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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 26 juin 2014

SOMMAIRE

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Approbation d’accords internationaux

Accord France-Luxembourg sur la coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune

Accord France-Belgique-Allemagne-Luxembourg concernant un centre commun de coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune

Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et la Géorgie

Accord euro-méditerranéen Union européenne-Jordanie relatif aux services aériens

Accord France-Luxembourg de coopération en matière de sécurité sociale

2. Mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées

Présentation

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission mixte paritaire

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Discussion générale

Mme Kheira Bouziane

Mme Marianne Dubois

M. Meyer Habib

Mme Véronique Massonneau

Mme Gilda Hobert

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Bernadette Laclais

Mme Annie Le Houerou

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État

Vote sur l’ensemble

3. Lutte contre la concurrence sociale déloyale

Présentation

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Chantal Guittet

M. Patrick Hetzel

M. Michel Piron

Mme Véronique Massonneau

Mme Gilda Hobert

Mme Annie Le Houerou

M. Denys Robiliard

Texte de la commission mixte paritaire

Amendement no 1

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

4. Développement et encadrement des stages

Présentation

Mme Chaynesse Khirouni, rapporteure de la commission mixte paritaire

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche

Discussion générale

Mme Kheira Bouziane

M. Patrick Hetzel

Mme Sonia Lagarde

Mme Véronique Massonneau

Mme Gilda Hobert

Mme Jacqueline Fraysse

M. Denys Robiliard

Mme Bernadette Laclais

Texte de la commission mixte paritaire

Amendement no 1

Vote sur l’ensemble

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Approbation d’accords internationaux

Procédure d’examen simplifiée

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifié, en application de l’article 103 du règlement, de six projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux (nos 1932 ; 679 ; 1931, 678 ; 2013, 1845 ; 2047, 193 ; 2048, 194 ; 2045, 1098).

Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je vais mettre directement aux voix chacun d’entre eux, en application de l’article 106 du règlement.

Accord France-Luxembourg sur la coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord France-Belgique-Allemagne-Luxembourg concernant un centre commun de coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et la Géorgie

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord euro-méditerranéen Union européenne-Jordanie relatif aux services aériens

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord France-Luxembourg de coopération en matière de sécurité sociale

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

2

Mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (n2041).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour discuter du projet de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 11 juin dernier, visant à habiliter le Gouvernement à prendre des mesures de nature législative concernant la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des bâtiments d’habitation, des transports et de la voirie. Ce projet de loi fait suite au constat d’échec relatif quant à la mise en œuvre des objectifs d’accessibilité universelle fixés par le législateur dans la loi du 11 février 2005. Pour mémoire, cette loi contient des dispositions organisant notamment la mise en accessibilité des ERP, des bâtiments d’habitation, des transports et de la voirie à l’horizon des 1er janvier et 13 février 2015. La mise en accessibilité devait être universelle, c’est-à-dire adaptée à tous types de handicap. Passé ce délai, un dispositif de sanctions pénales est prévu pour les personnes physiques ou morales qui ne se seraient pas mises à jour de leurs obligations. Mais il s’agit là, reconnaissons-le, de la seule disposition contraignante, aucun dispositif de suivi intermédiaire n’ayant été prévu. Le fait est que la société française a accumulé un retard important, et la perspective couperet du 1er janvier 2015 est devenue de plus en plus difficilement tenable.

Face à ce constat, deux chantiers de concertation ont été conduits par la sénatrice Claire-Lise Campion ; ils ont débouché sur deux rapports remis en février et mars derniers : l’un portant sur les mesures de simplification réglementaire, l’autre sur la création d’un agenda d’accessibilité programmé, que l’on commence à connaître sous le nom d’Ad’AP, ainsi que sur ses déclinaisons.

Les prescriptions des quatre articles du projet de loi s’inscrivent dans cette démarche. Ses principales mesures permettent la déclinaison des Ad’AP pour les établissements et installations recevant du public ainsi que pour les réseaux de transport.

Réunie le 26 mai dernier, la commission des affaires sociales enrichissait ce texte puisque, dans un climat constructif et consensuel, elle adoptait d’importantes modifications.

À l’article 1er, la commission des affaires sociales a voté un amendement rendant les Ad’AP obligatoires. Nous partons en effet du postulat, audacieux dans l’histoire de la mise en accessibilité, que chacun doit se conformer à la loi ! Nous considérons donc que tous les propriétaires ou exploitants d’ERP qui ne seraient pas à jour avec les règles d’accessibilité devront évidemment déposer un Ad’AP. Il est donc logique d’assujettir le non-dépôt à un dispositif de sanctions, lesquelles ne suppriment évidemment aucune de celles prévues par la loi de 2005. Par ailleurs, elles doivent être adaptées à la capacité contributive des ERP, interdisant donc selon moi le principe forfaitaire.

En outre, nous avons précisé les délais de dépôt des agendas, soit dans les douze mois suivant la publication des ordonnances. Je le réaffirme ici : la commission des affaires sociale a adopté cet amendement afin de ne pas permettre de dépôt tardif d’agenda. Le Gouvernement ayant rappelé qu’il s’agira d’une formalité très simple, il n’y a aucune raison de renouveler les erreurs de 2005 en laissant courir les délais, en permettant à ceux qui le peuvent d’acheter des mois ou des années supplémentaires en payant une amende. Nous ne souhaitons pas autoriser de dépôt au-delà des douze mois. Je rappelle que ce fut l’un des apports principaux de notre débat à l’Assemblée nationale et que nous serons extrêmement vigilants sur l’application de ce dispositif.

Constatant que l’une des raisons de l’échec de la loi de 2005 tenait à l’absence de rendez-vous d’étape, nous avons adopté un amendement prévoyant des formalités de suivi à mi-période pour les Ad’AP les plus longs. Cette mesure ne vise donc que les ERP de grande taille. En effet, dans l’esprit du texte, la plupart des petits ERP devraient se voir accorder des agendas d’un an ou deux, correspondant à des travaux souvent légers. Pour les travaux plus conséquents, il serait bien sûr souhaitable qu’un outil d’aide à la décision en cas de demande de dérogation pour disproportion manifeste permette d’envisager deux scénarios : celui d’une mise en accessibilité totale et celui d’une mise en accessibilité partielle en cas de contraintes financières insurmontables, refusant donc le principe du tout ou rien.

De même, à l’article 2, nous avons prévu que les schémas directeurs d’accessibilité Ad’AP, spécifiques aux transports, seront déposés au plus tard dans les douze mois suivant la publication des ordonnances. Là encore, il ne peut y avoir de dérogation à cette volonté forte du législateur.

À l’article 3, nous avons souhaité apporter des précisions sur la gouvernance du fonds qui sera créé afin de recueillir le produit des sanctions financières liées aux Ad’AP. Il s’agit de garantir la représentation des acteurs publics et privés ainsi que des représentants des associations.

Nos discussions ont également mis en lumière la nécessité de mieux formuler l’alinéa relatif à la circulation des chiens-guides d’aveugles, qui, en l’état initial, semblait relativement ambiguë.

Les 10 et 11 juin, l’examen en séance du projet de loi nous a donné l’occasion d’enrichir encore le texte. Nous avons ainsi invité le Gouvernement à profiter de la mise en place des Ad’AP pour clarifier la répartition des rôles dans la mise en accessibilité entre le propriétaire et l’exploitant d’un ERP. En outre, nous avons souhaité, par voie d’amendement, qu’il étudie selon quelles modalités les établissements publics de coopération intercommunale pourraient se substituer aux petites communes pour l’établissement des plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. De plus, les dispositions relatives à la composition des commissions communales et intercommunales pour l’accessibilité aux personnes handicapées ont été modifiées afin de tenir compte de tous les acteurs concernés.

Sur amendement du Gouvernement, à la suite de vos demandes précises, mes chers collègues, la rédaction de l’alinéa 5 de l’article 3 portant sur les chiens-guides d’aveugles et les chiens d’assistance a été clarifiée. En outre, a été introduite l’obligation de formation ou de sensibilisation à la question du handicap des personnels en contact avec le public.

En commission comme en séance, je me suis réjoui de l’investissement de nombre d’entre vous. S’il s’agit d’un projet de loi d’habilitation, nous avons largement précisé la volonté du législateur.

Réunis en CMP le 17 juin 2014, nous avons adopté un certain nombre d’amendements de forme tendant à clarifier la rédaction et à mieux expliciter encore la volonté du législateur. Les modifications retenues ont notamment eu trait à la précision de la répartition des rôles en matière de mise en accessibilité dans les baux d’ERP, aux seuils au-dessous desquels les plans de mise en accessibilité seront facultatifs ou allégés – facultatifs jusqu’à 500 habitants, ils pourront être circonscrits aux voies les plus fréquentées jusqu’à 1 000 habitants –, à la dénomination des commissions communales et intercommunales pour l’accessibilité aux personnes handicapées.

C’est le texte ainsi modifié qui est aujourd’hui soumis à votre vote. Les sénateurs l’ont adopté le 24 juin dernier, et il nous revient de parachever ce processus parlementaire au cours duquel, je le répète, notre assemblée aura joué un rôle d’enrichissement du texte dont elle peut s’honorer.

Vous le savez, madame la secrétaire d’État, les parlementaires n’aiment pas se dessaisir de leurs prérogatives au bénéfice d’ordonnances. Dès lors, le respect de la volonté du législateur sera la condition qui permettra de ne pas recommettre les erreurs de la loi de 2005 et d’assurer l’accessibilité réelle tout en montrant l’attachement du Gouvernement – ce dont je ne doute pas – au travail effectué par les parlementaires et à la volonté qu’ils ont ainsi affirmée.

Mes chers collègues, au moment où nous allons nous prononcer définitivement sur ce texte, je forme le vœu que notre vote envoie un signal fort à l’ensemble de la nation. Il s’agit de rappeler à chacun qu’il est directement concerné par l’accessibilité, que celle-ci n’est pas seulement une question concernant les personnes handicapées car nous en seront tous bénéficiaires à un moment où un autre de notre vie. Il s’agit également d’affirmer que ce texte recherche avant tout l’harmonie sociale, que celle-ci repose non pas sur le contentieux mais sur l’adhésion à la loi et sur son application, et de souligner que l’État et les services publics ont en la matière un devoir d’exemplarité.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, au terme du processus parlementaire, je suis ici ce matin, d’une part, pour vous remercier pour le travail accompli, en particulier votre rapporteur, Christophe Sirugue, qui a fait un travail très minutieux, et, d’autre part, pour vous confirmer l’engagement du Gouvernement en faveur de l’accessibilité universelle.

La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées donnait, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, dix ans pour rendre accessibles les établissements recevant du public, les transports, la voirie et les espaces publics. Constatant, avec tous les acteurs du handicap, que seulement 30 % de ces établissements avaient respecté leurs obligations à quelques mois de l’année 2015, le Gouvernement a décidé d’agir vite pour donner les moyens à la loi de 2005 d’être appliquée efficacement, concrètement et de manière concertée : sans dédouaner de leurs responsabilités les gestionnaires d’établissements recevant du public, il pose un cadre opérationnel qui soit capable de les mobiliser de façon efficace.

C’est dans la concertation que dès l’automne 2013, et à la suite du rapport de la sénatrice Claire-Lise Campion, ont été réunies les grandes associations du secteur du handicap et les représentants des établissements privés et des collectivités territoriales afin de définir un cadre qui instaure de façon irréversible une dynamique de mise en accessibilité de la société. Ces presque 140 heures de discussions ont permis d’aboutir à un équilibre et à des avancées normatives en faveur d’un objectif : faire progresser de façon concrète l’accessibilité. La mesure majeure consiste dans la création des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP, qui formaliseront l’engagement des acteurs à réaliser les travaux de mise en accessibilité, selon un calendrier précis et resserré.

Les travaux parlementaires autour de la loi d’habilitation à légiférer par ordonnance ont permis de renforcer le dispositif en rendant obligatoires les Ad’AP. Ceux-ci ne constituent pas un abandon ou un recul par rapport à l’objectif de mise en accessibilité. Pour tous ceux qui ne s’inscriront pas dans la démarche, les sanctions pénales de la loi de 2005 s’appliqueront. Les gestionnaires d’ERP auront un an pour présenter un projet d’Ad’AP. J’insiste sur le fait que la durée des Ad’AP prend en compte la diversité des situations : un, deux ou trois ans au maximum pour 80 % des établissements recevant du public.

Aujourd’hui, le Gouvernement prépare les ordonnances et leurs textes d’application.

Nous avons plusieurs objectifs.

Nous voulons d’abord respecter l’équilibre général des dispositions issues de la concertation et des travaux parlementaires.

Nous mettons ensuite des moyens pour permettre réellement et concrètement la mise en accessibilité des établissements recevant du public, à travers, d’une part, la signature, cet après-midi, avec le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, d’une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et BPI France, convention qui doit faciliter dès cette année l’accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises dans leurs travaux d’accessibilité et, d’autre part, le recrutement dans les semaines qui viennent de 1 000 ambassadeurs de l’accessibilité dans le cadre du service civique.

Nous allons enfin lancer un grand plan de communication nationale afin que tous les propriétaires d’établissements recevant du public soient sensibilisés aux enjeux de l’accessibilité et prennent connaissance des avancées qui leur sont proposées.

Je vais vous dire le fond de ma pensée, nous n’avons plus le temps de regarder vers le passé. Il nous faut construire rapidement l’avenir, et l’avenir, ce sont les agendas d’accessibilité programmée. Il y a en effet urgence pour toutes celles et tous ceux qui vivent chaque jour un vrai parcours du combattant pour se déplacer, et je sais combien les attentes sont grandes.

À ceux qui s’inquiètent encore, je veux dire que le Gouvernement est déterminé pour faire avancer l’accessibilité universelle. Telle est ma mission, tel est mon combat, et j’irai partout en France, auprès des collectivités, des entreprises, des artisans, pour expliquer, rassurer, informer.

L’accessibilité, cela concerne 12 millions de personnes en France. C’est un investissement d’avenir et non une charge supplémentaire. C’est avant tout une question d’égalité, et c’est donc l’application de nos valeurs républicaines. Grâce à ce projet de loi d’habilitation et aux textes qui vont suivre, nous y parviendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Kheira Bouziane.

Mme Kheira Bouziane. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, savoir dans quelle société nous souhaitons vivre, telle est la question à laquelle nous renvoie ce projet de loi, qui n’a pas d’autre objectif que d’adapter autant que possible l’environnement dans lequel nous vivons à l’ensemble de nos concitoyens, qu’ils soient porteurs d’un handicap, passager ou permanent, valides, âgés ou même blessés.

En dépit du retard accumulé par la France en la matière, on ne peut pas, on ne doit pas se résigner à laisser en marge une partie de nos compatriotes, d’autant que ce retard suscite des impatiences tout à fait compréhensibles, nous en sommes régulièrement les témoins sur le terrain.

Aussi, après avoir mené une concertation avec l’ensemble des parties prenantes, associations de personnes handicapées, associations d’élus, collectivités locales, fédérations professionnelles des secteurs économiques concernés et professionnels de l’accessibilité, et avoir reconnu notre retard indéniable, devons-nous avoir l’ambition de nous doter des outils et des moyens indispensables pour mieux prendre en compte l’ensemble des formes de handicap.

Ce projet vise d’abord à compenser les manques de la loi de 2005, dont on ne doit pas nier les avancées mais qui, en dix ans, n’a pas permis d’obtenir les résultats escomptés.

Il faut agir, et il y a urgence, car les attentes sont grandes. Nous ne pouvons pas nous permettre de reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Alors que la loi de 2005 prévoyait dix ans pour la mise en accessibilité, sans contrôle, le projet de loi actuel crée un dispositif obligatoire, les Ad’AP, qui permettront d’encadrer et de suivre le processus de la mise aux normes. Là où la loi de 2005 manquait de souplesse et a contraint certains établissements à l’inaction, le projet actuel permet aux structures rencontrant des difficultés financières ou techniques de bénéficier d’un aménagement ou d’être aidées. De plus, pour répondre à l’urgence, le Gouvernement prend ses responsabilités, et le recours aux ordonnances permettra un travail rapide, pragmatique et cohérent avec les objectifs.

Si la mise en accessibilité ne résout pas tout, c’est au moins un vecteur d’indépendance et d’égalité pour bon nombre de nos concitoyens, vous l’avez bien souligné, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, car le handicap est toujours lié à une situation : c’est la situation et l’environnement qui créent le handicap, et non l’inverse.

Je tiens à saluer le travail des parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat, celui de nos deux rapporteurs sur ce sujet et les conclusions de la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 17 juin dernier.

Après une série d’échanges constructifs et l’adoption de quelques amendements rédactionnels, la CMP a adopté le projet de loi tel qu’il était issu des débats de l’Assemblée nationale. Les conclusions de cette CMP nous sont aujourd’hui présentées pour un vote définitif.

Dans ce cadre, pour rendre enfin notre environnement accessible, ce qui est fortement attendu, je vous invite tous, chers collègues, à voter ce texte qui s’engage résolument vers l’avenir, pour l’égalité, et l’inclusion de tous nos concitoyens en matière d’accessibilité parce que, je le répète, le sujet du handicap est loin d’être tari ou réglé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Dubois.

Mme Marianne Dubois. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, soutenue par Jacques Chirac et la majorité de l’époque, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a fixé des objectifs ambitieux reposant sur un principe d’accessibilité universelle et un droit à compensation des conséquences du handicap, qu’il soit physique, psychique ou sensoriel.

Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que ce texte, comme celui qui l’avait précédé en 1975, n’a pas assez contribué à changer notre façon de considérer le handicap et à créer les conditions d’une véritable société inclusive, mais tout est perfectible.

De grands progrès ont été accomplis, mais il faut reconnaître notre responsabilité collective : nous sommes loin du compte, en particulier pour la mise en accessibilité. Le délai de dix ans qui avait été jugé nécessaire en 2005 pour la mise en accessibilité de tous les établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie ne peut être tenu dans les deux ans qui viennent, compte tenu du retard qui a été pris.

Le présent texte est donc, reconnaissons-le, un point d’étape obligé, puisque nous devons adapter les délais prévus par la loi de 2005. Pour autant, il aurait pu, il aurait dû, même, constituer une occasion plus positive de faire avancer plus encore la cause des personnes handicapées. Au lieu de cela, vous nous proposez un recours à des ordonnances, voté dans la précipitation, ce que nous avons regretté, tant sur la forme que sur le fond.

Sur le fond, en effet, c’est bien l’esprit de la loi de 2005, et son élan, que nous devrions retrouver pour aller plus loin dans la réalisation de ses objectifs. Or le projet de loi d’habilitation ne contient que quatre articles, dont deux majeurs, où n’est en fait mentionnée que la nécessité de reporter certaines dates.

Nous aurions pu aborder d’autres sujets majeurs sur lesquels nos compatriotes et nous-mêmes avons bien des attentes, comme le vieillissement des personnes handicapées, l’autisme ou l’accompagnement des aidants.

Nous demeurons préoccupés par la situation des associations, des collectivités territoriales et des acteurs privés, qui doivent engager les investissements nécessaires et faire face aux difficultés financières qui leur incombent.

Il ne faut pas croire que rien n’a été fait dans ce domaine, car un certain nombre d’acteurs, y compris privés, n’ont pas attendu 2015 pour se mettre en conformité avec la loi.

Quoi qu’il en soit, restons positifs, car ce projet autorisant le Gouvernement à prendre des ordonnances sera voté, et il va maintenant falloir mettre du contenu dans les ordonnances, nous y serons attentifs, madame la secrétaire d’État.

Il va falloir renforcer la surveillance des délais, prévoir les modalités financières et progresser sur de nombreux points que pose la question du handicap dans notre société.

L’accessibilité concerne 12 millions de personnes en France, mais dépasse les seuls lieux, le seul cadre bâti. Il est donc indispensable de prévoir une mise en accessibilité des informations, notamment en direction des personnes atteintes de handicap sensoriel. La formation d’interprètes en langue des signes, le sous-titrage, la signalétique doivent être renforcés ainsi que la formation de personnels d’accueil. Ces personnels d’accueil devront également être formés aux problématiques du handicap psychique.

Tous ces points, et ils sont nombreux, feront que l’accessibilité pour tous sera non pas simplement un slogan mais une réalité communément partagée pour les 12 millions de Français qui en ont tant besoin.

Notre groupe politique s’étant partagé entre opposition et abstention, je m’abstiendrai à titre personnel et chacun sera libre de voter en confiance.

