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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 03 juin 2014

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Prévention de la récidive et individualisation des peines

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (nos 1413, 1974).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures seize minutes pour le groupe SRC, dont 40 amendements sont en discussion ; onze heures seize minutes pour le groupe UMP, dont 647 amendements sont en discussion : trois heures trente minutes pour le groupe UDI, dont 24 amendements sont en discussion ; une heure cinquante minutes pour le groupe écologiste, dont 30 amendements sont en discussion ; une heure cinquante et une minutes pour le groupe RRDP, dont 17 amendements sont en discussion ; une heure quarante-sept minutes pour le groupe GDR, dont 7 amendements sont en discussion ; et quarante minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’inflation législative sécuritaire de la décennie écoulée s’est révélée à la fois inefficace et contre-productive. Loin d’avoir des effets notables sur le taux de récidive, cette politique n’a eu pour conséquence que de complexifier les dispositifs existants et d’aggraver l’engorgement des établissements pénitentiaires. Aujourd’hui, la situation indigne de surpopulation carcérale de notre pays entraîne des condamnations à répétition par la Cour européenne des droits de l’homme et, en dépit de l’accroissement du nombre de places de prison résultant des programmes successifs de construction immobilière, les établissements pénitentiaires français demeurent surpeuplés.

Surtout, et j’insiste sur ce point, il n’existe pas de résultats probants montrant l’effet de prévention de la récidive qu’aurait la détention. Au contraire, il y a un risque accru de récidive en cas de détention, ce qui conduit le Conseil de l’Europe à rappeler continuellement que le recours à l’emprisonnement doit rester une réponse d’exception. La synthèse des contributions et auditions de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive le souligne : l’unanimité se fait sur les effets négatifs de l’empilement législatif de ces dernières années et de l’augmentation de la population carcérale et de la charge de travail des magistrats et fonctionnaires. Au regard de ce constat sans appel, nous soutenons pleinement les objectifs visés par cette réforme, à savoir simplifier et repenser le droit de la peine et de son exécution autour de la question centrale de la prévention de la récidive.

Le projet de réforme s’attache en premier lieu à redéfinir le sens de la peine. Cette nouvelle définition, qui constitue désormais le préambule des dispositions du code pénal relatives aux peines, consacre la nécessité de la protection de la société, de la prévention de la récidive, de la réinsertion et de l’équilibre social, ainsi bien sûr que le respect des droits reconnus à la victime.

Le texte réaffirme ensuite des principes fondamentaux du droit pénal. Le principe constitutionnel d’individualisation de la peine est clairement énoncé à l’article 2, tandis que l’article 3 affirme qu’en matière correctionnelle l’emprisonnement ferme ne peut être prononcé qu’en dernier recours, par une motivation spéciale, aussi bien pour les primo-délinquants que pour les récidivistes.

Au-delà du rappel de ces principes généraux, plusieurs avancées méritent d’être soulignées. Tout d’abord, nous sommes pleinement favorables à l’abrogation pure et simple des dispositions relatives aux peines plancher, tant pour les mineurs que pour les majeurs, que ce soit dans le cadre de la récidive ou de certains délits particuliers. Pour notre part, nous avons toujours combattu cet automatisme qui limite la liberté d’appréciation du juge et porte directement atteinte au principe constitutionnel d’individualisation des peines. Les peines planchers n’ont, en outre, eu aucun impact sur prévention de la récidive et elles ont aggravé la surpopulation carcérale…

M. Georges Fenech. Non !

M. Marc Dolez. …comme de nombreux rapports l’ont établi.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas vrai !

M. Georges Fenech. Aucun rapport !

M. Marc Dolez. Ensuite, la suppression des révocations automatiques des sursis renforce ce principe d’individualisation des peines. Jusqu’à présent, les sursis étaient révoqués automatiquement du fait du prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme sanctionnant un nouveau délit commis dans le délai de cinq ans après le prononcé du sursis. Cette automaticité pouvait se déclencher sans que la personne condamnée, voire sans que la juridiction de jugement en ait connaissance. Désormais, avec l’article 6 du projet de loi, la juridiction prononçant une peine de réclusion ou d’emprisonnement sans sursis aura la faculté, si elle l’estime nécessaire, de prononcer par décision spéciale la révocation totale ou partielle de chacun des sursis en cours.

La réforme introduit également une nouvelle forme d’ajournement de la peine destinée à permettre un complément d’enquête sur la personnalité de l’intéressé et sur sa situation matérielle, familiale et sociale. Nous soutenons cette césure du procès pénal, qui permet de renforcer la personnalisation de la peine. Cependant, on ne peut que s’interroger sur son efficacité concrète au regard de la charge des juridictions et du manque de moyens des services chargés des investigations.

S’agissant de la contrainte pénale, nous sommes favorables à la création de cette nouvelle peine en milieu ouvert qui, au côté des peines déjà existantes, permettra un suivi renforcé du condamné. Ce dernier sera soumis à des mesures de surveillance, des obligations et des interdictions : obligation de réparer le préjudice causé, d’exécuter un travail d’intérêt général, de respecter une injonction de soins, interdiction de rencontrer la victime ou d’aller dans certains lieux. Nous approuvons l’extension du champ d’application de cette mesure à tous les délits. Cela permettra d’enrichir l’éventail des solutions à la disposition des juridictions pénales, en leur donnant les moyens de prononcer la peine la plus adaptée à chaque condamné, conformément au principe d’individualisation des peines. De même, nous soutenons la possibilité pour le juge d’application des peines de convertir une peine d’emprisonnement d’une durée maximale d’un an en contrainte pénale, possibilité introduite en commission des lois. Mais j’insiste sur le fait que cette peine, plus contraignante que les peines probatoires existantes, puisqu’elle prévoit un suivi renforcé, à caractère régulier, nécessitera des moyens importants. Il faudra donc un personnel suffisamment nombreux pour la mettre en œuvre dès le prononcé.

Autre avancée importante de cette réforme : afin de lutter contre les « sorties sèches », l’article 16 du projet de loi crée une nouvelle mesure de libération sous contrainte, laquelle garantira effectivement un retour progressif à la liberté et offrira à cette fin un suivi renforcé à l’issue de la détention. La situation des détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans fera obligatoirement l’objet d’un examen aux deux tiers de la peine. En fonction du résultat de cet examen et après avis de la commission d’application des peines, le juge décidera de la libération sous contrainte ou du maintien en détention.

Comme l’a souligné le Syndicat de la magistrature, l’examen automatique aux deux tiers de la peine aura aussi pour effet de retarder la possibilité pour les primo-délinquants d’obtenir un aménagement de peine. En effet, ces derniers peuvent actuellement obtenir un tel aménagement à la moitié de leur peine, contre les deux tiers pour les récidivistes. L’examen par la commission d’application des peines n’étant obligatoire qu’aux deux tiers de la peine pour tous, il est à craindre que les efforts des services d’insertion et de probation ne se concentrent que sur cet examen obligatoire et non sur les possibilités pour les primodélinquants d’obtenir un aménagement de peine dès qu’ils en auront effectué la moitié. Nous proposerons donc de ramener l’examen automatique à mi-peine.

De même, nous pensons que la procédure d’octroi de la libération sous contrainte devrait reposer sur un débat contradictoire.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas faux, ça !

M. Marc Dolez. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

Enfin, soulignons une fois encore que pour rendre cette mesure effective, il faudra donner les moyens nécessaires aux services d’insertion et de probation. Surtout, pour lutter contre les sorties sèches, il faudra que ces services disposent des moyens suffisants pour accompagner tous les détenus et les inciter à préparer un projet de sortie.

Si toutes ces avancées sont indéniables, je dois cependant, vous le comprendrez, exprimer aussi quelques regrets. D’abord, la réforme n’allant pas jusqu’au bout de sa logique, elle ne revient pas sur l’article 465-1 du code pénal qui établit une distinction entre primo-délinquants et récidivistes au regard de la possibilité pour une juridiction de prononcer un mandat de dépôt.

Ensuite, le projet initial réduisait les possibilités d’aménagements de peines ; ce n’est pas, me semble-t-il, la philosophie de la réforme. C’est donc à juste titre que la commission des lois est revenue sur la distinction injustifiée entre primo-délinquants et récidivistes en fixant à un an le seuil d’emprisonnement permettant l’octroi d’un aménagement de peine.

M. Georges Fenech et M. Guy Geoffroy. Ce n’est pourtant pas la même chose !

M. Marc Dolez. De même, elle a donné au juge d’application des peines la faculté d’aménager la peine de personnes plusieurs fois condamnées à des peines prononcées ou restant à subir dont la durée totale serait supérieure à un an mais inférieure à deux ans. Ces modifications vont dans le bon sens, même s’il nous semblait plus judicieux de porter à deux ans le seuil d’octroi des aménagements de peine pour tous les détenus, dans la mesure où les courtes peines de prison sont inefficaces pour prévenir la récidive.

Par ailleurs, le projet de loi reste silencieux sur des points importants. Il ne prévoit aucune disposition visant à réformer le système pénitentiaire, alors que le jury de la conférence de consensus avait considéré qu’une réforme profonde des conditions d’exécution de la peine privative de liberté était une condition sine qua non de la prévention de la récidive. En particulier, le projet de loi n’aborde pas les questions d’emploi et de formation en détention.

Il ne dit rien non plus sur la justice des mineurs, alors que nous attendons toujours la réforme de l’ordonnance de 1945. Enfin, il ne remet pas en cause les dispositions relatives aux peines de sûreté et n’aborde pas la question cruciale des moyens, sur laquelle tous les professionnels de la justice appellent l’attention. La difficulté majeure tient aux moyens mis à la disposition des services et juridictions, actuellement surchargés, pour faire leur travail.

Pour conclure, et malgré les insuffisances que je viens de souligner, les députés du Front de gauche voteront avec conviction…

M. Guy Geoffroy. Sans conviction, oui !

M. Marc Dolez. …cette réforme, qui constitue un progrès incontestable, car ils sont persuadés qu’elle permet d’allier des considérations humanistes au souci légitime d’efficacité de la loi pénale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Le temps est venu de redonner un sens à notre politique pénale, car le constat est alarmant. L’héritage des années de populisme pénal a brisé le lien indispensable entre l’institution judiciaire et nos concitoyens. Le quinquennat précédent s’est caractérisé par une exacerbation des tensions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Le nombre des détenus a augmenté de 35 % en dix ans, et la durée moyenne d’une peine de prison est passée de 8 mois et demi à 11 mois. Cette sévérité a montré les limites du prisme choisi par la majorité précédente dans la lutte contre la délinquance. Chers collègues de l’opposition, c’est là votre erreur fondamentale, sachez la reconnaître.

Nos prisons sont surpeuplées : elles comptent 68 859 détenus pour 57 680 places. Hier encore, je me rendais à la maison d’arrêt de Villepinte, dans mon département, en Seine-Saint-Denis. Mille détenus y sont incarcérés pour seulement 570 places ! Les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire y dénonçaient, là comme partout ailleurs, des conditions de détention inadaptées à la réinsertion des condamnés et qui causent des difficultés considérables aux surveillants dans leur travail quotidien.

Les chiffres de la récidive s’envolent : la part des condamnés en récidive a plus que doublé ces dix dernières années. Les multiples lois d’affichage prises par la précédente majorité n’y ont rien fait. L’exploitation des faits divers et l’instrumentalisation de la souffrance des victimes ont justifié une explosion de normes pénales sans effet tangible sur la réalité de la délinquance. La droite a cru masquer son inefficacité en agitant des peurs, mais les Français ne sont pas dupes : ils voient que rien n’a changé dans leur quotidien malgré l’apparente fermeté des propos.

C’est pourquoi nous avons l’ardente nécessité de leur proposer un texte efficace et mesuré – ce qui ne veut pas dire que nous réduisons nos objectifs, mais que nous les fixons à l’aune des réalités de notre pays. Il s’agit donc d’une réforme pragmatique et préparée. On n’en est pas à la prise de la Bastille ni à la destruction des prisons ! Les projets de construction d’établissements pénitentiaires sont toujours en cours, dans le but justement d’effectuer les sanctions efficacement, dans des conditions respectant la dignité des condamnés.

Le groupe socialiste que je représente ici aujourd’hui salue la méthode retenue pour faire aboutir ce projet de loi, qui est attendu et indispensable. Ce texte ne se concentre pas, comme vous l’avez fait, chers collègues de l’opposition, sur le prononcé des peines, mais s’intéresse aussi à leur exécution. Nous traitons avec un égal souci d’efficacité toutes les phases de la procédure pénale.

Nous apprécions donc cette méthode, ainsi que les différentes étapes de l’élaboration de ce texte. La conférence de consensus, d’abord, avait pour objectif d’identifier les questions incontournables et de cerner les points de controverse à dépasser. Dans le même temps, la commission des lois menait une mission d’information sur la surpopulation carcérale. Ensuite est venu le temps du travail législatif et du débat : le projet que nous examinons aujourd’hui n’a pas été fait dans l’urgence !

Je salue le travail réalisé par M. rapporteur, son sens de l’écoute et sa mesure. C’est un travail précis et méticuleux : nous sommes si loin des caricatures que nous avons entendues dans les premières interventions de l’opposition ! Les parlementaires ont en effet été impliqués et associés à chaque étape de l’élaboration de ce texte. À ce propos, je remercie nos partenaires de la majorité pour la richesse de nos échanges. Nous assumons les débats : c’est notre tradition à gauche, c’est notre identité. Nous sommes aujourd’hui unis sur l’essentiel, autour d’un texte ambitieux et novateur, qui prend acte des échecs des politiques précédentes et privilégie l’efficacité pour dépassionner le débat et réconcilier enfin les Français et la justice. C’est un texte qui veut changer le traitement de la délinquance. Nous avons voulu privilégier une approche transversale, reconnaissant l’indispensable triptyque des acteurs de la chaîne pénale : la police, la justice et l’administration pénitentiaire.

De quoi devrions-nous nous souvenir, après ce débat ? Des trois axes principaux du texte. Le premier, dont nous pouvons être fiers, porte sur l’individualisation de la peine. Le concept n’est pas nouveau, mais la majorité précédente l’avait mis sous le tapis avec les peines plancher – sans jeu de mots… Le présent projet rétablit ce principe. Nous supprimons les automatismes et nous remettons les magistrats au cœur de la décision – nous supprimons l’ensemble des automatismes qui bridaient les juges en leur retirant toute forme d’appréciation de la situation de la personne condamnée.

Nous refusons la justice hâtive. C’est pour cela qu’il y aura une césure au cours du procès pénal : le prononcé de la peine d’une personne reconnue coupable sera reporté afin de permettre au juge de l’application des peines d’étudier plus en profondeur sa personnalité et sa situation, pour prononcer une peine plus adéquate, si besoin plus sévère.

Ce projet de loi permettra un meilleur contrôle, pour plus d’efficacité. Cette réforme est pragmatique, elle prend en compte la réalité. Elle ne vise pas à vider les prisons, pas plus que le Gouvernement ne projette d’en réduire le nombre de places. En contribuant à la lutte contre la surpopulation carcérale, elle permettra de mieux travailler, au cours de l’incarcération, à la réinsertion du condamné après qu’il aura purgé sa peine. Là encore, nous ne pouvons continuer à entretenir des clivages dépassés, dans lesquels les Français ne se retrouvent pas. On voudrait faire croire que seule la droite prend soin des victimes et lutte contre la récidive tandis que la gauche, laxiste, considère la récidive comme normale !

Je ne fais pas partie de ceux qui rejettent a priori la nécessité de la prison lorsque les faits sont graves, mais laisser entendre qu’il suffirait, pour qu’il n’y ait plus de récidivistes, de doubler les peines ou de créer des peines plancher en cas de récidive, comme vous l’avez proposé, est une erreur. Je crois même que c’est une faute. La pire des incohérences, que vous nous reprochez si souvent, est la vôtre : c’est d’enfermer des délinquants pour des courtes peines sans créer les conditions positives de leur retour dans la société.

Nous défendons la création d’une nouvelle peine : la contrainte pénale. Ce n’est pas une peine par défaut, mais bel et bien un instrument de lutte contre la récidive. Elle fait peser des obligations sur le condamné pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les condamnés concernés feront l’objet d’un contrôle et d’un suivi pendant toute la durée de la peine. Il est inutile de dénaturer cette novation, ou de la caricaturer.

J’entends encore les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation que je rencontrais hier au centre de semi-liberté de Gagny, dans ma circonscription, qui est l’un des plus grands d’Île-de-France. Ils me disaient que le milieu ouvert est toujours préférable au milieu fermé, et qu’en plus, il est moins onéreux. Voilà qui devrait vous parler ! Pour avancer dans ce sens, le Gouvernement dégage des moyens sérieux, en créant 1 000 postes de conseillers d’insertion et de probation.

Le cœur du texte, c’est la libération sous contrainte. Sur ce point, votre silence est assourdissant. L’individualisation de la peine, c’est aussi voir la vérité en face et reconnaître que les détenus sont amenés à sortir de prison un jour. Cette sortie, c’est le moment crucial : soit l’ancien détenu entame un processus de réinsertion sociale, soit il rechute dans la délinquance. Or la sortie de prison est à l’heure actuelle mal encadrée : 80 % des détenus sortent sans mesure de contrôle ; 63 % de ceux qui sortent sans aménagement de peine font l’objet d’une nouvelle condamnation ; 39 % des détenus qui sortent en libération conditionnelle sont condamnés à nouveau.

La réforme prévoit un nouveau dispositif pour mieux encadrer ces sorties et lutter plus efficacement contre ce phénomène : c’est la libération sous contrainte. Le cas des détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans sera obligatoirement examiné aux deux tiers de leur peine. On connaît le subterfuge auquel vous recourrez : vous prétendrez que nous libérerons tous les détenus aux deux tiers de la peine. Mais non, il ne s’agit que d’un examen obligatoire, pas d’une obligation de libération des détenus !

M. Marc Dolez. Bien sûr !

Mme Elisabeth Pochon. La gauche soutient aussi ce texte car elle se retrouve dans l’appel à la mobilisation générale qu’il contient. En effet, seule une mobilisation générale de tous les acteurs de la chaîne pénale, y compris les collectivités territoriales, peut permettre une lutte plus efficace contre la récidive. Nous avons donc choisi d’associer les services de police et de gendarmerie en leur donnant les moyens de contrôler les condamnés effectuant leur peine à l’extérieur.

Ce projet de loi n’oublie pas non plus les victimes. Il leur confère de nouveaux droits, mais sans instrumentaliser leur souffrance.

Nous avons là une véritable réforme de la justice pénale, une réforme qui ne joue pas sur les peurs. Son objectif est clair : il suffit d’huiler le mécanisme judiciaire. L’efficacité d’une réforme pénale ne se juge pas aux effets qu’elle a sur l’opinion publique, mais à sa capacité à durer à travers les alternances politiques. Chers camarades, nous pouvons être fiers car cette réforme témoigne d’une volonté de durer…

M. Daniel Fasquelle. Nous sommes vos collègues, madame, pas vos camarades !

M. le président. Le « collègue » est d’usage, madame…

Mme Elisabeth Pochon. Pardonnez-moi, je me laissais aller vers la majorité !

M. Daniel Fasquelle. C’est bien cela le problème : il y a aussi une opposition !

Mme Elisabeth Pochon. C’est donc un texte de progrès, qui fait confiance aux juges et s’inscrit dans le cadre d’une politique partenariale. Nous avons confiance dans l’évolution des savoir-faire des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Nous attendons le débat avec l’opposition. Nous savons que nous serons face à une propagande cherchant à nourrir les fantasmes.

M. Daniel Fasquelle. C’est une spécialiste qui parle ! « Camarades », « propagande », mais où sommes-nous ?

Mme Elisabeth Pochon. Nous voulons substituer la culture du contrôle à la culture de l’enfermement. L’esprit qui anime la majorité de gauche, au moment d’examiner ce projet de loi, c’est la recherche de l’efficacité de la justice pénale. Nous voulons dépassionner le débat pour réconcilier les Français. Nous revendiquons cet esprit de responsabilité, par égard pour tous les citoyens, et pour une société apaisée.

M. Daniel Fasquelle. C’est une blague ?

Mme Elisabeth Pochon. Nous voulons une réponse pénale juste, adaptée, rapide, et des sanctions proportionnées et efficaces. Vous nous accusez d’envoyer un message d’impunité aux délinquants : ce n’est certainement pas le cas !

Nous invitons donc tous les parlementaires à nous suivre sur le chemin de la réforme, qui est nécessaire. D’ailleurs, les directives communautaires appellent à mettre en place des alternatives à l’incarcération. Il est temps d’y penser, avant d’être rappelés à l’ordre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Nous abordons aujourd’hui l’examen d’un projet de loi qui traite d’aspects aussi essentiels que complexes de notre système pénal : l’individualisation des peines, la prévention des risques de récidive, la lutte contre les sorties sèches, la protection des victimes ou encore la réinsertion des détenus.

Comme à chaque fois que nous devons légiférer en matière pénale, nous devons concilier des principes complémentaires qui sont indispensables à l’équilibre de notre société. Nous devons ainsi concilier un principe de fermeté, dans l’intérêt des victimes, avec un principe d’humanité et de préservation de la dignité des personnes privées de liberté. Notre devoir est de protéger au mieux la société et les intérêts des victimes sans rien renier des libertés et des droits fondamentaux que notre République garantit de manière intangible à chacun de ses concitoyens. C’est conscient de ces enjeux, loin des postures idéologiques, que nous devons légiférer.

J’insiste avant tout sur un point, madame la garde des sceaux : bien qu’opposés à votre réforme, les membres du groupe UDI ne sont pas partisans du tout-carcéral. Nous sommes bien conscients que l’emprisonnement n’est pas la seule et unique réponse à la hausse de la délinquance et de la récidive, et qu’elle ne peut être la solution à tous les maux de notre société. Nous sommes bien conscients que dans certains cas, les aménagements de peine sont plus adaptés au profil du condamné et plus propres à favoriser sa réinsertion. Faut-il rappeler que nous avons travaillé lors de la législature précédente au développement des aménagements de peines et aux alternatives à l’emprisonnement ?

Nous pouvons vous rejoindre sur certains principes auxquels nous tenons. Nous sommes ainsi d’accord avec l’affirmation du principe de l’individualisation des peines, la nécessité d’assurer aux détenus un meilleur suivi, un meilleur accompagnement, la limitation des sorties sèches ou encore la protection des victimes. De notre point de vue, certaines mesures de ce projet de loi vont donc dans le bon sens : je pense à la mise en place d’une contribution pour l’aide aux victimes et au renforcement des missions du service public pénitentiaire dans le suivi et le contrôle des personnes condamnées. Je pense également à l’affirmation du rôle des instances locales de sécurité et de prévention de la délinquance en matière d’exécution des peines et de prévention de la récidive.

Néanmoins, à l’exception de ces quelques satisfactions, nous sommes en désaccord profond avec les dispositions que contient ce projet de loi. D’abord, il part de postulats que nous désapprouvons. Il considère en effet les peines d’emprisonnement comme les principales responsables de l’augmentation du taux de récidive, sans se poser la question des causes réelles de cette récidive. Il est conçu sous le seul angle de la lutte contre la surpopulation carcérale, sans prendre en compte les principaux enjeux de notre système pénal.

Bien sûr, avec 67 000 détenus pour une capacité opérationnelle de 57 500, la surpopulation carcérale est un vrai problème. À ce titre, nous regrettons que vous ayez abandonné le projet de l’ancienne majorité tendant à porter à 80 000 places la capacité d’accueil du parc carcéral français.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il n’était pas financé !

M. Michel Zumkeller. On peut toujours trouver les financements quand a la volonté, toujours !

Mme Elisabeth Pochon. On saura bien vous le rappeler !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. J’en cherche…

M. Michel Zumkeller. Nous devons certes nous préoccuper du phénomène de la surpopulation carcérale, mais ce n’est pas en limitant le recours à l’emprisonnement par la création de peines telles que la contrainte pénale que nous pourrons régler le problème. Je note d’ailleurs que les prisons sont les grandes absentes de ce projet de loi, alors même que nous pourrions œuvrer pour en faire non pas un simple lieu de sanction, mais un véritable lieu de lutte contre la récidive. La première minute d’incarcération peut aussi être la première minute de réinsertion…

Mme Elisabeth Pochon. C’est très vrai !

M. Michel Zumkeller. …si nous améliorons l’accès des détenus à l’alphabétisation par exemple, ou à la formation à un métier stable et valorisant. Nous devons mettre en place les moyens qui permettront à chaque détenu de se former, travailler, s’éduquer, retrouver les comportements de la vie quotidienne – leur redonner en quelque sorte un cadre de vie.

Dans ce projet de loi, vous considérez que la prison produit la récidive et vous choisissez d’aligner sur le régime de droit commun les dispositions applicables aux récidivistes. Sur ce point également, nous sommes en profond désaccord. Les récidivistes requièrent avantage de fermeté et une réponse adaptée à leur profil : nous ne pouvons donc pas les traiter de la même manière que les primo-délinquants.

La suppression des peines plancher est emblématique de cette conception : vous refusez de prévoir des dispositions spécifiques pour les récidivistes.

Mme Elisabeth Pochon. Le juge le fait déjà !

M. Michel Zumkeller. Plutôt que de découdre chacune des réformes engagées par la précédente majorité, prenons le temps d’évaluer les effets à long terme de ces mesures sur la lutte contre la récidive ! À l’exception du rapport d’information sur la mise en application de la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, présenté Guy Geoffroy et Christophe Caresche en décembre 2008, aucune évaluation précise n’a été menée. Il serait plus sage d’attendre au lieu de légiférer dans la précipitation.

Plus globalement, les dispositions de ce projet de loi vont à notre sens à l’encontre d’une nécessaire sanction et d’une indispensable réparation dans l’intérêt des victimes. Pour le groupe UDI, l’effectivité de l’exécution des peines est une priorité. L’exécution des peines doit être rapide, effective et lisible. De ces impératifs dépendent non seulement la crédibilité des institutions judiciaires mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays.

Je salue à titre personnel la disposition introduite par notre rapporteur sur les bureaux d’exécution des peines, les BEX, qui avaient été créés par décret en 2004. Leur existence sera consacrée dans la loi, puisque vous leur offrez une place au sein du code de procédure pénale. Ils devront ainsi être institués dans tous les tribunaux.

Auteur d’un rapport d’information sur l’exécution des peines et la mise en place des BEX, j’avais moi-même insisté sur la nécessité de développer ce mode d’exécution des peines. Il présente l’avantage de créer un circuit court entre le prononcé des peines et leur exécution et il permet de donner du sens à la décision prononcée par le tribunal. Espérons cependant que la généralisation des BEX ne demeurera pas un vœu pieux.

Au-delà de cette mesure, force est de constater que ce projet de loi ne fait pas de l’exécution des peines sa priorité et nous le regrettons.

La protection du droit des victimes est une autre priorité. Certes, le texte pose quelques principes en la matière, mais je crois que les victimes attendaient davantage. Nous proposerons notamment, par voie d’amendement, de leur garantir le droit d’être informées et de placer la prise en compte du préjudice qu’elles ont subi au cœur de notre système judiciaire.

Au-delà de ces oppositions, qui relèvent d’une philosophie et d’une conception différente de notre société, nous tenons à souligner les lacunes de certaines dispositions de ce texte. La première est la création d’une procédure d’ajournement de la peine aux fins d’investigation sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale de l’intéressé. Cette procédure s’ajouterait à celles déjà existantes : l’ajournement simple, l’ajournement avec mise à l’épreuve et l’ajournement avec injonction. Elle risque de se confronter dans les faits à deux obstacles majeurs : la charge des juridictions, puisque deux audiences devront se tenir sur un même dossier, et les moyens des services chargés de ces investigations. En raison de sa complexité et des difficultés qu’elle comporte, cette procédure ne sera vraisemblablement jamais utilisée.

La procédure d’examen obligatoire par le juge d’application des peines de la situation des personnes condamnées à une peine de moins de cinq ans, quand elles ont déjà exécuté les deux tiers de leur peine, est également contestable. À la différence de la libération conditionnelle, qui exige du condamné qu’il remplisse certaines conditions et qu’il manifeste « des efforts sérieux de réadaptation sociale », le détenu est absent de la procédure de libération sous contrainte. La procédure ne prévoit pas la possibilité pour lui de faire valoir ses observations afin que le juge de l’application des peines puisse vérifier son adhésion au projet et adapter la mesure.

La contrainte pénale présente également à nos yeux de nombreux défauts. D’abord, elle ajoute de la complexité : le projet de loi crée un régime juridique nouveau qui devrait s’articuler difficilement avec les dispositifs existants, notamment le sursis avec mise à l’épreuve. En outre, on peut légitimement s’inquiéter du manque de prévisibilité des sanctions en cas de non-respect des obligations imposées, dans une procédure où le juge d’application des peines sera omniprésent.

Surtout, nous avons tous conscience que de telles dispositions ne seront réellement efficaces que si elles s’accompagnent de moyens à la hauteur des enjeux. Le Gouvernement a annoncé la création de mille emplois dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation entre 2014 et 2017 mais tout porte à croire que ce chiffre est insuffisant.

Enfin, le groupe UDI considère que les dysfonctionnements de la justice qui affectent en profondeur notre système pénal ne sauraient se résoudre par des améliorations à la marge et des réformes de procédure.

Nous sommes face au désarroi des professionnels devant un service public de la justice qui ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société en pleine judiciarisation. Nous sommes également face au désarroi de nos concitoyens devant une organisation de la justice complexe, illisible et source d’incompréhension. Enfin, nous sommes face au désarroi des justiciables, qui souffrent d’une réelle inégalité en matière d’accès au droit.

Le problème est de savoir comment réformer l’un des plus anciens services publics de l’État régalien. Comme nous l’avons fait en commission, nous vous proposons donc de réunir autour de la table l’ensemble des acteurs et intervenants, pour mettre en œuvre un « Vendôme de la justice », sur le modèle du « Grenelle de l’environnement ». C’est la condition indispensable pour réconcilier les Français avec leur institution judiciaire. Faute de quoi, mes chers collègues, le groupe UDI votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. C’est après une longue attente que nous allons enfin examiner le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines : cela fait plusieurs mois que nous attendions l’arrivée de ce texte présenté en octobre dernier en Conseil des ministres.

Ce temps de gestation de neuf mois n’a pas été inutile. Il a permis au rapporteur de mener à bien environ trois cents auditions, après avoir déposé un rapport sur la surpopulation carcérale que la commission des lois avait salué. Ce temps lui a également permis de conduire un travail de concertation avec l’ensemble des groupes de la majorité pour améliorer et enrichir le texte. Je le remercie pour cette ouverture et ce travail fait en commun.

Ainsi, les parlementaires que nous sommes ont pu réaliser un travail de fond, d’analyse du texte et de confrontation au réel, avec des visites de terrain comme celle que nous avons faite hier à la maison d’arrêt de Villepinte, avec Cécile Duflot, Elisabeth Pochon et Daniel Goldberg.

Le Parlement a eu le temps de jouer son rôle car, même s’il s’agit d’un texte d’initiative gouvernementale, il ne faut jamais oublier que nous sommes dépositaires du pouvoir législatif. Les équilibres issus du travail interministériel n’ont rien d’illégitimes, mais le travail d’amendement du Parlement a autant, si ce n’est plus, de légitimité. En définitive, ce sera notre texte et notre volonté.

L’opposition, quant à elle, a utilisé à sa manière le temps qui a précédé la discussion du texte. Le président de la commission des lois ayant ouvert la possibilité de dépôt, elle a pu déposer au dernier moment plusieurs centaines d’amendements, alors qu’elle n’en avait déposé que quelques dizaines dans un premier temps.

M. Georges Fenech. Et alors ?

M. Sergio Coronado. C’est votre droit ! Depuis des mois, cependant, les responsables de l’opposition mènent une campagne outrancière, non pas tant contre le projet de loi que contre la garde des sceaux elle-même. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Le Ray. Il ne faut pas exagérer !

M. Sergio Coronado. Tout y passe : des statistiques biaisées, l’instrumentalisation des victimes, et surtout le déni des difficultés et des dysfonctionnements de notre système pénal, de la surpopulation carcérale, des taux de réitération et de récidives qui sont un danger pour notre sécurité et pour l’ensemble de la communauté nationale.

Surtout, l’opposition est en plein déni de la situation dont le Gouvernement a hérité. Votre bilan, chers collègues de l’opposition, devrait vous conduire à plus de modestie et d’humilité.

M. Philippe Le Ray. Merci pour la leçon !

M. Sergio Coronado. Les dizaines de textes que vous avez adoptés n’ont pas fait progresser la sécurité dont chaque citoyen a besoin, même s’ils ont parfois fait progresser l’audimat, je vous le concède. Chaque fait divers a été exploité sans vergogne pour justifier les innombrables tours de vis législatifs qui ont jalonné la précédente législature. Des principes essentiels de notre droit ont été bouleversés. Les acteurs de la justice ont été dénigrés, accusés, jetés en pâture, désignés à la vindicte par le Président de la République lui-même. L’instauration des peines plancher a contredit l’individualisation des peines et le pouvoir d’appréciation du juge. De nombreux délits ont été criminalisés. Vous avez voulu que l’enfermement devienne la règle.

Pour quels résultats, en définitive ? Les crimes, délits et incivilités n’ont pas disparu, et les prisons n’ont cessé de se remplir. D’ailleurs, contrairement à vos allégations, l’entrée en fonction de la garde des sceaux n’a malheureusement pas eu d’effet sur cette situation : depuis en effet, des records d’occupation de nos prisons ont été battus.

En effet, la population carcérale n’a cessé d’augmenter : entre 2000 et 2014, elle a crû d’environ 30 % ; au total, 68 859 personnes étaient incarcérées au 1er avril, ce qui représente une hausse de 2 % par rapport à l’année précédente ; en treize ans, la population carcérale a augmenté de 44 %, alors que la population n’a augmenté que de 8 %.

De deux choses l’une : ou bien la délinquance a explosé dans des proportions étonnantes…

M. Paul Salen. C’est vrai !

M. Sergio Coronado. …– et je ne tomberai pas dans l’outrance en rendant l’opposition responsable d’une situation qui n’est pas née le 6 mai 2012 – ou bien la justice emprisonne davantage.

Un examen de bonne foi montre à l’évidence que la justice française est sévère : la moyenne des peines fermes d’emprisonnement est passée d’environ huit mois à plus de onze mois entre 2007 et 2011 ; 30 % des peines prononcées, hors contentieux routier, sont de la prison ferme, contre 5,5 % par exemple chez notre voisin allemand.

Cette politique a eu un effet : celui d’établir un record de surpopulation carcérale. Malgré un programme intensif de construction de prisons qui a englouti le gros des crédits nouveaux et à venir de la justice, la vétusté de notre système pénitentiaire et sa surpopulation valent à la France des condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme pour traitements dégradants.

Les dispositifs d’alternatives à la prison, la réinsertion, le suivi des détenus, la prise en charge psychiatrique, ont été systématiquement négligés, comme le rappelait notre rapporteur dans son rapport sur la surpopulation carcérale et comme le notait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son rapport d’activité 2013. La politique de prévention a connu à peu près le même sort.

Et les victimes, me direz-vous ? Elles ont été instrumentalisées, mais ont-elles été aidées, accompagnées ? Comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux, le budget qui leur était consacré a constamment diminué, d’environ 10 %, entre 2010 et 2012, si bien que les associations d’aides aux victimes ont dû réduire leurs permanences.

Toutes les décisions de la dernière mandature ont, non pas créé certes, mais participé à l’aggravation du phénomène de surpopulation carcérale. La loi de 2007 sur la récidive a instauré les peines plancher. La loi sur la rétention de sûreté de 2008 a limité les réductions de peines mais a créé une « peine après la peine », au mépris du principe fondamental selon lequel un individu ne peut être puni deux fois pour les mêmes faits. Le Conseil constitutionnel en avait heureusement limité fortement la rétroactivité, précaution que la loi de 2009 sur la récidive criminelle a pu contourner. La loi pénitentiaire de 2009, qui a restreint l’exercice des droits fondamentaux des personnes détenues en donnant un pouvoir d’appréciation supplémentaire à l’administration pénitentiaire, est allée dans le même sens. La seconde loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, nie le principe d’individualisation des peines en appliquant désormais les peines plancher aux primo-délinquants et non plus aux seuls récidivistes.

Cette situation de surpopulation carcérale rend difficile l’accueil des prévenus, le suivi des condamnés, le travail de l’administration pénitentiaire et constitue un facteur important, sans être le seul, d’augmentation de la réitération et de la récidive. Lors de la visite que nous avons effectuée hier avec Cécile Duflot, les personnels de la maison d’arrêt de Villepinte ont employé ces mêmes mots. Mise en service en 1993, prévue à l’origine pour 588 places, Villepinte accueille aujourd’hui près de 1 000 détenus. Le Contrôleur général des lieux de privation de la liberté y avait noté l’extrême violence des relations entre les détenus et entre ceux-ci et l’administration pénitentiaire. Bien sûr, comme dans d’autres prisons, certains prévenus dorment à même le sol et la douche n’est possible qu’une fois tous les deux jours. Il n’y a pas quoi être fier de cette situation. Certes, vous ne l’avez pas créée, mais vous n’avez rien fait pour y remédier. Vous l’avez même aggravée.

Aujourd’hui, les sorties sèches, qui avaient été dénoncées avec vigueur par l’ancien président de la commission des lois M. Warsmann, sont la règle pour plus de 95 % des personnes condamnées à des courtes peines. Un tiers des détenus passe moins de trois mois en détention. Dès lors, quel est le sens de la peine, alors qu’il est impossible d’engager la moindre démarche de réinsertion ou de soins sur d’aussi courtes périodes ?

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Sergio Coronado. Nous savons que la situation est intenable. Comme l’ont dit plusieurs orateurs, nous connaissons tous l’ampleur des besoins : travailler en prison, se former, soigner ses addictions. Telle est la réalité des courtes peines. La situation qui consiste à se débarrasser des petits délinquants récidivistes en les enfermant quelques mois est une impasse.

L’enfermement ne saurait être la réponse à toutes les délinquances. La prison doit être une réponse adaptée à des actes de délinquance proportionnés. Pour être utile, efficace, et permettre au délinquant de réfléchir à son acte et ne pas récidiver, la privation de liberté, qui est la peine la plus lourde, doit répondre à des délinquances qui méritent cette privation. La prison doit préparer la réinsertion et ne pas devenir, comme c’est le cas aujourd’hui, l’école de la récidive.

Cette situation est coûteuse pour toute la communauté : certes pour les victimes au premier chef, mais la prison coûte cher à la collectivité sans beaucoup de résultats. Le coût moyen de construction d’une place de prison ces dernières années est de l’ordre de 120 000 euros. Les coûts d’incarcération sont également élevés : 85 euros en maison d’arrêt, presque 100 euros en maison centrale. Entre 1999 et 2014, le poids de l’administration pénitentiaire est passé de 28 % à 42 % dans le budget total de la justice.

La prison coûte plus cher que les peines alternatives, qui sont plus efficaces pour éviter la récidive. Un placement en centre de semi-liberté coûte environ 60 euros et un placement à l’extérieur, avec une prise en charge du condamné par une association d’aide à la réinsertion, à environ 30 euros. Enfin, le coût d’une journée sous surveillance électronique est de l’ordre de 10 euros.

Il fallait donc agir, et c’est le sens des propositions de Mme la garde des sceaux. Que contient le présent texte qui justifierait tant d’amendements de l’opposition et une telle déferlante d’attaques où se mêlent mensonges, approximations et instrumentalisation des peurs ?

Une telle charge est surprenante, une telle violence déplacée car, pour reprendre les termes du président de la commission des lois, c’est un texte à l’ambition mesurée, aux dispositions modestes et à la vocation tempérée. Il ne concerne ni les crimes, ni les mineurs. Il se concentre uniquement sur les délits qui, je vous le concède, représentent la délinquance du quotidien, celle qui « pourrit » la vie des gens : les vols, les dégradations de véhicules, la consommation et le petit trafic de stupéfiants, les délits routiers.

Je me disais tout à l’heure que nous étions extrêmement sévères à l’égard de cette petite délinquance, et très tolérant envers d’autres formes. Au moment des débats qui ont entouré l’affaire dite Cahuzac, pas un seul parlementaire n’a demandé une peine de prison pour ce ministre en déchéance, alors même qu’il avait reconnu les faits. Et je pense que si les faits de double facturation se trouvent confirmés par l’enquête de police et par l’instruction, personne dans cet hémicycle ne demandera non plus de prison ferme. Pourtant, c’est bien ce que l’on réclame, et tout de suite, pour le voleur de portables ou pour le petit trafiquant de shit !

Mme Valérie Boyer. Sylvie Andrieux a bien été condamnée à de la prison !

M. Éric Ciotti. Il vaut mieux que vous ne soyez pas juge !

M. Sergio Coronado. Ne vous sentez pas visés par cette critique, elle nous concerne tous. Nous sommes tous sévères pour les petits délits et tolérants pour la délinquance en col blanc.

Ce texte ne prétend pas régler tous les dysfonctionnements et ne répond pas à tous les défis. Son ambition est mesurée, et c’est normal. Le projet de loi n’aborde pas, malheureusement, la rétention de sûreté, alors que son abrogation était un engagement du parti socialiste pendant la campagne présidentielle. Nous avons déposé un amendement en ce sens, car attendre la future réforme du code de l’exécution des peines nous paraît, pour tout dire, incertain.

La suppression des tribunaux pour mineurs, un autre engagement du Président de la République, ne figure pas davantage dans le texte. L’on nous dit qu’il faut attendre la refonte de l’ordonnance de 1945. Nous avons déposé là encore un amendement de suppression.

Ce texte vise essentiellement à combattre la réitération des actes délictueux, à éviter que la prison n’alimente la récidive et n’augmente le nombre de nouvelles victimes. Avec la contrainte pénale, il prétend améliorer le suivi des condamnés. Le sursis avec mise à l’épreuve entraîne en effet un suivi renforcé, avec des évaluations régulières.

Par ailleurs, le texte rend leur capacité d’appréciation aux juges en supprimant les peines plancher, ces peines qui avaient fait s’envoler le nombre d’années de prison – 4 000 années d’emprisonnement de plus par an, selon les chiffres de la Chancellerie. Il supprime les automatismes, que l’on retrouve dans les révocations automatiques des sursis simples et des sursis avec mise à l’épreuve. Il renforce le contrôle des obligations des justiciables en milieu ouvert, mais aussi à leur sortie de prison.

On aurait pu espérer un nouveau régime des peines fondé sur des alternatives à la prison, vous l’avez évoqué ici même, madame la ministre. Le jury de la conférence de consensus avait d’ailleurs esquissé une nouvelle architecture judiciaire autour de trois sanctions : amendes, peines de probation et prison pour les crimes. Il eût fallu pour cela s’attaquer à l’échelle des peines. Le Gouvernement a fait un choix plus « modeste », comme dit le président de la commission des lois, avec la contrainte pénale. Cette peine ne remplace pas les autres peines : il s’agit d’une sanction supplémentaire, qui s’ajoute à celles dont le juge dispose déjà. Elle peut être révoquée et donc conduire le condamné en prison. Contrairement à ce qui a été dit, le lien avec la prison est donc bien maintenu.

La nouveauté, c’est le suivi renforcé, et l’effort sans précédent que consent le Gouvernement en créant 1 000 postes de conseillers d’insertion et de probation. Si j’ai bien compris en lisant la presse, car ce n’était pas très clair en commission, le Gouvernement souhaite limiter la contrainte pénale aux délits passibles d’un maximum de cinq ans de prison. En plus d’amoindrir la portée de cette mesure, ce choix est incohérent, puisqu’aucune peine alternative a 1’emprisonnement ne connaît ce type de limite. J’ai hâte de vous entendre sur ce point, madame la ministre.

M. Georges Fenech. Nous aussi !

M. Sergio Coronado. Nous avons voté l’amendement socialiste en commission, et personne ne sera surpris que nous maintenions cette position en séance. Nous vous ferons donc défaut sur ce vote-là, madame la ministre.

Les autres dispositions que contient le texte sont de bon sens. Avec le procès en deux temps, le tribunal pourra désormais prononcer la culpabilité lors d’une première audience et renvoyer sa décision à une seconde audience, après évaluation du comportement du condamné par les services d’insertion et de probation.

Afin d’éviter les sorties sèches de prison, sans mesure d’accompagnement, la réforme prévoit une libération sous contrainte : aux deux tiers de la peine, le juge examinera la situation de la personne condamnée et statuera sur une possible libération. En cas de sortie, le contrôle sera renforcé, avec des mesures de restriction, des rencontres avec un conseiller d’insertion et de probation ou encore l’interdiction de se rendre dans certains lieux et de rencontrer certaines personnes. Ce sera donc une peine en tant que telle, une peine même sévère par rapport à ce qui existe déjà.

Enfin, toute une série de mesures concernent les victimes, qui ont été oubliées ces dernières années. Elles pourront notamment être informées de la libération de leur agresseur. Les amendes imposées aux délinquants seront par ailleurs majorées de 10 % pour financer les associations d’aide aux victimes, que vous aviez négligées, je le rappelle.

Nous notons également la volonté de développer la justice restaurative, que les écologistes défendent depuis longtemps.

M. Philippe Le Ray. Ça promet !

M. Sergio Coronado. Nous nous félicitons que le Gouvernement ait décidé de déposer un amendement, semblable à celui que nous avions défendu en commission. Nous voterons cet amendement, qui marque un pas important. Les mesures de justice restaurative ont obtenu des résultats très intéressants à l’étranger, notamment au Canada, s’agissant des victimes, qui se sentent mieux prises en compte, et de la récidive, le tout avec un coût nettement moins important que celui de l’emprisonnement.

Madame la garde des sceaux, nous avons beaucoup de respect, et c’est je crois le sentiment de la majorité tout entière, pour la manière dont vous conduisez ces débats, par vents contraires et même souvent par gros temps. Vous devez faire face à des attaques souvent injustes, outrancières, sans toujours avoir la possibilité de vous défendre. L’opposition a parfois fait preuve de démagogie, vous accusant de tous les maux. Les écologistes, qui auraient souhaité une réforme au périmètre plus large, seront à vos côtés et soutiendront ce texte, qui reprend en partie les engagements du Président de la République.

Je voulais vous remercier : pour la première fois depuis de nombreuses années, un responsable de gauche, pour parler de délinquance, d’emprisonnement, de délits, a changé de vocabulaire et de ton, faisant entendre l’esprit de responsabilité et la raison, refusant de jouer sur les peurs et les sentiments. Ça, c’est un changement ! Vous avez refusé de vous placer sous l’empire de l’émotion. Cela fait du bien à entendre, pour le parlementaire de gauche que je suis.

Vous portez ce projet gouvernemental avec détermination et, à l’instar d’un autre projet emblématique, sans toujours les soutiens escomptés. Mais je sais que la majorité parlementaire ne vous fera pas défaut : les écologistes voteront ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)

M. Matthias Fekl et Mme Marie-Anne Chapdelaine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Cette réforme pénale est attendue depuis longtemps. Il faut se féliciter de la méthode employée : vous avez bien fait, madame la garde des sceaux, d’organiser la conférence de consensus, car elle a permis de dédiaboliser une affaire bien complexe. Jusqu’ici en effet, comment ne pas le reconnaître ? tout le monde a échoué. Peut-être ce texte représente-t-il la dernière chance de trouver un équilibre.

Vous voulez d’abord et avant tout protéger la société, c’est la priorité – qui ne le comprend pas ? Par là même, vous voulez protéger les victimes, qui méritent toute notre attention tant il y a là de souffrance. Nous devons aussi nous intéresser à ceux qui sont entrés dans la délinquance, tenter de les comprendre et les considérer comme des personnes dignes d’intérêt, précisément au moment où, faute de moyens matériels et immobiliers, nous ne respectons pas la dignité des détenus.

Jusque-là, toutes les politiques ont échoué. On a cru que plus on condamnait sévèrement, plus on jetait des gens en prison, plus la sécurité des citoyens était assurée. C’est une erreur absolue, et tous ceux qui appartiennent au monde judiciaire le savent : ce n’est pas en remplissant les prisons qu’on protégera la société. C’est en assurant la sortie de la prison de la manière la plus efficace possible, en luttant de manière significative contre la récidive, qu’on obtient des résultats.

M. Matthias Fekl. Bien sûr !

M. Alain Tourret. On ne le répète jamais assez : la prison est le lieu de rencontres épouvantables. Le détenu condamné à une peine de deux ou trois mois se trouvera tôt ou tard en relation avec quelqu’un emprisonné depuis deux, trois… ou dix ans. Des réseaux se créent. La première chose qu’on apprend, en prison, c’est à frauder, à tricher, parfois à violer. C’est comme cela que ça se passe ! Comme je l’ai déjà entendu, la prison, c’est le lieu de la rencontre avec le syndicat du crime !

Et puis un phénomène est apparu ces derniers temps, celui de la découverte de la religion en prison, de la formation pour le djihad de certains prisonniers, qui se rencontrent et s’organisent à cet effet. Madame la garde des sceaux, j’aimerais qu’une étude sérieuse soit menée sur le parcours de l’individu arrêté à la suite des événements tragiques de Bruxelles.

Il ne faut donc pas remplir les prisons, mais d’abord assurer le suivi de ceux qui en sortent. Il faut aussi soigner ceux qui s’y trouvent, car l’on devient fou en prison.

Mme Marie-Louise Fort. Ils n’ont qu’à ne pas y être !

M. Alain Tourret. Il faut les protéger, car l’on s’y suicide plus qu’ailleurs. Il faut enfin, et bien sûr, assurer la protection des familles.

J’entends d’ici ceux qui considèrent qu’il n’est pas question de consacrer aux personnes qui sortent de prison des moyens supérieurs à ceux que reçoivent les personnes qui n’y sont jamais allées. C’est une vision totalement erronée. Que voulez-vous que fasse le détenu qui sort après plusieurs années d’emprisonnement, après avoir perdu famille et amis, sans point de chute et avec quelques sous en poche ? Il retombe très rapidement dans la délinquance.

La politique de lutte contre la récidive et d’individualisation des peines, ce n’est pas l’enfermement à tout prix, mais plutôt ce que j’appellerais « la prison sans les barreaux ». Il s’agit de trouver toutes les formes possibles de peines alternatives – de véritables peines – qui permettent d’éviter à certains de se rencontrer et de s’enfoncer dans la criminalité.

Madame la garde des sceaux, la priorité est de protéger la société. La prison est donc nécessaire car elle élimine pendant un certain temps les individus dangereux, il est indispensable de l’admettre. Oui, il y a en prison des fauves, qu’il faut soigner faute de quoi nous les relâchons dans la nature avec toutes les conséquences imaginables. Bien sûr, les victimes doivent être indemnisées et protégées d’un acte potentiel de vengeance, une fois le détenu sorti de prison.

Quelles sont les mesures phares de ce projet de loi ? D’abord, la contrainte pénale. Lors de mon premier mandat de député, je me rappelle avoir longuement discuté des problèmes de droit pénal sans jamais évoquer cette mesure, dont la paternité vous revient. On a pu estimer qu’elle était la clé de voûte du projet de loi, car elle fait figure de symbole.

La contrainte pénale est une peine, rappelons-le avec force, et non un simple aménagement. Elle permet de remplacer l’incarcération pour les délits sanctionnés d’une peine de moins de cinq ans.

La commission des lois a prévu de l’étendre à tous les délits. Je n’ai pas de conseils à vous donner, madame le garde des sceaux, mais il faut trouver un compromis sur ce point – je sais d’ailleurs qu’il se prépare – qui permette à chacun de s’y retrouver. Il serait plus simple d’appliquer la mesure à tous les délits, mais il est aussi indispensable de tenir compte de certaines lignes de force de notre société. C’est pourquoi le groupe RRDP, et en particulier son président Roger-Gérard Schwartzenberg, n’accepteront pas que l’on retienne la contrainte pénale pour tous les délits. La commission doit trouver une solution à la suite de l’énervement paroxystique de ces derniers jours.

Au titre de la contrainte pénale, le juge pourra prononcer une obligation de travail ou de résidence, ou des injonctions de soins, de stages ou encore de travaux d’intérêt général. Tout cela est très bien. Permettez-moi simplement une observation concernant le travail d’intérêt général : il n’est toujours pas entré dans la pratique de tous les magistrats, alors que c’est une excellente mesure. Dans la région que je représente, il y a à mon sens trop peu de travaux d’intérêt général. Il faut multiplier les réunions entre magistrats et associations d’élus, il faut faire en sorte que les procureurs et les magistrats proposent cette mesure, que les avocats eux-mêmes prennent l’initiative, et que l’intéressé accepte, évidemment, car il n’est pas question de travail forcé. Le travail d’intérêt général est conçu pour remplacer une sanction. Les juges d’application des peines pourront décider de son contenu, après avoir consulté les conseillers d’insertion et de probation. Si le condamné ne respecte pas ses obligations, il devra être incarcéré.

Il faut comprendre que la contrainte pénale est une chance, et non pas une aggravation de la peine ferme. Tout individu qui peut en bénéficier doit donc l’admettre comme telle, et s’il ne respecte pas ses obligations, alors la sanction doit tomber.

Il vous faudra des moyens, madame le garde des sceaux, nous en avons parlé. Vous les avez d’ailleurs obtenus, et je sais que vous vous battrez pour les conserver. Sans moyens consacrés au suivi, en effet, il sera extrêmement difficile d’appliquer la mesure.

M. Nicolas Dhuicq. C’est juste !

M. Alain Tourret. Le deuxième chapitre du projet de loi concerne l’aménagement des peines. Il ne s’agit pas d’une libération automatique aux deux tiers de la peine, comme on a pu l’entendre, mais d’un examen obligatoire de la situation de chacun des détenus à ce moment. Voilà une excellente chose ! Tous ceux qui connaissent la situation des personnes incarcérées savent qu’un individu change, en prison : comment croire en effet que quelqu’un incarcéré en 2000 sera le même en 2014 ? C’est un autre homme ! Il est donc nécessaire de discuter avec lui et d’envisager ce qui peut être fait dès lors qu’il a effectué les deux tiers de sa peine, afin de voir si sa libération sous contrainte est opportune – il n’est évidemment pas question d’une obligation. Il faudra naturellement que les individus concernés soient suivis le mieux possible, en particulier en cas d’infractions sexuelles.

En revanche, je suis en désaccord avec vous, madame le garde des sceaux, concernant la loi Dati. Mme Dati n’était certes pas le plus grand ministre que l’on ait pu envisager, mais elle a au moins fait une excellente chose en portant de un à deux ans la possibilité d’aménagement des peines lorsque celles-ci étaient prononcées de manière ferme par les tribunaux. Il y a un très grand nombre de condamnations dans cette fourchette d’un à deux ans d’emprisonnement. Il ne s’agissait pas d’une obligation d’aménagement de la peine, mais d’une simple possibilité. Nous avons ramené ce seuil à un an pour faire la preuve que nous ne sommes pas laxistes : à mon sens, c’était inutile. Certes, le rapporteur a essayé de trouver une solution acceptable, tout en tenant compte de la situation des récidivistes. À titre personnel, et je le lui ai dit, je crois qu’il ne fallait pas changer la loi en vigueur actuellement et je défendrai des amendements en ce sens.

Troisième volet de la loi : la suppression des peines plancher. On a déjà dit tout et son contraire sur ces peines plancher, dont le principe consiste à s’attaquer aux récidivistes en alourdissant de facto les peines qu’ils encourent. Certes, les magistrats avaient la possibilité, par motivation spéciale, de ne pas les respecter. À cet égard, l’argumentation de M. le rapporteur est paradoxale : il y en aurait eu tellement peu qu’il ne serait pas la peine de les maintenir ! Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. Ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas assez efficaces qu’il faut les supprimer ! La droite nous proposera d’ailleurs, car c’est sa logique, des amendements pour les renforcer. Non, nous sommes là dans le symbole, dans la philosophie. Qu’on le veuille ou non, la peine plancher porte à l’automaticité de la peine, remet en cause l’individualisation de la peine. Je ne l’accepte pas, de même que je ne saurais accepter le caractère automatique d’un certain nombre de sanctions. Rappelons-nous la relégation : elle était automatique après sept condamnations. Cela a été l’un des progrès du droit pénal et de l’humanité que de renoncer à ces effets automatiques.

J’irai plus loin encore : je ne peux comprendre que l’on retire automatiquement le permis de conduire aux automobilistes qui ont perdu douze points sans examiner leur situation – c’est ce que l’on appelait jadis le « permis blanc ». Il faut systématiquement supprimer toute notion d’automaticité. Il peut certes y avoir automaticité si le magistrat estime qu’elle est la conséquence soit de l’infraction, soit de l’attitude de l’individu, mais il ne saurait y avoir d’automaticité sans motivation. Or, la notion même de peine plancher recèle ce caractère automatique, et je la conteste pleinement.

J’ai proposé la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs au profit de la justice pour les enfants, laquelle a démontré son efficacité et son sens de l’humain. Au contraire, je ne suis pas certain que les tribunaux correctionnels soient tout à fait efficaces.

J’en viens à la situation des femmes en prison : vous savez que c’est l’un des combats de ma vie. Je ne peux admettre que l’on traite de manière identique les hommes et les femmes en prison. Pourquoi ? Parce que la prison, comme le délit, est avant tout une affaire d’hommes.

M. Nicolas Dhuicq. Ah bon ?

M. Alain Tourret. En effet, 97,5 % des crimes sont commis par des hommes.

M. Nicolas Dhuicq. Certes.

M. Alain Tourret. Les femmes ne représentent qu’environ 2,5 % de l’ensemble de la population carcérale. Or, il arrive que les femmes emprisonnées attendent un enfant, ou qu’elles aient déjà un jeune enfant. En tant qu’humaniste, je ne saurais admettre qu’une femme enceinte depuis plus de trois mois puisse être placée ou maintenue en détention. En effet, dans ce cas, c’est l’enfant que l’on condamne, et non la femme ! Chacun peut comprendre que la situation d’un petit être à naître d’une femme incarcérée est insupportable, qu’il en demeurera marqué à vie, tant le stress de la mère lui est transmis. Vous savez toute l’admiration que j’ai pour vous, madame le garde des sceaux : cela ne peut continuer ainsi. Il y a tellement peu de cas – cinquante-quatre ! Et encore ai-je proposé que les condamnations pour crimes et les délits commis contre les enfants soient exclus. C’est un symbole, cette mesure – mais ce symbole est parfois un petit enfant condamné à la prison alors même qu’il n’est pas encore né.

Après l’accouchement, il arrive dans certaines prisons que les mères restent avec leur enfant jusqu’à l’âge de dix-huit mois, voire vingt-quatre mois lorsque l’administration le décide. Ensuite, l’enfant est repris. Je vous propose, madame le garde des sceaux, que la mère d’un enfant de moins de dix-huit mois puisse l’élever dans un lieu autre, et qu’elle vienne ensuite effectuer sa peine de prison.

M. Nicolas Dhuicq. Cela revient au même !

M. Alain Tourret. Il ne s’agit pas de protéger les femmes, mais de protéger les enfants ! Je ne veux pas que l’enfant soit élevé en prison, car toutes les études européennes dont je dispose, et j’y reviendrai longuement lors de la défense de mes amendements, démontrent qu’à partir du huitième ou du neuvième mois, l’enfant ressent l’enfermement et qu’il en est définitivement marqué. Peut-on l’accepter ? Non, évidemment.

Cette loi était attendue, madame le garde des sceaux. Elle est le fruit d’un compromis qui en assure la pérennité. Nous serons donc derrière vous. Vous êtes une femme courageuse, une femme de passion, une femme qui défend parfaitement ce texte. Oui, chère Christiane Taubira, nous serons avec vous pour voter cette loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Matthias Fekl.

M. Matthias Fekl. Je veux avant toute chose me féliciter du travail accompli par le rapporteur et par le Gouvernement, ainsi que de la méthode qui a conduit à l’élaboration de ce texte, depuis la conférence de consensus jusqu’à la concertation et au travail de fond que vous avez effectué, madame la garde des sceaux, dans un contexte souvent difficile, parfois même haineux. Vous avez été la cible privilégiée d’attaques indignes de la part de certains. Vous ne chantez pas toujours madame la garde des Sceaux, mais vous nous enchantez ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.– « Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Ce travail de fond est d’autant plus remarquable qu’il tranche avec les dix dernières années, au cours desquelles notre droit pénal a été transformé en outil passionnel de communication. Mme Pochon a parlé de « populisme pénal » : c’est tout à fait juste, puisque vingt-sept lois pénales ont été adoptées entre 2002 et 2012, dont un tiers dans la foulée immédiate de faits qui avaient retenu l’attention des médias et suscité l’émotion.



Nous sommes désormais engagés dans un travail de fond, car ce dévoiement de notre droit au service de la communication a en réalité abouti à des résultats désastreux. Le taux de récidive a doublé entre 2001 et 2011, alors même que toutes ces lois étaient votées. La chaîne pénale a été désorganisée et la suspicion jetée sur l’ensemble de ses acteurs. J’ajoute à cela les fermetures de tribunaux décidées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, qui a débouché sur la création de plusieurs déserts judiciaires. Fort heureusement, à la demande du Président de la République, vous y avez remédié avant même la présentation de cette réforme pénale en rouvrant des tribunaux et en créant des chambres détachées, y compris dans le Lot-et-Garonne, que j’ai l’honneur de représenter à l’Assemblée nationale. Toutes ces mesures sont autant d’avancées concrètes.



Notre seul souci, en effet, doit être non pas celui de la communication ou de l’affichage, mais celui de l’efficacité des sanctions, qui doivent être justes, rapides, pertinentes et adaptées. C’est le souci de l’efficacité de la prison, dont M. Tourret vient de rappeler qu’elle n’est plus au rendez-vous, et de l’efficacité de la réinsertion, le souci de l’efficacité pour les victimes qui, pour la première fois depuis plusieurs années, bénéficieront d’efforts déployés en leur faveur – pas seulement aux journaux télévisés de 20 heures sur les grandes chaînes, mais des efforts concrets sur le terrain, avec des moyens en conséquence.



L’efficacité guide l’ensemble des réformes qui sont proposées aujourd’hui, comme la contrainte pénale ou la volonté de préparer les sorties de prison en évitant les sorties sèches. D’où le travail sur l’individualisation des peines et la suppression des peines plancher, qui ont créé en tout environ 15 000 années d’emprisonnement supplémentaires sans aucune efficacité, sans aucun résultat notamment sur le terrain de la récidive.



C’est aussi l’efficacité qui guide l’allocation des moyens, avec la construction de nouvelles places de prison qui, contrairement à l’habitude qui avait été prise, sont cette fois budgétées, avec des emplois supplémentaires pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation, avec les postes de magistrats et de greffes qui font si cruellement défaut, ce qui place notre pays tout à la fin des comparaisons européennes et internationales.



Il y a un point sur lequel j’espère, et je parle ici en mon nom propre, voir des avancées pendant les débats parlementaires : la question des rétentions de sûreté.



M. Marc Dolez. Très bien !

M. Sergio Coronado. Bravo !

M. Matthias Fekl. Sergio Coronado a rappelé à quel point elles étaient une rupture fondamentale avec notre droit républicain tel qu’il existe depuis 1789, que la loi de 2008 a complètement bouleversé. Elles ont été condamnées avec force par Robert Badinter, par Pierre Joxe qui les a qualifiées de « honteuses », par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui en a souligné le caractère inutile et par Pierre Mazeaud, qui a jugé qu’il s’agissait d’un mauvais principe et d’une mauvaise mesure. J’espère que nous pourrons replacer le droit pénal dans la continuité de notre droit républicain tel qu’il est issu des principes de 1789.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Matthias Fekl. Madame la garde des sceaux, ce texte comporte de nombreuses avancées, des réformes efficaces, pragmatiques et républicaines. Si les arbitrages gouvernementaux et présidentiels sont légitimes, les débats parlementaires le sont tout autant. Dans aucune autre grande démocratie au monde, on ne verrait un inconvénient à ces débats et on ne les mettrait en scène comme autant d’affrontements, alors qu’il s’agit simplement de l’expression de la démocratie.

C’est dans cet état d’esprit loyal et exigeant que nous abordons ces travaux, que nous soutenons la philosophie globale qui préside à ce texte et que nous espérons le voir évoluer sur les points que plusieurs d’entre nous ont évoqués. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines que nous examinons aujourd’hui aurait pu être l’occasion de jeter les fondements d’une politique pénale ambitieuse répondant aux enjeux et aux besoins d’une justice pour tous et comprise par tous.

Tel n’est malheureusement pas le cas. Ce texte manque de hauteur et de souffle. Mais il est vrai que l’un de vos objectifs était, comme souvent, de détricoter ce que le précédent gouvernement avait fait (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe SRC)

M. Philippe Meunier. Comme d’habitude !

M. le président. Mes chers collègues, écoutons Mme Dion !

Mme Sophie Dion. …en supprimant les peines plancher. Par des formules incantatoires, vous tentez de donner un peu d’ambition à votre texte. Vous proclamez, à l’article 2, le principe de l’individualisation de la peine.

M. Sergio Coronado. C’est un principe du droit !

Mme Sophie Dion. Merci de le rappeler ! Ce principe est en effet appliqué quotidiennement par les juges. Il a valeur constitutionnelle depuis bien longtemps.

Mme Elisabeth Pochon. À part pour les peines plancher.

Mme Sophie Dion. Ce principe, nous le devons à Beccaria, que certains d’entre vous connaissent, auteur d’un magnifique Traité des délits et des peines. Il a été érigé dès le XVIIIe siècle comme une règle fondamentale de notre droit. Ce n’est donc pas une invention de votre gouvernement !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ça, c’est petit !

Mme Sophie Dion. Vous auriez pu, au prétexte de ce texte, réfléchir au rôle, au fonctionnement des parquets ou à la réforme de la filière de probation réclamée par l’administration pénitentiaire. Ces suggestions sont celles de quelqu’un que vous connaissez bien, votre Premier ministre, Manuel Valls, alors qu’il était ministre de l’intérieur. Car, cela a déjà été souligné par de nombreux orateurs, votre texte, madame la garde des sceaux ne fait pas l’unanimité, c’est le moins que l’on puisse dire, même au sein de votre propre famille politique.

Au nom d’une idéologie empreinte de bons sentiments et de bonnes intentions – mais tout cela fait-il une bonne politique ? – selon laquelle l’incarcération nuit à la réinsertion, vous fondez votre texte sur les peines alternatives à l’emprisonnement, en instaurant la contrainte pénale, sur la suppression des peines plancher pour les récidivistes, sur la mise en place de mesures de suivi pour les sorties de prison et sur le développement d’un mode de résolution des litiges par la transaction.

Ce sont, pour certaines d’entre elles, des mesures que nous connaissons. En ce qui concerne l’aménagement des peines, nous disposons déjà, cela a été rappelé, de nombreux dispositifs alternatifs à l’incarcération : les travaux d’intérêt général, qui existent depuis trente ans et donnent de bons résultats pour les petits délits ; le sursis simple ; le sursis avec mise à l’épreuve ; les jours-amende ; les peines de confiscation ; les stages de citoyenneté ; le placement sous surveillance électronique ou le bracelet électronique ; la semi-liberté ; le suivi socio-judiciaire ; les peines restrictives de droit… Autant de facultés offertes au juge pénal, qu’il conviendrait de promouvoir, d’encourager, de réformer avant d’en créer d’autres.

Car, nous le savons, les moyens dont disposent les services d’insertion et probation ne permettent pas aujourd’hui de suivre les peines alternatives existantes de manière satisfaisante. Comment ferez-vous avec ce nouveau dispositif qu’est la contrainte pénale ? Quelle assurance avons-nous que les moyens humains et financiers seront à la hauteur des enjeux ?

M. Philippe Meunier. Aucune !

Mme Sophie Dion. Permettront-ils de vérifier l’application effective de cette peine, de contrôler et de suivre les personnes condamnées pour des délits graves ? Vous proposez la création sur trois ans de 1 000 postes de personnels d’insertion et de probation. Vous savez bien que ce nombre est notoirement insuffisant.

Dans ces conditions, quelle crédibilité accorder à ce texte ? Vous mettez en œuvre une justice pénale sans moyens, élaborée sans véritable réflexion, qui fait fi de la garantie de tout citoyen à son droit à la sécurité et qui méconnaît l’intérêt des victimes.

Personne, sur ces bancs, n’est pour le tout carcéral. Chacun sait que la prison peut avoir des effets extrêmement pervers. Pour certains, c’est la récidive, pour d’autres le basculement dans un radicalisme religieux, véritable fléau. Pour autant, la prison a une fonction sociale, qui est de protéger la société contre les personnes dangereuses et de rassurer les victimes. C’est aussi une autre voie vers la réinsertion des détenus, une voie pour lutter contre la récidive. Il faut travailler à l’amélioration des conditions de détention, qui doivent être compatibles avec le principe de la dignité qui doit être offerte à tout être humain. Il faut s’attacher à l’enseignement, à la formation professionnelle, à l’application du droit au travail en milieu carcéral. C’est la condition pour que les détenus retrouvent, à leur sortie de prison, une place normale dans la société. Or, ce droit à la dignité, vous n’en parlez pas ; cette volonté de faire de la vie en prison une vie normale ne figure pas dans les objectifs de ce texte.

Vous avez dit tout à l’heure, madame la garde des sceaux, que le temps passé en prison devait être un temps utile. Je crois que votre texte passe à côté de cet objectif et que vous ne vous êtes pas préoccupée de traiter de la vie en prison, qui est pourtant une question essentielle. Vous passez à côté des vrais sujets et nous restons sur notre faim. Le monde de la justice et l’ensemble des justiciables attendaient autre chose. Là encore, nous sommes déçus. C’est pourquoi nous ne voterons pas le texte que vous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Madame la ministre, avec ce texte, vous arrivez au sommet de votre art, l’art de votre gigantesque vision doctrinaire et idéologique. Rien ne vous arrête : ni l’impopularité historique de votre gouvernement, ni les désaveux électoraux cinglants que vous avez subis.

M. Matthias Fekl. Ni vous !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Qu’importent les aspirations du peuple tant que l’on peut bouleverser la société avec sa petite majorité docile entre les murs feutrés de l’hémicycle !

Ce gouvernement joue au bonneteau avec les Français, nous imposant ses poncifs, ses leçons de morale permanentes (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe SRC) et ces distributions de brevets de civisme dont M. Valls a le secret, comme il en a fait la démonstration aujourd’hui encore.

