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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 05 mai 2014

SOMMAIRE

Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Cessation du mandat de députés et reprise de l’exercice du mandat d’anciens membres du Gouvernement

Suspension et reprise de la séance

2. Approbation d’accords internationaux

Accord relatif au centre de sécurité Galileo

Accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d’organisation internationale

Accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités du Consortium des centres internationaux de recherche agricole

Accord France-Canada relatif à la mobilité des jeunes

3. Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales

Présentation

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Marc Dolez

Mme Elisabeth Pochon

M. Guy Geoffroy

M. Meyer Habib

M. Alain Tourret

M. Sergio Coronado

M. Hugues Fourage

Discussion des articles

Article 1er

Amendement no 18, 19, 21, 20, 22, 23, 24 et 25

Articles 1er bis et 2

Article 3

Amendements nos 3 , 1 , 37 , 26 , 35 , 27 , 36 , 38 rectifié

Article 4

Amendements nos 34 et 15 , 2, 4 et 5

Article 5

Amendement no 16

Article 5 bis

Article 6

Amendements nos 30 , 31 , 29 , 32 , 33

Articles 6 bis A et 6 bis

Après l’article 6 bis

Amendement no 17

Articles 7 à 9

Article 10

Article 11

Vote sur l’ensemble

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Cessation du mandat de députés et reprise de l’exercice du mandat d’anciens membres du Gouvernement

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’informe l’Assemblée que le président a pris acte, en application de l’article LO 176 du code électoral, de la cessation, le 30 avril 2014, à minuit, du mandat de député de M. Jean-Pierre Fougerat et de Mme Florence Delaunay et de la reprise de l’exercice du mandat de M. Jean-Marc Ayrault et de M. Alain Vidalies, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin par décret du 31 mars 2014.

Le président a également pris acte de la cessation, le 2 mai 2014 à minuit, du mandat de Mme Sylvie Pichot, de M. Franck Montaugé, de M. Frédéric Barbier, de Mme Danièle Hoffman-Rispal, de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, de M. Vincent Feltesse, de M. Avi Assouly et de M. Jérôme Guedj, et de la reprise de l’exercice du mandat de député de M. Guillaume Garot, de M. Philippe Martin, de M. Pierre Moscovici, de Mme Cécile Duflot, de M. Victorin Lurel, de Mme Michèle Delaunay, de Mme Marie-Arlette Carlotti et de M. François Lamy, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin par décret du 2 avril 2014.

En attendant l’arrivée d’un membre du Gouvernement, je suspends la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures deux, est reprise à seize heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Approbation d’accords internationaux

Procédure d’examen simplifiée

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifié, en application de l’article 103 du règlement, de quatre projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux (nos 1846, 1915 ; 1766, 1912 ; 1767, 1913 ; 1796, 1914).

Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je vais directement mettre aux voix l’article unique de chacun d’entre eux, en application de l’article 106 du règlement.

Accord relatif au centre de sécurité Galileo

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d’organisation internationale

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités du Consortium des centres internationaux de recherche agricole

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord France-Canada relatif à la mobilité des jeunes

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

3

Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (nos 1814, 1895).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs, nous allons travailler cet après-midi sur un projet de loi visant à transposer la directive relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. C’est une directive dont l’objectif est de renforcer les droits de la défense, qui a été adoptée par le Parlement européen et par le Conseil le 22 mai 2012 et que nous devons transposer avant le 2 juin 2014. La plupart de ses dispositions sont déjà présentes dans notre droit positif, mais c’est aussi l’occasion de consacrer dans la loi une jurisprudence du Conseil constitutionnel de novembre 2011 et d’introduire les droits nouveaux contenus dans la directive qui concernent les personnes suspectées ou poursuivies.

Il est bon que nous gardions à l’esprit pendant tout le débat que cette directive relative au droit à l’information, la directive B, et la directive C, relative à l’accès à l’avocat, sont étroitement liées. Elles relèvent toutes les deux du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales. La directive C a été adoptée en novembre 2013 et ne doit être transposée qu’avant décembre 2016, mais les dispositions introduites par le Gouvernement dans le présent projet de loi anticipent un certain nombre des mesures qu’elle contient.

Ces deux directives relèvent en effet d’un dispositif commun. Nous sommes très précisément dans le cadre de la création de cet espace de liberté, de sécurité et de justice lancé à Tampere en 1999 par le Conseil européen. La justice a ainsi été introduite en tant que telle dans le droit communautaire. Du fait du traité de Lisbonne, l’intégralité du champ pénal est d’ailleurs dans le droit communautaire. Par conséquent, garder à l’esprit que ces deux directives sont liées, c’est comprendre qu’elles participent de la construction de cet espace, dont l’un des piliers fondamentaux est justement la reconnaissance mutuelle des procédures judiciaires et, en l’occurrence aujourd’hui, des procédures pénales.

La directive transposée par le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui et qui a été adopté par le Sénat le 24 février dernier introduit donc des droits nouveaux à tous les niveaux de la procédure, c’est-à-dire au stade de l’enquête, à celui de la poursuite ainsi qu’à celui du jugement.

Pour ce qui concerne l’enquête, ces droits sont au bénéfice des personnes entendues librement, de celles qui sont gardées à vue et de celles qui sont entendues sous statut de mis en examen ou de témoin assisté dans le cadre d’une instruction.

Pour ce qui est de la personne suspectée entendue librement d’abord, un véritable statut est érigé. Certains d’entre vous se souviennent probablement des débats sur l’audition libre que nous avons eus en 2011 dans le cadre de la loi sur la garde à vue. Ces débats ont été denses, mais le gouvernement de l’époque n’a pas souhaité en tirer les conséquences et n’a donc inscrit aucune disposition encadrant les conditions dans lesquelles les personnes pouvaient être entendues librement. La directive, elle, crée un véritable statut du suspect libre. Comme je le soulignais tout à l’heure, le présent projet de loi intègre aussi une jurisprudence du Conseil constitutionnel de novembre 2011 selon laquelle lorsqu’une personne est entendue librement, il convient de l’informer de la nature et de la date de l’infraction ainsi que de sa faculté de quitter les lieux des services d’enquête à tout moment.

Le Gouvernement a introduit bien entendu les droits supplémentaires contenus dans la directive : le droit au silence, c’est-à-dire que la personne doit être informée qu’elle peut garder le silence, le droit à un interprète et le droit à des conseils juridiques. Il a souhaité ajouter que lorsque l’infraction relève d’un délit ou d’un crime, la personne entendue librement peut avoir accès à un avocat. C’est une innovation qui relève non de la directive B qui doit être transposée aujourd’hui mais de la directive C, relative à l’accès à l’avocat, dont le délai de transposition est plus long.

C’est une réelle innovation, cohérente avec le reste puisqu’elle consolide le statut de la personne entendue librement, donc du suspect entendu librement. Si un délit ou un crime peut lui être reproché, cette personne peut recourir à un avocat. Cela dit, l’exécutif ayant un certain nombre de contraintes, cette importante disposition n’entrera en application qu’en janvier 2015. En effet, l’exercice budgétaire est déjà entamé, et permettre l’accès à l’avocat suppose de permettre l’accès à l’aide juridictionnelle. Nous avons estimé les besoins correspondants entre 11 et 25 millions d’euros. Il faut donc que l’exécutif abonde l’aide juridictionnelle pour que ce nouveau droit soit effectif.

Le Sénat a amélioré le texte du Gouvernement, notamment en précisant le point de départ de la garde à vue lorsque celle-ci fait suite à une audition libre. Il a ainsi consacré une jurisprudence de la Cour de cassation qui considère de façon constante que la durée de l’audition commencée librement doit être imputée sur la durée de la garde à vue. Votre commission des lois, à l’initiative de la rapporteure, a précisé que l’heure du début de la garde à vue est fixée à l’heure à partir de laquelle la personne a été privée de liberté.

Je saisis cette occasion pour saluer l’excellent travail fourni par Mme Untermaier, qui avait déjà démontré qu’elle pouvait grandement améliorer un texte dont elle avait la charge. En prenant en considération les demandes, sinon contradictoires, du moins divergentes des professionnels du terrain, votre rapporteure a réussi à concilier ces deux exigences que sont la protection des personnes et l’efficacité des enquêtes. Les dispositions que votre commission des lois a choisi d’adopter en témoignent.

Ainsi, elle a proposé que lors de la convocation à une audition, l’officier de police judiciaire informe la personne, lorsqu’elle a droit à un avocat, des conditions d’accès à l’aide juridictionnelle. Cette information pourra se faire au moyen d’un document communiqué à la personne ou par un affichage dans les locaux des services d’enquête. Par ailleurs, il est prévu que la personne entendue librement puisse accepter ou refuser expressément de commencer l’audition avant l’arrivée de son avocat.

Ce texte améliore également les droits des personnes gardées à vue, notamment parce qu’il prévoit que l’infraction qui leur est reprochée doit leur être signifiée et les motifs de la garde à vue leur être énoncés. Ces personnes peuvent avoir accès à la copie des pièces du dossier, droit jusque-là réservé à l’avocat. Enfin, elles reçoivent une déclaration écrite récapitulant l’ensemble de leurs droits.

Votre rapporteure est aussi à l’initiative d’une disposition selon laquelle lorsqu’une garde à vue est prolongée sans que l’intéressé soit présenté devant le procureur de la République ou devant le juge des libertés et de la détention, il peut contester par écrit la mesure de prolongation.

À l’initiative de Sergio Coronado, la commission des lois a adopté une disposition qui permet aux avocats d’avoir accès à l’entier dossier. Ce sujet est d’actualité depuis ce matin, avec une intensité quelque peu inattendue… Permettez-moi de vous présenter déjà les arguments de droit et d’opportunité que je développerai tout à l’heure, lors de la discussion approfondie que nous aurons sur cette disposition.

Pour ce qui est des arguments de droit, il est établi que la directive B n’impose pas l’accès à l’ensemble du dossier durant la garde à vue. Son article 7 indique que la personne doit avoir accès aux documents qui sont essentiels pour contester, conformément au droit national, la légalité de l’arrestation ou de la détention. Notre constitution ne définit pas en tant que telle les droits de la défense, mais le Conseil constitutionnel les a reconnus comme relevant des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, leur donnant donc valeur constitutionnelle. Dans son examen du projet de loi, le Conseil d’État a interprété l’accès au dossier comme un accès à des documents essentiels. Les jurisprudences du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme ne permettent pas de considérer qu’il y a là injonction ou même préconisation pour l’accès au dossier intégral.

S’agissant des arguments d’opportunité, je rappelle que la directive B porte sur le droit à l’information, tandis qu’une autre directive, relative au droit d’accès à un avocat, est en cours de transposition.

L’accès à l’entier dossier soulève par ailleurs un certain nombre de difficultés pratiques. Ainsi, le dossier est constitué au fur et à mesure de la garde à vue et n’est finalisé que lors de la levée de la mesure. Par ailleurs, si la garde à vue a été décidée par une commission rogatoire, il est évident que les enquêteurs ne disposent pas de la totalité du dossier.

La jurisprudence européenne elle-même émet un certain nombre de dérogations à la libre disposition de toutes les pièces du dossier, pour des raisons liées aux nécessités de l’enquête ou à la sécurité des personnes. Si nous permettions l’accès à l’entier dossier, il nous faudrait, dans notre droit interne, définir le plus précisément possible les pièces qui pourraient faire l’objet de cette dérogation. Sans cela, nous exposerions la procédure à des contestations et la fragiliserions, ce qui n’est pas souhaitable pour l’action de la justice.

Indépendamment de ces arguments de droit et d’opportunité, je considère que nous devons construire de façon pérenne les droits de la défense dans la procédure pénale, d’autant que 3 % seulement des procédures pénales font l’objet d’une information judiciaire : 97 % des procédures relèvent du parquet, où il n’y a que peu de fenêtres pour le contradictoire. Il est donc nécessaire d’améliorer l’architecture même de notre procédure pénale.

C’est la raison pour laquelle j’ai confié, le 3 février 2014, une mission à M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon. Avec le concours d’un haut fonctionnaire de police, d’un avocat, d’un procureur de la République et d’un magistrat du siège, il formulera pour juin des propositions sur l’architecture même de la procédure pénale, de façon à introduire plus de phases contradictoires.

Cette mission travaillera bien sûr sur la question de l’accès à l’entier dossier. Cette mesure est déjà sur la table, d’abord parce qu’elle est réclamée depuis plusieurs années par les avocats, et parce que certains d’entre eux ont introduit, en décembre 2013 et en janvier 2014, des procédures en annulation sur ce fondement. Je suis persuadée qu’il faut consolider la procédure pénale et mieux assurer les droits de la défense mais, compte tenu de l’objet de la directive B et de la nécessité de définir préalablement les pièces du dossier susceptibles d’échapper à cet accès intégral, je vous proposerai de différer cette disposition.

Le texte améliore également les droits des personnes entendues par le juge d’instruction comme témoins assistés ou comme personnes mises en examen. Il prévoit notamment que leur soient notifiés leur droit au silence et leur droit d’être assistées par un interprète et un conseil juridique.

Les parties pourront désormais demander une copie des pièces du dossier, droit jusque-là réservé aux avocats. En contrepartie, la commission des lois, sur proposition de la rapporteure, a adopté une disposition qui me paraît particulièrement bienvenue : le triplement du montant de l’amende applicable aux parties qui en communiqueraient la copie à des tiers, amende qui passe de 3 750 à 10 000 euros. Cette contrepartie à l’accès direct des parties au dossier de la procédure me paraît indispensable pour garantir le secret de l’instruction, la présomption d’innocence et l’efficacité des enquêtes.

S’agissant des autres phases de la procédure, la poursuite et le jugement, le texte prévoit que, par parallélisme, la personne soit également informée de ses droits au moment de la délivrance de la citation directe ou de la convocation en justice. La personne pouvant également avoir accès à une copie des pièces du dossier, le texte précise le délai dans lequel les pièces sont mises à disposition. En citation directe, elles peuvent être immédiatement consultées au greffe du tribunal concerné ; en cas de convocation en justice, le tribunal dispose de deux mois.

Le projet de loi permet aussi aux parties de demander des investigations supplémentaires. Existant de manière implicite, pratiquée dans un certain nombre de juridictions, cette possibilité sera inscrite dans le code de procédure pénale. En cas de refus, la juridiction devra s’en expliquer par un avis motivé. Si elle fait droit à cette demande, elle pourra demander à l’un des membres de la formation de jugement ou à un juge d’instruction de procéder à ce supplément d’information.

Vous avez ajouté à cela la possibilité pour le président du tribunal correctionnel d’ordonner lui-même avant l’audience, s’il les juge justifiées, ces investigations supplémentaires. C’est une façon très utile de mettre à profit la période qui précède l’audience. Bien entendu, le président du tribunal correctionnel, ainsi que le président du tribunal d’assises, doit informer les prévenus ou les accusés de leur droit au silence et de leur droit à être assistés d’un interprète.

Les personnes présentées au procureur de la République dans le cadre d’une comparution immédiate ou suite à procès-verbal pourront être assistées d’un avocat, lequel pourra exposer au procureur des éléments d’appréciation. Le procureur pourra modifier ses intentions en matière d’action publique et, le cas échéant, décider d’une instruction préparatoire.

Voilà l’essentiel des dispositions et droits nouveaux contenus dans ce projet de loi. Pour ce qui fait encore débat, je rappelle que des travaux sont en cours. Jusqu’à maintenant, notre procédure pénale a été modifiée sous le coup de décisions, de censures qui émanaient des cours suprêmes, nationale ou européenne, par à-coups et sans cohérence. Il nous faut changer de méthode, car il est clair que notre procédure pénale manque de cohérence.

Ce changement de méthode nous permettra tout d’abord d’apaiser quelque peu les contestations, car les procédures pénales actuelles cristallisent les critiques, à la fois celles des avocats qui considèrent qu’ils ne peuvent pas assurer de manière satisfaisante les droits de la défense de leurs clients et celles des enquêteurs, policiers et gendarmes, pour qui ces modifications successives fragilisent les enquêtes, nuisent à leur efficacité et pénalisent au final l’action judiciaire.

Surtout, il faut renforcer la sécurité juridique afin de ne plus nous retrouver à devoir modifier la procédure pénale dans l’urgence, voire à faire face à des annulations de procédure, ce qui peut arriver lorsque, par exemple, la Cour de cassation exerce son contrôle de conventionnalité – lequel, toujours rétroactif, peut conduire à annuler des procédures – ou encore lorsque le Conseil constitutionnel censure une disposition – s’il ne renvoie pas sa censure à l’avenir, s’il la considère comme immédiatement applicable, des procédures peuvent être annulées.

Ce changement de méthode tient compte de ces critiques afin d’améliorer l’efficacité de l’enquête pénale et d’assurer la sécurité juridique la plus complète possible à nos procédures. Pour cette raison ai-je chargé le procureur Jacques Beaume de cette mission. Ses propositions nous permettront de penser globalement la procédure pénale, de la moderniser, de prendre en considération tous les progrès du droit européen que nous devons transposer dans notre droit interne, et de faire en sorte que les enquêtes soient efficaces. L’on craint trop souvent d’introduire du contradictoire ou d’améliorer les droits de la défense dans le cadre des enquêtes pénales, alors que l’expérience a prouvé que l’efficacité de ces enquêtes s’en trouvait au contraire grandie.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Bien sûr !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous tenons à ce que ces enquêtes soient efficaces, dans l’intérêt des victimes, des personnes mises en cause et de la société elle-même.

Introduire du contradictoire, assurer les droits de la défense, ce n’est pas fragiliser les enquêtes pénales, sauf si c’est mal fait. C’est pour cette raison que nous voulons faire du bon travail, anticiper et penser l’architecture ainsi que la cohérence de l’enquête pénale. Nous sommes persuadés que de telles dispositions permettront de moderniser notre droit, en conciliant à la fois la protection des libertés, le respect des droits et l’efficacité des enquêtes pénales. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. En préambule, je souhaiterais remercier les administrateurs et les administratrices de l’Assemblée nationale, les services du cabinet de la ministre ainsi que mes chers collègues pour le travail que nous avons réalisé ces derniers jours.

La procédure pénale qui nous occupe aujourd’hui avec ce projet de loi est au cœur des grands débats de société qui intéressent nos citoyens. La procédure pénale est en renouvellement, sous l’influence grandissante de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil constitutionnel, nous en aurons une illustration dans le débat qui va suivre. Elle est en mutation, sous l’influence de l’évolution des droits fondamentaux et de la superposition de normes mondiales, européennes et nationales, et aucun État, ainsi que l’écrit Mireille Delmas-Marty dans son ouvrage Le Relatif et l’Universel, ne peut s’en affranchir. Nous accompagnons ce changement avec l’impérieuse nécessité de tout État de droit de garantir les droits des victimes comme ceux des mis en cause. La procédure pénale est une procédure d’équilibre qui s’efforce de satisfaire les intérêts de la société, de la victime et de la personne poursuivie, dont l’honneur et la liberté sont en cause.

C’est dans cet état d’esprit que nous avons ensemble travaillé à ce projet de loi. La transposition des directives à laquelle nous oeuvrons n’est pas l’adoption forcée de mesures qui nous seraient imposées par l’Europe, mais bien le choix partagé des États membres de l’Union européenne, en novembre 2009, de se doter « d’une feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales ». Au-delà de l’application de droits fondamentaux, les différentes mesures ainsi prises devront faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, reconnaissance indispensable du fait de l’ouverture des frontières et du nombre croissant de personnes impliquées dans un autre État membre que celui de leur résidence.

Le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture et modifié par la commission des lois mardi 29 avril dernier vise à transposer deux directives : celle du 22 mai 2012 qui renforce le droit à l’information des personnes suspectées ou poursuivies et qui doit être transposée en droit interne au plus tard le 2 juin 2014, et une partie de celle du 22 octobre 2013, pour ses dispositions relatives au droit d’accès à un avocat des personnes suspectées dans le cadre de l’audition libre. Ainsi le présent projet de loi devrait permettre à la France non seulement de respecter le délai de transposition de la première directive, mais également d’anticiper très largement la transposition de la seconde, qui devra l’être entièrement le 27 novembre 2016 au plus tard.

Quarante-six amendements ont été adoptés au cours de l’examen de ce projet de loi par la commission des lois, ce qui démontre que, contrairement aux idées reçues, notre Parlement n’est pas relégué au rôle de « moine copiste ». Il sera de nouveau conduit à modifier le code de procédure pénale au rythme des transpositions de la directive relative à la protection des victimes et des trois propositions de directives du 27 novembre 2013 encore en discussion.

Or, l’ensemble des personnes auditionnées, universitaires, avocats, magistrats, représentants de la police, de la gendarmerie et des douanes et associations de défense des droits de l’homme, critiquent cette méthode de révision à petits pas de notre procédure pénale, au rythme des condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme ou des transpositions de directives. Vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la garde des sceaux. Ils réclament tous une réforme d’ensemble de la procédure pénale qui permette d’assurer un rééquilibrage entre les magistrats du parquet et ceux du siège d’une part, l’efficacité de l’enquête et le respect du contradictoire et des libertés fondamentales d’autre part.

Je partage ce point de vue.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. J’observe que le Gouvernement est également conscient de ce fait puisque le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour renforcer plus encore l’indépendance de la justice est prêt. Il ne dépend plus que de l’opposition que ce projet aille à son terme. Par ailleurs, notre garde des sceaux Christiane Taubira a confié une mission à M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon, en février 2014, pour réviser l’ensemble de l’architecture de l’enquête pénale. Nous vous remercions de cette initiative, madame. Nous regrettons simplement que le calendrier de cette mission n’ait pu être compatible avec l’examen du présent projet de loi, mais il est vrai que l’exercice était difficile.

J’en viens au contenu du projet de loi, que vous avez exposé de façon magistrale, madame la garde des sceaux. Rappelons simplement l’importance de la création du statut de suspect libre. Désormais, la personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction qui sera auditionnée par les services d’enquête se verra notifier l’ensemble de ses droits avant le début de l’interrogatoire. Ces droits ne sont pas nouveaux : c’est l’obligation de leur notification en début d’audition qui est nouvelle, et qui renforce leur effectivité. S’ajoute tout de même un droit nouveau, celui de pouvoir demander l’assistance d’un avocat dans le cas où la personne serait soupçonnée d’avoir commis un délit ou un crime.

Ce droit à l’information des droits est renforcé également pour toutes les personnes privées de liberté, et ce à tous les stades de la procédure.

Le renforcement du débat contradictoire à tous les stades de la procédure pénale est également au cœur du nouveau dispositif législatif, avec d’une part le droit nouveau d’être assisté par un avocat en cas d’audition libre mais également en cas de confrontation de la victime avec le suspect libre, et d’autre part l’ouverture d’un droit d’accès au dossier aux parties alors qu’il était jusqu’ici réservé aux seuls avocats. Les parties pourront donc demander une copie des pièces de la procédure, qui leur sera transmise à titre gratuit.

Enfin, le Gouvernement a proposé de supprimer la possibilité de porter la garde à vue de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures en cas de délit d’escroquerie en bande organisée prévue par l’article 706-88 du code de procédure pénale, pour tirer les conséquences, parce qu’il fallait bien le faire, de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013 concernant la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale. La commission des lois a, pour sa part, présenté une solution alternative. Nous avons, depuis, retravaillé ensemble, et nous discuterons de cette proposition.

La commission des lois, pour ce qui est de ses principaux apports, a tout d’abord souhaité clarifier, à l’article 62 du code de procédure pénale, le statut des différentes personnes entendues par les services d’enquête et préciser l’articulation entre ces différents statuts, témoin libre, témoin retenu pendant au plus quatre heures, suspect libre et suspect placé en garde à vue.

Plusieurs amendements renforcent le caractère effectif ou simplificateur des droits accordés au suspect libre. Ainsi, il est fait obligation à l’officier de police judiciaire de rappeler brièvement, si besoin est, les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle lorsqu’il notifie le droit d’être assisté par un avocat, et d’établir un procès-verbal de l’audition dans lequel sera notifiée l’information ainsi donnée sur tous les droits prévus par l’article 1er du projet de loi.

Lorsqu’une convocation écrite est adressée ou remise au suspect libre, ce qui reste une faculté pour les services d’enquête, l’obligation est faite d’y mentionner l’infraction pour laquelle la personne convoquée est suspectée, sauf si les nécessités de l’enquête ne le permettent pas, ainsi que son droit d’être assistée par un avocat, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle pourra obtenir, avant sa venue, des conseils juridiques. Ces dispositions nous paraissent aller dans le bon sens.

Enfin, suivant nos propositions, la commission a également précisé explicitement qu’il était possible d’auditionner le suspect hors la présence de son avocat, sur décision expresse de l’intéressé.

Concernant les personnes gardées à vue, a été réintroduite dans le projet de loi telle qu’elle existait dans le code de procédure pénale la possibilité de notifier immédiatement les droits d’une personne étrangère qui ne comprend pas le français par la remise d’un document traduit dans une langue qu’elle comprend, sans attendre l’arrivée de son interprète. Cette mesure me semble utile.

Suivant la proposition de nos collègues du groupe écologiste Sergio Coronado et Paul Molac, la commission a également voté la possibilité pour l’avocat d’une personne gardée à vue de consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense. Précisons que le Sénat n’avait pas remis en cause l’accès restreint aux pièces du dossier pendant la garde à vue : procès-verbal de notification de la garde à vue, procès-verbal d’audition du gardé à vue et certificat médical. Je ne m’étends pas sur cette question dont vous avez longuement parlé et dont nous allons bientôt débattre.

Enfin, pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013, la commission a proposé de limiter les possibilités de prorogation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures à une seule prorogation de vingt-quatre heures en cas de délit d’escroquerie en bande organisée. Néanmoins, durant tout le week-end, nous avons travaillé sur cette question en relation avec le Gouvernement, qui a mis en avant un risque d’inconstitutionnalité. Nous l’avons entendu et nous vous proposons un autre dispositif, adopté par la commission des lois au titre de l’article 88, consistant à maintenir la prolongation possible jusqu’à quatre-vingt-seize heures mais en renforçant les droits de la défense par la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue et en caractérisant le délit dans sa complexité et dans des faits en lien hors le territoire national.

Pour ce qui est de la procédure devant les juridictions de jugement, plusieurs amendements ont été adoptés par la commission, tendant soit à renforcer la qualité du débat contradictoire – ainsi en est-il de l’accès direct au dossier pour la personne déférée devant le procureur de la République et convoquée au tribunal en comparution immédiate ou par procès-verbal lorsqu’elle n’est pas assistée d’un avocat – soit à faciliter la procédure de jugement – le président du tribunal correctionnel pourra ainsi ordonner lui-même les suppléments d’information demandés par les parties, et ce avant l’audience. Vous avez déjà évoqué tout cela, madame la garde des sceaux.

Pour conclure, je considère aujourd’hui, compte tenu des nombreuses auditions que j’ai menées, y compris dans le cadre d’un atelier législatif citoyen dans ma circonscription dont vous pourrez lire le compte rendu dans mon rapport, que ce projet de loi comporte des avancées indéniables en faveur des personnes suspectées et poursuivies et clarifie les droits de chacun selon son statut, témoin, suspect libre ou suspect privé de liberté.

C’est pourquoi je vous invite à adopter ce projet de loi, moyennant néanmoins un certain nombre d’amendements, principalement destinés à rétablir un certain équilibre entre l’efficacité de l’enquête et le respect du contradictoire et des libertés fondamentales dans certaines situations. Cette recherche d’équilibre, dont les auditions nous ont permis de mesurer l’impérieuse nécessité, a été notre préoccupation. Elle le sera tout autant dans le débat qui nous attend.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur les conséquences, pour les finances publiques et l’efficacité du service public, des dispositions proposées, qui supposeront un effort budgétaire important à compter de 2015 en faveur des missions « Justice » et « Police ». Il conviendra d’être vigilants. L’étude d’impact prend en compte cette dimension à l’exacte mesure des effets du dispositif législatif tel que projeté par le Gouvernement. Enfin, la charge administrative que représente toute nouvelle disposition législative ne peut pas non plus être méconnue par les législateurs que nous sommes. Nous en avons vraiment tenu compte lorsque nous avons proposé les modifications que je viens de vous présenter. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, la réforme de la garde à vue du 14 avril 2011 a incontestablement renforcé les droits de la défense. Chacun conviendra toutefois qu’elle reste insuffisante au regard des exigences européennes, qu’il s’agisse des bénéficiaires des droits reconnus ou de l’étendue du droit d’accès au dossier. C’est pourquoi nous jugeons opportun ce projet de loi qui vise à transposer deux directives participant à l’édification d’un socle européen de droits et garanties procéduraux élémentaires.

Avant d’aborder quelques aspects de cette transposition, permettez-moi deux remarques. Tout d’abord, même si le recours à la procédure accélérée s’explique par la nécessité de transposer la directive B du 22 mai 2012 au plus tard le 2 juin 2014, nous regrettons cette manière précipitée de légiférer qui, en matière de droits de la défense et de contradictoire, ne saurait être satisfaisante. Ensuite, je fais mienne la remarque de Mme la rapporteure : comme de nombreux professionnels, nous ne pouvons que désapprouver la révision au compte-gouttes de notre procédure pénale, faite pour se conformer aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme et du droit de l’Union européenne. Nous plaidons pour notre part en faveur d’une réforme d’ensemble de la procédure pénale, permettant d’assurer d’une part un rééquilibrage entre les magistrats du parquet et ceux du siège et d’autre part l’efficacité de l’enquête ainsi que le respect du contradictoire et des libertés fondamentales.

Ceci étant précisé, ce projet de loi comporte plusieurs avancées significatives, même s’il connaît aussi des insuffisances. Il propose tout d’abord des avancées pour les personnes mises en cause mais non placées en garde à vue, avec la création d’un véritable statut du suspect libre. L’audition d’un suspect libre sera désormais strictement encadrée. Si les dispositions prévues viennent ici combler le grand vide juridique existant en cas d’audition d’une personne suspecte en-dehors du cadre réglementé de la garde à vue, nous regrettons cependant que le projet de loi ne limite pas la durée de l’audition libre, ce qui aurait constitué une garantie procédurale pour le suspect.

Autre avancée notable : le projet de loi renforce le contradictoire dans la phase préparatoire du procès pénal. Il élargit ainsi le droit d’être assisté par un avocat en cas d’audition libre et en cas de confrontation entre un suspect libre et une victime, laquelle pourra aussi être assistée d’un avocat. Il s’agit là d’une avancée indispensable, comme l’est aussi l’ouverture d’un droit d’accès au dossier pour les parties.

Le projet de loi prévoit certes d’ouvrir le contradictoire à l’issue de la garde à vue lorsque le procureur de la République envisage une comparution immédiate ou une comparution par procès-verbal de la personne qui lui est déférée, mais il est permis de douter de l’efficacité de cette mesure si l’avocat ne bénéficie toujours pas de l’accès à l’intégralité du dossier de son client. Par ailleurs, la possibilité pour les parties ou pour leur avocat de demander au tribunal, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, par conclusion écrite, qu’il soit procédé à tout acte qu’ils estiment nécessaire à la manifestation de la vérité, constitue également une avancée que nous tenons à souligner. De même, l’allongement du délai entre la notification d’une citation directe ou d’une convocation par l’officier de police judiciaire et l’audience permettra l’exercice effectif des droits de la défense.

Si le projet de loi renforce les droits à l’information des personnes privées de liberté, ces avancées semblent peu significatives compte tenu du fait, nous y reviendrons au cours du débat, que la principale revendication quant aux personnes gardées à vue est relative à l’accès au dossier par l’avocat. Les pièces de la procédure dont celui-ci peut, depuis la loi de 2011, prendre connaissance sont limitativement énumérées à l’article 63-4-1 du code de procédure pénale. Avec ce projet de loi, le suspect libre n’aura accès qu’au procès-verbal de son audition et la personne gardée à vue ne pourra pour sa part que consulter le procès-verbal de notification de sa garde à vue, son dossier médical et ses procès-verbaux d’audition à l’exclusion de toutes les autres pièces de la procédure.

Le Gouvernement, comme vient de nous le confirmer Mme la garde des sceaux, nous propose ici une transposition a minima des objectifs de la directive de 2013, transposition qui est préjudiciable aux droits de la défense. Comme Mme la rapporteure l’a souligné dans son rapport, cette transposition a minima est d’ailleurs critiquée par les représentants des avocats, par le Syndicat de la magistrature et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui considèrent que ce projet de loi doit être l’occasion de donner aux avocats un accès intégral au dossier de la garde à vue afin de garantir l’exercice des droits de la défense. C’est la position que nous défendrons ici.

Pour conclure, vous ne serez pas surprise, madame la garde des sceaux, que j’insiste sur la nécessité d’attribuer à la justice les moyens nécessaires afin de rendre effectifs les nouveaux droits reconnus par ce projet de loi. Les professionnels insistent à juste titre sur les coûts de cette réforme, qui sont visiblement sous-évalués dans l’étude d’impact. Ainsi, n’est pas pris en compte le coût des copies des nouveaux formulaires de notification, non plus que la nécessaire adaptation des logiciels de rédaction de procédure pour établir les procès-verbaux de notification, ou encore les frais de traduction dans toutes les langues. De même, l’impact de ce texte sur l’aide juridictionnelle sera très important ; là encore, l’estimation du Gouvernement est contestée par les services d’enquête et par les barreaux.

C’est pour toutes ces raisons, et tout en continuant de regretter l’absence d’une réforme d’ensemble de notre procédure pénale, que les députés du Front de gauche voteront en faveur de ce texte qu’ils veulent considérer comme une première étape dans le renforcement des droits de la défense.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Nous sommes réunis pour débattre de la transposition d’une directive sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Qualifions cela de texte de transition : la directive européenne que nous nous apprêtons à transcrire dans notre droit interne, dans les délais pour une fois, comme l’a fait remarquer Mme la rapporteure, ce qui nous vaudra donc d’échapper à l’amende cette fois-ci, est une étape dans la mutation progressive de notre procédure pénale. Cette mutation va dans le sens d’une plus grande prise en compte des droits du suspect et d’une place de plus en plus large faite au respect des droits de la défense et des libertés, corollaires de la présomption d’innocence.

À ce titre, le projet de loi s’inscrit dans la lignée de réformes telles que la loi du 15 juin 2000, la loi pénitentiaire de 2009 ou même la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, qui sera à nouveau retouchée. Il concerne les procédures pénales, le jugement et la garde à vue, parce qu’il est privatif de liberté, mais surtout, et c’est là son originalité, la phase de l’enquête préliminaire qui, dans 97 % des cas, est aujourd’hui une phase policière.

On dit souvent que cette phase est celle de tous les dangers pour les libertés. C’était évidemment le cas aux premiers temps de la procédure inquisitoire, mise en place par l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539. À cette époque, une personne pouvait être entendue sans savoir pourquoi ni à quel titre, et sans témoins ni avocat. Chacun conviendra que cette période est fort heureusement révolue et que beaucoup de chemin a été fait depuis. Des garanties ont été apportées aux suspects qui, depuis 1789, bénéficient de la présomption d’innocence, mais aussi aux policiers qui consignent les actes de procédure par écrit, un écrit qui, dans notre droit, qu’il soit civil ou pénal, est perçu comme la forme qui s’attache à la qualité de la procédure. Cependant, plus les procédures sont sophistiquées, ce qui est le cas de nos civilisations développées, plus les garanties reconnues aux suspects sont importantes, et plus les écrits occupent le temps utile des officiers de police judiciaire.

Sans doute faudra-t-il, si l’on veut aller encore plus loin, envisager d’introduire à ce stade de la procédure d’enquête davantage d’oralité. Les moyens modernes devraient nous le permettre : je pense notamment à la visioconférence, qui contribuera à approfondir les échanges entre enquêteur et procureur et entre suspect et avocat sans réduire trop le temps pendant lequel les policiers et les gendarmes font véritablement avancer l’enquête. Ce n’est toutefois pas le propos du texte que nous discutons aujourd’hui. Et ce n’est pas non plus pour demain, car l’effort d’adaptation de l’ensemble de la chaîne judiciaire sera considérable. Mais ce sera, je l’espère, pour après-demain – une raison de demander à notre collègue Sergio Coronado de patienter encore un peu !

Notre procédure doit nécessairement avancer de façon équilibrée en ménageant les droits fondamentaux mais également l’efficacité dans l’enquête, étant entendu que les garanties des uns sont aussi un gage de qualité du travail des autres. Nous sommes donc loin de l’ordonnance de 1539, et c’est heureux, mais n’avons pas fini notre besogne, nous en sommes convaincus.

Dans le cadre de la réflexion à venir, et le plus tôt sera le mieux, il faudra se demander, dans une optique d’efficacité mais également de raison et de logique pénale, s’il ne convient pas de revoir, conformément aux valeurs de notre temps, la répartition des domaines relevant des contraventions et des délits. La présente transposition concerne les délits. Le problème n’est pas seulement pragmatique : il ne s’agit pas simplement d’éviter la paralysie des enquêteurs. C’est une question plus large qui doit être conjuguée avec la recherche de la peine la plus efficace et la plus adaptée, la contravention pouvant, le cas échéant, être plus sévère.

Il s’agit aussi d’un texte de progrès. En effet, des progrès sont toujours possibles, il faut y croire et les envisager pour ne pas se faire prendre par le temps. À cet égard, nous regrettons que cette transposition n’ait pas été envisagée plus tôt, par l’ancienne majorité, qui a beaucoup réformé le droit pénal mais sans tenir compte de cette préoccupation.

Aujourd’hui, des progrès nous sont d’ores et déjà proposés, y compris grâce à la transposition par anticipation de la directive C. Notre rapporteure les a largement décrits, je n’y reviendrai que pour mémoire. Tout d’abord, la généralisation de la notification de ses droits au suspect, y compris du droit à l’information et du droit à un avocat, est une avancée majeure, même si certaines modalités de mise en œuvre nécessiteront peut-être encore quelques réglages. Elle s’inscrit du reste dans la lignée de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011. Oui, une personne suspectée doit être expressément informée de sa faculté de quitter à tout moment les locaux du service d’enquête, ainsi que de la nature et de la date de l’infraction pour laquelle elle est mise en cause. Il est important de noter que tous les suspects sont concernés : les suspects entendus librement hors de toute garde à vue, ainsi que ceux qui font l’objet d’une audition dans le cadre non seulement d’une enquête de flagrance mais également d’une enquête préliminaire ou sur commission rogatoire.

La réforme de 2011 sur les droits des gardés à vue est heureusement complétée, tant elle avait été conçue a minima, avec des mesures comme le droit de demander la non-prolongation de la garde à vue et l’accès à un éventuel dossier médical, ou la mise en place et la remise d’une déclaration écrite récapitulant les droits des personnes suspectées ou poursuivies et privées de liberté parce que placées en garde à vue ou arrêtées à la suite d’un mandat national ou européen ou placées en détention provisoire.

Enfin, l’amélioration du contenu de l’information des personnes poursuivies devant les juridictions d’instruction ou de jugement concerne le témoin éventuellement suspect, le témoin assisté, le mis en examen, l’accusé ou le prévenu. Bien qu’ils ne soient pas directement concernés par l’enquête, des droits leur sont reconnus, à titre conservatoire en quelque sorte : droits à un interprète et à la traduction et droit au silence.

Dans tous les cas, soulignons que c’est l’effectivité de l’accès « en temps utile » au dossier, nécessaire à l’exercice des droits de la défense en cas de poursuites devant le tribunal correctionnel qui est recherchée : c’est une bonne chose qui place notre projet bien loin d’un texte de simple affichage.

Le prévenu est ainsi informé de son droit à un avocat et à des conseils juridiques. On peut noter l’amélioration des droits de la défense et des poursuites sur convocation en justice par officier de police judiciaire ou par citation directe, ainsi que la possibilité pour la victime de se faire assister par un avocat face à un suspect entendu en audition libre, cela à l’initiative du Sénat.

Ce texte implique des moyens dans la durée. La presse regorge de titres plus ou moins inquiétants, promettant multiplication des gardes à vue, annulations de procédure ou effets secondaires. Cela entretient une polémique favorisant le sempiternel affrontement entre police et avocats, comme s’il était impossible que chacun concoure au rendu d’une bonne justice, celle qui répond aux besoins de la société, qui respecte la victime mais également les libertés fondamentales de chaque citoyen.

L’avocat a un rôle à jouer, sans entraver les enquêtes. C’est un professionnel du droit. Pour autant, on ne peut nier les incidences de ces nouvelles dispositions sur le travail des officiers de police judiciaire. Mais la question de l’équité à tous les stades de la procédure est posée : on ne peut passer sous silence que chaque changement dans les routines installées nécessite un temps d’adaptation, d’évaluation, puis éventuellement de rectification. Avec ce texte, le pied est dans la porte, mais il faudra encore la pousser.

Certains se demandent pourquoi se précipiter. Nous devons dire que nous tenons compte de l’augmentation des tâches administratives que cela occasionnera pour les officiers de police judiciaire, qu’il pourra y avoir des problèmes de moyens, de locaux, de temps, que les procédures risquent de s’allonger et que cela aura des incidences en termes de coûts.

L’effectivité des droits dépendra de la capacité des services d’enquête et des avocats d’exercer leur travail dans des conditions acceptables. Cela suppose d’en tirer les conséquences en termes de moyens matériels et humains et éventuellement de revoir le budget de notre justice.

On ne doit pas priver la justice de cette première marche à franchir pour trouver un équilibre entre l’enquête et les droits de chacun. Aujourd’hui, on sait que la chaîne pénale est un tout et qu’il faut l’appréhender de façon globale, transversale. Chacun à sa place doit y concourir sans défiance, collaborer à l’expression et au respect du travail de chacun. Comme le disait volontiers Robert Badinter, il nous faut « collaborer à une justice de notre temps ».

Cette réforme est imposée par l’Europe, dont la vision, en matière de procédure pénale, est très pragmatique et très attachée au respect du contradictoire, garant d’un procès équitable. Elle ne transpose la directive qu’a minima, ce que certains regretteront, pour ménager autant que possible les principes qui fondent notre procédure pénale, caractérisée par une enquête inquisitoire aménagée qui allie une recherche du fond de l’affaire avec le respect des droits de la défense et des droits émergents des victimes.

Il apparaît évident qu’une réforme en profondeur de notre procédure devient incontournable. Toutefois, une telle modification de l’esprit et de la règle de la procédure pénale, très délicate, aurait été hors de propos puisqu’elle constitue l’objet de la mission Beaume.

Il reste que, dans la phase policière du procès pénal, l’enquête préliminaire, notamment la coexistence de la procédure écrite avec la mise en œuvre de nouvelles obligations qui ont leur logique en procédure orale, peut poser des problèmes d’articulation logique et de moyens. Mais cette transposition renforce les droits de la défense. Mieux encore, elle permet de la sécuriser. Elle favorise la conception d’une réforme cohérente et concertée, en ne réitérant pas les erreurs de la gouvernance passée qui consistait à répondre au coup par coup aux nouveaux impératifs imposés par l’Europe.

Nous ne devons pas subir l’Europe. Nous ne la subissons pas, nous en sommes les acteurs. Les améliorations du texte apportées par les amendements du Parlement en sont les témoins. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Vous l’avez tous dit, notre débat d’aujourd’hui est d’une grande importance. Qui en effet pourrait estimer que voter une loi qui a pour objectif de renforcer les droits de la défense est négligeable, inutile ou inopportun ? Personne bien sûr ! Et même si nous avons quelques raisons de poser des questions, voire de manifester quelques réserves ou réticences, nous ne pouvons qu’être d’accord avec vous sur la nécessité de mettre en œuvre dans notre droit positif les directives européennes et de le faire de la manière la plus coordonnée possible.

S’agissant de la directive du 22 mai 2012, je ferai cordialement remarquer à Mme Pochon qu’il était difficile pour la précédente assemblée de la transposer dans notre droit positif. Entre le 22 mai 2012 et l’élection de la nouvelle assemblée au mois de juin, c’eût été un peu compliqué ! Quoi qu’il en soit, si nous voulons appliquer la règle, cette directive doit être transposée au plus tard le 2 juin prochain. Je me félicite que nous ayons tous, depuis une dizaine d’années, suivi le chemin permettant de rattraper le temps perdu, nous souciant de ne plus être hors délai. La France a connu il y a dix ans des situations anormales en la matière. Nous sommes en passe de transposer les directives dans le calendrier initialement prévu, ce qui est une bonne chose.

Cette directive prévoit que les personnes soupçonnées et entendues en audition libre doivent être informées de leurs droits fondamentaux. Elles doivent être avisées de la qualification, de la date et du lieu présumé de l’infraction qu’elles auraient commise. Elles doivent être informées de leur droit de quitter à tout moment les locaux où elles sont entendues, ce qui fait la différence avec la procédure de la garde à vue. Elles doivent pouvoir être accompagnées et assistées par un interprète ou un avocat, et bénéficier gratuitement de conseils juridiques.

Cette directive prévoit également que l’on notifie systématiquement l’ensemble de leurs droits fondamentaux aux personnes privées de liberté, c’est-à-dire gardées à vue, placées en détention provisoire ou faisant l’objet d’un mandat d’arrêt.

Tout cela est important et nous n’avons pas grand-chose à dire, sauf que, madame la ministre – c’est un débat que nous avons eu à deux reprises en commission et encore tout à l’heure – il y a probablement matière à modifier certaines appellations. J’ai fait remarquer en commission qu’il n’était pas satisfaisant que le titre d’un chapitre fasse mention d’une personne « suspectée » alors que l’article correspondant fasse référence à une personne « soupçonnée ». Les mots ont de l’importance. Je ne voudrais pas être un mauvais augure, mais il nous faut une réponse sur ce point. Dans l’opinion publique, le statut de personne mise en examen et bénéficiant à ce titre de la présomption d’innocence n’est-il pas, finalement, plus anodin et plus flatteur que celui de « suspect » ? Car ce « suspect », qui certes serait auditionné librement, n’en serait sans doute pas moins, pour le commentateur et l’opinion, aussi coupable que le mis en examen bénéficiant de la présomption d’innocence. Ce sujet important n’a pas été tranché en commission. Je souhaite qu’il le soit aujourd’hui ou alors en CMP.

S’agissant de la deuxième directive, votre explication, madame la garde des sceaux, n’est pas satisfaisante. Nous avons encore plus de deux années pour transposer cette directive que vous avez choisi de transposer aujourd’hui en raison du lien qui existe avec la première. Nous nous retrouvons donc dans une procédure accélérée qui est justifiée pour un texte sur lequel nous ne devons pas prendre de retard mais qui est utilisé comme véhicule pour transposer une autre directive beaucoup moins urgente. Et pourtant vous avez conclu en voulant mettre un terme à cette politique visant à réformer notre code pénal au coup par coup, au cas par cas, pas à pas…

Cette directive du 22 octobre dernier soulève plusieurs questions, voire plusieurs réserves. S’agissant d’abord de la question de l’urgence, vous transposez seulement une partie de la directive. Nous aimerions connaître les raisons pour lesquelles, tant qu’à faire, vous ne la transposez pas complètement. Vous avez fait le choix d’anticiper la date butoir pour certaines dispositions, pas pour les autres. Madame la ministre, n’est-ce pas contradictoire ?

Ma deuxième réserve, vous l’avez évoquée, ainsi que Mme la rapporteure et les orateurs précédents. La rapporteure a dit clairement en commission que toutes les personnes auditionnées dans le cadre de ce projet de loi – avocats, magistrats, représentants de la police, de la gendarmerie ou des douanes, universitaires, associations des droits de l’homme… – critiquaient cette révision à petits pas de notre procédure pénale, au rythme des condamnations éventuelles par la Cour européenne des droits de l’homme ou des dispositions plus contraignantes formulées par le Conseil constitutionnel.

Tout le monde recommande, tout le monde souhaite… mais on attend toujours une réforme d’ensemble de la procédure pénale, qui serait probablement utile et qui permettrait de trancher cette question qui nous taraude : sommes-nous sous l’emprise d’un droit européen qui deviendrait de plus en plus anglo-saxon ? Devons-nous craindre pour notre procédure inquisitoire au profit de la procédure accusatoire à l’anglo-saxonne telle qu’on la voit poindre dans l’esprit, si ce n’est dans la lettre d’un certain nombre de formules européennes ?

Trois points méritent d’être soulevés. Pour ce qui est de l’aide juridictionnelle d’abord, vous avez partiellement répondu en disant que le dispositif ne pourrait être effectif qu’à compter de 2015. C’est raisonnable, mais on peut tout de même s’interroger sur une transposition maintenant pour une mise en œuvre en 2015. Et quel en sera le coût ? Vous l’évaluez entre 13 et 25 millions, mais d’autres vont jusqu’à 30 millions. C’est beaucoup. Comment cela sera-t-il pris en charge par votre budget ?

Ensuite, puisqu’il est désormais possible pour le témoin assisté d’avoir accès au dossier de la procédure, le secret de l’instruction n’est-il pas de plus en plus un secret de Polichinelle, quelque chose à quoi l’on s’accroche alors que l’on sait fort bien que son avenir est d’ores et déjà écrit – et qu’il n’est pas positif ?

Enfin, j’en viens au délit d’escroquerie en bande organisée et à la prolongation de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures, actuellement en vigueur. On nous a dit qu’il valait mieux suivre le Conseil constitutionnel et en rester au délai de quarante-huit heures. Finalement, nous avons transigé en commission des lois à soixante-douze heures. Et puis, heureuse surprise je l’avoue, la commission a donné tout à l’heure au titre de l’article 88 – nous y avons contribué – un avis favorable à l’amendement de notre rapporteure sur cette question. Il faudra nous assurer que nous irons au bout. En effet, les fonctionnaires des douanes notamment affirment qu’il ne serait pas possible de démontrer l’escroquerie en bande organisée en soixante-douze heures. Or l’escroquerie à la TVA coûte cher à notre pays. Les quatre-vingt-seize heures de garde à vue sont donc essentielles.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous ne pouvons pas nous inscrire contre ce projet de loi qui permet de mettre en place dans notre droit positif des dispositions reconnues unanimement à l’échelle européenne comme étant nécessaires. Mais les incertitudes que j’ai pointées et dont vous-même ne niez pas la réalité, après les deux lectures en commission et après vous avoir entendue, conduisent notre groupe à une position d’abstention que nous espérons prospective. Si la commission mixte paritaire, à l’issue de nos débats, aboutit à une plus grande cohérence et une plus grande efficacité, cette position se transformera peut-être en vote positif… Mais nous n’en sommes pas là. Aujourd’hui, avec regret mais avec la certitude de contribuer utilement au débat, le groupe UMP s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. « Entre la découverte d’une infraction à la loi et son jugement s’écoule un temps plus ou moins long pendant lequel l’affaire doit être mise en état d’être jugée ». Ainsi Mireille Delmas-Marty, professeur au Collège de France, définit-elle la phase préparatoire du procès, étape essentielle de la chaîne d’une procédure pénale, qui commande bien souvent l’issue du procès. Elle est ce que les fondations sont à une maison. Les malfaçons qui l’affectent entraînent généralement l’effondrement du dossier et sont très difficilement réparables. Elle constitue aussi une étape cruciale, qui mêle la conciliation entre la défense des intérêts de la société et l’exigence d’une répression aussi efficace que dissuasive, d’une part, et d’autre part la protection des droits des personnes, présumées innocentes jusqu’au prononcé du jugement.

Sur la forme, tout d’abord, l’exercice qui nous est soumis aujourd’hui est relativement limité. En effet, nous devons suivre la route tracée par la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 dans l’un des domaines les plus sensibles de notre droit, la procédure pénale. Ce n’est pas la première fois que notre assemblée est appelée à se prononcer sur les mesures de transposition nécessaires à l’application de la feuille de route de Stockholm, programme de travail que s’est donné l’Union européenne en 2009 sur la base du traité de Lisbonne. Son objectif consiste bien à rapprocher les systèmes judiciaires des États membres en renforçant les droits de la défense et le respect du débat contradictoire dans les procédures pénales. Pour autant, une tendance prend corps au fil des ans. Elle consiste à faire prévaloir une procédure accusatoire inspirée du modèle anglo-saxon, privilégiant le rôle des parties, sur notre traditionnel modèle français, fondé sur une procédure inquisitoire privilégiant la position de surplomb d’un juge représentant l’intérêt général, chargé de diriger l’enquête en vue de la manifestation de la vérité.

Nous devons donc aborder aujourd’hui avec prudence cet exercice périlleux de transposition d’une directive. Bien entendu, il ne s’agit pas de dénigrer les avancées majeures visant à garantir les droits de la défense. La réforme de la garde à vue, par exemple, constitue une refonte nécessaire du système judiciaire français. Mais les innombrables lois pénales adoptées au cours des dernières années se sont empilées, superposées et imbriquées pour former une masse confuse sans qu’aucune réflexion sur l’ensemble de la chaîne pénale n’ait été proposée, hormis des travaux demeurés de simples rapports comme le rapport Léger et les rapports Delmas-Marty.

Dès lors, n’est-il pas temps de proposer une modernisation approfondie de notre procédure pénale et de la repenser globalement, plutôt que de poursuivre dans la tendance consistant à transposer une directive en urgence à quelques mois de l’échéance ? Cette manière d’aborder une réforme par touches pointillistes, pas à pas, mesure par mesure, et de se contenter de débats techniques et de lois votées à la hâte me semble regrettable.

Rappelons-nous : Alain Vidalies lui-même, ancien ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement, affirmait au Sénat que « la préoccupation du Gouvernement est de sécuriser les procédures afin d’avancer de façon concertée et réfléchie sans être contraints de réagir en urgence ». Or nous sommes ici tenus par un délai relativement bref, la transposition devant être faite avant le 2 juin 2014. Par ailleurs, comment ne pas regretter la tentative du Gouvernement d’insérer dans le projet de loi un cavalier législatif ? Vous avez voulu, madame la garde des sceaux, traiter d’un sujet primordial qui est de surcroît un droit constitutionnel, l’asile, par le biais d’un article 10 subrepticement intégré au texte. Cet article avait pour seul objectif l’application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, sans lien avec la directive qui nous occupe aujourd’hui. Il est donc heureux que le Sénat l’ait abrogé. Incontestablement, l’instauration d’une politique commune d’asile incluant le régime d’asile européen commun doit être débattue dans des conditions respectueuses du travail parlementaire.

Quant au fond, nous reconnaissons que ce projet de loi a le mérite de créer un véritable statut des personnes suspectées en encadrant les modalités selon lesquelles elles pourront être entendues librement sans être placées en garde à vue. Notre commission des lois a opéré un distinguo clair entre les statuts des personnes auditionnées au cours de l’enquête pénale. L’audition libre a donné lieu à de nombreux débats, en particulier lors de l’adoption de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, mais aucune disposition encadrant les conditions d’une telle audition n’avait été prise. Seul le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 novembre 2011, a imposé qu’une personne suspectée soit expressément informée de la faculté dont elle dispose à tout moment de quitter les locaux du service d’enquête et de la nature et la date de l’infraction pour laquelle elle est mise en cause. En instaurant une notification de ses droits au suspect libre, le projet de loi se conforme à la décision des Sages. Il va néanmoins au-delà de la directive en y ajoutant le droit à l’assistance d’un avocat en cas de crime ou de délit puni d’une peine d’emprisonnement.

Le groupe UDI formule cependant une réserve au sujet de l’article 3 du projet, qui instaure le droit d’une personne gardée à vue d’accéder elle-même à certaines pièces de son dossier, comme les procès-verbaux d’audition ou le certificat médical. Auparavant, ce droit était exclusivement réservé aux avocats, qui sont soumis à des règles très strictes de confidentialité et de déontologie. N’allons-nous pas trop loin dans la refonte de notre procédure pénale avec une telle disposition ? Quelle en sera la valeur ajoutée ? À ce stade de l’enquête, il n’est pas possible de placer une personne sous contrôle judiciaire ni de prendre des mesures visant à protéger les témoins. Il est donc essentiel de préserver l’identité d’un certain nombre de personnes qui auraient pu être amenées à témoigner contre le gardé à vue.

À l’initiative de notre collègue écologiste des Français de l’étranger Sergio Coronado, la commission a conféré à l’avocat d’une personne gardée à vue la possibilité de consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense dès le début de la garde à vue de son client. Le groupe UDI s’oppose fermement à cet amendement, adopté d’ailleurs contre l’avis de Mme la rapporteure. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a lui-même fait savoir ce matin son hostilité à une telle mesure qui risque d’alourdir les procédures.

M. Marc Dolez. Quel argument !

M. Meyer Habib. J’ajoute à ce propos que l’accès au dossier en cours de garde à vue se heurte indéniablement à des difficultés pratiques. À ce stade, toutes les pièces de l’enquête ne sont pas réunies ni tous les procès-verbaux dactylographiés, et certains actes d’enquête comme les perquisitions ou les auditions de témoins peuvent être réalisés au cours même de la garde à vue de la personne mise en cause en fonction de ce que l’on apprend alors et du contenu de ses déclarations. Les officiers de police judiciaire ne peuvent pas à la fois procéder à des actes d’enquête et les retranscrire immédiatement sous forme de procès-verbaux accessibles à l’avocat. C’est pourquoi nous estimons qu’une telle disposition est dangereuse et préjudiciable au maintien de l’efficacité et de la discrétion de l’enquête.

En matière de principes, certaines dispositions du projet de loi sont les bienvenues, en particulier l’obligation de fournir un document écrit répertoriant les droits de la personne suspectée. Elles favorisent un meilleur respect des droits de la défense à tous les stades de la procédure pénale et sécurisent les procédures éventuellement engagées par la suite, dès lors que les déclarations auront été recueillies en présence de l’avocat de la personne, au cours de l’audition libre le cas échéant. Cependant, ne nous leurrons pas : dans la pratique, de telles dispositions représentent une charge très lourde pour les services de police et de gendarmerie. En tout état de cause, un important effort d’accompagnement et de pédagogie sera nécessaire auprès de l’ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire, dont on ne saurait nier qu’ils sont inquiets des évolutions en cours. Dans ces conditions, le groupe UDI, assez réservé à propos des améliorations qu’apporte le projet de loi à l’efficacité de notre procédure pénale, s’abstiendra sur le texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chère Christiane Taubira, madame la rapporteure, alors que nous parlons de garde à vue, j’ai en tête l’un des moments les plus douloureux de ma vie d’avocat. J’ai en effet été amené à défendre Yves Bonnet, préfet de la République, ancien directeur de nos forces de sécurité, député de la Manche et rapporteur du budget au conseil général, qui fut arrêté, placé en garde à vue, fouillé d’une façon que je n’ose évoquer et interrogé d’une manière absolument invraisemblable, en l’absence de son avocat bien évidemment. À la suite de tout cela, il dût subir un triple pontage coronarien.

En la matière en effet, on revient de loin. Pendant bien longtemps, la garde à vue a été un concentré de non-droit. Pendant bien longtemps, on a refusé la présence d’un avocat, avant de l’admettre progressivement – après la vingtième heure, rappelons-nous ! Petit à petit, on s’est préoccupé de renforcer les droits de la défense. C’est une bonne chose. Ce qu’il faut avoir en tête en effet, c’est d’abord de renforcer la procédure contradictoire, ensuite d’assurer un jugement équitable, le tout sans attenter à la dignité de la personne interrogée. Car cela peut être vous, moi – n’importe qui : combien de personnes sont-elles ainsi placées en garde à vue chaque année ? Presque un million ! Cela peut donc arriver à tout instant.

La garde à vue constitue l’un des moments les plus importants de rencontre entre un individu et la justice, moment au cours duquel il faut lui assurer les droits les plus étendus possibles. Je dis souvent qu’il faut un bloc des libertés essentielles. Peut-être les deux transpositions qui nous occupent aujourd’hui renforceront-elles le droit des gens, et ce que l’on pourrait appeler le Bill of rights. En effet, ces deux directives seront transposées, et c’est tout à notre honneur, dans des délais parfaitement raisonnables, alors même que la France a toujours été l’un des mauvais élèves de l’Europe, condamnée 135 fois en 2005 pour retard ou refus de transposition. Dès lors, félicitons-nous de ce nouvel État de droit.

Ce texte renforce les droits des personnes aux moments de l’enquête, de l’information et du jugement. Au moment de l’enquête, c’est nouveau. Certes, le Conseil constitutionnel avait rendu deux décisions, le 18 novembre 2011 et le 18 juin 2012, relatives aux obligations incombant aux enquêteurs d’informer les personnes entendues de la nature et de la date de l’infraction et de la possibilité de prendre un avocat. Mais nous arrivons aujourd’hui à la création d’une sorte de statut du suspect libre.

Mais à ce sujet, l’historien et président de l’amicale des admirateurs de l’Incorruptible que je suis tient à vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il faut faire très attention à ce terme de « suspect ».

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. Alain Tourret. Pour moi, le mot « suspect » renvoie à la loi des suspects votée durant la Terreur, qui permettait au Tribunal révolutionnaire de faire comparaître devant lui toute personne se trouvant en désaccord avec le Comité de salut public. Je me méfie donc de ce mot en raison de ses connotations historiques. Certes, cela n’a plus rien à voir, j’en suis bien conscient, mais j’avoue que si l’on pouvait se référer à un autre terme que celui-ci, j’en serais soulagé.

Le deuxième élément qui me semble important consiste dans le renforcement des droits à l’information des personnes privées de liberté, notamment la délivrance par écrit à la personne entendue de l’intégralité de ses droits. Il s’agit du droit à être assisté par un interprète et, au stade de l’instruction et de jugement, du droit à la traduction des pièces essentielles du dossier ; du droit d’accès à l’avocat avec l’aide juridictionnelle ; du droit de faire des déclarations et du droit de garder le silence – ce droit au silence constitue, madame la garde des sceaux, une grande évolution de notre droit vers le droit anglo-saxon, et un progrès essentiel ; à ce titre, il est tout à fait indispensable de le notifier par écrit.

Je veux également rappeler le droit, pour la personne entendue, de consulter un médecin et le droit de prendre connaissance du calendrier judiciaire. L’ensemble de ces droits représente un incontestable progrès, qui va dans le sens du renforcement du « bloc des libertés » auquel je tiens par-dessus tout.

Reste, bien évidemment, la question de savoir si la personne entendue dans le cadre d’une garde à vue, et son avocat, ont la possibilité d’accéder au dossier. Je sais d’expérience que, lorsqu’un avocat est appelé pour assister une personne en garde à vue – soit qu’il ait été appelé directement par la personne concernée, soit qu’il ait été désigné par le bâtonnier pour faire le « tourniquet » des gardes à vue –, il va devoir se rendre dans un endroit sordide pour discuter avec une personne qu’il ne connaît pas, la plupart du temps. Pourquoi fait-on intervenir un avocat, si ce n’est pour permettre la sérénité du procès – car c’est par la discussion que la sérénité viendra – et pour rassurer la personne concernée ? L’avocat n’est pas forcément un bandit, non plus que ses clients !

Est-il bon de permettre à la personne de connaître les faits pour lesquels elle est placée en garde à vue ?

M. Sergio Coronado. Oui !

M. Alain Tourret. Quand une personne est mise en garde à vue, de quoi voulez-vous qu’elle discute avec son avocat, si ce n’est de cela ? Si c’est impossible, on en revient au conseil que je donnais aux personnes que j’assistais, à savoir : « Ne dites rien tant qu’on n’a pas les pièces ! » En procédant de la sorte, la personne en garde à vue ne risque pas d’être soumise à contradiction, et rien ne peut donc lui être reproché.

En empêchant l’accès au dossier, on ralentit donc la procédure et on rend impossible un véritable échange avec l’enquêteur. Madame la garde des sceaux, je vous ai entendue exprimer, tout à l’heure, votre souci de réserver des fenêtres de tir à l’instauration d’un échange contradictoire. C’est effectivement indispensable, mais à quel moment peut-on le faire ? Dans le cadre de la garde à vue, cela n’est possible que si la personne concernée sait sur quoi elle va être interrogée, et sur la base de quelles pièces. Quel intérêt y a-t-il à ce qu’elle prenne connaissance de sa propre audition ?

J’ai beaucoup réfléchi à cette question. Durant toute ma vie d’avocat, j’ai entendu mes confrères dire que, si on ne leur permettait pas de prendre connaissance du dossier, ils ne servaient à rien. Les syndicats de magistrats disent la même chose, tout comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Certains enquêteurs s’inquiètent du fait que l’on mette en cause telle ou telle personne ayant contribué à l’enquête, ce que je peux comprendre. Cela dit, si la personne placée en garde à vue garde le silence, on finira toujours par prendre connaissance du dossier dans les jours qui suivent. En effet, le procureur va faire une citation devant le tribunal – correctionnel, par exemple – qui aura pour effet de permettre l’accès au dossier.

Pourquoi faudrait-il faire une différence, en ce qui concerne l’accès au dossier, entre le moment où une personne est en garde à vue et le moment où le tribunal correctionnel se trouve saisi à la suite d’une citation du procureur ? Je vous le dis très franchement, madame la garde des sceaux, j’estime que l’on se trompe en voulant s’en tenir à une telle distinction. Et pour ce qui est de faire la différence entre les pièces qui pourraient être communiquées et celles qui ne pourraient l’être, si je comprends que l’on puisse souhaiter assurer telle ou telle protection, la mise en œuvre d’un tel principe me paraît pratiquement impossible, la non-communication de certaines pièces étant de nature à donner lieu à une multitude de recours.

En la matière, faisons plutôt confiance à l’évolution des choses et des gens, à l’évolution du contradictoire et du dossier équitable. Vous disposez aujourd’hui d’une fenêtre de tir, madame la garde des sceaux : le meilleur conseil que je puisse vous donner – à l’éclairage de plusieurs dizaines d’années d’expérience –, c’est de l’utiliser, car c’est le moment. Ne pas le faire entraînerait, à mon sens, un risque de condamnation par la Cour de cassation ou par les juridictions européennes dans les années à venir. C’est là un risque que vous ne pouvez négliger, quelles que soient les garanties que vous aurez pu prendre, car les choses vont toujours dans le même sens : la protection des libertés constitue en effet un socle qui, loin de se déliter, ne fait que se renforcer, jour après jour. Je crains qu’en n’allant pas dans la direction que je vous montre, madame la garde des sceaux, ce texte ne soit finalement qu’une occasion manquée et un recul pour l’ensemble des droits de l’homme.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le vice-président de la commission des lois – qui tweete en ce moment même…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Pas du tout ! (Sourires.)

M. Sergio Coronado. …mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est une transposition de la directive du 22 mai 2012, qui vise à établir des normes minimales dans l’ensemble des États membres en ce qui concerne le droit des personnes suspectées ou poursuivies à être informées de leurs droits fondamentaux et à avoir accès aux pièces de la procédure. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, cette directive doit être transposée en droit interne au plus tard le 2 juin 2014, c’est pourquoi le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi.

La transposition concerne ensuite une partie de la directive du 22 octobre 2013, pour celles de ses dispositions relatives au droit d’accès à un avocat pour les personnes suspectées, dans le cadre de l’audition libre. L’ensemble de cette directive, qui vise à introduire le contradictoire à tous les stades de la procédure pénale, devra être transposé au plus tard le 27 novembre 2016.

Nous avons déjà adopté la loi du 5 août 2013, qui a notamment transposé la directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction des pièces du dossier. Comme l’a dit notre collègue de l’UDI, ces trois directives composent ce que l’on appelle la « feuille de route de Stockholm ». Il s’agit du programme de travail que l’Union européenne s’est donné en 2009 pour rapprocher les législations des différents États membres en matière pénale et ainsi favoriser la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.

L’objectif visé par cette « feuille de route » est bénéfique pour l’ensemble des citoyens de l’union : il s’agit en effet de rapprocher les systèmes judiciaires des États membres en renforçant les droits de la défense et le respect du débat contradictoire dans les procédures pénales. C’est un pas en direction d’une Europe des citoyens. Il s’agit d’avancées concrètes et palpables pour nous tous. Comme vient de le souligner notre collègue Alain Tourret, le socle des libertés fondamentales ne tend pas à se déliter, mais à se renforcer, et l’on ne peut que se féliciter de voir l’Europe consacrer des droits – fort heureusement, elle ne se contente pas de promouvoir l’austérité.

Comme vous le savez, la méthode choisie par la Commission européenne a fait débat. De fait, en procédant mesure par mesure, étape par étape, l’intervention de l’Union européenne en matière de procédure pénale ne permet pas d’avoir une réflexion d’ensemble, ni sur la nature et les équilibres de la procédure pénale des différents États membres, ni sur ce que souhaite réellement la Commission européenne.

Vous l’avez également souligné, madame la rapporteure, les personnes auditionnées sont unanimement critiques à l’égard de cette révision à petits pas de notre procédure pénale, au rythme des condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme ou des transpositions de directives. Elles réclament toutes une réforme d’ensemble de la procédure pénale permettant d’assurer un rééquilibrage entre les magistrats du parquet et les magistrats du siège d’une part, l’efficacité de l’enquête et le respect du contradictoire et des libertés fondamentales d’autre part. J’ai cru entendre, dans vos propos introductifs au débat en commission, que vous partagiez en grande partie cet état d’esprit. J’imagine donc que vous ne défendrez pas, dans le débat qui va suivre, la stratégie des petits pas. (Rires de M. le vice-président de la commission des lois, ainsi que sur quelques bancs du groupe SRC.)

En fait, non seulement nous pouvons avoir le sentiment que nous n’avançons qu’à petits pas, mais, qui plus est, que ces petits pas sont poussifs, et que la réforme de notre législation pénale vient toujours plusieurs années après la jurisprudence et les textes européens qui consacrent la nécessité de permettre un usage plein et effectif des droits de la défense. En effet, il a fallu les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme « Dayanan contre Turquie » du 13 octobre 2009 puis « Brusco contre France » du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010, pour que voie le jour le projet de loi permettant à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue. Cette loi, adoptée le 14 avril 2011, constitua un premier pas important.

Cependant, déjà à l’époque, de nombreuses voix dénonçaient les insuffisances, notamment parce que la personne « suspectée », mais entendue sans être placée en garde à vue, ne bénéficiait d’aucun droit, mais aussi et surtout parce que l’avocat n’avait toujours pas accès à l’intégralité du dossier concernant la personne en garde à vue, et ne pouvait ainsi « l’assister » de manière efficiente. Si le projet de loi contient des avancées indéniables pour les droits de certains mis en cause, il néglige les droits des personnes placées en garde à vue.

En la matière, il n’est pas possible de commencer par affirmer qu’on déplore la stratégie des petits pas – comme l’a fait Mme la rapporteure lors de nos débats en commission – pour dire ensuite que ce texte ne serait qu’une première étape, et qu’une autre, plus ambitieuse, devrait suivre, au vu des conclusions d’une mission récemment installée, chargée de mener une réflexion plus ample sur l’enquête pénale et qui doit rendre ses conclusions sous peu – et surtout au vu d’une directive du 22 octobre 2013, relative « au droit d’accès à un avocat », qui doit être transposée avant le 27 novembre 2016 !

Lors de la mise en place de la mission Beaume, je crois me souvenir que vous aviez déclaré, madame la ministre, qu’« il ne faut pas attendre le dernier moment pour transposer une directive, il faut être dans une logique d’anticipation ». Cette activité législative au coup par coup, dominée par l’urgence, empêche toute réflexion cohérente. Cela permet en outre le report, sans cesse renouvelé, de toute amélioration qui paraîtrait trop complexe ou délicate à mettre en œuvre, comme la reconnaissance pour l’avocat du droit d’accéder à l’intégralité du dossier dès la garde à vue.

Je plaide pour que nous adoptions dès à présent des mesures essentielles aux droits de la défense et dont on sait, depuis longtemps, qu’elles s’imposeront à nous dans quelques mois. Je plaide pour que le texte voté soit ambitieux, d’autant qu’il contient des avancées significatives pour les droits des personnes mises en cause dans une procédure pénale, que ce soit au niveau de l’enquête, de l’information judiciaire ou du jugement, même si des améliorations doivent être apportées afin de conférer à ces nouvelles mesures toute leur plénitude. C’est ainsi le cas des dispositions concernant l’audition de la personne « suspectée » non placée en garde à vue, le rappel du droit au silence, ou l’apparition du contradictoire à la fin de la phase d’enquête.

Le projet de loi prévoit, en son article 1er, que « la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas en garde à vue » bénéficiera désormais d’un certain nombre de droits, notamment celui d’être informée de ce qui lui est reproché, de son droit de quitter les lieux à tout moment, de son droit de garder le silence et, si elle est entendue pour un crime ou un délit puni d’emprisonnement, de son droit d’être assistée d’un avocat. Il est précisé que ces droits sont accordés quel que soit le cadre juridique de l’audition : enquête préliminaire ou de flagrance, information judiciaire. Ce sont là des avancées qu’il convient de souligner. En vertu de l’article 7, les mêmes droits sont conférés à la personne placée dans une situation similaire dans le cadre d’une procédure douanière.

Jusqu’à présent, au regard de la loi de 2011 qui est venue confirmer la possibilité de ces « auditions libres » et de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011, la personne entendue sous ce régime ne bénéficiait d’aucun droit particulier, à part celui d’être informée « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».

Enfin, le droit à l’assistance de l’avocat est la question délicate du texte. Permettez-moi de me concentrer un instant sur l’amendement que j’ai déposé et qu’une majorité de mes collègues – à la fois socialistes et de l’opposition – a jugé utile et nécessaire de voter en commission. Les pièces de la procédure dont l’avocat peut prendre connaissance depuis la loi de 2011 sont limitativement énumérées par l’article 63-4-1 du code de procédure pénale. Ces documents ne concernent en rien les éléments de fond du dossier et ne permettent donc pas à l’avocat « d’assister » effectivement son client lors des auditions au cours desquelles il peut être présent – silencieusement d’ailleurs.

On pouvait attendre – car, comme je l’ai rappelé en commission, la directive le permet sans l’imposer – que l’avocat ait désormais la possibilité d’avoir connaissance de l’intégralité du dossier pour pouvoir remplir sa mission de conseil.

Les auditions, ainsi que les éléments recueillis à l’occasion des investigations menées pendant ce laps de temps, ont en effet un poids crucial dans le dossier. La défense a un rôle primordial à jouer pendant cette période où seule la communication de l’intégralité des éléments à charge et à décharge permet « l’exercice effectif des droits de la défense », selon les termes de la directive.

Cette restriction du droit d’accès au dossier est, en outre, quelque peu contradictoire avec l’esprit de la directive, qui indique que la mise à la disposition de l’avocat des éléments de preuve doit intervenir à temps pour qu’il puisse, si besoin, contester la « légalité » de la privation de liberté.

La contestation de la légalité de la garde à vue, au sens de la directive, peut intervenir beaucoup plus tôt que ne le prétend l’étude d’impact, notamment quand il s’agira pour l’intéressé de demander que la garde à vue ne soit pas prolongée parce qu’elle ne serait pas légale, par exemple en raison de l’absence de motifs rendant plausible sa participation aux faits.

Les avancées apportées par le texte dans ce domaine sensible sont donc modestes, là où les exigences de la jurisprudence de la cour de Strasbourg et des textes européens, qui s’imposeront dans quelques mois à la France, sont élevées, ce qui crée un décalage de moins en moins admissible.

L’accès au dossier est une composante essentielle du droit d’être assisté, tout comme la possibilité pour l’avocat de participer aux investigations et aux auditions. Cela nous est rappelé par plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.

Récemment, le tribunal correctionnel de Paris a, sur le fondement de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, annulé des procès-verbaux de garde à vue, au motif que l’avocat n’avait pas eu accès au dossier. Il n’est pas interdit de penser que ce moyen de nullité va être de plus en plus fréquemment soulevé, avec succès, par les avocats, entraînant ainsi l’annulation des procédures.

Cette situation a d’autant moins de sens que la directive du 22 octobre 2013, qui doit être transposée d’ici deux ans, prévoit que, tout au long des procédures pénales, les suspects et les personnes poursuivies doivent avoir « droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire » ainsi que lors des mesures d’enquête ou de collecte de preuves.

Chers collègues, il nous est donné de faire la loi, de la faire en toute liberté et en toute indépendance. C’est ce à quoi je nous invite, malgré les déclarations un peu martiales, ce matin, du ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Fourage.

M. Hugues Fourage. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, la transposition de la directive 2012/13 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, est fondamentale et urgente. En effet, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui améliore sur de nombreux points, aux différents stades de la procédure pénale, les droits des personnes suspectées ou poursuivies : j’y reviendrai.

Fondamentale, cette transposition arrive à un moment particulier : nous sommes en effet à quelques jours des élections européennes, qui auront lieu le 25 mai prochain. Il me paraît utile de le rappeler. C’est l’occasion de montrer l’intérêt de l’Europe et d’adopter des règles communes aux citoyens européens. L’Europe apparaît trop souvent éloignée aux yeux de nos concitoyens : cette transposition constitue, au contraire, un exemple de proximité, de l’implication de l’Europe dans leur vie quotidienne. Elle permet – et cela aussi est important – de traiter chaque Européen de la même manière en matière de procédure pénale. Il me paraît fondamental de rappeler, dans le cadre du débat actuel sur l’Europe, que cette dernière est également un espace de protection garant des libertés.

Cela étant, harmoniser au niveau de l’Union des règles en matière de procédure pénale n’est pas chose aisée, tant les histoires de nos pays sont différentes, tant les procédures pénales peuvent être inspirées par des logiques radicalement opposées : cela a été souligné tout à l’heure. Je pense aux traditions orale et écrite, mais aussi aux modes accusatoire et inquisitoire.

Le mérite de cette transposition est d’aller vers cette harmonisation. Pour autant, les parlementaires français que nous sommes sont-ils dessaisis ? Je ne le crois pas. Notre assemblée va pleinement jouer son rôle, en ajoutant des dispositions spécifiques. Harmonisation ne signifie pas conformité, mais plutôt compatibilité.

J’évoquais à titre liminaire le caractère urgent de ces mesures ; cela a d’ailleurs été rappelé par plusieurs orateurs. De fait, cette transposition, qui s’impose à tous les États membres, doit s’effectuer au plus tard le 2 juin. En cas de retard, la France est susceptible d’être condamnée au versement de pénalités financières. Elle l’a été trop souvent par le passé, et je sais que le Gouvernement, comme les parlementaires, sont soucieux des deniers publics, comme on l’a vu lors du débat sur la stabilité budgétaire. Il convient de rappeler combien il est important de mettre en œuvre les transpositions le plus rapidement possible : la France se doit de montrer l’exemple en la matière.

J’en viens aux principales dispositions. Le projet de loi qui nous est soumis instaure en premier lieu un statut en faveur des personnes suspectées lors de l’enquête, en définissant les modalités selon lesquelles elles pourront être entendues sans être placées en garde à vue. J’ai bien noté les différences sémantiques, soulignées par un certain nombre de nos collègues, entre « soupçonné » et « suspect ».

Cela étant dit, le progrès introduit par les dispositions en discussion tient au fait que, pour l’heure, dans notre législation, aucune disposition ne définit les modalités de l’audition, de la part des services d’enquête – police, gendarmerie, douanes – d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction pénale sans la placer en garde à vue, dans le cas où cette personne accepte de se présenter sans contrainte, et qu’elle n’est à aucun moment privée de la liberté d’aller et venir. Cette absence de statut, ce vide juridique, a pour conséquence de priver cette personne des droits de la défense fondamentaux. Sur ce point, le texte en discussion permet une avancée : la transposition vise non seulement à combler ce vide, mais aussi à compléter le droit des suspects libres. Il s’agit, je le répète, d’une avancée importante, qui confère aussi de la souplesse aux services d’enquête, avant même une éventuelle procédure de garde à vue.

Il convient de mentionner en particulier, s’agissant des infractions constitutives d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement, le droit d’être assisté par un avocat. À cet égard, j’ai bien noté que certains représentants d’avocats ou de magistrats auraient préféré que cette assistance soit possible systématiquement, quelle que soit la nature de l’infraction pénale dont la personne entendue librement est suspectée. Mais cette restriction est à mon sens pleinement conforme à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2013/48.

Le deuxième point sur lequel je veux insister est celui de la communication des pièces du dossier à l’avocat, à sa demande, dès le début de la garde à vue. Cette question importante a déjà été l’occasion d’un débat entre nous. Un amendement adopté en commission des lois, présenté par nos collègues Coronado et Molac, prenant appui sur la directive elle-même et deux décisions de justice, vise à ce que soient prises en compte « l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense. » Notre rapporteure considère – je cite son rapport dont je salue la qualité – que « la question de l’accès au dossier doit être réexaminée dans le cadre d’un projet de loi revisitant l’ensemble de la procédure pénale pour tirer les conséquences du rapport de la mission Beaume » que Mme la ministre a lancée le 3 février dernier.

La question est complexe et un équilibre doit être trouvé entre les droits de la défense, la protection des victimes et la mise en œuvre efficace, par les services concernés, de leurs investigations.

Mon cher collègue Coronado, je ne suis pas sûr que la position du ministre de l’intérieur soit « martiale » : elle me paraît au contraire parfaitement compatible avec celle de la ministre de la justice. Il convient de se féliciter de cette cohérence gouvernementale. Pour ma part, un retour au texte du Sénat me paraîtrait judicieux, dans l’attente des conclusions du rapport Beaume et de la vision globale que vous avez évoquée, madame la ministre, et qui me paraît effectivement souhaitable.

Au demeurant, ce projet de loi contient indéniablement des dispositions novatrices et de progrès pour l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 18, 19, 21, 20, 22, 23, 24 et 25, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour les soutenir.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Les amendements nos 18, 19, 21, 20, 23 sont rédactionnels. Les amendements nos 22, 24 et 25 sont des amendements de précision.

(Les amendements nos 18, 19, 21, 20, 22, 23, 24 et 25, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Articles 1er bis et 2

(Les articles 1er bis et 2 sont successivement adoptés.)

Article 3

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n3.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à ce que la personne gardée à vue puisse prendre tout contact utile afin d’assurer l’information et, le cas échéant, la prise en charge des enfants dont elle assure normalement la garde.

Une telle disposition est actuellement clairement prévue à l’article L. 611-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui porte sur la retenue pour vérification du droit au séjour : en plus d’un proche, de l’employeur et des autorités consulaires, les personnes retenues peuvent faire prévenir leurs enfants.

Il s’agit, par cet amendement, d’accorder ce droit aux personnes gardées à vue et cela, dans le seul intérêt des enfants.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis défavorable : cet amendement est déjà satisfait par le droit en vigueur. L’article 63-1 du code de procédure pénale prévoit en effet la possibilité de prévenir un proche : la personne gardée à vue pourra donc assurer l’information et, le cas échéant, la prise en charge des personnes dont elle assure normalement la garde.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis pour les mêmes raisons. Si cela paraît utile – mais je ne le pense pas –, nous pouvons envisager d’apporter cette précision dans la circulaire d’application de ce texte. Mais votre amendement est déjà satisfait.

(L’amendement n3 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n1.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à prévoir le cas où la garde à vue est menée sous l’autorité du juge d’instruction, dans le cadre d’une commission rogatoire. Ce cas est prévu à l’article 154 du code de procédure pénale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis défavorable, car cet amendement est déjà satisfait par l’article 154 du code de procédure pénale qui, comme vous venez de le dire, est relatif à la commission rogatoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable : cet article 154 permet en effet de transférer au juge d’instruction les prérogatives du procureur.

(L’amendement n1 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 37, 26 et 35, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n37.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement concerne un point dont nous avons débattu assez largement. Il contient des dispositions très techniques, mal nécessaire à l’écriture de la loi. Il a pour objet de remplacer, à la première phrase de l’article 63-4-1 du code de procédure pénale, les mots : « du dernier » par les mots : « de l’avant-dernier ». Si l’on se contentait de dire cela, on penserait qu’il s’agit d’une simple correction grammaticale (Sourires). Tel n’est pas le cas : cet amendement concerne en réalité le sujet le plus dense de ce texte de loi, à savoir l’accès de l’avocat à l’entier dossier.

Je me suis exprimée à ce sujet, lors de la présentation du texte, en recourant tant à des arguments de droit que d’opportunité. Je comprends parfaitement, et je vais jusqu’à dire que j’approuve la nécessité de consolider et de parachever les droits de la défense en assurant l’accès aux pièces du dossier.

J’ai rappelé les arguments en droit, en faisant tout d’abord référence non pas à la Constitution en tant que telle mais au principe constitutionnel des droits de la défense, reconnu par le Conseil constitutionnel dans l’une de ses décisions comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. J’ai rappelé la jurisprudence notamment nationale de nos cours suprêmes, c’est-à-dire la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. J’ai rappelé également la jurisprudence européenne, celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Tels sont les éléments de droit que j’ai évoqués.

J’ai également présenté des arguments d’opportunité, qui revêtent deux aspects. Il s’agit premièrement du contenu de la directive, qui est relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Nous aurons d’ailleurs à transposer par la suite une directive relative au droit d’accès à un avocat.

J’ai bien entendu l’argumentation, selon moi teintée de mauvaise foi, du député Guy Geoffroy, qui affirme que nous transposons la « directive C » partiellement en même temps que la « directive B », et que nous introduisons ainsi des éléments nouveaux alors que nous sommes en procédure accélérée. Nous sommes au contraire cohérents. Le fait que nous ayons modifié notre procédure d’enquête pénale par petits morceaux a été unanimement contesté, mais nous n’y sommes pour rien. Ces dernières années, chaque modification de la procédure pénale s’est faite sous le coup de la censure soit de nos propres cours soit de la Cour européenne des droits de l’homme.

À cet égard, ma bonne foi est établie : j’ai installé la mission Beaume depuis le mois de février, énonçant très clairement qu’on ne peut pas continuer à modifier notre procédure d’enquête pénale par petits bouts, par morceaux chaque fois qu’on subit une censure. J’ai demandé à M. le procureur général Jacques Beaume, dont personne ne conteste ni les compétences, ni les capacités, ni la clairvoyance, et qui est entouré pour cette mission de personnalités de très grande qualité, de faire des propositions concernant l’architecture même de notre procédure pénale. Cela montre bien qu’en amont de la discussion d’aujourd’hui j’ai considéré l’importance de mettre en œuvre une réflexion construite. Je suis donc absolument convaincue qu’il faut accomplir ce travail.

Cependant, le calendrier des différents textes n’est pas coordonné, et nous sommes malheureusement parfois confrontés à cette difficulté. Il aurait été préférable que nous disposions de six mois supplémentaires pour transposer la « directive B » : nous aurions alors pu avoir connaissance des conclusions de la mission, nous aurions pu travailler ensemble et préparer un certain nombre de choses.

J’évoquais les éléments d’opportunité. La présente directive concerne le droit à l’information, mais nous aurons à transposer par la suite une directive qui concerne le droit d’accès à un avocat. Le Gouvernement a donc pris l’initiative d’introduire dès ce texte de loi des dispositions concernant l’accès à un avocat pour une personne qui serait retenue en audition libre et à laquelle on pourrait reprocher un délit ou un crime. Il a donc agi sans doute par anticipation, mais l’anticipation est en l’occurrence une vertu : l’introduction de ces dispositions vise à consolider le statut de la personne entendue en audition libre.

Par ailleurs, nous ne pouvons nier les difficultés pratiques que j’ai évoquées rapidement et sur lesquelles je veux revenir, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles le dossier lui-même est constitué. Parce que sa constitution a lieu au fur et à mesure de la procédure, le dossier est finalisé au moment où la procédure est levée. Lorsque la garde à vue a été commandée par un juge d’instruction sous commission rogatoire, les services d’enquête ne disposent pas de l’intégralité du dossier. Dans ces conditions, comment se ferait l’accès à l’intégralité du dossier ?

Ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, la jurisprudence européenne prévoit elle-même un certain nombre de dérogations : des pièces font l’objet d’exception à transmission pour les nécessités de l’enquête ou pour assurer la sécurité des personnes. Or, et c’est le dernier point sur lequel je souhaite revenir, dans la rédaction que la commission des lois a adoptée, et je sais que M. le député Cherki a déposé un amendement à ce sujet, il est précisé à l’alinéa 14 de l’article 3 : « À sa demande, l’avocat peut, dès le début de la garde à vue, consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense. » Mais qui fera le tri entre ces pièces ?

La difficulté, c’est que nous devons avoir constamment le souci concomitant de sécuriser les procédures. Il est arrivé qu’on m’accuse, mais certains en font leur profession à plein temps, de prendre un certain nombre de précautions de droit. Pour ma part, je préfère agir ainsi et sécuriser les procédures en amont plutôt que de les voir cassées par la Cour de cassation, car celles-ci peuvent concerner la criminalité organisée. Dès lors, la question est de savoir comment sécuriser la procédure.

Au lieu de préciser que l’avocat a accès à l’intégralité du dossier, vous précisez qu’il peut consulter les pièces utiles à la manifestation de la vérité, mais qui détermine ce qui est utile à la manifestation de la vérité ? À mes yeux, il y a là une difficulté.

Je le répète : sur le principe, il me paraît essentiel de progresser sur le contradictoire dans les enquêtes pénales. Quoi qu’on en dise, chaque fois qu’un débat législatif a lieu sur le sujet, on se rend bien compte qu’à l’usage tout le monde a à y gagner, y compris les enquêteurs. Les procédures sont plus solides lorsqu’on introduit du contradictoire. Il faut cependant parvenir à le faire de la façon la plus efficace possible.

Pardonnez-moi d’avoir été si longue, mais le sujet me paraissait nécessiter que je vous présente avec scrupule, de la manière la plus détaillée possible, les raisons pour lesquelles le Gouvernement présente cet amendement, et vous donne un rendez-vous proche tout en prenant le temps de consolider les dispositions et de travailler avec tous les professionnels concernés, notamment au sujet des pièces qui pourraient faire l’objet d’une exception quant à leur transmission.

Mme la présidente. Sur l’amendement n37, je suis saisie par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n26.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Madame la présidente, l’amendement n° 26 devait être proposé dans le cas où le Gouvernement ne présenterait pas l’amendement n° 37, lequel a été approuvé par la commission des lois au titre de l’article 88 du Règlement en début d’après-midi.

Pour ma part, je souscris bien évidemment à cet amendement et je demande aux députés de suivre le Gouvernement sur cette décision. Je suis convaincue tant par les arguments de droit que par les arguments d’opportunité. Les nombreuses auditions que j’ai pu mener me confortent dans l’idée que les services de police et de gendarmerie ne sont pas du tout prêts à accueillir un dispositif tel que celui-ci parce qu’ils auront déjà beaucoup à faire avec le dispositif que nous présentons aujourd’hui.

Permettez-moi d’ajouter que l’étude d’impact qui a été réalisée ne prend pas du tout en considération les charges administratives qu’induirait cette modification substantielle. À ce stade de la procédure, puisque nous ne disposons pas des conclusions du rapport de Jacques Beaume, lequel a été interrogé dans le cadre de nos auditions et a reconnu lui-même la difficulté de la décision à prendre, il me paraît préférable de différer celle-ci pour mener une réflexion approfondie sur ce point. Au demeurant, contrairement à ce qui a pu être affirmé, la directive ne nous contraint pas d’adopter dès à présent un dispositif d’accès à l’intégralité du dossier.

Mme la présidente. Me confirmez-vous que l’amendement n° 26 est retiré, madame la rapporteure ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Je le retire en effet, madame la présidente.

(L’amendement n26 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n35.

M. Pascal Cherki. Je pense qu’il y a deux niveaux de discussion. Le premier niveau est celui qu’a défendu à raison Mme la garde des sceaux, en posant une vraie question à laquelle mon amendement répond parfaitement.

Le second niveau renvoie à une autre question : celle de l’équilibre du chemin sur lequel nous avançons. On le voit bien aujourd’hui : les plus réticents sont les syndicats de police, ce qui renvoie à l’éternel conflit entre la police et la justice. Pour ma part, je considère que notre rôle à nous, députés socialistes, est de faire progresser les libertés publiques, surtout lorsque nous nous appuyons sur une directive européenne déjà adoptée, comme c’est ici le cas ; nous avons d’ailleurs la responsabilité d’assurer la transposition de ce texte avant le 2 juin 2014.

En effet, lorsque j’ai déposé mon amendement, j’ai pour la première fois reçu des appels de mes amis commissaires de police qui m’ont dit tout le mal qu’ils en pensaient, mais du seul point de vue de la police, qui est au demeurant tout à fait légitime. Ils considèrent que chaque fois que l’on fait entrer l’avocat dans le commissariat et qu’on lui ouvre l’accès à des pièces de la procédure, on les empêche de faire correctement leur travail. Je ne mets pas en cause la volonté des policiers de réaliser correctement leur travail, mais il me semble que, en tant que parlementaire, mon rôle est non pas d’être le porte-parole des officiers de police mais de veiller à la défense des libertés publiques.

Quelle est l’utilité de cette remarque ? Permettez-moi de revenir sur la réflexion de Mme la garde des sceaux relativement à l’amendement de principe, d’affirmation de la défense d’une liberté publique fondamentale, qui a été adopté en commission sur l’initiative de notre collègue Sergio Coronado. Vous avez raison, madame la garde des sceaux, de vouloir sécuriser la procédure. L’amendement n° 35 que je présente répond à cette préoccupation puisqu’il ne fait que reprendre mot à mot le texte de la directive en déclinant précisément les pièces dont la communication est permise à ce stade de la procédure, c’est-à-dire le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés – c’est une pièce précise –, le certificat médical établi en application de l’article 63-3 – c’est également une pièce précise –, les procès-verbaux d’audition de la personne que l’avocat assiste et toutes les pièces relatives à l’affaire détenues par l’officier ou l’agent de police judiciaire qui lui permettent de contester de manière effective la légalité de l’interpellation, ainsi que de tous les documents contenant des preuves matérielles à charge ou à décharge.

L’objet de cet amendement est donc bien de transposer mot à mot dans le droit français cette directive qui a été adoptée.

Mme la présidente. Madame la rapporteure, puisque votre avis sur l’amendement n° 37 était favorable et que vous avez retiré l’amendement n° 26, pouvez-vous nous donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 35 ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Compte tenu de ce que j’ai expliqué précédemment, l’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’argumentation de M. Cherki mérite qu’on s’y arrête quelques instants, et je comprends tout à fait sa préoccupation.

J’entends bien l’argument selon lequel une demande peut émaner des enquêteurs, qui ont bien entendu le droit d’en exprimer. Cependant, au ministère de la justice, et je crois vous l’avoir démontré à maintes reprises au cours des deux dernières années, la question se pose en ces termes : comment préserver constamment les libertés individuelles, et à l’occasion les libertés publiques, tout en assurant l’efficacité des enquêtes ? Notre souci est de faire en sorte que les libertés individuelles du citoyen lambda, pris dans les filets de la justice, soient correctement protégées sans que cela nuise aux enquêtes, qui très souvent concernent très peu de personnes mais des personnes engagées dans des actions délictueuses ou criminelles.

C’est la raison pour laquelle nous essayons constamment de concilier la protection des libertés individuelles, la sécurité des procédures et l’efficacité des enquêtes. Je pense que nous y sommes parvenus la plupart du temps, voire même chaque fois, et nous avons également veillé à le faire dans ce texte, comme je le disais tout à l’heure à la tribune, grâce à la diligence de la rapporteure.

En général, je présente ces exigences dans l’ordre suivant : tout d’abord la protection des libertés individuelles, ensuite l’efficacité des enquêtes, et enfin la sécurité des procédures.

En effet, nous le savons tous aujourd’hui : pour qu’une procédure soit valide, il ne suffit pas qu’un acte soit autorisé par la loi. D’abord, il faut faire attention aux actes que l’on autorise dans la loi. Cependant, même lorsqu’un acte de procédure est autorisé par la loi, il peut arriver que cette dernière soit contestée, dans le cadre d’un contrôle de conventionnalité ou d’une question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, nous nous rendons compte que même un acte inscrit dans la loi peut être contesté, parce que la loi elle-même est contestée.

Nous devons donc veiller à la sécurité des procédures, non seulement lorsqu’elles sont en cours, mais aussi après leur achèvement, puisque nous avons vu qu’elles pouvaient être annulées. C’est bien ce qui est arrivé avec les deux arrêts de la Cour de cassation d’octobre 2013 relatifs à la géolocalisation : la procédure n’avait pas été sécurisée, elle a donc été annulée ultérieurement. S’il s’agit du vol de deux grappes de raisin, une annulation n’est pas grave, mais ce n’est pas ce genre d’affaire qui arrive à la Cour de cassation. Les procédures faisant l’objet d’un pourvoi en cassation concernent des trafics de stupéfiants, ou des affaires de criminalité organisée ; or je ne suis pas à l’aise lorsque des procédures de ce genre sont cassées. Je n’avais rien à avoir avec le contentieux relatif aux procédures de géolocalisation, puisque la loi avait été votée lors du quinquennat précédent. Il n’empêche que je suis très vigilante : je veux éviter que nous soyons confrontés à une décision de la Cour de cassation qui annulerait des procédures prévues par le présent projet de loi, et dont nous serions donc responsables.

Voilà pourquoi cette troisième étape est essentielle : outre la protection des libertés individuelles et l’efficacité des enquêtes, nous devons assurer la sécurisation des procédures. Pardonnez-moi pour cette longue digression, mais je crois qu’elle sert à éclairer mes arguments, à défaut d’éclairer le débat. (Sourires.)

J’en reviens donc à l’amendement n° 35. Monsieur Cherki, vous dites avoir repris les dispositions de la directive B. Pardon de nuancer vos propos : en fait, vous introduisez à l’alinéa 14 une liste contenant des références à notre code de procédure pénale, qui relèvent donc du droit interne.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous n’avez donc pas repris les dispositions de la directive. Cette dernière, justement, ne préconise pas l’accès au dossier entier. Vous introduisez des références à notre droit interne, pour lequel j’ai le plus grand respect – mais j’ai aussi un grand respect pour le droit communautaire, pour la simple raison que ce sont les États membres qui l’élaborent.

Mme Elisabeth Pochon. Absolument !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je me rends régulièrement au conseil des ministres européen : je sais donc à quel point nous participons à l’élaboration du droit communautaire, et à quel point la position de la France peut faire basculer les votes. C’est ce qui est arrivé sur le parquet européen : avec l’Allemagne, nous avons adopté une initiative commune et nous avons réussi à entraîner quatorze pays. C’est nous qui élaborons le droit européen, en travaillant et en intervenant en amont. Il n’est donc pas sérieux de dire que le droit européen nous tombe sur la tête. S’il nous tombait sur la tête, cela voudrait dire que nous ne nous rendons pas aux réunions, que nous ne travaillons pas, que nous n’intervenons pas, et que nous n’agissons pas sur les dossiers ! Le droit européen est un droit que les pays européens élaborent ensemble, et que nous transposons. J’ai donc autant de respect pour le droit interne, auquel vous vous référez, monsieur Cherki, que pour le droit européen.

Cependant, quel est l’objet de l’amendement n° 35 ? Il vise à lister les « pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense ». Est-ce qu’il n’en oublie pas ? N’en omet-il pas indûment ? C’est pourquoi je vous propose un nouveau rendez-vous,…

Mme Pascale Boistard et Mme Elisabeth Pochon. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et pas aux calendes grecques ! Une mission travaille actuellement sur cette question, de façon scrupuleuse et sérieuse.

Il nous faut donc transposer cette directive, et nous ne sommes pas obligés d’attendre décembre 2016 pour le faire. Pour démontrer cette affirmation, je vais prendre un exemple dans un autre domaine. Une directive européenne sur les victimes, adoptée en octobre 2012, contient des dispositions tout à fait intéressantes sur le suivi individualisé et la protection des victimes, auxquelles elle accorde de nouveaux droits. Dès janvier 2014 – avant même la transposition de cette directive, à laquelle nous pouvons procéder jusqu’en décembre 2015 –, j’ai décidé de mettre en place une expérimentation de ces dispositions dans huit tribunaux de grande instance. Même avant la transposition d’une directive, il arrive donc que l’on prenne des initiatives pour appliquer son contenu.

Mesdames et messieurs les députés, pardonnez-moi d’avoir abusé de votre écoute, mais c’est par respect pour vous et pour le travail que vous avez effectué que j’ai voulu prendre le temps de vous exposer les choses aussi précisément. Pour toutes les raisons que je viens de développer, le Gouvernement émet un avis défavorable à l’amendement n° 35.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Madame la rapporteure, madame la garde des sceaux, merci de nous avoir exposé avec brio l’enjeu de ce travail sur l’article 3. Je voudrais ajouter deux points.

Premier point : dans notre pays, le juge d’instruction a – et aura – un rôle extrêmement important dans une procédure. Or il me semble que le fait de donner d’emblée à l’avocat de l’accusé un accès à l’ensemble de la procédure va fortement inhiber et limiter les possibilités du juge d’instruction d’instruire, par la suite, à charge et à décharge, ce qui est une caractéristique de notre droit. Vous l’avez dit à l’instant, madame la garde des sceaux : nous sommes en train de construire un droit européen de plus en plus marqué, grâce à la France, à l’Allemagne et à d’autres pays européens, par la tradition romaine et par la préservation des libertés individuelles, dans l’intérêt de l’accusé mais également des victimes. Je pense qu’il est important de parler aussi de l’intérêt des victimes.

M. Sergio Coronado. Et la présomption d’innocence ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Or, en donnant à l’avocat de l’accusé un accès à l’ensemble des pièces de la procédure, nous risquons de voir d’emblée de nombreux éléments du dossier étalés lourdement : cela pourra nuire à l’intimité de la vie et à l’intérêt des victimes, et à celui de l’accusation qui défend les victimes.

M. Sergio Coronado. Et la présomption d’innocence ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’ai bien entendu, monsieur Coronado ! Il n’est pas question pour l’instant de remettre en cause, en aucune manière, la présomption d’innocence !

La proposition du Gouvernement me paraît tout à fait légitime, d’autant que Mme la garde des sceaux a annoncé l’arrivée d’un beau texte, appuyé par M. Beaume. Nous aurons là quelque chose d’ample, de généreux et de puissant, qui permettra à notre droit français, derrière les directives européennes, d’accorder de l’importance à tout le monde. C’est essentiel ! Lorsqu’il y a une accusation, c’est qu’il y a des accusés, une procédure, des délits et des choses graves qui sont arrivées. Il est important de plaider pour le droit des victimes.

M. Sergio Coronado. C’est incroyable de dire cela !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je veux également revenir sur ce qui a été dit concernant la police et la gendarmerie. Il est extrêmement important que les policiers et les gendarmes qui procèdent aux actes d’instruction puissent travailler dans l’honneur de leur métier. L’honneur du métier vaut pour tout le monde, que ce soit l’avocat, le juge ou les enquêteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je veux réagir à ce que je viens d’entendre. J’ai rarement entendu ce type de propos dans cette enceinte ! On a rarement mis en cause avec autant de détermination la présomption d’innocence ! Ce que j’ai entendu est assez effrayant. Notre collègue a dit : « S’il y a accusation, il y a forcément délit. »

M. Alain Tourret. C’est effrayant, en effet !

M. Sergio Coronado. Au contraire ! S’il y a une accusation, il y a une enquête, une défense, et parfois une inculpation, mais il peut aussi y avoir un classement. Rien ne dit que l’accusation conduira forcément à une condamnation !

Je pense, chère collègue, que vous devriez mesurer la portée de vos propos, assez étonnants de la part d’une députée de gauche. En tout cas, ce n’était pas le type de discours que les parlementaires de gauche portaient dans cet hémicycle lorsqu’ils étaient dans l’opposition, face à l’ensemble des lois répressives et sécuritaires qui avaient été adoptées par l’ancienne majorité.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Sergio Coronado. Madame la garde des sceaux, je partage totalement votre souci d’équilibre entre l’efficacité de l’enquête, les libertés fondamentales et les droits de la défense. Je partage également votre attachement à la sécurité des procédures. J’ai fait référence, tout à l’heure, aux décisions rendues en décembre 2013, qui mettent en cause cette sécurité : c’est pourquoi le groupe écologiste a décidé de déposer un amendement sur cette question – amendement qui tombera sans doute sous l’effet de l’adoption de celui du Gouvernement tout à l’heure.

Vous l’avez dit vous-même, madame la garde des sceaux : tout, dans l’esprit de cette directive, conduit à l’accès au dossier. Lors du débat en commission, je n’ai pas dit que la directive nous contraignait, ou qu’elle nous obligeait, mais que son esprit nous conduisait à légiférer dans le sens d’un accès au dossier. Elle indique en effet que la mise à la disposition de l’avocat des éléments de preuve doit intervenir à temps pour qu’il puisse, si besoin, contester la légalité de la privation de liberté. Or, comment l’avocat peut-il contester cette légalité s’il n’a pas accès aux éléments de l’enquête ? D’ailleurs, la directive fait référence à des preuves matérielles portant sur le fond du dossier, et non à de simples éléments permettant de contester la mesure de garde à vue sur le plan formel. Je suis attaché à ce point, et je pense donc que, sans faire référence aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, l’esprit même de la directive nous conduit à prévoir un accès de l’avocat au dossier.

À mon sens, nous aurons, dans quelques mois, l’obligation de procéder à cette adaptation de notre droit national. Si l’on s’y oppose aujourd’hui, et si l’on trouve des députés socialistes qui contestent l’opportunité de l’amendement que j’ai déposé, c’est tout simplement à cause de l’opposition du ministère de l’intérieur et de la manifestation des syndicats de policiers.

M. Erwann Binet et M. Hugues Fourage. Caricature !

M. Sergio Coronado. De telles oppositions ne permettent pas à cet hémicycle de délibérer aujourd’hui en toute indépendance et en totale liberté ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. J’ai dit ce que je pensais du travail de lobbying des syndicats de policiers : je n’y reviendrai pas.

M. Hugues Fourage. N’exagérez rien !

M. Pascal Cherki. Cher collègue, j’ai été la cible de ce travail de lobbying : on m’a expliqué par a plus b que l’accès au dossier poserait un vrai problème, car il permettrait à des criminels d’échapper à la légitime loi d’airain des procédures pénales. Je dis ce que je pense : je ne suis pas dupe. Dont acte.

Je veux répondre à Mme la garde des sceaux sur la question de l’efficacité des procédures et des enquêtes. C’est un vrai argument. Toutes nos démarches doivent respecter un équilibre entre, d’une part, l’objectif d’une procédure pénale – permettre, le cas échéant, de constater des infractions, d’enquêter sur celles-ci, et de renvoyer les personnes éventuellement mises en cause devant les juridictions pénales si les éléments recueillis laissent à penser, à l’issue de la procédure, qu’elles doivent répondre de leurs actes – et, d’autre part, le respect le plus absolu des libertés publiques.

J’entends tout ce que vous dites, madame la garde des sceaux. Mais, au moment où nous transposons une directive sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, je trouve absolument curieux que nous renvoyions à plus tard le débat sur la communication à l’avocat – et au prévenu dans certaines conditions – des pièces du dossier qui justifient la garde à vue. On renvoie à plus tard la question essentielle, celle de permettre à la personne mise en cause de savoir pourquoi elle est gardée à vue.

J’entends vos raisons, madame la garde des sceaux, mais les miennes sont tout aussi bonnes ! Je vais vous donner un argument sur l’efficacité des enquêtes – c’est l’objet de l’amendement n° 36, que je défendrai tout à l’heure. Nous pouvons être confrontés à un problème, lorsque la communication d’une pièce du dossier risque de mettre en danger la vie d’un tiers ou de présenter une menace grave pour le déroulement de l’enquête en cours. Or, dans le cadre de l’équilibre que j’ai évoqué, le principe du respect absolu des libertés fondamentales, celui de connaître les raisons pour lesquelles une personne est mise en garde à vue et mise en cause, doit trouver une limite objective si la personne ayant pris connaissance de ces éléments est susceptible de s’en servir pour mettre en danger la poursuite de l’enquête ou la vie d’un tiers, par exemple. Dans ce cas, il faut qu’une personne ait la possibilité de lui refuser la communication d’une pièce du dossier.

Qui pourrait exercer ce pouvoir ? L’officier de police judiciaire qui procède à l’audition de la personne mise en cause. Mais cela ne suffit pas, car l’officier de police judiciaire peut lui-même se tromper ou faire une appréciation manifestement erronée de la gravité de la situation. Qui doit prendre la décision en dernière analyse ? Le débat est de savoir si c’est le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention.

Mme la présidente. Merci, monsieur Cherki.

M. Pascal Cherki. Dans un souci de défense des libertés publiques, je considère – et c’est l’objet de mon amendement – que la décision finale doit être prise par le juge des libertés et de la détention. L’amendement n° 35 est donc lié à l’amendement n° 36.

Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Lors de la discussion générale, j’ai dit que nous avions mis « le pied dans la porte ». Cette question aurait pu être réglée directement en commission, mais elle est discutée aujourd’hui dans l’hémicycle parce qu’il s’agit justement d’un sujet qui fait débat.

M. Sergio Coronado. En effet !

Mme Elisabeth Pochon. Nous en avons donc débattu. On voit bien que ce texte est marqué par une certaine défiance. Ferons-nous preuve de défiance à l’égard des avocats ? Non : ils sont des professionnels, soumis au secret professionnel, et nous pouvons nous attendre à ce qu’ils soient capables de respecter les règles. Mais nous savons aussi que notre justice manque parfois de moyens, et nous ne pouvons pas laisser de côté les demandes d’autres professionnels, notamment des enquêteurs, qui connaissent des difficultés, compte tenu de l’état actuel des effectifs et des conditions matérielles dans lesquelles les uns et les autres mènent à bien leurs missions.

Puisque la garde des sceaux nous laisse la possibilité de revenir ultérieurement sur cette question, je propose que nous y revenions à une prochaine occasion, et que nous évitions de nous jeter des anathèmes, les uns contre les autres. Aucun d’entre nous ne défend plus les libertés publiques que les autres : nous sommes tous favorables aux libertés publiques, et nous pouvons également être patients. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n37.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants18
Nombre de suffrages exprimés18
Majorité absolue10
Pour l’adoption14
contre4

(L’amendement n37 est adopté et lamendement n35 tombe.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n27.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’amendement est retiré par cohérence avec ce qui vient d’être décidé.

(L’amendement n27 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n36.

M. Pascal Cherki. À partir du moment où l’on refuse la communication du dossier à l’avocat et au gardé à vue, je ne vois pas pourquoi l’on discuterait d’un dispositif qui déciderait de l’aménagement de ses limites. Je le regrette, mais je retire mon amendement par cohérence avec ce qui vient d’être décidé.

(L’amendement n36 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n38 rectifié.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Cet amendement a reçu un avis favorable de la commission des lois en début d’après-midi.

Le Conseil constitutionnel a considéré que les délits en bande organisée ne pouvaient bénéficier du dispositif dérogatoire prévu à l’article 706-88 du code de procédure pénale. Tirant les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel, le Gouvernement n’a pu que retirer le délit d’escroquerie en bande organisée de ce dispositif dérogatoire.

En commission, nous sommes revenus sur ce dispositif en proposant d’abord soixante-douze heures. Le Gouvernement ayant fait valoir le risque d’inconstitutionnalité de notre amendement, nous avons travaillé durant le week-end avec la chancellerie et sommes convenus d’un amendement qui permet la prise en compte de l’escroquerie en bande organisée sous conditions, avec un encadrement qui permet une garde à vue jusqu’à quatre-vingt-seize heures. C’est une demande forte des services de police, de douane et de gendarmerie.

L’escroquerie en bande organisée peut être retenue dans ce dispositif dérogatoire dès lors qu’il y a atteinte à la sécurité ou à la santé des personnes, ou aux intérêts fondamentaux de l’État, ou enfin si l’escroquerie est complexe, en l’occurrence si l’un des faits constitutifs de l’infraction est commis hors du territoire national. Ces trois conditions ne sont pas cumulatives : chacune permet de mettre en œuvre le dispositif dérogatoire Celui-ci est également encadré par le renforcement du dispositif contradictoire puisque l’avocat est présent dès la première heure, alors que, dans le dispositif concernant les autres cas pouvant bénéficier du dispositif dérogatoire de l’article 706-88, la présence de l’avocat n’est pas obligatoire et peut faire l’objet d’un report jusqu’à la quarante-huitième heure et ensuite faire l’objet d’un examen par le juge des libertés.

Ici l’avocat est présent dès la première heure, et par ailleurs le juge des libertés est saisi sur requête motivée du procureur, mais aussi du juge d’instruction, des demandes de prolongation de la garde à vue.

Le risque d’inconstitutionnalité est ainsi bien atténué par ces avancées. L’amendement permet une garde à vue maximale de quatre-vingt-seize heures. Il répond à une demande forte des services de police et est en cohérence avec notre volonté politique de lutter contre la fraude fiscale. C’est pourquoi je vous demande de suivre l’avis de la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Comme vient de le rappeler Mme la rapporteure, c’est une histoire qui vient de loin, peut-être pas de si loin car c’est l’année dernière que nous avons adopté le projet de loi devenu la loi de lutte contre la fraude fiscale. C’est d’ailleurs à cette occasion que nous avions créé le parquet financier national. Ce texte comprenait plusieurs dispositions qui ont fait l’objet d’observations du Conseil constitutionnel. La loi étendait le champ de recours aux techniques spéciales d’enquête. Il était donc possible de recourir à l’une de ces techniques, en l’occurrence la garde à vue de quatre-vingt-seize heures, dans la lutte contre la fraude fiscale, contre les corruptions et les atteintes à la probité.

Par une décision qui remonte à décembre 2013, le Conseil constitutionnel a considéré que lorsqu’il ne s’agit que d’atteintes aux biens, la garde à vue de quatre-vingt-seize heures – de quatre jours – est excessive. Nous en avons tiré les conséquences et à l’occasion de l’examen du projet de loi de modernisation et de clarification du droit, j’ai demandé au Sénat d’adopter un amendement qui modifiait une disposition du code de procédure pénale, laquelle permettait cette garde à vue pour l’escroquerie en bande organisée. C’était une mesure destinée là encore à sécuriser les procédures. À partir du moment où pour les mêmes motifs le Conseil constitutionnel avait estimé excessive la garde à vue de quatre jours, il me paraissait risqué de laisser se poursuivre des gardes à vue de quatre jours pour des délits ou crimes équivalents.

Votre première rédaction nous posait un problème. Votre nouvelle rédaction améliore notre code actuel compte tenu des précisions que vous apportez sur les trois situations dans lesquelles il sera possible effectivement de prolonger la garde à vue jusqu’à quatre-vingt-seize heures, ainsi que des garanties et des précautions que vous prenez : l’avocat est présent dès la première heure et non, comme le prévoit actuellement notre droit, après les quarante-huit premières heures sous réserve de motiver les raisons pour lesquelles l’avocat n’est pas admis en garde à vue pour assister son client. Avec les trois motifs que vous retenez pour la possibilité d’extension de la garde à vue à quatre-vingt seize heures, l’ensemble de ces dispositions nouvelles et le fait que ce soit le juge des libertés et de la détention qui pourra prononcer cette prorogation, je crois que le risque constitutionnel a disparu.

L’on n’est jamais sûr : il n’y aurait pas de Conseil constitutionnel, si nous étions en mesure d’évaluer le risque. Pour ces raisons, je prends une précaution – ce n’est pas tout à fait dans mon tempérament, mais en matière de droit, je préfère souvent être un peu plus prudente que ne m’y entraînent mes élans naturels – et je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée. (Sourires.) Le risque constitutionnel est devenu mineur, infime et peut-être même n’existe-t-il plus. Je n’en ai pas la certitude. Je respecte le Conseil constitutionnel et c’est pourquoi je m’en remets aux législateurs très éclairés que vous êtes.

Mme la présidente. La parole est à M. François Vannson.

M. François Vannson. Je souhaite rapidement exposer la position de notre groupe. L’escroquerie en bande organisée est un vrai problème, voire un problème singulier. En revenant sur la genèse de ce texte, il m’apparaît important de rappeler que le Gouvernement a fait voter au Sénat une interdiction du recours à la garde à vue de quatre-vingt-seize heures. La commission des lois de l’Assemblée nationale avait prolongé de quarante-huit à soixante-douze heures ce temps de garde à vue. Cette situation, je vous le dis très nettement, ne nous satisfaisait pas.

La rédaction de cet amendement étant plus raisonnable, nous le soutiendrons.

(L’amendement n38 rectifié est adopté et l’amendement n28 tombe.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n34.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour le soutenir.

M. Sergio Coronado. Si vous le permettez, madame la présidente, je présenterai également l’amendement n° 15.

Mme la présidente. Je vous en prie.

M. Sergio Coronado. L’amendement n° 34 vise à préciser que la déclaration est remise à la personne gardée à vue avec un système d’écriture qu’elle comprend. Outre plusieurs langues étrangères qui ne sont pas écrites avec l’alphabet latin, cela concerne les personnes non voyantes qui peuvent lire des documents écrits en braille.

L’amendement n° 15 précise la notification du droit d’être assisté par un avocat. Il importe de préciser à la personne gardée à vue quels sont les droits de l’avocat – entretien préalable, assister aux auditions – et par quels moyens la personne gardée à vue peut bénéficier d’un avocat commis d’office ou de l’aide juridictionnelle.

S’agissant du premier amendement, Mme la rapporteure ainsi que des membres de votre cabinet, madame la garde des sceaux, ont indiqué que cette possibilité était déjà garantie. Je le retire donc, mais je maintiens le second.

(L’amendement n34 est retiré.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 15 ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’amendement n° 34 étant satisfait, vous l’avez à juste titre retiré, monsieur le député.

S’agissant de l’amendement n° 15, je suggère également que vous le retiriez car les dispositions du texte répondent à votre demande et à votre inquiétude. C’est parce que l’avocat n’est pas à la charge du justiciable, n’est-ce pas ?

(L’amendement n15 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 2.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour le soutenir.

M. Sergio Coronado. Une nouvelle fois, si vous le permettez, madame la présidente, je souhaite présenter conjointement les amendements nos 2, 4 et 5 qui portent sur la déclaration écrite.

Mme la présidente. Je vous en prie, monsieur le député.

M. Sergio Coronado. L’amendement n° 2 vise à corriger un manque du texte actuel. Dans le projet de loi, la notification écrite ne comporte que le droit de contacter au « moins un tiers ainsi que, le cas échéant, les autorités consulaires du pays ». Toutefois, l’article 63-1 du code de procédure pénale prévoit que la personne gardée à vue peut prévenir « un proche et son employeur ». Cette formulation est plus compréhensible pour le justiciable et plus complète car elle inclut l’employeur. Notre amendement propose de la reprendre.

L’amendement n° 4 est un amendement de coordination avec l’amendement n° 3 à l’article 3 sur la prise en charge des enfants. L’amendement n° 5 vise à revenir sur un amendement adopté en commission, qui ne nous semble pas uniquement rédactionnel. Le projet de loi prévoyait d’indiquer clairement la durée maximale pendant laquelle la personne gardée à vue peut être privée de liberté avant de comparaître devant une autorité judiciaire. Cette indication est différente de la simple possibilité pour la personne gardée à vue du droit de demander et connaître cette durée. Nous souhaitons revenir à la version initiale qui nous semble également plus conforme à la directive européenne.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’avis est défavorable sur les amendements nos 2 et 4 car ils sont satisfaits. S’agissant de l’amendement n° 5, l’avis est favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’amendement n° 4 fait référence à l’amendement n° 3 auquel nous avions donné un avis défavorable. En cohérence, l’avis reste défavorable.

Sur l’amendement n° 2, l’avis est également défavorable car des dispositions sont déjà prévues.

Et, parce qu’il nous faut bien parvenir à saluer le travail méticuleux, obstiné, prolifique que vous fournissez sur de nombreux textes relatifs à la justice, j’éprouve un plaisir particulier – j’allais dire « voluptueux » – à dire oui à certains de vos amendements : l’avis est donc favorable pour l’amendement n° 5.

Mme la présidente. J’ai bien compris qu’au vu de ces éléments, M. Coronado retirait les amendements n° 2 et n° 4.

(Les amendements nos 2 et 4 sont retirés.)

(L’amendement n5 est adopté.)

(L’article 4, amendé, est adopté.)

Article 5

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n16.

M. Sergio Coronado. Compte tenu de nos discussions et de l’adoption de l’amendement n° 37, je retire cet amendement.

(L’amendement n16 est retiré.)

(L’article 5 est adopté.)

Article 5 bis

(L’article 5 bis est adopté.)

Article 6

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n30.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, madame la présidente.

(L’amendement n30, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 31, autre amendement rédactionnel de la commission.

(L’amendement n31, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n29.

Mme Colette Capdevielle. Le projet de loi a été enrichi au Sénat par des amendements, qui ont notamment prévu la possibilité pour la victime d’être assistée d’un avocat lors d’une confrontation avec la personne mise en cause au stade de l’enquête, par souci de parallélisme des formes et d’équilibre. Le présent amendement vise à permettre au procureur de la République d’entendre les arguments de la victime, si celle-ci le souhaite, lorsque le ministère public procède à un choix procédural important, qu’il s’agisse par exemple de l’ouverture d’une information judiciaire ou du renvoi en comparution immédiate.

Dans le même ordre d’idées, d’ailleurs, ne pourrait-on imaginer, madame la garde des sceaux, qu’au moment de sa première audition, la victime puisse bénéficier elle aussi de l’assistance d’un conseil lorsqu’elle doit décrire des faits avec force détails et que ses déclarations sont enregistrées ? Je pense aux auditions particulièrement difficiles, celles qui concernent les atteintes aux personnes les plus graves, surtout lorsqu’elles interviennent peu de temps après les faits. L’assistance d’un conseil serait de nature, j’en suis convaincue, à la fois à rassurer la victime mais aussi à faciliter la tâche des services de police et de gendarmerie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis défavorable, même si nous estimons que ce questionnement a son intérêt. Il trouvera sa place dans le cadre de la réflexion sur les suites à donner au rapport de la mission Beaume.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Disons les choses clairement, madame Capdevielle, votre amendement soulève deux difficultés : l’une de principe, l’autre d’ordre pratique.

Première difficulté : cet amendement, s’il était adopté, conduirait à donner à la victime une place qu’elle n’a pas à occuper dans notre procédure pénale. Elle n’a en effet pas sa place dans le choix du mode de poursuite, lequel relève de la responsabilité du parquet et de l’institution judiciaire.

L’affirmer n’enlève rien au respect que nous devons avoir à l’égard de la victime et à l’exigence qui est la nôtre que son préjudice soit correctement pris en charge, que les informations relatives à la procédure lui soient transmises en temps utile, que des possibilités d’intervention lui soient ménagées – vous savez que le projet de réforme pénale prévoit qu’elle intervienne également pendant la période d’exécution de la peine. Nous reconnaissons des droits à la victime. Je ne vais pas développer ici toutes les mesures que nous avons prises en matière de gouvernance de l’aide aux victimes et d’accompagnement.

La deuxième difficulté, moins importante, est d’ordre pratique : comment, notamment dans le cadre d’une comparution immédiate, trouver le temps de convoquer la victime alors que le délai de défèrement est très bref ?

La difficulté majeure est celle qui tient aux principes : le procès pénal met un terme au vis-à-vis entre la victime et la personne mise en cause, et contrairement à ce que l’on pense, cela protège souvent davantage la victime.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je retire mon amendement, madame la présidente.

(L’amendement n29 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un autre amendement rédactionnel de la commission, amendement n32, auquel le Gouvernement est favorable.

(L’amendement n32 est adopté.)

Mme la présidente. Le Gouvernement est également favorable à l’amendement n33, amendement rédactionnel de la commission.

(L’amendement n33 est adopté.)

(L’article 6, amendé, est adopté.)

Articles 6 bis A et 6 bis

(Les articles 6 bis A et 6 bis sont successivement adoptés.)

Après l’article 6 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n17.

M. Sergio Coronado. Je vais le défendre car je ne voudrais pas priver Mme la ministre du plaisir de donner un avis favorable. (Sourires.)

Dans un arrêt rendu le 18 avril 2013, la cour administrative d’appel de Lyon a considéré que l’impossibilité pour un détenu condamné à trente jours de cellule disciplinaire d’avoir accès au visionnage des enregistrements de vidéo-surveillance disponibles ne violait pas le principe du contradictoire, alors même que la partie juge y avait accès.



Un procès disciplinaire doit être entouré des garanties les plus larges possibles, dès lors que l’administration y cumule les fonctions de poursuite et de jugement. Il importe donc que les détenus puissent faire appel aux éventuelles preuves, afin d’établir précisément les faits et leur éventuelle culpabilité.



C’est pourquoi cet amendement propose d’améliorer le droit des personnes poursuivies à accéder aux enregistrements de vidéo-surveillance dans le cadre des procédures dont elles font l’objet, en modifiant l’article 726 du code de procédure pénale.



Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis favorable. Nous considérons que cet amendement vient opportunément compléter les dispositions du décret évoqué dans cet article en précisant que les pièces auxquelles ont accès les personnes mises en cause dans un procès disciplinaire pourront également concerner la vidéo-surveillance.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je partage l’avis de Mme la rapporteure : les dispositions que vous proposez, monsieur Coronado, sont bienvenues. Simplement, j’ai une hésitation sur l’opportunité de leur donner un support législatif. La loi renvoie au décret de décembre 2010.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. La loi peut préciser le contenu du décret !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et je pense qu’il serait bon d’introduire cette modification par décret et comme je ne me prive de rien aujourd’hui, monsieur Coronado, je vous proposerai même de suivre les travaux de rédaction de ce décret.

Le dernier mot revient évidemment au Parlement. La CMP permettra peut-être de trouver une solution, après cette discussion légistique de haute volée entre juristes éclairés.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’article 726 du code de procédure pénale indique que le décret précise notamment : 1° Le contenu des fautes disciplinaires, 2° les différentes sanctions disciplinaires 3° la composition de la commission, etc. Rien n’interdit d’ajouter dans un 4° bis les « conditions dans lesquelles la personne peut avoir accès aux enregistrements de vidéo-surveillance ».

Mme la présidente. Peut-on considérer que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée, madame la garde des sceaux ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Finalement, il ne me paraît pas choquant que cela figure dans la loi et je transforme mon hésitation en avis favorable.

(L’amendement n17 est adopté.)

Articles 7 à 9

(Les articles 7, 8 et 9 sont successivement adoptés.)

Article 10

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 10.

Article 11

(L’article 11 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron