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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 11 mars 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Décès du président de la République bolivarienne du Venezuela

2. Nomination de députés en mission temporaire

3. Refondation de l’école de la République

Discussion d'un projet de loi d'orientation et de programmation

Présentation

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

M. Yves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles

Motion de rejet préalable

M. Benoist Apparu

M. Yves Durand, rapporteur, M. Vincent Peillon, ministre, Mme Barbara Pompili, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Marie-George Buffet, M. Patrick Hetzel, M. Rudy Salles, M. Jean Jacques Vlody

Motion de renvoi en commission

M. Xavier Breton

Mme Julie Sommaruga, M. Philippe Gomes, Mme Isabelle Attard, Mme Annie Genevard, Mme Marie-George Buffet

Discussion générale

Mme Barbara Pompili

M. Ary Chalus

Mme Marie-George Buffet

Mme Martine Faure

M. Frédéric Reiss

M. Rudy Salles

Mme Isabelle Attard

M. Jean-Noël Carpentier

Mme Huguette Bello

Mme Colette Langlade

M. Patrick Hetzel

M. Philippe Gomes

Mme Marion Maréchal-Le Pen

Mme Annick Girardin

M. Emeric Bréhier

M. André Schneider

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Décès du président de la République bolivarienne
du Venezuela

Mme la présidente. Nous avons appris avec tristesse le décès, la semaine dernière, d’Hugo Chavez, président de la République bolivarienne du Venezuela. J’adresse les condoléances de l’Assemblée nationale au peuple vénézuélien.

2

Nomination de députés en mission temporaire

Mme la présidente. M. le président a reçu de M. le Premier ministre deux lettres l’informant de sa décision de charger M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, d’une mission temporaire auprès de lui-même, et Mme Nathalie Nieson, députée de la Drôme, d’une mission temporaire auprès de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

3

Refondation de l’école de la République

Discussion d’un projet de loi d’orientation
et de programmation

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (nos 653, 767).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la présidente, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui devant vous, au nom du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le projet de loi d’orientation et de programmation portant refondation de l’école de la République.

Avant toute chose, permettez-moi de saluer Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne, chargée des affaires culturelles dans le cadre du Traité de l’Élysée sur la coopération franco-allemande. Après l’avoir reçue ce matin, je veux la remercier chaleureusement d’avoir répondu favorablement à mon invitation à assister à l’ouverture de ce débat. C’est l’occasion pour moi de saluer la réussite d’un pays qui, après le choc provoqué par des résultats décevants au fameux test international PISA mené par l’OCDE, a réussi, au début de la décennie, à mettre en place des réformes ambitieuses qui lui ont permis d’améliorer les résultats de ses élèves. C’est ce que nous devons faire, c’est ce que nous allons faire.

Mesdames et messieurs les députés, à l’évidence, notre pays vit aujourd’hui des moments difficiles. Depuis plusieurs années, nous ne connaissons pratiquement plus la croissance – cela fait cinq ans que la croissance est à zéro –, notre endettement, qui pèse sur les épaules des plus jeunes et obère leur avenir, s’est accru dans des proportions que nous jugeons tous inacceptables, et le chômage n’a cessé de progresser – 25 % des jeunes sont aujourd’hui au chômage dans notre pays. Le redressement de la France doit être, pour nous tous, une volonté commune et sans faille.

Malheureusement, et contrairement à des discours tenus avec une certaine frivolité, nos difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles. Elles ne sont pas non plus le seul effet mécanique de causes extérieures indépendantes de notre volonté – une forme moderne de la « providence » des marchés –, elles sont le résultat de nos choix, de nos faiblesses et souvent de nos manquements.

La France est touchée, beaucoup plus fortement que d’autres pays, y compris européens, par une crise de l’avenir. Cette crise, ce pessimisme collectif dans lesquels nous sommes plongés, cette incapacité de renouer avec l’optimisme et la confiance, est aussi, pour la France, une crise de son identité, une vive inquiétude quant à son destin, qui a d’ailleurs donné lieu, ces dernières années, à des débats dont nous nous serions bien passés. Certains se sont inquiétés, récemment, de voir les populismes renaître en Europe. Effectivement, nous n’en sommes pas préservés.

Parce que l’école est la France de demain, si nous voulons être en capacité de surmonter cette crise de l’avenir, il faut redonner à l’école de la République la priorité qui lui a fait tant défaut ces dernières années. Si l’on n’ignore pas ce bien commun qu’est l’histoire de notre République et si l’on se souvient que l’école et la France républicaine ont toujours, depuis la Révolution française, eu partie liée, alors c’est de l’école, de notre rapport au savoir, à la connaissance, à la transmission de valeurs, que nous devons attendre la capacité de surmonter cette crise d’avenir, cette crise d’identité.

Vous pouvez voir derrière moi, installée là par les républicains en 1879, une tapisserie inspirée du célèbre tableau L’École d’Athènes, de Raphaël. Nous nous inscrivons dans cette continuité. Nous avons remplacé Louis-Philippe par l’école d’Athènes, parce que la démocratie et la raison ont partie liée au sein même de cette assemblée. Lorsqu’on regarde l’histoire si tragique du xxe siècle, on se rend compte que, dans les moments les plus difficiles de cette histoire, de l’affaire Dreyfus au Conseil National de la Résistance, dont nous célébrerons les soixante-dix ans cette année, c’est toujours grâce à l’école, à une certaine exigence intellectuelle, morale et politique, que la France a été capable de donner son cœur et de construire son redressement.

Les mêmes défis sont devant nous depuis des années : le défi de la croissance, celui de la compétitivité, celui de l’emploi, celui de la cohésion sociale et territoriale de notre pays, et celui de la justice. Aucun de ces défis ne pourra être relevé avec succès si nous ne sommes pas capables de redonner à notre école la fierté et l’efficacité qui furent les siennes au cours de notre histoire, lorsqu’elle a assuré les plus belles réussites de notre nation.

C’est pourquoi notre projet est bien de refonder l’école de la République et de refonder la République par l’école. C’est pourquoi notre ambition collective doit être de passer un nouveau contrat entre l’école et la nation.

Mesdames et messieurs les députés, je veux tout d’abord vous dire que, contrairement à ce que j’entends, l’exercice auquel nous sommes collectivement conviés est d’abord un exercice d’humilité et de reconnaissance. L’histoire nous a appris que ceux qui prétendent construire à partir de rien, faire fi des enseignements du passé, que ce soit pour créer des sociétés nouvelles ou des hommes nouveaux, provoquent en réalité de grandes tragédies. Notre démarche, que nous assumons pleinement, consiste, à l’inverse, dans la connaissance de notre tradition, l’inscription dans cette tradition et la reconnaissance à son égard.

C’est une certaine idée de la France, s’inspirant non pas d’une conception ethnographique, mais d’une conception qui a su faire de la France, « soldat du droit et de la liberté », la nation des droits de l’homme, le seul catéchisme républicain, portant dans le monde une certaine idée de l’universalité du genre humain, que nous retrouvons en chacun de nos enfants, chacun de nos élèves, dans l’école de la République.

C’est une certaine idée de la France, et c’est une certaine idée de la République, qui fait de la liberté individuelle le fondement et le but imprescriptible de toute association politique, ne séparant jamais l’exigence intellectuelle, qui doit permettre à chacun de construire son jugement, de l’exigence morale, qui doit permettre de se donner à soi-même la règle et d’accéder à la démocratie politique, ce moment où le souverain se rassemble pour dépasser les intérêts particuliers et construire l’intérêt général. De tous les régimes politiques, la République est celui qui s’enorgueillit de s’appuyer sur la raison et sur les Lumières. C’est pourquoi la République, qui a besoin de républicains, a toujours confié à l’école la tâche essentielle de pérenniser son modèle démocratique et social.

C’est aussi, bien entendu, une certaine idée de l’école, qui doit produire un citoyen actif, éclairé, membre du souverain, une école qui doit aussi et surtout, aujourd’hui, produire un professionnel compétent, mais aussi permettre à chacun de conquérir la liberté de son jugement, de s’arracher à toutes les servitudes, de s’affranchir de toutes les oppressions, d’avoir accès au meilleur des œuvres de la culture, quel que soit son milieu d’origine, une idée de l’école de la République qui fait vivre un idéal de dignité pour chaque personne, à égalité de droits et de devoirs.

Notre école, l’école de la République, porte une très grande tradition. Vouloir la refonder, c’est la connaître et c’est la reconnaître. En ce sens, c’est d’abord pour nous un exercice d’humilité. Nous devons de la reconnaissance, bien sûr, à toutes les grandes figures héroïques et célèbres de notre histoire – le long cortège des hommes fiers, comme disait Régis Debray – qui nous ont précédés dans notre histoire séculaire, mais aussi aux millions de héros anonymes et modestes qui ont su maintenir, à travers les vicissitudes souvent tragiques de notre histoire, à la fois l’inspiration, l’exigence et l’idéal.

En rendant cet hommage, je rends également hommage à l’ensemble des enseignants qui, au quotidien, depuis maintenant un siècle et demi, font vivre l’idéal de l’école républicaine, démocratique, laïque, et font en sorte que chaque enfant de France puisse avoir accès au meilleur de notre culture.

C’est à cette source-là qu’il nous faut puiser à nouveau, non pas pour nous complaire dans je ne sais quelle nostalgie, non pas pour répéter une histoire qui, nous le savons, ne se répète jamais à l’identique, mais pour être à la hauteur de notre tâche, dont l’école de la République a dit sans cesse qu’elle était une tâche infinie, parce qu’elle récuse à la fois le dogmatisme de ceux qui prétendent posséder la vérité, mais aussi le scepticisme de ceux qui renoncent à la chercher.

Cette tradition n’appartient à personne parce qu’elle appartient à tous, sur l’ensemble des bancs de cette assemblée. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’être capable, autour de notre école, à la fois de nous dépasser – c’est bien l’idée de la refondation républicaine – et de nous rassembler. L’école peut, et elle doit, rassembler les Français. C’est son enseignement premier de respecter le point de vue de l’autre, de s’en enrichir et de construire, alors que l’erreur et le mensonge divisent, une vérité qui puisse rassembler toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté. Les professeurs de nos écoles enseignent aux enfants ces principes issus de la grande tradition de la psychologie française. Le petit enfant est d’abord égocentrique, il se croit le centre du monde – un peu comme le croyait le chien de M. Bergeret chez Anatole France. Tout le processus de développement de l’enfant est un processus de décentration. C’est d’ailleurs ce qui fait la vertu du débat démocratique.

Bien entendu, je n’ignore pas que ce n’est pas la même chose de supprimer 80 000 postes ou d’en créer 60 000, de supprimer la formation des professeurs ou de la rétablir (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC), de passer brutalement à la semaine de quatre jours ou de chercher à redonner du temps aux élèves pour apprendre. Mais, malgré cela, de la loi Jospin à la loi Fillon, il y a dans notre République une inspiration qui se poursuit et se reprend. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Et chacun sait, moi le premier, que les difficultés de nos élèves ne datent pas seulement de ces dernières années – le grand historien Antoine Prost le rappelait récemment. C’est pourquoi, contrairement à d’autres, quand une orientation est bonne, j’ai la capacité de la saluer et de la poursuivre.

M. Xavier Breton. Nous aussi !

M. Vincent Peillon, ministre. C’est vrai pour les décrocheurs, les langues étrangères, les équipes mobiles de sécurité et le socle commun de connaissances et de compétences. Nous devons être capables, dans ce débat, si vous le souhaitez, de dépasser les postures partisanes…

M. Xavier Breton. À condition d’être d’accord avec vous !

M. Vincent Peillon, ministre. …qui nous font toujours perdre trop de temps, et nous en avons déjà perdu beaucoup.

M. Patrick Ollier. Ce n’est pas le chemin que vous prenez, monsieur le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre. La méthode que je vous propose est une méthode de rassemblement. Nous sommes ici non pas pour faire œuvre singulière, mais pour faire œuvre patriotique. Nous sommes ici non pas pour faire œuvre d’originalité – certains voudraient soudain rebâtir de la cave au plafond ce qu’ils ont eux-mêmes détruit – mais pour faire œuvre collective.

Qu’y a-t-il de partisan – je vous le demande, cher Rudy Salles – à vouloir enfin dans ce pays accorder la priorité au primaire, alors que nous savons bien que tous les destins scolaires et sociaux se jouent dès les premières années ?

M. Patrick Ollier. C’est votre attitude qui est partisane !

M. Vincent Peillon, ministre. Qu’y a-t-il de polémique, de diviseur ou de partisan à vouloir faire en sorte qu’on accueille les enfants de moins de trois ans, un objectif que la Suède souhaite également poursuivre ? Qu’y a-t-il de partisan à vouloir consacrer à l’apprentissage des fondamentaux et au traitement des difficultés scolaires des moyens qui n’ont pas été accordés jusque-là ? Qu’y a-t-il de polémique, de diviseur ou de partisan à vouloir construire à nouveau dans ce pays une formation des enseignants, alors même que, chacun le sait, la qualité de celle-ci constitue un facteur essentiel de réussite pour les élèves ? Qu’y a-t-il de polémique, de diviseur ou de partisan, si on avance avec bonne volonté et bonne foi, à vouloir redonner à nos élèves le temps d’apprendre et à nos professeurs le temps d’enseigner ?

Je veux que nous soyons capables de nous inscrire dans une tradition, de nous rassembler et d’agir avec méthode et simplicité. Descartes écrivait qu’il convient de diviser les difficultés en autant de parcelles qu’il faut pour les résoudre. Notre système éducatif en a bien besoin. Et il ajoutait que pour rechercher la vérité, il est utile de procéder méthodiquement en commençant par le commencement. C’est un précepte que je veux suivre.

C’est pourquoi la refondation de l’école de la République, qui s’inscrit dans la tradition et vise à rassembler, s’attache pour commencer aux fondements mêmes de notre système éducatif. Une erreur fréquente et ancienne a été de vouloir commencer par le point d’arrivée pour privilégier – c’est arrivé souvent dans l’histoire de notre pays – les enfants des classes les plus favorisées.

Nous devons être capables – c’est le sens même de la refondation – de poser des fondements solides. Le premier de ces fondements, c’est bien entendu la priorité au primaire. Le second fondement, c’est la possibilité de former à nouveau les enseignants et de leur apprendre un métier exigeant et difficile qui mérite la reconnaissance et l’estime de la nation. Le troisième, c’est d’être capable de donner du temps à ceux qui en ont besoin pour enseigner ou pour apprendre.

Voilà des principes simples, dont j’entends toutefois ici ou là qu’ils seraient insuffisants pour proposer une grande loi.

M. Benoist Apparu. Vous avez bien lu !

M. Vincent Peillon, ministre. Je pense exactement l’inverse. Et c’est précisément parce que personne n’a eu jusqu’ici le courage de proposer une telle loi, et qu’on a préféré ouvrir des débats subalternes ou lancer des attaques sur les moyens, que l’école de la République se trouve dans la situation où elle est aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Si vous vouliez construire du solide et aller jusqu’au bout des réformes, ce que je crois volontiers, il aurait fallu commencer par assurer des fondations solides à notre système éducatif. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Car la réalité est implacable : dans notre pays, près de 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification ni diplôme chaque année. La réalité, c’est que nous sommes un des pays de l’OCDE où les origines socio-économiques influencent le plus les destins scolaires et où les inégalités s’accroissent. La réalité, c’est que les performances scolaires de nos élèves se détériorent année après année ; près de 25 % des élèves ont aujourd’hui des acquis fragiles en fin de collège.

L’ensemble des spécialistes reconnaissent les causes de cet état de fait, qui sont simples : nous n’accordons pas la priorité au primaire, nous ne formons pas nos enseignants, nous ne donnons pas de temps aux enfants pour apprendre. Nous faisons même exactement l’inverse : vous avez supprimé la formation des enseignants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Patrick Hetzel. C’est ridicule !

M. Vincent Peillon, ministre. …vous avez limité le nombre de jours de classe et vous avez enlevé des moyens à l’école de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est pourquoi nous devons inverser ce mouvement et c’est pourquoi nous voulons reconstruire sur des bases solides.

M. Xavier Breton. Quelle volonté de rassemblement !

M. Vincent Peillon, ministre. Je ferai une deuxième observation. Certains considèrent que cette loi ne serait pas à la hauteur de son intention. Puis-je, en toute bonne foi, leur adresser quelques questions simples ? Est-ce peu de chose, après que vous avez supprimé 80 000 postes en cinq ans, d’en créer 60 000 en cinq ans dans le contexte budgétaire que vous nous avez laissé et que nous connaissons ? Est-ce si peu de chose, dans un pays qui n’a jamais accordé au primaire et aux premiers apprentissages la priorité nécessaire, de consacrer à ce moment de la scolarité deux tiers des nouveaux postes, dont plusieurs milliers visent à mettre en œuvre des pédagogies nouvelles et à traiter réellement la difficulté scolaire ? Est-ce si peu de chose, alors que l’on a supprimé la formation des enseignants et l’année de stage, de rétablir celle-ci et de créer les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, consacrant ainsi 27 000 postes à une entrée progressive des enseignants dans le métier ? Est-ce si peu de chose que de se doter d’un parcours d’orientation et d’information pour tous les élèves, alors même que beaucoup d’entre eux subissent aujourd’hui des orientations qui les conduisent jusqu’au décrochage ? Est-ce si peu de chose de proposer un conseil pédagogique commun à l’école et au collège, de créer un nouveau service public du numérique éducatif ? Est-ce si peu de chose, lorsqu’on voit les résultats des élèves français en langue étrangère, de rendre obligatoire l’apprentissage d’une langue étrangère dès le cours préparatoire ?

Soutenir que cela est peu de chose n’est pas sérieux et témoigne de beaucoup de mépris à l’égard de l’école. C’est ignorer profondément son histoire. C’est ne pas être capable de distinguer l’essentiel de l’accessoire. C’est vouloir détourner l’attention de nos concitoyens de la véritable révolution pédagogique que nous mettons en œuvre dans ce pays, nous qui voulons enfin accorder à l’école primaire la priorité qu’elle mérite, à la formation des enseignants la reconnaissance dont ces derniers ont besoin, et faire primer dans le choix du temps scolaire l’intérêt de l’élève sur tous les intérêts particuliers qui nous ont conduits à cette situation difficile.

La loi, bien entendu – et qui le penserait ? – ne va pas résoudre d’elle-même toutes les difficultés.

M. Benoist Apparu. Nous sommes bien d’accord !

M. Vincent Peillon, ministre. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons commencé à agir bien avant son élaboration. Aucun gouvernement n’a autant agi pour l’école en si peu de temps. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dès la rentrée 2012, alors que vous aviez programmé 14 000 suppressions de postes, monsieur Chatel, nous avons créé 1 000 emplois de professeurs des écoles, que vous n’avez d’ailleurs pas refusés dans vos circonscriptions. Près de 300 classes ont été rouvertes en zone rurale, ainsi que 100 postes de réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté, ou RASED. Nous avons mis en place 100 conseillers principaux d’éducation, 2 000 assistants d’éducation et 1 500 auxiliaires de vie scolaire individualisés pour accompagner les enfants en situation de handicap. Alors que vous expliquiez à la France entière que nous étions incapables de recruter des professeurs tant vous aviez dévalorisé ce métier, nous avons organisé deux concours, recruté dès cette année 40 000 professeurs et obtenu 50 % d’inscrits en plus aux concours de recrutement des professeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Parce qu’il fallait restaurer la promesse républicaine et permettre à des étudiants boursiers de se consacrer à leur vocation, nous avons fait voter le projet « emploi d’avenir professeur » ; plusieurs milliers d’étudiants se sont déjà inscrits dans ce parcours, qui leur permettra de réaliser leur vocation. Nous avons recruté dès la rentrée 500 assistants chargés de prévention et de sécurité, un métier qu’il a fallu créer et pour l’exercice duquel nous avons dû former du personnel. Et pour la première fois dans l’histoire de l’éducation nationale, nous avons installé une délégation de lutte contre les violences en milieu scolaire.

Nous avons développé et engagé une stratégie nationale pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique et dans le XXIe siècle. Nous avons lancé un dispositif « objectif formation-emploi » avec le concours du service civique et nous nous sommes fixé pour objectif de raccrocher 20 000 jeunes décrocheurs d’ici à la fin de l’année 2013. Cet engagement sera tenu.

Cette action ne se limitera pas non plus à une loi. Nous posons les bases d’une rénovation en profondeur de l’école de la République. Mais le véritable temps de l’action publique, ce n’est pas celui de l’émotion, ce n’est pas celui de la polémique ; c’est celui de la raison et de la constance. Il y a une loi de refondation, il y aura aussi un agenda de la refondation qui se déploiera durant tout le quinquennat de telle sorte que, après avoir donné la priorité au primaire, nous suivrons un ordre méthodique et continuerons par le collège puis par le lycée. Parce qu’il s’agit de refonder l’école de la République, nous avons à renouer avec le temps long de la véritable action publique, celle qui se juge à ses résultats et qui ne se soumet pas à la dictature de l’instant.

Cette loi que je vous présente aujourd’hui et dont nous allons débattre toute la semaine, je voudrais vous en présenter brièvement les principaux aspects.

Il s’agit tout d’abord d’une loi de programmation, la première du quinquennat. Le Président de la République a pris l’engagement de créer 60 000 postes sur cinq ans et cet engagement sera tenu : 5 000 postes seront consacrés à l’enseignement supérieur, piloté par ma collègue Geneviève Fioraso, que je salue ; 1 000 postes seront consacrés à l’enseignement agricole – nous y travaillons avec Stéphane Le Foll – et 54 000 postes à l’éducation nationale.

La moitié de ces postes permettra de reconstituer l’année de stage, soit 27 000 emplois. Deux tiers des postes seront affectés au primaire. Il s’agira à chaque fois de renforcer et de favoriser des pratiques pédagogiques innovantes, toujours en visant en priorité les zones les plus défavorisées. 7 000 postes sont ainsi prévus pour le dispositif « plus de maîtres que de classes », qui permet de traiter la difficulté scolaire dans la classe et de travailler différemment, tandis que 3 000 postes sont affectés à l’accueil des enfants de moins de trois ans, d’abord dans les territoires les plus en difficulté ; de récentes études viennent d’ailleurs de montrer à quel point cela peut être efficace. Et 4 000 postes sont prévus pour les établissements du secondaire les plus en difficulté, en particulier les collèges.

Pour faire face aux évolutions démographiques qui se profilent, 4 000 postes et 3 000 postes sont prévus respectivement dans le premier et le second degrés. Enfin, 6 000 postes sont programmés pour accueillir les élèves en situation de handicap – j’y veille aux côtés de Marie-Arlette Carlotti – ainsi que pour améliorer la vie des établissements et des services académiques.

J’entends certains qui s’interrogent pour savoir si ces moyens sont nécessaires.

M. Benoist Apparu. On peut poser la question !

M. Vincent Peillon, ministre. Il serait judicieux de s’interroger pour savoir s’ils sont suffisants. Mais nécessaires, ils le sont absolument.

Ces moyens sont nécessaires parce qu’ils permettent d’améliorer les taux d’encadrement, et le taux d’encadrement de la France dans le primaire est le plus bas de tous les pays de l’OCDE. Ces moyens sont nécessaires parce qu’ils permettent d’assurer les remplacements, et, après cinq années de saignées, nous ne sommes plus en mesure de mettre des remplaçants en face des élèves, que ce soit à l’école publique élémentaire ou au lycée. Ils sont nécessaires parce qu’ils permettent d’accueillir les enfants de moins de trois ans, et nous sommes passés entre 2002 et 2012 de 35 % à 11 % pour la proportion d’enfants de moins de trois ans accueillis à l’école. Ils sont nécessaires parce qu’ils rendent possible la formation initiale des enseignants, pour lesquels c’est une considérable revalorisation de permettre à nouveau l’année de stage ; celle-ci requiert en effet un montant de 800 millions d’euros. Ils sont nécessaires parce qu’ils permettent également d’accompagner les enfants en situation de handicap, parce qu’ils assurent la présence d’adultes dans les établissements, et donc la sécurité nécessaire à l’acte d’enseignement, parce qu’ils permettent enfin le traitement de la grande difficulté scolaire, alors que vous avez démantelé les réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté, un tiers de ces postes ayant été supprimés au cours des cinq dernières années.

M. Benoist Apparu. Pourquoi ne les recréez-vous pas tous ?

M. Vincent Peillon, ministre. Mais ces moyens ne sont pleinement utiles que s’ils servent aussi des objectifs pédagogiques et une exigence portée par toute la communauté éducative.

Il nous faut d’abord – et chacun doit mesurer l’importance de cette priorité – accorder au primaire l’essentiel des moyens. Cela ne s’est jamais produit dans notre pays. C’est une action qui suppose d’agir sur une multitude de facteurs : l’accueil des plus petits – je viens de le dire ; de nouveaux principes pédagogiques, plus de maîtres que de classes ; la redéfinition des cycles ; le respect retrouvé pour la spécificité de l’école maternelle française, que l’on nous envie partout dans le monde ; la redéfinition de nos programmes ; une meilleure articulation entre l’école et le collège ; sans oublier aussi, bien entendu, une formation initiale des professeurs qui soit à la hauteur de leur tâche et la reconnaissance par la nation de l’importance de leur mission.

Cela suppose aussi des rythmes scolaires adaptés, qui permettent aux enfants d’avoir le temps d’étudier et d’apprendre au cours de journées moins chargées tout en étant plus complètes et de semaines plus harmonieuses. Je le redis au cas où certains ne l’auraient toujours pas compris : la priorité au primaire est un projet de grande ampleur, qui marque une rupture et un temps nouveau pour l’école de la République. Ce sera la condition de la réussite de tous les élèves, tel est bien l’objectif que nous devons nous fixer en commun.

Il nous faudra progressivement, par le moyen des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, développer des pédagogies de la confiance qui valorisent les talents de chacun, mais aussi l’initiative et la coopération, qui exercent à l’apprentissage, qui encouragent plutôt qu’elles ne découragent, qui ouvrent sur les œuvres les plus riches de la culture et permettent l’épanouissement de soi.

Dans cette école, chaque élève, quel que soit son milieu d’origine, doit être appelé à donner le meilleur de lui-même. Il doit se préparer à respecter les autres et à se respecter soi-même – ce qui est une seule et même chose. Il doit, pour vivre dans un monde ouvert, maîtriser une langue étrangère. Il lui faut aussi apprendre à utiliser les technologies de l’information et de la communication dans des démarches actives, critiques et toujours riches pédagogiquement.

Dans ce projet, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, que nous mettons en place avec Geneviève Fioraso, ne marquent pas un retour vers le passé. Quand quelque chose de neuf se produit, il faut être capable de le saluer. Les ESPE ne sont ni les écoles normales, ni les IUFM. En effet, elles permettront de rassembler dans une même entrée progressive et professionnalisante dans le métier d’enseignant ceux qui se destinent à tous les niveaux de l’enseignement. Que l’on souhaite enseigner demain à l’école maternelle – car nous remettons en place une formation pour les écoles maternelles, qui a disparu – ou à l’université, on doit être capable de partager des valeurs et une vision communes.

Ces apprentissages professionnels ne se substituent en aucun cas à l’excellence disciplinaire. Tout au contraire, ils viennent la compléter. Ils doivent pouvoir être suivis dès les années de licence par celles et ceux qui ont la vocation de transmettre et d’enseigner, d’instruire et d’éduquer. Avec la didactique, la recherche, la sociologie, la psychologie cognitive, la psychologie du développement, les sciences de l’éducation, les usages du numérique, la lutte contre les stéréotypes, la morale laïque, les droits et les devoirs du fonctionnaire, les philosophies de l’éducation, l’étude des systèmes étrangers, la lutte contre la violence, chacune et chacun doit pouvoir trouver dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation de quoi construire sa compétence, sa légitimité et son autorité de professeur.

De même, les professeurs devront pouvoir y travailler avec tous les autres métiers de l’éducation, ainsi qu’avec les professionnels des autres ministères – ceux de la culture, de la jeunesse et des sports, de l’environnement, de la santé, de la police, de la justice et de la formation professionnelle – sans oublier les représentants des grandes associations avec lesquels ils auront à travailler tout au long de carrières dont nous aurons d’ailleurs à redéfinir les missions et le déroulement.

Les universités se sont engagées avec détermination, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans la construction de ces écoles. Ce n’était pas chose aisée. Là encore, nous avons hérité d’un passif important, à savoir le divorce de nos deux ministères, lequel avait conduit à la suppression de la formation des enseignants.

Les meilleurs de nos universitaires et de nos praticiens devront travailler ensemble dans une culture partagée et respectueuse pour former les centaines de milliers de professeurs dont la France aura besoin dans les années à venir.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Bien entendu, il faudra du temps, des efforts et de la persévérance pour que ces écoles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Mais chacun doit garder présent à l’esprit que le levier le plus efficace pour la réussite des élèves, c’est la formation initiale et continue des professeurs. Lundi prochain, l’OCDE tiendra d’ailleurs à Paris un grand colloque international pour soutenir cette démarche et rappeler que c’est bien là le facteur essentiel d’une grande ambition éducative.

Le numérique, on le sait, modifie profondément l’accès à l’information et la transmission des connaissances ; il bouleverse notre relation au savoir. L’école ne peut pas l’ignorer. Elle ne peut pas non plus se contenter de subir passivement cette mutation décisive. C’est pourquoi nous formerons les jeunes au numérique, pour qu’ils maîtrisent ces outils indispensables à tous les aspects de leur vie. Nous les formerons aussi par le numérique, car c’est un puissant levier de rénovation des pratiques pédagogiques, pour une plus grande réussite scolaire. Le numérique sera là pour aider le maître et l’élève ; il sera un moyen, mais jamais une fin.

C’est pourquoi je tiens à souligner devant vous l’importance de la création du service public du numérique éducatif. Ce n’est pas tous les jours que l’on crée un nouveau service public dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ce sera, de surcroît, un vrai service public, c’est-à-dire gratuit et respectant les principes fondamentaux des services publics à la française : égalité d’accès de tous au service, continuité et qualité du service. Ce sera aussi un important vecteur de réduction des inégalités scolaires. Nous ne voulons pas que la seule réponse à l’échec scolaire et à la dette éducative soit le recours aux instituts privés qui proposent du bachotage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

De la même façon, même si elle ne relève pas de la loi, la modification des rythmes scolaires devra être conduite dans la durée. Elle doit bien entendu concerner l’école élémentaire. Chacun convient en effet que la semaine de quatre jours n’a pas été une bonne chose.

M. Régis Juanico. Eh oui !

M. Vincent Peillon, ministre. Mais il faudra aussi penser aux collégiens et aux lycéens, pour lesquels les journées sont souvent inutilement lourdes et l’année trop déséquilibrée. Nous ne pouvons pas nous plaindre à longueur de temps de la détérioration de nos performances scolaires, de l’accroissement des inégalités entre les jeunes Français et du trop grand nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans diplômes ou qualifications et ne rien vouloir changer, alors même que les causes de ce déclin sont clairement identifiées par tous, très au-delà des polémiques et des clivages partisans qu’il est déshonorant de vouloir reconstituer une nouvelle fois sur ces sujets, au détriment de notre jeunesse, voire de l’intérêt général. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Benoist Apparu et M. Luc Chatel. Et vous, que faites-vous ?

M. Vincent Peillon, ministre. De nouveaux chantiers sont ouverts : ceux du collège, de l’éducation prioritaire et des lycées professionnels. Aucun sujet ne saurait être tabou – et certainement pas celui du métier d’enseignant, de ses missions et de sa valorisation.

M. Benoist Apparu. Il n’y a rien dans le texte !

M. Pascal Popelin. Un peu de modestie, monsieur Apparu !

M. Vincent Peillon, ministre. En rénovant les instruments démocratiques qui permettent que la nation dans son ensemble décide de l’instruction et de l’éducation qu’elle veut pour ses enfants ; en remettant en place un conseil supérieur des programmes ; en associant mieux les collectivités locales ; en composant un nouveau conseil de l’évaluation réellement indépendant et non prescripteur ; en veillant à associer davantage et pour la première fois la représentation nationale à ces grands choix de société, nous ouvrons une porte sur l’avenir et nous permettons le rassemblement nécessaire.

C’est le même esprit de responsabilité qui nous guide lorsque nous souhaitons mieux associer État et régions à la définition des cartes de formation professionnelle, lorsque nous nous soucions que chaque enfant de la République ait droit à un parcours d’orientation et d’information sur les formations et les métiers lui permettant de construire son projet ou lorsque nous voulons, avec ma collègue Aurélie Filipetti, offrir à chacun un parcours d’éducation artistique et culturelle.

M. Benoist Apparu. Il n’y a aucun budget !

M. Vincent Peillon, ministre. Là encore, nous sommes fidèles à cette grande tradition de la République enseignante qui veut une éducation libérale, c’est-à-dire que chaque enfant puisse avoir accès au meilleur de la culture et aux arts libéraux et qui, en même temps, défend l’enseignement professionnel en soutenant, comme le faisait Jules Ferry dans son discours de Vierzon, que « relever l’atelier, c’est relever la patrie ».

Mesdames et messieurs les députés, refonder l’école de la République est une tâche pour tous les républicains, qui suppose de la rigueur, de la patience, des convictions et un idéal vivant et généreux. Comme la République, elle est un acte de confiance. C’est le choix de ceux qui nous ont précédés : faire confiance à la liberté de chacun et considérer que tout homme, toute femme, tout enfant peut être instruit et doit être éduqué. La vertu des pédagogues est la même que celle des politiques ; chez les uns comme chez les autres elle est rare. Il faut être attentif à ce qui permet à chacun de progresser et de donner le meilleur de lui-même, de façon à ce qu’il témoigne en lui-même de toute l’humanité.

La France d’aujourd’hui, nous le savons, se complaît beaucoup trop dans la morosité ; Elle a du mal à discerner son avenir, à mobiliser son courage et à trouver son espérance. Certains peuvent encore croire, qui demandent davantage d’efforts de rigueur et de compétitivité, que toutes ces exigences sont d’abord des nécessités matérielles imposées par je ne sais quelle fatalité, des contraintes physiques ; c’est une vision réductrice.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est vrai !

M. Vincent Peillon, ministre. Ce qui fait la grandeur d’un peuple, c’est son idéal, mais aussi ses vertus intellectuelles et morales. L’effort, le mérite, le courage et l’honnêteté ne seront jamais des chiffres de l’INSEE ou de la Commission européenne ; ce sont des vertus de caractère et d’esprit.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Ces vertus, dont nous avons grand besoin pour répondre aux défis qui sont les nôtres, c’est à l’école qu’il faut les apprendre ; c’est donc à l’école qu’il revient de les enseigner. La France ne peut pas se permettre de voir ses performances scolaires décliner, les inégalités entre ses enfants s’accroître, trop de jeunes sortir chaque année du système scolaire sans diplôme ou qualification, tant d’élèves français – 25 % – en difficulté à l’entrée au collège.

Être rigoureux et juste dans nos raisonnements, précis dans nos argumentations, respectueux dans nos comportements, dévoués dans nos engagements et constants dans notre action, tout cela relève des vertus que l’école de la République doit enseigner. La refondation de notre école n’est pas une réforme à côté d’autres ; c’est la condition même de la réussite de toutes les autres réformes et du redressement de la nation.

C’est pourquoi, si nous voulons surmonter la crise de l’avenir et la crise de l’identité nationale que nous traversons depuis plusieurs décennies, nous devons faire de l’école notre premier investissement et notre bien commun. Encore une fois, la refondation de notre école sera la condition de ce redressement.

Mesdames et messieurs les députés, notre débat va commencer. Vous avez déjà, lors des travaux de la commission, enrichi fortement notre texte sur de nombreux points ; je vous en remercie.

Si je n’ai pas souhaité être présent lors de l’examen en commission, ce n’est pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre, par manque de respect ou d’intérêt, mais très exactement pour la raison inverse : c’est l’esprit des institutions réformées en 2008 qui me commandait de laisser aux débats des parlementaires leur pleine liberté. Il y a le temps de la commission et il y a le temps de la séance.

Permettez-moi de saluer le président Patrick Bloche, qui a conduit en commission des débats précis et fructueux. Plus de 600 amendements ont été déposés et – combien de textes ont-ils permis cela ? – 200, venant de tous les groupes, ont d’ores et déjà été adoptés. Je salue le travail du rapporteur, Yves Durand, qui est, comme nous, au début d’une longue semaine.

Vos travaux ont permis de promouvoir le concept d’inclusion scolaire. C’est la définition d’une nouvelle approche de la scolarisation des enfants en situation de handicap. C’est une bonne chose. Nous allons intégrer ces amendements dans le texte de loi et faire en sorte qu’ils ne figurent pas seulement dans le rapport annexé.

Vos travaux ont également permis, grâce à des propositions venant de l’ensemble des bancs, d’importantes avancées en matière de langues régionales. Le rapport annexé reconnaît le bénéfice qu’il y a pour un entant à apprendre très tôt une langue régionale, au même titre qu’une langue étrangère.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Enfin, je tiens à saluer votre commission pour son travail sur les valeurs et les symboles de la République. Vous avez proposé, dans le rapport annexé, que la devise de la République et le drapeau tricolore soient apposés sur la façade de tout établissement scolaire et que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 soit affichée dans tous les établissements.

Ces dispositions vont tout à fait dans le sens de ce que je souhaite. Elles augurent d’un débat riche et constructif autour de l’enseignement des valeurs de la République et de la morale laïque, que j’attends avec gourmandise.

Nous poursuivons, avec la nation tout entière, le même but : la réussite de tous les élèves. Cette réussite sera la réussite de la France. Si certains cherchent encore une cause qui les dépasse et qui est à même de nous rassembler, qu’ils ne cherchent pas davantage : c’est l’école, toujours l’école, encore l’école !

Vous voulez une France capable de vaincre le chômage : l’école doit mieux former la jeunesse et la préparer aux métiers de demain. Vous voulez une France capable de renouer avec la prospérité, la confiance, la compétitivité : il nous faut élever le niveau d’instruction, de qualification de la jeunesse, lui donner force et confiance, parce qu’elle est notre meilleur atout. Vous voulez une France où chacun pourra avoir sa chance et où la justice ne sera pas une hypocrisie : alors nous devons transmettre nos valeurs, qui sont généreuses, nobles et fortes. Nous devons instruire, éduquer et faire grandir.

Si nous faisons l’économie de cette tâche, si la paresse, le cynisme ou l’esprit partisan reprennent le dessus, on pourra toujours chanter la même chanson : la France ne se redressera pas, elle continuera son lent déclin, les forces d’inertie et d’abaissement l’auront emporté. Si, à l’inverse, nous engageons ensemble cette refondation, dans le sérieux et le respect de chacun, nous donnerons une chance à l’espoir.

Je compte sur vous tous, afin que ce débat permette de redonner à la promesse républicaine toute sa force et à notre pays l’espérance dont il a tant besoin ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Yves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en présentant le rapport au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je me fais l’écho des vingt heures de débat au sein de notre commission, mais aussi des 120 auditions auxquelles nous avons procédé et de la grande concertation nationale qui a réuni, l’été durant, des centaines d’acteurs de l’éducation et de partenaires de l’école.

Cette loi d’orientation et de programmation en est le fruit. Tout ce travail est le signe d’une volonté partagée de faire de l’école de la République un véritable projet collectif.

Comme la tonalité des débats en commission l’a démontré, la loi que nous examinons aujourd’hui est la traduction du désir d’école, désir qui devrait nous rassembler.

En effet, au-delà de la recherche quelque peu stérile des responsabilités historiques des uns et des autres, nous partageons le même constat. L’école échoue dans sa mission : les résultats du système éducatif français se dégradent, les inégalités se creusent à l’école, et, pire encore, par l’école. Personne ne peut contester les conséquences économiques et les conséquences humaines de cet échec.

Ce constat doit nous amener à nous mobiliser autour des grandes orientations du projet de loi, comme le laissent à penser les débats en commission, très constructifs. Parmi ces grandes orientations, trois nous ont semblé particulièrement refondatrices.

La première consiste à définir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. C’est une idée qui n’est pas neuve, puisqu’elle répond aux enjeux de la massification née dans les années 1970 – chacun se rappelle la réforme Haby sur le collège unique, que certains voudraient d’ailleurs remettre en cause aujourd’hui. Ce socle commun, inscrit dans la loi de 2005, n’a jamais été réellement mis en œuvre. Il ne peut en effet se réduire à une table de connaissances et de compétences. Il doit faire sens pour chaque élève et, au titre d’une culture commune à tous, ouvrir des perspectives à chacun d’entre eux. D’où le triptyque : socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

M. Frédéric Reiss. Mais quel en sera le contenu ?

M. Yves Durand, rapporteur. Certains d’entre nous, notamment dans l’opposition – nous en avons débattu longuement en commission –, ont contesté l’introduction de la culture dans ce que doit maîtriser chaque élève à la sortie de l’enseignement obligatoire. Au contraire, c’est avec et par la culture que chacun pourra donner un sens aux savoirs qu’il aura acquis. L’ajout du mot « culture » au socle commun de connaissances et de compétences, au-delà du débat sémantique, procède d’une ambition : que chaque jeune maîtrise enfin ce dont il aura besoin pour affronter le monde contemporain.

La deuxième orientation, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, consiste à donner la priorité au primaire. Elle vise aussi à réaffirmer le rôle de l’école maternelle, qui doit devenir une école à part entière. Dans cette optique, en faire un cycle particulier est fondamental.

Il faut enfin commencer par le commencement. C’est dans le primaire que tout commence, et, hélas, que tout finit parfois, car c’est là que les inégalités sociales et scolaires se creusent.

Donner la priorité au primaire ne consiste pas uniquement à rééquilibrer les moyens en sa faveur, mais surtout à permettre d’y enseigner autrement. C’est « mieux » d’école, tout autant que « plus » d’école.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Très bien !

M. Yves Durand, rapporteur. Cette orientation permettra d’appliquer enfin les cycles d’apprentissage inscrits dans la loi Jospin de 1989, largement oubliés dans la réalité. Réaffirmer leur nécessité, c’est marquer là aussi une ambition pour le primaire.

Cette orientation permettra de suivre individuellement les élèves et de répondre à leurs difficultés dès qu’elles apparaissent, et même avant qu’elles n’apparaissent. La mesure du « plus de maîtres que de classes » montre qu’il ne peut y avoir opposition entre les moyens et les résultats, entre le technique et le politique, entre ce que certains appellent le « quantitatif », et le « qualitatif ». Six maîtres pour cinq classes, ce n’est pas uniquement un maître de plus dans une école, c’est un véritable levier de transformation pédagogique, le moyen de travailler autrement.

Les travaux en commission ont dégagé semble-t-il un accord sur cette orientation, alors qu’elle représente une rupture avec les réformes précédentes, qui commençaient par les perspectives avant de s’attaquer aux fondements : on a réformé l’université puis le lycée, avant de penser à la base qu’est l’école primaire et sa nécessaire continuité dans le collège, concrétisée par un cycle commun CM2/sixième et par la création d’un conseil école/collège.

Vous avez insisté particulièrement sur la troisième orientation refondatrice, monsieur le ministre : repenser la formation des maîtres, sans laquelle rien n’est possible. Seule la maîtrise du métier d’enseignant permet de réaliser l’acte éducatif. Les pratiques pédagogiques et leur évolution, dont celle intégrant le numérique – nous en discuterons – sont au cœur de ce projet. Pour la première fois depuis longtemps, une loi aborde, outre les structures de l’école, les pratiques pédagogiques.

La refondation ne peut être que pédagogique. La réforme de la formation initiale des enseignants sera donc fondée sur une entrée progressive dans le métier avec une professionnalisation – enfin ! – dès la licence et l’acquisition d’un master professionnel, le premier marqueur d’une identité professionnelle étant la qualité de la formation qui conduit au métier. Jusqu’ici, la France présentait cette extraordinaire particularité, monsieur Chatel, d’être un pays où l’enseignement était le seul métier qui ne s’apprenne pas.

Pour organiser cette formation, le projet de loi prévoit la création d’une école supérieure du professorat et de l’éducation, qui formera les enseignants de l’école maternelle à l’université ainsi que les personnels d’éducation, au sens large du terme.

Remplaçant les instituts universitaires de formation des maîtres sans les recréer, ces structures auront, madame la ministre, le statut d’écoles internes aux universités et fonctionneront sur un budget de projets. Fortement encadrées par l’État, elles s’inscriront dans un cadre national des formations, afin de créer un véritable esprit d’école.

C’est sans doute sur la formation des enseignants, sujet majeur, que la démarche de concertation s’est montrée particulièrement efficace cet été. Source de bien des divergences et de bien des clivages au départ, la nécessité de la professionnalisation du métier d’enseignant est aujourd’hui admise par tous. Les dispositions du projet de loi ne peuvent cependant fermer la porte à une réflexion concertée sur le métier d’enseignant au XXIe siècle.

Mes chers collègues, en votant cette loi, nous jetterons les fondations de l’école dont notre démocratie a besoin : celle qui transmet les savoirs, les connaissances et les savoir-faire, mais aussi les valeurs de la République dans le cadre d’un enseignement civique et moral.

Certains nous ont reproché d’inscrire une morale laïque dans le cadre de l’école. Pourquoi interdirions-nous à l’école de la République d’inculquer, de transmettre, de mettre en évidence ce qui rassemble les êtres humains au sein d’une même collectivité ? Ne laissons pas à d’autres ce soin.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas le rôle de l’école !

M. Yves Durand, rapporteur. Je ne doute pas, monsieur Apparu, que nous aurons sur ce sujet un débat riche et franc.

Il s’agit bien d’une loi de refondation, qui ouvre une dynamique, qui met en perspective. Elle invite à poursuivre en permanence la construction de l’école, jusqu’à l’université, comme le suggère le rapport annexé.

Ce n’est pas une loi « clé en mains » ; elle permet au contraire de continuer à construire l’école de demain. D’ores et déjà, elle donne des outils pour le futur : le conseil national des programmes – supprimé par la loi de 2005, son absence a été mise en évidence –, le conseil supérieur de l’évaluation et le comité de suivi, proposé par votre rapporteur et accepté par la commission.

Mes chers collègues, le vote positif que votre commission a émis à la majorité ne clôt pas le débat sur l’école. Il est un appel à poursuivre, dans le même esprit de concertation, la construction d’une école juste et efficace pour le XXIe siècle.

Eu égard aux travaux de notre commission, je suis intimement persuadé que cet appel pour une école refondée doit pouvoir nous rassembler, parce que l’école appartient à la nation tout entière.

M. Benoist Apparu. Cet amendement-là aussi !

M. Yves Durand, rapporteur. Je ne voudrais pas conclure sans remercier tout particulièrement l’ensemble de nos collègues qui, pendant de longues heures, ont participé à des travaux riches. S’ils ont mis en évidence un certain nombre de divergences bien légitimes, je ne doute pas qu’elles seront, grâce à la richesse et la profondeur des débats, surmontées pour l’avenir de l’école et donc de la République.(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vous cache pas que c’est avec un sentiment particulier que j’interviens aujourd’hui à cette tribune. Ce sentiment, c’est celui d’être partie prenante d’une belle et grande aventure, d’être au cœur d’une forte ambition et de contribuer à faire vivre la belle promesse républicaine d’égalité.

Le texte que nous présente le Gouvernement vise en effet, et les mots ont un sens, à refonder l’école de la République. Dès lors, il s’agit non de légiférer pour porter une énième réforme de l’éducation nationale au temps court, mais de proposer une réelle vision pour son avenir, au-delà même du temps d’une législature, du temps d’un ministre, et, a fortiori, du temps d’un débat.

Le Président de la République l’avait annoncé durant sa campagne et le réaffirme avec force et constance depuis son élection : il compte imprimer à son quinquennat la marque de la priorité à la jeunesse. En présentant ses vœux à Grenoble, le 23 janvier dernier, François Hollande a d’ailleurs rappelé qu’« aider la jeunesse, c’est donner un horizon à toute la France, à toute la société ». C’est en ce sens que la nouvelle politique intitulée « Priorité jeunesse » et adoptée dans le cadre d’un conseil interministériel, il y a quelques jours, révèle toute son importance. Cette nouvelle approche se doit d’être transversale tant changer l’action publique destinée aux jeunes amène à s’attacher à leur accès aux droits sociaux tout autant qu’à favoriser leur autonomie, à lutter contre les inégalités et les discriminations qui les touchent comme à encourager leur participation au débat public.

Mais donner la priorité à la jeunesse, au-delà de ces mesures fortes, c’est aussi et tout autant porter une grande ambition pour l’école que le Président de la République a rappelée avec force, le jour même de son investiture, lors de l’hommage qu’il a voulu rendre à Jules Ferry.

Dans son discours, François Hollande a rappelé, ce jour-là, en célébrant deux lois dues à l’obstination, à la volonté et au courage de Jules Ferry – celle du 16 juin 1881 relative à la gratuité de l’enseignement primaire et celle du 28 mars 1882 relative au caractère laïque et obligatoire de l’école – : « Dans l’histoire de la République, les grandes dates, les vraies étapes, les plus sûrs repères dans la marche du temps, ce sont les lois ».

Penser l’école a toujours été en France un acte fondateur pour lequel ont été sollicités de grands serviteurs de la République comme Condorcet et Jules Ferry, ou encore Paul Langevin et Henri Wallon.

C’est, je le crois profondément, le sens et l’ambition du projet de loi dont nous commençons à débattre aujourd’hui.

Je ne vais pas en détailler les dispositions après vous, monsieur le ministre, et après notre excellent rapporteur. Je crois néanmoins nécessaire d’insister sur le choix volontaire que vous avez fait de donner la priorité au primaire. Il est de notre responsabilité de miser et de porter nos efforts sur les niveaux où s’acquièrent les savoirs fondamentaux. C’est vraiment essentiel. Éviter que les inégalités ne se créent dès le début du parcours scolaire doit être un objectif majeur tant il est difficile voire impossible, par la suite, de rattraper le retard pris ou accumulé. C’est d’ailleurs le sens du « plus de maîtres que de classes », qui permettra un renouveau pédagogique dans les classes qui en ont le plus besoin, grâce à un réel changement du travail des enseignants avec leurs élèves. C’est le même objectif qui est poursuivi par la perspective de porter à 30 % la scolarisation des enfants de deux et trois ans, dans les secteurs défavorisés, d’ici trois ans.

Mais pour les plus grands, il s’agit aussi, par la définition des cycles d’enseignement, de permettre à chacun d’apprendre et de progresser à son rythme, c’est-à-dire selon un temps qui n’est pas forcément celui de l’année scolaire. Rendre exceptionnels les redoublements, le plus souvent inutiles, participera aussi au changement attendu. Enfin, et c’est primordial, la restauration de la formation des maîtres, par la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, est évidemment une mesure essentielle du dispositif.

On le voit bien, il s’agit de mettre en place un tout cohérent, avec un objectif commun : la réussite scolaire pour tous.

Notre commission travaille depuis déjà plusieurs semaines à l’examen de ce texte. Je veux saluer tous les collègues qui ont pris une part active aux travaux préparatoires et je tiens à rendre hommage en votre nom, si vous me le permettez, au rôle majeur joué par notre rapporteur Yves Durand, dont les compétences reconnues sur tous les bancs vont de pair avec un bel esprit d’ouverture.

Le dépôt et la discussion en commission de plus de 660 amendements a montré, s’il le fallait, tout l’intérêt qui est porté à ce projet de loi. Notre commission, si elle reste naturellement celle des affaires culturelles, est plus que jamais celle de l’éducation.

De ce point de vue, les frontières doivent être parfois utilement poreuses et, parce que ma conviction est forte en ce domaine, je tenais tout particulièrement à saluer l’encouragement donné par le projet de loi à l’accès à la culture. La mise en place du parcours d’éducation artistique et culturelle est primordiale tant l’éducation et la culture sont intimement liées.

Accès à la culture, instruction, orientation scolaire, les grands enjeux d’aujourd’hui étaient déjà portés par vos illustres prédécesseurs, monsieur le ministre. J’ai pour ma part, comme vous, un attachement particulier pour Jean Zay, si lumineux et si anticipateur dans sa conviction que la société avait tout à gagner à donner sa chance à tous et à former au mieux le plus grand nombre. Je n’oublie pas non plus la vision si actuelle qu’il avait des synergies à créer entre instruction, culture et loisirs.

Cette approche, me semble-t-il, nous la retrouvons dans la réforme des rythmes éducatifs. Écoles, collectivités territoriales, associations culturelles et sportives, mouvements d’éducation populaire ont ainsi l’opportunité, ensemble, de construire un cadre nouveau dans l’intérêt même des enfants, en organisant de manière globale leur temps de vie scolaire et leur accès à tout ce qui peut contribuer à les éduquer, à cultiver leurs corps comme leurs esprits, à en faire pleinement des citoyens. En ce sens, la réforme des rythmes éducatifs, si possible, si souhaitable, dès la prochaine rentrée scolaire, à Paris comme je l’espère, et dans tant d’autres cités, est une contribution décisive à la lutte contre les inégalités scolaires qui ne font que reproduire les inégalités socioculturelles.

M. Benoist Apparu. Il y a peu de chances !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Nous le savons bien, le processus de refondation de l’école de la République est inévitablement un processus de longue haleine dont la loi constitue le socle.

Il faut des moyens, notamment budgétaires, pour servir cette ambition. Et nous n’avons de cesse de saluer l’effort exceptionnel du Gouvernement, dans un contexte de réduction impitoyable des déficits publics, qu’il s’agisse des mesures d’urgence pour la rentrée scolaire 2012, de la création de 16 000 « emplois d’avenir professeur » ou des milliers de recrutements inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013.

La loi est naturellement une étape essentielle mais, une fois qu’elle sera votée, il restera beaucoup à accomplir. Faire entrer l’école dans l’ère numérique, faire évoluer le contenu des enseignements, leur organisation, tout cela nécessitera énergie et conviction.

Vous n’en manquez pas, monsieur le ministre, tout comme vous, mesdames les ministres, et nous connaissons votre volonté et votre capacité à vouloir aller toujours plus loin, à porter toujours plus haut un grand dessein pour l’école de la République.

Vous définissez les vrais enjeux, faites preuve de pédagogie et emmenez avec vous ceux qui attendent depuis si longtemps une politique d’élévation de l’éducation nationale en redonnant à l’école la foi – inévitablement laïque – en ses capacités et, aux enfants et aux enseignants, l’envie d’apprendre et d’enseigner.

La très belle progression des inscriptions aux concours 2014 de recrutement des enseignants en est le meilleur témoignage. C’est un signe important de la reconnaissance du travail de revalorisation du métier d’enseignant qui est à l’œuvre.

Plus que jamais, l’école est le lieu où l’on doit donner le goût d’apprendre, de chercher, de savoir. Il faut pour cela que chacun ait la même chance d’accéder à cette découverte et la même chance de réussir. Aussi, permettre l’égalité de tous, c’est savoir donner plus de moyens à ceux qui en ont le plus besoin.

C’est une évidence de le dire, cela l’est moins quand il faut traduire dans les faits cet objectif d’égalité alors même que l’éducation nationale a été durablement affaiblie au long de ces dix dernières années et que le doute a pu saisir nombre d’acteurs éducatifs jusqu’à laisser percevoir parfois un véritable mal-être.

Mais pour un pays, faire le pari de la jeunesse et miser sur l’éducation, c’est tout simplement écrire son avenir. C’est en cela que la mobilisation ne peut être que l’affaire de tous, car c’est un enjeu pour la République tout entière.

C’est aussi pourquoi, monsieur le ministre, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui à la fois heureux et enthousiastes d’apporter notre contribution active et notre soutien déterminé à ce projet de loi qui, en recréant les conditions de la réussite éducative pour tous, refonde l’école de la République, cette école que nous aimons comme nous aimons la République, indivisible, laïque, démocratique et sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Benoist Apparu.

M. Benoist Apparu. Nous sommes déçus, monsieur le ministre, par votre projet de loi,…

M. Patrick Hetzel. Il est vide!

M. Benoist Apparu. …parce que vous êtes arrivé à une période particulièrement intéressante pour notre système éducatif. Vous aviez, je crois, entre les mains, la possibilité de proposer une réforme qui aurait opéré une véritable refondation de notre système éducatif.

M. Jean-Pierre Blazy. Qu’espériez-vous ? Vous aviez tout cassé !

M. Benoist Apparu. Pourquoi aviez-vous cette chance historique entre les mains ? Tout d’abord parce que la majorité précédente, soyons réalistes, à tort ou à raison, n’a pas laissé un souvenir impérissable dans les milieux éducatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Blazy. Voilà une vérité !

M. Benoist Apparu. Assumons cette réalité, à tort ou à raison.

Par ailleurs, vous arrivez avec ce qui représente le rêve de tout ministre de l’éducation nationale : des postes.

Vous-même, monsieur le ministre, votre passé d’enseignant vous permet de disposer de la reconnaissance du milieu scolaire quant à votre capacité et à votre volonté à réformer l’école.

Grâce à tous ces éléments, vous pourriez, me semble-t-il, proposer une réforme de grande ampleur, une véritable refondation de notre système éducatif.

M. Jean-Pierre Blazy. Eh bien oui !

M. Benoist Apparu. Malheureusement, quand je lis le texte de loi et le rapport annexé, je ne retrouve ni les éléments de cette ambition ni la refondation que vous évoquez.

On peut le comprendre dans le texte de loi lui-même puisque, nous le savons tous, la matière éducative n’est pas une matière législative. Il n’est donc pas tout à fait illogique que, dans le corps même de la loi, il n’y ait pas d’ambition réelle en tant que telle. Simplement, on s’attendrait, dans une loi de programmation, a fortiori dans une loi d’orientation, à ce que figure, dans le rapport annexé, la vision de la majorité et du Gouvernement, la vision que vous avez du système éducatif pour les dix ou quinze années à venir. C’est le sens de toutes les lois d’orientation, qui portent toutes sur des temps longs, dix ou quinze ans.

Dans le rapport annexé, qui est censé résumer l’ensemble de votre politique, nous ne retrouvons pas l’ambition que vous affirmez. Pour quelle raison ? Peut-être pourriez-vous nous l’indiquer un jour ? Avez-vous perdu l’ensemble des arbitrages ? Ou bien avez-vous été effrayé par l’ampleur de la tâche et par le risque syndical qu’entraînait une véritable refondation ?

Je vais m’arrêter un instant sur ce que vous appelez « refondation ».

Vous nous avez expliqué il y a quelques jours ici même qu’il ne fallait pas confondre les piliers de l’école avec ses fenêtres ou sa toiture. Vous nous dites – vous l’avez de nouveau répété tout à l’heure – que la refondation de l’école, pour vous, repose sur trois piliers : les rythmes scolaires – nous y reviendrons –, la priorité donnée au primaire et la réforme de la formation professionnelle des enseignants via les ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Ce sont trois éléments importants de notre système éducatif, mais ils n’en sont en rien les fondations. Les fondations de notre système éducatif sont, nous semble-t-il, composées de trois autres éléments : l’architecture globale du système, le statut des établissements et le statut des enseignants. Voilà les trois véritables piliers !

Vous avez évoqué dans votre discours liminaire la nécessité de ne pas confondre l’essentiel et l’accessoire. Malheureusement, il me semble que, dans votre tête, vous confondez l’essentiel et l’accessoire, car vous traitez, mal – nous le verrons dans quelques instants –, de choses qui ne sont pas tout à fait insignifiantes, mais vous ne traitez pas de l’essentiel, c’est-à-dire, je le répète, l’architecture globale du système éducatif, le statut des établissements et le statut des enseignants.

J’entends déjà le rapporteur me dire que la volonté de ce texte est d’avoir une entrée pédagogique, non une entrée par les statuts.

M. Yves Durand, rapporteur. Vous avez bien compris !

M. Benoist Apparu. J’ai bien compris la leçon et j’ai retenu l’argumentaire du rapporteur qui défendait admirablement, de ce point de vue, les positions du Gouvernement, mais c’est son rôle.

Cela étant, entendons-nous bien : dès lors que vous touchez au statut des enseignants et à celui des établissements, vous permettez aux établissements d’adapter la pédagogie à la réalité sociologique des élèves et à chaque enseignant d’adapter sa pédagogie à la sociologie de sa classe. C’est pour cette raison que nous voulons une modification profonde du statut des enseignants et du statut des établissements. Il n’y a pas là de contradiction avec l’entrée pédagogique que vous évoquez.

Je reviens sur les trois points que vous avez énumérés : formation des enseignants, réforme des rythmes scolaires, priorité au primaire.

S’agissant d’abord de la réforme des rythmes scolaires, nous n’allons pas refaire le débat. Il a lieu en ce moment même dans l’ensemble des conseils municipaux et chacun mesure la réussite de votre réforme. Le président de la commission, il y a quelques instants, se félicitait que la ville de Paris s’engage dès 2013 et il avait l’ambition qu’une grande majorité des communes françaises suive Paris pour cette date.

Malheureusement, il me semble que quand on regardera la réalité des chiffres, la plupart des collectivités locales feront ce choix en 2014, pas en 2013.

Plusieurs députés du groupe SRC. Et alors ?

M. Benoist Apparu. La plupart des collectivités locales récusent la réalité même de cette réforme et sa pertinence.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est faux !

M. Benoist Apparu. On va me dire, là encore, que ce n’est pas dans le texte. C’est faux, mes chers collègues, car cela figure dans le rapport annexé, lequel reprend l’ensemble de la politique du Gouvernement, y compris les rythmes scolaires puisque, dans le rapport annexé, une série d’alinéas expose les motifs de cette réforme.

L’erreur majeure de cette réforme ne réside pas dans l’absence de concertation. Celle-ci est bien réelle, mais nous savons tous qu’il est particulièrement difficile d’organiser ce type de concertation. Le problème, monsieur le ministre, c’est que vous avez découpé, saucissonné la réforme.

Nous sommes tous convaincus qu’il est nécessaire de définir une réforme des rythmes scolaires en France.

M. Luc Belot. Que ne l’avez-vous fait !

M. Benoist Apparu. Et ce pour trois raisons. Nous connaissons tous les statistiques. Notre système scolaire, dans son ensemble, compte plus d’heures – 12 % en moyenne – que l’ensemble des autres systèmes scolaires. La journée est plus longue et l’année plus courte. Ce constat, nous le connaissons bien.

Simplement, monsieur le ministre, vous avez saucissonné la réforme. Vous traitez la journée scolaire et la semaine scolaire dans un premier temps, et vous traitez dans un second temps l’année scolaire. Vous nous avez dit récemment que, dans quelques semaines, vous engageriez une concertation pour aboutir en 2015 à une réforme de l’année scolaire. Vous allez avoir un gros problème. En réduisant les vacances scolaires, vous allez mécaniquement allonger le temps de travail des enseignants de deux semaines…

M. Luc Belot. Pas forcément !

M. Benoist Apparu. …soit cinquante-quatre heures de travail, ce qui équivaut à 18 000 ETP, autrement dit à 18 000 postes. Cela coûtera 750 millions d’euros. Je doute que Bercy vous donne 750 millions d’euros pour pouvoir financer l’allongement du temps de travail des enseignants !

Vous allez donc, en 2015, reporter ces cinquante-quatre heures de temps de travail en plus sur l’ensemble de l’année scolaire, pour diminuer, sur le reste de l’année scolaire, de cinquante-quatre heures le temps de travail des enseignants.

M. Vincent Peillon, ministre. Je vois que vous avez envie de la faire, cette réforme !

M. Benoist Apparu. Elle est intéressante mais, quand on la prend dans le mauvais sens, monsieur le ministre, on court forcément à l’échec ! Lorsque vous allez répercuter ces cinquante-quatre heures sur l’ensemble de l’année scolaire, vous allez diminuer la journée scolaire, autrement dit remettre totalement à plat la réforme que vous êtes en train de conduire. C’est là, me semble-t-il, l’erreur fondamentale de votre texte : vous pouviez travailler sur une réforme des rythmes scolaires à condition de l’appliquer en même temps à l’année, à la semaine et à la journée, ou en commençant par l’année scolaire pour pouvoir répercuter les cinquante-quatre heures en question sur l’ensemble de la semaine et de la journée. Voilà une réforme des rythmes scolaires qui pouvait avoir un sens !

Le deuxième pilier de votre réforme vise à donner la priorité au primaire.

Sur ce point, nous partageons votre constat et votre analyse : nous devons donner la priorité au primaire. Nous le savons tous, c’est parce que nous n’avons pas su anticiper l’échec scolaire dans le primaire que nous n’arrivons pas à résoudre les problèmes au collège, puis au lycée. Jusque-là, nous sommes d’accord. Le problème, c’est qu’au-delà de l’incantation « priorité au primaire », je ne vois pas dans votre texte de loi de contenu réel permettant de donner la priorité au primaire.

Vous parlez de postes – nous y reviendrons – et, si j’ai bien compris, le nouvel élément pédagogique que vous voulez mettre en place, ce sera plus de maîtres que de classes. Vous comptez pour ce dispositif 3 000 postes, si j’ai bien lu la loi de programmation.

M. Régis Juanico. Non, 7 000 !

M. Benoist Apparu. Si je comprends bien, avec 7 000 postes en cinq ans, vous allez faire une révolution pédagogique pour 255 000 classes en France. Il y a une vraie différence entre l’incantation « priorité au primaire » et la réalité. Nous pouvons trouver une solution et aller au-delà de ce que vous proposez. Les moyens que la France consacre à son système scolaire représentent 6,3 points de PIB, contre 6,2 pour la moyenne de l’OCDE. Mais il y a, à l’intérieur de notre système, une répartition inégale entre ce que nous accordons d’un côté au lycée, de l’autre au primaire. Nous dépensons beaucoup plus d’argent pour le lycée que pour le primaire.

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Benoist Apparu. À l’heure où tous les pays occidentaux connaissent des difficultés en matière de maîtrise des déficits publics, et notamment la France, et tant que nous ne prendrons pas en compte cette réalité pour assumer des choix politiques complexes, liés au statut des enseignants, nous ne pourrons pas trouver de solution au problème que vous soulignez, à savoir donner une véritable priorité au primaire.

Le troisième pilier de votre réforme concerne les ESPE.

Vous affirmez qu’avec ce troisième pilier vous allez révolutionner le système éducatif.

M. Régis Juanico. Non, le refonder !

M. Benoist Apparu. Les ESPE, c’est un peu la politique du rétroviseur, dans le sens où l’on crée quelque chose qui a déjà existé. Vous me direz à juste titre que ce ne seront pas des écoles normales ni des IUFM, que ce sera très différent. Cela reste à démontrer car, en la matière, il n’y a pas beaucoup de contenu dans la loi. Pour l’instant, il n’y a qu’une coquille quasiment vide. Nous verrons comment évoluera le contenu. Si du temps des IUFM, qui, je le rappelle, ont été supprimés en 2010, l’école française se portait à merveille, on pourrait comprendre que la création des ESPE change fondamentalement le système éducatif. Malheureusement, je crains que vos désirs en la matière ne se soldent par un échec.

Voilà les trois piliers sur lesquels repose votre texte. Nous ne partageons pas votre vision des choses. Certes, ces trois piliers constituent des avancées qui ne sont pas insignifiantes, mais il ne s’agit pas d’une véritable refondation. Ce sont plutôt les portes et les fenêtres du système éducatif que vous dessinez, bien plus que les fondations de notre école. Pour notre part, nous proposons une vision alternative pour refonder véritablement l’école, qui a besoin de cette refondation.

Nous partageons le constat que vous formulez dans l’exposé des motifs de votre texte. Notre école souffre de trois maux principaux, que vous avez évoqués tout à l’heure. Aujourd’hui, l’école ne sait pas suffisamment gérer les inégalités de naissance. Elle les reproduit plus massivement qu’ailleurs, contrairement à l’ambition première de l’école de Jules Ferry, que nous acceptons tous. L’école ne sait pas former une élite suffisamment nombreuse pour produire les têtes chercheuses dont nous avons besoin pour bâtir une compétitivité française dans l’innovation et la recherche. Ensuite, notre système scolaire ne sait pas répondre aux objectifs fixés à Lisbonne : 50 % d’une classe d’âge doit parvenir au niveau licence. Enfin, notre système ne sait pas former l’encadrement intermédiaire dont le pays a besoin. Nous partageons ces trois constats, mais je suis intimement convaincu que votre texte de loi ne permettra pas d’apporter une réponse.

Avant de vous proposer une vision différente, alternative, d’une véritable refondation de notre système scolaire, je voudrais m’arrêter quelques instants sur la question des moyens.

M. Jean-Pierre Blazy. Vous avez été dix ans au pouvoir ! Qu’avez-vous fait ?

M. Benoist Apparu. Mon petit doigt me dit que, pendant ces quelques jours de débat, on va nous rabâcher, amendement après amendement, que nous avons détruit des postes, voire l’école, etc. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Donc, je vais m’arrêter sur cette question qui, chacun en conviendra, est malheureusement la question centrale des débats sur l’éducation en France depuis trente ans.

Depuis trente ans, quand on parle école, on parle essentiellement boutique, moyens, chiffres et non réussite des élèves.

M. Jean-Pierre Blazy. Comment ça, « boutique » ? C’est scandaleux !

M. Benoist Apparu. Or toutes les études internationales montrent hélas l’absence de corrélation directe entre les moyens affectés à l’école et la réussite scolaire.

M. Jean-Pierre Blazy. Voilà qui vous arrange !

M. Benoist Apparu. Les moyennes de l’OCDE montrent que des pays dépensant beaucoup plus que nous, les États-Unis par exemple, ont de moins bons résultats, alors que la Finlande, qui dépense un point de PIB de moins que nous, a des résultats scolaires bien meilleurs que les nôtres. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Finlande n’a pas à traiter la difficulté scolaire que nous connaissons. Cette différence de sociologie des élèves montre bien qu’il ne faut pas s’arrêter à la seule question des moyens.

M. Luc Belot. C’est le serpent qui se mord la queue ! C’est laborieux !

M. Benoist Apparu. Je voudrais rappeler quelques réalités chiffrées sur les moyens. Tout d’abord, nous avons en effet supprimé 80 000 postes en cinq ans.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est un aveu !

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas un aveu, soyez assurés que nous l’assumons totalement. Ou alors, qu’on m’explique comment parvenir à réduire le déficit public, comme nous le souhaitons tous, sans toucher au ministère qui occupe un fonctionnaire sur deux avec le premier budget de la nation !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Mais c’est une priorité !

M. Benoist Apparu. Vous aller exercer sur tous les autres ministères une pression considérable. Nous remplacions un fonctionnaire sur deux, vous n’en remplacerez qu’un sur trois. Vous avez passé des mois à nous expliquer que nous menions une politique absolument catastrophique mais vous allez faire deux fois plus dans tous les ministères autres que l’éducation nationale.

M. Sylvain Berrios. C’est la RGGP plus !

M. Jean Jacques Vlody. On verra !

M. Benoist Apparu. L’argument corrélant moyens et qualité du système éducatif serait recevable si les moyennes de l’OCDE n’étaient pas ce qu’elles sont et si les effectifs n’avaient pas diminué. Celui-ci a perdu en vingt ans 500 000 élèves tout en gagnant 30 000 enseignants. 500 000 élèves de moins, 30 000 enseignants de plus : je ne vois nulle dégradation fondamentale du taux d’encadrement !

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n’est pas une question d’arithmétique !

M. Benoist Apparu. On en discutera bien évidemment au cours de nos débats. Les moyennes de l’OCDE montrent aussi que les douze ans de scolarité dite obligatoire du système éducatif français coûtent par élève autant que les dépenses des pays de l’OCDE les plus performants.

M. Régis Juanico. Hors école primaire !

M. Benoist Apparu. Essayons donc aujourd’hui, si vous le voulez bien, de sortir de ce débat un peu stérile exclusivement centré sur la question des moyens.

M. Yves Durand, rapporteur. Commencez par en sortir vous-même !

M. Benoist Apparu. Nous avons probablement une différence d’appréciation en la matière, je l’assume totalement. Je voudrais simplement éviter que le débat ne soit monopolisé exclusivement par cette question au détriment de la réalité du problème, qui est l’organisation de notre système éducatif. Établissements et enseignants me semblent des objectifs de réforme bien plus importants que la seule question des moyens !

M. Pascal Popelin. Parlez donc des élèves !

M. Régis Juanico. Il faut bien meubler !

M. Benoist Apparu. J’en viens maintenant à la vision de l’école qui est la nôtre et aux piliers que nous voudrions voir apparaître dans cette réforme. En ce qui nous concerne, deux objectifs nous semblent primordiaux.

Le premier, c’est la nécessité dans laquelle se trouve notre pays d’élever le niveau de connaissances et de compétences des générations en repensant l’architecture globale du système éducatif. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, la France ne construira la croissance dont elle a besoin qu’à partir de son école. Nous devons former bien mieux que nous le faisons aujourd’hui en élevant le niveau de compétences et de connaissances globales de l’ensemble de nos générations. C’est à cette condition que nous serons compétitifs et aussi que nous lutterons le plus efficacement contre le chômage durable des jeunes. Nous savons que le taux de chômage des jeunes est directement lié à leur niveau de qualification. Il nous faut donc l’élever. Voilà à nos yeux la première ambition à nourrir.

Le deuxième objectif, c’est évidemment la lutte contre les inégalités de naissance, terribles en France. Notre promesse républicaine de méritocratie à la française, nous ne savons plus la tenir. Notre système a même plutôt tendance à reproduire les inégalités de naissance. Les enquêtes Pisa se suivent et se ressemblent pour constater l’aggravation plutôt que l’amélioration de la situation en la matière.

Nous proposons donc deux orientations principales. La première, visant à atteindre le premier objectif – élever le niveau de connaissances et de compétences – consiste à revoir l’architecture globale de notre système éducatif. Il est basé, comme vous le savez, sur trois cycles.

M. Jean-Pierre Blazy. « Fondé sur », c’est plus académique !

M. Benoist Apparu. Certes. Il est donc fondé sur trois cycles, primaire, secondaire et supérieur. Ces trois cycles tels qu’ils sont organisés aujourd’hui nous semblent dépassés. Nous devons revoir l’architecture globale de notre système éducatif. Pourquoi ? Tout simplement parce que les attentes de la nation sont bien différentes de celles qui en sont à l’origine. Cette architecture a été créée à l’époque de Jules Ferry et confirmée au sortir de la Seconde guerre mondiale, notamment en 1950 lors de la rédaction du décret sur le statut des enseignants. Elle reposait sur le souhait que l’ensemble des membres d’une génération sache lire, écrire et compter, en particulier les enfants d’ouvriers et de salariés agricoles. Mais notre ambition se limitait alors à cela. Je vous rappelle qu’en 1950, 50 % d’une classe d’âge atteignait le collège, et à peine 15 % le lycée.

Notre ambition en la matière a profondément évolué avec le collège unique, la scolarité obligatoire et le socle commun de connaissances, de compétences, et demain de culture. Autrement dit, nous devons réorganiser notre cycle primaire afin que l’attente de la société, c’est-à-dire 100 % d’une génération au socle commun de connaissances et de compétences, soit inscrite dans l’organisation même du système scolaire. C’est la raison pour laquelle nous promouvons une réforme du socle commun de connaissances, de compétences et de culture réunissant le primaire et le collège. Voilà la première étape.

M. Yves Durand, rapporteur. C’est ce que nous faisons !

M. Benoist Apparu. La deuxième étape doit permettre à notre pays d’atteindre les objectifs de Lisbonne, c’est-à-dire 50 % d’une génération diplômée de l’enseignement supérieur défini à l’échelle européenne. Nous sommes à 35 % et non à 42 %, chiffre répandu mais trompeur puisqu’il intègre les diplômés à bac + 2 alors que les objectifs de Lisbonne commencent à bac + 3. Nous sommes à 35 %, c’est-à-dire bien loin des objectifs que nous nous sommes fixés. Nous devons donc amener 100 % des diplômés du baccalauréat général et technologique vers l’enseignement supérieur. Nous devons également amener une génération complète au bac professionnel, seule arme aujourd’hui pour trouver un emploi. Le taux d’insertion professionnelle des BEP et des CAP n’est pas inintéressant mais nous conservons 40 % de chômage à ce niveau de diplôme, alors qu’il est proche de 20 % au niveau du bac professionnel.

Notre ambition est donc de conduire 100 % d’une génération à un bac professionnel ou plus afin d’élever le niveau de connaissances et de compétences dans notre pays. Nous devons donc rapprocher et mettre en cohérence les niveaux bac – 3 et bac + 3 afin d’atteindre l’objectif de 50 % d’une génération diplômée du supérieur. Enfin, nous devons bien évidemment pousser les feux de l’enseignement supérieur long dans notre pays. Afin de délivrer à une grande partie de chaque génération un diplôme de l’enseignement supérieur, il nous faudra revenir sur les parcours d’orientation, notamment ceux des bacheliers technologiques et professionnels, auxquels il faut réserver des quotas de places en IUT et en STS, qui sont pour eux des débouchés naturels. Une telle réforme me semble indispensable et je crois, madame la ministre, que c’est votre ambition.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous sommes d’accord !

M. Benoist Apparu. Enfin, deux points me semblent incontournables pour une véritable refondation, le statut des établissements et celui des enseignants. Nous ne pouvons pas continuer à fonctionner avec une définition du statut de l’enseignant qui date de 1950, à une époque où 50 % d’une classe d’âge atteignaient le collège et 15 % le lycée. La définition du statut de l’enseignant, nous le savons tous, est en France exclusivement disciplinaire et repose sur la transmission de connaissances, alors que tous nos discours répètent qu’un enseignant a aujourd’hui, évidemment, une autre fonction que la simple transmission d’un savoir disciplinaire. Tant que nous ne reconnaîtrons pas cette réalité, non pas simplement dans les discours mais dans le statut même des enseignants, nous ne pourrons pas prendre en charge l’hétérogénéité des élèves.

M. Jean-Pierre Blazy. Quel rapport ?

M. Benoist Apparu. Si nous souhaitons accompagner des sociologies très différentes dans nos classes, nous devons mener une véritable réforme du statut des enseignants et inclure dans leur temps de travail autre chose que la seule transmission des savoirs disciplinaires. Malheureusement, votre texte de loi, monsieur le ministre, n’en pipe mot. Le rapporteur nous a dit en commission que vous le feriez à un autre moment et que vous alliez y réfléchir. Dont acte ! Mais puisque vous faites une loi d’orientation, pourquoi ne pas y insérer cette ambition ? Ce n’est malheureusement pas le cas, il n’y a rien en la matière dans votre texte !

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Jean-Pierre Blazy. Vous êtes mal placés pour parler d’ambition !

M. Benoist Apparu. Quant au statut des établissements scolaires, c’est un élément tout aussi fondamental et d’ailleurs lié au précédent. Là encore, pour prendre en charge l’hétérogénéité grandissante de nos établissements scolaires, nous devons leur confier la gestion d’une dotation horaire véritablement globale, c’est-à-dire non disciplinaire, non maquettée au plan national et véritablement annualisée, afin de ne plus traiter un lycée de centre ville comme un lycée de banlieue et une école primaire rurale comme une école primaire de centre ville. Cet élément ne figure pas davantage dans votre texte. On y trouve, je crois, une fois le mot « autonomie », dans le rapport annexé, mais d’orientation, point.

Je trouve dommage et décevant que manquent à ce texte de loi les vrais piliers de la refondation, c’est-à-dire une nouvelle architecture scolaire et une véritable ambition de réforme du statut de l’enseignant et de l’établissement. Pour ces raisons, nous nous opposerons à ce texte car nous avons une ambition bien différente pour notre école. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Durand, rapporteur. J’ai écouté très attentivement notre collègue Apparu et je le remercie chaleureusement de son intervention. Elle montre une fois de plus, s’il en était besoin, l’intérêt enthousiaste qu’il porte à l’école et constitue par ailleurs un remarquable plaidoyer pour la loi. (Sourires)

M. Benoist Apparu. Vous m’avez mal entendu, monsieur le rapporteur !

M. Yves Durand, rapporteur. M. Apparu a magnifiquement condamné le bilan de la politique précédente, qu’il a pourtant soutenue comme député et comme ministre, marquée par une véritable obsession des postes qui n’est pas la nôtre.

M. Yann Capet. Bravo !

M. Régis Juanico. C’est le droit d’inventaire !

M. Yves Durand, rapporteur. M. le ministre en a bien entendu parlé en expliquant la programmation de la loi, mais moi-même très peu. Nous n’avons pas, mon cher collègue Apparu, l’obsession des moyens. Vous l’avez, notamment pour les supprimer, mais nous ne l’avons pas et nous n’opposons pas le quantitatif au qualitatif. Regardez bien la loi, elle est avant tout qualitative. Considérez toutes les mesures que M. le ministre et moi-même avons détaillées : ce sont bien des mesures qualitatives.

Enfin, et surtout, tout ce que vous nous avez proposé, avec justesse, s’inscrit très exactement dans la philosophie de la loi.

M. Benoist Apparu. Pas dans son texte !

M. Yves Durand, rapporteur. Le problème de la réforme du collège, le problème du lycée, notamment de la voie professionnelle, le problème du supérieur – avec, il y est explicitement fait référence, le bac-3 et le bac+3 –, la réorganisation qui fera forcément, presque mécaniquement, suite à la réforme du primaire, en lui donnant la priorité, c’est dans le texte.

M. Benoist Apparu. Non !

M. Yves Durand, rapporteur. Ce que je ne comprends pas, monsieur Apparu, c’est que vous nous invitiez, après ce brillant plaidoyer pour la refondation que nous vous proposons, à voter une motion de procédure dont l’objet devrait normalement être de démontrer l’inconstitutionnalité de la loi. Or je n’ai pas entendu dans votre argumentation le moindre motif d’inconstitutionnalité.

M. Benoist Apparu. Je n’ai pas eu le temps ! (Sourires.) Mme la présidente m’a discrètement rappelé à l’ordre.

Mme la présidente. C’est le respect de la règle, monsieur Apparu.

M. Benoist Apparu. C’est pour cela que je n’ai pas parlé plus de trente minutes !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre. Tout d’abord, monsieur le député, au cours de l’élaboration de ce projet de loi, ni le secrétariat général du Gouvernement ni le Conseil d’État n’ont, à aucun moment, soulevé des problèmes d’inconstitutionnalité. Vous aurez d’ailleurs noté qu’aucun argument de cette nature n’a, de même, été soulevé au cours des quinze heures qu’a duré l’examen de ce texte en commission. Vous-même n’avez pas non plus soulevé de tels problèmes au cours de votre intervention.

M. Benoist Apparu. J’ai dû oublier de le faire !

M. Vincent Peillon, ministre. Sans doute aviez-vous été instruit, comme nous, par le sort funeste de la loi d’orientation présentée par M. Fillon. Nous nous en sommes tenus en permanence, avec la plus grande vigilance, au respect des principes constitutionnels. Ainsi avons-nous respecté le domaine de la loi, et renvoyé à un rapport annexé pour les éléments d’orientation.

Le respect des procédures de consultation a d’ailleurs permis que le Conseil économique, social et environnemental rende, à l’unanimité, un avis positif.

Votre intervention m’a beaucoup intéressé, et, sur le fond, nous partageons ces deux objectifs majeurs : premièrement, élever le niveau de qualification de l’ensemble de notre population scolaire, ce qui est d’ailleurs contradictoire avec le dispositif Cherpion,…

M. Benoist Apparu. Ah non !

M. Vincent Peillon, ministre. …mais nous allons l’abroger ; deuxièmement, lutter contre les inégalités scolaires qui sont aussi des inégalités de destin.

Il faut cependant que vous mesuriez à quel point, parfois, à vouloir aller trop vite, on provoque un certain nombre de blocages.

M. Benoist Apparu. Parlez-vous de la réforme des rythmes scolaires ?

M. Vincent Peillon, ministre. Vous avez défendu – pourquoi pas ? – le socle commun de compétences et de connaissances. Vous vous souvenez qu’il date de l’année 2005, et vous savez ce qu’il en est aujourd’hui de son application. C’est bien parce que l’on a voulu légiférer – on s’est d’ailleurs rendu compte que les compétences devaient être modifiées immédiatement – et aller très vite, faire cette école du socle qui reste quand même très théorique, que nous avons perdu beaucoup d’années et que nous sommes aujourd’hui obligés, à la fois, de remettre en place un conseil des programmes, de repenser le socle et de repenser les évaluations qui accompagnent ce socle et les programmes.

Enfin, il y a un peu de bonheur, pour un ministre, alors que s’ouvre la discussion d’un projet de loi, à voir un parlementaire se mettre dans la position qui est la vôtre : vous allez être le « Monsieur Plus » de notre refondation. La réforme du primaire, ce n’est pas grand-chose, dites-vous, mais, au fond, vous y êtes quand même favorable. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, vous prétendez que ce sont les IUFM, mais on vous a dit que ce n’était pas le cas. Ce que vous souhaitez, c’est toujours faire davantage encore.

Or l’ensemble de ce que vous demandez – pour le collège, la réflexion sur le métier ou l’enseignement professionnel – est inscrit dans le rapport d’orientation et figure dans l’agenda de la refondation.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas vrai !

M. Vincent Peillon, ministre. On verra alors si vos actes sont le moins du monde cohérents avec vos discours.

Vous évoquiez à l’instant les rythmes scolaires. Il faudrait tout faire d’un coup ! Mais vous n’avez, vous, rien fait, hors la semaine de quatre jours. Surtout pas quatre jours et demi, surtout pas s’intéresser au mois, à l’année ! Et voici que, tout d’un coup, vous devenez l’illustration du proverbe : « Qui trop embrasse mal étreint. » Il faudrait faire la réforme de A à Z, en quelques semaines, et vous pensez que c’est de bonne méthode !

La méthode est nécessaire à la recherche de la vérité. Si vous voulez refonder l’école de la République, assurez d’abord les fondations, et cheminez avec nous. Ce sera un long chemin, mais, si vos objectifs sont bien ceux que vous avez annoncés – élever le niveau de qualification et lutter contre les injustices –, eh bien, vous serez utile à ce débat,…

M. Benoist Apparu. Comme tout parlementaire !

M. Vincent Peillon, ministre. …et nous essaierons de tirer profit de tout ce que vous y apporterez. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

Mme Barbara Pompili. Monsieur Apparu, vous avez vous-même reconnu que, pour les questions d’éducation, la précédente majorité n’avait pas laissé un souvenir impérissable.

M. Benoist Apparu. Dans le système éducatif !

Mme Barbara Pompili. Tout à fait ! Nous sommes d’accord.

On peut s’en féliciter, maintenant que vous êtes dans l’opposition, vous avez plein d’idées, et nous sommes très heureux de constater que vous contribuerez à ce débat de manière constructive. Évidemment, nous écouterons très attentivement vos propositions.

Cela dit, nous sommes vraiment en désaccord quant aux fondations de l’école. Il ne s’agit pas d’examiner les statuts des établissements ou des enseignants. Bien sûr, c’est important, mais, à notre sens, ce qui fonde l’école, son cœur, c’est l’élève, et je pense que nous n’en avons pas assez parlé. Il faudra donc qu’on en parle un peu plus. Les élèves doivent avoir les mêmes droits, d’où qu’ils viennent, quel que soit leur milieu social, qu’ils aient un handicap – petit ou gros – ou pas. Tous ces enfants doivent être au cœur de notre pensée, au cœur de notre vision de l’école.

Ce que vous dites est peut-être intéressant, mais l’objet de la motion que vous avez défendu n’est pas seulement de contester la constitutionnalité du texte, il est de décider qu’il n’y a pas lieu de débattre. Or vous nous avez, au contraire, prouvé, pendant une demi-heure, qu’il y a lieu de débattre, et que le débat risque même d’être passionnant !

Les députés du groupe écologiste voteront donc contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Noël Carpentier. Quel dommage, monsieur Apparu, que vous n’ayez pas été le ministre de l’éducation du précédent gouvernement !

Effectivement, vous avez développé des idées qui ne sont pas les nôtres, c’est clair. En tout cas, nous avons, nous, une ambition, que nous avons affirmée dès le début de la législature. Vous, vous n’avez pas marqué d’ambition : vous avez détricoté, pendant cinq ans, notre éducation nationale, en la dépouillant de ses moyens. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

C’est là le fond de notre divergence. Nous souhaitons mettre les moyens au cœur de l’éducation. Oui, c’est l’objectif de la législature : un effort de la société en faveur de la jeunesse, en faveur de l’éducation. Nous l’avons annoncé dès le départ.

Telle est la différence majeure entre notre vision de l’avenir, notre vision de la jeunesse, notre vision du redressement du pays, et la vôtre.

Effectivement, si l’on suivait vos prescriptions, monsieur Apparu, nous assisterions à une véritable déstructuration de l’éducation nationale. Vous prônez une modification du statut des enseignants qui élude la question de la transmission du savoir disciplinaire. Vous prônez également la déstructuration de l’école pour tous, dans toute la République, avec une déstructuration des établissements et leur adaptation à leur situation en centre-ville ou en banlieue. Bref, c’est une autre vision, ce n’est pas celle d’une éducation nationale, celle d’un vrai service public de l’éducation nationale.

Voilà pourquoi nous ne voterons pas cette motion que vous avez présentée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)

M. Patrick Hetzel. C’est dommage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur Apparu, vous avez présenté une motion de rejet préalable, supposée porter sur le respect des principes constitutionnels, en nous confiant votre déception. Vous êtes déçu que l’on crée 60 000 postes. Il est vrai que votre logique comptable en a fait perdre 80 000 à l’éducation nationale, mais l’école de la République a besoin de moyens. Il faut des moyens pour qu’il y ait un maître devant chaque classe, et que l’on puisse remplacer les maîtres absents, des moyens pour qu’il y ait un maître supplémentaire qui anime l’équipe pédagogique, des moyens pour que les enseignants puissent poursuivre leur formation de façon continue. Oui, nous avons besoin de créer des postes pour assurer une école de qualité !

Mais la création de postes s’accompagne d’un besoin de formation. Et la formation professionnelle que vous avez cassée, nous la faisons réapparaître avec les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Cette qualité de l’enseignement retrouvé nous permettra d’assurer un avenir meilleur à la nation. En effet, on élèvera le niveau de compétences et de connaissances, et, en parlant de cela, contrairement à ce que vous prétendez, on parle des enfants, on parle des enseignants.

Très certainement, ce n’est pas de droit constitutionnel que vous avez voulu nous parler. Vous nous avez en fait expliqué que vous n’aviez pas tout à fait la même vision de la refondation de l’école. Pour vous, l’école doit s’adapter à différents publics. Pour vous, l’école se conjugue avec l’autonomie, alors que nous pensons, nous, l’école de la République pour la réussite de toutes et tous.

C’est pourquoi le groupe GDR votera contre votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Hetzel. Cela ne vous surprendra pas : nous soutenons cette motion de rejet préalable. Pourquoi ?

Tout d’abord, je veux indiquer qu’il existe une réalité en matière éducative : entre le moment où l’on examine une loi et celui où elle est susceptible de produire ses effets à l’intérieur du système éducatif, un certain nombre d’années s’écoulent, la dernière loi en date étant la loi Fillon de 2005. Il faut compter en général une quinzaine d’années pour qu’une loi puisse pleinement produire ses effets. Alors que la précédente majorité, notez-le, avait laissé la loi Jospin produire ses effets avant de légiférer, vous ne laissez pas à la loi Fillon le temps de produire pleinement les siens. Ce premier fait nous amène déjà à considérer qu’un nouveau texte est prématuré.

En outre, après six mois de discussion, ce qui nous est présenté n’est évidemment pas à la hauteur des enjeux. M. Apparu a fort magistralement montré combien ce texte est vide, combien il est bavard. Nous aurons l’occasion de le rappeler au cours des débats, et il est clair que le rapport annexé est en réalité un exposé des motifs. Cela pourra d’ailleurs, puisque vous avez évoqué la question de la constitutionnalité du texte, poser un problème de sécurité juridique. Si le Conseil d’État ne l’a pas mentionnée, cette question de constitutionnalité n’est pas forcément tout à fait tranchée.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cette loi ne modifie pas l’architecture du système éducatif. Surtout, comme l’a indiqué mon collègue Apparu, ce texte ne dit rien du statut des enseignants ni de celui des établissements. Il est, en somme, très superficiel. C’est pourquoi il doit être retravaillé.

Nous soutenons donc cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Rudy Salles. Je tiens d’abord à saluer la performance de Benoist Apparu, son talent et sa force de conviction, malgré ce que j’en ai entendu par ailleurs.

Je suis d’accord avec Mme Pompili : il faut débattre (Exclamations sur les bancs des groupes écologiste et SRC), mais, en l’occurrence, ce n’est pas un vrai débat qui se tient. Nous l’avons constaté en commission, nous le constatons maintenant dans l’hémicycle : une fois de plus, on prétend que nous passons de l’ombre à la lumière, il y a ceux qui aiment l’école et ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui construisent l’école et ceux qui la détruisent. Ce n’est pas un vrai débat, je suis navré d’être obligé de vous le rappeler une fois de plus.

L’école de la République devrait au moins arriver à faire en sorte que l’on s’écoute. Or, en commission, depuis le début de l’examen du texte, les amendements de l’opposition ont été systématiquement rejetés ! Là où il faudrait du consensus, vous voulez un affrontement bloc contre bloc, mais l’école ne vous appartient pas : c’est l’école de la République ! C’est pourquoi la manière dont commence aujourd’hui l’examen de ce texte dans l’hémicycle me navre profondément.

Quant à vous, monsieur le rapporteur, le talent de M. Apparu n’a d’égal que votre mauvaise foi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. Excellent!

M. Rudy Salles. Franchement, prétendre que nous allons vers le qualitatif, que le quantitatif n’a aucune importance, alors que les 60 000 postes, on le sait, ne sont pas financés, ce n’est pas sérieux !

C’est la raison pour laquelle le groupe UDI votera bien entendu la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Jacques Vlody, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean Jacques Vlody. Monsieur Apparu, mes chers collègues de l’UMP, sur votre copie, je mettrais « mauvaise foi, jeu politicien stérile et hors sujet. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez essayé, pendant trente minutes, de nous expliquer que ce texte était inconstitutionnel, mais vous n’avez à aucun moment présenté une motion de rejet. Vous avez simplement profité de l’occasion pour faire un discours de politique générale et pour nous donner votre conception de l’éducation, laquelle n’est pas à l’ordre du jour. Je vous rappelle que le texte qui est à l’ordre du jour, c’est celui du ministre et du Gouvernement.

M. Benoist Apparu. Et l’opposition ne peut plus rien proposer ?

M. Jean Jacques Vlody. Je crains que vos efforts aient été vains, pour une simple et bonne raison : il n’y a pas le début d’un argument recevable, visible et convaincant, prouvant que l’on devrait ne pas parler d’école dans cette assemblée. Aucun discours, fût-il prononcé avec éloquence, ne pourra renverser cette évidence.

M. Benoist Apparu. On n’a plus le droit de parler, c’est cela ?

M. André Schneider. Eh bien, ça fait froid dans le dos !

M. Jean Jacques Vlody. Les Français ont élu François Hollande à la Présidence de la République, avec une priorité inédite et forte : la jeunesse et l’école.

La concertation nationale relative à la refondation de l’école a confirmé l’importance de faire vivre un nouveau projet éducatif français, qui doit être aussi un projet de société. Vous avez, monsieur Apparu, participé vous-même aux débats en commission. Vous avez déposé des amendements, vous avez même proposé un texte alternatif au rapport annexé, et, à présent vous venez nous dire que ce rapport annexé n’a pas lieu d’être ! Vous avez proposé de remplacer tous les articles par une série d’articles que vous avez soumise au vote de la commission et que nous avons bien évidemment rejetée.

Mes chers collègues de l’UMP, M. le ministre vous invite à l’union nationale autour de notre école.

M. André Schneider. Nous l’avons fait avant vous pendant des années !

M. Jean Jacques Vlody. Je crains fort que vous n’ayez pas saisi l’urgence de la situation et que vous n’ayez pas perçu la sincérité de notre projet : il s’agit d’offrir à nos enfants la meilleure préparation possible pour leur avenir professionnel, pour leur construction en tant que femmes et en tant qu’hommes, et par là pour l’avenir de notre pays.

Mes chers collègues de l’UMP, l’heure n’est plus à de vaines manœuvres juridico-politiciennes : elles ne servent même pas à ceux qui les fomentent. L’heure est à l’unité et au débat constructif, à l’unité autour des valeurs et de la raison du progrès : progrès de l’école, progrès par l’école et progrès pour l’école.

Vous avez réussi, pendant presque dix ans, à escamoter le débat sur l’école que les Français attendaient.

M. André Schneider. Et vous, pendant les quinze années précédentes ?

M. Jean Jacques Vlody. Aujourd’hui encore, une nouvelle fois, vous avez réussi à l’éviter. C’est pourquoi nous autres, députés du groupe SRC, nous voterons contre cette motion de rejet, qui n’élève pas le débat sur l’éducation et l’avenir de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écolgiste, DR et RRDP.)

M. Patrick Hetzel. Quel suspense !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Xavier Breton.

M. Luc Belot. Avec des arguments différents, bien sûr !

M. Xavier Breton. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, nous avons débattu de ce projet sur l’école en commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission pour son efficacité et son ouverture dans la conduite de nos débats, ainsi que le rapporteur, pour le sérieux de son travail et la cohérence de ses convictions, deux qualités que nous lui connaissons. Soyez assurés, mes chers collègues, que la motion de renvoi en commission que je vais présenter ne vous met absolument pas en cause personnellement.

M. Benoist Apparu. Ils doivent être rassurés ! (Sourires)

M. Xavier Breton. La seule raison d’être de cette motion, c’est le texte même de ce projet de loi et l’évolution qu’il a connue au cours du processus législatif.

Lors du débat en commission qui a précédé l’examen des amendements, je suis intervenu au nom du groupe UMP et j’ai indiqué que notre manière d’aborder le débat sur l’école s’appuyait sur le constat suivant : depuis de nombreuses années, notre système éducatif remplit de moins en moins bien ses missions, ce qui provoque un échec scolaire devenu aujourd’hui insoutenable.

Ce constat est largement partagé, comme le montrent les nombreux rapports publiés à ce sujet par la Cour des comptes, le Haut conseil de l’éducation ou encore l’Institut Montaigne. Pour nous, il est primordial de s’interroger sur les raisons profondes qui ont conduit à ces résultats, sans s’abriter derrières des idées toutes faites.

Non, monsieur le ministre, ces résultats ne sont pas dus à l’évolution des effectifs enseignants au cours des cinq dernières années.

M. Luc Belot. Personne n’a dit ça !

M. Xavier Breton. Non, monsieur le ministre, ces résultats ne sont pas dus à l’évolution de la formation des enseignants au cours des cinq dernières années. Vous pouvez exprimer, c’est naturel, une appréciation sur les politiques éducatives menées au cours des cinq dernières années, mais vous ne pouvez pas, objectivement et honnêtement, faire porter l’échec de notre système éducatif sur ces seules années.

Sinon, comment expliquez-vous que le Premier ministre vienne de faire de l’illettrisme la grande cause nationale pour 2013 ? Les centaines de milliers de personnes qui souffrent aujourd’hui de ce fléau et qui rencontrent des difficultés insurmontables pour s’intégrer socialement et professionnellement, ces personnes qui ont vingt, trente, quarante ans, et parfois plus, étaient-elles des élèves lorsque Xavier Darcos ou Luc Chatel étaient ministres ? Non, et vous le savez bien.

Vous savez également que les 150 000 jeunes qui, chaque année, sortent sans qualification du système éducatif ne sont pas apparus au cours des cinq dernières années.

M. André Schneider. Cela fait trente ans !

M. Xavier Breton. Sinon, comment expliquez-vous que la profession de foi de Nicolas Sarkozy, pour la campagne présidentielle de 2007, ait indiqué que « 20 % de nos jeunes quittent l’école sans qualification, c’est-à-dire sans aucune perspective professionnelle et avec un avenir personnel très limité » ?

M. Régis Juanico. Ce n’était pas gentil pour Chirac !

M. Xavier Breton. Pour que ce débat sur l’école soit vraiment productif et constructif, ne nous perdons pas, comme vous venez de le faire, monsieur le ministre, et comme l’ont fait certains de mes collègues, dans des polémiques inutiles.

Regardons plutôt les tendances qui peuvent expliquer l’état actuel de notre système éducatif. Regardons les évolutions qui ne sont pas allées dans le bon sens. Selon nous, trois grandes tendances – nous pouvons même parler de dérives – doivent être analysées et prises en considération, si nous voulons vraiment refonder l’école.

La première dérive tient au fait que notre société a beaucoup demandé à l’école. Elle lui a même trop demandé. Elle l’a fait notamment pour masquer ou pour pallier ses propres insuffisances. Parce qu’on en a demandé toujours plus à l’école, les missions premières de celle-ci ont été peu à peu noyées au milieu d’autres tâches. Pour chacune de ces nouvelles tâches, il y avait sans aucun doute de bonnes raisons de solliciter l’école, mais, en la chargeant de plus en plus, on a rendu cette école de moins en moins capable d’assurer sa vocation première.

Les résultats se sont donc progressivement dégradés ; le nombre de jeunes sortant du système éducatif sans maîtriser les savoirs fondamentaux a augmenté, ainsi que le nombre de jeunes sortant sans qualification. Loin des discours revendiquant l’égalité, notre système éducatif est devenu de plus en plus inégalitaire, les écarts se creusant de plus en plus, au détriment des catégories sociales les plus défavorisées.

Qui trop embrasse, mal étreint : l’école ne peut plus pallier toutes les insuffisances de la société, comme elle ne peut plus répondre à toutes ses attentes. Il faut recentrer l’école autour de certaines priorités : c’est la première exigence qui guide notre position dans ce débat sur l’école, j’y reviendrai un peu plus tard.

La seconde dérive tient à la trop grande rigidité de notre système éducatif : il souffre depuis des décennies d’un excès de centralisation qui étouffe les initiatives. Notre système scolaire se révèle incapable de prendre en compte la diversité des élèves, alors que l’enjeu, aujourd’hui, n’est plus la massification de l’enseignement, mais bien la personnalisation de celui-ci.

Notre système scolaire est incapable d’accorder une autonomie suffisante aux établissements, alors qu’on sait que la diversité des réalités territoriales et sociales doit être prise en compte, notamment au travers d’expérimentations évaluées. Notre système scolaire est incapable de faire vraiment confiance aux enseignants, alors que les comparaisons internationales montrent bien que l’effet-maître est primordial dans la réussite scolaire.

Notre système éducatif, on le voit, doit laisser davantage de liberté à la communauté éducative : c’est la deuxième exigence à laquelle nous devons nous soumettre. Il doit valoriser beaucoup plus la diversité des élèves et prendre mieux en compte les différences sociales et territoriales.

La troisième dérive, enfin, tient au fait que notre école n’est plus, depuis des décennies, portée par une véritable ambition nationale. Sans doute n’avons-nous pas su, ni les uns, ni les autres, renouveler cette ambition. Dans tous les cas, le résultat est là : l’éducation est devenue un sujet de clivages, plus que de rassemblement. Ces clivages sont devenus si profonds et sont si durablement installés qu’ils freinent et paralysent toute velléité de réforme. Vous en savez quelque chose, monsieur le ministre, vous qui rencontrez actuellement des difficultés dans la réforme des rythmes scolaires. Il serait donc indispensable, et c’est la troisième exigence, que nous cherchions à retrouver une ambition partagée pour notre école, une ambition qui dépasse enfin les polémiques stériles.

Recentrer l’école sur ses priorités, la libérer de son carcan et partager une ambition nationale pour elle : ce sont les trois exigences essentielles, aux yeux du groupe UMP, avec lesquelles nous devons entamer l’examen du texte que vous nous proposez.

Et vous, que nous proposez-vous avec ce projet de loi ?

Le recentrage que nous appelons de nos vœux est malheureusement absent. Je pourrais bien entendu évoquer les 253 alinéas du rapport annexé, dont le nombre est d’ailleurs monté à 264 à l’issue des travaux de notre commission.

M. Régis Juanico. Tant mieux !

M. Xavier Breton. Loin d’établir clairement des priorités, ce rapport annexé cherche surtout à ne rien oublier. Mais, comme l’indiquait, il y a déjà plus de vingt ans le Conseil d’État dans son rapport public sur la sécurité juridique : « quand la loi bavarde, le citoyen ne l’écoute plus que d’une oreille distraite ». Quelle oreille les citoyens vont-ils prêter à cette succession d’alinéas, dont chacun, pris séparément, a peut-être sa justification, mais dont la superposition rend peu lisible ce que pourrait être la volonté nationale pour notre école ?

Chacun trouvera peut-être son compte au détour de l’un ou l’autre de ces alinéas, sauf peut-être la première concernée, l’école, qui ne saura toujours pas, avec cette loi, quelles sont vraiment ses priorités.

Cette insuffisance de recentrage apparaît également au travers de mesures qui ont peut-être un intérêt en elles-mêmes, mais dont on peut douter de l’opportunité et de la pertinence, face au constat des 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualification de notre système éducatif. J’aurais pu, à ce propos, évoquer l’apprentissage d’une langue étrangère dès le cours préparatoire, qui fera certainement l’objet d’un débat entre nous, mais j’évoquerai plutôt la scolarisation des enfants de moins de trois ans.

Oui, la scolarisation des enfants avant trois ans peut être une chance pour certains enfants, mais sa généralisation, dont vous faites un objectif, est-elle souhaitable ?

M. Régis Juanico. On n’a pas parlé de généralisation !

M. Xavier Breton. Les experts, nous le savons, sont divisés à ce sujet. Cette généralisation est-elle seulement possible, à l’heure où nous devons faire des choix budgétaires draconiens ?

Ce manque de priorité, nous le retrouvons également dans le message que ce texte adresse aux enseignants et aux élèves : un message qui appelle à moins d’exigence.

En effet, quel message adressez-vous quand vous dites vouloir supprimer les notations, les redoublements et les devoirs à la maison, sans rien proposer à la place ? Je le répète : si certaines mesures peuvent s’entendre et être débattues, nous ne devons pas les prendre isolément, mais par rapport à l’ensemble du texte que vous nous proposez. Force est de constater que ce texte ne recentre pas l’école sur ses priorités.

Ce texte présente un autre motif d’inquiétude : au lieu de chercher à libérer les initiatives, à accorder plus d’autonomie aux établissements et à faire davantage confiance aux enseignants, ce texte risque, tout au contraire, de renforcer les blocages existants et de créer de nouvelles rigidités.

N’y a-t-il pas, par exemple, une contradiction à vouloir faciliter la transition entre l’école et le collège en créant un cycle à cheval entre les deux et à supprimer, dans le même temps, le cycle qui existe aujourd’hui entre la grande section de maternelle et le cours préparatoire ? N’allez-vous pas inciter l’école maternelle à se refermer sur elle-même, avec ce cycle à part ?

Pourquoi, par ailleurs, réaffirmer le principe du collège unique et supprimer les dispositifs de préapprentissage institués notamment par la loi Cherpion ? Pourquoi adopter une approche purement quantitative des effectifs enseignants, alors qu’on sait que le véritable enjeu est l’attractivité du métier d’enseignant ? Ce texte ne dit rien, ou presque, des conditions de travail des enseignants. Pourquoi, enfin, créer un nouveau service public, celui de l’éducation numérique ? Comment, surtout, va-t-il pouvoir se développer sans freiner les initiatives dans ce secteur prometteur ?

S’agissant de la formation des enseignants, quelles mesures vont empêcher concrètement que ne réapparaissent les inégalités et les rigidités que nous avons constatées dans les IUFM ? Comment va se faire l’articulation entre les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation, d’une part, et l’université d’autre part ? Le texte actuel ne fixe pas le cadre qui permettrait d’éviter à l’avenir des blocages entre ces écoles et les universités.

J’aurais également pu évoquer les projets éducatifs territoriaux, dont la consécration législative pourrait bien signifier l’instauration d’une tutelle, venue du haut, sur les initiatives des établissements. Voilà autant de questions que nous avons posées en commission, au travers de nos amendements, et auxquelles nous n’avons pas obtenu de réponse.

Alors que de nouveaux blocages se profilent et que de nouvelles rigidités apparaissent, ce texte ne prévoit rien qui aille dans le sens d’une plus grande autonomie des établissements, rien qui annonce un véritable statut des directeurs d’école, rien qui introduise davantage d’initiative et de souplesse.

Alors que d’autres pays fixent des objectifs clairs à leur école, tout en laissant une grande souplesse dans les moyens de les atteindre, nous continuerons, de notre côté, à encadrer à l’excès notre système éducatif, sans avoir pour autant fixé l’objectif à atteindre.

Pour terminer, je voudrais évoquer l’exigence d’une volonté commune, d’une ambition partagée pour notre école. Notre école n’est plus assez soutenue par notre société. Le malaise des enseignants s’explique aussi par cette carence. Notre devoir est d’exprimer cette volonté nationale.

Malheureusement, ce texte n’exprime pas cette ambition. Le constat sur lequel il se fonde est inutilement polémique : les insuffisances de notre système éducatif ne datent pas des cinq dernières années. Cette vision choisit délibérément le clivage ; nous le regrettons.

Nous ne ressentons pas non plus de volonté de rassemblement dans le recours excessif, voire abusif, au décret. Pourquoi dessaisir le Parlement du soin de définir le socle commun ou de déterminer le nombre de cycles, par exemple ? Les débats sur l’éducation ont été trop longtemps confisqués par la rue de Grenelle, et ce texte trahit une tentation du ministère de se refermer sur lui-même.

On le constate également dans la composition des deux nouveaux conseils créés, l’un dédié aux programmes, l’autre à l’évaluation. Le projet de loi propose que cette composition soit pratiquement verrouillée par le ministère.

Ce repli du ministère sur lui-même ne permettra malheureusement pas à notre pays de se rassembler autour d’un projet pour son école, et ce d’autant moins que ce texte est porteur de nouvelles divisions potentielles. Vous proposiez ainsi, monsieur le ministre, à l’article 3 du texte initial, une définition partiale des valeurs de la République. Heureusement, le rapporteur a bien compris les enjeux de l’exercice et nous a proposé en commission de supprimer cet article, ce que nous nous sommes empressés de faire.

Il reste cependant des sujets d’importance sur lesquels il sera possible de mesurer concrètement votre volonté de concorde républicaine. Quid de la morale laïque ? Quelle conception de la laïcité inspirera ce texte ? Quelle conception de l’égalité entre les hommes et les femmes ? Vous savez que sur tous ces sujets, nos convictions sont souvent différentes. Nous sommes respectueux des différences, et nous ne cherchons pas à les supprimer en niant leur existence par une vision égalitariste.

Monsieur le ministre, vous déclariez dans une entrevue : « Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel (…) »

M. Bernard Roman. Très bonne citation !

M. Xavier Breton. Nous ne le pensons pas.

M. Bernard Roman. Eh bien, vous avez tort !

M. Xavier Breton. Pour nous, cette volonté d’arracher l’élève a de prétendus déterminismes correspond à une vision erronée de la liberté. Cette volonté d’éloigner le plus possible les enfants de leur groupe d’appartenance est suspecte à nos yeux, car elle met en place d’autres influences, neutres en apparence, mais qui se révèlent beaucoup plus oppressives.

Non, monsieur le ministre, nous ne souhaitons pas, comme vous l’écrivez, que le Gouvernement « s’appuie sur la jeunesse pour changer les mentalités ». Un gouvernement n’a pas à changer les mentalités, et il n’a pas à instrumentaliser la jeunesse.

Vous le voyez, pour engager l’école sur une nouvelle voie, ce texte doit faire l’objet de travaux complémentaires en commission tant il est loin de formuler des priorités, de libérer les initiatives, et de rassembler autour d’une vision commune et fédératrice.

Comme le montre la réforme mal engagée des rythmes scolaires, la méthode pour réformer est importante. C’est pour cela que le groupe UMP vous propose de renvoyer ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Pour les explications de vote, la parole est à Mme Julie Sommaruga pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

Mme Julie Sommaruga. Mes chers collègues, j’ai cru comprendre dans les propos de M. Apparu que l’opposition remettait en question son bilan concernant l’école, et qu’elle convenait de l’urgence de la situation. C’est plutôt une bonne nouvelle, et c’est l’occasion de rappeler que ce projet de loi est une réponse cohérente, réfléchie et efficace face à l’urgence. Il nous donne enfin les moyens de lutter contre la reproduction des inégalités sociales à l’école. Cela signifie que nous proposons d’agir, lorsque vous proposez de renvoyer le débat en commission, c’est-à-dire de perdre du temps. Ce n’est pas du tout la même chose.

Pendant dix ans, la droite a laissé l’école se dégrader, et lorsqu’elle a agi, elle n’a réfléchi qu’en termes d’économies par des suppressions de postes.

M. Bernard Roman. Bien sûr !

Mme Julie Sommaruga. Et à présent l’opposition, qui a été au pouvoir pendant dix ans, veut encore repousser le débat par cette proposition de renvoi en commission !

Il s’agit donc purement et simplement d’immobilisme : proposer une motion de renvoi en commission sur ce texte essentiel ne consiste qu’à retarder la possibilité de donner un avenir meilleur à l’école, aux élèves, aux enseignants et aux parents, tous ceux que vous avez ignorés pendant dix ans.

Nous voterons contre cette motion de renvoi car le texte qui nous est présenté aujourd’hui est le fruit d’une longue et riche concertation, ne vous en déplaise.

M. Bernard Roman. Très bien !

Mme Julie Sommaruga. Il contient des mesures nouvelles innovantes et nécessaires, qu’il s’agisse de la création de 60 000 postes, la priorité donnée au primaire, le fait d’avoir plus de maîtres que de classes, la formation des enseignants, la scolarisation des tout-petits, l’enseignement des langues étrangères dès le CP, le développement du numérique, la fin de la stigmatisation des écoles dans les quartiers populaires, le développement de l’enseignement professionnel, et tant d’autres.

Votre motion de renvoi ne démontre finalement qu’une chose : vous êtes opposés à toutes ces mesures indispensables. Non, il ne faut pas renvoyer à plus tard ces avancées vitales pour l’école, il faut voter ce texte de loi dès maintenant ; c’est pourquoi nous ne voterons pas votre motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Bernard Roman. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. Mes chers collègues, le groupe UDI soutient cette motion de renvoi en commission pour une simple raison…

M. Bernard Roman. Rejoignez donc l’UMP, vous êtes d’accord sur tout !

M. Philippe Gomes. Pourrais-je m’exprimer, ou pensez-vous que l’ombre n’a pas le droit de faire entendre sa voix à la lumière qui est en train d’illuminer l’hémicycle ?

Mme la présidente. Seul M. Gomes a la parole.

M. Philippe Gomes. Une refondation qui fait l’impasse sur le collège et l’orientation, qui est aujourd’hui majoritairement subie plutôt que choisie, ce n’est pas une refondation.

Parler d’une refondation sans évoquer le lycée, sans faire une première évaluation de la réforme des lycées, du poids des options qui aujourd’hui sont coûteuses dans notre système scolaire, sans apporter véritablement quelque chose, ce n’est pas une refondation.

Parler d’une refondation sans refonder véritablement les relations entre l’école et l’entreprise, sans évoquer les filières professionnelles et technologiques, ce n’est pas une refondation.

Parler d’une refondation sans faire le lien entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, alors que le taux d’échec est énorme dans les deux premières années d’enseignement supérieur, ce n’est pas une refondation.

Parler d’une refondation, cela fait joli, c’est beau ; mais ce sont les structures même de notre école de la République qu’il faut repenser. En effet, si cette école a été le creuset de la nation, c’est parce qu’elle a permis le rétablissement de l’égalité des chances. Cette mission première, qui est la promesse républicaine par excellence, n’est plus assurée aujourd’hui.

En 1989, on a créé les cycles. En 2005, on a créé le socle commun de connaissances et de compétences. Que crée-t-on aujourd’hui, alors que les cycles et le socle sont toujours lettre morte ? Un renvoi en commission est donc nécessaire pour véritablement aborder le fond des problèmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Notre collègue Xavier Breton propose de laisser la place à plus d’expérimentation, à plus de liberté éducative, à plus de projets éducatifs territoriaux, c’est très bien : ces axes figurent déjà dans le projet de loi. Et puisque le terme d’exigence est si important à ses yeux, qu’il sache que nous avons été exigeants sur ces points en commission.

Le rapporteur l’a rappelé, le travail a été long : plus de vingt heures qui ont permis d’amender le projet de base. Il reste des ajouts et des précisions à apporter, et nous aurons toute la semaine pour le faire.

Nous avons également parlé des moyens. Cette réforme coûte cher, mais ne pas la faire coûterait encore plus cher, et n’affecterait pas seulement le budget de l’éducation nationale, mais celui du pays tout entier. Si nous avions fait il y a dix ans les réformes dont M. Breton nous parle, nous en sentirions aujourd’hui les résultats positifs sur l’école.

Nous avons assez perdu de temps, évitons ce renvoi en commission complètement inutile. Nous voterons bien sûr contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe UMP.

Mme Annie Genevard. Comme l’a montré notre collègue Xavier Breton, et avant lui Benoist Apparu, plusieurs arguments plaident en faveur d’un renvoi de ce texte en commission.

Le rapporteur a vanté les vertus de la grande concertation estivale ; mais nous estimons que le débat doit se prolonger encore dans nos travaux parlementaires, car il y a des silences dans ce projet de loi. Il ne fait quasiment aucune mention de l’autonomie des établissements, de la contractualisation avec le corps enseignant sur la question de la réussite scolaire, de la revalorisation du métier d’enseignant – ils sont dramatiquement déclassés aujourd’hui –, de la formation continue, du rôle des parents ou de l’individualisation des méthodes d’enseignement.

Certains points méritent grandement d’être travaillés, tant les modalités de leur application sont nébuleuses, voire catastrophiques. C’est le cas des rythmes scolaires ainsi que l’articulation des temps scolaires et des temps de l’enfant sur la question du parcours de l’éducation artistique et culturelle.

Oui, monsieur le ministre, nous avons besoin de retourner en commission pour faire régner ce climat de dialogue que vous appelez de vos vœux, mais que vous n’avez guère illustré dans vos propos, en dénonçant l’action de vos prédécesseurs et en contestant même la légitimité d’un débat qui déshonorerait ses auteurs – ce sont vos termes.

Vous attendiez ce débat avec gourmandise : seriez-vous déjà repu pour n’avoir pas pris la peine de répondre à notre collègue Xavier Breton ? Si vous attendez ce débat avec gourmandise, nous l’attendons avec gravité, et nous plaidons en faveur de ce renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur Breton, vous soulignez dans votre motion de renvoi en commission que les mauvais résultats de notre école et la persistance de l’échec scolaire, ne datent pas de ces cinq dernières années et ne sont pas dus aux suppressions de postes et à la suppression de la formation professionnelle. Bien sûr, certaines causes remontent plus loin ; mais acceptez tout de même d’entendre que les suppressions de postes et la suppression de la formation professionnelle n’ont pas amélioré la situation de l’école, bien au contraire.

Une loi sur la refondation se doit donc de considérer cette question des moyens pour l’école et de la formation professionnelle des enseignants.

Vous dites qu’il existe des causes multiples à l’échec de l’école, notamment le fait que l’école n’est pas assez centrée sur ses priorités. Il faudrait d’abord nous dire quelles sont ces priorités. N’êtes-vous pas en train de nous parler d’un socle commun minimum, alors que nous avons aujourd’hui besoin d’une école qui donne un maximum de qualifications et de compétences pour que demain, ces hommes et ces femmes soient capables de maîtriser les enjeux de notre société et d’exercer des métiers qui demandent toujours plus de qualifications, notamment s’ils veulent évoluer dans leur carrière ?

M. Xavier Breton. Le mieux est l’ennemi du bien !

Mme Marie-George Buffet. Vous ne comprenez pas que l’on veuille arracher des enfants au déterminisme social : c’est l’honneur de la gauche de penser que chaque enfant, quelle que soit son origine, doit pouvoir s’épanouir, se dépasser et réussir sa vie. C’est pourquoi le groupe GDR votera contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. L’école est la première des promesses. C’est la promesse que fait la République à la génération qui vient. C’est la promesse que par son travail, par son apprentissage, la jeunesse trouvera sa place dans notre société.

Par-delà l’état des finances du pays, prospère ou frappé par les crises qui ont accompagné le XXe siècle, ceux qui nous ont précédés dans cet hémicycle ont façonné l’école telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Bien plus qu’un simple lieu d’apprentissage, ils ont eu à cœur de faire de l’école le creuset, le ferment de l’idée de République.

À charge, dans les classes, aux premiers hussards noirs puis aux instituteurs, aux professeurs et aux professeurs des écoles que nous connaissons désormais, de transmettre et de faire vivre la République, la laïcité, bien sûr, et surtout l’idée généreuse d’une école publique et obligatoire, une et indivisible, offrant sans distinction de territoire ou d’origine sociale la même qualité d’encadrement, et les mêmes moyens, avec pour but non l’excellence de certains, mais la réussite de tous.

Mes chers collègues, je pense que nous sommes nombreux, de part et d’autre, à souscrire à cette vision de l’école comme le lieu de la laïcité, de la transmission des savoirs, de l’apprentissage de la citoyenneté, et comme la clé d’une future ascension sociale pour les plus modestes. Pourtant, si nous sommes tous réunis aujourd’hui, c’est parce que notre école ne répond plus à ces exigences républicaines. L’étude PISA de 2009 classe ainsi notre système parmi ceux de l’OCDE qui font le moins bien fonctionner l’ascenseur social. Jamais dans notre pays le poids des déterminismes sociaux n’a été aussi grand pour expliquer les écarts de réussite scolaire entre les élèves. Cette reproduction des inégalités sociales dans et par nos écoles est particulièrement inquiétante. Cela est d’autant plus grave que c’est aussi une dégradation globale du niveau des élèves qui est constatée.

Cette crise de notre modèle éducatif et l’affaiblissement de notre école s’accélérant depuis dix ans, le poids des mauvaises décisions politiques est indéniable. Je pense tout d’abord à la baisse du nombre d’enseignants : compte tenu de sa mission, l’éducation nationale aurait dû échapper à la logique aveugle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux.

M. Benoist Apparu. Cela n’a rien à voir avec notre débat !

Mme Barbara Pompili. Aujourd’hui, la France est ainsi l’un des pays de l’OCDE ayant le plus faible taux d’encadrement des élèves dans le primaire.

Mme Annie Genevard. Et dans le secondaire ?

Mme Barbara Pompili. En outre, la suppression de la formation professionnelle des futurs enseignants a des effets catastrophiques sur l’image des métiers de l’enseignement, sur l’éviction des étudiants issus des milieux les plus modestes et sur l’absence de préparation des futurs professeurs. Mettre des nouvelles recrues face à une classe, sans préparation ni accompagnement adéquats, revient à les mettre en situation d’échec, et ainsi à faire peser sur nos enfants les conséquences de choix politiques dramatiques.

Une autre réforme très symbolique illustre le manque de considération du gouvernement Fillon et de Nicolas Sarkozy à l’égard de l’école de la République : il s’agit de la suppression de la carte scolaire. L’ancienne majorité a ainsi donné sa bénédiction à l’accentuation du consumérisme scolaire et au renforcement des inégalités territoriales. Les parents qui en ont les moyens ont la possibilité d’inscrire leur enfant dans un établissement réputé, contribuant à faire de l’école, du collège ou du lycée délaissé un établissement de relégation.

Dans ce contexte, confrontée quotidiennement à une école où se creusent les inégalités et face à la crise économique, la jeunesse se met à douter. Elle doute que ses efforts suffiront, et qu’ils seront récompensés. Elle doute de son avenir. C’est pourquoi nous devons lui redonner confiance et renouveler la promesse de l’école à nos enfants. C’est ce que nous entendons faire aujourd’hui ! Il s’agit de redonner de l’ambition à l’école, de lui permettre de renouer avec ses missions d’école de la République garante de l’égalité des droits quels que soient les origines des élèves ou les moyens de leurs familles.

Cette refondation ne doit pas se limiter à une simple réparation, mais avoir l’audace et l’envergure nécessaires pour faire mieux et autrement. Il ne s’agit pas de donner des moyens sans réformer, ni de réformer sans moyens. Non : investir pour notre jeunesse, c’est construire l’avenir. Sur ce point, je souhaite d’ores et déjà saluer les efforts budgétaires entrepris. Par-delà les moyens, c’est aussi la volonté de changement que nous soutenons : la priorité au primaire, le « plus de maîtres que de classes », la réforme des rythmes scolaires, la scolarisation des moins de trois ans dans les zones en difficulté. Nous soutenons toutes ces avancées mais, plus encore, l’urgence de la situation appelle des changements de fond et d’envergure.

Monsieur le ministre, soyez assuré que votre réforme rencontre le soutien déterminé des écologistes. C’est dans cet état d’esprit et pour renforcer encore l’ambition de cette réforme que nous vous ferons des propositions.

Tout d’abord, concernant les projets éducatifs territoriaux, l’expérimentation pédagogique et le décloisonnement doivent être aux fondements de la refondation de l’école de la République. Les PEDT constituent là un outil essentiel. C’est à travers leur déclinaison que les rapports entre le cadre national et les adaptations aux spécificités locales seront mieux équilibrés. Ce sont eux qui donneront sens à la réforme des rythmes. En organisant une continuité éducative entre le temps scolaire et les autres temps de l’enfant – périscolaires et extrascolaires –, les PEDT impliquent une approche plus globale de l’éducation et nécessitent une collaboration de l’ensemble des acteurs : enseignants, services du ministère, associations culturelles et artistiques, structures de l’éducation populaire, représentants des parents d’élèves mais aussi des associations de parents d’enfants handicapés, pour ne citer que ces exemples. L’enjeu fondamental est de permettre à toutes les parties prenantes de construire ensemble une politique éducative cohérente.

C’est dans ce cadre que le rôle des collectivités territoriales doit être appréhendé. Sur cette question, j’insiste sur notre souhait de voir le fonds d’amorçage se transformer en fonds d’accompagnement, car c’est dans la durée que les enjeux d’égalité territoriale doivent être pris en compte.

Nous souhaitons également que la refondation permette des évolutions pédagogiques. Avec les PEDT et la réforme des rythmes, le champ des possibles vers une réforme des pratiques est ouvert : alors, soyons audacieux ! Ouvrons l’école sur l’extérieur, renforçons les projets co-élaborés, inventons de nouveaux emplois du temps pour faire vivre les projets collectifs ! La démarche existe déjà : je pense au collège Clisthène de Bordeaux, ou encore à la ville de Brest, où l’innovation pédagogique a déjà fait ses preuves. La nouveauté doit résider dans l’affirmation de ce droit à l’innovation et à l’expérimentation, et dans notre volonté de le généraliser pour que ce ne soient pas quelques-uns qui profitent de ces initiatives, mais le plus grand nombre.

Nous souhaitons aussi une gouvernance plus ouverte et collaborative. Il s’agit notamment de donner plus de place aux élèves et à leurs familles. Il est d’ailleurs grand temps de considérer les élèves comme des acteurs à part entière de leur parcours, qu’il s’agisse de leur orientation ou de leur participation à la vie scolaire et périscolaire. Leur évaluation devrait, elle aussi, mieux les impliquer. L’école ne doit pas être le lieu d’apprentissage de la compétition : c’est donc la totalité du système d’évaluation qu’il convient de revoir, du CP jusqu’au bac, sans oublier le système de notation à réviser lui aussi en profondeur. Il faudra s’intéresser un peu plus aux compétences des élèves, à leurs capacités réflexives, et les évaluer sur des projets personnels et collectifs de long terme. L’engagement des jeunes dans la vie de l’établissement ou des projets citoyens, associatifs, sportifs, culturels pourraient alors aussi faire partie de cette évaluation rénovée.

J’ajoute que l’école fondamentale que nous appelons de nos vœux doit mettre en cohérence le primaire et le secondaire pour scolariser les enfants jusqu’à seize ans sans sélection ni orientation. À ce titre, le conseil école-collège aura un rôle essentiel à jouer.

Je souhaite également rappeler la nécessité d’aller plus loin en ce qui concerne la scolarisation des élèves handicapés. Soyons, là aussi, ambitieux ! Les progrès à faire pour que l’école inclusive devienne une réalité sont grands. Nous devons être à la hauteur de cet enjeu.

Enfin, c’est par les enseignants que la refondation de l’école se fera. Si la revalorisation du statut des enseignants est à envisager au plus vite et sera, je l’espère, à l’ordre du jour des prochaines priorités gouvernementales, je souhaite m’arrêter quelques instants sur leur formation dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Tout d’abord, pour que les étudiants se consacrent pleinement à leur formation, les deux années de master devraient être dégagées de toute préparation au concours. En outre, il est nécessaire d’organiser un pré-recrutement digne de ce nom ; les contrats d’avenir professeur sont nécessaires mais ne sauraient être une réponse suffisante. Il convient aussi de diversifier davantage encore les voies d’accès au métier d’enseignant.

Sur le fond, les élèves professeurs doivent apprendre à apprendre : leur formation doit donc contenir des modules de pédagogie. Ils doivent aussi apprendre à travailler avec les autres acteurs de l’éducation, comme les parents, les animateurs, les auxiliaires de vie scolaire ou les structures associatives, pour ne citer que ces quelques exemples. Ils doivent également être formés à la scolarisation des enfants handicapés et, plus généralement, à la scolarisation des enfants en difficulté. Enfin, la formation continue doit être considérablement améliorée et renforcée.

Monsieur le ministre, madame la ministre, je vous le répète : voyez en nos nombreuses propositions, que je détaillerai lors des débats, des signes de soutien ayant vocation à donner encore un peu plus à cette refondation toute l’ambition qu’elle nécessite. C’est ainsi que nous redonnerons confiance à notre jeunesse et que l’école de la République représentera à nouveau une promesse réaliste et crédible. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ary Chalus.

M. Ary Chalus. Madame la présidente, madame et monsieur les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’école, pilier de la République, ne réduit plus les inégalités. Elle aurait même tendance à les accentuer.

En effet, notre école est connue pour favoriser les bons élèves. Elle ne prévoit pas grand-chose pour ceux qui se positionnent en fin de classement, ni pour ceux à qui la méthode d’apprentissage scolaire traditionnelle ne convient pas. Sur ce point, je souhaite insister ici sur un certain nombre d’amendements que le groupe RRDP a déposés et qui concernent notamment le cas des élèves intellectuellement précoces. Paradoxalement, les deux tiers de ces enfants sont en échec scolaire. La République n’a pas le droit de laisser tomber ces pépites : le personnel enseignant et non enseignant doit être formé à cette problématique pour participer à la réussite scolaire de ces enfants.

Les inégalités se cristallisent très tôt. Les retards accumulés à l’école primaire ne se rattrapent pas au collège, et encore moins au lycée. À la sortie de l’école primaire, un quart des élèves ont des acquis fragiles et 15 % sont déjà en décrochage. De plus, l’écart se creuse entre les élèves en difficulté de plus en plus nombreux et entre ceux qui s’en sortent.

En outre-mer, malgré une amélioration constante ces dernières années, les taux de redoublement dans les écoles primaires publiques sont encore supérieurs à ceux des écoles de France métropolitaine, notamment pour les niveaux de CP et de CM2. Nous notons aussi que l’origine sociale des élèves dans les départements d’outre-mer est très différente de celle observée en France métropolitaine : plus d’un tiers des élèves – contre 6,6 % en France métropolitaine – sont issus de familles dont le responsable est inactif. L’évaluation des compétences en lecture de l’ensemble des jeunes âgés de dix-sept ans effectuée lors de la journée d’appel de préparation à la défense en 2009 a montré que les proportions de lecteurs présentant de grandes difficultés s’élèvent à plus de 15 % outre-mer et atteignent même 25 % en Guyane, contre 5 % en moyenne nationale.

J’attends donc beaucoup de ce projet de loi sur la refondation de l’école de la République. Il faudra au moins une refondation pour que l’école respecte enfin pleinement l’engagement républicain d’assurer à chaque élève, à travers la formation scolaire, la transmission des connaissances, des compétences et de la culture nécessaires au plein exercice de la citoyenneté dans la société de l’information et de la communication.

De multiples rapports montrent en effet que, bien avant l’entrée au collège, le décrochage des élèves en difficulté est souvent irréversible. Le collège ne permet pas de rattraper ces élèves. Pire, l’orientation qui y est pratiquée est souvent la conséquence d’un tri par défaut, dont le classement s’établit dès l’école primaire.

Le collège doit conduire tous les élèves à la maîtrise d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Il faudra donc veiller à ce que disparaissent les filières ségrégatives qui servent surtout à se débarrasser des élèves en difficulté. Faute de trouver dans le système une voie vers l’épanouissement professionnel et citoyen, certains élèves en situation de décrochage scolaire perdent confiance dans cette institution censée les accueillir. Parfois, cette même institution leur fait comprendre qu’ils n’y ont pas toute leur place.

L’échec – jusqu’ici – du collège unique ne doit pas conduire à abandonner cette idée, mais à accorder plus de place à des expérimentations encadrées. Ces expérimentations doivent être les fruits, sur le terrain, à la fois d’un travail concerté entre parents et professionnels de l’éducation et d’un dialogue plus large entre les acteurs de l’école et la société. L’esprit de ce projet de loi semble permettre, ou du moins envisager de telles expérimentations : je serai vigilant sur leur mise en œuvre.

La refondation de l’école doit passer par la mise en place d’un dialogue effectif, impliquant aux cotés de tous les acteurs de l’éducation, sans discrimination, tous les parents, y compris – il faut insister sur ce point – ceux qui se trouvent en situation sociale défavorable.

C’est pourquoi j’ai érigé l’égalité des chances comme fondement de mon action politique. Dans ma commune, nous avons mis en place plusieurs dispositifs pour accompagner les familles, dont un conseil pour les droits et devoirs des familles qui associe l’ensemble des acteurs : chefs d’établissements scolaires, principaux de collèges, directeurs de centres de formation, police municipale, élus, travailleurs sociaux, associations. Il s’agit de mettre en œuvre des mesures d’aide adaptées aux besoins des familles afin de soutenir la fonction parentale, de prévenir et de lutter contre l’absentéisme ou la rupture scolaire, ainsi que de prévenir et de protéger les mineurs des dérives de la délinquance.

Le CDDF constitue un cadre de dialogue et non de répression : le maire peut, sans formalisme particulier, entendre les parents, leur rappeler leurs devoirs et obligations liés à l’éducation de leurs enfants, étudier avec les familles les raisons de l’absentéisme scolaire et envisager avec elles des solutions concrètes garantissant le retour des enfants à l’école. Depuis sa mise en place en 2010, nous avons ainsi accompagné 340 familles. Grâce au réseau partenarial mis en place et à l’implication des chefs d’établissements scolaires, c’est plus d’une dizaine d’enfants ou jeunes décrocheurs qui ont réintégré leur parcours scolaire.

Parallèlement à l’accompagnement individualisé et personnalisé des familles, des actions dites collectives sont mises en place : la formation parentale, l’extension d’un point « info famille », l’organisation de clubs de parents dans l’enceinte des établissements scolaires du premier degré, la création d’une unité d’écoute pour jeunes en difficulté et des espaces d’échanges sur la parentalité et la relation parent-enfant. Nous prévoyons également une action de lutte contre l’illettrisme en direction des parents en difficulté pour leur permettre le suivi scolaire de leurs enfants.

Au-delà du CDDF, d’autres actions sont menées, comme l’intégration des jeunes dans la vie scolaire dès le plus jeune âge ou l’organisation de challenges à l’école primaire et au collège comme outil de motivation. Ces dispositifs ont contribué à diminuer considérablement le décrochage et l’absentéisme, si bien que le collège Maurice Satineau a affiché un taux de réussite de plus de 88 % en 2012, contre 70 % en 2009.

J’ai donc beaucoup d’espoir dans le projet de refondation de l’école présenté par le Gouvernement, et je soutiendrai toute initiative qui cherchera à placer l’élève au cœur de la politique nationale d’éducation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’école ouverte à tous et toutes, l’école qui a pour mission la réussite de chacun et chacune est source d’épanouissement pour chaque individu. Elle est aussi au cœur de l’originalité de notre République, dont les avancées sociales et humaines sont essentiellement issues de l’intervention populaire, de la démocratie grâce à l’accès du plus grand nombre aux connaissances.

L’école de la République, qui a su offrir à des générations de filles et de garçons la possibilité de se former, d’acquérir des connaissances quel que soit le milieu social dont il ou elle était issu, et d’être acteur, actrice dans la société, a longtemps été une référence. Mais l’Éducation nationale a beaucoup souffert ces dernières décennies ! Aussi, nous ne pouvons que nous satisfaire de voir affirmer une nouvelle ambition pour cette école à laquelle nous tenons.

En effet, l’école a besoin d’une rupture forte avec la politique de la droite qui a sacrifié l’éducation de nos enfants au libéralisme, en imposant des critères comptables à ce qui relève d’abord de l’humain. À coups de RGPP et de dénigrement des compétences des équipes éducatives, le travail des enseignants et le parcours des élèves ont connu de plus en plus de difficultés.

Aussi, refonder l’école est une ambition vitale pour l’avenir, celui de notre pays à travers celui de ses enfants. Car, il faut le reconnaître, l’école de la République ne permet plus aujourd’hui la réussite de toutes et tous. Notre système est aux abonnés absents d’une véritable démocratisation ! Il n’arrive plus à dépasser les inégalités sociales et territoriales.

Le projet de loi qui nous est soumis répond-il vraiment à cette belle ambition ? Monsieur le ministre, vous nous avez mis en appétit par vos interventions et la consultation que vous avez menée sur la refondation. Mais le menu contenu dans votre projet de loi n’est pas entièrement satisfaisant. C’est d’ailleurs la raison de la manifestation nationale pour l’éducation du 6 avril prochain à l’appel de la FSU, dont l’objet est de tenir « les engagements d’un projet ambitieux de l’école maternelle jusqu’à la fin du lycée... »

J’aborderai d’abord la question de l’équipe pédagogique pour me féliciter de la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Avec le retour à une formation professionnelle des maîtres, dans le cadre d’une formation universitaire de haut niveau, et d’un effort de prise en compte et de développement de la recherche pédagogique, ce projet de loi est en rupture avec la politique précédente qui avait rayé la formation au métier d’enseignant.

Mais nous restons au milieu du gué. L’absence d’un véritable prérecrutement risque non seulement de limiter les vocations, notamment pour les jeunes issus des catégories les plus modestes, mais aussi d’amoindrir la qualité de la formation. Les emplois d’avenir professeur présentent un semblant de prérecrutement, mais ils n’en sont pas. Ils relèvent en effet du droit privé, et sont conditionnés à un travail à mi-temps sans en avoir le salaire. Ces jeunes sont envoyés dans les territoires les plus démunis et doivent officier en tant que remplaçants, faute de maîtres formés à mettre devant ces classes. On ajoute ainsi de la précarité et de l’inexpérience à un système scolaire qui aurait, au contraire, besoin de fondations solides.

C’est le sens des amendements que les députés du Front de gauche ont soumis au débat. Ces exigences au plan de la formation et des statuts doivent accompagner le nouvel effort de recrutement.

Après des années de réduction des postes, le projet de loi programme la création de 60 000 postes sur la durée de la législature : 1 000 postes seront consacrés à la formation initiale et continue des enseignants, 7 000 pour « plus de maîtres que de classes », 3 000 pour l’accueil des enfants de moins de trois ans dans certaines écoles maternelles. C’est une annonce positive, mais la situation très tendue de certains territoires montre que nous avons besoin d’un plan de rattrapage soutenu dans le temps et qui, je l’espère, monsieur le ministre, ne sera pas mis en cause par les nouvelles saignées programmées par les politiques d’austérité européennes.

Concernant les embauches et le statut ensuite, je déplore que dans l’éducation nationale trop de personnes soient aujourd’hui embauchées sous des contrats de droit privé pour une durée limitée. Aussi souhaiterais-je connaître, monsieur le ministre, vos objectifs en matière de titularisation et de déroulement de carrière de ces personnels, ainsi que les modalités de validation des acquis à mettre en place dans cet objectif.

Enfin, pour valoriser les métiers de l’éducation et donner envie à de nombreux jeunes de les investir, il faut parler formation, statuts, mais il faut aussi parler salaire. Et de ce point de vue, monsieur le ministre, nous aimerions connaître les intentions du Gouvernement après trois années de blocage.

Votre projet est centré sur l’élémentaire et la maternelle. Il renvoie à plus tard la réforme du second degré alors que nous savons que le collège est un passage difficile de notre système éducatif et qu’il débouche trop souvent sur une orientation précoce et subie, avec pour conséquence l’échec scolaire et les nombreux « décrocheurs ».

Nous aurions pu construire cette loi sur une obligation scolaire de trois ans à dix-huit ans. Cela aurait permis de traiter du rapport entre le premier et le second degré au-delà du cycle CM1, CM2, sixième. Cela aurait permis de reporter l’orientation des élèves et ainsi d’assurer à chacun et chacune une culture commune de haut niveau. Cela aurait montré les limites que vous avez vous-même rappelées, monsieur le ministre, de la démarche du socle commun, qui perdure dans le projet au détriment de l’idée de culture commune.

Vous nous dites, monsieur le ministre, que d’autres lois sont à venir sur le second degré. Mais une question se pose alors : pourquoi décider aujourd’hui de la régionalisation des lycées professionnels ? Certes, un amendement a été adopté, grâce à M. le rapporteur, qui donne le dernier mot aux rectorats dans le choix des filières ; mais rien n’est dit sur l’ambition que vous avez affichée vous-même, notamment sur le niveau de connaissances délivré par ces établissements. Rien non plus sur l’intégration de l’enseignement professionnel dans l’enseignement général, dans la culture commune que devrait délivrer l’Éducation nationale.

Pour revenir à l’objet de votre projet de loi et à ses propositions concernant le premier degré, je voudrais vous interroger sur l’école maternelle.

La loi reconnaît cette école, et je m’en félicite, comme une école à part entière. Alors pourquoi ne pas décider maintenant de ramener à trois ans l’âge du début de la scolarisation obligatoire ?

Par ailleurs, la loi prévoit que les missions et programmes de l’école maternelle seront revisités. Elle ouvre aux zones d’éducation prioritaires la scolarisation à deux ans. Pour notre part, et c’est le sens de nos amendements, nous pensons que tous les enfants dont les parents le souhaitent doivent être accueillis partout dès deux ans pour garantir une meilleure scolarité. Bien sûr, cet accueil à deux ans nécessite une formation et des conditions d’encadrement spécifiques, comme je l’ai souligné dans ma proposition de loi relative à la scolarisation à deux ans.

Un autre sujet me tient particulièrement à cœur, celui de l’aide aux enfants en difficulté, car il est au cœur de nombreuses mobilisations : je veux parler des RASED. Les amendements adoptés par la commission visent à les conforter. Mais rien n’est dit dans le corps du projet sur les objectifs pédagogiques de ces réseaux et leurs rapports avec « le maître en plus ». Quid de la formation des maîtres spécialisés ? Quid de leur lieu de travail, dans ou à l’extérieur de la classe ?

Nous sommes satisfaits que soit acté le fait que l’enseignement artistique relève de l’Éducation nationale et non du périscolaire. Car il serait dommageable que ces enseignements et d’autres soient délégués.

Quant aux rythmes scolaires, leur réforme – nécessaire – pose également le problème de la qualité éducative du périscolaire. Cela demande que chaque commune dispose, au-delà de la première année, des moyens nécessaires pour avoir un encadrement qualifié et des locaux adaptés.

Une dernière remarque sur votre projet de loi, monsieur le ministre. Trop d’acteurs des équipes éducatives sont absents des conseils nationaux mis en place sur le programme et l’évaluation. Je vous propose, par amendements, d’y remédier, notamment par le biais de conseils consultatifs.

Pour conclure cette intervention, je voudrais dessiner une image de la refondation de l’école. Prenons cette refondation comme une belle maison à construire. Je dirai qu’avec le projet de loi qui nous est soumis, nous posons en grand nombre de premières pierres, mais le chantier est loin d’être terminé. Nous avons encore du travail à accomplir pour que cette loi permette à l’école de la République d’assurer la réussite de tous les élèves. Nous sommes disponibles, soyez en certain, monsieur le ministre, pour y travailler. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Faure.

Mme Martine Faure. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui un texte fondamental pour l’avenir de notre pays, de notre jeunesse, un texte qui relève le défi de garantir à tous nos enfants réussite et épanouissement au sein de l’école. Je regrette seulement que nos collègues de l’opposition n’aient pas encore une lecture assez lucide de ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Avi Assouly. En effet.

Mme Martine Faure. Monsieur le ministre, je tiens à saluer votre détermination et votre engagement en faveur de la refondation de notre école, ouvrant ainsi la porte vers toutes les transformations et tous les possibles pour chacun de nos enfants.

Nous pouvons le répéter, refonder l’école de la République, c’est refonder la République par l’école. L’école, et je le dis avec ferveur, est un bien commun, un bien public, une chance, une immense chance pour tous les enfants. Et lorsque l’école avance, dans notre pays, c’est la République qui grandit. Lorsque l’école est fragilisée, voire attaquée dans ses valeurs ou ses moyens, c’est notre République qui est atteinte.

Pendant plus de dix ans, les gouvernements successifs ont eu surtout une vision comptable de l’école et ont contribué de ce fait à l’affaiblissement du système éducatif français.

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas vrai !

Mme Michèle Fournier-Armand. Hélas si !

Mme Martine Faure. L’absence de perspectives, la volonté de ne pas tenir compte des difficultés ont conduit à la défiance et au découragement de l’ensemble de la communauté éducative. C’est la confiance qu’il nous faut aujourd’hui reconquérir.

Le présent projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République constitue une étape majeure, décisive et essentielle de la grande refondation de la maison école, de la maternelle à l’université ; c’est une première marche que nous devons franchir, une étape que nous nous devons de réussir.

Les attentes à l’égard de l’école sont considérables et les passions souvent exacerbées. Il est donc très difficile de construire du consensus dès qu’il s’agit de l’école. Cependant, nous avons le devoir de mettre en commun les connaissances, les constats de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas et d’en tirer des leçons partagées et constructives.

Certes nombre de préoccupations assaillent chaque jour nos concitoyens : croissance, compétitivité, chômage, sécurité, retraites, pouvoir d’achat... Alors certains s’étonneront, voire critiqueront cette priorité d’action publique.

Pourtant, les résultats scolaires qui ne cessent de régresser doivent tous nous alarmer : c’est pourquoi le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre, avez choisi d’accorder la priorité à l’école, à la jeunesse, et de leur consacrer des moyens s’inscrivant dans une démarche de raison, de long terme et d’intérêt national.

Lorsque toutes les études, nationales et internationales, les travaux des chercheurs, les évaluations, convergent autour d’un même constat, à savoir la faiblesse de notre système éducatif, notre devoir n’est plus de tergiverser, mais de voir la réalité en face, d’agir et de prendre pleinement conscience de l’urgence du redressement. Merci, monsieur le ministre, de ce que vous faites.

Avant ce projet de loi ambitieux, nous étions dans l’incapacité de nous projeter dans le futur, de nous repérer pour faciliter les transitions de la modernité. C’est pourquoi il est indispensable de renverser cette tendance. Cela nous demandera toute notre énergie et toute notre détermination. Le redressement de la France passera par la prise en considération de l’écolier comme messager de l’avenir.

M. Luc Belot. Exactement !

Mme Martine Faure. Pour que la France puisse renouer avec la croissance dans la durée, elle doit élever le niveau de qualification de sa jeunesse – vous êtes d’accord avec nous – et la préparer à l’économie du XXIsiècle, qui appelle des citoyens capables de communiquer en langue étrangère, de connaître leur histoire, de maîtriser les outils numériques, de travailler différemment, en développant toujours de nouvelles compétences.

Nous devons accorder la priorité au primaire, former nos professeurs, améliorer le temps scolaire et le temps éducatif, modifier nos pédagogies, inventer de nouveaux outils pédagogiques, réformer notre système d’orientation, diversifier nos filières, moderniser nos pratiques et nos méthodes.

M. Benoist Apparu. Faites-le !

Mme Martine Faure. C’est inscrit dans le projet de loi, cher collègue. Vous n’étiez pas présent, monsieur Apparu, et vous n’avez pas lu de façon très lucide l’ensemble de ce projet.

M. Luc Belot. Très bien.

Mme Martine Faure. Aussi, s’appuyant sur une large concertation – enseignants, parents d’élèves, collectivités territoriales, lycéens, associations, parlementaires, chercheurs, universitaires et représentants ministériels, y compris le monde économique et professionnel –, ce texte entend donc donner la priorité à l’école primaire.

M. Luc Belot. Eh oui !

Mme Martine Faure. Cela me réjouit car c’est dès le plus jeune âge que peuvent se creuser les difficultés qui peuvent se révéler irréversibles.

M. Avi Assouly. Tout à fait.

Mme Martine Faure. Ce texte renforce le rôle et les missions de la maternelle. La spécificité pédagogique de cette école des petits…

M. Benoist Apparu. La voie de l’école maternelle ?

Mme Martine Faure. Vous avez bien entendu, monsieur Apparu.

Il met en place le dispositif « plus de maîtres que de classes » : cela ouvrira de nouvelles organisations pédagogiques au sein même de la classe, de l’école et entraînera l’évolution du métier d’enseignant. Ce texte n’oublie pas les RASED : ces réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté seront renforcés dans leurs missions en relation avec le dispositif « plus de maîtres que de classes ».

Ce texte assure une passerelle entre l’école et le collège, mettant fin aux transitions brutales ; le conseil « école-collège » permettra aux élèves de CM2 de franchir le palier beaucoup plus sereinement.

Ce texte replace aussi l’enseignant au cœur même de la refondation de l’école. Il prévoit le recrutement de 60 000 enseignants supplémentaires d’ici à 2017 et le rétablissement d’une nouvelle formation initiale et continue des enseignants par la création d’écoles supérieures du professorat et de l’éducation, véritables écoles de professionnalisation des métiers de l’enseignement. La qualité d’un système éducatif tient en effet à la qualité de ses enseignants. Nous le disons, vous le dites aussi, monsieur le ministre : le métier d’enseignant est un métier exigeant, un métier qui s’apprend.

Une formation pratique et approfondie est indispensable afin que les enseignants puissent s’adapter à leurs différents publics, de plus en plus hétérogènes, du point de vue de l’âge, du niveau scolaire, du milieu social et de la situation territoriale.

Enseigner est une vocation mais c’est surtout un métier. Dès 1833, la loi Guizot prévoyait trois années de formation rémunérées pour les futurs instituteurs. Enseigner, ce n’est pas seulement transmettre, c’est aussi faire classe. L’enseignant doit prendre en charge les élèves en difficulté et les élèves en situation de handicap, différencier ses pédagogies, construire des projets individualisés, participer à des projets d’établissement, travailler en équipe, utiliser les nouvelles technologies et agir avec des acteurs extérieurs à l’école.

M. Yves Durand, rapporteur. Tout à fait !

Mme Martine Faure. C’est pourquoi la création de postes d’enseignants et la reconstruction d’une formation de qualité constituent des dimensions essentielles dans ce texte.

Il faut briser la méconnaissance, les incompréhensions qui confinent parfois au mépris – inutile de rappeler certaines phrases prononcées par des ministres du précédent quinquennat (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) –,...

M. Patrick Hetzel. Des noms !

Mme Martine Faure. …les incompréhensions aussi entre les différentes catégories d’enseignants.

C’est un immense défi que celui de l’invention d’une formation moderne, adaptée, réfléchie et exigeante.

Assumer nos valeurs, respecter l’école, les savoirs et les professeurs, voilà ce que nous devons faire avec une volonté forte et résolue. C’est la position que défend aujourd’hui notre gouvernement en affirmant dans ce projet de loi le respect des valeurs de la connaissance et l’estime due à celles et ceux qui assument la tâche de les transmettre.

Même s’il est difficile de l’envisager en cette période de crise et de maîtrise des finances publiques, il faudra organiser la revalorisation du métier de professeur, en commençant notamment par les professeurs des écoles.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas gagné !

Mme Martine Faure. Le projet de loi prévoit également d’accompagner l’usage du numérique dans toutes ses composantes à l’école. Il s’agit d’un outil essentiel de la réforme pédagogique, qui constitue une belle valeur ajoutée, mais qui ne remplacera jamais l’enseignant, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre. Certes, l’école du XXIsiècle doit préparer à vivre dans un monde ouvert, globalisé, numérisé mais il nous faut prendre garde à ne pas déshumaniser la transmission des connaissances et des compétences.

Nous jetons aussi dans ce texte les bases d’une réforme future de l’enseignement secondaire en affirmant notamment que chaque collégien pourra acquérir un socle commun de connaissances, de compétences…

M. Benoist Apparu. …et de culture !

Mme Martine Faure. Oui, et de culture, monsieur Apparu, et j’insiste sur ce mot de « culture » parce que j’ai eu l’impression l’autre jour en commission que vous n’aviez pas tous très bien compris ce que recouvrait ce terme. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Annie Genevard. Oh !

Mme Martine Faure. Nous devons nous appuyer sur les expériences réussies. Les systèmes scolaires les plus performants prêtent au début de la scolarité une attention particulière aux premiers apprentissages. Ils offrent une véritable formation initiale et continue à leurs enseignants, une formation fortement professionnalisante qui permet une entrée progressive dans le métier.

Mme la présidente. Il faudrait conclure, madame Faure.

Mme Martine Faure. C’est bien dommage ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Benoist Apparu. Ça dépend pour qui !

Mme Martine Faure. Ces systèmes réduisent en outre les inégalités.

Certes, la refondation prendra du temps mais le temps de l’éducation est nécessairement un temps long. La culture de l’école n’est pas celle de l’émotion ou de la précipitation ; elle est celle de la raison et du temps patient et persévérant.

L’objectif de la refondation est clair : c’est la réussite de tous les élèves.

À travers votre engagement, monsieur le ministre, depuis plusieurs semaines et sur l’ensemble du territoire, …

M. Benoist Apparu. Tout a changé !

Mme Martine Faure. …l’école et les élèves sont placés au cœur des préoccupations de l’ensemble des acteurs du système éducatif et je m’en réjouis.

M. Benoist Apparu. C’est bien connu, avant, on se foutait complètement des élèves !

Mme Martine Faure. Nous parlons de nos enfants, de leur avenir, du redressement de notre société et c’est tant mieux !

M. André Schneider. Nous sommes d’accord sur ce point, madame.

Mme Martine Faure. C’est pourquoi je ne doute pas que ce texte finira par faire l’unanimité sur tous ces bancs. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC – applaudissements sur les bancs des groupes GDR, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’école depuis la loi Fillon de 2005 était en train de faire sa révolution silencieuse pour permettre la réussite de tous les élèves, …

Mme Michèle Fournier-Armand. Ce n’est pas vrai !

Mme Sylvie Tolmont. On croit rêver !

M. Frédéric Reiss. …surgit, de manière précipitée et brutale, le projet de refondation de l’école voulu par la nouvelle majorité.

Ce projet de loi, brouillé par le décret très controversé sur les rythmes scolaires, ressemble plus à un lifting qu’à une nouvelle fondation de l’école. Bref, à y regarder de près : beaucoup de bruit pour pas grand-chose !

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Frédéric Reiss. Monsieur le ministre, votre démonstration en réponse à ma question sur ce sujet, ici même le 27 février dernier, ne m’a pas convaincu. Dans une refondation, avez-vous expliqué, il s’agit de bien poser les bases en donnant la priorité au primaire, à la formation des maîtres, au temps scolaire, objectifs qu’au groupe UMP nous ne contestons nullement. Mais, disiez-vous, pas question de poser des portes ou des fenêtres, encore moins un toit, ce sera pour plus tard quand les bases seront solides. Et c’est là que nos conceptions divergent car notre école continue d’avancer, avec des difficultés parfois mais aussi avec des réussites formidables, grâce à des enseignants pleinement engagés dans leur noble mission auprès des élèves.

Une note de janvier 2013 provenant du Centre d’analyse stratégique du Premier ministre démontre que favoriser le bien-être des élèves est une condition de la réussite éducative. Elle précise qu’aujourd’hui neuf jeunes sur dix se sentent bien à l’école, ce qui est plutôt satisfaisant, mais malheureusement insuffisant pour faire baisser significativement le nombre d’élèves en difficulté à l’entrée en sixième.

Le Haut Conseil de l’éducation a observé que 25 % des élèves présentaient des acquis fragiles en fin de primaire et que 15 % vont jusqu’à connaître des difficultés sévères qui « rendent impossible aussi bien un réel parcours scolaire de collège qu’une formation qualifiante ».

On constate qu’un fort déterminisme social pèse dans la réussite des élèves. L’écart se creuse malheureusement entre les élèves très performants et ceux en grande difficulté. Paradoxalement, plus on prône l’égalité des chances, plus on s’enfonce dans un système incapable de corriger des inégalités de départ ! Cela est confirmé par les enquêtes PISA qui testent l’aptitude des élèves à appliquer aux situations de la vie réelle les connaissances acquises à l’école.

Notre école a dépassé depuis belle lurette le stade des hussards noirs de la République qui instruisaient garçons et filles de six à treize ans pour faire disparaître l’« inégalité d’éducation ». Pourtant, à y regarder de près, on constate que notre école continue de fonctionner sur des modèles fort anciens, même si la révolution industrielle et technologique a depuis la IIIe République structuré villes, régions et territoires.

Aujourd’hui, il est de notre devoir d’apporter des réponses qualitatives et organisationnelles plutôt que quantitatives.

La révolution numérique a bouleversé nos modes de pensée et les enfants sont formatés par les technologies de l’information et de la communication, eux qui côtoient quotidiennement le monde de l’image et du virtuel. C’est pourquoi, dans un monde où le superficiel, l’éphémère et l’instantané règnent en maîtres, il était indispensable, voire vital, de revenir aux fondamentaux.

Le socle commun de connaissances et de compétences défini par la loi du 23 avril 2005 a été, de ce point de vue, une révolution copernicienne dans la façon d’enseigner, notamment en mettant l’accent sur les compétences.

M. Patrick Hetzel. En effet !

M. Frédéric Reiss. Il constitue une réponse ambitieuse pour chaque élève, je dis bien « pour chaque élève », pas pour 80 % des élèves, pas pour deux Français sur trois, pas pour une élite. Aucun élève ne doit rester au bord de la route !

M. André Schneider. Très juste !

M. Frédéric Reiss. Qui plus est, ce socle est commun : il est fondé sur le partage de références et de valeurs communes dans une période où les facteurs de division sont légion et où la différence à la naissance tend à primer la volonté d’un destin commun.

Voilà donc bien un facteur de cohésion nationale, car le socle vise non seulement à combattre l’échec scolaire mais aussi à permettre la poursuite d’études. Avec le socle commun, la nation voit haut et loin : haut pour l’avenir professionnel et loin pour la réussite de la vie en société.

L’article 7 du projet confirme, selon moi, cette ambition, avec l’adjonction de la culture que le rapporteur et Martine Faure ont présentée comme incontournable : soit. Nous restons toutefois sur notre faim : les modalités du socle seront précisées par décret et son contenu comme son articulation avec les programmes seront au menu du nouveau Conseil supérieur des programmes.

Au-delà des trois piliers sur lesquels repose la refondation, qu’ont largement exposés M. le ministre et M. le rapporteur, où sont les innovations de ce projet de loi, celles qui doivent permettre à nos élèves de progresser et de choisir librement leur orientation au cours de leur scolarité ; celles qui doivent contribuer à réduire le nombre de décrocheurs ; celles qui doivent prendre en compte les aptitudes et les aspirations des élèves et de leurs familles ? Monsieur le ministre, je dois vous dire que je n’en ai pas trouvé beaucoup !

S’agit-il de la volonté de scolariser davantage d’enfants de deux ans, clairement affichée dans le rapport annexé ? La rédaction de l’article 5, même améliorée en commission, n’apporte rien de plus que l’ancien article L.113-1. Les avis sont en outre loin d’être unanimes sur ce sujet.

S’agit-il de la création d’écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, qui rappellent à s’y méprendre les IUFM pourtant décriés avant la mastérisation et leur intégration à l’université ? Je n’ai pas trouvé de réponse à la nécessité de développer des liens entre recherche et éducation. Une formation initiale en alternance avec un tutorat des jeunes professeurs par des professeurs expérimentés garantirait une véritable professionnalisation du métier d’enseignant. Les perspectives d’évolution de carrière, la revalorisation salariale initiée durant le quinquennat précédant et la réforme du statut des enseignants sont dans une impasse. L’attente est pourtant grande en ce domaine !

S’agit-il de la réaffirmation du collège unique, à structure cylindrique, dont chacun sait pourtant qu’il est un échec ? La suppression du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA, et des acquis de la loi Cherpion à l’article 38 est une grave erreur, car l’alternance pour des collégiens de quatrième et troisième qui se destinent à l’enseignement professionnel constituait un réel progrès. L’excellence du travail de la main permet de valoriser la scolarité de ces élèves dont certains se réconcilient avec l’école, deviennent de très bons artisans ou alors continuent leurs études. L’image des filières professionnelles n’en serait que bonifiée.

S’agit-il de la fin des cycles Jospin datant de 1989 ? La liaison entre le CM2 et la sixième, déjà inscrite dans la réforme Haby de 1975, va prendre, semble-t-il, une nouvelle dimension. Mais ne serait-ce pas là un rapprochement incantatoire ? On peut d’autant plus se le demander que les écoles du socle commun, expérimentées dans certaines académies, donnent des résultats tangibles notamment dans des secteurs dotés de programmes « écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite » dits ECLAIR.

Je ne suis pas favorable à la suppression du cycle des apprentissages fondamentaux qui regroupait la grande section de maternelle et le CP. Avec votre projet, l’école maternelle que le monde entier nous envie – vous l’avez encore souligné tout à l’heure – risque de se recroqueviller sur elle-même !

S’agit-il de la réforme des examens du brevet et du baccalauréat ? Le projet est très vague sur le sujet : là encore, des décrets devront préciser les modalités à travers l’organisation et le fonctionnement du Conseil national d’évaluation du système éducatif. Pourtant, avec le raccourcissement des vacances d’été à six semaines et le partage de la France en deux zones, il faudra bien une nouvelle organisation du baccalauréat. Gardera-t-il sa spécificité de sésame vers l’enseignement supérieur ? À quoi sert aujourd’hui le bac ? Faudra-t-il le réinventer ? Votre projet est muet sur la question.

S’agit-il de votre volonté de placer le ministère de l’éducation nationale au centre du système éducatif ? Ce n’est plus l’élève qui est au centre du système, comme le voulait Célestin Freinet, mais bien le ministre… Où sera l’indépendance ? Où sera la transparence ? Le Haut conseil de l’éducation, dont les membres ne sont pas désignés par le ministre de l’éducation, a produit des rapports pertinents qui, grâce à une approche différenciée, complétaient judicieusement les rapports de la Cour des comptes.

Si l’on considère le mode de désignation des membres du Conseil supérieur des programmes et du Conseil national de l’évaluation du système éducatif, ainsi que le nombre de décrets prévus dans ce projet de loi, l’on en déduit que la France aura besoin d’un hyper-ministre de l’éducation nationale.

M. Luc Belot. Nous l’avons déjà !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. C’est même un super ministre !

M. Frédéric Reiss. N’ayant pas trouvé d’innovation majeure dans ce texte, monsieur le ministre, je vous en propose une, portant sur la gouvernance de l’école et la revalorisation de la fonction de directeur d’école.

Les directeurs sont en effet les parents pauvres de ce projet de loi, de cette refondation qui n’en est pas une ! Pourtant, afficher la priorité au primaire constituait l’occasion de donner à ces directeurs les moyens d’exercer pleinement leurs fonctions. Tout comme je crois à « l’effet maître », je crois à « l’effet chef d’établissement ».

Selon les termes du décret du 24 février 1989 modifié, un directeur d’école reste un pair parmi ses pairs. Il continue à exercer des responsabilités croissantes, comme si les évolutions technologiques, informatiques et numériques n’avaient aucune influence sur le fonctionnement d’une école.

Aujourd’hui, le malaise des directeurs d’école est réel. La gestion du temps leur pose un véritable casse-tête…

Mme la présidente. À vous aussi, manifestement : cher collègue, il faut conclure ! (Sourires.)

M. Frédéric Reiss. …et la fonction demeure peu attractive. Entre le fonctionnement administratif, les fonctions relationnelles vis-à-vis des parents et des collectivités et la vocation à exercer un véritable leadership pédagogique, le compte n’y est plus : aucune revalorisation de la rémunération indemnitaire à l’horizon !

Avec la réforme des rythmes scolaires et les projets éducatifs territoriaux qui s’annoncent, la barque du directeur sera bien chargée !

Il faut se rendre à l’évidence : le directeur n’occupe pas une fonction, mais exerce un métier à part entière. Il convient d’en tirer les conséquences en termes de gestion des ressources humaines.

Une solide formation initiale et continue est nécessaire pour accorder davantage d’autonomie aux écoles et permettre les regroupements pédagogiques.

Monsieur le ministre, la volonté affichée de développer le numérique ne suffit pas à masquer les insuffisances de cette réforme – une de plus, soupirent certains enseignants – que la majorité est pressée de mettre en œuvre.

Comme en commission, le groupe UMP défendra ses amendements, avec la volonté de défendre une autre conception de l’école. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rudy Salles.

M. Rudy Salles. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, les chiffres que l’on nous assène sur l’école tombent comme des couperets sur l’éducation nationale, ce grand corps malade, bien que puissant ; fragile, bien que porté et soutenu par tous les Français ; anémié à certains égards, bien qu’animé par des talents multiples, des envies encore vivaces ; autocentré, bien qu’au contact de toutes les réalités, de tous les acteurs et de toutes les conditions.

Je ne reprendrai donc aucun de ces chiffres désormais bien connus, mais qui n’apprennent rien depuis trop longtemps, si ce n’est à ressasser des poncifs.

Je ne m’en servirai pas non plus pour désigner, au gré des besoins, quelques boucs émissaires aux affaires ces dernières années, ou pour m’inscrire dans des perspectives si éloignées qu’elles font disparaître dans les limbes toute idée de responsabilité.

« Il y a toujours une question scolaire. (...) C’est de savoir si notre démocratie réussira à faire, par l’éducation, la France de demain plus forte, plus grande, plus juste, plus humaine que ne fut celle d’hier. Ce n’est plus une question politique, c’est la première des questions sociales » : c’est Ferdinand Buisson qui soulève cette question en 1910.

Vous conviendrez avec moi de l’étrange et inquiétante modernité de ce propos, et j’espère que vous en déduirez, comme moi, la nécessité de la plus haute exigence en même temps que de la plus grande humilité, tout élan de vanité en ce domaine étant inéluctablement promis au miroir inversé de l’histoire.

L’école est d’abord une mission, avant d’être un projet politique, car c’est bien de cela dont on parle quand on évoque l’école de la République.

Toute école digne de ce nom est porteuse d’une mission : celle de transmettre les savoirs construits par les hommes précédents aux générations naissantes et de rendre celles-ci capables de continuer le travail. Elle assure la continuité de l’esprit, la permanence de la connaissance, la pérennité de l’histoire comme histoire commune du savoir et de la liberté. Son noyau fondamental est là : la liberté par le savoir, le savoir par la liberté. L’idée d’une refondation ne saurait se penser en dehors de cet équilibre.

Mais l’école de la République représente bien plus que cela. Mythe ou réalité, la force de notre pays repose sur une idée fondatrice, une espérance inspirée du rationalisme des Lumières, un élan collectif qui fait de la République une promesse à renouveler sans cesse : l’exigence permanente que la transmission du savoir intègre l’idée de liberté et d’égalité. L’école de la République a répondu à son propre appel parce qu’elle était sans doute une école républicaine.

Il existe une génétique française particulière, qui aboutit à ce que les maux qui affectent l’une atteignent l’autre. Au fond, cette école, qui est le creuset de tous les terreaux, des plus fertiles aux plus stériles, parfois aux plus dangereux, tous ces terreaux du futur, constitue le laboratoire des métamorphoses qui transforment profondément notre société.

Il est donc imprudent de répondre à la crise de l’école en ne portant pas son regard plus loin, notamment sur ce qui aujourd’hui traduit une certaine idée de l’individu et du collectif – tout spécialement lorsqu’on se pique de refonder l’école.

Je suis particulièrement frappé que le rapport annexé au projet de loi, dont je ne parviens toujours pas à saisir la nature juridique exacte – document longuement débattu en commission au même titre que les articles de loi et pourtant sans caractère normatif – fasse l’impasse sur ces transformations profondes : fragilisation des structures familiales et des relations intergénérationnelles, importance croissante des dispositifs périscolaires, règne du consumérisme, de l’hyper individualisme et du zapping en tous genres.

Vous le voyez, monsieur le ministre, d’emblée s’insinue un doute quant à la viabilité de votre démarche au regard de la mission fondamentale et première de l’école, de l’histoire de l’école de la République, de l’ambition refondatrice que vous affichez et du contexte dans laquelle vous la portez.

Par ailleurs, ce projet de loi pléthorique est en même temps volontairement indéfini et paradoxalement lacunaire, ce qui rend bien délicate la compréhension de votre dessein refondateur.

Malgré le caractère perlé de ce texte aux contours improbables et au contenu parfois brumeux, telle une série de coquilles vides enfilées sur un collier, je crois pouvoir identifier deux priorités : l’une de cycle, l’école primaire, l’autre de méthode, la pédagogie. Je vous accorde bien volontiers que l’une et l’autre ne manquent pas de pertinence.

Voilà donc a priori les bases de la refondation. Nous nous en faisons une tout autre idée pour ce qui nous concerne, et mon excellent collègue Philippe Gomes aura l’occasion de vous l’expliquer dans quelques minutes dans le cadre de cette discussion générale.

Pour ce qui concerne l’école primaire, vous avez raison de considérer que la force d’un pays ne se résume pas à une petite élite ultra-formée, et que la puissance d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible, c’est-à-dire aujourd’hui la jeunesse. Vous avez raison parce que l’avenir d’un individu se construit ou s’hypothèque dès le plus jeune âge, et le décrochage s’enclenche souvent dès l’école primaire, pour se révéler ensuite au collège.

Mais de bonnes intentions ne suffisent pas. Encore faut-il savoir à quoi elles correspondent, comment les organiser et comment les articuler. À cet égard, je regrette que vous ayez passé sous silence le triptyque qui prévalait jusque-là pour le primaire : il contenait tout d’abord des contenus d’enseignements fondamentaux clairement identifiés, puis un dispositif d’aide individualisée systématique pour tout élève en difficulté, et enfin un dispositif d’évaluation.

De ces trois piliers, vous ne dites rien dans ce projet de loi, pourtant fort bavard sur les belles et grandes déclarations d’intentions et de bons sentiments, que vous avez toutefois eu la sagesse d’alléger un peu en supprimant l’article 3.

Nous sommes plus inquiets encore d’apprendre que, tout en augmentant le nombre de professeurs des écoles, vous réduisez leur temps de service de 27 à 26 heures par semaine, ce qui aura inéluctablement des conséquences sur le suivi personnalisé.

Concernant l’évaluation, dont un rapport très récent de l’Inspection générale de l’éducation nationale nous révèle des résultats encourageants en fin de CE1 et de CM1, vous avez décidé de la cloîtrer derrière les murs de chaque établissement. Autrement dit, ce qui devait représenter pour l’école primaire un grand soir républicain ressemble plutôt à un leurre.

Quant au fait que cette réforme serait la première à se fonder sur la seule exigence du projet pédagogique, je crains là encore que les mots n’aillent très au-delà des engagements concrets inscrits dans le projet de loi.

Je ne citerai que deux exemples. Tout d’abord, l’absence totale de référence à ce que l’on attend d’un enfant en termes de savoirs dès l’école primaire : rien de précis, là même où vous semblez polariser l’essentiel de vos efforts. Ensuite, la disparition de facto du socle, que vous ornez de culture, mais que vous dépouillez de son contenu.

Ce projet de loi dégrade en effet le contenu du socle en le renvoyant à la compétence complémentaire, ce qui revient par là même à déposséder le Parlement d’un sujet profondément et intimement attaché à l’idée d’école républicaine, qui vous tient apparemment tant à cœur. Et je ne parlerai pas du baccalauréat, dont on ne connaît toujours pas au fond la véritable vocation, ni les missions pédagogiques réelles.

Nous sommes donc à peu près sûrs que ce projet de loi ne porte pas une refondation de l’école, parce qu’il ne suffit pas d’afficher une volonté très largement partagée, si l’on n’a pas l’idée, la volonté ou le courage du « comment », notamment en parlant clairement des savoirs et des pédagogies à diffuser et à mettre en œuvre.

Pour autant, nous ne mésestimons pas certaines améliorations introduites par ce texte, et nous contribuerons à l’amélioration du projet qui nous est présenté, si bien entendu il nous est donné l’occasion de le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. L’école est le socle de notre République. Une société qui s’attache à la réussite et à l’épanouissement de sa jeunesse, de ses enfants, est une société porteuse d’avenir.

Notre majorité s’est engagée à refonder et protéger notre école. À travers la loi de refondation de l’école, nous en avons l’opportunité : saisissons-la !

Notre volonté à tous, je l’espère, est de permettre à la France d’avancer dans la confiance et de permettre à chaque Français de trouver sa place dans une société sereine.

Aujourd’hui, nous devons lutter contre les inégalités, notamment en matière de chômage, de logement, de santé et de culture. L’école reste notre meilleure arme dans ce combat : avec cette loi, ouvrons le champ des possibles avec enthousiasme, courage et ambition.

La loi de refondation de l’école qui nous est proposée est ambitieuse. L’école repensée permettra de combattre le chômage efficacement, et surtout à long terme.

Par la qualité de la formation, par l’ambition que nous y placerons, l’école devra fournir à chacun de nos enfants le bagage nécessaire à la compréhension et à l’appréhension des défis d’aujourd’hui et de demain.

Il ne s’agit pas de former de simples salariés, mais des citoyens qui par leur ouverture d’esprit et leur sens critique deviendront des adultes capables de s’adapter dans un monde en mouvement ; des jeunes qui ne seront pas paralysés par le chômage, mais qui prendront leur vie professionnelle en main ; de nouvelles générations qui auront plusieurs carrières et plusieurs vies, dans le monde associatif, culturel, sportif, et plus globalement citoyen.

Oui, cette loi est ambitieuse. Elle nous demande du courage. Notre courage sera d’aller au bout de la réforme, car elle va dans le sens de l’intérêt de nos enfants ; ils le méritent bien, chers collègues !

Ayons l’audace d’en finir une bonne fois pour toutes avec le système de notation, amplificateur d’échec scolaire. C’est la seule solution contre les inégalités culturelles et sociales, en dépit de la réticence au changement de certains parents et également de certains enseignants.

Ayons la détermination de relancer l’ascenseur social. Nous devons faire preuve de courage politique.

Cette loi de refondation de l’école nous demande de l’enthousiasme : l’enthousiasme de nous lancer sur de nouveaux chemins. Nous avons l’opportunité de redéfinir l’école et de mettre en lumière le travail des équipes éducatives. Nous pouvons renouveler le sentiment de fierté de participer au projet éducatif. Nous avons l’occasion de soutenir l’expérimentation pédagogique et de valoriser chaque avancée, chaque petit succès ayant permis de faire aimer l’école ou de transmettre des savoirs à un enfant. Nous avons la possibilité de faire en sorte qu’elle se généralise et soit offerte au plus grand nombre. Il nous faut récompenser les initiatives. Les équipes éducatives doivent savoir qu’elles trouveront le soutien de chaque citoyen quand elles choisiront d’innover pour le bien des enfants.

Face à ce projet de loi, nous avons fait notre travail de parlementaires en tentant d’améliorer ses dispositions. L’éducation à l’environnement, sujet important s’il en est, fait partie de ces ajouts.

C’est par l’éducation que nous expliquerons à nos enfants que la société dans laquelle ils sont nés est issue de la consommation de ressources fossiles limitées et qu’il leur appartiendra de trouver de nouveaux modes de vie fondés sur d’autres ressources, plus abondantes et respectueuses de notre planète.

Le développement des outils numériques est une formidable opportunité pour notre société. Les moyens de communication n’ont jamais été si nombreux et divers. Le savoir est littéralement à portée de main, ce qui constitue une révolution au moins aussi importante que le fut l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot en son temps. Les moyens d’expression sont tout aussi développés.

Deux siècles plus tard, nous sommes enfin en mesure d’exercer la liberté d’expression imaginée par les rédacteurs de l’article xi de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il est primordial que l’école de la République accompagne ce changement au lieu de le subir.

L’article 26 du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui préconise une formation progressive des élèves aux outils et aux ressources numériques. Il reste à donner aux enseignants les moyens d’assurer cette formation, en étant eux-mêmes formés et en disposant d’outils adaptés à cet enseignement.

C’est pourquoi l’article 55 est particulièrement important. Il vient élargir l’exception pédagogique dont bénéficient les enseignants, en autorisant explicitement l’usage en cours des œuvres écrites numériques. Nous vous proposerons de poursuivre dans cette direction, au travers d’amendements qui visent à sécuriser juridiquement les pratiques des enseignants vis-à-vis du droit d’auteur, tout en assurant une juste rémunération des éditeurs d’œuvres en tout genre.

Enfin, je remercie M. le ministre qui a volontairement laissé la commission des affaires culturelles et de l’éducation travailler en toute indépendance dans cette première étape du travail parlementaire. Place maintenant à ce grand débat sur l’école que toute la communauté éducative attendait depuis longtemps. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier.

M. Jean-Noël Carpentier. « L’éducation, c’est l’espoir de l’humanité », disait Victor Hugo. Le texte sur la refondation de l’école que vous nous présentez aujourd’hui, c’est tout un projet de progrès qui se porte enfin à l’avant-scène.

Bien sûr il ne va pas tout refaire, il ne va pas tout récrire. Il ne va pas tout révolutionner non plus, et ce n’est d’ailleurs pas ce qu’on lui demande. Au moins a-t-il l’ambition d’aller de l’avant et de consacrer l’école comme la prunelle de nos yeux, puisqu’il s’agit de notre jeunesse. Ce projet de loi va au moins nous permettre de faire une pause dans la crise, d’évoquer l’avenir, d’y croire, de croire en une société meilleure. Et nous aurons encore bien d’autres occasions de parler plus en profondeur encore de notre collège et de notre lycée.

L’école est au cœur de la société. Elle est dans le cœur des hommes. L’ambition que chacun nourrit pour ses enfants est inséparable de celle que l’on se fixe pour l’humanité.

Et que, 150 ans après le poète romancier, et alors qu’elle affronte une tempête économique sans précédent, la gauche affirme l’espoir, est tout à son honneur.

Espérer en l’avenir, passer à la suite et penser au redressement du pays, voilà une noble cause, une cause essentielle, une cause que nous devons porter haut et dont nous pouvons être fiers.

De l’ambition il en faut, mais c’est aussi de réparation qu’il est question. Notre école, celle qui fait la fierté de la République, est malade. L’école primaire, pourtant décisive, est la moins financée. Un élève sur cinq ne lit pas correctement au début de la sixième. Trop de jeunes quittent le système sans diplôme. Ils ne seront pas protégés et seront durement touchés par un taux de chômage deux fois plus élevé que celui qui affecte les diplômés. Le déterminisme social reste un constat accusateur de carence et d’iniquité de notre système scolaire.

Mesdames, messieurs de l’ancienne majorité, aujourd’hui de l’opposition, ce triste bilan c’est le vôtre ! (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez fait de l’école une variable d’ajustement de premier plan dans votre programme d’austérité. En supprimant des postes, en abandonnant la formation, par votre méfiance envers l’innovation pédagogique, vous avez sclérosé notre système éducatif. Il nous faut donc maintenant rebondir, c’est notre responsabilité.

Oui, il faut remettre l’école primaire au centre du système. Et je me félicite du recrutement de plusieurs dizaines de milliers d’enseignants ainsi que du rétablissement de leur formation. De même, j’approuve que l’idée de l’école dès l’âge de deux ans soit remise en piste, tout comme je pense indispensable d’améliorer l’enseignement des langues vivantes.

Mais la refondation de l’école ce n’est pas seulement redonner des moyens, ce n’est pas seulement créer des postes, ce n’est pas seulement changer les calendriers. La refondation de l’école, c’est redonner confiance. La refondation de l’école c’est aussi se rappeler que l’école doit faire de l’enfant un futur citoyen éclairé capable de sens critique et d’inventivité. C’est tout l’enjeu d’un socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Cette réforme s’offre donc comme le début d’un vaste chantier qui ne sera pas clos après le vote de cette loi. Monsieur le ministre, le groupe RRDP souhaite y participer.

Dans cet esprit, plusieurs amendements ont été déposés notamment concernant le pilotage qui, selon nous, est trop régionalisé en matière d’offre de formation, menaçant ainsi l’égalité territoriale. De même, nous souhaitons que les parents soient encore mieux associés aux décisions qui concernent leurs enfants. Enfin, nous voulons améliorer encore l’action de l’école pour la réussite des enfants en situation de handicap. Vous connaissez mon attachement à ce sujet. Nous souhaitons que l’école offre davantage de moyens pour ces jeunes et que leurs familles soient beaucoup plus écoutées qu’aujourd’hui.

Telles sont, monsieur le ministre, les remarques que je voulais formuler sur votre projet de loi et avant que s’ouvre la discussion des amendements.

Je sais votre ambition pour notre école, je connais votre attachement à ses valeurs. Vous avez la responsabilité d’être le porte-parole de notre majorité sur un beau projet qui devra rassembler la nation. Le groupe RRDP sera à vos côtés, mais il restera très attentif au sort réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en faisant de l’éducation l’une des grandes priorités de son quinquennat, le Président de la République va à la rencontre de l’une des préoccupations majeures des familles et se présente à l’un des carrefours décisifs de la société tout entière. L’école est le lieu de toutes les attentes et de toutes les espérances. Elle est aussi le reflet du monde dans lequel nous vivons.

L’école va mal. Alors que, pendant de longues années, l’égalité des chances a été le viatique de l’éducation, les études nationales et internationales convergent pour montrer à quel point les déterminismes sociaux et territoriaux se sont alourdis dans le système éducatif français. Loin de les résorber, l’école renforce désormais les inégalités. Dans un article récent, un historien de l’éducation, Antoine Prost, notait que la baisse du niveau scolaire se constate quelles que soient les compétences et que le recul n’épargne que les enfants des cadres supérieurs et des professions intellectuelles, dont les enseignants. Parce que nous refusons de voir ainsi s’éloigner la promesse républicaine, nous participons bien volontiers à cette refondation de l’école que l’on nous propose.

À vrai dire nous l’attendions, avec le sentiment d’une grande urgence. L’ampleur des retards dont souffre l’académie de La Réunion est elle-même un plaidoyer en faveur de cette refondation. Ces retards donnent d’ailleurs la mesure du chemin à parcourir, ne serait-ce qu’au regard des objectifs pédagogiques que la nation fixe à l’école dans ce texte.

Ainsi, pour arriver à ce que tous les élèves maîtrisent les compétences de base en français et en mathématiques, les efforts devront être plus importants. À la fin du CE1, le retard des petits Réunionnais est déjà, en effet, de 10 points supérieur à la moyenne nationale. À la fin du CM2, nous partons encore de plus loin.

De la même façon, diminuer de moitié la proportion des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification demandera un effort soutenu, puisqu’elle est chez nous deux fois supérieure à la moyenne, et que notre académie est classée à l’avant-dernière place.

Plus qu’ailleurs sans doute, les limites du système éducatif apparaissent très vite dès le premier cycle et se renforcent de classe en classe. C’est pourquoi il est capital de donner la priorité au primaire pour notre académie. Consolider ce socle, répondre aux difficultés avant qu’elles ne se figent et ne deviennent insurmontables, voilà les meilleurs moyens pour lutter contre l’échec scolaire. Toutes les mesures qui y concourent sont les bienvenues : l’accueil des moins de trois ans, le dispositif « plus de maîtres que de classes », mais aussi la prise en compte véritable de la réalité linguistique des enfants. Rappelons que le créole réunionnais est la langue régionale la plus utilisée.

Un indicateur doit encore nous alerter, celui qui mesure l’illettrisme. Non seulement il augmente, mais il concerne aussi de plus en plus de jeunes. J’en ai d’ailleurs parlé ici récemment, aussi ne m’y attarderai-je pas, sauf pour proposer à nouveau la mise en place d’un recteur chargé spécifiquement de lutter contre ce fléau.

Un autre aspect important de la refondation porte sur la formation initiale des enseignants, avec notamment la création, au sein des universités, des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Au programme de ces nouvelles ESPE figurera, bien sûr, la question pédagogique. Il est pourtant souhaitable qu’on ne se limite pas à cela. Car ce jeune stagiaire n’est pas destiné à devenir seulement un transmetteur de savoir. Cet enseignant sera aussi, comme le disait François Mauriac, un institutor, un maître qui aidera chaque élève à instituer l’humanité en lui.

Il est aujourd’hui courant de parler de 1’« effet maître » pour évoquer l’influence des enseignants sur la qualité du travail scolaire. Nous retrouvons là un peu de la fameuse formule d’Aristote qui définit l’enseignement comme « l’acte commun du maître et de l’élève ». Cette formule est au fondement même de l’institution scolaire. Nous devons la faire vivre en l’actualisant et la réactualisant constamment. Loin de la périmer, le caractère technique de la société moderne et l’importance croissante du numérique dans l’enseignement la font plus précieuse que jamais.

En conclusion, j’aborderai deux points.

Ce projet de loi ambitieux et exigeant n’aborde certes pas tous les aspects de l’enseignement, mais il en trace les grandes directions. Nous aurions aimé qu’il mentionne un enseignement particulièrement tourné vers l’avenir, celui des métiers de la mer et des océans.

Le deuxième point concerne les difficultés que soulève, à La Réunion, l’affectation des enseignants issus des concours. Nous constatons que, tous les ans, de jeunes enseignants réunionnais sont affectés dans des académies de l’hexagone alors que des postes vacants existent dans leurs disciplines à La Réunion. Outre les difficultés ordinaires des premières années d’enseignement, ces jeunes doivent affronter celles de l’éloignement et des complications familiales qu’elles comportent. Cette question est importante, nous souhaitons qu’elle soit examinée attentivement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Langlade.

Mme Colette Langlade. Monsieur le ministre, à travers les débats, les auditions, les commissions, nous sommes tous tombés d’accord sur un point qui a été malmené, oublié ces dernières années : l’avenir de la jeunesse. Le redressement de notre pays, son développement culturel, social et économique dépendent largement de notre capacité collective à refonder l’école de la République. C’est un projet éducatif mais aussi un projet de société.

Dans votre discours vous avez parlé de l’agenda de la refondation, qu’il fallait commencer par l’école maternelle et primaire, continuer par le collège et le lycée dans cette loi de programmation, la première du quinquennat. Pourquoi l’école primaire est-elle la priorité ? Parce qu’elle donne à l’élève les bases qui déterminent la suite de sa scolarité. C’est sa paupérisation qui a fait prospérer l’échec et le décrochage scolaires. C’est sa renaissance et sa transformation qui conditionnent la réussite de notre système éducatif.

La nouvelle architecture que vous présentez, monsieur le ministre, combine le retour à des fondamentaux de l’école républicaine et l’audace d’une nouvelle organisation de la transmission des savoirs. Ce projet de loi met en œuvre un véritable projet de société.

Ce projet repose sur un effort budgétaire sans précédent. Cette réorganisation s’appliquera à tout le parcours scolaire. Elle atténuera la rupture des changements de cycle entre le primaire et le collège, entre le lycée et l’université, développera l’orientation choisie des élèves et surtout réhabilitera les filières technologiques et professionnelles – cette voie professionnelle qui a subi depuis 2008 une réorganisation profonde qui a eu des conséquences néfastes sur la carte des formations, sur l’élaboration des parcours des jeunes et surtout sur les pratiques pédagogiques d’enseignement.

Monsieur le ministre, j’ai été très sensible à ce que le projet de loi prévoit pour la voie professionnelle. Vous indiquez que, dans les lycées professionnels, les moyens nouveaux permettront de garantir à tous les élèves un diplôme au moins de niveau 5, d’améliorer la réussite au baccalauréat professionnel, de mieux sécuriser les parcours et surtout de lutter contre le décrochage scolaire.

L’ensemble de ces mesures représente un effort financier et humain considérable, mais cet effort constitue un investissement pour l’avenir de notre pays.

Vous avez dit qu’il fallait mieux associer l’État et les régions pour la carte des formations dans ces lycées professionnels. Avant, il n’y avait qu’une convention annuelle, peu lisible et peu claire ; maintenant, il faut une véritable carte des formations. C’est une véritable ambition nationale : une carte des formations partagée avec votre ministère, le rectorat, les régions, les partenaires sociaux, pour avoir un dialogue beaucoup plus sain, un dialogue obligatoire. Pour que les formations soient adaptées aux spécificités des territoires, il faut un ajustement qualitatif et intelligent, il faut conforter les filières et surtout développer des métiers, qui contribueront aussi au redressement productif.

Il faut, monsieur le ministre, arriver à avoir comme objectif une chaîne logique pour les jeunes, pour nos lycéens : formation, orientation, développement économique, aménagement du territoire, recherche, innovation et emploi. De votre discours très positif, j’ai retenu que vous alliez travailler avec l’ensemble des ministères, qu’il s’agisse de l’enseignement supérieur sur la poursuite des études, du ministère de l’agriculture au sujet des structures agricoles, du ministère de la culture sur l’histoire des arts, inéquitablement enseignée sur l’ensemble du territoire.

Et l’on ne peut que se féliciter, à l’article 38 sur la formation en alternance, de la suppression de cette loi Cherpion qui date du 28 juillet 2011, qui introduit le DIMA, dispositif d’initiation aux métiers en alternance, et surtout qui oblige des jeunes de moins de quinze ans à aller en alternance en signant un contrat d’apprentissage malheureusement sans employeur. Cela, vous l’avez supprimé et je ne peux que m’en féliciter.

Monsieur le ministre, j’ai bien retenu aussi ce que vous avez dit au sujet des langues régionales : cet enseignement proposé aux élèves sous diverses formes, la sensibilisation, l’initiation, l’enseignement bilingue, est un enrichissement culturel incontestable qui favorise l’intégration de l’élève à son territoire proche, mais aussi la compréhension de l’espace national et européen. Ces langues régionales, monsieur le ministre, sont un précieux outil de développement cognitif.

L’élève reste donc au centre de nos préoccupations et on ne peut que se féliciter, monsieur le ministre, de ce projet de loi, de son contenu, qui je l’espère va faire baisser le pourcentage d’illettrés : c’est l’illettrisme, malheureusement trop répandu en France, qui a été choisi par le Premier ministre comme grande cause nationale pour 2013. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l’éducation de nos jeunes est une question cruciale et mérite effectivement une attention toute particulière, car il en va de l’intérêt supérieur de la nation.

Mais une fois qu’on a dit cela, il convient de se mettre d’accord sur au moins deux choses. La première est de savoir dans quelle situation nous nous trouvons aujourd’hui en la matière et d’établir un diagnostic partagé ; la seconde est de fixer des objectifs à notre système éducatif puis de définir les voies et moyens pour les atteindre. C’est ce qu’on devrait être en mesure de faire lorsqu’on porte une loi qui concerne l’avenir de l’école. Et c’est précisément sur ces deux points qu’il y a aujourd’hui un malaise, pour ne pas dire un énorme problème.

La méthode que vous avez utilisée pour aboutir au texte que vous venez de présenter, monsieur le ministre, m’amène pour le moins à m’interroger. En effet, l’école de la République, celle à laquelle nous sommes tous attachés, sur tous les bancs de cet hémicycle, mérite bien mieux que ce que vous nous proposez aujourd’hui.

Tout d’abord, votre concertation : elle n’en a hélas que le nom ! Mais vous avez déjà largement failli sur ce point. Au lieu de rassembler, de faire en sorte que l’école ne soit ni un sujet de gauche ni un sujet de droite, vous avez utilisé, pour ne pas dire instrumentalisé l’école, pour un faire un sujet de clivage politique. D’ailleurs, votre discours aujourd’hui le montre très clairement. Cela, je vous le dis tout net, ce n’est pas de bonne politique, monsieur le ministre. Actuellement, nos concitoyens souffrent, notre pays est en difficulté. Plus que jamais, il faut préparer l’avenir et cela passe évidemment par l’école. Sur cela, tout le monde est d’accord.

Faire en sorte que chaque jeune Français quitte l’école en sachant lire, écrire et compter devrait être un sujet de consensus national. Vous auriez dû créer le rassemblement, et pas simplement le clamer alors que vous répondez de manière agressive et, je dois le dire, parfois très cynique à l’opposition, en faisant en sorte que votre loi puisse être préparée dans le calme, dans la sérénité, dans l’harmonie…

M. André Schneider. Très bien !

M. Patrick Hetzel. …en tendant la main à toutes les personnes de bonne volonté qui considèrent que notre école mérite toute l’attention de la nation. Là aussi, elles se trouvent de toutes parts dans cet hémicycle. Vous n’en avez pas le monopole.

Hélas, vous n’avez pas pu, vous n’avez pas su vous empêcher de stigmatiser un prétendu bilan de la droite en matière éducative, empêchant par là même une discussion apaisée. Aujourd’hui, vous portez donc une lourde responsabilité : celle de cliver autour d’un sujet comme l’école et cela entache de façon indélébile votre projet de loi.

Mais venons-en au contenu : vous parlez de « refondation », quelle plaisanterie ! Nous y reviendrons largement au cours des débats. Point de refondation ! Hélas, diront certains. Heureusement, diront d’autres. Une chose est sûre : la montagne a accouché d’une souris. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Il ne suffit pas de déclarer le changement pour qu’il se concrétise. Les vrais sujets, ceux qui nécessitent un travail de fond, ceux qui sont indispensables pour que notre école puisse affronter les enjeux du XXIe siècle, vous les avez écartés d’emblée. Pire encore, vous voulez supprimer un dispositif pourtant très utile, celui de la loi Cherpion.

Vous n’abordez nullement la question du statut des enseignants. Vous avez une vision très quantitative là où il faudrait avoir une approche très largement qualitative.

Cerise sur le gâteau : votre texte n’aborde nulle part la question de la liberté pédagogique.

M. Yves Durand, rapporteur. Ce n’est pas vrai.

M. Patrick Hetzel. C’est un comble, c’est un paradoxe pour un ministre qui se dit issu du sérail et attaché à ses fondements. Alors, soyons clairs : cette loi ne traite pas le sujet. Vous êtes hors sujet, monsieur le ministre, raison pour laquelle je défendrai plus d’une centaine d’amendements afin de rendre ce texte plus ambitieux et plus conforme à ce dont notre nation a plus que jamais besoin. Il en va évidemment de l’avenir de notre jeunesse. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Luc Belot. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, monsieur le ministre, l’école n’est ni une formule magique, ni une place forte. Elle est un projet, une construction. Elle s’élabore chaque jour, par chaque enseignant, par tous les acteurs de l’éducation, et cette grande famille déborde largement des murs de l’institution. Parce que l’école, chacun le sait, c’est l’affaire de chaque famille et de chaque citoyen.

L’école est la fabrique du savoir et des valeurs. Elle se loge au creux de l’espérance républicaine. Elle a toujours été le creuset de l’égalité des chances et l’espace de l’expression des mérites et de toutes les excellences. Elle constitue la colonne vertébrale de notre pays et de notre identité nationale.

C’est un projet passionnant, potentiellement celui de toutes les innovations, mais c’est aussi un projet infiniment précaire. Elle est toujours à reprendre, à repenser, à recommencer, à reconstruire.

Et c’est cette fragilité intime, reliée à la vie qui va et aux métamorphoses du monde qui s’opèrent, qui suscite aussi tant de réformes, le plus souvent portées d’ailleurs par les meilleures intentions.

L’école n’a pas à suivre les modes, la pensée commune, les poncifs du moment ou les revendications catégorielles de circonstance. Elle doit à tout prix s’en extraire, car son temps n’est pas celui de l’époque, du zapping permanent : son temps est celui d’une génération.

L’école pour nous est une conquête. Elle se construit dès les premières années de la vie. Or, cette conquête est de plus en plus difficile pour une large part de nos concitoyens. L’échec est considérable, on l’a dit. Pour moi, deux chiffres l’indiquent de manière quelque peu effrayante. Les clés de l’insertion dans notre société, les clés de la compréhension du monde ne sont pas offertes à 20 % de nos concitoyens : ce sont les chiffres du programme international de recherche sur la lecture scolaire qui témoignent qu’à la fin du CM1, au terme de la quatrième année de scolarité obligatoire, nous sommes en deçà de la moyenne européenne. Et ces jeunes élèves sont bientôt de jeunes adultes et ces jeunes adultes, hélas, vont porter le même handicap tout au long de leur vie. Lorsque nous disposons des chiffres des journées de défense et de citoyenneté, anciennes JAPD, on s’aperçoit qu’on a là aussi 20 % de lecteurs inefficaces, avec une régression constatée, de plus en plus forte, sur la compréhension des textes informatiques.

Enfin, pour en terminer sur ces citoyens de notre pays qui ne disposent pas des clés d’accès au monde, les tests PISA montrent que notre système éducatif grippe l’ascenseur social dès l’enfance, dès l’école. Là où on doit rétablir l’égalité des chances, qui est la promesse républicaine originelle, on conforte les inégalités sociales.

Face à un tel désastre, nous aurions dû à mon sens aborder les choses avec humilité, d’abord parce qu’au cours des trente dernières années un certain nombre de personnalités, de droite comme de gauche, ont exercé des responsabilités dans ce domaine et que l’école d’aujourd’hui est le résultat de ce qu’on fait celles et ceux qui ont eu la majorité au cours de la Ve République. Humilité aussi parce que les deux précédentes réformes d’importance, celle de 1989 dite « loi Jospin » et celle de 2005 dite « loi Fillon », qui apportaient des modifications fondamentales comme la création des cycles en 1989 ou la création du socle de compétences, qu’en reste-t-il ? Sur les cycles, c’est le directeur général de l’enseignement scolaire qui le dit en audition, « nous ne parvenons pas à faire en sorte qu’ils soient appliqués, nous avons besoin de conseil, d’accompagnement et de formation pour les enseignants ». Cette année, c’est le rapporteur qui le disait, le socle n’est toujours pas entré en application.

Oui, humilité devant ce qui s’est passé ces trente dernières années, sur deux aspects fondamentaux dont on constate qu’ils ne sont toujours pas appliqués.

Alors, monsieur le ministre, j’en suis à quatre minutes quarante-quatre et je n’aurai pas le temps de développer…

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Ce que vous avez dit est important.

M. Philippe Gomes. Les journées qui viennent permettront de le faire. Je dirai simplement, en conclusion : oui à la priorité au primaire, encore faut-il définir les modalités de mise en œuvre de cette priorité. Oui à la scolarisation dès trois ans, notamment dans les territoires en difficulté, et oui à la refondation de la formation : c’est essentiel, mais là aussi, derrière les titres et les dénominations, qu’en est-il véritablement ?

Mais non, monsieur le ministre, parler de « refondation » ne nous semble pas adapté, parce qu’une refondation qui fait l’impasse sur les collèges et les lycées ne peut pas être une refondation de l’école. Parce que ne pas traiter des filières professionnelles et technologiques, et d’une manière plus générale des liens entre l’école et l’entreprise, ce n’est pas non plus une refondation véritable. Parce que le statut des enseignants et la question de leurs obligations de service sont des éléments fondamentaux d’une éventuelle refondation. Parce que la question du degré d’autonomie des établissements n’est pas une question accessoire ou anecdotique, c’est une question essentielle. Enfin, parce que le partenariat avec les parents et les collectivités est aujourd’hui un élément important de notre vie et que l’école doit s’insérer dans ces partenariats nouveaux qu’il convient de créer, de conforter et de réajuster.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Gomes.

M. Philippe Gomes. Monsieur le ministre, à moins que cette refondation ne démontre, au fil de nos débats, sa capacité à tenir la promesse qu’elle contient, il est peu probable que le groupe UDI vote ce texte.

Plusieurs députés du groupe SRC. Oh, quel dommage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque ministre de l’éducation nationale, M. Peillon veut laisser sa trace en donnant son nom à une loi. Souvenons-nous qu’à ce jeu de l’ambition, les derniers ministres socialistes dont les noms sont restés dans les mémoires étaient M. Savary et M. Allègre.

La refondation inscrite dans le programme de François Hollande s’est trouvée éclipsée, ces dernières semaines, par la très polémique réforme des rythmes scolaires combattue par les enseignants, notamment à Paris. Et pour cause : le projet de loi que nous allons examiner est avant tout un droit à l’état gazeux : beaucoup de déclarations d’intention, d’incantations, mais relativement peu de mesures concrètes.

Ensuite, il faut, bien sûr, se mettre les enseignants dans la poche – ou plus exactement les syndicats d’enseignants – en créant 60 000 postes supplémentaires, à rebours de l’effort national de maîtrise des dépenses publiques. En vérité, le problème n’est pas tant le nombre de professeurs que la répartition du travail et ce que vous exigez d’eux par la multiplication des formations, des matières à dispenser et des suivis personnalisés.

Parmi le peu de mesures concrètes figurant dans le projet de loi, il est permis de s’interroger sur la pertinence de l’introduction de l’anglais dès le primaire quand nos élèves ont déjà du mal à acquérir une bonne maîtrise orale, écrite et parlée du français. Le problème n’est pas tant la précocité de l’enseignement que sa méthode et le nombre d’heures qui lui sont consacrées. À titre personnel, je me souviens des deux heures d’anglais par semaine dont je bénéficiais au lycée, deux heures largement axées sur l’écrit, en particulier sur l’anglais littéraire, ce qui n’était certainement pas une bonne solution. De même, si la scolarisation des enfants dès deux ans permet de décharger un peu plus les parents actifs, on ne peut ignorer le coût qui s’ensuivra et viendra encore alourdir le premier budget de l’État.

Parmi les mesures prévues par le projet de loi, j’en remarque une, particulièrement symbolique, celle du retour de la morale dite laïque à l’école. L’éducation civique devient ainsi l’enseignement moral et civique. Mais de quelle morale s’agit-il ? De celle qui veut que l’on respecte les enseignants ? De celle qui invite à respecter le pays qui vous fournit une éducation gratuite, ses symboles, son drapeau et ses représentants ? De celle qui veut que l’on privilégie le travail, le mérite, la loi et le respect de l’autre ? Rien n’est moins sûr.

La morale que la gauche veut voir professer à l’école, c’est celle qui fera, comme l’indique l’étude d’impact, « des citoyens éclairés porteur de valeurs (...) comme la primauté de la raison et le refus des dogmes ». (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Durand, rapporteur. Mais c’est très bien, tout cela !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vaste programme, qui laisse le champ libre aux sergents recruteurs pour façonner ce qui relève selon eux de la raison ou des dogmes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Michèle Fournier-Armand. On se calme !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : utiliser les outils de l’école pour inculquer votre doctrine idéologique (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Au sujet de l’enseignement moral et civique, je lis dans l’étude d’impact qu’il permettra « un apprentissage du respect mutuel entre élèves sans distinction liée au genre ».

M. Régis Juanico. Exact !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Et voilà, en quelques mots tout est dit ! Discrètement, voici que sera enseignée comme vérité incontestable, sans concertation avec les parents, la théorie du genre, largement critiquable, qui veut que le genre masculin ou féminin soit distinct du sexe biologique et seulement lié au conditionnement social ou à l’éducation.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. C’est faux, c’est grotesque !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Ainsi, l’orientation sexuelle n’aurait rien à voir avec une quelconque prédisposition génétique naturelle, mais serait la simple conséquence des préjugés sociaux et culturels – il y a là largement de quoi perturber le bon sens des élèves. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Il suffit de survoler ce projet pour comprendre rapidement votre tendance à vouloir faire de l’école un lieu d’éducation et non plus d’enseignement. Vous cherchez à vous substituer à la cellule familiale potentiellement mal pensante, allant jusqu’à parler de « coéducation » avec les parents. Ainsi ne parlerons-nous plus d’enseignement artistique et culturel, mais bien d’éducation artistique et culturelle. Je lis ainsi que « ce parcours doit permettre aux élèves, entre autres, de découvrir des œuvres, des artistes, des monuments. » À la lecture de ces mots, il me revient à l’esprit la délicieuse initiative de mon professeur d’histoire, au lycée, qui, dans le cadre des sorties scolaires, n’avait rien trouvé de mieux que de nous emmener en banlieue à Saint-Quentin-en-Yvelines, ville nouvelle (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Régis Juanico. Quel calvaire cela a dû être !

M. Yves Durand, rapporteur. Pour moi, c’était une excellente initiative !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …afin de nous faire découvrir la beauté architecturale des HLM, du collectivisme, de la diversité populaire et des œuvres d’art moderne jonchant les rues – ce qui, je dois l’avouer, nous a laissés plus perplexes qu’émus. Mais il est vrai qu’en commission, certains défendaient l’idée d’initier le plus tôt possible les élèves à l’art moderne : si vous n’aimez pas, on vous apprendra à aimer !

Mme Sylvie Tolmont. Connaître ne veut pas dire aimer !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Tout un programme – de gauche, évidemment. Je n’ose imaginer ce qui attend les élèves en l’absence de feuille de route du Gouvernement sur ce sujet pour couper court aux délires de certains enseignants militants.

Il est étonnant de ne trouver, dans une loi de refondation de l’école de la République, aucune garantie quant à la neutralité politique des enseignants. La morale à l’école devrait être avant tout celle des professeurs. Si ceux qui doivent enseigner la morale sont partisans, comment assurer les conditions de la formation d’un jugement personnel aux élèves qui se voient imposer une vérité ? À ce titre, rappelons-nous ces images de lycéens emmenés par leurs professeurs pour manifester entre les deux tours de la présidentielle de 2002, ou contre la loi relative au CPE.

Rien de concret non plus sur le respect de la laïcité à l’école, en dépit d’atteintes manifestement de plus en plus nombreuses. Dans ma circonscription, de nombreux témoignages me rapportent l’existence de jeunes élèves se rendant à l’école voilées sans jamais être inquiétées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Aucune mesure non plus pour assurer la neutralité des programmes en termes de contenus, notamment en histoire. On sait pourtant que certaines questions sont éminemment polémiques. On se souvient du débat sur le rôle positif de la colonisation. L’impact que peut avoir la présentation à des jeunes issus de l’immigration de ces épisodes est pourtant déterminant dans leur intégration et leur implication citoyenne.

Mme Julie Sommaruga. Retournez donc à Saint-Quentin-en-Yvelines, cela ne peut vous faire que du bien !

Mme la présidente. Il faut conclure, madame Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Comment leur faire respecter un pays que l’on présente comme responsable de l’exploitation, voire de la torture de leurs grands-parents, sans qu’aucun élément ne vienne relativiser ou positiver le rôle de la présence française ?

Vous répétez à l’envi les mots de République, de laïcité, de démocratie pour parler de l’école, mais ce sont sur ses résultats qu’on la juge. Or, si jadis elle intégrait et émancipait, désormais, elle n’est plus qu’une machine à exacerber les particularismes, un laboratoire pour pédagogisme et une usine à chômeurs.

M. Luc Belot. Après avoir entendu cela, je dois m’excuser auprès de M. Reiss, à qui j’avais reproché d’être excessif !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, nous ne devons pas abandonner sans résistance à la loi du marché ou à l’air du temps le soin d’organiser la progression et la réussite scolaire de nos enfants, sous peine de voir notre société s’écarter des buts fédérateurs des Lumières.

Le texte que vous nous proposez présente plusieurs avancées, dont la création de 60 000 postes dans l’éducation. Il réaffirme le rôle fondamental de l’école maternelle en tant que facteur de réussite scolaire et d’égalité des chances. Il vise à lutter contre le redoublement en instaurant des cycles pour l’acquisition du socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Il offre une place essentielle à l’enseignement de la morale laïque. Surtout, avec la création des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation, votre projet de loi replace la pédagogie au centre du métier d’enseignant. Il offre, de surcroît, une réelle formation aux personnels non enseignants, qui font partie intégrante des équipes pédagogiques. Enfin, la pédagogie retrouve ses lettres de noblesse !

Car enseigner est un métier. Apprendre à apprendre. Apprendre à donner le goût d’apprendre. Apprendre à développer chez l’élève l’esprit critique et à en faire un véritable citoyen. Alors, oui : une vraie formation professionnelle a un coût. Mais si l’éducation coûte cher, l’absence d’éducation coûte encore plus cher à la société en termes économiques, sociaux et démocratiques. Car c’est à l’école que se construit l’attachement citoyen aux valeurs de la République.

Ce texte prend également en compte l’impérieuse nécessité de voir chacun s’impliquer dans l’éducation des enfants : les professeurs, bien sûr, mais aussi les équipes pédagogiques et, bien évidemment, les parents. Les parents qui ont été perçus avec tant de défiance lors des deux précédents quinquennats. Les parents dont les allocations familiales pouvaient être retirées parce que leur enfant était absent trop souvent de l’école – histoire d’enfoncer un peu plus ces enfants et leur famille et de se débarrasser d’un problème sans chercher à le combattre à la source. Rompre le dialogue entre les parents et l’école, c’est ce qu’aura engendré l’ère Sarkozy-Fillon.

Plus grave, les choix politiques de ces dix dernières années auront également contribué à disloquer les liens entre les élèves et leurs professeurs.

M. Patrick Hetzel. Quelle caricature !

Mme Annick Girardin. Comment ne pas penser à la volonté affichée par le précédent gouvernement d’évaluer les élèves de grande section de maternelle afin d’identifier les enfants « à risque » ou « à haut risque » ?

La défiance engendre un sentiment d’exclusion, qui peut provoquer une crise du lien social et aboutir à une rupture avec la société. La confiance, elle, engage les individus les uns envers les autres : par conséquent, la société ne s’en trouve que plus apaisée. Les parents sont le pilier central de l’éducation des enfants. Alors, plus l’école associera les parents aux projets pédagogiques, notamment pour aider les élèves en difficulté, plus l’éducation nationale et la société seront gagnantes.

Aujourd’hui, tournons définitivement la page d’une politique de défiance et ouvrons l’ère d’une politique de coéducation. Votre projet de loi va dans ce sens et, en cela, constitue un immense progrès. Plusieurs amendements du groupe RRDP visent à renforcer la notion de coéducation et nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour qu’ils soient pris en compte. Au-delà de la chance qu’elle représente pour les équipes éducatives et pour les enfants, la coéducation peut être un instrument essentiel pour la réussite de la réforme des rythmes scolaires que vous envisagez, et qui fera l’objet d’un texte ultérieur. Ce texte permettra, je l’espère, de mettre en place de véritables « projets éducatifs territoriaux » dignes de ce nom, qui placeront enfin l’enfant et sa santé au centre des préoccupations.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, le groupe RRDP a déposé un certain nombre d’amendements, non pas dans le but de faire obstruction au texte, mais au contraire pour le faire avancer, tout en respectant son esprit. Parmi ce travail d’amendement, je me permets de souligner l’attention portée à l’adaptation et la pleine applicabilité de ce texte dans les outre-mer – tous les outre-mer.

En effet, il importe tout d’abord de souligner que ce texte réserve une attention toute particulière à nos territoires ultramarins, à leurs besoins et à leurs spécificités. Je tiens à vous en remercier, monsieur le ministre, ainsi que ceux de mes collègues qui ont travaillé, en commission, à améliorer encore la prise en compte des préoccupations des outre-mer.

À titre d’exemple, l’article 31 bis du texte tient pleinement compte des enjeux spécifiques liés aux langues créoles, richesse de notre Nation, mais également réalité pédagogique qui appelle des approches spécifiques. Pour autant, en deux occasions, la rédaction retenue conduisait à exclure des parties du territoire national de dispositifs tout aussi importants pour leur avenir qu’ils le sont pour l’avenir du reste de la France : je veux parler des collectivités d’outre-mer. Le travail en commission déjà permis de rectifier cette situation concernant l’article 5, afin de rendre les collectivités d’outre-mer prioritaires, au même titre que les départements d’outre-mer, pour l’accueil des enfants à partir de deux ans, avec l’ensemble des mesures que cela implique, y compris en matière de création de postes d’enseignants. Je ne peux que m’en féliciter.

La même logique de rectification de l’oubli des collectivités d’outre-mer n’a pu, en revanche, être retenue à l’article 47 du texte, c’est-à-dire dans le dispositif d’aide au développement des activités périscolaires versée aux mairies. Alors que les communes des départements d’outre-mer bénéficient, à juste titre, d’une majoration forfaitaire de cette aide, il serait incompréhensible qu’il n’en soit pas de même pour les communes des collectivités d’outre-mer. C’est le sens de l’amendement que nous avions déposé, mais qui n’a pas été adopté en commission. Nous l’avons déposé à votre cabinet, monsieur le ministre, et j’espère que le Gouvernement acceptera de le reprendre à son compte.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame Girardin.

Mme Annick Girardin. La justice et l’égalité des chances marquent profondément ce texte, qui n’est pas simplement l’œuvre d’un quinquennat, mais une véritable refondation de l’école, une refondation républicaine, laïque et de fond, pour l’avenir des générations futures ! Monsieur le ministre, les radicaux de gauche participeront à ce travail avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emeric Bréhier.

M. Emeric Bréhier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre République a, plus que jamais, besoin de l’école. Notre école, plus que jamais, a besoin de la République.

Les crises économiques successives, leurs conséquences sociales, la question de l’égalité des citoyens dans une période difficile, les débats relatifs à la laïcité, à la gestion de la dette publique, nous amènent à devoir nous interroger sur les réponses les plus efficientes à apporter. Plus structurellement, le monde dans lequel nous évoluons est sujet à de profondes évolutions, la nouvelle globalisation de notre économie et de nos échanges perturbe nos repères et semble conduire à un processus de déclin des grands récits et à une prépondérance de l’expression des libertés individuelles sur toute autre chose. Bref, notre environnement interroge notre modèle républicain sur sa capacité à s’adapter à ce début de xxie siècle.

M. Jean-Philippe Mallé. Excellent !

M. Emeric Bréhier. Qui, mieux que l’école, peut aujourd’hui renforcer ce modèle interpellé par l’histoire contemporaine ? Qui, mieux que cette institution, pourra demain redonner foi en l’avenir à notre pays ?

Bien évidemment, les failles de notre modèle n’ont pas épargné l’école. Ces dernières années, notamment, ont accentué ce sentiment de déclassement de l’institution et de celles et ceux qui la font vivre. Plus profondément, la difficulté est réelle d’allier massification de l’enseignement, méritocratie républicaine et égalité des chances. La sortie sans diplôme du système éducatif de 150 000 jeunes par an, le doublement du nombre d’élèves en difficulté de lecture, l’apparition de difficultés chez les élèves dès le cours préparatoire sont des signaux d’alerte puissants qui ne pouvaient qu’amener à une réaction, adaptée à la fois à la situation et aux attentes. Toutefois, même si les faits appelaient une refondation, il faut saluer ici le choix de François Hollande d’avoir imposé cette réforme comme thème majeur de sa campagne et la volonté du Gouvernement d’engager sa mise en œuvre dans les conditions que l’on connaît, c’est-à-dire difficiles, dès le début de la législature.

Retracer les contours d’un grand dessein national en redonnant de la valeur à l’école et en montrant le chemin aux futures générations imposait d’agir au plus tôt, là où naissent les inégalités pour ne cesser ensuite de s’accroître. En décidant d’agir au niveau de l’école élémentaire, le Gouvernement n’a pas seulement fait le choix de s’attaquer aux inégalités à la racine. Il a également inscrit son action en référence à la « communale », c’est-à-dire au lieu emblématique, symbolique, de l’école pour tous, de l’école qui construit l’individu autant que le citoyen, le citoyen autant que le producteur.

Il assume également – nous la retrouvons dans le texte – la démarche jaurésienne qui lie la question éducative à la question sociale. À l’heure où rien ne semble avoir de sens, ces choix sont au contraire porteurs d’espoir.

Bien sûr, personne ici ne nie les difficultés à réformer. En matière d’éducation, des conservatismes multiples œuvreront, directement ou indirectement, pour ne rien faire évoluer. L’intérêt de l’enfant sera parfois relégué au second plan, peut-être même pour des questions de confort. La refondation ne pourra se faire et ne se fera qu’avec l’ensemble des personnels enseignants. Leurs attentes sont fortes, eux qui sont passés du statut de « hussards noirs de la République » à celui de « fonctionnaires à la sécurité de l’emploi assurée et aux vacances fréquentes et longues ». Les difficultés territoriales sont là également, et c’est la raison même de la présentation de ce texte.

Pour surmonter toutes ces difficultés, il faudra s’appuyer sur les conclusions des débats que les parlementaires engagent aujourd’hui, mais également et surtout mobiliser l’ensemble des acteurs qui œuvreront concrètement à la mise en place de la refondation : l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, bien sûr, en commençant par les professeurs et les chefs d’établissements, qui en sont la base incontournable, mais aussi les parents d’élèves, les élus locaux, les associations, et bien d’autres encore. Ce ne sera pas toujours facile ; des visions ou des objectifs pourront même s’avérer divergents. Mais le cap fixé est suffisamment mobilisateur pour permettre à tous de sauter le pas, de faire l’effort pour arriver à donner vie à cette réforme.

Pierre Mendès France écrivait justement : « L’heure est venue de consacrer notre capacité d’invention, d’imagination, de talent, en même temps que le maximum de ressources matérielles, pour préparer ce qui est le plus précieux que tout, l’enfant, qui est l’homme et le citoyen de demain. »

Cette loi, présentée et portée par M. le ministre Vincent Peillon, nous y invite. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Schneider.

M. André Schneider. Monsieur le ministre, dans votre projet de loi, je le reconnais, il y a un certain nombre d’avancées. Je pense par exemple, premièrement, aux mesures concernant la priorité donnée à l’enseignement du premier degré, fondement de notre édifice scolaire. Qu’il me soit cependant permis de rappeler, monsieur le ministre, que la loi Fillon de 2005 a mis en place le socle commun des connaissances et de compétences sur lequel votre projet de loi s’appuie souvent ou auquel il se réfère.

Deuxièmement, l’introduction de « l’éducation aux médias numériques » est une excellente mesure, que j’approuve, à l’instar probablement de tous les députés ici présents. Permettez-moi toutefois de préciser que c’est votre prédécesseur, Luc Chatel, qui a lancé en 2011 un plan numérique à l’école de 30 millions d’euros sur trois ans.

Troisièmement, l’introduction d’un enseignement moral et civique de l’école primaire au lycée me paraît être une bonne mesure, monsieur le ministre. Il faut unifier cet enseignement et en faire une discipline à part entière, et je crois avoir compris que telle était votre intention. Il aurait cependant été très intéressant d’avoir le rapport de M. Bergounioux, M. Schwartz et Mme Loeffel sur le sujet avant notre discussion ; il n’est malheureusement annoncé que pour la fin du mois.

Enfin, je salue la commission des affaires culturelles pour avoir adopté un amendement insérant un article additionnel invitant les enseignants à « intégrer les langues et cultures régionales dans leur enseignement afin de favoriser leur transmission » ; c’est un Alsacien qui vous le dit. (Sourires.)

On pourrait donc croire que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Hélas, ce n’est pas le cas ! D’une part, monsieur le ministre, permettez-moi de m’exprimer de la sorte puisque nous sommes pour ainsi dire entre nous : pourquoi cette frénésie à vouloir démolir tout ce qu’ont fait vos prédécesseurs ?

Mme Martine Faure. Ils avaient déjà tout cassé !

M. André Schneider. Malgré le respect que j’ai pour votre fonction et pour votre personne, j’ai envie de vous dire que votre projet de loi est un excellent catalogue de bonnes intentions, mais vous connaissez le dicton, que je ne vous citerai pas…

Je m’explique. Prenons par exemple l’article 38 : il supprime les dispositions de la loi Cherpion du 28 juillet 2011 qui a introduit le DIMA, le dispositif d’initiation aux métiers en alternance, pour les jeunes âgés de moins de quinze ans. L’objectif principal de cette loi était de faire entrer 800 000 jeunes en apprentissage – à nouveau, c’est un Alsacien qui vous en parle – ou en contrat de professionnalisation à l’horizon de 2015, avec un objectif à terme d’un million de jeunes concernés. Ce dispositif répondait à une vraie demande de diversification des parcours à partir de la classe de quatrième.

L’article susvisé, tout comme l’article 33, est étroitement corrélé à la réaffirmation du principe du collège unique ; vous n’en démordez pas, monsieur le ministre.

Le philosophe anglais John Stuart Mill dénonçait déjà au XIXe siècle ce danger d’uniformisation : « Une éducation générale et étatisée n’est qu’un appareil à façonner les gens pour qu’ils soient exactement semblables entre eux ; et le moule utilisé est celui qui plaît aux pouvoirs prépondérants dans le gouvernement, […] et, dans la mesure où l’appareil est efficace et où il est réussi, il établit un despotisme sur les esprits qui, par une pente naturelle, conduit à un despotisme sur les corps. » C’est une pensée à méditer.

Permettez à l’ancien principal de collège en zone d’éducation prioritaire que je suis de réaffirmer combien il est important – et vous le dites, d’ailleurs – de prendre en compte la diversité des élèves, les origines sociales et géographiques, d’accorder une autonomie suffisante aux établissements et, surtout, de faire confiance aux enseignants.

Sincèrement, monsieur le ministre, je ne suis pas convaincu que votre projet de loi aille totalement dans ce sens, ou en tout cas que vous ayez les moyens de mener votre projet à son terme.

Vous avez fait le choix de créer 60 000 postes d’enseignants sur cinq ans, dont de nombreux emplois partiels, donc à titre précaire ; il faut quand même le dire. Comment allez-vous expliquer aux contribuables aujourd’hui les plus pénalisés, c’est-à-dire les classes moyennes, la manière dont vous allez financer tout cela ? Il y a en effet une grande zone d’ombre sur cette question.

Pour rappel – cela a déjà été dit tout à l’heure –, à la rentrée 2011, il y avait 550 000 élèves de moins qu’en 1990 pour 35 000 professeurs de plus. Voilà qui mérite tout de même, en cette période difficile que nous vivons, une petite réflexion. Monsieur le ministre, quand allez-vous cesser d’augmenter le nombre d’enseignants alors que celui des élèves stagne voire, ici ou là, continue de diminuer ? Vous préférez augmenter les effectifs et sacrifier ainsi le pouvoir d’achat de nos enseignants. Le gouvernement de François Fillon avait quant à lui fait le choix de ne remplacer qu’un enseignant sur deux partant à la retraite…

M. Avi Assouly. Fillon a abandonné l’école !

M. André Schneider. …mais de reverser la moitié des économies réalisées aux enseignants, en grande partie sous forme d’heures supplémentaires défiscalisées. Cela représentait donc une augmentation significative de leur pouvoir d’achat.

M. Yves Durand, rapporteur. Cela n’a jamais été fait !

M. André Schneider. Pour en revenir à votre projet de loi, monsieur le ministre, je répète qu’il contient d’excellentes dispositions, mais il risque d’accroître la rigidité du système éducatif alors qu’il faudrait au contraire en augmenter la souplesse et l’autonomie. Le problème des directions d’école a été longuement repris.

Enfin, je le répète, et nous le faisons souvent de concert, monsieur le rapporteur : l’école de la République n’est ni de droite ni de gauche, c’est l’école de la France. Aussi devons-nous être réalistes et construire, tous ensemble, une école où chaque élève, quelles que soient ses origines géographique ou sociale, trouvera sa place. C’est en tout cas dans cet esprit que nous travaillons, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :

Lecture définitive de la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)