Je vous reconnais au moins un mérite : la justesse du constat. C’est vrai, la politique pénale de ces dernières années est un échec. La délinquance et la récidive n’ont cessé d’augmenter, sous l’UMP et sous votre majorité, en dépit des froncements de sourcils de l’ex-ministre de l’intérieur.

Mais face à ce constat, vous écartez les causes réelles : la sous-budgétisation et les sous-effectifs des forces de l’ordre, de la justice et de l’administration pénitentiaire, l’engorgement des tribunaux, un nombre de places de prison qui ne correspond pas à l’importance de la population, des conditions de détention entraînant l’impossibilité de sectoriser les détenus selon leur profil, une immigration intra et extra-européenne incontrôlée, inassimilée et même désassimilée de génération en génération, méprisant le contrat social et les lois de la République,…

M. Denys Robiliard. Amalgame !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …une législation devenue inadaptée à la délinquance des mineurs, le laxisme désastreux dont font preuve vos amis du Syndicat de la magistrature, et j’en passe.

Qu’importent les témoignages concordants des acteurs et des spécialistes de la lutte contre la délinquance, vous êtes portés par un seul argument quasi religieux : le délinquant est une victime de la société, le récidiviste une victime de la prison.

M. Denys Robiliard. Caricature !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Le milieu social défavorisé est toujours la principale excuse pour minimiser la responsabilité du coupable. La prison serait l’école du crime. La victime n’a qu’à bien se tenir.

Le tout carcéral français que vous avancez pour défendre votre texte est un mythe : le taux d’incarcération, de 117 pour 100 000 habitants en France, est plus faible que l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe ! Et 50 % seulement des peines comprennent de la prison, 20 % de la prison ferme. Environ 80 000 peines de prison prononcées chaque année demeurent inexécutées.

Ce texte est marqué du sceau de l’injustice : les victimes en sont les grandes oubliées. Vous poussez à l’extrême le principe d’individualisation de la peine. Ce principe, figurant déjà à l’article 132-24, est bien sûr un gage d’équité et d’humanité, qu’il ne faut pas remettre en cause. Mais votre texte va beaucoup plus loin en incitant le juge à se livrer à une analyse de plus en plus subjective sur le caractère, la situation et la vie privée de la personne. Ainsi, c’est moins l’acte qui sera jugé que la personnalité de l’auteur de l’infraction.

Que soient reconnues des circonstances aggravantes ou atténuantes est une chose, mais réaliser des investigations complémentaires sur la personnalité et la situation sociale du prévenu, comme le prévoit votre article 4, en est une autre. Le risque est bien évidemment celui d’une justice à la carte, pouvant conduire à de véritables procès d’intention, pour ne pas dire de personnalité.

Dans le même esprit, vous supprimez les peines plancher, considérant que le récidiviste ne doit pas subir par principe une peine minimum légalement plus élevée. C’est oublier que ce dispositif n’avait rien d’automatique, si tant est que le magistrat motivait sa non-application. Cette suppression est logique de votre part puisque, dans votre article 1er, vous omettez sciemment deux fonctions essentielles de la peine, la dissuasion et la protection, pour ne plus citer que la sanction et la réinsertion.

Cette rédaction révèle bien que l’esprit qui vous anime se soucie avant tout du coupable et non de la victime qui, elle aussi pourtant, attend justice. Que vous le vouliez ou non, la meilleure des préventions reste la peur de la sanction. C’est un signal désastreux que vous envoyez aux voyous en instaurant une peine alternative à la prison, dite « contrainte pénale », pour les délits de cinq ans d’emprisonnement et moins – ou pour tous les délits même, selon le texte que vous avez laissé amender en commission !

Il s’agit, ni plus ni moins, d’un dispositif déjà existant, le sursis avec mise à l’épreuve, que vous systématisez afin d’éviter la prison à l’immense majorité des condamnés. Soyons clairs : nous ne parlons pas là de vol de bicyclette mais de coups et blessures volontaires, de trafic de stupéfiants, de profanation de cimetière, d’exhibition sexuelle dans un lieu public, d’agression sexuelle et de braquage si l’amendement socialiste est maintenu. Il y a là un oubli total du besoin de justice de la victime portant en lui le risque de vendettas et de soifs de justice inassouvies !

De même, l’aspect dissuasif s’efface complètement au profit d’une pseudo-rééducation dont le suivi et le contrôle effectif laissent tout à craindre. En effet, 175 200 personnes sont déjà suivies en milieu ouvert, soit deux fois et demie le nombre de personnes incarcérées. Un tel afflux empêche les services de probation d’assurer le contrôle des obligations et interdictions prononcées par la justice. Les contrôles de domicile ne peuvent plus être assurés régulièrement. En région parisienne, certains tribunaux se sont résignés à accorder des permissions pour la totalité du week-end jusqu’au lundi soir. Cela signifie que les condamnés ne restent effectivement sous surveillance que trois jours par semaine ! Compréhensible, dès lors qu’un juge d’application des peines traite en moyenne 120 dossiers…

Par conséquent, comment assurer la surveillance alourdie de la contrainte pénale, sachant que 45 % des individus condamnés à une peine alternative à la prison ont récidivé ? On se souvient de la triste affaire Tony Meilhon, qui a tué en 2011 la jeune Laetitia Perrais alors même qu’il était sous le coup d’un sursis avec mise à l’épreuve, soit l’équivalent de votre contrainte pénale.

Mme Elisabeth Pochon. Il s’agit d’un crime ! Il n’en est pas question ici !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Le projet de loi aggravera la lenteur de la justice. Alors même que 100 000 peines sont officiellement en attente d’exécution chaque année, dont 20 000 peines de prison fermes, l’article 4 crée une césure dans les procès, en particulier pour les comparutions immédiates. Il en résultera un retard supplémentaire de la mise à exécution des peines. Les défenseurs du projet de loi s’apprêtent à vider les prisons et ne s’en cachent pas ! Dominique Raimbourg, rapporteur du texte, n’a-t-il pas déclaré le 28 avril que l’objectif de la réforme pénale n’était pas de vider les prisons, mais que cela en serait l’une des conséquences ? En effet, la fin, à l’article 6, de la suppression automatique du sursis aura pour conséquence de vider purement et simplement les prisons, car 80 % des incarcérations des récidivistes font suite à des révocations de sursis simple. Le sursis est un pilier du droit pénal et un contrat de confiance passé entre le condamné et le juge. Supprimer sa révocation automatique en cas de nouvelle infraction revient à lui ôter toute raison d’être.

Dans la même spirale égalitariste, l’article 7 va plus loin dans la négation des différences entre le primo-condamné et le récidiviste en mettant à niveau le seuil à partir duquel la juridiction peut aménager la peine d’emprisonnement. C’est un signal contre-productif envoyé à une société en quête d’exigence et de sévérité envers les délinquants. L’article 17 du projet de loi révèle toute son ampleur libertaire : il instaure un examen obligatoire aux deux tiers de la peine d’une personne condamnée à une ou plusieurs peines d’enfermement d’une durée totale supérieure ou égale à cinq ans, et après dix-huit ans dans le cadre d’une condamnation à perpétuité, en vue de l’octroi d’une libération conditionnelle. Vous incitez une fois de plus, madame la ministre, à l’allégement des peines des criminels les plus dangereux. C’est oublier que, le criminel derrière les barreaux, le citoyen honnête dort tranquille ! Je n’ai aucun complexe à dire que je préfère voir le meurtrier mourir en prison si l’horreur de ses crimes le justifie pour le bien-être de la société.

Mme Cécile Untermaier. Il n’est pas question ici des crimes !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Tout à l’heure, M. le Premier ministre a rappelé sa crainte de voir progresser le Front national dans le cœur des Français. Continuez de la sorte, sacrifiez les Français et leur sécurité sur l’autel du laxisme et nous nous ferons un plaisir d’abroger vos textes en 2017 !

Mme Elisabeth Pochon. Désinformation ! Propagande !

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, Dominique Raimbourg, rapporteur de ce texte, a reconnu lui-même qu’il aura pour conséquence de vider les prisons, comme nous nous en inquiétions à juste titre. Dès lors, vous voilà contrainte de renoncer à ce projet de loi irresponsable, sous peine d’assumer devant les Français, qui y sont hostiles à 75 %, une nouvelle explosion de la délinquance et du nombre de ses victimes.

L’inscription d’une telle réforme à notre ordre du jour selon la procédure accélérée, trois jours seulement après son examen en commission des lois où elle a été de surcroît largement réécrite au fil des amendements du rapporteur et de la majorité, « bride la capacité d’expertise du Parlement », selon les termes exacts du président Urvoas.

M. Sergio Coronado. Démagogie !

M. Philippe Goujon. Et traiter d’inqualifiables les critiques émises par l’opposition n’empêchera pas, madame la garde des sceaux, que vous souffriez de les entendre, malgré vos efforts et ceux du Gouvernement pour que votre loi censée être fondatrice soit examinée en catimini, après les élections bien entendu, et avec précipitation, c’est-à-dire tout à fait à l’inverse de ce qui serait nécessaire pour bien légiférer, surtout dans une matière aussi délicate. Il faut néanmoins vous reconnaître le mérite de la cohérence : le texte s’inscrit en effet dans le droit fil de votre circulaire pénale du 19 septembre 2012 et du rapport Raimbourg, qui ne proposait rien moins qu’un numerus clausus dans les prisons.

Contrairement à vos affirmations, d’ailleurs, la France incarcère assez peu, comme l’a confirmé le classement établi par le Conseil de l’Europe. Une étude du chercheur Pierre-Victor Tournier confirme que seules 21 % des 51 % de peines de prison prononcées dans les jugements chaque année sont suivies d’une incarcération. Et si l’état de surpeuplement des maisons d’arrêt est avéré, c’est en raison de votre renoncement à construire suffisamment de places de prison. Pourtant, aucun État ayant créé une nouvelle peine en milieu ouvert n’a jamais obtenu une réduction de l’incarcération. Le plus grave, madame la garde des sceaux, c’est que votre réforme érige en dogme le refus de punir, comme en atteste la suppression par l’article 11 de toute référence à la sanction du condamné telle qu’elle figurait dans le titre préliminaire de la loi pénitentiaire.

La contrainte pénale s’inscrit pleinement dans cette démarche. Et, comme s’il ne suffisait pas de l’appliquer aux délits passibles de cinq ans de prison au plus, qui peuvent être aussi graves que des atteintes sexuelles et des violences aux personnes, vous avez laissé un amendement socialiste l’étendre à tous les délits, y compris les plus graves, punis de dix ans de prison comme les viols, les violences avec circonstances aggravantes, les atteintes sur mineur, le trafic de drogue, les actes de barbarie et même la préparation d’actes de terrorisme ! Quelle perspicacité… Ce n’est qu’au prix d’un nouveau cafouillage gouvernemental et même, dit-on, d’un sévère recadrage élyséen, que vous renoncerez peut-être à la fuite en avant vers l’impunité la plus large. Son application conduirait en effet à libérer de 20 000 à 25 000 détenus sans même que les services pénitentiaires d’insertion et de probation ne soient en mesure d’en assurer le suivi. Le Conseil d’État a pourtant noté dans son rapport l’insuffisance des études d’impact, vous appelant à renforcer les moyens nécessaires dans les juridictions d’application des peines et les SPIP. Surtout qu’il s’agit de procéder à des libérations anticipées à la chaîne !

L’inversion de la logique de révocation du sursis avec mise à l’épreuve en cas de non-respect des obligations et interdictions est tout à fait symptomatique de la culture de l’excuse, pour ne pas dire de l’impunité, qui inspire l’ensemble de votre texte, madame la garde des sceaux. La limitation à la moitié de la durée de contrainte pénale de toute velléité d’emprisonnement par les juges d’un condamné ne respectant pas ses devoirs ne l’est pas moins. En outre, il ne semble pas être constitutionnel, comme le faisait remarquer Robert Badinter lors de son audition devant le Sénat, qu’un même fait soit jugé deux fois – non bis in idem. En réalité, non seulement vous abrogez les peines plancher, mais vous instituez des peines plafond ! Et là, on ne vous sent plus du tout embarrassée par la limitation de l’autonomie de décision du juge…

Par pur dogmatisme, vous faites disparaître les peines plancher, prononcées certes dans un tiers des cas, mais les plus nécessaires, comme les violences aux personnes et atteintes sexuelles. Elles sont très peu nombreuses, comme M. le rapporteur semble le regretter, car elles ne concernent que les cas de récidive légale. Au lieu de les supprimer, nous vous proposerons au contraire dans nos amendements de les étendre à la réitération.

Votre absolution de la récidive, madame la ministre, s’étend aux crédits de réduction automatique de peine, désormais identiques que le condamné soit ou non récidiviste, comme à la levée de la limitation du nombre de sursis avec mise à l’épreuve pour les récidivistes et les auteurs de violences sexuelles ou encore à la libération des condamnés aux deux tiers de leur peine, ou au bout de dix-huit ans pour les reclus à perpétuité. Mais il est vrai que vous avez affirmé, lors de la conférence dite de consensus, que « la récidive est partie intégrante du parcours de réinsertion » ! Vous confondez me semble-t-il réinsertion et impunité.

La dimension moralement réparatrice pour la victime de la peine de prison est complètement absente du texte, comme si la réparation financière comptait davantage. L’obligation faite au juge de prendre en compte les ressources, les charges et la situation du condamné aboutira en fait à une justice à deux vitesses, corrélée au niveau socio-économique du délinquant. La possibilité d’ajournement du procès pendant un an à des fins de provisionnement laisse penser que la trésorerie de la justice importe plus à vos yeux que son prononcé. Il est également contestable que les dommages et intérêts non réclamés par les victimes servent à financer les associations de contrôle judiciaire au lieu d’être exclusivement consacrées aux associations d’aide aux victimes. Beaucoup plus graves encore, les articles 15 bis et 15 ter introduits par le rapporteur, qui effaceront purement et simplement la répression de tout un contentieux de masse par une dé-correctionnalisation de fait.

Ce texte excessivement dangereux et examiné à la va-vite, madame la ministre, ouvre la boîte de Pandore en conduisant à disperser dans les villes comme dans les campagnes, sans moyen suffisant pour les contrôler ni aucune préparation des acteurs de la justice et au mépris des victimes, des dizaines de milliers de condamnés souvent pour des faits graves, réduisant par ailleurs à néant le travail des policiers et gendarmes, comme l’a fait remarquer le général Soubelet.

M. Bernard Accoyer. Eh oui !

M. Philippe Goujon. Vous porterez la responsabilité écrasante d’un nouveau désastre dû à ce gouvernement, celui d’une explosion inédite de la délinquance et de la criminalité dans notre pays.

M. Alain Chrétien. Un de plus !

M. Philippe Goujon. L’histoire et les victimes vous jugeront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Ce projet de loi, au fond, s’inscrit dans une démarche ancienne, initiée dans les années 1970 et visant à lutter contre l’hégémonie ou la prépondérance de la peine d’emprisonnement. Celle-ci, selon des modalités diverses, a toujours occupé une place centrale dans notre système pénal, y compris pour la répression des infractions les plus légères. Sur le fondement de l’idée selon laquelle le tout carcéral ne constitue pas forcément une bonne réponse pour les primo-délinquants, une cohorte de textes est venue instaurer au fil des années un système à présent bien élaboré de peines alternatives à l’incarcération. Après le placement sous surveillance électronique, la mesure phare de votre texte, c’est-à-dire la contrainte pénale, madame la garde des sceaux, s’inscrit dans cette logique et ne constitue donc pas, sinon dans son vocabulaire, une réelle nouveauté, pas davantage que le principe de personnalisation des peines, qui fait partie depuis bien longtemps de nos principes fondamentaux.

Il s’agit donc en réalité d’une étape supplémentaire dans le développement des peines alternatives à l’emprisonnement, qui repose sur le pari qu’il est possible d’éviter la plupart des récidives en évitant une incarcération à un primo-délinquant et en adaptant la peine alternative au plus près de sa personnalité. Intellectuellement, l’on peut admettre que l’expérience soit tentée, même si les précédents développements ne sont pas encore pleinement convaincants. En revanche, le succès de telles mesures suppose la mise en place d’une prise en charge suffisante du délinquant, c’est-à-dire concrètement la mise à disposition des moyens nécessaires. Or, pour l’instant, les moyens n’existent pas, ni pour les SPIP ni pour les JAP, alors que les pays pionniers dans ces modes de traitement de la délinquance n’obtiennent de meilleurs résultats qu’en raison des moyens très supérieurs qu’ils y consacrent.

M. Pierre Lellouche. Eh oui !

M. Philippe Houillon. En second lieu, il est nécessaire que cette nouvelle philosophie de la peine repose sur un socle d’acceptabilité sociale, du point de vue des victimes comme de celui plus général du contrat social qui lie les membres d’une nation. Or il est prévu d’étendre le bénéfice des nouvelles mesures à l’ensemble des délits, ce qui n’est pas acceptable à une époque où les chiffres de la délinquance sont malheureusement en hausse. Surtout, madame la garde des sceaux, en supprimant pour des raisons doctrinaires les peines plancher, vous prenez deux risques : celui de décrédibiliser totalement les mesures s’appliquant aux primo-délinquants et celui de la violence et de l’accroissement de la délinquance, qui, comme chacun sait, prospère sur le sentiment d’impunité.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Philippe Houillon. En effet, vous placez les 5 % de délinquants responsables de 50 % des infractions quasiment sur un pied d’égalité avec les primo-délinquants. Que vous le vouliez ou non, il s’agit bien d’un message d’impunité adressé aux récidivistes et aux réitérants, d’une portée inverse à celui qui était véhiculé par le système des peines plancher. Pour justifier leur suppression, vous arguez de leur caractère automatique, alors même que vous savez qu’elles ne le sont pas.

Il eût été sage de conjuguer une avancée supplémentaire vers les peines de substitution concernant les primodélinquants avec le maintien d’un message de fermeté concernant les multirécidivistes et les multiréitérants : l’efficacité et l’acceptabilité sociale auraient été au rendez-vous. Ce n’est malheureusement pas le choix que vous avez fait, à la fois pour des raisons strictement doctrinaires et pour des raisons comptables, afin de résoudre le problème de la surpopulation carcérale – problème bien réel, mais alors même que la France ne présente pas un taux d’incarcération supérieur à celui des autres pays européens, ce qui tend à démontrer que la solution purement comptable n’est pas la bonne solution.

Vous avez ainsi pris à nouveau le risque d’une déstructuration de la société, et vous êtes probablement passée à côté d’un texte qui aurait pu constituer une avancée. Malheureusement, la finalité de ce texte a été faussée par des considérations idéologiques et ce n’est d’ailleurs pas, depuis le début de cette législature, le premier exemple que nous ayons d’un tel phénomène, que nous avons vu se produire sur tant de sujets…

M. Bernard Accoyer. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Philippe Houillon. …ce qui explique sans doute, au moins en partie, l’actuelle cote de popularité du Président de la République et de votre gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard.

M. Bernard Gérard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, annoncé à plusieurs reprises, débattu au sein même du Gouvernement, repoussé à dessein après les élections municipales, puis européennes, le texte qui nous est soumis aujourd’hui aura traversé un parcours pour le moins chaotique et aura survécu aux critiques légitimes dont il fait l’objet depuis presque un an maintenant. Ces critiques justifiées s’appuient sur un constat empreint de réalisme : la terrible montée de la délinquance sur l’ensemble du territoire. Cette situation a été mise en avant par les forces de l’ordre et par les préfets, et nous-mêmes, en tant qu’élus de terrain, notons les préoccupations de nos concitoyens à cet égard.

Quoi qu’en dise donc la majorité, c’est bien un texte qui fait polémique et qui ne répond nullement aux attentes des Français puisque, selon les sondages, ils sont 75 % à y être opposés. Polémique au sein de la population, mais également au sein du Gouvernement, comme en attestent les nombreuses réserves exprimées l’été dernier par le Premier ministre, qui dénonçait un texte reposant sur un socle de légitimité fragile, à savoir les conclusions de la conférence de consensus, qui ont fait l’objet de réserves au sein même de la magistrature.

Rien n’aura donc entamé votre détermination à faire aboutir ce mauvais texte, ni les mises en garde du général Soubelet devant notre assemblée, ni le message envoyé par les préfets faisant part du découragement des forces de l’ordre face à l’insuffisance de la réponse judiciaire à la délinquance. Aussi, comment comprendre la volonté de mettre en place une réforme qui s’inscrit à contre-courant de ces préoccupations et des attentes des Français ?

Vous dites vous baser sur une analyse du réel, mais aujourd’hui les remontées du terrain corroborent les craintes suscitées par votre texte : alors que les acteurs locaux – police, élus et services sociaux – se mobilisent pour agir de concert en prévention de la délinquance, notamment au sein des ZSP que vous venez de créer, alors que les élus et les forces de l’ordre se mobilisent pour élucider les faits de délinquance via la vidéoprotection notamment, les forces de l’ordre sont découragées face au manque de réponse pénale. Quant à nos concitoyens, ils sont dans une incompréhension totale.

Or, de nombreuses dispositions du texte vont venir affaiblir la force dissuasive de la sanction, avec pour effet prévisible une recrudescence de la délinquance. Par votre texte, la sanction devient en effet relative, comme en atteste son article 6, qui met fin au principe de révocation automatique du sursis. En conditionnant la révocation du sursis à une décision de la juridiction prononçant la nouvelle peine, le présent projet de loi met en péril le principe même de cette sanction et son efficacité, en lui conférant un caractère relatif. Le sursis tire justement sa force du principe de sa révocation en cas de commission d’une nouvelle infraction. Si la révocation doit être prononcée par la juridiction ayant à connaître de la nouvelle sanction, elle perdra tout son sens et la nouvelle sanction absorbera l’ancienne. Une forme d’impunité sera donc consacrée.

La deuxième disposition qui vient fragiliser la notion de sanction pénale est la contrainte pénale. Ce dispositif, outre le fait qu’il est complexe, qu’il va venir alourdir le travail des juridictions et entraîner un allongement des délais d’exécutions des peines, vient simplement habiller l’existant. En effet, il n’apporte aucune amélioration par rapport au sursis avec mise à l’épreuve. Les obligations susceptibles d’être fixées au condamné ainsi que les mesures de suivi sont identiques. L’argument essentiel du Gouvernement pour justifier la nécessité de la création de cette nouvelle peine serait la mise en œuvre d’un suivi renforcé pour ces mesures. Cependant, compte tenu du manque d’effectifs patent dans les services d’insertion et de probation, et surtout du manque de juges d’application des peines, on peut craindre que la contrainte pénale ne soit pas, faute de moyens, plus contraignante qu’un sursis avec mise à l’épreuve. Il faut aussi souligner le périmètre très large de cette nouvelle peine : elle concernera aussi bien les atteintes aux biens qu’aux personnes ; les primodélinquants que les récidivistes. Notre commission des lois l’a même étendue aux délits allant jusqu’à dix ans – où va-t-on ?

Vous souhaitez aller dans le sens d’une impunité généralisée dans notre pays. À plusieurs reprises, madame la ministre, je vous ai demandé le retrait de ce projet de loi, qui ne me paraît pas de nature à lutter efficacement contre la délinquance et la récidive, mais plutôt, au contraire, à renforcer l’insécurité au détriment des Français, notamment des victimes. Je n’ai pas changé d’avis, et regrette que, contrairement à ce que vous avancez, ce texte ne traite que très partiellement des victimes, dont il rappelle simplement les droits existants. Afin que les droits des victimes soient mieux pris en considération, j’ai déposé plusieurs amendements les concernant. Comme l’ont dit mes collègues, la majorité n’a pas le monopole de la justice et de l’humanisme – cet équilibre exigeant entre le sort des délinquants emprisonnés et celui, ô combien oublié, des victimes. En tout état de cause, je ne pourrai en aucune manière voter pour un texte qui oublie complètement les victimes du quotidien. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la justice et la sécurité sont les droits les plus inaliénables des citoyens. Pourtant, il reste beaucoup à faire pour que cette maxime devienne une réalité vécue par tous sur l’ensemble du territoire national. Assurer la sécurité de la population est la raison d’être et la mission première des gouvernants. Sans sécurité, il n’y a pas de liberté possible. Cependant, pour garantir la sécurité de nos concitoyens, même si l’arsenal législatif est de première importance, il ne suffit pas. Il faut, parallèlement, mettre en place les moyens humains et matériels nécessaires pour prévenir et lutter contre l’insécurité.

Cette lutte contre l’insécurité ne peut être efficiente que si tous les maillons de la chaîne de la sécurité fonctionnent efficacement : la police, la justice et enfin, en aval de la justice, le maillon carcéral ou, plus généralement, celui de l’exécution des peines, qui souffre de deux problèmes : d’une part, la non-immédiateté de la sanction ; d’autre part, l’inexécution ou l’exécution partielle de la peine. Aujourd’hui, la justice n’est plus dissuasive car les peines ne sont pas appliquées, ou appliquées trop tardivement par rapport à l’acte délictueux ou criminel.

Dans un rapport « pour renforcer l’efficacité de l’exécution des peines », Éric Ciotti déclare que « le caractère certain de l’application d’une sanction rapide et proportionnée favorise la prévention du passage à l’acte, de la réitération et celle de la récidive ». Non seulement il a raison, mais la majorité des Français partage cet avis relevant du bon sens. Plus la probabilité d’être arrêté et condamné augmente, plus la délinquance diminue. C’est tout le contraire que vous nous proposez à travers ce texte, et c’est bien mal connaître la nature humaine – ou tout du moins, c’est faire preuve d’un optimisme naïf et loin des réalités. En effet, ce n’est pas tant la lourdeur de la peine qui est dissuasive que la certitude de son application par une sanction effective.

Ainsi, vouloir élargir à tous les délits la contrainte pénale, une peine qui ne prévoit pas d’incarcération, mais de simples obligations, est une faute lourde de conséquences, qui développera un climat d’impunité généralisé parfaitement regrettable. Le Président de la République vous a d’ailleurs demandé de revenir sur cet amendement. La dignité de chaque homme, y compris celle des détenus, est évidemment à considérer, mais il faut rappeler avec insistance le caractère primordial du droit des victimes qui, bien sûr, n’ont jamais choisi de l’être. Elles ont le droit d’être assurées, rassurées, du caractère certain de l’application d’une sanction exemplaire à l’encontre de leurs agresseurs.

Quant au coupable, ou au présumé coupable, si le respect de ses droits est essentiel, ne nous détournons pas du principe qui fonde toute justice et qui veut que l’on rende à chacun selon son dû. Ce principe est d’autant plus important lorsque l’on évoque la récidive. Comment se fait-il qu’un individu dont la dangerosité est manifeste, et qui a déjà été condamné pour des faits graves et similaires, puisse être laissé en liberté et commettre de nouveaux crimes ? Cette interrogation est légitime et, en l’occurrence, je doute fortement que ce projet de loi rassure les victimes, bien au contraire. En effet, chaque nouvelle victime d’un récidiviste est une insulte aux victimes précédentes, mais aussi aux fondements mêmes de notre société, comme de tristes faits divers nous le rappellent malheureusement trop souvent. Voilà pourquoi il est important de ne pas organiser l’impunité des délinquants, comme ce texte menace pourtant de le faire. La peine de prison avec sursis devrait ainsi toujours être assortie d’une autre peine, telle qu’une amende ou un travail d’intérêt général. En effet, la condamnation avec sursis n’est généralement pas considérée comme une punition, car ceux qui la subissent ont le plus souvent le sentiment d’avoir été acquittés.

Je n’oublie pas la prévention, qui doit avoir toute sa place dans le dispositif de lutte contre la récidive, et je crois que la meilleure arme est celle qui consiste à faciliter l’information de tous les acteurs sur le terrain. C’est évidemment un élément indispensable. Cependant, ces mesures ne sauraient être efficaces sans une augmentation sensible des moyens humains et matériels pour faire appliquer notre droit. Même si la conjoncture actuelle est difficile, il est absolument nécessaire pour l’État de remplir ses missions régaliennes : il y va de l’intérêt et de la sécurité de tous. C’est d’abord cela qu’attendent les Français : ils attendent avant tout des gouvernants et du législateur qu’ils remplissent convenablement leurs missions. C’est parce que ces missions ne sont pas ou sont mal remplies que les Français ont perdu confiance en leurs représentants.

Je souhaite également évoquer le problème de l’insuffisance de notre capacité carcérale. Vouloir prévenir la récidive est louable et nécessaire, certes, mais n’y a-t-il pas plus urgent à envisager et à entreprendre lorsque l’on pense à l’état de nos prisons, à la situation de surcharge carcérale, aux conditions de travail des personnels pénitentiaires et aux conditions de vie des prisonniers ? La mise à niveau et l’agrandissement de notre parc immobilier pénitentiaire constituent également une nécessité.

Contrairement à ce que vous voulez faire croire, la France n’est pas dans le « tout carcéral ». Les chiffres sont connus : notre pays compte moins de détenus et de places de prison que la moyenne européenne. Certes, la prison n’est idéale pour personne, mais sans elle, la justice perd toute crédibilité. Et face à l’argument simpliste et lâche qui consiste à dire que construire de nouveaux établissements pénitentiaires coûte trop cher, je veux dire que ce constat mériterait d’être éclairé par l’estimation de ce que coûte l’insécurité elle-même.

Pour conclure, je souhaite réaffirmer que la vraie lutte contre la récidive ne peut s’exonérer d’une réelle application des peines. En prônant le contraire – ce qui est la philosophie de cette réforme, madame le ministre –, vous mentez aux Français. Ce texte inadapté et injuste, s’il devait être adopté, amplifierait le sentiment global d’insécurité en France, et aurait de graves conséquences sur l’avenir et le quotidien de nos concitoyens. Au moment même où l’on arrête un dangereux djihadiste et où tous les efforts doivent être concentrés pour contrer ce fléau, vous envoyez un bien mauvais signal aux Français.

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1791, l’Assemblée nationale s’est posé cette question : faut-il juger l’infractant ou l’infraction ? On aurait pu imaginer un système sans magistrat dans lequel, selon les faits, un quantum de peine aurait été appliqué automatiquement. Heureusement, on a choisi de juger l’infractant. En 1832, l’introduction des circonstances atténuantes permet de s’intéresser à la personnalité et aux conditions dans lesquelles ont été commis les faits.

La question de la récidive, de l’exécution des peines et du retour du détenu dans la société a toujours été au cœur des débats jusqu’à nos jours. Cette question a été posée à chaque période de notre histoire contemporaine : la loi de 1875 instaure le principe de l’encellulement individuel pour limiter les risques de récidive. Avec les lois Bérenger de 1885 et 1891, c’est le sursis et la libération conditionnelle qui sont introduits, afin de donner aux détenus qui « manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale » une chance de réinsertion. La loi du 22 juillet 1912, qui instaure la liberté surveillée et crée les tribunaux pour enfants, est la plus ancienne des mesures de milieu ouvert, qui offre une alternative à l’incarcération, sous surveillance, mais vise aussi à introduire une dimension éducative dans la volonté de « redressement moral » du mineur.

En 1945, la réforme Amor place l’amendement et le reclassement social du condamné au centre de la peine privative de liberté. En 1958 sont instaurés le sursis avec mise à l’épreuve, le juge d’application des peines et les comités de probation. En 1983, on adopte le sursis assorti de travail d’intérêt général. Enfin, la loi pénitentiaire de 2009 vient renforcer considérablement les aménagements de peine. Quoi de plus normal que de poser aujourd’hui cette question, compte tenu de l’évolution de la population pénale et du taux de récidive de plus en plus important ?

Le texte que nous examinons s’inscrit donc dans la continuité du principe de l’individualisation des peines. Ce n’est pas un texte révolutionnaire : il s’agit plutôt d’une évolution qui complète notre droit pénal dans le bon sens.

La France a suivi un mouvement qui s’est imposé dans les pays démocratiques – je ne parle évidemment que de ceux-là –, notamment au sein de l’Union européenne, à la suite des recommandations du Conseil de l’Europe.

Notre débat doit rester serein : il n’y a pas, d’un côté, les pro-délinquants, ne jurant que par la libération des détenus et le suivi en milieu ouvert et, de l’autre, les partisans de la fermeté, dont le mot d’ordre serait « la prison pour tous ». Pour moi, les peines d’emprisonnement sont utiles, comme les peines alternatives à la prison : il ne faut pas les opposer ; elles sont complémentaires.

M. Georges Fenech. Très bien !

M. Joaquim Pueyo. En revanche, il faut donner au magistrat des moyens supplémentaires pour juger équitablement l’auteur d’une infraction, afin de permettre à ce dernier, in fine, de reprendre sa place dans la société.

Quittons la caricature : cette réforme ne videra pas les prisons, mais permettra à certains condamnés et notamment aux plus fragiles, aux plus vulnérables d’entre eux, de l’éviter. Je connais, en effet, les conséquences de l’incarcération.

Cette nouvelle peine de probation désacralisera la prison, qui incarne dans l’imaginaire collectif la sanction par excellence. Pourtant, les trois quarts des condamnés suivis par l’administration pénitentiaire le sont en milieu ouvert. Numériquement, la prison n’est plus la peine de référence, mais elle le demeure symboliquement.

Pourquoi introduire, dans le cadre de cette réforme, notamment, la contrainte pénale, qui ressemble, il est vrai, au sursis avec mise à l’épreuve ? La contrainte pénale ne sera pas adossée, comme le sursis avec mise à l’épreuve, à une peine d’emprisonnement. C’est néanmoins une véritable sanction qui met l’accent sur des obligations, des restrictions et des contrôles, mais également sur l’indispensable accompagnement socio-éducatif : nous sommes loin d’une liberté totale.

Cette nouvelle mesure permettra d’affiner l’individualisation de la peine selon les faits, la personnalité du délinquant, son environnement et les victimes, car je pense qu’il faut évidemment renforcer la dimension réparatrice vis-à-vis des victimes. Le projet de loi prend naturellement cette exigence en considération.

Permettre à un condamné d’exécuter une sanction au sein de la communauté, sous le contrôle du service pénitentiaire et du service d’insertion et de probation, ce n’est pas faire preuve de laxisme. La surpopulation carcérale, dont les records ont été battus depuis deux ans, est bien la preuve que l’autorité judiciaire n’est pas laxiste. Si l’on veut lutter efficacement contre la récidive, il faut certes, impérativement, réduire cette surpopulation. Il faudra construire de nouvelles places, comme vous l’avez d’ailleurs annoncé, madame la garde des sceaux.

Il faut également renforcer les projets d’exécution des peines, sécuriser les établissements pénitentiaires, donner les moyens aux personnels de suivre les détenus et préparer leur sortie, en renforçant notamment les mesures de semi-liberté, les placements extérieurs et les libérations conditionnelles.

D’une manière générale, toute sanction doit avoir comme objectif de faire comprendre au condamné la décision prise par les tribunaux, de lui faire prendre conscience du tort causé aux victimes et à la société, de le réconcilier avec lui-même et avec le corps social, qu’il retrouvera tôt ou tard, et de lui faire comprendre l’intérêt de la loi.

Cette réforme va dans ce sens : elle répond à ces préoccupations.

Je défendrai sur ces différents sujets une position non dogmatique. Il faudra évaluer la contrainte pénale au bout de trois ans, en tenant compte du fait, madame la garde des sceaux, qu’il existe une multitude de peines alternatives à la prison.

Cette réflexion, à l’issue de cette période de trois ans, pourrait alors déboucher sur une simplification, reposant sur le triptyque peine d’amende, contrainte pénale et peine d’emprisonnement, pour rendre les sanctions plus cohérentes et plus lisibles.

Il nous reste encore du travail à accomplir et une réflexion à mener. L’objectif est de réinsérer, de lutter contre la récidive et de faire diminuer la délinquance en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire.

M. Bruno Le Maire. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, les Français sont-ils satisfaits de leur sécurité, de leur justice, de l’application des règles dans leur pays ? Non.

Ont-ils le sentiment que le Gouvernement lutte avec efficacité contre la délinquance, l’augmentation des violences aux personnes, la multiplication des cambriolages, en particulier dans les zones rurales ? Non.

M. Sergio Coronado. Et les délits financiers ?

M. Bruno Le Maire. Souhaitent-ils que vous avanciez vers la personnalisation des peines et la contrainte pénale, comme vous la nommez ? Non.

Madame la garde des sceaux, les Français demandent-ils plus, ou moins, de respect des règles, plus, ou moins, d’autorité ? Ils veulent la garantie du respect des règles et exigent davantage d’autorité.

Vous leur proposez exactement le contraire : moins de règles, moins de dissuasion, moins d’autorité.

Ne vous étonnez pas que votre texte fasse l’objet d’un tel rejet de la part des Français, car il n’écoute pas leurs craintes et ne répond pas à leurs attentes. On ne peut pas être systématiquement, comme l’est votre gouvernement, sur tous les textes, contre le bon sens et contre l’avis du peuple français.

M. Georges Fenech. C’est une évidence !

M. Bruno Le Maire. Vous me direz que vous êtes animés par de bonnes intentions, qu’il s’agit de personnaliser les réponses et de les adapter à la réalité des délits, pour favoriser la réinsertion des délinquants. Le problème, madame la garde des sceaux, est que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et que vos bonnes intentions vont se heurter à la réalité de vos choix.

En supprimant les peines plancher, vous supprimez la dissuasion et vous désarmez l’autorité républicaine.

En étendant la contrainte pénale, vous donnez un droit à l’impunité à tous les délinquants.

En ne vous donnant pas les moyens matériels nécessaires, vous faites de la contrainte pénale ce qu’elle sera demain : un simple gadget sans aucun effet.

Madame la garde des sceaux, il est encore temps de faire demi-tour et de revenir au bon sens que demandent les Français : une sanction pour chaque délit, une application immédiate de la sanction, la certitude de sanctions plus fortes en cas de récidive.

Madame la garde des sceaux, Pascal affirmait que la justice sans la force est impuissante. Il ajoutait que, ne pouvant faire que ce qui est juste soit fort, il faut faire en sorte que ce qui est fort soit juste : vous faites exactement le contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Alain Marsaud. Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous faire une déclaration. (« Ah ! » et exclamations.)

M. Sergio Coronado. L’heure convient tout à fait !

M. Alain Marsaud. Je vous admire. (Sourires, mêmes mouvements.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je reste de marbre !

M. Alain Marsaud. Vous allez voir pourquoi, madame, n’ayez aucune crainte. Je vous admire, tout simplement, parce que vous présentez un projet de loi qui chamboule fondamentalement l’ordre judiciaire, tout au moins pénal, et ce, après deux ans de présence au Gouvernement.

Certains diront que vous faites la révolution, au terme d’un régime que d’aucuns qualifient de finissant et que, pour ma part, je dirai plutôt contesté. Il faut en effet avoir du courage pour présenter une telle réforme, une telle révolution.

Permettez à l’ancien combattant que je suis – l’ancien combattant de toutes les réformes de la justice – de vous en narrer quelques-unes.

J’ai connu la réforme Badinter – cela ne me rajeunit pas : M. Badinter détestait la prison, peut-être à juste titre, et il a fait en sorte, durant les quatre ans où il a été garde des sceaux, de mettre tout le monde dehors, y compris les terroristes. C’est un choix.

Ensuite, nous avons eu la réforme Arpaillange. M. Arpaillange détestait encore plus la détention et faisait en sorte que l’on n’y entre pas, y compris les terroristes.

Et puis il y a eu quelques réformettes de droite – j’en ai connu quelques-unes –, qui étaient en général une réaction par rapport à ce qu’avaient fait les socialistes. Parfois cela a été suivi d’effet, et parfois cela a fait « plouf ». On est allé jusqu’à la réforme Dati, qui était un peu votre précurseur, puisqu’elle avait fait également en sorte que l’on désengorge les prisons.

Finalement, cela fait trente ans de bazar institutionnel dans la justice.

Aussi je veux vous dire que je ne crois plus à rien dans ce domaine : je ne crois plus en aucune réforme, ni la vôtre, ni les précédentes, ni les prochaines. De ce côté-là, je suis tranquille.

M. Georges Fenech. Les prochaines, si !

M. Alain Marsaud. Je ne crois, je le répète, en aucune réforme de la justice, que ce soit la vôtre, aujourd’hui, ou celles de vos successeurs.

Je dois toutefois reconnaître que vous avez l’imagination fertile. D’une part, vous supprimez la prison – c’est du moins ce que vous cherchez. D’autre part, vous créez un magistrat non identifié, que j’appelle le « MNI ». De qui s’agit-il ? De ce nouveau juge de l’application des peines. De fait, il est très extraordinaire et, à mon avis, le Conseil constitutionnel va y trouver quelque chose à redire.

En effet, ce nouveau juge, dont les attributions sont présentées aux articles 8 et 9 de votre projet de loi, s’apparente à la chauve-souris : « voyez mes ailes, je suis oiseau ; voyez mes poils, je suis souris ». Il va suivre la mesure d’exécution de la contrainte pénale – après tout, pourquoi pas, tel est son travail – mais il aura aussi un rôle de poursuite – ce qui est un peu nouveau : habituellement, c’était le procureur qui s’en chargeait – en saisissant le tribunal. Par ailleurs, il aura un rôle de « condamnant » à une peine de prison, si vous me passez l’expression.

Madame la garde des sceaux, je fais appel à votre bon sens et surtout à votre connaissance de la décision du Conseil constitutionnel de 2013 sur les tribunaux de commerce, qui a déclaré inconstitutionnelle la saisine d’office de ces juridictions. Je crois, madame, que vous devriez vous en inspirer : vous encourez en effet un grave risque d’inconstitutionnalité ; le Conseil constitutionnel, en effet, sanctionnera sans doute cette confusion des genres.

Autre risque, sans vouloir jouer les Cassandre : il y aura toujours un juge que l’on pourra qualifier d’imprudent, de progressiste ou d’incompétent – il y en a – qui, un jour, remettra en liberté, de manière intempestive, un individu qui n’aurait pas dû l’être et qui, bien évidemment, ira nous assassiner quelqu’un dans l’arrière-cour d’un immeuble.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ah oui ! On va le payer cher !

M. Alain Marsaud. Que dira-t-on, hélas ? Que c’est le fruit de votre réforme et que vous en portez la responsabilité.

Ce qui pourrait vous rassurer, c’est que tous les gardes des sceaux ont connu, peu ou prou, ce genre de situation.

M. Pascal Popelin. C’est bien de le reconnaître !

M. Alain Marsaud. Chaque fois, en tous les cas, qu’ils ont voulu être un peu trop progressistes, un individu est toujours parvenu à passer entre les mailles du filet et un juge imprudent ou incompétent a toujours été là pour faire courir des risques à la société.

Ce projet de loi repose sur des moyens absolument inexistants, qu’il s’agisse des services d’insertion et de probation ou, bien sûr, du juge d’application des peines. Vous nous annoncez que les effectifs seront au complet en 2017 ; aussi ai-je une proposition à vous faire, madame la garde des sceaux : reportez l’application de votre réforme à 2017, et elle pourra alors, peut-être, fonctionner. Nous verrons si les budgets à venir permettront de créer les postes nécessaires au fonctionnement de votre dispositif.

Enfin, je veux dire deux mots d’un amendement que vous proposerez sans doute de rejeter et qui constitue peut-être, de fait, un cavalier législatif, mais peu importe : j’en prends la responsabilité. Nous avons tous suivi avec beaucoup d’intérêt, de passion et d’effroi ce qui s’est passé à Bruxelles. Des affaires similaires, des Merah et autres, nous en verrons sans doute à l’avenir. Aussi je propose, tout simplement, de créer un nouveau délit : celui consistant à aller combattre à l’étranger sans l’autorisation des autorités compétentes.

Vous apprécierez le bien-fondé de cet amendement : peut-être le ministre de l’intérieur pourrait-il s’en inspirer pour aller plus loin, dans le cadre de sa réforme qui est annoncée pour le mois de juin ? En tout état de cause, nous aurons l’occasion de discuter de cet amendement dans les heures ou les jours qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans un pays qui souffre et qui doute, qui subit un chômage de masse qui étouffe l’espoir ; dans un pays qui vit l’insécurité au quotidien, produit de la déliquescence des valeurs de la République, d’une immigration de masse, sans précédent dans notre histoire, qui a produit cette cassure au sein de notre société, désormais balkanisée en autant de communautés humaines vivant chacune de son côté ; dans un pays qui se détourne de ses dirigeants au profit de ceux qui, aux extrêmes, lui promettent d’en finir avec l’euro, l’Europe, le désordre et l’insécurité ; dans ce pays-là, madame la garde des sceaux, vous n’avez rien trouvé de plus urgent, huit jours à peine après le séisme des européennes, qui ont fait du Front national le premier parti de France, que d’envoyer le signal d’une capitulation en rase campagne de l’État…

M. Pascal Popelin. Rien de moins !

M. Pierre Lellouche. …dans sa mission régalienne la plus fondamentale, celle qui est au cœur même de sa raison d’être : assurer la sécurité de nos concitoyens.

M. Georges Fenech. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Vous le faites en introduisant dans notre code pénal une peine nouvelle – la contrainte pénale – qui est censée remédier aux ravages de la prison et qui pourra s’appliquer à tous les délits punis jusqu’à maintenant d’une peine de cinq ans de prison au plus, voire dix ans, aux termes de l’amendement voté en commission des lois.

Je ne peux naturellement, je le redis, qu’approuver les principes recherchés, qu’il s’agisse de l’individualisation accrue de la peine, de la recherche d’une option supplémentaire de substitution à l’incarcération, décidée par le juge, pour les primodélinquants et d’un meilleur accompagnement du délinquant, pour préparer son retour dans la société, et éviter qu’il ne récidive.

M. Pascal Popelin. Ça tombe bien, c’est l’objet du texte !

M. Pierre Lellouche. Ces principes existent d’ailleurs dans nombre de pays européens qui, eux, se sont dotés des moyens nécessaires à leur mise en œuvre.

Mais pour avoir lu avec attention le travail de notre rapporteur et les termes du projet de loi, j’y vois surtout, malheureusement, le symbole d’une politique « idéologique, confuse et inefficace », pour reprendre les termes que M. le rapporteur a utilisé dans son réquisitoire contre l’ensemble de la politique pénale menée entre 2002 et 2012.

Votre politique est confuse, parce que vous mélangez tout et que vous mettez sur le même plan, hélas ! le primo-délinquant et le multirécidiviste. Elle est idéologique, parce que grâce à vous, une fois encore, nous allons passer de l’ombre à la lumière. Nous allons passer d’un droit bête et méchant, celui des peines plancher qui, selon vous, violent le principe de la loi de novembre 2009 selon laquelle l’emprisonnement ne doit être que le dernier recours, d’une surpopulation scandaleuse de nos prisons, source de tous les vices, à quelque chose de formidable, à un monde meilleur où la récidive baissera enfin, où les prisons seront désengorgées sans qu’il soit besoin d’en construire de nouvelles, où la justice disposera enfin de tous les moyens nécessaires pour assurer la réinsertion des délinquants.

L’ennui, c’est que, parce qu’il part de postulats erronés, et parce que les moyens ne sont pas au rendez-vous, votre projet risque fort de produire les résultats exactement inverses de ceux qu’attendent les Français : explosion de la délinquance, puisqu’on attend la libération d’au moins 20 000 détenus si le critère minimal de 30 % est appliqué,…

M. Pascal Popelin. Ils ne savent vraiment pas compter, à l’UMP !

M. Pierre Lellouche. …suppression de l’élément dissuasif considérable que constitue la certitude de la peine d’emprisonnement, surtout pour les récidivistes, et, finalement, décrédibilisation encore accrue de l’État. Dans le même temps, ce texte aura pour effet d’entraîner la désespérance de nos concitoyens et des victimes, qui sont moins bien traitées que les délinquants.

Quant aux postulats, regardons-les ! L’ancien ministre de l’intérieur devenu Premier ministre les a dénoncés en des termes que je ne peux que reprendre à mon compte. « Ce projet de loi part d’un premier postulat que je ne peux intégralement partager : la surpopulation carcérale s’expliquerait exclusivement par le recours "par défaut" à l’emprisonnement, et par l’effet des peines plancher », écrit M. Valls.

M. Pascal Popelin. Écrivait !

M. Pierre Lellouche. « Pour nous, l’acte premier de la réforme pénale, pour améliorer la lutte contre la récidive, était et demeure, d’une part, la transformation du fonctionnement des parquets, [… ] d’autre part, la réforme de la filière de probation [… ]. »

J’en viens à présent aux faits. Non, la France n’est pas le pays du tout carcéral : le taux d’incarcération chez nous est de 117 pour 100 000 habitants contre 150 pour 100 000 habitants en moyenne dans les pays du Conseil de l’Europe. La prison est tout sauf automatique en France : en 2012, sur 1,4 million d’affaires traitées par la justice, seulement 600 000 affaires ont fait l’objet de poursuites, 600 000 autres ont fait l’objet d’alternatives aux poursuites et les condamnés à une peine de prison appliquée au moins en partie n’étaient que 122 000, ce qui correspond à moins d’un cas sur dix. En revanche, nos prisons sont bien surpeuplées : le nombre de places d’enfermement est de 87 pour 100 000 habitants, ce qui correspond à la moitié environ du nombre moyen en Europe. À qui la faute ?

Mais la suppression de la peine de prison est-elle vraiment la solution ? Face à la montée de la criminalité aux États-Unis, les différentes administrations américaines ont choisi, entre 1980 et 1995, le chemin inverse : elles ont multiplié la population carcérale par trois et s’en sont donné les moyens. La criminalité, notamment la plus violente, a été divisée par deux. L’exemple de la ville de New York, que je connais bien, est malheureusement aux antipodes de ce qui s’est passé pendant la même période à Paris.

Vous choisissez aujourd’hui par idéologie le pari contraire sans vous donner les moyens de suivre ceux que vous entendez traiter souvent mieux que les victimes. Le signal que vous envoyez ainsi à la société, aux délinquants comme aux victimes, sera, hélas, dévastateur. Une fois de plus, les Français sauront vous en faire payer le prix. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Le texte que nous présente aujourd’hui le Gouvernement témoigne une fois encore du fossé qui se creuse entre les aspirations des Français et la politique menée par François Hollande.

Alors que, selon un sondage Ipsos de février 2014, 72 % des Français demandent une plus grande sévérité à l’égard des récidivistes et une limitation des remises en liberté, votre réforme pénale prévoit de réduire la fermeté de la justice contre la petite délinquance,…

M. Pascal Popelin. C’est faux !

Mme Marie-Louise Fort. …de supprimer les peines plancher tout en développant les libérations conditionnelles et les libérations sous contrainte.

Vous prétendez, madame la garde des sceaux, que cette réforme ne concerne que les délits et que les criminels sont exclus de son champ, mais il n’en est rien ! Il suffit de lire le texte pour s’en convaincre. En effet, l’article 16 du projet de loi prévoit de faire bénéficier du système de libération sous contrainte des personnes condamnées jusqu’à cinq ans de prison. Or, il y a des criminels qui sont condamnés à moins de cinq ans de prison. Quant à l’article 17, il prévoit de faire bénéficier du système de libération conditionnelle les personnes condamnées à plus de cinq ans de prison, et même les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité.

Vous justifiez ce laxisme en vous réfugiant derrière le problème de la surpopulation carcérale, certes inacceptable dans nos sociétés modernes, mais qui touche surtout les maisons d’arrêt. Il est donc impératif de construire en France de nouvelles places de prison. Notre pays compte aujourd’hui 87 places de prison pour 100 000 habitants contre 146 pour 100 000 habitants en moyenne dans les pays du Conseil de l’Europe.

Mais, sur ce sujet comme sur tant d’autres, vous ne vous donnez pas les moyens de vos ambitions. Alors que votre gouvernement prévoit la construction de 6 500 places de prison, le projet annuel de performance de la mission « justice » du projet de loi de finances pour 2014 prévoit seulement 2 582 nouvelles places entre 2014 et 2016.

Autre argument erroné souvent brandi par votre gouvernement : les courtes peines créeraient de la récidive. Cette idée préconçue vient de la comparaison du taux de récidive entre des personnes condamnées à de courtes peines et des personnes condamnées à des peines plus importantes. N’oublions pas, mes chers collègues, que ces personnes n’ont pas le même profil et qu’elles n’ont pas commis un crime de même ampleur. Voilà pourquoi elles ne récidivent pas dans les mêmes proportions.

Par ailleurs, on sous-estime grandement l’échec des alternatives à la détention, qui conduisent ensuite à de courtes peines de prison ferme. Or, comme l’indiquait la nouvelle directrice de l’administration pénitentiaire, Isabelle Gorce, en novembre 2013 : « Les courtes peines posent des problèmes complexes. Beaucoup en maison d’arrêt ont déjà été condamnés à des peines en milieu ouvert, un sursis simple, puis un TIG ou un sursis avec mise à l’épreuve, et c’est donc à la suite d’échecs successifs qu’ils finissent par être condamnés à une petite peine d’emprisonnement ». En l’état actuel des choses, il faut donc réformer les alternatives à la détention au lieu de les développer comme vous le proposez dans ce projet de loi.

Quant à la suppression des peines plancher, c’est une mesure politique et dogmatique. Aucune étude à ce jour ne permet de prouver que les peines plancher sont inefficaces ou qu’elles ont augmenté la récidive. En outre, il suffit de lire l’article 3 du projet de loi pour constater que les magistrats ne retrouveront pas pour autant toute leur liberté pour prononcer des peines.

Enfin, quid des victimes, madame la garde des sceaux ? Dans votre texte, vous vous contentez de rappeler les droits existants sans en créer de nouveaux. Or, l’accueil et la prise en charge des victimes sont une mission à part entière des forces de sécurité qui s’articule avec la lutte contre la délinquance sans se confondre avec celle-ci. Dans le rapport que j’ai réalisé en 2011 sur la prise en charge des victimes, j’ai pu constater que si de très bons dispositifs ont été mis en œuvre sur le terrain, ils sont souvent le fait d’initiatives locales ou isolées. L’État doit les appuyer, les harmoniser et les généraliser. Pour y parvenir, il faut un effort conjoint du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur.

Ce texte fait la part belle au condamné au détriment de la victime, qui bénéficie ainsi d’une moindre protection, voire d’une moindre considération. Les victimes ont pleinement conscience de cet état de fait. Souvent peu informées de leurs droits, elles abandonnent, découragées.

Madame la garde des sceaux, cette réforme est identique à celles que vous avez proposées jusqu’à présent : vous annoncez un big-bang, mais finalement, la montagne accouche d’une souris. C’est fort regrettable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il faudrait savoir : c’est un texte dramatique ou c’est une souris ? Décidez-vous !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Devant l’armature purement idéologique de votre texte, il convient d’analyser avec soin ce projet de loi. On pourrait à son sujet parler d’enquête sur l’anarchie, puisque le désordre s’annonce bien comme le maître mot de l’individualisation des peines et de la prévention de la récidive.

Cette enquête nous conduit immanquablement à l’étude de la théologie socialiste de la justice. Elle a ses prêtres avec le Syndicat de la magistrature, ses chapelles rendant gloire au laxisme, mais aussi ses parias, les victimes, recluses dans un obscur chapitre du texte. Nous sommes devant notre premier indice : ce texte procède bien d’une vision parfaitement déconnectée des enjeux primordiaux de l’économie des peines et des réparations dans le système judiciaire français.

Notre sujet refuse coupablement de prendre en compte la montée de l’insécurité en France. En 2012, officiellement, plus d’un Français de plus de quatorze ans sur cent avait été victime de violences physiques, 5 017 vols à main armée avaient été commis, les vols liés aux résidences des ménages progressaient encore quant à elles de 3,8 %. En 2010, enfin, quatre condamnés sur dix avaient des antécédents judiciaires. C’est donc une société malade de la délinquance et de la liberté de nuire accordée aux récidivistes hors de prison qui fait encore les frais des utopies dépassées de la théocratie permissive.

En matière de laxisme, il faut admettre que vous suivez le cheminement de certains de vos prédécesseurs. En 2007 déjà, le Gouvernement établissait que la prison ne pouvait plus être que l’ultime recours dans le traitement des délinquants. D’autres, militants de la Manif pour tous, ne devaient étrangement pas bénéficier de ces fabuleux élans de clémence permettant à la France de renouer avec un arbitraire que d’aucuns espéraient disparu.

Fin 2012, près de 100 000 peines de prison étaient en attente d’exécution, 20 000 à 30 000 places de prison attendaient d’être construites et 22 % des Français déclaraient se sentir en insécurité.

Cette enquête est complexe : le millefeuille procédural déjà en place n’est hélas qu’aggravé par ce projet de loi. Alors que la presse nous alertait le 15 mai dernier sur l’impossibilité pratique d’appliquer en Île-de-France le dispositif du bracelet électronique en raison du manque d’effectifs, vous cherchez encore quelques préciosités laxistes afin d’éviter l’application normale des sentences. Alors que la loi Dati multipliait déjà les alternatives à la prison, un nouvel épisode législatif vient faire de l’incarcération une option hautement improbable dans le traitement des délits.

Au sujet de ces sentences, il faut dire que j’ai été confronté à des déclarations contradictoires. Quelques éléments m’ont paru troublants : comment la volonté de lutter contre les sorties sèches peut-elle justifier des procédures de libération des condamnés ayant purgé les deux tiers de leur peine ? Pourquoi ne pas plutôt mettre en œuvre ces procédures après exécution de l’intégralité de celle-ci ? Comment faire de cette réforme un moment de réconciliation des Français avec leur appareil judiciaire quand 75 % des Français la rejettent et que le président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas lui-même regrette que ce texte encombre l’agenda parlementaire ? Comment peut-on légiférer sans croire à un nouvel attentat contre la morale publique quand le rapporteur du texte déclare : « Il y a des infractions sexuelles [sur mineurs] qui ne signalent pas un ancrage dans une délinquance particulière » ?

Les témoignages sont accablants. À la fin de cette enquête, madame la garde des sceaux, j’ai fini par découvrir vos aveux. Vous déclariez ainsi : « la sévérité de la peine ne réduit pas la récidive », cherchant sans doute à faire passer l’inapplication des peines de prison pour un accent rigoriste inconvenant. En revanche, l’iniquité de l’absence de droit d’appel de la victime, le refus incroyable de l’associer au processus de décision, notamment dans l’application des peines, ou encore l’ignorance du sentiment d’abandon si souvent exprimé sont un nouvel aveu de mépris pour le statut de la victime dans la procédure pénale.

Il faut admettre que le dossier est à charge : ce projet de loi est un crime contre la sécurité des citoyens et mérite d’être décrit comme tel. La France risque encore de se faire la complice objective des Mehdi Nemmouche et autres Mohamed Merah, que la prison n’a certainement pas conduits sur la route du terrorisme, mais qui, à force de laxisme, de remises de peine et de sentiment d’impunité, ont développé des personnalités prédatrices et antisociales.

Marcel Aymé a écrit La Tête des autres, une superbe pièce sur les malheurs d’une déconnexion entre les citoyens et le monde judiciaire ; c’est finalement l’histoire d’idéologues bavards peu soucieux des conséquences concrètes de leur traitement de la justice.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien ! C’est tout à fait ça !

M. Jacques Bompard. La pièce finit par les punir. Les Français feront de même, à n’en pas douter, car une fois la sécurité perdue, plus aucune liberté n’existe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je tiens en premier lieu à saluer la méthode mise en œuvre par Mme la garde des sceaux pour élaborer ce projet de loi, à savoir l’organisation d’une conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Cette méthode inédite a permis une évaluation des dispositifs existants et l’élaboration d’un texte en se mettant à l’abri de l’idéologie – danger qui menace toujours en matière pénale –, avec pour premier objectif de mieux prévenir la récidive et de faire de la détention un temps utile consacré à la reconstruction.

Je salue aussi le travail mené par notre rapporteur, Dominique Raimbourg, qui a ajouté au projet de loi initial certaines dispositions dont le caractère impératif ressortait de l’étude d’impact.

Je salue enfin mes collègues de la commission des lois, parmi lesquelles Élisabeth Pochon, Colette Capdevielle et Marie-Anne Chapdelaine.

En encourageant les condamnations à l’emprisonnement, les politiques pénales ont conduit au phénomène de la surpopulation carcérale et à un taux de récidive qui nous contraint à réagir.

Comme le souligne l’étude d’impact de ce projet de loi, les délinquants majeurs sont condamnés à des peines de prison dans 94 % des cas ; 86 % de ces condamnations supposent un emprisonnement ferme. Encore ces chiffres ne concernent-ils que les délits.

Les lois promulguées depuis plus de dix ans ont eu pour effet le prononcé de peines d’emprisonnement, contribuant ainsi à la surpopulation carcérale. Ce faisant, les centres pénitentiaires, censés être des lieux de réinsertion, sont devenus les terreaux de la criminalité, comme le démontrent les chiffres de la récidive. Pourtant, l’écrasante majorité des détenus a vocation à revenir vivre au sein de la société. Il est donc essentiel que la prison soit un lieu permettant la réinsertion.

Une croyance populaire veut qu’une personne condamnée à de la prison n’ait jamais vocation à en sortir et qu’il l’ait bien mérité. C’est faux. La tragédie de Bruxelles constitue, hélas ! le dernier avatar de cette chimère. En effet, l’homme arrêté à Marseille vendredi dernier, dont tout indique qu’il est l’auteur des crimes perpétrés à Bruxelles le samedi 24 mai, a déjà été condamné à de multiples reprises pour avoir commis des vols aggravés. Il a été incarcéré au sein de divers centres pénitentiaires entre 2007 et 2012. En décembre 2012, à sa sortie de prison, la logique de notre système pénal aurait voulu qu’il cherche à se réinsérer et que, après avoir passé cinq ans de sa jeunesse entre les murs d’une cellule, il cherche à rattraper le temps perdu. Alors qu’il n’était qu’un délinquant de droit commun, il s’est radicalisé au cours de sa détention. La prison peut être, pour certains, l’école du crime et, pour d’autres, celle de l’endoctrinement.

Le projet de loi dont nous commençons aujourd’hui la discussion tire les leçons du passé. En l’occurrence, il dresse un constat d’échec de notre politique pénale s’agissant des délits en général et de la récidive en particulier. Ce texte concerne uniquement les délits et non les crimes, n’en déplaise aux quelques élus et associations qui ont intérêt à entretenir grossièrement la confusion sur ce point.

Ce projet de loi redonne de la cohérence au code pénal et au code de procédure pénale. Il réaffirme le principe de l’individualisation des peines et inscrit les droits dont est titulaire toute personne victime d’une infraction.

Cette loi abroge les peines plancher en ce qui concerne la récidive légale. De fait, ces peines étaient en contradiction totale avec le principe d’individualisation des peines.

Elle organise un système permettant de prendre en compte la personnalité de la personne condamnée, au niveau tant de la définition de la peine que de l’accompagnement de la sortie de prison des détenus, et ce pour coller le plus possible au principe cardinal de personnalisation de la peine.

Ce texte définit d’ailleurs, ce qui est salutaire, les finalités et fonctions d’une peine de prison. Cette loi prévoit aussi la création d’une peine nouvelle, la contrainte pénale, qui tire les leçons de nos échecs passés et modernise le dispositif pénal.

La contrainte pénale ne s’applique qu’aux délits et doit s’adresser prioritairement aux délinquants qui, compte tenu des faits commis, peuvent le plus facilement être réinsérés au sein de la société. Elle permet d’éviter la déconnexion avec la vie réelle que provoque la prison. Ce maintien du lien entre le condamné et la société est garanti par un large éventail de prescriptions auxquelles le détenu devra se soumettre. Ainsi, il pourra être contraint de réparer le préjudice qu’il a fait subir à la victime, de se soumettre à des soins, ou encore de suivre une formation. L’addiction à la drogue ou à l’alcool constitue-t-elle un délit utilement réparé par la prison ? La question ne se pose même pas.

Toutefois, cette peine n’est pas un signe de laxisme envoyé aux délinquants. Elle n’est pas, tant s’en faut, un parcours de santé pour le condamné ; c’est une astreinte à de sévères obligations, durant une longue période, et ce sous peine d’alourdissement des obligations, voire d’emprisonnement. C’est une punition utile.

Évidemment, l’emprisonnement reste au cœur de la politique pénale. Cela dit, l’incarcération ne constitue pas toujours la meilleure solution. Comme le soulignait Beccaria, « l’un des plus grands freins opposés aux délits, c’est non pas la rigueur des peines, mais l’infaillibilité de celles-ci ». Gageons qu’avec la contrainte pénale – entre autres –, le système pénal tende vers l’infaillibilité des peines.

Enfin, je tiens à mettre au crédit de notre ministre de la justice sa volonté de rassembler justice, police et pénitentiaire dans la mission de service public que constitue la réponse à la transgression. Nous l’avons constatée hier dans la loi relative à la garde à vue ; nous nous en réjouissons dans le présent texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée débute aujourd’hui l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

Avant tout chose, permettez-moi une remarque sur les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à débattre. Alors que nous abordons une question majeure pour l’avenir de la justice française – il vous a d’ailleurs fallu deux ans pour préparer cette réforme –, le Gouvernement a choisi d’engager la procédure accélérée, ce qui témoigne d’un profond mépris envers le débat parlementaire et, de ce fait, de la représentation nationale. Sans doute est-ce une façon d’évacuer un dossier dont la sensibilité risquerait d’écorner à nouveau la majorité. Quoi qu’il en soit, le fait d’engager la procédure accélérée sur un texte aussi important me semble maladroit.

Ce texte, comme l’ont déjà dit plusieurs orateurs, est idéologique. Les dispositions qu’il contient inquiètent les Français et les professionnels de la justice. En effet, bien que son titre affiche l’ambition de « lutter contre la récidive », cette future loi ne fera, en réalité, que favoriser le sentiment d’impunité des récidivistes. Et pour cause : il incarne l’idéologie selon laquelle la prison est le principal facteur de récidive. Par conséquent, il faudrait faire sortir les détenus de prison et éviter par principe de recourir à l’incarcération.

Force est de constater que la France est en situation de surpopulation carcérale. On ne peut en aucun cas le nier. Je dirais d’ailleurs, pour ma part, que notre pays est plutôt en situation de sous-équipement carcéral.

Au 1er septembre 2013, la France comptait plus de 67 000 personnes incarcérées, soit un taux d’occupation supérieur à 115 %. Remédier à cette situation est donc une nécessité. Alain Marsaud a évoqué tout à l’heure les nombreux débats auxquels il a participé sur des textes concernant le domaine judiciaire. En ce qui me concerne, je me souviens des réformes pénitentiaires. M. Chalandon avait lancé un plan visant à créer 15 000 places de prison, aboli par la gauche – en l’occurrence par M. Arpaillange –, dès son retour au pouvoir.

La loi du 27 mars 2012 de programmation pour l’exécution des peines, initiée par l’ancienne majorité, avait permis de prendre des mesures pour augmenter le nombre de places de prison. En effet, le problème tient avant tout au manque de places. Selon les dernières statistiques pénales publiées par le Conseil de l’Europe, la France affiche un taux d’incarcération de 117 personnes pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 149 dans les pays membres de l’organisation. Nous sommes donc bien en dessous de la moyenne des pays du Conseil de l’Europe.

Si vous me permettez cette comparaison, que se passe-t-il quand une école est surpeuplée ? On ne dit pas aux élèves : « Il y a 20 % d’élèves de trop, allez donc dans la rue et nous verrons un jour comment vous scolariser. » Dans ce cas, la collectivité publique fait l’effort de construire une école. En matière carcérale, vous nous proposez une tout autre logique, qui consiste à vider les prisons pour régler le problème de surpopulation, lequel est en réalité, je le répète, un problème de sous-équipement.

À travers le présent projet de loi, le Gouvernement entend remédier à la surpopulation carcérale en se contentant de réduire le nombre de détenus. Je ne pense pas que vider les prisons soit une solution. En effet, nous sommes déjà loin du tout carcéral : seules 17 % des condamnations pénales prévoient de la prison ferme.

Tout au contraire, il est nécessaire de faire preuve de la fermeté la plus totale à l’encontre des délinquants et des récidivistes, qui constituent une menace pour la société. Je pense donc qu’il faut plutôt avoir le courage de faire l’effort financier de construire des prisons.

J’en viens au contenu même du projet de loi et aux risques qu’il emporte.

Dès l’article 1er, le Gouvernement se refuse à sanctionner par la prison. En effet, son intention est de ne pas punir le délinquant, mais de le rééduquer. La future loi met ainsi sur le même plan l’objectif de sanctionner le condamné et celui de favoriser sa réinsertion. L’intention semble bonne, mais, comme chacun le sait, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.

M. Gérald Darmanin. C’est bien vrai !

M. Thierry Mariani. Les Français seront les premières victimes de cette posture idéologique. En effet, les délinquants comprendront qu’ils ont encore moins de chances d’aller en prison. Dès lors, il y a tout lieu de penser que cela ne fera absolument pas reculer la délinquance. En réalité, il s’agit de réduire la fermeté de la justice contre la petite délinquance.

Par ailleurs, le texte supprime les peines plancher. Là aussi, on retrouve le présupposé idéologique qui a guidé le début de la législature, à savoir qu’il fallait supprimer dans tous les domaines ce qu’avait mis en place la majorité de Nicolas Sarkozy.

En l’espèce, cette disposition est pour le moins surprenante, puisque, selon un sondage CSA paru en février 2014, 77 % des Français souhaitent le maintien ou le renforcement des peines plancher. C’est dire que l’opinion publique comprenait leur nécessité.

Le signal d’impunité adressé aux délinquants est très clair. D’ailleurs, madame la garde des sceaux, vous n’avez pas attendu ce débat pour demander aux juges de ne plus appliquer les peines. Une fois de plus, je regrette que le Gouvernement revienne systématiquement sur les mesures prises par Nicolas Sarkozy.

Ce projet de loi vise également à créer une mesure appelée contrainte pénale, qui constituera une peine à part entière, en milieu ouvert. Cette mesure pourra être prononcée par le juge, selon son appréciation de la personnalité de l’auteur.

Initialement, il était prévu que ce dispositif s’applique à des délits passibles de cinq ans de prison au maximum. En commission, tous les délits passibles au maximum de dix ans de prison sont entrés dans le champ de la contrainte pénale, ce qui est révélateur du laxisme d’une partie de votre majorité.

Par ailleurs, des incertitudes persistent sur le dispositif. Tout d’abord, sur la durée de la peine de contrainte pénale, qui ira de six mois à cinq ans ; tout dépendra de l’appréciation du tribunal. Ensuite, sur le contenu de la peine, car les obligations et interdictions dépendent entièrement du contexte, en l’occurrence de la personnalité de l’auteur, de la nature de l’infraction, ou encore de la victime.

Par conséquent, le contenu de la peine est totalement incertain, non seulement avant le prononcé de la peine, mais aussi pendant son exécution, puisqu’il appartient au juge d’application des peines de procéder à toute modification qu’il jugerait utile. Cette mesure est donc en contradiction manifeste avec le principe de légalité des peines.

Enfin, une dernière mesure est caractéristique de l’idéologie dont vous faites preuve : il est prévu que soit systématiquement étudiée, aux deux tiers de la peine, la possibilité d’une mesure de sortie encadrée. Dans la mesure où les crédits de réduction de peine automatiques ne sont pas supprimés, le mécanisme d’examen automatique aura lieu, non pas aux deux tiers, mais à la moitié de la peine prononcée.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Thierry Mariani. En conclusion, ce texte ne fera que favoriser une augmentation de la délinquance et de la criminalité dans notre pays, qui ont d’ailleurs fortement crû ces derniers mois. J’avoue que j’ai beaucoup de peine à comprendre pourquoi la majorité, qui – de même d’ailleurs qu’une partie de la précédente – n’a que le principe de précaution à la bouche dès qu’il s’agit de protéger une espèce florale ou animale, n’applique pas le même principe à chaque citoyen, qui a le droit d’être protégé par la société, comme nous l’ont rappelé encore récemment des exemples récents et tragiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, ce texte va priver les sanctions pénales de leur caractère dissuasif et accroître le sentiment d’impunité des auteurs de délits. Au final, l’affaiblissement de la répression se traduira inévitablement par une augmentation de la délinquance.

Plus précisément, votre projet a pour seuls buts de diminuer le nombre d’entrées en prison et d’accélérer les sorties. Les mécanismes que vous mettez en place à cette fin ont été longuement détaillés par les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune. Je rappellerai donc brièvement les principales mesures.

Premièrement, vous supprimez les peines plancher pour les récidivistes. Elles avaient, à vos yeux, le tort d’avoir été instituées par la précédente majorité.

Ensuite, vous instituez une nouvelle peine, la contrainte pénale, dont le contenu sera précisé par le juge de l’application des peines alors que la juridiction de jugement n’en aura institué que le principe.

Troisièmement, vous supprimez la révocation automatique du sursis en cas de nouvelle condamnation alors que chacun sait que la crainte de perdre le bénéfice du sursis est très dissuasive à l’endroit des personnes déjà condamnées et qui seraient tentées de récidiver.

Quatrième mesure, que M. Mariani vient de détailler : dès qu’un délinquant aura accompli les deux tiers de sa peine d’emprisonnement, il pourra bénéficier d’un aménagement et d’une sortie encadrée, ce qui sera même possible dès qu’il aura effectué la moitié de sa peine compte tenu des réductions automatiques.

Vous êtes donc, madame le garde des sceaux, par principe, par idéologie, hostile à l’emprisonnement. Nous sommes au contraire convaincus que la crainte de l’emprisonnement présente un effet dissuasif sur les personnes susceptibles de verser dans la délinquance. Il nous paraît également évident que l’enfermement des délinquants protège la société, particulièrement les victimes. Nous sommes, en un mot, partisans d’une politique pénale plus sévère et plus ferme.

Nous ne pouvons pas non plus vous suivre, madame le garde des sceaux, lorsque vous prétendez que la politique pénale de la précédente majorité se serait limitée au tout carcéral. Les statistiques prouvent le contraire : la France a un taux de 117 personnes sous écrou pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 149,9 dans les pays du Conseil de l’Europe.

La surpopulation carcérale n’est pas davantage un argument en faveur de votre réforme. C’est vrai, il y avait 14 141 détenus en surnombre au 1er avril 2014, mais ce n’est pas la sévérité des tribunaux qui est en cause, c’est le nombre insuffisant de places de prison. La France compte 87 places de prison pour 100 000 habitants, contre 146 pour 100 000 habitants, en moyenne, dans les pays du Conseil de l’Europe. La solution serait donc de construire des prisons. Vous avez au contraire réduit drastiquement le programme immobilier que la précédente majorité avait prévu. Seules 2 582 places seront construites entre 2014 et 2016.

En conclusion, madame le garde des sceaux, aucun argument objectif ne peut justifier le laxisme de votre politique pénale tel que le traduit ce projet de loi. Votre politique pénale est toute entière dictée par votre obsession de détruire ce que la précédente majorité a réalisé. Le Gouvernement cherche aussi à rassembler sa majorité sur un projet clivant alors que, vote après vote, des députés de gauche de plus en plus nombreux ont fait défection ces dernières semaines.

Enfin, madame le garde des sceaux, il n’est pas interdit de penser que ce projet de loi est peut-être le chant du cygne de votre passage au ministère de la justice. Pour notre part, notre vote sera dicté par un constat simple mais accablant : votre projet aura des effets désastreux pour la sécurité des personnes et des biens dans notre pays. Nous voterons donc contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues : avec ce projet de loi, madame la garde des sceaux, vous ajoutez une pierre de plus à la marque de fabrique du Gouvernement auquel vous appartenez. Cette marque, je la résumerai par une formule qui vous choquera peut-être mais qui correspond à la réalité : l’aveuglement idéologique ou l’idéologie aveugle.

Vous avez tellement voulu rayer de la carte tout ce que nous avions fait au cours du quinquennat précédent que vous avez déclaré riches les 9 millions et demi de Français qui bénéficiaient du dispositif des heures supplémentaires défiscalisées et déchargées. Vient de rentrer aujourd’hui au Gouvernement un nouveau collègue, madame la garde des sceaux, qui, il y a quelque temps encore, en tant que porte-parole de votre groupe, affirmait qu’il faudrait peut-être revenir sur cette décision malencontreuse qui a consisté à se mettre à dos 9 millions et demi de Français.

Vous, membres du Gouvernement, vous êtes en train de vous prendre copieusement les pieds dans le tapis de cette réforme territoriale dont vous ne savez pas très bien comment l’orienter, comment la mettre sur les rails. Les protestations fusent de partout et probablement créerez-vous à nouveau, un de ces jours, sous un autre nom, ce conseiller territorial, dont nous avons eu l’idée, que vous avez supprimé par idéologie, mais qu’il faudra bien retrouver d’une manière ou d’une autre.

Enfin, par ce projet de loi, vous avez décidé de faire la peau des peines plancher. Votre candidat devenu président en avait déjà l’intention et c’est ce que nous annoncèrent, de toute manière, ceux qui prirent la parole, il y a sept ans maintenant, lorsque nous étudiions, début juillet 2007, la première loi de cette législature, relative aux peines plancher.

J’ai, sous les yeux, ce que déclarait avec une tranquille assurance, une assurance pateline, notre rapporteur d’aujourd’hui : « Ce texte porte atteinte au principe d’individualisation des peines ». En effet, le texte prévoit que la règle est celle de la peine dite « plancher » et que seule l’exception permet d’y déroger. C’est donc nécessairement, disait notre rapporteur d’aujourd’hui, « une atteinte au principe d’individualisation ».

Quelques jours plus tard, dans son délibéré du 9 août 2007, le Conseil constitutionnel taillait en pièces, avec beaucoup de précision, cette argumentation facile de l’automaticité des peines plancher, de la fin de l’individualisation de la peine et, partant, de la fin de la justice juste pour tous.

Je ne vous lirai pas dans son intégralité ce document du Conseil constitutionnel dont il ressort que la loi relative aux peines plancher ne porte pas atteinte au principe de nécessité des peines, ni à celui de l’individualisation des peines, issu de la Déclaration de 1789 en son article 8. Mais vous avez persisté à faire comme si le Conseil constitutionnel ne s’était pas prononcé. Vous avez persisté à affirmer que l’automaticité était la marque de ce dispositif alors que, après en avoir dressé le bilan au bout de quelques mois avec mon collègue Christophe Caresche, nous avons pu apporter la preuve que les peines plancher n’étaient prononcées que dans un cas sur deux. Nous savons aujourd’hui qu’elles concernent un peu plus d’un cas sur trois. L’automaticité ? Que nenni ! Et le principe d’individualisation est bien au rendez-vous de toutes les décisions de justice.

Votre projet se prétend par ailleurs créateur de droits nouveaux mais, madame la garde des sceaux, vous ne tromperez pas grand monde. Vous prétendez pratiquement créer – puisque vous considérez que rien n’existait avant vous – le principe d’individualisation des peines. Or, je viens de vous le rappeler, il date de 1789 et a souvent été réaffirmé, y compris par le Conseil constitutionnel.

Vous faites mine, également, de créer un dispositif qui, avant vous, n’aurait pas existé : les bureaux d’exécution des peines. Vous les inscrivez dans la loi alors que vous savez qu’ils sont déjà en place de par des dispositions réglementaires, puisqu’ils relèvent du domaine réglementaire. Mais non, vous avez voulu faire comme si vous étiez la source de toute nouveauté, qu’il s’agisse de l’individualisation ou de l’exécution des peines dans de bonnes conditions. Il n’en est rien.

Vous avez porté ce projet avec deux épées dans les reins : celle de l’ancien ministre de l’intérieur devenu Premier ministre et qui, aujourd’hui, a eu l’audace de nous accuser, ici même, de provocation alors que c’est lui qui a mis le feu, c’est lui qui a déclenché la polémique en écrivant directement au Président de la République tout le mal qu’il pensait de la réforme, laquelle n’a pas changé d’un iota mais que vous êtes aujourd’hui, sous sa responsabilité, chargée de mettre en œuvre...

Enfin, vous avez fait ce qu’il ne fallait pas faire : vous précipiter en infligeant une double peine aux débats parlementaires, temps proclamé et déclaration d’urgence. Oui, madame la garde des sceaux, et j’y reviendrai à l’occasion de la discussion des articles, ce texte n’est pas bon, il va désoler et désespérer un très grand nombre, sans servir la République, la justice et notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Madame le garde des sceaux, monsieur le président, monsieur le rapporteur, on dit toujours qu’il faut écrire ses lettres d’amour le soir et faire ses comptes le matin. Je crois que nous pouvons trouver un bon compromis dans l’intervention que je vais essayer de faire pour démontrer à quel point ce texte, tel que présenté à la sortie de la commission des lois, n’est pas bon, ce qui ne surprendra personne, sur les bancs ni de la droite ni de la gauche.

Nous devons tout d’abord assumer une différence entre ces deux côtés de l’hémicycle concernant la philosophie globale du texte et, au-delà, la philosophie globale qui sous-tend la politique pénale, de justice, de sécurité, de la gauche et de la droite.

On peut lire dans les débats, les discussions, dans vos interventions, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, que, selon la philosophie globale qui domine ce côté gauche de l’hémicycle, les déterminismes sociaux, en grande partie, poussent la délinquance à exister et qu’il faut bien pardonner une grande partie de ceux qui commettent ces actes parce qu’ils le font poussés par la société et commandés par les déterminismes. Nous ne le pensons pas.

Nous considérons au contraire que chaque homme, chaque citoyen a le droit de ne pas sombrer dans la délinquance et de ne pas commettre ces petits actes qui poussent à sortir du pacte républicain. Depuis Surveiller et Punir, la gauche socialiste a estimé que l’enfermement et la prison n’étaient pas une bonne solution, ni pour les délinquants ni pour la société.

Se pose une question plus philosophique encore : à quoi sert la peine ? Pour certains, elle sert les délinquants pour se réinsérer plus tard, pour d’autres elle sert la société en éliminant ces délinquants du champ social afin de préserver un bien être légitime, même si ces délinquants ne retrouvent pas la quiétude une fois leur peine purgée.

M. Guy Geoffroy. Un peu des deux.

M. Gérald Darmanin. Sans doute. Oublier de marcher sur ses deux jambes, faire preuve d’hémiplégie, comme disait Raymond Aron, n’est pas une bonne politique, madame le garde des sceaux.

Vous ne vous posez pas les bonnes questions. Peut-être quelques majorités précédentes ne se les sont-elles pas posées davantage mais manifestement, vous vous trompez sur ce que doit être la peine, et ce que doit être la prison.

La dernière loi de finance fut l’occasion d’un débat parlementaire assez riche, en particulier suite au rapport de Sébastien Huyghe, qui démontrait qu’en prison, aujourd’hui, les règlements intérieurs ne sont pas respectés et que la réinsertion y est difficile en raison des zones de non droit. Il faudrait aujourd’hui se pencher sur cette question pour mettre fin à ce laxisme et empêcher la récidive et la réitération.

Par ailleurs, certains détenus n’ont pas mérité d’être en prison, simplement parce qu’ils sont touchés par une forme de folie. Nous savons tous qu’un certain nombre de détenus sont atteints de syndromes psychiques et qu’il serait préférable de donner les moyens d’ouvrir des places en hôpitaux psychiatriques plutôt que de mettre ces personnes en prison. C’est le traitement que nous avons trouvé, peut-être collectivement, quelles que soient les majorités, mais ce n’est pas le bon.

Enfin, cela a été dit, vous créez la contrainte pénale parce que vous ne souhaitez pas poursuivre la politique pénitentiaire de l’ancienne majorité. Dans un éclair de lucidité – et il y en a eu si peu ! – M. le rapporteur a tout de même prononcé une phrase qui me touche personnellement et à laquelle je ne peux que souscrire : il a reconnu que l’important était l’efficacité de la peine.

Il a raison, mais rien ne prédit, dans ce texte, que les peines seront prononcées plus rapidement et seront plus efficaces. Nous aurons, mes collègues et moi, l’occasion de revenir plus longuement sur la contrainte pénale, dont nous considérons qu’il s’agit d’une mauvaise mesure. S’agissant des agents de probation, le compte n’y est pas, madame la garde des sceaux. La loi de finances et vos propos tenus lors de votre récente audition par la commission des lois laissent apparaître que les agents de probation ne sont pas en nombre suffisant pour accomplir normalement et correctement leur travail. Plutôt que de rendre les peines plus efficaces, vous allez encombrer le dispositif.

J’ai déposé plusieurs amendements qui répondent à une conviction profonde : en France, le problème de la sécurité et de la délinquance n’est pas tellement lié aux forces de l’ordre, aux policiers ou aux gendarmes, mais plutôt à la réponse pénale qui y est apportée. Or vous aggravez ce système. Vous considérez que, depuis dix ans, les peines plancher n’ont pas particulièrement permis d’enrayer la délinquance, ce qui n’est pas tout à fait juste ! Mais qu’avez-vous fait depuis deux ans ?

Comme cela a été rappelé, des instructions ont été données sans texte de loi aux tribunaux et aux forces de police et de gendarmerie pour ne pas intervenir et, parfois, pour ne pas condamner. Prenons l’exemple d’actes de délinquance quotidiens qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. Dans ma commune de Tourcoing, des rodéos de quads ou de motos sont quotidiennement organisés, ce qui est totalement délétère pour le pacte républicain puisque cela donne le sentiment que tout le monde peut faire n’importe quoi sur la voie publique. Ce sont des infractions extrêmement graves qui peuvent parfois coûter la vie de personnes, et notamment d’enfants, qui traversent la rue.

M. le ministre de l’intérieur donne comme instruction, dans sa circulaire, de ne pas intervenir de peur de créer des émeutes urbaines en cas d’arrestations ! Avant de créer des postes d’agents de probation, peut-être conviendrait-il d’appliquer les lois de la République et de ne pas craindre que les forces de l’ordre fassent leur travail. L’opposition défendra des amendements tout à fait constructifs. J’en présenterai, avec plusieurs collègues, quelques-uns qui auront notamment trait aux travaux d’intérêt général, à la contrainte par corps, parce que ceux qui ne s’acquittent pas de leur dû doivent pourtant payer leur dette à la société, ou à la suspension des allocations familiales en cas de non-respect du devoir de parentalité. Nous déposerons prochainement une proposition de loi en ce sens.

Madame la garde des sceaux, comme cela a été dit, vous allez ouvrir une boîte de Pandore. Je reprendrai, pour conclure, la phrase de Bossuet : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Avant de passer la parole à l’orateur suivant, j’indique aux députés présents que nous respecterons nos règles et que nous ne dépasserons pas une heure. Afin qu’un maximum de collègues puisse s’exprimer, chacun, même si ce n’est pas une obligation, doit respecter le temps qui lui est imparti.

La parole est à M. Alain Chrétien.

M. Alain Chrétien. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à l’heure où les Français souffrent, à l’heure où les Français doutent, à l’heure où les Français attendent des réponses, quelle folie de présenter ce projet maintenant, après un vote sanction sans précédent des citoyens, un cri d’alarme, dans un contexte d’explosion des incivilités et des délits dans nos villes et nos campagnes – 1 021 cambriolages par jour en 2013, atteintes aux personnes en hausse de 5,6 % en 2013, soit 26 000 faits en plus l’année dernière – et quelques jours après un acte odieux perpétré par un terroriste solitaire. Les Français ont besoin d’être rassurés et demandent de la fermeté.

Au lieu de cela, vous nous proposez une réforme bâclée, dangereuse et qui n’aura comme seule conséquence que de vider les prisons sans prendre en compte les préjudices subis par les victimes. Inspiré des conclusions d’une conférence à laquelle tous les syndicats de policiers n’ont pas été associés, le texte était prêt à être présenté au Parlement fin 2013. Mais, dès sa présentation en conseil des ministres le 9 octobre 2013, le texte a fait l’objet de critiques tant du côté des associations de victimes que des forces de l’ordre et de la justice dont certaines demandent même son retrait dès aujourd’hui.

Son examen a été décalé deux fois, après les élections municipales, puis après les élections européennes, traduisant un malaise du Gouvernement. Il s’agit moins de surpopulation carcérale que de sous-équipement carcéral. À titre de comparaison, le Royaume-Uni dispose de 96 000 places, soit 40 000 places de plus que la France pour une population similaire. Partant de cette donnée, l’ancienne majorité avait opté pour l’accroissement de la capacité carcérale par la loi du 27 mars 2012 et une meilleure application des peines face à la récidive par la loi du 10 août 2007 instituant des peines plancher.

À l’inverse, madame la garde des sceaux, prisonnière d’une approche purement dogmatique marquée par un certain angélisme sur la récidive, vous souhaitez mettre fin à un prétendu « tout carcéral » alors que, seules, 17 % des condamnations pénales débouchent sur de la prison ferme. Au motif avoué de lutter contre la récidive en individualisant les peines, en créant une contrainte pénale pour les peines de moins de cinq ans et en garantissant la réinsertion des personnes condamnées, il y a le motif moins avouable de faire de l’emprisonnement une exception.

J’en viens à l’objectif d’individualiser les peines. Le texte définit les modalités de la peine, en plaçant sur le même plan l’objectif de « sanctionner le condamné » et celui de « favoriser son insertion ou sa réinsertion ». L’intention n’est donc plus de sanctionner, mais de réinsérer le délinquant. Où sont les préjudices subis par les victimes dans cet énoncé ? On prévoit des suivis psychologiques pour les condamnés. Qu’en est-il des victimes, seront-elles livrées à elles-mêmes ? Si seulement le texte contenait autant d’avancées pour les victimes ! Mais il n’en est rien !

Non seulement vous abrogez les peines planchers, mais vous supprimez le caractère automatique de la révocation des sursis en cas de récidive, alors que le droit actuel dispose que toute nouvelle condamnation à une peine d’emprisonnement révoque le sursis antérieurement accordé quelle que soit la peine. En mettant fin à la révocation automatique des sursis, vous faites artificiellement chuter les statistiques sur la récidive puisqu’elles sont basées, entre autres données, sur le nombre de révocation des sursis.

Enfin, vous créez une nouvelle peine, la contrainte pénale, qui, loin d’être un complément aux peines carcérales, va constituer une alternative en mode allégé. Il y a de quoi développer le sentiment d’impunité et surtout alourdir davantage la machine judiciaire puisque, désormais, le délinquant devra repasser devant le juge d’application des peines en cas de manquement à ses obligations alors que, jusqu’à présent, la peine de prison était prévue dès la décision de justice.

Pour conclure, madame la garde des sceaux, j’aimerais vous citer un fait divers. Le 31 janvier 2013, une assistante maternelle était tuée à Malans, en Haute-Saône, par son voisin, atteinte à la tête et au thorax. Ledit voisin avait fait l’objet depuis plusieurs années de signalement auprès des autorités préfectorales et du procureur de la République pour des actes de vandalisme caractérisés et des menaces réitérées à rencontre de son voisinage. Le maire et les élus du conseil municipal avaient saisi le procureur et le préfet. Ils disaient leur peur que l’irréparable soit commis. Dix plaintes avaient été déposées contre lui par des habitants de Malans, sans résultat de nature préventive.

Le 21 janvier dernier, je vous alertais sur le vide juridique qui entoure la possession d’armes à feu par des individus potentiellement dangereux et vous rappelais la proposition de loi que j’avais déposée sur ce sujet avec trente-cinq de mes collègues le 21 novembre dernier. Je constate que les dispositions de l’article 15 reprennent l’esprit de cette proposition, mais, par voie d’amendement, je souhaiterais qu’elles soient étendues à des individus dont la dangerosité du comportement a été reconnue avant un dramatique passage à l’acte, afin que nous tirions les leçons de ce dramatique événement survenu en Haute-Saône.

Cet après-midi, Dominique Raimbourg, notre rapporteur, a résumé ainsi l’esprit du texte : nous faisons le pari qu’un contrôle serré peut remplacer l’enfermement. Eh bien, mes chers collègues, ce pari, les Français ne sont pas prêts à le tenir ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Alain Bénisti. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ce texte est un peu de la romance dont la gauche a besoin pour toujours vendre son bon cœur ! Très franchement, je ne parviens pas à comprendre comment vous pouvez dans le contexte actuel, sauf à souffrir du « syndrome des habits de l’empereur » – le roi est nu, mais il ne le sait pas –, continuer à présenter des textes de cette nature. J’entends que l’on cherche à trouver des alternatives à l’enfermement, mais quand il n’y a pas de solutions, il ne faut pas en inventer d’inutiles.

Ce texte est pléonastique. Il y a déjà le sursis simple, le sursis avec mise à l’épreuve, la dispense de peine, l’ajournement, l’ajournement avec injonction. Qu’apporte de nouveau ce projet de loi, si ce n’est l’occasion, pour vous, de donner encore l’impression que le cœur est de votre côté ! En réalité, vous êtes en train de transformer, ce qui est grave, l’idée même que l’on se fait du juge. Le juge n’est pas là pour prononcer une peine ou ne pas en prononcer, il est là pour juger. Nous n’avons pas à lui donner d’injonction législative sauf à porter atteinte à sa liberté.

Ce nouveau juge, tel que la gauche le conçoit et tel que la garde des sceaux l’a inventé, ce qui est tout de même extraordinaire, figure dans ce texte. La juridiction devra tenir compte de la personnalité de l’auteur du délit. C’est l’individualisation de la peine, qui existe depuis plus d’un siècle. Vous n’avez donc rien inventé. mais vous ajoutez que la juridiction devra tenir compte des circonstances de la commission des faits qui justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé. Ça y est ! Nous avons le juge « assistante sociale » !

Comment un magistrat pourra-t-il considérer l’accompagnement socio-éducatif ? Il n’est pas là pour donner et tenir la main, mais pour juger !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très juste !

M. Gilbert Collard. Les sociétés ont besoin de juges qui jugent et pas de juges qui donnent la tétée, pas de juges qui maternent ! Qu’a-t-on à faire de votre accompagnement socio-éducatif qui ne réglera en rien le problème de la délinquance ? Ça y est ! Nous avons le juge en blouse blanche, le juge « infirmière », le juge « assistante sociale » ! Ce n’est pas ce dont nous avons besoin ! Nous voulons retrouver des juges qui jugent, tantôt en prononçant une peine, tantôt en ne la prononçant pas, après avoir tenu compte de la personnalité du délinquant.

Vous fabriquez des juges qui devront savoir si celui qui a commis un harcèlement sexuel, des agressions sexuelles, des exhibitions, des blessures par imprudence, négligence ou qui a passé des appels téléphoniques malveillants a besoin – le pauvre petit ! – d’un accompagnement socio-éducatif individualisé ! Comme si le fait de s’intéresser à sa personnalité, qui est déjà une individualisation de la peine, ne suffisait pas ! Allons dans la redondance ! Le juge n’est pas là pour cela ! Il n’est pas là pour donner la tétée au délinquant, mais pour le punir.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Exactement ! Très bien !

M. Gilbert Collard. Vous introduisez un nouveau type de juge : le juge qui materne ! C’est insensé dans une situation criminogène comme celle que nous connaissons ! Quand on sait, grâce à tous les auteurs et à tous les criminologues, que le juge doit jouer un rôle fondamental, il est très décevant de constater que vous êtes en train de le détériorer en en faisant une sorte de « Blédine pour délinquants » ! Ce n’est même pas du laxisme. Vous ne parvenez pas à sortir d’une espèce d’idéologie qui vous hypnotise.

Je pense, pour ma part, que vous croyez bien faire. Mais si vous saviez comme les délinquants rigolent…

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est vrai !

M. Gilbert Collard. …comme ils se marrent franchement ! Des Roms ont été récemment arrêtés du côté de Lyon. Ils ont comparu devant la Cour d’assises pour avoir tué un jeune homme. Ils ne parlaient pas un mot de français. Quand ils ont été interpellés, ils ont dit « avocats, avocats, policiers racistes » ! On construit tout un langage, on prépare toute une mentalité, ce qui est absolument destructeur. Voilà pourquoi je pense que ce texte est très nocif pour la sécurité des personnes et des biens.

M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet.

M. Guénhaël Huet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la première finalité du droit pénal est de protéger la société et non d’exonérer de leurs responsabilités les auteurs d’actes délictueux ou criminels. Cette affirmation n’exclut certes pas qu’il soit opportun et utile d’assurer le suivi et la réinsertion des condamnés mais il importe, sur un sujet aussi sensible, de bien hiérarchiser les objectifs, ce qui n’est malheureusement pas le cas de ce projet de loi.

Votre réforme, madame la ministre, est inopportune et dangereuse.

C’est une réforme inopportune car elle est fondée sur de mauvais constats. Selon vous, la politique judiciaire de la France reposerait sur le tout carcéral. Les statistiques du Conseil de l’Europe, plusieurs orateurs l’ont rappelé, montrent précisément le contraire avec, pour la France, un taux d’incarcération inférieur à la moyenne des pays voisins.

Certes, les prisons sont surchargées, mais chacun sait que cette situation est due à un manque de places et que ce n’est pas en diminuant le nombre de personnes incarcérées que le problème sera résolu. Que dirait-on d’une réforme hospitalière qui, au lieu de soigner les malades, viserait à les faire sortir des établissements de santé ?

C’est une réforme inopportune également car elle se fonde sur un sophisme qui affirme que la prison crée la récidive alors que bon nombre de criminologues, et vous le savez, pensent et disent exactement l’inverse.

C’est une réforme inopportune encore car elle se limite en fait à prendre le contre-pied de ce qui a été fait ces dernières années pour lutter contre la récidive avec, notamment, l’instauration des peines planchers qui, dans de nombreux cas, ont fait la démonstration de leur utilité.

C’est une réforme inopportune, car elle prétend restaurer le principe de l’individualisation de la peine introduit depuis très longtemps dans notre droit pénal, et qui n’a jamais été remis en cause par les législations les plus récentes.

C’est une réforme dangereuse car elle adresse un très mauvais signal aux délinquants, notamment récidivistes, qui ne vont pas manquer de sentir souffler le vent de l’impunité puisqu’ils vont bien comprendre que l’emprisonnement va devenir l’exception.

C’est une réforme dangereuse car elle n’est pas accompagnée des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Vous êtes dans le déni de réalité car il sera difficile, et vous le savez, d’assurer le suivi des condamnés à une contrainte pénale, surtout depuis l’extension de son champ d’application, faute de moyens humains et matériels. En fait, si vous aviez été un tant soit peu logique, vous auriez dû d’abord faire la réforme de la probation et ensuite seulement la réforme pénale.

C’est une réforme dangereuse car elle révèle une conception néfaste de la règle de droit, qui n’intervient plus maintenant que pour légitimer une situation de fait alors que la vraie finalité de la norme juridique, notamment en matière pénale, est d’anticiper et de prévenir des comportements contraires à l’ordre public. Avec ce projet de loi, c’est une nouvelle fuite en avant qui nous est proposée.

C’est une réforme dangereuse car elle va encore creuser le fossé entre la loi et une opinion publique excédée dans sa vie quotidienne par des actes délictueux qui ne sont souvent assortis d’aucune sanction réelle.

En réalité, madame la ministre, les seuls oubliés de votre projet de loi sont une fois de plus les victimes.

La première mission de l’État est d’assurer la sécurité de tous, et notamment des plus faibles et donc des plus exposés et des plus vulnérables. En assurant cette sécurité, l’État garantit la liberté individuelle, et il est important de rappeler qu’une société démocratique repose sur cet équilibre entre la sécurité et la liberté.

Fondé sur une idéologie laxiste dont votre gouvernement et la majorité sont coutumiers, ce texte va à l’encontre de la recherche de cet équilibre entre la sécurité et la liberté. C’est pour cette raison fondamentale que cette réforme est insuffisante et dangereuse. C’est pour cette raison que cette réforme, aussi éloignée des réalités que contraire à l’intérêt général, doit être rejetée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Alain Bénisti.

M. Jacques Alain Bénisti. Bon nombre de mes collègues, de droite ou de gauche, ont parlé d’échec face aux politiques de lutte contre la récidive de bien des délinquants, bon nombre de mes collègues ont ciblé l’incarcération comme responsable de ces récidives, bon nombre de mes collègues ont critiqué l’automaticité des peines plancher, ne servant, paraît-il, à rien. Vous, madame la garde des sceaux, vous parlez d’individualisation des peines, d’un meilleur aménagement, de contrainte pénale, etc. Personne ne parle de la véritable cause de la récidive.

Quelqu’un qui sort de prison et retourne dans son milieu délictuel, dans sa cité, parmi d’autres délinquants, a quatre-vingt-dix chances sur cent de réitérer des actes de délinquance. Si, en revanche, on prépare correctement sa sortie en amont et qu’il est pris en charge dès son départ du milieu carcéral, notamment par un établissement public d’insertion de la défense, un EPIDE, alliant, vous le savez, l’éducation spécialisée et la fermeté militaire, nous aurons la chance d’offrir à ce délinquant la possibilité de se reconstruire socialement, de se former à un métier et de trouver enfin le moyen de sortir de cette spirale infernale qu’est la délinquance. Savez-vous que certains EPIDE obtiennent plus de 93 % de réussite ? Il y a alors moins de délinquants et, surtout, moins de victimes potentielles à la clé.

Cette solution, car c’est la solution, a deux inconvénients. Le premier, c’est qu’elle coûte très cher car, pour endiguer la délinquance, il faudrait multiplier par cinq le nombre de délinquants accueillis dans les vingt-deux EPIDE que compte le territoire national, et donc augmenter d’autant leurs budgets. Le second, c’est que c’est une proposition et une réalisation de l’ancienne majorité. Or, depuis deux ans, vous n’avez cessé de détricoter inlassablement tout ce qu’elle a effectué durant le dernier mandat.

Alors, madame la garde des sceaux, même si vous n’acceptez pas les amendements que je vais vous proposer demain ou après-demain, sachez que le vice-président de la commission de prévention de la délinquance, que j’avais l’honneur de présider au cours de la dernière législature, avait validé cette proposition. Ce vice-président s’appelait Manuel Valls. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. David Douillet.

M. David Douillet. L’impunité, tel est le message principal qui transpire de l’écrasante majorité des articles contenus dans votre projet de loi, madame la garde des sceaux : suppression des peines plancher, modification des aménagements de peines, qui met désormais le primodélinquant et le récidiviste sur un pied d’égalité, dangers de la contrainte pénale, etc. Mais ce n’est pas tout.

Il y a, de la part de nos concitoyens, une très vive inquiétude, légitime par ailleurs, sur les conséquences de ce projet de loi. Comment ne pas voir dans son maintien, après plusieurs renoncements pour les raisons que l’on connaît, une nouvelle démonstration de votre mépris à l’égard d’une majorité de Français, qui se disent opposés à ce texte et à la philosophie qui le porte ? Je crains, pour ma part, que votre obstination à faire la sourde oreille au pays réel ne cristallise encore un peu plus les peurs qui gangrènent aujourd’hui notre société, et ce à tous les niveaux.

Les motivations de la récidive sont à la fois extrêmement diverses et complexes. Plutôt que de s’attacher exclusivement aux alternatives à la prison, j’aurais souhaité que ce projet s’attache également à la question de nos prisons elles-mêmes.

Élu dans la douzième circonscription des Yvelines, j’ai évidemment eu l’occasion de visiter la centrale de Poissy. Le taux d’occupation y est de 160 à 180 %, contre 120 à 130 % en moyenne en France. Comment ne pas s’indigner devant les conditions dramatiques de détention et de traitement des détenus dans nos prisons françaises, où la notion de dignité humaine, si chère à notre démocratie, est quotidiennement bafouée sur l’autel des arbitrages financiers et d’une conception angélique de la justice que vous vous faites forte de représenter, madame la garde des sceaux ?

Mme Elisabeth Pochon. Cela date de deux ans seulement, la surpopulation ?

M. David Douillet. La réalité de ces prisons saturées est la même pour les personnels qui y travaillent au quotidien, dont vous semblez faire bien peu de cas. Dès les premières minutes de l’incarcération inhumaine, c’est le chemin de la récidive qui commence.

Votre projet de loi ne répondra que de manière très marginale à l’engorgement de nos prisons, dans la mesure où les 8 000 à 20 000 personnes qui seraient demain concernées par la contrainte pénale bénéficient déjà aujourd’hui de la possibilité d’être condamnées à un sursis avec mise à l’épreuve.

Je souhaiterais maintenant évoquer la tragédie du musée juif de Bruxelles, qui n’est pas sans rappeler l’affaire Merah, et qui nous impose aujourd’hui une double responsabilité.

Nous devons d’abord combler un vide juridique qui empêche la justice d’engager des poursuites contre les Français qui se rendent sur un terrain de conflit pour participer au djihad et reviennent ensuite sur le territoire national avec des intentions meurtrières. Le ministre de l’intérieur s’est engagé plus tôt dans la journée à présenter rapidement un projet de loi en ce sens, ce qui ne doit pas nous dispenser d’un examen attentif de l’amendement de Gérald Darmanin visant à pénaliser les voyages dans le but de se former ou de participer à une guerre dénoncée par l’État français.

Nous devons ensuite nous donner les moyens pour lutter efficacement contre le radicalisme religieux dans nos prisons françaises, qui sont devenues un lieu de recrutement privilégié, pour les islamistes radicaux notamment.

Délinquant multirécidiviste, Mehdi Nemmouche a été condamné à sept reprises et incarcéré cinq fois. D’après les autorités, c’est lors de sa dernière période de détention, dans le sud de la France, entre 2007 et 2012, que le suspect s’est radicalisé.

La radicalisation tient, pour certains, à un manque d’encadrement religieux spécifique. Les jeunes qui arrivent en prison sont très rapidement la proie d’imams radicaux autoproclamés en l’absence d’encadrement spécifique. Les jeunes détenus, en détresse psychologique, sont évidemment perméables aux discours radicaux. Les meneurs, qui promettent avec un cynisme absolu de nouvelles perspectives et un avenir plus reluisant à ces jeunes en perdition, n’ont pas de mal à les pousser sur la pente dangereuse de la radicalisation.

Nemmouche n’est pas le premier à faire les frais de leurs prêches sauvages. Ainsi, Merah, auteur des tueries de Toulouse et de Montauban en mars 2012, incarcéré pour un délit de droit commun, avait lui aussi basculé dans l’islam radical. Selon les chiffres avancés par l’administration pénitentiaire, 400 personnes se seraient ainsi radicalisées au cours de leur incarcération, une quarantaine d’entre elles étant jugées très dangereuses.

Nos moyens sont aujourd’hui très limités. Seuls une dizaine d’agents spécialisés travaillent actuellement sur le phénomène de la radicalisation pour l’ensemble des prisons françaises. Si l’incarcération ne peut être la seule raison, elle n’en reste pas moins un vecteur aggravant dans les conditions actuelles de détention. Le projet de loi qui sera présenté par le ministre de l’intérieur devra nécessairement, que vous le vouliez ou non, se saisir de la question.

Dernier point, s’il y a des prisonniers, il y a aussi quasi systématiquement des victimes. J’aimerais que, pendant tous ces débats, nous pensions aussi à elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Paul Salen.

M. Paul Salen. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est vrai que notre Gouvernement nous a habitués depuis plus de deux ans à une explosion de bons sentiments, fort éloignés de la vérité du quotidien vécu par les Français. Le déni de la réalité est devenu presque une marque de fabrique, que ce soit en matière économique ou matière de réformes institutionnelles.

Voilà maintenant que le Gouvernement s’attaque à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

Pourtant, que cela vous plaise ou pas, depuis mai 2012, les chiffres sont clairs. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, les évolutions, entre mars 2013 et février 2014, sont extrêmement inquiétantes. Sur cette période, la délinquance a progressé de 3,8 %, ce qui, très concrètement, veut dire 114 482 victimes supplémentaires, 371 203 cambriolages, soit plus de 1 000 cambriolages par jour, une hausse de 6,2 % des atteintes à l’intégrité physique et de 4 % des vols violents sans arme.

Tout à l’heure, Alain Tourret a défendu ardemment les femmes condamnées mais pas un mot sur les femmes victimes, sur les traumatismes causés à toutes les victimes et à leurs familles. Il a expliqué que défendre les femmes en prison, c’était le combat de sa vie. Pour les membres de mon groupe, le combat de notre vie, c’est de protéger les citoyens.

Voilà, madame la garde des sceaux, la réalité vécue par les Français, ce quotidien qui semble tant vous effrayer que vous préférez le cacher plutôt que de l’affronter et de chercher des solutions concrètes et efficaces. Si vous étiez réellement dans un tel état d’esprit, je peux vous assurer qu’au-delà des divergences politiques qui sont les nôtres, vous trouveriez dans les parlementaires de ma famille politique des femmes et des hommes disposés à construire une politique sérieuse et tournée vers la protection des Français. Malheureusement, vous avez fait le choix de la démagogie, du refus de la vérité, de l’idéologie.

Certes, la France se trouve en situation de surpopulation carcérale. Nul ne peut le nier puisque, avec 67 000 détenus dans nos prisons, nous enregistrons un taux d’occupation supérieur à 115 %. Mais quelle solution proposez-vous ? Sortir du tout carcéral ! C’est un extraordinaire raccourci lorsqu’on songe que seulement 17 % des condamnations pénales prononcées en France débouchent sur de la prison ferme. Le taux d’incarcération dans notre pays est nettement inférieur à celui de l’Espagne, du Royaume-Uni ou de l’Italie.

Loin de répondre aux attentes des Français, qui réclament plus de sécurité, le Gouvernement a démonté systématiquement toutes les réformes courageuses conduites entre 2007 et 2012. Alors que la loi du 27 mars 2012 mettait en place un plan de construction de places de prison destiné à améliorer les conditions de détention et à faire face aux besoins, le Gouvernement préfère ne plus incarcérer personne !

Ainsi, ce projet de loi, loin d’améliorer l’efficacité de la justice afin de la rendre mieux à même de répondre aux attentes des Français, ne fait que diminuer leur niveau de sécurité. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la prison doit offrir une nouvelle chance aux condamnés afin d’éviter la récidive, mais votre texte, madame la garde des sceaux, la transforme en centre de rééducation.

Pour qu’elle soit réellement dissuasive, et éventuellement instrument de réinsertion, la prison doit rester centrée sur ses missions premières : punir et protéger. Encore faut-il se donner les moyens pour qu’elle puisse le faire. En affirmant que la mission de la prison est tout autant de sanctionner que de favoriser la réinsertion des condamnés, nous brouillons le message. Souvenez-vous, madame la garde des sceaux : Raymond Aron analyse très finement la différence entre le diplomate et le militaire et conclut que les difficultés naissent du mélange de ces deux fonctions pourtant distinctes. À l’image de ce qu’écrivait Raymond Aron, je crois que le mélange de ces deux missions, punir et réinsérer, contribue à rendre floue la fonction essentielle de la prison.

D’ailleurs, en supprimant les peines plancher, vous affaiblissez le dispositif pénal, puisque celles-ci permettaient de sanctionner la récidive. En agissant de la sorte, vous délivrez un message purement idéologique, destiné à satisfaire une infime minorité de Français, au détriment de la sécurité de l’ensemble des autres, comme en attestent de nombreuses enquêtes d’opinion.

Que penser de votre mesure phare, la peine en milieu ouvert, dite « contrainte pénale », une peine s’appliquant aux délits passibles de cinq, voire dix ans de prison : escroquerie, vol aggravé, homicide involontaire, évasion d’un détenu… ? Ces délits sont-ils pour vous des peccadilles ?

Cette contrainte pénale répond à un mécanisme complexe et manquant de rigueur. De plus, chacun des intervenants successifs dans les différentes phases de la mise en place de cette nouvelle peine a la possibilité de revenir sur ce que son prédécesseur a prévu. Qui pourra bénéficier d’une contrainte pénale plutôt que d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une peine de prison ferme ? Rien ne le dit, si ce n’est que ce sera en fonction de la personnalité de l’auteur et des circonstances de l’infraction, autant dire de l’âge du capitaine !

Ensuite, il y a incertitude sur la durée de la peine de contrainte pénale – de six mois à cinq ans – puisque cette durée ne dépend pas de la gravité de l’infraction mais de l’appréciation subjective du tribunal quant à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Mais il y a aussi incertitude sur le contenu de la peine, les obligations et interdictions dépendant entièrement du contexte : personnalité de l’auteur, infraction, victime…

Je pense qu’une telle organisation n’est pas digne d’un grand pays démocratique comme la France. Les Français attendent mieux et plus, et vous ne leur apportez que de l’idéologie.

Madame la garde des sceaux, comme souvent, cette réforme que voulez faire passer dans l’urgence a été mal ficelée. J’espère que vous saurez accepter les amendements que les parlementaires soumettront à cette assemblée pour clarifier, préciser et améliorer cette réforme, dont les conséquences pour la justice de notre pays et la sécurité de nos concitoyens se doivent d’être conséquentes et significatives.

M. Georges Fenech. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan, dernier orateur inscrit.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, il est des meilleures intentions du monde qui aboutissent à de véritables catastrophes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) En réalité, l’échec programmé de votre réforme s’explique tout simplement par une vision idéologique et angélique de la réalité.

Permettez à un député de la banlieue parisienne, de surcroît maire depuis plus de vingt ans, confronté à une délinquance de plus en plus violente, de plus en plus jeune, car de moins en moins sanctionnée, de vous dire que votre raisonnement part d’un contresens d’analyse total. Pour simplifier, vous nous expliquez qu’il faut généraliser les peines alternatives à la prison au motif que le tout carcéral aurait échoué et encouragerait la récidive. C’est bien là que tous les acteurs de terrain, policiers, gendarmes, élus locaux, enseignants, surveillants pénitentiaires, au contact des réalités, ne peuvent qu’écarquiller les yeux en se demandant si nous vivons dans le même pays.

Car soyons clairs : les Français payent très cher au quotidien l’inverse exactement de ce que vous décrivez, c’est-à-dire du tout carcéral. Oui, nos concitoyens ont peur, peur de prendre les transports en commun, peur de rentrer chez eux le soir dans leur quartier, où les trafiquants font la loi, peur, à la sortie du collège ou du lycée, de se faire racketter, peur des représailles, en un mot peur des délinquants que vous allez choyer par votre projet.

Oui, les Français n’en peuvent plus… Vous m’écoutez, madame la garde des sceaux ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Des deux oreilles !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous m’écoutez des deux oreilles ? Vous devriez un peu plus écouter les Français, je crois !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous écoute, mais je ne suis pas obligée de vous admirer !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je ne vous demande pas de m’admirer mais d’écouter un parlementaire comme un autre.

Oui, les Français n’en peuvent plus de l’impuissance de l’État régalien, de votre mépris à l’égard de la représentation nationale, par ailleurs. Oui, l’impunité qui règne dans notre pays est le produit de l’immense laxisme qui imprègne depuis tant d’années les milieux judiciaires français, un laxisme conforté par des lois successives qui ont sans cesse favorisé les alternatives à la prison, sans comprendre qu’elles lui faisaient perdre son caractère dissuasif et protecteur. Contrairement d’ailleurs à l’image que vous voulez donner du précédent quinquennat, il n’a pas été celui de la fermeté ; des lois positives ont certes été votées, mais de manière contradictoire. La loi Dati a ouvert un champ trop large aux peines alternatives.

Loin de tirer les conséquences des échecs passés, vous voulez démanteler ce qui avait été fait de bien, les peines plancher, et, avec la contrainte pénale, aller encore plus loin dans la casse de l’État régalien. L’incarcération va en effet devenir l’exception, les conséquences en seront dramatiques, et l’impunité, puis l’insécurité, exploseront.

Je ne peux m’empêcher de penser aux habitants d’un quartier que je voyais ce week-end, dans ma circonscription, qui ne comprennent pas pourquoi un trafiquant de drogue deale à domicile en portant un bracelet électronique qui n’est pas surveillé. Des exemples comme ça, il y en a des centaines dans notre pays, fruit du laxisme judiciaire, et ils alimentent la colère de nos concitoyens.

En vérité, le système judiciaire français est débordé et le sera plus encore après votre réforme, car il manque des places de prison nécessaires et de l’accompagnement correct pendant et après la détention : 57 000 places en France contre 96 000 au Royaume-Uni, je ne reviendrai pas sur les statistiques, nous les avons assez entendues aujourd’hui. Voilà, tout simplement, l’explication. Seul un système pénitentiaire adapté et humain peut éviter la circulation dans nos rues de délinquants dont la place est en prison. Oui, vous allez libérer entre 10 000 et 20 000 délinquants, qui circuleront dans nos rues et aggraveront la délinquance. Les Français pourront savoir qui a été responsable de cela : votre majorité et ce projet de loi.

Il convient de se donner les moyens de reconstruire l’État, plutôt que d’inventer un suivi personnalisé d’assistante sociale impossible à mettre en œuvre correctement. Nos forces de police et de gendarmerie sont écœurées, madame la garde des sceaux, de l’attitude du milieu judiciaire et de vos encouragements au laxisme. Les surveillants pénitentiaires vivent un enfer quotidien et ne sont pas soutenus par votre ministère. Nos concitoyens hésitent de plus en plus entre subir et se faire justice eux-mêmes. La France n’a pas besoin, aujourd’hui, d’une amnistie déguisée. Vous porterez une responsabilité immense dans la situation d’insécurité, et les Français se rappelleront à votre souvenir.

M. Georges Fenech. Très bien !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 4 juin, à une heure dix.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron