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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 26 novembre 2013

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Programmation militaire 2014-2019

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale (nos 1473, 1551, 1540, 1537 et 1531).

Présentation (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre de la défense, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, dans la mémoire de l’Assemblée nationale, en tout cas sous cette République, c’est en juin 1973 que fut déposée, par le président du groupe socialiste, la première initiative parlementaire en matière de renseignement.

Il s’agissait, pour Gaston Defferre, d’obtenir la création d’une commission d’enquête sur « le contrôle des services administratifs procédant aux écoutes téléphoniques ». Soumise aux votes, elle fut naturellement rejetée quelques mois plus tard, en décembre.

À la suite de cette première tentative, de nombreux artifices furent utilisés par le Parlement pour obtenir un pouvoir de contrôle, pouvoir qu’il n’avait pas, à la différence des structures comparables dans les autres pays européens.

Entre 1973 et aujourd’hui, j’ai compté pas moins de onze propositions de loi, résolutions ou amendements. Formellement, d’ailleurs, c’est au groupe communiste que l’on doit, en septembre 1985, après l’affaire du Rainbow Warrior, la première suggestion de création d’une « délégation parlementaire permanente chargée du contrôle des services secrets ».

Certaines démarches furent assez sérieusement engagées. C’est ainsi que la commission de la défense adopta le 23 novembre 1999 une proposition de loi déposée par son président Paul Quilès. Mais cette proposition de loi, pas plus que celles qui l’avaient précédée, n’a pu prospérer, le gouvernement de l’époque s’y étant opposé, avec la même régularité que ses prédécesseurs. Notre pays, marqué par une forte tradition du secret, s’obstinait à réduire le Parlement à sa plus simple expression.

Songeons qu’aux Pays-Bas, une commission permanente de la chambre basse contrôle les services de renseignement depuis 1952, et que, dans la Chambre des députés italienne, la commission parlementaire pour les services de renseignement et de sécurité et pour le secret a été créée en octobre 1977.

Le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, est donc réellement singulier. À rebours de notre histoire, pour la première fois, c’est à l’initiative du Gouvernement que va être franchi un pas décisif.

Certes, ce n’est pas la première fois que le sujet des services de renseignement est discuté dans cette enceinte : ce fut notamment le cas le 24 novembre 2005. Notre assemblée débattait alors d’un projet de loi de lutte contre le terrorisme et le rapporteur d’alors, Alain Marsaud, membre de la commission des lois, avait déposé un amendement traduisant son intention de faire accepter un contrôle parlementaire sur les services de renseignement. Son initiative avait recueilli l’approbation personnelle du ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, mais elle fut repoussée, à la demande du même ministre, qui évoqua des « réticences » existant au sein du gouvernement auquel il appartenait. Pour que chacun puisse remettre cela dans son contexte, l’actualité était alors occupée par une affaire dite « Clearstream », ce qui nous éclaire sans doute sur l’identité des autorités frileuses qu’évoquait Nicolas Sarkozy.

M. Yves Fromion. Quel mauvais esprit !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. On en reparla le 26 juillet 2007. L’Assemblée débattait alors, à l’initiative du ministre chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, d’un projet de loi créant une délégation parlementaire au renseignement.

La commission des lois, saisie au fond, avait désigné Bernard Carayon comme rapporteur et la commission de la défense, qui s’était saisie pour avis, avait nommé Yves Fromion rapporteur pour avis. La volonté de faire un pas était évidente, mais sans aller jusqu’au contrôle. Comme l’écrivait alors le rapporteur de la commission des lois, « le terme de  contrôle  n’est volontairement pas utilisé dans le projet de loi, celui-ci ayant une connotation trop intrusive ». Le texte fut voté, mais sans que l’emprise naturelle de l’exécutif dans le domaine du renseignement ne soit réellement questionnée.

Vous nous proposez donc, monsieur le ministre, de faire un pas supplémentaire, un pas décisif, celui qui, selon les termes qui figuraient initialement dans l’article 5 du projet de loi déposé au Sénat, permettra à la délégation parlementaire au renseignement d’ « exercer le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine ».

Au nom de la commission des lois, qui a voté à l’unanimité les amendements que nous avions déposés – comme l’a dit cet après-midi Patrice Verchère –, je veux donc saluer avec force cette avancée qui est bien traduite par les mots que vous avez choisis, monsieur le ministre, dans votre texte.

Parce que le renseignement est tout à la fois une politique publique et une activité essentielle à la protection de notre démocratie, il était sain de rompre avec la culture du silence.

Trop longtemps dans notre pays, pour paraphraser une expression consacrée, la peur que l’on voie certains arbres était telle qu’il n’était même pas permis de décrire la forêt. Il était urgent que l’action de nos services soit contrôlée, tout simplement parce que le contrôle est la nécessaire contrepartie du secret qui caractérise l’activité des services et des moyens potentiellement attentatoires aux libertés publiques dont ils peuvent être amenés à user.

Cette fonction est même vitale, et d’elle, du contrôle, dépend la légitimité des services de renseignement aux yeux du public. C’est donc à ce titre qu’elle doit devenir, comme dans toutes les autres démocraties occidentales, un élément constitutif de la bonne gouvernance dans le domaine de la sécurité.

Encore faut-il que nous nous entendions sur le contenu même du terme de « contrôle ». Son champ est relativement varié. Si la plupart des pays se cantonnent à l’examen rétrospectif des activités des services, quelques-uns, comme le Congrès américain ou le Parlement norvégien, s’autorisent une forme de surveillance sur les opérations en cours.

Les formes de ce contrôle peuvent aussi être très diverses. Elles peuvent porter sur l’efficacité de ces organismes, y compris dans l’affectation des ressources, sur la conformité des activités de renseignement avec la loi, ou encore sur leur régularité déontologique.

Ce contrôle peut se traduire par la prise de directives exécutoires visant à remédier à des dysfonctionnements ou la formulation de recommandations destinées au Gouvernement et aux services afin qu’ils adoptent des mesures correctives.

Je note d’ailleurs que les diverses structures parlementaires existantes ne donnent pas la même définition au terme de « contrôle ». Ainsi, par exemple, les Canadiens en distinguent deux types : la « surveillance », qui relève de la supervision de la gestion d’un service, et l’« examen », qui vise à effectuer, a posteriori, une évaluation indépendante du fonctionnement d’une instance, en insistant sur les recommandations relatives aux mesures correctives.

Le contrôle que vous nous proposez, monsieur le ministre, et qui me paraît le plus judicieusement nourri des expériences étrangères, est celui que l’on pourrait appeler un « contrôle externe de responsabilité », c’est-à-dire le contrôle par le Parlement de l’usage des services de renseignement par le pouvoir exécutif. En effet, aux termes d’une décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001 – curieusement, le Conseil avait été saisi par les sénateurs, qui contestaient le principe de la création de la commission de vérification des fonds spéciaux –, le Parlement ne pouvait pas s’intéresser aux « opérations en cours » menées par les services. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs oublié de définir ce qu’était une« opération en cours ».

Dans les limites de la Constitution et de la préservation de l’activité de ces services au profit de la nation, les parlementaires vont ainsi renouer avec leur mission fondamentale, qui a trop longtemps été ignorée dans ce domaine. Ils vont pouvoir se concentrer sur l’évaluation du Gouvernement et non sur le détail de l’horlogerie des services de renseignement, qui certes satisfait la curiosité, mais n’apporte rien à un député dans l’exercice de ses fonctions.

Les services spécialisés vont y gagner en légitimité, puisqu’ils vont dorénavant trouver une instance devant laquelle s’exprimer en cas de crise, loin du tumulte médiatique.

En un mot, les impératifs démocratiques rejoignent les conditions d’une plus grande efficacité de notre appareil de renseignement. Pour autant, même une fois ce texte voté, le travail ne sera pas terminé. Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’il puisse l’être totalement un jour.

C’est ce que nous avons voulu démontrer dans le rapport que j’ai eu le plaisir de cosigner avec Patrice Verchère, travaillant sur le cadre juridique des services de renseignement. Il nous semble en effet indispensable que, au-delà de cette loi de programmation militaire, modifiée par les amendements adoptés par le Sénat et améliorés par la commission de la défense, le Parlement puisse être un jour saisi d’un texte ayant la double vocation de légitimer les services de renseignement pour en favoriser l’action.

Légitimer, d’abord, car, aussi bizarre que cela puisse paraître, les missions des services de renseignement de notre pays ne sont pas définies par la loi. Seuls des décrets précisent quelles sont leurs fonctions. Or, seule la loi peut prévoir les dérogations au droit commun, conformément à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou à l’article 34 de la Constitution.

Il conviendra ensuite de favoriser l’action de nos services. Dès lors que l’action qu’ils conduisent est une politique publique qui permet à l’État d’assurer la sécurité des citoyens et la protection de ses intérêts comme de ses valeurs, il convient de leur octroyer des ressources proportionnelles au but poursuivi, c’est-à-dire, en l’espèce, des moyens humains et matériels – qui sont évoqués dans la loi de programmation militaire –, des moyens juridiques – nous en manquons encore – et des moyens technologiques, dont la performance devra toujours être améliorée.

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements pour préciser ces points. Je ne doute pas qu’ils sauront recueillir, si ce n’est votre approbation immédiate, du moins votre engagement à les faire aboutir dans les années qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. François Fillon.

M. François Fillon. Voilà bien longtemps, monsieur le ministre, que nous suivons tous les deux les questions de défense et, connaissant vos convictions, je puis vous dire toute mon estime. Elle me portera à vous exprimer mes craintes et mes critiques avec franchise.

Notre politique de défense ne se prête pas aux postures partisanes. En la matière, l’intérêt national doit être notre seul guide. Lorsque j’ai approuvé l’intervention française au Mali, le calcul n’a tenu aucune place dans mon propos. Lorsque j’ai émis des réserves sur une éventuelle intervention en Syrie, où nous aurions été conduits à violer la Charte des Nations unies, c’est-à-dire le droit international, pour réprimer des crimes commis contre ce même droit, je n’ai pas agi différemment. Avec ce projet de loi de programmation militaire, je vous interpelle sans esprit partisan, mais avec gravité et responsabilité.

Nous célébrerons bientôt le centenaire de la Grande Guerre. En 1914, l’armée française pouvait aligner un soldat tous les dix mètres de Nice à Dunkerque. Aujourd’hui, et dans le même dispositif, les soldats iraient simplement de la porte Maillot à la porte de la Chapelle.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Comparaison n’est pas raison !

M. François Fillon. Il serait évidemment absurde d’en déduire que nous avons collectivement baissé notre garde. Les menaces ne sont plus les mêmes. Mais la seule question qui vaille est de savoir si nous ne sommes pas en passe d’aller en deçà de ce qui est nécessaire pour garantir notre sécurité et notre influence sur la scène internationale. L’armée de conscription a disparu et, avec elle, cette armée à deux vitesses : l’une immobile face à l’Est, l’autre active sur les théâtres d’opérations extérieures. Elle a disparu après avoir rendu le service que la nation attendait d’elle et que l’on a, à mon sens, un peu trop tendance à oublier.

Pendant quarante ans, ses cadres, ses hommes ont, en complément de la force nucléaire, tenu un rôle indispensable de dissuasion face à une Union soviétique à la puissance incomparable. Cette armée a manifesté la solidarité atlantique. Personne ne saura jamais ce qu’elle nous a évité. Mais je voulais, au moment où ceux qui ont servi achèvent leur carrière, rendre hommage à sa patience, à son sérieux et à son abnégation.

J’en viens, à présent, aux conséquences que le Gouvernement a cru devoir tirer d’une impasse budgétaire à laquelle, faute d’une politique ordonnée de réduction des dépenses, il ne peut apporter aucune solution solide. Avant la présente loi de programmation militaire, la part de la dépense publique, hors pensions, n’était déjà que de 1,4 % du produit intérieur brut. La loi actuelle abaissera encore ce seuil, au terme d’une réduction des investissements et des effectifs que je juge mal organisée.

Le projet de loi qui nous est soumis dégrade de manière inconnue jusqu’alors la situation de la défense. Les chiffres de l’abattement auquel il nous est demandé de procéder sont connus de tous. Le budget de la défense se trouvera amputé, selon les différents calculs, de 1 à 3 milliards par an. La stabilité, puis la croissance en volume, ne sont prévues qu’à partir de…2017 ! Il en résulte que, jusque-là, le budget maintenu en valeur subira l’inflation alors que nombre de dépenses, dont la masse salariale, resteront orientées à la hausse.

Comme les réductions en effectifs ne rapportent rien ou peu à l’origine, une réduction budgétaire massive frappera donc l’investissement, soit 16,5 milliards…

M. Jean-François Lamour. Eh oui ! Exactement !

M. François Fillon. …et, dans celui-ci, les parts qui ne correspondent ni aux flux ni au nucléaire. Ce sont donc les investissements conventionnels qui baisseront de 40 % et, avec eux, la capacité même des forces. C’est bien l’équipement des forces qui, comme l’a relevé la Cour des comptes, a servi de variable d’ajustement à ce budget. Mais, plus inquiétant encore, le financement de l’effort de défense au cours de la période 2014-2019 repose sur un pari dont chacun sait qu’il y a fort peu de chances de le gagner. Les ressources programmées sont de 190 milliards d’euros courants, dont 183,9 milliards de crédits budgétaires et un peu plus de 6 milliards d’euros de ressources exceptionnelles.

Ces 6 milliards représentent, sur la base des dépenses actuelles, huit à dix ans d’opérations extérieures. On peut douter, tant en ce qui concerne la cession des fréquences qu’en ce qui concerne les cessions immobilières, que ces ressources exceptionnelles soient au rendez-vous. La loi précédente prévoyait déjà un peu plus de 3 milliards de ressources exceptionnelles. Cet objectif était ambitieux. S’il fut atteint, c’est seulement avec près de trois ans de retard. Il n’y a donc aucune chance pour que vos prévisions se réalisent.

Je voudrais faire, ici, une remarque. Si l’on poursuit la ligne de ces chiffres en les comparant aux chiffres allemands, on voit qu’en 2014 c’est, en réalité, l’Allemagne qui sera devenue le premier budget militaire du continent européen. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Dès 2013, et sans tenir compte des pensions, l’Allemagne dépense 31,7 milliards d’euros, la France 31,5 milliards. Le différentiel entre les deux pays s’établissait à 2,3 milliards en 2009, il s’inverse à partir de 2013. Il y a là un danger : un danger de déséquilibre intra-européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) C’est tout l’équilibre de l’après-guerre, où le rôle politique et militaire de la France contrebalançait la puissance économique de l’Allemagne, qui risque de se défaire sous nos yeux. Je suis convaincu que le couple franco-allemand est indispensable à la réalisation du projet européen, mais je suis aussi convaincu que ce couple n’existe pas s’il ne se trouve pas formé par deux partenaires au moins comparables.

Sous ce rapport, la loi de programmation militaire achève fâcheusement une évolution divergente commencée au début de ce quinquennat. Elle est essentiellement portée par une logique comptable – d’ailleurs partiellement déficiente, j’y reviendrai –, mais aucunement par une logique politique d’un niveau approprié à l’importance du problème en cause. J’ajoute que l’instabilité des structures de décision a sûrement joué, dans la préparation de ce texte, un rôle fâcheux. Nous avons eu deux Livres blancs en cinq ans, trois décrets définissant les attributions des chefs militaires en dix ans et j’en passe.

M. Jean-François Lamour. Eh oui !

M. François Fillon. Nous avons eu l’abstention des politiques quant à la conduite des opérations, puis leur désir de s’en mêler. Nous avons vu les chefs d’état-major d’armée encouragés à se montrer indépendants, puis placés aux ordres du chef d’état-major des armées, puis à nouveau partiellement libérés de sa tutelle. J’ajoute qu’il me semble tout à fait regrettable que les chefs militaires ne restent pas assez longtemps dans leurs fonctions pour concourir à l’élaboration et à la poursuite d’une politique de défense crédible. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

La simple lecture de l’annuaire montre que si le chef d’état-major des armées réunissait ses vingt subordonnés les plus importants, il aurait affaire à des hommes dont la durée prévisible dans leurs fonctions ne dépasse guère seize mois. Aucune organisation n’est capable d’innover dans ces conditions, qui, même chez des personnels aussi naturellement dévoués, peuvent assez logiquement susciter la prudence ou l’attentisme. Je tiens, monsieur le ministre, pour une erreur d’avoir abrogé le décret de 2009, dont l’idée était de mieux aligner les trois armées sur leur chef afin que le pouvoir politique dispose d’un interlocuteur crédible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)



Mais l’essentiel se trouve au-delà des textes. Tant que les armées n’auront pas trouvé le moyen de travailler ensemble à l’élaboration de la politique de défense du Gouvernement, tant que chacune d’elle continuera d’élaborer à part ses modèles capacitaires pour se tourner, ensuite, vers le pouvoir politique comme vers une instance d’arbitrage, nous continuerons d’assister au spectacle d’aujourd’hui, qui dure depuis si longtemps : une compétition militaire et industrielle pour l’argent public, qui se fait parfois malheureusement au détriment des intérêts supérieurs du pays, ce dont cette loi de programmation porte la trace.



M. Pierre Lellouche. Exactement !

M. François Fillon. Car tel est bien le défaut de ce projet de loi : dans un contexte stratégique qui demeure profondément instable, il accompagne le déclin militaire de la France d’une série d’arbitrages mal pensés. Je ne reviendrai pas longuement sur le contexte stratégique qui a déjà été décrit par deux Livres blancs successifs. Ce contexte est marqué par un paradoxe : les menaces demeurent très réelles, mais leur perception s’est considérablement affaiblie. Les raisons de disposer d’une armée forte sont, en effet, bien moins nettes qu’autrefois : il n’y a plus de menaces à nos frontières ; l’Europe est installée dans une paix, en tout cas une paix militaire, durable – c’est d’ailleurs pour cela qu’a été voulue l’Union européenne et c’est pour cela qu’il faut la poursuivre et la renforcer ; le recrutement de nos armées ne se fait plus par le moyen de la conscription. Mais en même temps, cette Europe est immergée dans un monde dangereux, incertain, où la mondialisation crée probablement davantage de tensions qu’elle n’en apaise, et ses gouvernements peinent de plus en plus à maintenir leur population à ce niveau de vie qui fut, d’une certaine façon, l’objectif majeur de leurs politiques.

Pourtant, on le sait, la France demeure, même indirectement, exposée. La dissémination des crises et des adversaires potentiels s’est renforcée. Elle s’illustre notamment par la menace terroriste, qui n’est plus ponctuelle ou contingente, mais qui est devenue structurelle. Le délitement de certains États au Proche et au Moyen-Orient comme en Afrique, la recrudescence des affrontements ethniques et culturels, la montée du fanatisme religieux, le risque réel de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, les attaques informatiques dont on n’a pas encore vraiment vu le commencement, la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques, tout cela dessine un large spectre de menaces en mutation constante.

Notre nation est paradoxalement plus exposée et plus sollicitée qu’elle ne l’était lorsque la guerre froide gelait la plupart des scénarios conflictuels.

M. Pierre Lellouche. Tout à fait !

M. François Fillon. Et cela est d’autant plus vrai que les États-Unis ont engagé leur repli après les interventions en Afghanistan et en Irak, dont le bilan politique véritable reste encore à tirer. Il en résulte un grand vide, que ce que l’on appelle l’Europe de la défense n’a pas réussi à combler. Dans le domaine proprement militaire cette « Europe de la défense » en est restée au stade des vœux pieux et des incantations à usage interne, à quelques réalisations près. En pratique, c’est bien la question de l’OTAN qui domine, et non pas celle d’une politique européenne de défense aux contours imprécis.

J’ajoute que lorsque la France, luttant contre le terrorisme islamiste, s’engage au Mali pour défendre des intérêts qui sont autant ceux de l’Europe que les siens, elle le fait seule et sans qu’aucun de ses partenaires ne lui propose obligeamment de participer à l’effort de financement.

M. Jean-François Lamour et M. Pierre Lellouche. Exact !

Plusieurs députés du groupe UMP. Hélas !

M. François Fillon. Rien de cela ne doit pourtant nous décourager de poursuivre, dans ce domaine comme dans les autres, l’effort européen, à condition de garder en mémoire quelques vérités de bons sens. D’abord, rien ne sera possible avant que la France n’ait rétabli sa position et son crédit par une véritable politique d’assainissement budgétaire et de compétitivité économique. Ensuite, la politique européenne de défense dépendra de la capacité propre de la France à financer de manière sérieuse l’une des dernières armées efficaces d’Europe. Sur ce point, la loi qui nous est soumise nous éloigne, à mon sens, de l’objectif plutôt qu’elle ne nous en rapproche.

Enfin, lorsque le temps viendra, des projets plus ambitieux pourront être mis en œuvre, notamment dans le domaine de la mutualisation de certaines forces aériennes ou maritimes, qui sont mutualisables par nature, et pour lesquelles l’opération Atalante offre d’ailleurs des enseignements utiles et porteurs d’espoir. Face à des menaces aussi multiformes, toute la difficulté consiste à disposer d’une armée adaptée aux opérations d’aujourd’hui sans qu’elle perde, pour autant, sa capacité à répondre aux nécessités de demain, voire d’après-demain.

Il faut pouvoir participer, selon nos alliances, aux opérations actuelles. Il faut aussi se garder de la surprise stratégique. Nous devons être capables d’intervenir comme en Afghanistan ou au Mali – dans de meilleures conditions d’équipement et de sécurité pour nos soldats –, mais aussi de protéger nos voies de communication, notre espace maritime et n6tre espace aérien. Nous devons disposer de moyens de renseignements autonomes. Nous devons pouvoir parer aux menaces de cyberterrorisme. Je ne suis nullement convaincu que le modèle d’armée qui résulte de ce projet de loi de programmation militaire soit entièrement adapté à ce spectre.

Je crains que, faute d’une analyse réellement sériée des menaces et des perspectives réelles d’engagement, nous ne soyons devenus incapables de proportionner avec intelligence les efforts à faire sur les grandes fonctions stratégiques. Je crains que nous ne soyons davantage enclins à arbitrer en faveur d’une puissance théorique, lorsqu’il s’agit de la perspective d’exportation de matériels d’une puissance économique, plutôt qu’en faveur de capacités rigoureusement utiles.

Concernant la question des capacités militaires, je laisserai aux orateurs de mon groupe le soin d’entrer dans l’analyse des forces et de leurs équipements. Je veux toutefois souligner avec netteté que, sur bien des points, l’armée imaginée par ce projet de loi est de nature à inquiéter le responsable politique comme le citoyen. Cette armée me paraît, en effet, procéder moins d’une vision stratégique que d’arbitrages motivés par une logique budgétaire peu soucieuse de l’opérationnel, pour finir par tailler dans ce qui est le plus facile à réduire, c’est-à-dire les dépenses de personnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

En dix ans, les armées ont perdu un quart de leurs effectifs. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Dix ans, cela remonte à loin !

M. François Fillon. C’est bien pour cela que je le dis ! J’ai, par le passé, milité pour ce resserrement de notre appareil de défense…

M. Eduardo Rihan Cypel. Vous avez surtout milité pour la RGPP !

M. François Fillon. …commandé par l’évolution du paysage stratégique et par la professionnalisation. Je n’ai jamais été de ceux qui estimaient que notre outil de défense dut obéir aux exigences de notre politique d’aménagement du territoire.

M. Eduardo Rihan Cypel. C’est pourtant ce qui s’est passé !

M. François Fillon. En tant que chef du gouvernement, j’ai assumé une réorganisation drastique des forces. Mais, en juillet 2009, la loi de programmation militaire était accompagnée d’un plan de restructurations sur cinq ans…

M. Christophe Léonard. On a vu le résultat !

M. François Fillon. …détaillant les rationalisations, les mesures d’efficience et permettant la conduite de la déflation des effectifs.

J’avais annoncé à l’avance et avec franchise les buts et les conditions du réaménagement de nos forces et de leurs implantations militaires.

Aujourd’hui, nous ne savons pas qui, où, quand, comment et selon quelle cohérence opérationnelle seront touchés les régiments et les garnisons ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jérôme Chartier. Il a raison !

M. François Fillon. L’objectif de 34 000 déflations sur cinq ans ne peut se réaliser sans un plan clair et pluriannuel de restructuration. À cet égard, notre débat actuel est amputé par un manque de précision et de visibilité, que je veux dénoncer. Oui, j’ai assumé le resserrement des effectifs. Mais là, nous agissons à 1’aveugle et je pense que nous dépassons le seuil du raisonnable.

Nos soldats ne manifestent pas, ils ne démolissent aucun portique, ils ne discutent aucun ordre ; mais vous devez savoir que le cœur de ces hommes de devoir est aujourd’hui serré.

Les sacrifices exigés à la défense renvoient à la politique d’ensemble poursuivie par le Gouvernement. Est-il raisonnable de procéder au recrutement de 60 000 enseignants, alors que la Cour des comptes souligne l’inanité de cette approche quantitative, et de débaucher, dans le même temps, 34 000 soldats ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Un simple chiffre est révélateur. Aux termes de la loi de programmation militaire, l’armée de terre sera capable de projeter 66 000 soldats en opérations, soit moins que les recrutements supplémentaires prévus de 2013 à 2017 dans l’éducation nationale.

Mme Émilienne Poumirol. Quelle comparaison ! A quoi ça rime ?

M. François Fillon. On relèvera d’ailleurs que les 34 000 postes supprimés représentent le tiers des créations d’emplois d’avenir proposés aux jeunes de moins de 25 ans, lesquels constituent pourtant le vivier de recrutement de nos armées.

M. Serge Grouard. Très juste !

M. François Fillon. Pour nombre de jeunes, l’armée représente l’occasion d’une deuxième chance, l’acquisition de valeurs dont les circonstances de leur vie les ont privés jusque-là. Beaucoup de soldats sont issus de ce que l’on nomme aujourd’hui la diversité, et trouvent dans les armées un lieu où ils seront enfin jugés, non pas sur leurs origines, mais sur leurs talents et leur courage. On ne peut pas clamer son amour de la République et sa volonté d’intégration, et fermer en même temps cette porte de la réussite à une part importante de la jeunesse. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Ce qui est troublant, c’est que la rigueur budgétaire ne porte en définitive que sur ceux dont on est assuré qu’ils ne s’en plaindront pas. Car c’est ainsi qu’est notre armée : engagée partout depuis vingt ans, payant le prix du sang, assumant avec discipline réforme après réforme, pour finir par se voir ronger en silence à partir des bords, sans protestation ni murmure.

M. Jean-François Lamour. Tout à fait ! Vous en profitez !

M. Nicolas Bays. M. Fillon s’entraîne pour les primaires, ou quoi ?

M. François Fillon. Aucun corps de l’État n’accepterait d’être traité de cette manière. Aucun ministre n’aurait d’ailleurs l’idée de s’y risquer. Cet état d’esprit, qui consiste à s’attaquer d’abord aux plus fidèles des serviteurs et à ceux dont la mission, le combat, est au cœur même de la défense, on en voit la traduction dans les chiffres. Depuis dix ans, les effectifs de l’infanterie ont décru de plus de 3 000 hommes, alors que ceux des personnels civils de catégorie 1 ont augmenté de 2 500. Les effectifs des officiers, quant à eux, sont appelés à décroître de près de 20 %.

Aux termes de ce projet de loi de programmation militaire, la part des civils, des non-combattants, sera portée à 27 %, au sein d’un ministère dont la fonction est le combat et sa préparation.

M. Pierre Lellouche. Lamentable !

M. François Fillon. L’armée de terre ne compte plus que 66 000 soldats projetables. Cet effectif est à comparer à celui des 66 000 agents civils du ministère. Il ne s’agit pas seulement d’iniquité dans la répartition des efforts nécessaires, il s’agit aussi d’inefficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Roux. Quand nous parlera-t-il de Louvois ?

M. Eduardo Rihan Cypel. Louvois, c’était un modèle d’efficacité, bien sûr !

M. François Fillon. À un moment où les compétences requises pour le soutien et l’engagement d’une armée de haute technicité sont plus nombreuses et plus variées, l’encadrement des armées est faible, en tout cas au-dessous de la moyenne des armées comparables.

Quant à l’encadrement de haut niveau, contrairement à une légende souvent colportée, il est maigre. Les militaires de la catégorie A + représentent 0,4 % de la population totale des militaires, ce qui est notoirement insuffisant.

M. Jean-Louis Dumont. Il n’y a jamais eu autant de généraux !

M. François Fillon. Les conséquences de cette absence de discernement sont, hélas, prévisibles. On ne peut en vérité durablement disposer de soldats motivés, formés et encadrés si l’on continue à traiter de cette manière le corps social militaire.

M. François André. Et l’opération au Mali, elle n’existe pas ?

M. François Fillon. À terme, c’est tout autant le déclassement qualitatif que le déclassement quantitatif qui menace nos armées.

M. Eduardo Rihan Cypel. Nous réparons vos erreurs, monsieur Fillon ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Fillon. C’est une drôle de façon de « réparer des erreurs » que de diminuer encore les crédits et de réduire encore les effectifs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Ce déclassement se paiera d’un prix très lourd : l’incapacité, de plus en plus avérée, à faire face à nos obligations internationales et à assurer notre sécurité. Et, plus concrètement, plus immédiatement, telle mésaventure tactique, causée par l’usure, se paie en vies humaines, celles de soldats dont nous n’aurons pas su accompagner l’existence par des décisions publiques à la hauteur de leur esprit de sacrifice. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Ce n’est pas bien de jouer sur cette corde !

