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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 15 septembre 2014

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Lutte contre le terrorisme

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (nos 2110, 2173).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de quatre heures quatre minutes pour le groupe SRC, cinq heures vingt-cinq minutes pour le groupe UMP, une heure trente-sept minutes pour le groupe UDI, cinquante-cinq minutes pour le groupe écologiste, trente-neuf minutes pour le groupe RRDP, trente-six minutes pour le groupe GDR et vingt minutes pour les députés non-inscrits.

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, le réveil est douloureux : le terrorisme est à nos portes. Demain matin peut-être, dans un mois ou dans un an, à Toulouse ou ailleurs, des enfants risquent d’être tués à nouveau. Des militaires risquent d’être assassinés froidement parce qu’ils servent la République. Des femmes, peut-être, parce que non voilées, des hommes, parce qu’aimant la liberté, feront face à des émules de Merah et de Nemmouche.

Ce n’est pas jouer les Cassandre que de prédire cela. Cessons de nous voiler la face. La menace terroriste n’est plus abstraite : nous sommes dans une situation d’urgence, face à une vague de violence aveugle et sans pitié.

Il aura fallu les conquêtes éclairs et les dérives macabres des djihadistes barbares du califat en Irak pour réveiller les consciences sur ces dangers terroristes. De nombreux citoyens français et européens, nous l’avons dit, ont rejoint les rangs de ces barbares. Monsieur le ministre, vos services, cela a été rappelé tout à l’heure, recensent à ce jour 930 Français liés au djihad en Syrie et en Irak. Ce chiffre, hélas, ne cesse de croître.

Que vont faire ces Français à leur retour ? Après que leurs complices ont égorgé, comme des animaux, et devant des caméras, des journalistes comme Foley et Sotloff ou des humanitaires comme ce malheureux David Haines, après avoir massacré des soldats, femmes et enfants irakiens et syriens, après avoir tué et violé des chrétiens, des Yézidis et des Kurdes, ces citoyens français vont-ils reprendre une vie paisible en France à leur retour ? J’en doute fort.

Le constat est dramatique, mais réaliste. Dès lors que faut-il faire lorsqu’ils reviendront en France ? Comment protéger nos populations de ce cancer qui menace le monde ? Ne pourrait-on pas, tout simplement, légiférer pour leur interdire le retour en France, par déchéance de nationalité, pour les binationaux, ou par d’autres moyens ?

Il n’y a pas de solution miracle, monsieur le ministre, mais il faut améliorer notre arsenal législatif, et ce projet de loi, votre projet de loi, est un bon projet. Il est certainement perfectible, mais il va dans la bonne direction.

Il faut d’abord mener une action préventive forte. Il est nécessaire d’empêcher les prédicateurs et les recruteurs de contaminer les cerveaux de nos concitoyens. Il faut les contrôler, il faut bloquer leur financement. Il faut aussi tirer les leçons de nos défaillances passées pour stopper les 1 000 Merah potentiels s’ils reviennent en France. Ni les loups solitaires ni les groupes organisés ne doivent pouvoir nous menacer. Il faut donc, pour tous ceux qui sont impliqués directement dans le terrorisme, envisager une déchéance de la nationalité et l’interdiction du retour, et une interpellation immédiate dès le premier pas sur le territoire français.

L’exercice est difficile car, contrairement aux terroristes, nous avons, nous, des considérations liées au respect de l’autre, de la vie, qui limitent notre capacité d’action, et c’est bien normal. La morale est absente de l’idéologie terroriste, et cet ennemi profite du fait que nous en ayons une. Nos démocraties – la France – ont un respect juridique et moral sans égal pour la vie privée. Elles hésitent de ce fait souvent à prendre des mesures radicales, qui rappelleraient ces régimes totalitaires qu’elles réprouvent.

En cela, la loi que nous examinons aujourd’hui est fondamentale. C’est peut-être notre dernière chance. Elle s’attaque aux sources de la radicalisation, en conciliant les principes fondamentaux du respect des droits de l’homme et la lutte contre ceux qui les bafouent. Au-delà de nos divergences politiques, je tiens donc à vous le dire, monsieur le ministre : vous proposez un texte globalement bien équilibré.

Mais la lutte contre le terrorisme comporte une autre dimension, essentielle, que n’aborde pas ce texte: c’est la dimension géopolitique. Il est nécessaire de lutter de façon plus systématique contre ces États qui soutiennent et abritent les organisations terroristes. Avec cette loi, nous disposerons, c’est vrai, d’une arme législative. Mais nous disposons aussi d’armes politiques et diplomatiques pour agir plus en amont. Or, jusqu’à présent, celles-ci n’ont pas été employées, ou très peu, au gré des revirements d’opinion et du politiquement correct. Mais on ne peut avoir de politique à géométrie variable lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme, comme je vous le rappelais en séance le 13 mai dernier, monsieur le ministre, lors des questions au Gouvernement. On ne peut voter une loi comportant des dispositions pour lutter activement contre le terrorisme et entretenir, au même moment, des relations, quelles qu’elles soient, avec des États qui soutiennent le terrorisme, voire qui l’abritent.

Le terrorisme ne peut se développer, monsieur le ministre, que lorsque des États lui apportent leur concours logistique, financier, idéologique et militaire. Or ces États, nous les connaissons et, hélas, nous les fréquentons. Nous avons pendant de longues années fermé les yeux. Nous avons fermé les yeux sur l’Iran des mollahs, qui appuie et finance des organisations terroristes, l’Iran dont les dirigeants actuels ont été impliqués directement dans des actions terroristes comme les attentats de Buenos Aires qui ont coûté la vie à une centaine de personnes en 1994, ce même Iran qui trompe l’ONU depuis une décennie et cherche à obtenir la bombe nucléaire à tout prix. Nous avons fermé les yeux sur la Syrie, ensuite, qui a abrité pendant des années les antennes terroristes les plus variées et est le théâtre de massacres et de gazages – de part et d’autre d’ailleurs : 200 000 morts dans un silence assourdissant ! Quant au Liban, le Hezbollah, mouvement terroriste responsable entre autres de la mort de 58 Français lors de l’attentat du Drakkar, ainsi que de notre ambassadeur Louis Delamare, y détient huit portefeuilles gouvernementaux. Et le Qatar, avec qui nous flirtons, finance de nombreux mouvements djihadistes. Enfin, en Libye, les milices islamistes remplacent un dictateur sanguinaire que nous avons reçu en son temps à Paris. Et l’on pourrait citer bien d’autres États encore…

Oui, nous avons fait des erreurs graves, et nous continuons d’en faire. Nous n’avons pas été suffisamment constants dans notre approche, à droite comme à gauche. Cet été encore, monsieur le ministre, la diplomatie française, par la voix de Laurent Fabius, a condamné Israël, seul État démocratique du Moyen-Orient, en première ligne contre le djihadisme, qui défendait ses civils contre la menace terroriste et djihadiste du Hamas. Il n’y a pas de bons et de mauvais terroristes ! Daech, Al-Qaïda, le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram sont autant de branches d’un même arbre, celui du terrorisme de la haine, cette haine qui sanctifie la mort.

Ces dernières années, certains ont cherché à leur trouver une légitimité intellectuelle ou philosophique là où il aurait fallu leur couper la tête, pour utiliser un langage qu’ils aiment tant, mais le terrorisme, monsieur le ministre, ne peut ni ne doit être légitimé. Jean-Paul II disait que le terrorisme est fondé sur le mépris de la vie humaine et qu’il constitue en lui-même un véritable crime contre l’humanité. C’est donc la condamnation morale implacable du terrorisme qui doit constituer notre première ligne de défense. Si ce n’est pas le cas, nous porterons la responsabilité d’un second Toulouse. Nous porterons aussi celle de désastres terroristes moins conventionnels, si vous me permettez l’expression, car la menace chimique et biologique et le spectre nucléaire planent aussi sur nos démocraties. Qu’arriverait-il aujourd’hui si des groupes ou un État terroristes avaient entre leurs mains des armes de destruction massive ? Ils s’en serviraient immédiatement, comme en Syrie, sans la moindre hésitation. Ils feraient preuve, au moyen de ces armes, d’un zèle idéologique sans égal !

Ne faisons aucune concession. Face à cette menace, nous devons présenter un front uni, et c’est ce que nous essayons de faire aujourd’hui. Ces ennemis sont des prédateurs qui préparent des massacres à la sortie de nos écoles ou des explosions dans nos transports. Je le répète donc : une loi seule ne suffira pas, nous devons aller plus loin. La loi doit s’accompagner, sans relâche, d’une politique étrangère ferme, courageuse et sans compromis à l’égard de nos ennemis.

Enfin, beaucoup reste également à faire dans le domaine de l’éducation et je conclurai ainsi mon propos. Un enfant, quel qu’il soit, ne naît pas terroriste. Il ne naît pas raciste ou antisémite. C’est un point dont nous parlons peu mais qu’il nous faudra traiter ensemble et très rapidement : la prévention, l’éducation et la tolérance dans nos écoles, pour nos écoles. La République ne peut être divisée, la République ne peut tergiverser, la France ne peut attendre !

Mes chers collègues, un des moments les plus douloureux de ma vie a été ce vol de nuit transportant à leur dernière demeure Gavriel, quatre ans, Aryeh, cinq ans et leur papa, et Myriam, sept ans, assassinés à bout portant, le summum de la barbarie. J’étais assis aux côtés du père de Myriam et d’Éva Sandler, qui sanglotait pudiquement en serrant sa petite Liora, âgée de dix mois, seul petit bout de bonheur d’une vie décimée. Elle n’avait pas de haine, que de la dignité. Alain Juppé était là, très ému lui aussi. Je n’oublierai jamais, et je voulais avoir aussi ce soir un mot pour eux. Plus jamais ça ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le terrorisme menace tous les États de droit. Il utilise nos libertés fondamentales, il utilise nos libertés individuelles, en les pervertissant, pour masquer et favoriser les plus sombres et les plus horribles desseins. Ce mal se propage à une vitesse exponentielle et, grâce au développement des techniques de communication, s’immisce en réalité très profondément dans la société.

La nécessité d’agir fait consensus, sur tous les bancs. L’action se décline évidemment au plan diplomatique, au plan militaire et au plan international. Tous les États sont concernés, aucune neutralité n’est possible.

Notre travail ici, au Parlement, est de modifier notre législation afin de nous adapter aux nouvelles formes de terrorisme, de les prévenir et de les réprimer. Pour ce faire, nous devons éviter plusieurs écueils.

Il y a bien entendu l’écueil du simplisme et des amalgames destructeurs. Ces raccourcis n’ont pas cours dans notre hémicycle mais peuvent empoisonner le débat public. Il faut sans cesse rappeler que l’amalgame entre une religion, en l’espèce l’islam, et le terrorisme organisé par des tueurs assoiffés de sang doit être dénoncé de la manière la plus ferme et la plus définitive qui soit.

Il y a ensuite l’écueil des mesures liberticides. Renoncer, même provisoirement, à ce qui fonde la République – à nos libertés fondamentales, individuelles, aux principes généraux de notre droit – serait une faute impardonnable. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a veillé scrupuleusement à l’équilibre de ce projet de loi.

Pour autant, il est nécessaire tout d’abord d’avoir la main sur des sites internet dont le contenu est insoutenable – vous le savez, monsieur le ministre. Une très grande partie des endoctrinements sont liés à internet, de même que les modes opératoires des filières. Visionner ces horreurs, mes chers collègues, dissipe immédiatement tout doute quant à la justesse des mesures proposées.

Le projet de loi prévoit simplement d’étendre les obligations qui pèsent sur les fournisseurs d’accès à internet dans certaines matières, comme la pédopornographie, aux contenus faisant l’apologie du terrorisme. Cela s’exercera sous le contrôle de la CNIL. Les autorités publiques pourront demander le retrait de contenus spécifiques, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, et le cas échéant procéder au blocage administratif des sites, lorsque le retrait n’est pas possible. Je ne vois là, je le dis très tranquillement, aucune atteinte à la liberté d’expression, mais la simple protection de nos concitoyens.

Il s’agit ensuite de limiter les départs pour les camps d’entraînement djihadistes – mais demain, ce pourrait être pour une autre cause, car il ne s’agit ni d’une loi de circonstance, ni d’une loi d’exception. Dès lors qu’il existe des raisons sérieuses et caractérisées de penser qu’une personne projette un déplacement à l’étranger pour commettre des horreurs, alors sa carte d’identité et son passeport pourront lui être retirés. La personne concernée pourra agir en justice immédiatement : elle sera pour cela assistée d’un avocat. De ce point de vue, l’éditorial du journal Le Monde est erroné.

M. Claude Goasguen. C’est un scandale !

M. Yves Goasdoué. Là encore, je ne vois pas que la liberté d’aller et venir soit remise en cause d’une quelconque manière. Les libertés publiques, mes chers collègues, doivent être défendues et non mollement abandonnées à ceux qui voudraient nous en priver.

Enfin, le projet de loi crée un délit d’entreprise terroriste individuelle. L’histoire toute récente a malheureusement montré, cela a été dit plusieurs fois, qu’une personne isolée peut commettre des actes de terreur. Instruite par la décision du Conseil constitutionnel en matière de harcèlement sexuel, la commission des lois a renforcé la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction. Permettez-moi de le dire de manière peu juridique : vraiment, celui qui sera visé par ce nouveau délit aura bien du mal à démontrer qu’il n’était pas en train de préparer un très mauvais coup. De toute manière, le juge judiciaire appréciera.

Mes chers collègues, nous sommes en présence d’un texte équilibré, pensé, réfléchi et, je l’espère, consensuel. Il ne brade aucune des valeurs de liberté auxquelles nous sommes tant attachés. Mais il faut organiser la lutte, et comme le dit le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, on ne lutte pas contre le terrorisme avec une main attachée dans le dos.

M. Pascal Popelin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers – rares – collègues…

Plusieurs députés du groupe UMP. On est nombreux !

M. Meyer Habib. On a vu pire !

M. Pascal Popelin. Les meilleurs sont là !

M. Gilbert Collard. Mes chers collègues, laissez-moi m’exprimer : j’ai très peu de temps, ne me le prenez pas !

Je ne veux pas, comme notre collègue Mazeaud, pour lequel j’ai infiniment de sympathie, m’asseoir sur les libertés. Mais je ne veux pas non plus, monsieur le ministre, m’asseoir sur une bombe !

M. Pascal Popelin et M. Claude Goasguen. Pas Mazeaud, Marsaud !

M. Gilbert Collard. Bien sûr, pardonnez-moi. J’ai confondu avec M. Mazeaud, le professeur de droit. Je lui ai donné du coup une espèce de grandeur – qu’il doit avoir au fond de lui, au demeurant.

Je ne veux donc m’asseoir ni sur les libertés, ni sur une bombe. Votre projet de loi, monsieur le ministre, n’est pas à la hauteur de vos peurs, il n’est pas à la hauteur de vos inquiétudes, car il est armé avec de la poudre à blanc alors que nous traversons une période extrêmement dangereuse.

J’ai entendu plusieurs députés parler de stigmatisation. Mais c’est l’État islamique qui est le premier à stigmatiser ! Il est souhaitable que tous les musulmans de France condamnent l’appellation même d’État islamique. Je hais la stigmatisation, mais je hais aussi les bombes qui tuent. Tout à l’heure, cher collègue Habib, quand vous évoquiez ces morts que vous accompagniez dans l’avion, j’ai pensé au militaire que j’ai eu l’honneur d’accompagner dans la tombe. Sur ce point, nous pouvons nous rejoindre. J’ai vu le sang, les larmes que dans la réalité le terrorisme peut causer.

Je crois que, si l’on a le courage de dire les choses – au risque d’être malmené, mais qu’importe – la première chose à faire est de criminaliser le fait de porter les armes dans un pays étranger dans le cadre d’une organisation terroriste authentifiée, reconnue comme telle. Et l’on n’aura pas l’indécence de m’opposer Malraux, Geneviève de Gaulle ou je ne sais quel résistant – ces comparaisons, croyez-moi, ont choqué beaucoup de monde.

M. Jacques Myard. Nous sommes bien d’accord !

M. Claude Goasguen. Elles sont scandaleuses !

M. Gilbert Collard. Quelques observations sur le plan juridique. Ce projet de loi expose clairement ce qu’est un acte préparatoire terroriste. C’est très intéressant sur le plan sociologique et criminologique. Là, vous nous donnez la photographie de ce qui nous attend ! Cela n’a rien de liberticide : les actes préparatoires existent dans notre droit depuis le XIXsiècle. Ce n’est pas nouveau, n’ayez pas peur ! Vous n’enfreignez rien ! Mais en même temps, vous nous offrez l’idée de l’apocalypse qui nous attend. Il suffit de lire cet article pour comprendre qu’il dessine, de manière sous-jacente, tout ce qui se prépare aujourd’hui.

Le temps où Serge Reggiani chantait de sa voix mélancolique et cassée par le tabac Les loups sont entrés dans Paris est dépassé : les loups entrent et sortent, et quand ils reviennent, ils mordent encore plus ! Ils ont mordu au point de les tuer les enfants qu’a accompagnés Meyer Habib ; ils ont mordu le parachutiste que j’ai accompagné ; ils mordront à nouveau, et ce sera, monsieur le ministre, avec tout le respect que j’ai pour votre fonction – car elle ne doit pas être facile à porter – votre responsabilité.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Pfff…

M. Gilbert Collard. Voilà bien l’arme dont vous vous servez souvent : souffler du vent ! Votre texte incrimine le fait de provoquer à des actes terroristes, soit, mais ceux qui tomberont sous le coup de cette incrimination risqueront simplement trois ans de prison, et tomberont dans les bras dorlotants de la contrainte pénale ! Ils risqueront cinq ans de prison si les faits sont commis de façon publique, et à nouveau ils tomberont dans les bras dorlotants de la contrainte pénale ! Et ainsi de suite : pour l’infraction d’apologie du terrorisme, cinq ans de bras dorlotants ! Et quand on en arrive à l’interdiction de sortie du territoire, au retrait du passeport et de la carte d’identité, à l’assignation à résidence et qu’une de ces dispositions est violée, quelle est la peine encourue ? Les bras dorlotants de la contrainte pénale !

Je ne vous donne pas tort, mais réagissez ! L’enjeu est trop grave, et les conséquences trop terribles. Il est vrai que les démocraties peuvent mourir. Mais elles meurent à coup sûr quand les démocrates meurent ! Il faut un contrôle de l’immigration, et mettre un terme à la double nationalité quand on a affaire à des criminels terroristes. Il faut la déchéance de nationalité. Il faut créer le crime d’action extérieure dans le cadre d’une action terroriste reconnue par les États démocratiques.

M. Pascal Popelin. Quelle emphase !

M. Gilbert Collard. Il faut réagir ! Et tout cela, je vous le dis franchement, doit être soumis au contrôle du juge : toujours le juge, rien que le juge. Pas le policier, le juge !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, un ennemi nous a déclaré la guerre. Cet ennemi, il faut le nommer, il faut le regarder pour ce qu’il est, il faut le combattre : c’est l’islamisme radical armé, le djihadisme, qui veut détruire, par la terreur la plus barbare, nos sociétés démocratiques.

L’Europe est une cible, et la France plus encore, parce que nous incarnons tout ce que l’ennemi veut abattre : les droits de l’homme et du citoyen, la liberté de pensée et d’expression des personnes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité et, au fond, un art de vivre, une certaine idée de la civilisation. La République française est une cible, parce qu’elle est totalement et définitivement incompatible avec le projet pan-islamiste qui prétend édifier un califat mondial. Tout ce qui a été construit ici même au fil du temps, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, est aujourd’hui menacé par les islamistes radicaux armés. Ils refusent nos lois, ils méprisent nos lois, car ils veulent imposer à tous, par la violence terroriste, une application obscurantiste de la charia.

Ouvrons les yeux ! Regardons notre ennemi en face, combattons-le pour ce qu’il est et ce qu’il fait. Mais ne nous y trompons pas : l’ennemi, c’est l’islamisme radical, ce ne sont pas la plupart des musulmans de France, qui vivent paisiblement et sont soucieux de respecter les lois de notre République. Plus l’islamisme radical nous menace, plus nous devons renforcer, consolider, protéger la communauté nationale, en la préservant de tout fractionnement communautariste. N’opposons pas les Français les uns aux autres, mais assumons une politique de lutte ardente contre tous les individus, quelle que soit leur nationalité, Français, étrangers ou binationaux, qui sont les agents de l’islamisme radical et qui menacent directement nos intérêts vitaux.

Je garde en mémoire et je veux rappeler ici cette phrase de Georges Clemenceau, que vous aussi avez cité monsieur le ministre, mais à un autre sujet : « le Gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles et que les mauvais ne le soient pas. »

M. Jacques Myard. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté !

M. Guillaume Larrivé. Cette mission, c’est la vôtre, monsieur le ministre de l’intérieur ; c’est aussi la nôtre, mes chers collègues, sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. Notre devoir, c’est d’apporter une réponse globale, la plus opérationnelle possible, à la menace terroriste islamiste. Il faut, pour cela, agir sur plusieurs leviers, extérieurs et intérieurs.

Sur le plan diplomatique et militaire, nous sommes nombreux ici à penser que la France doit être au premier rang d’une très large coalition des Nations unies permettant de frapper et de neutraliser les djihadistes sur le théâtre d’opérations du pseudo-État islamique.

Mais cet engagement opérationnel ne doit pas être sans conditions. Il est vital, d’abord, que les États du monde arabo-musulman en soient des acteurs majeurs, au cœur de la coalition anti-djihadiste. Il me semble, ensuite, que nous ne réussirons pas si cette coalition diplomatique et militaire n’inclut pas la Russie, qui est une grande puissance et qui doit être respectée comme telle…

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. …ce qui nécessite sans doute d’infléchir la politique jusqu’alors conduite à l’est de l’Europe compte tenu de la crise ukrainienne. Ma conviction est que nous devons concentrer nos efforts au sud, sur ce qui doit être notre priorité absolue : la neutralisation, y compris physique, des djihadistes.

Le combat contre les djihadistes passe tout autant par une application résolue, sur le plan intérieur, des instruments de l’État de droit. Si l’État de droit est faible, il n’est plus l’État, et il n’y a plus de droit.

Si l’État de droit démissionne, c’est la jungle djihadiste qui l’emportera, car les ennemis de la liberté utilisent la liberté contre elle-même : la liberté d’aller et de venir et la liberté d’expression sont menacées par ceux-là même qui en abusent, ceux qui ont rejoint ou cherchent à gagner les théâtres d’opérations djihadistes, ceux qui veulent commettre des attentats sur notre sol national, ceux qui recrutent, endoctrinent, manipulent des esprits faibles en diffusant leur poison sur les réseaux d’internet.

Loin de réduire nos libertés, nous devons les sauvegarder contre ceux qui, précisément, veulent les détruire. Il faut pour cela appliquer avec la plus grande rigueur le droit positif. Nous ne partons pas de rien : les services du ministère de l’intérieur et l’autorité judiciaire disposent d’ores et déjà d’un arsenal préventif mais aussi répressif très solide, qui a été voté malgré l’opposition ou l’abstention des députés socialistes de l’époque – la loi Pasqua de 1986, la loi Debré de 1996, la loi Sarkozy de 2006.

Pour utiliser au mieux cet arsenal juridique, il est nécessaire de disposer de moyens humains et techniques renforcés. Nous devrons, dans la loi de finances pour 2015, voter les crédits nécessaires pour renforcer la mobilisation des forces de sécurité, notamment des services de renseignement extérieurs et intérieurs. Il sera impératif de procéder à des arbitrages budgétaires clairs pour conforter le cœur des missions régaliennes de l’État en assumant la diminution d’autres budgets.

Pardon de le dire de manière aussi directe, mais je suis révolté par la paupérisation de certaines unités de la police nationale et de la gendarmerie nationale…

M. Pierre Lellouche. Sans parler de l’armée !

M. Guillaume Larrivé. …au moment même où la nation consacre 800 millions d’euros chaque année à l’aide médicale gratuite pour les immigrés clandestins.

M. Jacques Myard. 1 milliard !

M. Guillaume Larrivé. Il faut remettre de l’ordre dans ces dépenses.

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas ce que vous avez fait !

M. Guillaume Larrivé. Au plan juridique, le projet de loi que vous présentez, monsieur le ministre de l’intérieur, comporte un certain nombre de dispositions qui vont dans le bon sens. Je ne reviendrai pas sur les échanges techniques que nous avons eus cet été en commission, où vous avez d’ores et déjà accepté un certain nombre de nos amendements. Je me bornerai à trois remarques.

En premier lieu, j’ai la conviction, comme vous, qu’il est nécessaire de mieux appréhender, en les qualifiant d’actes de terrorisme, les actes préparatoires isolés relevant d’une entreprise terroriste individuelle. Vous vous inscrivez à cet égard dans la continuité de la démarche engagée par la loi de 1996, qui avait défini l’association de malfaiteurs en vue de la commission d’actes terroristes.

Je pense, en deuxième lieu, qu’il est impératif de tenter de limiter les sorties hors du territoire d’individus cherchant à rejoindre un théâtre d’événements extérieur, ce qui est de nature, par définition, à garantir l’absence de retour de ces individus en France. C’est le minimum minimorum. Cette interdiction de sortie du territoire doit être une mesure de police administrative permettant toute la diligence nécessaire, sous le contrôle, le cas échéant, du juge administratif.

Soyons lucides toutefois : le dispositif restera imparfait car il ne règle pas la question des binationaux, qui, alors même qu’ils seraient privés de leur passeport ou de leur carte d’identité français, auraient toujours la faculté de voyager grâce à un titre étranger.

M. Éric Ciotti. Très juste !

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, une coopération vigoureuse avec les États intéressés, notamment ceux du Maghreb, doit être menée ou poursuivie à ce sujet.

Par ailleurs, la définition juridique d’une interdiction administrative de sortie, de nature préventive, ne doit pas masquer l’impérieuse nécessité d’amplifier l’identification et donc la répression des individus de retour en France après avoir participé à des actions sur les théâtres extérieurs. Il faut les livrer à l’autorité judiciaire pour les condamner à des peines effectives d’une très grande fermeté.

J’ajoute que, quand ces individus ont la nationalité française, leur comportement criminel démontre qu’ils n’en sont pas dignes.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. Ils ont fait eux-mêmes le choix de rompre avec la communauté des citoyens. C’est pourquoi nous n’avons pas à nous excuser de demander non pas la modification mais l’application ferme de la loi, qui prévoit déjà la déchéance de la nationalité française pour les individus condamnés pour des faits de terrorisme.

Vous avez il y a quelque temps, monsieur le ministre, donné des chiffres très précis : plusieurs centaines de Français se sont engagés sur le théâtre d’opération djihadiste. Il est nécessaire que ces Français fassent l’objet, s’ils ont une double nationalité, d’une mesure de déchéance de la nationalité. À l’occasion de cette discussion générale, nous vous demandons de bien vouloir nous préciser combien de procédures de déchéance ont été engagées, car c’est notre devoir de républicain que d’appliquer très fermement la loi.

M. Meyer Habib. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. En troisième lieu, il me paraît absolument indispensable de renforcer la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou à l’apologie de ceux-ci sur internet, comme nous l’avions demandé il y a quelques mois, avec notamment M. Ciotti, M. Goasguen et Mme Fort, en présentant une proposition de loi pour mieux combattre le cyber-djihadisme.

Le cyber-djihadisme, c’est la mondialisation, sur internet et notamment sur les réseaux sociaux, de la propagande islamiste radicale, du recrutement à distance et de l’embrigadement. L’espace virtuel qu’est internet est ainsi détourné pour préparer, organiser et réaliser des crimes terroristes qui, eux, sont hélas bien réels.

Face à cette menace mouvante, nous ne pouvons pas rester les bras ballants, en nous reposant sur une supposée autorégulation vertueuse des acteurs de l’internet, qui n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu. C’est pourquoi l’article 9 du projet de loi est particulièrement bienvenu : il permet au ministère de l’intérieur d’obtenir des fournisseurs d’accès à internet le blocage de l’accès à des contenus dont la consultation est en elle-même une grave menace pour la sécurité nationale.

Cette mesure de police administrative, pleinement justifiée par l’objectif, de valeur constitutionnelle, de sauvegarde de l’ordre public, permettra de diminuer la visibilité de ces sites. Ce sera un outil supplémentaire, souple et réactif, à la disposition des autorités chargées de lutter contre le terrorisme : c’est à elles qu’il reviendra, avec discernement, lorsqu’elles le jugeront pertinent, de demander le blocage de l’accès à des sites spécialement dangereux.

Je pense en outre qu’une mesure complémentaire doit être envisagée. Je propose, avec une vingtaine de collègues qui ont bien voulu cosigner un amendement en ce sens, que des policiers spécialement habilités, dans un cadre procédural défini par le Gouvernement, puissent agir comme des « corsaires » habilités à neutraliser, par des opérations techniques de piratage légal, des contenus informatiques provoquant à la commission d’actes terroristes.

Il y a dans notre droit, notamment depuis l’adoption de la loi de programmation militaire, un dispositif analogue permettant de répondre à une cyber-attaque. Dans une logique antiterroriste, je propose que nous dotions les services spécialisés de la police nationale d’une immunité pénale leur permettant de s’introduire dans certains systèmes informatiques et de les détruire.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. Ma conviction, vous l’aurez compris, est que la puissance régalienne ne peut rester absente de cette partie de l’espace public, ou semi-public, qu’est internet. Personne ici, même sur les bancs du groupe écologiste, bien dégarnis ce soir, n’admettrait que, dans la rue, un individu prenne un porte-voix pour appeler au meurtre de masse. De la même manière, personne ne doit accepter que, sur internet, les groupes djihadistes diffusent en toute impunité le poison de la haine.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les groupes terroristes de 2014 sont aujourd’hui beaucoup plus professionnels, beaucoup plus puissants, beaucoup plus mobiles que ne l’était Ben Laden le 11 septembre 2001.

M. Jacques Myard. Un amateur !

M. Guillaume Larrivé. La mouvance djihadiste dispose aujourd’hui de moyens financiers et technologiques qui n’ont pas de précédent. Le territoire national peut être frappé à tout moment. Notre devoir de républicain est de nous défendre et de riposter, sans faiblesse. Soyons à la hauteur des attentes des Français. Soyons au rendez-vous de l’Histoire, en mettant hors d’état de nuire les ennemis qui veulent nous détruire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, l’heure est venue de regarder la réalité en face. Rien ne sert d’accuser un gouvernement ou l’autre, ni de se cacher derrière son petit doigt : la situation que nous devons affronter aujourd’hui et que les mesures de votre projet de loi ont pour finalité de combattre est l’illustration directe de notre échec collectif, même si elle est liée à la situation internationale que nous connaissons tous.

Je parle bien d’échec collectif, même si, pour ma part, j’en ai depuis longtemps dénoncé les causes, parfois en vain et au risque de me voir accusé d’extrémisme. La vérité oblige à dire que nous nous sommes bercés d’illusion sur la capacité de la société française à intégrer et assimiler de nouveaux venus dont la culture est, pour certains, aux antipodes d’une société laïque qui prône et fait appliquer l’égalité des sexes et estime que la religion appartient à la sphère privée de chaque individu, dans le respect de la conscience de l’autre.

Mme Marie-Louise Fort. Très bien !

M. Jacques Myard. Nous avons tout d’abord péché par utopie en sous-estimant gravement le prosélytisme des intégristes, qui utilisent tous les moyens, y compris la violence morale et parfois même physique, pour imposer leur diktat religieux. Nombre de nos quartiers sont désormais devenus hermétiques, je pèse mes mots, aux principes et valeurs de la République. Ils vivent en ghetto.

Nous avons péché par naïveté coupable en laissant importer en France le conflit du Proche-Orient. Nous avons péché par faiblesse en laissant les dérives communautaristes prendre pied sur le sol français, parfois même avec le soutien de quelques idiots utiles, qui défendent par exemple le voile intégral pour les femmes au nom de la liberté individuelle. J’ai même entendu, à cette tribune, monsieur le ministre, une collègue de votre majorité dénoncer la loi sur l’interdiction du voile intégral au motif qu’elle porterait atteinte à la « dignité de la femme musulmane » ! Pour ma part, je ne connais pas, dans l’ordre législatif de la République, de femme musulmane, catholique, juive, bouddhiste ou protestante : je ne connais que des citoyennes, et des citoyens !

Les choses sont simples : toute faiblesse, toute naïveté, toute utopie, toute crainte de faire appliquer les lois de la République au motif que cela pourrait entraîner des incidents et que l’on préfère souvent faire le gros dos est un recul de la République et du vouloir vivre ensemble. Céder sur le voile, intégral ou à l’école, ou sur les questions de nourriture, c’est céder sur le désir du vivre ensemble et faire le lit de la montée des communautaristes et des intégristes.

Je n’exagère pas en disant cela. Je vous rappelle les propos, publiés dans un grand quotidien du soir, de Khaled Kelkal, tué le 29 septembre 1995 à Vaugneray, membre du Groupe islamique armé, responsable des attentats commis en France en 1995 : quelques semaines auparavant donc, il déclarait à un sociologue allemand : « je ne peux pas vivre dans un pays qui mange du cochon » !

C’est là une exception, me direz-vous. Mais malheureusement, elles se multiplient : Mohamed Merah, Zacarias Moussaoui, Mehdi Nemmouche, sans oublier quelques convertis comme Richard Robert ou Hervé-Djamel Loiseau. Aujourd’hui, vous nous dites vous-même qu’un millier de nos compatriotes sont entrés dans la secte des djihadistes, rejettent la France, ses valeurs, notre désir de vivre ensemble et sont devenus en Syrie des assassins.

La réalité est simple et tragique, comme l’Histoire : nous sommes en guerre, M. Larrivé l’a dit, une guerre transnationale qui se joue de nos frontières – qui, avouez-le, sont devenues de véritables passoires grâce à Schengen. Oui, l’Histoire est tragique et les Français et les Européens vont l’apprendre à nouveau. Elle est d’autant plus tragique que certains aveugles refusent de regarder en face la gravité de la situation.

Monsieur le ministre, vous nous proposez à juste titre des mesures qui vont dans le bon sens et que j’approuverai, parmi lesquelles celle de l’entreprise terroriste individuelle. Mais n’ayons guère d’illusion sur l’efficacité de l’interdiction de sortie du territoire : il est si facile de faire de faux papiers, sans même parler des binationaux, qui peuvent utiliser d’autres passeports que le passeport français…

Il en va de même de l’interdiction d’accès aux sites de la Toile qui font l’apologie du terrorisme, dont les serveurs sont soit au Canada, soit aux États-Unis – cela n’a pas été suffisamment souligné.

Mme Laure de La Raudière. Bien sûr !

M. Jacques Myard. Merci à nos chers amis américains, qui tiennent parfois, au nom de la liberté d’expression, un double langage !

En un mot, votre projet de loi va dans le bon sens et je le voterai. Mais il n’est à mes yeux qu’un premier pas. Nous serons malheureusement obligés d’aller plus loin, et plus fermement. La question de la déchéance de la nationalité, même si elle présente aujourd’hui de nombreuses difficultés d’ordre constitutionnel, se posera pour ceux qui veulent détruire le vouloir vivre ensemble. Il faudra y répondre, car c’est une attente de l’opinion publique. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Si une loi répressive est utile, et même nécessaire, nous devons nous interroger sur deux aspects de ces dérives communautaristes qui vont jusqu’au djihadisme criminel.

En premier lieu, nous devons, partout sur le territoire, faire appliquer fermement, très fermement, les lois de la République, comme les lois sur le voile et sur l’école. Mais il y a plus grave : je veux parler, monsieur le ministre, des écoles confessionnelles. Il m’est revenu, et malheureusement j’ai plusieurs exemples, que l’éducation nationale a laissé ouvrir des établissements dont les dirigeants n’ont pas toutes les qualifications requises, et qu’elle ne contrôle pas, tant s’en faut, le contenu de l’enseignement dispensé.

Mieux encore : l’une de nos collègues socialistes m’a rapporté qu’une école maternelle sous contrat avait interdit l’accès à ses locaux à un homme, maire d’arrondissement, alors qu’il voulait entrer.

M. Claude Goasguen. Ce n’était pas moi…

M. Jacques Myard. Est-ce cela la République, monsieur le ministre ? Ces dérives sont non seulement inadmissibles, mais nourrissent le processus du communautarisme dévastateur et de la ghettoïsation qui ruinent le vouloir vivre ensemble auxquels nous sommes tous attachés. Il faut agir et réagir, vite, sinon la guerre civile nous attend.

Mon deuxième point concerne la communauté internationale qui, à juste titre, s’est retrouvée ce matin à Paris, à l’appel du président de la République, et je pense qu’il s’agit d’une bonne initiative diplomatique, et qui prend conscience de la gravité de la situation. Il est clair que nous ne pouvons pas nous placer sous la bannière des croisés, fussent-ils américains. Je le dis sans aucun antiaméricanisme : il est clair qu’aujourd’hui, les Américains n’ont pas tout à fait la cote, au Proche comme au Moyen-Orient, et qu’il ne sert à rien de nous aligner sur eux ! Nous risquerions de passer, aux yeux de l’opinion publique arabe, qui souhaite se débarrasser de ces criminels et de ces assassins, pour des croisés contre des infidèles.

L’islam est divers, et il existe sans doute autant d’interprétations du Coran que de musulmans. Notre action doit viser à aider les pays musulmans à se débarrasser de cette secte : c’est d’abord à eux de faire le travail. À défaut, nous perdrions la bataille de la communication. C’est d’ailleurs ce que souhaitent ces assassins, dont vous savez combien ils utilisent, et à quelles fins odieuses, les sites d’hébergement de vidéos et autres moyens de communication modernes. Il est donc clair, vous en êtes d’accord, que nous ne pouvons pas nous « caler » sur une guerre contre l’islam.

Monsieur le ministre, la France et les Français vont connaître des jours difficiles, c’est indubitable. En ce moment du centenaire de la guerre de 1914-1918, il y aura des vies sacrifiées, malheureusement, mais notre détermination reste entière. Et nous soutiendrons toutes les mesures que vous serez amené à prendre au-delà du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. N’oublions pas qu’à la guerre, et il s’agit d’une guerre, les forces morales l’emportent toujours, à trois contre un, sur les forces matérielles. Eh bien, dites-leur que nous sommes prêts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi visant à renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Depuis de nombreuses années, la France et ses intérêts sont la cible d’un terrorisme international. Comme cela a été dit plusieurs fois, la France peut considérer qu’elle est en guerre contre le terrorisme.

Celui-ci provient principalement du Proche et du Moyen-Orient. Il a pris la forme, dans les années 1977-1980, du Groupe islamique armé, le GIA, né en Algérie. Puis, dans les années 1990, et surtout depuis les attentats de 2001 aux États-Unis et la lutte antiterroriste que ces derniers ont engagée, des réseaux djihadistes internationalistes, proches de la mouvance al-Qaïda ou s’en inspirant, ont fait leur apparition.

À chaque vague d’attentats, la France a amélioré son dispositif de prévention et de répression du terrorisme. Elle a donc régulièrement adapté son arsenal juridique. Cependant, ce dernier semble peu adapté aux nouvelles menaces auxquelles notre pays est et sera un jour ou l’autre confronté. En effet, au regard de la situation actuelle, il est légitime de penser que le pire est peut-être à venir.

À l’évidence, la situation est inquiétante. Les sources de tension sont nombreuses, qu’il s’agisse de l’embrasement du Moyen-Orient, de la guerre civile en Syrie, du conflit en Irak ou du conflit israélo-palestinien. En résultent de nouveaux enjeux auxquels la France doit faire face, liés notamment au départ de jeunes candidats au djihad et au danger que représente leur retour en France. Leur nombre est en hausse constante. Ce phénomène concerne des individus aux profils très différents et par conséquent difficiles à identifier. Il atteint actuellement une ampleur jamais égalée ; en Syrie, les Français constitueraient le premier contingent parmi les combattant européens.

Malgré l’efficacité incontestable de nos services de renseignement, le nombre de personnes qu’ils ont à surveiller augmente de telle façon qu’ils ne pourront bientôt plus tout contrôler. Formés et encore plus radicalisés, ces individus sont très dangereux pour la sécurité nationale et la sécurité des Français.

Pour faire face à ces nouvelles menaces inédites et difficilement contrôlables, il est effectivement impératif de réactiver nos dispositifs législatifs de lutte antiterroriste, et de ne pas sous-estimer la gravité de la situation. Aujourd’hui, le fait que la France puisse être frappée de nouveau sur son sol par des actes terroristes ne fait pas le moindre doute.

C’est dans ce contexte de nécessité absolue que nous examinons aujourd’hui le contenu du présent projet de loi, dont l’objectif est d’adapter notre arsenal juridique à la lutte contre ce phénomène de basculement dans le terrorisme. Ce projet de loi dote ainsi la France de nouveaux outils juridiques et de mesures préventives que je souhaite saluer. L’une d’elle prévoit l’instauration d’une interdiction administrative de sortie du territoire, afin de pouvoir anticiper et contrarier les départs des potentiels candidats au djihad.

Autre amélioration notable : la création d’une nouvelle incrimination qui permettra d’engager des poursuites judiciaires contre les terroristes agissant seuls. Enfin, le blocage administratif de sites ou de pages internet incitant aux actes terroristes ou en faisant l’apologie sera rendu possible. J’avais d’ailleurs rappelé la nécessité de telles mesures en juin dernier, à l’occasion de la discussion de la proposition de loi de Guillaume Larrivé qui défendait, déjà, les mêmes idées.

En effet, nous le savons tous, internet contribue pour une part déterminante à cette évolution qui nuit aux intérêts fondamentaux de notre nation. C’est l’outil grâce auquel nombre de djihadistes suivent les étapes d’un processus d’auto-radicalisation et d’embrigadement.

Ces différentes mesures attribuent à la justice et aux services de police des moyens d’investigation adaptés à la menace et à ses évolutions. Cependant, si ces propositions intéressantes représentent des réelles avancées, elles risquent aussi d’être rapidement insuffisantes, de sorte que nous serons obligés d’aller plus loin dans les années à venir, particulièrement si un attentat devait malheureusement survenir sur notre sol.

Ainsi, s’il est vrai que le blocage administratif des sites internet faisant l’apologie du terrorisme réduira la diffusion de propos qui sont les principaux vecteurs de radicalisation, je regrette qu’une démarche de riposte informatique contre ces sites ne soit pas envisagée.

En outre, force est de constater que ce texte ne règle pas le problème de l’endoctrinement dans les prisons. Or la prison peut être, comme nous le savons, un lieu de radicalisation important. À mon sens, créer des prisons dédiées à l’isolement des détenus radicalisés devient aujourd’hui une nécessité.

L’autre faiblesse de ce projet concerne l’une de vos mesures emblématiques, à savoir l’interdiction de sortie du territoire. Je me félicite de l’adoption en commission de l’amendement qui autorise l’autorité administrative à retirer, en plus du passeport, la carte nationale d’identité en vue d’interdire cette sortie du territoire, mais je remarque que cette mesure sera difficilement applicable dans l’espace Schengen. Surtout, comme cela a été dit à plusieurs reprises, elle ne résoudra en rien le problème essentiel des binationaux.

Je me permets d’insister sur ce sujet, afin qu’aucun malentendu ne naisse de mes propos. Je ne suis en rien hostile à la double nationalité quand les intéressés respectent les valeurs de la France. Mais, en tant que rapporteur de plusieurs projets de loi relatifs à l’immigration, j’avais demandé à l’époque que la binationalité, en cas de nationalité française, soit au moins portée à la connaissance de l’État. À chaque fois, cela a été refusé et aujourd’hui la mesure que vous proposez risque de se révéler inefficace.

Et qu’on ne me dise pas que c’est la législation ou la jurisprudence du Conseil de l’Europe qui s’opposent à une telle évolution : monsieur le ministre, je préside depuis un an la sous-commission des migrations du Conseil de l’Europe, chargée des immigrés, des réfugiés et des apatrides, et rien n’empêche de retirer la nationalité française à un citoyen en possédant une seconde ! Le seul problème réside dans le fait de connaître cette dernière, ce dont nous sommes aujourd’hui, en France, totalement incapables.

Je suis, je le répète, favorable au maintien de la double nationalité pour les individus qui respectent les valeurs de la France, mais je pense que cette opinion n’empêche pas une meilleure connaissance des personnes bénéficiant de la double nationalité.

De ce fait, une réponse efficace à cette difficulté serait de retirer la nationalité française à tout ressortissant français bénéficiant d’une double nationalité au cas où il viendrait à s’engager dans des forces djihadistes, comme le fait déjà, d’ailleurs, le Royaume-Uni.

J’espère également que notre assemblée prendra en compte l’amendement d’Alain Marsaud – mais je sais que vous avez répondu, monsieur le ministre – visant à priver de certaines allocations ceux qui partiraient mener le djihad dans les pays concernés. Enfin, je souhaite rappeler que, malgré nos difficultés financières, et au-delà des dispositions législatives, il est important de débloquer des moyens humains et financiers pour les services en charge de ces questions.

Ainsi, s’il est évident que les dispositions de ce projet de loi doivent être mises en œuvre rapidement pour lutter efficacement contre le terrorisme et qu’elles vont dans la bonne direction, force m’est de dire qu’elles me semblent encore insuffisantes par rapport aux enjeux réels auxquels elles prétendent répondre.

En conclusion, il y a effectivement aujourd’hui un consensus évident pour éviter de nouveaux endoctrinements sur notre territoire et autant de menaces pour notre sécurité. Cependant, si ce texte présente des avancées importantes et traite d’une priorité absolue pour notre sécurité nationale, je persiste à penser que notre gouvernement aurait dû aller plus loin. Toutes les solutions pour empêcher le terrorisme de continuer à se développer sur notre territoire auraient dû être approfondies.

C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne voterai pas ce projet de loi.

M. Claude Goasguen. Vous ne le voterez pas ?

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est des sujets dont la gravité doit nous mener sur la voie du rassemblement et du consensus républicains. Le combat contre le terrorisme, la défense des intérêts supérieurs de la nation ainsi que la protection des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qui font le socle et la force de la France, en font partie. Aucun des débats que nous avons eus ici sur ces questions, depuis le début de la législature, n’a démenti cette affirmation.

Ainsi, la loi du 21 décembre 2012, qui donnait, déjà, des moyens supplémentaires à la lutte contre le terrorisme, a-t-elle été adoptée à la quasi-unanimité par notre assemblée. Le texte dont nous entamons l’examen aujourd’hui poursuit un objectif similaire et semble emprunter la même direction, si j’en juge par la tonalité de nos débats au sein de la commission des lois le 22 juillet dernier.

Mais à la lueur de ce qui a déjà été dit dans cette discussion générale, j’ai le sentiment que certains devraient tout de même se modérer. Parce que pour ma part, je suis toujours mal à l’aise face à l’instrumentalisation politicienne d’un sujet aussi sérieux. Et aussi parce que lorsque j’entends déclarer à cette tribune, par un député de la République française, fût-ce de manière bonhomme comme tout à l’heure lors de la défense de la motion de renvoi en commission déposée par le groupe UMP, que les enjeux justifieraient que l’on soit peu regardants sur les libertés individuelles, j’ai du mal à l’admettre. Le consensus en matière de lutte contre le terrorisme, je l’appelle de mes vœux, mais pas au prix d’un tel renoncement !

Pour autant, nous devons regarder en face la réalité de la menace qui pèse sur les intérêts de la France et sur les Français. Vous n’avez pas manqué, monsieur le ministre, de situer dans son contexte la grave situation à laquelle nous sommes confrontés, que l’actualité illustre avec la conférence de Paris qui s’est tenue aujourd’hui. Nous le savons, notre pays est, de longue date, exposé à un risque élevé d’actions terroristes sur son sol.

Mais ce qui fait, peut-être, la différence avec les décennies passées réside dans le caractère diffus de cette menace. Elle repose toujours sur la même idéologie, sans scrupule, archaïque et barbare, mais qui n’en est pas pour autant restée à l’âge de pierre dans ses méthodes. Le terrorisme est pleinement entré dans la modernité, avec tout ce que cela suppose de moyens techniques, logistiques et tactiques et de facilitation des mises en relation entre groupes actifs et individus en voie de radicalisation. Le Web constitue de ce point de vue un redoutable outil lorsqu’il est mis au service de toutes les formes de terrorisme.

Nous sommes donc appelés, par la loi et par le droit, à participer au combat contre les agissements d’un ennemi aux multiples visages, qui ne se fixe aucune limite morale, ne respecte aucune règle, si ce n’est celles d’un fanatisme aveugle qui autorise et légitime tous les excès, toutes les dérives.

Plus personne ne croit aujourd’hui qu’il suffit de la volonté d’un gouvernement, elle est là, ou d’une loi, à laquelle nous nous efforçons d’œuvrer, pour « terroriser les terroristes ». Qui pourrait prétendre en faisant preuve de responsabilité que la puissance publique sera en toutes circonstances capable d’écarter totalement le danger quand, dans l’esprit de ceux que nous combattons, la fin justifie absolument tous les moyens ?

Pour autant, notre responsabilité de législateur nous commande de faire preuve de lucidité et de réactivité. Les dispositions contenues dans ce projet de loi tirent les conséquences de mutations profondes qui ont fait évoluer la menace au cours de la période récente. Parmi celles-ci, l’explosion du nombre de nos ressortissants qui rejoignent ou auraient l’intention de rejoindre des destinations étrangères dans une seule finalité terroriste. Ils seraient plus de neuf cents rien que pour la Syrie et l’Irak, qu’ils soient encore sur place, revenus ou qu’ils aient simplement donné des signes de vouloir partir, et trente-six auraient déjà perdu la vie.

L’article 1er du texte a vocation à apporter une part de réponse à ce phénomène en créant une interdiction de sortie de territoire qui permettra aux autorités de s’opposer au départ de nos ressortissants hors de France dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste ou que leur retour pourrait porter atteinte à la sécurité publique.

L’article 5, qui crée un délit d’entreprise terroriste individuelle, apporte un nouveau moyen juridique face au problème de l’auto-radicalisation, que des drames récents ont douloureusement mis en lumière.

Enfin, notre législation ne pouvait rester silencieuse face aux conséquences dramatiques de la prolifération de contenus internet faisant l’apologie du terrorisme. L’article 9 propose des mesures sur ce sujet, à l’image de ce que le législateur a déjà prévu lorsqu’il s’est préoccupé de lutter contre la pédopornographie.

Il ne m’a pas échappé que toutes ces dispositions suscitaient de l’inquiétude, voire la désapprobation de collègues et, ce soir, d’éditorialistes, légitimement attachés au respect des libertés individuelles et notamment des libertés de circulation, d’opinion et d’expression qui fondent notre État de droit. Je ne le suis pas moins qu’eux, mais je considère que le travail effectué par notre rapporteur Sébastien Pietrasanta, que je salue, en lien avec le Gouvernement, les amendements adoptés en commission et ceux que nous défendrons avec le groupe SRC au cours de la discussion apportent les garanties et les précisions nécessaires.

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » est une pensée attribuée à tort à Voltaire. J’ai donc moins de scrupules à proposer un codicille : « à condition que votre finalité ne soit pas de m’empêcher de parler, de penser ou de vivre ».

Voilà pourquoi je n’ai aucune réserve, mais une pleine détermination à soutenir ce projet de loi, qui renforcera de manière utile et respectueuse des principes généraux de notre droit les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer par lever deux préalables, de manière à avoir la parole libre.

Première remarque : il n’est bien entendu pas question, dans notre analyse du texte, de confondre djihadisme, salafisme ou islamisme avec la réalité de la communauté musulmane, notamment celle de France, qui n’a rien à voir et qui commence à condamner, peut-être avec un peu de lenteur, les dérives que provoque le djihadisme.

Seconde remarque : j’ai tout de même été très surpris de voir se réveiller certaines fureurs contre ce qu’on appelle les législations d’exception. Comme si elles n’étaient pas conformes à la légalité républicaine, comme si, de temps en temps, il ne fallait pas protéger les libertés par des mesures de sécurité exceptionnelles ! Que diable, c’est mal connaître les institutions de la VRépublique, ou avoir la mémoire un peu trouée. La VRépublique elle-même a mis en place des mesures d’exception dans des cas graves au moment de la guerre d’Algérie. Certains semblent le regretter, mais lorsque je lis l’éditorial du journal Le Monde aujourd’hui,…

M. Pierre Lellouche. Scandaleux !

M. Claude Goasguen. …je ne peux que constater que celui que l’on pouvait lire sur la Cour de sûreté de l’État lors de la guerre d’Algérie n’avait pas du tout la même tonalité.

Bref, il ne s’agit pas de s’asseoir sur les libertés publiques, il s’agit au contraire de les défendre face à un danger qui menace la liberté.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Claude Goasguen. Ces deux préalables étant levés, j’ai la parole libre : monsieur le ministre, je voterai certainement ce texte, non pas que je le trouve parfait…

M. Jacques Myard. Ah ça non !

M. Pascal Popelin. Ça nous rassure !

M. Claude Goasguen. …mais parce que, dans l’heure que nous connaissons, il faut non pas un consensus – je n’aime pas ce mot, qui fait « mou » et « lavette » – mais l’union nationale.

M. Pierre Lellouche. L’union sacrée !

M. Claude Goasguen. Je souhaite que nous donnions cette image d’union nationale à ceux qui, à partir de certaines de nos faiblesses, croient que la France est prête à accepter n’importe quoi.

Ce texte va d’ailleurs dans le bon sens puisqu’un certain nombre de mesures juridiques ou de police vont dans le sens de la législation que nous avions adoptée précédemment. Il est bon, objectivement.

Cela dit, est-ce un texte décisif qui va enrayer la progression du terrorisme ? Je suis sceptique. C’est un texte qui aura au moins le mérite, probablement, de rendre certains actes plus difficiles. Je dirais que c’est un texte d’empêchement. Mais nous serons certainement amenés dans cette assemblée à revenir plusieurs fois sur un phénomène après lequel nous courons mais qui en réalité, hélas, va plus vite que nous, et je suis le premier à le regretter, tout en reconnaissant qu’un tel travail était nécessaire.

Ce texte sera-t-il efficace ? Vous savez bien quelles sont ses insuffisances. Prenons internet : le juge Trévidic nous expliquait l’autre jour qu’en réalité, le plus sûr moyen de faire du djihadisme, c’était d’utiliser Facebook, largement en tête pour la constitution des troupes djihadistes. Va-t-on arrêter Facebook ?

Nous sommes là confrontés à un conflit avec les Américains ou, pour certains sites, avec les Canadiens. Je rappelle que le décret d’application de la loi sur la pédophilie, cas analogue, est bloqué et que l’État s’est lui-même imposé une compensation financière énorme. C’est tout de même extraordinaire : désormais, pour faire taire quelqu’un qui profère des menaces de mort sur la toile, il faut indemniser la société ou le site américain concerné parce qu’il aura perdu de la clientèle ! C’est un phénomène tout de même assez intéressant. Cela me rappelle le vieil adage romain, qui s’appliquait à l’époque au droit civil mais qui pourrait s’appliquer au droit pénal, Fraus omnia corrumpit : il s’arrête devant la bourse des Américains ou des Canadiens !

Bref, pour ce qui est d’internet, ce sera difficile. Et pour ce qui est de la sortie du territoire ?

En 2005, un social-démocrate anglais appelé Tony Blair a établi en Angleterre le control orders. En réalité, c’est ce que nous allons faire, avec un point supplémentaire auquel je vous demande de réfléchir : empêcher les gens de sortir, c’est bien, mais ne pas les mettre en assignation, c’est pratiquement reconnaître qu’ils peuvent se promener dans le territoire, ce qui rend plus difficile, vous le reconnaîtrez, de les attraper ! Je rappelle que si David Cameron a remis en question la loi Blair de 2005, il est en train d’y revenir à grande vitesse. L’assignation me paraît être complémentaire de la sortie.

Il faut ensuite une coordination des renseignements, mais je sais que vous préparez une grande loi sur le renseignement, qui est nécessaire.

Je voudrais dire aussi et surtout que la nouvelle loi sur la contrainte pénale est contradictoire, en réalité, avec ce que nous espérons. Lorsque l’on demande aux spécialistes Bruguière ou Trévidic comment se finance l’État islamique, ou d’ailleurs Al-Nosra, qu’il ne faut pas oublier parce que Al-Qaïda n’est pas mort, on s’aperçoit qu’il y a une multiplication de microdélits : on n’est plus du tout dans le gros financement des grandes périodes d’Al-Qaïda avec les Saoudiens. On reste ainsi sous la limite de la contrainte pénale. Au fond, on est en train de laisser se muscler par de petits larcins des gens qui sont en liberté. Il faut donc en tenir compte. De manière générale, la contrainte pénale évoque une philosophie pénale qui n’est pas la mienne mais dans cette affaire, il faut en voir les conséquences.

Disons aussi que l’internationalisation est nécessaire. Très franchement, nous sommes dépendants des Américains, hélas, et vous le savez bien. Ils nous imposent cette dépendance pour le renseignement et ce qu’on appelle les métadonnées, c’est-à-dire l’énorme quantité de renseignements nécessaires pour poursuivre le terrorisme international. Pensons à ce qu’a coûté le système américain Échelon, avec 20 millions de données par jour, qui viennent de tous les pays du monde ! L’Europe a essayé de mettre en place un système Échelon européen, mais le coût était tellement énorme que nous voilà dépendants des Américains, avec des conséquences de politique internationale importantes. Très franchement, si nous voulons un jour que l’Europe soit véritablement indépendante dans ce domaine et travaille à part égale avec les Américains,…

M. Jacques Myard. Ne rêvez pas !

M. Claude Goasguen. …qui nous réservent pour l’instant les renseignements qu’ils veulent bien nous donner –…

M. Jacques Myard. Nous sommes d’accord !

M. Claude Goasguen. …et je les comprends, puisqu’ils paient ! – il va bien falloir tout de même se mettre à la coopération.

Pour conclure, nous sommes dans une période clé. Je crois que le terrorisme façon judiciaire est en train de se terminer et que nous sommes à un moment de notre histoire, que nous avons déjà connu il y a très longtemps, où le judiciaire et le militaire se rapprochent, ce qui est déjà le cas d’ailleurs dans l’action quotidienne pour la DGSE et la DGSI. Le militaire, difficilement, et le judiciaire se rapprochent.

Au fond, avec ce qui se passe avec l’État islamique, qui est sans précédent, les affaires militaires et les affaires de terrorisme interne sont en train de prendre une autre dimension, une dimension collective. Ce n’est pas forcément un inconvénient, pour en revenir à mon introduction de tout à l’heure. Je crois, même si je le regrette, que la situation va devenir très grave et qu’il faudra certainement des lois d’exception.

M. Jacques Myard. Nous sommes d’accord !

M. Claude Goasguen. Je me tiens au courant de tout ce que disent les spécialistes, et les spécialistes sont inquiets, qu’ils soient militaires ou qu’ils ne le soient pas.

Les militaires, justement, il faut les associer dans cette affaire. Le droit de la guerre, au niveau mondial, est obsolète. Il n’y a plus de guerre entre États. Il n’y a plus de droit de la guerre, on le voit bien avec les problèmes que nous rencontrons au niveau constitutionnel. On l’a bien vu aussi avec le rapport Goldstone sur la situation entre Palestiniens et Israéliens. Le Tribunal pénal international était bien embêté : la Palestine n’était pas un État, Israël en était un, le Tribunal avait tendance à considérer que c’était le même et du coup on ne pouvait trop savoir qui était responsable de quoi…

Nous sommes dans l’incertitude la plus totale. Il faudrait tout de même un jour que la communauté internationale se dise que la guerre n’est plus une affaire d’État à État, qu’elle est de plus en plus une affaire interne aux États, mondialisée, et que l’ONU ferait bien de réfléchir à un nouveau droit de la guerre car il est vétuste et obsolète.

Il serait bon aussi que le gouvernement français porte plainte devant le Tribunal pénal international, même si son efficacité est relative,avant même le déclenchement des hostilités contre les personnes responsables de l’État islamique.

M. Pierre Lellouche. Absolument !

M. Claude Goasguen. Il faudrait traduire devant lui ses leaders mais aussi ses complices, et notamment les djihadistes français qui sont à ses côtés. C’est tout de même un moyen de développer l’internationalisation de la communication et de donner un coup de frein supplémentaire.

Pour finir, je voudrais revenir sur une idée qui a beaucoup choqué certains d’entre vous, à savoir qu’il faut donner à la France la possibilité de sanctionner les Français qui portent les armes sans autorisation. Pour ma part, j’aurais préféré la formule « qui portent les armes contre la France », car en réalité les Français qui combattent au sein de l’État islamique portent les armes contre la France. On s’exclame que c’est impossible, que l’on va faire d’eux des mercenaires… Mais pas du tout ! Il suffit de relire le code pénal pour voir que cette législation a déjà existé : un décret du 6 avril 1809, qui fut appliqué pendant tout le XIXsiècle, dispose que tout Français pris les armes à la main contre les intérêts de la France sera passible des commissions militaires.

Il importe d’affirmer à nouveau aujourd’hui qu’un Français ayant porté les armes contre la France n’est plus un citoyen français ordinaire et qu’il est susceptible de mesures d’exception, n’ayons pas peur de le dire. La situation est tout à fait comparable à celle de l’OAS, au début de la VRépublique, à une époque où la gauche était peut-être moins critique. C’est exactement le même problème : des Français portent les armes contre des Français ! Je le regrette, mais il faudra avoir le courage de prendre des mesures d’exception, pour un temps déterminé et sous le contrôle du juge, afin de disposer d’un arsenal efficace qui soit de nature à rassurer nos concitoyens.

Je voterai votre loi, en espérant que certains de nos amendements seront adoptés. Il faut qu’elle soit comprise – je compte pour cela sur la presse – et qu’elle apparaisse comme un geste fort. Il faut montrer que la France est unie contre le terrorisme. Au-delà des images politiques, au-delà des querelles politiciennes, nous faisons l’union nationale contre les terroristes, où qu’ils soient, qu’ils agissent à l’intérieur de notre pays ou qu’ils combattent la France partout dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis le 11 septembre 2001, les équilibres du monde ont profondément changé. Cet événement ô combien dramatique aurait dû entraîner en occident une prise de conscience beaucoup plus importante de l’ampleur du phénomène djihadiste. Il nous faut désormais l’envisager sans détour et mener une diplomatie lucide.

Environ mille Français combattraient en Syrie. Ce sont avant tout des hommes jeunes, âgés de vingt-cinq ans en moyenne, mais il est frappant de constater que les femmes sont elles aussi prêtes à combattre : on en aurait localisé cinquante-quatre en Syrie et trente en Turquie. Elles n’hésitent pas à partir avec des enfants, comme oublieuses du martyre de tant de femmes et d’enfants.

Comment en est-on arrivé là ? D’abord par notre difficulté à repérer ces jeunes radicaux sur le territoire national, comme le souligne un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale sur la prévention de la radicalisation. Ensuite, par le phénomène de radicalisation lui-même : nombre de jeunes s’auto-radicalisent sur des sites salafistes et cèdent à la tentation de l’engagement armé en consultant les sites des rebelles djihadistes. C’est la barbarie exposée à la face du monde, revendiquée et relayée par les médias et les réseaux sociaux, véritable plan marketing d’une horreur absolue et sans précédent, qui anéantit toute forme d’humanité et de civilisation. Enfin, il ne faut pas non plus négliger le prosélytisme, non seulement dans les prisons mais aussi au sein des collèges et des lycées, et à leur sortie.

Pour agir efficacement contre le terrorisme sur notre territoire, il nous faut prendre des mesures extrêmement dissuasives, beaucoup plus encore que celles actuellement prévues dans votre texte. Et si je soutiens la philosophie de votre loi, je souhaite que soient adoptées en séance des mesures plus répressives à l’encontre des terroristes. La lutte contre le djihadisme doit être menée au plan international, en concertation avec les pays arabes. Pourquoi ces jeunes partent-ils plus particulièrement en Syrie ? Notre politique étrangère est indéniablement en cause. La diplomatie, ce n’est pas l’angélisme, comme semble trop souvent le croire ce gouvernement. Certes, le régime de Bachar el-Assad n’a rien de démocratique, mais comment ignorer que la crise syrienne est un facteur d’accroissement des tensions entre Chiites et Sunnites ?

La révolution iranienne de 1979, puis la guerre en Irak de 2003 ont renversé l’équilibre des forces dans le monde musulman, avec la formation d’un « arc chiite » redouté par les Sunnites. Ces tensions sont renforcées par la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite, qui se disputent le leadership dans le monde musulman. Or la guerre en Syrie cristallise cet affrontement. L’Arabie saoudite et le Qatar d’un côté, l’Iran et le Hezbollah de l’autre y mènent leur lutte d’influence : les premiers y soutiennent l’opposition sunnite, et les seconds le régime dominé par la minorité alaouite, dont est issue la famille de Bachar el-Assad. Les monarchies du Golfe ont ainsi mis à la disposition des rebelles et des Frères musulmans syriens des armes et des munitions afin qu’ils se débarrassent du leader syrien, avec lequel pourtant elles n’ont pas toujours été en mauvais termes – tout cela pour affaiblir l’Iran.

Non seulement la France a exigé sans succès le départ de Bachar el-Assad, mais la guerre civile qui sévit en Syrie a permis à de nombreux groupes terroristes de prospérer. Les printemps arabes ont ouvert le champ au développement spectaculaire des mouvements islamistes radicaux qui de Damas à Tunis partent aujourd’hui à la conquête du monde. Du fait de la position stratégique de la Syrie, frontalière de la Turquie, de l’Irak, de la Jordanie, du Liban et d’Israël, le,risque de voir émerger un État djihadiste dans cette région du Moyen-Orient ne saurait être pris à la légère. Émanation d’Al-Qaïda en Irak, l’État islamique prospère en Syrie. Aujourd’hui l’organisation s’étend sur le nord de l’Irak et le nord de la Syrie, faisant fi des frontières.

Alors même que le Premier ministre estime que le terrorisme est la plus grande menace depuis des décennies, les errements diplomatiques du Gouvernement menacent la position de la France sur la scène internationale. Rappelons ici que la Russie est sans doute un partenaire incontournable. Il ne s’agit pas de lancer une croisade de l’Occident contre le monde musulman ou le monde arabe, mais de réaffirmer le combat essentiel de l’humanité contre la barbarie. Il faut donc mobiliser les musulmans eux-mêmes contre ces barbares que sont les djihadistes : certes, la France peut effectuer des actions militaires ciblées au Proche-Orient afin de garantir sa sécurité intérieure, mais c’est avant tout aux États arabes et à l’Iran d’agir contre ces fanatiques. Donnons-nous les moyens de notre protection : faisons en sorte que l’humanité triomphe de la haine et de la barbarie, qui parviennent à tenter beaucoup trop de nos jeunes.

Je soutiendrai toute mesure allant dans ce sens, à commencer, monsieur le ministre, par votre loi, amendée je l’espère. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand.

M. Xavier Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, cela a été dit à différentes reprises : nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, nous sommes en guerre contre le terrorisme djihadiste.

Je soutiens la position de la France, telle qu’elle a été exprimée ce matin encore, à l’occasion de la conférence internationale sur l’État islamique. Nous devons frapper cet État islamique avant qu’il ne soit totalement opérant et que le terrorisme soit ainsi porté à un niveau étatique. Une telle situation serait inacceptable et nous devons éviter par tous les moyens, y compris militaires, qu’elle ne se produise. Nous le savons, la France a un rôle à jouer, elle revendique et assume cette mission. Mais cela fait aussi de la France une cible pour ces terroristes aveugles. Nous devons en tirer toutes les conclusions.

Bien souvent, les textes de loi, y compris les textes antiterroristes, courent après les événements. Or aujourd’hui nous avons l’occasion non seulement de rattraper notre retard, mais de prendre de l’avance. Nous connaissons tous la genèse de ce texte, monsieur le ministre : c’est votre prédécesseur qui l’avait pensé, et vous l’avez adapté. Mais la philosophie qui prévalait à l’époque ne peut plus être la même aujourd’hui. Des paliers sont franchis régulièrement dans l’horreur, et je ne pense pas seulement à ces décapitations d’un autre temps : je songe aussi à ce qui s’est produit sur le territoire national, au fait que des ressortissants français deviennent les bourreaux d’autres Français.

Nous savons pertinemment qu’ils ne s’arrêteront pas, alors il faut les arrêter. Nous savons pertinemment qu’ils veulent nous détruire, alors il faut les faire disparaître. C’est un langage guerrier, mais nous sommes en guerre, et nous ne devons pas faire preuve de faiblesse.

M. Thierry Mariani. Absolument !

M. Xavier Bertrand. La philosophie de ce texte est aujourd’hui décalée, monsieur le ministre, et vous avez ainsi la possibilité non seulement de rattraper notre retard, mais de prendre de l’avance. Je ne sais pas s’il existe des références internationales qui pourraient réellement s’imposer à tous, mais je crois que la politique du gouvernement anglais de M. Cameron est à regarder de près. Vous prenez un certain nombre de dispositions pour rendre le départ des candidats au djihad plus compliqué, notamment par le retrait du passeport. La commission a voulu aller plus loin, et elle a eu raison, en demandant aussi le retrait de la carte d’identité. Nous souhaitons, avec un certain nombre de parlementaires de ma famille politique, aller plus loin encore en portant la durée de ce retrait de six mois à un an.

Mais la question fondamentale qui se pose est celle de l’éventuel retour de ces hommes en France. Alors pourquoi, monsieur le ministre, ne pas vous y attaquer dans ce texte ? Ils ne sont pas allés faire du tourisme, ils sont allés faire le djihad ! Et ils reviennent ici pour combattre : pour combattre la France, pour combattre les valeurs de la République ! Nous ne pouvons pas les laisser faire. Nous le savons, vous le savez. Vous avez dit vous-même, dans le Journal du dimanche, qu’ils ne sont pas loin d’un millier, et certainement davantage dans les mois à venir. Rien ne s’arrêtera, rien ne les arrêtera, sinon notre force.

Sur ce sujet, nous savons qu’il est possible de traduire les choses de façon juridique. Ce texte va introduire la criminalisation, et nous savons pertinemment qu’il est possible d’introduire aussi des gardes à vue, des interrogatoires serrés et des peines privatives de liberté. Ce sont là des mesures indispensables et incontournables. Vous allez me répondre que rien ne les empêchera d’être clandestins, mais toutes ces mesures rendraient les choses beaucoup plus difficiles pour tous ceux qui s’apprêtent à commettre des attentats. Et c’est la même chose pour la question des droits sociaux : pour moi, ceux qui se livrent au djihad se placent d’eux-mêmes en dehors de la communauté nationale. La communauté nationale doit donc les considérer comme tels.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. C’est très juste !

M. Xavier Bertrand. De la même façon, la question de la déchéance de nationalité n’est pas simple à traiter, nous le savons bien, mais rien n’est simple en la matière. Nous devons engager une discussion au niveau international pour ceux qui, binationaux, décideraient de renoncer à leur autre nationalité pour obtenir le statut d’apatride et se mettre ainsi à l’abri. Mais à l’abri de quoi, et de qui ? Si nous avons la volonté d’avancer sur ces sujets, nous pouvons le faire. Sur la question du retour, monsieur le ministre, nous avons l’ardente obligation d’aller plus loin que ce que prévoit votre texte, et je vous demande d’accepter les amendements que nous avons déposés.

Si vous avez pris conscience que c’est au départ qu’il faut rendre les choses, sinon impossibles, du moins plus compliquées, si nous avons conscience que la criminalisation est aujourd’hui incontournable, si nous avons conscience qu’il nous faut agir sur Internet, ce qui ne nous dispensera pas, vous le disiez vous-même ce week-end, d’avoir une discussion avec les fournisseurs d’accès, une question reste en suspens : celle de leur retour. Nous ne pouvons pas les laisser revenir comme cela. La question fondamentale, c’est : notre liberté ou la leur. Nous avons la possibilité de protéger mieux encore la seule qui compte : la nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Malek Boutih.

M. Malek Boutih. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le projet de loi que vous nous demandez d’adopter n’est pas une loi d’exception, mais il reste un texte exceptionnel. La gravité des propos qui ont été prononcés dans cet hémicycle, l’attention que vous-même, monsieur le ministre, ainsi que vos services, les membres de la commission des lois et l’ensemble des députés ont portée à l’équilibre parfait de ce projet montrent qu’il ne s’agit pas d’un texte parmi d’autres, mais qui prend en compte une situation exceptionnelle.

La disposition la plus importante de ce texte consiste dans la restriction faite à la liberté de voyager et dans la suppression des pièces d’identité au sein du territoire national, pour des majeurs et des mineurs de la communauté nationale. Il s’agit d’une loi d’exception, d’une loi exceptionnelle, qui répond à l’urgence de la situation. Personne ici ne conteste que nos services, la police et la justice ont besoin d’outils pour lutter contre ce phénomène nouveau et d’ampleur. Au fil de la discussion générale, on s’aperçoit que si certains aspects du phénomène ont été bien appréhendés, on peine tout de même à dire à quoi on a exactement affaire.

Au cours de la soirée, c’est bien normal, le terme le plus utilisé a été celui de terrorisme, qu’il soit qualifié d’évolutif, de moderne ou de spectaculaire. Mais je crois que nous avons affaire à quelque chose d’autre que du terrorisme. Comme cela a été évoqué, nous avons affaire à un nouveau type de guerre : hybride, qui allie des composantes du terrorisme, de la guerre sur le terrain, et de ce que furent les mouvements de guérilla. C’est un hybride qui évolue, qui s’adapte, et qui cherche à être au plus près de ses objectifs.

À cet égard, le fait – comme ce fut le cas dans les propos de certains de nos collègues, en particulier M. Lellouche – de caractériser nos ennemis comme des sauvages ou des animaux est une faute de notre part, parce que cela nous aveugle. Ce ne sont pas des animaux. Ce sont des gens organisés qui poursuivent des objectifs et qui ont un but.

La question que nous devons nous poser est : quel est leur but ? Leur but se laisse deviner dans ce que nous avons vu de ce qu’ils font, et des images sur internet. Mais nous l’avons aussi vu cet été sur le territoire national. Leur but est de déstabiliser au plus profond la société française, de créer les ferments d’une division et d’enclencher une mécanique d’action-réaction qui échappera à tout le monde jusqu’à ce que la situation devienne suffisamment exceptionnelle pour justifier des lois d’exception. Alors nous aurons perdu une partie du combat contre eux. Il est clair que notre pays, la République française, est la scène majeure de leur lutte. Nous avons des adversaires militaires et politiques face à nous.

Nous devons donc donner les moyens à nos services, dans l’urgence, d’agir, et ce texte le fait. Mais si j’ai une très grande confiance en nos services, en notre armée, en notre justice et en notre police, j’ai beaucoup moins confiance dans la capacité du monde politique à s’attaquer aux racines du mal, à ce qui se passe au cœur de notre pays, pour tenter d’empêcher l’explosion que cherchent à provoquer nos adversaires.

La question n’est pas de savoir si nous pouvons rendre nos frontières imperméables, et si l’on arrivera à arrêter tous les individus. La question est de savoir si nous arriverons à irriguer pour éviter que la plaine ne s’assèche et qu’une étincelle y cause un incendie. Arriverons-nous à agir sur ce territoire ? C’est un enjeu extrêmement important.

C’est bien pour cela que les mesures qui remettent en cause les libertés doivent être un peu plus encadrées que ce que ne prévoit le texte. Pour ma part, je défends l’idée que si l’on doit interdire la circulation d’individus et confisquer des papiers d’identité, le délai doit être court – et renouvelé si besoin – de manière à montrer le caractère exceptionnel de cette mesure.

Au-delà, j’appelle l’ensemble de la représentation nationale, de nos formations politiques et de notre gouvernement à agir désormais concrètement. Je suis favorable à l’idée de M. Habib qui propose de travailler dans l’éducation. Je partage l’idée de M. Ciotti de mettre en place des programmes de déradicalisation d’un certain nombre d’individus. Toutes les bonnes idées sont à prendre, toutes celles qui vont construire notre pays.

M. Éric Ciotti et M. Philippe Goujon. Très bien !

M. Malek Boutih. Monsieur le ministre, vous êtes d’une grande responsabilité et d’une grande sensibilité sur ces sujets. Nous vivons un moment extrêmement grave. L’histoire nous a appris des choses, elle ne se répète pas et elle ne bégaie pas. Nous avons les capacités d’apprendre de nos erreurs, commençons par la fin de ce que nous avons fait auparavant, lorsque nous avons compris que lorsqu’une grande masse de gens est tombée dans un combat, il n’y a plus de place pour la raison, pour la légitimité, pour la loi et pour l’ordre.

Nous n’avons pas face à nous des animaux qui veulent tout et n’importe quoi. Nous avons des adversaires politiques ; nous devons reposer sur les forces politiques de notre pays sa prospérité, son unité, sa force.

Ce qui horrifie le plus nos ennemis, ce n’est pas notre armée, ce ne sont pas nos services, ce ne sont pas nos lois ni nos coups de menton : c’est chaque fois qu’ils voient l’image d’un musulman qui vit en France heureux, épanoui, dans un pays laïc, prospère, où l’on ne couvre pas ses cheveux pour vivre son bonheur. C’est tout ce qu’ils veulent détruire. Ils trouveront ici des gens d’accord avec eux, et pas uniquement dans une seule communauté. Nous devons former un bloc pour les empêcher d’arriver à leurs fins. Voilà la lecture politique que nous devons avoir des événements qui sont en cours. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marianne Dubois.

Mme Marianne Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, comme dans tout débat ayant trait au terrorisme, les questions de fond restent les mêmes : celles de la définition même du terrorisme et de la frontière ténue et mouvante entre la liberté de chacun et la nécessaire protection de notre société.

Il est cependant indispensable d’apporter des réponses appropriées car la lutte contre le terrorisme est un défi permanent, elle doit être sans cesse renouvelée pour riposter et anticiper, autant que faire se peut, les propres évolutions du terrorisme.

Les menaces ne datent pas d’hier mais, ces dernières années voire ces derniers mois, elles offrent de nouveaux visages et ce phénomène dont on mesure aujourd’hui l’ampleur est multiforme. Des citoyens français, nés en France, à la recherche d’un idéal, se radicalisent, partent combattre en Syrie et en Irak. Les autorités évoquent aujourd’hui la présence de près de 1 000 ressortissants français sur les sols syrien ou irakien. Les Français seraient, parmi les étrangers, la communauté la plus représentée.

Le problème du retour en France de ces individus fanatisés et difficilement repérables se pose. Les neutraliser avant qu’ils ne passent à l’action est primordial, car l’on sait qu’ils cherchent surtout à créer des actes terroristes dans des sociétés en paix afin de les déstabiliser. Isolés, incontrôlables, le temps joue en leur faveur, et les noms de Merah et de Nemmouche illustrent parfaitement ce basculement vers l’horreur.

Ces derniers jours, des événements nouveaux sont mis à jour : les départs au djihad en famille. Dans ma circonscription une mère pleure sa fillette, enlevée par son père et retenue en Syrie. Ainsi, les Français découvrent avec effroi que près de chez eux, dans leurs quartiers, de véritables filières de recrutement aux motifs aussi abjects qu’illégitimes prolifèrent, et le rôle d’internet et des nouvelles technologies dans la propagande n’est plus à démontrer.

Nombre de spécialistes et d’observateurs nous alertent sur la progression et l’extrême gravité de ce phénomène, ce qui confirme l’opportunité de ce projet de loi qui, globalement, répond aux différents enjeux qu’impose cette réalité.

Ainsi, l’interdiction de sortie du territoire constitue une nouveauté intéressante. Identifier, interdire de sortir du territoire et isoler par l’assignation à résidence les djihadistes potentiels est une réponse que nous nous devons d’apporter. Mais après ? Que faisons-nous de ces personnes isolées de la société ?

Nous touchons là ce qui devrait être notre principale mobilisation : pourquoi notre pays, patrie des droits de l’homme et du citoyen, génère-t-il de telles personnes ? Quelles peuvent être les failles, les manquements de notre éducation au sens très large : celle de la famille, de l’institution éducative, sans omettre celle des corps religieux ? Un mal se combat à la source, dit-on. La source de tous ces maux se trouve d’abord au sein de l’éducation de ces jeunes femmes et de ces jeunes gens qui formeront demain notre société. Certes, ce n’est pas l’objet de ce projet de loi, mais s’en tenir au texte dont nous débattons sans s’interroger au-delà, c’est déjà renoncer à apporter une solution pérenne à nos concitoyens.

L’interdiction de sortie du territoire peut donc constituer une réponse, mais elle relance la question du contrôle de nos frontières et semble difficilement applicable dans l’espace Schengen, tandis que le problème des binationaux n’est pas résolu. Le renforcement de la coopération entre les services de l’État est bien entendu un préalable indispensable, afin d’anticiper les velléités terroristes le plus en amont possible.

C’est pour cela que j’ai cosigné un amendement de mon collègue Larrivé qui a pour objet de suspendre les prestations sociales pour les candidats au djihad, car il va de soi que la solidarité nationale ne peut être généreuse envers des individus qui compromettent la concorde nationale.

Chers collègues, la guerre contre le terrorisme n’a pas seulement lieu au loin, à des milliers de kilomètres, car la menace existe ici, près de nous. Le terrorisme de l’intérieur doit être combattu de la même manière que le terrorisme de l’extérieur et nos objectifs civils et militaires sont les mêmes : combattre le même ennemi.

Depuis 2011, la lutte antiterroriste est menée par nos militaires au Mali et en République Centrafricaine, et l’opération Barkhane a été lancée en août. Ne mésestimons pas l’état physique et matériel de nos forces impliquées sur le terrain. Un effort particulier doit être fourni sur les crédits du budget de la défense et les baisses excessives de ces mêmes crédits peuvent mettre à mal l’enjeu national qu’est la lutte contre le terrorisme. Je regrette que sur ce texte, sur un sujet aussi important, la commission de la défense n’ait pas été associée.

Pour terminer, je voudrais rappeler un court passage du discours du Président de la République sur la politique de défense face aux auditeurs de l’IHEDN en mai dernier : « Pour faire face aux nouvelles menaces, aux cyberattaques et au terrorisme, les crédits consacrés au renseignement, à la police et à la justice seront augmentés. » Ce projet de loi ne vient que renforcer ces propos qui, je l’espère, seront écoutés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. ,Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où, au seul nom de la haine, certains de nos concitoyens prennent les armes contre leur propre pays ; à l’heure où l’on apprend que Mehdi Nemmouche, avant de commettre à son retour en Europe l’abominable tuerie du musée juif de Bruxelles, était le geôlier et le tortionnaire de quatre journalistes Français en Syrie ; à l’heure où le cas de Mourad Farès illustre la facilité avec laquelle s’effectue le recrutement de candidats au djihad syrien sur les réseaux sociaux ; à l’heure où le directeur de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste – l’UCLAT – déclare que la question n’est plus de savoir s’il y aura un attentat en France mais quand il aura lieu ; ce texte, malgré ses insuffisances au regard des défis qu’il prétend relever, vient compléter notre arsenal juridique pour mieux protéger notre territoire contre la menace terroriste, plus diffuse et dangereuse que jamais. Nous espérons que plusieurs de nos amendements seront adoptés.

Le groupe UMP a voté la loi du 21 décembre 2012, qui reprenait en partie les dispositions portées par la précédente majorité et répondait à la nécessité de pérenniser le cadre juridique établi par la loi antiterroriste de 2006, votée par la seule majorité de l’époque – faut-il le rappeler ?

La volonté commune de garantir la sécurité de nos compatriotes et l’intégrité de notre territoire nous rassemble en effet au-delà de nos appartenances politiques. Je ne comprends toujours pas pourquoi, monsieur le ministre, vous avez rejeté la proposition de loi UMP de lutte contre le terrorisme sur internet que nous avions présentée au début de cet été avec Guillaume Larrivé et Éric Ciotti. Elle aurait sans doute permis d’éviter dès ce moment l’embrigadement de nouveaux candidats au djihad.

Les ennemis de nos démocraties font en effet des stratégies de médiatisation sur internet un objectif prioritaire de recrutement, exigeant par exemple des apprentis djihadistes qui les ont rejoints de convaincre chacun cinq nouvelles recrues en promouvant le djihad sur leurs réseaux sociaux. Guides d’apprentis terroristes et manuels de fabrication artisanale de bombes côtoient sur internet les prêches intégristes et les vidéos d’atrocités commises au nom du djihad.

Devant la rapidité du phénomène de radicalisation observé par les services antiterroristes – il faut généralement moins de deux mois pour qu’un jeune salafiste se rallie au djihad – la réponse publique se doit d’être brutale et immédiate, y compris dans la sphère numérique, car elle est le vecteur principal de la radicalisation massive.

On doit déplorer à cet égard l’absence dans votre projet de loi du délit de consultation des sites internet faisant l’apologie du terrorisme ou provoquant au terrorisme, que nous vous exhortons à adopter depuis deux ans avec Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et Nathalie Kosciusko-Morizet.

Un tel délit permettrait d’évaluer au plus tôt la dangerosité des internautes concernés, de proposer aux mineurs un stage de désendoctrinement et d’inculper ceux qui entraînent les jeunes dans ce chemin de perdition. Complétant utilement le dispositif d’alerte téléphonique, il serait d’autant plus efficace que le juge antiterroriste Marc Trévidic a rappelé qu’un jeune musulman endoctriné, s’il est interpellé suffisamment tôt, reprend souvent une vie normale et abandonne ses velléités djihadistes qui ne correspondaient qu’à un moment particulier de sa vie, à une conjonction d’éléments qui ne se retrouveront plus.

II mettrait également notre législation en conformité avec le mémorandum de Rabat qui préconise la criminalisation des actes préparatoires au terrorisme. En outre, le risque juridique n’est pas avéré puisque le Conseil d’État et la Cour de cassation en ont une interprétation divergente. Nous vous proposerons donc des amendements en ce sens.

Puisque la guerre a lieu aussi sur internet, la responsabilisation des hébergeurs de sites quant aux contenus publiés ainsi que la procédure de blocage prévue par ce projet de loi démontrent qu’internet ne saurait constituer une zone de non-droit. Encore faudrait-il que, contrairement au dispositif de lutte contre la pédopornographie, Bercy consente à financer la mesure. Je rappelle que d’autres pays n’indemnisent pas les fournisseurs d’accès.

Le nouveau dispositif d’interdiction de sortie du territoire, emportant retrait du passeport, complété par le retrait automatique de la carte d’identité, s’inspire, en l’améliorant d’ailleurs, d’un amendement que nous avons cosigné avec Guillaume Larrivé et Éric Ciotti.

Mais, de même que la transmission des « données passagers » des compagnies de transport terrestre de voyageurs est un complément indispensable à la surveillance des passagers aériens, ces dispositions n’auront pas de réelle efficacité sans une adaptation du système d’information Schengen. En outre, comme d’autres l’ont souligné avant moi, le problème restera latent pour les binationaux.

Cette situation appelle une coopération renforcée avec les pays d’origine et une refonte de la législation encadrant la déchéance de nationalité, qui ne concerne aujourd’hui que les personnes l’ayant acquise depuis moins de dix ans. Engageons-nous donc plus résolument sur la voie ouverte par le Premier ministre, qui affirmait le 3 juin sur RMC qu’en la matière, il n’y avait pas de tabou.

Il nous paraît également important de savoir, monsieur le ministre, quelles mesures ont pu être prises par les autorités turques pour renforcer le contrôle de leurs frontières.

Le juge Trévidic a estimé que, depuis les années 2000, un bon tiers des djihadistes revenus en France avaient un projet terroriste. Vous avez vous-même rappelé, monsieur le ministre, que l’on recense aujourd’hui près de 1 000 Français parmi les quelque 3 000 Occidentaux partis faire le djihad : on mesure la gravité de la menace qu’ils représenteront à leur retour.

La création du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle permet de reconnaître enfin le phénomène des « loups solitaires », comme nous le réclamions depuis l’affaire Merah. Cependant, on complexifie ce délit à l’excès en exigeant deux éléments matériels pour qu’il soit constitué, au lieu de laisser au juge une possibilité d’appréciation.

Il importe également de mieux surveiller les individus pendant la phase de détention. Sans remettre en cause les droits du détenu à appeler ses proches par liaison téléphonique fixe ou à correspondre par écrit, garantis par la loi pénitentiaire, je proposerai d’inscrire dans la loi l’interdiction en milieu carcéral des téléphones portables, de même que des correspondances électroniques et de l’accès libre à internet. Mehdi Nemmouche avait été signalé aux services de renseignement par l’administration pénitentiaire après la découverte d’images à caractère djihadiste sur le téléphone portable trouvé en sa possession. Il serait donc assez invraisemblable de renoncer à la surveillance des téléphones clandestins, comme le Gouvernement le suggère, me semble-t-il, dans son amendement de suppression de l’article 15 bis, contre l’avis de la commission.

À ce sujet, il me paraîtrait aussi opportun d’élargir la composition du Conseil national du renseignement en y intégrant un représentant de l’état-major de sécurité de l’administration pénitentiaire, afin de faciliter la circulation de l’information avec les services de renseignement. Bien sûr, il faudrait aussi renforcer les effectifs de l’EMS3, qui compte seulement douze fonctionnaires pour surveiller 810 détenus, dont 250 liés au terrorisme.

Monsieur le ministre, chers collègues, à l’heure où la France s’apprête à s’engager militairement contre le groupe terroriste dit de « l’État islamique en Irak et au Levant », ne négligeons pas la menace intérieure que véhicule internet. Donnons-nous tous les moyens de lutter contre ces ennemis implacables des démocraties et des droits de l’homme, qui diffusent massivement leurs messages de haine et de violence et ne visent qu’à détruire le monde civilisé.

Chers collègues de la majorité, sachez faire preuve du même esprit républicain que celui qui nous anime, puisque nous allons voter ce texte, en prenant en compte nos propositions d’amélioration du projet de loi.

Monsieur le ministre, ne laissons subsister aucune faille dans notre arsenal juridique pour gagner la guerre contre le terrorisme et la barbarie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, oui, la France doit être unie en matière de lutte contre le terrorisme. Cependant, mon intervention ne sera pas à l’unisson de celles des autres membres du groupe UMP ; c’est pourquoi je remercie au préalable le groupe UMP de m’avoir laissé la parole pour apporter un éclairage différent.

Beaucoup d’entre nous sont déjà intervenus pour rappeler la gravité de la situation et l’obligation de garder à l’esprit, au moment de prendre des décisions, que le pire est sans doute à venir. Aujourd’hui, tous les experts s’accordent sur le fait, très inquiétant, que la France peut connaître sur son sol de nouveaux actes terroristes, comme l’affaire Merah l’a malheureusement montré en 2012.

Les départs et la radicalisation de jeunes dans la pratique du djihadisme ne sont pas des faits nouveaux : ils sont connus, observés, analysés et surveillés depuis le milieu des années 1990. Mais tous les experts s’accordent aussi à dire que le phénomène syrien atteint une ampleur jamais égalée auparavant. Les départs sont beaucoup plus importants et concernent des individus aux profils très différents, qui deviennent par conséquent souvent difficiles à identifier.

Nul non plus ne pourrait nier l’usage que font d’internet les groupes terroristes recruteurs et les jeunes aspirant à se radicaliser. Internet n’est qu’un moyen, qui vient généralement en appui à des contacts bien physiques et locaux. L’usage d’internet est facile, rapide et discret ; il permet ainsi à ceux qui le souhaitent de chercher des informations, puis, éventuellement, de s’endoctriner, et enfin d’entrer en contact avec des groupes constitués sur place et d’élaborer un projet de départ.

En revanche, les différentes personnes auditionnées, notamment le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, sont en désaccord quant aux moyens à mettre en œuvre pour contrôler ou empêcher efficacement ces sites internet de nuire. Et pour cause ! La plupart estiment que les dispositions de ce projet de loi relatives à l’usage d’internet comme outil de propagande seront sans effet pour lutter contre le terrorisme. Monsieur le ministre, seul le retrait à la source des contenus illicites est efficace ; il est donc urgent d’entamer des négociations sur ce point avec les États-Unis et le Canada.

Pourquoi dès lors vouloir introduire coûte que coûte de telles dispositions dans ce texte ? Je veux m’arrêter spécifiquement sur cet aspect du projet de loi, sur votre volonté, votre persévérance, votre obstination, devrais-je dire, à prévoir une aggravation des sanctions quand le délit est commis via internet et à élargir encore, par une extension de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le champ d’application du rôle de police privée des hébergeurs et du filtrage administratif, sans contrôle judiciaire d’internet.

Je constate malheureusement plusieurs choses récurrentes. Les dispositions relatives au filtrage administratif du Net, prévues à l’article 9, relèvent au mieux d’une méconnaissance du fonctionnement des réseaux, et donc de l’amateurisme, au pire d’une atteinte volontaire aux libertés individuelles des internautes par l’absence préalable de saisine du juge judiciaire.

Le parti socialiste se perd une nouvelle fois dans ses contradictions, puisqu’il avait combattu en 2011 les dispositions prévoyant un filtrage administratif de la pédopornographie en ligne, à l’article 4 de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dans le cadre d’un amendement du groupe parlementaire SRC signé par l’ensemble des députés socialistes. J’ai encore en mémoire les propos de Patrick Bloche, de Christian Paul, qui était dans cet hémicycle il y a quelques instants, et même de Corinne Erhel. Pourquoi sont ils tous les trois si discrets ce soir ?

Monsieur le ministre, tout ceci donne l’impression que, face au constat de l’utilisation d’internet dans le phénomène de radicalisation, vous avez réagi comme votre prédécesseur, et même comme le ministre de l’intérieur précédent. Vous vous êtes dit : « On doit faire quelque chose pour arrêter la diffusion et la consultation de ces sites internet ; alors on va mettre en place le même dispositif que pour la lutte contre la pédopornographie en ligne. On va filtrer, sans passer par un juge, car il faut aller vite, il faut être réactif. » Et hop, la décision est prise ! Est-ce sérieux ?

Monsieur le ministre, vous êtes-vous posé deux questions essentielles ? Quelles sont les conséquences du fait de vouloir systématiquement écarter la justice a priori lorsqu’il s’agit d’internet ? Le dispositif proposé est-il réellement efficace et utile ? N’a-t-il pas, au contraire, des effets pervers ? Non, vous ne vous êtes pas vraiment posé ces questions, c’est évident ! Et pourtant, elles sont primordiales. Pour vous, l’important était de montrer que vous preniez des décisions et que vous agissiez face à ces nouveaux cyber-risques. C’est exactement la posture que vous reprochiez hier, avec force, à un certain Nicolas Sarkozy. Alors, je vais me permettre de répondre à ces deux questions.

La première question porte sur les conséquences de votre choix d’écarter le juge judiciaire préalablement. En quoi un délit commis sur internet doit-il faire l’objet d’une procédure ne permettant pas le débat contradictoire préalable et l’expression de la défense ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est faux !

Mme Laure de La Raudière. Tout le monde reconnaît que les images de pédopornographie en ligne ou de provocation au terrorisme sont abjectes et ignobles, et qu’il est de bon sens de les interdire et d’empêcher leur diffusion le plus rapidement possible. Mais, loi après loi, vous mettez le doigt dans un engrenage bien pervers. Texte après texte, vous diffusez une doctrine attentatoire aux libertés individuelles : quand un délit est commis sur internet, alors aucun juge n’est saisi au préalable. Or internet n’est pas un monde à part ou placé hors du droit. Le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à permettre le respect de l’ensemble des intérêts en présence lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques. Non seulement ce préalable constitue une garantie forte de la liberté d’expression, mais il vise aussi à préserver la liberté de communication et la neutralité des réseaux. Votre choix risque d’entraîner une systématisation du filtrage administratif ; c’est d’ailleurs ce qui avait été initialement proposé, dans une récente proposition de loi déposée par le groupe SRC, pour lutter contre les sites de proxénétisme.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a créé en février 2014 une commission ad hoc de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique. Composée de treize députés de tous bords et de treize personnalités qualifiées, cette commission est co-présidée par le député socialiste Christian Paul et l’ancienne bâtonnière Christiane Féral-Schuhl. Elle s’est fixé l’objectif de définir une doctrine et des principes durables en matière de protection des droits et libertés à l’âge numérique, et ainsi d’éclairer les travaux parlementaires sur cette question. Elle a remis à la commission des lois un avis très réservé sur l’article 9. Alors qu’il est issu du travail de députés et d’experts qualifiés, cet avis n’a pas été pris en compte.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. À la commission des lois, nous avons aussi travaillé sérieusement !

Mme Laure de La Raudière. La deuxième question porte sur l’efficacité du dispositif proposé. Monsieur le ministre, vous ne trouverez pas un seul expert en cybersécurité pour défendre votre mesure de blocage des sites internet. Telle est la réalité ! En effet, le diagnostic sur les techniques de blocage et de filtrage fait l’objet d’un consensus : ces techniques sont totalement inefficaces, et vous le savez.

Rentrons un peu dans le détail du choix des technologies qui s’offrent à vous pour mettre en place ce blocage – c’est important pour savoir si la loi sera applicable, mais vous ne nous en avez pas parlé. Les blocages par adresse IP ou par nom de domaine sont les plus aisés à mettre en place, mais soit ils conduisent à des « surblocages » de sites licites, soit ils sont très facilement contournables. Les blocages par inspection du contenu sont lourds à mettre en œuvre, dégradent la qualité de service internet et sont très attentatoires aux libertés individuelles, car ils consistent à inspecter l’ensemble des échanges sur internet et à bloquer les flux jugés illicites.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Et là, que fait-on ?

Mme Laure de La Raudière. C’est le genre de technique qu’utilisent les pays totalitaires. Je n’ose imaginer que vous utiliserez soit une technologie totalement inefficace, soit une autre très attentatoire aux libertés individuelles... Aussi aurez-vous l’amabilité, monsieur le ministre, d’indiquer devant la représentation nationale ce que vous avez prévu de faire avec l’article 9.

Les études montrent de plus que 80 % des contenus qu’il faudrait bloquer sont diffusés via des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Youtube. Les techniques de blocage actuelles, que je viens de citer, ne permettent pas de bloquer, sur ce type de sites, un seul contenu, une seule URL, une seule vidéo ou un seul message. On peut donc être sûr que les dispositions de l’article 9 ne seront quasiment jamais mises en œuvre, à moins de bloquer entièrement des sites parmi les plus fréquentés au monde. Parce que nous sommes là pour faire la loi – une loi applicable et efficace au regard d’un objectif fixé que nous soutenons tous –, je vous demande de revoir votre position sur l’article 9 relatif au filtrage d’Internet et de suivre l’avis éclairé de la commission ad hoc de l’Assemblée nationale, qui s’est opposée à ces dispositions.

Mme Isabelle Attard et M. François de Rugy. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous devons examiner aujourd’hui est un texte qui restreint certaines de nos libertés publiques constitutionnellement protégées, et ce pour contenir une menace terroriste. Comme vous le savez, un tel texte doit être justifié par un trouble à l’ordre public, et il doit prévoir des mesures permettant de mettre fin à ce désordre sans excéder ce qui est strictement nécessaire pour atteindre cet objectif. Je pense en particulier, bien sûr, aux articles 1er et 9, qui ont donné lieu à des débats.

L’article 1er de ce texte créé une interdiction de sortie du territoire qui peut être édictée par le ministre de l’intérieur à l’encontre de tout ressortissant français majeur s’il est établi qu’il projette des déplacements à l’étranger, notamment pour participer à des activités terroristes. Cette décision entraîne le retrait du passeport ou de la carte d’identité de la personne concernée. L’atteinte à la liberté d’aller et venir est au cœur de la mesure.

L’article 9 créé une possibilité pour l’autorité administrative de demander aux hébergeurs de sites internet de retirer de ces sites les contenus provoquant à la commission d’actes terroristes. Si tel n’est pas le cas, l’autorité administrative pourra demander aux fournisseurs d’accès à internet d’empêcher l’accès à ces sites. Cette disposition porte en elle le risque d’une atteinte à la liberté d’expression sur internet, nous en sommes tous conscients.

mais ces mesures fortes répondent à une menace contre laquelle nous devons nous défendre. Une menace qui provient aujourd’hui directement de citoyens français qui, dans un premier temps, quittent le sol français pour participer au djihad, actuellement surtout en Syrie ; puis, dans un deuxième temps, reviennent en France endoctrinés par de dangereux dogmes et traumatisés par la violence qu’ils ont vécue.

Aujourd’hui, près de mille de nos concitoyens sont en Syrie pour faire le djihad, et cette proportion grandit à la vitesse grand V. La menace terroriste sur notre sol existe donc bel et bien. Cet embrigadement est un phénomène épidémique qui appelle une réponse forte. Ce n’est pas une question de religion, ce n’est pas le fait d’une communauté. C’est une désespérance individuelle captée par des égorgeurs qui surfent sur internet et « capturent » leurs proies. Il s’agit de lutter contre une capacité destructrice à la portée des individus, dispersée : lutte difficile à mener. Cette lutte passe par le dispositif nouveau que nous allons voter, mais nous savons tous aussi qu’elle passe par une action publique élargie de prévention et d’insertion.

Une interrogation que nous avons tous partagée était de savoir si les mesures étaient proportionnées au danger identifié. Ma réponse aurait pu être nuancée avant l’examen du texte par la commission. Mais, à l’invitation du rapporteur et de la responsable du texte pour le groupe SRC Marie-Françoise Bechtel, dont je tiens à saluer le travail, ce texte a été travaillé en concertation avec le Gouvernement. Une série d’amendements accroît les garanties des personnes visées par ces dispositions, sans pour autant déprécier l’efficacité du dispositif.

Ainsi, le retrait du passeport ou de la carte d’identité faisant suite à l’interdiction de sortie du territoire, pris sur la base de motifs contrôlés en référé liberté, dans l’urgence donc – en quarante-huit heures –, et au fond ensuite, par le juge administratif, garant des libertés fondamentales, dans une procédure contradictoire donnant à la défense tous les éléments de fait et de droit avancés par l’État, constitue une procédure cohérente et sûre. La mesure de retrait devra être assortie de la délivrance d’un récépissé. La définition de l’incrimination pénale d’entreprise individuelle terroriste caractérisée a été précisée, et donc réduite. Le blocage des sites internet est devenu une mesure subsidiaire par rapport au retrait du contenu par l’éditeur ou l’hébergeur, suivant en cela une partie de la recommandation du 22 juillet de la commission de réflexion et de proposition sur le droit et les libertés à l’âge numérique. D’autres garanties sont susceptibles d’être apportées durant l’examen en séance publique : je pense notamment à la durée maximale de l’interdiction de sortie du territoire qui pourrait passer de six à quatre mois.

Dans un État démocratique comme le nôtre, dans lequel les libertés personnelles constituent le fondement même de notre contrat social, nous avons été particulièrement vigilants à l’équilibre de ce texte, équilibre que permet la place faite au juge, garant des libertés.

Ma dernière remarque s’adresse plus particulièrement à nous les députés, qui avons aux termes même de la Constitution une obligation d’évaluation et de contrôle. Nul besoin de mention de rapport dans la loi, cette évaluation s’impose de fait si nous en exprimons le besoin. Dans un texte qui est une réponse forte à une menace de terreur, à une barbarie hélas bien réelle, il nous reviendra d’apprécier l’efficacité de ce dispositif, et le caractère opérant de l’arsenal que nous mettons en place. II nous faut répondre à la menace terroriste, il nous faut légiférer ainsi que nous le faisons. Il nous faut ensuite évaluer la portée et l’efficacité de ce dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle est donc cette faillite, ce mal térébrant qui touche des enfants qui ont été nourris au sein de la patrie ? Les termes de sauvage et de barbare ne sont pas adaptés. Ces enfants sont en notre sein. Il s’agit de citoyens français, il ne s’agit pas de barbares au sens d’Ibn Khaldoun qui se trouvaient aux frontières de l’Empire et qui auraient eu vocation à remplacer une dynastie en place pour prendre le pouvoir. À moins que justement nous ne soyons si faibles que nous ne les laissions faire...

Monsieur le ministre, au moins deux de vos collègues manquent dans cet hémicycle. D’abord, votre collègue de l’éducation nationale car notre faillite commence dès l’école, où l’enseignement du roman national est oublié depuis des décennies, où l’enseignement de l’histoire de France, qui fait que l’on est Français à partir du moment où l’on prend pour ses propres dieux Lares, pour ses propres ancêtres nos rois, nos empereurs, nos savants, nos philosophes et nos écrivains pour devenir pleinement français, a été oubliée au nom d’un modernisme de pacotille, d’une sous-culture donnée à notre prolétariat pendant que les enfants de l’élite, par exemple les enfants de ministres, ont, eux, le droit d’aller dans les écoles privées pour continuer à apprendre l’histoire de France.

Comment faire pour que les enfants dont les parents ne parlent pas français, ou dont les parents sont abreuvés de jeux stupides à la télévision, puissent s’intégrer dans la société française alors que ces adultes ne cessent de leur dire que le monde est pourri, que les politiques ne servent à rien et qu’il n’y a aucun avenir ?

Monsieur le ministre, il serait salutaire que dans ce gouvernement, le chef de l’État prenne en compte la nécessité du retour de l’enseignement de l’histoire. Je parle bien de l’histoire de France. Car si, arrivé à un certain âge, il est utile de se tourner vers les grandes civilisations, il est absurde que des pré-adolescents, au collège, qui ne connaissent plus l’histoire chronologique de leur pays et de leur nation, se voient bombardés de faits sans lien avec les autres concernant les autres civilisations.

Le deuxième ministre qui devrait être à vos côtés est le ministre des affaires étrangères. Quelle est aujourd’hui la situation ? Elle est ubuesque. Le chef de l’État, suivant les Américains, comme toujours, voulait, il y a quelques mois, bombarder le camp d’Assad, pour lequel nous n’avons certes aucune affection, mais qui est le seul à tenir face à ceux que nous appelons, faute de mieux, les djihadistes, que nous-mêmes, occidentaux, avons armés.

Qu’en est-il du droit quand les États-Unis d’Amérique bombardent sans autorisation le territoire syrien alors que nous allons demander, comme il se doit, aux autorités irakiennes la possibilité de bombarder leur territoire national ? Quelle est la logique ?

Quelle est la logique lorsque la violence extrême fait irruption dans le symbole même du capitalisme mondialisé, un jour de septembre 2001 où deux tours s’effondrent ? Mais qui se souvient, trois ans après, des cent-quatre-vingt six enfants de Beslan, massacrés ? Qui n’a pas voulu prendre la main tendue par la fédération de Russie pour lutter ensemble, Européens de l’Atlantique à l’Oural, contre le terrorisme ? Quelle est donc cette politique qui suit en permanence les États-Unis d’Amérique sans faire entendre notre voix ?

M. François de Rugy. La droite séduite par Poutine !

M. Nicolas Dhuicq. Quelle est donc cette politique étrangère qui ne défend pas avant toute chose les intérêts de la France, mais suit en permanence, y compris à l’est, les intérêts qui ne sont pas les nôtres ?

Monsieur le ministre, votre texte de loi est certes utile, mais il ne résoudra rien. Dans nos rapports avec les Islam – j ’emploie à dessein le terme au pluriel –, comment se fait-il que sur le territoire national, on ne donne pas davantage la parole à celles et ceux qui rappellent que le véhicule est moins important que le but recherché ? Quelle est cette politique qui laisse la parole à des représentants autoproclamés qui ne représentent qu’eux-mêmes ? Pourquoi ne fait-on pas plus de place aux recherches récentes sur le Coran qui, contrairement au dogme sunnite, tendent à montrer que celui-ci était, au départ, écrit en araméen et que la traduction des versets à partir de l’araméen donne un sens tout à fait différent de ceux traduits à partir de l’arabe littéral.

M. Alain Marsaud. Très bien !

M. Nicolas Dhuicq. Comment se fait-il que nous ne prenions pas davantage en compte le rapport avec le monde chiite, qui donne une possibilité d’exégèse ? Comment se fait-il que nous laissions les Américains, toujours eux, condamner la BNP, interdire à Peugeot de travailler sur le sol de la Perse, alors qu’eux-mêmes préparent leur retour et qu’ils n’ont jamais cessé le commerce avec l’Iran, par personnes interposées ? Comment se fait-il, il y a quelques mois, que nous n’ayons pas dénoncé le fait que les autorités turques aient été obligées de donner des passeports à des réfugiés syriens djihadistes ?

Nos termes ne sont pas les bons. Nous qui avons le ventre plein, qui vivons dans une société où toute métaphysique est éloignée, qui oublions les paroles profondes des grandes religions, qui sommes plongés dans le consumérisme comme seul projet, pourquoi ne prenons-nous pas en compte deux dimensions psychologiques chez ceux qu’on appelle les djihadistes ?

Tout d’abord, dans une société dévitalisée, dévirilisée, pourquoi ne prend-on pas en considération la volonté, même pervertie, de vie brève, de vie qui vaut la peine d’être vécue, au nom d’un idéal de sensation même perverti ? Ensuite, pourquoi ne prend-on pas en compte le projet politique qui est derrière ?

Monsieur le ministre, au plan international, quelle est la situation de nos armées avec un budget de la défense dégradé sans cesse depuis des années ? Notre armée de l’air doit intervenir sur plusieurs théâtres d’opérations avec des ravitailleurs en vol qui sont plus vieux que les pilotes ! À quand le MRTT chez votre collègue de la défense nationale ?

Avec une intervention au sol en Afrique où les lignes de communication sont étendues au maximum, on peut craindre à terme des revers par des attaques sur ces lignes. Ce qui nous fait penser à ce qui s’est passé il y a quelques années à Kandahar, où une seule voie, contrôlée par un cousin de Ben Laden, fut attaquée à plusieurs reprises, privant de pétrole l’aviation de l’alliance, en particulier l’aviation américaine. C’est incohérent. Nous ne retenons rien de l’histoire militaire. Nous qui avons le ventre plein, qui croyons vivre en paix éternellement, qui sommes pleins de certitudes, nous allons adopter des lois d’exception au mépris du droit qui fonde notre civilisation. De la sorte, faute de mieux, nous allons donner une première victoire à ceux que nous appelons les terroristes.

Je ne sais pas, d’un point de vue moral, quelle sera mon attitude, monsieur le ministre, par rapport à cette loi. Ce que je sais, c’est qu’elle ne résoudra rien du problème de fond tant que nous ne reviendrons pas à la constitution d’un roman national ; et tant que nous ne reviendrons pas à une position ferme dans les domaines où le territoire républicain est sans cesse grignoté.

Dans les prisons, monsieur le ministre, le règlement pénitentiaire n’est pas appliqué, je l’avais dénoncé il y a plusieurs années à votre prédécesseur. On installe des portiques, mais les prisonniers ne les empruntent pas avec leurs objets métalliques, tant les gardiens ont peur de prendre un coup dans le ventre par une arme fabriquée dans les ateliers même des centrales de France, monsieur le ministre ! Les portes sont ouvertes. Comment se fait-il qu’un magistrat accepte, sous prétexte de prières au moment où il doit recevoir un détenu, que celui-ci soit raccompagné par nos gendarmes ? Comment se fait-il que, sous prétexte de prières, que dans les prisons, les centrales de France, on autorise trois personnes à rester dans la cellule contrairement au règlement intérieur ?

Par rapport à la conquête, pas à pas, du territoire par celles et ceux qui utilisent un islam sunnite dévoyé, comment se fait-il que nous n’ayons rien fait depuis des années ?

Alors, monsieur le ministre, vous faites ce que vous pouvez, mais il nous faut davantage réfléchir au sens des mots que nous employons. J’ai été sensible aux propos de mon collègue Malek Boutih. Même s’ils utilisent une violence digne d’Orange mécanique, ces gens qui font la guerre, là-bas, sont nos enfants. Ils sont parmi nous et si nous ne luttons pas pied à pied par l’enseignement de l’histoire, et par le respect de la loi, y compris en prison, nous aurons perdu cette guerre et dans quelques années, le temps d’une génération, nous aurons tous disparu.

M. Alain Marsaud. Très bien.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte doit être voté. Il ne le sera pas de gaieté de cœur car, à l’évidence, il répond à une situation de guerre, mais il est nécessaire. Jamais, en effet, la menace terroriste n’a été aussi importante ni aussi proche ; vous l’avez décrite et je n’y reviendrai donc pas longuement.

Je m’attacherai à dissiper les craintes que ce texte suscite chez certains et à démontrer que, s’il est exceptionnel, il ne constitue pas pour autant un recul face à nos idéaux et à l’espoir d’une société de plus en plus démocratique. La logique en est simple : elle consiste, pour l’interdiction de sortie du territoire et le blocage administratif des sites, à inverser la pratique habituelle, qui réserve à l’autorité judiciaire le pouvoir de prendre des décisions de coercition à l’encontre des individus ou de certains sites internet.

Cette inversion est absolument nécessaire car, compte tenu du délai de convocation devant le juge des libertés de la personne suspectée de vouloir fuir à l’étranger pour combattre aux côtés des djihadistes, cette personne aura tout le temps de fuir avant l’audience. Il doit donc s’agir d’abord d’une décision administrative, susceptible d’être ensuite contestée.

Cette inversion est également nécessaire pour le blocage des sites internet. Je n’aborderai pas à ce propos la question de savoir si ce blocage peut être efficace ou s’il peut être contourné, car c’est là une discussion de spécialistes. En tout état de cause, la qualité du blocage est indépendante de la procédure appliquée.

Une décision administrative est toutefois nécessaire, car il est impossible de convoquer devant un juge des libertés un hébergeur inconnu qui se cache sur des réseaux difficiles à décrypter ou domicilié à l’étranger. Là encore, l’inversion est nécessaire.

Pour ce qui est de l’interdiction de sortie du territoire, les garanties apportées sont suffisantes, car le juge administratif peut statuer sur la légalité et l’opportunité de la mesure.

Enfin, grâce à Sébastien Pietrasanta, notre rapporteur, et à Marie-Françoise Bechtel, responsable du texte, des garanties supplémentaires ont été apportées pour ce qui concerne le blocage des sites internet. Une mise en demeure est d’abord adressée à l’hébergeur et, à défaut d’exécution dans un délai de 24 heures, le fournisseur d’accès est sommé de procéder au blocage, le tout sous le double contrôle d’une personnalité qualifiée nommée par la CNIL, puis par le juge administratif. Ainsi les garantie sont là, et elles sont importantes.

Peut-être pourrait-on apporter d’autres éléments à ce texte. Il serait notamment bon, comme le souligne M. Malek Boutih, de penser au retour, qui aura lieu tôt ou tard, sans pour autant envisager la perte de nationalité, dont le maniement est si difficile que cette mesure serait absolument inefficace.

Il ne faut pas non plus créer de nouveau délit, car la loi française permet déjà de demander des explications et d’inculper en fonction des crimes et délits commis à l’étranger par des ressortissants français. Il faut, en revanche, veiller à la réinsertion de ceux qui auront rendu des comptes et, le cas échéant, auront été condamnés pour des exactions, des crimes ou des délits commis à l’étranger, afin qu’ils puissent être réintégrés dans la société française et oublier autant que possible les scènes épouvantables qu’ils ont vues et vécues, et auxquelles ils ont peut-être participé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous remercier, au terme de cette discussion générale, pour la qualité des débats que nous avons eu ce soir et qui ont permis à l’ensemble des orateurs de tous les groupes de l’Assemblée nationale d’apporter leur contribution au débat, de faire part de leurs remarques et de désigner des points susceptibles d’amélioration dans le cadre de la discussion qui s’ouvrira demain, afin que notre pays soit correctement armé pour faire face au risque terroriste qui, je l’ai senti, est pris à sa juste mesure dans cette assemblée.

En réponse aux différents orateurs qui se sont exprimés, parfois d’une manière convergente entre la majorité et l’opposition, pour exprimer des inquiétudes, des interrogations et des propositions d’amendements, j’aborderai certains des sujets qui me paraissent les plus importants.

D’abord, comme l’ont souligné MM. Alain Marsaud et Alain Tourret, comment trouver le juste équilibre entre la nécessité d’assurer la protection efficace de nos ressortissants menacés par le risque terroriste sans remettre en cause à aucun moment des libertés fondamentales auxquelles nous sommes tous collectivement attachés ? Contre l’idée que cette loi pourrait être une loi d’exception, voire exceptionnelle, je tiens à dire qu’elle n’est ni l’un, ni l’autre. Il existe des principes généraux du droit et des principes constitutionnels. Nous sommes dans un État de droit où des moyens de police administratifs permettent de prévenir la possibilité de délits. Au regard de l’état actuel du droit constitutionnel, du droit administratif et des principes généraux du droit français, les dispositions que nous avons arrêtées dans ce texte ne présentent rien d’exceptionnel.

Lorsque nous décidons par exemple de confier au juge administratif le soin de contrôler des décisions d’interdiction administrative que nous prenons, nous ne faisons qu’appliquer les principes du droit existant. Il n’y a rien là d’exceptionnel, car il est dans l’ordre du droit administratif de prévenir des troubles à l’ordre public. Ainsi, lorsque nous décidons d’interdire par un acte administratif la sortie du territoire d’un individu dont nous sommes convaincus, au terme des enquêtes engagées, qu’il pourrait quitter le territoire national pour commettre des actes de terrorisme d’une extrême gravité, nous respectons les principes du droit administratif. Et lorsque nous demandons au juge administratif de contrôler les conditions dans lesquelles s’applique notre décision, nous obéissons aussi au principe, posé par la séparation des pouvoirs, selon lequel le juge administratif doit être chargé du contrôle des actes de l’administration visant à prévenir des délits ou d’éviter des troubles à l’ordre public.

Lorsque je lis ou entends dire que la loi que je présente aujourd’hui devant vous est une loi d’exception, qui remet brutalement en cause l’ensemble de l’architecture juridique française pour nous permettre, au nom de la sécurité, de rogner des libertés fondamentales auxquelles les Français sont attachés – comme si tel était l’objectif même de cette loi, et non pas de protéger les Français contre ce risque –, je me demande si ceux qui prononcent ces paroles sont bien informés de l’état du droit, de l’ordre juridique dans lequel nous raisonnons, des principes constitutionnels et des principes généraux du droit qui régissent le fonctionnement de l’État et de l’administration.

Je tiens à insister sur ce point essentiel pour que, dans nos débats, nous puissions aller au fond des choses lorsqu’il s’agira de ces équilibres. Je reviendrai donc sur deux sujets : l’interdiction administrative de sortie du territoire et, pour répondre à Mme Laure de La Raudière, le blocage de l’internet.

Pour ce qui concerne tout d’abord l’interdiction administrative de sortie du territoire, certains parlementaires, comme M. Marc Dolez, ont exprimé des craintes que je considère comme légitimes et qui appellent réponse. Légitimes, elles ne le sont pas parce qu’elles seraient fondées, mais parce qu’il n’est jamais mauvais d’avoir un tel débat. La question est donc de savoir si la liberté fondamentale d’aller et de venir serait remise en cause par l’adoption de cette disposition visant à empêcher la sortie de ceux dont un nombre suffisant d’éléments en notre possession nous permet de penser qu’ils vont partir s’engager dans des groupes terroristes, et si le contrôle du juge administratif permet d’assurer la protection de ceux qui se trouveraient ainsi empêchés de sortir.

En premier lieu, la véritable préoccupation en termes de libertés publiques et de droits de l’homme n’est-elle pas d’éviter que de jeunes – ou moins jeunes – ressortissants français s’engagent sur le terrain d’opérations djihadiste, où l’on sait qu’ils procéderont à des actes qui les exposeront dès leur retour à des condamnations pénales et, surtout, détruiront leur psychologie, tant ces personnes auront fréquenté la violence sous la forme de décapitations, d’exécutions, de crucifixions et d’autres actes dont les vidéos diffusées sur internet témoignent de la réalité sur ce théâtre d’opérations à l’étranger.

Par quelle funeste inversion du raisonnement, qui met un incommensurable bazar dans tous les esprits, le fait d’empêcher des ressortissants de notre pays de commettre des actes hautement attentatoires à l’idée que nous nous faisons des droits de l’homme et propres à la fois à occasionner des violences d’une extraordinaire barbarie et, au-delà de leurs victimes, à détruire la psychologie de leurs auteurs, et de vouloir en préserver ces citoyens dès lors qu’on est convaincu qu’ils accompliront ces actes, en leur interdisant administrativement, sous le contrôle du juge, de les commettre, remettrait-il en cause les libertés fondamentales, comme s’il existait une liberté de tuer, de décapiter, d’assassiner ou de se détruire psychologiquement, et comme si les libertés fondamentales auxquelles nous sommes attachés étaient destinées à le permettre ? Je ne peux accepter ce raisonnement, compte tenu de la gravité extraordinaire des faits dont il est question, et parce que le juge administratif, en charge du contrôle des conditions dans lesquelles nous procédons à cette interdiction et qui peut agir à cette fin en référé, est un juge des libertés.

Un deuxième raisonnement que je n’accepte pas, maintes fois utilisé et galvaudé, et qui repose sur une idée fausse, est qu’il y aurait d’une part un juge judiciaire garant des libertés, et de l’autre un juge administratif dont la fonction serait d’empêcher systématiquement que ces libertés soient reconnues. C’est ignorer la jurisprudence du juge administratif et son apport à la reconnaissance des libertés, fondamental dans la République depuis des décennies, et même des siècles. Certains parlementaires qui sont également d’excellents juristes, passés parfois par le conseil d’État, savent bien que, depuis l’arrêt Benjamin de 1933, le Conseil d’État, le juge administratif, est constamment protecteur des libertés publiques et individuelles.

L’idée qu’il faudrait s’en remettre toujours au juge judiciaire parce que le juge administratif ne saurait jamais préserver la liberté individuelle et publique est donc une idée fausse, qui traduit une méconnaissance de l’état du droit, et cette question mérite dans cette assemblée un autre traitement que celui qui lui est parfois réservé par les médias, lesquels ont à ce propos des lumières et des connaissances que la plupart d’entre vous n’avez pas.

Madame de La Raudière, j’aimerais vraiment me laisser convaincre par vous mais, malgré mes efforts pour me mettre votre place, je n’y parviens pas.

Mme Laure de La Raudière. Nous avons tout notre temps !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le raisonnement qui guide votre démarche et celle de certains parlementaires socialistes consiste à considérer qu’internet étant un espace de liberté, la volonté de couper l’accès à certaines vidéos ou à certains éléments de propagande véhiculés par Internet, qui sont de véritables appels à perpétrer des crimes et à s’engager dans des groupes terroristes qui sont très loin de défendre les libertés individuelles et les valeurs des droits de l’homme auxquelles nous tenons, serait une remise en cause des libertés individuelles sur le Net.

Mais, madame de la Raudière, si vous croisez demain dans les rues de Paris des manifestants brandissant des pancartes sur lesquelles figurent les photos abjectes que l’on trouve sur internet, les slogans d’endoctrinement et d’embrigadement abjects que l’on trouve sur internet, vous vous retournerez vers moi à juste titre pour me demander, et vous aurez raison de le faire : « Monsieur le ministre de l’intérieur, comment se fait-il que, dans l’espace public, il y ait de tels appels à la haine ? Comment se fait-il que, dans l’espace public, il y ait une telle volonté d’endoctrinement et que vous ne fassiez rien, au titre des pouvoirs de police administrative qui sont les vôtres, pour y mettre fin ? »

Mme Laure de La Raudière. Et justement, que feriez-vous ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ainsi, dans certains espaces publics, la rue par exemple, il faudrait immédiatement faire cesser ce type de troubles à l’ordre public et, dans d’autres, sacralisés pour des raisons que l’on ignore, il faudrait se dispenser toujours d’intervenir par des pouvoirs de police pour faire cesser le trouble à l’ordre public !

Mme Laure de La Raudière. Pas du tout ! Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne comprends pas au nom de quoi, sous prétexte qu’il s’agit du numérique, de technologies modernes, il faudrait s’abstenir de faire dans ces espaces publics, qui méritent que la liberté y soit consacrée autant que dans tout autre, ce que l’on s’autoriserait à faire dans d’autres espaces où ces libertés seraient bafouées.

M. Pascal Popelin. Absolument !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’accède pas à ce raisonnement !

Vous me dites ensuite : « Ce n’est pas bien, parce que vous le faites par l’intermédiaire du juge administratif, qui assurera le contrôle de la décision administrative prise par vous, et non par le biais du juge judiciaire. » Je répondrai ceci : tout d’abord, que faites-vous si, demain, étant à ma place, vous constatez que certains sites conduisent à l’embrigadement de dizaines et de dizaines de jeunes dans nos quartiers, que l’action publique n’est pas déclenchée, que le juge judiciaire n’intervient pas et qu’il y a urgence ? Vous serez alors obligée de prendre une décision, d’intervenir. Ne pouvant le faire sans que le juge ne vous contrôle, vous demandez donc à une personnalité qualifiée de donner son avis, dont vous tenez compte, et vous demandez au juge judiciaire de contrôler les conditions dans lesquelles vous procédez au blocage des sites, et vous ne le faites qu’après avoir demandé à l’hébergeur de bien vouloir lui-même procéder à la régulation.

C’est donc une grande confiance que traduit le dispositif que nous mettons en place. Cette grande confiance est celle que l’on veut voir prévaloir dans la relation avec les opérateurs internet et les hébergeurs. Nous commençons par leur demander de retirer les images et, si les hébergeurs ne le font pas eux-mêmes – ce qui d’ailleurs ne serait pas très logique compte tenu du grand esprit de responsabilité que vous leur prêtez et qui doit les conduire à s’autoréguler –, alors nous le faisons nous-mêmes, au titre des pouvoirs de police administrative dont nous disposons, sous le contrôle du juge administratif, qui est un juge des libertés. Le juge judiciaire, s’il constate que les raisons pour lesquelles nous demandons la disparition de ces images peuvent relever d’une infraction pénale, peut tout à fait prendre, dans la foulée, le relais de ce que nous faisons avec le juge administratif, parvenant ainsi à la judiciarisation que vous appelez de vos vœux.

Je ne comprends donc pas d’où vient le raisonnement qui consiste à dire que ce que nous nous proposons de faire sur internet est hautement attentatoire aux libertés publiques, comme s’il y avait une liberté d’appeler au djihad et au crime sur internet sans préjudice aucun pour les hébergeurs et les opérateurs qui procèdent à cela ; puis, que cela se fait au détriment du juge judiciaire, alors qu’il peut à tout moment prendre le relais ; enfin, que cela peut éventuellement conduire à la remise en cause de libertés individuelles, que nous protégeons précisément grandement en mettant en œuvre les dispositifs dont je vous parle.

Comme vous le voyez, j’ai pris deux exemples qui montrent que, sur les sujets dont nous parlons, il y a beaucoup de postures – beaucoup ! – parce que l’on regarde les sujets auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, à une époque où le terrorisme est en libre accès pour toutes les raisons indiquées depuis le début du débat, comme si nous étions dans la situation des années 1980 ou des années 1970; On avait alors des groupes terroristes composés de quelques personnes seulement, qui commettaient des actes de façon ponctuelle sans aucun risque sérieux pour l’équilibre de nos sociétés. Or ce n’est pas la situation dans laquelle nous nous trouvons, même si je suis le premier à le regretter ! Si l’on veut protéger nos libertés, si l’on veut protéger nos valeurs, si l’on veut protéger la République, si l’on veut protéger ses principes, si l’on veut s’insurger contre toutes ces formes de violence qui sont attentatoires aux droits de l’homme, qui sont le contraire de ce pourquoi tous les humanistes dans la République se sont battus, alors il faut prendre la mesure du problème, dire réellement quelle est la nature du danger et s’armer pour faire en sorte que nos libertés ne soient jamais atteintes.

Enfin, il y a un dernier point sur lequel je voudrais insister : des propositions d’amendements ont été présentées, sans d’ailleurs que les choses soient jamais vraiment dites quant à leur contenu, par l’opposition sur le thème : « Il faut s’occuper de ceux qui reviennent ». Vous avez raison : il faut s’occuper de ceux qui reviennent ; M. Bertrand, notamment, a dit cela. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous en occupons grandement ! Des incriminations pénales existent d’ores et déjà : certaines sont anciennes, comme l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, d’autres vont être créées, comme l’entreprise terroriste individuelle. Lorsque nos services récupèrent, comme c’est le cas parfois dans le cadre de coopérations avec d’autres pays de l’Union européenne, et parfois aussi dans le cadre d’une coopération avec la Turquie, des ressortissants français qui sont engagés dans des opérations djihadistes, en commettant des crimes qui relèvent de ces infractions pénales, nos services procèdent immédiatement à l’audition de ces djihadistes et de ces terroristes, procèdent à leur mise en examen, à leur mise sous contrôle judiciaire et à leur emprisonnement. Je veux d’ailleurs vous indiquer que nous avons, parmi les cent quatre-vingt-cinq qui sont revenus, procédé à plus d’une centaine d’interpellations – ce qui ne veut pas dire que d’autres n’interviendront pas –, à près de soixante-dix mises en examen et à plus de cinquante incarcérations. Cette proportion très significative est donc bien la preuve que nous sommes en situation aujourd’hui d’agir dès lors qu’ils reviennent ; et comme nous créons une incrimination pénale supplémentaire qui nous permettra d’être plus efficaces dans le traitement de ces personnes, nos services de police, de renseignement et de justice sont armés pour faire face à ces retours. Ce que nous allons mettre en place dans le cadre de la loi nous permettra d’être plus efficaces encore.

Enfin, je voudrais terminer en disant un mot au député Collard – je regrette qu’il ne soit pas là. Le député Collard dit : « Il faut prendre la mesure des choses, il faut que vous fassiez ce qu’il faut, vous êtes responsables de ce que vous ne faites pas, vous êtes d’ailleurs aussi responsables de ce que vous faites » – ce qui est vrai – et par ailleurs, « vous devez faire en sorte que le juge, le juge, le juge… » – toujours le juge ! Je réponds la chose suivante à M. Collard : Mme Le Pen, dans une interview qu’elle a donnée il y a dix jours, et que je vous invite à lire – peut-être M. Collard ne l’a-t-il pas vue ? –, proposait simplement qu’on ne prenne pas de dispositions pour empêcher le départ des ressortissants français vers les groupes djihadistes. Selon elle, le problème n’est pas qu’ils partent ou qu’ils ne partent pas, mais qu’ils ne reviennent pas. Mais tout d’abord, pour qu’ils ne reviennent pas, il faudrait qu’ils soient partis ! Notre objectif à nous est d’empêcher qu’ils partent parce que, s’ils partent, on sait vers quoi ils se dirigent, on sait la violence qu’ils fréquenteront, on sait le danger qu’ils représenteront.

Je trouve qu’il n’est pas responsable, de la part de gens qui parlent haut et fort tous les jours sur la sécurité, de faire des déclarations de ce type qui sont hautement irresponsables compte tenu de ce que l’on sait des actes commis par ceux qui sont partis ! À quoi sert-il de s’indigner – et on a raison de le faire – du fait que Mehdi Nemmouche ait pu être le geôlier et le tortionnaire de nos journalistes si, dans le même temps que l’on constate les actes qu’il a commis après qu’il est parti, on propose que l’on ne fasse rien pour empêcher les gens de partir ? Cela n’a pas de sens ! C’est d’une incohérence absolue !

Par ailleurs, quand M. Collard dit : « Le juge, le juge, le juge ! », vous avez remarqué que, dans les dispositions législatives qu’on vous propose, le juge est partout ! Il est partout en contrôle, avec la volonté d’assurer la protection des libertés publiques ; c’est la raison pour laquelle le juge administratif, sans préjudice de l’intervention du juge judiciaire, a été mobilisé.

Voilà ce que je voulais vous dire, en vous remerciant toutes et tous pour la qualité de vos contributions à ce débat. Nous nous retrouverons demain pour entrer dans le détail du texte : ce sera encore plus passionnant que d’évoquer les généralités d’aujourd’hui, qui furent de toutes les façons une excellente contribution au débat. Je reforme le vœu que ce sujet qui nous occupe soit traité de façon très républicaine – mais j’ai remarqué que c’était l’esprit de tous les groupes –, avec la volonté de faire en sorte que, sur cette question, dans un esprit d’unité nationale, nous puissions être armés face à un risque qui menace nos libertés publiques, la sécurité de nos ressortissants et les équilibres démocratiques auxquels notre pays est grandement attaché. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à quinze heures :

Déclaration de politique générale du Gouvernement, débat et vote sur cette déclaration.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 16 septembre 2014, à zéro heure dix.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly