.

Pour toutes ces raisons, je vous appelle à voter la motion de rejet préalable que défend notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Cette proposition de loi donne à M. Chatel l’occasion de dresser un bilan de son action. Bien évidemment, il en est particulièrement satisfait.

On se demande, puisque l’absentéisme aurait reculé et que ce ministère a tout fait comme il faut, comment il se fait que l’on voie encore tant d’enfants décrocher ; que notre pays ait reculé dans les classements internationaux ; que dans les enquêtes évaluant les acquis des enfants et des jeunes chaque année, un écart croissant soit apparu entre ceux qui sont scolarisés dans l’enseignement général et ceux qui le sont dans l’éducation prioritaire, qui sont les enfants des quartiers populaires.

Si les méthodes de remédiation que vous aviez mises en place étaient véritablement efficaces, nous nous en serions aperçus. Malheureusement pour notre pays et pour nos jeunes, le bilan que vous nous tracez est loin d’être partagé par ceux qui examinent objectivement la situation.

Ce débat a quelque chose de savoureux : à entendre M. Chatel nous dire que si l’on veut améliorer la situation, il faut que l’on s’appuie sur des équipes homogènes et formées, on se dit que quelque chose ne va pas, puisque nous avons constaté que la formation des enseignants, qui est l’élément essentiel pour assurer la réussite des enfants, avait été sabotée par le ministère dont il avait la charge.

Par conséquent, je veux bien que l’on vienne nous dire aujourd’hui que tout va pour le mieux, mais malheureusement pour nos jeunes, ce n’est pas ce que nous avons constaté.

Il faut rappeler, quand vous parlez de l’incurie des parents, que si nous connaissons un absentéisme très net pour la dernière année de collège et la première année de lycée, notamment dans les lycées professionnels, c’est bien le signe que l’enfant commence à décrocher au niveau du collège parce qu’il n’a pas le niveau et qu’il n’arrive pas à suivre. Par conséquent, il y a deux solutions : soit il fait le zouave et perturbe la classe pour se donner un petit peu d’importance ; soit il arrête de venir. L’absentéisme montre donc bien qu’il n’a pas acquis les fondamentaux.

Avec Vincent Peillon, nous sommes en train de nous battre pour rendre à l’école primaire les moyens de donner aux enfants les bases qui leur font défaut, c’est une manière de lutter contre l’absentéisme. Car ce qui n’est pas acquis au niveau de l’école primaire fait cruellement défaut lorsque l’on se retrouve au niveau du collège, et notamment en troisième.

Je m’étonne aussi que M. Chatel nous fasse aujourd’hui un tableau général de tout ce qu’il faut faire pour lutter contre l’absentéisme et le décrochage. Nous ne sommes pas contre un certain nombre d’éléments qu’il met en avant, mais justement, il est constant que, dans la circulaire qu’il avait rédigée pour lutter contre l’absentéisme scolaire, il avait proposé des mesures et indiqué à la communauté éducative des voies qui ne coïncident pas avec les propositions de M. Ciotti.

D’ailleurs, je vous invite à relire cette circulaire : à aucun endroit il n’y est fait mention de la suspension des allocations familiales. Venir nous dire aujourd’hui que c’était l’alpha et l’oméga de la lutte contre l’absentéisme scolaire que vous étiez en train de mener, c’est faire preuve d’une amnésie singulière. Au contraire, vous y écriviez que : « L’absentéisme scolaire est (…) le plus souvent, le symptôme d’autres difficultés. La mobilisation de la communauté éducative pour lutter contre ce phénomène doit être poursuivie au sein des écoles et des établissements. Le dialogue avec l’élève et ses parents doit naturellement être recherché. Toutefois, en cas d’échec de ce dialogue, les recours auprès de l’inspecteur d’académie doivent être utilisés (…). »

Aujourd’hui, quand nous disons qu’il faut rechercher le dialogue avec les parents, que toute la communauté éducative doit être mobilisée, nous nous inscrivons finalement dans cette démarche. Simplement, pour mettre en œuvre cette démarche, il n’est pas utile de mettre en jeu les ressources des parents, car c’est une manière de singulariser et de sanctionner des parents qui ont le seul tort d’être plus modestes que les autres.

Par conséquent, nous ne supprimons pas l’avertissement aux familles, ni le dispositif d’alerte, de signalement et de convocation des parents, ni même le principe de la sanction, qui figure dans le code et qui consiste à alerter le procureur de la République. Si véritablement des parents, par leur laxisme, mettent en danger l’avenir de leurs enfants, ce dispositif demeure. Ne venez donc pas nous dire que cela n’existe plus.

Je suis donc vraiment étonnée de la proposition de M. Chatel, et l’avis du Gouvernement est évidemment de ne pas le suivre dans cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.

M. Patrick Bloche, président de la commission. Je ne souhaitais pas nécessairement réagir à la motion présentée par M. Chatel, mais une expression qu’il a répétée avec insistance m’amène à prendre brièvement la parole, c’est celle de « riposte graduée ». Finalement, je n’avais pas fait le parallèle, alors que j’ai participé aux deux débats, mais la loi Ciotti ressemble à la loi HADOPI. Elle reprend ce qui a caractérisé la démarche législative de l’ancienne majorité, et c’est pourquoi nous nous sommes opposés en leur temps à la loi Ciotti et à la loi HADOPI.

M. Éric Ciotti. Cela n’a rien à voir !

M. Patrick Bloche, président de la commission. La riposte graduée est une démarche qui a pour mot-clef l’intimidation.

M. Guillaume Larrivé. Non, c’est de la dissuasion.

M. Patrick Bloche, président de la commission. Il s’agit d’intimider les familles avec la loi Ciotti, et d’intimider les internautes avec la loi HADOPI. C’est une démarche qui va à l’inverse de l’explication, de la bonne intelligence, de la compréhension.

M. Éric Ciotti. Et en matière pénale aussi, vous allez faire de la compréhension ?

M. Patrick Bloche, président de la commission. Nous préférons une démarche qui vise, par un dialogue permanent, à les aider plutôt qu’à les stigmatiser et à les intimider, comme le fait cette mauvaise loi.

Il n’y a pas en cette affaire de différence de nature « idéologique », ne nous payons pas de mots, mais une divergence fondamentalement politique. Oui, nous faisons confiance à l’intelligence de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Oui, dans l’école de la République, nous faisons confiance à l’intelligence des parents et c’est bien ce qui va être au cœur du projet de loi qui vise à refonder l’école de la République.

M. Lionel Tardy. Quelle urgence y a-t-il à abroger ?

M. Patrick Bloche, président de la commission. C’est le rôle que nous donnerons de façon prépondérante aux parents parce que nous savons que ce sont des éléments majeurs dans la réussite à la fois de cette loi et du projet que nous formons pour l’école de notre pays.

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Durand. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, je voudrais dire à M. Chatel que j’ai trouvé son intervention un peu laborieuse, qu’il m’en excuse, et plus portée sur le bilan de son action que sur la défense de sa motion de rejet préalable. Nous savons ce qu’il a fait, et les Français aussi.

M. Lionel Tardy. Moi je l’ai trouvé très à l’aise !

M. Yves Durand. Oui, l’abrogation est précipitée, nous l’avions dit. Nous avions dit qu’une fois revenus aux responsabilités, nous abrogerions cette loi parce que c’est une mauvaise loi.

Laissez-moi vous rappeler son histoire, car ce n’est pas celle que M. Chatel nous a contée. Cette loi a été proposée par le Président de la République de l’époque après des élections régionales qui avaient vu le Front national grignoter les voix de l’UMP. Il fallait un coup de menton supplémentaire. C’est une loi « coup de menton » qui n’a aucun rapport avec l’absentéisme scolaire. Celui-ci est un vrai problème, mais la réponse n’est pas de stigmatiser les familles qui sont déjà en difficulté.

M. Lionel Tardy. Quelle est l’alternative ? Vous ne proposez rien !

M. Yves Durand. La grande différence que nous avons avec vous est que pour nous, les parents en difficulté ne sont pas des démissionnaires. Ils sont en difficulté, il ne faut pas les punir, il faut les aider. C’est la grande différence entre nous, et il est normal que nous abrogions une loi qui punit plutôt que d’aider.

L’absentéisme est un vrai problème, et nous allons effectivement faire des propositions, contrairement à ce que vous dites. C’est le fond même de la loi que nous allons discuter dans quelques semaines sur la refondation de l’école, que vous avez largement détruite.

La réponse est dans la reprise de confiance des élèves, dans la formation des enseignants, dans le désir d’apprendre, dans la lutte contre les inégalités et l’échec dès le début du cursus scolaire, c’est-à-dire en rendant la priorité au primaire que vous avez en grande partie abandonnée. La réponse est aussi dans la confiance retrouvée, l’honneur des enseignants d’enseigner, et le plaisir des élèves d’apprendre.

Voilà ce que nous allons proposer pour lutter contre l’absentéisme scolaire, et cela vaudra mieux que des coups de menton profondément politiciens. Voilà pourquoi je vous demande de repousser cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Bertrand pour le groupe UMP.

M. Xavier Bertrand. Madame la ministre, j’ai le souvenir de la gestation de la loi Ciotti. Ce n’est pas une loi « coup de menton », c’est une loi qui répond à un principe : le principe de responsabilité.

Qui est le premier responsable de l’éducation des enfants ? Les parents. L’éducation nationale est en responsabilité de l’instruction, ne confondons pas.

Sur ce sujet, sur qui devons-nous agir ? Sur les parents. C’est malheureux, mais c’est ainsi. Y a-t-il d’autres moyens pour être efficace ? Si vous les aviez en tête, vous proposeriez aujourd’hui d’autres éléments que la simple abrogation de cette loi. Pour les 80 000 personnes concernées, il y a eu des solutions pour près de 98 % d’entre elles. Aurez-vous de meilleures solutions ? Bien sûr que non, autrement vous en feriez état.

Il y a donc un problème de fond : la loi que vous souhaitez abroger repose sur le principe de responsabilité première des parents, en veillant à ne pas mettre en cause leurs capacités financières : si un enfant retourne à l’école, aussitôt les allocations sont rétablies, et cela a toujours été le cas.

Peut-être parce que certains parmi vos soutiens s’en sont émus, vous avez fait la promesse, non pas de trouver une solution, mais d’abroger cette loi. Comme si cela allait permettre de résoudre le problème de l’absentéisme scolaire, un sujet ardu auquel nous, nous avons apporté des solutions efficaces.

Nous nous opposons aussi à ce texte pour une raison de forme. Vous devriez aujourd’hui porter à la connaissance de la représentation nationale ce rapport d’étape, qui est précieux pour le débat. Auriez-vous des choses à cacher ? Vous vous trouvez dans l’embarras et ne savez aborder ce sujet autrement que sous l’angle de l’idéologie. Pour ma part, je préfère le principe de responsabilité. Voilà pourquoi nous demandons, pour des raisons de forme et de fond, à adopter la motion présentée par Luc Chatel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI est bien évidemment favorable à ce qu’un dialogue nourri, reconstruit soit instauré avec les parents sur la durée, en utilisant pour cela tous les moyens du service public et tous les potentiels humains de l’éducation nationale. La loi Ciotti était utile, non pas seulement grâce à sa partie sanction, stigmatisée en l’espèce, mais surtout grâce au cursus qu’elle offrait : avertissement, puis reprise du dialogue avec l’institution, comme l’a rappelé M. Luc Chatel dans son excellente intervention.

Votre proposition de loi est d’abord idéologique. Répondre par un coup de menton à un autre coup de menton ne fait rien gagner au débat national. C’est aussi une loi précipitée. Où a-t-on vu qu’une mesure pouvait s’installer et produire ses effets, et que les équipes pouvaient se l’être appropriée, en l’espace d’une année ? Porter un jugement de valeur au bout d’un an est quelque peu présomptueux.

Enfin, cette abrogation concerne un texte qui n’a pas été évalué. Là encore, on porte atteinte à un principe essentiel de bonne gouvernance. Pour décider de l’abrogation ou de la poursuite d’un dispositif, encore faut-il savoir quels ont été ses effets.

Pour ces trois raisons, le groupe UDI soutiendra la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Xavier Bertrand. La loi Ciotti était une bonne loi !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la proposition de loi tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire ;

Nouvelle lecture de la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)