M. François Fillon. Il me faut ici insister avec la plus grande fermeté sur la misère opérationnelle que rencontrent parfois les armées françaises en mission.

M. Bruno Le Roux. Et Louvois ? Il va nous en parler, ou pas ?

M. François Fillon. Elle est d’autant plus frappante que le rythme des opérations qu’elles mènent reste soutenu. Je reste surpris d’entendre que l’on pourrait revoir à la baisse les prévisions budgétaires des opérations extérieures, alors qu’il n’y a pas d’année sans que nos intérêts nous conduisent à engager des actions importantes, de véritables actions de guerre, hier au Mali, aujourd’hui en République centrafricaine.

Le succès de nos armes obscurcit souvent la vision des décideurs. Mais je tiens à mettre en garde contre les risques considérables qui naissent de la situation actuelle. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’effondrement – il n’y a pas d’autre mot – de la disponibilité des équipements et du temps d’entraînement dans les unités qui ne sont pas en opérations.

Le taux de disponibilité des matériels terrestres est réduit à 49 %, alors qu’il avait été fixé à 69 % dans la programmation. Ce même taux est de 45 % pour les hélicoptères de manœuvre, de 56 % pour les frégates, de 30 % pour le porte-avions, de 50 % pour les Rafale marine. Le temps d’entraînement est limité à quatre-vingt-trois jours dans l’armée de terre, à quatre-vingt-huit jours de mer dans la marine, à cent cinquante heures de vol pour les pilotes, alors que la norme minimale de l’OTAN prévoit cent quatre-vingts heures.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Cela ressemble à votre bilan !

M. François Fillon. Moins d’hommes encore, moins d’équipements encore, mais toujours les mêmes missions. Ne vous y trompez pas : ce qui se profile à l’horizon de cette loi, c’est une armée à la limite de la rupture, où le dévouement des militaires ne pourra éternellement suppléer l’usure des équipements ou l’entraînement lacunaire.

M. Eduardo Rihan Cypel. Et tout cela grâce à vous !

M. Bruno Le Roux. Il est terrible, votre bilan !

M. François Fillon. Depuis qu’elles existent, quasiment toutes les lois de programmation ont été dévoyées et aucune n’a été totalement fidèle aux engagements votés par le Parlement. Nous avons tous notre part de responsabilité.

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Quelle clairvoyance !

M. François Fillon. Je ne vous accuse pas de croire, monsieur le ministre, que cette loi de programmation fera exception. Mais permettez-nous d’en douter sérieusement. Ce doute vient, je l’ai dit, des économies que vous escomptez sur les ressources exceptionnelles, il vient du niveau des exportations que vous attendez, il vient de la réduction des effectifs. Mais il vient d’abord de l’état financier de la France…

M. François André. Quel aveu !

M. François Fillon. …renforcé par la fébrilité de ceux qui sont supposés remettre nos comptes publics à l’équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Pour atteindre ses objectifs en matière de déficits, et conformément aux engagements pris devant ses partenaires européens, le Gouvernement doit trouver près de 20 milliards d’euros par an durant les prochaines années.

À l’évidence, la fiscalité sur les ménages et les entreprises a dépassé toutes les limites de l’acceptable, et le pays est au bord de la fronde. Reste donc la réduction des dépenses publiques, que la gauche craint tant, mais qu’elle est obligée d’assumer, sous peine d’être totalement discréditée en Europe.

Où le Gouvernement ira-t-il piocher ? L’éducation, la sécurité, l’emploi, les dépenses sociales ? Non, puisqu’il nous dit que ce sont là des priorités. Reste donc le budget de la défense,…

M. François André. Il est sanctuarisé !

M. François Fillon. …qui, je le crains, n’est sanctuarisé que dans votre esprit, monsieur le ministre ! J’ai confiance en vous et en votre parole, mais moins dans celle de vos amis, qui se sont condamnés à ne plus avoir de marges de manœuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Le jour venu, ils ne manqueront pas de prendre sur la défense ce qu’ils sont incapables de récupérer ailleurs, puisqu’aucune réforme de l’État sérieuse n’a été engagée. (Mêmes mouvements.)

Avec cette loi de programmation, vous partez déjà de bas. Alors, qu’en sera-t-il dans deux ou trois ans ? La France s’expose à de grands risques en utilisant les mots, les gestes et souvent les actions de la puissance, sans se donner les moyens de son exercice continu et effectif. Il y a dans cette attitude une part de légèreté qui n’est pas acceptable, parce qu’elle compromet nos intérêts tout en mettant en danger nos forces, au-delà de ce que rend nécessaire, par nature, le métier des armes.

Pour finir, c’est à nos soldats, marins, aviateurs, que je voudrais rendre hommage. C’est en pensant à eux que je voudrais adresser au Gouvernement et à notre assemblée, une forme d’avertissement dont l’angoisse n’est pas absente.

Je ne pense pas, en définitive, que cette loi soit à la hauteur ni des circonstances ni des soldats qui servent notre pays. Lorsqu’ils tombent, nous voyons leur nom dans les journaux, et parfois leur visage. Ces images toutes simples sont bouleversantes. Ces hommes, l’opinion les considère souvent comme des victimes du sort, alors qu’en réalité, ce sont des héros.

À eux, comme à leurs camarades, comme au pays tout entier, nous devons des choix avisés et courageux en matière de politique de défense. Je ne les ai pas trouvés dans le texte qui nous est soumis. Mon inquiétude, comme celle du groupe UMP, est au cœur de cette motion en forme d’alerte.

Je soutiens que le texte proposé a de forts risques d’être contraire aux dispositions constitutionnelles qui régissent, en matière financière, la sincérité de la loi. Cette loi de programmation militaire fait dépendre la réalisation des budgets de la défense, sur plusieurs années, de perspectives de ressources exceptionnelles, dont nul ne sait si elles pourront avoir lieu ni si elles auront lieu pour les montants prévus.

M. François André. Et la loi précédente ?

M. François Fillon. Par ailleurs, je tiens que la loi de programmation militaire est susceptible, par l’importance des ajustements budgétaires qu’elle prévoit, de faire obstacle à l’exercice plein et entier par le chef de l’État de ses prérogatives de chef des armées.

Enfin, elle méconnaît les droits du Parlement, dans la mesure où notre assemblée n’a pas été informée avec toute la précision nécessaire des décisions de fermeture de garnisons ou de régiments qui en seront la conséquence inévitable. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Telles sont, monsieur le ministre et mes chers collègues, les raisons qui, contre le Gouvernement, m’obligent, au nom de l’UMP, à défendre notre défense. (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le Premier ministre, il n’est pas d’usage que le Gouvernement intervienne en réponse à une motion de rejet préalable, mais vous m’avez écouté avec beaucoup d’attention tout à l’heure et je sais l’intérêt que vous portez aux dossiers de défense depuis longtemps. Je crois me souvenir que nous avons même commis des textes ensemble, sans pour autant nous départir de nos fondamentaux politiques, ce qui montre bien que la sécurité de notre pays est un enjeu partagé.

Vous vous êtes exprimé avec force, avec franchise, et je rends hommage à cette posture. Je ne reprendrai pas ce que j’ai dit tout à l’heure, répondant en partie, par anticipation, à vos arguments. Toutefois, je voudrais faire dès maintenant quelques brèves remarques, dans la mesure où vous pourriez être absent de l’hémicycle au moment où je répondrai aux orateurs qui se seront exprimés durant la discussion générale.

M. Eduardo Rihan Cypel. C’est fort probable, en effet !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je partage bien des éléments de votre analyse des risques et des menaces : la France est davantage menacée aujourd’hui qu’elle ne l’était lors de la guerre froide ; les risques sont polymorphes, les menaces diverses. Il peut y avoir des surprises stratégiques. Et sur le concept lui-même, je pense que nous n’avons pas de désaccord majeur.

M. Pierre Lellouche. Nous sommes bien d’accord.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Vous avez voulu polémiquer un peu. Peut-être était-ce de bonne guerre. Peut-être auriez-vous pu, éventuellement, vous en dispenser. J’aurai de mon côté quelques questions à poser et quelques observations à faire, y compris sur des sujets de polémique.

Vous avez tout d’abord prétendu que nous allions réduire l’investissement. Non, monsieur le Premier ministre. J’ai trouvé en arrivant un niveau d’investissement de 16 milliards d’euros et il montera à 18,2 milliards, soit une moyenne de 17 milliards au cours de la loi de programmation. L’ensemble des grands programmes que vous avez lancés seront respectés et poursuivis, et nous allons même en ajouter d’autres.

Deuxième remarque : vous avez déclaré que nos forces n’étaient pas assez entraînées et préparées. Oui, c’est vrai, mais je constate avec intérêt que cette loi de programmation prévoit 800 milliards de plus pour l’entretien programmé des matériels que dans celle que vous avez vous-même initiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – « Millions ! pas milliards ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Millions, pardon.

M. Dino Cinieri. Ils applaudiraient n’importe quoi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. De surcroît, cette loi de programmation prévoit une moyenne annuelle de 730 millions pour les études amont dans le domaine de la recherche technologique et d’innovation, soit 30 millions d’euros par an de plus que dans la loi de programmation que vous avez vous-même initiée. C’est cela la réalité !

Je me suis par ailleurs surpris à m’interroger, tant votre diatribe était, à un moment donné, caricaturale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le budget 2014 s’élève à 31,4 milliards. Celui de 2013 à 31,4 milliards, tout comme celui de 2012. Vous allez me dire qu’il manque l’inflation.

M. François Fillon. Je n’ai pas dit cela.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Mais la continuité est tout de même très significative et l’on ne saurait, sur ces trois échéances, parler de rupture, monsieur le Premier ministre. Cela étant, peut-être était-ce mieux avant ? Mais non, le budget de 2011, le vôtre, s’élevait à 31,2 milliards. Nos budgets sont donc en augmentation par rapport à votre loi de programmation militaire. Il faut savoir raison garder sur les chiffres, même s’ils peuvent prêter à polémique, et mesurer les efforts accomplis.

Vous nous interrogez sur notre capacité à répondre aux nouveaux défis. Je l’ai dit cet après-midi, nous avons inclus dans la loi de programmation un certain nombre de nouvelles préoccupations. Je ne vous accuse pas de ne pas les avoir pris en compte dans la loi de programmation militaire précédente car, sans doute, les enjeux étaient alors moins prégnants qu’aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins que les drones, le renseignement, le satellite électromagnétique CERES, le renforcement des forces spéciales, la mise en œuvre d’une politique sur la cyberdéfense, sont pris en compte par cette loi de programmation militaire pour répondre aux risques et aux menaces que vous avez identifiés tout à l’heure. Je crois que, sur ce sujet, nous sommes au rendez-vous.

Vous avez encore prétendu que la suppression du décret de 2009 remettait en cause le rôle du CEMA par rapport aux chefs d’état-major des armées et limitera finalement leur capacité à travailler ensemble. Non, monsieur le Premier ministre, cela, c’est le décret de 2005, qui n’a pas été supprimé et que je respecte. Ce que j’ai supprimé, c’est le décret de 2009, qui établissait un lien entre le ministre de la défense et le chef d’état-major des armées. Ce décret a été contesté. Il fallait respecter le rôle des politiques dans l’organisation générale de notre défense, ce qui est bien normal dans une démocratie.

Vous nous avez reproché de ne pas renouveler le personnel militaire. Si, monsieur le Premier ministre. Cette année, comme les années précédentes, 17 000 jeunes entreront dans les armées et s’y formeront pour que nos armées restent vivantes et toniques.

Pour toutes ces raisons, nombre de vos arguments me paraissent relever davantage de la polémique que du consensus national sur les enjeux de défense que vous soulevez avec raison et sur lesquels je partage votre analyse sur le fond.

Vous m’appelez, enfin, et avec raison, à faire preuve de vigilance sur un dernier point : les ressources exceptionnelles. Vous avez raison, et vous avez déjà pratiqué la chose. Elles représentent 3 % sur les 190 milliards. Ces 3 %, certains avançaient qu’ils ne seraient pas au rendez-vous de 2013 : ils l’ont été. D’autres affirment qu’ils ne seront pas au rendez-vous de 2014, ils le seront.

M. Jean-François Lamour. 2014, oui, mais après ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour la première fois, par ailleurs, la loi prévoit des éléments de contrôle parlementaire, une clause de sauvegarde, qui permet d’identifier les ressources exceptionnelles potentielles susceptibles d’être mobilisées et de les garantir aux yeux du Parlement, dans la rigueur de l’analyse des commissions de la défense et des finances, du Sénat et de l’Assemblée nationale.

M. Jean-François Lamour. Les garantir avec quoi ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Sur ce point, je considère que je suis garanti au-delà même de la sanctuarisation affichée et annoncée à de nombreuses reprises par le chef de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.

La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 est sans surprise, à l’image du Livre blanc de la défense 2013 : un mauvais Livre blanc donne une mauvaise loi de programmation militaire.

Cette loi acte une armée à deux vitesses : d’un côté une force d’interventions extérieures, qui bénéficie de toutes les attentions financières, et, de 1’autre, le reste de l’armée, qui doit se contenter de la disette budgétaire.

Il s’agit de privilégier les besoins stratégiques de l’OTAN, au détriment de la protection du territoire national. La « sanctuarisation » de la force nucléaire ne constitue en aucun cas une réponse à la diversité et à la complexité de l’ensemble des menaces qui peuvent peser sur l’indépendance de notre peuple.

L’on peut certes louer les efforts réalisés en matière de cyberdéfense, mais comment les prendre au sérieux face au mutisme du Gouvernement dans l’affaire Snowden ?

Des révélations indiquent la présence sur notre territoire de serveurs utilisés à des fins d’espionnage par la NSA. L’on ne peut, dans cette affaire, qu’être extrêmement étonnés par le silence de l’exécutif.

Cette programmation privilégie l’acquisition de matériels sur-sophistiqués et les externalisations dans des partenariats public-privé, au détriment des hommes, de leur formation, de leurs entraînements et de leurs conditions d’existence matérielles. On prétend ainsi gérer l’armée comme une entreprise privée en privilégiant l’accumulation du capital matériel au détriment de l’humain. Nous contestons le choix d’un achat massif de drones MALE aux États-Unis alors que toutes les conditions existent pour lancer un grand programme européen de drones civils et militaires.

Le financement se fonde en partie sur la vente des bijoux de famille : fréquences hertziennes, patrimoine immobilier et surtout actions de l’État détenues dans des entreprises stratégiques comme Airbus, SAFRAN, DCNS, Nexter, ce qui amputera encore davantage les moyens d’action de l’État en matière de politique industrielle. On brûle le plancher pour chauffer la maison ! La protection de notre pays, la défense de l’indépendance des choix politiques, économiques et sociaux de notre peuple méritent une autre loi de programmation militaire, un autre Livre blanc. Nous voterons en faveur de cette motion de rejet, sans cautionner en quoi que ce soit les propos de nos collègues UMP, en particulier ceux de M. Fillon, qui n’aurait pas fait mieux que le gouvernement actuel !

M. Jean-François Lamour. Allez hop ! Emballez, c’est pesé !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Léonard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christophe Léonard. Je l’avoue, j’attendais beaucoup de la prise de parole de M. François Fillon.

M. Pierre Lellouche. Et nous, nous attendons beaucoup de la vôtre !

M. Christophe Léonard. J’ai été très déçu, et ma déception est proportionnelle aux éminentes responsabilités de M. Fillon qui fut le premier collaborateur de Nicolas Sarkozy, le Premier ministre de la France. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je pensais que sur un sujet aussi important que la loi de programmation militaire, M. Fillon nous aurait au contraire invités au rassemblement. Il n’en a rien été. Vous avez fait appel, monsieur Fillon, à la franchise, à la gravité et à notre sens des responsabilités en nous demandant de penser à l’intérêt supérieur de la nation. Puisque vous nous demandez d’être sincères, je vous dirai que vos propos manquaient de modestie et d’objectivité.

M. Dino Cinieri. Il n’y connaît rien, celui-là !

M. Christophe Léonard. De modestie, pourquoi ? Tout simplement parce que vous n’avez rien dit du bilan de la précédente loi de programmation militaire, monsieur Fillon, dont vous avez été le principal instigateur. Rappelons-en, modestement, quelques éléments. Vous avez évoqué le difficile contexte budgétaire, mais nous avons dû faire face à 600 milliards de dettes sur le quinquennat précédent, soit plus de 90 % de notre produit intérieur brut.

Vous nous avez parlé d’Europe, monsieur Fillon, mais l’Europe de la défense figurait dans les engagements non négociables du retour au commandement intégré de l’OTAN. Eh bien, nous l’attendons encore, cette Europe de la défense !

Vous nous parlez de reports de charges, mais vous nous en laissez pour 3 milliards d’euros ! Vous n’avez pas parlé, en revanche, du logiciel Louvois. Et je comprends pourquoi, puisque lorsque les effectifs de nos armées baissaient de 3 %, la dépense augmentait de 9 %, soit 1 milliard d’euros !

Vous avez bien entendu manqué de lucidité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.), aux termes de cette loi de programmation militaire pour 2014-2019, pas moins de 190 milliards d’euros assureront le financement. Nous aurons la première armée d’Europe en 2019. (Exclamations ininterrompues sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur Fillon, ce sera mon mot de la fin : si le pire n’est jamais sûr, je vous invite à avoir l’intelligence de penser et de concevoir que l’on puisse réussir mieux que vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Philippe Meunier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Meunier. En défendant cette motion de rejet préalable, François Fillon a démontré avec justesse la dégradation de notre défense, option que vous avez choisie avec ce projet de loi de programmation militaire 2014-2019. Il a été rappelé que la dangerosité du monde exigeait le maintien de l’effort budgétaire pour nos armées, effort que votre loi de programmation réduit à néant. Absence de vision stratégique, vision comptable de notre défense nationale : tout vient d’être dit.

François Fillon vient également de rappeler qu’en 2009, la précédente majorité avait annoncé clairement la situation à nos compatriotes, en particulier la liste des bases qui seront fermées, ce que vous avez refusé de faire par crainte des réactions de nos concitoyens ou par calcul politique.

Ressources exceptionnelles aléatoires, pari risqué sur l’export : vous jouez avec la défense des Français, monsieur le ministre. Pour toutes ces raisons, nous voterons pour cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Francis Hillmeyer. Au groupe UDI, nous sommes inquiets. Nous sommes inquiets de la déflation du personnel alors même que les OPEX se succèdent, de notre capacité à défendre notre territoire, de l’entretien du matériel – le chef d’état-major n’a-t-il pas affirmé qu’il faudrait cinq années budgétaires pour remettre en condition le matériel qui revient d’OPEX ? Ce projet de loi ne répond pas totalement à nos attentes quant à la défense du territoire. Aussi voterons-nous cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Je vous ai écouté avec attention, monsieur Fillon, et j’ai été surpris. Que l’on s’envoie des chiffres à la figure sur la période passée, la période à venir, est peut-être de bonne guerre. Mais ce n’est pas très intéressant, surtout lorsque les comparaisons sont un peu baroques. Certaines méritent d’être soulignées.

Vous avez ainsi comparé les réductions d’effectifs – passées ou à venir – du ministère de la défense aux postes d’enseignants. Allez comprendre ! Je ne savais que vous mettiez en balance les moyens de l’école de la République avec ceux du ministère de la défense. Mais il y a pire ! Vous avez évoqué en parallèle les créations d’emplois d’avenir, laissant même entendre – et là, les bras m’en sont tombés – que l’armée pourrait en quelque sorte être la solution au chômage des jeunes !

Vous avez en effet déclaré que c’était l’avenir que l’on devrait au contraire offrir à la jeunesse ! Je trouve que ce n’est pas très sérieux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Accoyer. Ce sont des propos antimilitaristes insupportables !

M. François de Rugy. Vous avez employé une expression qui nous a tous frappés : la « misère opérationnelle ». J’ai cru que vous instruisiez le procès de votre propre bilan ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.) En effet, s’il y a bien aujourd’hui un problème lié aux conditions opérationnelles d’un certain nombre de nos matériels, c’est dû aux choix qui ont été faits au cours des dernières années !

Je conclurai, monsieur Fillon, en rappelant qu’au début de votre carrière politique, vous aviez pour mentor M. Le Theule, qui fut ministre de la défense ; vous-même avez été président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale et, surtout, vous avez été Premier ministre. Je m’attendais donc de votre part à un propos de plus haute tenue sur la stratégie de la France. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur de Rugy.

M. François de Rugy. Je m’attendais à ce que vous dressiez le bilan du retour de la France dans l’OTAN, pour lequel vous aviez fait un vibrant plaidoyer ici même, en tant que Premier ministre (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et à ce que vous nous expliquiez quelle est la valeur stratégique pour la France de l’alliance que vous proposez avec la Russie ! Voilà les sujets sur lesquels j’aurais aimé vous entendre, et voilà pourquoi je voterai contre cette motion de rejet préalable ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants234
Nombre de suffrages exprimés234
Majorité absolue118
Pour l’adoption105
contre129

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen et le vote de la loi de programmation militaire constituent pour le Parlement un acte majeur, comme cela vient d’être dit à plusieurs reprises. Pour être agréable à Mme Adam, je rappellerai la formule devenue historique du général de Gaulle : « La défense ! C’est là, en effet, la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ». Je vous remercie, madame la présidente Adam, de nous l’avoir rappelée en commission.

Nous légiférons donc sur la matière régalienne par excellence. Traduisant les dispositions ou les orientations arrêtées dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité, la loi de programmation militaire concourt « à l’organisation, la gestion et la mise en condition d’emploi de l’ensemble des forces ainsi que de l’infrastructure militaire », mission confiée au ministre de la défense par le code de la défense.

Après le Sénat, monsieur le ministre, notre assemblée s’est donc saisie du projet de loi que vous avez élaboré. La commission de la défense vous a auditionné, de même que vos grands subordonnés. De la même façon, elle a entendu les représentants de la communauté industrielle de la défense et les représentants des personnels civils. Ce long travail a eu pour effet de faire émerger un certain nombre de points d’inquiétude ou d’interrogations. Des explications ou des tentatives d’explications nous ont été apportées, mais force est de constater qu’elles n’ont pas contribué à fournir les apaisements souhaités.

La construction budgétaire de votre loi de programmation militaire constitue, monsieur le ministre, une source de préoccupation majeure, comme on l’a déjà dit abondamment, et j’aborderai ce point dans la suite de mon propos. L’adéquation de votre modèle d’armée, puisqu’il s’agit bien du vôtre, aux menaces recensées par le Livre Blanc ne laisse pas non plus d’inquiéter car, à des menaces récurrentes, voire croissantes ou nouvelles, il est singulier de se targuer de répondre avec des moyens en forte réduction.

Au-delà de la question du formatage de nos forces se pose celle de la soutenabilité des contrats opérationnels, avec des effectifs fortement réduits et des équipements qui, pour une part d’entre eux, atteignent un niveau de vétusté peu compatible avec les exigences du combat. Or, sur cette interrogation majeure, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée.

Le quatrième point que j’aborderai, évoqué pendant les travaux en commission, mérite une réflexion particulière ; il s’agit de l’impact qu’aura sur nos personnels civils et militaires la réforme que vous envisagez. Nous avons la preuve qu’une forte inquiétude, et le mot est faible, s’est répandue dans nos armées. Le nier n’est pas de bonne politique, et refuser de communiquer au Parlement une synthèse du rapport sur le moral est affligeant. Je vous en reparlerai au fil de mon développement.

Auparavant, madame la présidente de la commission de la défense, je souhaite manifester la réprobation du groupe UMP sur les conditions dans lesquelles s’est déroulé, mercredi 13 novembre, l’examen en commission du projet de loi de programmation militaire. En effet, plus de 1 180 amendements ont été expédiés à la cadence du pas des chasseurs à pied, voire à celle des bersaglieri italiens ! Certains de ces amendements méritaient, me semble t-il, un meilleur sort et une discussion approfondie.

J’en veux pour exemple les amendements visant à ce que les exportations d’équipements de défense fassent l’objet d’un contrôle a posteriori par la délégation au renseignement, en complément du contrôle des fonds spéciaux que vous envisagez de lui confier. Vous avez rejeté cet amendement, madame la présidente, au motif que le contrôle des contrats d’exportation constituerait une charge trop lourde pour les membres de la délégation. Mais avez-vous idée du travail que représente le contrôle sur pièces et sur place des fonds spéciaux ? J’ai assuré la présidence de cette commission et je peux en témoigner : outre les séances de contrôle en administration centrale, il importe de se rendre « de par le monde » – je ne préciserai pas davantage – pour vérifier l’exactitude et le bien-fondé des dépenses engagées. Cela n’a rien à voir avec la charge, bien plus modeste, qui résulterait d’une vérification à Bercy des quelques contrats d’exportation qui le mériteraient. Ainsi, madame la présidente, cédant peut-être aux pressions du ministre, vous avez décidé de bâillonner le Parlement et de le priver de son droit de contrôle en évacuant, par une argumentation assez ridicule, un sujet pourtant majeur, qui aurait dû être débattu en responsabilité par notre commission.

Cette volonté délibérée d’entraver ou d’étouffer le débat n’est pas à la hauteur de l’enjeu qui nous est proposé. M. Urvoas a quitté l’hémicycle, mais je vous renvoie à son long propos pour démontrer combien il est indispensable que le Parlement exerce ses prérogatives en matière de renseignement, puisqu’il s’agit là d’une matière apparentée.

Je reviens, monsieur le ministre, aux différents points que j’ai précédemment mentionnés. La construction budgétaire de votre LPM est étayée par un échafaudage branlant. Tel est, parmi d’autres avis autorisés, celui que M. Jean Launay a formulé au titre de la commission des finances. Il écrit que « la trajectoire financière est crédible mais repose sur des équilibres fragiles ».

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Voilà un bon auteur !

M. Yves Fromion. Et de citer le report de charges important, ainsi que « la nécessaire clarification à apporter aux ressources exceptionnelles ».

Voilà qui motive à l’évidence un retour devant notre commission, afin que l’Assemblée ne se hasarde pas à légiférer sur une matière aussi incertaine. Est-il d’ailleurs opportun de conserver des ressources exceptionnelles dès lors que la loi prévoit qu’en cas de non-réalisation de celles-ci, leur montant sera couvert par des crédits budgétaires ? Nos amendements sur cette disposition n’ont pas été jugés recevables. On ne peut que s’en étonner, puisqu’ils n’affectaient pas l’équilibre global du budget. Nous n’avons par ailleurs reçu aucune réponse à cette question en commission, ce qui a pour effet d’introduire un doute sérieux sur la volonté du Gouvernement de tenir ses engagements. Et ce doute vient de se nourrir de la décision prise en loi de finances rectificative de prélever 650 millions d’euros au minimum sur l’enveloppe mise en réserve dans votre budget pour 2013. Heureusement, monsieur le ministre, vous nous avez apporté quelques assurances à cet égard, et j’espère que les 500 millions que vous avez annoncés seront bien au rendez-vous.

Pour un ministre de la défense qui se targue de pouvoir être le premier à exécuter à la lettre sa loi de programmation militaire, avouez que les choses commencent mal. Et encore ne fais-je pas référence au report de charges supérieur à 2,5 milliards d’euros – là encore, on n’en connaît pas la réalité exacte – dont fait état notre collègue Jean Launay dans son rapport.

Aurai-je la cruauté de vous rappeler, monsieur le ministre, la question restée sans réponse que je vous ai posée en commission sur la progression des crédits d’équipement de nos armées au cours de la période visée par la loi de programmation militaire ? Vous avez publiquement déclaré que « la loi de programmation militaire pour 2009-2014 tablait sur une remontée vertigineuse et totalement irréaliste des crédits d’investissement ». Ces propos, plutôt audacieux, ont été publiés dans la presse et vous ne les avez pas démentis. Or, en matière de crédits d’équipement, l’écart entre les annuités 2009 et 2013 de la précédente loi de programmation militaire était de 1,42 milliard d’euros, alors que dans le présent projet de loi, il est porté à 1,8 milliard entre la première et la dernière année. Cherchez l’erreur, monsieur le ministre ! En fait, vous reconnaissez ainsi que les projections financières de votre loi de programmation militaire relèvent de la fantaisie.

Nous aimerions vraiment vous reparler de tout cela en commission, et ce d’autant plus que d’autres interrogations, nées au cours du débat, nous interpellent. J’en cite une au hasard, qui se rapporte au produit des cessions immobilières. Votre projet prévoit explicitement que « l’intégralité des produits des cessions immobilières sur la période 2014-2019 sera affectée au financement de l’infrastructure de défense », lequel est estimé à 6,1 milliards d’euros. Cependant, il est également prévu que « le dispositif de cession à l’euro symbolique de certaines emprises libérées par la défense sera reconduit ». Que croire ?

Le financement des infrastructures de défense devient donc un mirage posé sur un horizon glissant vers l’infini… Cent exemples viennent nous rappeler que votre loi de programmation militaire n’a pas de véritable fiabilité financière – et je ne fais même pas référence à la Commission européenne qui, le 15 novembre, rappelait à votre gouvernement que « toutes les recettes imprévues devraient être affectées à la réduction du déficit ». Le rêve du retour à meilleure fortune, que caresse votre LPM, n’est pas près de se « réenchanter », comme dirait notre Président de la République !

L’essentiel de notre inquiétude est nourri par l’alchimie mystérieuse qui a présidé à l’élaboration financière de votre LPM. Vous avez imaginé deux centres d’économies budgétaires : la réduction des effectifs et celle des commandes d’équipements. Dans les deux cas, vous n’avez pas lésiné sur l’ampleur de la mesure mise en œuvre. Or, les économies escomptées ne sont décrites nulle part dans les documents que vous avez communiqués au Parlement.

Nous ignorons donc les motivations qui ont conduit à une déflation supplémentaire de 24 000 postes, de même que nous ignorons la destination de ces économies potentielles puisqu’à la différence de la LPM 2009-2014, ces économies ne restent pas acquises à la défense.

De même, s’agissant des réductions de cible des équipements de nos forces, il ne nous a rien été dit des économies escomptées. On pourrait imaginer qu’elles contribuent à la réduction des reports de charges estimés à 2,5 voire 3 milliards d’euros mais, apparemment, il n’en est rien. Ni le texte de loi, ni le rapport annexé n’apportent de réponse à ces deux questions : d’où vient l’argent et où va l’argent ? Convenons, madame la présidente, qu’un renvoi en commission s’avère indispensable pour éclairer votre démarche et nous apporter les précisions nécessaires.

Venons-en à l’adéquation de votre modèle d’armée aux enjeux exposés dans votre Livre Blanc, lesquels ne diffèrent en rien de ceux qui étaient déjà identifiés dans le Livre Blanc précédent.

Sans doute adepte du small is beautiful, vous nous présentez votre nouvelle armée, au format mini, en prenant la précaution de nous dire – et de le faire admirablement répéter en commission par nos deux rapporteures – que cette taille, tel un bonsaï, n’est pas une question d’argent mais de stricte adéquation de notre format d’armée aux menaces. Les propos que je rapporte figurent au compte rendu des auditions. Vous mettez donc à la porte de nos casernes quelques dizaines de milliers de militaires et de civils qui, selon vous, sont inutiles à la sécurité de la France et qui, pourrait-on croire, ne servaient à rien d’autre qu’à plomber les comptes de votre ministère. Cette affaire, monsieur le ministre, ressemble à une provocation et nous souhaitons qu’elle donne lieu à un débat en commission de la défense.

La réduction du format de nos armées est en réalité fondée sur de strictes considérations budgétaires. Elle va sortir notre pays du terrain de jeu et l’envoyer sur le banc de touche. Voilà ce que vous êtes en train de faire ! Et vous voudriez que l’on vous donne quitus ? Vous faites le pas de trop dans le démembrement de notre outil militaire ; nous ne vous suivrons pas.

En effet, comme nous vous l’avons déjà fait observer, il est aventureux et fort dangereux de faire de l’opération Serval la jauge de nos futurs besoins capacitaires, comme le fait le Président de la République. L’opération Serval a mis en lumière les capacités d’adaptation et le professionnalisme de nos combattants, de même que leur valeur dans des engagements à hauts risques. Pourtant, alors même qu’elle a fait apparaître les limites de certaines de nos capacités majeures, elle ne peut même pas, dans son contexte global, être classée dans la catégorie de moyenne intensité.

Face à l’évidence de la sous-adéquation de nos forces aux ambitions du Livre blanc, vous faites appel à la magie du verbe. C’est ainsi que « le principe de différenciation » et le « principe de mutualisation » font leur apparition dans le vocabulaire de la loi de programmation. Ces concepts, pourtant vieux comme la science militaire, nous sont présentés comme une irrésistible novation, capable de décupler les capacités de nos armées tout autant que la potion magique dont faisait un abondant usage notre ancêtre Astérix. Hélas, monsieur le ministre, vous n’êtes pas le druide Panoramix, en dépit de vos attaches bretonnes.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Quant à vous, vous seriez plutôt le barde Assurancetourix !

M. Yves Fromion. Ni la différenciation, ni la mutualisation ne peuvent pallier l’écart grandissant, au point d’être parfois béant, entre nos ambitions et les moyens dont nous nous dotons pour y répondre.

Cela me conduit incidemment à évoquer notre dissuasion nucléaire, d’abord pour me féliciter qu’après bien des errements, la gauche ait fait sienne cette initiative, héritée du général de Gaulle, qu’elle a tant critiquée. Ce comportement nous renvoie d’ailleurs à votre position virevoltante sur l’OTAN. La gauche a souvent été en retard d’une guerre.

Je reviens à la dissuasion nucléaire pour souligner l’impasse vers laquelle vous vous dirigez.

Dans votre LPM, la part des crédits dédiés à la dissuasion atteint pratiquement 50 % de celle destinée à l’équipement conventionnel ; 23,3 milliards d’euros, d’une part, 49,2 milliards d’euros, d’autre part. Les abattements que vous avez décidés sur l’équipement conventionnel introduisent un risque de découplage entre dissuasion, protection et projection. Beaucoup de spécialistes des questions de défense pointent cette dérive et en soulignent les dangers.

Nous aurions souhaité qu’une telle question ne soit pas occultée et que vous fassiez part à notre commission de votre analyse et des orientations qui sont données pour l’avenir aux acteurs de notre dissuasion nucléaire, notamment dans l’emploi des crédits de recherche.

Venons-en maintenant à la question de la soutenabilité des contrats opérationnels.

Aux interrogations surgies des auditions en commission, nous n’avons guère eu de réponses. La LPM est pourtant révélatrice de l’inquiétude que j’exprime puisqu’elle expose que le nouveau modèle d’armée – je cite – « implique cependant une prolongation, et donc, un vieillissement accru de certains équipements, ainsi que des limitations temporaires de capacités qui pourront être partiellement atténuées par des mutualisations ou un soutien européens ». Et l’on nous cite le renseignement, les communications satellitaires, les drones, le transport stratégique, le ravitaillement en vol, etc.

En commission, j’ai demandé au délégué général pour l’armement que nous soit fourni un état des obsolescences prévisibles de nos matériels sur la durée de la LPM. Je n’ai obtenu aucune réponse. Comment le Parlement peut-il juger et intervenir dans les choix capacitaires qui sont proposés sans disposer de l’information nécessaire ?

En fait, nous votons une enveloppe de 102 milliards de crédits, dont on nous affirme qu’elle sera respectée, sans connaître avec une précision suffisante ce que sera son utilisation, sans même connaître le coût des équipements commandés. À cet égard, les dispositions introduites par le Sénat sont intéressantes, mais elles devront être complétées.

Il apparaît également indispensable de mieux connaître les caractéristiques précises des équipements dont la commande figure en LPM. Il en va ainsi du programme CERES dont le coût estimé à l’origine est la vraie cause du retard de son lancement. Votre choix s’est-il porté sur le projet initial ou sur une version low cost aux capacités moindres, comme cela avait été envisagé pour surmonter le handicap budgétaire ? Il en va ainsi également des drones Reaper commandés aux Américains : on ignore à peu près tout de leurs caractéristiques – en tout cas celles qui seront mises à notre disposition – et des modalités de leur utilisation. Vous conviendrez que cette situation n’est guère satisfaisante.

Une autre anomalie grave tient aux nombreuses incertitudes qui entourent les livraisons des équipements commandés. Les tableaux figurant dans la LPM sont affectés d’un flou qui pousse à douter de la fiabilité du calendrier d’équipement des armées. S’agissant des matériels anciens et de leur maintien en état de fonctionnement normal, vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, qu’un effort particulier serait fait dans la LPM en faveur du maintien en condition opérationnelle. On ne peut que s’en féliciter.

Mais on sait également que le matériel retour d’Irak, comme du Mali, est en très mauvais état, ce qui nécessitera de gros efforts de remise en condition. Les crédits du MCO, que vous avez réorganisés, s’avéreront-ils dès lors suffisants pour parer à la fois aux dépenses consécutives aux OPEX et au service courant, faute de quoi l’état de disponibilité de nos équipements ne s’améliorera en rien ?

La professionnalisation de nos armées, décision dont plus personne ne songe à contester la pertinence, a radicalement modifié le rapport du soldat avec son équipement. Le soldat professionnel a une obligation de résultat, comme tout professionnel, dans quelque métier que ce soit, mais en contrepartie, ceux qui l’emploient ont une obligation de moyens.

Pour contraindre son adversaire, le soldat professionnel doit disposer des équipements adéquats, faute de quoi il est fondé à considérer que le désintérêt dont il fait l’objet l’exonère d’avoir à s’engager jusqu’à l’extrême limite de son obligation de servir.

Une nation qui ne donne pas à ses soldats professionnels les moyens les plus adaptés, les plus indispensables pour surclasser l’adversaire, prend le risque de voir se briser le ressort de la motivation et se développer le sentiment d’un déclassement qui entamera nécessairement les forces morales des unités combattantes.

Je n’insisterai pas sur les inquiétudes légitimes qui découlent de la forte réduction de nos moyens humains, qui rend très problématique l’engagement dans la durée de nos forces armées.

Comme on le voit, l’information, qui est pourtant due au Parlement, est lacunaire et parcellaire, pour tout dire, cruellement insuffisante. Cela nourrit nos inquiétudes, que nous partageons évidemment avec nos soldats, dont la plupart n’ont, pas plus que nous, de visibilité sur les perspectives qui les attendent.

Dans un tel contexte, se pose évidemment la question de la soutenabilité des contrats opérationnels issus du Livre blanc. Sur un tel sujet, évidemment majeur, nous n’avons entendu que la voix du ministre, la plus autorisée, certes, puisqu’elle engage sa responsabilité devant la nation, et celles des chefs d’état-major relayant, bon gré mal gré, la parole officielle. Notre commission en est restée là. Or des voix nombreuses, autorisées, se sont élevées pour tirer le signal d’alarme, voire sonner le tocsin, face à une évolution de notre défense perçue comme très inquiétante.

Nous aurions pu, nous aurions dû, madame la présidente, ne pas négliger ces lanceurs d’alerte. Parmi eux, certains sont des experts reconnus. Il aurait donc été fort utile d’écouter ces voix indépendantes exprimer leur analyse sur l’état de nos forces et leur évolution sur le court et le moyen terme. Au lieu de quoi, notre commission a dû se satisfaire du prêt-à-penser politiquement correct, qui ne nous exonérera pas, d’ailleurs, de nos responsabilités de législateurs. Voilà donc un argument supplémentaire qui milite pour un retour du projet de loi de programmation militaire devant notre commission.

Je vais enfin en venir aux ressources humaines, c’est-à-dire aux hommes et aux femmes qui, sous votre autorité, monsieur le ministre, servent notre pays dans des conditions parfois extrêmement difficiles, sans bénéficier autant qu’il le faudrait de la considération qu’ils méritent.

C’est une litote de dire qu’ils sont d’une qualité exceptionnelle pour avoir été capables, dans le même temps – et, je vous le concède, depuis des années – de mener des réformes incessantes, difficiles, traumatisantes, et de remplir, dans une exécution digne de tous les éloges, des missions de guerre hautement complexes. C’est la raison pour laquelle la nouvelle déflation des effectifs est particulièrement mal venue, d’autant plus d’ailleurs qu’elle rendra beaucoup plus difficile, éprouvant, pénible, le métier des hommes et des femmes de la défense.

Il est d’ailleurs singulier et illustratif de constater que, dans le même temps où le Gouvernement n’hésite pas à solliciter rudement la communauté militaire en lui imposant des sacrifices répétés et en l’impliquant dans des opérations à hauts risques dans la défense des intérêts de notre pays, il recule devant la contestation du monde enseignant sur les rythmes scolaires. Chacun jugera de l’intérêt qui s’attache, dans ces conditions, à échanger 24 000 personnels de la défense contre 60 000 enseignants.

La déflation des effectifs est évidemment évoquée dans la LPM. Des dispositions d’accompagnement ou d’incitation au départ déjà en vigueur sont prorogées, d’autres sont mises en place. La manœuvre des ressources humaines, pour reprendre l’expression consacrée, est confiée au secrétaire général pour l’administration, et plus précisément au directeur des ressources humaines du ministère de la défense, placé sous son autorité. En effet, il est fait grief aux états-majors d’avoir été incapables de maîtriser la déflation prévue par la LPM 2009-2014.

Diverses insinuations venues du sein même de notre commission, sans véritables arguments convaincants, ont mis en cause le corps des officiers, et particulièrement des officiers généraux, accusés de s’être multipliés sans raison et d’avoir mis en péril le budget de la défense. Relisez les comptes rendus ! Il aurait été souhaitable qu’une information précise soit apportée à notre commission pour lui permettre une juste appréciation de ce dossier et éviter les procès d’intention et les élans démagogiques toujours mal venus et mal vécus par ceux qui en sont les victimes.

Personne ne doute, monsieur le ministre, de l’attention que vous portez à la qualité des relations humaines au sein de votre ministère et l’on ne peut que vous en donner acte. Cette attention est évidemment légitime tant il est demandé d’efforts individuels et collectifs à la communauté de défense.

Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire du refus que vous avez opposé aux demandes qui vous ont été présentées à de multiples reprises par notre groupe parlementaire en commission, pour que soit connu le détail des suppressions d’unités militaires consécutives à la déflation que vous avez programmée. Votre attitude est totalement contradictoire avec vos engagements figurant dans la LPM, que je vous rappelle : « Les réductions d’effectifs obéiront à un triple principe de prévisibilité, d’équité et de transparence ».

Là encore, nous courons après un mirage. Où est la prévisibilité puisque vous refusez toute information aux militaires, aux personnels civils et aux élus locaux ? Il est vrai qu’il y a des élections municipales et que les fermetures de casernes, ça n’est pas très électoral. La ficelle est grosse et c’est sans doute pour cela que vous avez choisi de supprimer un régiment à Villingen, en Allemagne. Je vois que vous me comprenez, monsieur le ministre…

Prévisibilité et transparence, c’est comme une pub pour les paris hippiques. Malheureusement, comme pour les courses de chevaux, on est loin des promesses, et votre attitude contribue encore un peu plus à renforcer la conviction que votre loi de programmation militaire est un exercice de prestidigitation !

Pour clore ce propos sur la gestion des ressources humaines, il m’apparaît opportun de mettre l’accent sur la proposition, qui vous a été faite lors de l’examen de la LPM en commission, de communiquer au Parlement une synthèse du rapport sur le moral, établi annuellement à votre intention par la hiérarchie de nos forces armées.

Vous avez cru devoir rejeter cette proposition au motif que ce rapport est un acte administratif interne au ministère de la défense. Formellement, on peut entendre votre argumentation. Mais sur le fond, monsieur le ministre, pensez-vous que votre réponse soit opportune ?

Les personnels civils et militaires vivent, depuis la professionnalisation de nos forces, dans une ambiance de réformes permanentes. Les contraintes budgétaires, les déflations d’effectifs, les changements de garnisons, le taux élevé de participation aux OPEX, les conditions de vie parfois difficiles pour les militaires et leurs familles, affectent inévitablement le moral de la communauté militaire.

Le Parlement ressent évidemment tout cela, mais de façon trop lointaine, trop impalpable pour remplir sa mission de contrôle, quelles que soient par ailleurs les initiatives de tel ou tel parlementaire pour se tenir informé. Or cet état de fait n’est pas satisfaisant, car, de surcroît, il prive le Parlement de sa capacité à être l’élément fort, je dirais même l’âme du lien armée-nation.

On ne peut donc en rester au refus que vous avez opposé à l’initiative qui vous était suggérée. Un débat en commission, permettrait, j’en suis sûr, de rapprocher les points de vue et de répondre, dans le respect des prérogatives de chacun, à l’exigence formulée par le Parlement, d’être éclairé sur l’état moral de nos forces armées. Quoi de plus légitime, d’ailleurs, puisque c’est le Parlement qui vote le budget et qui se trouve donc en responsabilité d’assumer les conséquences de ses engagements ?

Je viens de m’efforcer, sur la base d’exemples précis et, je l’espère, convaincants, de montrer combien le projet de loi qui nous est soumis contient d’imprécisions, de lacunes, de contradictions, d’insuffisances.

Le travail parlementaire, tel qu’il s’est déroulé, n’a pas encore permis d’atteindre le niveau de qualité qui doit nécessairement s’attacher à un document de l’importance d’une loi de programmation militaire. Un retour en commission s’impose donc. Cela représente quelques jours de travail, c’est-à-dire rien vraiment qui remette en cause le fonctionnement de notre outil de défense ou l’activité de nos industries.

Pour conforter cette demande, je crois devoir rappeler que nous sommes à quelques semaines du Conseil européen prévu en décembre prochain. Votre gouvernement, monsieur le ministre, aurait dû surseoir à l’examen de ce projet de loi de programmation militaire pour donner l’impression, à défaut de mieux, qu’il était attentif à la construction d’une défense européenne dont les insuffisances de votre propre loi démontrent qu’elle devient une exigence incontournable.

Les décisions qui émergeront du Conseil européen, principalement dans le domaine des programmes d’armement, ne vont-elles pas impacter celles qui figurent dans votre LPM ? Nos industriels attendent beaucoup d’une relance de la coopération européenne en matière d’équipement ; le caractère figé de la LPM est-il compatible avec cette attente ?

Comme lors de l’élaboration du Livre blanc, on voit bien que votre gouvernement, à l’instar du Président de la République, ne marque qu’une considération très médiocre à l’endroit des acteurs de la PSDC – la politique de sécurité et de défense commune. Peut-on croire que cela soit de nature à relancer la dynamique d’une défense européenne, comme le Président de la République s’est targué de vouloir le faire ?

Si le renvoi en commission du projet de loi était voté, cela permettrait de mettre à l’unisson notre politique de défense et celle que l’Union européenne s’attache à élaborer.

Les députés UMP qui se sont exprimés par ma voix ont confiance, monsieur le ministre, dans la qualité de votre jugement. Ils se tiennent à votre disposition pour contribuer, par leurs propositions, dans un esprit de responsabilité, à donner à votre projet de loi de programmation militaire la dimension qui correspond aux ambitions de notre nation et à donner à votre texte une dimension conforme à l’hommage et à la reconnaissance que nous devons à nos soldats engagés sur tous les fronts pour la défense des intérêts de notre pays.

C’est la raison pour laquelle le groupe UMP demande le renvoi en commission du projet de loi de programmation militaire qui nous est présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce matin, nous avons appris l’abandon du système Louvois.

Ce logiciel est responsable de dysfonctionnements sans fin dans le paiement des soldes des militaires. Au printemps 2013, 60 000 dossiers de trop-perçus de petites sommes et de montants beaucoup plus importants avaient été recensés. Il y a, bien entendu, le problème des soldes amputées. Il y a un an, les responsables du ministère nous expliquaient que tout était réglé ou en passe de l’être. Louvois, ce n’est pas le scandale d’un logiciel incontrôlable, c’est le scandale du silence de la hiérarchie des hauts responsables du ministère, c’est la carence institutionnelle d’une haute administration et d’un état-major qui s’est franchement moqué de la représentation nationale.

Nous pourrions utilement retourner en commission pour débattre de ce sujet. Nous voterons pour cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Joaquim Pueyo. Je ne vois pas l’utilité, mes chers collègues, d’un renvoi en commission, qui s’apparente selon moi à une manœuvre supplémentaire. Je rappelle que la commission travaille sur le projet de loi depuis le mois de juillet dernier. Trente auditions ont été organisées, contre douze lors de l’examen de la précédente LPM. On ne peut donc guère nous accuser de prendre le sujet à la légère. Nous avons entendu tous les acteurs concernés : les industriels représentant les grands groupes, les chefs d’état-major, le délégué général pour l’armement, le directeur des ressources humaines et les organisations syndicales.

Vous avez parlé d’inquiétude, monsieur Fromion. J’en ai en effet ressenti parmi l’état-major et la direction des ressources humaines à propos des soldes des militaires, dont ni vous ni l’ancien Premier ministre n’avez parlé, ce qui me surprend un peu. J’ai au contraire ressenti de la sérénité parmi les acteurs concernés. En effet, la revoyure demandée leur a été accordée. Le projet de loi en prévoit une en 2015, ce qui a donné satisfaction aux industriels de l’armement comme à l’état-major.

Vous avez également dit, monsieur Fromion, que M. le ministre n’avait pas totalement répondu aux questions. J’en témoigne ici, M. le ministre a été parfaitement disponible. Il a répondu à toutes les questions posées par les députés lors des séances de la commission des 2 et 22 octobre derniers. Peut-être pensez-vous qu’une troisième audition est nécessaire, moi pas. Le projet de loi de programmation militaire est l’aboutissement du Livre blanc issu des travaux d’une commission composée majoritairement de hauts représentants.

À l’évidence, la commission a pleinement fait son travail. Les 180 amendements déposés, et non 1 800 comme vous l’avez dit, ont été examinés attentivement. Je ne vois pas l’intérêt de nous réunir à nouveau en commission. Je demande donc le rejet de la motion de renvoi, d’autant plus que cette loi conforte les capacités d’initiative et d’influence de notre pays à l’horizon 2020. Malgré les contraintes budgétaires, le budget de la défense sera contenu, de sorte que la France aura toujours un rôle majeur au sein de l’UE et de l’OTAN.

M. Nicolas Dhuicq. Le budget sera contenu et c’est bien malheureux !

M. Joaquim Pueyo. Je demande le rejet de la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Alain Chrétien, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Chrétien. Le groupe UMP tient à rendre hommage à ses deux orateurs, François Fillon et Yves Fromion, pour la qualité des motions qu’ils ont présentées ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Ils ont exprimé la vision qu’a l’UMP de la politique et de la stratégie de défense. François Fillon et Yves Fromion ont précisé les interrogations que suscite chez nous la loi de programmation militaire, en particulier au sujet des produits exceptionnels. Yves Fromion a bien pointé les incertitudes relatives au montant des cessions exceptionnelles, d’autant plus que vous avez voté il y a quelques mois, chers collègues socialistes, une loi obligeant l’État à céder le patrimoine immobilier de l’État pour un euro symbolique !

M. Jean-François Lamour. La caserne de Reuilly a été vendue pour un euro symbolique !

M. Alain Chrétien. Dès lors, comment gérer cette contradiction ? Les cessions exceptionnelles sont censées rapporter de l’argent mais vous vous contraignez à y procéder pour un euro symbolique !

M. Philippe Armand Martin. C’est un scandale !

M. Alain Chrétien. Yves Fromion a aussi évoqué des sujets très complexes. Ainsi, beaucoup de détails et d’informations manquent à propos du programme CERES, de l’équipement des drones, des fameux achats sur étagère, dont on ne connaît toujours pas le contenu technologique, ou encore de la déflation des ressources humaines. Bref, de nombreuses questions restent sans réponse. Notre groupe vous invite donc, chers collègues, à renvoyer le projet de loi en commission afin d’y travailler sereinement et de comprendre vraiment ce que veut la gauche pour l’armée du futur en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aborderons tout à l’heure, dans le cadre de la discussion générale, le fond du texte, quelque peu défloré par les interventions de nos collègues Fillon et Fromion. Les députés du groupe UDI s’exprimeront alors et diront ce que nous pensons du texte. Sans doute ne mérite-t-il ni cet excès de louange, ni cet excès d’indignité. Quant à la motion de renvoi en commission, en tout état de cause et à titre personnel, j’ai assisté à vingt-huit des trente réunions de la commission et puis témoigner que nous y avons beaucoup travaillé pour préparer l’examen du texte. Nous avons auditionné l’ensemble des interlocuteurs, des chefs d’état-major aux centrales syndicales de salariés en passant par les industriels, c’est-à-dire toutes celles et ceux qui comptent dans le monde de la défense.

Nous assistons ce soir à un exercice de style, qui oblige les uns à reprocher aux autres ce que ceux-ci leur reprochaient la veille,vice versa. Ce jeu entre l’UMP et le parti socialiste prête quelque peu à sourire. Ce que dit l’orateur du parti socialiste de la position de l’UMP me rappelle ce que disaient il y a quelques mois les orateurs de l’UMP de celle du parti socialiste.

Pour notre part, nous pensons qu’il est temps d’en venir au fond du sujet. Le groupe UDI ne s’associera donc pas à la motion de renvoi en commission. (Exclamations sur divers bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. En défendant une motion de renvoi en commission, M. Fromion a fait état des conditions d’examen du texte en commission. Certes, cher collègue, certains amendements ont été examinés un peu rapidement, mais vous conviendrez que cela ne mérite pas en soi un renvoi en commission. Là n’est pas l’essentiel. Comme nous pouvons tous en témoigner, tous les travaux de la commission ou presque, depuis dix-huit mois, ont été consacrés à la préparation de l’examen de la loi de programmation militaire, d’abord du Livre blanc puis du projet de loi lui-même. La commission a donc été très largement éclairée.

J’évoquerai deux points de votre intervention, monsieur Fromion, car je sais que vous parlez de ces questions de manière concrète. Vous avez parlé du moral des armées. Vous admettrez sans difficulté que les prédécesseurs de l’actuel ministre, M. Le Drian, ne seraient pas plus favorables que lui à la publication du rapport sur le moral des soldats. Comme vous le savez, le sujet ne dépend pas de la couleur politique, à moins que vous n’ayez découvert l’existence de ce sujet à la faveur de l’alternance.

M. Yves Fromion. Le changement, c’est maintenant !

M. François de Rugy. Il aurait été intéressant que vous disiez quelques mots, comme l’a fait tout à l’heure notre collègue socialiste, du logiciel Louvois. En matière de moral des armées, cela pèse lourd ! M. Fillon a dit tout à l’heure que peu de services de l’État auraient accepté le rythme de restructuration qui a été infligé aux armées. Mais je pense qu’aucun n’aurait accepté ce qui s’est passé avec le logiciel Louvois !

M. Christophe Léonard. Très bien !

M. François de Rugy. J’en profite pour remercier M. le ministre de la défense de son action sur ce front.

Naturellement, nous voterons contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants220
Nombre de suffrages exprimés220
Majorité absolue111
Pour l’adoption76
contre144

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Saint-André, pour le groupe RRDP.

M. Stéphane Saint-André. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le contexte stratégique international connaît des évolutions majeures : le rééquilibrage américain vers l’Asie-Pacifique, les révolutions dans le monde arabe, l’apparition de nouvelles zones d’instabilité en Afrique ou encore le développement de la cyber-menace. Il s’avère donc indispensable d’adapter notre stratégie et notre outil de défense à moyen et long terme. Dans cette perspective, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, rendu public en avril dernier, a permis de mettre à jour notre stratégie de défense et les missions de nos forces armées.

Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019, dont nous débattons aujourd’hui, constitue la première étape d’orientations nécessaires et responsables. Il s’agit tout d’abord d’orientations nécessaires. La nouvelle loi de programmation militaire prévoit un effort financier global très significatif pour notre défense, alors que la précédente n’était pas financée, ce qui a conduit à une impasse budgétaire et à d’importants étalements des programmes d’armement. Conformément aux orientations formulées par le Président de la République, l’effort consacré par la nation à sa défense sera maintenu. Le budget sera d’abord stabilisé entre 2014 et 2016 à son niveau de 2013, puis conforté et légèrement augmenté à partir de 2017.

Il sera consolidé par des ressources exceptionnelles provenant du produit des cessions d’emprises immobilières, du nouveau programme d’investissements d’avenir et de diverses redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences.

Il s’agit ensuite d’orientations responsables. Dans un contexte caractérisé par une situation financière difficile, un environnement stratégique incertain et la nécessité de modernisation de nos équipements, la France choisit de maintenir un niveau d’ambition et de responsabilité élevé sur la scène internationale, tout en garantissant la protection de sa population.

En effet, la loi de programmation militaire donnera à notre pays la capacité d’assumer simultanément les trois missions fondamentales que sont la protection du territoire et de la population, la dissuasion nucléaire et l’intervention sur des théâtres extérieurs, tant en gestion de crise qu’en situation de guerre. Elle lui permettra aussi de conserver une industrie de défense de premier rang mondial. Celle-ci est un secteur crucial de notre économie représentant 165 000 emplois directs et indirects répartis sur tout le territoire, et elle est indispensable à notre autonomie stratégique.

Consacrer un budget conséquent à l’investissement et à l’équipement de nos forces garantit le maintien du haut niveau de compétences de l’industrie de défense, la poursuite des programmes en cours et la préservation de la totalité des grands programmes menés en coopération européenne. Cette politique d’équipement est clairement mise au service de notre stratégie militaire, que les programmations précédentes ont sacrifiée. Ainsi, un effort important est prévu pour renouveler nos équipements et remédier aux lacunes de nos armées par la livraison de ravitailleurs MRTT, de Rafale, de véhicules blindés de combat d’infanterie, d’hélicoptères Tigre et NH 90, de frégates multi-missions, d’un sous-marin nucléaire d’attaque ou de missiles de croisières.

Inconciliables avec l’objectif de retour à l’équilibre des comptes publics, la plupart des prévisions relatives aux grands programmes arrêtés en 2009 seront ajustées. Ainsi, les principaux secteurs de compétence de notre industrie de défense seront tous préservés.

En cohérence avec la refonte des contrats opérationnels et les objectifs d’économies fixés par le Livre blanc, le projet de loi prévoit par ailleurs la suppression de 23 500 emplois entre 2014 et 2019, alors que la précédente loi de programmation militaire en prévoyait 54 000. Vous avez donc, monsieur le ministre, arrêté l’hémorragie dénoncée tout à l’heure avec beaucoup d’aplomb et de mauvaise foi par ceux-là mêmes qui l’ont initiée.

Les déflations seront engagées en privilégiant les forces opérationnelles, dont la réduction n’entre que pour un tiers dans les nouvelles diminutions. La loi prévoit un large plan de mesures d’accompagnement du personnel civil et militaire appelé à quitter le service. Il sera complété par un plan d’amélioration de la condition du personnel.

La mise en œuvre des mesures de restructuration rendues nécessaires par les suppressions d’emploi et la réorganisation de certaines fonctions du ministère s’accompagnera d’une attention vigilante sur leurs conséquences humaines, économiques et sociales. De même, des mesures d’accompagnement économique adaptées à la spécificité de chacun des territoires les plus sévèrement affectés seront mises en œuvre et complétées par un dispositif d’aide aux petites et moyennes entreprises.

Malgré cette baisse d’effectifs, la défense demeurera le premier recruteur de l’État, avec 17 000 recrutements, notamment de nombreux jeunes peu ou pas qualifiés, qui se verront offrir des opportunités professionnelles au sein du ministère et, plus tard, dans la vie civile.

Avec 187 000 militaires et 55 000 civils, la France sera, en 2019, la première armée d’Europe. Cela contredit les propos tenus par certains consultants audiovisuels, qui passent leur temps à distiller des contre-vérités.

La nouvelle programmation militaire adapte notre défense à l’avenir et aux conflits de demain. En premier lieu, elle engage un effort important au profit de la recherche et de la technologie, en particulier par un appui financier conséquent à des programmes d’études amont, déjà dotés, en 2014, d’un budget en hausse de 10 %.

La loi donnera aussi à nos forces les moyens de se préparer aux nouvelles formes de conflit et de développer les équipements de haute technologie du futur, en confortant la priorité accordée au renseignement par l’acquisition de satellites d’observation et d’écoute, ainsi que de drones de diverses catégories, et en améliorant les capacités qui conditionnent notre autonomie stratégique : moyens des forces spéciales et du ciblage, modernisation des deux composantes nucléaires, projection aérienne, renouvellement de nos capacités navales de surface et sous-marines, comme de nos moyens blindés terrestres.

Le projet de loi traduit aussi la nouvelle donne stratégique que constitue la cyberdéfense, en renforçant nos capacités d’action dans ce domaine. Ainsi, les moyens alloués à l’acquisition et au fonctionnement des équipements dédiés à la cybersécurité devraient être en forte hausse et atteindre 360 millions d’euros sur la période 2014-2019. En particulier, la poursuite de la réalisation du programme « Moyens techniques de lutte informatique défensive » permettra d’étendre le périmètre des systèmes surveillés et de fournir à la chaîne opérationnelle un outil d’un intérêt exceptionnel pour la cyberdéfense. De plus, les crédits consacrés à la recherche et au développement dans ce domaine devraient être sensiblement augmentés.

Outre une judicieuse planification sur six années des ressources budgétaires et des plafonds d’emploi, le projet de loi comporte également d’importantes mesures normatives pour adapter notre cadre juridique aux nouveaux défis de la défense. En premier lieu, il adapte notre droit pénal aux spécificités de l’action de combat. En effet, des affaires judiciaires récentes ont mis en lumière le risque de mise en cause pénale des militaires. Le projet de loi traite cette question en vue d’une meilleure prise en compte des spécificités de l’action de combat, sans pour autant porter atteinte au droit des victimes.

Dans cette optique, de nouvelles dispositions sont prévues, comme la fin du déclenchement automatique de l’enquête aux fins de recherche des causes de la mort en cas de découverte d’un cadavre à l’issue des combats, le retour au droit commun en matière de déclenchement de l’action publique pour les militaires, l’adaptation de l’article du code de la défense relatif à l’excuse pénale, qui s’appliquera également aux interventions militaires ponctuelles, l’engagement de la responsabilité pénale des militaires uniquement pour des faits de violences involontaires, enfin, la spécialisation des juridictions en charge des affaires pénales concernant les militaires.

Autre défi de taille et priorité majeure : le renseignement. Amené à se développer, ce dernier suppose un strict contrôle démocratique et juridique, afin qu’un équilibre soit conservé entre les nécessités d’ordre public et les libertés individuelles. À cette fin, le texte prévoit, en premier lieu, l’accroissement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, qui disposera d’une compétence de contrôle de l’activité gouvernementale et d’évaluation de la politique publique s’ajoutant à l’actuelle mission de suivi de l’activité générale et des moyens des services spécialisés de renseignement. La délégation absorbera, par ailleurs, la commission de vérification des fonds spéciaux, afin de pouvoir apprécier l’utilisation des ressources des services spécialisés.

Une meilleure protection des agents sera aussi garantie, grâce à un renforcement de l’anonymat pour ceux d’entre eux appelés à témoigner dans le cadre de procédures judiciaires.

À cela s’ajoutera, en cas de lutte contre le terrorisme et de prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, un élargissement de l’accès aux fichiers, par l’alignement des droits d’accès des services de renseignement sur ceux des services du ministère de l’intérieur pour l’accès à certains fichiers administratifs, un accès élargi aux fichiers voyageurs existants et l’accès direct des services de renseignement à certaines données des fichiers de police judiciaire pour des recrutements au sein des services spécialisés ou pour des missions présentant des risques pour les agents.

Enfin, le renseignement bénéficiera d’une meilleure exploitation du potentiel d’information de la géolocalisation, puisqu’il pourra, à l’instar des services de police et de gendarmerie chargés de la prévention du terrorisme, accéder en temps réel à des données de connexion mises à jour, et non plus seulement consulter des informations a posteriori.

S’adapter aux nouveaux défis de défense, c’est aussi se protéger contre la cybermenace. En partant du constat que cette dernière a déjà frappé des entreprises productrices d’énergie, des entreprises de communication, des banques ou encore des services de l’État, la France, en sécurisant les systèmes d’information, doit se prémunir d’attaques informatiques qui pourraient atteindre certaines entreprises stratégiques, qualifiées d’« opérateurs d’importance vitale » par le code de la défense. Or, face au développement rapide des technologies utilisées par les pirates informatiques, le niveau de sécurité des systèmes d’information des entreprises et des opérateurs stratégiques est aujourd’hui insuffisant. La cyberdéfense devient, de fait, un impératif pour garantir la sécurité de l’action des armées et de toutes les missions relevant du ministère de la défense.

Le projet de loi de programmation militaire répond à ces dangers, tout d’abord, par le renforcement des moyens, le recrutement de spécialistes et de réservistes citoyens et la mise en place d’une chaîne opérationnelle de cyberdéfense ; ensuite, par l’adaptation du droit de la défense et du droit pénal, avec l’inscription explicite dans le code de la défense de la compétence du Premier ministre en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information. Par ailleurs, afin de renforcer la sécurité juridique des services qui seront amenés à faire appliquer la politique de défense des systèmes d’information, le projet de loi de programmation militaire prévoit de déterminer les actions qui peuvent être effectuées par ces services afin de les prémunir contre d’éventuelles poursuites. Enfin, le projet de loi ouvre la possibilité au Premier ministre d’imposer des règles aux opérateurs d’importance vitale concernant leurs systèmes d’informations critiques et de les soumettre obligatoirement à un contrôle ou à un audit de sécurité.

Nous le voyons, ce projet de loi de programmation militaire permettra de dessiner un cadre d’action durable pour notre défense, et de donner ainsi à la France les moyens de préserver sa souveraineté, de garantir la protection de ses intérêts et de préparer son avenir.

Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste lui apporte tout son soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe GDR.

M. Jean-Jacques Candelier. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, à la suite du Livre blanc, nous sommes appelés à nous prononcer sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

Nous avons contesté tant le fond de ce Livre blanc que son processus de rédaction à la va-vite : pour la première fois, les partis n’avaient pas été auditionnés. Nous en sommes convaincus, l’organisation de notre défense ne peut rester l’apanage du seul chef de l’État, assisté d’une batterie d’experts. Il faut démocratiser et ouvrir en grand les bouches, les portes et les fenêtres de l’institution militaire ; j’y reviendrai lors de l’examen des amendements.

Ce projet de loi comporte certes quelques avancées – notamment le renforcement du contrôle parlementaire, qui est désormais possible sur pièces et sur place, et des promesses quant à l’amélioration du dialogue social – mais ces dernières demeurent insuffisantes. Nous verrons d’ailleurs si l’extension du rôle de la délégation parlementaire au renseignement ira jusqu’à la présence, en son sein, de tous les groupes.

J’en viens à présent au fond de ce projet de loi. Si ce Livre blanc était celui de la continuité avec celui de Nicolas Sarkozy, c’est aussi le cas de ce projet de loi de programmation militaire. Nous ne pensons pas que l’armée doive être concernée par le maintien de l’ordre. C’est un problème sérieux, nous l’avons déjà dit. En cas de crise majeure, nos forces de sécurité intérieure seraient renforcées par 10 000 soldats, ainsi que par des moyens navals et aériens. Voyez ce que cela donne en Syrie ! Il faut faire une claire distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure.

Le Gouvernement affirme que notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne. S’agissant de la défense européenne, rechercher le partage et la mutualisation ne revient-il pas à mettre la charrue avant les bœufs, alors que la défense européenne est inexistante ? Quant à l’OTAN, nous continuons de penser qu’il s’agit d’une organisation du passé, qui nous coûte cher, ne connaît que la logique de force et n’est pas réformable. Il y a une contradiction majeure entre la volonté affichée d’autonomie et de réactivité de nos forces et l’inscription de notre stratégie au sein de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne.

S’agissant de notre industrie de défense, nous n’acceptons pas que notre base industrielle soit jetée en pâture sur l’autel de la concurrence libre et non faussée et le choix du tout export. Nous rejetons toute cession de participations dans les industries de défense, qu’il s’agisse d’Airbus, d’EADS, de Nexter, de DCNS ou de Safran : de telles cessions constitueraient, au nom de l’austérité, de nouveaux abandons de la maîtrise publique dans un secteur aussi déterminant pour la souveraineté nationale. Il faut faire le contraire, en nationalisant toutes les industries de défense et en créant un pôle public.

Par ailleurs, ce projet de loi de programmation militaire met particulièrement l’accent sur les cyberattaques. Si le renforcement des moyens humains et matériels de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information est absolument nécessaire, la réforme juridique proposée pose question. En effet, le projet de loi prévoit d’autoriser l’accès à certains fichiers administratifs du ministère de l’intérieur à l’intégralité des services de renseignement. De plus, la consultation de ces bases de données ne sera plus limitée aux seuls cas de lutte contre le terrorisme, mais étendue aux cas d’atteintes potentielles aux intérêts fondamentaux de la nation, notion vague qui étend les possibilités de surveillance des citoyens et réduit les libertés publiques. Pire, le régime d’exception, qui s’applique actuellement aux seuls cas de terrorisme et ne donne lieu au contrôle d’aucun juge, sera étendu à pratiquement toutes les infractions. Je me permets une mise en garde : les lois de programmation militaire ne sauraient être des véhicules destinés à enfanter des monstres juridiques.

L’on se souvient du débat sur le précédent projet de loi de programmation militaire et de sa réforme contestée du secret défense. Une partie de la réforme avait été finalement censurée par le Conseil constitutionnel. Aussi, dans le contexte de défiance généralisée manifestée par les citoyens, évitons de jouer aux apprentis sorciers ! Nous appelons à un moratoire sur tout nouveau texte destiné à créer un régime d’exception en matière d’accès aux données des utilisateurs d’internet.

Bien entendu, il est nécessaire de rendre notre pays moins vulnérable aux risques cybernétiques. Aussi saluons-nous l’augmentation des moyens en hommes et en crédits affectés aux services de renseignement et à la cyberdéfense.

Pour les services de renseignement, la protection de l’anonymat des agents des services ne pose pas de problème particulier. Si nous comprenons les efforts consentis pour les drones, le ravitaillement en vol ou le transport logistique, il faut tout mettre en œuvre pour assurer notre indépendance et inciter à la fabrication nationale, voire européenne, des matériels dont nous avons besoin. Nous ne pouvons dépendre des Américains, avec lesquels la confiance est – ou devrait être – rompue depuis le scandale de leur espionnage massif.

S’il est opportun de prévoir une réduction des crédits consacrés à nos interventions à l’étranger, nous redoutons que cela ne soit qu’un simple affichage, dans la mesure où il est prévu un financement interministériel du dépassement. Le projet d’augmentation de 1 000 hommes à la disposition du commandement des opérations spéciales de personnels fait craindre un renforcement de l’opacité entourant les activités des forces armées françaises, notamment en Afrique.

Ce projet de loi de programmation militaire avalise la création des bases de défense, ce qui est non seulement une aberration stratégique qui rend notre armée plus vulnérable, mais constitue aussi un gouffre financier. Le ministre de la défense a admis que la réforme des bases de défense n’a pas donné de résultats. Pourtant, loin de les remettre en cause, il les conforte, avec un plan d’urgence de 30 millions d’euros.

La politique d’externalisations massives se poursuit. Symbole spectaculaire de la montée en puissance du recours au privé, le partenariat public-privé Balard-Bouygues accumule retards et surcoûts.

Jusqu’à présent, les externalisations ne touchaient que des services périphériques. Désormais, elles frappent des missions de sécurité – logistique d’une troupe en campagne ou acheminement du matériel –, remettant en cause leur permanence opérationnelle et leur nécessaire souplesse. Le maintien en condition opérationnelle, ou MCO, représente 70 % du coût total de possession d’un matériel. Notre outil de défense devient un gisement de profits pour le secteur privé.

Corollairement, les effectifs des personnels civils sont passés de 145 000 il y a une quinzaine d’années à 64 000 aujourd’hui. La LPM prévoit en outre 3 700 suppressions d’emplois d’ouvriers de l’État. C’est la capacité des services industriels à répondre à la demande qui est remise en cause.

L’armée de terre va perdre 46 % de ses effectifs d’ouvriers de l’État d’ici à 2022, ce qui mettra inévitablement en péril le service de la maintenance industrielle terrestre. On s’apprête à placer ce service, ainsi que le service industriel de l’aéronautique, dans la situation de devoir recourir à l’externalisation. Le ministre a simplement rassuré les fédérations syndicales sur l’avenir et l’organisation du maintien en condition opérationnelle des aéronefs. Le MCO aéronautique, assuré notamment par les ateliers industriels de l’aéronautique, demeurera étatique.

Présentées de manière partiale et répondant toujours à la logique du moins-disant, les coupes dans les dépenses de fonctionnement entravent de fait la bonne marche de l’opérationnel, affectant ses capacités et parfois même sa sécurité. Nombre d’exemples étayent cette assertion, à l’image de la récente délocalisation au Portugal du MCO des avions de transport tactique C 130 Hercules ou, plus récemment, des hélicoptères Puma.

La modernisation de l’action publique a remplacé la révision générale des politiques publiques, mais les conséquences sont exactement les mêmes : 34 000 postes seront supprimés durant la période 2014-2019. Au total, 23 500 suppressions d’emplois sont programmées, une baisse des effectifs qui s’ajoute à celle de la précédente LPM de 2008-2013 qui avait déjà supprimé 54 000 postes, ce qui correspond au total à environ 80 000 emplois de moins sur la période 2008-2019 : c’est un plan social massif. Selon un ancien chef d’état-major de l’armée de terre, suivre le programme de fermeture des sites prévu jusqu’en 2015 revient à rayer de la carte trente-huit usines de la taille de celle de Florange.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ce ne sont pas des licenciements !

M. Jean-Jacques Candelier. Bien sûr, on tente de nous rassurer en nous expliquant que l’essentiel de l’effort portera sur l’administration et le soutien. Cependant, l’état de nos forces opérationnelles dépend précisément de ces deux postes budgétaires, puisque les coupes dans les dépenses de fonctionnement diminuent les crédits dont disposent nos forces pour le carburant, le transport, l’instruction ou la communication.

Concernant les personnels hors forces opérationnelles, il est inquiétant d’entendre le chef d’état-major de l’armée de terre et le secrétaire général pour l’administration nous expliquer que l’identification des marges est difficile. Il s’agit d’une véritable bombe à retardement, nos armées devant faire face, avec moins de moyens, aux nouvelles missions confiées par le Livre blanc comme la sécurité du territoire en outre-mer.

En ce qui concerne les mesures catégorielles pour le personnel civil prévues pour 2014, le constat est amer. Le montant des mesures catégorielles programmées est de 11 millions d’euros, ce qui représente une baisse drastique par rapport aux années précédentes.

Il nous est difficile de dire si les crédits alloués au plan d’accompagnement des restructurations sont suffisants ou non : ils s’élèvent à 82 millions d’euros environ pour les personnels civils et à 113 millions d’euros pour les personnels militaires, c’est-à-dire à 195 millions d’euros au total. Nous aurions préféré que cette somme serve à préserver l’emploi au sein du ministère plutôt qu’à réduire les effectifs.

La disparition d’unités et d’établissements militaires aura forcément des conséquences négatives sur la situation de nos territoires. Je connais cette situation dans le Nord, un département sinistré par les fermetures d’entreprises et où la fermeture de la base aérienne de Cambrai est un traumatisme. Cette LPM présente des risques sociaux importants non seulement pour le ministère et ses personnels, mais aussi pour l’industrie de défense.

Il est certes prévu une augmentation des crédits d’équipement, mais celle-ci ne tient pas compte du coût des matériels ou de la présence de plusieurs sophistications excessives. Comme de nombreux militaires de tous grades, nous considérons que l’armée pâtit de l’acquisition de certaines technologies de prestige. Dans le même temps, sur le terrain, on continue trop souvent à opérer avec des technologies de génération ancienne et des véhicules datant des années soixante-dix.

Nous souhaitons que les priorités soient réorientées et que le Parlement contrôle et maîtrise les coûts des armements. La réduction du rythme des livraisons de matériels aura des conséquences néfastes sur l’engagement des industriels à produire aux coûts négociés par la direction générale de l’armement au moment des lancements de programme. Devenant moins rentable, chaque équipement livré risque finalement de coûter plus cher que prévu. Cela touche aussi bien le Rafale que les avions ravitailleurs ou le nouveau gros-porteur A 400 M, fabriqués par la branche militaire d’EADS, les frégates multimissions réalisées par DCNS ou bien encore le véhicule blindé de combat d’infanterie de Nexter, ex-GIAT Industries. Moins d’équipements pour un coût plus élevé, c’est un des paradoxes de l’austérité à tout prix.

Les industriels de la défense prennent d’ores et déjà argument de ces étalements de programme pour envisager des suppressions d’emplois : 1 500 à 2 000 postes doivent être supprimés chez DCNS, en France, en raison de la révision des commandes nationales sur les frégates et les sous-marins. Au total, la réduction des commandes implique des milliers de suppressions d’emplois : sur les 165 000 postes de travail des 4 000 entreprises du secteur de la défense, les industriels prévoient la perte de 10 000 emplois directs et d’autant d’emplois induits.

Concernant les équipements, nous n’acceptons pas que l’arme nucléaire soit présentée comme la clé de notre défense. Elle représente une dépense de 3,4 à 3,5 milliards d’euros par an, soit 9,3 millions par jour et 12 % des crédits. La réalité des nouveaux conflits ne rend-elle pas grandement caduque la force de frappe nucléaire ?

Alors qu’un travail est en cours pour éradiquer les armes chimiques, il faut la même ambition pour le nucléaire. La France doit respecter le traité de non-prolifération et négocier un désarmement nucléaire généralisé. L’abandon immédiat de la composante aérienne, qui coûte 260 millions d’euros par an, serait une première étape. Cette programmation place nos armées sur le fil du rasoir. La direction générale de l’armement se trouve au bord de la cessation de paiement.

Il faut aussi observer l’effondrement de la disponibilité des équipements et du temps d’entraînement dans les unités qui ne sont pas en opération. Le taux de disponibilité est réduit à 49 % pour les matériels terrestres contre 69 % en programmation : il est de 45 % pour les hélicoptères de manœuvre, 56 % pour les frégates et 30 % pour le porte-avions, 50 % pour les Rafale marine et 60 % pour les avions de l’armée de l’air.

Le déficit de maintenance est estimé à 1 milliard d’euros par an pour le parc aérien. Le temps d’entraînement est limité à quatre-vingt-trois jours d’activités opérationnelles dans l’armée de terre, quatre-vingt-huit jours de mer pour les bâtiments de la marine, cent cinquante heures de vol pour les pilotes, alors que la norme est fixée à cent quatre-vingts heures.

L’équilibre repose sur plusieurs paris à haut risque : pari économique du retour à la croissance et du financement des équipements par la suppression de 23 500 postes avec cette fois-ci une baisse de la masse salariale, qui n’est pas assurée ; pari financier de recettes exceptionnelles à hauteur de plus de 6 milliards d’euros ; pari industriel de l’exportation du Rafale à partir de 2016, alors qu’on sait que le contrat indien, qui porte sur cent vingt-six appareils, devait être signé en 2013 pour des livraisons en 2016, ce qui ne sera pas le cas ; pari stratégique de la sanctuarisation de la dissuasion et dans le même temps multiplication des interventions extérieures, avec des forces conventionnelles aptes au combat de haute intensité limitées à 15 000 hommes et quarante-cinq avions.

Nous avons bien noté que le texte comporte une clause de sauvegarde financière concernant les ressources exceptionnelles qui prévoie une compensation intégrale en cas de non-réalisation afin de sécuriser la programmation financière. Nous ne pensons toutefois pas que l’armée doive peser sur les autres missions de l’État. Par ailleurs, si l’exportation de quarante avions de chasse Rafale n’a pas lieu, ce sont près de 4 milliards d’euros que la France devra prendre en charge.

On peut avoir des doutes sur la cohérence de la loi de programmation et du Livre blanc et sur la compatibilité entre les moyens alloués par la première et les ambitions stratégiques affichées dans le second. La surchauffe est prévisible : nos soldats ne peuvent pas tout à la fois défendre le territoire, intervenir en OPEX, soutenir l’action onusienne, produire du renseignement, préparer l’action diplomatique, mener des opérations de maintien de la paix et dissuader. La réduction du nombre de frégates, de patrouilleurs et d’avions de combat, la limitation du nombre de jours en mer des navires ou du temps d’entraînement des pilotes mettent en péril la protection de notre espace aérien et maritime.

Sur un autre aspect, nous estimons qu’il y a une contradiction entre, d’une part, l’ambition du désarmement et de la non-prolifération des armes et, d’autre part, l’atteinte d’objectifs économiques dans l’industrie française de l’armement. Contrairement à certaines ambitions affichées, ce texte favorise la militarisation des relations internationales. Il affirme une volonté de puissance de la France, avec la priorité donnée à la projection de nos forces. Aucune référence n’est jamais faite à la Charte des Nations unies, si ce n’est pour justifier la stratégie d’exportation d’armes dans le monde !

Cette charte est pourtant le document de référence pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre », « proclamer […] notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ». Elle nous invite aussi à « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande », ce qui est la condition de la paix.

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Jean-Jacques Candelier. Notre pays devrait revenir à sa vocation universelle, au lieu de se morfondre dans une pseudo-communauté de valeurs atlantiques ou occidentales, des valeurs qui pourraient bien n’être en réalité que « la loi du fric et du plus fort » !

Il faut engager sans plus attendre un débat démocratique dans le pays sur la politique de défense, sous la forme d’états généraux de la défense. Il faut retisser le lien entre l’armée et la nation autour de la construction d’un outil de défense citoyen qui contribuerait à assurer la paix, le désarmement multilatéral, l’indépendance et la souveraineté de notre peuple mais aussi des peuples. C’est à ce titre que nous devrions fermer nos bases militaires permanentes à l’étranger, y compris la nouvelle base interarmées à Abou Dhabi, qui est la première base française établie à l’étranger depuis la fin de l’ère coloniale et qui place notre pays dans le rôle de sous-traitant des États-Unis dans le golfe arabo-persique.

Les députés communistes et du Front de gauche, dans la continuité des critiques qu’ils ont portées aux décisions prises en matière de défense sous la précédente législature, voteront, bien entendu, contre ce projet de LPM.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a de cela quelques mois, compte tenu de la situation des comptes publics de notre pays, on nous prédisait une apocalypse budgétaire pour nos armées.

Je me suis replongé dans ces débats, dont la teneur était imputable à la situation que connaissait alors notre pays. La future loi de programmation militaire était censée acter des coupes sans précédent dans les crédits alloués à la défense nationale qui devaient conduire à la vente de notre porte-avions, à l’arrêt des chaînes de production du Rafale, à l’abandon du programme Scorpion, à la suppression de trente régiments et donc à la fin de notre capacité de projection. Nombre d’entre nous s’étaient alors inquiétés, non seulement, bien entendu, de la situation de nos comptes publics, mais également de cette perspective alors que les événements au Mali venaient de nous rappeler à quel point notre outil de défense concourait à notre sécurité collective.

Conscient que la France ne pouvait pas baisser la garde dans le monde instable que nous connaissons, le Président de la République avait affirmé sans tarder que le budget de la défense serait sanctuarisé, nous rassurant en cela.

Le présent projet de loi de programmation militaire est la traduction de cet engagement du chef des armées. Entre 2014 et 2019, je le rappelle mais vous l’avez excellemment expliqué, monsieur le ministre, les ressources du ministère de la défense s’élèveront à 190 milliards d’euros courants : le budget sera d’abord stabilisé à 31,4 milliards d’euros, puis il augmentera légèrement à partir de 2017.

Cet effort, significatif compte tenu de la situation dégradée de nos finances publiques, permettra à la fois à nos armées de remplir leurs contrats opérationnels et à notre industrie de défense de rester parmi les premières du monde.

À ce stade, je voudrais réorganiser mon propos. Au lieu de rappeler ce qui l’a déjà été et qui le sera par de nombreux membres de mon groupe, je voudrais plutôt profiter des quelques minutes qui me sont imparties pour réagir à l’intervention de M. Fillon.

En effet, au lieu de se féliciter de la sanctuarisation des crédits et de cette ambition réaffirmée pour notre pays,…

M. Philippe Vitel. Je rêve !

M. Bruno Le Roux. …l’opposition a décidé de s’enfermer dans la litanie du déclassement stratégique et dans le refrain sempiternel de la défense comme variable d’ajustement budgétaire.

M. Philippe Vitel. À juste titre !

M. Bruno Le Roux. Comment expliquer cette posture si ce n’est par la fâcheuse manie qu’a la majorité d’hier à faire porter à celle d’aujourd’hui son triste bilan ?

Permettez-moi de rendre à la droite ce qui lui appartient, ou du moins d’essayer de le faire, car elle semble facilement oublier le bilan des dix années qu’elle a passées au pouvoir.

M. Christophe Léonard. C’est de l’amnésie !

M. Bruno Le Roux. La droite dénonce – M. Fillon l’a fait tout à l’heure – les déflations d’effectifs.

M. Philippe Meunier. Il a raison !

M. Bruno Le Roux. Tout comme elle parvient à se poser en représentante de l’orthodoxie budgétaire alors qu’elle a creusé les déficits et alourdi la dette, la voici maintenant défenseure des emplois publics. Oui, ceux qui ont programmé la suppression de 54 000 postes au ministère de la défense arrivent aujourd’hui à s’offusquer de la déflation deux fois moindre qui est prévue dans la LPM que vous nous présentez, monsieur le ministre ! Peut-être est-ce pour faire oublier aux Français que la masse salariale du ministère de la défense s’est envolée d’1 milliards d’euros malgré ces réductions drastiques de personnel et que la RGPP a fait des dégâts dont on ressent encore les effets aujourd’hui, bien entendu.

M. Philippe Vitel. Qu’est-ce que vous racontez ?

M. Bruno Le Roux. Je regrette d’ailleurs que M. Fillon n’ait pas reconnu tout à l’heure que les effets de cette politique portaient un nom : Louvois. En effet, la bascule vers…

M. Philippe Vitel. Et vous êtes président de groupe ?

M. Bruno Le Roux. Monsieur Vitel, je ne sais pas si je suis président de groupe, mais je sais ce que vous êtes : quelqu’un qui va prendre la tangente, quitter l’hémicycle à l’instant parce que le débat en cours sur les questions militaires ne l’intéresse pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vitel. Vous êtes un empoigneur de foire !

M. Bruno Le Roux. Vous vous êtes contenté de prendre deux ou trois postures sur le sujet dans l’hémicycle, rien de plus ! Partez donc vers ce qui vous appelle : je ne sais pas si c’est le lit ou la buvette,…

M. Gérard Terrier. La buvette !

M. Bruno Le Roux. …mais en tout cas vous y serez bien accueilli.

La bascule vers ce nouveau logiciel de paie a été décidée en 2010 alors qu’un audit de la direction générale des systèmes d’information du ministère le qualifiait de « peu robuste, difficilement maintenable et exploitable. » Au même moment, les sept cent cinquante personnes en charge de la gestion de la solde des militaires étaient invitées à prendre la porte dans le cadre de la RGPP. Voilà la réalité.

« On m’a demandé de choisir entre cela et la dissolution d’unités de combat supplémentaires, c’est-à-dire entre la peste et le choléra. Nous avons signé le couteau sous la gorge. » Tels sont les mots qu’a prononcés le chef d’état-major des armées devant la commission de la défense pour expliquer cette incongruité. Voilà des éléments concrets sur ce qui s’opérait il y a encore quelques années dans l’exécution de la précédente LPM.

Qui tenait ce couteau ? Qui était ministre de la défense en 2010 ? Une chose est sûre : il n’était pas socialiste et ce n’était pas vous, monsieur le ministre de la défense.

La présente LPM ne procédera pas, comme cela a été fait précédemment, à des réductions à la hache. Une analyse fonctionnelle des postes à supprimer se fera sous le pilotage d’une chaîne de ressources humaines enfin unifiée, sans compromettre l’efficacité opérationnelle des armées et sans négliger les conséquences humaines, économiques et sociales des restructurations.

La droite se plaît à parler de coupes budgétaires dramatiques dans le budget de la défense. Elle a pour le moins le don de l’hyperbole, puisqu’avec un budget stabilisé en valeur, la défense ne contribue aujourd’hui au redressement de nos comptes publics qu’à hauteur de l’inflation.

M. Yves Fromion. Attendez de voir !

M. Bruno Le Roux. Cette droite a aussi la mémoire courte, car la précédente LPM, malgré les ambitions qu’elle affichait, a été celle de la diminution des ressources budgétaires allouées à cette même défense : l’écart constaté entre la trajectoire initialement programmée et celle qui a été véritablement exécutée s’élève aujourd’hui à 4,760 milliards d’euros, il a été essentiellement supporté par le programme 146, relatif à l’équipement des forces.

M. Yves Fromion. Vous avez entendu parler de la crise ?

Mme la présidente. Monsieur Fromion, s’il vous plaît, laissez parler l’orateur.

M. Bruno Le Roux. Je comprends qu’il soit douloureux de constater de tels écarts, qui rendent totalement impossible aujourd’hui la moindre posture de votre part. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilbert Le Bris. On n’a pas entendu M. Fromion à l’époque !

M. Bruno Le Roux. C’est ainsi que le lancement de plusieurs programmes a été décalé, et que des équipements pourtant critiques ont été sacrifiés. Il faut le rappeler, car il est trop facile aujourd’hui d’adopter une posture alors que l’on connaît le triste bilan qui est le vôtre en matière militaire et en matière de comptes publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

La droite évoque les lacunes capacitaires de nos armées. Le report d’année en année des avions multirôles MRTT nous oblige aujourd’hui à utiliser des avions de plus de cinquante ans pour ravitailler nos avions en vol ou transporter nos soldats sur les théâtres d’opérations. Ce présent projet de loi remédie à cette situation en commandant enfin ces fameux MRTT…

M. Philippe Vitel. Combien ?

M. Yves Fromion. Combien, et quand ?

M. Bruno Le Roux. …et en prévoyant la livraison de treize A400M en plus des deux unités réceptionnées dès cette année.

M. Gilbert Le Bris. C’est toujours mieux que rien !

Mme Émilienne Poumirol. Avec vous, c’était zéro !

M. Bruno Le Roux. Ce projet pallie ainsi les manquements de la précédente majorité en matière de renseignement électromagnétique avec le lancement du programme Ceres.

Cette LPM met également fin à des années d’atermoiements politiques, par exemple en matière de drones, pour ne citer que cet élément supplémentaire pour lequel le bilan de la majorité précédente est, une fois de plus, bien triste. Dans ce domaine, la France accuse un retard technologique de quinze ans. Pour votre part, monsieur le ministre, en moins d’un an vous avez décidé de commander ce qui se fait de mieux à l’heure actuelle, alors même que vos prédécesseurs n’y étaient pas parvenus pendant les cinq années précédentes.

M. Philippe Vitel. Ce qui se fait de mieux, c’est en Israël qu’on le trouve !

M. Bruno Le Roux. Au total, la programmation s’organise et finance l’acquisition des drones tactiques et des drones MALE, ainsi que le financement à hauteur de 700 millions d’euros du futur drone de combat. Nous pallions donc aujourd’hui ce qui manque à nos armées tout en préparant l’avenir pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Fromion. Ils se rassurent comme ils peuvent !

M. Bruno Le Roux. Mais ce n’est pas fini. La droite s’alarme de la dégradation de la préparation opérationnelle et de la disponibilité des matériels. Nous aussi, nous trouvons préoccupante la façon dont elle a négligé financièrement le besoin d’entretien sous la précédente LPM. Les efforts des services de soutien et le recours aux stocks existants de pièces détachées ont retardé les effets de cet effritement des crédits dévolus au maintien en condition opérationnelle.

Monsieur le ministre, face à ce bilan, vous avez aujourd’hui la lourde tâche de relever nos armées.

M. Yves Fromion. Il s’écoute parler !

M. Bruno Le Roux. Car c’est bien de cela qu’il s’agissait : il ne fallait pas simplement stopper une hémorragie, mais bien relever nos armées pour qu’elles remplissent la mission que nous leur demandons aujourd’hui en intervention. Et je veux, à ce moment de notre débat, penser à ces soldats qui sont en intervention sur le terrain pour qui, malheureusement, les soldes n’arrivaient pas ou arrivaient incomplètes, dont les familles étaient en train de souffrir…

M. Yves Fromion. Nous vous avons laissé un héritage, et vous avez eu beaucoup de chance d’en disposer au Mali !

Mme la présidente. Monsieur Fromion, laissez conclure le président du groupe SRC, s’il vous plaît !

M. Bruno Le Roux. Mais monsieur Fromion, ce n’est pas de la chance que nous avons eue au Mali, c’est le courage de nos soldats qui nous a permis de faire ce que nous y avons fait (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) et la lucidité du Président de la République, chef des armées ! (Mêmes mouvements.)

M. Yves Fromion. Vous êtes un comique troupier !

Mme la présidente. Monsieur Fromion, je vous demande de vous calmer un peu.

M. Bruno Le Roux. Aujourd’hui, je vois bien la difficulté qui est la vôtre dans un débat où, d’erreurs en erreurs, vous êtes amenés à faire l’aller-retour entre votre lit et la buvette, comme M. Vitel à l’instant. Je ne sais pas où il est allé en sortant de cet hémicycle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vitel. Cela ne vous regarde pas !

M. Philippe Meunier. C’est scandaleux !

M. Bruno Le Roux. Monsieur le ministre, vous le reconnaissez vous-même, l’équilibre entre souveraineté budgétaire et autonomie stratégique a été difficile à trouver. Pour tenir debout, aucune brique ne doit manquer à cet édifice législatif. C’est la raison pour laquelle le texte prévoit une actualisation en 2015, afin de vérifier avec la représentation nationale la bonne adéquation entre les objectifs fixés et les réalisations. Entre-temps, les commissions parlementaires chargées de la défense travailleront, disposant de pouvoirs de contrôle que nous avons souhaité renforcer, pour veiller à sa bonne exécution.

Au final, ce projet de loi de programmation militaire ne signe pas, comme on veut le dire sur quelques bancs, le déclin de notre défense nationale, mais il enraye celui qui avait été engagé par la précédente majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vitel. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement pour fait personnel. Monsieur Le Roux se permet…

Mme la présidente. Monsieur Vitel, attendez que je vous donne la parole, calmez-vous un peu. Nous allons prendre notre temps.

Rappels au règlement

Mme la présidente. Monsieur Vitel, vous avez la parole pour un rappel au règlement. Sur le fondement de quel article ?

M. Philippe Vitel. Pour fait personnel ! M. Le Roux se permet des propos totalement déplacés à mon encontre, et je lui demande publiquement de s’en excuser immédiatement.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, dans le cadre du bon déroulement de notre séance, je trouve qu’il est très triste qu’un orateur soit interrompu par quelqu’un qui sort de l’hémicycle. Il peut en sortir pour aller n’importe où dans l’environnement de l’hémicycle, que ce soit dans le salon Pujol, où se réunit la droite, ou dans la buvette, qui est ouverte jusqu’à la fin de nos débats. Je ne sais donc pas où vous avez été, monsieur Vitel, je vous ai simplement vu revenir ensuite. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) De toute façon, je n’ai aucune excuse à formuler à l’endroit de ceux qui beuglent quand nous parlons de défense nationale dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Meunier.

M. Philippe Meunier. Madame la présidente, je demande une suspension de séance de cinq minutes afin de réunir notre groupe.

M. Gérard Terrier. À la buvette ?

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La suspension est de droit. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-cinq, est reprise à minuit.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Meunier.

M. Philippe Meunier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propos qu’a tenus M. Le Roux sont regrettables et ne sont pas à la hauteur des débats qui concernent pourtant la défense nationale. Il brille d’ailleurs par son absence.

M. Christophe Guilloteau. Il est à la buvette ! (Sourires.)

M. Philippe Meunier. Les lois de programmation militaire ont pour objet de protéger notre pays de toutes attaques susceptibles de mettre en cause notre liberté, notre culture et tout ce que les générations précédentes ont pu nous léguer par leur travail et leurs efforts.

Après avoir réussi à mettre à genoux le bloc communiste, nos armées ont dû s’adapter à la nouvelle donne internationale, l’heure étant non plus à la confrontation massive de chars mais à la professionnalisation, liée notamment à l’accélération des progrès technologiques. Les précédentes LPM finalisaient ainsi cette véritable révolution que fut la fin de la conscription. Cela s’est fait avec le concours de nos trois armées, qui ont su porter l’effort nécessaire dans le cadre de leur professionnalisation.

La présence de nos armées durant de nombreuses années en Afghanistan et, récemment, au Mali a démontré le bien-fondé du précédent Livre blanc et la réussite de la précédente LPM ambitieuse, réalisée, je le rappelle, à près de 98 % de ses objectifs jusqu’à votre arrivée au pouvoir en 2012. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le ministre, vous défendez aujourd’hui la LPM 2014-2019 souhaitée par le Président de la République. Sans remettre en cause votre volonté de faire pour le mieux, la vérité nous oblige à vous dire que, sous la pression de votre majorité et des ministres des finances et du budget, votre loi de programmation militaire est à l’image de la politique de ce gouvernement : elle affaiblit la France.

Nos travaux en commission de la défense nous ont permis de mesurer l’impact que la révision du format que vous imposez à nos armées aura sur nos capacités de défense. Avec votre loi de programmation militaire, vous remettrez en cause la remise à niveau et les efforts portés par les précédents gouvernements depuis 2002 pour renforcer l’efficacité de notre défense nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Gilbert Le Bris. On ne peut pas dire ça !

M. Philippe Meunier. Vous remettez donc en cause le rang de la France sur la scène internationale en affaiblissant à nouveau nos forces : l’armée de terre passera de huit à sept brigades, le nombre des bases de l’armée de l’air diminuera, tout comme celui des unités de la marine.

Dès 2014, la défense assumera ainsi 60 % des baisses d’effectifs de la fonction publique alors que François Hollande avait promis le 30 janvier dernier : « la défense ne participera ni plus ni moins que les autres secteurs à l’effort de rigueur budgétaire ».

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Ce qui est vrai !

M. Philippe Meunier. Nos armées verront ainsi leurs effectifs diminuer, de votre seule responsabilité, de près de 34 0000 hommes, les documents de votre projet de loi le montrent.

La majorité actuelle n’avait pas de mots assez durs en 2009 pour critiquer la précédente LPM.

M. Gilbert Le Bris. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Meunier. Le comble, c’est que, non contents de reprendre à votre compte les 10 500 postes non supprimés de la LPM précédente, vous en ajoutez une couche alors que les conditions actuelles ne le justifient plus.

Le Président de la République exige ainsi de nos armées l’impossible, mais cela ne l’empêche pas de recruter 60 000 fonctionnaires supplémentaires pour le compte du ministère de l’éducation nationale,…

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Vous n’avez que ça comme argument ? Ce n’est pas possible !

M. Philippe Meunier. …alors que la Cour des comptes a démontré elle-même que ce ministère souffrait non pas d’un nombre trop faible d’enseignants mais d’une utilisation défaillante des moyens existants.

En raison de ce traitement inique, avec le Gouvernement et le Président de la République, vous cassez non seulement notre outil de défense mais aussi le moral de nos armées.

Après la suppression massive de leurs effectifs, avec votre LPM nos armées se verront également amputer de leur capacité en matériel.

L’armée de terre ne verra pas arriver ses premiers véhicules du programme Scorpion avant 2018-2019 puisque votre gouvernement a attendu dix-sept mois avant de signer le lancement du marché. Nos véhicules de l’avant blindés ne pourront pas tenir jusqu’à cette date sans un taux d’indisponibilité majeur, vous le savez très bien. Vous annoncez également dans votre LPM la baisse de 20 % de la capacité d’intervention de nos chars lourds puisque vous avez décidé d’en placer cinquante sous cocon. Quant aux premières rénovations que vous nous proposez, notamment pour améliorer leur capacité d’intervention en milieu urbain, elles n’interviendront pas avant 2020. Pour dire les choses simplement, que ce soit avec le programme Scorpion ou la rénovation de nos chars lourds, qui n’ont, je le rappelle, pas changé de standard depuis 2005, vous « refilez le bébé » à vos successeurs et à la prochaine LPM 2020-2025.

L’armée de l’air passera quant à elle de 275 avions à 225. Pour faire face à cette baisse massive du nombre de nos avions de combats, vous nous proposez de créer deux catégories : des pilotes de premier rang, capables d’entrer en premier au combat, qui bénéficieront des qualifications nécessaires, et des pilotes de second rang, qui n’auront plus les qualifications suffisantes pour le faire, faute d’entraînement. Cela ne s’est jamais vu dans aucune armée de l’air opérationnelle moderne et digne de ce nom. Avec ce type de décision, vous prenez la responsabilité d’affaiblir nos capacités de défense et d’attaques aériennes, sans parler du moral de nos pilotes.

Et que dire de notre parc d’avions ravitailleurs ? Vous attendez 2018 pour remplacer le premier de nos KC 135 alors que chacun sait que le parc actuel de 12 appareils ne pourra pas tenir techniquement jusqu’à cette date. Concrètement, cela signifie que, notre composante nucléaire aéroportée mise à part, notre armée de l’air devra se mettre sous la tutelle d’une puissance étrangère pour mener une opération de type Mali. Ce n’est pas acceptable !

La marine voit aussi remise en cause la livraison du nombre de ses unités avec les réductions de capacité les plus significatives. La diminution du nombre et le décalage des livraisons de nos patrouilleurs, de nos frégates et de nos sous-marins nucléaires d’attaque diminueront ainsi de facto la présence de notre marine pour défendre nos intérêts au sein de nos eaux territoriales et en haute mer.

La forte réduction du nombre de missiles et de munitions qui seront commandés dans le cadre de votre loi de programmation militaire fait aussi peser un risque grave sur les capacités d’engagement opérationnel important de notre marine. À quoi bon tenir de grands colloques sur la « maritimisation » si vous ne donnez pas à notre marine les moyens d’assurer sa mission sur tous les continents où nos eaux territoriales et nos intérêts vitaux sont menacés, Philippe Vitel le dira tout à l’heure.

Après les années calamiteuses de la gauche plurielle, de 1997 à 2001, il a fallu dix ans à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy pour redonner à notre pays sa capacité d’intervenir efficacement sur les différents théâtres d’opérations extérieures. Décidément, de Lionel Jospin à François Hollande, la gauche, pour des raisons idéologiques et pour financer son clientélisme électoral, se sert toujours de la défense nationale comme variable d’ajustement budgétaire.

Vos efforts n’auront donc servi à rien, monsieur le ministre. Votre projet de loi de programmation militaire est passé sous les fourches caudines de Bercy et votre programmation budgétaire n’est pas sanctuarisée puisque les budgets 2014, 2015 et 2016 ne prendront pas en compte l’inflation.

Sur la totalité de la durée de votre LPM, nos armées perdront ainsi plus de 10 milliards d’euros de pouvoir d’achat. Quant aux recettes exceptionnelles de 6,5 milliards d’euros que vous attendez pour boucler votre programmation, personne n’y croit. Et ce n’est pas la décision de votre gouvernement d’amputer le budget 2013 de la défense de 650 millions d’euros, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, qui confère de la crédibilité à votre projet de loi de programmation militaire. Au nom de l’intérêt national, souhaitons que votre pari risqué sur les exportations soit tenu.

Je ne remets pas en cause votre patriotisme et vous savez que, lorsqu’il s’agit de l’intérêt national, vous pouvez compter sur nous. Nous le démontrerons encore au cours de nos débats lorsqu’il s’agira, par exemple, de protéger notre dissuasion nucléaire des attaques de vos propres alliés politiques.

Alors, ayez le courage de dire la vérité à nos compatriotes. Arrêtez de dissimuler les conséquences dramatiques de votre loi de programmation militaire sur nos capacités opérationnelles et notre tissu industriel. Arrêtez de dissimuler la liste des communes qui seront frappées jusqu’en 2019 par la fermeture des bases que vous avez décidée et que vous cachez aux Français.

M. Daniel Boisserie. C’était pire avec vous !

M. Philippe Meunier. Si vous assumez les conséquences désastreuses de cette loi de programmation militaire décidée par le Président de la République, François Hollande, ayez le courage de dire la vérité à nos compatriotes sur le grand déclassement de nos armées qui s’en suivra car, si votre LPM est mise en œuvre en l’état, la France ne sera plus qu’un pays de second rang au niveau international.

Monsieur le ministre, il s’agit de la défense de la France. Ne sacrifiez pas nos intérêts pour des raisons partisanes afin de satisfaire les revendications de tel ou tel syndicat de l’éducation nationale.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Arrêtez avec cette comparaison ridicule !

M. Lionnel Luca. Elle touche là où ça fait mal !

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Cela ne tient pas !

M. Lionnel Luca. Si !

M. Philippe Meunier. Dans un monde dangereux, où certains veulent nous imposer leur diktat religieux ou politique, notre devoir est de protéger les Français. La priorité doit donc être donnée à cette mission régalienne de tout État digne de ce nom : protéger ses compatriotes.

Alors, monsieur Le Drian, je m’adresse à vous et à votre sens des responsabilités : écoutez nos armées, écoutez l’actuelle opposition. François Mitterrand n’a jamais plié face au danger soviétique, expliquez à François Hollande que plier devant le clientélisme électoral finit toujours par un désastre politique.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Parole de connaisseur !

M. Philippe Meunier. Si vous n’écoutez pas cet appel que nous vous lançons, si vous refusez nos amendements, nous serons dans l’obligation de voter contre votre projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en incarnant des valeurs chevillées au plus profond de notre nation, l’armée a toujours soutenu et incarné la grandeur de la France, de Valmy à Verdun, de Bir-Hakeim à l’Indochine, en Afrique du nord comme en Kapisa ou, plus récemment, dans le Septentrion malien.

Bonaparte, Joffre, Lyautey, Gallieni, Bigeard et, bien entendu, le général de Gaulle : l’histoire de notre pays est jalonnée de grands hommes issus de la communauté militaire, dont la force morale et la capacité de commandement ont forgé notre République.

Des poilus du Chemin des dames aux courageux visionnaires de Koufra, les sacrifices et la détermination de nos combattants ont profondément marqué notre histoire. Permettez-moi ainsi de rendre hommage à tous nos hommes présents sur les théâtres extérieurs, du Mali en Afghanistan en passant, entre autres, par le Kosovo, le Liban et, plus récemment, la République centrafricaine. Par leur professionnalisme, leur dévouement, leur sens du devoir et du sacrifice, ils font honneur aux armes de la France.

Les députés du groupe UDI ont soutenu avec constance et détermination l’opération Serval dès son lancement, et nous nous félicitons des actions, exemplaires et admirées, menées par nos militaires dans des conditions souvent très difficiles. Cet engagement de nos troupes, c’est avant tout un engagement de la France pour elle-même mais aussi pour l’Europe, pour la défense de l’intégrité territoriale d’un État allié, pour la démocratie, la liberté et la lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme.

La famille centriste a toujours placé, au même titre que son attachement à l’Europe, les questions de défense et de sécurité au cœur de ses préoccupations.

Nous savons de quoi les militaires sont faits, nous savons ce que l’on peut attendre d’eux. Nous savons que leur mission n’est comparable à nulle autre, car leur engagement peut aboutir in fine au sacrifice suprême, celui de la vie. Ainsi, je tiens à rendre hommage à tous ceux qui, ces derniers mois, sont morts au combat pour la France.

Nous mesurons pleinement la portée des décisions que nous avons à prendre, toujours lourdes de conséquences et parfois irréversibles, et nous savons que nos militaires attendent des responsables politiques exemplarité et soutien.

Le projet de loi de programmation militaire dont nous débattons aujourd’hui en est un exemple. Il engage la défense française pour les années 2014 à 2019, mais également bien au-delà. Les décisions qui y sont prises doivent être responsables et ambitieuses. Nous mesurons l’ampleur de la tâche. Si elles sont courageuses et pertinentes, nous les soutiendrons. Si elles se révèlent irresponsables et démagogues, nous les combattrons.

N’en déplaise à certains, la France compte encore aujourd’hui parmi les plus puissantes armées du monde. Elle dispose d’une dissuasion nucléaire crédible et indépendante, d’une puissance militaire plus tout à fait globale, qui repose sur la capacité de projection de ses forces, et d’une présence militaire mondiale, à travers ses forces de souveraineté présentes dans les départements et collectivités d’outre-mer, qui sont un incomparable atout géostratégique, trop souvent ignoré ou délaissé.

Notre industrie de défense est extrêmement performante et c’est au demeurant l’un de nos secteurs les plus compétitifs à l’exportation – notre quatrième place en la matière en témoigne –, qui contribue à hauteur de plus de 5 milliards d’euros à la balance commerciale du pays.

La défense demeure l’ultime garantie de notre intégrité territoriale, métropolitaine et ultramarine, terrestre et maritime. Elle assure notre sécurité ainsi que celle de nos compatriotes expatriés et nous permet de sauvegarder nos intérêts géopolitiques, économiques et humains.

Les forces nucléaires et la capacité de projection de nos troupes sont tout particulièrement essentielles pour faire entendre la voix de la France dans le concert des nations et faire respecter nos prises de position jusqu’au cœur du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais un modèle reposant sur la seule dissuasion et les forces spéciales n’est pas le nôtre, car contraire aux intérêts majeurs du pays.

La force demeurant l’ultima ratio, notre aptitude à défendre nos intérêts au sein de nouveaux rapports de force dépend en grande partie de la polyvalence et de la crédibilité de notre outil militaire. Dans un monde toujours plus instable et dangereux, alors même que l’Europe baisse la garde sur le plan budgétaire et capacitaire et qu’elle peine à faire entendre une voix unie sur la scène internationale, nombreux sont ceux qui s’arment ou se réarment : Chine, Inde, Brésil, Russie, Japon…

L’évolution du contexte géostratégique, l’émergence de nouveaux pôles de puissance économique, démographique, monétaire, diplomatique et militaire, la multiplication des conflits asymétriques, la diversification des menaces – terroristes, conventionnelles ou non conventionnelles, prolifération d’armes de destruction massive, cybercriminalité… – nous invite à adapter en permanence nos concepts stratégiques.

Malgré l’accumulation des réformes et les défis suscités par l’évolution stratégique, la sophistication croissante de l’armement, l’augmentation des coûts du maintien en condition opérationnelle, jamais les militaires n’ont failli à leur devoir et ils ont toujours assuré la réussite de leur mission. Doit-on pour autant demander aux armées plus d’efforts qu’aux administrations civiles ? Notre réponse est catégorique : c’est non.

Les centristes ont été les premiers à dénoncer le cancer de la dette qui assèche financièrement notre pays et nos marges de manœuvre. Le paiement des seuls intérêts de la dette représente une fois et demi le budget de la défense ! Le redressement du pays commence donc, certes, par le rétablissement des équilibres financiers. À ce titre, nous tenons à souligner que, bien évidemment, les forces armées mériteront de bénéficier pleinement des marges de manœuvre que le redressement de l’économie et des finances publiques nous redonnera, s’il se concrétise d’ici à la fin du quinquennat.

Cependant, la question qui se pose est la suivante : demain, une intervention telle que l’opération Serval sera-t-elle encore possible ?

M. Philippe Vitel. Non !

M. Philippe Folliot. La France sera-t-elle en mesure de continuer à défendre ses valeurs fondamentales ? Nous craignons qu’avec les conséquences de cette loi de programmation militaire, la réponse soit négative. En effet, on demande à nos armées, une fois encore, de continuer à faire mieux mais avec moins, avec un budget tout juste maintenu à son niveau actuel : 31,4 milliards d’euros. Depuis les années soixante, l’effort de défense français est passé de 5 à 1,5 % du PIB. La perspective, du reste, est de 1,3 % d’ici à 2019. On le voit, l’incohérence entre ambitions stratégiques et contraintes budgétaires est flagrante.

S’il est vrai que des avancées sont perceptibles dans les domaines de la cyber-défense, de la cyber-sécurité et du renseignement, nous constatons qu’aucun choix réel et marquant n’a été fait sur des sujets clés tels que les forces nucléaires, notamment la deuxième composante aéroportée, la prévention des conflits, l’OTAN, l’Europe de la défense, ou encore les entreprises privées de sécurité et de défense. De plus, l’importance stratégique de l’océan Indien et du Pacifique, qui regroupent 90 % de notre zone économique exclusive, n’est pas suffisamment prise en compte.

Nous sommes tous ici conscients des contraintes très fortes qui pèsent sur le budget de la défense, dans un contexte difficile de redressement des finances publiques. Un effort très important a d’ailleurs déjà été consenti par la défense dès le budget 2013, et notre armée contribue, et plus qu’à proportion, depuis plusieurs années, à l’effort de réduction des déficits. Elle a de surcroît dû supporter en même temps l’échec du logiciel Louvois et la difficile mise en œuvre de la réforme des bases de défense. Sans compter des conditions de préparation des forces toujours plus contraintes et des matériels bien souvent indisponibles.

Dans ce contexte, les nouvelles mesures proposées à partir de 2014 nous paraissent déraisonnables, excessives et terriblement menaçantes. En effet, le niveau du budget sur cinq ans n’est pas à la hauteur, et cela touchera inéluctablement les unités opérationnelles, d’autant plus que les incertitudes entourant ce budget sont fortes. Le Gouvernement espère plus de 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, particulièrement aléatoires. Je ne reviendrai pas, après le rapporteur pour avis Jean Launay, sur les emprises immobilières ou les ventes de fréquences. En outre, les exportations de Rafale restent à ce jour hypothétiques pour 2016. Notre modèle de programmation militaire risque d’être remis en cause. Cette loi de programmation est même presque caduque avant d’avoir été votée du fait de la triste habitude du report de charges : 3 milliards d’euros qui pèseront dès l’année prochaine sur la défense.

En outre, au-delà des 45 000 suppressions de postes déjà effectuées, les 34 000 supplémentaires ne feront qu’aggraver le problème. Près de 60 % des futures baisses d’effectifs de la fonction publique sont supportées par la seule défense nationale.

C’est une réalité qui mine nos militaires. Monsieur le ministre, le moral des armées n’est pas bon, certes à l’image de celui des Français. Aujourd’hui prévaut un sentiment d’injustice dans la communauté militaire, qui constate que la défense, qui a subi le choc de la professionnalisation et multiplié les efforts de rationalisation, tout en assumant ses missions de façon exemplaire, ne compte pourtant pas parmi les priorités budgétaires de ce gouvernement, contrairement à l’éducation, la sécurité ou la justice.

Si vous décidez de maintenir les suppressions d’unités combattantes prévues dans la loi de programmation, évitez au moins de faire subir à nos hommes un supplice chinois, et informez au plus vite les unités victimes de restructuration. Ainsi, les personnels militaires et civils pourront se préparer au mieux à leur changement de situation, les délais légaux étant d’un an pour les premiers et de deux ans pour les seconds.

La baisse des objectifs opérationnels et des niveaux de livraison de matériel aura de lourdes conséquences économiques et sociales. Il y a là aussi un hiatus évident entre la puissance proposée et la puissance assumée.

Cette loi de programmation militaire pour 2014-2019 marque ainsi, de fait, l’affaiblissement de notre outil de défense. Nos forces armées sont à l’image d’une France engoncée dans ses incertitudes stratégiques, reléguée au rang de puissance moyenne, incapable d’inciter ses partenaires européens à incarner une Europe puissante, capable tout au plus de quelques incursions sahélo-sahariennes. Elle n’est plus forcément en mesure de tenir un conflit de haute intensité loin de nos bases contre un ennemi bien équipé et déterminé. Pourtant, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France devrait au contraire demeurer, de par sa dimension ultramarine, une puissance globale et mondialisée.

Ces constats conduisent à une conclusion simple : la défense de l’intérêt national doit également passer, à l’avenir, par la mise en place d’une défense européenne crédible. Dès lors, nous souhaitons qu’émergent de nouvelles coopérations dans ce domaine, car le projet européen, cher à notre cœur, n’a de justification et de légitimité que dans une volonté d’assurer sa défense de manière forte et autonome.

Sur ce point, nous voulons tenir là encore un discours de vérité. On ne peut nier les difficultés que rencontre l’Union européenne à défendre une vision commune sur le plan diplomatique et militaire, comme le met en lumière l’incapacité de se mobiliser sur le dossier sahélien, ou comme ce fut le cas lors du conflit libyen, et ce en dépit des avancées institutionnelles introduites par le traité de Lisbonne. En effet, il est parfois difficile de partager une vision commune de nos intérêts géostratégiques, et les impératifs sécuritaires ne revêtent pas la même importance pour tous nos partenaires. La disparité des budgets militaires constatée au sein de l’Union en est la meilleure preuve.

Il nous apparaît donc indispensable de travailler activement au renforcement de notre coopération en matière de défense, notamment en dotant l’Europe de moyens financiers à travers un budget dédié exclusivement à la politique de sécurité et de défense commune, notamment en vue du financement de manière solidaire des OPEX, où la France se retrouve souvent seule à être nation cadre, et des autres opérations militaires et civilo-militaires menées actuellement au nom de l’Union européenne.

La mise en commun des moyens technologiques et des capacités industrielles à l’échelle européenne conduirait également, de manière certaine, à la formation d’un ensemble pertinent, puissant, pouvant permettre à l’UE et à ses États membres d’occuper une place prépondérante sur la scène internationale. Ce serait sans nul doute un moyen pour la France de mettre en œuvre des économies réfléchies et pertinentes, en concertation avec ses partenaires, alors même que les États-Unis semblent de moins en moins vouloir, et pouvoir, assumer seuls le coût de la défense collective du continent.

N’oublions pas non plus que la France a une place singulière dans le monde, où elle est présente sur trois océans et quatre continents, grâce aux DOM-COM et à ses territoires ultramarins, qui nous offrent, avec 11 millions de kilomètres carrés, le second domaine maritime mondial. Nous devons donc impérativement préserver les effectifs présents dans les outre-mer, car la souveraineté sur nos territoires comme sur nos zones économiques exclusives exige que nous les défendions.

Enfin, je tiens à souligner que le lien armées-nation doit plus que jamais être consolidé par les réserves opérationnelles et citoyennes, qui constituent un outil formidable pour créer des liens entre civils et militaires. Nous devons également souligner le rôle majeur des forces armées dans la promotion sociale, qu’il faut sans cesse renforcer, notamment à travers ses liens avec la jeunesse. Nous devons impérativement garder à l’esprit le rôle fondamental d’ascenseur social que joue la défense, premier recruteur de jeunes non diplômés. Enfin, le lien armées-nation ne s’arrêtant pas aux seuls « actifs », nous devons renouer un dialogue constructif et respectueux avec les associations patriotiques et d’anciens combattants, et mieux associer la jeunesse aux commémorations nationales.

Mes chers collègues, je dirai pour conclure que les députés du groupe UDI considèrent que, sur ce sujet crucial pour la France qu’est notre politique de défense, il eût été nécessaire de parvenir à un consensus national. Nous attendions du chef de l’État qu’il définisse une véritable ambition nationale et européenne. Une stratégie cohérente doit être mise en place pour notre défense, de manière stable, avec une visibilité sur le moyen et le long termes, alors que cette loi de programmation militaire ne se projette réellement que sur cinq ans – et encore !

Mme la présidente. Merci de conclure.

M. Philippe Folliot. Les députés du groupe UDI ne voient malheureusement pas, dans cette loi de programmation militaire, la stratégie d’avenir de la France qu’elle devrait pourtant mettre en exergue. Nous appelons par conséquent le Gouvernement à faire de la défense la priorité régalienne qu’elle devrait être et qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Il y va non seulement de la sécurité de notre pays et de chaque Française et Français, mais aussi, in fine, de la grandeur et du rayonnement de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, l’élaboration d’une loi de programmation est toujours un exercice un peu périlleux, qui consiste à identifier les objectifs que se fixe l’État dans un secteur et les moyens qu’il met en œuvre pour les atteindre. Il s’agit donc tout à la fois d’une entreprise de prospective, de planification et d’arbitrage.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui est porteur d’une « certaine vision du monde » formalisée dans le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. C’est l’aspect prospectif. Il a par ailleurs vocation à décliner notre action stratégique, année par année, jusqu’en 2019. C’est là sa fonction de planification. Enfin, ce projet de loi doit consacrer un certain nombre de choix, à la faveur des évolutions budgétaires et sécuritaires. Il est donc bien question d’arbitrage. C’est sur ce dernier point que selon nous le bât blesse et c’est celui sur lequel nous voulons davantage insister.

Nous pensons en effet que ce texte, comme le Livre blanc, d’ailleurs, continue à entretenir l’illusion, le mythe d’une puissance globale que la France n’est plus, si tant est qu’elle l’ait été un jour. Je note d’ailleurs que, dans Le Monde du 12 novembre, le chef d’état-major de la Marine dit lui-même qu’il faudra dorénavant faire des choix. Je cite l’amiral Bernard Rogel : « Ce sera dorénavant la Méditerranée orientale ou la corne de l’Afrique, pas les deux en même temps. » Voilà une expression extrêmement claire eu égard au mythe d’une puissance globale.

Ces dernières années, la France a développé une diplomatie d’intervention qui s’imposait au regard d’un certain nombre d’épisodes violents menaçant, par-delà nos frontières, les ressortissants français ainsi que les intérêts et les valeurs de notre République. Je crois qu’il faut l’assumer clairement, et nous considérons qu’augmenter la part des investissements consacrés à des postes de dépense très lourds, tels que la dissuasion nucléaire, pour réduire celle affectée aux opérations extérieures, se fait au risque de devoir compenser les coûts non couverts par des financements interministériels ou extérieurs pour le moins aléatoires.

Les épisodes conflictuels qui ont récemment éclaté dans des territoires aussi différents que le Mali ou la Syrie sont venus rappeler à la mémoire collective que nos armées ont leurs limites et qu’il convient d’intégrer celles-ci pour ne pas nous mettre en situation de porte-à-faux.

En repoussant certains choix qui s’imposent au profit d’aménagements à la marge, ce texte reconduit un outil de défense certes global, mais fragilisé dans toutes ses composantes, et nous le regrettons. La proportion grandissante des crédits alloués à la dissuasion, voire leur sanctuarisation dans le budget de notre défense, conduit de fait à réduire les moyens de nos forces conventionnelles. Je me permettrai donc d’en dire quelques mots. Les interventions officielles de l’exécutif sur notre stratégie de dissuasion nucléaire sont rares, tellement rares que l’on en oublierait presque que cette force mobilise près de 4 milliards d’euros chaque année.

Dans son projet présidentiel, François Hollande s’était engagé à maintenir les deux composantes de notre arsenal nucléaire : c’était le dernier de ses soixante engagements. Auparavant, il s’était exprimé une fois à ce sujet, dans Le Nouvel Observateur, reprenant l’adage de François Mitterrand selon lequel « La stratégie de la France, pays détenteur de l’arme nucléaire, n’est ni offensive, ni défensive, elle est de dissuasion, ce qui veut dire, en termes encore plus simples, qu’elle a pour but essentiel d’empêcher le déclenchement de la guerre ». Toutefois, c’est en 1994 que François Mitterrand avait prononcé ces mots, soit à une période où la guerre froide était encore toute proche. Depuis lors, la donne géopolitique a pour le moins évolué et l’on peut s’étonner que notre stratégie nucléaire ne s’en trouve pas davantage questionnée.

De plus en plus de hauts responsables politiques et militaires s’interrogent ouvertement sur la pertinence d’une force atomique aussi coûteuse au regard du contexte budgétaire et sécuritaire. Aujourd’hui, l’intégrité territoriale de la France n’est plus menacée. Les seules menaces globales auxquelles nous soyons exposés sont l’œuvre d’acteurs non étatiques, souvent dissimulés dans les populations, et contre lesquels la bombe atomique est totalement inopérante. De même, nos capacités nucléaires ne sont d’aucune utilité pour lutter contre le terrorisme ou intervenir à l’étranger. Il y a donc matière à s’interroger sur la nécessité de maintenir en l’état une force qui mobilise près de 15 % de notre budget de défense.

Une réflexion sur l’ajustement de notre force de dissuasion est d’autant plus urgente que nous traversons une crise budgétaire sans précédent. La défense coûte chaque année 31,4 milliards d’euros à l’État, donc au contribuable. Il s’agit du troisième poste de dépenses publiques après l’éducation et la dette. La dissuasion nucléaire engagera à elle seule 23,3 milliards d’euros de crédits pour la période 2014-2019. Cette facture pourrait d’ailleurs être plus élevée si l’on en croit les conclusions d’un rapport de 2010 de la Cour des comptes, qui dénonce une tendance à la « budgétisation à la baisse » dans de nombreux programmes de dissuasion nucléaire. Selon ce document, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins peut ainsi voir son coût unitaire varier de plus de 58 % entre le jour où il est inscrit au budget et le jour où il est livré. Il faut donc non seulement réfléchir à la pertinence de ces investissements, mais également mesurer le risque déficitaire auquel ils nous exposent à long terme.

Enfin, la question d’une rationalisation de nos capacités de dissuasion nucléaire s’impose eu égard aux engagements internationaux qui sont les nôtres. Je rappelle que la France est signataire du traité de non-prolifération des armes nucléaires qui stipule, dans son sixième article, que les parties s’engagent à « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ». En 2009, dans une tribune commune, les anciens premiers ministres, Michel Rocard et Alain Juppé, l’ancien ministre de la défense, Alain Richard, et l’ancien commandant des forces aériennes de combat, le général Norlain, appelaient de leurs vœux des « initiatives urgentes et beaucoup plus radicales » destinées à « engager un processus conduisant de manière planifiée au désarmement complet ». De toute évidence, la modernisation de notre arsenal nucléaire, telle qu’elle est prévue dans cette loi de programmation, est incompatible avec ce processus de désarmement qui doit retrouver toute sa place dans notre diplomatie, l’actualité iranienne le montre.

Pour les écologistes, ces considérations stratégiques, budgétaires et diplomatiques auraient mérité que la reconduction de notre arsenal nucléaire fasse l’objet d’un débat. Je constate d’ailleurs que certains collègues de la majorité en ont aussi appelé à un débat, comme Gwenegan Bui tout à l’heure. Lorsque j’ai exprimé cette volonté au moment de la publication du Livre blanc, on m’a rétorqué que le débat avait eu lieu dans le cadre de la commission chargée de rédiger ce document, dans laquelle seuls les deux principaux groupes de notre assemblée étaient représentés, ni les autres groupes, ni les autres partis n’ayant été auditionnés, comme cela s’était fait précédemment. Par la suite, lorsque j’ai demandé que cette question soit posée dans le cadre du budget, on m’a répliqué que les discussions avaient eu lieu au moment du Livre blanc. Enfin, lorsqu’en commission, il y a quinze jours, j’ai insisté pour que cette loi de programmation serve à rouvrir ce débat, on m’a objecté que celui-ci s’était tenu lors du budget. (Sourires.) En réalité, monsieur le ministre, reconnaissons que ce débat n’a jamais eu lieu, pour une raison très simple, qui tient au fait que lorsque le Président de la République a chargé M. Jean-Marie Guéhenno de piloter la rédaction du nouveau Livre blanc, il lui a demandé d’ouvrir tous les débats, sauf celui-ci. J’invite d’ailleurs les plus curieux d’entre vous à se reporter à la lettre de mission envoyée le 13 juillet 2012 par François Hollande au président de la commission du Livre blanc.

Cette absence de débat, monsieur le ministre, est doublement problématique. Elle l’est d’abord du point de vue de notre démocratie, puisqu’elle prouve que certains sujets, qui relèvent de la politique internationale, resteraient une sorte de domaine réservé de l’exécutif, échappant au Parlement. Elle l’est ensuite du point de vue sécuritaire, parce que ce statu quo sur le nucléaire provoque des impasses capacitaires dans nos armées. Il y a deux ans, un groupe de travail, chargé de réfléchir à l’ajustement de notre outil de dissuasion au regard du contexte économique, avait été constitué. Quatre ans plus tôt, les forces aériennes stratégiques avaient été diminuées de 30 %. Aujourd’hui, c’est en tant qu’écologiste, mais également en tant que membre de la majorité, que je regrette que ce débat de premier ordre reste dans l’angle mort de la pensée stratégique. Je reste convaincu, monsieur le ministre, qu’il y avait matière à réfléchir ensemble à un modèle capacitaire plus cohérent et plus équilibré et j’espère que l’avenir nous donnera l’occasion d’y travailler. Si j’ai bien entendu la proposition que la présidente de la commission de la défense a faite tout à l’heure en ce sens, je regrette simplement qu’elle arrive après la discussion sur la loi de programmation militaire. Néanmoins, nous saisirons toute occasion qui se présentera de participer à ce débat.

Cohérence, équilibre sont également les maîtres mots qui devront conduire la manœuvre de repyramidage des armées, annoncée dans les articles 2 et 4 du projet de loi. À ce sujet, je crois qu’il faut nous féliciter que la volonté de réformer notre modèle de ressources humaines soit partagée par tous. Il y a un an, en commission de la défense, le premier président de la Cour des comptes était venu dresser un bilan alarmant à ce sujet. Alors que la réduction massive des effectifs militaires, engagée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et prolongée par la loi de programmation militaire de 2009, devait permettre une économie de plus d’un milliard d’euros sur la masse salariale, elle avait au contraire conduit à l’explosion des dépenses de personnels. Selon Didier Migaud, le manque à gagner entre 2009 et 2011 s’élevait ainsi à plus de 2 milliards d’euros.

Cette dérive salariale résulte d’un manque de ciblage des politiques de restructuration engagées depuis 2007. En effet, en ménageant les officiers, surtout les officiers supérieurs, les mesures adoptées par le ministère de la défense lors du précédent mandat ont provoqué une croissance exponentielle du taux d’encadrement. Celui-ci était de 14,6 % en 2008, de 15,9 % en 2009 et atteint 16,75 % aujourd’hui. Certains cas de figure confinent à l’ineptie, j’en citerai trois. Entre 2008 et 2011, sur les 20 000 postes militaires qui ont été supprimés, six seulement concernaient des officiers généraux ! L’armée de terre, qui a cruellement besoin d’officiers supérieurs nous dit-on, compte plus de 170 généraux pour à peine treize brigades ! Enfin, toutes armées confondues, on dénombre 3 500 officiers ayant un grade équivalent à celui de colonel pour seulement 150 postes de commandement de régiments, de bâtiments de la marine ou de bases aériennes ! Cette hypertrophie du haut de notre pyramide hiérarchique est non seulement mauvaise pour les finances publiques, mais également néfaste pour le fonctionnement même de nos armées qui souffrent d’engorgement et de bureaucratisation.

Lors de leurs auditions devant la commission, les chefs d’état-major des différentes armées ont parlé de « dilution des responsabilités », que l’un d’entre eux a même accusée d’être la cause des dysfonctionnements persistants du système Louvois. Je veux d’ailleurs vous redire, monsieur le ministre, que je salue votre décision de mettre fin à ce système scandaleux de gestion des paies de nos soldats. Sur ce volet des ressources humaines, la présente loi de programmation aurait mérité d’être plus ambitieuse. Non pas tant quantitativement, puisque le nombre de personnels concernés par les mesures de rationalisation d’ici à 2019 est très important. Je tiens à rappeler aux rares collègues de l’opposition ici présents que j’avais exprimé mon accord, lors du précédent mandat, avec les réductions du format des armées et je pense que, dans ce débat, chacun gagnerait à faire preuve de constance. Le mouvement a été engagé et il se poursuit à un rythme plus modéré. J’observe à ce propos que, si l’UMP a tendance à réclamer des économies sur le budget de l’État – M. Copé a parlé de 100 milliards d’euros – un tel objectif ne saurait être atteint sans toucher également au budget de la défense. J’aurais aimé en parler avec M. Fillon, qui ne partage peut-être pas le point de vue de M. Copé à ce sujet. Il faut être concret et pragmatique.

C’est donc qualitativement que la loi de programmation aurait dû être plus ambitieuse. Il était en effet possible de cibler spécifiquement les catégories de personnels les coûteuses. Je rappelle que l’alinéa 358 du rapport annexe fixe un objectif de réduction du taux d’encadrement de 0,75 % d’ici à 2019. Nous aurions souhaité qu’il soit plus proche de 1,25 % afin de retrouver le format de 2008 qui, sans être idéal, semblait en tout cas plus cohérent. Il y a incontestablement une organisation spécifique à notre outil de défense, qui appelle parfois une concentration d’éléments qualifiés. On peut penser à la particularité française qu’est la direction générale à l’armement, mais j’appelle votre attention sur le fait que certaines armées, parmi les plus efficaces du monde, sont parvenues à mettre en place des structures performantes avec des taux d’encadrement raisonnables, comme l’US Marine Corps, qui fonctionne depuis trois ans avec un taux d’encadrement avoisinant les 10 %.

L’opposition invoque très souvent dans nos débats le moral des armées pour contester, aujourd’hui en tout cas, la refonte de nos effectifs. J’ai pleinement conscience du fait que nos soldats font œuvre d’un dévouement exceptionnel dans l’exercice de leur fonction et nous en avons eu une belle démonstration avec l’opération malienne qui est toujours en cours. Il serait par ailleurs impensable de profiter de la restriction de certains droits inhérente à la fonction militaire, comme le droit syndical, pour faire de la défense le levier d’ajustement des politiques publiques. Mais il me semble que c’est rendre service à nos soldats que de mettre à leur disposition un modèle de ressources humaines cohérent et pérenne qui leur garantira des conditions de vie plus sereines à l’avenir.

Le troisième point de mon intervention concerne moins les dispositions contenues dans la loi de programmation militaire que l’esprit général dans lequel est conduite notre politique de défense. Je crois, mes chers collègues, que les épisodes conflictuels et sécuritaires qui ont marqué la première année du quinquennat sont venus rappeler la nécessité de réintroduire du politique dans notre stratégie de défense. Je donnerai ici trois exemples concrets. Tout d’abord, sur les modalités d’élaboration des grands textes qui façonnent notre politique de défense. Outre la désignation discrétionnaire des membres de la commission du Livre blanc, dans laquelle on ne peut pas dire que les esprits créatifs aient été surreprésentés, je regrette que notre commission ait dû examiner certains amendements à marche forcée – je pense notamment à ceux déposés par nos collègues de la commission des lois. Quant à notre débat en séance, il me paraît déséquilibré entre une discussion générale à rallonge et un temps réduit pour l’examen des articles et des amendements, alors qu’il s’agit tout de même de l’engagement de l’État à hauteur de 183 milliards d’euros pour la période 2014-2019 !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. 190 milliards !

M. François de Rugy. Il ne m’aurait pas semblé aberrant d’y consacrer deux jours dans une semaine parlementaire. Sachez que 183 milliards d’euros, cela équivaut à seize années de versement des allocations familiales, si l’on veut donner un ordre de grandeur. On sait par ailleurs que la commission de la défense n’est pas sollicitée pour beaucoup de textes. J’espère donc que le débat en séance plénière permettra de corriger cet état de fait.

Un mot également du rôle du Parlement vis-à-vis des décisions prises par le Président de la République sur les opérations extérieures. L’année est venue démontrer que la règle constitutionnelle pouvait donner lieu à des interprétations diverses. Lors de l’intervention au Mali, le Parlement n’a pas été consulté avant l’engagement des troupes ; il a été simplement informé, en aval, de la décision du Président puis sollicité au cours d’un débat sans vote. Au contraire, lors du conflit syrien, la représentation nationale a été sondée en amont – mais toujours sans vote – et l’on ignore quelle place lui aurait été conférée si une intervention avait finalement été décidée, la Grande-Bretagne et les États-Unis ayant de fait soumis leur engagement éventuel à un vote du Parlement. Je crois que la place du Parlement dans ce processus décisionnel mériterait d’être clarifiée, en tenant compte, d’une part, des spécificités tactiques de certains conflits, d’autre part, de la légitimité que peut conférer l’approbation parlementaire.

Je souhaite enfin aborder la question du contrôle parlementaire sur les exportations d’armement. Le contexte budgétaire que nous traversons confère au contribuable un droit de regard plus légitime encore sur les investissements de l’État, y compris dans le secteur des industries de défense.

Aujourd’hui, le contrôle est assuré par une commission placée sous la tutelle du Premier ministre et les rapports annuels sur les exportations d’armement transmis au Parlement restent approximatifs, malgré une nette amélioration depuis l’édition 2012. À plusieurs reprises, des parlementaires de la majorité, tel Jean-Jacques Urvoas, se sont exprimés à ce propos. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement proposant la création d’une délégation parlementaire de contrôle des exportations pour les entreprises dont l’État est actionnaire. J’y reviendrai lors de la discussion des articles.

Avant de conclure, monsieur le ministre, je tiens à saluer certaines initiatives contenues dans ce texte, qui permettront d’améliorer le fonctionnement de l’armée française et le quotidien de nos soldats : je pense à la priorité accordée à l’entraînement, à la politique mise en place en matière de petit équipement, et surtout à votre décision, que vous avez annoncée aujourd’hui, de remplacer le logiciel Louvois, ce véritable scandale. De même, les dispositions introduites au Sénat concernant la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires sont positives, ainsi que certains choix d’équipements – même si je pense qu’ils ne vont pas assez loin –, qu’il s’agisse du VBCI ou de l’avion ravitailleur MRTT, et vous comprendrez que celui-ci me paraît davantage prioritaire que les commandes de Rafale, ou qu’il s’agisse, dans la marine, des bâtiments de projection et de commandement – les BPC. J’ai retenu l’expression employée par le chef d’état-major de la marine lors de son audition en commission à propos des BPC : il a parlé de « couteaux suisses ». Je pense qu’en effet, nos armées gagnent à avoir des équipements utilisables dans différentes conditions et pour différents objectifs, ce qui permet de mutualiser les moyens. Les frégates FREMM en sont aussi un bon exemple. Il faudrait aller plus dans ce sens.

Le problème n’est pas d’avoir l’armée la plus importante d’Europe ni même le plus gros pourcentage du PIB qui lui soit consacré, mais bien l’adéquation entre notre outil de défense et notre politique étrangère.

M. Christophe Léonard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, les orientations de cette loi de programmation militaire prolongent pour l’essentiel les politiques libérales et atlantistes menées depuis 2007-2008, quand la France a décidé un changement stratégique majeur dans sa défense nationale en se ralliant à l’OTAN. Depuis cette date et l’intégration de notre pays à cette organisation, 48 000 emplois ont été détruits dans l’armée et dans les entreprises d’État rattachées au ministère de la défense. Non seulement ce projet de LPM ne prend pas le contre-pied des logiques à l’œuvre sous la précédente législature, mais il prévoit de nouvelles réductions drastiques de moyens pour respecter les contraintes budgétaires imposées de Bruxelles et pour inscrire notre défense nationale dans le moule atlantiste.

Les réductions de budgets auront notamment de graves conséquences pour les personnels d’État rattachés au ministère de la défense : 34 000 suppressions d’emplois sont programmées pour la période 2014-2019, auxquelles il faudrait ajouter les suppressions encore plus massives enregistrées depuis 2008. Au total, l’hémorragie avoisinera les 82 000 postes en 2019 ! Sans oublier les répercussions directes sur notre outil de défense et son autonomie, ces suppressions d’emplois sont aussi dévastatrices pour l’activité économique des territoires abritant des entreprises stratégiques d’État.

À l’opposé, les députés du Front de gauche considèrent que la défense nationale est un secteur stratégique de l’État qui ne peut être soumis à privatisation ou externalisation. Le modèle de défense que nous portons renvoie aux questions essentielles de la souveraineté et de l’indépendance de la nation. Voilà pourquoi nous réaffirmons avec détermination que la défense doit rester 100 % publique et ne plus être soumise aux diktats de l’OTAN.

Pour illustrer mon propos sur les impacts négatifs de ces orientations au niveau des territoires, je citerai la situation de l’AIA – Atelier Industriel de l’Aéronautique – de Clermont-Ferrand. Ses 1 250 salariés subissent chaque jour les non-remplacements de postes, ce qui entraîne une pression sans cesse accrue. Cette entreprise occupe pourtant une position stratégique et possède un savoir-faire unique. Les suppressions d’emplois annoncées et les baisses de commandes envisagées provoquent une inquiétude légitime parmi les salariés du site auvergnat, d’autant plus que, au regard du contenu de la LPM 2014-2019, nous nous acheminons vers la fermeture de nombreuses bases aériennes à travers le pays. La structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense, la SIMMAD, a passé dernièrement deux contrats d’externalisation partielle de la maintenance du PUMA portant sur les 113 appareils que comporte cette flotte ; par cette externalisation, l’État ne laisse aujourd’hui qu’à peine 15 % de la maintenance aéronautique militaire au secteur étatique. C’est l’avenir des entreprises publiques comme l’AIA qui est en cause. Ainsi, les antennes de l’AIA à Toul et à Cuers sont clairement menacées par cette politique de liquidation. Les baisses de charge observées font très nettement apparaître le rôle majeur de la sous-traitance, ce qui nuit au service public et au travail de maintenance des appareils de l’armée de l’air. Quant à l’AIA de Clermont-Ferrand, la cinquantaine de départs en retraite annuels depuis 2008 ne sont que partiellement remplacés, et par des ouvriers contractuels. Cette précarisation et cette réduction de personnels s’accompagnent d’un accroissement de la productivité des salariés, avec comme conséquence une dégradation des conditions de travail et un mal-être grandissant.

Monsieur le ministre, les inquiétudes des salariés sont grandissantes et, au-delà, ce sont les populations et les élus locaux qui sont inquiets de l’avenir industriel de leurs territoires et de l’avenir même de notre défense nationale.

En conclusion, je citerai uniquement les conclusions du vœu voté à l’unanimité par la majorité de gauche du conseil régional d’Auvergne : « Le conseil régional souhaite réaffirmer le rôle stratégique de la défense nationale et sa nécessaire indépendance qui sont les éléments indispensables de la souveraineté nationale, dans l’état actuel des choses. Il demande au Gouvernement de veiller à préserver les intérêts des entreprises d’État rattachées au ministère de la défense, en particulier l’Atelier Industriel de l’Aéronautique d’Aulnat. Il souhaite parallèlement que le même intérêt soit manifesté par l’Assemblée nationale lors des débats sur l’évolution des entreprises d’État rattachées au ministère de la défense, afin d’assurer une maîtrise publique du secteur de la défense nationale. »

M. Jean-Jacques Candelier. Excellente intervention !

Mme la présidente. Excellente maîtrise du temps de parole, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Cinq minutes pile, madame la présidente.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Quel professionnalisme !

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis. Belle leçon ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Léonard.

M. Christophe Léonard. Madame la présidente, monsieur le ministre de la défense, madame la présidente de la commission de la défense et des forces armées, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, la France traverse une période de fortes incertitudes où se jouent son identité et son modèle économique et social face aux évolutions démographiques et aux mutations du monde. Depuis le 15 mai 2012, le Gouvernement est mobilisé pour redresser financièrement une France surendettée, avec équité et justice face à l’inertie des corporatismes qui, exacerbés quotidiennement par des oppositions abusivement politiciennes, conduisent nombre de nos concitoyens à matérialiser dans l’abstention ou le vote en faveur de l’extrême droite leurs inquiétudes. Dans ce contexte général, aucune proposition ne semble pouvoir emporter l’adhésion. Pourtant la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 devrait, à l’inverse, être l’occasion, avec l’ensemble de nos concitoyens, de nous rassembler derrière notre armée, les femmes et les hommes qui la composent et, au-delà, les valeurs de notre république. Mais pour cela, encore faut-il rétablir quelques vérités…

La première d’entre elles, c’est de rappeler que les mesures proposées par cette LPM 2014-2019 sont la matérialisation législative des réponses aux constats dressés par le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale. Cette loi de programmation s’inscrit en effet dans la volonté de corriger les insuffisances et les errements de gestion constatés dans la mise en œuvre de la LPM précédente, faisant sienne la nécessité de répondre aux besoins que rencontre notre pays pour se doter d’un modèle d’armée cohérent avec des capacités opérationnelles adaptées au contexte géopolitique des années à venir.

Le désastre du programme informatique de paye Louvois et ses milliers d’erreurs dans le versement des soldes, dont vous avez annoncé ce matin, monsieur le ministre, la mise au rebut, la désorganisation des soutiens, la sous-dotation des bases de défense, la dérive haussière de la masse salariale sur la période 2009-2012, avec une augmentation de 3 % de la rémunération militaire globale quand les effectifs baissaient de 9 %, le report de charge cumulé à la fin 2012 de 3 milliards d’euros : autant d’exemples qui ont aujourd’hui un impact fort sur les arbitrages à rendre. Face à ces rappels éloquents, je ne doute pas que le débat parlementaire sur ce projet de loi puisse être abordé avec modestie et mesure par chacun d’entre nous, au nom de l’intérêt supérieur de la France.

Alors que l’absence de redressement de la trajectoire du ministère en période de crise et la non-renégociation des objectifs industriels et capacitaires en cohérence avec les moyens budgétaires disponibles nous ont conduits, sous le quinquennat précédent, dans une voie sans issue, la deuxième vérité à rappeler est que cette LPM 2014-2019 est aux antipodes du laisser-faire capacitaire et budgétaire.

Le Gouvernement a ainsi inscrit dans la LPM un objectif de stabilisation et de réduction du report de charge, démontrant, s’il en était besoin, le sérieux financier et la lisibilité qu’il entend apporter à la situation présente. En outre, pour verrouiller budgétairement la préservation de notre outil de défense, le Gouvernement va présenter une série d’amendements permettant d’augmenter les ressources mobilisables jusqu’à 500 millions d’euros pour sécuriser intégralement les commandes et les livraisons des opérations déjà prévues. Oui, ces amendements du Gouvernement permettront de lancer les principaux engagements d’armement dans le délai requis ; oui, ces amendements garantiront la disponibilité des ressources, conformément aux ambitions exprimées par cette LPM ; oui, contrairement aux programmations militaires précédentes, ces amendements démontrent que sur 2014-2019, l’engagement du Gouvernement n’est pas une simple obligation de moyens mais de résultats.

Troisième vérité à rappeler : la LPM permettra d’assurer l’équilibre structurant entre personnels civils et militaires au sein du ministère de la défense, contrairement au décret de 2009 sur les attributions du chef d’état-major des armées qui excluait de droit le ministre de la défense d’un certain nombre de décisions concernant en particulier l’emploi des forces armées. Abrogé depuis, ce décret ne correspondait indiscutablement ni au code de la défense, ni aux directives prises par le Général de Gaulle en 1962 et confirmées par François Mitterrand en 1982, qui organisaient le ministère autour de trois piliers : le CEMA, la DGA et le SGA.

Enfin, cette loi de programmation va donner un véritable coup d’arrêt à la dégradation globale de la chaîne du soutien consécutive à l’instauration des bases de défense en 2010 et à leur généralisation en 2011 qui ont malheureusement abouti à une organisation territoriale complexe, à des procédures illisibles et inefficaces pour les forces opérationnelles et les responsables de terrain, et à une surcharge de travail permanente pour les personnels concernés. Il est urgent, d’une part, de professionnaliser et d’unifier la chaîne du soutien sous l’autorité du commissariat aux armées, d’autre part, de redonner sans délai un peu d’air aux bases de défenses pour éviter l’embolie généralisée du système. L’enveloppe de 30 millions d’euros que vous avez débloquée récemment, monsieur le ministre, s’inscrit dans cet objectif.

Dès lors sachons, au-delà de nos appartenances politiques, tirer collectivement les leçons des mauvaises expériences passées pour y remédier ensemble avec discernement. Sachons, dans la transparence et la confiance, mettre en œuvre les orientations de la nouvelle stratégie militaire issues des réflexions du Livre blanc de 2013. Voilà l’ambition pragmatique du projet de loi.

L’engagement du Président de la République de porter les crédits engagés par la France pour sa défense à 190 milliards d’euros courants jusqu’en 2019 témoigne de la volonté de François Hollande, chef des armées, de trouver une solution équilibrée pour, d’une part, sauvegarder notre défense afin de garantir la sécurité de la France, d’autre part, redresser nos finances publiques. C’est une délicate équation.

La mission « Défense » du budget pour 2014 a d’ores et déjà opéré des choix volontaristes traduisant la mise en œuvre des priorités inscrites dans le projet de loi de programmation militaire : équipement des forces ; activités opérationnelles ; renseignement et cyberdéfense. Bien loin d’un prétendu déclassement, en comblant nos lacunes capacitaires, particulièrement en ce qui concerne les drones, le renseignement et le ravitaillement en vol, en maintenant le montant des investissements, en augmentant les crédits de maintien en conditions opérationnelles des matériels et de l’entraînement, nous construisons avec cette LPM ce qui sera en 2019, avec 187 000 militaires et 55 000 civils, la première armée d’Europe, et maintenons une industrie d’armement parmi les premières du monde. Cette priorité donnée à notre industrie de défense n’est pas neutre car il s’agit d’une industrie à forte valeur ajoutée avec 165 000 emplois directs et indirects, dont 20 000 hautement qualifiés.

Tous les programmes industriels seront par conséquent maintenus et tous les principaux secteurs de compétences de notre industrie de défense préservés. Cet effort financier de l’État correspond à 102 milliards d’euros courants sur la période 2014-2019, soit un budget annuel de plus de 17 milliards d’euros courants.

À cet égard, à l’initiative de notre collègue Joaquim Pueyo, un amendement visera à ce que l’effort militaire supporté par la France et les Français au bénéfice des pays de l’Union européenne et de la crédibilité de cette dernière sur la scène internationale ne pénalise pas notre pays au regard du respect du pacte de stabilité et de croissance, ces dépenses devant, à tout le moins, être regardées comme constitutives d’un bien public européen de défense.

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis. Excellent !

M. Christophe Léonard. Mais garantir la sécurité de la France, c’est aussi prendre en considération le devenir de nos soldats eux-mêmes. Une armée moderne est forte des femmes et des hommes qui la composent. Aussi, contrairement à la précédente loi de programmation militaire, la manœuvre de déflation des effectifs à opérer, conformément aux prescriptions du Livre blanc 2013, s’accompagnera d’une méthodologie de mise en œuvre transparente autour de critères de choix républicains.

À mon initiative, un amendement du groupe SRC proposera de les inscrire dans le rapport annexé.

Un autre amendement sera également proposé à notre réflexion collective, dans le seul but de faire en sorte que le rapport annuel sur l’exécution de la loi de programmation bénéficie du contrôle éclairé des élus du peuple que nous sommes toutes et tous dans cette enceinte.

Cela étant, au terme de cette LPM 2014-2019, le ministère de la défense n’en restera pas moins l’un des principaux recruteurs de l’État puisque le recrutement de près de 17 000 jeunes par an est prévu jusqu’en 2019, préservant ainsi l’impératif de jeunesse et de renouvellement de nos armées.

Le ministère de la défense restera également l’un des plus importants employeurs de notre pays et, en tant que tel, il lui incombe de mettre l’accent sur la concertation et le dialogue social.

C’est pourquoi, sur proposition de nos deux rapporteures, la commission de la défense a adopté un amendement visant à rénover la concertation et le dialogue social spécifiques aux personnels militaires. Voilà qui rejoint le constat initial du rapport annexé, selon lequel la « nouvelle évolution de grande envergure » du ministère de la défense « ne pourra pas être conduite efficacement à son terme sans l’adhésion et la mobilisation de l’ensemble des personnels, civils et militaires. »

En conclusion, compte tenu de ces éléments qui doivent permettre à la France de conserver sa capacité de conviction au plan diplomatique, son rang dans le concert des nations et au sein du conseil permanent des Nations unies, compte tenu de l’inscription dans le marbre législatif de l’objectif de porter l’effort national de défense à 2 % de notre produit intérieur brut en cas de retour à meilleure fortune, enfin, compte tenu du renforcement des pouvoirs de la représentation nationale dans le contrôle de l’exécution de cette LPM, le groupe SRC soutient sans réserve ce projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et tient à ce stade à saluer, monsieur le ministre, votre totale disponibilité tout au long de l’élaboration et du parcours législatif de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Merci !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vitel.

M. Damien Meslot et M. Philippe Meunier. Il n’a pas bu ! (Sourires

M. Philippe Vitel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, rendons hommage à nos soldats courageux, bien formés, bien entraînés et bien équipés, qui honorent notre patrie et notre drapeau partout sur la planète où ils ont à intervenir sur des théâtres de crise très variés, à affronter des menaces de plus en plus imprévisibles et à réaliser des opérations de plus en plus périlleuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

C’est notre devoir et notre responsabilité de leur confirmer que la nation leur donnera à tout moment la garantie que tout est mis en œuvre pour leur assurer les meilleures conditions de l’exécution de leur mission.

Nous abordons ce soir la discussion de la loi de programmation militaire 2014-2019. Permettez-moi sans tarder, monsieur le ministre, de vous faire part de mes craintes d’un déclassement de nos forces armées et d’une perte d’influence de la France, à l’issue de cette LPM. Et cela semble un éternel recommencement à chaque fois que la gauche revient au pouvoir en France.

Je n’irais pas jusqu’à évoquer la faiblesse de nos armées après le Front populaire et l’extrême vulnérabilité dans laquelle nous étions en 1939…

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis. Oh là là !

M. Philippe Vitel. …mais je garde en mémoire le souvenir de mon arrivée à l’Assemblée nationale en 2002 : à la commission de la défense nous avons pris acte que près d’une année de budget d’équipement avait servi de variable d’ajustement au financement des emplois jeunes et des 35 heures sous Lionel Jospin.

Alors que 85,18 milliards d’euros étaient initialement programmés, ce sont seulement 73,97 milliards d’euros qui ont été exécutés, et encore ce chiffre incluait-il le budget de la recherche civile et du développement et de la compensation à la Polynésie, qui n’avaient pas grand-chose à voir avec nos matériels militaires.

Nous découvrions alors une armée dans laquelle la moitié des hélicoptères ne pouvait pas voler, la moitié des tanks ne pouvait pas rouler, la professionnalisation était un vœu pieux.

Notre industrie de défense, souvenez-vous de GIAT, était considérablement affaiblie. La DCN tout juste devenue DCNS avait pris dix ans de retard sur ses concurrents européens, faute d’un changement de statut plus précoce. Et je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que notre porte-avions était la risée du monde naval, du fait d’une hélice totalement récalcitrante.

Eh oui, nous avons su relever les défis que nous imposait cette situation délicate. Dans un premier temps, jusqu’en 2007, nous avons fait évoluer le statut de nos militaires et mis en place une vraie armée professionnelle, permis une mise en condition opérationnelle garante d’une véritable disponibilité des matériels, renforcé notre industrie, lancé les programmes du futur, consolidé les partenariats européens de nos entreprises.

Puis vint la période 2007-2012 qui fut celle d’une restructuration majeure de nos armées, de la mise en place des bases de défense, d’une rationalisation de nos capacités opérationnelles, de notre retour en force dans le concert international, matérialisé par notre retour dans la structure intégrée de l’OTAN et par la démonstration sur les théâtres de crise de notre capacité d’entrer en premier et de mener une coalition.

Nous avons fait tout cela en conservant une armée complète, d’un format cohérent, bien entraînée et bien équipée forçant l’admiration de nos alliés et forçant le respect de ceux qui ont pu bénéficier de notre aide et de nos interventions lorsque leur intégrité était en danger.

M. Damien Meslot et M. Philippe Meunier. Très bien !

M. Philippe Vitel. Voilà, monsieur le ministre, l’outil performant, moderne et efficace que nous vous avons laissé en héritage ce funeste 6 mai 2012.

M. Daniel Boisserie. Et les suppressions de postes ?

M. Philippe Vitel. Malgré vos annonces savamment orchestrées, force est de constater que la LPM que vous nous présentez aujourd’hui n’assure même pas le strict minimum. Elle est sous la directe dépendance de plus de 6 milliards d’euros de ressources exceptionnelles, par définition hypothétiques, et d’un budget de la défense à zéro valeur, zéro volume qui ne tient donc pas compte de l’inflation.

Cela amènera inexorablement notre budget de défense aujourd’hui à 1,52 % du PIB à descendre à 1,32 en 2019, chiffre sur lequel s’accordent tous les experts.

En ce qui concerne le format et les ressources humaines, vous ajoutez une compression complémentaire de 23 500 postes. À ce sujet, je voudrais préciser les propos que j’ai tenus lors de l’examen de la LPM en commission.

Oui, nous avions programmé une réduction de 54 000 postes à horizon 2015 dans la LPM précédente. Mais nous avions constaté en 2012 que, si une réduction de 32 000 postes associée à la restructuration de nos armées avait été quasiment indolore, c’est à partir de ce seuil que nos capacités opérationnelles commençaient à être atteintes et qu’il fallait être extrêmement prudent à l’avenir et redéfinir nos objectifs à moyen terme.

Tous les états-majors à l’époque s’accordaient sur ce point et nous n’aurions pas manqué de remettre en question ce format si les urnes nous avaient été favorables.

Atteindre, comme vous le prévoyez, une réduction totale de 77 500 postes, c’est irrémédiablement déclasser nos forces armées qui perdront à moyen terme leur capacité d’entrer en premier et de conduire une coalition, ce qui est la définition même d’une armée de premier rang.

Par ailleurs, il est indéniable que l’étalement et même le report de la quasi-totalité des programmes d’équipement aura une influence directe sur notre industrie de défense et ses 165 000 emplois non délocalisables. Les prévisionnistes évoquent la perte de 10 000 à 15 000 emplois d’ici 2019. Drôle de manière de mettre en pratique les beaux principes du redressement productif et du made in France si chers à Arnaud Montebourg !

M. Lionnel Luca. Qui est-ce ?

M. Philippe Vitel. Je termine mon intervention en évoquant l’exemple d’une armée très chère au Toulonnais, que je suis : la marine. Ah qu’il est loin le temps où l’amiral Peytard – notre ami Hervé Morin était au ministère – me démontrait, exemple à l’appui, qu’il était imprudent de descendre au-dessous de vingt-trois frégates de premier rang. Aujourd’hui l’objectif famélique est fixé à quinze !

Qu’il est loin aussi le temps où l’on évoquait la construction pour 2020 du deuxième porte-avions !

À l’issue de cette LPM, huit frégates multimissions seront livrées dont deux antiaériennes. Le format réel sera donc en 2020 de sept frégates anti sous-marins, dont une âgée de plus de trente ans, donc de quatre mobilisables si on tient compte d’un taux de disponibilité situé entre 60 et 70 %.

Un seul Barracuda sera livré avant 2020. La marine disposera donc à cette date, sur six sous-marins nucléaires d’attaque, de cinq dont l’âge sera compris entre trente et trente-six ans !

Autre exemple : les avions de surveillance maritime Atlantique 2. La marine dispose actuellement de vingt-sept avions de ce type âgés de seize à vingt-quatre ans. Selon la LPM, quinze doivent être rénovés et dotés de radars, moyens d’écoute et système électro-optique de dernière génération, mais seulement quatre le seront avant 2020. La marine nationale ne sera donc capable de mettre en œuvre de manière simultanée que trois avions modernes de lutte anti sous-marine en 2020.

Quant au programme AVSIMAR destiné à remplacer les cinq Gardians en service en outre-mer, âgés aujourd’hui de trente-deux ans et qui seront hors-service en 2015, il est repoussé aux calendes grecques. À moins, monsieur le ministre, que vous ayez une information à me donner ce soir à ce sujet.

Tout cela entraînera bien sûr des difficultés logistiques et opérationnelles, et des coûts élevés en termes de maintien en condition opérationnelle des matériels car, comme le dit avec élégance et diplomatie le chef d’état-major de la marine, l’amiral Rogel : ce renouvellement progressif de la flotte induira la coexistence de bâtiments de générations très différentes qui nécessiteront une gestion plus fine que jamais du point de vue de l’entretien et de la conduite.

Monsieur le ministre, aujourd’hui le monde se réarme alors qu’en Europe les budgets sont chaque année en recul.

Depuis 2008, dix-huit des trente et un États européens membre de l’Union européenne ou de l’OTAN ont baissé de 10 % leurs efforts de défense. L’Europe est dépassée depuis 2012 par l’Asie du sud-est. Les dépenses de la Chine ont augmenté de 7,8 % pour atteindre 166 milliards de dollars en 2012. Celles de la Russie ont progressé de 16 % pour atteindre 90,6 milliards de dollars.

Nous assistons à une inversion dans les dépenses militaires mondiales entre les pays riches occidentaux et les pays émergents.

En 2012, la part des États-Unis est descendue pour la première fois au-dessous des 40 % de la dépense militaire mondiale. Pendant ce temps, en Amérique latine les dépenses ont augmenté de 4,2 %, en Afrique du Nord de 7,8 %, au Moyen-Orient de 8,4 %, en Asie et en Océanie de 3,3 %.

Vous affirmiez cet après-midi, en réponse à ma question, monsieur le ministre, que nous aurons encore la première armée européenne en 2020.

M. Daniel Boisserie. Eh oui !

M. Philippe Vitel. Certes, mais prenons bien garde de ne pas avoir à nous retrouver en pôle position de la deuxième division. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. Monsieur le ministre, j’avoue que vous faites preuve de beaucoup de talent dans la présentation de cette loi de programmation militaire. Vous soutenez un texte qui donne le sentiment que rien ne changera, que la défense est à l’abri d’une période budgétaire compliquée et difficile.

En réalité, cette loi de programmation comporte beaucoup de zones d’ombre. C’est un clair-obscur savamment construit, permettant de donner du volume et du relief comme l’aurait fait Georges de la Tour dans une de ses toiles. C’est une loi de programmation militaire dont la réduction considérable des moyens provoquera de fait des remises en cause très profondes de notre système de forces. Tout cela est bien caché, comme on cache la poussière sous le tapis quand on ne veut pas vraiment faire le ménage.

Le problème est qu’il n’y a pas de choix dans cette loi de programmation militaire. En fait, sa construction s’apparente à un immense jeu de bonneteau. Les quelques manipulations ont déjà été largement décrites, mais permettez-moi d’en rappeler quelques-unes car elles sont magistrales.

Citons la baisse du financement des OPEX, justifiée par la réduction de l’opération Serval et le départ d’Afghanistan, le jour où vous annoncez l’envoi de 1 000 hommes de plus en Centrafrique et où l’on annule des crédits en collectif budgétaire...

Citons des reports de charge – c’est-à-dire des impayés – qui retrouvent un volume de plus de 3 milliards d’euros en 2014, ce qui obligera la délégation générale de l’armement à réguler brutalement ses engagements au cours du premier semestre de l’année prochaine.

Citons les ressources exceptionnelles que l’on pourrait qualifier d’imaginaires : 6 milliards d’euros, rien que cela, soit près du double de ce qui avait été prévu dans la précédente loi de programmation militaire que vous dénonciez à l’époque.

Citons encore les exportations du Rafale, je ne vous le reproche pas, nous avions la même construction. Mais il y aura probablement un vrai problème de trésorerie, car il se passe souvent des années entre l’entrée en vigueur d’un contrat et sa signature officielle – que je souhaite comme vous.

Rappelons enfin votre timidité – pour rester sympathique à votre égard – en ce qui concerne la réorganisation du ministère et les recherches d’économies. J’y reviendrai, mais j’ai été très frappé par le feuilleton de l’externalisation de l’habillement qui était pourtant un bon moyen de faire des économies en soutenant l’industrie textile française fabriquant en France.

Tout cela prouve que la réorganisation risque de porter davantage sur les forces armées que sur le back-office où il y a encore beaucoup à faire, je le concède, pour réorganiser la construction des bases de défense.

Voyez-vous, en dépit de toutes ces interrogations, qui sont réelles, je ne vous reprocherai pas que le budget de la défense diminue, parce qu’en réalité il diminue. Ce que je vous reproche, c’est de ne pas l’assumer et de ne pas en assumer les conséquences. La situation de nos comptes publics est grave, et nos concitoyens ne comprendraient pas que nous augmentions nos dépenses militaires.

Je vous ferai trois reproches de fond sur cette loi de programmation.

Le premier, c’est de vivre dans le déni comme si nous étions encore une puissance militaire globale ; je regrette comme vous que nous ne le soyons plus, car je vous sais attaché à la cause de la défense. Les Français découvrent que les déficits budgétaires accumulés chaque année depuis 1981 finissent par porter atteinte aux fonctions essentielles de l’État. Et, quand on évoque l’endettement et la perte de notre indépendance, on en a ici l’expression la plus violente et la plus brutale, car elle touche le cœur même de l’État. Non, nous ne sommes plus une puissance militaire globale, et c’est en fait la fin d’une histoire qu’on écrit aujourd’hui au Parlement, car notre capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations majeur sur un conflit dur n’existe plus ; nous n’avons même pas pu le faire pour la Libye, il nous a fallu le soutien des Américains. Non, nous ne sommes plus une nation cadre pouvant, avec les Britanniques, assumer ce rôle pour l’Europe, dans une opération de forte intensité. Alors oui, présenter une loi de programmation militaire sincère aurait nécessité des choix courageux mais, en fait, vous avez tout fait pour préserver les apparences, ce qui empêche la nation de faire l’effort de repenser un système de forces cohérent.

Nous aurons comme une toile ou un tissu fatigué, avec des trous capacitaires de plus en plus béants, un système qui s’effilochera et finira par désespérer tout le monde ; mon collègue de Rugy me montrait cette double page du Monde, qui dépeint l’effondrement progressif des capacités. Nous avons notre part de responsabilité, vous avez la vôtre, et on voit bien que ce système est en train de s’effilocher progressivement sans que nous puissions conserver une cohérence globale.

Je sais, monsieur le ministre, que cette question s’est posée dans le cadre du Livre blanc ou au sein de l’exécutif : celle de la réorganisation de nos armées par la construction d’un nouveau système de forces. En fait, il s’agissait de repenser un modèle qui, pour moi, aurait dû se construire autour d’une force de réaction rapide ou d’un corps expéditionnaire qui permettrait à la France d’intervenir en autonomie stratégique totale. Je le rappelle : sans les Américains, nous n’aurions pu même pas pu faire l’opération au Mali. Les armées prétendent le contraire, mais, sans eux, nous l’aurions menée avec un temps de projection extrêmement long. Il s’agissait donc de construire un corps expéditionnaire qui nous permette d’intervenir seuls dans une opération du type de celle menée au Mali, et ensuite d’accepter, comme les autres pays européens, de fournir des briques capacitaires en fonction des besoins de la coalition internationale à laquelle nous participons, puisque le cadre de nos interventions est en général celui-là. C’est, pour moi, ce schéma que nous aurions dû construire plutôt que de continuer à saupoudrer des moyens pour continuer à nous bercer d’illusions.

Mon second reproche a trait au nucléaire. Je sais que suis souvent seul sur ce sujet – quoique de moins en moins, ai-je l’impression en entendant ce qui se dit ce soir –, car c’est un sujet tabou. J’ai eu l’occasion d’en parler avec le chef de l’État. C’est le grand silence car, comme toujours, les nucléocrates, j’allais dire « les nucléopathes », nous disent qu’il ne faut surtout rien changer ni toucher. Je connais les arguments par cœur : « De toute façon, l’aérien a été payé, donc non seulement il n’y a rien à gratter côté nucléaire mais en plus on mettrait en péril la construction de notre dissuasion. »

L’argument des moyens, je le dis, est un argument fallacieux. Oui, notre composante aérienne vient d’être modernisée. Oui, on a supprimé un escadron, mais tout le monde oublie de dire que tout cela a un coût d’entretien, de fonctionnement et qu’il faut en permanence alimenter les bureaux d’études, le CEA et les industriels pour maintenir les équipes. Ce sont au moins plusieurs centaines de millions d’euros sur une loi de programmation.

J’ajoute, ce que tout le monde omet de dire – je l’ai entendu d’un seul orateur aujourd’hui –, qu’à partir de 2016-2017 nous connaîtrons une hausse extrêmement brutale des besoins budgétaires pour la rénovation de la composante sous-marine. Il faudra augmenter les crédits consacrés à la dissuasion d’environ 10 % par an à partir de 2016, ce qui conduire à un déséquilibre des moyens entre les forces conventionnelles et les forces de dissuasion.

La projection des courbes conduira la France à consacrer 30 % de ses crédits d’équipement à la dissuasion. Nous aurons donc un nucléaire hypertrophié, avec des forces conventionnelles sous-équipées pour lesquelles l’effort de la nation ne représentera pas plus de 0,8 % du PIB ! C’est moins que les moyens consacrés par les Allemands à leurs forces armées, et Dieu sait qu’en général, au sein de la commission de la défense, ils sont toujours, eux qui consacrent si peu d’argent à leur défense, l’exemple à ne pas suivre, sinon le cauchemar absolu.

Donc, si j’ai bien compris, on ne touche à rien, comme si tout était immuable, alors qu’il est évident que la France devra malheureusement – je dis bien : malheureusement – finir par regarder avec lucidité sa situation. Non, mes chers collègues, elle ne peut plus s’offrir ceinture et bretelles.

La deuxième question, trop longue pour être évoquée en quelques secondes dans ce lieu public qu’est l’hémicycle, est bien entendu celle de la nécessité de maintenir deux composantes pour notre dissuasion.

Je voudrais simplement poser quelques questions, en guise d’introduction à ce débat qui devra avoir lieu. Les Anglais se sentent-ils tant en danger avec une seule composante ? Compte tenu des évolutions techniques de notre dissuasion, que je ne peux pas évoquer, dans quel schéma de crise une seule composante ne suffirait-elle pas pour nous protéger de toute agression contre nos intérêts vitaux ? Troisième question, quelle composante, parce que le débat peut exister ? Et selon quelle modalité nos intérêts vitaux et notre indépendance sont-ils garantis par une menace étatique grave ? Voilà des questions qui me sembleraient devoir au moins être posées.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le député.

M. Hervé Morin. François Mitterrand, cela va vous faire plaisir, monsieur le ministre, avait su supprimer la composante terrestre. Combien de discours a-t-on entendu à l’époque pour dénoncer cette décision qui remettait en cause, selon ses pourfendeurs, la protection des intérêts vitaux de la France ! Je vous invite à lire les discours de l’époque : on en rirait aujourd’hui.

Derrière tout cela, il y a un élément qui relève de la mystique de la fonction présidentielle :…

Mme la présidente. Veuillez conclure, s’il vous plaît.

M. Hervé Morin. …le nucléaire en fait partie et il faut donc beaucoup de force pour qu’un chef de l’État soit capable d’affronter les éternels défenseurs de l’immobilisme, force que François Hollande n’a pas.

Mon troisième reproche, que je n’ai pas le temps d’évoquer…

Mme la présidente. Non, vous n’avez pas le temps, monsieur le député, je vous demande de terminer, s’il vous plaît. Sinon, je vais passer à l’orateur suivant.

M. Hervé Morin. Mon troisième reproche concerne les restructurations. J’aurais souhaité qu’un plan global soit annoncé, pour prendre le temps de la conversion des sites, et pour que les membres du personnel puissent organiser leur vie familiale en tenant compte de la réforme des implantations. J’aurais souhaité, enfin, que l’on puisse ainsi donner du sens au tout.

En conclusion, arrêtons de nous raconter que le maintien purement optique des crédits suffit. Il nous manque trente à quarante milliards d’euros de budget d’équipement par rapport à ce qui avait été prévu en 2008, c’est-à-dire quatre années d’équipement. On ne peut plus réorganiser notre défense par une espèce de réduction homothétique de nos forces, en quelque sorte une réduction proportionnelle aux réductions budgétaires. Ce n’est plus possible ! La France avait besoin d’une loi de programmation qui refonde notre système de forces, pour lui donner une cohérence d’ensemble.

Cette loi de programmation militaire est donc un rendez-vous manqué.

Mme la présidente. Merci, monsieur le député !

M. Hervé Morin. Voilà pourquoi je voterai contre ce texte.

Mme la présidente. Je vous demande, à tous, de respecter votre temps de parole. Vous l’avez d’ailleurs, les uns et les autres, presque tous fait. Compte tenu de la longueur de la discussion générale, je pense que c’est notre intérêt commun.

La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous aimons à rappeler la vocation universelle de la France. Marianne comme Saint Louis brandirent le courage et la civilisation françaises, ils cherchèrent à protéger, à promouvoir, à conquérir, parfois, et à perpétuer, toujours, l’image de notre pays. Nains juchés sur les épaules de géants, nous contemplons cette histoire et voudrions encore nous montrer dignes de cet héritage.

Cette dignité, chers collègues, nous ne pouvons y prétendre en saccageant les budgets et la stratégie du ministère de la défense. Je pourrais vous décrire l’état déplorable de l’armée française, vous parler de ces jeunes officiers de Saint-Cyr qui nous disent douter de leur engagement face au manque de considération du Gouvernement. Je pourrais vous rappeler la rupture du lien entre l’armée et la nation. Je pourrais vous faire part des disparitions très inquiétantes d’armes et d’équipement rapportées dans tous les régiments. Je pourrais enfin vous dire la meurtrissure que constitue la fermeture de régiments historiques dont les traditions et le sacrifice firent l’honneur de la France.

Mais nous pourrions entendre des divergences, si indignes soient-elles, dans la hiérarchisation des principes générateurs de la nation et de leur promotion. En revanche, ce que nous ne pouvons pas entendre, c’est l’aveu implicite de cette loi de programmation militaire, cet aveu limpide qui consiste en l’abandon de la défense française au bon vouloir d’institutions supranationales et à une hypothétique Europe de la défense.

On me rapporte que le chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud, évoque dans ses conférences la stratégie de l’échantillonnage. Pragmatique, l’échantillonnage cherche à conserver tous les corps de métier de l’armée française afin qu’un jour, si le pays finissait par se ressaisir, il puisse y trouver un savoir-faire que vos coupes budgétaires ne cessent de menacer. L’échantillonnage, voilà tout ce qui nous reste comme derniers débris de la puissance française.

Votre projet consiste en réalité à faire de l’armée française une troupe d’élite dont le professionnalisme est largement reconnu mais qui n’aura plus les moyens nécessaires à toute opération d’envergure. Vous soldez l’indépendance française au moment même où les relations internationales sont marquées par une profonde redistribution des puissances. Ma question est finalement simple : en procédant à ce Mers-el-Kébir budgétaire, admettez-vous ne plus espérer qu’en une hypothétique Europe de la défense et placer de facto la France dans une situation de vassal sur la scène internationale ?

Vous ne reculez devant rien. La destruction de 33 675 emplois vous permet de faire supporter vos coupes claires à des hommes qui, déjà, ne comptent pas leur temps pour le service de la nation. Vous proposez un texte qui ne prend la mesure ni des effets de la mondialisation sur les crimes de guerre ni des germes de chaos présents dans les cyber-conflits, qui décuplent les menaces qui pèsent sur les États démocratiques. Vous parvenez même à ne pas budgétiser convenablement les efforts énormes imposés à nos soldats, puisque vous comptabilisez des recettes exceptionnelles issues de cessions immobilières largement surévaluées. Nos soldats, qui risquent leur vie dans les opérations extérieures, seront ainsi ravis de savoir que vous évaluez la dotation annuelle dite OPEX à 450 millions d’euros annuellement pour l’avenir alors que nous avons dépensé trois fois plus en 2013.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. J’ai donné les raisons tout à l’heure ! Il fallait écouter !

M. Jacques Bompard. Le projet de loi de programmation militaire désigne en réalité l’ennemi principal de nos armées : le budget. Nos militaires, parents pauvres du socialisme, sont pourtant des citoyens comme les autres, et on viendrait à se demander pourquoi vous vous acharnez à rabaisser leurs soldes et surtout leur statut social. Jean-Marc Ayrault évoquait une « œuvre de vérité et d’ambition ». Vous avez donc sans doute, avec ce texte, l’ambition véritable d’affirmer la fin de la souveraineté militaire française. Dans la droite ligne de vos prédécesseurs, vous continuez de concentrer l’effort sur un armement nucléaire à la disposition des stratèges américains de l’OTAN, tout en abandonnant des parts de marché aux sociétés militaires privées.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nauche.

M. Philippe Nauche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, fondée sur les conclusions du nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, cette loi de programmation militaire porte deux ambitions : adapter notre outil de défense aux évolutions du contexte stratégique, et préserver notre effort de défense afin de maintenir notre autonomie d’action.

Malgré un contexte économique et budgétaire très difficile, le Président de la République – dont je salue l’arbitrage – a décidé de sanctuariser les moyens financiers dont disposera la défense nationale. À cet égard, les chiffres sont clairs : le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 maintient les ressources du ministère de la défense à leur niveau actuel jusqu’en 2016, soit 31,4 milliards d’euros par an, et prévoit qu’elles augmenteront ensuite pour atteindre 32,5 milliards d’euros en 2019. Au total, le montant de ressources s’élèvera donc à 190 milliards d’euros sur l’ensemble de la période.

Ainsi, le projet de loi de programmation militaire maintient les ambitions de défense de la France, tout en tenant compte de l’objectif de redressement des finances publiques. Selon les termes de l’exposé des motifs, le nouveau modèle d’armée défini par cette LPM « permettra à la France de disposer de la capacité d’intervenir dans l’ensemble des situations où ses intérêts de sécurité ou ses responsabilités internationales pourraient être mis en jeu, tout en organisant et équipant les forces de façon spécifique ».

C’est à la composante terrestre de nos forces que je consacrerai mon propos. Présente sur l’ensemble du territoire, l’armée de terre répond, souvent dans l’urgence, aux objectifs qui lui sont assignés. Elle est déployée sur les fronts où la France juge indispensable d’intervenir : l’opération Serval l’a illustré. Elle sait aussi mobiliser ses personnels avec réactivité pour secourir nos concitoyens. Elle contribue également à la sécurité intérieure dans le cadre du plan Vigipirate.

Le processus de modernisation prévu par la précédente LPM a connu un fort ralentissement, ce qui a compromis les objectifs du Livre blanc de 2008 en matière de remise à niveau des moyens terrestres. Les retards accumulés dans le cadre de la précédente LPM devaient être corrigés. Le texte que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, traduit l’ambition de relancer cette dynamique.

En effet, nombre de programmes d’équipements ont été relancés et une hausse régulière des crédits d’équipement au cours de la période 2014-2019 est prévue. Pour la seule armée de terre, les véhicules concernés par le programme Scorpion seront modernisés ou renouvelés, et les capacités de l’aviation légère – qui ont été décisives au Mali – seront renouvelées. Il s’agit là des hélicoptères Tigre et NH90, et des véhicules blindés multi-rôles, qui commencent à remplacer les actuels véhicules de l’avant blindés. Le porteur polyvalent terrestre permettra une meilleure protection des équipages, et servira au ravitaillement, au transport de postes de commandement et de systèmes d’armes, et à l’évacuation de véhicules endommagés ; 450 exemplaires seront livrés d’ici 2016.

Le projet de LPM fait également de l’activité opérationnelle une priorité. À ce titre, il prévoit d’augmenter d’environ 4 % par an en valeur les crédits dédiés à l’entretien programmé des matériels. Il maintient en outre l’entraînement à son niveau de 2013. À cet égard, nous savons tous que l’effort demandé à l’armée de terre est particulièrement significatif. Nous saluons l’exemplarité avec laquelle elle s’est adaptée à un contexte extrêmement tendu.

Enfin, la déflation des effectifs va se poursuivre en 2014 et 2015. Elle doit demeurer cohérente avec les choix opérationnels effectués, se conformer à la rationalisation de l’organisation, et comporter les mesures d’accompagnement social et financier indispensables. Cependant, nous souhaitons également que le lien entre l’armée et la Nation soit préservé : c’est fondamental à mes yeux. Pour cela, il convient de maintenir une répartition géographique des bases sur l’ensemble du territoire national. En clair, il ne faut pas créer de déserts militaires.

On voit bien, monsieur le ministre, que vous avez fait des choix. Ces choix sont nécessaires, mais vous avez écarté les scénarios de rupture de nos capacités militaires et industrielles. C’est en ce sens que nous considérons que ce projet de loi de programmation militaire est bon. Il est le fruit d’une réflexion partagée et témoigne d’une vision renouvelée des objectifs de défense et de sécurité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Audibert Troin.

M. Olivier Audibert Troin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, madame la rapporteure, la nouvelle loi de programmation militaire constitue un enjeu de premier ordre, puisqu’elle conditionnera la cohérence du modèle de nos armées par rapport à l’ambition stratégique de la Nation. Mais quelle est l’ambition stratégique de notre pays ?

Nous considérons que la France occupe une place particulière sur la scène internationale. Nous sommes la cinquième puissance mondiale, et sommes membres permanent du Conseil de sécurité des Nations unies : nous devons cette place sur l’échiquier mondial à quelques hommes d’État, bien peu nombreux, comme le général de Gaulle, qui s’est battu pour notre indépendance.

Ces efforts, consentis depuis tant d’années, ont fait de notre diplomatie la marque de fabrique de notre pays à l’étranger. Nous sommes un pays respecté, un grand frère sur qui l’on peut compter. Nous portons une certaine idée de la liberté et de la démocratie, que le monde entier nous envie. Nous avons des responsabilités à exercer, des intérêts à protéger, des valeurs à porter. Notre effort de défense doit donc traduire concrètement, dans les faits, ces principes et ces objectifs. Ne pas le faire entraînerait un déclassement définitif de notre pays.

Il s’agit ici, pour nous, de réaffirmer qu’il n’y a pas de politique étrangère efficace sans défense crédible. Si vis pacem, para bellum. C’est bien de notre crédibilité qu’il s’agit. Nous pourrons toujours jouer les matamores sur la scène internationale, nous pourrons toujours employer les mots de la puissance, mais en fin de compte, une seule question compte : la France, combien de divisions ? « Sans puissance militaire, la diplomatie n’est que gesticulation », écrivait il y a quelques semaines Nicolas Baverez. Il ajoutait : « François Hollande expose la France à de grands risques en privant notre pays des moyens de cette puissance. »

Notre monde ne s’est pas amélioré, comme le rappelait tout à l’heure Mme la présidente de la commission de la défense. Terrorisme, tensions financières, tensions économiques, luttes pour les matières premières, conflits ethniques, tensions inter-religieuses, cyber-attaques, révolutions arabes, piraterie… La liste est malheureusement bien longue. Oui, la souveraineté et la sécurité de la France sont bel et bien en jeu aujourd’hui, de même que sa place et son rôle dans le monde, sa crédibilité sur la scène internationale et son rôle moteur au sein de l’Europe de la défense.

Monsieur le ministre, vous avez repris à votre compte la maxime attribuée à Talleyrand : « quand je me considère, je me désole, mais quand je me compare, je me console ». Pour nous rassurer, vous nous comparez aux autres pays européens, et vous nous dites avec fierté que la France a et gardera la première armée d’Europe. Cette comparaison n’est pas pertinente, car le continent européen n’a cessé, ces dernières années, de désarmer.

La question essentielle qui se pose aujourd’hui est celle des moyens que nous mettrons en œuvre pour servir nos ambitions et protéger l’autonomie de nos armées. Le Président de la République et le Gouvernement auquel vous appartenez ont fait des choix. Personne ne conteste cela : vous exercez les responsabilités gouvernementales et dans ce cadre, vous portez un projet pour notre pays. Personne ne conteste non plus votre engagement personnel pour sauver ce qui peut encore l’être, monsieur le ministre. Ce que nous contestons, ce sont les choix de votre Gouvernement. Pourquoi ne pas avoir fait du ministère de la défense un ministère prioritaire, alors que le continent africain s’embrase, que le Moyen-Orient reste une poudrière, que les États-Unis effectuent un repli stratégique vers l’Asie ?

Ces choix de politique nationale font de facto du budget de votre ministère une variable d’ajustement du budget de la Nation. Comment accepter que le projet de loi de finances rectificative pour 2013 ampute les crédits de la défense de 650 millions d’euros, quatre mois seulement après que le Président de la République a annoncé devant des millions de Français la sacralisation du budget à 31,4 milliards d’euros ? La parole du chef des armées est bafouée, ce qui vous pousse, monsieur le ministre, à des contorsions et vous oblige à recourir à des artifices budgétaires, à coups d’amendements valant plusieurs centaines de millions d’euros. Dans ces conditions, comment pouvons-nous avoir confiance en l’avenir ? Comment nos forces armées peuvent-elles garder le moral pour affronter les risques à venir ?

Nous sommes très inquiets, car la trajectoire budgétaire ne permettra pas à notre défense d’atteindre les objectifs que vous affichez. Le risque de décrochage est d’autant plus élevé que le cadrage budgétaire repose sur des hypothèses de ressources exceptionnelles dont la réalisation est aléatoire. Notre pays risque réellement d’être déclassé sur le plan stratégique.

Nous nous dirigeons vers une dégradation des capacités opérationnelles conventionnelles, dont celles de l’armée de terre, qui sont pourtant indispensables à la sécurité extérieure, à la préservation de nos intérêts, à la protection de nos ressortissants et à la sauvegarde du territoire national. En matière d’artillerie, par exemple, le projet de loi de programmation militaire supprime la seconde tranche des 64 canons Caesar tandis que, pour fin 2019, 67 canons AUF1 et TRF1 sont rayés des inventaires. Par ailleurs, la programmation réduit de moitié la rénovation des lance-roquettes unitaires, qui passent de 26 à 13. Il est pourtant nécessaire de préserver nos capacités terrestres, car elles permettent d’accomplir des missions importantes.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le député.

M. Olivier Audibert Troin. Je vais conclure dans trente secondes, madame la présidente.

Mme la présidente. Moins que cela, s’il vous plaît !

M. Olivier Audibert Troin. Il demeure essentiel de pouvoir aligner des forces classiques crédibles sur les plans qualitatif et quantitatif. Notre récente intervention au Mali l’a prouvé de manière éclatante. L’opération Serval a en effet montré l’efficacité des forces spéciales. De même, l’intérêt de forces prépositionnées en Afrique n’est plus contesté.

Mme la présidente. Merci de conclure !

M. Olivier Audibert Troin. Une armée de terre performante est donc indispensable. Nos forces terrestres contribuent à nos succès militaires, qui confortent la crédibilité de notre pays sur la scène internationale. Si la France veut garantir sa sécurité et son indépendance,…

Mme la présidente. Merci…

M. Olivier Audibert Troin. …défendre ses intérêts et ses valeurs, continuer à jouer un rôle dans la marche du monde, elle doit conserver une défense forte. Tel est le message qu’un simple député de la Nation vous adresse ce soir, monsieur le ministre.

Mme la présidente. Je vous demande de bien calibrer vos interventions pour respecter votre temps de parole de cinq minutes. De nombreux orateurs sont inscrits pour une durée de cinq minutes : si je les laisse tous s’exprimer deux minutes de plus, la discussion générale ne durera pas six heures et trente-cinq minutes, mais sept heures trente-cinq !

La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour cinq minutes.

M. Francis Hillmeyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, lors de la réunion des vingt-huit ministres de la défense des pays membres de l’OTAN qui a eu lieu début juin dernier – à laquelle vous avez participé, monsieur le ministre –, le thème de la collaboration en matière de cyberdéfense a été évoqué pour la première fois. Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a déclaré que la capacité de cyberdéfense de l’Alliance doit être pleinement opérationnelle d’ici à l’automne.

Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 que vous nous présentez s’inscrit dans un contexte de montée en puissance de la cyberdéfense. C’est l’une de ses priorités. L’affaire Snowden et le programme Prism de la NSA confortent cette option. Il ne s’agit pas de se contenter de contrer les attaques, mais aussi de se doter des outils qui permettront de répondre à une guerre électronique.

La France est-elle dans les critères définis par l’OTAN ? De quelle manière cette dernière peut-elle soutenir et aider les alliés s’ils sont victimes de cyberattaques, dont chacun sait qu’elles ne s’arrêtent pas aux frontières nationales.

Anders Fogh Rasmussen a rappelé que les pays de l’Alliance ont fait face l’an dernier à 2 500 attaques, soit une toutes les trois heures, jour et nuit, tous les jours de l’année. Il met aussi en avant le fait qu’une cyberattaque ciblée sur un pays peut causer des dommages collatéraux aux alliés. Une collaboration à l’échelle européenne est-elle envisagée ? Ou pensez-vous qu’à l’image de la force de dissuasion, la cyberdéfense doit rester sous maîtrise de l’État ?

Ce domaine est vaste, et touche aux organes vitaux de l’État. Cela concerne l’économie, la sécurité des hommes sur les théâtres de conflit, mais aussi les enquêtes de proximité. Or, le 22 octobre dernier, la Cour de cassation a réservé la possibilité de localiser les téléphones portables aux seules enquêtes instruites par les juges d’instruction. L’article 13 de votre projet de loi prévoit d’autoriser l’accès en temps réel à des données de connexion. La géolocalisation des appels est en effet un élément déterminant pour agir rapidement. Cette possibilité est-elle cantonnée aux seuls actes de terrorisme ?

Vous n’êtes pas sans savoir que la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a recommandé par écrit à tous les tribunaux de France d’étendre l’interdiction édictée par la Cour de cassation à tous les cadres d’enquête du parquet : non seulement l’enquête préliminaire, mais aussi l’enquête de flagrance. Faudra-t-il saisir un juge d’instruction à chaque fois qu’il est essentiel de géolocaliser un téléphone ou une voiture ? Est-ce pertinent et efficace ?

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale fait de la cyberdéfense une priorité. Il parle d’un atout majeur à propos de la réserve citoyenne. La cyberdéfense est le seul point sur lequel un véritable engagement de la réserve est envisagé. La réserve opérationnelle et la réserve citoyenne ne trouvent que peu de place dans votre projet de loi. Dans quelle mesure ce projet de loi en tient-il réellement compte ?

La baisse drastique des effectifs militaires vous contraint à fermer des sites ou à déplacer des unités dans le cadre de la rationalisation des implantations militaires. Monsieur le ministre, vous savez mon attachement à la brigade franco-allemande, car je vous ai déjà interpellé à ce sujet. Cette brigade est un véritable symbole de la réconciliation de nos deux pays. Certes, elle est d’un emploi difficile à cause des différences entre les règles françaises et allemandes d’engagement des forces. Il n’en reste pas moins qu’elle découle d’un accord entre nos deux nations.

Dans le cadre des restructurations, vous nous avez annoncé le départ du 110régiment d’infanterie basé à Donaueschingen. Nos collègues allemands prennent cela pour un signe négatif, alors même qu’ils ont installé le 291Jägerbataillon à Illkirch, près de Strasbourg.

Toutefois le préfet de la région Alsace vient d’annoncer le remplacement du 110e régiment d’infanterie par un autre régiment : qu’en est-il ? Quel gain financier apporte le remplacement d’un régiment par un autre ? Une remarque subsidiaire : je suis étonné de lire cela dans la presse…

M. Philippe Folliot. C’est choquant !

M. Francis Hillmeyer. …avant même que les membres de la commission de la défense en soient informés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Récalde.

Mme Marie Récalde. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, la réflexion qui a guidé l’élaboration de cette loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, dans la continuité de celle du Livre Blanc de la défense, repose sur une approche simple mais fondée sur des enjeux stratégiques majeurs : comment préparer notre nouveau modèle d’armée pour permettre à la France de rester à la place qui est la sienne sur la scène internationale ?

Nous sommes sortis de la seule logique comptable pour poser les bases solides du maintien de la cohérence de nos forces et pour avancer ensemble de façon réaliste et pragmatique.

Dans un contexte marqué par une situation financière difficile – cela a été rappelé –, un environnement stratégique incertain et la nécessité de moderniser nos équipements, la France fait le choix de maintenir un niveau d’ambition et de responsabilités élevé sur la scène internationale, tout en garantissant la protection de sa population.

En sanctuarisant le budget de la défense, le Président de la République a fait un choix courageux – à mon tour de le souligner –, qui nous permet de rester l’un des rares pays au monde à pouvoir assurer simultanément les trois missions fondamentales de la défense : la protection du territoire et de la population, la dissuasion nucléaire, et l’intervention sur des théâtres extérieurs.

Dans ce projet de loi, priorité est clairement donnée à l’activité opérationnelle des forces et à la préparation de

l’avenir, car nous avons cherché à aligner cohérence des objectifs et réalité des chiffres. Après les propos de Philippe Nauche consacrés à la composante terrestre, c’est à la composante aérienne que je consacrerai les miens.

Les choix retenus dans ce projet de loi de programmation militaire préservent la capacité opérationnelle de l’armée de l’air, et par là même posent les fondements de notre autonomie.

En effet, notre volonté est bien de maintenir ces deux missions permanentes de protection de notre espace aérien national et de dissuasion. Ces missions, je le rappelle, sont exécutées par les femmes et les hommes de l’air, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Ainsi le visage de l’armée de l’air à l’horizon 2020 apparaît conforme à nos ambitions stratégiques pour plusieurs raisons : d’abord, la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, qui sera modernisée, sera mise en œuvre de façon permanente. Notre doctrine, fondée sur le principe de la stricte suffisance, n’a de sens, je le rappelle, que par ces deux composantes conjuguées.

Par ailleurs, la protection de l’espace aérien national et de ses approches dans le cadre de la posture permanente de sûreté aérienne sera maintenue dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui.

La préservation de la capacité opérationnelle passe également par le centre de commandement et de conduite permanent et interopérable avec nos alliés.

En outre, nous disposerons à terme d’un parc de 215 avions de combat et d’une flotte dimensionnée tout à la fois pour un conflit majeur et pour les missions de protection du territoire et de gestion de crise.

Tout ceci sera rendu possible grâce à des avions polyvalents comme le Rafale Air ou Marine, et grâce à la prolongation de matériels anciens plus spécialisés, comme les Mirage 2000-5 et 2000-D.

De plus, une rénovation de l’entraînement et de la formation des pilotes de chasse permettra une préparation opérationnelle différenciée.

Les capacités de transport et d’aéromobilité seront également accrues grâce à l’acquisition des indispensables avions ravitailleurs de type C-135 – au nombre de 14 – et aux tant attendus MRTT – au nombre de deux –, auxquels s’ajoutent notamment 43 avions de transport, dont 15 A400M.

Par ailleurs, 14 C-160 seront maintenus en service.

Nous le constatons, deux axes opérationnels prioritaires sont au rendez-vous pour l’armée de l’air : le ravitaillement, clé de voûte de toutes nos opérations aériennes, et la refonte de l’entraînement et de la formation des pilotes de chasse.

Je veux d’ailleurs saluer ici l’innovant projet « Cognac 2016 », qui repose sur l’acquisition d’avions d’entraînement turbopropulsés de dernière génération, permettant de mieux former nos jeunes pilotes par un entraînement différencié.

Au cœur de nos objectifs, la modernisation et le maintien en condition opérationnelle des équipements sont des sujets majeurs, dont vous avez assuré, monsieur le ministre, qu’ils ne seraient pas une variable d’ajustement.

En effet, il est aussi question de notre industrie de défense, qui garantit notre sécurité d’approvisionnement en équipements et en systèmes d’armes critiques ainsi que leur adaptation aux besoins opérationnels. Elle représente également un levier de croissance et de développement de nos territoires.

Nous prévoyons ainsi non seulement la rénovation des équipements vieillissants et la poursuite des programmes en cours, mais aussi le lancement de nouveaux programmes, en particulier l’acquisition de drones Medium Altitude Long Endurance – MALE – et tactiques, qui est plus que nécessaire, pour des raisons que chacun connaît.

Enfin, je tenais à souligner la dimension européenne de ce projet de loi, qui renforce la coopération avec nos partenaires du vieux continent, qu’il s’agisse des programmes d’équipements réalisés en coopération avec d’autres États européens – je pense bien sûr à l’A400M – ou de nouveaux programmes.

Ce bref tour d’horizon aérien montre ainsi que la loi de programmation militaire propose, pour l’armée de l’air en particulier, un projet tourné vers l’avenir, qui fait le pari de la vertu et de la cohérence, pour permettre à la France d’être toujours, en 2020, la première puissance militaire d’Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Meslot.

M. Damien Meslot. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, la défense nationale est une institution régalienne de notre République, placée sous l’autorité du Président de la République. À ce titre, elle doit être une priorité absolue et son budget ne peut pas constituer une variable d’ajustement.

À travers la défense nationale, ce sont l’indépendance et l’influence de notre pays dans le monde qui sont en jeu. Pour cela, il est vital de préserver et de développer des moyens humains, diplomatiques, industriels, et de recherche, pour garder en main notre destin et tenir notre rang de puissance leader sur la scène internationale. C’est tout l’enjeu de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, que nous examinons aujourd’hui.

Au-delà des artifices de communication visant à masquer la réalité, cette prochaine loi de programmation militaire fixera le budget et l’ensemble des moyens de la défense pour les cinq prochaines années. Las, le contenu de ce projet confirme le désengagement du pays envers nos armées. Pourtant, le Président de la République, chef des armées, prétendait il n’y a pas si longtemps en garantir la continuité. Assurément, c’est la perte d’ambition qui l’emporte.

Ce projet est construit sur une équation budgétaire à multiples inconnues, dont la plus importante concerne les 6,6 milliards d’euros de ressources exceptionnelles à trouver.

De plus, il divise par deux notre capacité de projection. Ces chiffres sont incohérents, puisque l’on constate que le nombre d’interventions extérieures n’a cessé d’augmenter ces dix dernières années.

Ainsi, les 183,9 milliards d’euros alloués à la politique de défense de la France pour les six ans à venir constituent sans nul doute la limite extrême pour garder un outil de défense performant.

Si le Président de la République s’est finalement engagé à maintenir le budget de la défense à 1,5 % du PIB de 2014 à 2016, ce chiffre ne tient compte ni de l’inflation, ni de l’augmentation des coûts du fonctionnement de nos armées ni, surtout, des coûts croissants du matériel renouvelé.

Au-delà, ce texte impose la dissolution de régiments et la fermeture de bases aériennes, pour près de 10 % des effectifs d’ici 2019. Cette réduction est d’autant plus critiquable que nos armées supporteront en 2014 60 % des baisses d’effectifs des fonctionnaires de l’État, alors qu’elles y contribuent déjà depuis des années, en raison des réformes successives.

Aussi, en construisant ce projet de loi sur de tels sacrifices, c’est l’avenir même de notre défense nationale qu’on hypothèque.

De plus, ne nous voilons pas la face ! Les inévitables étalements ou annulations de programmes ne peuvent se faire sans conséquence sur les charges de production des chantiers et des usines du secteur, comme l’ont fait remarquer les principaux dirigeants industriels lors de leur audition en commission. Cette politique de « vaches maigres » aura un impact sur l’emploi industriel dans tout le secteur de l’armement.

Dès lors, monsieur le ministre, nous sommes en droit de nous demander où sont passées les belles promesses présidentielles de maintenir un modèle d’armée conforme aux ambitions de la France ? À une véritable politique stratégique de défense, le Gouvernement apporte de petites solutions comptables, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Vous, vous n’avez pas assez fait de comptabilité !

M. Damien Meslot. Le Président de la République et son Gouvernement affaiblissent ainsi notre système de défense, qui commence à se dégrader. Cette politique n’est pas acceptable, alors que notre pays est confronté à des enjeux géopolitiques majeurs dans un monde toujours plus instable, la situation au Mali ou en Centrafrique en témoigne.

La France a besoin d’une armée efficacement dotée, appropriée dans son format, cohérente dans son emploi, pour assurer l’intégrité de son territoire ainsi que la sécurité de ses ressortissants partout dans le monde.

Un affaiblissement prononcé de notre système de défense ne permettra plus, à moyen terme, de faire face aux surprises stratégiques qui ne manqueront pas de survenir.

Ce projet de loi de programmation militaire est donc une occasion manquée, qui participe au déclassement de nos armées. Je ne suis pas certain, monsieur le ministre, que le Président de la République et le Gouvernement auquel vous appartenez aient pris la mesure réelle de l’enjeu. Je le déplore pour nos soldats et pour l’avenir de notre défense. En tout cas, sachez que je ne serais pas le complice de ce déclin. Je voterai donc contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. C’est étonnant !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Boisserie.

M. Daniel Boisserie. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, avant d’en venir aux points que je veux évoquer sur cette loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, je souhaite à mon tour saluer l’action de nos forces armées, qui s’engagent sur des théâtres d’opérations pour défendre non seulement notre territoire national et nos concitoyens, mais aussi les valeurs de liberté et de fraternité qui sont les nôtres.

La loi de programmation militaire conditionne les crédits de nos forces armées et, malgré la crise et les nécessaires restrictions budgétaires, notre outil de défense sera préservé et renforcé.

Il s’agit en effet d’une loi équilibrée, qui disposera en outre d’un montant de ressources exceptionnelles de plus de six milliards d’euros, parmi lesquelles 200 millions d’euros par an en moyenne entre 2014 et 2016 seront issus des cessions immobilières du ministère de la défense.

Je ne peux que saluer cette disposition car, en plus de participer à l’équilibre budgétaire de cette loi, elle redynamisera nos territoires grâce à la reconversion de ces biens devenus inutiles, et souvent coûteux.

Un seul point reste à préciser, qui serait à même de satisfaire les attentes légitimes des élus locaux en la matière : il s’agit du détail de cette centaine de cessions immobilières prévues en dehors de la région parisienne.

Il serait en effet utile et intéressant pour les collectivités locales d’avoir une liste de ces futures cessions, afin qu’elles puissent éventuellement se porter acquéreurs rapidement et leur trouver un nouvel usage. D’ailleurs, mon expérience en la matière m’incite à dire qu’il serait souhaitable que France Domaine soit quelques fois un peu plus réactive, pour que les cessions se fassent plus rapidement.

Je ne doute pas, monsieur le ministre, de la diligence de vos services pour nous informer sur ce point. Je tiens également à souligner l’avancée majeure proposée par l’article 4 ter, qui renforcera le contrôle parlementaire sur l’exécution des lois de programmation. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Les sénateurs avaient pourtant souligné la grande difficulté rencontrée pour obtenir, en l’état actuel du droit, certains documents pourtant indispensables, comme le référentiel, les documents préparés en vue du comité de réforme du ministère de la défense, ou encore les relevés de décision du comité ministériel d’investissement, qui décident des choix des principaux programmes d’armement. De même, l’organisation d’auditions de responsables d’armement pouvait poser problème.

Aussi nos rapporteures ont-elles proposé de doter les commissions chargées de la défense de pouvoirs d’auditions et d’investigations sur pièce et sur place, sur le modèle des pouvoirs des rapporteurs spéciaux des commissions des finances.

Bien entendu, les prérogatives de chacun ont été déterminées ou préservées avec la plus grande sagesse. Mais tous les renseignements d’ordre financier et administratif, et tout document de service, qui seront de nature à faciliter l’exercice de notre mission de contrôle, devront nous être fournis. Le contrôle est intrinsèquement lié à notre fonction de représentants de la nation, il est donc juste que ces pouvoirs soient étendus.

À ce titre, je veux souligner un autre élément de progrès contenu dans cette loi de programmation, qui concerne le renforcement des pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement. Là encore, le contrôle parlementaire se trouve accru. Organe commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, la délégation est composée des présidents des commissions des lois et de la défense des deux assemblées.

Jusqu’à présent, cette délégation n’avait qu’une mission de suivi de l’activité générale et du budget des services spécialisés des ministères de la défense, de l’intérieur et des finances. Le terme de « contrôle » n’avait pas été retenu dans la loi de 2007 qui créait cette délégation, sous prétexte, mes chers collègues, qu’il était « trop intrusif » ! La présente loi de programmation reconnaît donc à la délégation une mission générale de « contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement » et d’évaluation de la politique publique dans ce domaine. C’est donc bien l’action de l’État qui est soumise au contrôle et non celle des services eux-mêmes. Pour ce faire, les moyens d’information de la délégation seront considérablement améliorés.

Elle prendra connaissance de la stratégie nationale du renseignement, des rapports de l’inspection des services du renseignement, ainsi que des éléments relatifs aux activités opérationnelles des services et à leur financement. En outre, un rapport de synthèse des crédits et un rapport annuel d’activité devront lui être présentés chaque année. Enfin la liste des personnes susceptibles d’être auditionnées par la délégation pour mener sa mission à bien a été considérablement élargie, ce qui ne manquera pas d’enrichir la qualité de ses travaux. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je suis de ceux, nombreux, qui soutiennent sans réserve votre projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Vote solennel sur le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ;

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

Discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

La séance est levée.

(La séance est levée mercredi 27 novembre 2013 à deux heures.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron