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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Séance du mardi 16 avril 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Moralisation de la vie politique

M. Guy Geoffroy

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Tensions politiques

Mme Sandrine Mazetier

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Politique française pour la promotion des droits de l’homme

M. Alain Tourret

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement

Expulsions locatives

Mme Marie-George Buffet

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Mariage pour tous

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Gouvernement de la France

M. Xavier Bertrand

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Attentat de Boston

M. Yves Goasdoué

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Lutte contre l’évasion fiscale

M. Éric Alauzet

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Politique intérieure

M. Philippe Cochet

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Évasion de Redoine Faïd

M. Francis Vercamer

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Politique pénale du Gouvernement

M. Jacques Alain Bénisti

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Lutte contre le décrochage scolaire

Mme Florence Delaunay

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale

Pouvoir d’achat des Français

Mme Véronique Besse

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Mariage pour tous

M. François de Mazières

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Mesures en faveur de l’artisanat

Mme Marie-Hélène Fabre

Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme

Crise de la production laitière

M. Yves Nicolin

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

2. Fixation de l’ordre du jour

3. Infrastructures et services de transports

Vote solennel

Explications de vote

M. Bertrand Pancher, M. François-Michel Lambert, M. Olivier Falorni, M. Gaby Charroux, M. Florent Boudié, M. Jean-Marie Sermier

Vote sur l’ensemble

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche

Suspension et reprise de la séance

4. Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modification du calendrier électoral

Lecture définitive

Présentation

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable

M. Guillaume Larrivé

M. Pascal Popelin, rapporteur, M. Manuel Valls, ministre, M. François Sauvadet, M. François de Rugy, M. Alain Tourret, M. Gaby Charroux, M. Carlos Da Silva, Mme Annie Genevard

Discussion générale

M. François Sauvadet

M. François de Rugy

M. Alain Tourret

M. Gaby Charroux

M. Carlos Da Silva

M. Éric Ciotti

Mme Frédérique Massat

M. Alain Chrétien

M. Yves Goasdoué

5. Élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux

Commission mixte paritaire

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Discussion générale

M. François Sauvadet

M. Guillaume Larrivé

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. Qu’il me soit permis de dire au peuple américain, au nom de la représentation nationale, combien nous partageons l’émotion consécutive au terrible attentat perpétré hier dans la ville de Boston.

L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Moralisation de la vie politique

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Cachez ce Cahuzac que je ne saurais voir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. –Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Paul Bacquet. Ça suffit !

M. Guy Geoffroy. Voilà, en résumé, la stratégie que vous avez choisie, monsieur le Premier ministre, ainsi que le Gouvernement et le Président de la République, pour éviter de répondre aux justes et légitimes questions que se posent nos concitoyens. Vous aurez beau trouver des dérivatifs, comme le simulacre de moralisation de la vie publique ou le coup de force sur le mariage pour tous engagé à la hâte vendredi dernier, rien n’y fera, la réalité s’imposera à vous.

La réalité, monsieur le Premier ministre, c’est que les allégations autour de M. Cahuzac et le halo sulfureux qui s’en est dégagé ne datent pas d’hier. La réalité, c’est que vous fûtes président du groupe socialiste ici même pendant quinze ans. La réalité, c’est que le Président de la République fut premier secrétaire du parti socialiste pendant onze ans.

M. Jean-François Lamour. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. La réalité, c’est que l’un et l’autre et vous tous ensemble avez fait de M. Cahuzac un élu de la nation, un président de la commission des finances et enfin un ministre adulé chargé des contrôles fiscaux.

Dès lors, ma question est simple, allez-vous immédiatement dire la vérité aux Français ? Allez-vous leur dire pourquoi votre administration s’est contentée de la Suisse sans s’intéresser à Singapour ? Allez-vous dire aux Français pourquoi vous n’avez pas donné à cette affaire dès le mois de décembre l’importance qui convenait ? Allez-vous dire aux Français, les yeux dans les yeux, la vérité, toute la vérité ? Les Français l’attendent, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, votre question comporte tout d’abord un amalgame inacceptable consistant à laisser penser que la faute personnelle et le mensonge de Jérôme Cahuzac, qu’il a d’ailleurs reconnus dans ses aveux, devraient jeter l’opprobre sur un parti tout entier et sur le Gouvernement tout entier. Telle est votre technique : tacher, répandre le soupçon, militer pour la rumeur, alimenter la calomnie ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est faux ! C’est votre stratégie !

M. Pierre Moscovici, ministre. Ce n’est pas ainsi qu’une grande démocratie fonctionne. Je vous rappelle par ailleurs que ce n’est pas nous qui avons fait de M. Cahuzac un élu, mais ses électeurs. Quant à son élection à la présidence de la commission des finances, vous l’avez applaudie, mesdames et messieurs les députés de l’ancienne majorité, et avez travaillé dans les meilleures conditions avec ce président de la commission des finances. Je note d’ailleurs qu’au moment où Jérôme Cahuzac est venu dire ici ce qu’il avait à dire, vous ne l’avez pas mis en cause.

J’en viens au fond de la question, c’est-à-dire à votre demande, monsieur le député, que la vérité soit faite, toute la vérité.

M. Yves Fromion. Singapour !

M. Pierre Moscovici, ministre. Quand il a été question des sondages de l’Élysée lors du précédent quinquennat, vous avez refusé une commission d’enquête. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Et nous, ici, nous avons accepté, comme l’a dit le Premier ministre, le principe d’une commission d’enquête. Il vient d’être validé par le Bureau de l’Assemblée. J’ai eu l’honneur de présider une telle commission. Devant une commission d’enquête, on prête serment et on dit la vérité. En ce qui me concerne, comme d’ailleurs chacun ici, j’attends avec tranquillité, sérénité, fermeté d’âme…

M. Philippe Armand Martin. Ça se voit !

M. Pierre Moscovici, ministre. …et j’ajoute même avec impatience, de pouvoir démonter l’amalgame, le soupçon et la rumeur, qui ne grandissent pas la démocratie française et qui sont votre fonds de commerce ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Tensions politiques

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sandrine Mazetier. « Hollande veut du sang, il en aura » : l’escalade verbale des opposants au mariage pour tous est résumée par cette menace sans nuance de Mme Barjot, étrange égérie d’une droite républicaine qui s’égare. Empêtrée dans la guerre de ses chefs et dans une opposition aussi stérile qu’incohérente, la droite feint à peine la gêne quand un député UMP demande : « c’est la guerre civile qu’il veut ? » Dans la période que nous vivons, les mots sont durs et sont des armes. Les agressions contre les homosexuels se multiplient. Elles sont intolérables et il appartiendra à la justice de les punir avec sévérité.

M. Jean-Luc Reitzer. Cela n’a rien à voir avec nous !

Mme Sandrine Mazetier. Les intimidations se multiplient aussi contre ceux qui défendent le mariage pour tous dans le débat public, comme notre courageux rapporteur Erwann Binet (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) ainsi que des ministres ou des personnalités comme Caroline Fourest. On ne compte plus les permanences de parlementaires vandalisées. Je veux aussi condamner l’insupportable action menée vendredi contre le sénateur UMP du Vaucluse Alain Milon parce qu’il avait osé s’abstenir sur le mariage pour tous. Les gendarmes qui l’ont défendu des coups des manifestants ont été eux-mêmes molestés. Ces actes sont des attentats contre la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Claude Goasguen. Ben voyons ! Et Cahuzac, ce n’est pas un attentat contre la démocratie ?

Mme Sandrine Mazetier. Ils sont nourris par des discours de haine mais aussi par le silence coupable de ceux qui devraient appeler au calme face à une telle radicalisation. De droite comme de gauche, les partisans du mariage pour tous sont devenus la cible des adversaires de la démocratie. De droite comme de gauche, nous devons unir nos voix pour dénoncer avec la plus grande fermeté ces dérives dangereuses.

Monsieur le Premier ministre, face à l’irresponsabilité dont certains font preuve, vous avez fait le choix de la fermeté et de la responsabilité en accélérant le calendrier d’examen de ce grand texte d’égalité républicaine qu’est le mariage pour tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la vice-présidente de l’Assemblée nationale Sandrine Mazetier, dans notre démocratie, le droit de manifester fait partie des droits fondamentaux.

M. Gérald Darmanin. Cahuzac !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il doit être respecté, sur le projet de loi ouvrant le mariage à tous comme sur d’autres questions. Mais, en démocratie, la violence n’est pas acceptable. Tous les appels susceptibles d’y mener portent atteinte à la démocratie elle-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à entrer dans la phase finale de l’examen du projet de loi ouvrant le mariage à tous, il est important d’appeler chacun à la raison et au respect des règles, du droit et de l’ordre républicains.

M. Philippe Meunier. Retrait du projet de loi !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Chacun est libre de manifester, mais dans le respect des autres. C’est pourquoi le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, rencontrera cet après-midi à seize heures les organisateurs des différentes manifestations afin qu’elles aient lieu dans le respect du droit et que chaque organisateur soit bien en face de ses responsabilités. Je le dis ici : le Gouvernement fera respecter l’ordre républicain, garantie de l’unité nationale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Le Sénat, après l’Assemblée nationale, a adopté l’essentiel des articles du projet de loi et les a votés conformes. C’est pourquoi il est apparu tout à fait cohérent que le Gouvernement, comme c’est son droit légitime et légal, inscrive à l’ordre du jour la fin de l’examen de ce texte. Le débat a été âpre et long, mais il a été légitime.

M. Yves Fromion. C’est la débandade !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. À chacun, maintenant, de voter en conscience et d’approuver ou de désapprouver un projet de loi qui, s’il est voté, fera honneur à la République.

M. Michel Voisin. Ce n’est pas fini !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Chacun ici est libre de défendre son opinion et a même le devoir de le faire.

M. Claude Goasguen. Merci !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Toutefois, mesdames et messieurs les députés de la droite, si vous ne voulez pas voter un texte que vous avez parfaitement le droit de contester et de combattre, vous avez le devoir de respecter la majorité issue des urnes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.) Et si vous n’êtes pas d’accord avec ce qui sera voté dans quelques jours, engagez-vous auprès des Françaises et des Français à abroger ou modifier la loi si un jour vous avez la majorité.

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Voilà la démocratie ! Si vous faites ainsi, alors vous aurez servi la République. Notre pays, aujourd’hui, n’a pas besoin d’affrontement mais de débat de convictions et aussi de rassemblement autour de ses valeurs. Je rappelle donc à toutes et à tous, sur tous les bancs de cette assemblée, qu’au-delà de ce qui nous divise, il y a l’unité de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Politique française pour la promotion
des droits de l’homme

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, avant de poser ma question, je voudrais vous dire que nous sommes fiers, dans la tourmente que les parlementaires traversent, de vous avoir pour président de notre assemblée (Applaudissements sur tous les bancs.)

Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères. Depuis la Déclaration des droits de l’homme, la France veut être un modèle, une référence pour la défense des droits de l’homme. Tous ceux qui sont persécutés dans leur pays, tous ceux qui luttent pour la liberté, tous ceux qui croient en l’humanisme attendent de la France des gestes forts, des actions significatives, même si ceux-ci doivent déplaire aux pouvoirs en place.

La Realpolitik ne peut être l’alpha et l’oméga de la politique française. J’en donnerai deux exemples, à commencer par celui de l’abolition universelle de la peine de mort. Quelles actions la France compte-elle mener à ce sujet ? Ne pourrait-elle pas, à Bruxelles, à New York et à Paris, prendre des initiatives fortes et marquantes, intervenir auprès de chaque État qui maintient la peine de mort, intervenir lors de chaque exécution ? Rien n’est pire que le silence, monsieur le ministre !

Par ailleurs, en Russie, l’avocat Sergueï Magnitski est mort assassiné en prison pour avoir dénoncé la corruption. Le Président de la République, François Hollande, s’est rendu en Russie en février dernier. Plusieurs députés lui avaient écrit pour lui rappeler que Magnitski avait été assassiné et que ses assassins auraient à répondre de leur crime. Après l’Assemblée du Conseil de l’Europe, après les présidents Barroso et Van Rompuy, les États-Unis d’Amérique ont établi une liste de 250 personnes susceptibles d’avoir participé à l’exécution de Magnitski. Finalement, 18 personnalités russes sont accusées par les États-Unis de violation des droits de l’homme. La loi américaine prévoit de leur refuser l’entrée aux États-Unis et de geler leurs avoirs.

Ma question est simple : que compte faire la France dans cette affaire emblématique, et quelles initiatives va-t-elle prendre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du développement.

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. Monsieur le député, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Laurent Fabius, qui se trouve actuellement en déplacement en Mauritanie (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je répondrai donc en son nom à votre question portant à la fois sur la peine de mort et sur l’affaire Magnitski.

Pour ce qui est de la peine de mort, vous savez que la France s’est engagée, à l’initiative de Laurent Fabius, dans une grande campagne pour obtenir l’abolition universelle de la peine de mort. En décembre dernier, nous avons déjà obtenu, devant l’Assemblée générale des Nations unies, le vote d’une résolution par une majorité inégalée. C’est le signe que ces idées avancent dans le monde, en partie grâce à l’action de la France.

Dès les prochaines semaines, nous espérons engranger de nouveaux succès, à l’occasion du Congrès mondial contre la peine de mort qui doit se tenir en juin à Madrid. Nous espérons bien que de nouveaux pays vont prendre des engagements de nature à nous permettre de continuer à marquer des points dans notre combat.

En ce qui concerne l’affaire Magnitski, sachez que la France est extrêmement attentive à ce que la justice passe. Aujourd’hui, comme vous le dites, les responsables de cette affaire ne sont pas identifiés et restent dont impunis. C’est pourquoi, lors de chacun des contacts que nous avons avec la Russie, nous rappelons notre exigence que la justice soit faite et que les coupables soient punis. Nous le faisons publiquement, comme nous le faisons dans les dialogues bilatéraux, et en pleine cohérence avec nos partenaires européens, car c’est dans l’unité européenne que nous pourrons établir le rapport de force qui nous permettra d’obtenir la vérité sur cette affaire.

Monsieur le député, vous avez rappelé que la France était le pays des droits de l’homme. Pour ce gouvernement, pour Laurent Fabius et moi-même, ce n’est pas un simple slogan, mais une exigence de chaque instant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Expulsions locatives

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Madame la ministre de l’égalité des territoires et du logement, sans toit, comment trouver un emploi ? Sans toit, comment scolariser ses enfants ? Sans toit, a-t-on encore des droits ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Pourtant, dans notre pays, on met à la rue, pour des dettes de loyers, des familles composées de ces 9 millions de pauvres et de ces 5 millions de demandeurs d’emploi que compte la France. Selon la Fondation Abbé Pierre, 500 000 familles se trouvent en situation d’impayés de loyers. Les avis d’expulsion ne cessent de se multiplier : 113 000 décisions de justice en 2011, pour 49 000 en 2000.

C’est inhumain et absurde. Inhumain, parce que les familles expulsées n’ont d’autre recours que la rue ou le 115. Absurde, car le coût de l’hébergement d’urgence est plus onéreux que le maintien dans le logement. La Cour des comptes a d’ailleurs déploré qu’il n’existe aucune étude sur les surcoûts comparés d’un maintien dans le logement et d’un accueil dans une structure d’hébergement après expulsion. Au lieu d’expulser, il faut prévenir et accompagner, ce qui demande du temps. Mais le temps s’est réduit à proportion du Fonds d’indemnisation des propriétaires, passé dans les préfectures de 78 millions d’euros en 2005 à 42 millions d’euros en 2013. Jusqu’où va l’austérité ?

Madame la ministre, vous êtes intervenue pour le relogement des familles éligibles au DALO et vous avez allongé de quinze jours la trêve hivernale. Mais être sans toit au printemps n’est pas plus acceptable, et faire des heures de transport de l’hôtel où l’on est placé à sa ville d’origine pour scolariser ses enfants ne relève pas des rythmes scolaires. Sur ce problème essentiel, le Gouvernement va-t-il entendre les familles, les associations et les élus, qui signent des arrêtés anti-expulsion, au risque de se retrouver devant les tribunaux ? Madame la ministre, allez-vous décider un moratoire sur les expulsions locatives et créer ainsi les conditions d’un véritable droit à un toit ? (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement. (« Et des 4L ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Madame la députée, la question que vous posez est essentielle car, en effet, l’expulsion d’une personne ou d’une famille d’un logement précipite, le plus souvent, les personnes concernées dans une situation de grande précarité.

Comme vous l’avez dit, le Gouvernement a décidé de prolonger de quinze jours la trêve hivernale interdisant tout recours à la force publique. De même, depuis le 26 octobre dernier, une circulaire signée par mon collègue Manuel Valls et moi-même s’applique, en vertu de laquelle aucune expulsion d’une famille reconnue prioritaire DALO ne peut avoir lieu avant relogement ; si cela semble logique, ce principe n’était jusqu’à présent pas appliqué. Cette circulaire a vocation à s’appliquer aux 47 000 familles aujourd’hui en attente d’un logement.

Pour répondre de façon plus précise à votre question, il est certain que, pour éviter cette situation de grande rupture – des mois d’impayés aboutissant à une demande d’expulsion –, la meilleure des solutions est la prévention en amont. C’est pourquoi nous allons renforcer le rôle des commissions de prévention des expulsions locatives – les CCAPEX – et travailler au renforcement de leur lien avec le Fonds de solidarité logement, afin d’éviter la fragilisation des familles concernées. Nous allons encore plus loin : avec l’encadrement des loyers, dont le principe sera consacré par une prochaine loi, nous souhaitons faire en sorte que le niveau de loyer soit durablement compatible avec les ressources des familles.

Enfin, comme le Président de la République et le Premier ministre l’ont indiqué, le Gouvernement s’engage résolument dans une voie très différente, celle de la garantie universelle des loyers, qui constitue le moyen d’éviter toute expulsion en identifiant très précocement les difficultés et en sécurisant également les propriétaires qui, ainsi, ne se retrouveront pas dans une situation difficile, les conduisant parfois, à contrecœur, à demander une expulsion. La garantie universelle des loyers est aussi une réponse en termes d’accès au logement des plus fragiles, c’est un changement radical dans la politique du logement, et nous aurons l’occasion d’en discuter largement au sein de cette assemblée, dans le cadre du futur projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Fromantin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI). Avant de poser ma question, je voudrais simplement dire combien j’ai été surpris par le fait que M. Moscovici, tout à l’heure, dans sa réponse à propos de l’affaire Cahuzac, ait cité les électeurs. Il est extrêmement troublant d’aller chercher les électeurs dans une telle affaire. Si le Gouvernement n’était pas au courant de cette information, comment les électeurs pourraient-ils porter une part de responsabilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Ma question concerne un sujet qui suscite aujourd’hui de plus en plus de tensions dans notre débat politique, je veux parler du mariage pour tous. Vous l’avez évoqué, monsieur le Premier ministre. Nous sommes dans une période de tension comme rarement la France en a connu, due à des indicateurs économiques tous au rouge et à un taux de chômage qui n’a jamais été aussi élevé. Le taux de défiance est extrêmement important.

Qu’est-ce que la défiance ? L’absence de confiance. Comment rétablir la confiance ? Vous le savez, chers collègues, cela peut se faire par le respect de valeurs extrêmement simples, les valeurs d’écoute, de respect, de dialogue, particulièrement importantes sur un sujet que vous avez vous-mêmes qualifié, au sein du gouvernement, de projet de civilisation – le mot est lourd, le mot est grand, il a un sens.

Lorsqu’on a affaire à un sujet dit de civilisation, comme celui que vous avez évoqué, on ne peut pas accélérer l’agenda, mépriser ceux qui sont inquiets, on ne peut être sourd à ce que la rue dit, dans des manifestations silencieuses et respectueuses (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), on ne peut pas accepter la réponse que vous donnez depuis quelque temps, en faisant une croix sur les jours et en disant que ce qui a été promis pour mai aura lieu dès demain à l’Assemblée nationale. Ce mépris, cette accélération du temps est un véritable problème.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Fromantin, que, dans la rue, on parle d’accélération, cela peut se concevoir, c’est un mot ordinaire, mais, en droit, vous savez ce qu’est la procédure accélérée, vous savez parfaitement que cette procédure, prévue par le règlement de l’Assemblée nationale, dans son article 102, en référence à l’article 45 de la Constitution (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), n’est pas mise en œuvre.

Le débat suit tout simplement son cours puisque le Sénat a adopté ce texte comme l’Assemblée, massivement, par 329 voix contre 229. L’examen se poursuit. Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est que, pendant plus de deux semaines, ici même, vous avez été nombreux à nous dire que les Français ont d’autres problèmes, qu’ils ont d’autres préoccupations, qu’ils ont d’autres priorités, qu’ils ont d’autres urgences, et qu’il faut passer à autre chose (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Le Gouvernement, avec célérité, dans le respect du Parlement, conformément à la décision prise par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, a décidé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour. Le débat aura lieu, et je ne doute pas que les députés de l’opposition feront leur travail comme ils l’ont fait en première lecture. Ils ont déjà commencé à le faire en commission des lois hier, nous aurons donc ce débat sereinement. Le texte sera adopté si l’Assemblée en décide, et, comme vous le souhaitiez ardemment, et nous aussi, nous passerons à autre chose (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Gouvernement de la France

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire

M. Xavier Bertrand. Ma question s’adresse normalement à monsieur le Premier ministre car un premier ministre normal daigne répondre à l’opposition quand elle l’interpelle. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Un premier ministre normal ne s’enfuit pas de la salle du conseil national du Parti socialiste quand des salariés de PSA entrent dans cette salle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Un premier ministre normal ne se laisse pas contredire tous les jours par le président de l’Assemblée nationale, que les députés de gauche viennent d’applaudir.

M. Marcel Rogemont. Il faudrait aussi avoir une UMP normale !

M. Xavier Bertrand. Un Premier ministre normal ne se laisse pas insulter par son ministre du redressement productif. Et un Premier ministre normal ne se laisse pas contredire par le ministre chargé des relations avec le Parlement quand il s’agit de la publication de la déclaration de revenus des parlementaires.

Alors comme, bien évidemment, vous ne répondrez pas, je vous demande de transmettre ce message à celui qui dirige vraiment le Gouvernement – le Président de la République –, et de lui rappeler, comme le disait M. Montebourg, que la France ne se dirige pas comme un conseil municipal. Dites-lui aussi, comme M. Cherki, que la France ne se gouverne pas comme un conseil général. Dites-lui enfin qu’il n’est plus à la tête du parti socialiste et qu’il ne s’agit pas de faire le dos rond, de faire plaisir à tout le monde et de rester enfermé dans son bureau pour gouverner la cinquième puissance mondiale.

Aujourd’hui, sur la question du mariage pour tous, vous ne passerez pas comme cela, monsieur le Premier ministre. François Mitterrand n’était pas obligé, en 1984, de souhaiter un référendum mais il a compris que la France serait profondément déchirée et que cela ne passerait pas comme cela. Alors effectivement, c’est maintenant qu’il faut un référendum, pour donner le pouvoir au peuple !

M. Henri Emmanuelli. Frustré !

M. Xavier Bertrand. Sur toutes ces questions, souhaitez-vous réellement que les Français sortent de l’attitude qui est la leur ? Ils sont soit exaspérés par la façon que vous avez de ne pas les respecter, soit inquiets pour l’avenir économique et social. Il est temps de changer, il est temps d’abandonner les ficelles politiques et l’enfumage sur la transparence, il est temps aussi de changer de politique, et que vous découvriez le courage politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. (Mmes et MM. les députés des groupes SRC, écologiste et RRDP se lèvent et applaudissent.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député, je vous connais bien. Vous avez été pratiquement dix ans membre du gouvernement de droite. Vous avez une responsabilité dans la situation dans laquelle nous avons trouvé le pays. Vous demandez des comptes au Gouvernement, vous en avez le droit, mais ne laissez pas croire aux Français que, onze mois après, nous puissions régler dix ans d’incurie, d’abandon, de conduite de politiques qui ont affaibli la France et dont vous avez la responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Alors, oui, « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire » : c’est une phrase de Jean Jaurès, et c’est ma référence ! Le courage, c’est de dire la vérité, et la vérité, c’est que le pays s’est affaibli depuis dix ans, que vous l’avez conduit au déclin, et que le courage de ce gouvernement, c’est non seulement de le dire, mais de relever le défi du redressement (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), de le faire dans la justice, dans la durée, pour que la France devienne non seulement forte, mais plus juste, qu’elle puisse peser en Europe et retrouver le rôle de leader qu’elle a perdu. Moi, je ne renoncerai pas ! Ce combat, nous l’avons engagé ! Monsieur le député, vous avez le droit de dénigrer le Gouvernement, de le mépriser, mais moi je respecte les Français, je suis là au service de la France, et je continuerai avec le Gouvernement et l’appui de la majorité tout entière ! (Mmes et MM. les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent)

Attentat de Boston

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Goasdoué. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le président, comme vous l’avez signalé au début de la séance, la ville de Boston a été durement frappée par plusieurs explosions dont le caractère criminel ne fait pas de doute.

Profitant du rassemblement occasionné par le marathon qui avait lieu dans cette ville, les auteurs de l’attentat ont frappé une foule pacifique, provoquant morts, blessés, à telle enseigne que les médecins présents sur place ont pu parler de scène de guerre.

Permettez-moi d’exprimer, en mon nom mais aussi, j’en suis certain, au nom de toute la représentation nationale, notre sentiment d’horreur, notre totale solidarité avec le peuple américain, avec les blessés, avec les victimes, avec les familles. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Cet attentat n’est ni revendiqué ni, à ce stade, bien entendu, élucidé. Il nous rappelle, s’il en était besoin, l’instabilité du monde, la folie des passions et la nécessité dans laquelle se trouvent les démocraties de se protéger et de protéger leurs concitoyens.

Nous mesurons la qualité du travail fourni par les services de sécurité, notamment dans le cadre du plan Vigipirate, qui a été renforcé depuis le lancement de l’opération Serval.

La France est engagée au Mali, avec l’accord de la communauté internationale et l’aide des pays africains. Elle l’est dans le but de prévenir une percée islamiste radicale de nature à mettre en danger l’ensemble du pays et une part significative du continent africain.

Monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est votre analyse de la situation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur Yves Goasdoué, après les événements tragiques survenus à Boston, mes premières pensées vont évidemment aux familles des victimes et aux nombreux blessés. Je veux à mon tour, au nom du Gouvernement – le Président de la République l’a fait ce matin –, manifester notre totale solidarité avec le peuple américain, ce peuple ami.

Pour l’heure, vous l’avez dit, nous ne connaissons pas l’origine de ces explosions et l’enquête des services américains vient à peine de commencer.

Vous l’avez également rappelé, ces événements doivent nous inviter à la plus grande vigilance. Le terrorisme est une menace constante pour nos sociétés.

Vous m’interrogez sur le niveau de la menace qui nous concerne. Depuis 2001, depuis 2005 et les attentats de Londres, le plan Vigipirate est resté au niveau rouge. Le risque est donc élevé et constant, et les mesures de protection, vous le savez, mesdames, messieurs les députés, ont été renforcées depuis le mois de décembre et l’intervention au Mali.

Dès cette nuit, ne connaissant pas l’origine de ces attentats, j’ai demandé, par mesure de précaution et après m’être concerté avec le Premier ministre, aux préfets et aux forces de sécurité intérieure de renforcer sans délai la présence des patrouilles. La première de nos préoccupations est la sécurisation préventive des lieux et des abords des établissements publics.

Face à la menace terroriste, chacun a un rôle à jouer, sans céder à la panique. J’en appelle aussi à la vigilance de tous nos concitoyens.

Face au terrorisme, il faut également sans cesse adapter les moyens de police et de renseignement. Jamais nous ne devons baisser la garde. Tel est d’ailleurs le sens de la loi antiterroriste que vous avez adoptée à une très large majorité en décembre dernier.

Enfin, je veux rappeler la détermination du Gouvernement, en particulier la mienne, pour lutter contre le terrorisme. Je sais que cette détermination reçoit le soutien de toute la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Lutte contre l’évasion fiscale

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, depuis trop d’années, des milliards s’évaporent et échappent à l’impôt dans les paradis fiscaux ou dans les pays – dont certains sont situés à nos portes – qui pratiquent un dumping fiscal dévastateur.

Ces dizaines de milliards manquent cruellement à notre économie et à l’action publique. Ces milliards ont creusé la dette et conduisent à des augmentations d’impôts et à des baisses excessives des dépenses publiques, ce qui risque de mener à l’austérité et de créer de la pauvreté.

Depuis quelques jours, un mouvement s’est levé en Europe grâce à la France (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), ce qui prouve qu’à quelque chose malheur est bon et que les crises permettent d’avancer lorsqu’elles sont correctement affrontées.

La loi bancaire avait déjà engagé le mouvement, puisqu’un amendement sur la transparence bancaire pour toutes les filiales dans le monde avait été intégré à ce texte.

L’opposition parlementaire, d’abord indifférente, a ensuite critiqué cette transparence, au nom du libéralisme, bien entendu.

L’Europe a repris la balle au bond et envisage d’aller plus loin, ce qui démontre que cette loi constituait non pas un frein mais un levier pour un vrai changement des pratiques bancaires.

Monsieur le ministre, vous avez, avec vos homologues allemand, italien, espagnol, anglais, annoncé un dispositif analogue à celui qu’a fait adopter Barack Obama aux États-Unis, qui permettra, par l’échange automatique d’informations bancaires entre pays, de lutter contre l’évasion fiscale. Cette perspective était inespérée il y a encore quelques semaines.

Mais les Français sont incrédules. Ils doutent de la capacité des pouvoirs publics à lutter contre les puissances financières. Et ils ont des raisons de douter : en 2009, on leur avait dit – et ce n’était pas n’importe qui, c’était Nicolas Sarkozy – qu’il n’y avait plus de paradis fiscaux !

M. Gérald Darmanin. Nicolas, reviens !

M. Éric Alauzet. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer où en sont ces démarches européennes et quel calendrier de mise en œuvre vous envisagez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur Alauzet, vous avez raison : la lutte contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale est à la fois un problème de morale et une question d’intérêt, puisque des milliards d’euros s’évaporent, disparaissent et manquent au moment où nous essayons de réduire les déficits.

Vous le savez, cette lutte est une priorité du Gouvernement depuis le 16 mai dernier. À cet égard, nous avons mis en place dans le projet de loi de finances rectificative un paquet de lutte contre la fraude fiscale qui rapportera 1 milliard d’euros.

Vous savez également que c’était ma priorité lors de l’examen de la loi bancaire, puisque j’ai alors proposé à l’Assemblée d’adopter un amendement de votre groupe, présenté par vous-même, qui met la France en tête de tous les pays au monde en la matière. Nous demandons en effet à nos banques de dévoiler leur activité et leurs effectifs non seulement dans les territoires non coopératifs mais, plus largement, sur l’ensemble de la planète.

M. Philippe Meunier. Et à Singapour ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Il faut maintenant passer la vitesse supérieure, et c’est ce que nous faisons dans le cadre européen. Vous avez raison d’indiquer que, vendredi dernier, lors de la réunion de l’Eurogroupe et du conseil Écofin, les principaux pays de l’Union européenne – l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, et même la Pologne – ont adopté une plateforme commune qui permettra de passer à l’échange automatique d’informations et de percer une brèche décisive dans le secret bancaire. La Commission européenne, le Luxembourg même se sont déclarés disponibles.

Il faudra aller encore plus loin et faire en sorte de lutter contre l’érosion de nos bases fiscales.

Le Premier ministre m’a demandé de porter ce message au G 20 ; je le ferai ce week-end. Il m’a également demandé de nous inscrire dans le combat de l’OCDE visant à ce que les montages juridiques et les sociétés écrans qui viennent perturber la transparence à laquelle vous êtes comme moi attaché soient démantelés.

Monsieur le député, il semblerait donc que M. Sarkozy avait tort : les paradis fiscaux existent toujours, tout comme le secret bancaire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais c’est un combat que nous menons et pour lequel la France sera en pointe. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Claude Goasguen. Vous n’avez pas honte ?

Politique intérieure

M. le président. La parole est à M. Philippe Cochet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Cochet. Monsieur le président, les propos du Premier ministre et du ministre qui vient de s’exprimer sont lamentables. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous êtes responsables d’une faillite morale, économique et politique : faites donc preuve d’un peu de retenue et ne nous donnez pas de leçon de morale ! (Mêmes mouvements.- Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous encore vous regarder dans une glace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Plusieurs députés du groupe SRC se lèvent ; vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. M. Cochet, faisons attention aux mots que nous employons !

M. Philippe Cochet. Avec votre gouvernement, il vaut mieux être clandestin, dealer, caïd dans les quartiers, casseur à Notre-Dame-des-Landes, voleur, prisonnier en cavale ou exilé fiscal plutôt que manifestant contre le mariage pour tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Placer en garde à vue 67 manifestants pacifiques réunis à proximité de l’Assemblée nationale permet à votre ministre de l’intérieur de donner un coup de menton alors qu’il échoue lamentablement dans sa mission de protection des honnêtes gens.

Alors que notre société est profondément fracturée, vous auriez dû faire un geste d’apaisement. Mais vous préférez nier le droit des parlementaires et du peuple en essayant de passer en force, parce que la panique gagne le plus haut sommet de l’État.

Tout cela risque de tourner mal et vous en serez le seul responsable. Vous ne comprenez plus le peuple de France. Vous et vos ministres, sortez de vos palais ! Allez à la rencontre des Français, sans emprunter une porte dérobée. Vous avez peur car, au fond de vous, vous savez bien que la politique que vous menez n’est pas à la hauteur de la situation.

Alors, monsieur le Premier ministre, faites enfin deux choses utiles pour la France : retirez ce texte et ensuite, démissionnez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.- Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur Cochet, vos propos outranciers sont malheureusement la démonstration du climat que vous essayez d’instaurer. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.) Face à cette outrance, à ces insultes, à la manière dont vous traitez le gouvernement de la France – car il s’agit du gouvernement de la France (Protestations sur les bancs du groupe UMP) – je vous dirai deux choses, très simples.

Premièrement, le Président de la République a pris un engagement devant les Français, celui du mariage pour tous. Le vote du peuple sera respecté. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Deuxièmement, les sénateurs ont adopté « conforme » l’article premier du projet de loi, qui instaure le mariage pour tous et l’adoption.

M. Alain Chrétien. À six voix près !

M. Manuel Valls, ministre. Le Parlement est légitime.

Monsieur le député, comme l’a rappelé Mme Mazetier, un certain nombre de parlementaires reçoivent des menaces via les réseaux sociaux et Internet ; les hommes et les femmes de votre camp, qui ont osé braver vos consignes indignes, sont menacés directement. C’est, dans la République, un fait intolérable.

Enfin, parmi les manifestants, des groupes extrémistes de droite – Identitaires, GUD –, que je ne vous ai jamais entendu dénoncer, s’en prennent aux forces de l’ordre et menacent directement la République. Cela, nous ne le tolérons pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et sur quelques bancs du groupe GDR.)

Monsieur le député, je suis cohérent, le Premier ministre est cohérent, ce gouvernement est cohérent. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Certainement pas !

M. Manuel Valls, ministre. Nous n’accepterons jamais la violence dans la rue, nous n’accepterons jamais que des personnes défient les lois de la République. Tout parlementaire, tout républicain, se doit d’être à nos côtés pour défendre les institutions, la République, la loi et le choix des parlementaires ! (Les députés des groupes SRC, écologiste et RRDP se lèvent et applaudissent ; applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Évasion de Redoine Faïd

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Francis Vercamer. Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux. Madame la ministre, samedi dernier, un détenu s’est échappé de la prison de Lille-Sequedin, de façon particulièrement spectaculaire, faisant usage d’armes à feu et d’explosifs pour détruire cinq portes de l’établissement pénitentiaire et prendre en otage quatre surveillants.

Le ministre de l’intérieur a reconnu ce matin qu’il y avait une « faille » dans le dispositif de sécurité de l’établissement. On ne sait pourquoi, vos premières déclarations semblent nier cette évidence : selon vous, s’il y avait eu faille, il faudrait en désigner le responsable. Bref, vous niez une évidence au prétexte que l’on n’en connaît pas l’origine. C’est là une curieuse façon d’assumer vos responsabilités de garde des sceaux. Et c’est oublier l’utilité des agents de police judiciaire chargés d’enquêter pour déterminer comment ce détenu a pu se trouver, dans la prison, en possession d’explosifs.

La représentation nationale attend de vous des réponses sérieuses sur cette affaire et, au-delà, sur d’éventuelles failles dans d’autres établissements pénitentiaires de notre pays.

Madame la garde des sceaux, qu’entendez-vous entreprendre pour disposer au plus vite d’un état des lieux des procédures et des systèmes de sécurité de ces établissements, pour la sécurité des personnels de l’administration pénitentiaire et pour nos compatriotes eux-mêmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Vercamer, un détenu s’est en effet évadé samedi matin avec arme…

Plusieurs députés UMP. Et bagages !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et explosifs. Nous voulons absolument déterminer – nous y travaillons d’ores et déjà – les conditions précises dans lesquelles cette arme et ces explosifs ont pu entrer dans l’établissement.

Je n’adopterai pas les pratiques qui avaient cours ces dernières années : je ne céderai donc pas à la facilité qui consisterait à parler de « faille », en pointant une responsabilité individuelle parmi un personnel déjà fortement choqué par ce que l’on peut appeler une opération « commando ».

M. Yves Fromion. Ben voyons !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’il existe des complicités internes – détenus ou personnels – nous les trouverons. Comme vous le savez, le Parquet a été saisi dès samedi matin. Il a travaillé avec le magistrat instructeur de façon à pouvoir émettre un mandat d’arrêt européen dès 14 heures 15 par Interpol et 16 heures 45 par le système d’information Schengen.

Pour ma part, j’ai visité la cellule de crise le matin même et diligenté la mission d’inspection pénitentiaire, lui demandant de me remettre un rapport d’étape dès dimanche midi, puis un rapport complet lundi soir, ce qui a été fait.

Dès le 15 octobre, monsieur le député, j’ai mobilisé l’administration pénitentiaire sur l’état de sécurité de nos établissements, en préconisant un certain nombre de mesures. J’ai notamment demandé à ce que ces cellules soient placées sous la surveillance de miradors ; pour ce faire, j’ai dû interrompre leur démantèlement, qui avait été entrepris sous la précédente législature. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Alain Bénisti. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons financé en 2013 l’installation de portiques, notamment de portiques à ondes millimétriques, de glacis et de filets. Je porterai prochainement à la connaissance de la représentation nationale les résultats qui découlent des dispositions prises depuis le mois d’octobre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique pénale du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Jacques Alain Bénisti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jacques Alain Bénisti. Ma question, à laquelle j’associe mon collègue Christian Estrosi, s’adresse à la ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, le 20 mai 2010, Aurélie Fouquet, une de mes jeunes policières municipales, était assassinée par une bande d’individus issus du grand banditisme. Lors de ses obsèques, le président Sarkozy s’était engagé à retrouver coûte que coûte les auteurs de ce crime odieux.

Grâce à un minutieux et remarquable travail de la police judiciaire, tous ces monstres ont été retrouvés et incarcérés. Et notamment, le principal instigateur de ce crime, Redoine Faïd, qui venait à peine de sortir de dix années d’emprisonnement pour des faits similaires. Considéré comme très dangereux, il a été classé comme DPS, détenu particulièrement surveillé, géré en permanence par une équipe de quatre surveillants, qui suivaient ses moindres faits et gestes.

Aujourd’hui, ma question est simple : pourquoi, il y a six mois, son escorte a-t-elle été supprimée ? Et surtout, pourquoi a-t-il été transféré dans un centre de petite délinquance, où l’encadrement n’est que d’un surveillant pour soixante détenus ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En effet, que répondez-vous aux parents d’Aurélie Fouquet et à sa petite fille, qui ne comprennent pas le laxisme dont vous faites preuve à l’égard de tels individus sans scrupules, qui obtiennent l’indulgence de la justice et des conditions de détention plus souples, alors qu’eux-mêmes n’hésitent pas à tirer sur des convoyeurs de fonds, à utiliser des explosifs contre le personnel carcéral et à cribler la voiture d’Aurélie Fouquet de cinquante-trois balles, dans le seul but de tuer ? Allez-vous enfin cesser cette politique laxiste à l’égard de ces monstres qui tuent des pères et des mères de famille dans l’exercice de leurs fonctions ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, l’attaque meurtrière qui a coûté la vie à Aurélie Fouquet, le 20 mai 2010, est un crime inqualifiable, et votre question me redonne l’occasion de dire à sa famille que nous sommes conscients que rien ne remplacera son absence et que son meurtre ne peut rester impuni.

M. Yves Fromion. Des mots ! Il faut des actes !

M. Pouria Amirshahi. Arrêtez de jouer avec ça ! C’est une honte !

M. le président. Mes chers collègues, nous sommes en train d’évoquer un sujet difficile ; je vous prie d’écouter la ministre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par respect pour la mémoire d’Aurélie Fouquet, je vous demande quelques secondes de dignité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Ce que vous avez dit à propos des détenus particulièrement surveillés est inexact, monsieur le député. J’ai pris, depuis octobre 2012, plusieurs mesures, et d’autres encore, plus récemment, que je ne veux pas exposer dans l’immédiat pour ne pas compromettre leur efficacité. Je suis néanmoins prête à revenir très vite devant la représentation nationale pour exposer ces mesures et leurs résultats.

Par respect pour la famille d’Aurélie Fouquet, je ne polémiquerai pas sur les évasions qui ont eu lieu sous votre quinquennat, pas plus que je ne polémiquerai sur les mesures que vous avez prises. Lorsque vous indiquez qu’il n’y a qu’un seul surveillant par coursive de cent dix détenus, c’est exact, mais c’est la conséquence de la politique que vous avez engagée à la suite du « programme 4 000 ». Au contraire, dans le « programme 13 500 » il y avait deux surveillants par coursive.

M. Paul Giacobbi. Bravo !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Premier ministre a décidé de la création de postes, et nous allons pouvoir recruter des surveillants pénitentiaires et renforcer la sécurité dans ces établissements. Nous avons déjà installé dans les maisons centrales des portiques à ondes millimétriques, qui permettent notamment de détecter les pains d’explosifs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous agissons à l’inverse de ce que vous faisiez lorsque vous réduisiez les effectifs, empêchiez la détection et prohibiez, par la loi pénitentiaire de 2009, les fouilles systématiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, les Français savent qu’il y a une majorité et une opposition, et il ne sert à rien de crier sans écouter la réponse qui vous est faite.

Lutte contre le décrochage scolaire

M. le président. La parole est à Mme Florence Delaunay, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen

Mme Florence Delaunay. Ma question s’adresse à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale.

140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans le moindre diplôme. Alors que dans notre pays le taux de chômage des non diplômés atteint 50 %, cette évolution dramatique pour notre jeunesse a des conséquences sociales et économiques désastreuses.

C’est la raison pour laquelle, dès votre entrée en fonction, vous avez souhaité engager une action résolue et déterminée contre le décrochage scolaire. Pas en pointant du doigt ou en désignant des adversaires, comme le faisait la majorité précédente avec la loi Ciotti, mais en fixant des objectifs concrets et réalisables.

Monsieur le ministre, grâce à votre action, entre janvier et mars 2013, 8 600 jeunes ont d’ores et déjà repris le chemin de l’école. Lors d’une récente visite de terrain, dans l’académie de Lille, vous avez annoncé la mise en place des réseaux FOQUALE, « Formation, Qualification, Emploi », réseaux qui vont permettre de mieux mobiliser les énergies contre le décrochage scolaire. Des contrats spécifiques seront ainsi proposés aux jeunes, pour les engager dans une démarche de formation et de qualification valorisante sur le marché du travail.

Le Gouvernement met donc tout en œuvre pour offrir une deuxième chance à celles et ceux qui sont aujourd’hui les plus éloignés de l’emploi. Dès cette année, nous allons permettre à 20 000 de ces jeunes de s’inscrire dans une nouvelle dynamique scolaire et professionnelle.

Monsieur le ministre, c’est une évidence : cette action participe, elle aussi, du redressement productif de notre pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Pouvez-vous nous en dire plus sur les ambitions du Gouvernement en matière de lutte contre le décrochage, notamment sur les mesures précisées dans la loi de refondation de l’école ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la députée, lors de sa campagne présidentielle, le Président de la République s’était fixé comme objectif de diviser par deux le nombre des 140 000 décrocheurs.

Le 4 décembre, en réunissant les différents acteurs sur la base des plates-formes créées par la précédente majorité et Luc Chatel, j’ai fixé comme objectif pour septembre une diminution de 20 000 du nombre de décrocheurs. Ces 140 000 décrocheurs, c’est en effet une jeunesse au chômage, pour plus de 40 % d’entre eux.

Vous avez rappelé le chiffre que j’ai annoncé il y a dix jours lors de mon déplacement à Calais : nous pouvons nous réjouir collectivement d’avoir, en l’espace de trois mois, « raccroché » et ramené dans l’éducation 8 600 jeunes, soit autant que sur la totalité de l’année 2012, car je pense qu’on ne peut faire la part, dans ce comptage, de ce qui était la première initiative et de l’amplification par le réseau FOQUALE.

D’autres mesures doivent être prises, car un pays qui traverse une crise comme la nôtre a besoin d’avenir. C’est la raison pour laquelle, nous avons fixé dans la loi d’orientation un certain nombre de principes.

En premier lieu, sera mis en place dès la classe de sixième, à partir de la rentrée prochaine, un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde de l’entreprise. Ceux qui décrochent sont souvent en effet ceux qui ont mal vécu leur orientation. Là, plus qu’ailleurs, les discriminations sociales jouent.

Ensuite, nous allons créer 20 000 places d’apprentissage sous statut scolaire, qui permettront à la jeunesse de trouver des débouchés professionnels, et j’installerai un conseil éducation-entreprise, qui permettra de mieux travailler l’offre de formation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Pouvoir d’achat des Français

M. le président. La parole est à Mme Véronique Besse, au titre des députés non inscrits.

Mme Véronique Besse. Monsieur le Premier ministre, comme bon nombre de mes collègues, je reçois chaque semaine de plus en plus de familles en très grande difficulté financière, et pour certaines surendettées. De plus en plus de familles qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, parfois en raison de la perte d’un emploi. Rappelons que le chiffre du chômage continue d’augmenter avec près de 3 200 000 chômeurs.

Il arrive que ces familles ne parviennent plus à faire face aux charges du quotidien parce que tout augmente : le prix du carburant, des produits alimentaires, de l’énergie.

Or, que constatent-elles aujourd’hui, ces familles ? Que vous rajoutez une crise morale à la crise sociale ! Ce que ces familles veulent, monsieur le Premier ministre, ce n’est pas le « mariage pour tous », ce n’est pas un « changement de civilisation », mais du « travail pour tous » ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Elles veulent que vous les aidiez d’abord à surmonter leurs problèmes quotidiens.

Or, vous continuez à les étouffer, en augmentant les taux de TVA – c’est déjà le cas pour les services à domicile –, en taxant les retraités, en menaçant les allocations familiales, et bientôt en augmentant les prélèvements obligatoires.

Toutes ces mesures nuisent à notre économie, à la croissance et à la qualité de vie de tous les Français !

Nous rencontrons également chaque jour, sur le terrain, des artisans, des commerçants, qui n’ont aucune visibilité sur l’avenir, qui croulent sous une réglementation tatillonne et sous les charges ! Ces chefs d’entreprises n’entrevoient pas le bout du tunnel et s’endettent pour avancer.

Aujourd’hui, le résultat est là : les Français n’ont plus confiance. Ils n’ont plus envie d’entreprendre, ils ne croient plus en l’avenir, ils attendent des réponses concrètes. Des réponses efficaces ! Pas des réponses qui soient de l’ordre du symbolique ou du démagogique.

Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : qu’attendez-vous pour relancer vraiment la croissance et alléger les charges des entreprises ? Qu’attendez-vous pour soutenir le pouvoir d’achat des familles ? Qu’attendez-vous pour donner aux Français une vraie bouffée d’oxygène ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Madame la députée Véronique Besse, je vous remercie pour votre question qui renvoie à un sujet essentiel, celui du pouvoir d’achat des Français et de l’évolution des prélèvements obligatoires. Permettez-moi tout d’abord de rappeler la réalité des chiffres.

Tout d’abord, au cours des cinq dernières années, les prélèvements obligatoires ont augmenté en France de 1,5 point, ce qui représente un prélèvement de 30 milliards sur l’ensemble des ménages français. Or, comme vous le savez, madame la députée, le principe de justice n’a pas toujours sous-tendu ces prélèvements. Ce sont souvent les Français les plus modestes qui ont été appelés à contribution sous la précédente majorité.

Il est vrai qu’en 2012 et 2013, pour rétablir nos comptes, nous avons été amenés à demander un effort aux Français et à prendre des mesures de nature fiscale, mais nous les avons prises avec le souci de la justice. Lorsque nous rétablissons la progressivité de l’impôt sur le revenu, ce ne sont pas les plus modestes de nos concitoyens que nous appelons à contribuer au redressement. Lorsque nous revoyons la fiscalité des plus-values qui bénéficient aux plus riches des contribuables, ce ne sont pas les plus modestes des Français que nous appelons à l’œuvre de redressement. Lorsque nous nous employons à aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, ce ne sont toujours pas les plus modestes des Français que nous appelons à l’œuvre de redressement. Et quand, dans le même temps, nous mettons en place un plan en faveur des plus défavorisés des Français, qui représente un effort budgétaire de 2,5 milliards d’euros,…

M. Marc Le Fur. Et le gazole ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …nous partageons votre préoccupation que le redressement n’obère pas un objectif qui nous rassemble, celui de la justice.

Pour la préparation du budget de 2014, nous tendons vers un seul objectif : que ce budget s’équilibre par les économies et qu’il n’aboutisse pas à une pression fiscale accrue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. François de Mazières. Monsieur le Premier ministre, nous avons bien entendu votre devise : « Le courage, c’est de dire la vérité ». Nous aimerions entendre toute la vérité sur l’affaire Cahuzac ! Nous aimerions entendre toute la vérité sur la situation économique. Nous aimerions entendre toute la vérité sur l’isolement de la France, en particulier sur le couple franco-allemand.

La France gronde – il n’y a pas que l’Assemblée nationale qui gronde. Elle gronde parce que les Français ont le sentiment d’avoir été trahis.

Relisez la profession de foi de François Hollande – eh oui, nous sommes ouverts d’esprit ici : « Je veux que la nation retrouve confiance en elle-même : le candidat sortant oppose les Français, je veux nous rassembler. »

Plusieurs députés UMP. C’est raté !

M. François de Mazières. Où est le Président qui rassemble ? Où est la confiance ?

Tout dérape : l’économie, le chômage, la confiance dans les hommes politiques. Les tensions s’accroissent entre les citoyens français selon leurs convictions religieuses ou philosophiques.

Plusieurs députés SRC. La question !

M. François de Mazières. Comment pouvez-vous admettre que soixante-sept jeunes, pacifiques, fassent l’objet d’une garde à vue de toute une nuit quand par ailleurs explosent les agressions et les cambriolages ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Est-ce un signe d’apaisement quand sont dressés des procès-verbaux dans les jardins du Luxembourg à des personnes pour le seul motif qu’elles portent un tee-shirt de la « manif pour tous » ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous avez refusé de lancer un vaste débat public, vous avez refusé d’organiser un référendum, vous avez refusé de consulter le Conseil économique et social, vous bouleversez aujourd’hui le calendrier législatif, vous aurez demain recours aux ordonnances ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, la France vit aujourd’hui un de ces moments de tension que le débat politique ou les questions de société ont déjà provoqués dans le passé. Si vous relisez la presse ou si vous reprenez les débats politiques de l’époque du PACS ou de la loi sur l’IVG, vous retrouverez la même intensité dans les échanges, parfois les mêmes débordements.

L’on peut cependant se poser une question : pourquoi, lors de tels rendez-vous, ne parvenons-nous pas à confronter nos divergences qui sont réelles, naturelles et compréhensibles, y compris dans cette enceinte, sans évoquer voire justifier, même si ce n’est pas votre intention, les débordements de ceux qui dépassent les règles du débat républicain ?

M. Claude Goasguen. Un tee-shirt !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je voudrais vous lire une seule citation, tirée d’une interview donnée au Nouvel Observateur, en 2009, par quelqu’un que vous connaissez bien, le président Nicolas Sarkozy (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Écoutez au moins cette citation !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Interrogé sur les éventuelles erreurs qu’il aurait pu commettre, il répond ceci que je livre à votre réflexion : « Le problème de l’opposition aujourd’hui » – il parlait de nous – « c’est d’être à ce point fermée »…

M. Philippe Cochet. Cahuzac !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. « Nous avons connu cela nous-mêmes », poursuivait-il : « l’erreur qu’a commise la droite à l’époque du PACS, c’était ridicule et outrancier. On s’est trompé, j’en ai tiré les conséquences définitives, jamais il ne faut se raidir, jamais il ne faut se bunkeriser, jamais il ne faut détester ».

Je vous livre cette conclusion de Nicolas Sarkozy en espérant qu’elle vous serve, pour une fois, de ligne conductrice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP, exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mesures en faveur de l’artisanat

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Fabre, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Hélène Fabre. Ma question s’adresse à, Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme.

Ces dernières années, les artisans de notre pays ont souffert autant de la crise économique que de l’indifférence et de l’absence d’écoute des pouvoirs publics.

Heureusement, notre gouvernement a su, dès son accession aux responsabilités, engager les mesures d’envergure qui s’imposaient pour répondre aux attentes de la profession.

Le secteur voit ses perspectives s’éclaircir, pour la première fois depuis longtemps, avec le pacte ambitieux pour l’artisanat que vous avez mis en place, madame la ministre, ainsi que les contrats de génération qui permettent à des milliers d’artisans de transmettre plus facilement leur entreprise.

Mais cette politique volontariste, nous devons encore l’amplifier et l’étendre. Car les artisans subissent des attaques sur deux fronts différents. Ils sont,d’une part, confrontés à une concurrence toujours plus déloyale de la part d’entreprises étrangères qui pratiquent des salaires peu élevés et bafouent trop fréquemment le droit du travail. D’autre part, des abus flagrants émanent d’une portion minoritaire des auto-entrepreneurs.

Vous avez récemment, madame la ministre, commandé une évaluation de ce régime et annoncé des orientations pour mieux encadrer ce statut, et les effets de distorsion de concurrence qu’il est susceptible de générer.

Aussi, madame la ministre, je vous demande quelles mesures le Gouvernement envisage de mettre en place afin de faire disparaître ces mauvaises pratiques et ainsi mieux protéger la première entreprise de France dont les emplois sont largement non délocalisables. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme. Madame la députée, je vous remercie de votre question. Je sais toute l’attention que vous portez à ce secteur d’activité essentiel au développement de notre pays.

Vous avez souligné les mesures importantes que le Gouvernement a prises pour soutenir ce secteur d’activité : le pacte pour l’artisanat, le pacte de compétitivité et les contrats de génération.

Vous évoquez le problème de la concurrence, lié au détachement de salariés étrangers. Nous avons, avec Michel Sapin, mis en œuvre un groupe de travail, et le plan de lutte contre le travail illégal permet d’apporter des réponses.

Vous évoquez aussi le régime de l’auto-entrepreneur. Le rapport IGF-IGAS a été publié la semaine dernière et j’ai eu l’occasion de présenter les grandes orientations que le Gouvernement souhaite donner à ce régime, notamment en distinguant les deux objectifs. Ce régime a permis en effet, grâce à des procédures simples, de créer un certain nombre d’entreprises. Cela étant, les situations sont très contrastées entre ceux qui se sont réellement lancés dans l’entreprenariat, ceux qui ont pu passer le cap, et ceux qui ont en réalité bénéficié d’activités accessoires. Il faut donc distinguer ceux qui se lancent vraiment dans l’entreprenariat et ceux qui exercent une activité complémentaire pour avoir un revenu d’appoint. En matière de protection du pouvoir d’achat, ce dernier aspect est essentiel. Le régime sera donc préservé dans ce contexte.

En revanche, lorsqu’il s’agit d’un tremplin pour créer une activité, le Gouvernement souhaite accompagner davantage les auto-entrepreneurs pour leur permettre, dans une durée limitée, de basculer vers le régime général, ce qui répond à la fois aux demandes des auto-entrepreneurs en termes d’accompagnement et aux demandes des artisans.

Je les recevrai dans les prochaines semaines pour affiner ces orientations et permettre l’accompagnement et le redressement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Crise de la production laitière

M. le président. La parole est à M. Yves Nicolin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yves Nicolin. M. le Premier ministre a parlé de violence, en disant qu’elle n’était pas acceptable dans notre République.

M. Michel Ménard. C’est exact !

M. Yves Nicolin. Sauf quand ce sont vos amis syndicalistes que vous voulez amnistier par une loi ! Dans ce cas, la violence est acceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Tout à l’heure, monsieur Vidalies, vous avez évoqué une citation de Nicolas Sarkozy. Souvenez-vous aussi de celles de Lionel Jospin, qui était contre le mariage pour tous, contre l’adoption pour tous ! Vous ne devriez pas seulement faire des citations, mais, de temps en temps, vous référer à votre propre camp.

Ma question, qui concerne le lait, associe tous les députés des secteurs ruraux et de l’élevage et en particulier Jean-Luc Reitzer, Dino Cinieri, Paul Salen et François Rochebloine.

Le 28 mars dernier, devant les Français, sur France Télévision, le Président Hollande a tenté de reprendre la main sur un destin qui lui échappe chaque jour davantage. Il nous a parlé de sa boîte à outils, comme si la situation de la France devait être confiée à un bricoleur du dimanche.

Mais avez-vous pris conscience, monsieur Premier ministre, qu’à aucun moment, je dis bien à aucun moment, lors de cette intervention, le Président de la République n’a fait référence à l’agriculture, au monde rural et à la crise que traversent les éleveurs ?

L’élevage français est en crise, et les producteurs laitiers sont, eux, au bord de la désespérance.

Ce vendredi 12 avril, dans la Loire, les producteurs laitiers sont venus crier en masse leurs craintes, comme dans beaucoup de départements. Plusieurs milliers d’entre eux ont fait le déplacement à Feurs. Les élus de votre majorité étaient tout simplement absents…

Le compte n’y est pas et le prix actuel du lait ne couvre même plus les frais de production, tant les charges ont augmenté depuis près de six mois. Aliments, fertilisants, carburants : les prix se sont envolés ! Celui du lait, par contre, a cessé d’augmenter.

Monsieur le ministre, quelles mesures d’urgence comptez-vous prendre, sans attendre la loi sur la modernisation agricole ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le député, vous avez posé avec véhémence une question sur une crise qui est profonde et qui ne date pas d’aujourd’hui.

Cette crise de la production laitière est au cœur du débat, entre l’élevage et l’ensemble des productions végétales. Le coût de l’alimentation a été un facteur d’augmentation des coûts de production. La bataille qui est engagée depuis le 8 avril au ministère de l’agriculture, dans le cadre de la loi, pour imposer une discussion entre la grande distribution, la transformation et les producteurs au profit de ces derniers, est suivie aujourd’hui par un médiateur pour parvenir à débloquer des prix plus rémunérateurs pour les producteurs.

Dans ce débat qui porte sur les filières, il y a la grande distribution, mais aussi la transformation et les industries laitières. Chacun est appelé aujourd’hui à la responsabilité. Nous aurons ensuite, au-delà des aides conjoncturelles qui ont déjà été débloquées, à discuter ensemble, ici, de l’équilibre des aides qu’il faudra trouver au niveau de la politique agricole commune, pour faire en sorte qu’il y ait une vraie redistribution permettant d’assurer à l’élevage l’avenir qu’il mérite. L’agriculture française a besoin de toutes les agricultures dans leur diversité, et en particulier de l’élevage. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

Fixation de l’ordre du jour

M. le président. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté pour la semaine du 13 mai :

Proposition relative au déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement ;

Commission mixte paritaire sur la réforme de la biologie médicale ;

Deux projets relatifs aux Français de l’étranger ;

Deux projets d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la justice et du développement durable.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

3

Infrastructures et services de transports

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports (nos 728, 844, 850).

Explications de vote

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ce texte porte essentiellement sur les conditions de mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds que nous avions portée à bout de bras lors du Grenelle de l’environnement, car nous croyons en la fiscalité écologique.

L’engagement 45 de la loi annonçait très précisément un triple objectif : réduire les impacts environnementaux ; rationaliser le transport routier ; financer les grands projets d’infrastructures de transports. Cet article avait d’ailleurs été voté à l’unanimité.

Vous avez souhaité légiférer afin de modifier un décret de mise en œuvre de cette taxe poids lourds, alors qu’il aurait suffi d’en rédiger un nouveau. Il était cependant nécessaire de préciser ses conditions d’application, et notamment ses répercussions sur les factures des clients des transporteurs, nous offrant ainsi l’occasion d’un débat pour éviter tout recours devant le Conseil constitutionnel. La malheureuse loi Brottes vient de nous rappeler que nous avions raison, alors que vous nous aviez traités de haut. Que de temps perdu et que d’erreurs !

Vous aviez également là une occasion de vous engager clairement sur l’affectation directe de ces moyens nouveaux – 850 millions d’euros par an – aux futures infrastructures. Or vous avez balayé d’un revers de main nos amendements et nos questions, quand le risque d’un recours devant le Conseil constitutionnel est bien réel. Par exemple, les transporteurs pour compte d’autrui seront traités différemment des transporteurs pour compte propre.

La taxe poids lourds sera-t-elle mise en œuvre un jour ? Elle servira à remplir les poches de plus en plus vides de l’État, sans apporter de moyens nouveaux pour les infrastructures ; quant à ceux de l’AFITF, ils ne seront pas augmentés.

On vote le malus, mais on oublie le bonus ; on se moque des contribuables et le signal environnemental est catastrophique. Les défenseurs de l’environnement et de l’emploi sont inquiets devant la faiblesse des mesures prises en matière de logement ; ils sont catastrophés par la paralysie du secteur des transports – canal Seine-Nord et autres ; et n’oublions pas la suppression récente des zones de développement de l’éolien, qui remet en cause l’essor des énergies renouvelables.

J’aurais pu voter en faveur de cette mesure, monsieur le ministre, si mes collègues et moi-même n’avions pas été profondément troublés par le ton péremptoire que vous avez eu au cours de nos débats. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Si Jean-Louis Borloo s’était montré aussi clivant lors du débat sur le Grenelle, nous n’aurions jamais pu obtenir de consensus. Le jour où vous voudrez nous donner des leçons en matière d’environnement, commencez par vous inspirer de ce qui a été fait avant vous !

Dans ces conditions, notre groupe s’abstiendra sur ce texte.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour le groupe écologiste.

M. François-Michel Lambert. Je suis très étonné de l’explication de vote de M. Pancher. On nous demande aujourd’hui de voter une loi qui est attendue depuis plusieurs années, et l’écotaxe poids lourds tout particulièrement.

Je veux d’abord rappeler que le transport de voyageurs ou de marchandises est lié à l’organisation territoriale : nous ne pourrons réduire significativement l’intensité du trafic routier que lorsque nous aurons repris en main l’aménagement du territoire. Je me félicite, à ce titre, des mesures de décentralisation lancées par Mme Lebranchu, ainsi que de la future loi portée par Mme Duflot.

Le groupe écologiste soutient pleinement le projet de loi qui nous est soumis, et qui constitue un changement de point de vue dans l’approche du transport : le transport guidé sera mis en avant ; les travaux de M. Baupin ont permis de renforcer la place du vélo dans le transport intermodal, notamment dans les gares. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous avons noté à ce sujet votre promesse, monsieur le ministre, d’un plan vélo qui permettra à la France d’aller plus loin et de se mettre au niveau de nombreux autres pays européens : soyez assuré de notre mobilisation.

Le transport maritime, et notamment le cabotage, ne sera plus une activité de non-droit social, puisqu’il sera réglé sur la législation française. Ce premier pas en appelle d’autres. Le schéma directeur national de la logistique, introduit par mon collègue Savary et que j’ai eu l’honneur de consolider, constituera la pierre angulaire d’une nouvelle approche du développement économique qui fait de l’aménagement du territoire et de la performance logistique les fondements d’une économie robuste.

L’engagement de Mme Batho en faveur d’une loi-cadre sur l’économie circulaire engagera la France vers un modèle de circuit court qui nécessitera une autre forme d’organisation, une autre logistique entre les transports, les pôles intermodaux, les entrepôts, les systèmes de communication et la distribution finale – ce fameux « dernier kilomètre ». Cohérence, innovations technologique et organisationnelle, planification sont les bases de cette France industrielle, que l’on retrouvera dans le schéma directeur national de la logistique que vous avez souhaité.

Quant à l’article symbolique de cette loi, l’écotaxe poids lourds, il constitue, pour nous, écologistes qui demandons sa création depuis des années, un moment très fort dans l’évolution de la France vers une transition écologique, à l’exception toutefois de deux points : l’exonération des véhicules non équipés de chronotachygraphes et les réductions trop élevées accordées aux régions périphériques.

Nous ne sommes qu’à la première étape de la mise en œuvre de la directive européenne « Eurovignette III », qui devra intégrer toutes les externalités des transports routiers de marchandises, notamment la pollution atmosphérique, estimée à trois ou quatre centimes par kilomètre, et la pollution sonore, estimée à un centime par kilomètre. C’est seulement au moment de sa pleine mise en place que nous aurons en France une véritable « pollutaxe » représentant un changement pour ce pays drogué au transport routier.

Pour conclure, je regrette la position des groupes UMP et UDI, qui n’ont pas soutenu ce projet de loi bien qu’il fasse suite au Grenelle de l’environnement et permette à peine à notre pays de se mettre en cohérence avec nombre de pays européens. Je souhaite que la CMP ne revienne pas sur les avancées obtenues ni ne galvaude la loi en l’assortissant de dérogations. Il est plus que temps que la France regarde vers l’avenir, celui d’une croissance retrouvée, libérée de la surconsommation d’hydrocarbures comme des impacts environnementaux, et maîtrisant les émissions de gaz à effets de serre afin d’offrir à l’humanité un autre monde que celui qui nous est prédit.

Le groupe écologiste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Marc Le Fur. On l’aime bien, lui ! (Sourires.)

M. Olivier Falorni. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les membres du groupe RRDP soutiennent ce projet de loi qu’ils voteront à l’unanimité, avec détermination et lucidité.

Avec détermination, car nous partageons l’objectif de mieux prendre en compte dans le code des transports le développement durable, la lutte contre les risques écologiques et la protection des salariés – notamment ceux du secteur maritime. Avec lucidité, car nous sommes conscients que l’application concrète de l’écotaxe poids lourds dans les prochains mois sera complexe, coûteuse et laborieuse.

Monsieur le ministre, ce dossier n’était pas le plus facile à traiter de ceux dont vous avez hérité. Le décret sorti à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle, et qui précisait les modalités d’application de l’écotaxe poids lourds, avait réussi à faire l’unanimité contre lui, tant il était mal rédigé. Vous avez retravaillé pendant plusieurs mois les dispositifs prévus, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, qui n’ont pourtant pas l’habitude de passer leurs vacances ensemble (Sourires), en suivant la méthode du Grenelle de l’environnement. Ensemble, vous avez abouti à un compromis que traduit le projet présenté au Parlement, et dans lequel vous avez inséré diverses dispositions qui concernent l’ensemble des modes de transports – maritime, routier, fluvial, ferroviaire, aérien –, notamment pour mettre notre législation en conformité avec la législation européenne.

Je tiens à vous manifester, à ce propos, la reconnaissance des députés du groupe RRDP pour vos mesures visant à protéger les conditions de travail des salariés qui naviguent sur les eaux territoriales nationales. Vous avez choisi de légiférer aux frontières du droit de l’Union européenne pour limiter la concurrence déloyale et le dumping social des armateurs étrangers. Il s’agit d’un pas important pour favoriser des conditions de concurrence équitables entre les entreprises maritimes opérant sur une même ligne ou dans un même secteur d’activités.

Nous sommes des Européens convaincus, mais nous savons aussi que nous devons tout faire pour limiter les conséquences pour l’emploi des dérives d’une Europe ultralibérale, si nous ne voulons pas que nos concitoyens se détournent d’elle.

M. Paul Giacobbi. Très bien !

M. Olivier Falorni. Si le projet de loi va donc dans le bon sens pour l’emploi maritime, ses autres dispositions apportent des améliorations juridiques significatives et des réponses concrètes aux difficultés administratives qui pèsent sur l’organisation et la gestion des professionnels du transport.

Au cours des débats au Sénat et à l’Assemblée nationale, ce projet s’est par ailleurs enrichi et amélioré. Je voudrais souligner l’importance de l’amendement adopté au Sénat à l’initiative de nos collègues du groupe RDSE pour clarifier le régime juridique des biens de retour pour les futurs contrats de délégation de service public en matière de remontées mécaniques. Il fallait impérativement améliorer la sécurité juridique pour les acteurs sociaux professionnels qui participent à l’économie de la montagne. Concernant la montagne, je tiens également à saluer l’apport décisif de Joël Giraud en commission des affaires économiques.

M. Paul Giacobbi. Très bien !

M. Olivier Falorni. Par un sous-amendement, voté à l’unanimité, à un amendement du rapporteur pour avis, il a imposé, pour le rapport d’évaluation, de prendre l’avis des comités de massif concernés pour évaluer les reports de trafic. N’oublions pas que les comités de massif élaborent le schéma interrégional des massifs : ils doivent donc avoir leur mot à dire. C’est là que l’on reconnaît la patte d’un élu de la montagne chevronné : c’est un élu maritime qui vous le dit ! (Sourires.)

Enfin, les débats ont abouti, à l’article 7, à faire introduire un rapport d’évaluation de l’écotaxe poids lourds. Monsieur le ministre, les parlementaires vous ont fait part des craintes ressenties par les acteurs locaux, et vous les avez entendues. Nous vous faisons donc confiance pour que cette évaluation soit objective et permette de valider ou d’invalider ces craintes et d’améliorer les dispositifs d’application de l’écotaxe.

Pour toutes ces raisons, nous voterons à l’unanimité ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gaby Charroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, deux questions essentielles ont été au cœur de nos débats : celle de l’écotaxe poids lourds et celle, majeure, du dumping social pratiqué dans le transport maritime, conséquence de l’ouverture européenne à la concurrence libre et non faussée.

L’écotaxe poids lourds était un engagement du Grenelle de l’environnement. Votée en 2009, elle n’est toujours pas entrée en application, et pour cause : le précédent gouvernement avait défini des modalités d’application d’une complexité telle qu’elles la rendaient inapplicable. La profession, bien sûr, était vent debout contre le dispositif alors défini.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter que cette écotaxe voie enfin le jour, même si nous attendons le texte réglementaire qui en donnera le réel mode d’emploi, notamment en ce qui concerne la fixation des taux appliqués aux régions de chargement et de déchargement. Vous n’êtes pas sans connaître les craintes exprimées par la profession sur ce sujet.

Je crois, par ailleurs, que nous avons fait preuve de discernement en examinant les activités de transport à protéger, telle la collecte du lait, qui sera exonérée. Je rappelle toutefois – comme mon collègue André Chassaigne a eu l’occasion de le dire au cours du débat – que cette taxe n’a d’efficacité que si nous développons les modes de transports alternatifs, c’est-à-dire le rail, avec une vraie politique ambitieuse de fret, et la voie d’eau. Cela implique que la SNCF modifie sa stratégie et cesse de brader le fret, qui a reculé de 40 % entre 2000 et 2011.

En ce qui concerne la voie d’eau, nous sommes très en retard au regard de nos partenaires européens, et les incertitudes qui pèsent sur la réalisation du canal Seine-Nord-Europe, qui permettrait de relier notre pays au réseau européen, ne sont pas de bon augure.

Un débat parlementaire serait nécessaire pour fixer les conditions et se donner les moyens d’un développement de la multimodalité sans lequel l’écotaxe n’aurait que peu d’intérêt.

S’agissant du transport maritime, l’article 23 du projet de loi créant un titre VI du code des transports relatif aux « conditions sociales du pays d’accueil » a concentré l’attention. L’ouverture à la concurrence a transformé ce secteur en une véritable jungle sociale. Des navires sont aujourd’hui affrétés selon des normes internationales qui conduisent à harmoniser par le bas les conditions d’embauche, de rémunération, de protection sociale et de sécurité des équipages.

Le projet de loi a pour objet d’imposer des règles en la matière, lesquelles, nous dit-on, ne peuvent être qu’a minima pour être eurocompatibles. Cela a au moins le mérite de nous confirmer ce que prône l’Union européenne, c’est-à-dire un moins-disant social au service de la concurrence et de la rentabilité.

Pour ma part, je continue de défendre l’application obligatoire des règles sociales et fiscales françaises à ce secteur pour les pavillons naviguant dans nos eaux territoriales, de même que le pavillon français de premier registre à tous les navires opérant au cabotage national et sur les lignes de service public de continuité territoriale. Cela éviterait que nous connaissions les méfaits d’une concurrence sauvage comme celle qui a, vu, par exemple, se développer Corsica Ferries au détriment de la SNCM. Nous avons là, monsieur le ministre, une profonde divergence d’appréciation.

Les marins de la SNCM, de la Compagnie méridionale de navigation, sont très inquiets pour leur avenir, pour l’avenir des compagnies françaises dans leur ensemble. Il est à craindre que la mise en œuvre de ces dispositions soit un coup mortel porté, entre autres, à la SNCM. Vous comprendrez que nous ne pouvons l’accepter.

Aucun bateau n’assurera les liaisons en Méditerranée aujourd’hui. Les marins et leurs représentants attendent la décision de la représentation nationale, ils attendent notre vote. Nous avons la possibilité de nous opposer à cette logique dévastatrice de la concurrence libre et non faussée que le peuple de France a rejetée le 29 mai 2005. Encore faut-il en avoir la volonté.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, chers collègues, notre groupe votera contre ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Florent Boudié, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Florent Boudié. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons nous prononcer sur un texte qui a fait l’objet de près de quinze heures de débat dans l’hémicycle, sur un texte dont l’objet central est l’article 7 définissant les conditions de mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds. Je souhaite rappeler à quel point l’opposition a fait preuve de mauvaise foi s’agissant de cet article 7.

M. Jean-Pierre Barbier. N’importe quoi !

M. Florent Boudié. Nous avons entendu des députés UMP parler de faute politique lourde à propos du principe même de l’écotaxe. Nous avons entendu des députés UMP évoquer le poids écrasant de cette taxation future. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mes chers collègues de l’opposition, l’écotaxe poids lourds, c’est vous ! Vous en avez voté le principe, c’était le 23 juillet 2009 et nous étions d’ailleurs à vos côtés. Je me souviens du reste que le président Jacob avait rangé l’écotaxe au rang des mesures phares qui allaient déclencher « une profonde mutation de pensée »… Et voilà qu’en dix mois, en fait de mutation, l’opposition a fait marche arrière et récusé le principe même de l’écotaxe qu’elle avait instaurée.

J’ajoute que l’ancienne majorité avait cru bon de reporter l’application de l’écotaxe après les élections présidentielles et législatives alors que le Grenelle 1 en avait fixé l’échéance à l’année 2011.

J’ajoute également que les modalités d’application de l’écotaxe poids lourds avaient été arrêtées par le précédent gouvernement dans la plus grande précipitation et la plus totale discrétion.

Un décret d’application a été publié le dimanche 6 mai 2012, à la dernière heure du dernier jour du quinquennat précédent : un décret qui, de l’avis de tous les acteurs de la chaîne de transport routier de marchandises, relevait de l’usine à gaz, était inapplicable et même illisible. Il fallait donc reprendre le travail à zéro. C’est ce que vous avez fait, monsieur le ministre, avec une préoccupation essentielle : alléger la charge pour nos entreprises de transport routier, car derrière chaque poids lourd il y a les utilisateurs des services de transport, c’est-à-dire les commanditaires, les chargeurs.

En outre, le succès de l’écotaxe poids lourds et l’objectif de report modal qui en fonde le principe impliquent qu’un signal prix soit adressé directement aux utilisateurs du transport routier de marchandise pour les inciter à des modes alternatifs.

Telles sont les propositions de l’article 7 du projet de loi soumis à notre approbation. Il propose un dispositif simplifié, reposant sur une répercussion forfaitaire et automatique de l’écotaxe sur les chargeurs. Il est juste sur le plan économique, puisqu’il répartit équitablement la charge entre les acteurs de la chaîne du transport. Il tient également compte des réalités géographiques, puisque les régions périphériques – Aquitaine, Midi-Pyrénées, Bretagne – bénéficieront d’un abattement que nous avons souhaité majorer, ainsi que de la situation particulière des conditions de la collecte de lait, qui justifie une exonération fondée sur le type de véhicule employé dans ce secteur en très grande difficulté.

Je ne voudrais pas achever mon intervention sans citer les autres avancées de ce texte, notamment sur le plan social. Je pense à l’article 23 qui vise à appliquer les conditions du pays d’accueil aux gens de mer dans le cadre du cabotage maritime. Par cette mesure, c’est tout le débat suscité par la directive Bolkestein qui trouve sa réponse dans ce cadre particulier. La protection sociale des gens de mer s’en trouve renforcée, y compris en ce qui concerne le contrat de travail. Le texte, qui prévoit en outre des sanctions pénales en cas de manquement, est une manière efficace de lutter contre le dumping social auquel nos pavillons nationaux sont confrontés.

Tel est le point d’équilibre auquel nous sommes parvenus, et qui justifierait un large consensus. Pour toutes ces raisons, c’est avec conviction que le groupe SRC votera le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Sermier, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Marie Sermier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir donné bien des leçons durant de nombreuses années, l’opposition devenue majorité est bien vite devenue amnésique. Ce texte en est une preuve de plus : procédure accélérée, débats écourtés, refus d’écouter et de retenir le moindre amendement de l’opposition, qui ne remettait pourtant nullement en cause le fond du projet, mais souhaitait simplement l’enrichir avec pragmatisme et bon sens.

Que les choses soient claires : nous avons voté la loi Grenelle pour répondre à un défi écologique. Nous n’allons pas revenir dessus aujourd’hui. Nous voulons simplement que sa mise en œuvre en respecte l’esprit avec simplicité et efficacité. Or tel n’est pas le cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Certes, le projet de loi est global. Il aborde tous les modes de transports : le ferroviaire, le fluvial, le maritime, l’aviation civile. Il comporte des évolutions techniques appréciables, par exemple l’habilitation des agents des ports autonomes fluviaux à constater les contraventions de grande voirie. Il améliore également les procédures régissant la gestion des navires abandonnés.

Mais, par ailleurs, il comporte un article 7 dévastateur, qui précise les modalités de répercussion de l’écotaxe. Avec Martial Saddier et bien d’autres collègues du groupe, nous avons mis en garde contre ses effets pervers. Loin du « choc de simplification » vanté par le Président de la République, cet article crée une usine à gaz que nous refusons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) et ne garantit nullement aux transporteurs qu’ils pourront répercuter cette taxe sur les chargeurs – car il ne faut pas se leurrer sur la réalité des négociations commerciales, souvent très inégales. Dans bien des cas, on peut même craindre que la taxe ne soit répercutée sur le producteur ! Nous allons à l’opposé de ce qu’il faudrait faire.

Par ailleurs, sa mise en œuvre se révélera très coûteuse. Aux questions posées sur son coût de gestion, nous n’avons toujours pas de réponse claire, monsieur le ministre.

Autre mise en garde que nous avons formulée : le secteur du transport traverse actuellement une crise économique importante et n’est pas suffisamment compétitif. Or nous risquons fort, avec ce texte, d’accroître encore ses charges. Ne perdons pas de vue que 82 % des 37 500 entreprises de transport comptent moins de dix salariés et ont une rentabilité économique extrêmement faible.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Marie Sermier. Notre groupe aurait aimé connaître le point de vue de M. Montebourg sur les failles du projet.

Ce texte est terriblement injuste. Injuste parce qu’il établit une distinction entre les transporteurs pour compte propre et pour compte d’autrui, véritable rupture d’égalité devant l’impôt qui ne manquera pas de faire l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel ou d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Injuste parce qu’il touchera durement le transport de proximité, donc le tissu économique local. Injuste parce qu’il pénalisera les petites entreprises qui utilisent plusieurs fois par jour les mêmes portions de réseau taxé et qui effectuent des circuits courts. Injuste parce qu’il instaure une discrimination entre régions ayant un taux forfaitaire différent et totalement déconnecté du réseau. Injuste parce qu’il s’en prend à la ruralité, qui se voit taxée alors qu’elle n’a pas d’autre moyen de transport que la route et que la politique menée ne lui propose aucune alternative. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Pourtant, ce point aurait pu être abordé avec les articles relatifs au domaine ferroviaire.

Injuste encore car, sur le 1,2 milliard d’euros attendu, bien peu revient à l’entretien et au développement des infrastructures, et seuls 160 millions iront aux collectivités : une vraie misère !

Injuste enfin, car les sociétés d’autoroutes vont bénéficier grâce au report du trafic d’un effet d’aubaine d’environ 300 millions d’euros, ce qui ne les empêchera pas d’augmenter leurs tarifs par ailleurs.

Mes chers collègues, le souhait du groupe UMP a toujours été que le dispositif du Grenelle soit facile à appliquer, équitable et juridiquement solide, car tel est l’esprit du Grenelle. Or, aujourd’hui, vous nous proposez un texte qui se révélera rapidement coûteux en fonctionnement, illisible, inapplicable et pénalisant pour nos PME. Nous avons tenté de l’améliorer par nos amendements mais en vain : vous les avez tous refusés les uns après les autres.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 528

Nombre de suffrages exprimés 510

Majorité absolue 256

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Permettez-moi, monsieur le président, de profiter de l’occasion qui m’est donnée de remercier les présidents des commissions, les rapporteurs et l’ensemble des députés qui ont participé aux débats et contribué à l’enrichissement du texte.

Je tiens à saluer ce vote et à remercier la représentation nationale de sa confiance, tout comme j’ai salué le vote unanime qui est venu couronner au Sénat la continuité des engagements pris dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Il est toutefois dommage que des députés aient considéré que leur nouveau statut minoritaire devait les conduire à voter contre un engagement unanime qui avait suscité une volonté commune. Je le regrette, même si je sais que cette position n’est pas partagée par l’ensemble des membres du groupe UMP. À cet égard, je salue ceux qui ont su rester dans la logique des engagements antérieurs.

Par ailleurs, je déplore qu’il y ait une ambiguïté – mais nous y reviendrons – sur la lecture à faire de l’article 23. Celui-ci permet bel et bien de lutter contre le dumping social et de rétablir les conditions d’une concurrence qui ne se fasse pas au détriment du pavillon français.

Les différentes dispositions du projet de loi donnent une dimension nouvelle à une politique de transport qui permet d’allier vœux des transporteurs – 40 000 entreprises et 400 000 emplois concernés –, transition énergétique et transport durable.

Telles sont les ambitions de ce texte. Et je sais qu’avec vous, nous pourrons continuer de les porter pour poursuivre cette politique d’aménagement du territoire, de protection de l’emploi mais également de protection de l’environnement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Élection des conseillers départementaux,
des conseillers municipaux
et des conseillers communautaires,
et modification du calendrier électoral

Lecture définitive

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (nos 923, 924).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui, peut-être pour la dernière fois (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Quelle déception !

M. Manuel Valls, ministre. …– oui, je vois bien la tristesse qui se lit sur vos visages – autour du projet de loi relatif aux élections départementales, intercommunales et municipales. Nous nous retrouvons après trois mois d’échanges fructueux entre nous comme entre les deux assemblées : l’Assemblée a consacré 62 heures à ce projet, sans procédure accélérée ni temps programmé. Nous nous retrouvons pour la lecture définitive du texte adopté par votre assemblée en nouvelle lecture, la troisième, la semaine dernière.

Au cours de ces débats, le Gouvernement a écouté les deux assemblées et les députés de tous les groupes parlementaires. Et le texte a évolué.

M. François Sauvadet. Sauf sur l’essentiel !

M. Manuel Valls, ministre. Il a évolué sur le seuil de 12,5 % des inscrits pour le maintien au deuxième tour des élections cantonales ; sur le seuil pour l’application du scrutin de liste communal ; sur la mise en œuvre du fléchage pour les intercommunalités, qui prend en compte les spécificités de Lyon et de Marseille ; sur les exceptions justifiées par la géographie pour le découpage cantonal ; sur la composition des conseils municipaux et le nombre de conseillers dans les petites communes.

J’ai tenu mes engagements, pris devant vous, avec vous.

Mais naturellement, la colonne vertébrale de ce texte, c’est le scrutin binominal, majoritaire et paritaire.

Aujourd’hui, le temps de conclure nos échanges est venu. Il est temps de faire aboutir une réforme qui, dans nos départements, dans nos communes, viendra consolider ce lien de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants.

M. François Sauvadet. Pas du tout !

M. Manuel Valls, ministre. Partout dans les territoires, les élus locaux – vous le savez tout autant que moi – se mobilisent, donnent de leur temps pour l’intérêt général de leur collectivité. Ces élus, bénévoles pour une immense majorité d’entre eux, ne peuvent que gagner à voir leur légitimité encore renforcée. Tout approfondissement démocratique est un gain pour les citoyens et pour ceux qui les représentent.

Proximité, parité, représentativité, tels sont les principes, mesdames et messieurs les députés, qui renforceront le lien démocratique dans nos territoires, lesquels seront, demain, les fondements de notre démocratie locale.

Demain, la démocratie départementale bénéficiera d’un nouveau souffle. Les nouvelles appellations de conseil départemental et de conseiller départemental permettront de mieux identifier l’institution et ses élus, et de renforcer leur légitimité auprès de nos concitoyens. Le renouvellement unique tous les six ans – qui n’est pas suffisamment souligné – permettra aux assemblées départementales d’être, dès 2015, dotées d’une majorité claire pour la durée d’un mandat. Cette évolution favorisera, j’en suis convaincu, l’expression de projets départementaux plus clairs, plus lisibles pour les électeurs, ce que l’instauration du conseiller territorial ne permettait pas.

Surtout, la démocratie départementale sera, demain, une démocratie paritaire et respectueuse des territoires.

En matière de parité, l’anomalie départementale était devenue inacceptable.

L’élection d’un binôme paritaire constituera un progrès réel, facilement mesurable. Soyons précis : aujourd’hui, 605 femmes sont élues dans les départements. Elles seront 1 465 de plus demain !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Cette parité s’appliquera également aux exécutifs départementaux. L’application qui sera faite en leur sein des règles qui existent déjà depuis 2007 pour les régions garantira un respect effectif de la parité : 172 femmes sont vice-présidentes de conseils généraux aujourd’hui ; elles seront 517, à égalité avec les hommes.

C’est une avancée pour la démocratie, c’est aussi une avancée pour l’institution départementale.

Demain, ceux qui, aujourd’hui, critiquent le binôme, admettront, je l’espère, qu’il s’agit de la seule solution permettant d’allier parité et proximité, qu’il s’agit, en fait, du seul moyen de mieux représenter à la fois la population et les territoires.

M. François Sauvadet. Vous n’en avez pas cherché d’autres !

M. Manuel Valls, ministre. Certains ont défendu le statu quo, en l’occurrence le scrutin majoritaire à deux tours, sans pouvoir toutefois proposer une solution précise, concrète, effective, en faveur de la parité.

D’autres ont défendu le scrutin proportionnel de liste, qui ne permet cependant pas cette proximité à laquelle une large majorité de parlementaires, à l’Assemblée comme au Sénat, et une très large majorité d’élus, notamment d’élus locaux, sont profondément attachés.

Il fallait donc inventer, et nous l’assumons, un mode de scrutin qui garantisse cette proximité, profondément ancrée dans la réalité de la vie des départements, des conseils généraux, et qui permette en outre d’assurer la parité.

En effet, chacun, la main sur le cœur, a souligné son attachement à la parité. Mais force est de constater, notamment lors du dernier scrutin départemental, que le nombre de femmes candidates et élues est en baisse : cela est inacceptable.

Si la loi n’intervient pas pour imposer la parité, nous n’y parviendrons pas. En l’absence de tout mécanisme de sanction financière, à l’instar de celui existant pour les élections législatives, nous vous proposons un mode de scrutin qui changera en profondeur la vie de nos conseils généraux,…

M. François Sauvadet. C’est certain !

M. Manuel Valls, ministre. …mais qui garantira la représentation des territoires et la proximité auxquelles vous êtes attachés.

Demain, la carte cantonale tiendra compte des réalités de la population française, dans le respect des territoires.

M. François Sauvadet. C’est faux !

M. Manuel Valls, ministre. Les cantons de 1801 ne correspondent plus aux réalités démographiques de la France. Parmi tous ceux qui suivent nos débats, combien savent que la carte cantonale n’a, pour l’essentiel, pas évolué depuis plus de deux siècles ? Nos compatriotes peuvent parfaitement comprendre que les réalités économiques, sociales, culturelles, urbaines et rurales de la France ont profondément évolué.

Ainsi, les cantons de 1801 ne correspondent plus aux réalités démographiques de la France contemporaine, ni à la répartition de ses bassins de vie ; nos débats nous ont permis de partager ce constat.

La cohérence commande donc d’opérer un remodelage global de la carte cantonale – remodelage auquel vous vous seriez livré de toute façon, puisque le conseiller territorial opérait une confusion entre le département et la région.

Ce remodelage répond à des principes, que vous connaissez, et notamment à ce principe simple, mais incontournable, rassemblant tous les démocrates et particulièrement les parlementaires : l’égalité du suffrage doit être enfin garantie dans nos départements.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois. Eh oui !

M. Manuel Valls, ministre. Ce principe irrigue toute la jurisprudence constitutionnelle et administrative en la matière qui, en la matière, s’est précisée et durcie au fil des années.

J’ai donc proposé la semaine dernière à l’Assemblée nationale, qui a accepté l’amendement gouvernemental présenté à cet effet, de supprimer toute référence chiffrée à un écart démographique. Sécuriser ce dispositif permet en outre une bonne représentation des territoires ; nous avons d’ailleurs adopté un amendement en ce sens, présenté par M. Sauvadet.

La France est diverse, par son peuplement, par sa géographie, par ses paysages, par ses traditions. Ces paysages, comme ces traditions, structurent notre espace. Ils seront pris en compte dans le découpage cantonal, ainsi que je m’y suis régulièrement engagé au cours de nos débats. Tel est l’objectif des exceptions que nous avions prévues dès la rédaction de ce projet de loi, et sur lesquelles nous avons considérablement progressé, avec vous et grâce à vous – je pense notamment aux élus représentant les territoires ruraux.

Par ailleurs, la démocratie territoriale de demain permettra à l’intercommunalité de trouver enfin sa place. Sur ce point, nous avons trouvé, sinon un consensus, du moins un accord très majoritaire.

Demain, les conseillers intercommunaux auront la visibilité et la légitimité démocratique nécessaires tant à leur action qu’à l’exercice des compétences et des missions assumées par nos communautés urbaines, nos communautés d’agglomérations et nos communautés de communes. Dès 2014, ils seront élus par « fléchage ».

Demain, la démocratie communale sera renforcée et féminisée. La commune et la figure du maire sont et resteront des points d’ancrage importants de la démocratie locale, car les Français y sont attachés : il n’est donc pas question de les remettre en cause. Mais, là encore, l’approfondissement démocratique est gage de légitimité.

Demain, et je le dis notamment pour ceux qui considèrent que l’on ne va jamais assez loin, 85 % de la population française bénéficieront d’un conseil municipal paritaire, élu au scrutin de liste : 85 % !

Mais il fallait aussi entendre la voix des élus des communes les plus petites. Il est parfois difficile de constituer des listes, et la réforme ne doit pas constituer une entrave au travail de ces élus qui, chaque jour, s’engagent pour leur commune et agissent pour leurs concitoyens. Ils ont été entendus avec la fixation du seuil à 1 000 habitants.

Mesdames et messieurs les députés, avec cette lecture définitive, nous arrivons à l’ultime étape de la discussion de ce texte devant l’Assemblée nationale. Je crois très sincèrement que nos débats ont permis d’enrichir le texte, de l’amender lorsque cela était nécessaire.

M. François Sauvadet. Non !

M. Manuel Valls, ministre. Je me suis personnellement tenu à l’écoute des élus et des parlementaires de tous bords.

M. Carlos Da Silva. C’est vrai !

M. Manuel Valls, ministre. Le Gouvernement estime qu’au fil des navettes, nous sommes parvenus à un texte équilibré et satisfaisant.

Nous connaîtrons évidemment d’autres étapes, tout d’abord avec la décision du Conseil constitutionnel s’il est saisi. Nous aurons ensuite à opérer le découpage de nos départements, en consultant les grands élus, en demandant l’avis des conseils généraux, puis en soumettant au Conseil d’État – sauf pendant la période estivale – le découpage ainsi proposé, département par département.

Après le débat de fond qui s’est déroulé la semaine dernière, je suis convaincu que toutes les garanties ont été prises. Ce texte permet ainsi d’assurer que le découpage préservera les équilibres politiques territoriaux de nos départements, même si naturellement il appartient aux électeurs de faire les choix qui s’imposent – vous savez parfaitement qu’aucun découpage, aucun mode de scrutin, ne peut préserver quiconque de la volonté des électeurs. Mais il permet surtout de préserver les spécificités.

Non seulement nous confortons notre démocratie communale et créons les conditions d’une plus grande lisibilité de l’intercommunalité, mais, avec ce mode de scrutin, nous préservons le département et approfondissons notre démocratie départementale.

Cette ultime étape est l’occasion de bâtir ensemble l’avenir de notre démocratie comme de nos territoires.

Je remercie chacun d’entre vous pour votre participation à ce débat et pour avoir contribué à enrichir ce texte. Je salue tout particulièrement le rapporteur Pascal Popelin, qui s’est montré très actif pour faire entendre la voix des parlementaires qui ont travaillé sur ce texte. Nous avons également pu compter sur la sagesse du président de la commission des lois. Merci à chacun d’entre vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, chers collègues, cette lecture définitive nous donne l’occasion de porter un regard sur le travail collectif que nous avons accompli ensemble, en vue d’adapter et de moderniser certains modes de scrutins locaux.

Il en va ainsi de l’élection des futurs conseillers départementaux, mandat que nous souhaitons maintenir, tandis que d’autres avaient fait le choix de le supprimer au profit d’un nouveau mandat mixte et unique : celui de conseiller territorial,…

M. François Sauvadet. Encore ! Arrêtez avec cela !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …qui réunissait en une seule et même personne – c’est factuel, mon cher collègue Sauvadet ! – les fonctions de conseiller général et de conseiller régional.

Quand je parle de mandat unique, chacun aura compris qu’il ne s’agissait en rien d’une nouvelle étape vers une limitation du cumul des mandats, mais au contraire de conforter par la loi cette pratique, qui fait et continuera de faire l’objet de débats.

Et quand je parle de mandat mixte, il n’aura échappé à personne que l’intention n’était pas davantage de faire progresser la représentation des femmes dans les organes délibérants de nos collectivités territoriales, mais plutôt d’organiser son recul dans les assemblées régionales, tout en pérennisant sa faiblesse dans les assemblées départementales.

Il n’est donc pas étonnant que notre projet de rétablissement des élus départementaux, choisis au moyen d’un mode de scrutin nouveau, conciliant tout à la fois l’ancrage territorial…

M. François Sauvadet. Mais non !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …que confère l’élection au scrutin majoritaire dans le cadre de cantons, et la parité que permet le caractère binominal des candidatures, ait constitué le principal, pour ne pas dire l’unique, clivage de ce projet de loi.

M. François Sauvadet. Ce n’est pas rien !

M. Pascal Popelin, rapporteur. J’ai entendu répéter durant nos débats que, pris par je ne sais quel mouvement de panique, nous aurions pour ambition de modifier tous les modes de scrutins durant ce quinquennat.

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je me permets tout d’abord de faire remarquer aux tenants de cette argumentation que vouloir changer les modes de scrutins locaux en raison d’une prétendue convenance politique de circonstance constituerait de notre part une démarche bien curieuse puisque, avec les modes de scrutins existants, nous avons largement emporté les trois dernières séquences d’élections territoriales intervenues depuis 2004. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Une telle affirmation est, en outre, inexacte. Ainsi, nous n’avons pas proposé de modifier le mode de scrutin qui était en vigueur pour les deux dernières élections régionales ; il ne résulte pas de notre décision, mais bien de celle de la précédente majorité.

Nous ne considérons pas ce mode de scrutin comme parfait, loin s’en faut. Mais il répond, à peu près convenablement, aux objectifs que les citoyens sont en droit d’en attendre. De plus, j’observe que, lors de nos travaux, les seules tentatives pour faire évoluer ce mode de scrutin ont émané d’élus de l’opposition, à l’occasion de la deuxième lecture au Sénat.

De la même manière, nous n’avons pas proposé de « chambouler » les modes de scrutins existant de longue date pour les élections municipales, mais simplement de moderniser la vie démocratique des communes, en étendant les modalités en vigueur depuis 1983 dans celles de plus de 3 500 habitants.

Ce système fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus, même si cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, si l’on se réfère aux débats parlementaires de 1982 qui ont conduit à son instauration, l’on retrouve des critiques étonnamment semblables à celles apportées aujourd’hui au scrutin majoritaire binominal paritaire que nous proposons pour les élections départementales.

Depuis, l’élection de listes municipales au scrutin majoritaire avec prime proportionnelle est entrée dans les mœurs, et chacun s’accorde sur l’opportunité de l’appliquer à un plus grand nombre de communes.

Seul le seuil de population a fait débat entre nous. Le Gouvernement a proposé un seuil de 1 000 habitants, alors que le précédent gouvernement, je le rappelle, avait envisagé un seuil de 500. Le groupe SRC de l’Assemblée était favorable à ce même seuil de 500. Sensibles à l’insistance de nos collègues du groupe RRDP emmené par Alain Tourret,…

M. Guillaume Larrivé. Et à celle du groupe UMP !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …à l’écoute de l’amicale pression de l’Association des maires de France relayée dans cet hémicycle par le président Pélissard, et soucieux de rassembler le plus largement possible, nous avons accepté de fixer le point d’équilibre à 1 000 habitants en nouvelle lecture la semaine dernière.

J’ai la conviction personnelle qu’il s’agit là d’une étape vers la généralisation du scrutin de liste dans toutes les communes de France, car des voix de plus en plus nombreuses, émanant d’élus de terrain de toutes sensibilités politiques, pointent les travers et l’archaïsme du système du panachage.

Quant à l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, ce projet de loi ne fait que mettre en œuvre un principe déjà entériné à l’occasion de la réforme territoriale de 2010 initiée par la précédente majorité.

Donner aux citoyens la possibilité de choisir directement ceux qui ont la mission d’exercer les compétences de plus en plus importantes dévolues aux établissements publics de coopération intercommunale s’inscrit pleinement dans le sens de l’histoire et fait l’objet d’un large consensus, exception faite de nos collègues du Front de gauche – je leur en donne acte –, comme l’a exprimé Marc Dolez avec la constance que nous lui connaissons.

Nos débats ont permis de prendre en compte la préoccupation de souplesse dans la présentation des listes, exprimée par de nombreux maires ainsi que par l’Assemblée des communautés de France.

Nous avons donc beaucoup échangé sur ces questions, qui touchent à la démocratie de proximité, pour aboutir au texte final qu’il nous est proposé d’adopter définitivement. Neuf réunions et près de treize heures de discussions au sein de la commission des lois, seize séances publiques représentant jusqu’ici quarante-deux heures de débats pour notre seule Assemblée ont été nécessaires – ces chiffres sont légèrement différents de ceux du ministre de l’intérieur, comme d’habitude. (Sourires.) Certains ont estimé que c’était trop, les mêmes qui regrettaient que nous allions trop vite tout en s’employant à ce que nous ne puissions pas accélérer… Sans doute s’agit-il là de l’expression des paradoxes qui parfois traversent l’être humain.

Pour ma part, je veux retenir de ces échanges qu’ils ont permis l’adoption de 169 amendements en commission et de 94 autres en séance publique. Ces chiffres attestent tout à la fois de la qualité de notre travail parlementaire et de l’écoute du Gouvernement. Je tiens à saluer une nouvelle fois à cette tribune, l’esprit d’ouverture et de respect dont vous avez fait preuve, monsieur le ministre.

Il nous reste désormais à achever notre travail de législateur avec cette lecture définitive. Pour l’essentiel, à ce stade, le seul point qui continue de faire différence entre nous concerne le mode de scrutin que nous proposons d’instaurer pour les élections départementales, ainsi que ses modalités de mise en œuvre. C’est d’ailleurs sur l’article 2 et ceux qui en sont la conséquence que les discussions ont achoppé au Sénat. Permettez-moi de m’étonner d’une chose : alors qu’il a abondamment été fait référence à la position de l’Association des maires de France lorsqu’il s’est agi de fixer le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste, l’opinion favorable au scrutin majoritaire binominal paritaire de l’Assemblée des départements de France, certes pas unanime mais nettement majoritaire, a toujours été occultée par nos contradicteurs.

M. François Sauvadet. Je ne sais pas où vous avez pris cela !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je veux également redire ici que, tout au long de nos débats, aucun mode de scrutin alternatif à celui que nous proposons n’a été en situation de rassembler une majorité. On peut le comprendre au sein de notre Assemblée, mais il n’en a pas été autrement au Sénat, où la chose eût été arithmétiquement plus aisée.

Nos collègues du groupe écologiste, autour de Paul Molac, tout comme ceux du Front de gauche, ont défendu avec conviction le scrutin proportionnel. C’est cohérent de leur part, puisqu’ils considèrent que toutes les élections de notre République devraient se dérouler ainsi. J’aurai donc peine à les convaincre, mais je veux toutefois soumettre à leur sagacité un dernier argument : organiser le même jour deux élections distinctes, l’une pour la région et l’autre pour le département, avec le même mode de scrutin, c’est d’une certaine manière valider le principe d’interchangeabilité des conseillers départementaux et des conseillers régionaux, donc l’idée du conseiller territorial qu’ils ont avec nous souhaité abroger.

Sur cette question du mode de scrutin départemental dont le principe majoritaire les rebute, mais dont, je pense, le volet paritaire leur convient, j’ai envie de leur dire, à ce moment de nos débats : mes chers collègues, il faut parfois savoir arrêter une grève ! (Sourires.)

La position de nos collègues de l’opposition a été, pour moi, moins claire.

M. François Sauvadet. Oh !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il ne m’a pas échappé – comment aurait-il pu en être autrement ? – qu’ils ne voulaient pas du scrutin binominal paritaire.

M. François Sauvadet. Ça, c’est clair !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Mais que proposaient-ils à la place ? Notre collègue Sauvadet, au nom de l’UDI, a fait preuve d’inventivité lui aussi, en défendant, avec la même conviction d’ailleurs, plusieurs alternatives aux effets pourtant très différents les uns des autres. Malgré tout son talent et toute l’énergie qu’il a déployée, ses propositions n’ont pas eu l’heur de convaincre, même si l’UMP, dans un prudent mouvement qu’il n’a opéré qu’à l’Assemblée parce qu’un tel amendement n’avait ici aucune chance d’être adopté, a fait mine, à la toute fin de la nouvelle lecture, de se rallier au scrutin proportionnel. L’UMP s’est en revanche bien gardée de faire de même au Sénat, où l’entreprise aurait peut-être été couronnée de succès – ce qui prouve combien elle tenait à cette proportionnelle…

Bref, une majorité de rejet, pour des raisons non convergentes, a pu être réunie au Sénat, mais aucune majorité de projet, pour un autre mode de scrutin départemental, n’a pu y émerger. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’il pourra en être autrement, ici, où une majorité existe…

M. François Sauvadet. Réduite au seul parti socialiste !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …pour doter notre République d’un mode de scrutin nouveau, moderne et clair, qui permettra de maintenir l’ancrage territorial des élus départementaux, demain aussi nombreux que les élues départementales.

Il convient donc d’achever nos travaux en adoptant ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la quatrième fois que j’ai l’honneur de présenter à cette tribune, au nom du groupe UMP, une motion de rejet préalable contre le projet de loi modifiant les règles d’élection des régions, des départements et des communes. Cela fait trois mois que le Parlement débat de ce texte. Nous travaillons avec sérieux et courtoisie, nous prenons le temps d’avoir des discussions précises et approfondies, mais, lecture après lecture, nous nous heurtons à un mur, à l’obstination du parti socialiste résolu à faire voter cette loi, seul contre tous.

Contre l’avis du Sénat d’abord. On le sait, la Constitution proclame que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. C’est lui qui a la responsabilité de s’exprimer au nom des régions, des départements, et des communes. C’est lui qui a la charge de faire entendre la voix des 500 000 élus qui font vivre au quotidien la démocratie locale, et c’est précisément parce qu’il exerce cette mission de défense de la démocratie locale qu’il ne veut pas de votre projet de loi et qu’il refuse tout particulièrement ce que vous avez appelé, monsieur le ministre, la colonne vertébrale du texte, c’est-à-dire le scrutin binominal départemental.

Mais vous avez décidé de ne tenir strictement aucun compte du vote du Sénat, puisque vous demandez à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. La lettre de la Constitution vous y autorise sans doute, mais vous malmenez son esprit. Si la Constitution impose que le Sénat ait la priorité pour examiner les textes « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales », ce n’est certes pas pour que seule l’Assemblée nationale, in fine, vote de tels projets de loi. Il y a très peu de précédents sous la ve République en ces matières.

En réalité, le dernier mot reviendra au seul groupe socialiste de notre Assemblée, puisque seuls les députés socialistes approuvent ce texte.

Je vous rappelle, en effet, mes chers collègues, que 272 députés seulement ont voté en faveur du projet de loi mercredi dernier, lors du vote solennel en nouvelle lecture, ce qui signifie qu’une majorité d’entre nous – 305 députés très exactement – ont choisi de ne pas l’approuver.

Ces oppositions et ces réticences parlementaires se sont nourries, semaine après semaine, des inquiétudes très vives qui s’expriment sur le terrain. À l’écoute de ces préoccupations légitimes, nous nous sommes efforcés de faire entendre, dans cet hémicycle, la voix du bon sens, en combattant un projet de loi qui en manque tant.

Nous avons bataillé pour relayer les attentes des maires de France. Nous avons obtenu, avec les radicaux, que le scrutin de liste aux élections municipales ne s’applique pas dans les plus petites communes et soit limité aux communes de plus de 1 000 habitants. Nous persistons à vous demander la suppression du nouveau mode de scrutin départemental binominal, qui n’est réclamé par personne sur le terrain, car personne ne pense un seul instant que l’instauration d’un tel binôme rendra plus efficace le travail des différents échelons de collectivités.

Vous réussissez la prouesse de créer 2 650 conseillers régionaux et départementaux de plus que le nombre d’élus territoriaux qui était jusqu’alors prévu, tout en inventant une répartition territoriale qui éloignera inévitablement ces élus de leurs électeurs.

Vous avez choisi d’inventer un mode de scrutin départemental qui vous permet de faire table rase du passé. Vous refusez de respecter les limites des circonscriptions législatives, vous refusez de tenir compte des limites des cantons existants, vous refusez de prendre en considération les périmètres des communautés de communes. En vérité, chacun a compris que le binôme n’est qu’une invention bizarre qui vous donne le moyen de procéder à un redécoupage total de tous les cantons de tous les départements de France.

M. Dominique Le Mèner. Un charcutage !

M. Guillaume Larrivé. Les sécateurs, place Beauvau, sont déjà aiguisés. La prise de contrôle des conseils généraux par les territoires urbains, au détriment des territoires ruraux, va être méthodiquement organisée dans l’espoir, sans doute illusoire, de renforcer les positions du parti au pouvoir.

M. Stéphane Travert. Vous êtes des connaisseurs !

M. Guillaume Larrivé. Nous regrettons, monsieur le ministre, que vous ayez refusé la création d’une instance pluraliste, présidée par un parlementaire de l’opposition, qui aurait donné un avis, publié au Journal officiel, sur chaque redécoupage, dans chaque département, en toute transparence.

Si vous vous êtes obstiné à refuser cette instance pluraliste et si elle vous dérange manifestement autant sur les bancs de la majorité, c’est précisément parce que vous avez fait le choix de l’opacité. Nous le déplorons, nous le dénonçons et nous n’en resterons pas là. Bien évidemment, nous porterons le débat devant le Conseil constitutionnel.

Car ce projet de loi, monsieur le ministre, n’est pas sans fragilités juridiques. Je n’en évoquerai ici que les principales.

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision du 3 avril 2003, que l’objectif constitutionnel d’intelligibilité de la loi était applicable aux modes de scrutin. Le commentaire de cette décision, dans les cahiers du Conseil constitutionnel, précise ceci : « En définissant un mode de scrutin, le législateur ne doit pas s’écarter sans motif d’intérêt général de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi, lequel revêt une importance particulière en matière électorale afin d’assurer la sincérité du scrutin et l’authenticité de la représentation. »

L’invention du binôme est-elle conforme à ce principe d’intelligibilité de la loi, à l’exigence de sincérité du scrutin et au principe de liberté de vote du citoyen ? Rien n’est moins sûr. Le binôme de candidats est censé être solidaire pendant la campagne électorale, mais dès l’élection acquise, cette solidarité se brise et les deux élus exercent, sur le même territoire, leur mandat indépendamment l’un de l’autre, au point qu’ils peuvent, non seulement voter de manière opposée lors des sessions du conseil départemental mais également se présenter l’un contre l’autre lors des prochaines élections, dans le plus grand désordre. Comprenne qui pourra.

La bizarrerie du binôme est redoublée par une autre curiosité juridique : vous institutionnalisez, dans certaines situations, l’obligation, pour les électeurs d’un canton, de n’être durablement représentés que par 50 % des élus qu’ils sont censés désigner.

Votre texte prévoit, en effet, que lorsqu’un titulaire ne peut être remplacé par son suppléant, le siège devient vacant, sauf si l’autre titulaire est lui-même dans l’impossibilité d’être remplacé par son suppléant.

Vous prohibez ainsi la double vacance mais vous autorisez la vacance simple, laquelle peut en l’espèce durer plusieurs années, ce qui revient à instituer un mode de scrutin dont la particularité est d’organiser l’impossibilité, pour des électeurs, d’être représentés par des élus.

Ces vacances institutionnalisées sont d’autant plus fragiles, au plan juridique, qu’elles peuvent affecter l’administration même du département, en réduisant fortement le nombre de conseillers départementaux qui siégeront effectivement au sein de l’assemblée départementale et, plus grave encore, le cas échéant, en y inversant la majorité.

Le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, en nouvelle lecture, a justifié ici l’institutionnalisation de ces vacances de sièges en ces termes particulièrement hasardeux : « Dans le cas que vous évoquez, où l’un des deux éléments du binôme ne siège pas car le titulaire et le suppléant sont tous les deux empêchés, pour rester cohérent avec le reste du projet de loi, il faudrait prévoir l’organisation d’une élection partielle sexuée ! C’est évidemment impossible du point de vue constitutionnel. »

C’est bien la démonstration, par le Gouvernement lui-même, de l’extrême fragilité constitutionnelle inhérente au principe même du binôme, puisque pour être cohérent avec le binôme paritaire, nous dit le ministre, il faudrait une élection partielle sexuée qui est évidemment impossible du point de vue constitutionnel.

Pour contourner cette difficulté qui est en réalité incontournable, le projet de loi prive nécessairement un électeur du droit d’être représenté par un élu.

Mais ce n’est pas le seul motif d’inconstitutionnalité de cette contre-réforme. Le principe d’égalité devant le suffrage est également méconnu lorsque l’article 3 définit un nombre de cantons par département sans aucune justification démographique d’aucune sorte. Des départements dont la population varie du simple au double disposeront d’un nombre de conseillers départementaux similaire. Une autre règle de répartition, par exemple un système de strates, aurait pu et aurait dû être définie par la loi afin de respecter le principe d’égalité devant le suffrage, ce qui nécessitait de ménager un équilibre entre, d’une part, le respect de la logique démographique et, d’autre part, la prise en compte des impératifs d’intérêt général liés à l’aménagement du territoire et donc à la nécessité de représenter les territoires ruraux.

De même, vous avez rejeté, à plusieurs reprises, nos amendements proposant l’inscription, à l’article 23 de la loi déférée, d’une règle selon laquelle la délimitation des cantons doit respecter les limites des circonscriptions législatives. Nécessairement, vous choisissez que les circonscriptions législatives puissent ne pas respecter, elles-mêmes, les limites des cantons. C’est méconnaître directement la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a jugé, dans une décision du 2 juillet 1986, que, s’agissant des circonscriptions législatives, « il convient de considérer que la faculté de ne pas respecter les limites cantonales dans les départements comprenant un ou plusieurs cantons non constitués par un territoire continu ou dont la population est supérieure à 40 000 habitants ne vaut que pour ces seuls cantons. »

La modification de la répartition des sièges des conseillers de Paris à laquelle le projet de loi procède paraît également très fragile au plan constitutionnel. Vous créez trois sièges dans les 10e, 19e et 20arrondissements. Vous en supprimez trois dans les 7e, 16e et 17arrondissements. Cette nouvelle répartition méconnaît le principe d’égalité devant le suffrage, car elle n’obéit à aucune logique démographique. En effet, d’un arrondissement à l’autre, le nombre d’habitants représentés par un conseiller de Paris pourra aller du simple au triple, l’écart maximal par rapport à la moyenne étant de 57 %. De tels écarts ne sont justifiés par aucun impératif d’intérêt général.

Tel est également le cas du report des élections départementales et régionales à 2015. On ne voit pas quel motif d’intérêt général peut justifier que les élections départementales et régionales, qui doivent se tenir en mars 2014, soient reportées à l’année suivante. Le Gouvernement prétend vouloir lutter contre l’abstentionnisme. Mais c’est précisément le couplage des élections régionales et départementales avec les élections municipales de mars 2014 qui était de nature à limiter l’abstention, ce qui constitue un objectif d’intérêt général reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel. Les statistiques démontrent en effet que le taux de participation aux élections locales est plus élevé lors des élections municipales. Si le législateur entend vraiment augmenter le taux de participation, il doit faire l’inverse, précisément l’inverse, de ce que prévoit le projet de loi, c’est-à-dire coupler les élections régionales et les élections départementales avec les élections municipales.

Le report des élections régionales et départementales, tel que le prévoit le projet de loi, est entaché d’un autre motif d’inconstitutionnalité : il porte atteinte à la sincérité du scrutin sénatorial de septembre 2014 et est susceptible de faire basculer, dans un sens ou dans l’autre, la majorité du Sénat.

Jusqu’à présent, que cela soit en 1998, en 2001, en 2004, en 2008 ou en 2011, le renouvellement du Sénat a toujours fait suite au renouvellement des conseils généraux. Dans les Cahiers du Conseil constitutionnel relatifs à la loi de décembre 2005 portant sur les dates de renouvellement du Sénat, le commentateur autorisé relevait que cette loi « assurait que les sénateurs ne seraient pas élus par des grands électeurs en fin de mandat » et il poursuivait ainsi : « Au regard du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales, il est préférable [...] de rapprocher à l’avenir l’élection des sénateurs de la désignation par les citoyens du collège électoral sénatorial. » Votre projet de loi fait exactement le contraire. Les sénateurs qui seront élus en 2014 le seront par des grands électeurs, conseillers régionaux et départementaux, en fin de mandat et, de surcroît, exerçant leur mandat au-delà du terme qui était défini légalement lors du dernier renouvellement par moitié du Sénat.

J’ajoute que la part des grands électeurs ainsi affectés par le projet de loi est loin d’être négligeable, puisqu’ils représentent 4 % du collège électoral du Sénat. Cette proportion est encore plus forte dans certains départements. Tel est le cas en Corse, où la part des élus prorogés s’élèvera à 11,2 % en Corse-du-Sud et à 10,2 % en Haute-Corse. Tel est également le cas en Guyane, où la part d’élus prorogés atteindra 11,6 % et où il reviendra à des conseillers régionaux et généraux prorogés d’élire des sénateurs, alors même que les Guyanais s’étaient prononcés, par référendum, en faveur de la suppression des collectivités régionale et départementale au bénéfice de la création d’une collectivité unique dès 2014.

En maintenant ce projet de loi contre vents et marées, le Gouvernement commet, en vérité, trois erreurs.

Une erreur juridique, d’abord, comme je viens de l’exposer. Le Conseil constitutionnel en sera juge, puisque nous le saisirons.

Une erreur politique, ensuite. Le Parti socialiste prétend avoir raison seul contre tous, seul contre l’ensemble des autres formations politiques de notre pays.

M. François Sauvadet. Absolument ! C’est très vrai !

M. Guillaume Larrivé. Est-ce bien raisonnable ? Devant l’opposition résolue et répétée du Sénat, devant l’opposition des groupes UMP et UDI, devant les réticences exprimées bien au-delà de nos groupes, le Gouvernement aurait dû retirer ce projet de loi et chercher les voies d’un consensus, à l’écoute des collectivités territoriales de notre pays, au service de la démocratie locale, dans l’intérêt général.

La troisième erreur est, je le crois profondément, une faute morale. À l’heure où nos compatriotes expriment une profonde défiance à l’endroit du fonctionnement démocratique, vous avez tort d’alimenter le soupçon de petits arrangements. En modifiant les règles du jeu à quelques mois de rendez-vous électoraux, vous donnez le sentiment de chercher à manipuler les scrutins.

M. Dominique Le Mèner. Ce n’est pas seulement un sentiment !

M. Guillaume Larrivé. Ce faisant, vous alimentez la défiance à l’égard des institutions.

Prenez garde à ne pas aggraver la crise démocratique qui sape les fondements de notre République.

C’est pourquoi je vous appelle, au nom du groupe UMP, à voter cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cher collègue Larrivé, vous êtes constant, avez-vous dit. Aussi me permettrez-vous de l’être également.

Vous savez, dire : « Moi j’ai raison, l’autre est dans l’erreur » est une forme de manichéisme qui réserve parfois des surprises. Un peu plus de modestie permet de mieux anticiper l’avenir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Ciotti. Parlez pour vous !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous avez rappelé le rôle éminent du Sénat en matière de représentation des collectivités territoriales. Je vous ai répondu par anticipation, tout simplement parce que je connais bien votre dialectique, qu’aucune majorité en faveur d’un mode de scrutin alternatif n’avait pu se dégager au Sénat. Croyez bien que j’en suis complètement navré, même si je le suis sans doute un peu moins que vous, à n’en pas douter…

Un mot sur le découpage électoral, que je n’ai pas traité tout à l’heure : je savais qu’il reviendrait dans la discussion et je comprends qu’il vous préoccupe.

Vous aviez tellement l’habitude de faire cela vous-mêmes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) De ce fait, vous ne pouvez vous empêcher d’associer le concept de découpage à ceux de charcutage et de tripatouillage ! Eh bien, j’ai tout de même le sentiment que c’est un peu freudien.

Non, cette pratique, nous ne la reprendrons pas à notre compte. La loi fixe des critères stricts, sur des bases essentiellement démographiques, selon le principe de l’égalité du suffrage qui n’est absolument pas respecté aujourd’hui. Elle prévoit des exceptions liées aux spécificités locales telles qu’admises par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et par celle du Conseil d’État, sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé au cours de ces différentes lectures.

Il y aura aussi, comme l’a rappelé le ministre, la consultation des assemblées départementales actuelles. Le texte le prévoit, comme il prévoit des décrets en Conseil d’État, qui pourront eux-mêmes faire l’objet de recours.

Je pense donc qu’il serait souhaitable de cesser ces procès d’intention sur ces découpages : vous pourrez juger sur pièces de la réalité.

Je vous en donne acte, par rapport aux précédentes motions de rejet, vous avez essayé de travailler un peu plus sur la question des griefs en termes de constitutionalité. Mais vous nous avez annoncé que vous saisiriez le Conseil constitutionnel : nous attendrons donc la saisine du Conseil constitutionnel et nous verrons bien si les arguments que vous avez développés trouvent écho auprès du juge constitutionnel. Dans l’attente, je propose à l’Assemblée nationale de repousser votre motion de rejet.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Tout a été dit. M. Larrivé a développé ce qui sera le recours de l’UMP devant le Conseil constitutionnel : c’est tout à fait son droit.

D’ailleurs, l’information n’était pas arrivée au Sénat hier : M. Grosdidier, qui siégeait il y a peu de temps sur ces bancs, a proposé jusqu’au bout, avec une conviction tout à fait sympathique, de rétablir le « tunnel » des 30 %. Quand je lui disais qu’il y aurait un recours, il me répondait qu’il n’en fallait pas !

M. Guillaume Larrivé. Je ne suis pas responsable de tous les sénateurs ! (Sourires.)

M. Manuel Valls, ministre. Je comprends. Et surtout de celui-ci ! Je reconnais que c’est difficile : pardon de le signaler, cela fera un fait personnel, je n’en doute pas. (Sourires.)

Très honnêtement, nous avons trouvé un accord sur l’intercommunalité et sur le seuil concernant les communes. C’est une bonne chose que l’Assemblée nationale et le Sénat se soient retrouvés sur ce sujet-là. C’est important, d’autant qu’un travail avait déjà été entamé par la majorité précédente, même s’il n’avait pas abouti.

Le désaccord, nous l’avons tous dit, porte sur le scrutin cantonal. Nous, nous pensons que ce mode de scrutin permet à la fois de préserver le département, la proximité, et d’imposer la parité. Celle-ci constituant un principe constitutionnel, nous ne voyons pas les éléments qui poseraient des problèmes, mais il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer.

Au terme de ce débat et avant la discussion générale sur la dernière lecture, tous les arguments ayant été échangés, le Gouvernement appelle aussi au rejet de cette motion.

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. François Sauvadet. J’ai trouvé la défense de cette motion extrêmement convaincante, sur le fond comme sur la forme.

Je voudrais d’abord répondre à M. Popelin, notre rapporteur, qui a estimé qu’il n’y avait pas de motifs d’inconstitutionnalité suffisamment convaincants pour donner corps à cette motion. Je lui rappelle qu’une motion de rejet préalable vise aussi, depuis la réforme de notre règlement, à décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer. Si elle est adoptée, et c’est pourquoi nous la soutenons, elle entraîne le rejet du texte.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cela ne m’avait pas échappé.

M. François Sauvadet. Eh bien moi, je vais lancer un appel républicain à tous nos collègues qui, pendant des heures de débat, ont exprimé leur désaccord avec ce mode de scrutin : je m’adresse au Front de gauche, je m’adresse au Parti communiste, je m’adresse aux élus écologistes, je m’adresse aux élus radicaux de gauche. Vous connaissez la position de l’UDI et celle de l’UMP, chacun la connaît. Je leur dit que nous avons là, entre nos mains, la dernière possibilité de faire renoncer le Gouvernement à un mode de scrutin que le Parti socialiste à lui seul veut imposer à l’ensemble de notre pays.

C’est la dernière occasion de contraindre le Gouvernement à sortir de cette posture pour rechercher enfin les voies de la convergence.

Car enfin, convenez avec moi que dans une démocratie moderne, voir un seul parti, fût-ce le parti majoritaire à l’Assemblée nationale, imposer à l’ensemble d’un pays une réforme des modes de scrutin, cela appelle de chacun d’entre nous une réaction démocratique.

Mes chers collègues, c’est l’occasion de revendiquer le droit à l’expression de chacun : chacun dans son territoire devra ensuite rendre compte de son vote sur cette motion de rejet. Pour notre part, nous pensons que ce binôme présente un grave danger, que vous êtes en train d’annoncer la mort programmée du conseil général et des territoires ruraux : cela, nous ne pouvons l’accepter et nous le combattrons jusqu’à la dernière minute de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. J’ai écouté attentivement notre collègue Guillaume Larrivé, qui a donc défendu une motion de rejet préalable. Le télescopage des mots est assez terrible dans notre procédure parlementaire, ce qui montre d’ailleurs qu’il faut la réformer en profondeur : on parle d’un « rejet préalable » alors que nous en sommes à la quatrième lecture !

Nous avons eu le sentiment, comme l’a dit le ministre, que vous étiez en train d’égrener le recours devant le Conseil constitutionnel qui est en quelque sorte l’ultime recours : non un rejet préalable, mais un ultime rejet.

Tout cela n’est qu’une mauvaise comédie : une procédure qui n’en finit pas sur un texte qui confine au surréalisme. M. Sauvadet a lancé un appel à toutes les forces républicaines : j’ai cru un moment qu’il voulait nous inviter tous à rejoindre l’UDI, qui est certes une auberge espagnole, mais il ne faut tout de même pas exagérer. (Sourires.)

En ce qui me concerne, je suis bien heureux d’intervenir après vous, mon cher collègue. Vous avez dit que nous aurons à « rendre compte » de notre vote dans notre territoire, sur cette motion de rejet préalable : vous êtes bien ambitieux sur ce qui passionne nos concitoyens par les temps qui courent ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Je vous le dis très franchement, je crois que cela ne les passionne guère : ni le vote sur la motion de rejet préalable, ni d’ailleurs, il faut bien le dire, le vote sur l’ensemble du texte.

Nous sommes pour notre part très réservés sur ce texte, j’aurai l’occasion d’y revenir au cours de la discussion générale, notamment sur ce scrutin étrangement appelé « binominal »…

M. Patrick Devedjian. Eh bien, rejetez-le !

M. François de Rugy. …alors qu’on devrait presque l’appeler « quadrinominal » puisqu’il y aura quatre noms sur les bulletins de vote.

Donc, de même que nous nous abstiendrons sur le texte, nous nous abstiendrons sur la motion.

M. Guillaume Larrivé. Quel courage !

M. le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur Larrivé, c’est incontestablement un mémoire d’avocat près la Cour de cassation que vous avez présenté, et avec un talent juridique nouveau. Je répondrai simplement à deux ou trois points de droit constitutionnel.

Finalement, votre opposition au binôme tient essentiellement au fait qu’il est original, nouveau et donc, selon vous, anticonstitutionnel. Cela ne suffit pas. En outre, déceler une source d’inconstitutionnalité dans l’éventuelle disparition de l’un ou l’autre élément du binôme, et donc sa rupture, ne me convainc pas.

Ensuite, le relèvement à plus ou moins 30 % de l’écart entre la population d’un canton et la population moyenne des cantons du même département encourrait également, selon vous, un risque d’inconstitutionnalité. Heureusement, je m’étais permis de le proposer au ministre qui a renoncé à l’écart de plus ou moins 20 % pour se contenter de faire état de critères « essentiellement démographiques ». Je crois que c’est la sagesse. Dans le cadre du nouveau découpage des cantons, cette règle des plus ou moins 30 % devra s’appliquer de fait, monsieur le ministre, puisqu’elle correspond à la définition même que vous avez donnée.

Enfin, chers collègues de l’opposition, vous allez présenter, dans votre recours, le renvoi des élections à 2015 comme anticonstitutionnel. J’espère que le Conseil constitutionnel, comme nous, retiendra que vous avez voulu instaurer un conseiller territorial qui créait une unité entre le conseiller régional et le conseiller général, l’élection ne pouvant donc, par définition, n’avoir lieu qu’un seul et même jour. Dès lors que le conseiller territorial est abrogé, le renvoi en 2015 pour l’élection du conseiller départemental est incontestablement de plein droit. En effet, il faudra attendre au moins début 2014 pour que soit achevé le redécoupage des circonscriptions, et épuisés tous les recours, et l’on ne va pas voter trois mois après le redécoupage. Autrement dit, j’y insiste, le renvoi est de plein droit pour 2015, et le mandat du conseiller régional s’en trouve comme « aspiré » puisqu’il y a une unité des élections territoriales – régionales et départementales.

C’est pourquoi, sur cet argument, le Conseil constitutionnel ne vous suivra pas, prenant simplement en compte ce que vous aviez préparé vous-mêmes pour la création du conseiller territorial. Notre groupe votera contre la motion de renvoi.

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gaby Charroux. Malgré les incitations et la sollicitude de notre collègue Sauvadet que j’apprécie, malgré les remarques que nous formulerons ultérieurement tant sur le mode de scrutin lui-même que sur la réforme, nous ne voterons pas, bien évidemment, cette motion de rejet.

M. Franck Gilard. Cela ne vous sauvera pas pour autant !

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Marc Le Fur. La voix de son maître !

M. Carlos Da Silva. Sans surprise, les députés du groupe SRC voteront contre cette motion de rejet. En effet, le groupe UMP, par la voix de son orateur,…

M. Marc Le Fur. Vous ne l’avez pas écouté !

M. Carlos Da Silva. …n’a déployé aucun nouvel argument par rapport à ceux exposés dès la première réunion de la commission des lois et rabâchés à l’envi depuis.

Ensuite, ses arguments mis bout à bout forment un ensemble incohérent.

M. Marc Le Fur. Dépêchez-vous, nous voulons voir Jérôme Cahuzac sur BFM-TV !

M. Carlos Da Silva. Ainsi, d’un côté, on nous reproche de créer des élus départementaux et régionaux et, de l’autre, on nous propose de créer davantage de strates... En outre, alors que vous nous avez demandé, en commission, d’abandonner toutes bornes dans le découpage, vous nous incitez à présent à les remettre.

Enfin, chacun sait ici l’ambition de notre collègue, mais je lui rappellerai qu’il n’est pas encore membre du Conseil constitutionnel et que les trois quarts de son argumentation reposent sur une interprétation de la jurisprudence de celui-ci. Comme le groupe UMP le saisira, nous attendrons avec sérénité sa décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Claude Greff. Jérôme Cahuzac s’exprime en direct à la télévision, nous aimerions bien le voir !

M. Manuel Valls, ministre. Ne soyez pas vulgaire, madame !

Mme Annie Genevard. Nous parvenons au terme de l’examen d’un texte qui, décidément, ne nous convient pas. Nous vous l’avons dit, monsieur le ministre, le binôme ne nous convainc pas, quand bien même il relèverait du principe louable de la parité. Vous n’avez d’ailleurs pas emporté l’adhésion de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée, c’est dire !

Pour reprendre l’intervention de notre collègue Tourret, ce n’est pas parce que le dispositif proposé est nouveau et original qu’il est anticonstitutionnel, mais ce n’est pas parce qu’il est nouveau et original qu’il serait forcément intéressant et qu’il remplirait correctement l’objectif fixé.

Si le seuil de 1 000 habitants pour le scrutin de liste nous satisfait, l’idée d’une liste distincte de délégués communautaires nous paraît un premier pas vers un suffrage communautaire autonome dont, vous le savez, une majorité d’élus locaux ne veulent pas.

Que dire, ensuite, du découpage cantonal, dont les modalités font la part belle à l’arbitraire le plus politicien ? Très bientôt, et dans des délais très contraints, nous allons bousculer des limites ancestrales. Nous allons passer aux travaux pratiques. Déjà on subodore tel ou tel découpage dont les élus locaux proches de la majorité pensent qu’il leur sera politiquement favorable.

M. Alain Fauré. Vous oubliez le découpage opéré par Alain Marleix !

Mme Annie Genevard. Tout cela, dans le contexte actuel, n’est pas bon pour les territoires et en particulier pour les territoires ruraux. C’est pourquoi nous soutenons avec la plus grande énergie l’excellente motion de rejet de notre collègue Larrivé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 226

Nombre de suffrages exprimés 223

Majorité absolue 112

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, décidément, monsieur le ministre, dans ce débat relatif au grand chambardement territorial que vous avez organisé, vous aurez tout osé, y compris faire voter le groupe socialiste du Sénat contre votre propre texte hier soir, si bien que nous n’avons plus qu’à évoquer en dernière lecture ce que nous pensons de ce texte, sans qu’il soit possible de déposer le moindre amendement.

Telle est la réalité politique. D’ailleurs, compte tenu du désaccord manifeste au sein de votre propre camp, vous avez organisé l’échec de la commission mixte paritaire. Et je vais vous le dire tout net, s’agissant d’un sujet aussi important : je suis scandalisé par cette méthode.

Je suis scandalisé par ce mépris et par cette volonté de passer en force en piétinant le Parlement. Mépris du Sénat d’abord : la chambre des collectivités territoriales – je tiens à le rappeler à chacun d’entre vous, même si vous le savez tous –, une chambre dont la majorité est à gauche, et qui, à trois reprises, aux trois étapes de la procédure législative, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, a rejeté votre mode de scrutin, votre binôme que le seul Parti socialiste cherche à imposer au pays tout entier.

Mépris aussi à l’égard de tous les courants de pensée dont j’aurais aimé tout à l’heure qu’ils manifestent plus clairement leur opposition au binôme et leur volonté de rechercher avec nous les voies d’une convergence sur un mode de scrutin sur lequel une majorité des groupes parlementaires constituant la démocratie française auraient pu se retrouver, mais vous ne l’avez pas voulu.

La réalité est toute simple : vous voulez imposer au pays une réforme dont personne ne veut parce qu’elle n’est pas acceptable. Et ce qui est encore plus inacceptable, c’est le verrouillage organisé du débat : vous avez été, je l’ai dit, jusqu’à volontairement organiser l’échec de la commission mixte paritaire – j’y étais et il ne s’est pas agi d’un grand moment de parlementarisme.

Vous avez décidé de mettre un terme à ce débat en précipitant le calendrier. C’est, à dire vrai, une semaine noire pour le Parlement puisque vous accélérez la discussion sur une question aussi importante que les modes de scrutin qui organiseront demain la désignation des futurs conseillers départementaux – puisque vous avez souhaité les appeler ainsi –, mais aussi une semaine noire puisque vous avez précipité le débat sur le mariage homosexuel avec la possibilité pour ces couples d’adopter.

Vous cédez à une forme de panique en essayant de passer à la va-vite sur tous ces textes en vous imaginant qu’une fois votés on passera à autre chose.

Bien sûr que vous allez faire passer votre texte, monsieur le ministre, puisque les socialistes sont majoritaires à l’Assemblée mais, dès demain, un nouveau film va commencer pour la majorité et le Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre. En effet !

M. François Sauvadet. Et je crois que vous serez sévèrement sanctionnés lorsque les Français découvriront ce que vous voulez faire des territoires, quand ils prendront conscience que vous allez supprimer la moitié des 4 000 cantons de France, quand ils verront que vous allez redécouper tous ces cantons en dehors de toute limite, y compris de circonscriptions – vous avez même rejeté un amendement visant à tenir compte de l’organisation existante des collectivités territoriales. Quand ils découvriront votre binôme – un homme et une femme élus ensemble, mais exerçant leur mandat indépendamment l’un de l’autre –, ils devront bien admettre que vous organisez le désordre territorial.

D’ailleurs, je commence à présenter vos positions à l’ensemble des élus locaux que je vois très régulièrement et je dois dire qu’ils sont stupéfaits de découvrir ce que vous êtes en train d’imposer au pays.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Si vous leur racontez ainsi, ce n’est pas étonnant !

M. Alain Chrétien. Les élus locaux ne comprennent rien à ce texte !

M. François Sauvadet. Quand les zones rurales vont découvrir que vous allez, en redécoupant les cantons, donner le pouvoir politique aux villes qui vont désormais être chargées de la responsabilité de la plupart des départements, vous verrez que, ce jour-là, vous aurez rendez-vous non seulement avec les élus locaux mais également avec le peuple.

Vous soutenez qu’un homme égale une voix. Reste que votre système est un peu bizarre : on peut tout à fait voter pour une liste – et c’est l’ensemble des voix qui détermine le nombre de candidats élus sur la liste –, mais vous nous proposez de faire d’une seule voix deux coups, en quelque sorte. Une voix égale deux élus ! Avouez qu’il s’agit là d’un changement considérable dans l’histoire politique de notre nation.

Et si votre gouvernement est devenu en quelques mois le plus impopulaire de la Ve République, c’est que les Français ont non seulement le sentiment d’être déçus et trahis, mais voient aussi que vous voulez passer en force alors que, lorsque les temps sont difficiles, il y a une vraie nécessité d’engager le dialogue.

Chaque fois, vous répondez que le Président de la République a été élu sur un programme qui doit être appliqué et que c’est le rôle du Gouvernement de le mettre en œuvre.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est vrai !

M. François Sauvadet. Mais enfin, qui a, pendant la campagne de l’élection présidentielle abordé ne serait-ce qu’une fois ce sujet ?

M. Dominique Le Mèner. Personne !

M. François Sauvadet. Vous avez fait campagne contre la création du conseiller territorial en prétendant abusivement que c’était la fin du département – alors que c’était le début d’une ère nouvelle pour le fonctionnement de nos institutions territoriales.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Soyons sérieux !

M. François Sauvadet. Et là, balayant d’un revers de la main la création du conseiller territorial en en faisant un outil de propagande politique, vous n’avez jamais, à aucun moment, évoqué ce que vous vouliez faire du territoire. J’imagine ce qu’on vous aurait répondu, monsieur le ministre, si, à l’époque de la campagne électorale, vous vous étiez rendu dans l’ensemble des territoires de France pour promettre la suppression de la moitié des cantons et la création d’un grand machin, d’un binôme – invention qu’il va d’ailleurs falloir faire reconnaître au niveau international car nous sommes le seul pays au monde à avoir imaginé qu’un homme et une femme élus ensemble allaient exercer séparément leur mandat.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous sommes aussi le pays qui a inventé la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !

M. François Sauvadet. Concrètement, comment cela va-t-il se passer, en particulier pour la désignation du représentant du conseil général dans un collège ou pour dialoguer avec un maire ? Comment vont se constituer les majorités alors que la compétition va s’instaurer ?

Franchement, qu’attendait-on de vous, monsieur le ministre ? D’abord un vrai projet de loi de décentralisation. Vous avez déclaré à un certain nombre de présidents de conseils généraux – j’en suis – qu’il fallait stabiliser les finances publiques, qu’il fallait, face aux grands défis de la dépendance, de la prise en compte du handicap, trouver des moyens de financement et faire jouer le principe de péréquation à travers une grande loi sur la dépendance.

Or vous êtes en train d’asphyxier les collectivités territoriales en annonçant pour demain une nouvelle baisse de 4,5 milliards d’euros de dotations,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous vouliez les faire baisser de 10 milliards d’euros !

M. François Sauvadet. …au point que nous ne savons même plus comment nous allons faire pour assurer les missions qui nous sont confiées par la loi.

Qu’est ce que nous avons à la place du grand projet de loi de décentralisation que nous attendions ? Ce tripatouillage, d’abord, et, en perspective, un projet de réforme de la décentralisation complètement saucissonné. On va d’abord parler des agglomérations puis, dans un deuxième temps seulement, des régions et de leurs compétences, pour finir, peut-être, par ce qui restera, à savoir le rôle qu’il conviendra de confier aux assemblées départementales.

M. Jean-Claude Mathis. Peut-être !

M. François Sauvadet. Assurément, la méthode que vous avez adoptée, c’est la mort des départements de France. Compte tenu du poids de la démographie, les responsabilités politiques vont être naturellement et mécaniquement assumées par des élus des villes ; or, dans le même temps, les projets de loi que vous êtes en train de préparer envisagent de donner la responsabilité des compétences des conseils généraux aux grandes agglomérations qui le demanderont. Nous aboutirons donc à une situation paradoxale : la responsabilité politique sera assumée par des personnes qui engageront les territoires ruraux, alors que ces derniers seront finalement laissés face à eux-mêmes.

Qui va assurer demain la péréquation ? Qui va assurer demain la solidarité entre les territoires ? Qui va assurer demain, tout simplement, l’aménagement du territoire au quotidien ?

M. Olivier Marleix. Il a raison !

M. François Sauvadet. Ce qui créait un lien si singulier depuis deux siècles, vous le balayez d’un revers de la main. Moi, je ne le balaye pas.

Ce qui créait un lien singulier entre un territoire, ses communes et son conseiller général, son élu, celui-là même qui était aussi un animateur du territoire, c’est cela que vous êtes en train de remettre en cause. Au vrai, que voulez-vous faire des départements ? Des super-communautés de communes rurales, dans lesquelles le rural n’aura plus le pouvoir de décision, ni celui de péréquation, dans lesquelles il se retrouvera finalement face à lui-même.

Permettez-moi de citer M. Lebreton, président socialiste de l’Assemblée des départements de France : « Les départements et leurs élus, dit-il, ressentent comme une forme de mépris de la part du Gouvernement, qui semble les avoir sérieusement oubliés, en omettant totalement leurs identités, leur rôle, leurs intérêts pour le maintien de la cohésion sociale au service du développement économique et pour l’emploi. » Je partage tout à fait cet avis.

M. Dominique Le Mèner. Il est lucide !

M. François Sauvadet. S’il s’agissait simplement de traficotage électoral, monsieur le ministre – car il s’agit bien de cela – après tout, nous pourrions y revenir le moment venu, et le plus vite possible ; mais les conséquences de votre texte vont être autrement plus graves : c’est la fin de l’aménagement du territoire, la fin de la représentation des communes rurales et la mort politique des territoires ruraux. C’est une lourde erreur que de fonder exclusivement sur le fait urbain le développement d’un grand pays comme la France.

M. Olivier Marleix. Très bien !

M. François Sauvadet. Je suis d’ailleurs impatient de savoir ce que Mme la ministre de l’égalité des territoires – puisque j’ai découvert que le Gouvernement en comptait une – va bien pouvoir nous dire au sujet de l’aménagement du territoire, après les textes que vous avez fait adopter ou que vous préparez.

M. Guillaume Larrivé. Elle est totalement silencieuse !

M. François Sauvadet. J’observe que, depuis le début de nos travaux, c’est « silence radio » de la part de cette ministre.

Ce que je crains, monsieur le ministre, c’est que vous ayez une vision tout à fait dogmatique de l’avenir. À aucun moment, je veux y insister, vous n’avez recherché une quelconque convergence. Alors que nous avons déposé tous les amendements possibles pour faire en sorte que le système concilie l’exigence de proximité avec celle d’une meilleure représentation de la parité – la Constitution, n’impose pas une parité stricte, mais dit qu’il faut tendre vers la parité – à aucun moment vous ne les avez acceptés. À aucun moment vous n’avez réuni les groupes politiques pour envisager avec eux un autre système que le binôme ; or chacun sait que le redécoupage qui va l’accompagner va créer d’immenses circonscriptions cantonales rurales, dont certaines réuniront plus d’une centaine de communes.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. le président. Merci.

M. François Sauvadet. Je termine. Puisque c’est la dernière fois que je m’exprime sur ce sujet, monsieur le président, je compte au moins sur le fait que le Parlement…

M. Alain Tourret. Encore un petit moment, monsieur le bourreau !

M. François Sauvadet. Oui, encore un moment, monsieur le bourreau, puisque le bourreau gouvernemental va trouver sa majorité.

En tout cas, vous resterez comme le plus grand tripatouilleur électoral de l’histoire de la République. (Rires sur les bancs du groupe SRC.) Vous allez redécouper…

M. Dominique Le Mèner. Charcuter !

M. François Sauvadet. …tous les cantons de France : cela ne s’est jamais vu depuis deux siècles.

M. Pascal Popelin, rapporteur. En effet !

M. François Sauvadet. Vous allez constituer un nouvel hybride, vous allez reporter les élections départementales et régionales à 2015, vous avez modifié le mode de scrutin des municipales et, palme du tripatouillage, vous allez ajouter des conseillers de Paris dans les arrondissements de gauche pour en retirer dans ceux qui ne votent pas convenablement.

M. le président. Merci.

M. François Sauvadet. Tout cela dans un même projet de loi ! Franchement, la République irréprochable a rejoint l’immense fosse des promesses non tenues.

Mes chers collègues, nous continuerons de nous affronter sur ce projet de loi et nous vous donnons rendez-vous aux prochaines élections, puisqu’il faudra que vous veniez expliquer vos choix, qui sont dangereux pour l’avenir du pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le texte revient en discussion devant notre assemblée pour la quatrième fois. C’est un cas de figure assez rare, qui tient en grande partie, il faut bien le dire, à l’attitude du Sénat, qui a été constant dans son opposition au texte…

M. Dominique Le Mèner. C’est la démocratie.

M. François de Rugy. …et qui nous renvoie in fine, à nous autres députés, la responsabilité du vote de ce projet de loi. C’est l’occasion pour moi de résumer la position qui a été celle du groupe écologiste tout au long de l’examen du texte.

Mais permettez-moi d’abord de soulever une question. L’image de chambre des collectivités territoriales que le Sénat aime à défendre se trouve un peu remise en cause dans la mesure où il n’a pas été capable – et c’est un peu regrettable – de faire émerger un autre mode de scrutin. Une majorité du refus s’est exprimée, mais elle n’a pas fait émerger un mode de scrutin alternatif à la proposition du Gouvernement, le rapporteur l’a dit fort justement tout à l’heure.

Nos réticences, s’agissant de ce texte, portent principalement, vous le savez, monsieur le ministre, sur le mode de scrutin binominal, et en l’occurrence sur le caractère majoritaire de ce mode de scrutin. Il y a certes une avancée, du point de vue de la parité, par rapport au mode de scrutin actuel, et c’est une bonne chose. L’UMP souhaiterait revenir au statu quo – je constate, en disant cela, qu’il ne reste que deux collègues de l’UMP en séance, ce qui me fait douter de leur intérêt pour ce texte. Tout à l’heure, à l’occasion d’une motion de procédure, M. Larrivé s’est exprimé pendant une quinzaine de minutes, se livrant à un véritable festival de conservatisme : il n’a rien trouvé de mieux à faire que de défendre le statu quo du mode de scrutin des cantonales.

M. Alain Chrétien. Le conseiller territorial, c’était une vraie réforme !

M. François de Rugy. Tout au long de la discussion, nous avons également entendu notre collègue François Sauvadet répéter que ce mode de scrutin existait depuis plus d’un siècle, et on en est même venu à défendre un découpage vieux lui aussi de plus d’un siècle,…

M. François Sauvadet. Vieux de deux siècles !

M. François de Rugy. …alors que la France a quand même un peu évolué. Je crois même qu’on a évoqué Napoléon Ier : depuis ce temps-là, la France a changé. Je regrette que nous ayons assisté à cette défense du statu quo.

M. Alain Chrétien. Et le conseiller territorial ?

M. François de Rugy. Vous évoquez, mon cher collègue, le conseiller territorial, mais vous oubliez de dire qu’ill impliquait un redécoupage extrêmement important du territoire,…

M. Alain Chrétien. On n’a pas eu le temps de le mettre en œuvre !

M. Jean-Claude Mathis. Il devait s’agir d’un rééquilibrage.

M. François de Rugy. …puisqu’on aurait même changé le nombre d’élus, en l’augmentant à certains endroits et en le diminuant à d’autres. Quand M. Larrivé a parlé de sécateurs, j’ai eu envie de lui répondre – et c’est dommage qu’il ne soit plus là – qu’au ministère de l’intérieur, nous n’en sommes plus au temps des sécateurs : je crois que le ministre pourra le confirmer. Comme disait le général de Gaulle – je sais que vous aimer le citer –, nous n’en sommes plus au temps de la lampe à huile et de la marine à voile. Eh bien, nous n’en sommes plus au temps des sécateurs au ministère de l’intérieur, mais plutôt, sans doute, au temps des ordinateurs, pour les redécoupages.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il y a même un système d’information géographique.

M. François de Rugy. Vous aviez prévu, mesdames et messieurs – ou plutôt messieurs – les députés de l’opposition, de faire tourner vos ordinateurs pour redécouper les cantons, quand vous avez instauré votre funeste conseiller territorial. Sans doute aviez-vous même déjà commencé à le faire….

M. Alain Chrétien. Mais nous voulions le faire intelligemment, dans le cadre d’une vraie réforme !

M. François de Rugy. Nous avions combattu le conseiller territorial à l’époque. En tant que député de l’opposition, j’avais proposé un mode de scrutin alternatif, dans le cadre d’un amendement que j’avais défendu en deuxième ou en troisième lecture, car ce texte avait également fait l’objet d’un certain nombre de lectures successives. Vous pourrez d’ailleurs vous reporter aux comptes rendus des débats de l’époque. J’avais failli l’emporter – cela s’était joué à quelques voix – en proposant un mode de scrutin de liste paritaire. Un certain nombre de députées de l’UMP avaient joint leurs voix à celles de l’opposition de l’époque pour soutenir cet amendement, car elles voyaient bien que le conseiller territorial constituait un recul.

Je regrette que, lorsque la majorité sénatoriale a déposé une proposition de loi abrogeant le conseiller territorial, elle n’ait pas fixé dans le même temps – et l’Assemblée a pour ainsi dire avalisé la chose – le mode de scrutin qui le remplacerait. Si nous n’adoptions pas ce texte aujourd’hui, nous serions dans une drôle de situation, puisque nous n’aurions ni le conseiller territorial, qui a été abrogé, ni aucun mode de scrutin permettant d’élire les conseillers régionaux et ceux que l’on va désormais appeler les conseillers départementaux.

M. François Sauvadet. C’est faux ! Nous pourrions retourner à la situation antérieure.

M. François de Rugy. Nous avions appelé à la clarté et je regrette que le groupe majoritaire n’ait pas fait le même choix : nous étions favorables à un mode de scrutin que nous avons défendu ensemble en d’autres temps, qui fonctionne très bien et a l’avantage d’être connu des Français. Il est important que les Français y voient clair en matière de mode de scrutin : c’est une autre façon de jouer la transparence, dont on parle beaucoup en ce moment, et que je défends.

Ce scrutin, c’est celui qui a cours aux élections régionales, mais aussi aux élections municipales, même s’il y a une petite différence concernant la prime majoritaire, que nous étions d’ailleurs prêts à harmoniser entre les élections régionales, les départementales et les municipales. Ce mode de scrutin a l’immense avantage d’être démocratique, puisqu’il permet la représentation de tous les courants de pensée, en tout cas de ceux qui se présentent aux élections et qui rassemblent suffisamment de suffrages – le seuil des 5 % est accepté depuis longtemps et il fonctionne.

Il a l’avantage, en outre, de respecter la parité, puisque sur un scrutin de liste, on peut, à une unité près, respecter une stricte parité entre les hommes et les femmes. Il a l’avantage, enfin, de garantir la stabilité qui est nécessaire pour gouverner les collectivités locales, puisque ni les régions ni les communes n’ont de problèmes d’instabilité. Nous pouvions espérer que ce mode de scrutin ferait l’objet d’un consensus, puisqu’il a survécu à de nombreuses alternances, aussi bien nationales que locales, ce qui est sans doute la meilleure garantie de l’acceptabilité d’un mode de scrutin.

Je regrette donc que cette solution n’ait pas été retenue. Nous étions prêts à travailler à la représentativité des territoires, puisque c’est l’un des reproches qui a été fait au texte. Nous aurions pu nous inspirer de ce qui a été fait au niveau des régions, où des sections départementales ont été créées à l’intérieur des listes régionales. Après tout, pourquoi pas ? C’est une autre majorité qui l’avait fait : nous pouvions reprendre cette idée et créer des sections infradépartementales, qui auraient pu être calquées sur les arrondissements, même s’ils n’ont plus beaucoup de réalité, ou sur les circonscriptions, puisque les circonscriptions, dans les départements d’une certaine taille, correspondent à un découpage équilibré des territoires. Cela aurait permis d’assurer à la fois la démocratie, le pluralisme et l’ancrage territorial.

Le pluralisme ne sera pas favorisé par le mode de scrutin majoritaire, et peu importe qu’il soit uninominal ou binominal. Le système binominal va même aggraver un peu les choses et créer des mouvements de balancier…

M. François Sauvadet. Bien sûr !

M. François de Rugy. Je ne sais pas, d’ailleurs, si tout le monde s’en félicitera dans quelques années… Il va créer des mouvements de balancier assez puissants, puisque ce sont des paires, et plus un seul individu, qui seront désormais élus.

Nous sommes toujours dans une logique majoritaire, et cela devrait plaire à l’UMP, qui défend en général le mode de scrutin majoritaire. Nous, nous le combattons. On nous parle toujours du bipartisme, mais en réalité, élections après élections, les Français confirment leur attachement au pluralisme, y compris à l’intérieur de la gauche et de la droite. Je pense, monsieur Sauvadet, que nous serons d’accord sur ce point.

M. François Sauvadet. Nous sommes d’accord.

M. François de Rugy. Ce n’est pas le bipartisme que souhaitent les Français, même si on essaie de le forcer par le mode de scrutin. Rien ne sert de forcer la main aux électeurs, puisque finalement les deux principaux partis ne sont même pas toujours majoritaires à eux deux. C’est dire si ce scrutin majoritaire est déformant et s’il est peu conforme au souhait des Français.

Quant aux autres aspects du texte, nous regrettons que la règle n’ait pas été généralisée aux élections municipales. On aime bien, dans notre pays, dire qu’on est pour l’égalité sur tous les territoires, et qu’il faut la même règle partout. Cela peut se discuter, mais alors faisons-le.

Le scrutin proportionnel par liste aurait pu être instauré pour toutes les communes. À l’Assemblée, un accord avait été trouvé pour le mettre en place dans les communes de plus de 500 habitants. Cela laissait encore beaucoup de communes fonctionner avec l’ancien mode de scrutin, dont tout le monde connaît bien les effets pervers.

Mais nous sommes revenus sur ce point, le Sénat ayant souhaité placer la limite à 1 000 habitants. C’est encore une demi-mesure qui ne sera pas très lisible pour nos concitoyens, à moins d’un an des élections municipales, et c’est une autre occasion manquée pour la parité entre hommes et femmes, que le scrutin proportionnel aurait permis d’instaurer, à la différence du mode de scrutin maintenu.

Ce sont les réserves que le groupe écologiste a exprimées, notamment par la voix de Paul Molac. Ce texte comporte néanmoins quelques petites avancées, et c’est pourquoi nous nous abstiendrons sur l’ensemble du texte, comme nous l’avons fait lors des lectures précédentes.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Allez Robesbierre !

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous voilà à la fumée des cierges. Nous allons rompre définitivement avec l’héritage de Bonaparte. Nous n’allons plus entendre le fracas de M. Sauvadet.

M. François Sauvadet. Plutôt mon tracas !

M. Alain Tourret. Nous n’allons plus entendre les arguties juridiques de M. Larrivé. Nous pourrions en être inconsolables !

Il nous restera malgré tout à entendre la décision de ceux que l’on appelle les sages de la République, et je vous avoue que cela me cause quelque inquiétude.

Prenons patience, et tirons les leçons de nos débats. Il faut souligner l’écoute du rapporteur et du ministre. Leur plasticité a permis de faire évoluer le texte.

M. Alain Chrétien. Parlez plutôt de leur élasticité !

M. Alain Tourret. Nous nous en félicitons, car cette évolution est allée dans le bon sens.

Mais comment cacher l’inquiétude du leader radical que je suis depuis quarante ans ? Je représente un vieux parti, installé dans des cantons ruraux du Sud-Ouest de la France et de Corse. Les générations de radicaux s’y succèdent souvent de père en fils. Dans certains cantons, cette tradition se perpétue depuis un siècle ! Mais je le précise, monsieur de Rugy, jamais aussi loin que 1801 ! (Sourires.) Bien qu’en Haute-Corse on n’en soit pas loin, puisque mes amis Giacobbi y sont en place depuis 1852, si mes souvenirs sont bons !

À cet égard, le nouveau mode de scrutin que vous nous proposez est une révolution apocalyptique ! C’est ce qui explique à quel point le radical moderne que je suis éprouve par moments des difficultés avec les radicaux des champs, qui sont dans l’autre partie du parti radical.

La parité est évidemment une exigence, et je la défends. Mais le ministre devra faire preuve de sagesse lors des découpages et prendre en compte l’héritage historique que nous léguons à la République.

Quant aux communes, il a fallu nous battre pour faire prévaloir le seuil de 1 000 habitants pour l’application du scrutin proportionnel. Monsieur le ministre, vous nous avez toujours écoutés, et je tiens à vous en remercier. J’ai la faiblesse de penser que ma seule voix aurait été insuffisante, même si elle fut appuyée en l’occurrence par celle de mon ami Jacques Pélissard. Faire passer le seuil de 500 à 1 000 habitants était incontestablement un progrès.

Nous allons devoir nous prononcer sur ce texte. Monsieur le ministre, je vous le dis franchement, vous avez un immense talent mais je pense que nous n’avons peut-être pas fait ce qu’il fallait faire. Je persiste à penser qu’il fallait d’abord s’appuyer sur la réforme de la décentralisation et des compétences.

M. Dominique Le Mèner. Bien sûr !

M. Alain Chrétien. Les choses ont été faites à l’envers !

M. Alain Tourret. Il fallait accoler les modes électoraux aux compétences. Je défends l’existence des cantons dans le cadre départemental dès lors que l’on maintient les départements, mais ils ne peuvent se justifier que si une loi donne compétence au conseil départemental pour la proximité. Les cantons ne se justifient que par la proximité.

M. Dominique Le Mèner. C’est le bon sens !

M. Alain Tourret. Dès lors, soit l’on renforce les compétences des départements au service de la proximité, soit l’on conserve le cadre des compétences générales, et alors l’existence du département ne se justifie plus. Le département se justifie par la proximité. Quant aux régions, l’élection à la proportionnelle porte sur de grands projets d’avenir qui concernent un territoire.

Enfin, je suis très triste de ce qui s’est passé en Alsace. Je suis un fervent partisan de la réunification des départements et des régions, qui permettrait de conserver les départements en leur donnant une autre dimension.

M. François Sauvadet. Il fallait soutenir la création du conseiller territorial !

M. Alain Tourret. Si vous aviez fait directement la fusion des départements et des régions, vous l’auriez eu, votre conseiller territorial ! Mais vous avez créé une espèce d’être hybride parce que vous n’avez pas eu le courage d’aller jusqu’au bout de votre réflexion.

M. Alain Chrétien. Ça n’était déjà pas mal !

M. Alain Tourret. Vous auriez écouté l’un des anciens de votre parti, Alain Juppé, vous auriez supprimé les départements. Vous ne l’avez pas voulu, tant pis pour vous !

En ce qui concerne les scrutins qui vont se tenir, reste à savoir à quelle date nous aurons à voter. Il est indispensable que les élections départementales et régionales se tiennent en même temps. Cela donne une cohérence au choix de l’électeur, auquel la majorité des collectivités territoriales sont alors soumises. C’est pourquoi j’espère que la date de 2015 qui a été fixée pour les deux collectivités territoriales sera retenue par le Conseil constitutionnel.

Monsieur le ministre, pour l’essentiel, mon groupe s’abstiendra. C’est une abstention positive. Et je ne peux quitter cette tribune sans vous dire tout le bonheur que nous avons eu à vous écouter, ainsi que le rapporteur.

M. François Sauvadet. C’était tout de même très compliqué. Je n’ai rien compris !

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée est appelée à examiner en lecture définitive ce projet de loi relatif aux élections locales. Force est de constater que, s’agissant des grands enjeux du texte, notre désaccord demeure profond, tout comme notre opposition à l’égard de la loi de décembre 2010, que nous aurions souhaité voir entièrement abrogée.

Concernant en premier lieu la réforme du scrutin départemental, le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République, a clairement rejeté le scrutin binominal majoritaire pour les élections départementales tout au long de la navette parlementaire. Une majorité de sénateurs estime en effet que ce mode de scrutin ne permettra pas une représentation satisfaisante des territoires et craint que la coexistence de deux élus d’un même canton ayant la même légitimité soit source de difficultés.

Ces inquiétudes, légitimes, ont également été formulées au sein de notre assemblée par plusieurs groupes parlementaires, et renouvelées à l’instant même. Aussi, nous ne comprenons pas l’intransigeance et le refus d’entendre les critiques formulées.

Comme vous l’a déjà indiqué mon collègue Marc Dolez, monsieur le ministre, il ne peut y avoir de pacte de confiance avec une réforme d’un mode de scrutin si peu consensuelle.

Depuis la discussion de ce texte en première lecture, nous sommes fermement opposés à la création de ce binôme. S’il contribue certainement à faire avancer la parité, ce dont nous nous réjouissons, ce sera au prix de la pluralité, ce que nous refusons.

Le fait d’élire en même temps deux candidats dans un même canton, dont le nombre serait réduit de moitié, entraînera de façon quasi automatique un renforcement du bipartisme. Là où deux candidats de sensibilités différentes pouvaient être élus, il y aura dorénavant deux élus du même courant. En outre, ce nouveau mode de scrutin s’accompagnera d’un redécoupage des cantons, avec toutes les injustices démocratiques que cela peut engendrer. Et il ne favorisera pas la proximité, puisque ces mêmes cantons seront considérablement agrandis.

Pour consacrer une avancée démocratique plutôt qu’un recul, le mode de scrutin devrait concilier parité et pluralisme, et non pas les opposer. Pour atteindre ces deux objectifs constitutionnels, nous avons proposé un autre mode de scrutin : l’élection à la proportionnelle sur liste, composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. Il s’agit du mode électoral le plus juste, mis en place pour toutes les autres élections locales : régionales comme municipales.

Durant les débats, à l’Assemblée comme au Sénat, des amendements variés proposant des alternatives au binôme ont été présentés. Tous ont malheureusement été balayés alors même que certains auraient permis un large rassemblement.

Notre second désaccord majeur avec cette réforme concerne les modalités de désignation des délégués des communes. Les délégués des communes au sein des assemblées communautaires deviennent des conseillers communautaires. Ce changement sémantique est loin d’être anodin.

Il marque un changement de statut de ces délégués, qui ne seront plus les représentants des conseils municipaux, mais des élus au suffrage universel représentant leurs électeurs au sein des intercommunalités. Cette dénomination induit une indépendance de ces conseillers à l’égard des conseils municipaux et ouvre, avec le fléchage, la perspective d’une élection au suffrage universel direct et différencié dès 2020.

Le fait de ne plus parler de délégués des communes montre bien que ceux-ci n’émaneront plus des conseils municipaux, puisqu’ils seront élus directement. Ils n’auront donc plus de comptes à rendre à ces conseils. Nous sommes fermement opposés à une telle évolution, qui signifie à terme la mort des communes.

Pour notre part, nous réitérons le souhait de l’abrogation de la réforme territoriale de 2010 qui institue le fléchage. Nous proposons de réintroduire l’élection des délégués des communes par les conseils municipaux tout en assurant, cette fois, la promotion du pluralisme et de la parité par l’élection de ces délégués dans les communes de plus de 500 habitants à la proportionnelle sur liste, comportant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir et composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

Enfin, je vous rappelle que, dès la présentation de ce texte en première lecture, nous avions souligné l’incohérence du calendrier retenu. Décider un mode de scrutin avant que ne soit établi le contenu de la réforme institutionnelle est pour le moins insolite. Il aurait été plus logique de reporter la date des élections départementales et régionales à 2015, puis d’examiner le projet d’acte III de la décentralisation, et de finir en déterminant les modalités d’élection des conseillers départementaux.

Nous regrettons, monsieur le ministre, votre refus de suspendre le débat sur le mode de scrutin et de reporter les élections cantonales et régionales. Cela nous aurait permis d’examiner les choses dans l’ordre et de laisser un temps de réflexion et de débat indispensable avec les associations représentatives des élus locaux.

En définitive, l’importance et la persistance de désaccords essentiels sur le mode de scrutin départemental et la désignation des délégués dans les intercommunalités fondent notre opposition à ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva.

M. Carlos Da Silva. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ici même, le 18 février dernier, nous nous exprimions pour la première fois à l’occasion de la discussion générale sur les projets de lois, organique et ordinaire, relatifs aux modes de scrutin.

Près de trois mois et plus de soixante heures de débats plus tard, nous allons voter un texte qui s’est enrichi au cours de nos échanges, ainsi qu’au Sénat. C’est une loi qui prend sa source dans la nécessité et la volonté quasiment impérieuses de revivifier notre démocratie locale. C’est la fin d’un cheminement législatif qui a permis d’amplifier les nombreux objectifs du texte et de préciser les modalités de leur mise en œuvre. Je souhaite souligner la qualité du travail du rapporteur, mené en lien avec le Gouvernement et l’ensemble de la majorité de notre Parlement, malgré les coups de boutoir de l’opposition dont on ne peut que regretter le conservatisme.

M. Guillaume Larrivé. Vous parlez des communistes et des écologistes ?

M. Éric Ciotti. Les réformateurs, c’est nous !

M. Carlos Da Silva. Nous avons œuvré au rassemblement de toutes les sensibilités politiques et, lorsque ce n’était pas possible, à la convergence des idées, alors même que l’opposition n’a su au fond qu’espérer l’échec du texte sans jamais participer réellement et sincèrement à ce qui sera une très grande avancée pour tous nos territoires.

M. François Sauvadet. Mais c’est un mensonge !

M. Carlos Da Silva. Nous avons voulu clarifier des modes de scrutin jusqu’ici victimes de l’instauration du conseiller territorial, mais aussi de leur superposition et d’une trop faible lisibilité. Nous avons su, n’en déplaise au président Sauvadet, nous départir de l’esprit partisan dont l’ancienne majorité avait fait preuve lors de l’institution du conseiller territorial. L’initiative que nous avons prise avec ce texte de loi qui révolutionne nos modes de scrutin, l’opposition ne semble pas l’avoir digérée, ce qui est incompréhensible. En effet, avec le scrutin binominal, nous allons tendre vers plus de parité et de représentativité. Avec la rénovation de l’ensemble des scrutins territoriaux, nous allons clarifier tant les listes que les programmes et favoriser la participation et la construction de projets à long terme. Et avec le redécoupage électoral, nous allons rétablir l’égalité devant le suffrage. Et si nous nous sommes engagés à réaffirmer ce principe phare de notre Constitution, nous avons aussi voulu prendre en compte les caractéristiques propres de notre si beau pays, tant démographiques que d’aménagement et géographiques. Vous le voyez, mes chers collègues, si un quelconque esprit partisan a pu nous habiter, c’est celui de la France et des Français, et nous l’assumons, car il conduit au renforcement de la démocratie et de la République.

Par ailleurs, dans la période que nous connaissons, qui voit croître la défiance envers l’action politique, il nous faudra tout faire pour retisser les liens unissant les Françaises et les Français à leurs représentants.

M. Éric Ciotti. Vous aurez du mal !

M. Carlos Da Silva. Ce texte contient en lui des éléments utiles à cette fin. Nous avons par exemple interdit le cumul des indemnités de mandats incompatibles entre eux. Nous avons élargi le spectre de l’inéligibilité au poste de conseiller municipal dans les communes composant un EPCI pour éviter toute immixtion des intérêts personnels dans l’intérêt collectif. Enfin, nous avons étendu les incompatibilités entre mandat et poste rémunéré au sein d’une même structure ou de deux structures administrativement liées.

C’est un texte d’une très grande cohérence que nous discutons et que nous nous apprêtons à adopter définitivement. Il est pour nous l’occasion de réaffirmer notre attachement à des valeurs, à la justice démocratique, à l’équilibre territorial et à la transparence de la vie politique, que nous faisons progresser.

M. François Sauvadet. Sûrement pas !

M. Carlos Da Silva. Nous avons pu avoir des désaccords, mes chers collègues, et nous en aurons encore de nombreux. Mais je crois que nous avons su traduire dans ce texte l’ambition que nécessite une telle réforme, celle de remettre nos concitoyennes et nos concitoyens au cœur de la démocratie locale. Pour cela, notre vote, aujourd’hui ou demain, fera œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, M. le ministre nous a indiqué tout à l’heure que c’est la dernière fois que nous nous voyons pour débattre de ce texte. Nous le regretterons sur la forme, car il est toujours stimulant de débattre avec vous malgré nos oppositions, monsieur le ministre, mais pas sur le fond. Je pense d’ailleurs que vous êtes un peu optimiste, car le long et difficile parcours du texte risque de se poursuivre…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Pas tant que celui du conseiller territorial !

M. Éric Ciotti. …après la décision du Conseil constitutionnel consécutive au recours que nous allons déposer et dont notre collègue Guillaume Larrivé a fort pertinemment et brillamment développé les arguments. Ils justifient la censure d’un texte inopportun, dangereux et inédit.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Pas forcément dangereux !

M. Éric Ciotti. Ses conditions d’examen sont inédites pendant notre législature, car nous abordons pour la quatrième fois l’examen de ce projet de loi dans l’hémicycle. C’est la première fois depuis le début de la législature qu’un texte a autant de difficultés. Je rappelle qu’il a été rejeté trois fois au Sénat et a obtenu par deux fois dans notre hémicycle des majorités particulièrement étriquées, la quasi-totalité des groupes à l’exception du groupe socialiste rejetant le texte.

Ils ont raison, car il est inopportun. Il est inopportun et même un peu choquant de débattre d’un texte de confort électoral, puisque telle est finalement la seule motivation qui le sous-tend, en période de crise sociale, économique, politique et morale du pays. La seule réponse urgente à la situation que connaît notre pays était-elle réellement, monsieur le ministre, de présenter un texte à finalité électorale dont le seul but est de conduire à un redécoupage électoral qui vous soit favorable ?

Ce texte enfin, et c’est peut-être le plus grave, est dangereux. Il est dangereux sur le fond, car il remet en cause une réforme novatrice et audacieuse qui était tout le contraire d’une approche conservatrice, l’instauration du conseiller territorial souhaitée par le précédent gouvernement. Le conseiller territorial avait la vertu de faire diminuer le nombre d’élus territoriaux, départementaux et régionaux, et surtout de rationaliser notre organisation territoriale en rapprochant de fait ces deux institutions importantes de notre République, puisqu’il n’y aurait plus qu’un seul élu siégeant à la fois au sein des conseils régionaux et généraux. Vous avez fait le choix inverse, puisque votre texte aboutira à la création de 2650 élus supplémentaires, qui seront bien entendu la source d’autant de dépenses publiques en plus.

En outre, le scrutin totalement hybride, fruit d’une imagination que l’on peut certes qualifier de fertile mais aussi sans doute d’un peu complexe, portera un coup très rude, je tiens à le souligner à nouveau, au principe de solidarité territoriale. Le département constitue depuis plusieurs siècles, avec la commune, la cellule de base de notre démocratie. Vous allez remettre en cause ce principe républicain fondamental en affaiblissant la représentation des territoires les plus fragiles de notre République, ruraux en particulier, et par là même porter un coup très rude à une ruralité qui aujourd’hui souffre, qui est fragilisée et se verra demain sous-représentée faute de représentation adaptée pour conduire une véritable politique de solidarité territoriale. Celle-ci est la mission essentielle des départements, la loi de décentralisation que vous annoncez le reconnaît d’ailleurs, et je regrette qu’avec le présent texte vous lui portiez un coup très rude. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat.

Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voici donc en effet la dernière lecture et un peu de regret de se quitter ce soir après 62 heures passées ensemble à débattre du nouveau mode de scrutin. Après des heures de débat, nous avons évolué à partir du texte originel, sans renoncer à une ligne directrice, la création du binôme. À ce titre, nous pouvons tous nous féliciter aujourd’hui. Certains regrettent qu’il n’y ait pas assez d’élus pour voter le texte, mais nous avons la majorité !

M. Éric Ciotti. Cela ne vous donne pas raison !

Mme Frédérique Massat. Nous l’assumons et nous voterons ce texte.Je rappelle que le conseiller territorial a fait l’unanimité contre lui, hormis les groupes UMP et UDI, qui souhaitaient le conserver alors que tous les autres groupes ont voté sa suppression. En effet, le conseiller territorial représentait à terme la suppression du département, noyé dans l’ensemble régional. Le conseiller territorial, c’était également la fin de la proximité entre l’élu, son territoire et ses électeurs !

M. Alain Chrétien. C’est faux !

Mme Frédérique Massat. Dois-je rappeler qu’avec ce système un conseiller général de Haute-Savoie devait siéger à la fois à Annecy au sein de l’assemblée départementale et à Lyon, à 150 km de là ?

M. Alain Chrétien. Et alors ?

Mme Frédérique Massat. Et le conseiller général de Decazeville devait siéger au conseil régional à Toulouse, soit plus de 170 km et plus de deux heures et demie de trajet ! Avec de tels temps de trajet, comment siéger et être près de ses électeurs ?

M. Alain Chrétien. Et comment font les conseillers régionaux ?

Mme Frédérique Massat. Il faut surtout rappeler la terrible régression qu’aurait entraînée l’instauration du conseiller territorial. Nous avons aujourd’hui 48 % de femmes élues dans les régions, avec le conseiller territorial nous aurions 13,9 % de femmes, comme dans les conseils généraux aujourd’hui. Six femmes siègent au conseil général de Côte d’or qui compte 43 élus ! Je ne suis pas plus fière du département de l’Ariège, où il n’y en a que trois sur 22, et encore moins de certains départements qui n’ont aucune élue femme.

M. Alain Chrétien. Et les présidences de région, dont 21 sont à gauche ? Deux femmes seulement !

Mme Frédérique Massat. Le texte permet donc aux élues féminines d’entrer dans les conseils généraux à parité, afin que demain tant les territoires ruraux que de montagne ou de la mer aient des représentants du sexe féminin.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est vrai !

Mme Frédérique Massat. Nous saluons donc la suppression du conseiller territorial et le binôme qui instaure la parité. Plus de proximité, plus de démocratie et plus de parité, c’est en effet ce que va permettre le scrutin demain.

Quant au découpage qui a beaucoup été évoqué, il faut en effet en parler. Vous avez présenté en troisième lecture, monsieur le ministre, un amendement supprimant l’écart maximum de population entre deux cantons d’un même département, en vertu du risque constitutionnel que cela faisait courir au texte. Nous n’avons donc plus le tunnel de 30 % auquel est substituée la formule retenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui définit le territoire cantonal sur des bases essentiellement démographiques.

La solidité juridique du texte est un enjeu. Nous en prenons acte et il est important de la sauvegarder. Mais la cohérence territoriale des futurs cantons en est un tout aussi important. Le futur redécoupage de la carte cantonale ne devra donc pas se fonder uniquement sur la démographie. Il faut permettre un écart de population à la moyenne cantonale pour les territoires compris dans la liste des exceptions à l’article 23, que vous avez bien voulu accepter. Il y a aujourd’hui une certaine inquiétude des élus quant au futur découpage dans l’ensemble des territoires, il faut le reconnaître. C’est pourquoi nous serons attentifs aux propositions qui seront faites et demanderons à être partout associés au futur redécoupage, afin que les particularités des territoires qui font leur identité et leur histoire continuent à être représentées par les élus départementaux. Nous y veillerons, monsieur le ministre.

Permettez-moi pour finir d’évoquer l’extension du scrutin mixte aux communes de plus de 1000 habitants, gage d’une meilleure compétition politique locale, et de l’entrée des femmes dans les conseils municipaux des petites communes. Un débat a eu lieu au sujet du seuil de 500 ou 1000 habitants et, après un certain nombre d’échanges et de débats, un compromis a pu être trouvé et nous pouvons nous en féliciter. Permettez-moi également pour conclure de vous remercier, monsieur le ministre, de l’écoute dont vous avez fait preuve pendant l’examen du texte et des évolutions favorables que celui-ci a pu faire naître, en particulier les exceptions à l’article 23. Les territoires seront redécoupés, c’est une nécessité. C’est donc avec beaucoup de ferveur que nous voterons le texte et participerons au futur découpage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Ciotti. Avec ferveur ?

M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.

M. Alain Chrétien. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme Éric Ciotti l’a rappelé, nous en sommes aujourd’hui à la quatrième lecture de ce texte. Moi qui suis un jeune parlementaire, j’ai demandé à mes collègues s’il arrivait souvent qu’un texte revienne quatre fois devant notre assemblée. La réponse a été négative, ce qui n’a pas manqué de me surprendre. En effet, s’il s’agissait d’un texte d’une grande banalité, sans grande importance pour notre territoire, il ne me paraîtrait pas étonnant de multiplier les échanges. Mais qu’un texte aussi fondamental, qui engage l’administration territoriale de la République pour des dizaines d’années, donne lieu à un accouchement aussi difficile, devrait vous interpeller, mesdames et messieurs les députés de la majorité.

Comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, nous sommes sur le point d’adopter un texte refusé par le Sénat, ainsi que par la majorité des députés de cette assemblée, finalement un texte purement socialiste. Cela veut dire que vous ne gouvernez que pour vous-mêmes, pour le PS, par le PS et avec le PS, ce qui n’est pas une bonne manière de diriger la France. La France, ce n’est pas les 100 000 adhérents du parti socialiste, c’est 65 millions de Français, et vous devez tenir compte de ce que vous disent leurs représentants.

La méthode que vous avez utilisée pour ce projet de loi est la même que celle mise en œuvre pour les autres projets : aucune inflexion, aucune réflexion, aucune remise en cause. Vous foncez, tête baissée et avec des œillères, prétendant avoir raison sur tout.

M. Christophe Borgel. Ce n’est pas vrai !

M. Alain Chrétien. Non, vous n’avez pas raison sur tout ! Vous devriez faire preuve d’humilité de temps à autre, et écouter les arguments des uns et des autres – qui, certes, sont contradictoires, mais ont tous leur légitimité. Vous n’avez fait évoluer votre position que sur le seuil communal – passé de 500 à 1 000 – et sur le score que le binôme doit recueillir au premier tour – passé de 10 % à 12,5 %, sans doute parce que cela vous arrangeait. C’est un fait, le premier constat est un constat d’autisme : la majorité se définit ainsi : socialiste et autiste – ce dont les Français sont en train de se rendre compte.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce que vous n’aimez pas, c’est que nous soyons socialistes, nous l’avons bien compris !

M. Alain Chrétien. Pour ce qui est du gadget paritaire, permettez-moi de vous rappeler, en fin d’examen de ce projet, les propos tenus par votre collègue Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, qui, en novembre dernier, affirmait au sujet du binôme paritaire : « C’est une solution qui me choque énormément et qui me heurte profondément. Le message que je reçois en tant que femme politique, c’est : “vous n’êtes pas capable d’y arriver toute seule, donc il faut des couples !” C’est stupéfiant ! Je trouve même cela humiliant et je le vis comme un mépris. “On vous offre la parité, alors taisez-vous ! Et en plus, vous n’êtes jamais contentes !” La parité, oui, mais pas à ce prix-là ! C’est un dévoiement de la parité. Je n’ai pas envie, si je devais me présenter au conseil général, d’aller chercher un homme pour le faire ». C’est Catherine Coutelle, que vous avez nommée à la présidence de la délégation aux droits des femmes, qui disait cela à l’automne. Bizarrement, elle s’est tue quand nous avons entamé l’examen de ce projet de loi. Sans doute a-t-elle reçu des consignes…

M. Éric Ciotti. Des menaces !

M. Alain Chrétien. …ou, à tout le moins, le conseil de ne pas venir s’exprimer à ce sujet. Elle disait encore : « Si je m’exprime, c’est que je pense que le débat est encore possible. J’ai fait un courrier à la mission Jospin, j’ai fait une note au parti socialiste, mais apparemment cette note n’a jamais été prise en compte ».

M. Éric Ciotti. Effectivement, on ne peut pas dire que cette démarche ait été efficace !

M. Alain Chrétien. Pour terminer, mes chers collègues, c’est un grand ratage que cette réflexion sur l’administration territoriale de la République. Vous auriez pu, monsieur le ministre, être l’auteur d’un vrai grand projet de loi ambitieux et global…

M. Manuel Valls, ministre. Que voulez-vous, ça viendra peut-être un jour ! (Sourires.)

M. Alain Chrétien. …comme l’a été, en son temps, Gaston Defferre. Vous qui vous prenez pour le Bonaparte du xxie siècle…

M. Manuel Valls, ministre. Oh non, pas du tout ! (Rires et exclamations sur tous les bancs.)

M. Alain Chrétien. …vous n’égalerez même pas le Gaston Defferre de 1982, parce que vous n’avez aucune vision globale. Vous allez en quelque sorte, monsieur le ministre, organiser le désordre territorial des prochaines années. Nous en sommes confus et j’espère bien que la future majorité de 2017 reviendra en arrière, afin de remettre de l’ordre sur le territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pascal Terrasse. Rappelez-vous votre projet : vous vouliez supprimer les conseillers généraux !

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je mesure la difficulté qui est la mienne à intervenir comme dernier orateur lors de la quatrième lecture de ce texte. Si je ne crois pas que nous ayons raison sur tout, je crois en revanche que faire passer la représentativité féminine de 13,5 % à 50 %, ce n’est pas un gadget.

De même, permettre l’accès de 85 % de la population à un scrutin paritaire au plan municipal n’est pas un gadget. Je pense que le principe constitutionnel d’égalité des suffrages ne souffre pas de contestation. À l’évidence, constater sur certains cantons un écart de population d’un à quarante-cinq n’était plus possible. À l’évidence, la France de 2013 n’est plus la France de 1801. Ceci devait forcément amener la représentation nationale à agir.

C’est ce que nous faisons, mais pas dans le même esprit que celui qui animait la précédente majorité lors de la création du conseiller territorial. Notre objectif n’est pas de stigmatiser des élus qui seraient trop nombreux ou trop payés mais, tout au contraire, de réorganiser les départements en laissant aux élus un territoire, c’est-à-dire une vraie proximité avec les électeurs. Certes, la création d’un ticket femme-homme sur un territoire est une innovation, mais je ne vois pas en quoi ce principe est à ce point effrayant à vos yeux – pour ma part, je gage même que ce sera un facteur d’équilibre et de saine émulation.

Monsieur le ministre, je suis élu d’un département rural, l’Orne, et j’irai expliquer cette réforme sur le terrain.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Très bien !

M. Yves Goasdoué. Il est vrai que la réforme va apporter du changement. Il est vrai que les choses vont bouger. Le critère démographique étant prédominant, certains très petits cantons vont devoir fusionner ou faire l’objet d’un redécoupage.

Pour ma part, je ne vois rien de choquant à ce qu’un citoyen d’un petit canton cesse de peser électoralement cinq fois plus lourd dans la balance départementale qu’un citoyen d’un canton plus peuplé.

M. Pascal Popelin, rapporteur. En encore, c’est un minimum !

M. Yves Goasdoué. Aujourd’hui, nous donnons du sens à tout cela. Notre texte allie justice électorale et légitime – j’y tiens – préoccupation d’aménagement du territoire.

Contrairement à ce que j’ai entendu tout au long des débats, l’introduction en milieu rural de la parité et du principe d’égalité des suffrages ne va pas tuer le monde rural mais, tout au contraire, lui donner une force nouvelle.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Absolument !

M. Yves Goasdoué. Chacun sait que les territoires trop petits et trop peu peuplés peinent à s’organiser dans le contexte d’une concurrence territoriale aujourd’hui exacerbée par la pénurie financière à laquelle nous sommes tous confrontés. Ce sera un véritable défi, pour les nouveaux conseillers départementaux, que d’organiser des territoires plus vastes et de leur donner une cohérence et une dynamique nouvelle.

Du point de vue communal et intercommunal, notre texte est un texte équilibré. J’ai regretté que nous ne puissions fixer le scrutin de liste au seuil de 500, car je pense que c’est le sens de l’histoire. Il y a encore quelques années, on nous disait que le seuil de 3 500 était absolument indépassable – ce qui n’est plus vrai au regard des positions des uns et des autres.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est vrai !

M. Yves Goasdoué. Des négociations ont été menées avec le Sénat, avec l’Association des maires de France – je salue son président, mon ami Jacques Pélissard, qui, s’il n’a pu être présent aujourd’hui, a beaucoup travaillé sur cette question. J’ai compris qu’il ne fallait pas brusquer les choses, et je me rallie donc au seuil de 1 000, mais je suis certain qu’il ne tiendra pas longtemps, car il éloigne les petites communes de leur intercommunalité en ne fléchant les conseillers communautaires qu’au travers de l’ordre du tableau, ce qui apparaîtra vite insuffisant.

Le seuil fixé à 1 000 permet cependant la mise en œuvre d’un scrutin intelligent, permettant l’émersion de projets et de majorités et dégageant aujourd’hui des conseillers communautaires par la voie du fléchage. C’est un scrutin intelligent, car il lie la commune et l’intercommunalité en protégeant la commune et en reconnaissant enfin à l’intercommunalité toute son importance.

Cette technique protège la commune, car elle porte en elle la nécessité d’être conseiller municipal pour être conseiller communautaire. Elle reconnaît l’importance des EPCI à fiscalité propre en faisant en sorte qu’enfin, le peuple désigne celles et ceux qui décideront de lever l’impôt.

Je vois, dans la loi que nous allons adopter, autre chose qu’une loi électorale. Ce serait une erreur de la réduire à cette dimension. Demain, si nous savons collectivement utiliser les cantons élargis pour fédérer des intercommunalités respectueuses de leurs communes, nous aurons créé les bases d’une organisation féminisée, modernisée et de nature à redonner plus de force et de vigueur en particulier à nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet, tel qu’il résulte du texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, auraient lieu le mercredi 17 avril, après les questions au Gouvernement.

5

Élection des conseillers municipaux,
des conseillers intercommunaux
et des conseillers départementaux

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux (n° 877).

La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref. La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 2 avril dernier au Sénat, s’est accordée sur un texte commun relatif à la loi organique qui découlera de la loi relative aux modes de scrutin locaux.

Trois modifications sont intervenues par rapport au texte adopté par notre assemblée en deuxième lecture le 27 mars dernier. Tout d’abord, pour ce qui est du seuil de population des communes prises en compte dans la législation limitant le cumul des mandats, nous avons souhaité le définir, non pas directement dans la loi organique, mais plutôt par renvoi aux dispositions législatives ordinaires du code électoral, qui détermine les communes dans lesquelles les élections municipales ont lieu à un scrutin de liste. Le Conseil constitutionnel souhaite qu’il y ait un motif légitime pour fixer le seuil. Ce motif était précédemment le mode de scrutin, nous le maintenons et l’inscrivons dans la loi organique.

La commission mixte paritaire a également choisi de retenir l’appellation de conseillers communautaires. En nouvelle lecture, nous avons rétabli les articles de coordination découlant de ce choix. Nous préférions la désignation de conseillers intercommunaux, le Gouvernement ayant, pour sa part, initialement proposé l’appellation de délégués communautaires. Pour finir, nous retenons la version du Sénat, à savoir le titre de conseillers communautaires.

Enfin, la commission mixte paritaire a supprimé les dispositions qui étendaient à la Polynésie française la désignation par fléchage des membres des organes délibérants des EPCI, considérant la faiblesse et le caractère très récent du fait intercommunal en Polynésie.

Tels sont les éléments de cette loi organique modifiés par rapport à notre deuxième lecture. Je vous invite à adopter définitivement ce texte, issu de l’accord intervenu en commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Je serai encore plus bref, monsieur le président, me bornant à inviter cette assemblée à adopter la loi organique.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Je serai moi aussi très bref, monsieur le président.

Ce projet de loi organique est nettement moins clivant que le projet de loi ordinaire. Il prend acte d’un certain nombre de décisions qui ont fait l’objet de discussions, notamment le seuil à 1 000 habitants. Quand le rapporteur nous dit que nous avons beaucoup parlé de ce texte, j’ai envie de lui faire observer qu’il aura fallu attendre le troisième passage de ce texte pour que nous puissions retrouver un point de convergence autour de 1 000. Vous nous dites avoir fait un gros effort, monsieur le rapporteur, mais je ne vois franchement pas où est l’effort à se rapprocher du point de vue partagé par l’essentiel du Sénat et de l’Assemblée : à mon sens, ce n’est pas la marque d’un exceptionnel sens de l’écoute, mais un simple exercice de lucidité !

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire. Merci de ce compliment !

M. François Sauvadet. En fait, monsieur le ministre, sur l’essentiel, vous n’avez bougé en rien, et vous n’avez recherché en rien les convergences que nous étions en droit d’attendre de la part d’un Gouvernement attentif et d’un ministre de l’intérieur qui, selon moi, n’a pas démontré sa volonté de mettre au service de la France les qualités personnelles que chacun lui reconnaît par ailleurs.

M. Manuel Valls, ministre. Vous non plus, vous n’avez pas bougé d’un centimètre !

M. François Sauvadet. J’ai l’impression, monsieur le ministre, que vous vous êtes laissé emporter par un mouvement de rénovation qui va avoir des conséquences extrêmement lourdes.

Je déplore l’ensemble des dispositions de ce projet de loi, même si certaines d’entre elles nous ont permis d’avancer. En tout état de cause, nous serons cohérents et procéderons naturellement au même vote sur les deux textes puisque, comme vous le savez, nous sommes très opposés au binôme et à ses conséquences territoriales.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Le projet de loi organique dont nous sommes saisis n’est que l’appendice technique du projet de loi que nous combattons. Par conséquent, puisque nous sommes tout aussi cohérents, nous voterons, je le dis au nom du groupe UMP, contre ce projet de loi organique. Je pense du reste que ce texte ne mérite pas de débats plus développés : ce n’est, je le répète, qu’un texte de coordination technique qui appelle le rejet.

M. le président. La discussion générale est close.

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi organique, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, auraient lieu mercredi 17 avril, après les questions au Gouvernement.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance demain, 17 avril 2013, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Vote solennel sur le projet de loi et le projet de loi organique relatifs à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et communautaires, et modifiant le calendrier électoral ;

Deuxième lecture du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)