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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 10 avril 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Infrastructures et services de transports

Suite de la discussion d'un projet de loi

Motion de renvoi en commission

M. Marc Le Fur

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, M. Bertrand Pancher, M. François-Michel Lambert, M. Jacques Krabal, M. Florent Boudié, M. Hervé Mariton

Discussion générale

M. Bertrand Pancher

M. François-Michel Lambert

M. Jacques Krabal

M. André Chassaigne

M. Florent Boudié

M. Martial Saddier

Mme la présidente

M. Gilles Savary

M. Jean-Marie Sermier

M. Yann Capet

M. Nicolas Dhuicq

Mme Corinne Erhel

M. Philippe Duron

M. Julien Aubert

M. Philippe Kemel

M. Arnaud Leroy

M. Richard Ferrand

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Infrastructures et services de transports

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports (nos 728, 850, 844).

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame la rapporteure, mes chers collègues, mon propos portera essentiellement sur l’écotaxe. Nul ne s’en étonnera, car celle-ci constitue, pour la France en général, et pour un certain nombre de régions périphériques en particulier, un sujet majeur.

L’écotaxe a été conçue entre 2007 et 2008, à une époque de prospérité, où l’on pouvait très légitimement se poser la question de la pertinence écologique des décisions que nous prenions, et où le principe de pollueur-payeur devait l’emporter. Mais les choses ont fondamentalement changé depuis.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Vous êtes passés par là !

M. Marc Le Fur. C’est la crise qui est passée par là ! La crise que vous avez niée – j’y reviendrai.

Aujourd’hui, cette taxe peut être perçue comme un impôt sur le travail, sur l’activité économique et – j’y reviendrai plus précisément – sur l’industrie, puisque c’est essentiellement elle qui utilise ce mode de transport.

Comparons le moment où cette décision a été prise avec la situation actuelle. Alors qu’entre 2007 et 2008, la croissance était de l’ordre de 1,9 %, nous avons péniblement terminé l’année 2012 avec 0,1 % de croissance, et nous risquons d’avoir une croissance nulle en 2013. Le taux de chômage était alors de 8 % et il est aujourd’hui de 10,2 % ; le prix du gazole, lui aussi, a sensiblement évolué, puisqu’il est passé de 1,22 euro le litre au mois de janvier 2008 à 1,42 euro en mars 2013.

Si, à l’époque, on pouvait raisonnablement envisager des mesures qui se présentaient comme des perspectives d’avenir, ce qui importe aujourd’hui, c’est de se battre sur le terrain de l’emploi, de défendre notre emploi, et cette priorité exige une remise en cause fondamentale.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Marc Le Fur. Votre candidat, monsieur le ministre, a nié la crise.

M. Jean-Marie Sermier. Exactement !

M. Marc Le Fur. Aujourd’hui, il l’admet, mais il n’en tire aucune conséquence. Ce que je vous propose, c’est de tirer les conséquences de la crise et d’admettre que nous devons évoluer.

M. Florent Boudié. Ce n’est pas le sujet !

M. Marc Le Fur. Si, c’est le sujet !

M. Thierry Benoit. C’est le principe de réalité !

M. Marc Le Fur. Le président Chanteguet a tenu un propos excellent, comme toujours.

M. Thierry Benoit. Il est réaliste, lui.

M. Marc Le Fur. Il nous a expliqué que la commission qu’il préside s’en est tenue à l’examen des modalités de répercussion de l’écotaxe. Mais enfin, monsieur le président, les représentants du peuple n’ont pas le droit de se censurer ! Et il faut répondre à la question fondamentale, qui est celle de la pertinence de l’écotaxe aujourd’hui. Quand la maison brûle, il n’est plus temps de s’occuper de la tapisserie : il y a d’autres priorités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) C’est ce message, que je voudrais vous faire passer.

Revenons sur l’historique de l’écotaxe. Celle-ci avait pour but de faire payer l’usage des routes par les poids lourds. Pourquoi pas ? Elle devait également inciter à une réorientation vers des transports alternatifs. Pourquoi pas, quand l’alternative est possible ? Elle devait, enfin, financer d’autres systèmes de transports, systèmes intermodaux ou transports urbains. D’aucuns ont peut-être un peu schématisé les choses, en disant que le transport vers les provinces reculées allait permettre de financer le métro de quelques grandes villes, voire celui de notre capitale.

Pour être un peu schématique, ceci n’en est pas moins vrai, et même très vrai.

M. Nicolas Dhuicq. Très juste.

M. Marc Le Fur. Mes chers collègues, vous aurez compris que le sujet qu’il faut aborder de front est bien celui de l’écotaxe. Or nous ne l’aborderons qu’à l’article 7, qui porte sur la répercussion de l’écotaxe, payée par les transporteurs et répercutée à leurs donneurs d’ordres. Il est logique que le transporteur répercute, mais toute la question est de savoir comment.

M. Philippe Armand Martin. Bien sûr !

M. Marc Le Fur. Le problème, c’est que deux systèmes vont coexister : d’un côté celui des entreprises qui assurent leur propre transport, qui représentent à peu près 50 % du transport de marchandises, de l’autre, le système des transporteurs.

M. Jean-Marie Sermier. Qui ne pourront pas répercuter la taxe !

M. Marc Le Fur. Or les taux appliqués dans les deux cas seront très sensiblement différents. Quand l’entreprise utilisera ses propres transports, elle ne paiera l’écotaxe que sur les 15 000 kilomètres de routes éco-taxées. Tout le monde est d’accord ? (« Oui ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI.) De même, le transporteur ne paiera l’écotaxe que sur les 15 000 kilomètres de routes éco-taxées. Tout le monde est d’accord ? (« Oui ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Toute la question, c’est de savoir comment le transporteur répercutera – ce qui est légitime – cette écotaxe sur son client. Au lieu d’appliquer un principe simple, consistant à dire que le transporteur répercutera l’impôt qu’il aura payé, vous imaginez un système très différent et très compliqué.

M. Hervé Mariton. Et inconstitutionnel !

M. Jean-Marie Sermier. C’est une usine à gaz !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Et votre décret ? C’est vous qui avez instauré cela.

M. Florent Boudié. Où étiez-vous, le 6 mai 2012, quand le décret a été promulgué ?

M. Marc Le Fur. Pour le choc de simplification, bravo ! En fait de choc de simplification, vous faites exactement le contraire. Ce que vous créez, monsieur le ministre, c’est une usine à gaz !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est vous !

M. Marc Le Fur. Il aurait été tellement plus simple de décider que l’impôt payé serait répercuté… Mais vous faites autrement.

Comme le système de recouvrement est très compliqué – je vous passe les détails – on a imaginé de faire appel à un prestataire extérieur.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est vous qui en avez décidé ainsi !

M. Marc Le Fur. Je vous renvoie à mon intervention du 6 novembre 2008, au cours de laquelle je m’étais opposé à ce système.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous devez avoir bien peu d’influence sur votre groupe, monsieur le député…

M. Marc Le Fur. J’avais comparé ce système à celui du fermier général : on délègue la perception de l’impôt, non pas à une régie, mais à un fermier général, on afferme l’impôt. Dire que tous les écoliers s’imaginent que ce système a été supprimé en 1789 !

Vous critiquiez ce système lors de nos débats et vous le réinstaurez plus que jamais, monsieur le ministre.

M. Philippe Armand Martin et M. Jean-Marie Sermier. Avec vous, c’est la Restauration !

M. Florent Boudié. Et avec vous, c’est la radicalisation !

M. Marc Le Fur. Le fermier général s’appelle Autostrade per l’Italia. Le coût de la collecte, selon les chiffres qui nous sont communiqués, représente 20 à 25 % de la masse collectée. Vous vous rendez compte ! C’est énorme.

On nous dit que c’est également le cas en Allemagne, ce qui est vrai, mais c’est à tort, monsieur le ministre, que l’on a imaginé, une fois de plus, de se caler sur le système allemand.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est une autocritique que vous faites là !

M. Florent Boudié. C’est une motion de renvoi à vos propres responsabilités !

M. Marc Le Fur. Les Allemands ne paient pas les autoroutes, et on a donc imaginé, sur les autoroutes allemandes, de faire payer les camions. Chez nous, les automobilistes, comme les transporteurs, paient les autoroutes. Alors que la répercussion pourrait se faire simplement, nous avons choisi un système compliqué, et ce dès le 6 novembre 2008, je l’ai dit – les choses sont on ne peut plus claires.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Nous sommes arrivés trop tard !

M. Florent Boudié. C’est de la schizophrénie !

M. Marc Le Fur. La répercussion de l’écotaxe fait l’objet du fameux article 7. Nous avions un système simple : sur 15 000 kilomètres de routes, la taxe se situait, avec des petites nuances, autour de 12 centimes par kilomètre…

M. Yves Albarello. Très bien.

M. Marc Le Fur. …et désormais, on va appliquer les modalités de répercussion, non pas sur 15 000 km, mais sur les quelque 800 000 kilomètres de routes françaises. Cela va poser un vrai problème, avec des différences très sensibles pour les transporteurs.

M. Jean-Marie Sermier. Y compris en Bretagne !

Mme Isabelle Le Callennec. Surtout en Bretagne !

M. Marc Le Fur. Prenons l’exemple d’un transporteur installé à La Gravelle, aux confins de l’Ille-et-Vilaine et de la Mayenne, secteur que connaît bien notre collègue Isabelle Le Callennec, qui est présente ce soir, comme d’autres députés bretons de l’opposition, ce dont je me réjouis.

Mme Catherine Beaubatie, rapporteure de la commission du développement durable. Nous sommes là aussi !

M. Marc Le Fur. Le transporteur part de La Gravelle en direction de Nice, en empruntant des autoroutes concédées.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Que vous avez privatisées !

M. Marc Le Fur. Il ne paie donc pas d’écotaxe, surtout s’il évite la région parisienne. Moralité : alors même qu’il ne paie pas l’impôt, il va pouvoir répercuter sur environ 1 300 kilomètres un impôt qu’il n’a pas payé. C’est un vrai problème !

M. Jean-Marie Sermier. Il fait bon être transporteur !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous le leur direz ! J’espère que cela figurera au Journal officiel !

M. Marc Le Fur. Mais bien sûr que ce sera inscrit au Journal officiel, monsieur le ministre.

Je pose la question : comment peut-on répercuter à ses clients, donc à l’industrie, un impôt que l’on n’a pas payé ?

Imaginons maintenant un autre transporteur, qui, lui, n’emprunterait que des routes éco-taxées. Imaginons – je prends un exemple breton, vous me le pardonnerez – qu’il aille de Brest…

M. Yves Albarello. De Brest à Boulogne ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. …à Rennes par la RN 12 : il paiera l’écotaxe sur toute la distance, mais il pourra en répercuter beaucoup moins. Vous voyez bien, monsieur le ministre, que cette modalité aboutit à un enrichissement sans cause pour certains transporteurs, et à une perte en ligne importante pour d’autres.

M. Yves Albarello. C’est de l’amateurisme !

M. Marc Le Fur. Vous allez me dire que les choses s’équilibrent globalement. Soit, mais les questions économiques ne doivent pas être envisagées seulement globalement : cela va concerner des entreprises précises et des emplois précis, ici ou là.

Il faut nous en tenir à ce raisonnement très simple : si l’on paie un impôt, on peut en répercuter le coût sur ses clients ; c’est dans l’ordre des choses, pas plus pas moins. Voilà un point qui, selon moi, doit se comprendre facilement.

En définitive, on a dénaturé le principe de l’écotaxe ; le choc de simplification que nous promettait le Président de la République est bien loin…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Revenons-en au décret de 2012 : expliquez-nous votre décret !

M. Marc Le Fur. J’en reviens aux différences entre les années 2007-2008 et la période actuelle. J’ai évoqué les différences liées à la crise et à l’emploi, je voudrais maintenant évoquer la différence du prix du gasoil. Il coûtait 1,22 euro en janvier 2008, et 1,42 en mars 2013. Cela veut dire que le signal prix est donné par le seul gasoil.

M. Thierry Benoit. L’énergie !

M. Marc Le Fur. La question, c’est de savoir ce que vous allez faire du gasoil demain. Comment imaginer que nous puissions délibérer sur l’écotaxe alors que vous ne nous donnez pas de précisions sur l’évolution du prix du gasoil ?

M. Florent Boudié. C’est une motion de diversion !

M. Marc Le Fur. C’est une question en suspens, monsieur le ministre. Je souhaite savoir, pour les transporteurs en particulier, ce qui va être décidé pour le gasoil. On ne peut pas légiférer en ne considérant qu’un petit morceau du problème, sans considérer ce qui se passe à côté. Demain, un choc de compétitivité va s’ajouter à l’écotaxe, et le prix du gasoil va augmenter. Une fois de plus, vous allez pénaliser l’industrie. Car ne nous y trompons pas, ce ne sont pas les services qui paient : ils n’utilisent pas les transports, c’est l’industrie. C’est un impôt anti-industrie !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est l’impôt Borloo !

M. Marc Le Fur. Nous avons fait le contraire : nous avons baissé la taxe professionnelle, nous l’avons même fait disparaître pour donner un avantage comparatif à notre industrie.

M. Florent Boudié. C’est de la science-fiction !

M. Marc Le Fur. Vous, vous êtes en train d’augmenter les coûts qui pèsent sur l’industrie.

Nous devons être raisonnables : en cette période de crise, l’essentiel c’est l’emploi, notamment industriel, et c’est la simplification.

Il faut donc que nous imaginions, pendant un, deux ou trois ans, en tout cas tant que durera la crise, de décaler l’application de l’écotaxe.

M. Thierry Benoit. Il faut en suspendre l’application !

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. En 2012, la crise était déjà là !

M. Florent Boudié. Où étiez-vous entre 2007 et 2012 ?

M. Marc Le Fur. C’est un principe qui est soutenu par notre collègue Benoît, excellent député de Fougères, et cela me paraît essentiel.

On ne peut pas nous dire que l’on pense à l’emploi sans en tirer un certain nombre de conséquences.

On va me répondre que c’est indispensable pour poursuivre la politique de transports alternatifs. Mais j’entends les discours sur ce sujet, je vois les colloques, je constate que des échanges existent, des rapports sont remis, mais concrètement, sur le terrain, je ne vois pas beaucoup de projets alternatifs. Je le souhaiterais, mais je n’en vois pas. Peut-être allez-vous nous en annoncer, monsieur le ministre ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Comment aurais-je pu les bâtir en dix mois ?

M. Marc Le Fur. Je ne vous accuse pas, monsieur le ministre !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est votre passif !

M. Marc Le Fur. Je vais vous donner des chiffres très précis : la SNCF réalisait au titre du fret un chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros en 2008. En 2012, ce chiffre d’affaires est tombé à 1 milliard. On pouvait raisonnablement espérer une montée en puissance du fret SNCF, on a assisté à une réduction.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’était vos engagements !

M. Marc Le Fur. Je ne parle pas de vous ni de moi, je vous parle de la SNCF.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Moi je parle de M. Bussereau !

M. Marc Le Fur. En 2007, le trafic fret de la SNCF était de l’ordre de 54 milliards de tonnes-kilomètres. En 2012, il est de 30 milliards.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Et les engagements du Grenelle ? Vous les avez bafoués !

M. Marc Le Fur. Autre exemple, la société Geodis, qui se situe dans la mouvance de la grande maison SNCF, estime que le ferroviaire ne représente plus que 20 % de son activité.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. À qui la faute ?

M. Marc Le Fur. Les transports intermodaux, on peut les souhaiter, on peut y aspirer, on peut parier sur eux à moyen terme. Mais à court terme, hélas, du fait des problèmes d’infrastructures, le développement attendu n’est pas là. C’est ainsi, prenons-en acte.

De plus, fréquemment, l’intermodalité ou l’alternative n’est pas possible. Prenons l’exemple de l’agroalimentaire. Les contraintes de fraîcheur y sont telles que le transport alternatif n’existe pas. L’exemple classique est celui de la marée qui quitte le port de Douarnenez à une ou deux heures du matin : si l’on veut qu’elle soit à la table des restaurants parisiens au déjeuner de midi, cela n’est possible que par le transport routier. Et je suis convaincu que le port de Boulogne est dans une situation analogue, même si j’admets que je le connais moins. En tout cas, cela veut dire qu’il n’existe pas d’alternative dans bien des cas.

Et puis, mes chers collègues, nous avons réalisé le rêve de certains utopistes qui avaient finalement raison : nos usines sont à la campagne. L’industrie est à la campagne, souvent loin des nœuds ferroviaires. Dans ma circonscription se trouve le plus gros abattoir d’Europe. Il regroupe 2 500 salariés dans le site de Kermené, mais il n’y a même pas de liaison ferroviaire, car les contraintes environnementales sont telles qu’il a fallu s’éloigner des villes et des structures urbaines pour le faire. Cela veut dire que ces entreprises-là n’ont pas d’alternative en vue. Les taxer, c’est peut-être bon pour la recette, mais cela ne permet pas une évolution de leur politique dans les années à venir. Collinée, ce sont 2 500 emplois qui sont de fait liés à une logistique axée autour du transport par poids lourds. C’est ainsi, c’est une donnée objective, au moins pour les années à venir.

Vous faites donc une erreur de diagnostic. L’écotaxe pourrait être reportée du fait de la situation économique de notre pays.

M. Thierry Benoit. Bien sûr, et le ministre le sait !

M. Marc Le Fur. Je voudrais également insister sur les régions périphériques, monsieur le ministre, je vous prie de m’écouter attentivement.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Je ne fais que cela !

M. Marc Le Fur. Les régions périphériques sont dans une situation singulière. Quand vous êtes au bout de l’Europe, et que votre consommateur est à 500 ou 1 000 kilomètres, cela veut dire que vous dépendez d’une logistique et d’un transport qui est coûteux.

C’est pourquoi le législateur, au cours du précédent mandat, avait imaginé dans sa sagesse un abattement de 25 % sur l’écotaxe pour l’Aquitaine ou la région Midi-Pyrénées, et un abattement de 40 % pour la Bretagne, qui ne dispose pas d’autoroutes. On pouvait imaginer que cette formule soit incorporée à votre répercussion. Or ce n’est pas le cas puisque par définition, comme le transporteur pourra répercuter l’ensemble du trafic qu’il effectue, que ce soit sur une route écotaxée ou non, les régions périphériques perdront leur avantage relatif.

À moins que le ministre n’évolue, mais je n’ai aucune raison de douter de sa bonne volonté à ce stade…

M. Thierry Benoit. Tout est possible !

M. Marc Le Fur. Nous avions imaginé cette formule pour qu’un transporteur qui va de Brest à Strasbourg puisse bénéficier du tarif favorable au moins pour la traversée de la Bretagne, même sur ce transport interrégional. Or si l’on comprend votre texte, les tarifs spécifiques ne valent que pour les transports intrarégionaux. La logique serait de l’appliquer, pour la partie régionale, aux transports qui concernent plusieurs régions.

Je vois que vous écoutez vos collaborateurs et que vous y réfléchissez, cela veut peut-être dire qu’il y aura une évolution salutaire.

Je tiens aussi à vous donner quelques exemples emblématiques. Chacun connaît la SICA Saint-Pol-de-Léon, qui s’est illustrée par le passé avec Alexis Gourvennec. Voilà des gens qui vendent des choux-fleurs…

M Gwenegan Bui. Et des artichauts !

M. Marc Le Fur. Le surcoût induit par votre projet pour cette entreprise est tout de même compris entre 4 et 7 millions d’euros, selon les modalités que vous allez retenir ce soir et demain, alors que cette entreprise connaît des difficultés. Chacun sait que dans l’agroalimentaire, les marges sont extrêmement étroites.

Permettez-moi de donner un exemple des conséquences de cette mauvaise répercussion, et j’attire l’attention de tous, même si certains ont l’esprit au match de football en cours.

Prenons l’exemple d’un transport entre Châteaulin, à la pointe occidentale de notre pays, et Forbach, à la pointe orientale. Cela représente un peu moins de 1 000 kilomètres. Quand un transporteur va de Châteaulin à Forbach, il va payer l’écotaxe sur la partie des routes écotaxées, qui est assez réduite. Comme il utilise essentiellement des autoroutes concédées, il ne va payer en fait que 12,96 euros. Mais il va répercuter à son client les 4,4 centimes, soit 4,4 % si nous admettons que le prix au kilomètre est d’à peu près un euro, sur les presque mille kilomètres. Il aura donc payé 12,96 euros, mais répercuté 40 euros.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas la même chose !

M. Marc Le Fur. Le surcoût est donc de 27,64 euros.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous ne pensez pas que tout cela sera négocié ?

M. Marc Le Fur. Vous me direz que c’est peu de chose, mais ce n’est pas neutre. Ce sont mes calculs, chiffres à l’appui. Si vous pouvez me démontrer l’inverse, je vous écoute !

Cela veut dire que le coût du transport longue distance en camion va devenir plus lourd. Peut-être direz-vous que c’est à la marge, mais tout est à la marge dans ces entreprises. Ces entreprises ont des chiffres d’affaires importants, on pense donc qu’elles dégagent un résultat conséquent, mais c’est faux. Leurs résultats sont extrêmement réduits.

M. Martial Saddier. Pour certains, c’est 1 % !

M. Jean-Marie Sermier. Vous allez les tuer !

M. Martial Saddier. En commission, certains ont déclaré que ce n’était pas un secteur économique !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Expliquez plutôt à vos collègues la différence entre les chargeurs et les transporteurs !

M. Marc Le Fur. La logistique pèse. Il s’agit de biens pondéreux pour lesquels le transport représente de 15 % à 30 % du coût. Retenez ceci, monsieur le ministre ! Les décisions que vous êtes en train de prendre sont déterminantes pour l’emploi dans un certain nombre de secteurs, et je vous prie de bien vouloir en tenir compte.

L’autre sujet que je souhaite aborder concerne vraiment toutes les régions, c’est le transport de proximité. Chacun conviendra que pour quelques kilomètres, il n’y a pas d’alternative au camion de 3,5 tonnes. Pour ramasser du lait, il n’y a que le camion : on ne va pas le faire avec le rail ou des péniches. Pour ce type de transport, le raisonnement par l’alternative ne s’applique pas, il ne faut donc pas qu’il y ait d’écotaxe, chacun en conviendra. Qui dit le contraire ici ?

M. François-Michel Lambert. Moi !

M. Marc Le Fur. Ce qui est vrai pour le lait est également valable pour tous les trafics de ferme à ferme. Quand l’aliment va de la coopérative à la ferme, je ne vois pas de raison pour payer l’écotaxe, puisqu’il n’existe pas d’alternative. En plus, on n’utilise pas une route écotaxée.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Pensez-vous vraiment que le réseau sera taxé jusqu’aux fermes ?

M. Marc Le Fur. Bien sûr ! Si c’est un transporteur. Et c’est le cas : le transport d’aliments est réalisé par des tiers par rapport aux coopératives, donc ils vont pouvoir répercuter les coûts.

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. C’est n’importe quoi !

M. Marc Le Fur. Renseignez-vous ! Je peux vous donner les coordonnées des coopératives, elles vous expliqueront qu’elles utilisent des transporteurs qui pourront répercuter une somme – que d’ailleurs ils ne paieront pas – et qui se traduira par un surcoût.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous instillez la peur !

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. Parlez de la réalité !

M. Marc Le Fur. C’est la réalité, ce n’est pas la peur ! Démontrez l’inverse ! La logique, c’est que pour tout le transport de ferme à ferme, qu’il s’agisse du lait, des aliments et de toutes ces choses, je n’imagine pas que l’on puisse appliquer l’écotaxe.

Mme Catherine Quéré. Le lait ne paiera pas l’écotaxe !

M. Marc Le Fur. L’ensemble de l’agroalimentaire n’a pas vocation à payer l’écotaxe. Nous devrions être d’accord sur ce point.

M. Yves Albarello. C’est le made in France !

M. Marc Le Fur. Pour toutes les activités qui se situent sur un réseau secondaire et qui n’ont pas d’alternative à l’écotaxe, je ne vois pas pourquoi, avec l’article 7 de ce projet, on répercuterait le coût du transport si l’on utilise un transporteur.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il fallait le dire à M. Borloo !

M. Marc Le Fur. Nous débattons d’un texte que vous nous présentez, M. Borloo a imaginé une écotaxe qui devait se répercuter sur la partie fiscalement payée, point à la ligne.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Pas du tout !

M. Marc Le Fur. C’est cela qui nous avait été présenté, pas autre chose.

L’alourdissement du coût de transport est une difficulté pour le consommateur, pour le producteur, pour l’industrie, pour l’ensemble du secteur des pondéreux, et ce sont souvent les entreprises les plus fragiles et les plus déterminantes en terme d’emplois.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est du lavage de cerveau !

M. Marc Le Fur. Vous disiez à l’instant que ce n’était pas important…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Mais pas du tout !

M. Marc Le Fur. Chez moi, des emplois sont en cause, et aussi chez d’autres !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Mais à quel moment aurais-je dit cela ?

M. Marc Le Fur. C’est l’emploi qui est en cause ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. Quelle démagogie !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous êtes pris en flagrant délit de mensonge ! À quel moment ai-je dit cela ?

M. Marc Le Fur. Monsieur le ministre, vous aurez l’occasion de me répondre…

Mme la présidente. Un peu de calme, mes chers collègues ! M. Le Fur termine son intervention : les différents orateurs s’exprimeront ensuite.

M. Marc Le Fur. Je termine mon intervention en citant quelques expressions du Président de la République.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Bonne référence !

M. Marc Le Fur. « Boîte à outils » : il faudrait l’adapter ! « Choc de simplification » : je ne le vois pas !

M. Martial Saddier. C’est le bouquet !

M. Marc Le Fur. Soyons simples ! Chacun peut concevoir que l’écotaxe ait été imaginée lors d’une période de relative prospérité, quand les arbitrages pouvaient être différents.

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. Vous avez la mémoire courte !

M. Marc Le Fur. Aujourd’hui, la situation économique est telle que je suis convaincu qu’il faut décaler l’application de l’écotaxe.

M. Thierry Benoit. Voilà ! C’est le sujet !

M. Marc Le Fur. Voici quelque chose de simple !

M. Jean-Marie Sermier. C’est vrai !

M. Marc Le Fur. À défaut, si vous souhaitez absolument maintenir l’écotaxe, faites en sorte qu’elle ne soit payée que sur les routes écotaxées, et qu’elle ne fasse pas l’objet d’un paiement systématique sur l’ensemble de notre réseau routier.

M. Yves Albarello. Très bien !

M. Marc Le Fur. Le transporteur devra-t-il payer à la fois le péage de l’autoroute et l’écotaxe ? Ce n’est pas raisonnable, monsieur le ministre !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous confondez le transporteur et le chargeur !

M. Marc Le Fur. Le ministre chargé de l’industrie prétend défendre l’industrie – j’aimerais d’ailleurs qu’il soit présent, car son point de vue serait précieux s’agissant des répercussions de cette mesure sur l’industrie…

M. Thierry Benoit et M. Martial Saddier. Qu’il vienne s’expliquer !

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. Allez plutôt chercher Borloo !

M. Marc Le Fur. En dernière analyse, je souhaiterais au moins que le transport de proximité, pour lequel il n’existe pas de solution alternative – le transport agroalimentaire de ferme à ferme –, soit épargné par cette écotaxe. Voilà des solutions qui répondent aux exigences du moment.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Marc Le Fur. Faire de la politique nécessite de tenir compte de la situation présente.

M. Martial Saddier. C’est vrai !

M. Marc Le Fur. La situation présente, c’est la crise : ne faisons pas comme si elle n’existait pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Frédéric Roig. Lamentable !

Mme la présidente. Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisie par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Frédéric Cuvillier, ministre déléguéchargé des transports, de la mer et de la pêche. Il m’a semblé que vous souhaitiez la prendre, monsieur le ministre… (Sourires.)

M. Martial Saddier. Il n’a rien à dire !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Mon intervention ne durera que quelques minutes, car nous aurons l’occasion de revenir point par point…

M. Jean-Marie Sermier. Nous y comptons bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …sur un certain nombre d’inepties qui viennent d’être prononcées.

Monsieur Le Fur, en défendant cette motion, vous avez fixé les ambitions de l’opposition – de la majorité de l’époque – en matière environnementale. J’entends encore ses beaux discours ! Sous la précédente législature, j’étais membre de la prestigieuse commission du développement durable, qui a été chargée de travailler avec intelligence, de co-construire et d’améliorer le dispositif du Grenelle.

Vous avez prononcé tant de discours… Vous êtes même allés flirter sur les terres électorales de certains…

M. Jean-Marie Sermier. Non, ce sont les électeurs qui sont venus à nous !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …en citant le Grenelle comme un exemple de politique environnementale.

M. Martial Saddier. Vous êtes jaloux !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Je me souviens encore des discours particulièrement éloquents de l’ancien président de la République sur l’enjeu environnemental.

M. Martial Saddier. Répondez aux questions !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Le masque tombe ! Une fois que vous n’êtes plus aux responsabilités, voilà ce qu’il advient des grandes idées,…

M. Marc Le Fur. Il faut prendre en compte la crise !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …des grandes ambitions que vous nous avez vendues, et de votre haute considération des problèmes environnementaux et du développement durable. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

C’est vous qui avez organisé le Grenelle de l’environnement.

M. Jean-Marie Sermier. Oui, et nous le revendiquons !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Nous étions tous unanimes pour débattre de ces enjeux de société.

Mme Chaynesse Khirouni. La politique de la droite, c’était l’illusion durable !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous n’avez pas eu le courage de dire à mes prédécesseurs, ni d’assumer, quand vous étiez majoritaires, votre refus de traiter cet enjeu environnemental. Maintenant que vous êtes dans l’opposition, vous vous lâchez !

M. Jean-Marie Sermier. Nous avons eu la sagesse de repousser l’application de l’écotaxe !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il fallait le dire avant, par honnêteté vis-à-vis de vos électeurs ! Il fallait le dire avant, pour la clarté du message que vous vouliez véhiculer !

Plusieurs députés du groupe UMP. Et les promesses de François Hollande ?

Mme la présidente. Du calme, mes chers collègues.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Aujourd’hui, vous démontrez que vous ne souhaitez pas appliquer l’écotaxe poids lourds.

M. Martial Saddier. Pas sous cette forme !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous ne souhaitez pas non plus la réussite du Grenelle de l’environnement.

M. Jean-Marie Sermier. Vous l’avez déjà tué !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous ne souhaitez pas la transition énergétique.

Vous ne souhaitez pas la mise en place d’une fiscalité qui permette le report modal.

Vous ne souhaitez pas non plus le financement d’infrastructures pour favoriser la mobilité et le transport combiné intelligent.

M. Martial Saddier. Vous nous avez exclus de la commission !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous ne souhaitez pas financer l’agence de financement des infrastructures de transport de France, que vous avez asséchée.

M. Marc Le Fur. Répondez à mes questions, monsieur le ministre !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous ne souhaitez pas non plus faire en sorte que les collectivités soient au rendez-vous de l’aménagement du territoire.

Vous assénez un certain nombre de contrevérités : elles ne deviendront pas pour autant des vérités révélées !

La mesure dont nous discutons a été décidée en 2009. Vous affirmez qu’il faut maintenant reculer.

M. Marc Le Fur. À cause de la crise !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Prenez vos responsabilités !

Plusieurs députés du groupe UMP. La crise !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. La crise est passée par là : vous n’y êtes pas pour rien ! Vous n’êtes pas étrangers à cette réalité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marie Sermier. Le gouvernement précédent avait eu la sagesse de reporter la mise en œuvre de l’écotaxe !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. En 2009, lorsque nous avons décidé l’instauration de l’écotaxe poids lourds, la « taxe Borloo » – je dis « nous » parce que la majorité actuelle assume le vote unanime qu’elle a exprimé alors –, nous étions en récession. L’année 2009 a été la pire année de récession depuis 1945 : le PIB a diminué de 2,2 %.

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. Eh oui, monsieur Le Fur !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous dites aujourd’hui qu’il faut penser à la crise, mais 2009 a été la pire année de récession, et c’est à ce moment précis que votre gouvernement a soumis au Parlement l’instauration de l’écotaxe poids lourds. Soyez rigoureux dans vos raisonnements !

M. Marc Le Fur. Nous le sommes !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Ayez un peu plus de constance dans votre façon d’aborder les choses ! Vous confondez allègrement – ce qui vous arrange bien – le rôle des transporteurs, que vous feignez de défendre, et celui des chargeurs.

Nous protégeons les transporteurs, qui sont en difficulté.

M. Martial Saddier. Ce n’est pas ce qu’ils nous disent !

M. Xavier Breton. Ils nous disent le contraire !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Je l’ai dit tout à l’heure : il existe un déséquilibre dans le rapport de force entre les transporteurs et les chargeurs.

Que proposez-vous ? À quoi souhaitez-vous revenir ?

M. Marc Le Fur. Nous voulons revenir sur la répercussion de l’impôt !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Voulez-vous revenir au décret de 2012 ? Ce décret est le seul document que j’ai trouvé sur mon bureau lorsque j’ai été nommé ministre. Je n’ai pas eu la chance d’avoir une passation de pouvoir, puisqu’il n’y avait pas de ministre des transports avant l’alternance. J’ai juste trouvé un décret, daté du 6 mai 2012, posé sur mon bureau. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.) C’était le vôtre, mesdames et messieurs de l’opposition, et vous devez l’assumer ! Il est un peu facile de ne pas assumer, en prétendant que vous étiez contre, à l’époque. Si telle était votre opinion, il fallait l’exprimer autrement ! Aujourd’hui, vous proposez de revenir à ce décret.

M. Martial Saddier. Où est la ministre de l’écologie ce soir ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Allez donc expliquer aux transporteurs et aux chargeurs que vous souhaitez revenir à ce décret, qui était inapplicable…

M. Martial Saddier. C’est faux !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …et qui fragiliserait les 40 000 entreprises directement dépendantes de l’activité de transport.

M. Marc Le Fur. C’est l’emploi dans le secteur industriel que vous allez fragiliser !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Monsieur Le Fur, vous pouvez dire tout ce que vous voulez : c’est une réalité. Les 400 000 emplois dans le domaine du transport routier doivent être protégés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et c’est ce Gouvernement qui les protégera, par la mise en place d’un dispositif clair et opposable. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Du calme, mes chers collègues : écoutez le ministre !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Quant au réseau de proximité, vous savez très bien qu’il n’est pas taxable. En réalité, moins de 1 % des transports de proximité sont taxables. Ce projet de loi n’a donc aucune influence sur les transports de proximité, qui ne sont pas soumis à l’écotaxe poids lourds,…

M. Marc Le Fur. Si ! La taxe est répercutée !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …de même que certains autres types de transport.

Je veux vous rappeler une règle – je vous la rappellerai mille fois s’il le faut, puisque vos amendements visent à créer une obstruction sur ce texte.

M. Martial Saddier. Ce n’est pas de l’obstruction ! Mais nous pouvons en faire, si vous nous y engagez !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. On est bien loin de l’état d’esprit qui animait le Parlement à l’époque du Grenelle de l’environnement. Nous souhaitions alors, tous ensemble, assumer nos responsabilités et jouer notre rôle de législateur. Puisque c’est ainsi que vous concevez désormais votre mission, vous l’assumerez.

Aujourd’hui, le dispositif doit être mis en place pour plusieurs raisons. D’une part, il est nécessaire au financement des infrastructures. D’autre part, il vise un objectif et un affichage prix.

M. Marc Le Fur. Et le prix du gazole ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous le savez – vous l’avez peut-être dit, en tout cas vous l’avez entendu et soutenu – aujourd’hui, le prix du transport routier n’est pas payé par celui qui le doit, mais par l’État et les collectivités. Ainsi, il coûte plus cher qu’il n’est facturé.

M. Philippe Kemel. Bravo !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Là encore, cette réalité doit être inscrite dans la perspective d’une transition qui permette une alternative à ce mode de transport.

Mesdames et messieurs de l’opposition, j’aurai l’occasion de revenir sur toutes vos inepties et vos démonstrations boiteuses – d’ailleurs, les amendements que vous présentez au sein d’un même groupe politique sont contradictoires. Je suis prêt à vous démontrer que votre motion n’a pas pour but d’être attentifs aux besoins de telle ou telle catégorie. Malheureusement, vous ne l’assumez pas,…

M. Hervé Mariton. C’est un procès d’intention !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …mais au fond, votre objectif est de revenir sur cette fiscalité environnementale, sur l’écotaxe poids lourds,…

M. Marc Le Fur. Il faut tenir compte de la crise !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …et de revenir sur ce qui sera, demain, le moyen de financer une modernisation des modes de transport. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt notre collègue Marc Le Fur.

M. Frédéric Roig. Vous êtes bien le seul !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable. Il défendait une motion de renvoi en commission. Je n’ai pas bien perçu les arguments qu’il avançait pour justifier ce renvoi. Malgré tout, son discours était quelque peu différent de celui des représentants du groupe UMP au sein de la commission du développement durable. Nous nous sommes réunis la semaine dernière, le 27 mars, pendant six heures. Nous avons discuté et apporté des réponses aux questions posées.

Un certain nombre d’amendements ont été déposés. Peut-être aurons-nous l’occasion et le plaisir de constater, au cours des débats de ce soir et demain, que des avancées sont possibles et permises.

Néanmoins, monsieur Le Fur, vous vous opposez aujourd’hui à la taxe poids lourds alors que celle-ci faisait l’unanimité lors du vote de la loi Grenelle I, en 2009. Lors de la réunion de la commission du développement durable, les représentants du groupe UMP ont d’ailleurs tenu des propos plutôt positifs sur cette écotaxe. Certes, les modalités de sa mise en œuvre conduisent un certain nombre de parlementaires à s’interroger. Effectivement, ce dispositif est relativement complexe. Néanmoins, si le ministre a été amené à proposer d’autres modalités de mise en œuvre, c’est parce que le décret du 6 mai 2012 était inapplicable. Les décisions prises par le ministre et inscrites aujourd’hui dans ce projet de loi ont été approuvées par les professionnels et par les transporteurs routiers. C’est une bonne chose en matière de dialogue social, et cela me paraît tout à fait important.

S’agissant des départements périphériques, j’étais dans cet hémicycle lors de la précédente législature, et je me souviens bien des débats sur ce sujet, en particulier dans le cadre de la loi Warsmann de simplification qui a accordé aux parlementaires bretons une déduction supplémentaire de 40 %. Je m’en souviens très bien, et je m’y étais personnellement opposé. Vous étiez effectivement, monsieur Le Fur, à la pointe de ce combat. Aujourd’hui, les choses doivent s’apaiser.

L’objectif est la mise en place de cet outil de fiscalité écologique – l’un des tout premiers. Bien sûr, ce dispositif vise également à entraîner un report modal que l’on peut toujours contester ; néanmoins, il vise aussi à mobiliser des moyens financiers, à travers l’AFITF, pour développer demain des alternatives à la route, ainsi que le transport modal.

Voilà la philosophie de ce projet de loi. Je peux entendre ce que vous dites, monsieur Le Fur, mais la commission a travaillé dans les meilleures conditions possibles : il n’est donc pas nécessaire d’y renvoyer le texte. Je demande à l’Assemblée nationale de voter contre la motion défendue par le groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. À mon grand regret, je ne voterai pas cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.) En effet, je suis en grande partie en désaccord avec le raisonnement de Marc Le Fur (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe SRC),…

M. Thierry Benoit. Pas moi !

M. Bertrand Pancher. …bien que je sois d’accord avec lui sur un grand nombre d’autres sujets.

On ne peut pas soutenir l’idée que, parce que nous sommes en crise économique, il faut repousser à plus tard la question des engagements environnementaux.

Ma conviction et celle de mon groupe est la suivante…

M. Thierry Benoit. Pas tout le monde dans le groupe !

M. Bertrand Pancher. Par rapport à la crise économique, sociale et environnementale, nous montrons notre incapacité à nous projeter sur le long terme et de gérer de front ces trois crises, qui n’en font qu’une.

La question de la fiscalité environnementale et du financement de nos infrastructures de transport est essentielle. Je reconnais à Marc Le Fur d’être cohérent dans ses propos, qu’il tenait déjà au moment du GrenelleI. On ne peut à la fois demander que le Gouvernement affecte directement le produit de cette taxe aux nouvelles infrastructures de transport – le débat aura lieu à ce sujet et à cet égard, je ne partage pas les arguments du ministre – et en même temps dire que l’on a besoin de moyens et refuser ceux qui entrent dans le cadre d’une vraie stratégie environnementale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Bien sûr.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Il va de soi que nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission. En descendant ces quelques marches vers le micro, après avoir entendu les propos de M. Le Fur, je me demandais si je me trouvais encore au XXe siècle ou si j’étais bien au XXIe(Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Thierry Benoit. Le Fur a raison !

M. François-Michel Lambert. M. Le Fur a présenté un modèle de développement passéiste, faisant référence à une époque révolue. Il serait temps que vous reveniez au temps présent pour réfléchir avec nous à un modèle de société que nous devons développer pour l’avenir de nos enfants et le respect de nos concitoyens.

Reporter ce projet aux calendes grecques…

M. Marc Le Fur. Non, pas aux calendes grecques, le repousser de quelques années.

M. François-Michel Lambert. …contribuerait à empêcher notre pays de se mettre en mouvement et à changer un modèle à bout de souffle, que l’on tient à bout de bras. Je suis atterré par une telle position.

J’invite donc mes collègues à repousser la motion de renvoi en commission afin que nous puissions aborder le fond du débat. J’attends vivement la mise en place de cette écotaxe qui n’a que trop tardé, la responsabilité de ce retard incombant incontestablement à la droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Pour ma part, je suis également atterré par la position de M. Le Fur, pour lequel j’ai par ailleurs beaucoup d’estime et d’amitié. Nous nous retrouvons au moins autour de Jean de la Fontaine… (Sourires.)

Je veux bien admettre l’obstruction de l’ex- majorité…

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas de l’obstruction !

M. Jacques Krabal. …mais sur un sujet aussi important, il n’est pas possible de tenir de tels propos et de changer à ce point d’attitude dès lors qu’elle n’est plus au pouvoir. À un moment où la crédibilité politique est en jeu, et à cet égard, la position du groupe UDI me paraît responsable, de telles postures sont nuisibles. Qu’il y ait des problèmes techniques à résoudre, je n’en disconviens pas, le ministre les a abordés en commission et est prêt à les reconsidérer. Je ne peux cependant souscrire à un tel changement de pied qui participe d’une attitude politicienne que je réprouve. Le renvoi en commission ne se justifie nullement, le président de la commission ayant rappelé que les débats en commission s’étaient déroulés dans le calme et le plus grand sérieux et n’avaient en rien laissé présager un clivage aussi fort que celui qui vient de se manifester.

Le groupe RRDP votera contre le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. En fait de renvoi en commission, il s’agit plutôt d’un renvoi à vos propres responsabilités, messieurs de l’opposition !

Où étiez-vous, monsieur Le Fur, le dimanche 6 mai 2012 ? Nous n’étions pas au même endroit et nous ne partagions certainement pas le même état d’esprit. Mais vous n’étiez pas non plus en train de lire le Journal officiel qui, ce jour-là, promulguait le décret visant à préciser l’ensemble des mesures d’application de l’écotaxe.

M. Hervé Mariton. Il doit y avoir une erreur sur la date.

M. Florent Boudié. Non, monsieur Mariton !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Le décret du 4, publié le 6.

Mme la présidente. Chers collègues, seul M. Boudié a la parole.

M. Florent Boudié. Le décret du 6 mai 2012 était-il plus souple que le projet de loi que nous proposons ? L’article 7 du projet de loi renoncerait-il à certains acquis du décret du 6 mai 2012 ? Non. Ce décret était-il clair, lisible, applicable en l’état ? La réponse est non de l’avis même de la sénatrice UMP Marie-Hélène des Esgaulx qui déclarait devant la commission des finances que le décret était inapplicable, illisible et d’une très grande complexité. Pour notre part, nous avons fait le choix de la justice économique envers les transporteurs routiers en prévoyant un système de répercussion de la taxe.

Il faut donc rapidement adopter cette première fiscalité écologique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Hervé Mariton. Je ne saurais développer avec autant de talent tous les arguments avancés par Marc Le Fur. Le renvoi en commission est justifié par le déroulement même de nos travaux. Après avoir méprisé un certain nombre d’amendements UMP, vous avez vous-même apporté, tardivement, quelques modifications.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est exact !

M. Hervé Mariton. Ce qui nous paraît le plus grave, ce sont les modalités de répercussion de la taxe. Cela étant, notre groupe n’est pas absolument défavorable à la taxe poids lourds, nous l’avions portée et nous pouvons en assumer une part. En revanche, il est invraisemblable d’imaginer de répercuter un impôt qui n’est pas payé. Un tel dispositif n’est pas conforme à la Constitution. L’enrichissement sans cause pose en effet de réelles difficultés de principe. Il est invraisemblable d’imaginer que le chargeur ait à payer non seulement la taxe poids lourds qui lui est répercutée – c’est la logique que nous avions assumée –, mais également la taxe poids lourds qui n’est pas payée, lorsque le transporteur emprunte une route ordinaire, qui n’est pas soumise à la taxe poids lourds, ou une autoroute, qui dans l’état actuel de la directive Eurovignette, ne l’est pas davantage.

Voilà une manière de faire qui défie l’entendement. Vous proposez de répercuter un impôt qui n’aura pas été payé ! Cela ne tient pas debout et défie toute logique, toute cohérence juridique.

En procédant ainsi, et je m’adresse à nos collègues écologistes, vous prenez une responsabilité extrêmement grave à l’égard d’une future fiscalité écologique laquelle posera inévitablement le problème de la répercussion. Si l’on se fonde sur ce premier exemple, en répercutant l’impôt même lorsqu’il n’est pas payé, je ne donne pas cher des constructions techniques, juridiques et économiques qui permettraient de justifier de nouveaux impôts écologiques.

Oui, monsieur le ministre, l’industrie du transport routier est en grande difficulté. Or vous proposez une compensation qui n’est pas digne, une aide qui n’est pas fiable et qui ne tiendra pas. Si les transporteurs routiers ont accepté votre dispositif, je pense que vous les avez leurrés en leur proposant un avantage qui ne tiendra pas. Vous jouez gravement contre l’intérêt de pans importants de l’industrie.

Mme la présidente. Veuillez conclure.

M. Hervé Mariton. Cette décision est grave car vous proposez une construction juridique invraisemblable où les Français auront à payer la répercussion d’un impôt qui n’aura pas été payé initialement. C’est scandaleux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin sur la motion de renvoi en commission :

Nombre de votants 121

Nombre de suffrages exprimés 121

Majorité absolue 61

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bertrand Pancher, premier orateur inscrit.

M. Bertrand Pancher. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je déplore que l’examen d’un texte très technique prenne un tour politique. Il faut reconnaître, monsieur le ministre, que vous y êtes allé un peu fort dans vos prises de position. Avec peu de lessive, vous vous êtes évertué à faire beaucoup de mousse. Vos grandes déclarations sur la grande politique de transport que vous voulez mener, acceptons-en l’augure. Mais, pour le moment, il y a très loin de la coupe aux lèvres. Nous verrons si vos engagements et les moyens seront au rendez-vous. En tout état de cause, si vous vous en étiez tenu à des considérations techniques, nous n’en serions pas là.

La position du groupe UDI n’a pas varié. Nous sommes favorables au texte, même si des questions demeurent.

L’intérêt du texte réside surtout dans la taxe poids lourds et ses modalités d’application. Nous aurions pu éviter ce débat, car j’ai du mal à comprendre que le problème n’ait pas été réglé par un autre décret. France nature environnement nous avait alertés sur ce sujet. Cela aurait peut-être évité une remise en cause aussi frontale.

Le groupe UDI souscrit évidemment au choc de simplification que vous voulez engager par le biais des trente-six articles du projet. Mais la technicité des articles qu’il contient ne saurait conduire à reporter les réformes structurelles qui doivent être menées dans le secteur des transports. Comment ne pas être inquiet eu égard au déficit structurel de 3 milliards d’euros par an du transport ferroviaire – les responsabilités sont collectives dans ce domaine – et quant au financement des infrastructures de transport ? Quelles sont les ressources supplémentaires pour le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport en France, l’AFITF sans lesquelles nous assisterons au gel de tous les projets nouveaux.

S’agissant du transport maritime, les solutions proposées devraient permettre de régler des problèmes identifiés de longue date. L’article 15 accélère la déchéance de propriété des bateaux ; cela va dans le bon sens. Votre article 23 fait un pari audacieux : celui d’appliquer les conditions sociales de l’État d’accueil aux navires qui viendront effectuer une prestation de services dans les eaux françaises. Nous saluons cette disposition tout en vous souhaitant bonne chance pour la défendre à Bruxelles.

J’orienterai la fin de mon propos sur la mesure phare de ce texte : la mise en œuvre de la taxe poids lourds.

Permettez à l’un des rapporteurs de la loi Grenelle de revenir sur les événements qui ont conduit à l’adoption à la quasi-unanimité des membres de cet hémicycle de l’engagement n° 45 du Grenelle de l’environnement.

Son principe a été entériné en 2008, l’objectif étant de faire payer aux poids lourds l’usage d’une grande partie du réseau routier national pour certaines catégories de véhicules et certaines routes. Nous étions et nous sommes encore particulièrement attachés à cette mesure dont je tiens à rappeler le sens : contribuer à éviter la catastrophe du réchauffement climatique.

M. Laurent Furst. Zéro utilité !

M. François-Michel Lambert. Pensez, mes chers collègues, que dans vingt ou trente ans, nos enfants nous diront : vous avez agi pour réduire les déficits de l’État mais contre le réchauffement climatique, qu’avez-vous fait ?

M. François-Michel Lambert. Rien !

M. Bertrand Pancher. Je rappellerai quand même à quelques collègues encore incrédules que la Banque mondiale a souligné dans son rapport, lors de la dernière conférence internationale sur le réchauffement climatique, qu’il y avait 20 % de probabilité de dépasser les quatre degrés d’augmentation de température, ce qui n’est quand même pas rien !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable. Écoutez donc Bertrand Pancher, chers collègues de l’opposition !

M. Bertrand Pancher. Les écolo-sceptiques, il n’en existe plus.

M. François-Michel Lambert. Si, il y en a encore, sur les bancs de l’UMP !

M. Bertrand Pancher. Nous avons un vrai devoir : nous engager dans la transition énergétique et nous donner les moyens de le faire.

M. Laurent Furst. Ça ne sert à rien !

M. Florent Boudié. Soyez un peu responsables !

M. Bertrand Pancher. Cela passe notamment par la mise en place de mesures qui concernent les transports, particulièrement les transports de demain. Le reste, c’est de la littérature. Jamais je ne m’engagerai dans une autre direction que celle-ci.

Les problèmes sont là. Le bilan carbone des transports tend à se dégrader : les déplacements s’intensifient et, malgré nos efforts, il n’y a pas suffisamment de report modal, la route continuant à gagner des parts dans le transport de marchandises par rapport au ferroviaire, passé de 15 % à moins de 10 %.

C’était tout le sens de cette écotaxe que de favoriser le report modal : son fruit – environ 850 millions d’euros net par an pour l’État – devait soutenir le développement des infrastructures de demain, comme la loi le précisait. Vous aurez remarqué que j’ai employé l’imparfait, monsieur le ministre, je vais vous expliquer pourquoi.

Vous nous avez demandé de travailler sur les priorités en matière de grandes infrastructures dans le cadre de la commission animée par notre collègue Philippe Duron. Je n’entrerai pas dans les détails même si, monsieur le ministre, j’ai été un peu surpris de vous entendre dire que pour faire suite à ses conclusions tels moyens seraient affectés à tels types d’action. Je soulignerai seulement un fait frappant : toutes ces grandes infrastructures ne sont financées que par le budget de l’AFITF, doté de 2,3 milliards d’euros par an, alors que celui-ci – c’est un secret de polichinelle – est consommé jusqu’en 2023 pour rembourser divers engagements et assurer le financement de la première partie du Lyon-Turin.

J’ai toujours cru – c’était un engagement de la loi Grenelle – que l’affectation de la taxe poids lourds allait nous permettre d’engager des projets nouveaux. Or j’apprends que vous devriez retirer son équivalent de la dotation versée par l’État au budget de l’AFITF. Est-ce vrai, monsieur le ministre ? Si tel est bien le cas, cela voudrait dire que les dispositions que nous avons prises dans la loi Grenelle I pour augmenter les moyens consacrés aux infrastructures de transport ne seront pas suivies d’effets.

Dans ces conditions, beaucoup de mes collègues, y compris de mon propre groupe, se demandent s’il ne vaudrait pas mieux renoncer à cette taxe car sa logique est dévoyée. Nous avons menti aux transporteurs et aux organisations environnementales. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous éclairerez sur ce point.

En outre, le mécanisme de répercussion de cette écotaxe soulève beaucoup d’interrogations. Vous avez fait le choix d’une majoration forfaitaire et la déconnexion de son montant du coût réel pose question – je m’accorde sur ce point avec certains orateurs du groupe UMP. Ce mécanisme semble inadapté aux sociétés qui effectuent du transport pour compte propre. Or de nombreuses entreprises sont concernées, notamment les coopératives agricoles agroalimentaires qui vont utiliser le réseau taxé dans le cadre de leurs tournées de livraison.

M. Marc Le Fur. Nous sommes d’accord.

M. Bertrand Pancher. Afin d’éviter toute rupture d’égalité entre transporteurs, ces entreprises devraient pouvoir répercuter également la taxe et nous défendrons des amendements en ce sens. En réalité, vous avez construit l’application de cette disposition uniquement avec la principale fédération des transporteurs, la FNTR, et avez négligé les autres. Ainsi, TLF estime qu’il n’a pas été tenu compte de ses observations. Cette disposition fera l’objet de recours en inconstitutionnalité et j’espère, monsieur le ministre, que vous avez pris toutes les garanties nécessaires en ce domaine.

Certains de mes collègues défendront des amendements visant à appeler votre attention sur certains secteurs. Ainsi, Thierry Benoit vous alertera sur les spécificités économiques de la Bretagne, dans la continuité du Grenelle.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bertrand Pancher. Enfin, vous le savez, la situation du transport routier en France est dramatique. Elle exige des mesures qui permettraient aux transporteurs d’être plus compétitifs. Le coût de l’heure de conduite reste bien moins élevé en Allemagne qu’en France, ce qui engendre beaucoup de difficultés.

Vous avez fait part des réflexions menées au plan européen. Il y en a également beaucoup à mener au plan national car il existe un problème spécifique à la réglementation sociale française.

J’espère que nos échanges sur ce projet de loi nous permettront, par leur qualité, de répondre à certaines questions et que seront pris en compte des amendements qui nous paraissent légitimes.

Mme la présidente. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la loi que nous allons voter est, je n’en doute pas, d’importance et dépasse largement le cadre de la filière transport.

Mais le transport est-il une filière économique ? Non. L’activité transport est une activité support, une activité de service. Ainsi, le transport de voyageurs est avant tout un service qui permet au citoyen de se rendre d’un point à un autre dans le cadre de sa propre activité – déplacements domicile-travail, loisirs. Sans doute ma définition ne plaît-elle pas trop à la droite mais je ne me priverai pas de la répéter. Plus encore, le transport de marchandises – sujet que M. Le Fur a abordé tout à l’heure et qu’il devrait mieux connaître…

M. Marc Le Fur. Je le connais un peu !

M. François-Michel Lambert. …n’apporte qu’un support à l’activité industrielle et marchande. Ce n’est pas une filière en elle-même, c’est un service destiné à mettre en relation les acteurs économiques, les producteurs, les consommateurs, dans la logique de l’optimisation la plus forte possible.

On le voit, les enjeux de transports sont intimement liés à l’aménagement du territoire. Notre pays a laissé filer la maîtrise spatiale des territoires avec l’étalement urbain. Habitations dispersées et lotissements déstructurants ont entraîné un zonage en rupture avec la mixité socio-économique. L’éloignement entre zones commerciales de périphérie, zones de loisirs, zones d’habitats a engendré des déplacements inutiles. Pensons encore à ces entrepôts logistiques, qui ont surgi de-ci de-là sans être connectés au réseau ferroviaire, obligeant à adopter des réponses uniquement routières.

Pour tout ceci, la France paye le prix fort.

D’abord, en termes de santé. Il y a encore trop de tués sur nos routes alors que certains ne peuvent pas faire autrement que de prendre leur voiture le matin pour aller au travail. Il y a – chiffre terrifiant – plus de 20 000 morts par an liées aux particules fines, principalement issues du diesel – et il faudra se poser la question, monsieur le ministre, du rapprochement des taxes sur le diesel et sur l’essence dans la prochaine loi de finances.

M. Marc Le Fur. Mais non !

M. François-Michel Lambert. Venez donc dans ma circonscription expliquer aux malades et à ceux qui pleurent leurs morts que la pollution de l’agglomération Aix-Marseille n’est pour rien dans ces décès prématurés. C’est six à neuf mois d’espérance de vie en moins !

M. Julien Aubert. On n’est pas dans Germinal !

M. François-Michel Lambert. Vous semblez dire que c’est secondaire, monsieur Mariton. J’en prends bonne note.

M. Hervé Mariton. Mais ce n’est pas moi !

M. François-Michel Lambert. Pour une fois…

Ce prix fort que la France paye, il se mesure aussi en termes d’impact sur l’environnement. La croissance démentielle des routes et des parkings stérilise des milliers et des milliers d’hectares, affectant définitivement notre biodiversité, donc notre avenir.

Les transports sont la deuxième source d’émissions de gaz à effet de serre. Nous en souffrons aujourd’hui car nous ne savons pas remettre en cause, structurellement, leur croissance. Il faut agir pour éviter les quatre degrés et nous limiter à deux degrés.

En outre, ils ont contribué à fragiliser notre économie. Leur modèle économique adossé au pétrole peu cher les place chaque jour dans la crainte d’un enfièvrement des prix du pétrole, donc d’un dérapage du prix des carburants.

Il s’agit surtout d’un système fondé sur une économie linéaire : rapatrier des ressources provenant d’autres continents, à moindre coût – la baisse des coûts servant parfois simplement à maintenir un système à bout –, pour rejoindre quelques pôles de consommation et de production avant de les jeter. Ce n’est pas un système durable, nous devons en sortir.

Cette analyse nous montre combien la capacité à peser sur les enjeux liés aux transports passe avant tout par la remise en cause de notre modèle économique.

Dans cette perspective, je me réjouis de l’annonce faite la semaine dernière par Delphine Batho d’une loi-cadre sur l’économie circulaire d’ici à la fin de l’année. Rappelons que l’économie circulaire est fondée sur une logique de proximité, mêlant circuits courts et moindre consommation. Elle conduit à diminuer l’intensité du transport de marchandises et à découpler la croissance du PIB de l’accroissement de la consommation des ressources et de l’alourdissement de l’impact environnemental. Il est donc primordial de passer à ce modèle. Félicitons-nous de l’initiative de la ministre de l’écologie !

Au-delà, il s’agit d’insister sur la nécessité d’organiser le territoire pour diminuer les besoins de déplacements. Ils ne doivent qu’être un moment de plaisir et non plus un moment subi. La loi relative au logement et à l’urbanisme de Cécile Duflot, les lois de décentralisation de Marylise Lebranchu vont permettre de densifier, de coordonner, de responsabiliser les territoires pour préparer la France aux défis auxquels nous devons faire face, ceux de la raréfaction des ressources, en premier lieu du pétrole.

C’est à partir de ces principes que nous devons aborder ce projet de loi, monsieur le ministre.

Dans la perspective de l’aménagement du territoire, nous soutenons pleinement l’article 24 proposant un schéma national directeur de la logistique afin d’optimiser les flux de marchandises, d’accentuer la part du transport ferroviaire, fluvial et maritime, de réduire les impacts et de rendre le système économique plus fort, plus robuste, plus efficace. Tarte à la crème, je vais encore citer l’Allemagne qui a mis en place en 2008 un master plan logistique qui donne des résultats très probants. C’est une grande satisfaction de voir un tel schéma inscrit dans le texte.

Il importe aussi de redonner des moyens aux collectivités territoriales…

M. Marc Le Fur. Les moyens aux collectivités territoriales, c’est mal parti !

M. François-Michel Lambert. …pour construire un réseau alternatif à la route afin de leur permettre d’être en phase avec leur politique de développement et d’aménagement. Le groupe écologiste a déposé un amendement en ce sens – je note que la droite le soutiendra.

Il importe encore de faire supporter ses coûts réels au transport routier. La prise en compte des externalités est un combat de longue date des écologistes, vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues. Ils plaident depuis longtemps pour cette écotaxe poids lourds dont les recettes seraient affectées au développement de modes de transports alternatifs à la route.

À cet égard, le groupe écologiste repoussera toute exception à cette taxe, y compris pour le secteur public. Nous sommes assez réservés sur la modération proposée pour les régions périphériques.

M. Marc Le Fur. C’est bien noté !

M. François-Michel Lambert. C’est aussi pour cela que le groupe écologiste se montre exigeant sur l’affectation de cette écotaxe aux projets alternatifs à la route, je le dis et je le répète.

Le plafonnement de l’écotaxe à 7 % nous semble être une limite contraignante à l’action des pouvoirs publics de nature à permettre à aller de l’avant dans la mise à niveau des vrais coûts. Pour garantir un niveau de collecte suffisant au financement des transports alternatifs, le groupe écologiste propose de relever le plafond à 10 %, de manière à anticiper ce que nous souhaitons tous ici, la baisse des transports inutiles, donc la baisse de recettes qui s’ensuivraient.

Pour dépasser les schémas un peu psychorigides habituels et faire émerger des réponses novatrices alternatives à la route, les écologistes proposent de renforcer la place du vélo dans la ville. Rien de révolutionnaire à cela : il s’agit simplement de rattraper de nombreux pays européens.

En ce sens, nous pensons que le transport guidé par câbles constitue une alternative efficace, adoptée par de plus en plus de villes dans le monde.

Je tiens à souligner que deux des leaders mondiaux du transport par câble sont français : voilà donc du made in France, qui crée de l’emploi local !

M. Hervé Mariton. Pour être précis, ils sont dauphinois !

M. François-Michel Lambert. Merci de l’avoir rappelé !

Monsieur le ministre, il est important de créer aujourd’hui une dynamique et une ouverture avec cette loi, afin de permettre l’innovation dans d’autres formes de transports.

J’en viens maintenant à ce qui nous anime tous, pour mettre notre pays sur le chemin du développement durable. Tout d’abord, sur le plan de l’environnement, il faut préserver la biodiversité et réduire très fortement les émissions de gaz à effet de serre, dont nous avons évoqué les impacts.

M. Jean-Marie Sermier. On est loin des quotas !

M. François-Michel Lambert. Ensuite, sur un plan social, j’ai déjà expliqué que moins de bruit, moins d’accident, moins de pollution – notamment aux particules fines – causeront moins de morts.

Enfin, sur un plan économique, nous devons changer notre modèle de développement pour un modèle de proximité, fondé sur l’économie circulaire. Ce modèle économique créera de l’emploi, beaucoup d’emplois, bien plus d’emplois que ne le permettrait le maintien d’un système à bout de souffle. Les chiffres publiés il y a quelques semaines le prouvent : nous enregistrons une croissance de 6 % de l’emploi dans les filières de l’économie verte.

M. Martial Saddier. Combien d’emplois cela représente-t-il en valeur absolue ?

M. François-Michel Lambert. Il faudra prendre le temps d’y réfléchir. S’arc-bouter sur un système passéiste et à bout de souffle n’est absolument pas le message que nous voulons adresser, ni le modèle que nous devons donner à nos concitoyens. Des centaines de milliers d’emplois peuvent être créés dans un autre modèle.

Je vous invite donc, en adoptant cette écotaxe, à changer de logique concernant le développement de notre pays, en orientant ce dernier dans le sens du développement durable. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. Jean-Marie Sermier. Changez donc votre vision du transport routier !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir a un objectif que nous partageons tous : il vise à renforcer la prise en compte du développement durable, la lutte contre les risques écologiques et la protection des salariés dans le code des transports.

Ne nous ne le cachons pas, le cœur du projet de loi correspond aux dispositions relatives à la mise en œuvre, complexe, coûteuse et laborieuse de la fameuse écotaxe poids lourds.

Je vous concède, monsieur le ministre, que ce n’était pas simple, car l’héritage était lourd ; vous avez eu du travail pour changer les dispositions malheureuses prévues dans le décret sorti la veille de l’élection présidentielle.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Oh oui !

M. Jacques Krabal. Cette écotaxe devrait s’inscrire dans l’édifice encore à bâtir d’une fiscalité écologique vertueuse, afin de changer les comportements des acteurs économiques et de nos concitoyens.

Elle fut votée à l’unanimité lors des débats sur le Grenelle de l’environnement ; et aujourd’hui, rares sont les députés qui s’aventurent à la renier. Permettez-moi de rappeler une conviction à laquelle je suis attaché et qui me semble indispensable en ces temps troublés : au-delà des clivages partisans et des changements de majorité, il est de notre responsabilité de respecter notre parole d’élu.

Cela dit, les députés du groupe RRDP membres de la commission du développement durable ont déposé six amendements pour perfectionner encore l’application de ce texte. J’espère que nos débats nous permettront de prendre en compte ces modifications.

Les autres parties du texte sont principalement des clarifications juridiques des règles de droit, avec la transposition de directives et de règlements européens. Concernant les transports maritimes, ces ajustements juridiques devraient améliorer la sécurité à bord des navires, la protection de l’environnement et le renforcement des contrôles. Globalement, ce texte participera à l’évolution souhaitable vers des transports plus efficaces et moins polluants, indispensables pour une transition écologique de notre économie.

Monsieur le ministre, nous vous l’annonçons d’emblée, les députés du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste saluent votre travail. Sachez d’ores et déjà que nous ne mégoterons ni ne négocierons notre soutien et notre vote.

Venons-en au cœur du texte, c’est-à-dire au mécanisme de majoration des prix du transport pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds. Rappelons-nous tout d’abord le travail effectué par l’ensemble des parties prenantes du Grenelle de l’environnement – associations, ONG, experts, parlementaires, acteurs économiques. Comment pourrions-nous oublier cela ?

À l’origine, l’écotaxe poids lourds était le fruit d’un engagement collectif et unanime de la part des parlementaires comme de la société civile. C’était la belle époque, une époque pas si lointaine où l’ensemble de nos collègues de droite avaient encore des convictions écologiques affirmées ! Aujourd’hui, permettez-moi de vous dire, sans le moindre esprit polémique, que les masques tombent ! Croyez bien que j’en suis peiné, car ce n’est pas avec plaisir que je note ce changement d’attitude. Nous avons en effet besoin de tous pour nous engager dans le développement durable.

Au groupe RRDP, nous nous réjouissons des efforts effectués pendant le Grenelle pour la transformation écologique de notre société, et nous comptons bien les prolonger au cours des prochaines années, conformément aux engagements du Président de la République.

L’engagement du Grenelle était que la prise en compte de cette écotaxe dans le tarif des transports serait à la charge des utilisateurs, selon le principe de l’utilisateur-payeur, afin de préserver la compétitivité de nos transporteurs routiers. Restait à savoir comment organiser les modalités du mécanisme de répercussion.

Je ne reprendrai pas les critiques fortes émises contre l’ancien décret, l’article 7 du présent projet de loi le remplaçant avec bonheur. Ce n’était pas simple, et le dispositif proposé n’est certes pas parfait, nous en sommes bien conscients ; nous espérons qu’il pourra être encore amélioré.

Les contraintes étaient lourdes mais, en concertation avec les acteurs sociaux professionnels, vous êtes parvenus à la majoration forfaitaire et au moins mauvais compromis possible, comme disent certains.

Nous avons tous entendu les craintes exprimées par les coopératives, les grossistes, les déménageurs, les entreprises qui font du transport en compte propre, et les élus qui anticipent des reports sur certaines routes.

Au cours des débats parlementaires dans les différentes commissions, à l’Assemblée comme au Sénat, des amendements successifs ont été adoptés pour prévoir, puis pour compléter, le fameux rapport d’évaluation du mécanisme de majoration. Aujourd’hui, dans le texte que nous étudions, ce rapport représente plus de la moitié de cet article 7 !

À ce propos, je tiens à souligner l’apport décisif de mon collègue Joël Giraud en commission des affaires économiques, ainsi que Fabrice Verdier, notre rapporteur pour avis, l’a souligné. Par un sous-amendement adopté à l’unanimité à un amendement du rapporteur pour avis, il a imposé pour ce rapport l’avis des comités de massif concernés pour évaluer les reports de trafic. N’oublions pas que les comités de massif élaborent le schéma interrégional des massifs : ils doivent donc avoir leur mot à dire ! C’est à cela que l’on reconnaît la patte d’un élu de montagne chevronné.

Ce rapport apporte ainsi une réponse aux craintes légitimes liées à l’application de l’écotaxe poids lourds ; les évaluations seront nombreuses. Autant vous dire, monsieur le ministre, que ce rapport sera étudié à la loupe. Quoi qu’il en soit, nous vous faisons confiance pour faire évoluer le dispositif si les craintes se révélaient justifiées.

Par ailleurs, les députés RRDP membres de la commission du développement durable considèrent que nous pouvons encore améliorer la rédaction du texte de l’article 7. Nous vous proposerons donc plusieurs amendements.

Un premier amendement aura pour objet de conditionner l’application de la majoration forfaitaire au paiement de l’écotaxe par le transporteur. Il nous paraît plus simple en effet de ne pas prévoir la majoration du prix des transports s’il est incontestable qu’aucune taxe n’a pu être acquittée par le transporteur.

Nous présenterons également un amendement pour les transporteurs utilisant les reports modaux. Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi pourrait avoir pour conséquence de désavantager les services multimodaux, qui sont en concurrence directe avec les services exclusivement routiers. Ainsi, il pourrait aboutir à des effets inverses à ceux recherchés. Compte tenu de l’incidence minime – de l’ordre de 2 % – sur le produit de l’écotaxe, il nous a semblé opportun de ne pas créer cette distorsion de concurrence.

Enfin, il existe un débat sur la taxe à l’essieu. Nous vous proposerons deux amendements, un premier pour la supprimer, et un deuxième, de repli, pour demander un rapport d’évaluation sur son articulation avec l’écotaxe poids lourds. Certes, le réseau routier est strictement délimité pour l’écotaxe poids lourds ; certes, la taxe à l’essieu ne s’applique qu’à partir de douze tonnes ; et ce n’est certainement pas le meilleur moment pour diminuer les recettes de l’État. Mais il nous semble que cela fait peser un véritable risque juridique de double taxation pour le même objet.

Concernant les autres aspects de ce texte, je souhaite dire quelques mots de la protection des conditions de travail françaises sur les navires qui naviguent dans les eaux territoriales nationales. Ce texte va sur les crêtes du respect du droit issu de l’Union européenne pour faire face à la concurrence déloyale et au dumping social des armateurs étrangers. C’est un premier pas nécessaire pour sauvegarder l’emploi maritime, même si nous savons que cela ne suffira pas. En effet, dans le secteur des transports, comme dans les autres secteurs, nous ne parviendrons pas à une concurrence équitable sans une Europe sociale digne de ce nom.

Dans cette attente, permettez-moi de vous dire au nom du groupe RRDP – je pense notamment à mon collègue de la commission du développement durable Olivier Falorni – que nous saluons et soutenons les efforts déployés par le Gouvernement pour protéger l’emploi maritime et réduire ces distorsions de concurrence à l’intérieur de l’Union européenne qui minent notre économie.

Enfin, ce texte apporte des améliorations juridiques significatives et des réponses concrètes aux difficultés administratives qui pèsent sur l’organisation et la gestion des professionnels du transport. Ces professionnels vous en sont reconnaissants car ils attendaient ces adaptations parfois depuis longtemps.

À ce propos, je voudrais rappeler l’attachement des députés RRDP à la simplification des procédures administratives pour nos entreprises. Des efforts doivent encore être accomplis dans ce domaine. Trop souvent, ces règles connaissent dans leur environnement législatif et réglementaire des changements difficiles à suivre. La sécurité juridique suppose la stabilité, l’intelligibilité, l’applicabilité et l’accessibilité de la norme.

Ce texte améliore donc la sécurité juridique ; c’est une demande forte à laquelle nous avons la responsabilité de répondre à chaque fois que nous légiférons.

En conclusion, si les élus ne croient plus au grand soir fiscal, nous croyons cependant que l’acceptabilité de l’éco-fiscalité ne sera possible qu’à partir du moment où elle sera perçue non comme un impôt de plus, mais comme un impôt à la place d’un autre.

Il faut ouvrir la voie vers un changement des comportements, mais nous ne pouvons pas pour autant ajouter constamment de la fiscalité à la fiscalité, car le pouvoir d’achat des ménages s’effrite et nos entreprises perdent leur compétitivité.

La Fontaine disait dans la fable Le renard et le bouc : « En toute chose, il faut considérer la fin ». Mes chers collègues, prenons garde de ne pas oublier les finalités d’une bonne éco-fiscalité : elles doivent s’engager complètement en faveur du développement durable et du respect de notre environnement.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, M. Patrice Carvalho devait intervenir au nom du groupe GDR. Toutefois, des problèmes de santé le tenant encore éloigné de notre hémicycle, j’interviens ici en tant que suppléant.

Étant un ancien membre de cette belle commission du développement durable, et considérant mon implication sur la question des transports en tant que membre de la commission Mobilité 21, c’est avec intérêt que j’ai examiné le projet de loi qui nous est soumis.

Il peut paraître assez technique ; il n’en revêt pas moins une importance particulière dans une démarche engagée vers la transition écologique, à travers notamment le report modal du transport routier vers d’autres moyens de transports plus respectueux de l’environnement. « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat », disait Aragon.

Ce texte a pour ambition de commencer à rendre concrets les engagements du Grenelle de l’environnement, notamment la mise en place de l’écotaxe poids lourds.

Il est soumis à la procédure d’urgence, comme le sont d’autres, de plus en plus nombreux. Une fois de plus, cela contribue à dévaloriser le travail parlementaire et à en limiter la richesse et la qualité – même si je n’ignore pas que l’écotaxe poids lourds est soumise à un calendrier puisque sa mise en œuvre est prévue pour le 20 juillet, et que les entreprises doivent disposer du temps nécessaire pour s’y préparer.

Ce projet a le mérite d’apporter des clarifications et des précisions à la législation existante, de renforcer les capacités de contrôle de la puissance publique en matière de transport maritime et de permettre enfin la mise en place de l’écotaxe poids lourds votée en 2009.

Pour autant, il avait été prévu, lors du Grenelle de l’environnement, que les modes de transport alternatifs à la route devraient représenter 25 % du fret à l’horizon 2025. Nous sommes encore très loin du compte. Mais comme nous n’aurons pas de grand soir, il nous faut bien des petits matins. L’écotaxe poids lourds en est un. Elle a pour objet d’inciter au report modal dans la mesure où il ne concerne que peu ou pas le transport de proximité mais avant tout les longs transports routiers, ceux qui sont les plus polluants et les plus accidentogènes.

Mais pour que le report modal s’effectue, encore faut-il que les autres moyens de transports soient effectifs. La prééminence de la route dans le transport des marchandises ne connaît pas de véritable remise en cause. La tentation du « tout routier » est toujours bien réelle. Elle se déploie au détriment du rail, du ferroutage et du fluvial.

Ainsi, le transport routier assure près de 90 % du transport des marchandises et, malgré la hausse continue du prix du pétrole, le fret ferroviaire a reculé en France de près de 40 %, passant de 57 milliards de tonnes-kilomètre en 2000 à 34 milliards en 2011.

Dans le même temps, la part du transport combiné ferroviaire a diminué de 70 % environ. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la route représente 94 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.

Nous avons pris beaucoup de retard dans le développement de la voie d’eau, quand nos partenaires européens dotés d’un patrimoine fluvial aussi important que le nôtre ont développé le grand gabarit. En France, le transport fluvial représente 7,5 milliards de tonnes-kilomètre contre 64 milliards en Allemagne, 45 milliards aux Pays Bas et 8,75 milliards en Belgique.

De ce point de vue, le report du canal Seine-Nord Europe, ce maillon manquant reliant notre pays au réseau fluvial européen, est dommageable, même si nous avons bien compris que le financement prévu et mal ficelé impliquait ce report. Il faudra cependant, quand les conditions seront réunies, mener à bien ce projet sans lequel le report modal ne serait qu’une imprécation.

Ce dossier est d’ailleurs emblématique si nous considérons l’engorgement de l’autoroute A1 et l’urgence d’agir pour développer les modes de transports alternatifs au rang desquels figure le transport fluvial.

Nous savons bien pourquoi le « tout routier » a été favorisé. La stratégie des entreprises pour éviter les stocks et développer le « juste à temps » a encouragé à privilégier la route qui garantit la livraison de porte à porte avec une réactivité assurée.

Mais ce qui est économisé à un bout de la chaîne se paie à l’autre bout, en termes de dégradation environnementale, de dangerosité de la route, de conséquences sanitaires, de conséquences en termes investissements et en entretien et, bien évidemment, en consommation énergétique.

Certes, le transport routier demeurera indispensable. Les clients sont nombreux, les lieux de livraison dispersés et, bien sûr, ni le train, ni la péniche ne déposeront ces marchandises à la porte de l’entreprise. Mais, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, l’avenir réside dans ce que l’on appelle la multimodalité.

Le rail et le fleuve peuvent délester le réseau routier d’une part importante des camions qui le sillonnent chaque jour, le transport routier n’intervenant qu’à la fin de la chaîne de livraison. Ce projet de loi doit marquer un pas dans la direction de cette complémentarité.

Le développement des autoroutes ferroviaires permet de parcourir de grandes distances, sans rupture de charge, améliore la rapidité et la sécurité des trajets, mais il exige une activité de fret de proximité avec l’utilisation du wagon isolé pour que le transport par rail ne soit pas réservé aux seules grandes entreprises capables d’affréter un train entier.

Néanmoins, il faut bien constater que les axes de développement fixés par la SNCF ne vont pas dans cette direction. Le wagon isolé représente 42 % du volume du fret ferroviaire et recèle un important potentiel de développement. Telle n’est pourtant pas l’orientation envisagée puisque cette activité est condamnée à diminuer. Quant aux velléités de substitution au fret assuré par la SNCF, il faut bien convenir que les opérateurs ferroviaires de proximité n’ont pas réussi à atteindre l’objectif recherché.

Nous avons donc un problème puisque nous débattons d’un projet destiné notamment à commencer à organiser le report modal, mais, dans les faits, ceux qui sont censés y contribuer prennent des dispositions contraires.

Intéressons-nous à la voie d’eau. Quelques données chiffrées méritent d’être rappelées. En moyenne, un convoi fluvial, soit deux péniches, transporte 5 000 tonnes de marchandises. C’est autant que cinq trains complets et que 250 camions. En outre, il consomme 3,7 fois moins de carburant que la route et pollue quatre fois moins.

En termes de coût, le prix moyen d’une tonne de marchandises transportée sur 350 kilomètres revient à 12 euros sur une péniche à grand gabarit et à 21 euros par camion. Est-il besoin d’en dire davantage pour montrer que ce mode de transport doit être développé ?

Mais, là encore, nous sommes devant de singuliers paradoxes. J’ai évoqué le report du canal Seine-Nord Europe. Or dans la dernière loi de finances, 128 postes ont été supprimés au sein de Voies navigables de France et nous ne sommes pas du tout certains que soit respecté l’engagement de financer nos voies navigables à hauteur de 840 millions d’euros. Il est urgent de mettre en correspondance les intentions et les actes.

M. Jean-Marie Sermier. Très bien !

M. André Chassaigne. J’en viens à présent au cœur de ce projet de loi : l’écotaxe poids lourds.

Depuis l’adoption du principe de cette taxe, il était prévu que les transporteurs puissent la répercuter sur le chargeur. Mais les modalités de cette répercussion définies dans un décret de l’ancien gouvernement étaient tellement complexes qu’elles la rendaient difficile voire impossible à appliquer. Ce fut l’objet d’un échange quelque peu animé il y a quelques minutes.

Le présent projet de loi vise à simplifier les choses, en fondant le dispositif sur une majoration du coût de transport différenciée selon les régions. Toutefois, monsieur le ministre, il sera nécessaire de nous préciser les modalités de ces dispositifs qui doivent être fixées par arrêté et qui, pour le moment, sont assez floues, voire exigent quelques inflexions.

Second élément d’appréciation positive : l’affectation des recettes au financement du rééquilibrage modal. Moins positive est sa mise en œuvre par un partenariat public privé.

L’ancien gouvernement avait décidé de la confier à la société Ecomouv’, filiale d’Autostrade per l’Italia, qui opérera donc un prélèvement de 230 millions d’euros sur les recettes de la taxe qui devrait s’élever à 1,2 milliard d’euros. Voilà qui se révèle particulièrement coûteux pour la collectivité. Il aurait été plus judicieux de s’en remettre au secteur public et de confier cette tâche au service des douanes.

J’ajoute que cette écotaxe ne saurait suffire à tout pour réussir le report modal. Nous en reparlerons sans doute.

Par ailleurs, le secteur du transport routier bénéficie de dispositions fiscales qu’il conviendrait de remettre à plat. Elles ont concouru au « tout routier ». Je pense en particulier aux exonérations de taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui coûtent chaque année 330 millions d’euros au budget de l’État.

Sont également posées les conditions de travail dans le secteur routier. Leur encadrement est fixé, pour l’essentiel, à l’échelon européen. La France doit s’engager à soutenir au plus haut niveau l’exigence d’une harmonisation sociale par le haut. Est-ce l’un de vos chantiers, monsieur le ministre ?

En ce qui concerne les dispositions relatives au secteur maritime, les articles concernant les navires abandonnés, la clarification des procédures applicables en matière de constitution du fonds de limitation imposée au propriétaire en cas de marée noire ou encore les visites de navires et l’enquête nautique sont utiles et n’appellent pas de remarques particulières.

Je m’attarderai, en revanche, sur l’article 23 qui concerne la régulation du cabotage maritime national.

Mme la présidente. C’est bien sûr votre conclusion, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Bien sûr !

Mme la présidente. Alors tout va bien !

M. André Chassaigne. J’ai déposé plusieurs amendements sur cette question, en particulier concernant le problème de la Corse puisque la compagnie Corsica ferries avait raflé à la SNCM les deux tiers du trafic vers la Corse à des prix cassés. L’enregistrement sous le pavillon du premier registre français assure un haut niveau de garanties en matière de sécurisation et de droit des salariés. J’aurai l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements.

J’en viens à ma conclusion.

Mme la présidente. En une phrase !

M. André Chassaigne. Il est urgent que la France porte au niveau européen l’exigence d’une législation commune et de la création d’un pavillon européen équivalent au pavillon français de premier registre avec la garantie d’une haute protection sociale aux gens de mer. C’est à ce niveau-là qu’il faut situer le débat car la filière maritime française en dépend. Sur ce point, l’article 23 du présent projet de loi n’est pas à la hauteur de ces exigences, d’où les amendements que nous avons déposés.

En l’état actuel du texte, nous attendons des éclaircissements et des améliorations notoires pour que notre appréciation globalement positive effectue sa mue vers un vote simplement favorable

Mme la présidente. Voilà qui est clair !

M. André Chassaigne. Enfin, je citerai René Char : « L’inaccompli bourdonne de l’essentiel ».

Mme la présidente. Il eût été dommage de se priver de René Char !

La parole est à M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, Il ne faut jamais se fier aux apparences, car si nous sommes devant un texte d’apparence technique, parfois même assez ardu, relativement resserré puisqu’il compte moins de 30 articles, il n’en demeure pas moins qu’il propose des mesures innovantes pour le transport ferroviaire, maritime et routier.

Il ne faut jamais se fier aux apparences, disais-je, et l’opposition n’échappe pas à cette règle puisque le renvoi en commission était une motion en mystification. Son but était de remette en cause son propre travail, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Prenons l’exemple très longuement évoqué ce soir de l’écotaxe poids lourds qui constitue l’objet central du projet de loi.

La précédente majorité parlementaire en a adopté le principe en 2009.

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Florent Boudié. Elle a pris la responsabilité – et notre groupe l’avait alors suivie, à un large consensus – d’instaurer cette nouvelle taxation. À l’époque, elle a fortement argumenté pour expliquer, à juste titre, son projet qui était aussi le nôtre. Et voilà que l’opposition vous donne chers collègues – pardon de le dire – des vertus nouvelles, des vertus fulgurantes.

Après dix mois passés sur les bancs de l’opposition, vous traînez donc des pieds. Vous ne souhaitez plus appliquer le principe de l’écotaxe.

M. Martial Saddier. Je vous expliquerai !

M. Florent Boudié. Vous vous livrez à un exercice périlleux et fallacieux. Dois-je rappeler les termes de la loi du 3 août 2009 ? La loi Grenelle I dispose en effet ceci : « Une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 ». À l’époque, M. Jacob qualifiait lui-même l’écotaxe sur les poids lourds de mesure phare d’une loi dont il était rapporteur.

Et puisque l’écotaxe poids lourds n’a pas été mise en œuvre dès 2011 et que la précédente majorité en a reporté l’application à 2013, c’est une mesure phare que vous avez trouvée sur votre bureau à votre arrivée au ministère des transports.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Eh oui !

M. Florent Boudié. Vous y avez trouvé un décret d’application publié au Journal officiel le dimanche 6 mai 2012. La date parle d’elle-même !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il a été signé dans la précipitation !

M. Florent Boudié. Vous avez trouvé un décret qui avait la particularité de faire l’unanimité contre lui, à tous les étages de la chaîne des transports de marchandises.

Vous avez trouvé un décret d’application que la rapporteure pour avis au Sénat Marie-Hélène des Esgaulx, sénatrice UMP de la Gironde…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Remarquable !

M. Florent Boudié. …a elle-même qualifié devant ses collègues de la commission des finances d’injuste, de complexe, d’inapplicable et d’illisible.

Vous avez trouvé un décret d’application attaqué devant le Conseil d’État. Illisible et inapplicable, il était de surcroît frappé d’insécurité juridique.

Pour toutes ces raisons, il fallait remettre à plat les conditions d’application de l’écotaxe poids lourds. Et vous l’avez fait, monsieur le ministre, dès votre prise de fonction, en lançant un tour de table avec tous les acteurs du transport de marchandises. Cette méthode a clairement marqué une différence avec celle qui avait prévalu jusque-là. Les acteurs que nous avons rencontrés au cours de nos auditions l’ont clairement dit.

Une fois la concertation établie, vous avez rapidement arbitré, monsieur le ministre, en faveur d’un dispositif d’application simplifié et plus juste. Vous avez également annoncé le report au 1er octobre de la mise en œuvre de l’écotaxe, pour la faire précéder d’une expérimentation nationale à blanc.

De cette concertation est né l’article 7 du projet de loi, avec pour objectif essentiel – et il ne faudrait pas que nos collègues de l’opposition travestissent nos intentions –…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Ils n’écoutent pas ! C’est pourtant une très bonne intervention.

M. Florent Boudié. Merci, monsieur le ministre.

…avec pour objectif, disais-je, d’alléger la facture fiscale des entreprises de transport routier. Pour y parvenir, vous proposez un dispositif de répercussion du coût de l’écotaxe sur les utilisateurs du transport routier de marchandises.

Ce n’est que justice – justice économique, justice fiscale – parce que 82 % de nos entreprises nationales de transport routier de marchandises sont composées de PME de moins de dix salariés, qui sont le plus souvent fragiles et dont les marges financières sont restreintes, et parce que nos petites entreprises de transport routier de marchandises font face à un contexte de crise qui ne les épargne pas ; je peux en témoigner, pour le constater dans ma circonscription du Libournais et du Pays foyen.

L’article 7 instaure donc un principe d’équité entre les chargeurs et les transporteurs. Il définit un point d’équilibre entre le nécessaire réalisme économique, la nécessaire protection de nos entreprises nationales de transport de marchandises, d’un côté, et l’enjeu de développement durable et de report modal, de l’autre.

C’est d’ailleurs, de façon plus générale, notre conception de la fiscalité écologique : solide sur l’objectif de développement durable, pragmatique face aux contraintes rencontrées par les acteurs économiques, tout en envoyant, et j’insiste sur ce point, un véritable « signal prix ». Car c’est bien là que réside le système nerveux, je veux dire vertueux et incitatif, indispensable à toute fiscalité environnementale.

M. Martial Saddier. Nerveux, les socialistes le sont et le ministre nous a tous énervés !

M. Florent Boudié. Mais parce que nous ne nous drapons pas dans nos certitudes, notre collègue Fabrice Verdier, rapporteur pour avis, a souhaité que s’applique le principe fondamental d’évaluation des politiques publiques. Un rapport sera donc remis au Parlement par le Gouvernement, au plus tard le 31 décembre 2014, sur les conditions d’application de l’écotaxe. Ce rapport sera le gage de notre pragmatisme et du contrôle effectif du Parlement.

Pendant toute la durée d’application de l’écotaxe, nous devrons donc rester vigilants et à l’écoute des professionnels, pour permettre des ajustements, des améliorations, des rééquilibrages, le cas échéant. Nous devrons aussi veiller à la réalité des coûts de gestion de l’écotaxe qui s’élèvent, je le rappelle – en raison du choix de la majorité précédente – à 20 % des 1,2 milliard d’euros de recettes attendues.

Mais le projet de loi ne saurait se résumer à l’écotaxe : il a bien d’autres mérites sur lesquels je tiens à revenir.

M. Martial Saddier. Ça rame !

M. Florent Boudié. Pas du tout.

Je tiens tout d’abord à souligner les réelles avancées contenues dans la première partie du projet de loi en ce qui concerne le transport ferroviaire. Il fallait mettre notre droit en conformité avec le droit européen, qui impose aux entreprises ferroviaires de publier des comptes séparés de pertes et profits pour les activités de transports et celles d’infrastructures. Le projet de loi entérine cette obligation, mais nos échanges, monsieur le ministre, ont permis d’aller beaucoup plus loin. Aux termes du texte issu de la commission, en effet, la SNCF sera désormais dans l’obligation de transmettre aux autorités organisatrices toutes les données relatives à l’exploitation du transport ferroviaire régional des voyageurs.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable. Très bien !

M. Florent Boudié. L’amendement que j’avais proposé en ce sens a été adopté en commission : il visait à aligner la position de la SNCF sur le modèle des délégations de service public. Je rappelle en effet que le code général des collectivités territoriales prévoit que le délégataire d’un service public doit produire, chaque année, à l’autorité délégante un rapport comportant les comptes retraçant la totalité des opérations d’exécution de la délégation de service public, ainsi qu’une analyse de la qualité de service. Il vous est donc proposé, à travers l’article 3 bis du projet de loi, d’étendre ce régime juridique aux relations entre la SNCF et les autorités organisatrices du transport ferroviaire régional de voyageurs. J’ajoute une précision importante : désormais, la SNCF sera dans l’obligation de transmettre des comptes ligne par ligne, et ce dès le mois de juin 2013.

Vous le savez, la question de la vérité des coûts des TER est un vieux sujet de discorde entre la SNCF et les régions qui en ont la charge. L’article 3 bis introduit par la commission garantit une plus grande transparence sur ce point précis : c’est une exigence légitime dans un contexte où les régions s’appuient sur des outils fiscaux dépassés et sur une dépendance financière forte vis-à-vis de l’État.

Je terminerai mon intervention en évoquant les dispositions relatives au transport fluvial, maritime et aérien.

Deux dispositions méritent plus particulièrement notre attention. Je tiens tout d’abord à saluer l’ambition de l’article 23 du projet de loi, qui marque une réelle avancée pour la protection sociale des gens de mer en appliquant les règles du pays d’accueil aux pavillons étrangers. C’est au fond tout le débat sur la fameuse directive Bolkestein qui trouve ici sa réponse, dans le cadre du transport maritime de cabotage. C’est une mesure solide pour lutter contre les phénomènes de dumping social auxquels nos pavillons nationaux sont confrontés.

Enfin, je voudrais souligner l’importance des modifications introduites par la commission avec la création d’un titre V bis portant sur la logistique et dont l’initiative revient à notre collègue Gilles Savary.

Il s’agit de réfléchir, comme l’a fait l’Allemagne, à une approche intégrée de la politique de transport en France, en lançant une conférence nationale sur la logistique avant le 31 décembre 2014. C’est une nécessité dans un pays de transit ouvert aux quatre grands modes de transport que sont la mer, l’aérien, le ferroviaire et le routier. L’objectif de cette conférence nationale sera de rassembler tous les acteurs de la filière et tous les modes de transport, pour établir un diagnostic de l’offre logistique française, avec, en bout de ligne, l’opportunité de mettre en œuvre un schéma directeur national de la logistique qui pourrait être annexé au SNIT.

Pour conclure, permettez-moi de saluer le travail de Mme la rapporteure, de M. le rapporteur pour avis et des nombreux parlementaires qui se sont investis dans l’élaboration de ce texte.

Soyez également remercié, monsieur le ministre, pour la qualité de votre écoute et pour votre très grand souci de laisser toute sa place au débat parlementaire.

Pour toutes ces raisons, il va de soi que le groupe SRC est très favorable à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler en préambule qu’une nouvelle fois, le Gouvernement a recours à la procédure accélérée et que nous avons encore le droit, dans l’opposition, de défendre une motion de renvoi en commission. Si le choix de cette procédure peut s’expliquer par les délais de mise en œuvre difficiles et rapides de l’écotaxe, annoncée pour le 1er octobre après avoir été plusieurs fois repoussée, et par la nécessité de donner aux entreprises le maximum de temps pour pouvoir s’organiser et s’approprier ce dispositif, nous en regrettons à nouveau l’usage, qui ne permet ni un travail législatif approfondi ni un débat constructif, alors que les dispositions que nous allons examiner sont particulièrement complexes et techniques.

À ce propos, le groupe UMP regrette qu’aucun de ses amendements n’ait obtenu le soutien de la majorité, d’autant plus qu’avec Jean-Marie Sermier, nous reconnaissons que le débat avec le ministre en commission fut calme et serein. Nous aurions d’ailleurs aimé, monsieur le ministre, que vous adoptiez le même ton en séance publique : cela nous aurait peut-être évité un début de discussion un peu houleux.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous vous êtes illustré tristement, tout à l’heure !

M. Martial Saddier. Cela n’enlèvera rien, je l’espère, à la qualité de nos débats lors de l’examen des articles.

En tout cas, notre motion de renvoi en commission était motivée avant tout par l’amendement n° 167, « amendement éclair », ainsi surnommé parce qu’il a été adopté selon la procédure de l’article 88. L’adoption de cet amendement, qui vise à reconnaître la spécificité de la collecte du lait, ainsi que nous l’avions demandé l’après-midi et le soir avec Jean-Marie Sermier, prouve bien qu’il était nécessaire de renvoyer le texte en commission. On a d’ailleurs pu constater que ce point faisait l’objet d’un désaccord entre la commission des affaires économiques – on l’a bien compris tout à l’heure en voyant le mouvement de tête du président Brottes –…

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Il était fatigué…

M. Martial Saddier. …et la commission du développement durable.

Le projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport a, avant tout, pour vocation de remédier à des difficultés d’ordre juridique et financier rencontrées par l’État, les collectivités territoriales et les administrations dans le développement et le fonctionnement de certains modes de transport.

Composé de vingt-cinq articles organisés en fonction des différents domaines de transport, il vise, par exemple, à obliger les entreprises ferroviaires à publier des comptes séparés, conformément aux exigences communautaires, et à préciser les compétences de la direction des circulations ferroviaires.

Dans le domaine des infrastructures de transport fluvial, les dispositions prévues visent notamment à habiliter les agents des ports autonomes fluviaux à constater les contraventions de grande voirie et à compléter la disposition législative relative aux ressources du port autonome de Paris.

Concernant le volet maritime, composé de neuf articles, les principales dispositions ont notamment pour objet d’améliorer les procédures régissant la gestion des navires abandonnés et de rendre applicables les textes régissant la procédure de limitation de responsabilité sur les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans le prolongement des travaux qu’avaient menés notre majorité lors du Grenelle de la mer.

Enfin, la dernière partie du texte est relative à l’aviation civile et précise plus particulièrement les types d’aéronefs qui ne sont pas concernés par les restrictions de navigation dans les zones fortement urbanisées, en l’occurrence ceux intervenant dans des opérations de secours ou de protection civile.

À titre plus personnel et avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais mettre l’accent sur deux dispositions que nous examinerons demain.

Tout d’abord, lors de l’examen de ce texte au Sénat, un amendement portant sur la délégation de service public des remontées mécaniques a été adopté contre l’avis du Gouvernement. Cet amendement apporte une précision quant à ce qui doit être prévu au contrat, sous peine de nullité, notamment les conditions d’indemnisation des biens non amortis en fin de contrat. Si l’objet de la disposition adoptée est d’améliorer la sécurité juridique des délégations de service public en matière de remontées mécaniques, en mentionnant expressément dans la loi les conditions d’indemnisation des biens financés par l’exploitant ou l’aménageur, j’espère – vous nous l’avez confirmé en commission – qu’elle n’aboutira pas à les remettre en cause. En effet, ce point a fait l’objet d’interprétations différentes selon les préfets ; des recours ont été déposés devant le tribunal administratif et la jurisprudence, constante, a été confirmée en assemblée plénière du Conseil d’État.

Cet amendement vise donc à clore, une bonne fois pour toutes la discussion sur l’indemnisation des biens de retour, à confirmer que les remontées mécaniques relèvent bien des transports publics, qu’elles peuvent bien faire l’objet d’une délégation de service public et qu’aux termes de cette délégation, c’est bien la mise en concurrence et la loi Sapin qui doivent s’appliquer. Je pense que c’est dans cet esprit-là que personne n’a déposé d’amendement pour remettre en question ce qui a été adopté au Sénat. C’est la position de l’Association nationale des élus de la montagne – Frédérique Massat était avec nous – et c’est celle de l’Association nationale des maires de stations de ski, présidée par Gilbert Blanc-Tailleur…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Et Accoyer, qu’en pense-t-il ?

M. Martial Saddier. Je vais y venir.

…et c’est ma position, constante depuis cinq ans – au ministère on le sait. Avoir été le garant de cette position au sein de l’ancienne majorité ne m’a pas valu que des amis, y compris dans mon propre camp. J’espère qu’une bonne fois pour toutes, ce sujet sera clos.

Par ailleurs, l’article 2 du projet de loi offre à la région la possibilité – et c’est très important – d’adhérer à un groupement européen de coopération territoriale ayant pour objet l’organisation de services ferroviaires régionaux transfrontaliers de personnes. Monsieur le ministre, si cette réforme est particulièrement intéressante pour les bassins transfrontaliers, avec certains de mes collègues issus des territoires frontaliers, siégeant sur tous les bancs de cet hémicycle, nous craignons fortement, en raison de la rédaction actuelle de cet article, que l’organisation des transports transfrontaliers soit incluse dans un groupement européen de coopération territoriale dont l’objet serait beaucoup plus vaste et dont le volet transport ne serait alors qu’accessoire. C’est en ce sens que nous avons ensemble déposé un amendement que nous examinerons demain, afin de circonscrire l’objet de ce groupement aux transports transfrontaliers d’un bassin de déplacement transfrontalier. J’espère que nous avons tort, mais je vous demande vraiment de procéder, avec l’administration, aux vérifications nécessaires pour que rien ne soit remis en question. Vous savez à quel point il est difficile de mettre en place une structure transfrontalière, notamment avec la Confédération helvétique, qui n’est pas dans l’Union européenne. Il ne faudrait pas qu’en voulant bien faire, on charge la barque législative.

Pour l’anecdote, monsieur le ministre, je voulais profiter de l’examen de ce texte législatif pour susciter le débat en proposant deux amendements qui – je ne comprends pas pourquoi, madame la présidente – ont été déclarés irrecevables par l’administration de cette belle maison. Ces deux amendements avaient pour objet de proposer une expérimentation dans quelques départements en vue de rendre obligatoires les pneus-neige sur les véhicules légers. Je regrette qu’ils aient été déclarés irrecevables. On me dit qu’une telle disposition relèverait du pouvoir réglementaire ; une question vous sera donc posée demain par le modeste député que je suis.

J’en viens maintenant au fond du texte : la taxe poids lourds. Ce que nous contestons vivement, ce sont bien sûr les modalités de la mise en œuvre du mécanisme de répercussion de cette taxe, telle que vous nous la proposez aujourd’hui.

Nous ne doutons absolument pas qu’elle se révélera en pratique très difficile à mettre en œuvre, très coûteuse – vous ne nous avez d’ailleurs toujours pas répondu sur le coût de gestion de cette taxe, monsieur le ministre – et très inéquitable.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. J’ai répondu en commission !

M. Martial Saddier. Je n’en suis pas sûr, monsieur le ministre. Si c’est le cas, je vous prie de m’excuser.

Permettez-moi de remonter un peu le temps. L’écotaxe poids lourds, que nous avons adoptée à l’unanimité lors de son examen dans le cadre de la loi Grenelle 1, avait un triple objectif : réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises, rationaliser le transport routier sur les moyennes et courtes distances et financer les nouvelles infrastructures de transport.

L’article 7 du présent texte a donc pour objet de fixer les modalités de répercussion de la taxe poids lourds. Il est ainsi prévu que le prix du transport soit majoré de plein droit pour la partie du transport effectuée sur notre territoire d’une somme résultant de l’application d’un taux qui est fonction des régions de chargement et de déchargement des marchandises transportées. Pour les transports internationaux, un dispositif similaire est prévu.

Cela n’aura échappé à personne : le secteur du transport routier traverse actuellement une crise économique importante qui nous oblige donc à adapter notre législation. Sans remettre en cause le principe même de l’écotaxe, que nous avions tous adopté, les députés du groupe UMP s’opposent fermement au dispositif de répercussion voulu par le Gouvernement car il comporte d’importantes lacunes. L’amendement « lait » est la démonstration même que le dispositif ne vous convient pas.

Tout d’abord, le principe de répercussion tel qu’il nous est présenté aujourd’hui prend uniquement en compte le transport pour le compte d’autrui, c’est-à-dire le transport routier, et laisse complètement à l’écart du dispositif les transporteurs en compte propre que sont les grossistes distributeurs. Il écarte également les transports de proximité pour intérêt général, tels que les livreurs de proximité.

En opérant ainsi une distinction entre les transporteurs pour compte d’autrui et les transporteurs pour compte propre, vous créez, monsieur le ministre, une rupture d’égalité devant l’impôt. À trajet égal, grossistes distributeurs et transporteurs devront s’acquitter du même montant de la taxe. Or, seuls ces derniers pourront, en appliquant le dispositif de l’article 7, répercuter ce montant sur leurs clients en majorant le prix de leurs prestations, car cette possibilité n’est pas ouverte aux transporteurs en compte propre.

De plus, ce nouveau dispositif touchera durement le transport de proximité, et donc le tissu économique local.

Cette situation ferait également courir le risque d’une réelle distorsion de concurrence entre le chargeur en compte propre et le chargeur recourant aux services d’un transporteur. Le premier sera ainsi redevable de l’écotaxe et le second de la majoration forfaitaire. Cette différence de traitement, nous pouvons tous le constater, n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général. Ce constat nous amène à nous interroger sur une éventuelle censure de ce dispositif par le Conseil constitutionnel, soit avant la promulgation de la loi soit dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Une telle incertitude conduira à un affaiblissement des moyens de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et donc des avances versées par celle-ci.

Nos travaux en commission ont aussi soulevé d’importantes difficultés, notamment pour les entreprises qui utilisent plusieurs fois par jour une petite portion du réseau taxé ou qui effectuent des circuits courts. Jean-Marie Sermier l’avait justement souligné à plusieurs reprises.

Je regrette que ni les plans de protection de l’atmosphère ni la pollution de l’air n’aient été évoqués dans ce texte car, là aussi, des dispositions liées à ces plans s’appliqueront en sus de l’écotaxe.

Monsieur le ministre, dans votre réponse à M. Le Fur, qui a défendu la motion de renvoi en commission, vous avez admis que le transport était injustement payé par les collectivités territoriales et par l’État, ce qui est vrai. Pourtant, alors que le Sénat a adopté un amendement exonérant les véhicules propriété de l’État ou des collectivités territoriales, votre majorité, avec votre concours, a supprimé cette exonération. Nous déposerons des amendements pour revenir sur cette modification.

Le souhait du groupe UMP est et a toujours été que le dispositif de l’écotaxe poids lourds – en particulier, la mise en œuvre du principe de répercussion – soit facile à appliquer, équitable, juridiquement solide et qu’il permette de dégager des ressources pour financer des infrastructures alternatives à la route. Or, dans sa rédaction actuelle, il se révélera rapidement coûteux en fonctionnement, illisible, inapplicable et pénalisant pour les TPE et PME.

Nous avons déposé beaucoup d’amendements. Aucun n’a été retenu en commission. Nous sommes constructifs et mon intervention était dans le même esprit.

Pour toutes ces raisons, et à cet instant du débat, le groupe UMP s’opposera au projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Monsieur Saddier, permettez-moi de répondre à votre question sur l’irrecevabilité des deux amendements que vous avez déposés sur les pneus-neige. Ils constituaient des injonctions faites au Gouvernement et la jurisprudence est constante sur le fait que l’Assemblée ne donne pas d’injonction au Gouvernement.

M. Christian Jacob. Même si le Gouvernement n’est pas bon ?

Mme Christine Pires Beaune. On a connu pire !

Mme la présidente. C’est la raison pour laquelle vos amendements n’étaient pas recevables.

La parole est à M. Gilles Savary.

M. Gilles Savary. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, nous venons d’assister ce soir à un fait étrange et, bien que nous ne soyons pas très nombreux, important : c’est le premier coup de canif porté au consensus sur le Grenelle de l’environnement. J’avoue que j’ai été stupéfait tout à l’heure : M. Saddier jouait les pompiers avec beaucoup d’habileté, mais M. Le Fur a fait s’emballer le débat avec des accents absolument incroyables. C’était soit un déluge de mauvaise foi, soit un déluge d’amnésie, l’un ou l’autre.

M. Jean-Marie Sermier. Pas du tout !

M. Gilles Savary. En tout état de cause, je vous rappelle que ce texte sur la taxe transports a une histoire. Elle a commencé sur les bancs du Parlement européen – j’en ai été le témoin –, au moment où Jacques Barrot – vous le connaissez, n’est-ce pas ? – présentait et défendait la nouvelle révision de la directive Eurovignette, qui a inspiré le Grenelle de l’environnement et qui est aujourd’hui dans sa phase de transposition. Entre-temps, il y a eu l’action de M. Borloo – je regrette qu’il ne soit pas là pour défendre son texte, mais je vois que nos collègues de l’UDI ont au moins eu l’honnêteté de le faire. C’est en effet ce dernier qui a élaboré la taxe poids lourd : elle a été votée, je vous le rappelle, dans le cadre du Grenelle de l’environnement et les modalités de sa mise en application ont été précisées dans le décret qui a été publié deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle ; la conjoncture n’était donc pas aussi bonne que l’affirmait M. Le Fur.

Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à rectifier le dispositif, à la demande des transporteurs eux-mêmes. Le ministre a écouté la profession et celle-ci a souhaité qu’on mette en place un mécanisme de majoration simple plutôt que de répercussion ; telle est la vérité. Si M. Mariton était là, lui qui connaît bien ces sujets, je lui dirais qu’il ne faut pas feindre de croire que l’on taxe une marchandise mobile comme on taxe un immeuble.

Le dispositif que vous aviez conçu nécessitait, chaque fois qu’on livrait un colis, d’établir une facture tous les huit ou dix kilomètres en fonction de son gabarit et de sa taille. Il était kafkaïen et bureaucratique. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dès que nous sommes arrivés aux affaires – M. le ministre pourra le confirmer –, les transporteurs routiers sont venus demander grâce pour qu’on revienne sur ce dispositif.

M. Julien Aubert. Et heureusement !

M. Laurent Furst. La lumière est arrivée !

Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Savary a la parole.

M. Gilles Savary. Aujourd’hui, ce que nous proposons, c’est un dispositif simple, forfaitaire, qui épargne aux transporteurs routiers et aux chargeurs des démarches trop bureaucratiques.

Je me félicite de l’entrée en application de cette écotaxe dans la région où j’habite, et pas seulement pour l’intérêt politique de cette mesure qui, dans le Grenelle de l’environnement, avait pour objet de permettre le développement d’un nouveau mode de transport durable. J’habite une région qui est traversée quotidiennement par 10 000 poids lourds – c’est d’ailleurs le cas des deux côtés des Pyrénées – et ceux d’entre eux qui sont étrangers ne laissent pas un centime sur le sol français pour financer les infrastructures ; pas un centime ! Demain, avec le dispositif de la taxe poids lourds, pour la première fois ils contribueront aux charges d’infrastructures de notre pays.

M. Jean-Marie Sermier. C’est donc une taxe d’infrastructures, pas une écotaxe !

M. Gilles Savary. D’autres régions s’en félicitent : en Alsace, vos amis la demandent ! Ils la réclament depuis des années. En effet, les Allemands l’ont mise en place, ce qui n’a pas sinistré le transport routier en Allemagne mais a eu pour conséquence de rabattre le trafic sur la plaine alsacienne.

Ces questions seront réglées par le présent dispositif.

Monsieur le ministre, vous avez aussi fait assaut de compromis : sur le dispositif de répercussion, mais aussi sur la périphéricité, un sujet sur lequel je n’encourage pas M. Le Fur a en faire trop, car si le texte comporte une fragilité, elle porte sur ce point et sur le rabais accordé sur la taxe poids lourds en vertu de ce concept. En réalité, vous l’avez constaté, quand les Bretons ou les Aquitains, qui me sont chers, bénéficieront d’une ristourne de 25 %, 30 % ou 40 %, celle-ci sera intérieure : elle concernera ceux qui vont de Quimper à Brest, éventuellement, mais pourrait tout aussi bien concerner ceux qui vont d’Ussel à Limoges. Le texte comporte donc une fragilité sur ce sujet ; je vous conseille donc de ne pas trop brasser les contradictions et les polémiques.

M. Martial Saddier. Nous n’avons pas été polémiques !

M. Gilles Savary. Enfin, ce texte a également d’autres aspects très importants. En particulier, il confère un droit de police aux agents de la SNCF et aux agents des opérateurs de fret de proximité pour essayer de faire face aux vols de métaux précieux, qui aujourd’hui coûtent 30 millions d’euros à Réseau ferré de France. C’est un dispositif dont on ne parle pas mais qui est tout de même très important.

Je voudrais également mentionner les dispositions relatives au transport maritime, tout à fait importantes s’agissant des navires abandonnés et du traitement des équipages. J’en ai connu dans le port de Bordeaux qui sont restés des mois à quai. Nous soutiendrons donc ce projet de loi.

Nous avons le plus grand respect pour le transport routier. Ce n’est pas la taxe poids lourds qui menace ce secteur. Ce n’est pas non plus le prix du carburant, même si celui-ci complique la tâche. Ce qui le menace, c’est la dérégulation sociale complète qu’on a laissé s’installer en acceptant des directives instaurant notamment l’ouverture du trafic international sans prendre la moindre précaution sociale ;…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Eh oui ! Évidemment !

M. Gilles Savary. …c’est le fait d’avoir accepté qu’en 2014, le cabotage soit entièrement libéralisé, ce qui risque de ruiner le pavillon français. J’invite d’ailleurs personnellement le ministre à faire preuve de la plus grande prudence sur ce sujet.

Mes chers collègues, je vous proposerai par ailleurs un amendement – j’espère qu’il sera voté – visant à établir un plan national logistique. Je pense en effet qu’aujourd’hui il ne faut pas raisonner uniquement en termes de politique modale : il faut raisonner fondamentalement en termes de mobilité, c’est-à-dire de politique intermodale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Sermier.

M. Jean-Marie Sermier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est beaucoup plus technique et juridique que politique. Contrairement à ce que laisse entendre son titre, il traite davantage des services que des infrastructures et n’aborde pas le fond du problème de l’organisation du transport en France, qui est renvoyé aux calendes grecques.

Le point central de ce texte est bien sûr l’article 7 sur l’écotaxe, qui a été instaurée par la loi du 3 août 2009 dite loi Grenelle 1. Que les choses soient claires : pour ce qui me concerne, nous débattons ici non pas de son principe, mais de son mécanisme et de sa répercussion dans les tarifs des prestations de transport. Et c’est là que le bât blesse, car cette mise en œuvre relève d’une grande complexité, d’une grande inégalité et d’une grande incertitude quant à l’avenir de nos petits transporteurs.

Elle est, premièrement, d’une grande complexité. L’écotaxe est en effet assortie d’un mécanisme de répercussion pour permettre au transporteur d’en répercuter le montant sur le chargeur. Mais rien n’indique que nos transporteurs pourront effectivement la répercuter. Car dans la pratique, nombre de chargeurs extrêmement importants vont imposer leur façon de voir, leur loi à la multitude des petits transporteurs qu’ils font travailler pour les contraindre à ne pas changer le total de leur facture. Dans un rapport de force disproportionné, je crains que des PME ne soient contraintes de payer cette redevance avec leur propre marge, si elles en ont une.

Par ailleurs, le taux forfaitaire de majoration est fonction des points de chargement et de déchargement, quels que soient la distance parcourue et le nombre de clients livrés sur le trajet ou le réseau – taxé ou non – emprunté par le transporteur. La majoration est donc entièrement déconnectée du montant de la taxe réellement acquitté. C’est ce que nous reprochons au système que vous proposez. Je vois d’ici les contentieux que cela va engendrer.

Mes chers collègues, alors que le Président de la République nous a annoncé un choc de simplification, cette usine à gaz dénature le principe de la taxe, puisqu’elle sera indépendante du trajet effectivement parcouru.

Deuxièmement, la taxe est d’une grande inégalité. Le taux forfaitaire diffère selon les régions – il est de 2,5 % en Franche-Comté et de 6,3 % en Alsace –, ce qui va entraîner des distorsions de concurrence entre les entreprises de régions différentes. Nos transporteurs n’avaient pas besoin de cela !

On peut aussi se demander si ces différences ne sont pas contraires au principe républicain d’égalité entre les citoyens.

Ce texte menace l’aménagement harmonieux de nos territoires. Les territoires ruraux vont se trouver pénalisés puisque la spécificité des transports de courte distance n’est pas prise en compte. C’est pour corriger cette erreur que j’ai déposé plusieurs amendements à cet article 7 et que nous avons essayé, avec mon collègue Martial Saddier, lors de nos débats en commission, d’enrichir ce texte.

M. Laurent Furst. Par enrichir, améliorer !

M. Jean-Marie Sermier. Malheureusement, nous n’avons pas été écoutés.

Les petites structures rurales qui assurent la distribution de proximité vont se trouver pénalisées par l’enclavement et vont souffrir de la concurrence des grands opérateurs.

Contrairement à ce que vous avez laissé entendre, monsieur le ministre, il n’y a pas deux routes – une route pour les transports de proximité, et une route pour les longues distances. Les transports utilisent la même route, qui sera ou non taxable. Il est facile de développer un report modal en milieu rural quand les installations existent, mais ce n’est plus vraiment le cas. Dans ma circonscription, dans le Jura, la dernière ligne de transport de marchandises a fermé en 2005. Dans ces conditions, comment voulez-vous initier une démarche de changement dans les transports ?

Si l’on veut développer l’intermodalité en milieu rural, il faut inscrire clairement dans le schéma national des infrastructures de transport, après négociation avec les opérateurs concernés, le maintien dans le temps des lignes ferroviaires indispensables.

Les aménagements d’infrastructures sont donc très importants.

Au demeurant, cette écotaxe n’en est pas une ; il s’agit plutôt d’une taxe liée aux infrastructures. Gilles Savary expliquait tout à l’heure que ce n’est que lorsqu’un certain nombre de crédits seront récupérés qu’ils pourront servir au financement des infrastructures. Il ne s’agit pas de fiscalité écologique, car le poids lourd, qu’il emprunte une autoroute où il ne sera pas taxé ou qu’il passe sur une route taxable, pollue tout autant.

Enfin, sur le milliard d’euro que rapportera l’écotaxe, les collectivités locales ne toucheront qu’une peau de chagrin. Vous avez parlé de 160 millions d’euros : c’est bien peu.

Le diable se cache dans les détails : à l’heure du « choc de simplification », nous devons veiller à ce que certaines mesures ne complexifient pas davantage les procédures. Et puis, préserver l’environnement ne doit pas entraîner la sclérose de toute l’activité économique d’un territoire et condamner la ruralité qui fait la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Capet.

M. Yann Capet. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l’écotaxe poids lourds occupera certainement l’essentiel de nos débats, parfois au prix d’une certaine confusion sur les bancs de l’opposition. Ainsi, nos collègues ont oscillé entre la critique des modalités d’application au début de cette discussion générale et l’évocation de la temporalité, comme lors de la défense de la motion de renvoi. Pour ma part, je centrerai mon propos sur le titre IV du projet de loi.

Pas moins de neuf articles sont consacrés aux transports maritimes. À leur mesure, ils permettent de répondre au paradoxe français qui veut que, malgré son statut de deuxième domaine maritime mondial, notre pays peine à s’affirmer comme une véritable puissance maritime.

Comme vous avez eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises, monsieur le ministre, le défi français est aussi un grand défi maritime. Sans attendre l’issue des Assises de la mer et du littoral, vous avancez sur des mesures, qui, pour être au premier abord techniques, n’en sont pas moins d’importance.

Ainsi, l’article 15 apporte une solution efficace à une difficulté qui entrave la bonne marche de nos ports et met souvent en péril leur équilibre financier : les navires abandonnés.

Outre le préjudice économique important engendré par ces bateaux ventouses, l’impact environnemental peut être catastrophique. Une vingtaine de navires dépérissent dans nos ports. Le cas du vraquier Captain Tsarev, battant pavillon panaméen et obstruant le port de Brest, est une parfaite illustration des dysfonctionnements et des limites du dispositif juridique actuel.

M. Florent Boudié. Exactement !

M. Yann Capet. L’article 15 apporte des améliorations en renouvelant les moyens d’action envers les propriétaires de navires abandonnés, en accélérant la déchéance de propriété et en identifiant clairement les responsabilités et la répartition des charges entre autorités publiques.

Le texte comporte également des mesures nécessaires sur la sécurité maritime. Il tire en effet les enseignements du Grenelle de la mer, qui avait mis en évidence des difficultés d’application dans les procédures de constitution et de répartition du fonds de limitation des responsabilités incombant aux propriétaires des navires en cas de marée noire.

M. Arnaud Leroy. Enfin !

M. Yann Capet. Ce projet de loi vient mettre un terme à un dysfonctionnement juridique opposant le régime de responsabilité tiré de la convention internationale du 27 novembre 1992 à celui du régime général de la convention de 1976.

Ainsi, l’article 16 modernise les règles de constitution d’un fonds de limitation des responsabilités en cas de marée noire, devenu obligatoire en raison des engagements internationaux de la France. Cette nouvelle disposition ouvre désormais droit à l’intervention du FIPOL et étend l’obligation d’assurance à tous les navires transportant une cargaison d’hydrocarbures en vrac.

L’article 17 modifie la dénomination des corps des affaires maritimes habilités à exercer les pouvoirs de police. La fusion des corps des affaires maritimes avait en effet inopportunément fait disparaître les compétences de police, affaiblissant par là même les contrôles effectués par l’État.

La France s’honore à se montrer exemplaire en matière de sécurité maritime et je ne doute pas que la représentation nationale donnera acte au Gouvernement des efforts engagés en la matière et des moyens mis à la disposition de l’administration maritime pour mener à bien sa mission.

Je souhaite conclure sur une avancée essentielle. Nous le savons, la compétitivité du secteur maritime impose notamment une offre maritime ambitieuse, des équipements portuaires adaptés et performants, une stabilité sociale, une offre logistique et l’amélioration de la desserte terrestre.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la situation de SeaFrance, que la précédente majorité nous a laissée, et à travers elle la défense du pavillon français. Nous savons le rôle que vous avez joué, dans des conditions difficiles, en reprenant en main une situation laissée en jachère par le précédent gouvernement. Nous savons pouvoir compter sur vous – vous êtes déjà à pied d’œuvre – pour défendre My Ferry Link auprès de l’autorité de la concurrence Britannique.

L’article 23 répond à un enjeu social important, puisqu’il renforce les règles sociales imposées aux navires pratiquant le cabotage maritime en France. Vous le savez, le secteur des transports maritimes est marqué par une concurrence exacerbée, pour ne pas dire déloyale, qui contribue à affaiblir la compétitivité de ce secteur.

La libéralisation du cabotage a abouti à la mise en concurrence effrénée des entreprises maritimes, au détriment de l’avenir économique de la filière française, pourtant pierre angulaire d’une multimodalité intelligente, sécurisée, durable et écologiquement enviable.

Le texte applique les règles de l’État d’accueil aux navires, quel que soit leur pavillon, armés pour le cabotage maritime, opérant sur les mêmes lignes que les entreprises maritimes françaises. Euro-compatibles, ces dispositions étendent ainsi l’application des conditions sociales à l’ensemble des personnels navigants, tout en les renforçant par rapport au régime actuel prévu par le décret du 16 mars 1999.

Au-delà, la France doit porter au niveau européen l’exigence d’une législation commune à tous les États membres du secteur maritime. Vous avez parlé, monsieur le ministre, de l’exemplarité de la vision maritime française. La France doit continuer à affirmer une ambition forte, une dynamique exemplaire, à la hauteur de ce défi français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, certes, les matières premières sur la planète ne sont ni infinies ni inépuisables. Mais la théorie du réchauffement climatique – qui relève pour une grande part de cette pensée unique…

Mme Catherine Quéré. C’est une réalité, pas une théorie !

M. Nicolas Dhuicq. …qui anime malheureusement les divers bancs de cet hémicycle, à l’exception de quelques excellents collègues – amène à asséner des contrevérités et révèle la forte prétention d’une humanité persuadée qu’elle peut comprendre, à elle seule, un système aussi complexe que celui du climat. (« Oh la la ! » sur les bancs du groupe SRC.) Car la notion de climat ne procède que de la tentative, par l’intelligence humaine, de mettre de l’ordre dans un système par essence chaotique.

Quelle est la situation du monde aujourd’hui ? Des pays qui se développent, qui travaillent, qui luttent et qui, parfois, imposent à d’autres la conquête desdites matières premières. Dans ce domaine, un pays – la France – matraque systématiquement ses entreprises, invente de nouvelles fiscalités qui les empêchent de conquérir des parts de marché et touchent durablement l’aménagement du territoire.

M. Florent Boudié. C’est laborieux !

M. Nicolas Dhuicq. Oui, monsieur le ministre, votre texte est, un nouveau coup porté à la ruralité. Alors que les élus ruraux cherchent à développer les circuits courts et travaillent avec les exploitants agricoles pour offrir des produits frais dans les cantines de leurs écoles et de leurs maisons de retraite, vous taxez les transports de faible distance et les transports locaux.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est tout l’inverse !

Plusieurs députés du groupe SRC. Lisez le texte !

M. Nicolas Dhuicq. Votre taxe ne repose sur aucun calcul fiable. D’où viennent les 4,4 % nationaux, lorsque plusieurs régions seront traversées ? D’où viennent ces chiffres et ces pourcentages que vous faites adopter dans la loi ?

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. Vous n’avez pas assez travaillé. Vous devez lire les cartes !

M. Nicolas Dhuicq. Dans les zones rurales, il y a des entreprises, monsieur le ministre, et des entreprises de transport. Ces entreprises sont confrontées à la concurrence, du fait d’une Europe qui ne remplit pas son rôle, qui impose aux citoyens et aux entreprises des normes de plus en plus contraignantes. Nous qui ne sommes pas – contrairement à nos concurrents allemands – protégés par la Cour de Karlsruhe, nous transposons ces normes beaucoup plus fidèlement que les textes ne nous le demandent. Et nos entreprises doivent faire face à une concurrence déloyale, insupportable, qui emploie, contre des salaires dérisoires, des salariés venus des anciens pays de l’Est.

Au lieu de vous pencher sur cette question, voilà que vous inventez une nouvelle taxe, au nom de la pensée unique, image d’un occident qui oublie qu’il a l’avenir devant lui, à condition de laisser aux salariés la possibilité de gagner leur vie dignement.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Florent Boudié. C’est pourtant votre œuvre !

M. Nicolas Dhuicq. Oui, il est évident que les transports par voie maritime coûtent, au bout du compte, moins cher. C’est l’une des raisons pour lesquels un grand pays, la fédération de Russie, a beaucoup de mal à se développer.

M. Florent Boudié. Belle référence démocratique !

M. Nicolas Dhuicq. Dans le monde entier, l’économie se développe à 500 kilomètres de l’eau, en particulier des océans. En effet, la tonne transportée coûte infiniment moins cher lorsqu’elle est transportée par voie maritime, voire fluviale. Mais quel est le rapport de tout cela avec votre texte, monsieur le ministre ?

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. C’est toute la question !

M. Nicolas Dhuicq. Le deuxième axe de votre action devrait être celui de l’État. L’État est seul capable de faire les investissements d’avenir, il devrait être le seul capable, par un plan, de donner une vision à la nation, défendre nos compatriotes, nos entreprises, qu’elles soient rurales ou urbaines, pour assurer la prospérité des Françaises et des Français.

M. Florent Boudié. Vous vous êtes trompé de séance !

M. Nicolas Dhuicq. Or, de cette vision, je n’entends rien. Votre gouvernement ne cesse de couper les crédits d’investissement, notamment ceux destinés à l’industrie de la défense. Ce sont des investissements nécessaires parce que, oui, tout ce que nos entreprises produisent et exportent doit être transporté, y compris par route.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous ne parlez pas de la loi. Est-ce parce que vous n’y comprenez rien ?

M. Nicolas Dhuicq. Je comprends que votre loi créera du chômage, qu’elle touchera les zones rurales, qu’elle brisera les circuits courts auxquels nous sommes très attachés. Je comprends que votre loi ne porte aucune vision et qu’elle ne donne aucun avenir à la nation et à la France. Voilà pourquoi, avec mes camarades et mes collègues de l’opposition d’aujourd’hui, et sans doute de la majorité de demain, nous lutterons avec détermination contre un texte délétère…

Mme Catherine Beaubatie, rapporteure. « Délétère », rien que ça ?

M. Nicolas Dhuicq. …un texte qui montre une fois de plus que la pensée unique règne dans cet hémicycle et dans le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Julien Aubert. Magistral !

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Erhel.

M. Thierry Benoit. Elle connaît le sujet !

Mme Corinne Erhel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, il y a urgence à repenser notre conception des modes de transport de marchandises et de biens à la lumière des nouveaux enjeux économiques et environnementaux.

Chacun en aura fait un jour l’expérience, certaines routes françaises sont saturées et le transport routier est souvent la solution privilégiée, faute d’alternatives techniques et économiques pertinentes.

Ce texte permettra in fine de réduire les impacts environnementaux, de rationaliser le transport routier et, surtout, de financer les nouvelles infrastructures qui nous permettront à terme de renforcer le recours à l’intermodalité et, quand cela sera possible, le report modal.

Les combinaisons potentielles sont nombreuses pour réduire la part de la route, en la limitant dans la mesure du possible – et en concertation avec les différents acteurs – du début à la fin de la chaîne d’approvisionnement, au profit de modes de transports moins polluants, plus économiques, plus sécurisants et moins accidentogènes, tels le rail, le transport fluvial ou maritime.

La diversification des moyens de transports apparaît donc comme une des clefs du problème qui nous est aujourd’hui posé. De toute évidence, il faut encourager le développement de plateformes logistiques multi-support et permettre aux transporteurs et aux chargeurs d’utiliser des solutions alternatives et économiquement pertinentes.

Afin de préparer le développement de nouvelles infrastructures, l’écotaxe a pour objectif, entre autres, de dégager une ressource pérenne pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, laquelle consacre plus de 60 % de son budget aux modes de transport non routiers.

La mobilité et les échanges sont au cœur du développement économique durable de nos régions. Jamais les relations entre les flux matériels ou immatériels et le développement territorial n’ont été aussi prégnantes.

Mais cette invitation à diversifier les moyens de transports doit évidemment prendre en considération les enjeux régionaux et les contraintes liées aux territoires. Il ne s’agit pas de sanctionner mais bien d’encourager…

M. Thierry Benoit. D’ajuster !

Mme Corinne Erhel. …et surtout d’accompagner le développement de plateformes logistiques diversifiées pour améliorer l’accessibilité, l’attractivité des territoires et, par conséquent, la compétitivité de nos économies.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objectif, en son article 7, d’organiser les répercussions de la taxe poids lourds payée par les transporteurs vers les donneurs d’ordre.

Les régions périphériques sont bien évidemment sensibles à ce point pour plusieurs raisons, leur éloignement, bien sûr, mais aussi, dans le cas de la Bretagne, à cause du poids de son secteur agricole et agroalimentaire, et l’importance de son fret expédié. En effet, la majeure partie de ce qui y est produit est exportée.

M. Thierry Benoit. Et voilà !

Mme Corinne Erhel. C’est pourquoi il nous faut raisonner en termes de filières et d’équilibre entre l’ensemble des acteurs, du producteur au consommateur final, en considérant également le chargeur et le transporteur.

Constitué en partie de petites entreprises disposant de marges nettes faibles, le secteur des transports est fragile – vous aviez raison de le souligner, monsieur le ministre. La marge nette d’une petite entreprise de transport se situe ainsi entre moins 0,5 % et plus 0,5 %, ce qui est extrêmement faible. Il est donc impératif de considérer tous les maillons de la chaîne qui véhicule les produits et de veiller à équilibrer au maximum les charges supportées par chacun de ses acteurs, sans pour autant complexifier le dispositif.

C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de revoir totalement le dispositif écotaxe envisagé par la précédente majorité, dispositif trop complexe et inapplicable, en proposant un système simplifié de majoration forfaitaire.

Le texte que nous examinons aujourd’hui répond à l’absolue nécessité de financer de nouvelles infrastructures et d’encourager l’intermodalité. Il faut également s’appliquer à assurer le fragile équilibre entre le maintien d’un secteur sensible – celui des transports – et les spécificités des régions périphériques, tout en tenant compte de la fragilité particulière de certaines filières – je pense particulièrement à la filière lait.

Nous aurons l’occasion, au cours de nos débats, d’avoir des échanges plus approfondis sur des amendements traitant de ces questions, avec le souci constructif de faire aboutir ensemble ce texte ambitieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Duron.

M. Thierry Benoit. L’homme qui vaut plus de trois milliards ! (Sourires.)

M. Philippe Duron. Monsieur le ministre, depuis votre arrivée au ministère, vous avez ouvert méthodiquement, audacieusement, courageusement tous les dossiers majeurs en matière de transports et de mobilité.

Vous avez demandé à Jean-Louis Bianco un rapport sur la nécessaire réforme du système ferroviaire, sa gouvernance et son organisation, et vous présenterez, dans quelques semaines ou quelques mois, cette réforme tant attendue.

Jacques Auxiette doit, quant à lui, vous remettre un rapport sur la place des régions et des collectivités dans la gouvernance ferroviaire.

Michel Massoni et Vincent Lidsky viennent, à votre demande, de vous remettre les résultats de leur étude sur le canal Seine-Nord et, ne perdant pas une minute, vous avez confié à notre collègue Rémi Pauvros le soin de repositionner ce dossier difficile mais stratégique.

Vous avez mis en place la commission Mobilité 21, qui doit vous faire des propositions de planification et de programmation sur les soixante-quinze projets du SNIT et les 245 milliards d’euros qu’il faut répartir dans le temps, de la manière la plus judicieuse et dans l’intérêt général.

Vous avez demandé à RFF de définir, via le Grand projet de modernisation ferroviaire, un programme efficient de modernisation, qui permettra d’identifier et de planifier les priorités pour un réseau plus fiable, plus performant et plus sûr.

Enfin, vous négociez avec la Commission européenne le quatrième paquet ferroviaire.

On le voit, c’est l’ensemble de la politique de mobilité que vous revisitez, avec le souci de promouvoir un système efficace, éco-compatible et finançable.

Ce projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport est un texte de modernisation et de rationalisation des dispositions existantes. Il aborde des questions aussi importantes que la clarification des comptes des entreprises ferroviaires, pour compléter la transposition de la directive européenne de 1991 révisée en 2011, ou la transmission aux régions par la SNCF des comptes d’exploitation des lignes TER, proposée dans un amendement adopté par notre commission. Cette dernière mesure était attendue par les régions ; elle clarifiera les coûts réels du service fourni par l’opérateur de transport. On évitera ainsi des malentendus et le risque de transférer aux collectivités territoriales des charges indues, comme les charges de structures de l’opérateur historique.

Mais la disposition la plus novatrice, la plus attendue, la plus importante de ce texte, c’est bien sûr l’écotaxe poids lourds.

L’écotaxe poids lourds est une fiscalité d’inspiration européenne, intelligente et efficace. Elle est une application de la directive eurovignette, voulue et décidée par l’Union européenne ; vous l’avez dit, monsieur le ministre, c’est la première fiscalité écologique à entrer en vigueur dans notre droit.

C’est une fiscalité intelligente, car elle s’inscrit dans une logique vertueuse, en envoyant un « signal prix » qui permettra un rééquilibrage entre les modes de transports. On a largement évoqué ici le difficile transfert modal de la route vers les autres modes de transport, mais ce signal répond néanmoins au souci de promouvoir une mobilité durable.

C’est une fiscalité efficace enfin, car cette contribution est perçue sur tous les poids lourds de plus de 3,5 tonnes qui circulent sur les 10 500 kilomètres du réseau national non concédé et sur les quelque 5 000 kilomètres du réseau des routes départementales les plus structurantes. Ce système, mis en place dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne, où la fraude est marginale, et en Autriche, a le mérite d’être sûr. Il est également évolutif et pourra permettre, si le Gouvernement en décide ainsi, d’orienter le trafic vers des itinéraires moins pollués ou moins saturés, grâce à une modulation des tarifs.

J’entends les craintes des transporteurs et du monde de la route, qui redoutent que le pavillon français ne soit pénalisé par cette taxe supplémentaire. Vous avez en grande partie répondu à cette légitime inquiétude, en mettant en place un système de répercussion clair, qui fait porter le poids modeste de cette taxe sur les chargeurs.

Cette contribution a, de ce point de vue, une autre vertu, celle de rétablir l’équilibre entre les poids lourds français et les camions étrangers qui, trop souvent, ne paient pas le droit d’usage de la route en évitant les itinéraires autoroutiers concédés à péage.

Enfin, et ce n’est pas son moindre avantage, la taxe poids lourds contribuera au financement des infrastructures de transport, puisque ses recettes seront affectées pour partie à l’AFITF et pour une autre part aux conseils généraux. La recette de l’écotaxe poids lourds devrait rapporter autour de 800 millions d’euros à l’agence. Elle en deviendra ainsi la première ressource, avant la taxe d’aménagement du territoire, avant la redevance domaniale et avant la part des amandes radars qui lui revient.

Cette ressource nouvelle est d’autant plus nécessaire qu’elle doit se substituer à la subvention d’équilibre qui s’éteindra en trois ans : en 2012, elle était d’un milliard d’euros ; elle sera cette année de 658 millions et, en 2014, de 400 millions d’euros.

Vous avez décidé de repousser la mise en place de la taxe du 20 juillet au 1er octobre de cette année. C’est une sage décision : l’exemple allemand de la Toll Collect nous a en effet montré la difficulté de mise au point du système, qui a nécessité deux ans pour être réellement efficace.

Si ce report est bienvenu pour les transporteurs, il n’est toutefois pas sans conséquence pour l’AFITF, qui avait inscrit une recette de 262 millions d’euros à son budget 2013. Avec le report au 1er octobre, la recette ne devrait pas excéder 80 à 90 millions d’euros, alors que l’Agence devra décaisser cette année 27 millions d’euros pour la rémunération du consortium Écomouv’, au titre du PPP qu’il a conclu avec l’État. Si le fonds de roulement de l’Agence permettra d’exécuter le budget de cette année, il serait cependant indispensable de compenser ce manque de recettes absolument nécessaires au financement des projets d’infrastructures qu’attendent les territoires, les élus – y compris en Bretagne – et les populations.

M. Thierry Benoit. C’est vrai !

M. Philippe Duron. Pour toutes ces raisons, il est important que ce texte soit approuvé largement, et les membres de l’opposition s’honoreraient en suivant les traces de leurs collègues sénateurs et en apportant leur soutien à un texte utile et attendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Florent Boudié. Exactement !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme beaucoup d’acteurs du transport routier, j’ai le sentiment que le Gouvernement a déjà oublié ce que le mot concertation voulait dire.

M. Nicolas Dhuicq. Comme toujours !

M. Julien Aubert. « Concertation. – Pratique qui consiste à faire précéder une décision d’une consultation des parties concernées. » Voici la définition que donne le Petit Larousse…

M. Arnaud Leroy. Il est banni, à l’UMP ! (Sourires.)

M. Julien Aubert. …– j’espère qu’Hervé Mariton me pardonnera cette référence – du mot « concertation ».

Vu le grand nombre de courriers et de courriels que nous avons reçus ces dernières semaines à propos de ce texte,…

M. François-Michel Lambert. Ça s’appelle un lobby !

M. Julien Aubert. …force est de constater qu’en matière de concertation, le Gouvernement est croyant, mais pas pratiquant ! Il a manifestement oublié de demander leur avis à tous les acteurs du transport routier.

Le problème n’est pas le principe d’application d’une écotaxe, qui fait l’objet d’un accord unanime. Seul hic : les transporteurs routiers ne comprennent pas la manière dont s’appliquera l’écotaxe décidée par le Gouvernement ; nous non plus.

Pourquoi ? Les raisons en sont simples. Le Gouvernement refuse de clarifier les questions suivantes : quel est le statut juridique de la majoration ? Qui est le redevable de la taxe ? Comment réconcilier le montant de la majoration et celui de l’écotaxe ?

M. Florent Boudié. C’est mesquin !

M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis. C’est faux !

M. Julien Aubert. En effet, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. Derrière l’habillage politique, qui consiste à parler d’une écotaxe acquittée par le client final, via les transporteurs routiers, se cache la réalité juridique et budgétaire, qui consiste à voter une écotaxe dont le redevable est le transporteur routier, mais qui est compensée par un curieux animal fiscal, la majoration des coûts de transports. Je parle de curieux animal fiscal, car rares sont les augmentations de prix dans le secteur concurrentiel votées par le Parlement au bénéfice d’opérateurs privés, sans référence à une obligation de service public. De cette ambiguïté originelle découle toute une série de problèmes.

Le Gouvernement ne veut pas inscrire le fait que le redevable de la taxe est le client final, car c’est une vérité politique mais une inexactitude juridique, puisque cela ferait de facto de la majoration du prix de transport un prélèvement obligatoire.

M. Florent Boudié. La lassitude nous guette, monsieur Aubert !

M. Julien Aubert. Du coup, avec le dispositif actuel, la majoration du prix du transport pourra bénéficier à tout intervenant dans l’opération de transport. Ce sera notamment le cas des commissaires de transport, qui sont des intermédiaires entre le donneur d’ordre et le transporteur routier. Cela vous paraît-il logique ? À moi, non.

M. Nicolas Dhuicq. Absurde ! C’est la chasse au snark !

M. Julien Aubert. Le Gouvernement refuse de caractériser le statut de la majoration et continue de la présenter comme un chiffre d’affaires, et non comme un transfert de charges, ce qui conduirait à accréditer l’idée que le client final est bien le vrai redevable de la taxe. Cela pose un premier problème : les transporteurs seront taxés sur leur compensation. Cela en pose un second, en faisant exploser la fiction juridique d’une écotaxe bâtie comme la TVA, qui est payée, en cascade, par les acteurs économiques, pour être in fine collectée par l’État. Tout le monde est perdu, et l’État est perdant !

M. Arnaud Leroy. Quel talent ! Quel sens de la formule ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Julien Aubert. Il n’est pas possible de considérer l’écotaxe comme une TVA écologique, comme un seul dispositif en deux étapes, car le calcul de la taxe varie suivant qu’elle est collectée au niveau des transporteurs ou au niveau des clients finaux.

Les transporteurs acquitteront une écotaxe calculée en fonction des routes empruntées par le véhicule. Le client, en revanche, acquittera une majoration forfaitaire, qui dépendra des régions traversées et qui sera, comme le dit bien l’article 7, indépendante de l’itinéraire.

M. Jean-Marie Sermier. Exactement !

M. Julien Aubert. En d’autres termes, il y aura donc un delta positif ou négatif, suivant que la société de transport parvient à échapper aux itinéraires taxés ou non.

Pour résumer, les transporteurs garderont une partie du produit collecté auprès du client final, s’ils parviennent à se débrouiller sur les itinéraires empruntés, et que le produit de l’écotaxe est inférieur à la majoration forfaitaire.

Juridiquement, cela pose un double problème. Premièrement, bien que le Gouvernement cherche absolument à masquer la véritable nature de la majoration en la présentant comme un élément du bilan des entreprises et non comme une taxe, le reliquat indûment conservé par le transporteur est bel et bien une fraction de recette publique conservée par un acteur privé. Le Parlement votera, avec cette loi, un barème d’imposition mais ne pourra pas décider d’encadrer, de limiter ou de récupérer ce solde. En d’autres termes, une fraction de la ressource publique échappera au budget annuel examiné par le Parlement : les parlementaires verront bien le produit de l’écotaxe, mais pas le reliquat acquitté par le client, qui vient en surplus de l’écotaxe payée par les transporteurs. On violera ici le principe d’annualité du budget de l’État.

M. Florent Boudié. Tout ça pour ça !

M. Julien Aubert. Deuxièmement, pour les mêmes raisons, la loi qui nous est présentée, violera le principe de non-affectation des recettes, puisque ce solde sera automatiquement affecté aux transporteurs.

C’est le produit d’un prélèvement obligatoire dont on ne dit pas le nom, directement encaissé par un opérateur privé, sans passage par la caisse parlementaire.

Tout ceci pour vous dire, monsieur le ministre, que vous devez revoir la copie. Parfois, la concertation a du bon, y compris au Parlement. L’existence de ce reliquat suscite toute une série de questions que je ne peux soulever ici par manque de temps : l’égalité devant les charges publiques entre les transporteurs, les enrichissements sans cause que permet ce texte, la création de ressources extrabudgétaires ou l’affectation au bénéfice des transporteurs les mieux lotis de par leur situation géographique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kemel.

M. Florent Boudié. Enfin un intervenant sérieux qui va relever le niveau !

M. Philippe Kemel. Monsieur le ministre, vous nous l’avez dit dans votre première intervention : vous avez l’ambition de donner une grande cohérence à la politique des transports dont vous êtes en charge. Vous l’avez rappelé et M. Duron l’a précisé : elle doit être globale, multimodale, interopérationnelle. Vous avez souligné combien elle était un facteur d’aménagement du territoire, qui peut notamment être renforcé par le schéma logistique que cette politique des transports peut aussi prendre en compte.

Votre texte, par son titre, peut paraître éclectique alors qu’il permet de donner une réponse cohérente à l’ensemble de la politique que vous voulez mener. Pourtant, l’équation était particulièrement difficile à résoudre : la législation européenne, l’écovignette, les directives de dérégulation sociale, les directives sur le transport par fer. Vous deviez de surcroît prendre en compte les engagements du Grenelle de l’environnement, qui vous contraignaient à inventer une fiscalité nouvelle, une fiscalité écologique…

M. Jean-Marie Sermier. Ce n’est pas une fiscalité écologique !

M. Philippe Kemel. …c’est-à-dire une fiscalité supportée par le bénéficiaire du service. Bien sûr, à ma droite, on souffre d’amnésie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Oh oui !

M. Philippe Kemel. Je sais, ô combien, qu’un engagement avait été pris sur le Grenelle de l’environnement, mais, messieurs de l’opposition, vous l’avez oublié à cette heure tardive. Peut-être retrouverez-vous tous vos esprits demain, après une nuit de sommeil.

M. Julien Aubert. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis !

M. Arnaud Leroy. C’est vrai !

M. Philippe Kemel. Attendons donc demain.

Par tradition dans l’histoire du transport routier, le coût d’usage de l’infrastructure publique pesait sur le transporteur. Cette fiscalité n’a jamais été simple à mettre en œuvre parce que le secteur est très atomisé, fort fragile, et sa marge de rentabilité particulièrement faible.

À votre arrivée, vous avez trouvé sur votre bureau, monsieur le ministre, un décret qui, pour reprendre une expression populaire, n’était pas un cadeau. Vous avez réussi à rendre de la cohérence à l’ensemble du système.

M. Jean-Marie Sermier. Oh la la !

M. Philippe Kemel. Les organisations professionnelles – qu’il m’arrive de rencontrer, car la profession est fortement représentée dans le Nord-Pas-de-Calais – étaient particulièrement inquiètes, surtout lors de la préparation du texte sous l’ancienne majorité. Il n’y avait pas de concertation, sans doute, puisqu’ils envisageaient de descendre dans la rue. Ils se sont félicités de la manière dont vous avez repris le dossier.

Dès lors, vous avez su trouver les solutions pour donner de la cohérence à l’ensemble. Nous avons à présent un dispositif global, fiable et simple…

M. Julien Aubert. Ah oui ?

M. Jean-Marie Sermier. C’est une usine à gaz !

M. Philippe Kemel. Bien qu’il vous ait fallu gérer le système particulièrement abscons par lequel l’ensemble des investissements ont été confiés à une société privée Ecomouv, dont les financements pèseront lourdement dans le bilan général du système de l’écotaxe.

Nous entendons bien qu’il s’agit là d’un système de collecte et de reversement voisin de la TVA…

M. Jean-Marie Sermier. Cela n’a rien à voir !

M. Philippe Kemel. …qui peut être quelque peu pollué par la contribution à Ecomouv : un financement public se retrouve ainsi tout de suite attribué à un système privé. Il y aura sans doute là matière à éclaircissement.

M. Julien Aubert. Merci de le reconnaître !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. C’est vous qui l’avez signé !

M. Julien Aubert. Non, pas nous !

M. Florent Boudié. Bien sûr que si, c’est un partenariat public-privé !

Mme la présidente. Un peu de calme, mes chers collègues.

M. Philippe Kemel. C’est vous, me semble-t-il, chers collègues de l’opposition, qui avez engagé le système avec Ecomouv. C’est vous qui avez contractualisé avec cette structure. C’est à cause de vous si, aujourd’hui, chaque annualité versée à Ecomouv pèsera particulièrement dans le bilan général de l’écotaxe.

Néanmoins, l’écotaxe permettra de favoriser la multimodalité. Bien sûr, celle-ci suppose que le transport fluvial et le transport ferroviaire se développent. C’est pourquoi nous sommes un certain nombre d’élus, dans cet hémicycle, à souhaiter que vous étudiiez, avec tous ceux qui y ont travaillé, le dossier du canal Seine-Nord, qui doit profiter pleinement de cette écotaxe. En effet, le développement du transport fluvial et des autoroutes ferroviaires donneront à la France un schéma de transport logistique qui lui offrira toutes les possibilités de développer l’échelon régional. Merci, monsieur le ministre, pour la qualité de la politique des transports que vous menez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy.

M. Arnaud Leroy. Je voudrais tout d’abord informer M. Aubert….

M. Florent Boudié. Il en a besoin !

M. Arnaud Leroy. …que je tiens à sa disposition une petite brochure explicative, très simple, éditée par le ministère.

M. Julien Aubert. Quelle arrogance !

M. Arnaud Leroy. Ce n’est pas de l’arrogance, mais de l’information. Vous disiez que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. J’espère que vous mettrez la nuit à profit pour lire cette brochure.

Mme la présidente. Je vous remercie de ne pas engager de dialogue et de poursuivre votre intervention sur le fond, monsieur Leroy.

M. Arnaud Leroy. S’agissant de l’écotaxe poids lourds, beaucoup a été dit ce soir, mais il me paraît essentiel d’en souligner le caractère innovant, de rappeler le caractère inédit de cette fiscalité écologique et de saluer la volonté du Parlement de se doter d’un outil d’évaluation après un an. Je rends hommage à cet égard au travail des rapporteurs, en particulier de M. Verdier, qui a défendu haut et fort en commission cette évaluation. Je tiens d’autant plus à cette mesure qu’elle reflète le rôle que nous cherchons à donner à l’Assemblée nationale.

Je concentrerai mon propos sur un sujet qui n’a pas été abordé ce soir, celui des gens de mer.

Yann Capet a souligné à plusieurs reprises l’importance des dispositifs prévus à l’article 4. Je m’arrêterai sur la question très particulière du financement des foyers.

Vous le savez, monsieur le ministre, j’ai déposé un amendement en commission,…

M. Florent Boudié. Excellent amendement !

M. Arnaud Leroy. …car cette affaire traîne depuis déjà trop longtemps. Cela fait de longues années que nous nous heurtons à la difficulté d’assurer des financements aux foyers d’accueil des marins installés dans les ports français. L’État intervient par l’intermédiaire de conventions conclues avec la direction des affaires maritimes. Il a mis en place des commissions portuaires préfectorales de bien-être des gens de mer et un conseil supérieur des gens de mer, à l’échelon national. Ces commissions portuaires permettent de coordonner les acteurs et les collectivités territoriales, de consulter les professionnels portuaires, mais elles ne sont nullement destinées à gérer des foyers d’accueil ou des services sociaux, et elles ne sont pas dotées d’un budget.

Ce sont donc les associations qui interviennent en effectuant des visites à bord des navires et des installations sommaires de foyers. Quelques consignataires ont accepté des contributions volontaires pour financer ce système ; des collectivités territoriales, notamment le conseil régional de Bretagne, apportent leur soutien et leur contribution. Malgré toutes les bonnes intentions, tout cela est loin d’être suffisant. C’est ce constat, ce SOS, de la fédération nationale des associations d’accueil des marins dont je veux me faire l’écho auprès de vous ce soir.

Ces associations de bénévoles, qui permettent à l’État de tenir l’engagement pris en ratifiant la convention 163 et bientôt la convention sur le travail maritime de 2006, de veiller au bien-être des gens de mer dans ses ports, doivent bénéficier d’un financement pérennisé et sécurisé.

La France, qui a pris une part active dans l’élaboration de cette convention, n’a pu figurer dans les trente premiers pays l’ayant ratifiée. Elle s’honorerait aujourd’hui à mettre en place un financement durable via une possible redevance obligatoire, qu’il conviendrait de discuter, dans le cadre des droits de port. Plus efficace et prévisible que la contribution volontaire, elle permettrait de donner de la visibilité à cette action associative.

Cette fenêtre législative me semblait adéquate pour une telle avancée et vous m’avez convaincu, lors de la discussion de l’amendement que j’avais déposé en commission, de votre intention d’aller de l’avant en la matière. Puis-je, monsieur le ministre, vous demander de réitérer cet engagement,…

M. Julien Aubert. Dans les yeux !

M. Arnaud Leroy. …ce soir, devant la représentation nationale, et de préciser la méthode et un calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Thierry Benoit. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Ferrand, qui est le dernier orateur inscrit.

M. Richard Ferrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, sans surprise, je souhaite concentrer mon propos sur le dispositif de la taxe poids lourds dite écotaxe, qui, comme le souligne non sans malice le rapport, était « très attendu ». Un euphémisme pour désigner, non pas l’impatience que suscite l’avènement d’une taxe, mais la nécessité de trouver une solution législative à un enjeu politique.

Si le projet de loi initial ne traitait, en son article 7, que du mécanisme de répercussion de la taxe, l’examen du texte, d’abord au Sénat puis au sein des commissions de notre assemblée, a naturellement conduit à traiter bien sûr de la taxe elle-même, mais également de ses modalités concrètes de mise en œuvre.

C’est vrai que le dispositif dans son ensemble – taxe et répercussion – n’est pas le moins complexe qui soit,….

M. Nicolas Dhuicq. Ah !

M. Richard Ferrand. …mais les objectifs d’une telle mesure, qui s’inscrit dans le cadre européen, sont partagés par tous, puisque c’est sous la majorité précédente qu’elle a été votée.

M. Nicolas Dhuicq. Un moment d’égarement !

M. Richard Ferrand. Au commencement était donc la taxe Borloo, issue du Grenelle de l’environnement, premier du nom.

Notons à cet égard que l’article 11 du projet de loi Grenelle fixant les principes directeurs de l’écotaxe prévoyait un système de répercussion sur « les bénéficiaires de la circulation des marchandises ».

Mesure phare de la majorité d’hier au titre de la fiscalité écologique, sa mise en œuvre fut bien plus laborieuse que les annonces de principe. Entre atermoiements et choix peu judicieux, c’est un véritable parcours semé de nids de poule et de ralentisseurs qu’a dû surmonter la taxe poids lourds. Ainsi, alors que son entrée en vigueur était annoncée et prévue en 2011, la publication improvisée du décret portant application du système de répercussion est intervenue le 6 mai 2012, à l’attention sans doute de ceux qui, ce jour-là, lisaient le Journal officiel.

À vrai dire, seule l’inefficience était à la hauteur du retard. Décret tardif, décret précipité, décret complexe, décret contesté, décret décrié par la profession : voilà l’héritage confié au Gouvernement, en particulier à vous, monsieur le ministre. Finalement, il revient au Gouvernement, et à nous tous, aujourd’hui, de jeter l’eau du bain, mais pas le bébé.

Efficacité, simplicité, objectifs écologiques, souci du juste équilibre entre le coût supporté par le transporteur et le coût supporté par le chargeur, prise en compte de tous les intérêts et difficultés auxquels chacun fait face : voilà, en quelques mots, les enjeux complexes contenus dans cet exercice difficile.

À cet égard, il est compréhensible que notre collègue Le Fur ait pu proposer un renvoi en commission, souhaitant sans doute une explication particulière puisque, jamais en commission, il n’est venu faire connaître ses propositions, que ce soit à la commission des affaires économiques ou à celle du développement durable.

M. Jean-Marie Sermier. Cette remarque est mesquine !

M. Richard Ferrand. Nous saurons l’instruire de ces différents enjeux.

Le système que vous mettez sur la table, monsieur le ministre, revoit totalement les modalités de répercussion de la taxe. Il consiste simplement, cela a été déjà été dit, en une majoration forfaitaire de la prestation de transport que les transporteurs appliqueront à leurs chargeurs pour compenser le coût de l’écotaxe.

Au final, et très concrètement, deux problématiques principales résultent de ces modalités d’application lorsqu’il s’agit de transport pour compte d’autrui, comme l’a exposé notre collègue Corinne Erhel.

D’abord, dans le cas des transports interrégionaux, l’application d’un taux interrégional uniforme pour toutes les régions induit en effet un lissage des minorations du taux kilométrique pour les régions périphériques, ce qui en dilue et réduit de fait l’impact et le but poursuivi. Appréhender spécifiquement la part du transport dans les régions périphériques pour l’application du taux intrarégional aurait été souhaitable, mais sa mise en œuvre se serait sans doute heurtée à des difficultés de faisabilité.

Ensuite, dans le cas des transports intrarégionaux, la majoration systématique conduit à majorer les prix de tous les transports, y compris ceux qui n’empruntent pas les routes écotaxées. Ainsi, se retrouveront taxés, indirectement, les chargeurs, c’est-à-dire les producteurs qui recourront à un service de transport, alors même que ce dernier emprunterait uniquement des routes libres, voire explicitement exonérées.

Gageons néanmoins que les négociations entre transporteurs et chargeurs, aptes à prendre en compte les circonstances conjoncturelles, feront office de garde-fou, de manière à parvenir à un équilibre réel.

Quoi qu’il en soit, comme je viens à l’instant de l’indiquer, ce système de majoration forfaitaire conduit à lisser les minorations voulues dès l’origine et à juste titre pour les régions françaises périphériques, qu’il s’agisse de l’Aquitaine, de Midi-Pyrénées ou de la Bretagne. Ce sujet méritera un débat lors de la discussion des amendements. Il ne s’agit pas de remettre en cause le dispositif de répercussion, mais de reprendre en considération la périphéricité d’un certain nombre de territoires.

J’entends, ici et là, dire dans l’opposition que l’écotaxe aurait perdu son préfixe, qu’il s’agirait même d’une usine à gaz.

M. Jean-Marie Sermier. C’est exact !

M. Richard Ferrand. De la part de ceux qui ont plus ou moins abandonné ce projet – comme tout projet de fiscalité écologique –, qui ont conçu les premières modalités totalement inopérantes de ce dispositif, c’est un peu l’hommage du vice à la vertu !

Monsieur le ministre, le texte que vous présentez témoigne de l’aboutissement d’un travail de concertation approfondi pour un résultat cohérent, alors que l’ensemble qui vous avait été légué était mal ficelé et mal embarqué. Il est maintenant de notre responsabilité de l’améliorer, de le parfaire et d’en optimiser la mise en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, cette intéressante discussion générale a permis de révéler un certain nombre de contradictions dans les différents arguments utilisés par l’opposition. Celle-ci a tenté de mettre à mal un texte qui vise simplement, en ce qui concerne l’écotaxe poids lourds, à revenir sur l’approximation d’un décret qui nous a été légué et qui est, de l’aveu même de l’ensemble des professionnels, inapplicable – c’est le moins que l’on puisse dire. Qu’il s’agisse des chargeurs ou des transporteurs, aucun des représentants de ces professions ne souhaitait l’application de ce décret. Nous avons donc remis le travail sur le métier, pour rebâtir un texte qui soit applicable et le plus pertinent possible.

Je tiens à remercier les différents intervenants.

Je veux dire à M. Pancher et à M. Saddier que ce dispositif présente une sécurité juridique. D’ailleurs, le texte a été soumis pour avis au Conseil d’État. Au demeurant, s’il est un texte juridiquement fragile, c’est bien celui qui était contenu dans le décret du 4 ou du 6 mai, selon que l’on prend la date de la signature ou de la publication, de l’an dernier. Notre dispositif se veut simple, clair et solide juridiquement.

François-Michel Lambert a souligné qu’il s’agissait de mettre en place un dispositif dont il appelait de ses vœux l’élargissement du champ d’application. Telle fut ma position devant le Sénat, puisque je m’en suis remis à la sagesse de la Haute assemblée s’agissant de la disposition relative aux collectivités publiques ; nous verrons quel sort lui réservera l’Assemblée.

Jacques Krabal est revenu sur un certain nombre de dispositions. Je reviendrai plus tard sur la taxe à l’essieu, la TSVR – la taxe spéciale sur certains véhicules routiers –, dont la remise en cause ne repose aujourd’hui sur aucun fondement.

Je remercie également Florent Boudié, qui a rappelé calmement – il lui a fallu faire preuve de pédagogie et de patience – un certain nombre de vérités sur le dispositif de l’écotaxe. Hélas, cela n’a pas suffi !

M. Arnaud Leroy. Ce n’était pas facile !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Nous y reviendrons donc demain, afin de tenter à nouveau de faire comprendre à l’opposition ce qu’il en est précisément.

M. Julien Aubert. Merci pour le cours !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Je vous remercie également d’avoir enrichi le débat par plusieurs propositions, concernant notamment les obligations de la SNCF vis-à-vis des régions, obligations qui permettront d’assurer une meilleure transparence.

Je salue également l’intervention d’André Chassaigne. Je partage son constat sur la politique des transports de ces dernières années : beaucoup d’effets d’annonce et d’objectifs affichés. Ainsi, le Grenelle de l’environnement a annoncé que la part de marchandises transportées par voie ferroviaire passerait en quelques années à 25 %. Or, on a abandonné le wagon isolé et remis en cause le fret, y compris le financement des infrastructures, de sorte que nous nous retrouvons dans la situation actuelle.

Je souhaite par ailleurs vous apporter une précision, monsieur Chassaigne. Vous avez évoqué la suppression de 128 postes à Voies navigables de France. Ces postes n’étaient plus pourvus. Donc, aujourd’hui, il n’y a pas de diminution d’effectifs chez VNF. De ce point de vue, nous n’avons pas la même approche de la mise à sac des services publics ; je pense à celle que nous avons connue dans le cadre de la RGPP, qui frappait sans discernement les différents services publics, sans se préoccuper de leur intérêt ou de leur importance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Saddier regrette la procédure accélérée. Mais, si le dispositif avait été parfait, nous n’aurions pas été obligés de passer par une disposition législative pour corriger un décret bancal. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, seul le ministre a la parole. Je vous remercie de bien vouloir l’écouter !

M. Martial Saddier. Vous avez eu un an pour revenir dessus !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Oui, c’est le temps de la concertation. Il faudrait savoir : vous dites qu’il n’y a pas eu de concertation, mais Philippe Kemel et Corinne Erhel ont souligné que les différents acteurs du transport avaient bien constaté une nouvelle approche. Du reste, tous ceux que j’ai rencontrés, notamment les représentants d’organisations syndicales et professionnelles, étaient satisfaits de pouvoir se rendre au ministère des transports pour rencontrer enfin un ministre qui les écoutait dans le cadre de l’élaboration d’un dispositif dont vous conviendrez qu’il aura des conséquences sur l’avenir des transports en général.

Je remercie Yann Capet et Arnaud Leroy d’avoir « maritimisé » cette discussion. Le texte comporte des dispositions très importantes en la matière. Arnaud Leroy est intervenu sur les foyers pour l’accueil des gens de mer. À ce propos, mesdames, messieurs de l’opposition, je me permets de vous dire que vous auriez dû, puisque vous ne connaissez manifestement pas l’enjeu de ce problème, écouter votre collègue avec attention. La question qu’il a soulevée est en effet sensible socialement, respectueuse des gens, et notamment des gens de mer. Son intervention méritait donc de l’attention plutôt que la dérision que vous avez manifestée et qui témoigne de votre méconnaissance complète de l’enjeu maritime et du traitement social qui doit être réservé aux gens de mer. Le financement des structures qu’il a évoquées est une difficulté majeure à laquelle nous serons confrontés. Je veux donc rendre hommage au bénévolat, à toutes celles et ceux qui se dévouent pour qu’il y ait un accueil social dans les différentes places portuaires. Cela étant, je réitère l’engagement, que j’ai pris devant vous en commission, de lancer ce chantier, qui n’est pas l’un des moindres.

Philippe Kemel a salué la nouvelle politique de transports et nous l’en remercions. Comme lui, nous sommes attentifs à l’évolution d’un certain nombre de grands projets qui montrent que nous souhaitons une politique non seulement crédible, mais réaliste et réalisable. Nous ferons en sorte de le démontrer.

Je remercie Philippe Duron de s’être inquiété des conséquences du décret tant décrié et d’avoir souligné que le dispositif de l’écotaxe poids lourds est le seul qui permettra de taxer de façon égalitaire les 250 000 transports poids lourds étrangers, qui n’ont jusqu’à présent à s’acquitter d’aucune taxe nationale. Ce dispositif égalitaire permettra de gommer les différences dans cette compétition, car nous ne souffrons pas d’un excès de réglementation, mais d’un excès de déréglementation en ce qui concerne l’Europe. Je le dis en réponse à certaines interventions, et notamment celle de M. Aubert.

Je remercie Richard Ferrand pour son constat. Son intervention va également permettre d’améliorer le texte, mais nous y reviendrons.

Monsieur le président Chanteguet, vous m’avez interrogé sur la mission des contrôles routiers. C’est un sujet très important. Les CTT – les contrôleurs des transports terrestres – sont en effet dans ce ministère un corps d’une grande importance. Pour la première fois, nous avons abordé, sous l’impulsion du Premier ministre, la question de la fraude et du travail illégal dans le transport routier. Jusqu’à présent, le comité interministériel prenait certaines dispositions, notamment dans le domaine financier. Le transport vient d’être intégré parmi les sujets prioritaires de lutte contre la fraude. Les dispositions permettant d’améliorer les contrôles et les compétences des contrôleurs routiers rendront plus effective l’opposabilité des règles.

Je rappelle qu’il n’y a eu aucune suppression de postes dans le cadre des contrôles du transport routier, profession que par ailleurs je souhaite particulièrement saluer. La mission de ceux qui l’exercent est extrêmement difficile. Je suis allé à leur rencontre sur le terrain afin de leur montrer tout l’intérêt du Gouvernement pour leur mission, qui crédibilise l’ensemble des dispositifs opposables.

M. Martial Saddier. Et les coûts de gestion ? Les exonérations ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Voilà, mesdames et messieurs, j’allais dire mes chers collègues dans un accès de nostalgie ! (Sourires.) Je pourrais revenir sur le fond, mais nous aurons une discussion, tant sur les amendements que sur les articles, au cours de laquelle je ferai preuve de pédagogie pour vous faire comprendre, mesdames, messieurs de l’opposition, que le seul enjeu qui vaille, c’est que le texte, l’article 7 en particulier, permette de mettre en œuvre dès le mois d’octobre un dispositif solidifié, réaliste et efficace permettant le financement des infrastructures alternatives de transport.

M. Martial Saddier. Nous ne sommes pas convaincus !

M. Julien Aubert. C’est un dispositif bancal et unijambiste !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Un peu de modestie ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Julien Aubert. Enfin un moment de sincérité !

M. Martial Saddier. C’est pour demain ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Votre bilan et l’état dans lequel vous nous avez laissé le dispositif invitent à un peu de calme et de raison et surtout à un peu d’écoute.

M. Julien Aubert. Après la leçon de morale, la leçon de politique !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous auriez, en écoutant les parlementaires de la majorité, beaucoup appris sur ce que vous n’avez pas fait et que vous auriez dû faire. En tout cas, nous sommes tout à fait fiers de présenter aujourd’hui à la profession des perspectives solides et stables qui favoriseront la lisibilité de l’action publique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, jeudi 11 avril 2013 à neuf heures trente :

Approbation de conventions et accords internationaux ;

Suite du projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport ;

Deuxième lecture de la proposition de loi visant à renforcer l’information des voyageurs lors de la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 11 avril 2013, à zéro heure cinquante.)