Mme la présidente. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée achève aujourd’hui l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

Ce texte a vocation à préserver et à poursuivre la politique en faveur des personnes souffrant de handicap. Cette politique, naturellement au cœur de l’exigence de cohésion sociale et de solidarité nationale, très chère au groupe UDI, a été initiée par la loi du 30 juin 1975.

Revenons sur l’historique.

Le principe d’une mise en œuvre progressive de l’accessibilité du cadre bâti et des transports au 1er janvier 2015 a été consacré par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, 2005 ayant ainsi constitué le point de départ d’une véritable mobilisation de l’ensemble des acteurs publics et privés visant à éliminer l’intégralité des barrières susceptibles d’entraver l’accomplissement personnel et professionnel des personnes handicapées.

Pour autant, force est de constater aujourd’hui qu’en dépit de l’engagement de l’ensemble des acteurs publics ou privés, la France, hélas, ne sera pas au rendez-vous du 1er janvier 2015 prévu par la loi. De nombreux retards ont en effet été constatés. Ils sont principalement dus à la sous-estimation de l’ampleur du chantier à mener, à une évaluation imparfaite du coût des travaux nécessaires, à la complexité des règles à respecter et à un manque d’harmonisation des pratiques des commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité.

Nous regrettons toutes et tous, quelle que soit notre sensibilité politique, qu’un temps précieux ait été perdu depuis la loi de 2005. Pour autant, en abordant ce débat si essentiel, notre groupe a fait le choix résolu de ne pas pointer du doigt les défaillances des uns ou des autres, considérant que la seule et unique exigence à laquelle nous devions désormais répondre était la poursuite des efforts engagés.

Telle est l’ambition de ce projet de loi, qui vise à prolonger au-delà de 2015 le délai de mise en accessibilité, tout en garantissant que ce dispositif d’exception ne fragilisera pas la dynamique engagée. Il prévoit la création d’un outil de pilotage, l’agenda d’accessibilité programmée, ou Ad’AP, qui permettra à un propriétaire ou à un exploitant d’obtenir un délai supplémentaire pour la mise en accessibilité, dès lors qu’il s’engage sur un plan de travaux pluriannuels ainsi que sur leur programmation financière.

Vous conviendrez que nous aurions préféré avoir un vrai débat, ce que ne permet pas, hélas, le recours à l’habilitation, celle-ci permettant au Gouvernement d’avoir recours aux ordonnances.

Je concède cependant et comprends qu’en l’espèce, le recours aux ordonnances semble ici constituer le véhicule le plus efficace pour mettre rapidement en œuvre les outils nécessaires pour préserver et prolonger l’ambition affichée par la loi du 11 février 2005. En revanche, le choix de cette méthode imposait au Gouvernement d’apporter des réponses précises à la représentation nationale. Or, pour notre groupe, de fortes interrogations subsistent.

Nous avons d’abord une interrogation lourde sur la méthode. Il est regrettable que nous soyons obligés de légiférer à nouveau aujourd’hui et que nous donnions ainsi l’impression aux personnes handicapées et à leurs proches que la dynamique engagée en 2005 subit un coup d’arrêt. Je vous pose donc une nouvelle fois la question, madame la secrétaire d’État, ne devrait-on pas envisager cette fois-ci une méthode différente avec des rendez-vous réguliers, impliquant l’ensemble des acteurs engagés au service de cette démarche ? Nous pourrions peut-être ainsi anticiper les éventuelles difficultés futures et définir en amont des solutions consensuelles pour y répondre rapidement.

Nos débats ont permis de favoriser la diffusion des solutions innovantes et efficientes de mise en accessibilité retenues sur chacun des territoires et de compléter le suivi quantitatif par une évaluation qualitative, mais les dispositions proposées ne nous semblent répondre qu’imparfaitement à cet objectif.

Une autre interrogation, également lourde, porte sur le financement de cette loi. Malgré le report de la date butoir du 1er janvier 2015, la mise en œuvre de l’accessibilité suppose que les collectivités territoriales consentent un effort financier important. Or le Premier ministre vient d’annoncer qu’elles seront ponctionnées pour un montant de 11 milliards d’euros. Il est donc à craindre qu’elles soient contraintes de sacrifier leurs dépenses d’investissement pour respecter les obligations d’accessibilité. Encore une fois, en se contentant de préciser que les ressources du fonds créé par la loi seront exclusivement consacrées à la mise en accessibilité, notre assemblée n’a pas véritablement répondu aux inquiétudes des élus.

La commission mixte paritaire, qui n’a adopté que des amendements de précision rédactionnelle aux articles 1er et 3, n’a pas bouleversé l’équilibre de ce projet de loi. Elle ne l’a pas non plus amélioré. Les imperfections et les inquiétudes qui demeurent imposent au Gouvernement de maintenir un dialogue constant avec la représentation nationale et avec l’ensemble des acteurs publics et privés, engagés en faveur de l’accessibilité.

La loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a posé le principe d’une mise en œuvre progressive de l’accessibilité. Près de quarante années plus tard, nous prendrons nos responsabilités pour faire de l’accessibilité une réalité.

Vous l’avez peut-être compris, notre groupe soutiendra ce projet de loi car nous estimons que l’objectif qu’il vise est essentiel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question de l’accessibilité aux infrastructures pour les personnes en situation de handicap doit être au centre de nos politiques publiques. Il s’agit d’un enjeu de solidarité et d’égalité et tout doit être mis en œuvre pour atteindre nos objectifs en la matière.

Ce projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, tel qu’il est intitulé, est examiné dans le cadre d’une procédure d’urgence en raison d’une incapacité à tenir les engagements pris pour 2015. En effet, la précédente loi, qui date de 2005, réaffirmait le principe d’accessibilité pour tous, quel que soit le handicap. Les critères d’accessibilité et les délais de mise en conformité ont été redéfinis. Ainsi, les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont eu dix ans pour se mettre en conformité avec la loi. Celle-ci prévoyait aussi la mise en accessibilité des communes et des services de communication publique.

À quelques mois de l’échéance de ce délai, c’est une certitude : il ne sera pas tenu. La procédure accélérée a donc été engagée et le Gouvernement a fait le choix de recourir à la voie des ordonnances. Si nous ne sommes pas toujours favorables à cette manière de faire, dans le cas présent, il convient de le reconnaître, la fin justifie les moyens. Soyons pragmatiques et faisons en sorte que les travaux soient, pour la première fois, effectivement réalisés d’ici à trois ans dans la majeure partie des cas, au plus tard dans dix ans pour le reste. C’est une nécessité si nous voulons vivre dans une société plus égalitaire et si nous voulons que ce principe affirmé de l’accessibilité universelle devienne une réalité pour nos concitoyennes et nos concitoyens.

Cette loi peut le permettre et, soyons francs, il est grand temps ! Le constat formulé par le baromètre annuel de l’Association des paralysés de France est accablant : à peine plus de la moitié des écoles sont accessibles aux personnes à mobilité réduite, et seuls 42 % des réseaux de bus sont suffisamment équipés. Les commerces de proximité, ainsi que les cabinets médicaux et paramédicaux, sont également loin du compte. La vie quotidienne ordinaire continue ainsi d’être impossible pour une immense majorité des personnes en situation de handicap : comment se rendre en toute autonomie chez un boucher, un boulanger ou un coiffeur ? En dépit des actions de sensibilisation menées par les chambres de commerce et d’industrie, les commerces de proximité peinent à se sentir mobilisés par cette nécessité de proposer des prestations accessibles à tous.

Parmi les points positifs, l’accessibilité des centres commerciaux est toujours louée par les personnes en situation de handicap et la notation des bureaux de poste par les personnes concernées commence enfin à être satisfaisante, ce qui s’explique notamment par le programme de rénovation des agences postales. L’accès aux piscines semble également s’améliorer chaque année. Cependant, il faut demeurer prudent face aux interprétations enjouées, car il demeure encore beaucoup à faire. En effet, à l’instar des agences postales, de nombreuses piscines sont engagées dans des programmes de rénovation. De plus, il faut certainement y voir l’effet du dynamisme des associations d’activités physiques adaptées comme la Fédération française Handisport par exemple. Les cinémas progressent également ; cela s’explique notamment par l’apparition récente de nombreuses nouvelles salles sur le parc français. Sur ce point aussi, il convient de demeurer prudent dans les interprétations des chiffres. On ne peut écarter l’hypothèse que les personnes en situation de handicap interrogées aient répondu à la question en pensant aux cinémas qu’elles ont déjà identifié comme accessibles. Ainsi, les réponses en termes d’habitudes de vie ne doivent pas augurer d’une situation générale satisfaisante.

Le projet de loi d’habilitation que nous votons aujourd’hui aborde ainsi un enjeu majeur. Les derniers chiffres publiés par l’INSEE en 2011 et cités par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées, l’AGEFIPH, établissent que la France comptait, en 2007, 9,6 millions de personnes handicapées au sens large, soit plus de 14 % de la population française.

L’incapacité à tenir les délais prévus initialement est liée à plusieurs raisons : une trop grande attente entre la publication de la loi et la parution des décrets, une réglementation trop complexe, une mauvaise compréhension de l’impact financier et une anticipation incorrecte des délais nécessaires, couplées à une quasi-absence de portage politique. La mise en accessibilité doit être pour tous une priorité. L’égalité entre les citoyens est un principe absolu. Cela signifie donc l’égalité dans l’accès à la vie sociale, économique, politique, culturelle, avec l’objectif de permettre à chaque citoyen la plus grande autonomie possible.

Je me félicite ainsi des amendements que nos collègues écologistes ont fait adopter au Sénat. Le premier facilitera grandement la vie des personnes en situation temporaire ou permanente de handicap, en faisant en sorte qu’une liste des établissements recevant du public et des transports accessibles ou en cours de mise en accessibilité soit mise à disposition de tous par les communes et les intercommunalités. Le second nous permet de nous assurer de la vigilance des acteurs de l’accessibilité en mettant en place un comité de suivi de l’application de cette loi, capable d’identifier et de surmonter les problèmes qui pourraient apparaître à mesure que les travaux sont entrepris. Le texte nous assure donc de cela, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Madame la secrétaire d’État, les ordonnances qui seront prises doivent rassurer nos concitoyens et démontrer toute la volonté du Gouvernement de rendre notre pays enfin égalitaire sur le plan de l’accessibilité. Or plusieurs associations ont déjà fait remonter quelques-unes de leurs craintes quant au respect de tous les objectifs. Tous les ERP et tous les transports doivent être accessibles d’ici à neuf ans au plus tard. Cela a déjà trop tardé, nous ne pouvons les décevoir une nouvelle fois. Soyons volontaristes, continuons notre engagement pour l’égalité et soyons à même de les rassurer, car la mise en accessibilité ne doit pas être vue seulement comme une contrainte ni comme une charge financière qui empêcherait de financer d’autres investissements. Elle demande bien sûr des choix, des arbitrages financiers, mais c’est un bénéfice pour tous, qui demande que tous fassent des efforts.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’article L. 114-1 du code de l’action sociale et des familles rappelle que « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. L’État est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d’actions ».

Figure également dans notre arsenal législatif sur le sujet des personnes en situation de handicap la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi impose la mise en accessibilité des établissements recevant du public et des transports publics pour 2015.

Force est de constater qu’elle n’a pas les effets escomptés et que nous sommes bien loin de la situation qu’elle visait à instaurer. J’en veux pour preuve le baromètre annuel publié par l’Association des Paralysés de France au mois de février dernier. Il en ressort en effet que, par exemple seules 42 % des lignes de bus sont accessibles et que la moitié des écoles ne sont toujours pas accessibles pour les personnes en situation de handicap. En outre, toujours selon l’Association des paralysés de France, seuls 15 % des établissements recevant du public sont actuellement aux normes, quand seules 8 % des communes de moins de deux cents habitants ont adopté leur plan d’accès à la voirie et aux espaces publics, contre 38 % des communes de plus de 50 000 habitants.

Comme l’a rappelé ma collègue Dominique Orliac lors de nos précédents débats en séance, des efforts ont toutefois été faits. Grâce à ces efforts et à la persévérance des élus locaux qui, malgré les contraintes financières que la loi de 2005 leur impose, se battent afin de rendre la vie de la cité accessible à tous, l’accès aux mairies, aux bureaux de poste ou aux centres commerciaux s’est amélioré, parfois considérablement. Oui, mes chers collègues, bien que soumises à de fortes contraintes, les communes apportent chaque jour la preuve de leur volonté d’améliorer l’accueil de tous les publics dans les équipements communaux et de faciliter ainsi l’accès au service public.

Admettons-le, la loi de 2005 a conduit au développement d’une meilleure accessibilité et d’une qualité d’usage toujours plus grande. De plus en plus de lieux, d’année en année, ont été aménagés et se sont développés afin d’être accessibles à tous. Cependant, nous le savons depuis quelques années déjà, l’échéance de 2015 ne sera malheureusement pas tenue. Le temps est donc venu de se donner les moyens, et non pas uniquement de porter l’idée par la parole.

Je suis donc très satisfaite que le groupe RRDP ait fait adopter un amendement en commission qui sanctionnera le non-dépôt d’agenda d’accessibilité programmée. Je suis également satisfaite que notre amendement concernant la formation ait suscité un amendement gouvernemental qui introduit l’obligation de formation et de sensibilisation à la question du handicap pour le personnel recevant du public ainsi que les seuils démographiques relatifs à l’obligation d’élaboration des plans de mise en accessibilité de la voirie. Je suis satisfaite, aussi, que des aménagements des espaces publics aient pu compléter ce projet de loi.

Enfin, sur votre proposition, madame la secrétaire d’État, nous avons clarifié la disposition qui porte sur les chiens guides d’aveugle. Je ne peux, à ce sujet, que saluer votre volonté d’élargir le champ des personnes autorisées à entrer dans les lieux publics accompagnés d’un chien guide. Ceci est une avancée très appréciable.

Si la volonté du Gouvernement est de s’engager fortement pour faciliter et intégrer les personnes en situation de handicap dans la vie de tous les jours, ainsi que vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, et je vous en remercie, les défis restent énormes tout autant pour les personnes en situation de handicap que pour les pouvoirs publics, dont la tâche est de permettre un accès de qualité aux services publics sur tout le territoire de la République.

Nous n’avons pas de baguette magique pour rattraper le temps perdu depuis de si longues années. Pour le groupe RRDP, il reste urgent de respecter des délais fixés il y a bientôt neuf ans déjà par la loi de 2005 ; des actions concrètes et visibles sur le terrain enverraient un signal fort et encourageant.

Ce projet de loi est un signal fort. Il mettra en place les bases légales afin de nous diriger, tous ensemble, vers l’accessibilité pour toutes et tous. Ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire va, vous l’aurez compris, dans le bon sens, et notre groupe se félicite des améliorations que chacune des assemblées a pu apporter à ce texte.

Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre investissement et pour le travail ambitieux que vous avez conduit.

Par conséquent, le groupe RRDP soutient ce texte, et le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Le texte sur la mise en accessibilité qui nous est soumis par la commission mixte paritaire préserve les principales évolutions décidées par l’Assemblée nationale, suite aux amendements adoptés en commission des affaires sociales. Ce texte est donc plus contraignant qu’il n’était à l’origine, ce qui est positif.

Nous avons bien noté que les établissements recevant du public n’ayant pas accompli les travaux de mise en accessibilité conformément à la loi du 11 février 2005 seront obligés de présenter un agenda d’accessibilité programmée. Cet agenda doit être déposé auprès des autorités administratives dans un délai de douze mois à compter de la publication des ordonnances. Vous avez également retenu la mise en place d’un suivi, ce qui manquait cruellement à la loi de 2005. Enfin, vous proposez de mieux encadrer le fonds destiné à recevoir le produit des sanctions financières prononcées à l’égard des contrevenants. Ces mesures améliorent indiscutablement le texte.

Cependant, le problème principal persiste : ce projet de loi d’habilitation repousse la date limite de mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et surtout, ne prévoit aucun moyen financier pour la mettre en œuvre. Repousser l’application de cette loi attendue depuis si longtemps par les personnes en situation de handicap, leur famille et les associations, sonne comme un échec. Parmi les raisons qui expliquent l’insuffisance de l’application – voire, dans certains cas, la non-application – de la loi de 2005, il y a bien sûr l’absence de suivi, mais aussi le manque de moyens financiers pour faire face à ces dépenses très importantes.

Dès 2005, nous avions souligné ces défauts originels. Nous avons ensuite plusieurs fois lancé l’alerte à propos de l’impossibilité de tenir le délai prévu par la loi sans une politique volontariste de la part des pouvoirs publics. C’est dans ce contexte qu’en 2011, devant le retard accumulé, nous avons soumis à notre Assemblée une proposition de résolution invitant le gouvernement français à prendre des décisions pour mettre en œuvre une réelle politique d’accessibilité universelle, conformément à ses engagements internationaux, mais en vain. Aujourd’hui, devant ce constat, vous nous proposez de repousser l’application de cette loi.

Certes, ce projet de loi oblige chacun à présenter un agenda d’accessibilité programmé concret et chiffré, et en met en place un suivi, mais il laisse aux collectivités locales – entre autres – la charge complète de ces aménagements, sans aucune aide de l’État. Pire, au moment où, au prétexte de faire contribuer les collectivités locales au redressement des comptes publics et à la réduction du coût du travail, vous réduisez très fortement leurs dotations financières. Une réduction de 3 milliards d’euros est ainsi prévue dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, pour contribuer au financement du crédit d’impôt compétitivité-emploi. Les chiffres du chômage annoncés aujourd’hui confirment, hélas, que ce genre de dispositif sans contrepartie n’est pas efficace. À cette réduction de 3 milliards d’euros s’ajoutera la réduction de 11 milliards d’euros prévue dans le cadre du programme de stabilité pour les années 2014 à 2017.

C’est cet anachronisme que nous n’acceptons pas ! En fin de compte, à cause de ce manque de financement, ce projet de loi n’est qu’un leurre pour les associations de personnes handicapées. Prenons l’exemple de ma ville, Nanterre : l’État envisage de réduire sa dotation forfaitaire de 70 % d’ici 2017, ce qui représente 11,7 millions d’euros par an à partir de cette date. Cette somme représente plus de 13 % du budget d’investissement de la ville, plus que son budget consacré à la culture, plus que les crédits consacrés au sport ou à la santé. C’est près de quatre fois ce que représente pour la ville la surcharge foncière pour la construction de logements sociaux. Personne ne peut nier que ces réductions de moyens, d’une ampleur jamais atteinte, vont se répercuter directement sur les investissements des collectivités et donc sur la mise en accessibilité des bâtiments publics.

Nous avons bien compris, Mme la ministre, la situation délicate dans laquelle vous vous trouvez à cause de la non-application des exigences de la loi de 2005 – non-application dont vous n’êtes évidemment pas responsable. Nous avons bien remarqué votre volonté d’en sortir par le haut, mais nous ne pouvons laisser croire aux personnes handicapées – pour lesquelles l’accessibilité est un enjeu vital, notamment en termes de logement et d’emploi, mais aussi de scolarisation, de formation, de loisirs ou de culture – que ce texte apporte une solution à la situation actuelle.

Ce n’est pas possible parce que, comme dit l’adage, « à l’impossible nul n’est tenu ». Il s’agit en réalité de repousser l’application de la loi de 2005 sans créer les conditions concrètes de sa mise en œuvre. Nous pensons qu’il faut avoir l’honnêteté et le courage de le dire, plutôt que de rester dans l’ambiguïté. C’est la raison qui nous conduira à voter, comme en première lecture, contre ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais.

Mme Bernadette Laclais. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici réunis ce matin pour la dernière étape de la procédure de ce projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

Ce texte est le fruit d’une longue et vaste concertation, sur un sujet difficile. J’ai entendu ce matin dire qu’il y aurait eu de la précipitation ; pour ma part, je me réjouis du fait que la discussion ait été courte dans nos assemblées, mais qu’en revanche elle ait été précédée d’une large discussion avec les associations de personnes en situation de handicap. Je me réjouis également que la CMP soit parvenue à un accord : aucun parlementaire de la CMP n’a voté contre. Il est important de le souligner.

Il faut sortir de l’impasse. Nous avons tous constaté l’échec de la loi de 2005. Nous sommes confrontés à deux injonctions contradictoires – surtout vous, madame la ministre. Certains voudraient que tout soit réglé au 1er janvier 2015, et demandent que les délais soient les plus courts possibles ; d’autres évoquent certaines contraintes techniques et financières, qui sont réelles. Le Sénat a donc souhaité préserver l’équilibre entre ces deux contraintes, mais nous savons que cet équilibre est fragile. L’Assemblée nationale a voulu, de son côté, renforcer la sécurité du texte. Je remercie grandement notre rapporteur pour sa détermination et sa ténacité.

L’article 2 de ce projet de loi renforce le suivi des travaux de mise en accessibilité, en prévoyant la transmission d’informations. L’article 1er rend les Ad’AP obligatoires, avec une clause de rendez-vous et un délai de dépôt de douze mois à compter de la publication de l’ordonnance. Le Gouvernement a clarifié les dispositions sur les chiens guide d’aveugles et les chiens d’assistance. Nous avons également introduit une obligation de formation pour les personnes qui doivent accueillir des personnes en situation de handicap. La commission mixte paritaire a conservé les apports du Sénat aussi bien que ceux de notre Assemblée. Le législateur et le Gouvernement devaient agir vite pour faire avancer la cause de l’accessibilité universelle : c’est chose faite.

Nous savons qu’au-delà des textes, il faut une volonté politique des gestionnaires pour faire les travaux dans une période complexe pour tous, même si j’ai souvent pu constater qu’il y a toujours des projets pour lesquels les collectivités ont les moyens ! Pourquoi en auraient-elles moins aujourd’hui qu’hier ? Il est vrai que les dotations sont réduites : il faudra donc établir des priorités.

Il est nécessaire d’alléger les procédures pour passer enfin aux travaux : j’ai souvent insisté sur ce point, madame la ministre, je vous prie de m’excuser de me répéter. À cet égard, je me réjouis des perspectives que vous nous avez annoncées en commission – et que vous nous confirmerez sans doute – pour que les procédures soient enfin allégées. J’ai la chance d’être l’élue d’un département, la Savoie, proche de deux autres pays. J’ai vu comment ces pays ont traité cette question : nous pouvons certainement nous en inspirer.

Nous avons compris, madame la ministre, votre détermination, que nous saluons. Vous nous avez dit vouloir venir sur le terrain : nous sommes tout disposés à vous accueillir pour vous montrer des cas concrets de difficultés, mais aussi d’avancées reproductibles. La note moyenne attribuée aux collectivités par l’Association des paralysés de France a augmenté : c’est donc que certaines d’entre elles ont su faire preuve d’inventivité et d’ingéniosité.

Au-delà de la question dont nous discutons aujourd’hui, il reste de nombreux domaines dans lesquels l’égalité pour les personnes en situation de handicap pourrait progresser. Ne sous-estimons ni les apports, ni les difficultés, ni les lacunes de la loi de 2005. Nous devons examiner cette question d’une manière consensuelle, en faisant de l’accessibilité un objectif national. Les personnes en situation de handicap attendent cela depuis longtemps, trop longtemps : c’est à nous de nous donner les moyens de progresser.

Ce texte n’est qu’une étape parmi beaucoup d’autres, encore faut-il la franchir : ce sera bientôt chose faite. Nous comptons sur vous, madame la ministre ; comptez sur nous aussi pour exercer notre pouvoir de contrôle et de suivi sur ce texte – et, au-delà, sur la loi de 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est une loi majeure qui porte haut les valeurs de notre République. À l’évidence, une loi n’a de sens que si elle est appliquée, or la mise en œuvre de la loi de 2005 est défaillante ; le travail à accomplir pour que chacun, dans sa différence, puisse bénéficier des mêmes droits, est encore immense.

C’est le regard des autres sur le handicap qui doit changer, c’est donc notre société qui doit changer. Il convient de remobiliser les collectivités et les propriétaires de lieux recevant du public pour qu’ils aient pour priorité de programmer l’application effective de cette loi. Il ne suffit pas de faire ce constat, ni de lancer l’alerte à propos de l’important retard pris dans la mise en œuvre du volet sur l’accessibilité de la loi de 2005. Le report de la date d’application de la loi 2005 n’est pas non plus une solution efficace qui permettrait de lancer une dynamique concrète vers l’accessibilité universelle.

Votre mobilisation, madame la ministre, celle de Marie-Arlette Carlotti, votre prédécesseure, et celle de la sénatrice Claire-Lise Campion – dont je salue le remarquable travail, notamment le rapport « Réussir 2015 » – permettront, de manière réaliste et pragmatique, d’accomplir des progrès significatifs qui aboutiront – je l’espère – à l’accessibilité pour tous de notre société française. Il faut faire plus que fixer des obligations : promouvoir un certain état d’esprit. Nous devons avoir, à chaque instant, le souci d’ouvrir et d’adapter notre société à la différence. Les progrès réalisés sont réels, mais le chemin qui reste à parcourir est encore immense.

Il s’agit maintenant de poursuivre cet engagement à un rythme soutenable, mais soutenu, malgré les contraintes budgétaires qui sont parfois évoquées pour freiner la mise en accessibilité. Des outils sont mis à la disposition des opérateurs à cet effet : je salue l’engagement de la Caisse des dépôts et des consignations, aux côtés des collectivités – vous en avez parlé ce matin, madame la ministre.

La loi de 2005 est une très grande loi, qui reconnaît tous les types de handicap physique, sensoriel, mental et psychique.

Elle a suscité de grands espoirs car elle reconnaît l’accessibilité de tous les droits pour tous, quelles que soient les différences. Cette ordonnance rendra obligatoire les agendas d’accessibilité programmée et précisera leur contenu, les actions nécessaires à la mise en accessibilité et leur planification. À défaut, des sanctions administratives seront appliquées.

Par ailleurs, l’ordonnance déterminera les modalités du suivi, au moins biennal, et celles de l’évaluation de l’avancement de la mise en accessibilité de tous les établissements recevant du public.

Dans son article 3, la loi prévoit que le Gouvernement pourra fixer le seuil démographique en dessous duquel l’élaboration par une commune d’un plan d’accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics est facultative. Ce seuil ne pourra être supérieur à cinq cents habitants. L’ordonnance déterminera les conditions dans lesquelles l’élaboration de ce plan peut être confiée à un établissement de coopération intercommunale.

Je suis satisfaite que cette loi formalise la possibilité de trouver des solutions auprès de l’intercommunalité pour faire face aux difficultés de mise en œuvre exprimées par les petites communes. Par la mutualisation des moyens, toutes les collectivités doivent satisfaire à cette obligation d’accueil, car chacun doit avoir accès au service public.

La CMP a précisé les conditions dans lesquelles est obligatoire l’acquisition de compétences spécifiques d’accueil et d’accompagnement des personnes handicapées dans la formation des professionnels appelés à être en contact avec les usagers et les clients dans les établissements recevant du public.

Ces compétences devront tenir compte de toutes les situations de handicap, particulièrement le handicap moteur, visuel, auditif, mental, cognitif et psychique, le polyhandicap et le trouble de santé invalidant.

Cette obligation de formation tenant compte de toutes les situations de handicap est un progrès incontestable pour aboutir à l’objectif de changer le regard de la société sur le handicap et compenser ces situations en aménageant l’environnement pour adapter notre société à la prise en compte de nos différences. La formation est un levier fort, car c’est souvent la méconnaissance et la peur de la différence qui contribuent à l’exclusion.

Trop souvent des arguments techniques sont mis en avant et utilisés comme alibis pour éviter de faire face à la mise aux normes. C’est effectivement un défi difficile mais possible à relever, à la condition de mobiliser l’ensemble des propriétaires de lieux accueillant du public.

En la matière, il faut donc une politique volontariste, avec des échéances définies, précises, mesurables, car les investissements sont conséquents et portent leurs fruits dans la durée. L’objectif est difficile à atteindre : c’est donc d’abord le chemin pour y parvenir qu’il faut indiquer clairement. C’est bien là le sens de ce projet de loi.

En aucun cas, il s’agit de faire le constat de notre incapacité à parvenir à notre objectif et de seulement reporter le délai de mise en accessibilité universelle. Il s’agit, dès maintenant, de se donner les moyens d’y parvenir.

L’objectif est donc de créer toutes les conditions matérielles mais aussi de sensibiliser tous ceux qui accueillent du public pour enfin parvenir à une accessibilité universelle. C’est l’enjeu des agendas d’accessibilité programmée, créés pour les établissements recevant le public.

Ce projet de loi exprime et renforce la détermination de tous à adapter notre environnement quotidien aux personnes en situation de handicap. Il serait important que nous puissions nous retrouver en adoptant tous ensemble ce texte, qui trace le chemin à suivre. Je regrette que nous ne puissions nous rassembler pour agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Certains ont exprimé quelques inquiétudes, auxquelles je souhaite répondre.

S’agissant du suivi de la réforme, je précise qu’il est prévu par les agendas d’accessibilité programmée. Je rappelle que la loi de 2005 ne prévoyait aucun document de programmation. Dès lors que l’ensemble des établissements devront en déposer un après un certain nombre d’années, des contrôles aléatoires seront effectués par la commission départementale et le Préfet.

S’agissant du financement, nous avons choisi la voie du pragmatisme et de l’équilibre. Certains s’inquiètent des dérogations pour difficultés financières. Je précise que celles-ci n’interviendront que dans des cas extrêmes. Lorsqu’une commune est sous tutelle, une entreprise sous redressement judiciaire ou qu’un établissement ne peut plus recourir à un prêt, il leur sera évidemment impossible d’engager des travaux d’accessibilité et ils pourront bénéficier d’une dérogation.

A contrario, à tous ceux qui pensent impossible de financer ces travaux, je rappelle que l’accessibilité fera partie des contrats de plan entre l’État et la région. Les communes rurales sont éligibles à la dotation d’équipement des territoires ruraux. Elles pourront également recourir à des prêts de la Caisse des dépôts et consignations et de BPI France.

Je précise à ceux qui s’inquiètent que l’État n’a pas plus d’argent que les collectivités territoriales. Gouverner, c’est choisir. Si notre priorité est l’accessibilité, nous nous en donnons les moyens. Au demeurant, ceux-ci seront raisonnables, car ce projet de loi et les textes d’application prévoient d’établir des normes simplifiées, en concertation avec les associations. Ainsi, les moyens requis seront moins importants.

Je répète que le dossier de dépôt d’agenda d’accessibilité programmée sera simple. Aucune pièce jointe ne sera requise, à l’instar de la procédure de déclaration de l’impôt sur le revenu sur internet. Elles ne seront exigées que sur demande du préfet ou de la commission départementale, pour procéder à des vérifications dans certains cas. L’objectif est, non pas de remplir le dossier, mais de mettre en accessibilité. Le dossier doit donc être le plus simple possible.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.) (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

3

Lutte contre la concurrence sociale déloyale

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, chers collègues, nous abordons la phase finale de cette proposition de loi, déposée à l’initiative de la commission des affaires européennes, sur la base d’un rapport d’information sur l’application de la directive relative au détachement des travailleurs, sur lequel nous avons formulé des recommandations.

Chantal Guittet, Michel Piron et moi-même avons constaté les lacunes de la législation nationale et fait le diagnostic de l’ampleur du phénomène. Je rappelle qu’il y a aujourd’hui près d’1,5 million de travailleurs détachés en Europe, conséquence de l’appel d’air exercé par les pays à très faible coût de main-d’œuvre. Les disparités considérables en la matière déstabilisent les marchés du travail.

Le détachement existait avant la directive sur le détachement des travailleurs. C’est, en soi, un phénomène sain pour les économies, qui accompagne les échanges de bien et de services, et concerne notamment les commerciaux, les ingénieurs, les artistes, les scientifiques souhaitant travailler ailleurs. La France a, d’ailleurs, fortement recours au détachement : il existe environ 300 000 travailleurs détachés français dans le monde, dont 140 000 en Europe.

Il s’agit donc, non pas de remettre en cause le détachement en tant que tel, mais de s’adapter à une tendance nouvelle à l’optimisation sociale, par laquelle les entreprises, notamment dans certains secteurs, essaient de contourner l’esprit et parfois la lettre de la directive sur le détachement en employant des travailleurs low cost.

En réalité, la concurrence est saine lorsqu’elle est un aiguillon, qu’elle permet d’améliorer l’offre et la qualité des produits et des services, qu’elle stimule l’innovation, mais elle est pervertie lorsqu’elle se traduit par une baisse vertigineuse du coût du travail, que les Anglo-Saxons appellent le dumping. Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Richard Ferrand, qui a traduit de façon très heureuse cette notion par celle de « concurrence sociale déloyale », expression devenue le titre de cette proposition de loi. Nous étions, en effet, un peu embarrassés par la longueur et le caractère très technocratique de son titre initial. Après une petite amélioration apportée par le Sénat, nous avons finalement abouti au titre actuel.

Cette proposition de loi permet de lutter contre les fraudes au détachement, extrêmement nombreuses, sournoises et difficiles à détecter, et plus généralement contre le travail illégal, notamment dans deux secteurs d’activité spécifiques : celui du bâtiment et des travaux publics, très menacé et déstabilisé par ces pratiques devenues systématiques, et celui du transport routier.

Au demeurant, les organisations patronales et syndicales ont exercé une pression en faveur de l’adoption de cette loi. Elle fait donc l’objet d’un très large consensus national, ce qui est suffisamment rare pour que l’on puisse le souligner. Personnellement, je m’en réjouis.

Nous avons donc essayé d’élaborer une proposition de loi équilibrée, dont je vais vous rappeler les principales étapes. Au premier semestre 2013 a été rendu public le remarquable rapport d’information sur le travail détaché et ses dérives du sénateur Éric Bocquet, auquel je rends hommage. Le 11 juillet 2013 a été adopté le rapport d’information de l’Assemblée nationale, rédigé par Mme Guittet, M. Piron et moi-même. Afin de mettre en œuvre la recommandation n14 de la résolution européenne prévoyant l’adoption d’une législation nationale, la proposition de loi a été rédigée à l’automne 2013, après de nombreuses auditions et visites de terrain.

Le 9 décembre 2013, Michel Sapin obtient à Bruxelles, contre toute attente, un accord au Conseil des ministres des affaires sociales pour renforcer le dispositif et aligner sur la position Française la directive d’application de la directive d’attachement, ce qui était une première victoire. Le 8 janvier 2014, nous déposons la proposition de loi. Le 29 janvier, la procédure accélérée est engagée par le Gouvernement. Nous atteignons aujourd’hui le point final.

Un mot rapide sur le déroulement de la procédure. Le 11 février 2014, la commission des affaires sociales a adopté dix-huit amendements. Je rappelle que l’architecture de la proposition de loi a été soigneusement calibrée. Il ne s’agit pas de transformer les chefs d’entreprise de ce pays en contrôleur du travail, ni d’engager leur responsabilité en cas de fraude d’un sous-traitant, mais bien plutôt d’engager leur responsabilité sur la vigilance à l’égard de leur sous-traitant et de toute la chaîne de sous-traitance.

Le grand apport de cette proposition de loi, c’est la responsabilité solidaire du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre, qu’il soit public ou privé.

M. Michel Piron. Tout à fait !

M. Gilles Savary, rapporteur. Nul ne peut se désintéresser de ce qui se passe sur son propre chantier et dans toute la chaîne de sous-traitance. À la différence de ce que prévoit la directive européenne, toute la chaîne de sous-traitance et tous les secteurs sont concernés, et non pas seulement le bâtiment et les travaux publics. Cette proposition de loi est donc très complète.

Elle impose aux sous-traitants de veiller scrupuleusement à ce que les déclarations de sous-traitance et de détachement soient formellement effectuées auprès des autorités de contrôle par toutes les entreprises travaillant sur un chantier. Dès lors qu’une autorité de contrôle alerte un donneur d’ordre sur des illégalités, des fraudes ou des situations répréhensibles sur le plan social, ce dernier doit mettre en demeure les entreprises de régulariser cette situation et tenir informée l’autorité de contrôle de la régularisation ou non de cette situation.

Enfin, le maître d’ouvrage engage sa responsabilité sur la dignité des conditions d’accueil des travailleurs : il est interdit d’improviser des logements insalubres et dangereux. À défaut, il devra pallier la carence de l’entreprise sous-traitante. Tel est le cœur du dispositif.

La loi prévoit également de mettre en place une liste noire des entreprises répréhensibles, qui peut donner lieu à une peine complémentaire, à l’appréciation du juge. Ce n’est donc pas une peine administrative.

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission mixte paritaire. Nous prévoyons également un certain nombre de sanctions administratives qui permettront aux corps de contrôle d’intervenir plus directement, ainsi qu’un grief de fraude en bande organisée, autorisant, sous le contrôle du juge, des interventions particulièrement intrusives dans les entreprises.

Je salue le travail de simplification réalisé par nos collègues sénateurs, qui ont revu l’ordonnancement des nouvelles dispositions au sein du code du travail et instauré, dans les articles 1 et 2 de la proposition de loi, un dispositif unique de sanction administrative en cas de non-respect des obligations déclaratives relatives au détachement.

Par ailleurs, quelques amendements rédactionnels ont été adoptés, et le titre de la proposition a été modifié. Le Sénat a également accepté les dispositions relatives au transport routier que nous avions adoptées : interdiction aux chauffeurs de passer leur congé hebdomadaire dans leur cabine et extension aux véhicules de moins de 3,5 tonnes des dispositions relatives au détachement applicables aux véhicules de tonnage supérieur.

Enfin, dans le domaine du bâtiment, une obligation d’assurance sera exigible de la part de tout sous-traitant.

Il y a quelques jours, à l’occasion d’un contrôle routier, j’ai pu consulter la fiche de paye d’un chauffeur roumain circulant en France : son salaire mensuel était de 191 euros. J’ai également visité la cabine où un chauffeur étranger vivait pendant deux mois, prenant ses repas à l’aide d’un petit réfrigérateur et d’un réchaud, mangeant des conserves emportées avec lui – faute d’avoir les moyens de les acheter sur place –, dormant sur les aires d’autoroutes, se lavant dans les toilettes des stations-service, et qui avait déjà dû subir, lors d’un arrêt sur une aire proche de Cannes, une température de 47 degrés. Telles sont les conditions d’emploi que l’on peut aujourd’hui observer dans un pays développé comme le nôtre.

Certains parleront d’un nouvel esclavagisme, mais je pense que le mot est trop fort. C’est en tout cas une forme de mercenariat inadmissible et à laquelle il faut mettre fin, sauf à renier nos principes essentiels d’humanité et notre attachement aux droits de l’homme et à ceux du travailleur.

La même situation existe dans d’autres domaines que le transport routier. C’est pourquoi je veux rendre hommage aux services de contrôle qui, contrairement à ce que l’on prétend, effectuent un énorme travail dans des conditions extrêmement difficiles. Nous devrons d’ailleurs veiller, mes chers collègues, à améliorer ces conditions et à mieux former les contrôleurs.

Il est également nécessaire de mieux former les juges. En effet, de nombreuses enquêtes menées par les contrôleurs du travail n’aboutissent pas parce que les parquets ne sont pas formés à ces matières très compliquées.

Enfin, nous devrons revenir sur la question européenne. Dans la proposition de résolution européenne, nous avions jugé nécessaire, s’agissant des travailleurs mobiles – en particulier les chauffeurs routiers, qui sont non seulement détachés, mais en déplacement –, que l’Europe effectue elle-même, au nom du principe de subsidiarité, un minimum de contrôle à la place des États, ces derniers n’étant pas en mesure de contrôler efficacement cette catégorie de travailleurs.

Je remercie le Gouvernement d’avoir porté intérêt à cette proposition de loi et de nous avoir donné l’occasion de l’examiner très rapidement, ainsi que tous mes collègues qui ont participé à son élaboration. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous savons tous ici que l’Europe court de grands risques si elle ne met pas un frein, voire un terme à la concurrence déloyale qui se développe en son sein. Il fallait réagir, prendre l’avantage. La France a donc porté ce combat en Europe ; ses assemblées parlementaires se sont mises en ordre de marche – je salue en particulier le rôle joué par Gilles Savary, Chantal Guittet, Michel Piron et Annie Le Houerou – ; et les députés européens français – Pervenche Bérès notamment – ont pris le relais au Parlement européen. Parallèlement, l’État a réorganisé l’inspection du travail afin de mieux faire face au travail illégal et particulièrement aux montages complexes.

Le débat et la mobilisation autour de ce texte ont donc été exemplaires, au point que notre pays sera, après l’adoption de cette loi, en avance sur l’Europe. C’est un motif de satisfaction collective.

Dès avril 2013, un rapport du sénateur Éric Bocquet pointait l’ampleur du phénomène du détachement, qui a connu, dans notre pays, une multiplication par quatre depuis 2006. Il existe, je crois, un consensus pour dire qu’il s’agit d’un réel problème politique : le détachement contribue à l’exploitation de la misère de salariés venus d’autres pays d’Europe, favorise une concurrence sans entrave et sans loi qui agresse notre modèle social, fait perdre des marchés aux entreprises respectueuses des règles – qu’elles soient françaises ou non –, et nous coûte des emplois.

De fait, c’est l’absence de dispositions concrètes en matière de contrôle au sein de la directive de 1996 qui explique cette explosion de la fraude au détachement.

Conscient de ce manque, le Gouvernement a négocié pied à pied à Bruxelles face à une majorité des pays d’Europe qui plaidait pour la déréglementation. Mais notre cause était juste et c’est pour cela que nous avons réussi.

Le 25 octobre, c’est donc au nom de tous – travailleurs français, travailleurs étrangers, entreprises qui respectent les règles et payent leurs cotisations sociales – que la France a refusé un mauvais compromis et s’est donné un mois et demi pour convaincre. C’était risqué, car nous aurions pu devoir en rester aux insuffisantes règles actuelles. Mais à force de détermination, nous avons arraché, le 9 décembre, un juste compromis en matière de fraude au détachement.

Ainsi, la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle restera ouverte et fixée par chaque pays – ce qui permettra d’imposer des règles là où il n’y en a pas. En outre, l’accord du 9 décembre oblige tous les États membres à établir une chaîne de responsabilité solidaire des entreprises donneuses d’ordres du BTP vis-à-vis de leurs sous-traitants.

Cette victoire à l’arraché démontre que l’Europe peut avancer sur des propositions sociales ambitieuses ; mais surtout que, s’agissant de la défense de notre modèle social contre le dumping social, la combativité produit des résultats. Désormais, les pays dans lesquels la législation sociale n’est pas assez avancée pourront se prévaloir de cet accord pour l’améliorer. En deux ans, la majorité de gauche a réussi ce que l’opposition actuelle n’avait pas fait en dix ans. Il est juste de le rappeler.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission mixte paritaire. Absolument !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Mais nous ne pouvions nous en tenir là, et c’est donc l’Assemblée nationale qui a pris ensuite l’initiative. Les députés socialistes Gilles Savary et Chantal Guittet, avec le député UDI Michel Piron, ont déposé en décembre une proposition de loi, jugeant avec raison qu’il était possible de prendre tout de suite des mesures de sauvegarde nationales et eurocompatibles.

Le 19 février, la loi est largement votée en première lecture : la responsabilisation des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre en sort renforcée ; les organisations professionnelles et les syndicats de salariés voient leurs pouvoirs étendus ; l’action des services de contrôle est facilitée ; des mesures spécifiques touchent les transports, particulièrement concernés par la concurrence déloyale. La France pousse ainsi son avantage et son exemplarité en Europe. L’aboutissement de la CMP nous permet aujourd’hui de concrétiser cette avancée.

D’ailleurs, d’autres pays nous rejoignent. La Belgique, par exemple, a décidé de devancer avec nous l’Europe pour lui montrer la voie. Dans le même temps, la réglementation européenne avance dans un autre hémicycle, celui du Parlement européen, sous l’impulsion de ses membres français.

Le 16 avril, la coopération entre États membres sort renforcée, ce qui est la condition d’un contrôle efficace. Il suffit d’écouter nos inspecteurs du travail. Ils disent : « Comment faire face à un bulletin de salaire rédigé dans une langue étrangère ? Comment vérifier que l’entreprise n’est pas une boîte aux lettres ? » Il était donc nécessaire d’assurer une meilleure coordination à l’échelle de l’Union.

Aujourd’hui, au terme du processus législatif français, la loi va au-delà de la responsabilité solidaire prévue par l’Europe. Celle-ci ne couvrira pas seulement le secteur du bâtiment et des travaux publics, mais tous les autres secteurs concernés par le détachement – agroalimentaire, transport, etc. – ce qui n’était que facultatif dans le compromis européen.

Le texte met aussi en place une liste noire où pourront figurer pendant deux ans, sur décision du juge, les entreprises condamnées pour « travail illégal ».

La CMP a par ailleurs retenu, comme le proposait le Sénat, un dispositif unique de solidarité financière, applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non.

Enfin, le fait de ne pas déclarer des travailleurs détachés sera désormais sanctionné, et le maître d’ouvrage, même s’il n’est pas lui-même l’employeur, devra veiller à ce que cette déclaration soit faite.

Ce texte est donc l’aboutissement d’un processus exemplaire qui a vu tous les représentants de la Nation se mettre en mouvement et porter non seulement les intérêts de notre pays, mais aussi une certaine vision du travail – contre la déloyauté – et de l’homme – contre l’exploitation. Un seul credo nous a guidés : éviter que le malheur des uns ne fasse le malheur des autres. Nous avons affronté l’adversité et renversé des majorités européennes.

Dans le même temps, nous réformons notre propre système d’inspection du travail – nous en discuterons prochainement ici dans le cadre de la proposition de loi déposée par Denys Robiliard –, et partout, des unités spécialisées sur le travail illégal sont en cours de création.

Aujourd’hui, même s’il reste beaucoup à faire, nous savons que nous avons accompli notre devoir. Nous étions attendus : lorsque la Bretagne s’est embrasée en octobre dernier, le détachement était un des problèmes invoqués. Nous ne pouvons plus accepter le dumping social pratiqué dans les abattoirs d’Allemagne où, faute pour l’instant d’un salaire minimum, les travailleurs détachés sont parfois payés moins de 4 euros de l’heure.

Je parle du besoin de protection des salariés, mais je pourrais aussi parler de celui des entreprises. La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment et la Fédération du bâtiment, par exemple, se sont alarmées du recours au détachement, notamment frauduleux. Le secteur du bâtiment représente en effet plus de 40 % des travailleurs détachés en France. « En sept ans, de 2004 à 2011, le secteur a dû faire face à une augmentation de près de 1 000 % d’une concurrence structurellement moins chère, et ce, en pleine crise. Cette situation n’est plus tenable », disaient les représentants des artisans et entreprises du bâtiment, en exigeant des mesures concrètes.

Salariés et patrons, travailleurs français et étrangers, tous avaient donc besoin d’une action forte. La voici. Le laisser faire n’est pas notre option, d’autant qu’il y a désormais des forces en Europe qui rejoignent notre position et défendent l’emploi, la croissance, l’investissement, l’amélioration de la qualité du travail et la métamorphose de l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Très bien !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, en l’absence de Patrice Carvalho, qui a suivi ce dossier, je suis chargée de vous présenter l’avis du groupe GDR sur cette proposition de loi.

Au terme de nos débats, il paraît nécessaire de rappeler la réalité sur laquelle ce nouveau texte est censé agir.

Chaque année, entre 200 000 et 300 000 salariés d’autres pays membres de l’Union européenne viennent travailler en France pour des salaires inférieurs à ceux que perçoivent les salariés nationaux et auxquels s’appliquent des cotisations sociales également nettement inférieures. La différence peut atteindre, voire dépasser, 30 %.

C’est donc un véritable dumping social que l’Europe organise.

Mais faut-il s’en étonner, dans la mesure où la logique qui sous-tend la construction européenne est celle de la mondialisation capitaliste ? En conséquence, l’Europe n’est pas un espace de coopération entre nations souveraines, se donnant pour objectif l’harmonisation de leurs législations sociales, mais un vaste espace de concurrence où la diminution du coût du travail est la seule variable d’ajustement. La concurrence « libre et non faussée » et le moins-disant social y sont les deux faces d’une même pièce. Les traités qui se sont succédé ont été autant d’étapes supplémentaires dans ce processus.

Chacun se souvient de la directive Bolkestein, qui tendait à faire prévaloir le « principe du pays d’origine ». La levée de bouclier de la Confédération européenne des syndicats, le « non » des Français au référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel ont toutefois contraint à rebattre les cartes sur ce thème.

Il n’en reste pas moins que nous sommes toujours aujourd’hui dans le cadre fixé par la directive du 16 décembre 1996, qui s’avère inopérante en dépit d’une jurisprudence abondante de la Cour de justice européenne, à laquelle de nombreux contentieux ont été soumis.

En 2009, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait annoncé la rédaction d’une nouvelle directive. Elle n’a jamais vu le jour. C’est ainsi que la Commission a présenté le 21 mars 2012 une proposition de directive d’application de la directive de 1996. Le Parlement européen a adopté cette directive d’exécution, sur le détachement des travailleurs, le 16 avril dernier, au même moment où notre assemblée adoptait, en première lecture, la proposition de loi dont nous débattons, sans attendre, par conséquent, la directive d’exécution.

La question qui nous est posée est la suivante : cette proposition de loi est-elle de nature à remettre en cause la pratique des salariés low cost, cette forme d’esclavage moderne ? Comme pour la directive d’exécution, la réponse est non. Elle tend au mieux à encadrer, ce qui est évidemment positif, mais elle n’interdit pas.

Il est ainsi question de responsabiliser le donneur d’ordre dans le cas où l’employeur du salarié appliquerait à ce dernier une rémunération inférieure à celle prévue par la loi. C’est une bonne disposition mais nous ne pouvons ignorer le recours de certains employeurs peu scrupuleux aux méthodes les plus insidieuses. Parmi celle-ci figurent le différentiel des cotisations sociales ou encore le prélèvement de sommes exorbitantes au titre des frais de logement, de transport ou d’alimentation sur le salaire du travailleur détaché. S’y ajoute souvent le non-paiement des cotisations sociales à l’URSSAF et à Pôle Emploi. Pour traquer ces fraudes, il conviendrait évidemment de donner les moyens nécessaires à l’inspection du travail, en augmentant sensiblement ses effectifs. Au final, nous considérons donc que ce qui nous est proposé relève du cosmétique.

Ce qu’il faut, ce n’est pas une directive d’application de la directive ni un bricolage législatif national, qui ne changera pas grand-chose, mais une directive contraignante de mieux disant social, de rupture avec cette austérité généralisée.

Nous l’avions dit lors du premier examen de ce texte, quand cette Europe veut contraindre les États, elle sait s’en donner les moyens. Lorsqu’il est question de faire respecter les critères des déficits publics et de la dette, Bruxelles dispose d’un arsenal de sanctions. Lorsqu’il s’agit de mettre les peuples à la diète, on a les outils nécessaires. Mais, curieusement, nous sommes démunis et impuissants lorsqu’il s’agit des droits des salariés. Voilà qui est révélateur des fondements de cette Europe-là !

Le chantier à ouvrir est celui de l’harmonisation sociale par le haut au sein de l’Union européenne. Mes chers collègues, il est urgent de sortir de l’eurocompatibilité béate qui, au final, nous conduit à accepter l’inacceptable, en termes de salaires et de conditions de travail, comme l’a bien souligné le rapporteur, et met en cause notre souveraineté, notre droit à nous fixer des règles conformes à nos valeurs et à nos traditions, notre droit à légiférer librement. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, Gilles Savary a rappelé la genèse de la proposition de loi. Le travail de vigilance à l’égard de la législation européenne que nous avons mené avec lui et Michel Piron a, je le crois, contribué à ce que les représentants des institutions européennes se rallient à la position française pour cette nouvelle directive d’application.

Nous devons aussi, incontestablement, ce succès européen aux travaux et aux négociations des ministres Michel Sapin et Thierry Repentin. Ils ont joué un rôle majeur dans l’obtention de cet accord, auquel les libéraux, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, se sont farouchement opposés.

Cette nouvelle directive d’application est également un succès du Président de la République qui, depuis le début de son quinquennat, fait de la réorientation de l’Europe son combat. Cet engagement, nous le constatons une nouvelle fois ces derniers jours, avec l’« agenda pour la croissance et le changement en Europe » qu’il a adressé au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Incontestablement, sous son impulsion, nous assistons à une amorce de changement dans les intentions politiques des dirigeants européens. Une politique plus favorable à l’investissement, à la croissance et à la solidarité prend petit à petit le dessus sur le « tout austérité » et le « tout concurrence » qui a prévalu jusqu’à présent.

Nous, socialistes, en sommes convaincus, l’Europe ne doit pas être le laboratoire du libéralisme, le terrain d’une concurrence exacerbée entre les peuples. Nous refusons ce grand marché où, tels des objets, les salariés sont mis en concurrence, et où droits et rémunérations sont sans cesse tirés vers le bas. La course au moins-disant social ne peut pas être le projet de l’Europe. Les leaders européens sont en train d’en prendre conscience. Enfin ! C’est le message que leur adressent depuis des années ses citoyens, qui sollicitent une Europe plus protectrice et solidaire.

L’adoption d’une nouvelle réglementation plus efficace contre la fraude au détachement et la concurrence sociale déloyale, comme le dit Richard Ferrand, constitue le signe d’un changement de cap. Mais, nous le savons, le processus européen est long. Cette directive sur le détachement entrera en vigueur dans plusieurs années ; le délai de transposition est à l’horizon 2016. Certains transposeront cette directive a minima, alors que d’autres iront plus loin.

Nous avons choisi, de notre côté, et c’est notre fierté, d’affirmer puissamment notre rejet des abus liés au détachement, en anticipant l’application des nouvelles normes européennes et en allant plus loin que ce qu’elles prévoient. Avec Gilles Savary, nous avons travaillé depuis le début de la législature pour prendre sans attendre les mesures nécessaires. Il fallait répondre à l’urgence de la situation créée par la directive de 1996 qui, au fil du temps, a permis l’exploitation des travailleurs et mis en danger des pans entiers de notre économie. Un compromis a été rapidement trouvé avec le Sénat ; il est solide et satisfaisant. Nous avons donc un texte novateur et ambitieux.

Sur la responsabilité conjointe et solidaire, nous allons plus loin que nos partenaires, comme Gilles Savary l’a indiqué. La responsabilité s’appliquera à tous les secteurs et non pas seulement au secteur de la construction. Autre mesure inédite : les maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre devront vérifier le dépôt de la déclaration de détachement. Aucun seuil légal n’est prévu pour l’application de ces dispositions dans le texte que nous nous apprêtons à voter. J’avais exprimé ce souhait à l’Assemblée ; les sénateurs m’ont entendue et je m’en réjouis. Par ailleurs, la responsabilité solidaire sera engagée non seulement en raison du non-paiement des salaires mais également du fait du non-respect d’un « noyau dur » couvrant tous les droits ainsi que le respect des libertés individuelles.

Sur les sanctions pour les entreprises qui fraudent, nous allons là aussi plus loin. La création d’une liste noire est originale. Au fil de l’examen du texte, nous avons élargi les conditions de son application et nous avons décidé de laisser au juge la liberté d’inscrire ces personnes physiques ou morales, quel que soit le montant de l’amende prononcée. La suppression du seuil était pour moi nécessaire pour renforcer l’effet dissuasif de la liste noire ; j’avais déposé un amendement en ce sens, que les sénateurs ont voté : merci à eux pour cette avancée.

Le juge pourra prononcer à l’encontre d’une personne condamnée l’interdiction de percevoir toute aide publique pendant une durée maximale de cinq ans. Là encore, nous allons beaucoup plus loin que les règles européennes.

Je souhaite insister, monsieur le secrétaire d’État, sur l’importance de l’inspection du travail pour faire respecter cette nouvelle loi. Nous devons donner aux inspecteurs du travail les moyens nécessaires pour éradiquer ce fléau, faute de quoi notre travail restera vain. Je sais qu’une loi, dont le rapporteur est Denys Robiliard, est prête et attend son inscription à notre ordre du jour. Il y va de la survie de nos entreprises.

Pour finir, je tiens à remercier, une fois n’est pas coutume, nos collaboratrices Fanny et Marie-Cécile, qui ont contribué, par leur efficacité et leur enthousiasme, au succès de ce travail, et je félicite l’ensemble de mes collègues pour l’immense travail accompli afin que cette proposition aboutisse. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les négociations marathon engagées autour de la révision d’application de la directive Bolkestein à Bruxelles ont suscité plusieurs initiatives parlementaires au sein de notre assemblée : une proposition de résolution adoptée à la quasi-unanimité et une proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter définitivement aujourd’hui et dont l’objet s’est élargi à la lutte contre la concurrence déloyale en général.

Ce texte, monsieur le rapporteur, se veut eurocompatible et vise majoritairement à anticiper l’application de l’article 12 de la directive d’application qui porte sur la responsabilité solidaire des donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage.

Cela a été dit : les initiatives prises au sein de cette assemblée ne visent pas à lutter contre le détachement en lui-même. Si le maintien du versement des cotisations dans le pays d’origine prête à polémique, car il s’agit d’une perte structurelle de cotisations pour le pays d’accueil, il permet aux travailleurs détachés de rester affiliés à leurs caisses de Sécurité sociale le temps du détachement, qui n’est pas censé durer plus de vingt-quatre mois.

Or cette mesure a priori protectrice connaît un destin controversé puisqu’elle est malheureusement trop souvent détournée par des employeurs peu scrupuleux qui s’affranchissent du droit du pays d’accueil. Il faut le dire : la directive Bolkestein est devenue au fil des années un outil de concurrence déloyale, de dumping social et de développement du travail low cost dans des conditions indignes. Ces dérives se sont installées progressivement sous l’effet d’une jurisprudence excessivement libérale et de l’entrée dans l’Union européenne de pays aux réalités socio-économiques très diverses.

Au vu des abus constatés, et notamment des pratiques d’optimisation sociale à grande échelle, il était en effet positif de donner une nouvelle impulsion à la lutte contre les dévoiements en cours, alors, surtout, que les discussions s’enlisaient à Bruxelles et que nous savions que l’accord qui serait finalement obtenu ne s’appliquerait au mieux qu’à compter de 2016. C’est pourquoi le groupe UMP a abordé ce débat avec un a priori favorable.

Le texte a beaucoup évolué lors de son examen à l’Assemblée. Le fait majeur intervenu dans notre chambre est l’évolution satisfaisante du principe de « responsabilité solidaire » vers un principe de « vigilance » du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage. Il ne s’agit pas, comme l’a dit le rapporteur en CMP, de transformer ce dernier en contrôleur du travail ; il s’agit en revanche de ne pas lui permettre de se cacher derrière ses prestataires pour ignorer les conditions de travail des salariés détachés sur un chantier ou un lieu dont il a la responsabilité.

Toutefois, ces diverses évolutions du texte avaient contribué à le complexifier et à en écorner la lisibilité. Il faut reconnaître au Sénat son effort de clarification du dispositif. D’une part, l’obligation préalable de détachement est traitée à part : élevée au niveau législatif, elle doit être remplie par le prestataire qui détache des salariés et vérifiée par le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage. Cette double obligation n’est plus liée au principe de responsabilité solidaire mais est assortie de sanctions administratives votées au Sénat et pouvant aller jusqu’à 2 000 euros par travailleur détaché. Je souligne au passage la lourdeur de cette sanction, qui peut suffire à mettre une entreprise à terre.

D’autre part, le dispositif de vigilance comporte trois volets. Il comporte tout d’abord un volet « hébergement » qui reste le plus proche, dans la forme, du dispositif initial de responsabilité solidaire. En effet, le donneur d’ordre est véritablement lié à l’action de son sous-traitant : si le sous-traitant, après injonction du donneur d’ordre, ne règle pas la situation, celui-ci est tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés concernés.

Le dispositif comporte ensuite un volet relatif au noyau dur d’obligations dues aux salariés détachés, avec un devoir d’injonction du donneur d’ordre envers le sous-traitant indélicat et un devoir d’information envers l’inspection du travail. Dans ce cas, on est véritablement dans un dispositif de vigilance puisque la sanction encourue par le donneur d’ordre est bien celle qui punit un défaut d’injonction et d’information et non celle qui lie le donneur d’ordre à son sous-traitant de telle sorte qu’il prenne à sa charge des défaillances de celui-ci.

Le dernier volet, relatif au paiement des salaires, est, dans sa forme, une synthèse des deux autres volets. Le donneur d’ordre a un devoir d’injonction et d’information. En cas de non-respect de ce double devoir, il est tenu solidairement au paiement des rémunérations.

Vous constaterez tout de même, mes chers collègues, que ces trois volets n’obéissent pas à un parallélisme formel dans leur rédaction et qu’ils exposent le donneur d’ordre à des sanctions à géométrie variable. Malgré cette réserve, force est de saluer le fait que la proposition de loi issue de notre assemblée s’appliquera à tous les secteurs de l’économie et non pas seulement au secteur du bâtiment et des travaux publics, comme le prévoit la directive d’application. Elle s’appliquera également à toute la chaîne de la sous-traitance. C’est ce dernier point, en particulier, qui devrait permettre de créer une pression à même de décourager la création d’établissements « coquilles vides » qui n’exercent pas d’activité en tant que telle et ne servent qu’à détacher des travailleurs. Notre groupe n’est donc pas opposé au cœur du texte, cette traduction à la française du principe de vigilance du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage. Naturellement, il s’agit d’aménagements qui ne sont pas de taille à lutter totalement contre la véritable cause de l’explosion des détachements : le coût du travail. Néanmoins, cela va dans le bon sens.

En revanche, un certain nombre d’autres mesures suscitent notre interrogation et notre opposition. Nous avons soulevé à de nombreuses reprises l’ambiguïté de la création d’une liste noire des entreprises indélicates. Elle n’exclut pas les entreprises concernées des marchés publics ni n’empêche les donneurs d’ordre de contracter avec elles, mais elle joue sur la réputation des entreprises, ce qui peut être encore plus destructeur à long terme qu’une interdiction d’accès aux marchés publics. Le groupe UMP est heureux de voir que la CNIL aura son mot à dire, comme il l’avait demandé, mais il regrette beaucoup l’abaissement du seuil de 45 000 à 15 000 euros par l’Assemblée puis la suppression de tout seuil par le Sénat. Cette suppression peut conduire de très nombreuses entreprises à porter une marque d’infamie pour des infractions qui, à notre sens, ne le justifient nullement. Il convenait de revenir au moins à un seuil de 15 000 euros. On regrettera également la malice du Gouvernement qui a profité d’un amendement prétendûment rédactionnel à l’Assemblée pour faire passer d’un à deux ans la durée maximale d’inscription sur la liste.

Ensuite, des doutes subsistent quant à la constitutionnalité du dispositif des articles 6 bis et 7 permettant aux organisations syndicales de se constituer partie civile ou d’ester en justice devant le conseil des prud’hommes en faveur d’un salarié lésé sans l’accord de celui-ci. Cela a été dit au cours des débats : nul ne peut plaider par procureur. Par ailleurs, il faudrait au moins que le salarié en soit informé et ne s’y oppose pas. Nos protestations sont restées sans réponses sur ce point, et vous le savez, monsieur le ministre.

Concernant les peines complémentaires instaurées pour les entreprises condamnées pour travail dissimulé, le Sénat était allé clairement trop loin en demandant la restitution de toutes les aides publiques perçues pendant le temps du contrat frauduleux. Notre groupe regrette néanmoins le maintien de l’absence d’aides pendant une période de cinq ans au lieu d’une période d’un an comme nous l’avions demandé. Si l’on peut comprendre la logique visant à empêcher que l’argent public puisse soutenir des entreprises qui ne respectent ni leurs salariés ni leurs concurrents, la durée maximale de cette peine est particulièrement longue et risque d’être dramatique pour les entreprises concernées. Ce sont les salariés et les repreneurs qui en seront les premières victimes. Cette disposition équivaut à une condamnation à mort pour une entreprise qui pourrait être vendue, rachetée par ses salariés ou changer d’actionnaires. Vous compromettez ainsi l’activité économique elle-même.

Enfin, s’agissant des mesures contre le transport routier, notre collègue Dominique Tian a manifesté à plusieurs reprises au cours des débats son inquiétude après avoir consulté les entreprises du secteur du transport. Il y a en effet une forme d’absurdité à obliger les conducteurs routiers à dormir à l’hôtel le week-end, alors qu’ils dorment dans leur camion en semaine, et ce notamment pour éviter les vols de cargaison. Mes chers collègues, ce texte a pour objectif de lutter contre le détachement et non contre l’emploi ! Or, il existe une propension certaine sur les bancs de la majorité à profiter de ce genre de véhicule législatif pour multiplier les peines complémentaires et les dispositifs de taille à discréditer durablement certaines entreprises.

Pour conclure, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. Notre abstention doit aussi s’interpréter comme une protestation à l’encontre cette fois-ci du Gouvernement, qui ne s’attaque pas aux vrais problèmes. La vraie question est celle de l’emploi ; or avec de telles mesures, vous stigmatisez les entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), ce qui n’est assurément pas prendre la bonne direction.

Mme Annie Le Houerou. Mais pas du tout ! Elles sont demandeuses !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à examiner la proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, issue des délibérations de la commission mixte paritaire. Il s’agit d’un texte important puisqu’il concerne l’un des principes fondateurs du Traité de Rome, celui de la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne. L’emploi des travailleurs étrangers au sein des économies nationales est un phénomène ancien et universel qui a contribué au développement de notre pays. Aujourd’hui encore, le fait de donner aux jeunes la possibilité d’étudier à l’étranger ou de permettre à des entreprises de détacher leurs cadres et leurs spécialistes en Europe constitue de vrais atouts pour notre économie.

Si ce texte témoigne d’une difficulté à articuler marché unique et disparité des législations sociales dans les différents États membres, il ne doit aucunement remettre en cause les principes mêmes de la mobilité et de la libre circulation des biens et des personnes, mais uniquement en questionner les modalités. De même, il était important que nos discussions ne donnent pas lieu à des instrumentalisations qui feraient peser sur l’Europe le poids de tous les maux de notre société. Ne faisons pas de la figure du travailleur détaché un nouvel emblème de l’euroscepticisme, celui qui concentrerait toutes les peurs et qui illustrerait à lui seul les tentations du repli national. La directive « Détachement » n’est pas responsable du développement du travail illégal sur le territoire de l’Union européenne. La recherche effrénée d’optimisation sociale n’a pas attendu cette directive pour prospérer. Je dirais même que sans le corpus de règles que contient la directive, l’application aveugle du principe de libre circulation aurait pu causer des phénomènes de travail temporaire frauduleux autrement plus désastreux que ceux auxquels nous avons assisté ces dernières années.

Il est vrai, en revanche, que nous ne pouvons plus nous satisfaire de la législation actuelle, laquelle, du fait principalement de l’entrée de treize nouveaux États au niveau de vie inférieur à celui de l’Europe occidentale, ne parvient plus à faire face aux fraudes et aux détournements d’usage qui se traduisent par la systématisation des trafics de main-d’œuvre. Cette situation touche et affecte bon nombre d’acteurs : les artisans, les entreprises du bâtiment et du transport, les producteurs de fruits et légumes comme les sociétés spécialisées dans les travaux publics. L’Union européenne doit désormais se doter de dispositions et de moyens d’une tout autre ampleur pour prétendre lutter efficacement contre ce phénomène croissant qui menace notre économie, met en danger le financement des systèmes de protection sociale des États et désorganise des filières économiques entières.

Dans ce contexte, nous saluons, à nouveau, l’initiative de cette proposition de résolution, qui fait suite à une autre résolution et à un rapport que nous avons remis avec Chantal Guittet et Gilles Savary, grand spécialiste de ces questions. En étant aux avant-postes sur la question des travailleurs détachés, la France a aujourd’hui la capacité de proposer une voie à ses voisins européens, de prouver que si elle demeure attachée à la liberté de circulation, c’est toujours dans un cadre protecteur pour ses citoyens.

Après une première lecture par notre assemblée, le Sénat a su améliorer le texte, sans le dénaturer. La commission mixte paritaire est également parvenue à établir un texte qui a su conserver la philosophie générale du projet de loi initial. Les principaux apports de cette proposition de loi, que j’avais mentionnés en première lecture, ont été conservés. Elle prévoit d’abord, pour tous les secteurs, une responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre avec les sous-traitants qui frauderaient : voilà son point essentiel. Le Sénat a d’ailleurs procédé à une utile simplification, en supprimant le dispositif de solidarité financière spécifique aux salariés détachés, pour retenir un dispositif unique.

La proposition ajoute une obligation d’informer l’inspection du travail pour les donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage. Suite à l’examen du texte par le Sénat, et afin de donner aux inspecteurs du travail les outils et les informations nécessaires pour lutter contre la fraude et le dumping social, le nombre de salariés et de travailleurs détachés devra être mentionné dans le bilan social de l’entreprise. Le volet spécifique au transport routier, sujet ô combien difficile, va renforcer la responsabilité des donneurs d’ordre, tout en permettant de lutter contre des conditions de travail particulièrement scandaleuses. Nous avions également souligné l’intérêt que peut avoir l’instauration d’une liste noire des entreprises condamnées d’une peine d’amende pour travail illégal. Le Sénat a supprimé toute référence à un seuil pour ces amendes.

Enfin, une telle proposition de loi ne pouvait se prévaloir de prendre en compte tous les aspects de la question des travailleurs détachés, sans donner voix au chapitre aux organisations patronales comme aux syndicats de salariés. Les organisations syndicales représentatives bénéficieront ainsi du droit clairement établi d’ester en justice en tant que partie civile en cas de travail illégal. S’ajoutent à ces dispositifs l’extension de la circonstance aggravante de bande organisée en cas de travail dissimulé ou de prêt illicite de main-d’œuvre, ainsi que la possibilité pour la justice, en cas de condamnation sur ces motifs, d’interdire, pour une durée qui peut aller jusqu’à cinq ans, de percevoir toute aide publique attribuée par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public.

Ce dernier point a fait l’objet de discussions en commission mixte paritaire. Le groupe CRC a en effet introduit au Sénat un amendement visant à obliger le contrevenant à rembourser les subventions déjà perçues. La CMP a décidé, à juste titre et à l’initiative de notre rapporteur, de supprimer cette disposition. Son effet rétroactif était de fait contestable, alors que l’autorité administrative a d’ores et déjà la possibilité, lorsqu’elle a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction de travail illégal, de demander le remboursement des aides publiques perçues au cours des douze derniers mois.

Pour conclure, au-delà des mesures techniques et de bon sens que contient ce texte, nous devons garder à l’esprit que les dérives du principe de libre circulation ne pourront être jugulées que par un mouvement déterminé et constant en faveur d’une Europe sociale, d’une Europe plus homogène et, partant, plus protectrice et plus prospère. Les problèmes qui existent aujourd’hui en matière de détachement des travailleurs résultent essentiellement de l’inadéquation entre des normes disparates au sein des États membres et l’état encore embryonnaire de l’Europe sociale. Ils incitent à construire une Europe fédérale politique et sociale autant, et sinon plus, qu’économique, qui protège réellement nos concitoyens au nom d’une culture partagée. C’est en réitérant ce vœu que le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi vise à lutter contre la concurrence sociale déloyale, autrement dit, le dumping social. Les écologistes se félicitent de ce texte qui s’inscrit dans un contexte national et européen particulièrement actif sur ce sujet ces derniers mois. Les parlementaires écologistes, français et européens, sont déterminés à lutter contre le dumping social et le travail low cost, à protéger les droits fondamentaux et les acquis sociaux, à freiner les concurrences inéquitables entre salariés européens, et à bâtir une Europe sociale. Nous ne cherchons pas à favoriser un protectionnisme national, ni à limiter les mobilités et la libre circulation des personnes. Notre engagement vise un nivellement par le haut du droit des travailleurs européens, en matière de revenus et de protection sociale.

Les mesures prévues dans cette proposition de loi forment un ensemble cohérent de règles et de procédures pour lutter contre les situations de dumping social, donc de concurrence sociale déloyale, et de travail illégal ou clandestin.

La responsabilité solidaire du donneur d’ordre, étendue aux conditions de vie des travailleurs, aux libertés fondamentales et à tous les aspects du droit du travail, est une avancée qui permet de sanctionner ceux qui, trop souvent, ferment les yeux sur les pratiques de leurs prestataires. L’inscription sur une liste noire, laissée à l’appréciation du juge, des entreprises prestataires de services condamnées pour des infractions constitutives de travail illégal est une sanction dissuasive. Enfin, la possibilité pour les syndicats d’attaquer des employeurs en justice sans mandat du travailleur concerné constitue également un grand pas en avant puisque, bien souvent, ces travailleurs sont soumis à des pressions et ne maîtrisent pas le français ni les subtilités de nos procédures judiciaires.

Ce sont là trois avancées importantes.

Cela a été dit lors de la première lecture, toutes ces mesures n’ont pas pour objectif de lutter contre le détachement en lui-même. Dans une Europe ouverte, les travailleurs des États membres doivent pouvoir se déplacer librement.

D’ailleurs, les Français sont nombreux à être détachés : on en comptait 169 000 en 2011, soit à peu près autant que de travailleurs détachés accueillis en France à la même date, à savoir 144 000.

L’objectif de cette proposition de loi est de lutter contre les abus, quand des travailleurs accueillis dans notre pays se voient offrir des conditions de travail et d’hébergement indignes. Cela a aussi été dit : les fraudes et les abus sont loin d’être négligeables.

Les écologistes voteront ce texte, qui contient un panel efficace de sanctions et dont la philosophie générale correspond à nos valeurs. Mais ce texte ne peut nous dispenser d’envisager la lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale de manière globale au niveau européen.

Les faits sont là : pour les ouvriers peu qualifiés du BTP par exemple, les cotisations patronales s’élèvent à plus de 50 % en France, contre seulement 20 % en Pologne. Ces écarts très importants sont une source d’économies pour les employeurs, car les salariés sont affiliés au régime de sécurité sociale de leur pays d’origine.

La solution serait une harmonisation par le haut des systèmes sociaux en Europe, accompagnée de l’émergence d’une Organisation européenne du travail et d’une coopération syndicale européenne, pour garantir efficacement la défense des travailleurs, quel que soit leur pays d’origine. Ces bonnes intentions, on peut même parler de volonté, sont partagées, mais sont remises en cause par le traité transatlantique actuellement en cours de négociation. Les pourparlers sont malheureusement tenus secrets, nous le déplorons. Mais les éléments qui ont filtré suscitent de grandes inquiétudes.

Comment parler de coopération dès lors que le libre-échange absolu sera la règle entre l’Europe et les États-Unis ? Comment parler d’harmonisation par le haut alors que les multinationales auront la possibilité d’attaquer devant un tribunal ad hoc les politiques publiques contraires à leurs intérêts commerciaux ? Comment parler d’Europe sociale si le droit du travail est considéré comme un frein dans cet espace de libre-échange ?

Ce traité est contraire aux valeurs que les écologistes défendent, vous l’aurez compris, mais il est aussi contraire à l’esprit de la loi que nous allons adopter aujourd’hui et qui s’inscrit, elle, dans un esprit de coopération, et non de compétition.

C’est pourquoi les écologistes voteront avec enthousiasme cette proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale et déloyale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, le groupe RRDP ne peut que saluer cette proposition de loi qui vient renforcer notre arsenal national législatif en matière notamment de protection des travailleurs. Elle répond à la volonté du Gouvernement et de la majorité, engagés avec détermination dans la bataille pour l’emploi.

Disons-le d’emblée, le dumping social nuit à l’emploi, aux conditions d’emploi et de rémunération dans notre pays. Elle altère la confiance des citoyens à l’égard de l’Union européenne, le résultat des dernières élections en ont apporté une triste preuve.

Le dumping social contrevient à la libre circulation et la libre concurrence des travailleurs car cette libre circulation doit s’assortir entre les États membres d’un équilibre, d’une mise en conformité de la rémunération et des conditions de travail.

Il ne s’agit pas de nier le détachement des travailleurs. En effet, rappelons que pour 220 000 travailleurs détachés accueillis en France, 170 000 l’ont été de notre pays vers l’Europe.

Mais en favorisant la prestation internationale de services sans que soit parallèlement engagée une réelle procédure de contrôle, la directive sur le détachement des travailleurs a permis que s’instaure et se développe une pratique frauduleuse. C’est ainsi que de plus en plus de prestataires de services emploient des salariés low cost.

Il est effarant de constater que de 150 000 à 300 000 salariés low cost seraient ainsi présents sur le territoire français, dans divers secteurs et pas seulement dans le BTP, lequel concentrerait toutefois, à lui seul, un peu plus de 40 % de travailleurs détachés. Ces chiffres ne sont que des estimations. En effet, force est de constater que les détachements ne donnent pas nécessairement lieu à une déclaration préalable de la part des prestataires de services.

Dans un contexte économique européen en crise, un certain nombre de pays, notamment du sud de L’Europe, sont touchés par un chômage de masse. La France non plus n’est pas épargne. Ainsi afin de poursuivre leur activité à moindre coût, nombre d’entreprises emploient des travailleurs détachés. Et le dumping social est encore plus marqué dans les pays dont la législation ne prévoit pas de salaire minimum. On voit ainsi des travailleurs détachés, engagés pour six mois maximum, percevoir le salaire minimum français, sans pour autant bénéficier des avantages sociaux, lesquels restent assis sur la législation du pays d’origine du travailleur. C’est bien là que se situe la distorsion de concurrence.

À cela, s’ajoute le fait que les charges sociales restent payées dans le pays d’origine, ce qui peut entraîner des différences importantes de coûts pour l’employeur.

En s’engageant plus fortement contre le dumping social, la France pourrait également se défendre contre certains comportements nationalistes conduisant à prétendre que les travailleurs étrangers seraient en grande partie responsables du chômage national. On voit, hélas, gagner cet esprit anti-européen. Il est du devoir des pays membres de l’Union européenne d’agir pour la construction d’une Europe pas seulement économique mais sociale. Une Europe qui se donne les moyens de protéger l’ensemble des citoyens. La France doit se montrer vertueuse en ce sens. Le contexte de crise économique ouvre la voie à des propos à tendance xénophobe, en particulier à l’encontre des travailleurs étrangers, dont on fait des boucs émissaires, en leur imputant le chômage.

Adopter une loi comme celle qui nous est présentée aujourd’hui permettra à notre pays de se doter d’un cadre adapté et juste.

Le groupe RRDP votera bien entendu cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, je souhaite en premier lieu féliciter les députés Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, de s’être saisis, dès le premier semestre 2013 de la question du dumping social résultant du détachement des travailleurs.

Les conséquences de l’application abusive des dispositions de la directive européenne de 1996 sont catastrophiques sur l’emploi en France.

Un travailleur détaché travaille dans un État membre parce que son employeur l’affecte provisoirement, le temps d’une mission, dans un autre État membre. Cependant, le droit européen n’oblige pas les États membres à fixer un salaire minimum, n’impose pas aux entreprises d’exercer une activité substantielle au sein de leur pays d’origine et ne fixe pas de limite de temps aux situations de détachement. On trouve donc des entreprises dites « boîtes aux lettres » dans les pays où le droit social est a minima.

La directive de 1996 prévoit que le droit du travail applicable au travailleur détaché est celui du pays d’accueil mais que l’affiliation au système de sécurité sociale reste celle du pays d’origine. Ses dispositions, dont l’objectif affiché était de protéger les travailleurs et les marchés du travail des États membres, ont entraîné deux fléaux, économique et social, la désindustrialisation et le chômage.

L’arrivée massive de travailleurs à bas coût déstabilise des filières de production entières. Je puis témoigner que dans ma circonscription, l’agriculture et l’agro-alimentaire en font un usage abusif, accentuant de manière très sensible les chiffres du chômage.

Nos industries subissent également une concurrence déloyale de la part d’autres pays européens : je citerai l’exemple de l’industrie de la viande allemande, qui s’est développée sur la base d’un coût moyen du travail de six euros de l’heure, sans salaire minimum ni convention collective, alors que le coût horaire est d’environ vingt euros chez nous, en Bretagne.

Je me réjouis de l’impulsion française, de la détermination de notre Président de la République et de Michel Sapin pour sensibiliser nos amis européens, en particulier allemands, afin d’adopter un salaire minimum.

Cette proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, du nom de baptême que lui a donné Richard Ferrand, marque de réelles avancées. et le travail réalisé par les rapporteurs, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont permis d’aboutir à un texte simple et dont l’application sera, nous l’espérons, efficace.

Ce texte responsabilise les donneurs d’ordre. Il renforce l’obligation de déclaration préalable de détachement en l’élevant au niveau législatif. Le prestataire étranger devra effectuer une déclaration préalable de détachement auprès de l’inspection du travail. Le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage devront être vigilants et vérifier que cette obligation de déclaration a bien été respectée. La procédure est simple. Des sanctions administratives seront désormais possibles à l’égard des donneurs d’ordre ou des maîtres d’ouvrage en cas de non-respect des obligations de déclaration. Une amende de deux mille à quatre mille euros par salarié détaché sera appliquée à tout contrevenant. Un syndicat pourra en outre ester en justice afin de défendre les droits d’un salarié détaché, ceci sans mandat de la part de ce salarié.

Ce texte marque un progrès. Il met en œuvre les préconisations des rapports parlementaires : constitution d’une liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats, dont on attend un effet dissuasif, amélioration du dispositif par la loi et le contrôle, extension de la possibilité de recours aux organisations syndicales.

Nous sommes toutefois conscients qu’il n’empêchera pas tous les abus ni toutes les fraudes. L’inspection du travail devra avoir les moyens d’appliquer la loi. Mais le véritable défi est de travailler sans relâche au niveau européen pour aboutir à une Europe où les règles sociales seront harmonisées.

Ce sera la meilleure des réponses à cette concurrence sociale déloyale, qui a pour première origine les droits réduits des salariés dans les autres pays européens.

Les résultats des élections européennes ne nous ont pas confortés dans ce sens. Pourtant, une autre Europe est possible, plus sociale, plus protectrice pour les plus faibles et, en particulier, les salariés. Nous soutenons notre Président de la République, qui doit se faire entendre au Conseil européen, aujourd’hui et demain. Il défendra une convergence fiscale et sociale et l’instauration d’un salaire minimum en Europe.

Le travail que les parlementaires ont réalisé pour aboutir à ce texte est un excellent argument pour convaincre tant nos partenaires européens que nos concitoyens de la nécessité, mais aussi de la possibilité, de faire avancer l’Europe sociale.

Ce texte sera apprécié autant par nos chefs d’entreprise que par les salariés qu’ils emploient.

Nous voterons donc cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, dernier inscrit dans discussion générale.

M. Denys Robiliard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, je veux évidemment m’associer aux félicitations qui ont été adressées à M. Savary et à Mme Guittet pour le beau texte dont nous débattons.

Il n’est pas inutile de rappeler que nous ne sommes pas là pour diaboliser le détachement : la France est l’un des pays qui y recourt le plus. Quand il est associé à une prestation de service, quand il a pour objet la mise en place des machines ou la réalisation d’une prestation spécialisée qu’une entreprise en Europe est seule capable de faire, le détachement est parfaitement adapté.

En revanche, il convient d’éviter le détournement de la directive détachement et d’empêcher que l’on pourvoie des emplois non délocalisables par des salariés délocalisés. De ce point de vue, le texte me paraît mettre en œuvre une méthodologie très intéressante. On aura très clairement plus de facilité à s’attaquer à la responsabilité du donneur d’ordre ou du maître de l’ouvrage qu’aux officines spécialisées, qui ont identifié un créneau et s’emploient à l’exploiter dans d’autres pays, où il est difficile de les atteindre en recourant au droit français.

À cet égard, les obligations qui pèsent sur les donneurs d’ordre et les maîtres d’ouvrage sont évidemment très positives. Ils sont soumis, d’abord, à une obligation de déclaration. Ils ont également l’obligation d’intervenir, pour faire respecter les droits des travailleurs détachés, dès lors que le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage est informé de leur violation par un agent de contrôle ; la liste des agents de contrôle est vaste et ne se réduit pas aux agents de contrôle de l’Inspection du travail. Ils ont par ailleurs une obligation de mise en demeure.

La sanction de l’obligation instituée me paraît également intéressante, eu égard aux transferts d’obligations : ainsi, s’il n’est pas fourni un logement décent et si l’employeur, à l’origine du détachement, ne met pas, après mise en demeure, un logement décent à la disposition du salarié, l’obligation pèse désormais sur le donneur d’ordre. C’est une sanction extrêmement dissuasive. Il en est de même en matière de salaire : si le salaire minimum légal ou conventionnel n’est pas payé par l’employeur, il devra l’être par le donneur d’ordre, si ce dernier manque à son obligation de mettre en demeure et d’informer l’agent de contrôle de l’absence de résultat de cette dernière.

Par ailleurs, monsieur Savary, votre proposition de loi constitue un véritable laboratoire puisqu’elle anticipe sur la réforme plus générale de l’inspection du travail. C’est grâce à vous que sont, pour la première fois, mises à la disposition de l’administration du travail des sanctions administratives, telles que l’amende administrative, fixée au taux de 2 000 euros, qui peut, dans certains cas, passer à 4 000 euros. De ce point de vue, on se situe dans l’anticipation de la réforme plus générale de l’inspection du travail, dont nous attendons la partie législative, qui aurait pu être adoptée dans le cadre de l’article 20 de la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, si le Sénat n’en avait pas décidé autrement.

Comme vous le savez, j’ai déposé une proposition de loi qui vise à rétablir – ou à établir – dans notre droit les dispositions de l’article 20 du texte, tel qu’il avait été déposé par Michel Sapin, concernant les pouvoirs de l’inspection du travail. J’espère que nous pourrons dans les meilleurs délais parvenir plus largement à doter l’inspection du travail de ces nouveaux pouvoirs. En tout état de cause, l’esprit de votre texte consiste véritablement à renforcer les pouvoirs de ce corps et à se doter d’un ministère fort.

Bien évidemment, au-delà de l’amende, de la liste noire que vous établissez, cette réforme de l’inspection du travail – je parle cette fois-ci de son aspect réglementaire, du décret du 20 mars 2014 – fait également naître des espoirs. En effet, aujourd’hui, l’inspection du travail dispose d’une organisation renouvelée, restructurée, qui me semble plus adaptée – de manière générale – à la lutte contre le travail dissimulé, et, plus particulièrement, contre le détachement européen ou international. Jusqu’à présent, l’inspection du travail était organisée en sections d’inspection, comprenant un inspecteur, deux contrôleurs et des personnels d’appui. Elle est désormais constituée d’unités de contrôle, qui existent aux niveaux régional et national : on peut à présent concentrer l’effort, à ces deux niveaux, sur la lutte contre le travail dissimulé et le détournement de la directive détachement.

Le détachement international est l’un des rares domaines où des entreprises du bâtiment viennent frapper à la porte des députés pour dire qu’elles attendent l’inspecteur du travail. Comme il est attendu, j’espère que l’on ne va pas le décevoir (Sourires) par votre proposition et la réforme encore à parachever des pouvoirs de l’inspection du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Véronique Massonneau. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire.

Conformément à l’article 113, alinéa 3 du règlement, je vais appeler l’Assemblée à statuer d’abord sur l’amendement dont je suis saisi.

La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n1.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. L’amendement qui vous est présenté, comme il l’a été au Sénat, est un amendement de coordination avec la loi de transposition du 27 mai 2014. Il est donc essentiellement rédactionnel et porte sur les références opérées dans l’ordonnance de 1945 et le code des douanes.

La loi de transposition et cette proposition prévoient en effet toutes deux d’ajouter un dernier alinéa à l’article 706-88 du code de procédure pénale, de sorte que les références aux alinéas de cet article doivent être modifiées en conséquence.

Il s’agit donc, madame la présidente, d’un amendement essentiellement formel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n1 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement adopté par l’Assemblée.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Véronique Massonneau. Très bien !

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à midi.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Développement et encadrement des stages

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires (nos 1701, 1996).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, rapporteure de la commission mixte paritaire.

Mme Chaynesse Khirouni, rapporteure de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, nous voici au terme d’un processus législatif initié en décembre dernier par le dépôt de la proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement et à l’amélioration des stages. Je tiens à vous dire à quel point je suis honorée d’avoir soutenu ce texte qui traduit un engagement présidentiel.

Vous le savez, la dernière décennie a vu les stages se généraliser dans de nombreux cursus. Sur la période 2006-2012, nous sommes passés de 600 000 à 1,6 million de stages par an. Toutefois, de nombreux acteurs déploraient la sédimentation, l’accumulation dans divers textes de dispositions, parfois mal comprises ou mal appliquées, régissant le recours au stage et aux périodes de formation en milieu professionnel. Il fallait donc simplifier les dispositions légales par un texte clair qui permette de les unifier et de les renforcer tout en responsabilisant l’ensemble des parties prenantes.

Cette proposition de loi fait suite à de nombreuses discussions, avec tous les acteurs. Elles ont permis d’aboutir à un texte équilibré – j’insiste sur ce point – qui vise à la fois à améliorer le statut des stagiaires, à développer une offre de stages de qualité et à rappeler fermement que le stage est non pas un travail, mais une période pédagogique.

À l’Assemblée nationale, les examens en commission puis en séance ont permis d’apporter de nombreux enrichissements, en particulier à l’article 1er. Ils traduisent l’investissement de tous les groupes et du Gouvernement.

Je retiens ainsi que les stages devront obligatoirement être intégrés à un cursus scolaire ou universitaire afin d’éviter que les entreprises accueillent des stagiaires au lieu de recruter des salariés ; que le nombre de stagiaires par organisme d’accueil et par tuteur professionnel sera limité afin de s’assurer du bon déroulement et de la qualité du stage comme outil de formation ; qu’un accord d’entreprise pourra préciser les tâches confiées au tuteur ainsi que les conditions de l’éventuelle valorisation de cette fonction ; qu’un décret prévoira de limiter le nombre de stagiaires pouvant être suivis simultanément par un même enseignant référant ; que le stagiaire pourra bénéficier d’autorisations d’absence pour les stages de plus deux mois ; que le temps de travail des stagiaires ne pourra excéder celui des salariés de l’organisme d’accueil ; que les conventions de stage rappelleront les droits et devoirs des stagiaires à l’étranger.

Sur proposition des élus écologistes et radicaux, nous avons également adopté un amendement permettant, le cas échéant, la validation d’un stage interrompu avec l’accord de l’établissement d’enseignement ou à la suite d’une décision de rupture prise par l’organisme accueil. En outre, nous avons amendé le texte afin de préciser que la gratification doit bien être versée à compter du premier jour du premier mois de stage, pour les stages donnant lieu à une indemnisation. Nous avons également souhaité rappeler que le stagiaire ne saurait se voir confier des tâches dangereuses.

Le groupe GDR a contribué à l’enrichissement du texte, notamment au travers d’un amendement tendant à accélérer l’examen devant le conseil de prud’hommes des demandes de requalification d’une convention de stage en contrat de travail. Un amendement de notre collègue Gérard Cherpion a permis de clarifier le mode de calcul de la durée d’un stage ou d’une période de formation en milieu professionnel : il doit se faire au prorata de la durée effectivement passée dans l’organisme d’accueil.

Le travail parlementaire a ainsi permis une réelle amélioration de ce texte. Les discussions à l’Assemblée nationale ont été constructives et tous les groupes y ont pris part. Je veux saluer ce travail commun.

Le texte a ensuite été adopté par nos collègues du Sénat le 15 mai dernier. Sur sept articles, deux ont été adoptés conformes et cinq ont fait l’objet de modifications. L’essentiel des modifications porte sur l’article 1er.

Parmi les principales modifications adoptées au Sénat, je relève l’augmentation du niveau minimal de gratification à 15 % du plafond de la Sécurité sociale ainsi que la réduction d’un mois de la durée de stage ouvrant gratification obligatoire. Ces propositions ont été adoptées à l’initiative de mon homologue Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de ce texte au Sénat. Je souhaite souligner ici la collaboration fructueuse que j’ai pu nouer avec lui tout au long de nos nombreux échanges et en profiter pour saluer son engagement sur la question des stages et de l’insertion professionnelle des jeunes depuis de nombreuses années.

Quant au groupe communiste, il a proposé un amendement permettant d’étendre à tous les stagiaires le bénéfice des titres restaurant et la prise en charge des frais de transport. Enfin, un amendement du Gouvernement au Sénat a ouvert la possibilité de dérogations au bénéfice des périodes de formation en milieu professionnel des maisons rurales et familiales.

En commission mixte paritaire, le 3 juin dernier, députés et sénateurs sont parvenus au texte de compromis qui vous est soumis aujourd’hui. Nous avons conservé l’essentiel des avancées adoptées par les parlementaires à l’Assemblée et au Sénat. Nous sommes revenus sur deux points principaux. L’obligation de gratification sera effective non pas pour les stages de plus d’un mois mais pour les stages de plus de deux mois, comme le prévoyait le texte issu des travaux de l’Assemblée ; il s’agit de prendre en compte les problématiques spécifiques des stages courts ou de découvertes des IUT ou BTS notamment. En outre, la CMP a souhaité que l’augmentation de la gratification soit effective à compter du 1er septembre 2015 afin de tenir compte de la situation des collectivités territoriales et des associations dont les budgets pour 2014 ont déjà été adoptés.

Mes chers collègues, le texte issu de la CMP a été adopté à une très large majorité par le Sénat le 12 juin dernier. Je souhaite que nous fassions de même aujourd’hui ; ce sera là un signal à la fois positif et fort envoyé aux jeunes, un signal de confiance !

J’en profite pour remercier chacun de sa contribution. Madame la secrétaire d’État, je souhaite saluer votre détermination sans faille en faveur des jeunes et vous dire tout le plaisir que j’ai eu à travailler avec vous durant ces longs mois pour améliorer la situation des stagiaires. Je souhaite remercier les collaborateurs de votre ministère et du ministère du travail, les services de la commission des affaires sociales et de notre assemblée ainsi que les collaborateurs du groupe SRC, qui ont été d’un appui précieux et ont fait montre d’une grande disponibilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d’abord à remercier ceux qui ont été à l’initiative de cette proposition de loi, vous en particulier, Mme Chaynesse Khirouni.

Elle honore tout d’abord l’engagement présidentiel n39, par lequel le Président de la République avait affirmé : « J’encadrerai les stages pour empêcher les abus. » Elle fait également écho aux propos que celui-ci a tenus lors d’une conférence de presse au mois de janvier dernier : « Quand on a vingt-cinq ans, qu’on a fait des études et qu’on est obligé d’accepter un stage et de la précarité, c’est là aussi invivable. »

Cet engagement était important à respecter non seulement pour redonner confiance aux jeunes, mais aussi pour simplifier une procédure qui devenait illisible pour tous ; entreprises, organismes d’accueil, jeunes, enseignants et encadrants des établissements de formation. Il fallait faire trois choses : redéfinir, simplifier et responsabiliser. Je les reprendrai une par une.

Redéfinir consiste à répéter que les stages sont non pas un sas de pré-embauche mais un élément intrinsèque de la formation. En ce sens, ils ne sont pas destinés uniquement aux masters 1 et 2 et doivent s’adresser davantage au premier cycle, ce qui est l’un des objectifs de la proposition de loi ; aujourd’hui, ils ne concernent que 2 % des étudiants de première année.

Un stage est pourtant un élément à part entière de la formation et permet en outre aux jeunes de confirmer ou d’infirmer un choix d’orientation, car seule une immersion dans le milieu professionnel peut faire comprendre si le projet professionnel que l’on a choisi correspond à nos aspirations. Il est d’ailleurs préférable de se réorienter à l’issue d’une première année que de s’apercevoir en fin de cursus que le métier qu’on va exercer ne correspond pas à l’idée que l’on s’en faisait. En outre, les réorientations précoces pénalisent beaucoup moins les jeunes issus des milieux socio-professionnels les moins favorisés.

Par ailleurs, les stages ne sont pas assimilables à un emploi et ne sont pas encadrés par un contrat de travail. Trop souvent, au cours des discussions que nous avons eues, nous nous sommes aperçus que l’on confondait stage, apprentissage et alternance. Il était par conséquent essentiel d’associer au stage un volume de formation déterminé et une convention qui engage à la fois l’encadrant dans l’établissement de formation, le professionnel au sein de l’organisme, l’administration ou l’entreprise d’accueil et le stagiaire, qui devait être davantage responsabilisé et mieux connaître ses droits et devoirs.

Il était donc très important de redéfinir le stage comme un élément intrinsèque de la formation, et ce, dès le début du premier cycle des études supérieures. Toutes les études montrent en effet que, lorsqu’on peut justifier sur son CV d’une expérience professionnelle in situ, d’une immersion professionnelle, à niveau de formation égal, on double ses chances d’être embauché.

Le deuxième point, c’est la simplification. La définition juridique du stage était loin d’être claire, dans la mesure où cinq dispositifs législatifs s’étaient succédé, où le code de l’éducation aussi bien que le code du travail étaient concernés, que parmi les décrets qui avaient été pris, certains étaient contradictoires entre eux et que d’autres contredisaient l’esprit de la loi dont ils étaient issus. Les entreprises, comme les stagiaires et les encadrants, ne savaient plus très bien quelles étaient la définition d’un stage et les modalités d’accueil et de gratification des stagiaires.

Il était donc urgent de simplifier, de façon à avoir un seul dispositif légal, un seul code de référence, celui de l’éducation et des décrets transparents. Leur contenu ne sera pas une surprise, car les questions relatives au nombre de stagiaires par référent dans la structure d’accueil ou aux modalités d’accompagnement par les organismes de formation ont été déjà abordées lors des débats.

Le troisième point, c’est la responsabilisation. Il était essentiel que la structure d’accueil, le jeune et l’encadrant dans l’organisme de formation soient responsabilisés en signant une convention. Celle-ci ne constitue pas de la paperasserie supplémentaire, comme je l’ai entendu ; elle consacre un engagement tripartite. Chacun connaît ses droits et ses devoirs, ce qui évite que l’une ou l’autre des parties n’abandonne le stage ou que le stage ne se déroule dans de mauvaises conditions. Il ne faut pas que les abus, les irrégularités et les dysfonctionnements – qui sont mineurs, nous l’avons dit à plusieurs reprises – portent atteinte à l’ensemble des stages et à la considération qui leur est portée.

Redéfinition, simplification, responsabilisation sont les trois mots-clés que la rapporteure, Chaynesse Khirouni, a pu développer tout au long de la concertation, qui a duré six mois. Il est important de saluer le travail qui a été fourni à cette occasion, car il a grandement facilité, au-delà de certaines postures, le dialogue au Sénat et à l’Assemblée. Cette concertation a étroitement associé le ministère du travail et celui de l’enseignement supérieur et de la recherche.

A l’Assemblée nationale, 123 amendements ont été examinés, 21 ont été adoptés. La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP, après neuf heures de débat. Au Sénat, 24 des 150 amendements examinés ont été adoptés. Je salue le travail du rapporteur, Jean-Pierre Godefroy, et de l’ensemble de sa commission. La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des groupes CRC, socialiste, écologiste et RDSE, le groupe de l’Union centriste s’étant abstenu. Les débats ont duré presque onze heures.

Je salue la qualité et la richesse de ces échanges, qui ont permis aux parlementaires d’enrichir le texte. Ils ont précisé les missions des établissements d’enseignement, chargés d’appuyer l’élève ou l’étudiant dans sa recherche de périodes de formation en milieu professionnel ou de stages. Ils ont facilité l’accès à l’information. Ils ont précisé les conditions d’encadrement des stages à l’étranger – sachant qu’une expérience à l’étranger augmente de 60 %, à compétences égales, les chances d’embauche d’un jeune. Ils ont tenu compte de certaines spécificités, celles des TPE, comme les start-up, qui bénéficieront par décret du relèvement du plafond du nombre de stagiaires. Il faut savoir que le nombre de stagiaires peut se cumuler avec celui des apprentis, car nous avons défini que le stage, contrairement à l’apprentissage, n’était pas une période de travail et ne pouvait donner lieu à un contrat de travail.

Nous avons aussi tenu compte des spécificités des maisons familiales et rurales. Le Gouvernement proposera tout à l’heure un amendement afin de modifier un dispositif adopté en CMP qui porte à trois mois au lieu de deux la durée nécessaire de stage donnant droit à une gratification.

Les débats parlementaires ont permis d’améliorer les dispositions, les conditions d’accueil et les droits des stagiaires, les autorisations d’absence en cas de grossesse, de paternité ou d’adoption, les protections relatives aux durées maximum de présence et aux périodes de repos. Un stagiaire doit bénéficier le plus possible des mêmes conditions que celles dont jouissent les salariés, sachant qu’il n’est pas un salarié, mais qu’il se trouve immergé dans un milieu professionnel dont il doit connaître les codes, les cultures et les conditions réglementaires.

Enfin, les débats parlementaires ont permis d’élargir à tous les stagiaires les avantages et les droits des salariés – titres restaurant, accès à la restauration collective. Le Sénat a augmenté la gratification des stagiaires lorsqu’ils effectuent un stage de plus de deux mois.

Ce texte peut nous rassembler, car il est de nature à redonner la confiance à une jeunesse qui considère trop souvent, et à juste titre, que la part qui lui est faite dans la société n’est pas suffisante, et certainement pas à la hauteur de l’avenir que nous devons préparer avec elle.

Ce texte s’inscrit dans un esprit constructif, de dialogue, qui n’a rien à voir avec l’image de texte contraignant que l’on veut parfois lui prêter. Je rappelle que ce procès d’intention avait été fait à la majorité d’alors, lors de l’adoption des quatre premiers textes législatifs – je ne parle pas du cinquième texte, intégré dans le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche en 2013, qui anticipait cette proposition de loi. Depuis, le nombre de stagiaires a doublé, passant de 600 000 à 1,2 million.

On voit bien que les stages correspondent à un besoin. Il convenait de clarifier la situation juridique, la position des stages au sein d’une formation, pour éviter les abus dans l’offre de formation aussi bien que dans l’accueil dans certaines structures – dans des secteurs comme celui des sondages ou de la communication, on a parfois vu des proportions allant jusqu’à 80 % de stagiaires. Il convenait aussi de redonner confiance et de le faire en concertation avec les entreprises. Entreprises, organismes, formateurs et jeunes, nous partageons tous le même avenir, celui de notre pays. Il passe par la qualification des jeunes, largement améliorée par les stages. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Kheira Bouziane.

Mme Kheira Bouziane. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre assemblée a adopté en première lecture le 24 février la proposition de loi de notre collègue Chaynesse Khirouni tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires.

Ce texte a pour seul objectif de généraliser les bonnes pratiques, qui existent déjà mais qui, parfois, ne le sont pas. Il prévoit de donner aux jeunes de notre pays qui sont en formation la garantie que leur période d’apprentissage en milieu professionnel ne sera pas détournée de son objectif pédagogique, que leur stage ne se transformera pas en un emploi dissimulé et à bas coût, et qu’il restera bien une expérience formatrice et enrichissante.

Ce texte, très largement enrichi par l’ensemble des travaux parlementaires, crée une situation d’équilibre entre les droits et les devoirs, voire les obligations de chacune des parties, la structure d’accueil, le stagiaire ainsi que l’établissement d’enseignement dont il dépend.

Au cours de la commission mixte paritaire, les députés et les sénateurs ont consolidé et validé les principales dispositions adoptées par l’Assemblée nationale et le Sénat. Les mesures votées sont, somme toute, une évidence, eu égard à l’objectif du stage tel que l’on peut le définir.

Il est prévu de plafonner le nombre de stagiaires dans la structure d’accueil pour améliorer l’encadrement, de lutter plus efficacement contre le travail dissimulé, de mettre en œuvre un double suivi des stagiaires, par l’établissement d’enseignement et par la désignation d’un tuteur dans l’entreprise. Il est également prévu qu’une aide à la recherche de stage sera assurée, afin de garantir l’égalité d’accès au stage, quel que soit le contexte personnel, social ou familial. Enfin, les stagiaires bénéficieront de droits et d’avantages sociaux, tels que l’accès au restaurant d’entreprise. Toutes ces avancées traduisent des mesures fortes, des mesures de confiance destinées à la jeunesse.

Les principales dispositions de ce texte ont été adoptées en CMP. La commission a entériné qu’un stage était avant tout un élément constitutif d’une formation. Ce n’est ni un CDD, ni le moyen de remplacer un salarié absent, ni une alternance et encore moins un apprentissage. Il convenait de le définir et de l’encadrer par la loi.

Les désaccords de fond entre les deux chambres étaient mineurs et nous sommes parvenus à un texte commun, un texte d’équilibre. Ce texte concrétise un engagement de campagne du Président de la République. Il renforcera la dimension pédagogique des stages. Il permettra de lutter contre les abus qui ont trop longtemps pénalisé les jeunes, et leur a parfois donné une très mauvaise image du monde du travail.

Nous nous apprêtons, chers collègues, à voter un texte de progrès pour nos jeunes en cours de formation. Cette proposition de loi répond à l’attente de très nombreux jeunes qui, chaque année, sont presque 1,5 million à effectuer un stage en milieu professionnel.

Au vu du travail parlementaire qui a été effectué sur ce texte, présenté par notre collègue Chaynesse Khirouni, à qui je renouvelle mes félicitations, je souhaite que nous fassions le choix de l’avenir et de la formation de notre jeunesse en votant les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, en raison de la situation de l’emploi, la priorité est avant tout de renforcer la qualité du stage – son contenu, son déroulement et l’évaluation du stagiaire –, en partenariat avec les établissements d’enseignement.

Le stage est un outil de formation qui doit s’appuyer sur la responsabilisation des trois parties prenantes : établissement scolaire, jeune, entreprise. Cette relation tripartite ne fonctionne qu’en situation de confiance réciproque, fondée sur un équilibre des engagements de nature exclusivement qualitative.

Contrairement à ce que je viens d’entendre à cette tribune, une nouvelle réglementation contraignante, à la charge quasi-exclusive des entreprises, est de nature à rompre cet équilibre et à limiter encore plus l’accès des jeunes aux stages. Madame la secrétaire d’État, si, comme vous l’avez dit, le nombre de stages a augmenté suite à la mise en place du dispositif Cherpion, c’est parce qu’il s’agissait tout simplement d’une mesure d’équilibre.

Hélas, plusieurs points de cette proposition de loi ne s’inscrivent absolument pas dans le développement d’une relation de confiance, contrairement, là encore, à ce que j’ai pu entendre. En premier lieu, le principe d’une limitation du nombre de stagiaires en fonction des effectifs et la création d’une amende administrative de 2 000 à 4 000 euros par stagiaire sont de nature à stigmatiser les entreprises.

Mme Jacqueline Fraysse. Mais non !

M. Patrick Hetzel. Nous étions tous d’accord pour dire qu’il pouvait y avoir, à la marge, un certain nombre de problèmes. Mais là encore, vouloir mettre la focale sur l’ensemble du monde de l’entreprise est quelque peu surprenant !

Il est très regrettable que le texte stigmatise les entreprises en cette période de crise et de chômage de masse. Il est, par ailleurs, en complète opposition avec la politique globale de développement de l’accueil des jeunes en entreprise. Je note que là aussi, il y a, d’un côté, les discours et, de l’autre, les actes d’une majorité, qui, nous l’avons encore vu hier soir, est extrêmement fracturée sur un certain nombre de sujets.

Actuellement, dans les entreprises de 250 salariés et plus, l’employeur doit garantir l’embauche en alternance d’au moins 4 % de l’effectif global. À défaut, un malus lui est imposé.

Pourtant, les derniers chiffres de la DARES attestent d’une difficulté croissante à recruter des jeunes en alternance – les contrats en apprentissage ont baissé de 8 % et les contrats de professionnalisation de 5 % en 2013. Ce sont là les chiffres du ministère ! Le plafonnement du nombre de stagiaires couplé à la baisse du nombre de contrats en alternance, ne pourra qu’aggraver la baisse du taux d’accès à l’emploi des jeunes.

Les quelques cas d’abus de recours aux stages ne sauraient servir de prétexte pour remettre en cause la quasi-totalité des dispositifs de stages en entreprise qui se passent bien. Il faut donc veiller à ne pas développer un discours dénonçant systématiquement des abus sans appui statistique probant. Nous les avons d’ailleurs souvent réclamés au cours du débat parlementaire, sans jamais les obtenir.

Il paraîtrait donc plus judicieux de fixer un tel quota de stagiaires par un accord de branche. En effet, les partenaires sociaux ont déjà négocié au niveau national interprofessionnel la question des stages, avec l’ANI du 7 juin 2011. Ils sont tout à fait habilités à déterminer les conditions optimales d’accueil des stagiaires en cohérence avec la dynamique économique et les besoins des secteurs d’activité. Là encore, paradoxalement, vous ne faites pas confiance aux partenaires sociaux.

Il conviendrait également de supprimer les amendes administratives en cas de dépassement du quota de stagiaires. Nous l’avons à plusieurs reprises mentionné. Qu’allez-vous faire des start-up ? Il faut poursuivre la responsabilisation de toutes les parties prenantes signataires de la convention de stages afin de garantir la bonne exécution et le respect des droits et obligations du stagiaire.

Par ailleurs, l’évaluation qualitative de l’organisme d’accueil par le stagiaire, distinct du rapport de stage prévu dans la loi, risque d’aboutir à la constitution de « listes noires » dans les établissements d’enseignement sans retour prévu pour l’entreprise. En lieu et place, il conviendrait, pour améliorer les conditions d’accueil des stagiaires, que l’entreprise soit destinataire de cette évaluation effectuée par le stagiaire. Ainsi, pourrait être généré un processus d’assurance-qualité de la politique de stages qui associe entreprise, établissement d’enseignement et stagiaire.

En second lieu, l’assimilation du stage à un contrat de travail aggrave la charge administrative des entreprises. Contrairement au discours initial, des amendements ont conféré aux stagiaires des droits comparables à ceux des salariés. Or, le stage n’est pas un contrat de travail et ne doit pas le devenir. Il doit relever du code de l’éducation. Au regard de la situation de l’emploi des jeunes en France, il faudrait renforcer la politique d’alternance et non la contraindre et plus encore, libérer les initiatives des entreprises pour qu’elles puissent accueillir davantage de jeunes afin de favoriser, à terme, leur accès à l’emploi.

Un stage est une période fantastique de formation en milieu professionnel régie par une convention de stage et durant laquelle le stagiaire doit conserver son statut d’étudiant. Leur étendre les droits afférents aux salariés concernant les congés de paternité, de maternité et d’adoption sera largement contre-productif pour la prise de stagiaires par les entreprises. La proportion de stagiaires concernés sera sans doute très faible mais c’est une mesure symbolique. Par cohérence, en cas de manquements, le contrôle doit donc revenir aux autorités académiques et non à l’inspection du travail.

Cette loi est bien trop rigide alors qu’elle concerne un secteur où l’on a typiquement besoin de souplesse. En effet, en vertu de cette loi, la durée d’un stage ne pourra pas excéder six mois. Un décret fixera la liste des formations qui bénéficieront d’une dérogation de deux ans, le temps d’adapter leur maquette pédagogique à la nouvelle obligation. Philippe Jamet, président de la Conférence des grandes écoles y voit une atteinte aux conditions d’embauche des jeunes diplômés. Et il a raison. « Un tiers à un quart de nos étudiants font un stage de fin d’études de plus de six mois », explique-t-il. Et ce stage est bien souvent un passeport pour l’emploi puisque 40 à 50 % de nos diplômés décrochent un emploi à son issue. Tout ce qui modifie ces conditions doit donc être examiné finement, ce qui n’a pas du tout été le cas.

En troisième lieu, la fameuse année de césure est également menacée. Devenue traditionnelle dans les écoles de management et d’ingénieurs, les étudiants étant de plus en plus nombreux à en profiter, elle permet d’interrompre ses études pendant un an pour effectuer un stage en entreprise, partir à l’étranger ou mener à bien un projet plus personnel.

Ce texte n’est donc pas du tout équilibré. Le droit existant protège déjà les stagiaires en prévoyant que les stages doivent s’inscrire dans un cursus pédagogique. Le stage ne doit pas remplacer un emploi permanent, temporaire ou saisonnier et le stagiaire ne peut remplacer un salarié absent, suspendu ou licencié. Toutes ces dispositions étaient déjà prévues dans la loi Cherpion qui a apporté de nombreuses avancées – délai de carence, gratification obligatoire au-delà de deux mois de stage, déduction de la durée du stage de la période d’essai en cas d’embauche, intégration de cette durée dans le calcul des droits à 1’ancienneté. Toutes ces mesures résultaient d’une véritable concertation avec les partenaires sociaux. Je suis surpris que, sur un sujet de cette nature, la majorité actuelle n’ait pas engagé de concertation avec les partenaires sociaux, du moins pas dans le cadre d’un accord interprofessionnel.

Cette proposition de loi, quant à elle, est dangereuse, parce qu’elle raréfiera l’offre de stages. Le mieux est l’ennemi du bien : pour protéger les stagiaires encore faut-il qu’il y ait des stages. Alors qu’un stage est devenu un passeport pour l’emploi, n’empêchons pas les jeunes de valider leur cursus faute d’avoir pu en accomplir un parce que le dispositif les aura pénalisés.

Limiter le nombre de stagiaires en fonction des effectifs et créer une amende administrative sont deux mesures dangereuses. Qu’en est-il des start-up ? Les stagiaires, qui peuvent y être proportionnellement très nombreux, y suivent une vraie formation. Nous n’avons jamais obtenu de réponse à cette question. L’assimilation du stage à un contrat de travail aggrave la charge administrative pour les entreprises : ce n’est pas la bonne voie. Voilà pourquoi nous sommes opposés à ce texte qui empêchera nos jeunes de trouver des stages, dissuadera les entreprises d’engager des stagiaires.

C’est dommage. Une fois de plus, vous agissez à l’encontre des intérêts des jeunes, aussi nous opposerons-nous à ce texte.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission mixte paritaire. Dommage ! Les jeunes s’en souviendront.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, je souhaiterais, en premier lieu, vous dire ma conviction que nous pouvons tous ici partager un constat aussi simple que fondamental : mieux encadrer les stages, mieux protéger les stagiaires, est une véritable nécessité.

La loi du 31 mars 2006 avait permis de réaliser de vrais progrès en faveur de l’égalité des chances. Sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo, le principe du versement obligatoire d’une gratification pour tous les stages en entreprise d’une durée supérieure à deux mois consécutifs avait ainsi été instauré. Depuis, le nombre de stagiaires a pratiquement triplé. Le développement des stages, qui favorisent l’orientation et l’insertion professionnelle, ne créerait pas de difficulté en soi si l’on ne savait pas que le nombre de stages abusifs est estimé à 100 000 par an.

Il convenait dès lors de renforcer en urgence la protection des stagiaires et de garantir leurs droits tout en définissant des règles précises, afin d’éviter les comportements abusifs de certaines entreprises.

La proposition de loi dont nous achevons l’examen aujourd’hui ne permettra malheureusement pas de répondre à ces deux objectifs. En effet, la majeure partie de ce texte ne consiste qu’à déplacer des articles du code de l’éducation et à les renommer. Certes, la création d’un chapitre dédié aux stages dans ce code est pertinente mais ce travail de codification, si utile soit-il, n’est cependant pas suffisamment ambitieux.

Quant aux autres dispositions de cette proposition de loi, elles ne traitent pas, selon nous, des problèmes fondamentaux liés aux stages, mais imposent de nouvelles contraintes et de nouvelles sanctions pour les entreprises. Vous n’êtes pourtant pas sans savoir que de plus en plus de jeunes peinent à trouver des stages, alors même que ces derniers sont obligatoires afin de valider leur cursus.

Nous devons résoudre ce paradoxe en nous attachant à restaurer la confiance, en responsabilisant les acteurs, pas en les sanctionnant. Lors de l’examen de la proposition de loi, nous avions fait des propositions pour améliorer significativement les mesures prévues. Outre la suppression des nouvelles contraintes imposées par le texte aux entreprises, nous proposions d’assouplir l’organisation du temps de travail des stagiaires.

Ainsi, la détermination des horaires de présence aurait pu être envoyée à la convention de stage afin qu’ils puissent, en accord avec leur tuteur, s’absenter pour des examens ou des cours sans être pénalisés.

Nous proposions également de réaffirmer que, durant son stage, l’élève ou l’étudiant devait conserver ce statut et ne devait en aucun cas être apparenté à un salarié.

Mme Chaynesse Khirouni, rapporteure. Mais ce n’est pas le cas !

Mme Sonia Lagarde. Nous avions par ailleurs souhaité renforcer la lutte contre les abus liés aux stages en inscrivant clairement dans la loi l’interdiction des stages « post-formation » effectués à l’issue du cursus universitaire, et enrayer ainsi la pratique des étudiants « fantômes » et des réinscriptions fictives, qui pénalisent les étudiants.

Mme Chaynesse Khirouni, rapporteure. C’est le cas !

Mme Sonia Lagarde. Lors de l’examen du projet de loi relative à la sécurisation de remploi, Mme le rapporteur déclarait : « Nous devons encadrer ou interdire les stages post-scolaires et favoriser les stages plus brefs, utiles dans les cursus scolaires pour découvrir le monde de l’entreprise » avant d’annoncer que cette question serait traitée prochainement « dans sa globalité ».

Notre groupe regrette donc que vous n’ayez pas profité de l’examen de ce texte pour vous saisir de cette question fondamentale. La proposition de loi est également muette sur les stages de moins de deux mois, pourtant sources de nombreux abus.

En effet, la rémunération des stagiaires n’étant obligatoire qu’à partir du troisième mois de stage, de nombreux organismes accueillent des stagiaires à tours de bras, pour deux mois seulement, sans les rémunérer. Nous devons par conséquent prendre des mesures qui permettront aux élèves et aux étudiants d’accéder plus facilement à des stages non seulement rémunérés, mais également plus longs et donc plus formateurs, au cours desquels ils auront le temps de s’impliquer davantage et d’acquérir une véritable expérience.

Quant aux entreprises, il faut les encourager à prendre des stagiaires pour des durées plus longues afin d’instaurer une véritable relation avec le stagiaire, ce qui n’est malheureusement pas toujours possible lors d’un stage de deux mois seulement.

Enfin, la prise en compte des stages en milieu professionnel dans le calcul de la retraite, que nous avions proposé, constituait, à notre sens, un signal fort à l’égard de la jeunesse.

Vous ne nous avez pas entendus, et l’examen au Sénat n’a pas permis de corriger les imperfections et les insuffisances de cette proposition de loi.

Je citerai simplement en exemple deux mesures qui suscitent de véritables inquiétudes et sont autant de rigidités : la limitation à six mois maximum de la durée des stages, qui remettra nécessairement en cause les années de césure alors même que vous savez que la mobilité internationale est de plus en plus valorisée par les recruteurs et l’instauration d’un nombre maximum de stagiaires en fonction des effectifs salariés, qui pénalisera le milieu hospitalier, les petites et moyennes entreprises ou encore les start-up.

Aussi, après l’examen de cette proposition de loi en commission mixte paritaire, les mesures que vous proposez ne nous semblent pas à la hauteur de nos attentes et sont inadaptées à bien des égards.

Le groupe UDI votera donc contre cette proposition de loi. Je vous remercie.

M. Patrick Hetzel. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, les écologistes sont bien évidemment favorables à toute évolution législative en faveur des plus précaires. Force est de constater que nos jeunes concitoyens, nos étudiants, nos stagiaires font trop souvent partie de cette catégorie.

Entre la difficulté d’allier ses études avec un niveau de vie décent puis de trouver un premier emploi et de trouver un CDI, le parcours est souvent semé d’embûches. 24 % des jeunes de moins de 25 ans sont ainsi au chômage quand l’âge moyen pour un premier CDI est de 27 ans.

Face à la difficulté de trouver un véritable emploi, de plus en plus de jeunes enchaînent les stages – faute de mieux, dira-t-on. C’est ainsi qu’en 2012 le Conseil économique, social et environnemental avançait le nombre de 1,6 million de stagiaires par an, contre seulement 600 000 – si j’ose dire – en 2006.

On observe donc une augmentation du nombre de stages qui s’avèrent être des emplois déguisés. La main-d’œuvre à bas coût et qualifiée est très pratique pour certaines entreprises, et l’effet d’aubaine existe, de même que pour des établissements qui se créent exclusivement pour délivrer des conventions de stage. Ainsi, pour 500 euros, un jeune pourra s’acheter un stage. Il y a là une dérive à contenir au plus vite !

Aussi, il était nécessaire de légiférer pour encadrer davantage les stages en renforçant les droits des stagiaires et en luttant contre les emplois déguisés. Les stages doivent rester ce qu’ils sont à l’origine : un merveilleux outil de formation et de professionnalisation. Le Centre d’études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ, estime que seuls 38 % des stages sont réellement formateurs et rémunérés. Cela confirme le risque croissant d’emplois déguisés et de stages qui n’ont pas lieu d’être.

Il est donc primordial d’encadrer davantage les stages en redéfinissant précisément les missions des établissements et des structures d’accueil et en offrant aux stagiaires un véritable statut, de nouveaux droits et une protection renforcée. C’est à ces objectifs que répond cette proposition de loi. S’inscrivant dans la lignée des textes précédents – loi sur l’égalité des chances de 2006, lois Cherpion de 2009 et de 2011, loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de 2013 –, cette loi permettra de nouvelles avancées en faveur des étudiants et stagiaires.

Nombreuses sont les dispositions de ce texte qu’il faut souligner. Les missions de l’établissement d’enseignement sont redéfinies et précisées. On renforce la notion de projet pédagogique clair et formateur pour l’étudiant, de sorte que ce dernier acquière de véritables connaissances et compétences professionnelles.

Pour lutter efficacement contre les emplois déguisés, les sanctions sont renforcées via l’Inspection du travail, qui aura les moyens de repérer les entreprises faisant un recours abusif aux stagiaires. Cela se concrétise également par la limitation du nombre de stagiaires par entreprise : c’est une mesure de bon sens, notamment parce que cette limitation sera différenciée selon la taille de la structure.

Les écologistes saluent également l’inscription des stagiaires au registre unique du personnel. C’est une proposition que nous avons souvent défendue lors de l’examen des textes précédents ; nous sommes donc pleinement satisfaits de voir cette revendication entendue. Cela apportera une plus grande transparence au sein des entreprises et organismes d’accueil.

Le registre unique du personnel pourra se montrer précieux pour l’Inspection du travail, dont les prérogatives en matière de lutte contre les emplois déguisés sont renforcées, comme je m’en félicitais à l’instant. Combien de fois de grandes annonces n’ont-elles été suivies que de petits effets ? Dans ce texte, nous nous donnons les moyens de lutter efficacement contre les recours abusifs aux stagiaires et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Comme je le disais, le statut des stagiaires va être sensiblement amélioré. De nouveaux droits, enfin basés sur le code du travail, sont ouverts, tels que les dispositions relatives aux autorisations d’absence en cas de grossesse, de paternité ou d’adoption, ainsi que les protections relatives aux durées maximales de présence et aux périodes de repos.

Le travail accompli dans cet hémicycle puis au Sénat a également ouvert la voie à de nouvelles améliorations. Je soulignerai particulièrement le nouvel accès pour les stagiaires aux restaurants d’entreprise et aux titres de restaurant dans les mêmes conditions que les salariés de la structure d’accueil. Il était tout même assez peu normal qu’un stagiaire qui a pour but de s’intégrer dans une équipe n’ait pas accès à ces avantages, d’autant plus qu’il se trouve dans la grande majorité des cas dans une situation financière qui nécessite de pouvoir accéder à une restauration à moindre coût. Dans le même sens, il est logique et intelligent de faire bénéficier les stagiaires de la prise en charge des frais de transport. Encore une fois, le stagiaire n’a pas beaucoup de moyens et il est fréquent qu’il ait à modifier ses habitudes de transport lors de son stage. Il est donc logique et légitime qu’il puisse bénéficier des avantages offerts aux salariés.

Je me félicite également de l’augmentation de la gratification minimale. Certes, nous aurions pu espérer une augmentation plus importante. En effet, la somme de 523 euros reste faible pour vivre. Les étudiants étant obligés de travailler parallèlement à leurs études pour les payer voient dans les stages une période de vaches maigres. Il ne leur est donc jamais simple de vivre avec une gratification aussi faible. Toutefois, cela reste un minimum et le simple fait d’augmenter cette gratification est déjà un signal intéressant. La réduction du délai minimal ouvrant droit à gratification et l’obligation de verser cette gratification dès le premier jour de stage sont également des mesures très intéressantes que les écologistes défendaient.

Les mesures de ce texte vont donc dans le bon sens et sont issues d’un travail collectif – à ce titre, je remercie Mme Chaynesse Khirouni – au sein des deux Chambres, sur tous les bancs et au-delà des clivages partisans. Aussi, comme je le disais, les écologistes soutiennent pleinement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. Améliorer et mieux structurer le statut des stagiaires étudiants : voilà une question très contemporaine à laquelle cette proposition de loi tente d’apporter une réponse circonstanciée. À cet égard, je vous remercie, madame la rapporteure, pour le travail que vous avez accompli.

Dans un contexte difficile pour l’insertion des jeunes sur le marché du travail, l’amélioration de la qualité des stages doit constituer une priorité. À partir de la loi du 31 mars 2006, un cadre a été fixé puis renforcé par la loi du 28 juillet 2011 qui porte le nom de notre collègue Gérard Cherpion. Il ne peut être contesté que ce cadre législatif doit aujourd’hui être adapté, tant nombre d’abus peuvent être constatés. Nous devons préserver l’équilibre entre l’offre des entreprises et la nécessité d’entrer dans le cursus pédagogique, tout en protégeant l’étudiant stagiaire.

Dans un contexte où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans reste élevé, même s’il faut reconnaître que depuis quelques mois, grâce aux efforts de la politique du Gouvernement que nous soutenons,…

M. Patrick Hetzel. Vous voulez rire ?

Mme Gilda Hobert. …ce taux de chômage baisse dans notre pays,…

M. Patrick Hetzel. C’est hélas faux !

Mme Gilda Hobert. … et dans un contexte, disais-je, où l’âge d’accès au premier emploi ne fait que reculer, nous ne pouvons accepter des emplois déguisés. Ce sont près de 100 000 stages qui devraient être en réalité des emplois pérennes, et donc autant de contrats de travail en moins, qui sont en réalité cachés par des stages où l’étudiant exécute bien une tâche liée à l’activité permanente de l’entreprise dans laquelle il est affecté. Ces abus ne font que précariser toujours plus ce public et affectent fortement l’emploi des jeunes.

Il fallait réagir. La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche reconnaissait déjà les périodes de stage comme une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l’étudiant acquiert des compétences professionnelles qui donnent corps aux acquis de sa formation en vue d’obtenir un diplôme ou une certification. En outre, cette réaction peut être salutaire pour couper court à toute suspicion.

J’aimerais revenir sur quelques points qui me semblent importants. Nous estimons que la disposition permettant à tous les étudiants, quelle que soit la durée de leur stage, de bénéficier d’un accès aux titres de restaurant ou à la restauration collective de l’entreprise, ainsi qu’à la prise en charge des frais de transport, est très satisfaisante. Proposée par les membres des groupes RDSE et CRC au Sénat, cette mesure de justice sociale est importante et significative pour les étudiants qui n’ont pas droit à une gratification du fait de la durée limitée de leur stage.

De plus, l’inscription des stagiaires dans une partie spécifique du registre unique du personnel de l’organisme d’accueil, prévue à l’article 2, permettra de bien distinguer la fonction de stagiaire de celle des salariés occupant une fonction régulière ou temporaire. De cette façon, l’Inspection du travail pourra également procéder plus facilement à ses contrôles.

La lutte contre les emplois déguisés passe aussi nécessairement par un meilleur encadrement des stages. C’est pourquoi il est prévu que la durée des stages ne puisse excéder six mois, une durée plus longue s’apparentant à une formation en alternance ou révélant la nécessité d’une création de poste.

Nous regrettons toutefois que la commission mixte paritaire n’ait pas retenu notre proposition visant à traiter les embauches en CDI à l’issue du stage des jeunes de moins de vingt-six ans de la même manière que les apprentis s’agissant de l’exonération de la contribution supplémentaire à l’apprentissage.

Une autre partie importante de cette proposition de loi concerne l’amélioration des droits du stagiaire pour mieux le protéger, lui qui découvre souvent pour la première fois l’univers professionnel. Les dispositions du code du travail relatives aux autorisations d’absence en cas de grossesse, de paternité ou d’adoption pourront dorénavant être appliquées aux stagiaires. Lors des débats en commission, le groupe RRDP avait obtenu qu’il soit inscrit systématiquement dans les conventions de stages d’une durée de plus de deux mois la possibilité pour le stagiaire de bénéficier de congés et d’autorisations d’absence. Nous sommes satisfaits que cette disposition ait été conservée dans ces termes.

Loin de ne prévoir que les droits des stagiaires, cette proposition de loi parvient tout de même à trouver un équilibre essentiel en rappelant également les devoirs qui leur incombent vis-à-vis de l’organisme d’accueil : respect du règlement intérieur de l’entreprise, respect du lien de subordination, respect des obligations qui incombent aux stagiaires.

En tout état de cause, le texte qui ressort des débats de la commission mixte paritaire est pondéré et plaide pour une meilleure reconnaissance du statut des jeunes en stage. Pour toutes ces raisons, le groupe RRDP se prononce donc en faveur de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. En février dernier, lors de l’examen de cette proposition de loi en première lecture, nous avions salué un texte qui va dans le bon sens. Dans un contexte où la recherche de stages tient moins aux compétences des étudiants qu’à leur carnet d’adresses ou à celui de leurs parents, et où le stage proprement dit s’apparente trop souvent à une zone de non-droit où les stagiaires remplacent parfois des salariés sans en avoir ni les droits, ni la rémunération, c’est une bonne chose d’interdire formellement le recours aux stagiaires pour exécuter une tâche régulière ou pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, pour remplacer un salarié absent ou pour occuper un emploi par définition saisonnier.

C’est une bonne chose également que les stagiaires aient les mêmes droits que leurs collègues salariés, qu’il s’agisse des droits à congés, de la prise en charge des frais de restauration et des frais de transport ou encore de la lutte contre les discriminations et le harcèlement.

C’est une bonne chose enfin que l’Inspection du travail puisse contrôler les stages et que soit prévue dans le code du travail la possibilité de requalifier un stage en contrat de travail.

« Les stagiaires ne sont pas des salariés », a-t-on entendu sur les bancs de la droite : et pour cause, aucun salarié n’accepterait de travailler pour une rémunération aussi ridiculement faible ! Faute d’avoir une rémunération décente, il est au moins heureux que les droits des stagiaires soient renforcés. Il est également heureux que les établissements d’enseignement supérieur d’où proviennent les stagiaires soient davantage responsabilisés. Jusqu’à présent, ils se contentaient trop souvent d’exiger la réalisation d’un stage pour sanctionner un cycle d’études, sans se soucier des difficultés à trouver un stage lorsque l’on n’a pas de réseau relationnel, ni des conditions de travail des stagiaires.

Dorénavant, l’accompagnement et la visibilité du stagiaire seront renforcés grâce à une meilleure définition du rôle de l’enseignant référent et du tuteur. Les stages, d’une durée limitée à six mois, devront s’intégrer dans un cursus pédagogique scolaire ou universitaire.

Nous regrettons cependant que la commission mixte paritaire soit revenue sur certaines dispositions adoptées par nos collègues sénateurs, qui renforçaient plus encore les droits des stagiaires.

Une disposition prévoyait que tous les stages de plus d’un mois donnent lieu à rémunération : la CMP a préféré revenir à deux mois.

Une autre disposition plaçait encore plus l’établissement d’enseignement face à ses responsabilités, en l’obligeant à trouver un stage pour les étudiants qui n’y parviendraient pas seuls : la CMP a considéré qu’il suffisait que l’établissement accompagne les étudiants dans leur recherche, avec le risque qu’ils n’y parviennent pas, ce qui reste préoccupant pour les jeunes.

De même, concernant le nombre maximal de stagiaires qu’une entreprise peut accueillir, celui-ci sera fixé par décret, et non en pourcentage de l’effectif total de l’entreprise, comme le prévoyait le Sénat.

Enfin, les sénateurs avaient cru sage de limiter à 35 heures par semaine la présence des stagiaires dans l’entreprise, un garde-fou que la CMP n’a pas conservé, ce qui est également regrettable. Les étudiants stagiaires ne sont effectivement pas des salariés comme les autres : ils doivent, en plus de leur stage, rédiger un rapport pour leur établissement d’enseignement. Ils doivent même, parfois, vu la modicité de leur rémunération, travailler par ailleurs pour payer leur loyer et leur nourriture.

Quant à la rémunération, justement, les sénateurs avaient décidé une augmentation équivalente à quatre-vingt-sept euros par mois dès la promulgation de la loi. Las, une fois de plus, le Gouvernement a cédé aux pressions du MEDEF – pour le patronat, décidément, il n’y a pas de petites économies ! – en acceptant que cette revalorisation soit repoussée à septembre 2015.

Mme Chaynesse Khirouni, rapporteure. C’est faux !

Mme Jacqueline Fraysse. Si c’est faux, je m’en félicite, madame la rapporteure !

De ce fait, l’augmentation de la rémunération des stagiaires, qui passera alors de 436 à 523 euros par mois, ne correspondra qu’au rattrapage de l’inflation prévue par le Gouvernement. Mais peut-être avez-vous de meilleurs chiffres à me communiquer, madame la rapporteure…

La situation professionnelle des jeunes, la façon dont, trop souvent, ils subissent leurs premières années professionnelles comme de l’exploitation, voire de l’humiliation, est un facteur essentiel pour leur devenir. Il était donc nécessaire de renforcer l’encadrement des stages. C’était d’ailleurs une promesse de campagne de François Hollande. Le candidat Hollande prévoyait également, je le rappelle, un revenu d’autonomie pour les jeunes, qu’il semble, pour le moment, avoir abandonné. Il n’en reste pas moins que ce texte va dans le bon sens. C’est pourquoi nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Véronique Massonneau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi sur les stages a cherché l’équilibre. Je félicite l’auteur de la proposition, qui est également sa rapporteure, d’y être parvenue.

Les stages sont une véritable immersion dans l’entreprise. Ils permettent de connaître l’entreprise, d’apprendre à connaître un métier. C’est un début d’acquisition des gestes professionnels et de savoir-faire, qui ne peut se faire autrement que dans l’entreprise.

Dans ma profession d’avocat, certaines choses ne s’apprennent qu’en fréquentant ses futurs confrères. C’est vraiment, en ce qui me concerne, à l’occasion de mon stage, que j’ai pu constater que je ne m’étais pas trompé dans mon orientation professionnelle et universitaire.

De la même façon, j’estime qu’un psychologue qui ne fait pas de stage ne pourra pas s’orienter dans les différents métiers de la psychologie, et l’on pourrait multiplier les exemples. On n’imagine pas qu’un infirmier doive attendre d’être diplômé pour faire ses premiers actes professionnels. Le diplôme sanctionne une formation théorique, mais aussi une formation pratique, et cette dernière suppose d’effectuer un stage. Voilà ce à quoi il était nécessaire de répondre, et c’est ce que fait aujourd’hui cette proposition de loi.

Le problème, c’est que, dans certains cas, certaines entreprises peuvent utiliser le stage, qui est un élément de la formation professionnelle, comme la couverture d’une véritable relation de travail. Cela n’est pas acceptable. De ce point de vue, la proposition de loi donne les moyens de sanctionner le travail dissimulé que constitue un stage improprement qualifié, qui doit être requalifié pour ce qu’il est en un véritable contrat de travail. Je me félicite que nous y soyons parvenus. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur quiconque, ou de prétendre que nous pensons que toutes les entreprises sont des fraudeuses. Cela étant, comme pour toute population, certains aiment jouer avec les règles. On sait, chez les sociologues, que la violation de la norme fait partie de la norme. (Sourires.) Encore faut-il apprécier les limites dans lesquelles la norme est violée et se donner les moyens de les contenir. C’est ce que fait cette proposition de loi.

En contrepartie, le stagiaire doit avoir des droits, qui ne sont pas les mêmes que ceux du salarié. Il doit être protégé comme un salarié, pour ce qui est des limites de son travail ; je pense notamment aux règles en matière de durée du travail et de sécurité, même s’il est parfois nécessaire, pour un salarié, de prendre des risques. Je n’imagine pas, par exemple, un couvreur qui ne monterait pas sur un toit. Si l’on fait un stage dans une entreprise de couverture et que l’on ne peut pas, en raison de son statut, monter sur un toit, il y a un problème. De ce point de vue, il faut rechercher l’équilibre.

Cela étant, les protections données au salarié en matière de durée du travail – je veux parler des limites, pas de la durée légale du travail – et de conditions de travail doivent être respectées.

J’en viens à la question de la gratification. Pour un stagiaire, le contrat est lié à la formation. Par conséquent, la personne formée n’est pas dans le cadre d’un contrat de travail et n’est pas là pour produire, même si, au cours de sa formation, il peut arriver qu’elle produise et qu’une rétribution soit envisagée. C’est pourquoi la notion de gratification a du sens. Les conditions que nous fixons pour qu’il puisse y avoir une gratification de plein de droit se défendent. Ces limites sont un stage de deux mois au moins, une gratification grosso modo à hauteur de 50 % du SMIC, sans charges – donc, au quart du SMIC. Car il ne faut pas confondre une formation avec un contrat de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Véronique Massonneau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, dernière oratrice inscrite dans la discussion générale.

Mme Bernadette Laclais. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a été très largement enrichi par les travaux de nos assemblées. Ce texte marque une étape importante dans la conception que nous avons du stage et dans sa mise en œuvre. Comme l’ont fait mes prédécesseurs à cette tribune, je voudrais féliciter chaleureusement Mme la rapporteure, qui est également l’auteure de cette proposition de loi, notre collègue Chaynesse Khirouni.

Madame la secrétaire d’État, vous avez souvent dit, dans différents débats, qu’un stage n’était pas un CDD, un remplacement, une période d’essai, une alternance ou un apprentissage. Ces phrases suffisent à montrer la spécificité du stage, que vous avez souhaité rappeler. Vous avez également évoqué, ce matin, la confusion qui peut exister entre ces différentes formes d’expériences au sein d’établissements d’accueil.

Devant le constat de la mauvaise utilisation des stages, il fallait redéfinir ce qu’est un stage. Je salue l’adoption par la CMP de la proposition de loi qui va dans ce sens et qui concrétise un engagement de campagne du Président de la République.

Il va permettre de lutter contre les abus qui pénalisent les jeunes, mais aussi les établissements qui les accueillent, car les établissements vertueux ne sont pas pour autant mieux reconnus. Ils sont même desservis par une espèce de stigmatisation systématique et un amalgame entre ceux qui font bien le travail et ceux qui le font moins bien.

Tous ont intérêt à la réussite. Un bon stage, c’est une meilleure chance d’insertion. C’est aussi un jeune qui devient, à vie, un ambassadeur de l’entreprise ou de la structure qui l’a accueilli. Je regrette que, ce matin, les entreprises aient été parfois stigmatisées. Si certaines collectivités, établissements publics ou associations n’ont pas toujours eu des pratiques vertueuses, d’autres, en revanche, ont eu des pratiques très vertueuses. Évitons les généralisations !

À mon sens, il est important que le texte assure l’équilibre, qui a été rappelé à l’instant par Denys Robiliard, et établisse les devoirs de chacun. Il fait appel à la responsabilité. Le constat, nous le connaissons : en quelques années, nous sommes passés de 600 000 à 1 200 000 stagiaires ; des textes législatifs existaient, mais ils étaient confus et contradictoires. Il fallait donc simplifier et, à la simplification, vous avez ajouté l’efficacité. Merci à toutes et à tous, et particulièrement à Mme la secrétaire d’État !

Je ne reviendrai pas sur les améliorations apportées par les deux assemblées et par la CMP. Je voudrais seulement souligner que cette réforme est attendue. Elle est le fruit d’un dialogue, d’une confiance forte dans la jeunesse. Pour autant, comme toute réforme, elle suscite des inquiétudes. On entend déjà, ici ou là, qu’elle est trop complexe, trop rigide et qu’elle impose trop de contraintes. Elle provoque aussi les inquiétudes des jeunes qui, entendant ces arguments, se demandent s’ils vont trouver un stage.

Le stage constitue un moment important pour les étudiants, mais aussi pour les entreprises, car beaucoup ont conscience de leur rôle citoyen et de la possibilité, grâce aux stages, de transmettre le savoir, de former des jeunes et d’assurer la pérennité de leur activité.

S’agissant de la disposition sur le congé de maternité, évitons de caricaturer ! Je regrette, d’ailleurs, que M. Hetzel ne soit plus là… Je sais que vous partagez ce point de vue, madame la secrétaire d’État, les femmes chefs d’entreprise, les mères chefs d’entreprise ou responsables vont certainement apprécier cette disposition. La vitalité, la force de notre démographie repose aussi sur des mesures emblématiques comme celle-ci.

Nous pouvons nous rejoindre sur ce texte si chacun y porte un regard objectif. Un équilibre a été trouvé. Certes, il y a des contraintes, mais elles sont mesurées, analysées. Elles seront, j’en suis persuadée, adaptées en fonction de l’évaluation que nous ferons. Nous traversons une période difficile pour la jeunesse, comme pour les entreprises. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui prennent en considération ces contraintes et ceux qui les négligent. Il y a simplement des personnes attentives à ce que chacun trouve sa place dans notre société. Une bonne formation doit permettre aux entreprises de trouver des jeunes qui, demain, seront aussi des salariés qui contribueront à la pérennité des activités économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Véronique Massonneau. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur l’amendement dont elle est saisie.

La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État. Je serai brève, car j’ai déjà présenté l’amendement dans mon propos liminaire. Des dispositions spécifiques en faveur des maisons familiales et rurales ont été arrêtées lors du débat au Sénat. Il semble en effet judicieux d’adapter la proposition de loi à leur réalité spécifique, et l’amendement sénatorial a d’ailleurs été voté à l’unanimité. Il propose de porter la durée nécessaire pour accorder une gratification aux stagiaires de deux à trois mois, en raison des pratiques de stage absolument spécifiques et des financements complexes des exploitations agricoles.

En pesant les avantages et les inconvénients, il est apparu nécessaire de ne pas pénaliser les jeunes ayant besoin d’une formation en exploitation agricole. En revanche, la discussion en commission mixte paritaire a fragilisé voire réduit à néant la disposition unanimement adoptée par amendement au Sénat. C’est pourquoi le Gouvernement propose une nouvelle rédaction redonnant aux maisons familiales et rurales dès la rentrée 2015 l’avantage qui leur a été accordé et qui découle de leurs spécificités.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Chaynesse Khirouni, rapporteur de la commission mixte paritaire. J’approuve l’argumentaire développé par Mme la secrétaire d’État et émets un avis favorable.

(L’amendement n1 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement adopté par l’Assemblée.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

5

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

projet de loi de finances rectificative pour 2014 (suite), projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (deuxième lecture).

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron