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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 16 septembre 2015

SOMMAIRE

Présidence de Mme Laurence Dumont

1. Questions au Gouvernement

Politique économique

M. Philippe Vigier

M. Manuel Valls, Premier ministre

EPR de Flamanville

Mme Isabelle Attard

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Baisse des dotations aux collectivités

M. Arnaud Viala

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Ruralité

M. Jean-Michel Villaumé

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Crise agricole

M. Jean-Pierre Vigier

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Rentrée scolaire

Mme Elisabeth Pochon

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Politique éducative

Mme Annie Genevard

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Baisse des impôts

M. David Comet

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Politique d’accueil des jeunes enfants

M. Patrick Hetzel

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie

Mutations des fonctionnaires ultramarins

M. Thierry Robert

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Démantèlement des réseaux de passeurs

M. Jean-Pierre Decool

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Intempéries dans le Tarn-et-Garonne

Mme Valérie Rabault

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Baisse des dotations aux collectivités locales

M. Nicolas Sansu

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Réforme territoriale

Mme Laurence Arribagé

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Soutien à la création culturelle

M. Hervé Féron

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Claude Bartolone

2. Accueil des réfugiés en France et en Europe

M. Manuel Valls, Premier ministre

Mme Valérie Pécresse

M. Philippe Vigier

M. Sergio Coronado

Mme Jeanine Dubié

M. André Chassaigne

M. Bruno Le Roux

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Manuel Valls, Premier ministre

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

3. Adaptation de la société au vieillissement

Discussion des articles (suite)

Article 32 bis

M. Arnaud Richard

Mme Bérengère Poletti

M. Jean-Pierre Decool

M. Gilles Lurton

M. Christophe Sirugue

Amendements nos 96 , 202

Mme Joëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie

Amendements nos 271 rectifié , 100 , 189 , 306 rectifié , 18 , 300 rectifié , 66 , 251

Amendements nos 302 , 55 , 155 , 304 rectifié , 154 , 163 , 98 , 190 , 216 , 231 , 129 , 191 , 217 , 305

Amendements nos 156 , 102

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Politique économique

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, il y a un an jour pour jour vous prononciez ici même votre deuxième discours de politique générale. Vous déclariez alors : « Ma seule mission est d’avancer, guidé par une infinie bienveillance pour les Français et par le sens de l’État ». Notre groupe n’a jamais remis en cause votre détermination mais votre volontarisme s’est fracassé sur les archaïsmes de votre majorité : la loi Macron en est la plus parfaite illustration.

Un an après, la France se porte toujours aussi mal, le chômage atteint des niveaux record, les entreprises souffrent, la désespérance a grandi parmi les Français. Notre groupe, vous le savez, déplore cette situation du seul point de vue de l’intérêt général, sans quelque autre préoccupation que ce soit.

Cette situation, monsieur le Premier ministre, exige que vous donniez un nouveau souffle à votre politique.

Après que l’ancien ministre du travail a abandonné, allez-vous enfin lancer une nouvelle politique pour l’emploi ? Allez-vous réformer le marché du travail sans attendre l’année prochaine ? Allez-vous – je vous cite – « déverrouiller » les 35 heures ? Allez-vous permettre aux entreprises d’être plus compétitives en faisant des accords d’entreprises sur le temps de travail la règle ?

Monsieur le Premier ministre, allez-vous créer un contrat de travail unique pour faciliter l’embauche ? Allez-vous honorer le pacte de responsabilité dans lequel vous annonciez de nouvelles baisses de charges pour les entreprises en 2016 ?

Monsieur le Premier ministre, êtes-vous toujours autant guidé par une infinie bienveillance pour les Français ou êtes-vous irrémédiablement otage de votre majorité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Philippe Vigier, nous nous sommes retrouvés hier après l’été et votre question est évidemment l’occasion pour moi de saluer une nouvelle fois l’ensemble de la représentation nationale en ce début de session extraordinaire.

S’il était possible de faire un peu d’humour, je dirais qu’au fond, monsieur le président Vigier, vous me demandez de mettre en œuvre et d’appliquer vos propositions et programmes. Néanmoins, le ton de votre question et la gravité des sujets évoqués, l’invitation à avancer ensemble m’amènent bien sûr à vous répondre dans le même état d’esprit.

Nous y reviendrons tout à l’heure : nous sommes dans un moment très particulier – je n’esquive pas vos questions – face au défi terroriste, au défi et à l’urgence climatique, au défi des réfugiés – nous allons en parler dans une heure. Depuis déjà sans doute un certain temps mais ces derniers mois encore davantage, la France traverse un moment particulier.

C’est l’engagement du Président de la République et de mon gouvernement : nous devons bien sûr répondre au défi économique, qui est celui de la croissance, de la compétitivité, de la lutte contre le chômage.

Monsieur le président Vigier, j’agis, nous agissons avec la même détermination, le même sérieux et la même gravité en tout domaine.

Cela est vrai s’agissant de la poursuite des réformes. Nous en avons déjà beaucoup accompli avec la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques en effet défendue par Emmanuel Macron. Nous continuerons avec une loi sur le numérique que soutiendra Axelle Lemaire ainsi qu’avec un autre texte que le ministre de l’économie est en train de préparer afin de donner plus de souplesse à notre économie.

Il faut s’adapter à l’ère numérique et bouger en permanence, parce que nous vivons dans un monde ouvert et que la France, sans remettre en cause ses fondamentaux – les droits des salariés, la justice sociale – se doit de procéder ainsi.

Voilà quelques mois, j’ai commandé un rapport à Jean-Denis Combrexelle concernant le droit du travail. Il a été remis, vous en connaissez le contenu et Jean-Denis Combrexelle est à la disposition de l’ensemble des groupes pour venir présenter les travaux de sa mission.

La ministre Myriam El Khomri, que je salue, est aujourd’hui ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Elle s’apprête à engager les concertations et les consultations nécessaires avec les partenaires sociaux. À leur issue, dans quelques semaines, le Gouvernement travaillera à un texte de loi qui devra être adopté pendant les premières semaines ou les premiers mois de 2016.

Sans remettre en cause les droits des salariés non plus que la durée légale du temps de travail, le CDI ou le SMIC – nous l’avons dit et le Président de la République l’a rappelé – il conviendra là encore de faire évoluer notre droit afin de donner plus de souplesse à nos entreprises et de faire en sorte qu’il y ait davantage d’accords, que l’on fasse encore plus confiance au dialogue social entre chefs d’entreprise et salariés au sein des entreprises.

Vous le verrez : à la fin, ce gouvernement aura réformé en profondeur notre droit du travail tout en gardant chaque fois en perspective les droits des salariés – pour nous, il s’agit d’une ligne rouge.

Évidemment, nous poursuivrons nos réformes, comme ce sera le cas dans l’éducation nationale avec la réforme des collèges et des programmes. Sur tous ces sujets-là, monsieur Vigier, nous agissons avec sérieux.

Michel Sapin aura l’occasion d’y revenir : dans quinze jours, nous adopterons la loi de finance en conseil des ministres. Là aussi, baisse des impôts, sérieux budgétaire, soutien à l’investissement public et privé, voilà notre ligne !

Oui, nous avons tous en partage la bienveillance à l’endroit des Français mais la volonté de réforme, c’est mon gouvernement qui l’incarne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

EPR de Flamanville

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, il y a trois ans, j’interrogeais le Gouvernement sur les retards et les surcoûts considérables du chantier de l’EPR de Flamanville. Le coût du projet, d’abord estimé à 3 milliards d’euros, venait en effet de passer à 8,5 milliards d’euros.

Le président-directeur-général d’EDF vient d’annoncer un nouveau report à 2018 de la mise en service de l’EPR, et une réévaluation du coût à 10,5 milliards d’euros. Ce sont donc deux ans de retard qui se sont ajoutés, en seulement trois ans. Il n’y a aucune raison de croire ces nouvelles promesses d’EDF : l’EPR coûtera bien plus que les 10,5 milliards annoncés et ne sera pas lancé en 2018.

À ces mensonges répétés s’ajoutent fraudes et malfaçons. La société Bouygues Travaux Publics a été condamnée en juillet pour travail dissimulé et prêt de main-d’œuvre illicite. Plus grave encore, l’Autorité de sûreté nucléaire n’a été informée qu’en 2015 de graves anomalies dans la composition de la cuve du réacteur, alors que ces anomalies étaient connues d’Areva depuis 2010. Selon Rémy Catteau, l’un des directeurs de l’ASN, « a posteriori se pose la question de la culture de sûreté d’Areva. »

Est-ce à Areva que nous devrions faire confiance pour assurer la sécurité de la France face au risque d’accident nucléaire ? Les douloureuses leçons de Fukushima sont-elles déjà oubliées ? Aujourd’hui, des initiatives centrées sur les énergies renouvelables, telles qu’Enercoop, démontrent qu’une alternative est possible. Les coûts de production de l’électricité doivent prendre en compte le coût de démantèlement des centrales. EDF a-t-elle bien provisionné ces coûts ?

Madame la ministre, nous comprenons qu’il soit difficile de décider l’arrêt d’un chantier d’une telle ampleur. Tenir bon dans l’adversité est souvent une marque de courage, mais reconnaître ses erreurs est toujours courageux et responsable.

M. Jacques Myard. Cela vaut pour les écolos !

Mme Isabelle Attard. Comme il y a trois ans, nous invitons le Gouvernement à prendre la seule décision qui vaille : celle de stopper la fuite en avant d’un chantier et d’une filière qui ne peut aboutir qu’à une catastrophe. Au mieux, économique. Au pire, nucléaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Éric Straumann. Pas d’inquiétude, il y a Fessenheim !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Madame la députée, vous posez des questions précises, auxquelles je veux apporter des réponses précises. Les retards et les surcoûts de l’EPR de Flamanville sont effectivement importants : 7 ans de retard et 7 milliards d’euros supplémentaires. Son démarrage est désormais prévu pour la fin de l’année 2018 et le Gouvernement prend acte des engagements de la nouvelle direction générale du groupe et des garanties qui ont été apportées pour que ces nouvelles échéances soient tenues.

S’agissant de la cuve de l’EPR, le fait que ces informations aient été rendues publiques montre qu’il n’y a plus de secret dans ce domaine. La représentation nationale a d’ailleurs débattu pour la première fois de la part du nucléaire dans le nouveau modèle énergétique français. Les essais engagés par Areva se feront sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire, de l’Institut de radioprotection et de sûreté du nucléaire, l’IRSN, et du groupe permanent d’experts dédié aux équipements sous pression nucléaire. Je voudrais rappeler à cet égard toute la confiance que j’ai dans ce dispositif de contrôle et d’expertise pour garantir la conformité du futur EPR à la réglementation de sûreté.

M. Éric Straumann. Bravo !

Mme Ségolène Royal, ministre. Vous m’interrogez également sur les coûts de démantèlement : les exploitants ont effectivement l’obligation légale de les provisionner et de garantir la liquidité de cette provision au travers d’actifs dédiés. Un audit a été commandé, qui doit nous fournir des informations très claires sur les provisions de démantèlement du parc en exploitation.

Pour terminer, je voudrais vous dire qu’il n’est pas forcément utile de jeter le discrédit sur des entreprises françaises, mais au contraire de trouver des solutions qui correspondent à l’intérêt national. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Très bien !

Baisse des dotations aux collectivités

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Viala, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains).

M. Arnaud Viala. Monsieur le Premier ministre, vous avez décidé de baisser drastiquement les dotations aux collectivités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Aveyron, entre 2014 et 2017, cette baisse a représenté 18 millions d’euros pour le bloc communal et 62 millions d’euros pour le conseil départemental. C’est une mise en faillite programmée, sans plan de redressement possible, qui touche de plein fouet le tissu économique local, alors même que vous nous abreuvez de déclarations d’intention sur la réorganisation des compétences. La réalité, c’est que la loi NOTRe est un énorme éléphant qui a accouché d’une minuscule souris !

Dans le même temps, vous n’avez pas hésité à faire payer aux contribuables locaux la très contestée réforme des rythmes scolaires. Dans ma seule commune de 700 habitants, la note est salée : 28 000 euros pour les activités péri-éducatives que nous avons souhaité mettre en place pour ne pas infliger à nos enfants une discrimination supplémentaire. Car c’est bien de discrimination que vous vous rendez coupables, lorsque vous annoncez, à grand renfort de déplacements ministériels pompeux, des mesures pour la ruralité, alors même que vous laissez, en regagnant la capitale, une autre facture salée aux contribuables locaux : celle de l’équipement en fibre de leurs territoires, qui s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros pour chaque communauté de communes de province.

Et maintenant, les collectivités doivent aussi assumer vos décisions de politique étrangère : vous voulez accueillir des migrants, mais ce sont les communes qui doivent régler l’ardoise ! Certes, l’émotion est partagée sur ce sujet, mais votre arme, c’est la culpabilisation, comme en témoignent les courriels injonctifs doublés de SMS préfectoraux reçus par les maires de France sur leurs portables au cours des deux derniers week-ends.

Ma question est donc très simple, Monsieur le Premier ministre : quand arrêterez-vous de creuser la fracture territoriale ? Quand cesserez-vous de faire supporter à d’autres le coût exorbitant de vos décisions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député Arnaud Viala, la baisse des dotations aux collectivités locales représente un effort, mais il s’agit d’un effort juste et équitable.

Mme Sophie Rohfritsch. Non !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous faisiez référence à l’instant aux collectivités rurales. Même si chacun convient que la baisse des dotations est lourde à porter, je vous rappelle que, sous l’autorité du Premier ministre, nous avons ajouté 117 millions d’euros à la dotation de solidarité rurale, et plus encore à la dotation d’équipement des territoires ruraux – DETR.

M. Laurent Furst. Poudre de perlimpinpin !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Grâce à la péréquation que nous avons instaurée, près de 10 000 communes n’ont pas vu leurs finances baisser autant. Par ailleurs, les communes rurales sont appelées, dans leur ensemble, à financer la baisse des dotations à hauteur de 15 euros par habitant – et à hauteur de 40 euros pour les communes de plus de 10 000 habitants.

Je vous rappelle par ailleurs que la loi NOTRe a été votée par la majorité de cette assemblée, mais aussi par celle du Sénat. Lorsque vous la critiquez, c’est donc tout le monde que vous critiquez.

M. Laurent Furst. Ce n’est pas honnête de dire cela !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Enfin, il est impossible de parvenir à baisser les dépenses publiques de 50 milliards d’euros sans toucher aux dotations. Je vous rappelle en effet que l’ensemble des dotations et reversements aux collectivités locales dépasse 70 milliards d’euros, c’est-à-dire le montant de l’impôt sur le revenu des Français. Les contribuables sont les mêmes. Et quand vous nous dites qu’il faut faire 100, 110, ou même 130 milliards d’économies, j’aimerais bien savoir comment vous vous y prendriez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Laurent Furst. Nous, nous les ferons !

Ruralité

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Villaumé, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Michel Villaumé. Ma question s’adresse à Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Madame la ministre, mes chers collègues, le lundi 14 septembre, le département de la Haute-Saône, où je suis élu, a eu l’honneur d’accueillir le deuxième comité interministériel aux ruralités. À Vesoul, le Président de la République, le Premier ministre, vous-mêmes et onze ministres vous êtes mobilisés pour faire un point de situation, six mois après l’annonce de quarante-six mesures précises et concrètes visant à soutenir les territoires ruraux.

Le premier bilan est prometteur : 3,9 milliards d’euros mobilisés dans le cadre des contrats de plan État-région pour les infrastructures, 3 milliards d’euros fléchés vers le très haut débit, 364 maisons de service public et 708 maisons de santé en fonctionnement, 1 324 médecins nouvellement implantés dans les territoires ruraux, 50 000 logements rénovés. Le bilan est bon.

C’est parce qu’il faut aller plus loin que vingt et une nouvelles mesures ont été annoncées. Santé, éducation, numérique, transports, logement, simplification : le Gouvernement mobilise de nombreux leviers. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. En somme, tout va bien !

M. Jean-Michel Villaumé. Car, oui, chers collègues, la ruralité est une chance pour la France. C’est l’âme de la France.

Madame la ministre, lundi, à Vesoul, des mesures très fortes concernant les dotations aux collectivités locales ont également été présentées : fléchage vers la ruralité de 50 % du milliard d’euros de soutien complémentaire à l’investissement local, renforcement de la péréquation, élargissement du Fonds de compensation pour la TVA.

Le Gouvernement prend au sérieux les spécificités et les besoins du monde rural. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Madame la ministre, quel bilan tirez-vous de cette journée de travail en Haute-Saône ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député Jean-Michel Villaumé, vous avez raison de rappeler l’importance que le Gouvernement attache au développement de l’ensemble des territoires et en particulier des territoires ruraux. Le comité interministériel de lundi à Vesoul nous a donné l’occasion de tirer un bilan des quarante-six mesures annoncées en mars dernier à Laon, dans le cadre d’un premier comité interministériel aux ruralités, mesures qui sont, pour les unes, en cours de déploiement et, pour les autres, déjà opérationnelles.

Ce comité interministériel nous a également donné l’occasion de proposer de nouvelles mesures qui répondent aux préoccupations qui s’expriment dans les territoires ruraux et qui avaient été largement au cœur des débats des assises des ruralités que le Premier ministre a lancées il y a un an.

Vous avez rappelé les principales mesures annoncées par le Président de la République. Vous avez également rappelé combien ces territoires sont innovants. Lors des visites de terrain, nous avons du reste pu constater que votre département est particulièrement dynamique.

M. Christian Jacob. C’était ridicule !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Nous renforçons des thématiques, telles que l’attractivité et la qualité de vie. Je mentionnerai l’extension du dispositif du prêt à taux zéro « rural » à toutes les communes de la zone C, qui regroupe les zones détendues, pour la réalisation de travaux de rénovation, ce qui permettra aux cœurs de ville de vivre mieux, ou l’élargissement de l’appel à manifestation d’intérêt aux centres bourgs grâce à la mobilisation de 300 millions d’euros.

M. Christian Jacob. Nous en reparlerons dans trois mois !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Vous pouvez le constater, monsieur le député, le Gouvernement dans son intégralité attache une importance toute particulière à ces territoires qui sont, comme vous l’avez souligné, l’âme de la France.

M. Christian Jacob. Nous ne sommes pas rassurés !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Leur importance pour l’attractivité, le rayonnement et le développement économique du pays n’a plus besoin d’être démontrée. Oui, nous sommes et serons aux côtés de ces territoires qui font partie intégrante de la République. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Crise agricole

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vigier, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Pierre Vigier. Ma question, à laquelle j’associe M. Dino Cinieri, s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, écoutez nos agriculteurs ! Ils souffrent. Ils ne sont pas entendus. Ils sont mal considérés par votre gouvernement. (« Menteur ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Ils traversent une crise profonde et structurelle, qui est destinée à durer. Monsieur le Premier ministre, écoutez nos agriculteurs ! Votre ministre de l’agriculture n’entend pas la détresse de nos paysans. Il est absent et n’a aucun poids à Bruxelles. Il fuit même les salons agricoles. (Mêmes mouvements.)

M. Christian Jacob. C’est un lâche !

M. Jean-Pierre Vigier. Vos réponses sont totalement insuffisantes.

M. Pascal Popelin. Démago !

M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur le Premier ministre, écoutez nos agriculteurs ! Ils ne vivent plus de leur travail. Il est urgent de prendre des mesures qui répondent aux problèmes de fond. Nous devons leur donner des perspectives. Redonnez de la compétitivité à nos agriculteurs ! Arrêtez de les assommer de charges ! Arrêtez l’inflation et la sur-transposition des normes ! Obtenez la garantie de prix rémunérateurs !

Monsieur le Premier ministre, nos paysans sont à bout de souffle. Quand allez-vous prendre le taureau par les cornes et redonner un avenir à nos agriculteurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez fait quelques commentaires sur mes présences ou absences de cet été. J’ignore ce que vous avez fait durant l’été mais moi, je sais ce que j’ai fait.

M. Christian Jacob. On en a eu des mauvais, mais comme celui-là…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez évoqué les questions structurelles qui se posent aujourd’hui à l’agriculture, mais vous en êtes en grande partie responsables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Jamais on ne vous a entendu sur les grands enjeux,…

M. Sylvain Berrios. Mettez-vous enfin au travail ! Vous êtes là depuis trois ans !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …qu’il s’agisse, à l’échelle européenne, du bilan de santé de la PAC en 2008 ou de la fin des quotas laitiers, qui nous a conduits à la situation actuelle. Jamais, monsieur le député, on ne vous a entendu critiquer la loi de modernisation de l’économie que vous avez votée avec beaucoup d’allant et qui nous a, elle aussi, conduits à la situation actuelle des prix agricoles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Claude Greff. Et vous, vous avez fait quoi ? Rien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Jamais, monsieur le député, lors du Grenelle de l’environnement, nous ne vous avons entendu sur la question de la sur-transposition des normes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Vous vous faites aujourd’hui le relais des agriculteurs alors que jamais, depuis que nous sommes arrivés, nous n’avons sur-transposé des normes environnementales en matière agricole.

Alors que la détresse des agriculteurs est réelle, tous, nous devons avoir la conscience de l’intérêt général et nous montrer capables de préparer ensemble l’avenir. La crise, il faut la traiter conjoncturellement, par des aides tant européennes que nationales, tout en posant – ce que vous n’avez pas fait – les bases qui permettront à l’ensemble des filières de trouver avec la grande distribution et l’industrie les moyens d’une contractualisation assurant enfin aux producteurs d’être rémunérés de leur travail.

M. Christian Jacob. Tais-toi, t’es foutu !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Tels sont les enjeux, monsieur le député. De grâce, cessez vos commentaires polémiques ! Le travail est continu. Hier j’étais à Luxembourg, au conseil des ministres européens de l’agriculture et contrairement à ce que vous avez affirmé, la France pèse : la preuve est qu’elle a beaucoup obtenu lors de ce conseil. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Rentrée scolaire

Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Elisabeth Pochon. Madame la ministre de l’éducation nationale, l’actualité internationale mobilise à juste titre les esprits. Les événements sont si graves que nos sujets d’actualité intérieure sont naturellement mis en retrait. Ce pourrait être l’unique raison pour laquelle la rentrée scolaire 2015 a été fort peu commentée, mais n’est-ce pas en réalité parce qu’elle est réussie que cette rentrée scolaire ne fait pas polémique ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Votre action, guidée par le fil directeur de la refondation de l’école, commence à porter ses fruits. La rentrée scolaire 2015 en est le témoignage le plus évident. Il faut féliciter tous les services académiques qui ont travaillé avec acharnement à cette réussite.

Depuis trois ans, la priorité donnée à l’éducation se traduit dans les faits. Les enseignants sont désormais plus nombreux et mieux formés. Le Gouvernement tient ses engagements par la confirmation et la poursuite de la création de 60 000 postes supplémentaires. Les moyens ont été augmentés là où c’était nécessaire parce que c’était nécessaire. La formation s’intensifie et se modernise dans les métiers dans l’enseignement. De plus en plus d’étudiants s’orientent vers ces métiers : le nombre d’inscrits aux concours augmente et de nouvelles voies d’accès s’ouvrent par le biais de l’apprentissage.

Toutes ces mesures ne sont pas exhaustives, mais on peut observer concrètement leurs effets. Je prendrai comme exemple le département de la Seine-Saint-Denis, dont je suis élue. Ce département particulièrement concerné par les difficultés sociales et scolaires voit les premiers effets de la mise en place d’un plan triennal d’action que vous avez initié au profit de ses écoles. Après une rentrée 2014 difficile, la rentrée 2015 a permis à tous les élèves et à la communauté éducative de commencer l’année de façon plus sereine. Même s’il peut rester nécessaire de procéder à des ajustements ici et là, la réalité du changement ne peut souffrir aucune contestation.

La refondation a enfin repris le pas sur la destruction engagée au cours des législatures précédentes. Madame la ministre, comment envisagez-vous la poursuite de votre action pour atteindre l’objectif d’une école plus juste, plus exigeante et qui inscrive nos enfants au cœur de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Oui, madame la députée, on peut le dire : la rentrée scolaire 2015 s’est bien passée. Cela ne doit pas grand-chose au miracle. En revanche, cela doit beaucoup au Président de la République (Exclamations et rires sur les bancs du groupe Les Républicains) qui, en 2012, avait fait de l’éducation la priorité de son quinquennat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Cela doit beaucoup au Gouvernement qui en a fait la priorité budgétaire : l’éducation est redevenue le premier budget de la nation. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Nous en voyons les effets.

Pourquoi la rentrée se passe-t-elle bien ? Tout simplement parce qu’il y a eu – nous n’y étions plus très habitués ces dernières années – un enseignant face aux élèves dans chaque classe, et même, dans certaines écoles primaires, plus d’enseignants que de classes.

Pourquoi la rentrée se passe-t-elle bien ? Parce que, sur les 60 000 postes promis dans l’éducation, nous en avons déjà créé 35 200 en cette rentrée 2015.

M. Bernard Deflesselles. Personne n’y croit !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Au-delà de ces aspects quantitatifs, nous avons agi de façon qualitative, par exemple pour faire en sorte que la dotation des établissements scolaires en moyens soit pensée, sur tout le territoire, au regard non seulement des effectifs démographiques, mais aussi de la réalité sociale et territoriale des établissements. Cela permet par exemple aux établissements ruraux de bénéficier d’un coup de pouce important. Il y a quelques jours, avec le Président de la République, nous étions dans l’académie d’Amiens, qui a gagné cinquante et un postes grâce à cette nouvelle allocation alors qu’elle aurait dû en perdre quinze du fait de la baisse démographique. Voilà le type de mesures que nous avons prises l’année dernière.

Vous avez évoqué notre plan pour la Seine-Saint-Denis. En cette rentrée, 240 postes supplémentaires ont été ouverts.

M. Julien Aubert. Menteuse !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Surtout, des candidats de toute la France ont passé un concours exceptionnel pour venir enseigner dans l’académie de Créteil, en Seine-Saint-Denis. Cela a marché : 500 enseignants supplémentaires ont été affectés dans les écoles de Seine-Saint-Denis. C’est quelque chose qu’il faut souligner et saluer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. Julien Aubert. Comme par magie ! C’est l’école d’Harry Potter !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Contrairement à un discours que l’on entend souvent, il n’y a pas de crise des vocations dans l’enseignement. Nous avons pourvu tous les postes du premier degré et 90 % de ceux du second degré. (Vives dénégations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Merci, madame la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Voilà ce que nous faisons pour l’école ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Politique éducative

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe Les Républicains.

Mme Annie Genevard. Monsieur le Premier ministre, cela fait trois ans que votre gouvernement s’acharne à proposer de mauvaises réformes éducatives. (Exclamations sur divers bancs.)

M. Céleste Lett. C’est bientôt fini !

Mme Annie Genevard. Petit bilan d’étape. La réforme des rythmes scolaires ? Elle épuise les enfants, désorganise les familles et achève de vider les caisses des communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

La mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation ? Elles ne convainquent pas plus que les temples du pédagogisme qu’étaient les IUFM.

Le recrutement de 60 000 personnels ? Il interdit toute évolution salariale des enseignants français, parmi les plus mal payés d’Europe.

À l’élévation de tous par le savoir, qui est la seule vraie façon de lutter contre les inégalités, vous préférez une hasardeuse réforme du collège qui supprime ce qui marche : les classes bilangues, les sections européennes, les langues anciennes.

Quant à l’élitisme républicain, dont beaucoup d’entre vous êtes de purs produits, vous le jugez immoral et n’avez de cesse de lui porter des coups, privant ainsi les élèves de ce dont vous avez bénéficié vous-mêmes. N’est-ce pas cynique ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

La valse des ministres de l’éducation nationale – trois en trois ans – dit votre désarroi et heurte les enseignants qui se sentent méprisés. Ils se sont éloignés de vous : à peine deux sur dix vous renouvelleraient aujourd’hui leur confiance. Vous avez perdu la recette. Vous avez perdu leur confiance, et celle des parents aussi.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous entendre les enseignants qui refusent d’abdiquer le sens même de leur métier, transmettre des savoirs ? Allez-vous entendre les parents qui demandent une école performante dans laquelle les bons enseignants, restaurés dans leur autorité, sont reconnus et valorisés, et non sans cesse déstabilisés par des réformes bancales et hâtives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, j’avoue avoir un peu de mal à répondre à votre question. Il y avait tellement de choses (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bernard Deflesselles. C’est une question sur votre bilan !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …qui étaient, pour la plupart, contradictoires ! Pour résumer les choses, votre question était une critique en règle contre la politique éducative du Gouvernement.

Compte tenu des retours que nous avons du terrain concernant la façon dont cette rentrée scolaire s’est passée, je m’étonne de vos propos. Oui, les enseignants sont là. Oui, la formation initiale des enseignants a été rétablie.

M. Jean-Yves Caullet. La majorité précédente l’avait sacrifiée !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je vous rappelle qu’elle avait disparu – ineptie totale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Elle a été remise en place et permet à 25 000 jeunes professeurs stagiaires d’être à moitié dans les classes, à moitié en formation, et d’entrer plus progressivement dans leur métier, pour le plus grand bien des élèves.

Oui, nous menons évidemment des réformes pédagogiques. L’éducation n’est pas qu’une question de moyens – je crois d’ailleurs vous avoir déjà entendus prononcer cette phrase, mesdames et messieurs les députés de l’opposition –…

M. Christian Jacob. Ne faites pas la maligne !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …mais surtout une question de qualité des apprentissages. Depuis 2012, ces réformes pédagogiques ont consisté à mettre en place un meilleur temps d’apprentissage : c’était l’objet de la réforme des rythmes scolaires, qui s’installe partout. Grâce à la décision du Premier ministre de pérenniser l’aide de l’État aux communes, ces dernières ont aujourd’hui les moyens de financer les activités périscolaires. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Grommerch. Non, elles doivent les financer elles-mêmes !

M. Laurent Furst. C’est un gag !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ces réformes pédagogiques ont aussi consisté à établir des nouveaux programmes pour l’école maternelle. Trouvez-moi un seul enseignant qui estime que les nouveaux programmes de maternelle sont malvenus ! De fait, ils sont plébiscités car ils permettent de faire de ce temps spécifique un temps à part entière de pré-apprentissage pour les enfants. Les nouveaux programmes à venir de l’école primaire et du collège constituent aussi une réforme pédagogique ambitieuse.

Je regrette, madame Genevard, que vous ayez quitté le Conseil supérieur des programmes, auquel vous apportiez vos analyses et vos avis éclairés. Cette instance était pourtant ouverte à la diversité parlementaire.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. La droite préfère pratiquer la politique de la chaise vide !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous allons malgré tout terminer ce travail, dans l’intérêt des élèves. J’annoncerai ces nouveaux programmes dans quelques jours.

Quant à la réforme du collège, elle entrera en vigueur à la rentrée prochaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. Jacques Alain Bénisti. Personne ne vous suit !

Baisse des impôts

Mme la présidente. La parole est à M. David Comet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. David Comet. Ma question s’adresse à M. le ministre des finances et des comptes publics. Dès juin 2014, le projet de loi de finances rectificative baissait l’impôt de ceux qui étaient en bas du barème. En juillet 2014, 1 milliard d’euros a été consacré aux ménages les plus modestes. En 2015, nous avons supprimé la première tranche du barème. Ces mesures ont été financées en grande partie par la lutte contre la fraude fiscale.

Au total, ce sont près de 9,4 millions de foyers fiscaux qui voient leur impôt baisser par rapport à 2013, dont 3 millions ont évité d’y entrer ou en sortent. Ce sont principalement des salariés et des retraités, ceux qui ont parfois du mal à finir le mois. Nous devons les soutenir, nous avons l’obligation de soutenir leur pouvoir d’achat.

Lors de sa conférence de presse, le Président de la République a annoncé que le mouvement de baisse d’impôts allait continuer. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ces mesures s’inscrivent dans la durée. Elles sont là pour redonner confiance en l’avenir, pour que chaque Français puisse participer à hauteur de ses moyens réels au redressement de la France.

Grâce aux nouvelles mesures annoncées, un couple de retraités qui touchait 2 960 euros de revenus par mois verra son impôt baisser de 500 euros en 2016. (« Qui va payer ? » sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre, sous le précédent quinquennat, la crise avait fait augmenter la dette de la France de 600 milliards d’euros. Depuis notre arrivée au pouvoir, nous la réduisons, et elle baisse chaque année. Le déficit structurel a été ramené à son niveau le plus bas depuis 2000.

M. Yves Censi. C’est incroyable d’entendre cela !

M. David Comet. Mais cet assainissement budgétaire n’a de sens que si l’ensemble des Français en profitent.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quand et comment s’appliqueront les nouvelles baisses d’impôts annoncées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, pour faire face à la crise, et en particulier à ses conséquences budgétaires, l’impôt sur le revenu a, entre 2010 et 2013, beaucoup augmenté en France. La moitié de cette augmentation est due à des décisions prises par la précédente majorité. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

D’autres augmentations sont intervenues, mais pour la plupart, nous les avions placées sous le signe de la justice. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il est en effet juste de faire payer un peu plus ceux qui ont des revenus supérieurs aux autres.

Dans le contexte actuel de reprise de la croissance (Mêmes mouvements), où la maîtrise des dépenses nous permet de dégager quelques marges de manœuvre, il nous paraît indispensable et juste de rendre aux plus modestes des contribuables français dont l’impôt avait augmenté une part de leur effort.

C’est ce que vous avez décidé à la fin de l’année dernière et que vous mettez en œuvre aujourd’hui. Il y a aujourd’hui 9 millions de foyers fiscaux, vous le savez, qui voient leur impôt sur le revenu diminuer. C’est la première fois que le mouvement est aussi fort et visible. C’est une bonne chose pour redonner confiance, et aussi pour augmenter le pouvoir d’achat et soutenir la consommation et la croissance.

Pour l’année prochaine, nous allons dans la prochaine loi de finances vous proposer de poursuivre et d’amplifier les choses.

M. Céleste Lett. C’est le Père Noël !

M. Michel Sapin, ministre. Au total, entre cette année – 9 millions – et l’année prochaine – 3 millions de plus – ce sont 12 millions de foyers fiscaux qui verront leur impôt baisser, sur 18 millions. Les deux tiers des Français qui payaient l’impôt sur le revenu verront leur part baisser, sans qu’aucune augmentation n’intervienne pour les autres foyers. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Voilà le résultat d’une politique qui se veut sérieuse, mais juste. Nous rendons aux Français une part des efforts qu’ils ont consentis au cours de ces dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique d’accueil des jeunes enfants

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe Les Républicains.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le Premier ministre, le Haut conseil de la famille vient de publier une note sur le développement de l’accueil des jeunes enfants. Les ambitions de votre gouvernement sont loin d’être au rendez-vous.

La convention d’objectifs et de gestion signée entre la branche famille et l’État prévoyait la création de 275 000 solutions d’accueil. Selon le rapport, sur les deux premières années de la convention, seulement 19 % des objectifs de créations ont été atteints. En 2014, 11 300 places d’accueil collectif ont été créées au lieu des 19 600 places prévues.

S’agissant de l’accueil individuel, la baisse se poursuit avec 612 000 enfants de moins de trois ans accueillis par des assistantes maternelles en 2014 contre 619 400 en 2013, soit près de 7 000 tout-petits de moins pris en charge depuis votre arrivée au pouvoir.

M. Christian Jacob. C’est ça la réalité.

M. Patrick Hetzel. L’objectif de 20 000 enfants supplémentaires accueillis par an s’éloigne de plus en plus. Le nombre d’employeurs d’assistantes maternelles baisse également en 2014. Il y a encore plus grave : le volume d’heures déclarées recule de façon marquée en 2014, après déjà une diminution en 2013.

Le constat est le même pour la garde au domicile des parents. Comment ne pas y voir la conséquence logique des multiples coups de rabot apportés par votre Gouvernement au statut du particulier employeur au cours des dernières années ? Les difficultés que rencontrent les parents ne font qu’empirer, et la pression sur les modes de garde sera encore pire dans un an, quand la réforme du congé parental aura pris toute son ampleur.

Le compte n’y est vraiment pas ! Qu’avez-vous l’intention, monsieur le Premier ministre, de proposer pour venir, enfin, en aide à nos familles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur Hetzel, je vous remercie du soutien que vous nous apportez en faisant de l’accueil des jeunes enfants une priorité. C’est une priorité collective, et je souhaite du reste que cela soit une priorité pour les communes et les collectivités locales.

M. Christian Jacob. Dites-le avec le sourire, madame la secrétaire d’État ! (Sourires.)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cela a été une priorité pour le Président de la République dès le début de son mandat. À cet égard, nos engagements sont fermes : 275 000 places d’accueil supplémentaires, 100 000 places en crèche, 100 000 places chez les assistantes maternelles et 75 000 places d’accueil d’enfants de moins de trois ans en préscolarisation.

Après deux années de période électorale, années pendant lesquelles les communes n’investissent pas dans des équipements nouveaux, les chiffres se redressent. Cette année, avec 14 300 berceaux supplémentaires, ce sont 37 000 enfants qui pourront être accueillis dans les équipements collectifs pour jeunes enfants. S’agissant de la préscolarisation, ce sont 30 % des enfants qui sont accueillis en zone rurale.

À cet égard, j’invite les parents à utiliser davantage cet accueil pédagogique adapté au rythme de l’enfant, spécifique à ses besoins, qui se développe aujourd’hui avec l’éducation nationale. En ce qui concerne les assistantes maternelles, je vous concède que nous constatons en effet qu’elles accueillent moins d’enfants. Avec elles, nous travaillons à faire évoluer l’accueil des jeunes enfants afin de l’adapter aux besoins, lesquels sont différents selon les quartiers. Dans certains quartiers, il y a beaucoup d’assistantes maternelles et peu d’enfants. Dans d’autres, au contraire, il y a beaucoup d’enfants à accueillir et moins d’assistantes maternelles.

L’évolution est dans l’innovation sociale, la souplesse et l’adaptation. Nous tiendrons ces engagements. Merci encore, monsieur le député, de remarquer que la politique familiale française, c’est d’abord et avant tout la qualité de ses modes d’accueil. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mutations des fonctionnaires ultramarins

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Robert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Thierry Robert. Madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, je souhaite vous interpeller au sujet des avancées de la réforme du système de mutations pour les fonctionnaires ultramarins. En effet, il a été demandé en février dernier à l’administration d’analyser et de définir le système de bonification adéquat afin de permettre la réduction des délais de mutation pour les fonctionnaires ultramarins, qui ont servi dans l’Hexagone pendant des années – jusqu’à vingt ans pour certains.

Le dispositif des centres des intérêts moraux et matériels – CIMM – a été retenu comme le moyen le plus efficace d’y parvenir. Cela avait été acté par le Président de la République qui, dès août 2014, a déclaré que les CIMM étaient le « critère à prendre en compte dans les mutations des fonctionnaires ultramarins. ». Ce dispositif doit permettre aux originaires d’être mutés plus facilement. En cohérence avec les déclarations du Gouvernement, la mise en place des CIMM devrait déjà être effective.

La direction générale de l’administration et de la fonction publique – DGAFP – travaille depuis des mois sur les modalités de la prise en compte de la qualité d’originaire, quand ces critères existent déjà, notamment avec le dispositif des congés bonifiés. Dès lors, qu’attend-on pour mettre en place les CIMM et garantir l’évolution attendue dans le système des mutations ? C’est urgent, y compris au nom de l’efficacité, pour ce qui concerne par exemple les effectifs de police, qui ont besoin d’originaires pour assurer une prévention plus efficace et enrayer l’insécurité qui progresse depuis quelques années à La Réunion.

Depuis l’annonce du Président de la République, le temps semble long aux fonctionnaires ultramarins. Ils attendent qu’on passe des annonces aux actes sur ce sujet.

Madame la ministre, pouvez-vous les rassurer et nous dire si le dispositif des centres des intérêts moraux et matériels sera mis en place dans les semaines à venir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Merci, monsieur le député, d’appeler l’attention de tous sur une situation particulière. Il faudrait permettre aux fonctionnaires, dites-vous avec juste raison, d’être affectés en priorité dans leur région d’origine. Ce n’est pas simple, compte tenu du statut de la fonction publique.

Je rappelle quels sont les éléments qui permettent déjà à des fonctionnaires d’être mutés : la séparation d’avec leur conjoint, la situation de handicap, le fait d’exercer dans des zones urbaines sensibles ou de se trouver en situation de réorientation professionnelle. En un mot : certains éléments favorisent l’affectation dans la région demandée.

Vous avez raison, en revanche, de rappeler que le Président de la République s’est engagé en 2014 à améliorer la situation. Nous avons pu en discuter dans le cadre de l’agenda social, en particulier dans la négociation qui m’a permis de déposer en juillet un projet de protocole d’accord intitulé Parcours professionnels, carrières et rémunérations, dans lequel nous avons proposé que les directeurs et les responsables de service puissent appliquer les règles de façon appropriée en fonction des éléments que vous avez évoqués.

Si cet accord est signé, je m’engage à ce que les dispositions législatives nécessaires soient prises dans le cadre du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits des fonctionnaires, qui sera bientôt discuté au Parlement et qui permettra, si les organisations syndicales en sont d’accord – ce que je crois –, d’améliorer grandement la situation que vous avez décrite.

Démantèlement des réseaux de passeurs

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le ministre de l’intérieur, fuyant la guerre et les persécutions, de nombreuses populations affluent massivement en Europe depuis des semaines. Face à ces réfugiés, un devoir moral nous incombe : celui de les accueillir avec bienveillance.

À ce moment du débat, il ne faut toutefois pas confondre réfugiés et migrants économiques.

En effet, monsieur le ministre, les migrants économiques n’ont nullement l’intention de s’installer en France, mais veulent avant tout rejoindre la Grande-Bretagne, où les conditions de travail paraissent plus ouvertes. C’est là tout le cœur du problème actuel : ils ne sont pas demandeurs d’asile.

En attendant de pouvoir traverser la Manche, ces migrants s’installent sur le littoral dunkerquois. La commune de Téteghem, dans ma circonscription, et celle de Grande-Synthe sont particulièrement touchées par cet afflux massif. Les camps d’accueil sont saturés, les associations humanitaires débordées et les forces de police en nombre insuffisant pour gérer cette situation.

Les maires du littoral dunkerquois redoutent un « Calais bis », d’autant plus que les réseaux de passeurs se multiplient et se renforcent de jour en jour.

Les passeurs, esclavagistes des temps modernes, font régner la terreur dans les camps. Ils ne reculent devant rien pour tirer profit de toutes les situations. Ils se livrent à leurs trafics au grand jour et narguent, dans leurs voitures de luxe, les forces de police qui ne peuvent pas toujours intervenir, faute de preuves ou de moyens. Dans le Dunkerquois, les tensions suscitent un sentiment d’insécurité et de la peur.

Cette situation ne peut durer plus longtemps. Ces criminels ne doivent pas rester impunis.

Monsieur le ministre, vous l’aurez compris : si l’objectif à court terme est de réduire l’afflux de clandestins, il faut impérativement démanteler ces filières scélérates. Quelles mesures concrètes et fermes entendez-vous prendre afin d’éradiquer les réseaux de passeurs et les mettre hors d’état de nuire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, merci de cette question, pleine de justesse en tout point des sujets qu’elle évoque. Je répondrai très précisément à chacune des interrogations que vous formulez.

Il est en effet absolument impératif de procéder au démantèlement de ces réseaux de passeurs. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a souhaité que, dans le Calaisis, nous renforcions considérablement les moyens de la police nationale pour être efficaces dans ce démantèlement. Ce sont près de 500 policiers supplémentaires qui ont été affectés à Calais, précisément pour engager cette action de façon volontariste. Je vous donnerai des chiffres très précis : depuis le début de l’année 2015, nous avons procédé, en France, au démantèlement de 177 filières de passeurs, correspondant à 3 300 individus, dont une grande partie ont été présentés à la justice.

J’ai également souhaité que nous puissions procéder à des éloignements forcés à partir de Calais, mais également de Dunkerque car, ni à Calais ni à Dunkerque, ceux qui ne relèvent pas du statut de réfugié n’ont vocation à rester sur le sol national. Il est indispensable, si nous voulons envoyer un signal fort pour que la situation soit maîtrisée, que les passeurs ne puissent plus convaincre des migrants de venir en France, à Calais ou à Dunkerque, avec l’illusion qu’ils pourront passer.

Par ailleurs, j’ai demandé aux Britanniques, dans le cadre d’un accord franco-britannique, de bien vouloir contribuer à hauteur de 35 millions d’euros – ce qui n’est pas rien – au financement de la sécurisation des infrastructures de transport, car c’est aussi un signe adressé aux passeurs.

Pour ce qui concerne plus particulièrement Dunkerque, j’ai donné trois instructions et me rendrai prochainement dans cette ville.

Première instruction : faire en sorte que les moyens des forces soient confortés, pour leur permettre de faire le même travail qu’un Calais.

Deuxièmement : s’attaquer résolument, par des contrôles qui, à l’heure où je vous parle, se multiplient, aux filières de l’immigration irrégulière pour obtenir les mêmes résultats que partout en France.

Troisièmement : offrir l’asile à ceux qui relèvent de l’asile en France pour les dissuader de passer en Grande-Bretagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Intempéries dans le Tarn-et-Garonne

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Rabault, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Valérie Rabault. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Le 31 août dernier, mon département, le Tarn-et-Garonne, a connu une tempête sans précédent. Cette tempête a détruit plusieurs maisons, en l’espace d’une demi-heure ; elle a sévèrement endommagé de très nombreuses toitures ; elle a privé un tiers des habitants d’électricité ; elle a mis à terre des milliers d’arbres.

Si les dégâts sur les maisons sont normalement pris en charge par les assurances, j’ai sollicité l’État, avec l’ensemble des élus, pour que soit reconnu l’état de catastrophe naturelle afin d’assurer la meilleure couverture possible. Mais si les dégâts sur les bâtiments devraient à moyen terme trouver un dédommagement, il n’en est pas de même pour l’arboriculture.

Monsieur le Premier ministre, vendredi dernier, vous êtes venu constater vous-même ces dégâts sur les vergers…

M. Christian Jacob. Un dégât de plus !

Mme Valérie Rabault. …et je vous en remercie très sincèrement. Vous avez rencontré de jeunes agriculteurs, installés pour certains depuis deux ou trois ans, qui, en quelques minutes, ont tout perdu. Vous avez vu ces pommiers à terre sur plusieurs hectares. D’autres productions sont aussi concernées, comme les noisettes ou le chasselas de Moissac.

Monsieur le Premier ministre, le Tarn-et-Garonne est le premier département de France producteur de pommes, et aussi le premier département de France exportateur de pommes. Cette tempête va donc mettre à mal toute notre économie et donc l’emploi, puisque l’arboriculture est notre premier employeur. Un hectare de pommiers détruit, c’est un verger à replanter et trois années sans récolte – au total, un coût financier sur trois ans de 125 000 euros par hectare.

Face à cette situation, vous avez annoncé vendredi dernier des mesures fortes, notamment la création d’un fonds d’urgence. Je vous en remercie, ainsi que M. le ministre de l’agriculture. Aussi, je me permets de solliciter à nouveau votre engagement pour que ce fonds soit créé rapidement et suffisamment abondé.

Enfin, monsieur le Premier ministre, permettez-moi d’adresser également mes remerciements à M. le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui a permis dans ces circonstances exceptionnelles l’intervention du 17e régiment du génie parachutiste pour participer au déblaiement de Montauban. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, vous avez évoqué les violentes intempéries qui ont eu lieu le 31 août dernier dans votre département, au cours desquelles une jeune femme a trouvé la mort. Nos pensées vont à toute sa famille et à tous ses proches. Plusieurs personnes ont d’ailleurs été blessées, parmi lesquelles un agent d’ERDF, quelques jours plus tard, alors qu’il travaillait au rétablissement du réseau électrique.

Je tiens, comme l’a fait le Premier ministre, à saluer tous ceux qui se sont mobilisés au plus fort des intempéries sur le terrain : sapeurs-pompiers, agents des collectivités, opérateurs de réseau, forces de l’ordre et, vous l’avez signalé, les militaires du 17e RGP de Montauban, ainsi que, bien sûr, tous les habitants qui ont fait preuve de solidarité.

Le Gouvernement a pleinement conscience des difficultés que rencontrent aujourd’hui de nombreux acteurs, de nombreuses collectivités, et en particulier les agriculteurs et les arboriculteurs. La solidarité nationale jouera. Les demandes des maires de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle seront examinées dès le 22 septembre pour les dossiers prioritaires.

Pour les collectivités, une mission d’évaluation, comme cela a été le cas précédemment, se rendra prochainement sur place pour établir le montant des aides de l’État nécessaires aux collectivités pour les réparations.

Les dégâts causés par le vent, l’orage et la grêle peuvent d’ores et déjà être pris en compte dans tous les systèmes d’assurance existants. Mais, pour faciliter les démarches, le préfet a mis en place une cellule d’intervention et d’appui aux sinistrés avec la Fédération française des sociétés d’assurance.

Le secteur agricole, qui fait l’objet de votre question, a été lourdement frappé. Le Fonds national de gestion des risques en agriculture sera mobilisé concernant les allégements de charges, les cotisations MSA, le foncier non bâti ; en outre, des moyens supplémentaires seront dégagés pour faire face aux difficultés liées aux exportations. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Baisse des dotations aux collectivités locales

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le Premier ministre, samedi prochain, dans la très grande majorité de nos 36 000 communes, à Vesoul comme à Vierzon, nos concitoyens vont se mobiliser, à l’appel des élus, pour préserver l’investissement public local et les services publics de proximité, mis en danger par une baisse brutale des dotations de l’État aux collectivités locales, contrairement à l’engagement n54 du candidat Hollande. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean-Luc Laurent et M. Jacques Krabal. Bravo !

M. Nicolas Sansu. Les élus signataires de cet appel viennent de tous les partis politiques. La question qui se pose est simple : la baisse de dotations de l’État aux collectivités, de 28 milliards d’euros cumulés en quatre ans, est-elle porteuse d’activité, d’emploi et de croissance ?

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Non !

M. Nicolas Sansu. À l’évidence, non ! Vous connaissez, nous connaissons tous l’implication de nos collectivités face aux défis de demain : réussite de la transition énergétique, maintien de la cohésion sociale et territoriale, soutien à l’éducation et à la culture, accueil des populations fragiles, comme c’est le cas avec celles et ceux qui fuient la guerre et le chaos. La grande tradition française d’humanisme, d’innovation et de développement passe aussi par l’intelligence locale. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Au cours des premières auditions de la commission d’enquête sur les conséquences de la baisse des concours de l’État au bloc communal, tous nos interlocuteurs nous ont fait part de leur inquiétude.

M. Patrick Ollier. C’est vrai !

M. Nicolas Sansu. L’investissement public du bloc communal pourrait s’effondrer à 23 milliards en 2017, contre 31 milliards en 2014. Déjà, certaines communes sont dans l’incapacité d’équilibrer leur budget.

Au-delà de la refonte de la DGF – dotation globale de fonctionnement –, au-delà de l’annonce d’un fonds d’investissement de 1 milliard d’euros, il est urgent, monsieur le Premier ministre, de ne pas sacrifier l’épargne des collectivités et de sauvegarder leur capacité à investir.

Les députés du Front de gauche vous proposent donc deux pistes. L’une consiste à divertir une partie des 20 milliards du crédit d’impôt compétitivité emploi, l’autre à créer un fonds de péréquation vertical assis sur les actifs financiers des entreprises. Le soutien aux territoires, aux communes et aux intercommunalités, c’est la défense de la République. C’est pour cela que samedi, tous les républicains feront cause commune ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Luc Laurent. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur Sansu, nul ne conteste le rôle des collectivités locales. Nous avons décidé collectivement une baisse de 50 milliards, à laquelle vous n’avez pas adhéré ; mais il faut aussi réfléchir ensemble à nos enfants, à nos petits-enfants et à la dette ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ce n’est pas imposé par Bruxelles, mais baisser la dépense publique est un objectif sur lequel nous devrions pouvoir débattre sereinement.

Concernant les collectivités territoriales, nous avons fait ce que nous devions faire : donner plus aux communes les plus fragiles, augmenter la dotation de solidarité rurale, cette péréquation qui permet à 10 000 communes de ne pas subir de baisse,…

Un député du groupe Les Républicains. C’est honteux !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. …et augmenter la dotation de solidarité urbaine pour permettre aux communes les plus pauvres de faire face.

Quelle est la situation aujourd’hui ? J’entends ce que vous dites sur la baisse des dotations, j’entends la difficulté, mais quand nous consacrons un milliard à l’investissement, vous dites que ce n’est rien : cela représente quand même la possibilité de sortir beaucoup de dossiers avant la fin de l’année !

Par ailleurs, nous sommes face à un dossier très lourd : la DGF, la principale des dotations sur les quelque 70 milliards que reverse l’État aux collectivités territoriales – et encore, sans consolider les chiffres. La DGF est injuste, profondément injuste.

M. Maurice Leroy. Alors réformez-la !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Deux communes peuvent, avec la même population et les mêmes catégories socio-professionnelles, percevoir du simple au double.

Nous vous proposons donc justement, face à la baisse des dotations et à l’équilibre que nous avons atteint cette année, de nous accompagner dans la réforme de la DGF pour la rendre plus juste, afin que la péréquation soit en effet verticale et non plus simplement horizontale, c’est-à-dire entre les collectivités elles-mêmes, comme c’est le cas aujourd’hui. Je sais que vous serez à ce rendez-vous ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Réforme territoriale

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Arribagé, pour le groupe Les Républicains.

Mme Laurence Arribagé. Monsieur le Premier ministre, le nombre de demandeurs d’emploi atteint des records, la croissance est quasi nulle, le monde agricole souffre, la crise des migrants est majeure et nos concitoyens et nos entreprises sont assommés d’impôts et de taxes !

Or cet été, en vue des élections régionales de décembre prochain, vous avez fait, en catimini, une annonce pour le moins surprenante – y compris, d’ailleurs, pour votre propre camp – : créer une nouvelle fonction de président délégué de région. Cette idée de projet de loi, dont nous avons tous appris l’existence par la presse, est totalement contraire à l’esprit même de la décentralisation, d’autant plus que vous n’abordez à aucun moment la question des ressources.

Vous devez savoir, mes chers collègues, que cette dernière invention est le fruit des tractations partisanes et des petits arrangements entre amis…

Un député du groupe Les Républicains. Comme d’habitude !

Mme Laurence Arribagé. …dans les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Une fois le soutien des radicaux de gauche assuré, vous avez voulu, monsieur le Premier ministre, contenter les ténors de votre parti que sont Mme Delga et M. Alary. C’est purement et simplement consternant ! Vous qui prônez un État exemplaire et la réduction des dépenses publiques, vous multipliez aujourd’hui les postes inutiles aux frais du contribuable, à des fins que réprouve l’éthique républicaine.

M. Alexis Bachelay. Vous pouvez parler !

Mme Laurence Arribagé. Mobiliser le Parlement sur cette mesure exclusivement électoraliste est totalement contraire à l’intérêt collectif et au mandat que nous ont confié les Françaises et les Français. Dans la future région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, cette loi faite pour un seul homme, la « loi Alary », risque de déboucher sur une véritable foire à l’exécutif !

Voici ma question, monsieur le Premier ministre : comment pouvez-vous prôner l’efficacité de l’action publique et favoriser, dans le même temps, l’organisation programmée du désordre dans de jeunes régions fusionnées ? Je vous remercie de bien vouloir renoncer à ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la députée, je vous remercie pour votre question, dont j’espère qu’elle nous permette d’aborder le sujet avec le souci de la réalité des faits.

Dans le cadre du débat sur les régions, l’idée de doter les futures régions d’un président délégué avait été évoquée. Mais en y regardant de plus près,…

M. Christian Jacob. Attention à l’atterrissage !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. …nous nous sommes aperçus que le droit actuel prévoit déjà cette possibilité. D’ailleurs, M. le député François Sauvadet y a eu recours au conseil départemental de la Côte-d’Or, en instituant un poste de président délégué, intermédiaire entre le président de l’exécutif local et le premier vice-président. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Madame la députée, la législation actuelle permet donc déjà de recourir à cette possibilité. Cela peut être intéressant, notamment dans le cadre de la fusion de grandes régions, en permettant une meilleure intégration des territoires.

Mme Claude Greff. C’est du copinage !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Et puisque vous connaissez parfaitement la législation applicable aux collectivités territoriales, vous savez qu’en aucune façon cela n’augmenterait les dépenses de fonctionnement des exécutifs locaux.

M. Frédéric Barbier. Normal, puisque vous les supprimez !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Avec la réforme territoriale, nous mettons en place une nouvelle France des territoires, avec de grandes régions qui permettent de rapprocher les collectivités territoriales et les territoires eux-mêmes. La proposition que vous avez évoquée peut y participer.

M. Alexis Bachelay. Très bien !

Soutien à la création culturelle

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Féron, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Hervé Féron. Madame la ministre de la culture et de la communication, début juillet, au Centre national de la danse, vous avez annoncé toute une série de mesures fortes en faveur des jeunes créateurs : mise en place d’un diplôme national de danse hip-hop, démocratisation des classes préparatoires culturelles avec accès à des bourses allouées sur critères sociaux, valorisation du street-art par la commande publique, création de foyers de jeunes créateurs sur le modèle des foyers de jeunes travailleurs…

Ces mesures audacieuses et novatrices, nées dans le sillage des Assises de la jeune création, seront essentielles pour aider les futurs talents à s’affirmer sur la scène artistique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui : soutenir le renouveau de la création française. Trop de radios privées diffusent encore et toujours les mêmes chansons, cinquante ou cent fois par jour, jusqu’à nous lasser d’artistes pourtant talentueux. Il nous faut davantage de diversité à la radio, dans l’industrie du disque, mais aussi au cinéma, où les films d’auteur ou bien encore les premiers et deuxièmes films ont toujours du mal à trouver des producteurs et des diffuseurs.

Madame la ministre, nous sommes bien conscients de l’importance des enjeux. Les solutions que vous proposez permettront, par leur pertinence, un progrès considérable. En soutenant la jeunesse, en ouvrant le spectacle vivant à toutes les cultures, nous nous constituerons un patrimoine commun, riche et diversifié, une culture à partager dans un véritable vivre-ensemble dont nous avons plus que jamais besoin aujourd’hui. Plusieurs de ces mesures sont reprises dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, que les députés ont commencé à examiner en commission ce matin même.

Madame la ministre, comme vous l’avez dit vous-même, « la jeunesse crée les créateurs » ; nous ne pouvons qu’aller dans votre sens. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre action en faveur des jeunes créateurs et de la diversité culturelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, comme vous l’avez dit, les artistes et les créateurs sont la richesse de la France. Puisqu’il est question d’artistes, je profite de votre question pour rendre hommage à l’un d’entre eux, qui vient de nous quitter : je pense à Guy Béart, auteur, artiste et interprète, qui pendant plusieurs dizaines d’années nous a fait partager son amour des mots et de la poésie. Je tenais à lui rendre hommage. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Les artistes sont une richesse. L’actualité est pourtant marquée par des attaques violentes contre la culture, contre la création, et parfois même contre la personne des artistes. Depuis plusieurs années, les pratiques culturelles des Français sont profondément bouleversées, du fait de l’abolition des frontières, de la mondialisation, de la déferlante numérique. Toutes ces évolutions représentent à la fois une menace et une opportunité pour la création.

Voilà pourquoi le ministère de la culture doit, plus que jamais, renouveler et renforcer son soutien à la création. C’est bien ce à quoi je m’emploie depuis maintenant un an. Comme vous l’avez évoqué, j’ai conduit les Assises de la jeune création en début d’année. Au cours de ces assises, 150 acteurs de toutes les disciplines se sont réunis et m’ont proposé des mesures très concrètes, que j’ai commencé de mettre en œuvre, selon trois axes : le renforcement de la formation et de l’insertion professionnelles, l’amélioration des conditions de vie et de travail des artistes et des créateurs, et un soutien, fort et déterminé, à la diversité des pratiques et des esthétiques.

Vous l’avez dit, nous avons commencé ce matin la discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. C’est un projet de loi tourné vers l’avenir, qui dit la confiance de la Nation dans ses artistes et ses créateurs. C’est un projet de loi qui sacralise la liberté de création et met la création à l’écart de l’intervention du pouvoir politique discrétionnaire.



En cette rentrée littéraire, un roman parle du pouvoir performatif des mots, de la septième fonction du langage ; pour ma part, je crois au pouvoir de l’Assemblée nationale – c’est un hommage que je rends là à la représentation nationale, aux députés – de faire en sorte que la liberté de création soit une réalité et pas un vain mot. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Claude Bartolone.)

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est reprise.

2

Accueil des réfugiés en France et en Europe

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, l’Europe fait face à une crise migratoire d’une ampleur et d’une gravité exceptionnelles. Cette crise est la conséquence des déséquilibres et des désordres qui traversent le monde : les conflits ouverts ou larvés en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Érythrée ou au Soudan, les États qui s’effondrent – je pense notamment à la Libye – ou les dérèglements climatiques et leurs conséquences – inondations, sécheresse et, par conséquent, diminution des terres cultivables. Il y a enfin les conditions de vie difficiles : la misère, la faim, la maladie, qui poussent tant d’individus à partir vers un ailleurs plus prometteur, et majoritairement, je veux le rappeler ici, de pays du Sud vers d’autres pays du Sud.

Cette crise migratoire – la plus forte, en Europe, depuis la Seconde guerre mondiale – met l’Union européenne face à une responsabilité historique. Elle exige également que la France soit à la hauteur de son rang, à la hauteur de son histoire. Saisis par la violence des faits, par la dureté des images et par l’émotion – nous avons tous en tête, cela a encore été rappelé hier, l’image d’Aylan, et je pourrais parler de toutes les autres victimes, celles que l’on ne voit pas, tels les vingt-deux morts dans un naufrage en Turquie hier –, notre pays, me semble-t-il, a démontré une fois de plus qu’il est capable du meilleur. Il y a la mobilisation des dernières semaines, j’y reviendrai ; mais, bien avant cela, le Président de la République et le Gouvernement avaient pris la mesure de ce défi, et nous avons agi avec méthode.

La France, fidèle à ses valeurs, sait qui elle est. Elle regarde la situation avec une très grande lucidité. La question des réfugiés, parce qu’elle touche à des vies, à des destins, à des espoirs, oblige à la lucidité et oblige à la rectitude.

Le droit d’asile, mesdames et messieurs les députés, est un droit fondamental, qui puise sa source dans notre histoire, dans nos engagements internationaux et dans nos obligations communautaires. Il est de la vocation de la France d’accueillir celui ou celle qui est persécuté pour ses idées ou exposé à des risques pour son intégrité. Le Gouvernement français, quelles que soient les circonstances, ne remettra pas, ne remettra jamais en cause ce droit qui est son honneur et constitue une référence de liberté pour tous ceux qui, à travers le monde, subissent la violence ou l’oppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.) L’émotion peut soulever des montagnes : nous la ressentons et elle nous donne de la force. Mais elle ne peut être le seul guide de l’action publique.

Ce que nous devons à ceux qui fuient la guerre, la torture, les persécutions, ce ne sont pas seulement les bons sentiments – qui d’ailleurs peuvent toujours se retourner au gré des circonstances. Nous devons agir en suivant des principes : humanité et solidarité, mais aussi sérieux et maîtrise.

Il faut du cœur, bien sûr, mais un cœur intelligent, un cœur ferme et un cœur lucide. Et la lucidité, devant la représentation nationale – et, à travers elle, devant les Français –, c’est d’abord nommer et décrire les situations avec précision.

Le nombre des entrées irrégulières dans l’espace Schengen a augmenté, en deux ans, de façon spectaculaire. En 2014, c’est essentiellement l’Italie qui était le point d’attention majeure, avec 170 000 entrées irrégulières, soit 60 % du total européen.

Depuis le début de l’année, alors que les entrées par la voie italienne, principalement en provenance de la Libye, diminuent légèrement, deux routes nouvelles, massivement empruntées, viennent s’ajouter : l’une en provenance des Balkans, avec un volume multiplié par quinze ; l’autre en provenance de la Turquie, empruntée par des Syriens, des Irakiens et des Afghans. À compter de la mi-juillet, ce dernier flux s’est brutalement intensifié ; il a été multiplié par dix par rapport à 2014. En tout, on compte ainsi 230 000 entrées depuis janvier.

Hier, l’agence Frontex estimait à 500 000 le nombre d’entrées irrégulières, en huit mois, à la frontière extérieure de l’Union. Bien sûr, les pays européens sont affectés très différemment, d’abord en fonction de la géographie. L’Allemagne l’est beaucoup : on parle d’un million d’arrivées possibles, après les 400 000 déjà dénombrées en 2014. La situation de la France est, à ce stade, totalement différente, avec une demande d’asile pratiquement stable, autour de 65 000, avec même une légère baisse en 2014. Mais il n’en reste pas moins qu’une incroyable pression pèse sur le continent tout entier.

La lucidité, c’est aussi d’analyser ces flux, de poser le bon diagnostic pour agir comme il se doit. Il y a les réfugiés qui viennent de Syrie, d’Irak, d’Érythrée, du Soudan, et qui ont besoin de protection.

Il y a aussi les migrants qui ne relèvent pas du statut de réfugiés. Ils proviennent, par exemple, des Balkans – Albanie ou Kosovo –, donc de pays sûrs, voisins de l’Union. Ils proviennent aussi d’Afrique de l’Ouest. Ces migrants entrent, pour une immense majorité, dans l’immigration irrégulière. La vérité est là, elle nous oblige. Il faut le rappeler : ils doivent retourner dans leur pays d’origine, dans le respect des personnes et du droit, mais avec fermeté. Sinon, nous mettrions en cause le principe même du droit d’asile.

Je sais que certains proposent de créer un nouveau statut reconnu aux seuls réfugiés fuyant la guerre et qui durerait le temps du conflit. J’examine toute proposition avec intérêt. Mais quel est donc ce besoin de créer quelque chose qui existe déjà, qu’il s’agisse de la protection temporaire européenne ou de la protection subsidiaire prévue par le droit français ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Bien sûr !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ceux qui pensent faire par ce biais échec au droit d’asile se trompent. Qu’ils relisent la directive européenne en question ! Moi, je l’ai fait. Octroyer une protection temporaire ne prive en en aucun cas du droit de demander l’asile. Et ceux qui l’obtiendront – c’est cela, l’asile – pourront décider de rester parce qu’ils ont fait leur vie ici ou de rentrer dans leur pays d’origine quand les conditions le permettront. Il ne faut pas semer la confusion dans ce débat, qui mérite de la clarté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.)

Une fois encore : il faut de la lucidité, de la méthode, du sérieux car, face aux vies brisées, aux images qui giflent nos consciences, face au nombre, il y a, nous le savons, chez nos compatriotes, un malaise, une inquiétude, un sentiment de désordre – encore ces derniers jours. Or, le désordre du monde c’est, trop souvent, le désordre des messages et des positions. Et le désordre des positions, c’est le désordre des valeurs, au point que certains en sont venus à vouloir – comment pouvions-nous l’accepter ? – trier en fonction des religions, entre les chrétiens et les musulmans. Ce n’est pas cela, la France ! Ce n’est pas cela, le droit à l’asile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.)

La France doit rester, aux yeux du monde, ce phare qui ne vacille pas au cœur de la tempête, qui ne se laisse pas aller à la tentation de l’aveuglement, à la facilité. Certains nous disent : « Il faut tout fermer ». Dire cela, c’est fermer les yeux sur les réfugiés qui meurent à nos portes. D’autres disent, à l’inverse : « Il faut tout ouvrir ». Dire cela, c’est fermer les yeux sur les réalités et les difficultés de la société française. Mon devoir, celui du Gouvernement, c’est d’être lucide car nous sommes aux responsabilités, nous gouvernons. Notre devoir, c’est d’agir, avec méthode, et d’abord sur la scène internationale.

Nous intervenons militairement en Afrique, en Irak, en Syrie. Nous luttons contre la barbarie pour venir en aide aux peuples, pour restaurer la paix. Je l’ai dit hier à cette tribune et tous l’ont dit : nos armées, notre diplomatie, sous la conduite du chef de l’État, sont pleinement mobilisées car, nous le savons, la solution à la crise de réfugiés est d’abord là-bas !

Mais la solution est aussi européenne. Dès août 2014 – il est important de le rappeler car il faut de la mémoire dans un débat –, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, à la demande du Président de la République, se rendant dans plusieurs capitales européennes, invitait l’Europe à prendre des mesures devant l’aggravation de la situation migratoire. Non pas en août 2015, mais en août 2014 ! Nous avions alors proposé une feuille de route reprenant nos principes d’humanité, de solidarité, de maîtrise, de fermeté. Cette feuille de route, pour la première fois, proposait une solution globale, traitant de l’ensemble des sujets.

D’abord, le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne – c’est évidemment le point essentiel – par le renforcement des actions de Frontex en Méditerranée, qui se sont progressivement substituées à l’opération italienne Mare Nostrum. Car Mare Nostrum fut une opération courageuse initiée par la seule Italie pour sauver des vies, mais qui s’est traduite à la fois, vous le savez, par davantage de sauvetages mais aussi davantage de morts, les passeurs ayant pris prétexte des sauvetages en mer pour intensifier leur funeste trafic. Le contrôle des frontières extérieures passe également par la mise en place d’une meilleure identification, dans le respect du règlement de Dublin – j’insiste sur ce respect –, des personnes susceptibles de bénéficier d’une protection internationale. Enfin, je le répète, il passe par une politique active de retour pour celles qui n’y sont pas éligibles.

M. Pierre Lellouche. Combien ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Deuxième volet de cette même feuille de route : la lutte déterminée contre les filières d’immigration clandestine, contre les passeurs, les trafiquants – l’un d’entre vous les qualifiait d’esclavagistes des temps modernes.

Troisième volet : le renforcement de la coopération de l’Union européenne avec les pays d’origine, ainsi qu’avec les pays de transit, pour stabiliser les populations, pour les aider à contrôler leurs frontières et pour apporter, bien sûr, l’aide humanitaire nécessaire.

Cette feuille de route que nous avions proposée a beaucoup contribué à la politique décidée par l’Union européenne. Elle a été formalisée, en particulier, dans l’agenda européen pour les migrations du 13 mai dernier. Depuis, notre position, malgré le contexte d’émotion, de tumulte et de débats, n’a pas changé. Mais là aussi, nous devons la vérité. Nous pouvons regretter que la prise de conscience de la France, son action et ses propositions n’aient pas été assez partagées, notamment lors du dernier Conseil européen, en juin.

C’est enfin au plan intérieur que nous devons agir. Nous avons réformé l’asile. Personne ne l’avait fait à ce niveau. La situation – et tout le monde partageait ce constat – n’était plus tenable : la demande avait augmenté de 73 % entre 2008 et 2012. Nous avons voulu réduire les délais, passer de 24 à 9 mois pour statuer sur les demandes, afin de désengorger nos capacités d’accueil, pour rétablir une procédure plus efficace et plus digne. Cela veut dire aussi que les déboutés du droit d’asile doivent être reconduits dans leur pays d’origine, ce qui se fait peu depuis très longtemps.

M. Pierre Lellouche. Combien ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette loi, présentée par Bernard Cazeneuve, a fait l’objet d’un large travail de préparation, grâce, notamment, à la concertation nationale bipartisane que j’ai organisée, non pas en 2015, ni en 2014, mais en 2013, comme ministre de l’intérieur, autour de la sénatrice UDI Valérie Létard et du député socialiste Jean-Louis Touraine. Cette loi a fait l’objet d’un accord, en commission mixte paritaire, entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Je vous invite, mesdames, messieurs les députés, à avancer ensemble sur ces sujets car ensemble la représentation nationale, donc la France, sont plus fortes pour rallier l’Europe à nos positions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Éric Ciotti. Quand elles vont dans le bon sens !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous avez également adopté, en première lecture, le projet de loi relatif au droit des étrangers, complément nécessaire à la réforme de l’asile. Vous en débattrez de nouveau cet automne. Son but, c’est de restaurer l’attractivité de la France pour les talents internationaux, par la mise en place de titres de séjours pluriannuels. Mais c’est aussi de rendre plus efficace encore la lutte contre l’immigration irrégulière, dans toutes ses dimensions : fraudes documentaires, détournement de procédure, filières d’immigration clandestine.

Sans attendre l’entrée en vigueur de cette loi, le Gouvernement a intensifié les efforts contre les filières. Bernard Cazeneuve a souvent rappelé les chiffres, ces derniers jours : 177 d’entre elles ont été démantelées depuis le début de l’année, représentant plus de 3 300 individus, contre 1 800 en Allemagne pendant la même période. À Calais – cela a été évoqué cet après-midi –, les effectifs des forces de l’ordre ont été multipliés par cinq en trois ans.

M. Éric Ciotti. Combien d’éloignement ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Depuis le mois de juin, 42 000 interpellations ont été effectuées. Il faut poursuivre ce travail car nous connaissons les difficultés. Un accord a été passé avec la Grande-Bretagne, qui contribuera, Bernard Cazeneuve le rappelait il y a un instant, à hauteur de 35 millions d’euros, afin de sécuriser les infrastructures de transport et de soutenir l’accompagnement humanitaire des plus vulnérables des migrants. Cet engagement du Royaume-Uni vient ainsi rééquilibrer les accords du Touquet.

À Menton et dans les Alpes-Maritimes, où je me suis rendu dès le 16 mai, comme l’a fait régulièrement le ministre de l’intérieur, les contrôles ont été renforcés, dans le respect des accords de Schengen. En huit mois, 20 450 individus ont été interpellés.

M. Éric Ciotti. Dans quel but ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette fermeté paie : malgré le contexte, les flux à Menton sont stabilisés. Mais nous n’ignorons rien des défis qu’il reste à relever.

Nous avons déjà rétabli, ce printemps, des contrôles temporaires à cette frontière. Et nous n’hésiterons pas à le faire de nouveau comme les règles de Schengen le permettent à chaque fois que les circonstances l’imposent, si c’est nécessaire dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines. Je sais combien cette politique de lutte contre l’immigration irrégulière est exigeante et mobilise les forces de l’ordre et les fonctionnaires des préfectures – je veux leur rendre hommage. En 2014, 15 000 éloignements forcés ont été réalisés et ce chiffre devrait être porté à 16 000 en 2015. Les retours forcés vers les pays n’appartenant pas à l’Union européenne sont les plus difficiles car, vous le savez, rien n’est facile dans ce domaine – le ministre de l’intérieur pourrait d’ailleurs rappeler le nombre de retours en avion organisés depuis Calais. Mais ces retours ont augmenté de 40 % en 2014. C’est un effort sans précédent. Il est indispensable si nous voulons mettre en œuvre une politique migratoire soutenable et si nous voulons préserver le droit d’asile.

Compte tenu de cette nouvelle charge qui pèse sur les services et pour ne pas affaiblir les dispositifs liés à la lutte contre le terrorisme et la délinquance, nous avons donc décidé, sur proposition du ministre de l’intérieur, de renforcer les effectifs de police et de gendarmerie, notamment la police aux frontières, à hauteur de 900 personnels. En tout, ce sont, mesdames, messieurs les députés, 5 330 postes supplémentaires – rappelez-vous de ce chiffre – dans la police et la gendarmerie qui ont été créés depuis 2012. Nous assurons, nous, la sécurité de nos compatriotes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Pierre Lellouche. Cela ne se voit pas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, nous agissons avec méthode dans tous les domaines. Je veux rappeler la présentation en juin, par Bernard Cazeneuve et la ministre du logement, Sylvia Pinel, du plan migrants. Il prévoit la création de places supplémentaires d’accueil : 4 000 pour des demandeurs d’asile et 5 500 pour répondre à l’urgence de ceux qui ont déjà obtenu le statut de réfugié mais qui demeurent dans une situation précaire. Toutes ces places s’ajoutent à une capacité exceptionnelle de mise à l’abri de 1 500 personnes.

Il nous faut aujourd’hui aller plus loin, mobiliser très rapidement, dès le mois d’octobre, les moyens nécessaires. Le ministre de l’intérieur l’a indiqué samedi dernier devant les maires : d’ici 2017, une aide de 1 000 euros par place d’hébergement créée sera attribuée aux communes et intercommunalités qui participeront à l’effort de solidarité. Ce soutien exceptionnel vient en complément de la politique d’hébergement, qui relève, elle, de l’État. Et je veux saluer ici l’ensemble des élus qui se sont mobilisés, partout sur le territoire, dans un esprit républicain, pour donner corps à cet élan de solidarité. Monsieur le ministre de l’intérieur, la réunion de samedi dernier à la Maison de la chimie avec tous les maires qui représentaient les territoires de la République montrait elle aussi un beau visage de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Je veux aussi saluer le monde associatif, les organisations non gouvernementales – ONG –, les cultes, que nous avons reçus, les bailleurs sociaux, qui se sont mobilisés. Et bien sûr, je n’oublie pas – nous en avons tous les jours des témoignages –, ces citoyens qui s’engagent de manière désintéressée et qui se portent volontaires pour l’accueil des réfugiés. Je veux que nous retenions de ce moment cet engagement de nos compatriotes, parce que c’est cela, aussi, le visage de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Au total, ce sont 279 millions d’euros qui seront mobilisés d’ici à la fin de 2016 au titre du premier accueil, de l’hébergement d’urgence, de l’aide forfaitaire aux communes. Ils seront mobilisés aussi pour renforcer les effectifs de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA –, que nous n’avons eu de cesse d’augmenter depuis 2012, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII – mais aussi de l’Éducation nationale, qui doit assurer l’accueil des élèves et des parents, l’apprentissage du français et la transmission de nos valeurs républicaines. La solidarité, c’est garantir un accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile. Mais, j’en prends l’engagement devant vous, cette solidarité – et ce point est très important pour nos compatriotes – ne pourra pas dégrader la situation de celles et ceux de nos concitoyens qui ont besoin d’être aidés, qui ont besoin de la solidarité nationale. En effet, nous entendons déjà le débat qui peut s’ouvrir : nous agirions pour ceux qui viennent d’arriver mais non pour ceux qui sont en difficulté depuis longtemps. Ce débat peut créer des fractures nouvelles où s’engouffreront tous les populismes et la démagogie.

Mettre en lumière une situation d’urgence, ce n’est pas renvoyer dans l’ombre tous les autres. On ne peut pas un jour porter sur les fractures de notre société un diagnostic sans concessions – nous l’avons fait, ici même, dans cet hémicycle, le 13 janvier dernier – et le lendemain oublier cette priorité.

À nous, donc, de veiller à ce que chacun soit accompagné comme il doit l’être. Aussi, au cours des douze prochains mois, les crédits dédiés à l’hébergement d’urgence et à la veille sociale augmenteront de 250 millions d’euros dont 130 seront disponibles dès le mois prochain, car nous devons appliquer ces principes de solidarité.

Cette solidarité envers les réfugiés s’inscrit dans le cadre d’une politique migratoire globale qui ne perd pas de vue ces objectifs et qui prend en compte la réalité de la France, sa démographie comme sa situation économique.

Le visage de la France changera-t-il ? Ce n’est pas de cela dont il est question. Ce que nous voulons, c’est que la France reste à la hauteur de ce qu’elle est, qu’elle reste fidèle au message d’accueil pour les réfugiés qu’elle a toujours porté, tout en étant capable de maintenir et de consolider la cohésion nationale, la cohésion sociale.

Mesdames et messieurs les députés, ce Gouvernement agit avec lucidité, méthode et fermeté. Mais j’y reviens : tout ce que nous faisons n’aura de sens que si l’Europe parvient à trouver et à mettre en œuvre des solutions efficaces et durables : tel est le sens des propositions que portent le Président de la République et la chancelière allemande et nos deux pays.

M. Pierre Lellouche. À force de suivre Mme Merkel…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je veux y insister, car l’actualité le commande : pour nous, il y a de la constance, notamment dans nos rapports avec l’Allemagne. Ce que fait l’Allemagne n’est pas un jour extraordinaire, et, un autre, mauvais pour l’Europe.

Telle est la force de la France : la constance et l’engagement qui est celui du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Face aux flux qui ne cessent de croître, je dis avec gravité que l’Europe, peut-être plus que jamais dans son histoire, doit être capable de trouver les solutions adaptées et coordonnées qui permettent d’anticiper l’événement au lieu de le subir. Nous sommes vingt-huit États : chacun a son histoire, sa culture et sa géographie. Nous appréhendons nécessairement les choses de manière différente et – ce n’est pas nouveau – il peut y avoir des divisions : le Conseil justice et affaires intérieures du 14 septembre l’a montré.

Mais l’Europe doit parvenir à dépasser ses divisions. Elle se trouve face à son destin, et peut sortir de l’histoire. Chacun mesure, de nouveau, la gravité du moment que nous vivons. Nous devons donc faire preuve d’audace et d’imagination pour combler les lacunes qui apparaissent sous nos yeux.

M. Laurent Furst. De l’audace, encore de l’audace.

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’en donnerai deux exemples précis : le premier a trait à nos politiques d’asile, qui sont aujourd’hui trop disparates d’un pays à l’autre. Les filières d’immigration clandestine en profitent.

Second exemple : nos frontières externes doivent être tenues, et tenues collectivement.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui comme depuis de nombreuses années : la situation de la Grèce le montre chaque jour, tout comme la décision de rétablir temporairement les contrôles aux frontières prise dimanche par l’Allemagne puis par d’autres pays.

Je le répète, nous n’hésiterons pas à prendre ce type de décision.

M. Pierre Lellouche. De toute façon, il n’y a pas le choix.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais dans ce contexte, il nous faut un plan d’ensemble qui combine réponse à l’urgence et action de long terme. L’urgence, c’est d’organiser l’accueil des réfugiés en Europe et de maîtriser les flux migratoires. Le Conseil justice et affaires intérieures a cependant, je veux le dire, permis d’arrêter des orientations importantes qui constituent autant d’acquis.

Premier point : nous allons mettre en place – la France portait cette idée depuis plusieurs mois – des centres d’accueil et d’enregistrement – qu’on appelle des hot spots –dans les pays de première entrée, c’est-à-dire en Italie, en Grèce, en Hongrie, et peut-être demain en Serbie. Ce pays le demande en effet, même s’il n’est pas membre de l’Union européenne.

Ces centres vont permettre d’identifier, dans tous les sens du terme, et d’enregistrer chaque migrant. Nous pourrons ainsi distinguer rapidement ceux qui ont besoin de protection de ceux qui ne sont pas concernés par l’asile. Ces centres doivent maintenant être opérationnels le plus rapidement possible.

Le premier ouvrira dans les prochains jours en Grèce. La France est une nouvelle fois – elle l’a fait ces derniers jours à Munich – prête à apporter son expertise en déléguant des personnels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la police de l’air et des frontières.

Je veux être très clair, car ce point est essentiel pour la réussite du plan global et pour l’Europe, comme pour la réussite de Schengen ainsi que pour l’idée que nous nous faisons du droit d’asile : le processus de relocalisation doit se faire à partir de ces centres d’accueil et non à partir de l’Allemagne ou de l’Autriche. C’est, encore une fois, essentiel si nous voulons avancer ensemble en Europe.

Deuxième point : pour accueillir les personnes ayant besoin de protection, les Européens doivent s’accorder sur un processus de répartition équitable. Un accord proposé par la Commission – qu’on oublie parfois – existe déjà, et il fut au mois de juin dernier particulièrement difficile à obtenir. Il porte sur l’accueil de 40 000 personnes, parmi lesquelles, nous l’avions déjà annoncé, 6 700 viennent ou viendront s’installer dans notre pays.

C’est pour cette raison que nous ne parlons pas de quotas : ce mot prête à confusion, il n’est pas adapté à la problématique des réfugiés et du droit d’asile, en outre, vous le savez, il est connoté dans notre débat national.

Pour faire face à l’accroissement des flux, la Commission propose, aujourd’hui, de porter ce nombre à 160 000. Une large majorité d’États membres a souscrit à cet objectif.

Un député du groupe Les Républicains. Vous ne dites pas la vérité !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour notre pays, cela suppose d’accueillir, comme le président de la République s’y est engagé, sur deux ans, 24 000 personnes de plus. La France y est prête.

M. Charles de La Verpillière. Vous étiez contre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il me serait difficile d’être opposé à ce chiffre de 24 000 alors que nous étions d’accord sur près de 7 000 au mois de juin. Nous sommes, nous, cohérents, et ma position, monsieur le député, est toujours cohérente. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen - Protestations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Chacun doit prendre sa part de responsabilité. Or plusieurs pays refusent cependant aujourd’hui de jouer le jeu : c’est –je le dis à la tribune de l’Assemblée nationale – inacceptable. Ces pays oublient en effet leur propre histoire, ainsi que ces hommes et ces femmes que nous avons accueillis en France lorsqu’ils fuyaient la dictature et la persécution communistes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Chacun doit prendre sa part de l’effort, en fonction bien sûr de ses capacités. Cela implique d’expliquer, de convaincre, et aussi d’assumer une décision devant son opinion publique.

La solidarité n’est pas une valeur à la carte : elle vaut pour tous, et est donc aussi exigible de tous. Sinon, c’est le sens même du projet européen qui s’effondre. Un nouveau Conseil justice et affaires intérieures devrait se tenir en début de semaine prochaine : nous devrons impérativement avancer sur ce sujet.

Nous sommes à l’initiative, notamment grâce à notre diplomatie, à Laurent Fabius et à Harlem Désir. Le Président de la République rencontrera demain le Président du Conseil italien Matteo Renzi. Je serai moi-même jeudi et vendredi en Suède et en Autriche.

Troisième point : nous devons mettre en place une politique de retour effective pour les personnes en situation irrégulière sur le sol européen : il en va de la crédibilité de l’ensemble de ces politiques. Le sérieux, la maîtrise, c’est aussi cela.

Nous devons donc renforcer le rôle de Frontex et la France soutiendra les propositions de la Commission. Le système d’information Schengen devra également être mis à contribution pour empêcher que les migrants auxquels l’accès a déjà été refusé puissent entrer sur le territoire.

Par ailleurs, l’Union européenne a décidé d’autoriser désormais des opérations militaires coercitives dans les eaux internationales contre les bateaux affrétés par les filières de passeurs, dans le respect, bien sûr, de la sécurité des personnes. La France, qui participe déjà à toute une série d’actions en Méditerranée mettra, dans les prochains jours, une frégate à disposition à cet effet.

Quatrième point, qui est essentiel, car il s’agit de la condition sans laquelle rien n’est possible : nous devons coopérer plus étroitement avec les pays de transit et d’origine des migrants en fournissant notamment une aide humanitaire massive aux pays qui consentent des efforts considérables pour accueillir des camps de réfugiés. Il y a, vous le savez et nous l’avons rappelé hier, quatre millions de réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban ainsi que des centaines de milliers dans la corne de l’Afrique.

Cette coopération est nécessaire pour démanteler les réseaux criminels de traite des êtres humains, et pour aider à la mise en œuvre rapide, dans les pays de transit, de centres d’aide au retour des migrants et de prévention des départs, ce que nous sommes en train de faire au Niger.

Plus généralement, nous n’aurons pas de politique de retour effective sans des dialogues politiques – sous l’égide de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et avec le soutien de notre diplomatie – avec les pays de départ. Ces dialogues doivent se nouer rapidement, et en particulier promouvoir la réadmission des migrants en situation irrégulière dans leur pays.

Faut-il s’arrêter là ? La réponse est clairement non. Nous devons aider les pays d’origine à mieux se développer économiquement, à donner plus de perspectives à leur population, et notamment à leur jeunesse. Ces objectifs seront au cœur du sommet de La Valette qui se tiendra le 11 novembre prochain.

D’ores et déjà, l’Union envisage de créer un fonds dédié, doté de 1,8 milliard d’euros, afin de résoudre les crises qui frappent les régions du Sahel, du lac Tchad et la corne de l’Afrique. Et je veux une nouvelle fois rappeler la proposition du Président de la République d’organiser, afin d’amplifier ce mouvement, une conférence que Paris pourrait accueillir début 2016.

Nous devons, ensuite, consolider une politique migratoire à l’échelle européenne. Cela passe par une plus grande harmonisation des procédures en matière d’asile. À cet égard, la proposition de la Commission d’établir une liste commune de pays sûrs, en particulier les Balkans occidentaux, va dans le bon sens. Son principe a d’ailleurs été validé par les États membres : il faut qu’elle entre dans les faits.

Enfin, nous devons renforcer l’espace Schengen. Je connais le débat relatif aux frontières, qui peut nous passionner. Les États-nations n’ont pas disparu avec l’Union européenne, la monnaie unique ni avec l’espace Schengen. La France est toujours là, et il existe toujours des frontières nationales.

Schengen, c’est la libre circulation des personnes. Il s’agit d’un élément essentiel de notre identité européenne, mais aussi de notre sécurité. Mais Schengen, c’est aussi le contrôle efficace des frontières externes, car sinon cela ne marche pas.

Je me réjouis donc que le président Juncker ait clairement indiqué que la Commission proposerait d’ici la fin de l’année la mise en place de gardes-frontières européens, car c’est une idée que la France porte depuis longtemps.

Je sais que certains voudraient faire croire que la solution serait dans l’abolition de Schengen. L’extrême droite nous dit : « j’avais raison ! ». Cette formule est le condensé parfait de ce qu’est le populisme : une pensée qui se nourrit de la catastrophe et des difficultés, qui n’apporte aucune solution et qui, traduite dans les faits, mettrait notre sécurité en difficulté.

M. Laurent Furst. C’est une belle définition du socialisme. (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons besoin de plus d’Europe pour faire face aujourd’hui aux défis des réfugiés, et non pas de moins d’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

D’autres proposent, dans le cadre d’un débat républicain, un Schengen 2. Mais qu’y a-t-il derrière cette proposition ? J’ai compris qu’elle impliquait le respect des règles de Schengen 1 : elle a donc pour principal avantage et pour principale vertu de ne pouvoir susciter que l’unanimité et le rassemblement.

J’ai aussi compris qu’il s’agissait de mettre en œuvre une politique européenne de l’asile…

M. Patrick Ollier. Et de l’immigration.

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et un contrôle efficace des frontières extérieures de l’Union européenne. Cela revient à faire ce que nous faisons et ce que je vous propose : j’en déduis donc que, s’agissant de Schengen 2, le bon sens inspire le Gouvernement et qu’à cette proposition s’ajoute parfois le goût de la polémique inutile sur les sujets migratoires.

M. Laurent Furst. Vous êtes un expert en la matière, monsieur le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, nous proposons un plan global, qui permettra – en le consolidant, je le répète – de préserver cet acquis fondamental de la construction européenne.

M. Laurent Furst. La démagogie, ça suffit !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Toute proposition qui bloque l’Europe, ou qui met en cause Schengen, met en cause l’Europe et met en cause ce que nous sommes, c’est-à-dire l’identité et la sécurité de la France.

Mesdames et messieurs les députés, la question des réfugiés, comme celle de l’accueil…

M. Pierre Lellouche. Vous savez bien que Schengen est mort. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Laurent Furst. Il a raison.

M. le président. S’il vous plaît. Les représentants des groupes s’exprimeront après le Gouvernement.

M. Manuel Valls, Premier ministre. …interroge toujours ce que nous sommes. La question de savoir qui est celui qui est accueilli renvoie toujours, en miroir, à celle de savoir qui est celui qui accueille.

Face à cet afflux considérable aux portes de l’Europe, face aux destins brisés, face aux images, le cœur des Français parle mais ils sont également saisis par l’inquiétude.

La France doute souvent : de sa force, de ses capacités ou de son identité. Le défi des réfugiés, c’est l’occasion pour nous de nous révéler tels que nous sommes : une nation forte et généreuse, une nation qui a toujours guidé le monde et les peuples vers l’émancipation, la liberté, le droit, la dignité et la culture, une nation qui accueille l’opprimé tout en restant ferme sur ses valeurs : liberté, égalité, fraternité et laïcité, car consciente que c’est cette fermeté qui garantit la pérennité et la force des principes qui la constituent.

Oui, c’est son honneur, la France accueillera les migrants qui, sinon, mourraient aux portes de l’Europe.

Elle assumera ses valeurs, à la hauteur de son rang, à la hauteur de l’exigence que, nous-même, nous nous fixons, à la hauteur de ce qu’elle attend de la solidarité européenne.

Si la France agissait sans maîtrise, sans fermeté, elle affaiblirait la réalité de son message universel et les conditions concrètes de l’accueil des réfugiés, que nous voulons exemplaires. C’est toute la différence entre le devoir d’accueillir celui qui est entre la vie et la mort et la possibilité de faire venir celui qui, légitimement, voudrait faire évoluer ses conditions de vie.

Au fond, nous le voyons bien, le moment que nous vivons est empli de gravité : crise des migrants, défi climatique, menace terroriste. Dans ce monde instable, nos nations peuvent courir le risque de basculer.

M. Pierre Lellouche. En effet !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Aussi, plus que jamais, la responsabilité de ce Gouvernement, et peut-être aussi de ceux qui ont gouverné, c’est de tenir bon, d’envoyer au monde, à l’Europe, à nos partenaires, à nos voisins, mais aussi aux Français, ce message de constance, de maîtrise et d’unité indispensable sur un tel sujet, car ceux qui voudront, pour des raisons électorales, utiliser l’immigration, la crise des réfugiés…

M. Laurent Furst. C’est vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …se trompent lourdement et le paieront cher à un moment ou à un autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

La France, souveraine dans l’Europe qu’elle a contribué à bâtir, assume ses devoirs, reste fidèle à ses valeurs et assume pleinement ses choix. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur de nombreux bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupé écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Nous en venons aux intervenants désignés par les différents groupes de l’Assemblée.

La parole est à Mme Valérie Pécresse, pour le groupe Les Républicains.

Mme Valérie Pécresse. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, l’Europe vit en ce moment l’une des plus graves crises migratoires de son histoire.

La détresse, le désespoir et les drames qui poussent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à frapper à nos portes interpellent la conscience de chacun d’entre nous. Plus qu’aucun autre pays au monde sans doute, notre pays, la France, a fait de la protection de ceux qui sont menacés une valeur enracinée dans son histoire.

Il y a tout juste un an, avec François Fillon, Pierre Lellouche et Éric Ciotti, nous nous sommes rendus au Kurdistan irakien dans les camps de réfugiés. Nous avons vu la détresse, le dénuement de ces populations qui avaient tout abandonné et tout perdu. Nous avons entendu les récits bouleversants des atrocités commises par Daech, les enlèvements d’enfants, les viols de femmes et les assassinats de sang-froid. Ces témoignages poignants resteront gravés dans ma mémoire.

Tous, que ce soient les chrétiens, les Irakiens chiites, ou les yézidis, après avoir commencé par nous demander des visas pour partir, nous ont dit : « notre souhait le plus cher est de rentrer chez nous ». C’est aussi ce que me disait il y a quelques jours Jinan Badel, cette jeune irakienne yézidie de dix-neuf ans qui a échappé à l’enfer de ses bourreaux. Au Président de la République, qui lui proposait l’asile, elle a dit non. Elle lui a demandé d’armer les Kurdes pour qu’elle puisse un jour retourner vivre dans son village du mont Sinjar. N’oublions jamais leur message.

C’est en faisant de la guerre contre Daech la grande cause de toutes les grandes nations, y compris l’Iran et la Russie, y compris la Turquie et les pays du Golfe, que nous apporterons la solution à cet exode. Seul le retour de la paix en Syrie et en Irak permettra de tarir le flux des réfugiés. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

Mais, soyons lucides, ce que nous vivons aujourd’hui n’est que le paroxysme d’une crise qui, inexorablement, monte depuis des mois, et ce que nous payons trop aujourd’hui, c’est l’indifférence et l’impuissance de nombreux responsables en France, en Europe et dans le monde.

Dès juillet 2014, avec cinquante parlementaires Républicains, nous avions adressé au Président de la République une lettre ouverte pour l’interpeller sur la situation des chrétiens et des minorités persécutées par Daech.

Quelques mois plus tôt, j’avais pris l’initiative de créer avec Véronique Besse un groupe d’études sur les chrétiens d’Orient. Je suis fière de voir qu’il regroupe aujourd’hui plus de 130 députés sur tous nos bancs.

Notre regard s’est immédiatement porté sur les premiers pays qui ont dû faire face à cet exode massif, le Liban, la Jordanie et la Turquie, car c’est par ces pays que transitent d’abord les victimes des violences aveugles de Daech et de Bachar al Assad, qui risquent ensuite de gagner l’Europe. Notre devoir moral est de leur venir en aide vigoureusement car ils sont déstabilisés par les conséquences sociales, économiques et politiques de l’accueil de ces millions de familles déplacées. C’est pourquoi, comme nous y invite le haut-commissaire aux réfugiés Antonio Guterres, je souhaite que le Gouvernement les rende éligibles en priorité à nos financements d’aide au développement pour leur permettre d’héberger, de nourrir et de scolariser toutes ces familles.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

Mme Valérie Pécresse. Votre gouvernement doit aussi user de toute son influence auprès des pays du Golfe pour qu’ils prennent enfin une part plus juste au regard de leur richesse dans l’accueil des victimes de la guerre.

M. Pierre Lellouche. Enfin, en effet !

Mme Valérie Pécresse. Depuis des mois, avec l’aide de nombreuses personnalités, nous avons cherché à secouer les indifférences et à mobiliser les consciences. Rendons hommage ici devant la représentation nationale à tous les élus, à toutes les associations et à tous les Français anonymes dont la solidarité s’est manifestée partout depuis des mois, sans tambour ni trompette, sans tri dans les détresses, que ce soit en faisant des dons ou en accueillant des réfugiés, sans attendre que l’Europe s’émeuve de la situation, sans attendre que votre gouvernement le leur demande. Ce mouvement de solidarité, je tiens à le dire ici, Les Républicains y ont pris toute leur part.

Mais notre devoir d’humanité ne doit pas nous faire oublier notre devoir de responsabilité, et notre responsabilité, c’est de dire clairement que les migrants qui frappent aux portes de l’Europe sont dans des situations très différentes.

Il y a d’abord les réfugiés politiques, qui sont persécutés pour leurs origines, leurs croyances, leurs convictions et qui doivent trouver l’asile en France.

Il y a ensuite les réfugiés de guerre, qui fuient la violence d’un conflit. Ils doivent être accueillis temporairement et ont vocation à rentrer chez eux une fois la paix revenue. Si cette distinction existe dans la Convention de Genève, elle devrait se traduire plus concrètement dans notre politique migratoire, et ce n’est pas le cas.

Il y a enfin les migrants économiques, que, compte tenu de la gravité de la crise que nous traversons, nous n’avons plus aujourd’hui la capacité d’accueillir, de loger, d’employer et d’intégrer. Souvenez-vous, monsieur le Premier ministre, c’est votre « père » en politique, Michel Rocard, qui l’a dit lui-même, nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. …mais la France doit savoir en prendre sa part !

Mme Laurence Dumont. On fait dire ce qu’on veut à une phrase tronquée !

Mme Valérie Pécresse. Notre devoir d’humanité ne doit pas nous faire oublier notre devoir de responsabilité.

Nous devons donc impérativement faire respecter la loi et, pour cela, renforcer l’efficacité des contrôles.

Cela suppose de refonder entièrement Schengen. Les accords de Schengen sont à bout de souffle dès lors que n’arrivons plus à faire respecter les frontières extérieures de l’Europe ni à élaborer une politique migratoire commune. La vision angélique de Schengen, qui accorde les mêmes droits aux Européens et aux non Européens en matière de libre circulation n’est plus soutenable dans le contexte d’aujourd’hui. L’Allemagne, elle-même, en remettant des contrôles à ses frontières, a levé ce tabou.

Nous devons aussi renforcer les procédures de contrôle pour écarter immédiatement de l’asile, de préférence avant qu’elles aient franchi les frontières de l’Union européenne, les personnes issues de pays reconnus comme sûrs au niveau européen. Je pense par exemple aux ressortissants des Balkans ou de certains pays d’Afrique subsaharienne. Une liste commune de pays sûrs doit être élaborée rapidement.

Ensuite, il faut s’assurer que ceux qui rentrent sur notre territoire ne sont pas enregistrés par nos services comme ayant un lien avec une activité terroriste. Dans un contexte de menace sans précédent, je le dis clairement, il ne peut pas y avoir d’accueil sans filtrage.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Bien sûr ! Cela va de soi !

Mme Valérie Pécresse. Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, l’État doit assumer intégralement ses responsabilités. Vous ne pouvez pas lancer des appels aux maires sans que soit compensée par l’État la charge financière que vous allez mettre sur leurs épaules. Il y a un paradoxe à matraquer financièrement les communes quand il s’agit de boucler votre budget et les appeler au secours quand vous êtes débordés par les réfugiés. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

L’hébergement d’urgence, c’est une responsabilité de l’État. Que pèsent les 1 000 euros que vous avez annoncés quand la Cour des comptes estime le coût d’un demandeur d’asile à 13 000 euros par an ? Ce n’est pas aux habitants des communes d’accueil de subir au travers de la fiscalité locale la charge de l’arrivée des réfugiés.

M. Michel Herbillon. Absolument !

Mme Valérie Pécresse. C’est à l’État, avec le soutien de l’Europe, d’assumer sa responsabilité.

C’est aussi à l’État de respecter la liberté des collectivités locales en reconnaissant que l’accueil des demandeurs d’asile dans les communes ne peut se faire que sur la base du volontariat.

M. Christian Jacob. Très bien !

Mme Valérie Pécresse. La réalité, c’est que nos structures d’hébergement sont saturées parce qu’y demeurent à la fois des déboutés du droit d’asile et des migrants économiques en situation irrégulière.

Nous devons renvoyer les immigrés illégaux chez eux pour pouvoir accueillir les réfugiés. Il y va de l’autorité de l’État et de notre pacte social.

Comment les Français, qui voient chaque jour combien la loi peut s’appliquer durement à leur égard, peuvent-ils accepter que l’État soit aussi laxiste quand il s’agit d’appliquer à des migrants les règles qui fondent notre pacte républicain ? Sans respect intransigeant de la loi, et c’est votre mission de la faire respecter, il ne peut y avoir de politique migratoire ressentie comme juste par nos compatriotes.

Vous l’avez dit vous-même, « les étrangers en situation irrégulière ont vocation à retourner chez eux ». Or nous savons tous qu’il y a des centaines de milliers d’étrangers en situation irrégulière qui vivent sur notre territoire et qui sont connus des services administratifs, ne serait-ce que parce qu’ils bénéficient de l’aide médicale d’État. (Murmures sur divers bancs.)

Les chiffres sont sans appel, quatre demandeurs d’asile sur cinq sont déboutés, 1 % seulement des déboutés sont effectivement renvoyés chez eux, et je ne parle même pas des migrants économiques. Sur les 87 000 décisions d’éloignement prononcées en 2014 dans notre pays, à peine plus de 20 % d’entre elles ont été effectivement mises en œuvre. Les résultats du Royaume-Uni, sont sans commune mesure puisque 80 % des décisions d’éloignement y sont exécutées. En Allemagne, c’est 60 %.

Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : le renvoi des illégaux est possible, c’est une question de volonté. D’ailleurs, selon vos propres services, il y a eu en 2014 25 % de retours en moins qu’en 2012 : 9 000 retours en moins, comment cela se justifie-t-il ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est faux !

Mme Valérie Pécresse. Quand on regarde ce que font nos voisins et quand on voit vos résultats, on comprend que, dans votre politique migratoire vous avez oublié le pilier fermeté, et que vos martiales proclamations sont restées lettre morte. Ce n’est plus supportable pour les Français.

Humaine avec les réfugiés, intransigeante avec les illégaux, la France devrait enfin tout faire pour prévenir les migrations dès leur origine, c’est-à-dire mener une véritable politique de co-développement.

C’est ce que l’Espagne a su faire de manière pragmatique et efficace avec la Mauritanie et le Sénégal, en donnant une aide au développement économique en contrepartie d’une participation de la police espagnole aux contrôles des frontières de ces pays, y compris les frontières maritimes. Les résultats ont été spectaculaires.

La France aussi avait avancé sur cette piste. Entre 2007 et 2009, nous avions signé une dizaine d’accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement avec le Sénégal, le Burkina Faso, le Cameroun, le Gabon, le Congo, la Tunisie, le Bénin, mais, avec votre majorité, vous avez considéré que mêler aide au développement et maîtrise des flux migratoires était inconvenant et, par idéologie, vous avez laissé dépérir le volet co-développement de ces conventions. C’est un contresens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

Voilà pourquoi, monsieur le Premier ministre, nous vous appelons à un sursaut et à refonder entièrement notre politique migratoire autour du respect de la loi et des valeurs de la République.

Au cœur de toute politique migratoire, il y a un équilibre à trouver entre fermeté et humanité, et cet équilibre, ce ne sont pas des mots mais des actes. Aujourd’hui, votre politique est profondément déséquilibrée et ce déséquilibre, nous devons vous en avertir, menace gravement notre cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, ils empruntent par dizaines de milliers les chemins d’un espoir incertain. Certains meurent en traversant la Méditerranée dans des embarcations de fortune, d’autres meurent entassés dans des camions abandonnés sur le bord de la route en fuyant la barbarie, la guerre, les persécutions. Ils sont contraints de quitter la terre qui les a vus naître et d’abandonner leurs racines, condamnés à l’exil dans l’attente, dans l’espoir sans doute, de revoir leur pays.

Dans leur immense majorité, ces hommes et ses femmes qui mettent leurs vies en péril pour rejoindre l’Europe ne sont pas des migrants économiques. Ils sont Syriens, Irakiens, Afghans, Érythréens ou Soudanais. Ils ne sont pas à la recherche d’un emploi ou avides de prestations sociales avantageuses.

Leur mort est insupportable pour la conscience humaine, leur arrivée constitue un défi immense pour les États qui doivent les accueillir.

Disons-le sans détours : leur accueil, même lorsqu’il leur permet de vivre libres et le plus dignement possible, ne constitue pas une réponse suffisante. Il est un impératif moral, un devoir éthique. Mais la crise que nous connaissons a un nom : Daech, monstre enfanté par la barbarie et par les renoncements coupables de la communauté internationale. Seule son éradication y mettra fin.

M. Meyer Habib. Très bien !

M. Philippe Vigier. L’exigence est donc de construire une coalition internationale associant la Russie, l’Iran et les pays de la région, qui pourra intervertir sous l’égide des Nations unies et définir une solution politique concertée pour stabiliser la zone de manière durable. Il appartient à la France de mener, avec toutes celles et ceux qui placent la dignité humaine au-dessus de tout, cette lutte implacable, longue et violente, que seul un combat peut justifier, celui mené contre la barbarie.

Il y a également et surtout l’urgence humanitaire, qui doit appeler une réponse de la communauté internationale, de l’Europe et de la France à la hauteur du défi historique. Face à ces familles de migrants, charriées sur nos rivages, pouvons-nous rester passifs ? Non ! Nous ne le pouvons pas !

M. Bertrand Pancher. Bravo !

M. Philippe Vigier. L’Europe et ses États se sont rendus coupables d’inaction et d’hésitations, voire de manquements, lorsque la Hongrie érige un mur de barbelés et déploie son armée face à ceux qui fuient pour sauver leurs vies. Que dire de la France, pays des droits de l’homme, qui a balbutié ses valeurs avant de suivre la voie tracée par l’Allemagne ? Nous n’ignorons rien des tensions qui traversent notre pays : l’immigration irrégulière et les échecs de notre modèle d’intégration qui nourrissent des amalgames, des peurs et des rejets.

Aussi, nous le disons clairement : nous devons lutter avec fermeté contre les clandestins, les arrêter et les renvoyer dans leur pays. Nous devons également suspendre le regroupement familial des migrants économiques pour accueillir prioritairement ceux qui en ont le plus besoin. C’est même une condition essentielle pour garantir un accueil digne aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, à qui nous devons protection.

Nous soutenons la décision tardive, mais courageuse, du Président de la République d’accueillir 24 000 réfugiés et nous saluons la volonté de Bernard Cazeneuve de combattre avec détermination l’immigration illégale. Nous soutenons cette décision parce qu’elle fait l’honneur de la France, dont l’histoire se confond avec celle de l’immigration.

M. Jacques Krabal. Très bien !

M. Philippe Vigier. Que serait la France sans les immigrés anonymes ou engagés qui, par leur travail, leur talent, leur amour de la République, leur sang versé pour défendre notre liberté, ont contribué au développement culturel et économique de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

La France est plurielle. Elle est belge et italienne quand arrive la révolution industrielle. Elle est polonaise, russe et arménienne, lorsque, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle n’est plus qu’un champ de ruines. Elle est espagnole et africaine lorsqu’elle connaît l’espoir des « Trente glorieuses ». Face à cette crise migratoire, nous devons être à la hauteur de notre histoire et de nos valeurs.

M. Michel Piron. Très bien !

M. Philippe Vigier. Nous le serons à trois conditions.

La première, c’est de mettre en œuvre les mécanismes permettant de distinguer les réfugiés, auxquels nous devons l’asile, des clandestins, qui ont vocation à être renvoyés dans leur pays d’origine. Il est urgent de sécuriser les camps de réfugiés, avec des forces d’interposition placées sous mandat de l’ONU, et d’installer des centres d’accueils dans les pays d’origine ou de transit. Nous éviterons ainsi les drames, en instruisant les demandes d’asile sur place et nous pourrons également contenir la poussée de l’immigration irrégulière.

La deuxième condition, c’est de créer une politique migratoire et d’asile commune. Je salue à ce propos le travail effectué par notre collègue Arnaud Richard sur le droit d’asile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Il n’est même plus ici question de suspendre les accords de Schengen ou de les préserver à tout prix. L’espace Schengen est mort ! Il n’existe plus ! Il vient d’exploser sous la pression migratoire.

Certains se réjouissent du retour des frontières. En réalité, si nous sommes pris de vitesse et débordés, c’est parce que les Européens, qui ont choisi d’avoir des frontières communes, ont été incapables de mettre en place une politique migratoire commune et de sécuriser ces mêmes frontières. Nous n’avons pas besoin de frontières supplémentaires, mais d’une Europe plus forte et mieux sécurisée.

Cette politique migratoire commune passera par le recensement de nos besoins démographiques et économiques, par l’harmonisation urgente des systèmes de traitements des demandes d’asile et par la prise en compte précise des spécificités de chaque État, afin qu’ils participent tous – je dis bien tous ! – à l’effort d’accueil en fonction de leurs capacités.

La France ne peut accueillir le même nombre de réfugiés que l’Allemagne, ne serait-ce que parce que notre marché du travail est incapable d’absorber autant de main-d’œuvre que le leur. Cette politique passe aussi par un contrôle rigoureux aux frontières de l’Europe, exercé par un corps européen de garde-frontière, ainsi que par le renforcement de l’agence Frontex.

Enfin, nous devons être les fers de lance d’une politique ambitieuse et visionnaire, en matière d’aide au développement. Il est aujourd’hui vital de favoriser les grands projets de développement pour permettre des progrès économiques, sociaux et écologiques, et d’irriguer les parties du monde dans lesquelles le fondamentalisme prospère sur la misère, dans lesquelles l’énergie et l’eau manquent ou dans lesquelles les dérèglements climatiques contraignent des milliers de familles à partir. C’est le sens de l’initiative « Énergies pour l’Afrique » que Jean-Louis Borloo porte et qui doit être soutenue.

M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. Philippe Vigier. Ce défi, vous l’avez compris, est colossal et inédit. Il nous impose de nous protéger de nouvelles menaces et de repenser totalement notre système d’intégration, d’ores et déjà soumis à rude épreuve. Bien sûr, il y a la question des places d’hébergement, des aides et de la mobilisation des collectivités territoriales. Nous faisons confiance aux élus locaux et aux associations qui, partout sur le territoire, se sont déjà engagés.

Mais il appartient à l’État de définir une ligne directrice ferme, pour que ces réfugiés s’intègrent dans de bonnes conditions, qu’ils apprennent la langue française, les droits et les devoirs de la République, en particulier les droits des femmes.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Très bien !

M. Philippe Vigier. Cette crise peut être une occasion unique de nous rappeler d’où nous venons, de nous souvenir que la France nous unit au-delà de nos différences d’origine, de milieu social, de croyances religieuses ou d’opinions politiques, de nous rappeler pourquoi le respect de la dignité humaine est notre bien le plus précieux, que la démocratie doit être chérie et que nous devons être intransigeants face à l’engrenage de la haine, de l’intolérance, du racisme et de la violence.

Ce peut être également une occasion unique de remettre l’école et l’éducation au cœur de notre vivre ensemble et de ranimer ainsi l’esprit défunt de notre République, qui veut que chacun puisse s’élever au-delà de sa condition.

M. Jean-Luc Laurent. Quel dommage qu’il n’y ait pas plus de Républicains pour écouter cela !

M. Philippe Vigier. Ce serait aussi une occasion unique de repenser nos relations avec les pays méditerranéens, avec l’Afrique et le monde arabe, et de construire une Europe plus unie et plus forte, qui sera solide face aux mutations majeures que connaît le monde : défis écologique, sécuritaire, démographique, économique, social et culturel.

Du fond de l’adversité, mes chers collègues, notre vieux continent européen et ce vieux pays d’immigration et de liberté qu’est la France peuvent envoyer un message au monde en accueillant ces réfugiés avec bienveillance et générosité. Nous n’avons pas peur du lendemain. Ici, avec celles et ceux qui ont été arrachés à leur patrie, qui enrichiront demain notre communauté par leur intégration et leurs accomplissements, nous regardons l’avenir avec confiance et exigence. (Applaudissements sur tous des bancs.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, mesdames les ministres, messieurs les ministres, chers collègues, l’Europe fait face à un afflux exceptionnel de réfugiés avec des drames insoutenables, presque quotidiens. Ces réfugiés sont chaque jour plus nombreux à risquer tantôt la détention tantôt la mort sur la route de l’Europe. Ces risques, ils les prennent en connaissance de cause, car ils fuient la violence et la guerre.

L’agence Frontex a comptabilisé plus de 100 000 personnes aux frontières de l’Union européenne au mois de juillet et, selon le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, plus de 380 000 migrants et réfugiés sont arrivés par la Méditerranée depuis janvier. La grande majorité sont bien des réfugiés, puisqu’ils sont originaires de pays en conflit : 51 % sont des Syriens, 14 % des Afghans, 8 % des Érythréens, 4 % des Irakiens, 2 % des Somaliens et 2 % des Soudanais.

Cette crise humanitaire a des raisons connues. D’abord la tragédie syrienne : ce sont plus de 6 millions de déplacés internes sur moins de 23 millions d’habitants et 4 millions de Syriens qui ont fui la Syrie. Aujourd’hui, c’est le Liban, pays de 4 millions d’habitants, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens avec plus de 1,5 million de personnes. Rapporté à la population française, cela équivaut à 24 millions de réfugiés.

Ces chiffres mettent en lumière l’ampleur de la tragédie et illustrent a contrario l’obscénité de certains responsables – certaines responsables, allais-je dire – qui préfèrent s’aligner sur la droite extrême plutôt que de se montrer dignes de notre tradition d’accueil. Si les gouvernements européens et l’Union ont tardé et tardent encore à prendre des décisions à la hauteur de la situation, les opinions publiques ont fait leur apparition dans le débat, ce qui est une très bonne nouvelle. Certaines communes ont également rejoint ce mouvement.

La mobilisation de la population, en Allemagne comme en France, a été exceptionnelle ces dernières semaines. Nombreux sont nos compatriotes qui proposent de recevoir des réfugiés chez eux ou qui collectent des dons en faveur des exilés. Des prises de position des artistes, des sportifs et des églises démontrent que le refus et la peur ne sont pas majoritaires dans notre pays et que nombre de nos concitoyens se mobilisent en faveur de la solidarité et de l’accueil.

L’Allemagne a annoncé vouloir accueillir 800 000 réfugiés cette année. C’est d’ailleurs elle qui reçoit le plus de demandes d’asile, avec un peu plus de 200 000 demandes sur un total de 626 000 dans l’Union européenne, suivie de la Suède et de l’Italie. Pour faire face à cette politique, le gouvernement d’Angela Merkel a débloqué un crédit de 6 milliards d’euros et décidé de construire en urgence 300 000 logements.

Chers collègues, face au plan de la Commission de répartir 160 000 réfugiés dans les pays de l’Union, la France s’est engagée à accueillir 24 000 réfugiés en deux ans, en plus des 6 750 déjà prévus par l’Union européenne. Si cette annonce doit être saluée, elle demeure néanmoins d’une modestie frileuse, d’autant que notre pays a connu une diminution substantielle du nombre de demandeurs d’asile en 2014 par rapport à l’année précédente. En effet, la France enregistre 62 800 demandeurs, soit 10 % des demandes dans l’Union, et son taux de réponses positives est, lui aussi, loin d’être le plus élevé, puisqu’il est d’à peine 30 % contre 45 % en moyenne dans l’Union européenne.

Dans l’urgence, 1 000 demandeurs d’asile arrivés en Allemagne seront également accueillis en France. Le ministère de l’intérieur a en outre annoncé un soutien exceptionnel et forfaitaire à la mobilisation des communes qui créeront sur leur territoire des places d’hébergement supplémentaires d’ici à 2017, pour un montant de 1 000 euros par place d’hébergement.

Des dispositifs complémentaires seront également débloqués pour les propriétaires publics ou privés qui souhaitent contribuer à cet effort de solidarité, selon le Gouvernement. Ces mesures nécessaires doivent s’accompagner d’un discours politique volontaire et courageux. Il est grand temps pour les pays européens de parler un langage de vérité. L’Union européenne, c’est d’abord et avant tout un projet politique de paix et de solidarité. Déroger à ces principes, c’est trahir nos valeurs.

À ce titre, il faut saluer le discours clair et assumé de François Hollande sur la tradition d’accueil de la France, tenu lors de la conférence de presse de rentrée, de même que la lettre commune du Président et de la Chancelière envoyée la semaine dernière aux autorités européennes, appelant à la responsabilité de chaque État membre et à la solidarité de tous. Cet appel solennel au respect des règles du droit d’asile, tant en matière d’étude des dossiers que d’hébergement, et à terme à un système d’asile européen unifié est une nécessité, et même une urgence.

La question d’une répartition des réfugiés, qui doit s’opérer équitablement et dans un esprit de solidarité entre les États membres, devra faire le plus rapidement possible l’objet de discussions sérieuses.

Ce texte soulève néanmoins des interrogations, notamment sur la création, au plus tard avant la fin de l’année, de ces centres appelés pudiquement « hot spots », où migrants économiques et demandeurs d’asile seraient triés dès leur arrivée en Grèce et en Italie, sans que l’on sache vraiment comment se fera ce tri et selon quels critères.

Se pose également le problème – vous l’avez évoqué, monsieur le Premier ministre –– de l’établissement d’une liste commune des pays d’origine sûre dans laquelle figureraient des pays candidats à l’Union européenne dans les Balkans, région où la question des minorités ethniques n’est toujours pas totalement réglée, mais également la Turquie alors que celle-ci se livre, depuis quelques semaines, à des attaques et à des opérations punitives contre les Kurdes.

Le statu quo, chers collègues, n’est plus tenable. Il faut réadapter les règles européennes car la solution est à cette échelle. La répartition des réfugiés, désormais revendiquée par l’Union, entre en contradiction avec le règlement Dublin, qui prévoit que les demandes d’asile soient traitées dans les pays où les réfugiés sont enregistrés. Le traité Schengen, pourtant défendu par les dirigeants français et allemand dans une lettre commune, se trouve également mis sérieusement en question et affaibli puisque l’Allemagne a réintroduit provisoirement des contrôles à ses frontières afin de contenir l’afflux de réfugiés. Je rappelle qu’il y a quelques mois, à Vintimille, à la frontière entre la France et l’Italie, un renforcement des contrôles policiers côté français avait bloqué des réfugiés qui voulaient entrer en France et avait provoqué une montée des tensions entre les deux pays.

Face à cet énorme défi et pour répondre de manière efficace à la crise des réfugiés qui met en lumière l’insuffisance des coordinations des politiques européennes et l’incohérence des actions menées, il est urgent d’avoir une stratégie européenne en matière d’asile. En effet, les États membres doivent agir de façon solidaire et coordonnée, notamment pour venir en aide aux pays qui sont en première ligne. Il s’agirait d’abord d’instaurer un mécanisme d’urgence obligatoire pour une répartition équitable des réfugiés entre les États membres, ce qu’a proposé la Commission européenne le 9 septembre dernier. Par ailleurs, la proposition de la Commission de répartir d’urgence 40 000 réfugiés en provenance d’Italie et de Grèce – d’ailleurs à l’initiative des Verts européens – a réuni une large majorité au Parlement européen sur plusieurs points essentiels : une répartition contraignante qui oblige tous les États membres à reloger les réfugiés selon leurs capacités ; la nécessité d’une plus grande solidarité et d’un nombre significativement plus élevé de places de réinstallation ; la prise en compte des préférences des réfugiés vers certains États membres en fonction de liens déjà existants tels que des liens familiaux ou des compétences linguistiques.

Les écologistes demandent également à la Commission européenne de faire une proposition pour une révision du système de Dublin qui devrait être remplacé par un système de solidarité et de responsabilité partagée, équitable à la fois pour les États de l’Union et pour les demandeurs d’asile. Car, on le voit bien, le système de Dublin est un échec qui créé des déséquilibres insoutenables entre les différents États. De plus, la Commission devrait également présenter une proposition visant à permettre la reconnaissance mutuelle des décisions d’asile positives afin que les personnes bénéficiant d’une telle protection jouissent du même droit de libre circulation en Europe que les citoyens de l’Union.

Par ailleurs, nous avons dit lors du débat sur la réforme de l’asile – nous n’étions pas les seuls puisque le représentant de l’UDI l’avait également souligné – que les demandeurs d’asile doivent avoir accès au marché du travail durant l’examen de leur demande d’asile, proposition d’ailleurs formulée récemment par Jean-Claude Juncker.

Enfin, pour offrir un accès sûr et légal à l’Union, les États membres doivent faire pleinement usage des possibilités existantes pour délivrer des visas humanitaires. Nous avons dès maintenant besoin de règles européennes communes plus fortes dans le code communautaire des visas. Plus largement, la Commission européenne devrait faire une proposition pour établir un code européen des migrations afin de faciliter une migration légale pour les ressortissants de pays tiers.

Chers collègues, nous avons accueilli avant-guerre des Polonais, des Italiens des Espagnols – vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre. En 1979, politiques et intellectuels français mettaient leurs désaccords de côté – souvenons-nous de la fameuse photo où Sartre et Aron se tenaient la main sur le perron de l’Élysée – et notre pays accueillait 120 000 réfugiés vietnamiens et cambodgiens. Une telle unité est-elle si loin, si impensable aujourd’hui ? C’était en 1979, et la crise des boat-people dominait les journaux de 20 heures de nos télévisions, avec des images de familles entières dans des embarcations de fortune en mer de Chine, menacées par les pirates, les requins, les intempéries… des Vietnamiens et des Cambodgiens fuyant la dictature et les persécutions ethniques, rackettés pour pouvoir partir et sans savoir où aller. Notre pays a été exemplaire il y a trente-cinq ans et n’a jamais eu à le regretter. Nous pouvons être cette France, pays des droits de l’homme et terre d’asile. Il y va de nos valeurs et aussi de la crédibilité du projet européen. La France dont rêvent tant de réfugiés, ce pays dont a rêvé, elle aussi, ma famille avant de le rejoindre, il m’est arrivé ces derniers mois de le chercher. Mais je sais du fond du cœur que cette France existe quand notre pays se montre fidèle à ses valeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, messieurs les secrétaires d’État, chers collègues, depuis 2011, ce sont quatre millions de Syriens qui ont fui leur pays, soit presque 20 % de la population… Ce chiffre à lui seul explique ce que nous voyons chaque jour défiler sous nos yeux : un afflux historique de populations qui fuient la guerre et ses horreurs, d’abord vers des pays limitrophes comme le Liban où plus d’un million et demi de Syriens ont trouvé refuge, mais aussi vers la Turquie ou encore vers la Jordanie.

Face à ce défi considérable, la France n’est pas restée sans rien faire. Le Gouvernement a décidé d’affecter à l’Agence française de développement 15 millions d’euros supplémentaires pour aider les réfugiés accueillis dans ces pays. La France va également renforcer ses efforts en faveur des agences humanitaires telles que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Comité international de la Croix-Rouge pour aider, dans les zones en conflit, les populations persécutées. Depuis le début du conflit, la France a déjà reconnu le statut de réfugié à plus de 6 000 Syriens. Mais nous devons aller plus loin car nous savons que tous les jours, depuis le début de la guerre en Syrie, des hommes, des femmes et des enfants risquent leur vie pour atteindre l’Union européenne, laissant derrière eux leur histoire, leurs proches et éventuellement leur métier. Ces hommes, ces femmes, ces enfants ne sont pas des migrants, pas encore des réfugiés, ce sont des demandeurs d’asile. Ils doivent obtenir rapidement le statut de réfugié dès lors qu’ils en relèvent au sens de la Convention de Genève, c’est-à-dire qu’il s’agit de personnes « qui ont fui leur pays en raison de persécutions, d’un conflit aimé, d’une violence aveugle, d’une agression étrangère ou d’autres circonstances ayant gravement perturbé l’ordre public et qui, pour cela, requiert une protection internationale. » Ces hommes, ces femmes et ces enfants sont nos semblables, nous leur devons assistance et répondre à leur détresse.

Pour nous radicaux de gauche, l’accueil des réfugiés s’impose non seulement comme une obligation juridique mais comme un impératif politique. En vertu de notre attachement au principe du droit d’asile, principe fondateur de notre socle républicain et qui, je le rappelle, est reconnu depuis notre Constitution de 1793, nous avons le devoir de les accueillir avec bienveillance, de les protéger et de leur permettre de vivre dignement sur notre territoire. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons nous rappeler que sur le fronton de nos mairies et de nos écoles, la République a inscrit cette devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Trop souvent, nous oublions le principe de fraternité qui est pourtant le ciment de notre société, de notre république. L’esprit de fraternité est celui qui nous unit et qui nous réunit autour de valeurs inaliénables, celui qui nous rend solidaires. C’est un devoir, une exigence républicaine qu’il nous faut respecter et ne jamais oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Aujourd’hui, l’heure n’est plus aux déclarations indignées ni aux propos volontairement provoquants et dénigrants : le temps presse, nous devons agir car nos efforts, quoique réels, sont pour l’instant insuffisants face à l’ampleur du désastre humanitaire. Nous devons changer notre regard sur ces personnes qui sont, je le souligne à nouveau, des demandeurs d’asile. Nous devons continuer à être à la hauteur des mots « France terre d’asile », et nous portons la responsabilité de les faire perdurer.

Cela étant dit, il faut reconnaître le travail engagé en France depuis plus de deux ans déjà et qui a permis l’adoption de la loi portant réforme de l’asile en juillet dernier. Un diagnostic de la situation en matière de droit d’asile a été fait à cette occasion et cette réforme, nous le pensons sincèrement, va lui redonner du sens en rendant la procédure de demande à la fois plus efficace et plus respectueuse des droits des demandeurs. Cette réforme s’accompagne de la création de 11 000 places d’hébergement supplémentaires pour les demandeurs et du renforcement du budget de l’OFPRA, ce dont nous sommes satisfaits. Depuis, le Président de la République s’est engagé à ce que notre pays accueille 24 000 réfugiés supplémentaires au cours des deux années à venir. Pour nous, c’est une grande satisfaction de voir la France continuer à prendre sa part à l’effort de solidarité, effort qui concerne l’ensemble des pays européens, membres de l’espace Schengen ou non.

Mes chers collègues, quelle tristesse de voir certains agiter les peurs et flatter les tentations du repli et de l’isolement : 24 000 personnes en deux ans, cela représente 12 000 personnes par an, soit un réfugié pour 5 500 habitants. Nous pouvons tous nous représenter ce qu’est une ville de 5 500 habitants… Est-ce vraiment insurmontable pour cette ville que d’accueillir et d’intégrer une personne par an ? La participation de plus de 600 maires, toutes tendances politiques confondues, répondant à l’invitation de M. le ministre de l’intérieur, démontre tout le contraire. Qu’est-ce que 24 000 réfugiés au regard des 150 000 juifs russes qui ont fui les pogroms à la fin du XIXe siècle, au regard des 500 000 républicains qui ont quitté l’Espagne de Franco en 1939, au regard des 123 000 boat-people vietnamiens et cambodgiens en 1979 ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg et M. André Chassaigne. Très juste !

Mme Jeanine Dubié. L’histoire nous montre que nous avons déjà assumé de tels mouvements migratoires. L’histoire nous jugera sévèrement si nous ne prenons pas la mesure du drame qui se joue actuellement à nos portes. À ce titre, les radicaux de gauche saluent la décision du Gouvernement d’accompagner financièrement les communes qui souhaiteront accueillir des réfugiés syriens. La nomination d’un préfet coordonnateur national va aider au déploiement du dispositif. Nous considérons néanmoins qu’au-delà de cette annonce, il faudra impérativement renforcer le budget consacré à l’asile au regard de ces besoins nouveaux lors des prochains débats budgétaires. Il est essentiel que ce dispositif exceptionnel d’accompagnement financier des communes s’articule avec les dispositions que nous avons votées récemment réformant le droit d’asile. Car pour que le système fonctionne, il faut que l’OFPRA soit capable d’instruire très rapidement la demande d’asile afin de pouvoir délivrer le statut de réfugié dans un délai de deux à trois semaines. Il ne suffit pas seulement de trouver un toit aux demandeurs d’asile : il faut aussi que l’État mette en œuvre un véritable soutien et un véritable accompagnement leur permettant de travailler, de scolariser leurs enfants et d’apprendre le français. C’est à ces conditions que nous leur permettrons de retrouver une trajectoire de vie acceptable loin de leur terre natale.

C’est aussi un enjeu qui mobilise de nombreux organismes, services sociaux, associations, bénévoles et élus qui s’efforcent, chaque jour, de donner une réponse à la fois humaine et efficace. Notre groupe rend hommage à leur action indispensable sur l’ensemble de notre territoire.

Mais, nous le savons tous ici et vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, cette crise des réfugiés dépasse le seul cadre national. C’est un défi qui doit être relevé à l’échelon européen et solidairement grâce à une politique de l’asile concertée et supranationale, une politique qui ait les moyens d’organiser leur accueil dans l’ensemble de l’Union. L’Europe doit parler d’une seule voix sur la question des réfugiés. Cette Europe de l’asile, c’est celle des accords de Schengen qui doivent continuer à être respectés. À cet égard, la décision de l’Allemagne, suivie par d’autres États tels que la Hongrie, de restaurer des contrôles d’identité à sa frontière avec l’Autriche ne doit en aucun cas remettre en cause les fondements de Schengen. Nous devons agir pour faire respecter les frontières extérieures de l’Europe…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Absolument !

Mme Jeanine Dubié. …en renforçant les moyens octroyés à Frontex et en créant, vous l’avez dit, des centres d’accueil et d’enregistrement.

Mais, à l’heure où la crise économique alimente la colère sociale et le populisme, l’Europe doit redéfinir son projet et ses structures. Elle doit renouer avec son idéal, avec le projet d’une Europe fédérale au service des peuples. Les États-nations doivent se refonder car leurs frontières n’ont plus de sens quand le terrorisme frappe, quand les conflits se multiplient, quand les entreprises sont multinationales et que la libre circulation est devenue la norme. L’Europe doit devenir un espace d’affirmation de ses valeurs, notamment des droits de l’homme dont celui de l’asile fait pleinement partie.

L’Europe de l’asile ne pourra toutefois se faire sans la participation de la Grande-Bretagne qui, pour éviter des situations semblables à celle des villes de Sangatte et de Calais, doit prendre toute sa part de l’effort européen. Elle ne pourra également se faire sans concertation avec la Turquie, carrefour entre l’Europe et le Moyen-Orient et qui accueille d’ores et déjà près de deux millions de Syriens.

Enfin, nous rejoignons le Gouvernement quant à la nécessité de se poser la question de la pacification des pays d’origine de ces réfugiés et de la résorption des conflits au Moyen-Orient. À plus long terme, notre responsabilité est aussi d’aider ces réfugiés, s’ils le souhaitent, à regagner leur terre en assurant leur sécurité avec l’espoir d’y retrouver un avenir meilleur.

Voilà, chers collègues, l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. C’est empreints de gravité face à la multiplication des situations tragiques que nous vous disons qu’il est temps de nous mobiliser afin d’apporter une réponse adaptée à l’ampleur de la crise, de faire reculer la haine et d’assurer en confiance un accueil digne, à la hauteur de nos principes républicains, à la hauteur de notre conception de l’humanisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, depuis le début du conflit syrien en 2011, on assiste à une hausse majeure du nombre de personnes forcées à fuir. La situation s’est dégradée sous nos yeux, mois après mois, année après année. L’année 2014 a constitué le record du nombre de morts en Méditerranée avec près de 3 500 personnes noyées.

Depuis le début de l’année, la tragédie continue : sur les 365 000 personnes ayant traversé la Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes, au moins 2 700 sont mortes lors du périple.

La situation est dramatique. Désormais, le conflit en Syrie entraîne le plus important déplacement de populations jamais enregistré à travers le monde. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dénombre ainsi plus de 4 millions de réfugiés syriens et 7,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur même de la Syrie.

Chacun doit bien avoir à l’esprit que les enfants, les femmes et les hommes qui échouent sur nos plages ou se heurtent aux barbelés quittent leur pays parce qu’ils n’ont pas le choix. Nous non plus, nous n’avons pas le choix. Il est de notre devoir de les aider. Il est de notre devoir de les accueillir ! Il est du devoir de la France de se montrer fidèle à sa tradition de terre d’asile en Europe et de prendre toute sa part dans l’accueil des réfugiés.

C’est cette volonté-là que nous devons avoir. Elle exige, dans ce qu’Aimé Césaire appelait le « combat de l’ombre et de la lumière » d’échapper à « la malédiction d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective », à ce qu’Albert Camus décrivait dans L’homme révolté comme une « autointoxication, la sécrétion en vase clos d’une impuissance prolongée ».

C’est une exigence morale au regard de l’Histoire et des valeurs de notre République. Mais c’est aussi une obligation juridique au regard du droit international. Rappelons d’abord, contrairement aux affirmations simplistes assénées par ces baillonneurs de la pensée que sont le Front national et une partie de la droite, que l’Europe et la France ne sont pas les premières terres d’exil des réfugiés :…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Absolument !

M. André Chassaigne. …la quasi-totalité des migrations actuelles ne se fait pas du Sud vers le Nord, mais du Sud vers le Sud !

Comme le souligne le dernier rapport du HCR, la répartition mondiale des réfugiés demeure fortement biaisée. Près de 90 % des réfugiés se trouvent aujourd’hui dans des régions et des pays considérés comme économiquement moins développés. Le Proche-Orient et Moyen-Orient concentrent à eux seuls un tiers des réfugiés dans le monde, avec 1,6 million de réfugiés en Turquie et 1,2 million au Liban.

Dans ce contexte exceptionnel, la demande d’asile en France reste stable. Avec 62 800 demandeurs d’asile en 2014, notre pays se place certes à la quatrième place du classement européen, derrière l’Allemagne, la Suède et l’Italie. Toutefois, rapportée à la population de chaque pays, la France ne se situe qu’au milieu du classement, avec seulement un demandeur d’asile pour 1 000 habitants. Et la France a été la seule à enregistrer en 2014 une baisse de sa demande d’asile de 5 %.

La France n’est plus une terre d’accueil telle qu’elle l’était. Elle est devenue essentiellement un pays de transit pour les réfugiés. Comparée à l’Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni, elle a perdu son pouvoir d’attraction, pour de multiples raisons : l’accès à un logement y est jugé trop long ; les démarches administratives sont complexes. Notre image est aussi ternie par les propos de certains élus de la République au cœur déraciné, qui défendent une conception sélective de l’asile sur une base confessionnelle. Des propos discriminatoires, inconstitutionnels et anti-républicains qui, comme vous l’avez fait, monsieur le Premier ministre, doivent être fermement condamnés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Enfin, soulignons également la faiblesse du taux d’acceptation de l’asile en France – c’est un fait, monsieur le ministre de l’intérieur. Avec 21,7 % en France contre 41,6 % en Allemagne et 76,8 % en Suède, il est beaucoup plus bas que dans la plupart des autres pays européens. Ce faible pourcentage n’est pas à la hauteur des enjeux.

Le Président de la République a pris l’engagement d’accueillir 24 000 demandeurs d’asile supplémentaires sur deux ans. Disons-le : ce chiffre ne représente que 0,6 % des 4 millions de réfugiés syriens.

De plus, en pratique, on peut s’interroger sur l’organisation de cet accueil au regard des multiples dysfonctionnements de notre système d’asile. Les places manquent en centre d’accueil, les dispositifs d’urgence sont saturés, les files d’attente devant les préfectures sont interminables et l’intégration des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire est peu satisfaisante.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a déjà souligné le 15 juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile, l’insuffisance des mesures proposées pour corriger ces dysfonctionnements et apporter une réponse durable à la crise migratoire. Aujourd’hui, la question des moyens qui seront effectivement mis en œuvre pour accueillir dignement les réfugiés est cruciale. L’État ne doit pas se défausser de ses responsabilités sur nos territoires dont beaucoup sont déjà exsangues.

La proposition que vous avez faite, monsieur le ministre de l’intérieur, d’offrir 1 000 euros à toute commune ou association créant une place d’hébergement d’ici deux ans paraît bien faible pour aider les collectivités territoriales.

Nous proposons pour notre part qu’une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – soit mise au service de l’accueil des réfugiés au lieu d’être inutilement accordée aux grandes entreprises. Face à la tragédie qui se joue aux portes de l’Europe, aucun pays ne peut répondre seul à la crise migratoire. La solution ne peut être que collective et globale. Les 28 États membres de l’Union européenne doivent agir de concert.

Jusqu’à présent, l’Europe a failli à trouver une réponse commune efficace à cette crise. Pourtant, l’Union européenne, première puissance économique mondiale, qui rassemble 500 millions d’habitants, est tout à fait capable d’accueillir quelques centaines de milliers de réfugiés !

L’absence de réactivité européenne ne relève pas d’un manque de moyens mais d’un manque de volonté politique. L’échec de la réunion de lundi dernier sur la répartition de 120 000 réfugiés en est la triste illustration. L’arrivée des réfugiés et leur prise en charge sont ingérables car les dirigeants européens ont fait le choix de construire une Europe forteresse. L’Europe s’est enfermée – au sens propre comme au figuré – dans une pure logique sécuritaire de contrôle de l’immigration.

C’est précisément cette logique, accompagnée du renforcement de la protection aux frontières, qui conduit certains pays à priver les réfugiés de leurs droits les plus élémentaires. Il est grand temps que l’Union européenne se montre à la hauteur des valeurs qu’elle proclame et de ses responsabilités. « Il est grand temps de rallumer les étoiles », comme l’écrivait Guillaume Apollinaire.

Dans les discours, certains dirigeants européens, notamment français, semblent avoir pris la mesure de l’urgence à agir. Dans les faits, le gouvernement français doit maintenant peser de tout son poids, au sein de l’Union européenne, pour apporter une solution globale et collective à la crise migratoire, fondée sur la solidarité et la responsabilité.

Des mesures concrètes et durables doivent être prises. Il faut notamment créer davantage de moyens légaux pour parvenir en Europe, afin de permettre aux réfugiés d’échapper aux passeurs. La couverture des principales routes méditerranéennes doit être améliorée en matière de secours.

Parallèlement, il faut s’attaquer aux racines de la crise et trouver une solution politique au conflit syrien et aux autres conflits de la région, auxquels plusieurs États occidentaux ne sont pas étrangers.

En définitive, les députés du Front de gauche réaffirment leur volonté de mettre en œuvre une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des réfugiés, fondée sur le respect des droits et libertés fondamentaux. Ils considèrent que la France doit faire preuve de responsabilité et rester fidèle à sa tradition de terre d’accueil et de patrie des droits de l’homme.

Dans le contexte exceptionnel que nous vivons, il faut en finir avec la politique migratoire répressive menée depuis plusieurs années, fondée sur la surveillance et la suspicion, qui réduit le migrant à la figure du clandestin destiné à être expulsé. Les réfugiés ne doivent pas être perçus comme un fardeau pour la société. Gardons à l’esprit l’immense apport humain et matériel de la présence étrangère à notre pays.

Je conclurai mes propos avec une belle page de notre littérature, extraite du roman Le sac de billes, de Joseph Joffo, l’histoire à la fois tragique et belle d’une famille juive d’Europe centrale fuyant les pogroms, à la fin du XIXsiècle : « Et puis un jour ils franchissaient une dernière frontière. Alors le ciel s’éclairait et la cohorte découvrait une jolie plaine sous un soleil tiède. Il y avait des chants d’oiseaux, des champs de blé, des arbres, et un village tout clair, aux toits rouges, avec un clocher, des vieilles à chignon sur des chaises, toutes gentilles. Sur la maison la plus grande il y avait une inscription : liberté, égalité, fraternité. Alors tous les fuyards posaient le baluchon ou lâchaient la charrette, et la peur quittait leurs yeux, car ils savaient qu’ils étaient arrivés. La France ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe écologiste.)

M. Marc Dolez. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, madame et monsieur les élus de l’opposition (Rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.),…

M. Charles de Courson. Nous sommes trois ! (Sourires.)

M. Bruno Le Roux. … je remercie M. le Premier ministre pour sa déclaration, à laquelle le groupe socialiste, républicain et citoyen souscrit mot à mot, proposition après proposition.

Et dans la continuité de cette déclaration, je voudrais exprimer d’une phrase notre ligne de conduite : c’est par l’organisation et la maîtrise des conditions d’accueil que nous garantirons le respect de la dignité des réfugiés qui se présentent à nous.

Je crois, mes chers collègues, que le drame des réfugiés qui frappent aux portes de l’Europe a ceci de particulier, qu’il nous renvoie à nous-mêmes, individuellement et collectivement, en tant qu’Européens et en tant que Français.

La question des migrations, quelle que soit leur cause, est une grande question du siècle qui débute. Ce siècle n’est pas seulement celui d’une « mondialisation heureuse », telle qu’elle nous a été si souvent décrite.

Ce siècle est aussi celui d’une mondialisation malheureuse, tragique, qui détruit les équilibres, bouscule la hiérarchie des nations, déplace les populations, subit le dérèglement climatique, le climat qui à son tour, dérégule les économies, la stabilité politique des États, bouleverse la vie des populations et génère des guerres.

Ce siècle est aussi celui d’une mondialisation malheureuse et violente, dans laquelle la guerre colonise des régions entières et dans laquelle le fanatisme jaillit et se répand. Cette mondialisation malheureuse gomme nos certitudes et bouscule notre manière de voir. Il nous faut désormais la regarder en face et l’affronter sur notre territoire, et pas seulement sur le plan économique. Pas seulement sur le plan environnemental. Pas seulement sur le plan de la menace terroriste, que, hélas, nous connaissons encore ! Il nous faut l’affronter également en faisant face à des hommes et des femmes, qui viennent frapper à notre porte et qui attendent une réponse.

Voilà ce à quoi nous renvoie le drame des réfugiés. Alors, comme toujours, il y a deux manières de répondre à cette situation : soit attiser les peurs, soit faire appel au cœur. Contrairement à ce que l’on dit quelquefois, je crois que l’émotion est parfois bonne conseillère, à la condition que l’on sache décrire les faits et les éclairer plutôt que pratiquer l’amalgame et l’approximation, à la condition que l’on respecte et que l’on construise une politique conforme à notre identité, plutôt que de piétiner et nos valeurs et nos traditions.

C’est cette deuxième attitude que la majorité a choisie, et cela nous conduit à arrêter un certain nombre d’orientations, que je développerai rapidement. Toutefois, je tiens avant cela à rendre hommage aux Françaises et aux Français qui se mobilisent, au sein de leur quartier et de leur ville, via les réseaux sociaux et les associations, avec leurs voisins et leurs amis. Je veux aussi rendre hommage aux maires, aux villes solidaires et à l’ensemble des élus des collectivités locales qui se mobilisent pour accueillir, nourrir, loger et permettre la prochaine insertion des réfugiés que nous accueillons.

Il existe de multiples initiatives de ce type, mais je voudrais citer en particulier celle prise par le président Vauzelle en Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui s’appelle « Nous sommes tous méditerranéens » et dont l’objectif est d’assurer l’accueil sur une partie du bassin méditerranéen ; c’est un des exemples que nous devrons suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Cet accueil français est en train de se construire comme une coproduction citoyenne et institutionnelle. À une époque qui érige trop souvent le cynisme et la dérision en valeurs cardinales, nous ne pouvons que nous en réjouir !

Je tiens à rassurer les Français qui pourraient être inquiets : personne ne prendra la place de personne. L’accueil de la France restera conforme à sa tradition : il sera maîtrisé et l’on fera en sorte qu’il ne coûte rien, mais que, bien au contraire, et comme lors des précédentes vagues d’immigration, il soit un apport pour notre pays.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Dans les circonstances actuelles, du fait de la tradition d’accueil de notre pays, cela ne coûtera rien à aucun de nos concitoyens ; cela nous rapportera beaucoup, collectivement, et cela enrichira les valeurs de la République. (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Je veux également rendre hommage et assurer de notre solidarité toutes ces familles qui fuient par tous les moyens, dans des conditions inimaginables, effroyables, terrifiantes même, la guerre, la violence et la mort.

Je veux enfin rendre hommage à celles et ceux qui ont commencé le voyage et sur lesquels la Méditerranée s’est refermée. À leur famille et à leurs proches, j’adresse mes condoléances, mes sentiments attristés et l’expression de notre profonde compassion.

J’en viens à nos orientations.

D’abord, l’Europe. Lors de nos débats sur la situation économique et financière de la Grèce, je soulignais le risque d’une césure entre le nord et le sud de l’Union. La question des migrants fait apparaître une autre césure possible, non plus entre le nord et le sud, mais entre l’est et l’ouest. Cette césure me semble tout aussi dangereuse pour la stabilité et la cohésion de l’Union.

Je le dis aujourd’hui, comme je l’ai dit hier pour la Grèce ; je le dis aujourd’hui aux pays de l’Est, comme je l’ai dit hier aux pays du Nord : l’Union à laquelle nous adhérons ne se réduit pas à un espace de libre-échange ; elle n’est pas régie par la seule et unique règle de la concurrence libre et non faussée ; elle est avant tout un espace de solidarité, construit autour de cette valeur cardinale. La solidarité fait partie du contrat passé entre les États membres de l’Union, et c’est ce qui fait la cohérence, la force et l’audace du projet européen. À cela, personne ne peut déroger. Quand on fait partie de l’Union européenne, on ne s’exonère pas du devoir de solidarité.

Nous savons toutefois que certains pays ont une histoire et une culture qui en font des nations moins ouvertes, plus ramassées sur elles-mêmes, n’ayant jamais été des terres d’accueil et d’immigration. Il n’en reste pas moins que les capacités d’accueil et les cultures nationales n’excusent ni les propos d’exclusion, ni l’évocation des religions, ni les gesticulations et le déploiement de clôtures et de barbelés aux frontières.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Les murs, où qu’ils se trouvent dans le monde, sont toujours en carton-pâte ; ils ne résolvent rien. L’histoire nous l’a suffisamment enseigné. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Je vous le dis, mes chers collègues : le sentiment européen existe, et j’ai eu honte ces dernières semaines – et ces dernières heures encore – des propos et des décisions des autorités hongroises. Et cela dépasse les clivages politiques et nationaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) J’ai eu honte pour l’Europe du visage qu’elle montrait à ces gens exténués, qui venaient trouver refuge. On ne peut pas se comporter ainsi au sein de l’Union, ce n’est pas acceptable !

Les discussions entamées il y a deux jours lors de la réunion des ministres de l’intérieur vont se poursuivre. C’est pour moi l’occasion – vous me le pardonnerez, monsieur le Premier ministre – de rendre un hommage appuyé à l’action de Bernard Cazeneuve (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants) et à la façon dont, à l’échelon européen, nous essayons de faire progresser la maîtrise des flux, sur notre territoire comme aux portes de l’Europe. Dans cette perspective, je le répète au nom de mon groupe, personne ne peut, au sein de l’Union, s’exonérer du devoir de solidarité. On ne peut pas, d’un côté, prendre les aides et l’argent et, de l’autre, refuser les hommes et les femmes. Ce n’est pas possible, et cela doit appeler une réponse de notre part ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

En réalité, ce dont nous souffrons, une fois de plus, ce n’est pas du trop d’Europe, c’est du manque d’Europe. Il s’agit, non pas de dénoncer Schengen – chez certains, cela devient une véritable marotte ! – mais, comme l’a dit le Premier ministre, de renforcer Schengen ; en effet, Schengen est aujourd’hui plus un principe qu’une politique. Face à l’afflux de réfugiés, nous devons nous doter de moyens permettant de faire respecter nos frontières, d’accueillir dignement les demandeurs d’asile et d’établir un mécanisme permanent de relocalisation de ces derniers. C’est à cette condition que l’Europe sera à la hauteur d’elle-même et de ses valeurs fondatrices.

Il y a l’Europe, mais il ne peut y avoir qu’elle : le sort des réfugiés concerne le monde entier.

Le Président de la République a plaidé – et je l’en remercie – pour l’organisation d’une conférence internationale sur les réfugiés. Cette initiative doit aboutir, afin que chacun puisse prendre sa part. Une fois de plus, on voit qu’il est plus difficile d’entraîner les autres que de faire cavalier seul. Sur ce dossier, la politique de la France est, encore une fois, d’essayer avec l’Allemagne d’entraîner l’Europe puis, via cette conférence, le monde, et de ne jamais céder à la facilité de déclarations qui fermeraient les choses, mais de toujours remettre le travail sur l’ouvrage et d’avancer pour tenter de surmonter les difficultés. Je veux que pour cela hommage soit rendu au Président de la République et au Gouvernement, car une telle solution n’est pas celle de la facilité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

J’en viens pour finir à notre pays. L’ancien Président de la République en a appelé à un consensus national sur la question de l’immigration. Dans des circonstances comme celles-là, et au nom des intérêts du pays, nous aurions bien voulu que le présent débat permette d’esquisser un accord avec l’opposition sur cette question – mais il y a plusieurs difficultés.

La première est de savoir vers qui il s’agirait de faire un pas. L’élan républicain nécessaire sur cette question, je ne l’ai pas perçu. En revanche, j’ai entendu MM. Sarkozy et Wauquiez parler de « droit d’asile à durée déterminée » et de la suppression de l’aide médicale d’État ; j’ai entendu M. Le Maire inventer l’asile chez les autres en proposant des centres d’accueil hors Union européenne ; j’ai entendu M. Fillon parler de « plafond » et de « quotas » ; j’ai entendu Mme Pécresse dire qu’elle n’avait pas attendu les maires socialistes pour accueillir des réfugiés chrétiens. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Pécresse. Je n’ai pas dit « chrétiens » !

M. Bruno Le Roux. C’est la République qui donne la protection, et non la religion ! Pour cette raison, vos propositions ne peuvent être entendues. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Pécresse. Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ? C’est de la désinformation, de la diffamation !

M. le président. S’il vous plaît !

M. Bruno Le Roux. Votre cacophonie, les désaccords de l’opposition n’ont pour l’instant qu’un point commun : c’est de faire un pas, puis un autre, puis un autre encore en direction de l’extrême droite – qui ne conçoit, elle, de réfugiés que dans leur pays d’origine !

Il me paraîtrait plus simple, chers collègues de l’opposition, que, sur ces bancs, tous ceux qui se reconnaissent dans la droite réellement républicaine, humaniste, démocrate-chrétienne – comme l’on disait autrefois – rejoignent nos positions républicaines et soutiennent la politique du Gouvernement, telle qu’elle vient de nous être présentée.

M. Jean-Marie Sermier. Oh, nous n’avons pas de leçons à recevoir !

M. Bruno Le Roux. C’est une politique qui a pour vertus cardinales de respecter ce qu’est notre pays, d’assumer – car nous le devons aux Français – nos responsabilités dans la maîtrise de la crise qui s’annonce, et de respecter la dignité des personnes qui fuient aujourd’hui leur pays pour sauver leur vie.

Monsieur le Premier ministre, sachez que nous approuvons totalement la déclaration que vous venez de faire devant l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Pécresse. Honte à Bruno Le Roux ! C’est un menteur !

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, chers collègues, je crois, comme l’a dit le Premier ministre, qu’il convient d’aborder ce sujet grave avec lucidité, humanité, cohérence et constance.

Tout d’abord, il faut prendre la mesure du phénomène. Les migrations de populations sont un phénomène mondial, dont l’ampleur ne cesse d’augmenter et qui va durer. Il y a aujourd’hui 60 millions de réfugiés dans le monde, soit presque deux fois plus qu’il y a dix ans : des hommes, des femmes, des enfants, chassés de chez eux par la faim, la guerre, les persécutions, l’accumulation jour après jour de souffrances et l’absence totale d’espoir en l’avenir.

Une terrible image, celle d’un petit enfant mort sur une plage, a secoué les consciences. Mais combien d’autres drames, sur les routes, dans la mer ou dans ce camion arrêté au bord d’une route avec soixante et onze personnes dans quatorze mètres carrés ? Il y avait des enfants parmi elles !

Il est vrai que l’Europe est débordée par un afflux d’urgence. Elle est bordée par un arc de crises, et les capacités d’accueil des pays voisins des zones de guerre, comme en Syrie, sont aujourd’hui saturées. La Libye est un chaos, un arsenal à ciel ouvert. En Syrie, la population est prise en étau entre, d’un côté, un dictateur qui bombarde son peuple quotidiennement avec des barils d’explosifs et, de l’autre, Daech, une organisation criminelle qui prospère par la mise en scène des pires cruautés et qui est la négation même de la civilisation. En Irak, des minorités présentes depuis deux millénaires sont menacées de disparition. Et plus loin encore, il y a l’Afghanistan, l’Érythrée, martyrisée par un dictateur de la pire espèce, le Soudan. Et puis – ne l’oublions pas – l’Afrique subsaharienne, où sévissent également les persécutions, avec Boko Haram, la maladie, la misère, la corruption. Pour ces populations persécutées, qui engendrent des réfugiés, pour ces populations sans espoir, d’où viennent des migrants économiques, l’Europe est un eldorado, une terre promise. Bien, sûr, il y a encore trop de pauvreté, de chômage et de précarité chez nous, mais il reste que, vu de l’extérieur, la majorité de la population en Europe bénéficie d’un travail, d’un logement, d’hôpitaux, d’écoles et, surtout, il y règne le droit à l’égalité, à la liberté et le respect des valeurs de l’humanité. N’oublions pas que l’Union européenne est le seul espace politique au monde où la peine de mort est interdite.

Face à ces phénomènes, notre compassion n’a de sens que si nous agissons avec rapidité, humanité, cohérence et responsabilité. Nous devons aux victimes et à nous-mêmes de refuser les faux-semblants, les simplifications abusives, et à plus forte raison la démagogie qui exploite les peurs et laisse croire que des murs de barbelés sont la solution.

Alors, comment faire pour maîtriser ce phénomène – car il faut maîtriser les mouvements de population – en respectant nos valeurs, celles de la République et celles de l’Europe ? Le Premier ministre et le ministre de l’intérieur l’ont dit : il faut agir sur plusieurs plans.

Au plan national, le Gouvernement, par la voix de Bernard Cazeneuve, a fait adopter une réforme du droit d’asile qui va considérablement améliorer l’efficacité de notre système : réduction des délais d’examen – neuf mois au maximum contre deux ans en moyenne en 2013 ; des milliers de places d’accueil supplémentaires pour les réfugiés et les migrants ; une meilleure répartition sur les territoires afin d’éviter les concentrations ; et l’engagement pris d’accueillir, grâce à cette politique, 24 000 réfugiés supplémentaires.

Mais quels que soient les efforts nationaux, il est illusoire de penser s’en sortir par l’isolement ; c’est d’une action coordonnée à l’échelle européenne dont nous avons besoin – et c’est d’ailleurs, le Premier ministre l’a rappelé, le plan proposé par la France qui a inspiré, lors des réunions des ministres de l’intérieur, les propositions européennes. Non, les mesures nationales ne suffisent pas : il nous faut plus d’Europe. Il est vrai qu’au plan européen, plusieurs directives ont amélioré les procédures et les normes, mais une dimension essentielle manque : la solidarité au plan européen.

Schengen a eu l’immense mérite d’instaurer la liberté de circulation pour les citoyens européens comme pour les étrangers autorisés à y entrer et à y séjourner. Et si vous voulez établir une distinction entre les citoyens européens et les étrangers que nous avons autorisés à être chez nous, qu’ils soient réfugiés ou migrants économiques, madame Pécresse, ayez la lucidité et le courage de reconnaître que cela reviendrait à rétablir les frontières à l’intérieur de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Pierre Dufau. Eh oui ! Le nier est un mensonge !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Et cela, pas seulement pour des raisons d’urgence, comme le prévoit Schengen, mais durablement. Voilà ce que devrait être un discours de vérité !

Schengen a bien prévu des mesures d’urgence, mais l’Union européenne s’est comme souvent arrêtée au milieu du gué. En contrepartie de la liberté de circulation en Europe, il eût fallu déterminer une liste des pays sûrs, mieux protéger les frontières extérieures, sans laisser cette responsabilité aux seuls pays de première entrée, renforcer tous les dispositifs et mettre en œuvre une véritable politique commune de l’asile et de l’immigration.

Enfin, il faut mettre en place une véritable politique commune de l’asile et de l’immigration car face à un afflux massif, nous voyons bien ce que coûte humainement et politiquement la non-Europe. Il convient donc en effet de réformer et de consolider Schengen et non de tenir le discours démagogique visant à sa suppression.

Cela suppose une solidarité européenne, des moyens pour renforcer les frontières extérieures, une coopération pour lutter contre les passeurs et cette forme de criminalité qu’est la traite des êtres humains, laquelle est en train d’être plus lucrative sur le plan mondial que le commerce de la drogue. Voilà une nouvelle forme de criminalité contre laquelle nous devons être absolument implacables grâce à une coopération policière et judiciaire déterminée.

Cela suppose également des centres d’accueil pour distinguer les réfugiés des migrants économiques non désirés. Ces derniers doivent être renvoyés chez eux, ce qui implique de développer avec les pays d’émigration des accords de réadmission – de ce point de vue-là, l’Union européenne doit faire davantage – et, avec les pays de transit, des centres d’accueil.

Voilà, je crois, ce que nous devons faire et c’est d’ailleurs ce que proposent le Gouvernement, la France et l’Allemagne au sein de l’Union européenne.

À ceux qui, parmi les États membres, ne sont pas d’accord…

M. le président. Il faut conclure…

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …il me semble que nous devons rappeler qu’ils ont bénéficié, eux, de la solidarité européenne via les fonds structurels lorsqu’ils sont venus adhérer à notre Union. En procédant ainsi, ils ont adhéré à une union de valeurs et à une charte des droits fondamentaux.

Je terminerai en disant qu’il convient aussi naturellement d’agir hors des frontières de l’Union pour aider le Liban, la Jordanie, la Turquie, pour demander aux pays du Golfe d’accueillir eux aussi des réfugiés et pas simplement de payer pour leur accueil, pour travailler en faveur de la paix.

N’oublions pas d’agir pour le développement… (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …dans les pays de notre Sud, en Afrique, et contre la corruption…

M. le président. Je vous remercie…

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …ainsi que la mal-gouvernance, et, enfin, en prenant en compte les migrations dans nos politiques de développement.

Voilà, monsieur le président, je termine.

Le sujet est trop grave pour être laissé aux exploiteurs des craintes et des peurs, le sujet est trop grave pour laisser croire que les faux-semblants seront d’une efficacité quelconque : nous savons que les lignes Maginot ont toujours été enfoncées.

Le sujet est trop grave pour laisser les démagogues abîmer les valeurs de la France et de l’Europe : on n’a pas le droit de trier les réfugiés selon leur religion ou leur ethnie car, comme le rappelait Jaurès, il n’y a qu’une race, c’est l’humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le 20 mai 2015 déjà, lors d’une séance de questions, je vous interpellai, monsieur le Premier ministre, sur le rejet par la France de la proposition du Président Juncker visant à répartir équitablement des migrants.

Construire une ligne Maginot – c’est l’expression que j’avais alors employée – contre des civils fuyant la guerre, la persécution et la misère était totalement illusoire et voué à l’échec. Les drames de l’été viennent malheureusement de me donner raison.

La France approuve désormais le principe d’une répartition équitable des réfugiés. C’est un pas positif pour lequel il a fallu une photo choc d’une des multiples tragédies qui se jouent en Méditerranée. Mais la France s’engage, c’est l’essentiel.

Depuis le début de l’année, 500 000 personnes ont rejoint l’Europe et plus de 2 700 ont trouvé la mort en chemin. Ces personnes fuient majoritairement la dictature en Érythrée, la guerre en Syrie et les exactions de l’État islamique en Libye.

Cet afflux sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale touche principalement trois États membres : la Grèce, l’Italie et la Hongrie. Pourtant, l’Italie et la Grèce, dès le mois de janvier, ont appelé au secours dans une certaine indifférence.

Malgré tout, ce n’est pas l’Europe qui est en première ligne. Quatre millions de réfugiés syriens, auxquels il faut ajouter un million d’Irakiens, sont en ce moment dans des camps au Liban, en Turquie ou en Jordanie.

Le Président Juncker a rappelé à juste titre que ces pays déployaient « des efforts herculéens » alors que l’Europe est prête à accueillir des réfugiés qui ne représentent que 0,1 % des 500 millions d’Européens – cela n’a pas encore été dit.

Repli égoïste du groupe de Visegrád, frilosité des autres pendant des mois, voilà la réponse à ceux qui fuient les bombardements et la terreur, qui ne cessent de s’amplifier.

Pourtant, au cours de l’histoire, la France des droits de l’Homme a su faire vivre le droit d’asile qu’elle a créé en 1793. Elle a accueilli 500 000 républicains espagnols, 130 000 boat people….

Aujourd’hui, la France propose d’ouvrir sa porte à 24 000 nouveaux réfugiés d’ici 2017. Proportionnellement à sa population, c’est moins que ce que propose l’Estonie. Nous pourrions et nous savons faire mieux.

Le Président de la République a indiqué lundi que 60 000 migrants demanderont la protection de la France contre un million en Allemagne. Cette différence s’explique certes par la santé économique et le déficit démographique de nos voisins mais, aussi, par l’image brouillée d’une France qui perd sa générosité, image qui est en train de gagner malheureusement sur la scène internationale.

Il faut aussi souligner des dysfonctionnements de l’asile en France : durée de traitement des dossiers, pourcentage de déboutés, interdiction de travailler alors qu’en Allemagne ce droit est accordé au bout de trois mois.

Je regrette d’ailleurs que la proposition du Président Juncker permettant aux réfugiés de travailler dès leur arrivée en Europe ait été rejetée alors que cela est pourtant essentiel pour leur intégration.

Je le répète, seule l’action commune nous permettra d’avancer. Les parlementaires européens, à une large majorité, l’ont compris : ils ont voté en faveur d’un système de relocalisation obligatoire des réfugiés, ce qui constitue une grande avancée qui pourrait d’ailleurs être accompagnée par la mise en place de gardes-frontières et de gardes-côtes européens, système dont votre commission des affaires européennes s’est toujours déclarée partisane.

Au lieu de cela, on voit à nouveau se dresser des barrières entre les pays de l’Union. Or, lorsque l’on construit des barrières en Hongrie, les migrants passent par la Croatie.

De fait, lors de la réunion extraordinaire des ministres de l’intérieur, avant-hier soir, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Roumanie ont bloqué la dynamique.

La seule avancée tangible est l’acceptation de la proposition du 27 mai de transférer 40 000 réfugiés issus de Syrie, d’Irak et d’Érythrée massés en Italie et en Grèce.

Ainsi, certains gouvernements européens continuent de faire la sourde oreille à l’urgence humanitaire et il faudra attendre une prochaine réunion des ministres de l’intérieur et non un sommet européen, dans quatre semaines. Combien d’enfants, de femmes et d’hommes vont-ils encore périr en Méditerranée pendant ce temps-là ?

Les pays du groupe de Visegrád semblent oublier – je ne suis pas la première à le dire – que l’adhésion leur a permis de se développer et qu’ils se sont engagés désormais à faire vivre la solidarité européenne dans toutes ses phases.

Lundi encore – lundi noir pour l’Union – la phase 2 de l’opération Eunavfor a été lancée, autorisant des opérations militaires contre les embarcations de fortune où s’entassent les migrants. Il est plus facile de s’entendre pour faire la guerre que pour ouvrir les bras, ce qui est tout de même dommage.

Il faut rappeler à ces pays européens que l’Europe a des valeurs et qu’elle n’est pas qu’un grand marché. Des sanctions ont été envisagées. N’étaient-elles pas nécessaires ? Les migrants ne sont ni un fléau, ni une menace, bien au contraire, ils viennent de raviver le rêve européen !

Face à la montée des défis de tous ordres, nous avons besoin de plus d’Europe, pas de replis nationalistes. Les présidents des assemblées nationales française, italienne, allemande et luxembourgeoise viennent d’ailleurs de le répéter et de répéter la nécessité d’une plus grande intégration, ce dont je les remercie.

L’élan citoyen de ces derniers jours montre que les valeurs de solidarité, de fraternité, d’humanisme, sont bien vivantes dans le cœur de nos peuples et, en particulier, du peuple français.

Donnons donc une chance à cette Europe-là ! Il en va de notre responsabilité à tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, mesdames les présidentes de commission, mesdames et messieurs les députés, je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants, qui ont contribué à nourrir de leurs propositions ce débat important dans un contexte migratoire particulièrement difficile.

Le Premier ministre devant intervenir, je me concentrerai sur des éléments évoqués par quelques orateurs appelant de nécessaires précisions si nous voulons que notre débat puisse aller à son terme conformément à la volonté exprimée par le Premier ministre sur un sujet qui renvoie à l’essentiel, soit, à l’avenir de l’humanité et aux drames que connaissent des populations persécutées dans leur pays.

Nous avons donc besoin de précision, d’une exigence de rigueur intellectuelle et, pendant notre dialogue commun, nous nous devons de revenir à la réalité des chiffres et des faits.

Premier point sur lequel je souhaite insister : la réalité des flux migratoires auxquels notre pays est confronté.

En dépit d’un contexte migratoire extrêmement difficile exposant un certain nombre de pays de l’Union européenne, et non des moindres, à des flux migratoires importants – comme nous l’avons vu en Allemagne – existe-t-il actuellement en France un déferlement de migrants qui traverseraient, au nord, la frontière séparant la France de l’Allemagne…

M. Pascal Popelin. Eh non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …ou, au sud, celle qui sépare notre pays de la Suisse ou de l’Italie ? Quels sont les chiffres ?

En 2014, alors que la pression migratoire s’exerçait déjà – il ne faut pas oublier que, pendant les huit premiers mois de l’année dernière, près de 160 000 personnes ont franchi les frontières extérieures de l’Union européenne – nous avons assisté à une diminution des demandes d’asile en France, de l’ordre de 2,34 %.

M. Pascal Popelin. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Depuis le début de l’année, les demandes d’asiles sont étales.

Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que, dans les semaines et les mois qui viennent – le Premier ministre l’a dit dans son intervention – notre système de l’asile sera mis sous tension, la France ayant souhaité, sans discuter et avec fierté, prendre sa pleine et entière part dans le dispositif de relocalisation et de réinstallation proposé par la Commission européenne et, ce, pour une raison très simple : elle a contribué à son élaboration.

Nous accueillerons donc 30 000 migrants pendant les deux prochaines années…

M. Pierre Lellouche. Tu parles !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …soit 15 000 par an. La décision que nous avons prise mettra donc notre système d’asile sous tension.

Qu’avons-nous fait pour nous préparer à cela, tout d’abord sur le plan national ? Je vais communiquer des chiffres, outre ceux que je viens de donner concernant la réalité de l’asile – j’aurais d’ailleurs pu aussi parler de la réalité des flux migratoires : 200 000 titres de séjour sont attribués chaque année, ce qui correspond à 0,3 % de la population, ce chiffre étant le même depuis de nombreuses années, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays de l’Union européenne.

Je prends un exemple très simple, celui de la Grande-Bretagne, pays dont le traitement des flux migratoires est souvent cité comme rigoureux : l’an dernier, 750 000 migrants et demandeurs d’asile sont arrivés dans ce pays, ce qui correspondait à une augmentation très significative du nombre de ceux qui avaient décidé d’y trouver refuge ou d’y travailler.

Voilà ce qu’il en est donc de la réalité des flux.

Deuxième point : qu’avons-nous fait ?

Tout d’abord, nous avons trouvé un système d’asile que des rapports parlementaires transpartisans ont jugé « embolisé ». Pourquoi ? Pour des raisons très simples.

L’insuffisance de moyens au sein de l’OFII et de l’OFPRA était patente, le traitement des dossiers des demandeurs d’asile étant quant à lui insuffisamment performant. Ainsi nous situions-nous au moins bon niveau de l’Union européenne en termes de délai : la moyenne des pays de l’Union européenne était de neuf mois quand nous nous situions à 24 mois.

Un deuxième sujet soulevait des problèmes : non seulement les délais étaient donc trop longs mais les conditions d’accueil étaient très détériorées et dégradées par rapport aux standards des conditions d’asile dans les autres pays de l’Union européenne puisque nous avions créé très peu de places en CADA.

En outre, la détérioration des conditions d’accueil qui conduisait beaucoup de demandeurs d’asile – et même, parfois, beaucoup de réfugiés bénéficiant de ce statut – à se retrouver soit dans les rues, soit dans des hébergements d’urgence rendait le retour très difficile : plus les délais étaient longs, moins l’hébergement était digne, plus le retour des déboutés était difficile.

Le Premier ministre a décidé d’appliquer les conditions qu’il avait données lorsqu’il était ministre de l’intérieur et dont il m’a confié la charge : il a décidé d’augmenter significativement les moyens de l’OFPRA afin de réduire les délais.

Je tiens à me montrer extrêmement précis s’agissant des moyens de l’OFPRA. Nous avons créé 50 postes en son sein pendant les deux dernières années. Pendant les cinq années du précédent quinquennat, 40 avaient été créés.

Suite aux annonces que le Premier ministre vient de faire à l’instant, concernant l’OFPRA, l’OFII et les préfectures – dans le cadre de la mise en place des guichets uniques – ce sont en tout 240 emplois qui seront créés.

M. Pierre Lellouche. 240 emplois…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà la réalité de notre action pour mettre le système d’asile à niveau !

Le précédent Gouvernement a créé 2 000 places d’hébergement en CADA en cinq ans. Or, année budgétaire après année budgétaire et en tenant compte des annonces faites par le Premier ministre, ce sont 18 500 places en CADA qui auront été créées pendant le quinquennat alors que, selon les rapports parlementaires, il en fallait 20 000 pour remettre le système d’asile à niveau.

Par ailleurs, des collectivités locales se sont mobilisées face aux drames humanitaires en accompagnant la volonté de l’État d’être à la hauteur. Nous ne les avons pas appelées à la rescousse parce que nous ne faisions pas notre devoir – je viens de rappeler notre action.

C’est précisément parce que nous agissons ainsi que les collectivités locales se sont manifestées afin que nous travaillions ensemble. Dès lors que l’État prenait ses responsabilités à 100 %, nous avons décidé de couvrir également 100 % des dépenses résiduelles des collectivités dès lors qu’elles acceptaient d’accompagner l’État.

Je le dis pour André Chassaigne, qui estimait que 1 000 euros, ce n’était pas assez. Mais cette somme correspond très exactement, sur la base des calculs que j’ai faits, à la part résiduelle à la charge des collectivités locales, en tenant compte de ce qu’elles font pour accompagner les demandeurs d’asile lorsqu’ils arrivent – éducation ou aide sociale, par exemple.

Pourquoi cette somme paraît-elle faible, en comparaison de ce qui se fait en Allemagne ? Tout simplement parce que nous, nous assurons 100 % de la couverture de la dépense en exerçant nos compétences régaliennes, et que nous pouvons ainsi couvrir 100 % de la dépense résiduelle des collectivités.

Premièrement, nous donnons des moyens à l’OFPRA et à la CADA ; deuxièmement, nous couvrons les dépenses des collectivités locales. Troisièmement, un débat est ouvert, concernant les déboutés du droit d’asile, et ce débat doit avoir lieu.

M. Pierre Lellouche. Il a déjà eu lieu !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour ma part, je ne suis pas du tout choqué, lorsque Mme la députée Valérie Pécresse dit que la soutenabilité du dispositif impose de reconduire à la frontière les déboutés du droit d’asile. Pour que vous ne quittiez pas cet hémicycle avec une angoisse rentrée…

M. Pierre Lellouche. Ce sont les Français qui sont angoissés !

M. Jacques Myard. Nous sommes réalistes, s’agissant de votre échec !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …je voudrais vous donner des chiffres, qui sont de nature à vous rassurer totalement.

Il a été procédé à 13 908 éloignements forcés en 2009 – et je parle des éloignements hors Union européenne. Vous savez en effet que les éloignements au sein de l’Union étaient financés à hauteur de 1 000 euros, ce qui conduisait un certain nombre de personnes à partir à Noël en touchant les 1 000 euros, à passer Noël dans leur pays…

M. Charles de Courson. En Roumanie !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …puis à revenir entre Noël et Pâques, avant de retourner passer Pâques en famille, non sans avoir à nouveau touché ces 1 000 euros. C’est l’actuel Premier ministre, Manuel Valls, qui a mis fin à ce dispositif lorsqu’il était ministre de l’intérieur.

Permettez-moi de vous donner les chiffres, qui sont précis et dont vous pouvez vérifier l’exactitude dans les documents qui sont mis à la disposition des parlementaires : il a été procédé à 13 908 éloignements forcés en 2009 ; leur nombre a ensuite baissé en 2010, puisqu’on n’en a compté que 12 034. Il y en eut 12 547 en 2011, 13 386 en 2012, 14 076 en 2013 et 15 161 en 2014. En 2015, nous augmentons encore de 40 % les éloignements de déboutés et d’étrangers en situation irrégulière, hors l’Union européenne.

M. Pierre Lellouche. On est encore loin du compte !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Telle est la réalité des chiffres que nous affichons, et qui ne correspondent pas du tout aux vôtres, pour une raison que je comprends d’ailleurs : c’est que vos chiffres incluaient les retours aidés internes à l’Union européenne. Or il s’agit de faux retours.

M. Pascal Popelin. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les vrais retours sont ceux qui concernent les pays extérieurs à l’Union européenne : ce sont aussi les plus difficiles à mettre en œuvre. Et, de ce point de vue, nous avons augmenté très significativement les retours.

Pourquoi l’avons-nous fait, madame la députée Valérie Pécresse ? Nous ne l’avons pas fait parce que nous avions plus de volonté que vous – je veux être extrêmement scrupuleux dans ce débat. Nous l’avons fait, parce que nous avions plus de moyens, parce que nous avons donné davantage de moyens à nos forces de police et de sécurité. Sur ce point aussi, je veux être extrêmement précis, car ce fut une difficulté pour nous : lorsque nous avons dû mobiliser des moyens significatifs en unités de force mobile pour assurer le plan Vigipirate, dans un contexte de risque terroriste dont le Premier ministre n’a cessé de rappeler qu’il était extrêmement élevé ; lorsque nous avons dû mobiliser des unités de force mobile à la frontière nord, puis à la frontière sud, pour assurer la lutte contre les filières de l’immigration irrégulière, nous avons constaté que les quinze unités de force mobile qui ont été supprimées entre 2007 et 2012 nous manquaient cruellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Et si le Premier ministre n’avait pas pris la décision, alors qu’il était ministre de l’intérieur, de créer ces 500 emplois par an, auxquels se sont ajoutés 1 500 emplois à l’occasion du plan antiterroriste, puis les 900 emplois dont la création a été annoncée aujourd’hui par le Premier ministre, nous n’aurions pas obtenu de tels résultats en matière d’éloignement et de lutte contre l’immigration irrégulière.

Ces résultats, quels sont-ils, au-delà les éloignements dont je viens de parler ? S’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière et contre ses filières, nous avons démantelé 25 % de filières supplémentaires en 2014 par rapport à 2013. Et, dans les huit premiers mois de l’année 2015, nous en sommes à 177 filières, ce qui correspond à 3 300 individus arrêtés ; 800 d’entre eux ont été judiciarisés et un certain nombre emprisonnés – quant aux autres, ils sont suivis. En comparaison, l’Allemagne, qui accueille 800 000 migrants, en a neutralisé 1 800 seulement. Nous sommes résolus, dans la lutte contre l’immigration irrégulière, à procéder à l’éloignement à la frontière de ceux qui ne relèvent pas de l’asile et n’ont pas vocation à rester sur le territoire national, parce que la soutenabilité de notre politique de l’asile dépend de notre capacité à éloigner ceux qui doivent l’être.

Je veux aussi donner des chiffres précis pour répondre à M. Ciotti qui, lorsque le Premier ministre a évoqué Calais, a demandé combien d’éloignements y avaient eu lieu. Je vais vous donner un chiffre très précis : sur Calais, nous avons procédé, depuis le début de l’année 2015, à 1 630 éloignements, ce qui est un chiffre record.

M. Charles de Courson. Combien d’entre eux sont déjà revenus ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai donné hier des instructions au préfet Cordet pour que nous ayons à Dunkerque la même stratégie qu’à Calais concernant les éloignements, mais aussi la lutte contre les filières de l’immigration irrégulière et l’accès à l’asile de ceux qui relèvent en Europe du statut de réfugié et qui doivent savoir qu’ils ne passeront pas en Angleterre et qu’ils ont intérêt à demander l’asile en France. Tout cela, nous le faisons parce que des moyens substantiels, significatifs, dont nous avons besoin, viennent conforter à la fois les effectifs et les moyens matériels des forces de police – je pense aux moyens numériques, mais aussi aux moyens de la police scientifique et technique. De ce point de vue, la décision prise en janvier d’augmenter de 261 millions d’euros sur trois ans les moyens de la police dans la lutte contre le terrorisme, et pas seulement, relève d’une politique tout à fait intéressante.

Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les députés, après avoir donné ces éléments de réponse précis à tous les orateurs qui se sont exprimés, j’aimerais conclure mon propos en m’arrêtant sur un point précis : le statut de l’asile.

Premièrement, le statut de l’asile est-il divisible ? Non, le statut de l’asile est comme la République : un et indivisible. Comme le Premier ministre l’a dit avec beaucoup de force, les réfugiés qui sont persécutés dans leur pays ne peuvent pas être distingués en fonction de leurs origines ethniques ou religieuses, de leur provenance ou des raisons pour lesquelles ils sont persécutés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Cette unité, cette indivisibilité du statut de réfugié, semblable à l’indivisibilité de la République, dont nous partageons les valeurs, doit être porté avec force par notre pays, parce que c’est ce qui fait sa grandeur au sein de l’Union européenne.

J’ai vu que l’on nous proposait un nouveau statut, celui de réfugié de guerre. Ce statut, il faut l’examiner avec intérêt, parce qu’il n’y a aucune raison de rejeter a priori une idée, sous prétexte qu’elle vient de l’opposition, si elle peut être utile. Quelle est l’idée qui préside à cette proposition, formulée dans Le Figaro par le président des Républicains ? C’est l’idée que ceux qui sont en situation de conflit, et qui ne sont pas nécessairement persécutés, pourraient se voir accorder une protection en France et en Europe.

C’est une très bonne idée, et elle est à ce point excellente, qu’elle existe depuis plusieurs décennies en droit français : cela s’appelle la protection subsidiaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Et je veux, sur ce sujet aussi, vous donner des chiffres extrêmement précis : nous accordons chaque année le statut de réfugié à 11 000 personnes, dont 3 000 ne sont pas nécessairement persécutées dans leur pays. Elles bénéficient néanmoins en France de la protection subsidiaire, qu’elles se voient accorder par le Gouvernement français, en raison de ce qu’est l’état du droit.

Je voudrais vous remercier de faire cette proposition, car il vaut mieux faire une proposition qui existe, plutôt qu’une proposition impossible à mettre en œuvre. (Applaudissements et sourires sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Pécresse. Ce n’est pas ce que nous avons dit !

M. Pierre Lellouche. Vous pouvez vous gausser : il est vrai que vous êtes tellement brillants dans la gestion de cette crise !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous êtes jaloux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre proposition est totalement pertinente : elle l’est à ce point qu’elle existe depuis longtemps en droit français.

Le président des Républicains a également proposé que l’on mette en œuvre cette protection subsidiaire en vertu d’une directive de 2001. Il existe en effet, dans la directive de 2001, un dispositif de ce type, que l’on appelle la « protection temporaire ». Mais il faut, pour la mettre en œuvre – et c’est sans doute la raison pour laquelle cela n’a jamais été fait – obtenir une décision du Conseil, ce qui implique une procédure extrêmement lourde. Et je dois dire, pour avoir testé l’idée à l’occasion des derniers conseils Justice et affaires intérieures – JAI – que cette proposition n’avait pas suscité l’enthousiasme des 27 autres pays de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle je doute que l’on puisse la mettre en œuvre tout seuls.

M. Jean-Pierre Dufau. Et voilà !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le dernier point sur lequel je souhaite insister concerne l’idée d’un « Schengen 2 », qui succéderait à « Schengen 1 ». Les meilleures séries ont des numéros : il n’y a pas de raison que Schengen, qui est un bon dispositif, ne connaisse pas les mêmes possibilités de se développer. Mais encore faut-il savoir ce que l’on met dans Schengen 2. Plusieurs versions ont été proposées : selon la première, Schengen 2 serait une sorte de Schengen 1, dont on appliquerait les règles. Voilà une interprétation qui pourrait facilement faire l’unanimité au sein du Conseil européen, puisque celui-ci n’entend pas que l’on n’applique pas les règles de Schengen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Cette idée est donc tout à fait recevable et devrait recueillir un consensus très large au sein des institutions européennes.

Mme Valérie Pécresse. Le problème, c’est que cela ne marche pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Une deuxième interprétation de Schengen 2 consiste à dire que l’on va exercer des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne, en faisant une distinction entre les réfugiés et les migrants économiques irréguliers, de manière à assurer la soutenabilité de l’accueil des réfugiés. Nous avons appelé cela, de manière un peu barbare, les hotspots.

M. Jacques Myard. En français !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est une très bonne idée, qui a été proposée par la France. Elle est désormais reprise par l’Union européenne comme une orientation à mettre en œuvre. Ce projet ne devrait pas, lui non plus, susciter de débat.

Une troisième idée a été avancée plus récemment dans l’interview du Figaro : Schengen 2 consisterait à rétablir des frontières, au sein de l’Union européenne, qui ne concerneraient que les ressortissants étrangers, et pas ceux de l’Union. Ce concept est plus difficile à saisir et nécessite sans doute un effort de pédagogie supplémentaire : il faudra quand même chiffrer le coût du rétablissement des contrôles aux frontières – qui ne concerneraient, donc, que les Européens. Il faudra également déterminer des critères très précis – je ne suis pas sûr que ce soit facile à faire et que cela soulève de bons débats – pour permettre aux policiers de distinguer immédiatement les Européens des étrangers.

Mme Valérie Pécresse. On peut procéder à des contrôles aléatoires !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sur des sujets aussi sérieux, sur des questions aussi graves, qui devraient faire l’objet d’un consensus, ou au moins d’un compromis, on ne peut se livrer à de telles approximations, dans le seul et unique but de créer des divisions à l’approche des élections.

Mme Valérie Pécresse. Nous cherchons seulement des solutions !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. À tous les autres orateurs, qui ont évoqué avec beaucoup de force et de talent ce que sont les valeurs de la République et ce que sont les principes du droit d’asile, je crois que le Premier ministre sera d’accord pour que nous adressions des remerciements chaleureux, parce que notre débat nécessite du rassemblement et de la force. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, avec le ministre de l’intérieur, nous partageons, depuis le début de cette crise, un souci de vérité et de précision. La vérité, je le rappelle, c’est que nous affrontons une crise. Une crise majeure pour l’Europe, avec un flux de réfugiés et de migrants d’une ampleur que nous n’avons pas connue depuis le dernier conflit mondial. Face à cela, il faut une mobilisation et des réponses exceptionnelles.

Il importe également de rappeler quelles sont les valeurs de la France et de l’Europe. Tous les orateurs qui sont intervenus – Sergio Coronado, Jeanine Dubié, le président André Chassaigne, le président Bruno Le Roux, le président Philippe Vigier, les présidentes Élisabeth Guigou et Danielle Auroi, ainsi que Valérie Pécresse – ont fait référence, avec des nuances, cela va de soi, et chacun selon son style, à ces valeurs. C’est une bonne chose que l’Assemblée nationale ait réaffirmé ces valeurs cet après-midi, comme le Sénat le fera ce soir, je n’en doute pas, à l’occasion du débat qui s’y tiendra en présence du ministre de l’intérieur. Il est très important de rappeler ces valeurs, afin d’éviter que ce type de débat ne bascule.

Nous avons évoqué le risque terroriste, mais aussi l’urgence climatique, qui a elle aussi un lien avec ces migrations. À cet égard, André Chassaigne a eu raison de rappeler que les migrations, aujourd’hui, se font d’abord du Sud vers le Sud. Le climat y est évidemment pour beaucoup, en plus des situations politiques, économiques, ou des situations de guerre. Chacun est donc bien conscient qu’une solution strictement franco-française n’aurait aucun sens : une fermeture totale des frontières n’aboutirait à rien. Les solutions à trouver sont difficiles, et il ne faut donc pas céder à la facilité.

Il s’agit évidemment de trouver, au niveau méditerranéen, dans nos relations avec l’Afrique et au niveau mondial, des solutions diplomatiques et militaires. Mais c’est au niveau européen que nous devons trouver une solution : il importe de ne pas remettre en cause ce principe. L’Europe pourrait-elle faire mieux ou plus ? Bien évidemment ! Et c’est pour cela que, contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre, la France a été, depuis le début, à l’offensive. Et j’ai rappelé tout à l’heure que nous aurions aimé être suivis par tous les pays concernant le plan français préparé et présenté il y a un an. Un an !

Ce goût, qu’on ne retrouve pas nécessairement dans les autres pays, du bon mot ou de la petite phrase, proférés dans le seul but de s’opposer au Gouvernement, sans que ceux qui le critiquent connaissent rien des initiatives qu’il a prises depuis un an sur la scène européenne, est regrettable. Au mois de juin, les Italiens et les Français ont été bien seuls pour défendre l’idée d’une répartition. Madame Auroi, vous avez affirmé que nous étions opposés à la répartition. Je suis désolé de vous le dire en dépit de l’amitié qui je nous lie : vous vous trompez. C’est au contraire à ce moment-là que nous avons accepté la proposition de la Commission européenne. Je récuse, en revanche, toujours le mot « quota » qui ne peut pas s’appliquer au cas de l’asile. Toutefois, il fallait que chaque pays prenne ses responsabilités.

M. Bruno Le Roux a eu raison de rappeler la césure existant entre le Nord et le Sud, plus particulièrement entre les pays qui sont entrés plus récemment dans la démocratie et au sein de l’Union européenne et les autres. L’histoire doit rester présente à l’esprit de chacun : nous ne pouvons pas, aujourd’hui, ne pas nous montrer solidaires devant les événements qui se déroulent en Europe. Oui, il faut une solution européenne, ce qui interdit de manier le concept de Schengen avec légèreté. Ce traité est perfectible pour une seule raison : il doit être effectivement mis en œuvre, notamment à nos frontières extérieures. En revanche, mettre en cause Schengen en faisant des propositions qui, à terme, rendraient impossible son fonctionnement, c’est mettre en cause l’idée même d’Europe.

Chacun doit prendre position dans ce débat, où il convient de rester pragmatique. Il appartient à la Commission et aux États membres de fournir les moyens nécessaires. Il ne faut pas non plus hésiter à recourir à tous les aspects de Schengen, notamment en rétablissant temporairement les contrôles aux frontières en cas de difficulté majeure. Nous l’avons fait et n’hésiterons pas à le faire de nouveau chaque fois que ce sera nécessaire. Je tiens toutefois à rappeler que, lorsque je me suis rendu, en tant que ministre de l’intérieur, à mon premier conseil JAI, la première décision que j’ai eu à prendre fut de rassurer mes homologues européens. En effet, en raison de l’attitude du gouvernement précédent dans la crise tunisienne, Schengen ne fonctionnait plus bien.

Un grand pays comme la France, qui a contribué à la construction européenne et qui souhaite compter et voir d’autres pays suivre ses propositions, ne doit pas oublier les valeurs de l’Europe, surtout lorsqu’il s’agit de gouverner au cœur de difficultés. Je regrette d’entendre, à l’extérieur de l’Assemblée nationale, des propositions inconséquentes, qui ne sont pas fiables et ne pourraient pas être mises en œuvre tout simplement parce qu’elles ne correspondent pas au compromis nécessaire sur lequel doit reposer l’Europe. Je tiens à prévenir les Républicains : attention ! À force de chercher à courir derrière certains, vous mettez en cause le combat européen qui a été le vôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pierre Lellouche. Des propositions fiables, vous n’êtes pas seul à en avoir !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Lellouche, je vous ai si souvent entendu sur la Roumanie et la Bulgarie ainsi que sur des questions relatives à la politique de défense ou aux affaires étrangères, que je me demande si la tradition de construire l’Europe vous habite encore. Sachez, en tout cas, qu’elle nous habite toujours. Sur l’Europe, nous ne transigerons pas, tout simplement parce qu’il faut plus d’Europe et lui donner les moyens de fonctionner. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) C’est du reste le message que j’ai entendu dans la bouche de la plupart des orateurs : l’essentiel est notre volonté de construire une réponse au plan européen. Qui peut aider la Turquie, si ce n’est l’Europe ? Qui peut aider le Haut Conseil aux réfugiés, en dehors de la communauté internationale et des Nations unies, si ce n’est l’Europe ? Qui peut, aujourd’hui, intervenir sur nos frontières extérieures ? C’est évidemment l’Europe, qui devra, naturellement, tenir compte de la situation.

M. Pierre Lellouche. Quelle Europe ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Lellouche, il y a quelques mois, d’aucuns, à droite et à gauche, reprenant certaines positions allemandes, expliquaient que la Grèce devait sortir de l’euro. Quel message aurions-nous envoyé si nous avions dit à la Grèce de quitter l’Europe alors qu’elle affronte un tel afflux de migrants ! Il faut être conséquent, il faut être cohérent : quand on a gouverné et qu’on aspire de nouveau à le faire, on ne peut pas dire n’importe quoi aux Français, parce qu’ils jugent chacun sur sa capacité à tenir un discours cohérent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pierre Lellouche. Vous seriez plus crédible si la France allait bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Or le Président de la République et le Gouvernement font preuve de cohérence en matière d’accueil des réfugiés et de maîtrise de la situation.

Madame Pécresse, je peux me retrouver dans une grande partie des propos que vous avez tenus. Toutefois, est-ce parce qu’il y a des élections au mois de décembre, est-ce parce que vous êtes dans l’opposition, que vous vous sentez obligée de fustiger notre politique migratoire ? Vos arguments ne tiennent pas devant les chiffres que le ministre de l’intérieur a rappelés à l’instant.

Mme Valérie Pécresse. Les miens sont vrais aussi !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Si je voulais polémiquer avec vous,…

M. Pierre Lellouche. Vous ne faites que cela !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …je rappellerai que, sous Nicolas Sarkozy et François Fillon, la France a perdu 13 000 postes de gendarmes et de policiers et que c’est notre gouvernement qui redonne des moyens à la police et à la gendarmerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Pécresse. Il n’y a que 20 % de reconduites à la frontière !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour reconduire les immigrés en situation irrégulière à la frontière, madame Pécresse, la police n’a besoin ni de discours ni d’attitudes ni de voyages à l’étranger, mais de moyens ! L’asile a, lui aussi, besoin de moyens : nous continuerons d’en donner, notamment à l’OFPRA. Il était également nécessaire d’adopter une loi « asile » pour réduire les délais : c’est votre collègue, Mme Mazetier, qui l’a défendue à l’Assemblée nationale. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler les chiffres que, sur cette question aussi, M. Cazeneuve a fournis.

Mme Valérie Pécresse. Sur l’asile aussi, mes chiffres sont bons.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Plutôt que de polémiquer dans ces moments de gravité, cessez de mettre en cause notre politique migratoire, d’asile ou d’accueil. Je le répète : les chiffres sont de notre côté.

Mme Valérie Pécresse. Ce n’est pas vrai !

M. Pierre Lellouche. Et les Français s’en aperçoivent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il est temps d’entendre le changement qui perce dans le pays, que ce soit sur la sécurité, l’asile ou les politiques migratoires.

Mme Valérie Pécresse. Personne ne l’a vu !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La responsabilité est du côté de la gauche, qui assume pleinement le gouvernement du pays, ne raconte pas n’importe quoi aux Français, maîtrise ces sujets dans la difficulté et cherche des solutions aux plans national et européen. Je suis prêt à vous répondre sur tous les sujets ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Il y a ce qui se dit ici, à la tribune, et ce qu’on profère dans les matinales à la radio ou ce qu’on peut lire dans la presse. Madame Pécresse, sur le terrorisme, vous n’avez pas tenu ici les propos que vous avez pu tenir ailleurs. Ne faisons pas peur à nos concitoyens. Le risque terroriste existe, bien sûr ! Mais faire croire qu’il passerait par les demandeurs d’asile est une idée absurde. Nous prenons évidemment les moyens nécessaires. Lorsqu’il s’est agi, récemment, à Munich, d’identifier des réfugiés, la Direction générale de la sécurité intérieure était présente, en vue de contrôler chacun avec précision. Madame Pécresse, vous ne nous prendrez pas en défaut sur une question sur laquelle j’espère pouvoir compter sur chacun. Nous sommes déterminés à protéger nos concitoyens.



S’agissant du co-développement – un autre sujet que vous avez abordé –, Pascal Canfin, alors ministre délégué, et moi-même, en tant que ministre de l’intérieur, avons mis fin au véritable chantage que Brice Hortefeux avait imaginé et qu’il faisait peser sur les pays d’origine : ce chantage était du reste inefficace puisqu’il n’y avait pas de contrat possible avec un pays comme le Mali. Il ne sert à rien de proposer de nouveau des solutions qui, par le passé, se sont révélées être des erreurs.

Mesdames et messieurs les députés, je me félicite de la tenue de ce débat, tout en regrettant qu’il n’ait pas mobilisé un plus grand nombre d’entre vous car il est important pour le pays. La fermeté, la maîtrise, la solidarité et le rappel de nos valeurs sont les lignes de conduite de ce gouvernement. Je suis convaincu que c’est autour de celles-ci qu’il est possible de rassembler une très large majorité de Français. Le pays, je tiens à le répéter, a besoin non seulement d’unité et de rassemblement mais également de sérieux sur des sujets tels que ceux que nous avons abordés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Adaptation de la société au vieillissement

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (nos 2674, 2988).

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 32 bis.

Article 32 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Arnaud Richard. L’article 32 bis du projet de loi prévoit la suppression de l’agrément. Seule l’habilitation donnée par les services d’aide à la personne prévaudra désormais : si le texte est adopté en l’état, chaque demande sera soumise à la décision du président du conseil départemental. Ce nouveau régime juridique, plus restrictif, c’est peu de le dire, que la version issue des travaux du Sénat, risque de freiner le développement du secteur des services à la personne. Or vous savez combien le groupe UDI y est attaché.

En outre, la nouvelle rédaction, qui prévoit de faire basculer tous les services dans un régime d’autorisation rénové, pose à notre sens plus de problèmes qu’elle n’en résout. Les modalités d’octroi de la nouvelle autorisation vont fortement handicaper les services anciennement agréés et donc pénaliser tout un secteur générateur de nombreux emplois non délocalisables.

Je tiens à souligner que ce secteur essentiel pour le redressement économique et social de notre pays a déjà été largement matraqué ou fragilisé par votre majorité, du fait du plafonnement global des avantages fiscaux, de l’augmentation de la TVA et de la suppression du forfait.

De plus, ce projet de loi aura pour conséquence de faire supporter le poids du dispositif par le budget départemental. La suppression de l’agrément entraînera une charge de travail supplémentaire pour les services des collectivités.

C’est une improvisation totale de la part du Gouvernement qui nous inquiète et dont le coût sera phénoménal.

Je défendrai un amendement pour proposer le maintien de l’agrément.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Il est difficile de résumer en deux minutes la problématique que nous abordons avec l’examen de cet article 32 bis issu des travaux du Sénat. À l’Assemblée nationale, nous n’avons pas évoqué en première lecture le difficile sujet de l’organisation de l’aide à domicile, laquelle peut relever de deux modes d’exercice : un régime d’agrément, qui dépendait jusqu’à présent des services de l’État, et un régime d’autorisation, qui dépendait des services du département et impliquait a priori, dans la quasi-totalité des cas, une tarification particulière.

Les sénateurs ont souhaité supprimer le régime de l’agrément, arguant du fait qu’il pouvait poser des difficultés au niveau européen suite au dépôt d’une plainte par un service d’aide à domicile. Cela fait très longtemps qu’on y pense, mais on n’avait jamais osé le faire. Les sénateurs ont adopté cette disposition de manière plutôt raisonnable, puisqu’ils avaient prévu une expérimentation. En revanche, il me semble assez aventureux de modifier les choses de manière brutale, dans un secteur où la création d’emplois est au centre de nos préoccupations.

Nous pourrons peser le pour et le contre pendant la discussion des amendements. Ce secteur concerne des publics fragiles : il convient de le préserver, de l’organiser et de modifier sa tarification, sans empêcher la création d’emplois et en essayant de rester le plus souple possible. J’ai hâte de pouvoir discuter de tout cela avec Mme la secrétaire d’État. Je défendrai tout à l’heure un amendement de suppression de l’article, qui nous permettra d’approfondir notre argumentation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Je me suis inscrit sur cet article 32 bis pour dénoncer les mesures qu’il vise à instaurer. Elles me semblent assez périlleuses et ne présentent pas de réelles garanties d’efficacité.

Réduire l’activité des structures autorisées n’est pas la solution la plus judicieuse pour faire des économies. Cette mesure risque au contraire de restreindre le développement de ces structures et les empêchera tout simplement de grandir. Dans une France où l’espérance de vie de la population s’accroît, si l’activité des structures est ainsi arrêtée, où les personnes âgées et dépendantes seront-elles accueillies ? Il faut remettre l’humain au cœur de ce projet de loi et ne pas penser uniquement en termes d’économies.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 32 bis tend également à rendre plus opaque la procédure d’attribution ou de refus d’autorisation. Les modifications de forme et fondamentales que je propose visent à accroître la transparence de cette procédure. Un délai de réponse plus court et une association entre le préfet et le président du conseil départemental dans le cadre de la prise de décision : tels sont les ajustements que je vous encourage à adopter.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la secrétaire d’État, l’article 32 bis continue à susciter chez nous de nombreuses interrogations. Hier soir, dans votre intervention préalable à l’examen de ce texte, vous avez souhaité nous rassurer quant à votre volonté de préserver, dans le cadre national que vous posez dans votre projet de loi, « un véritable maillage constitué de l’ensemble des services, avec leurs différents statuts juridiques mais également leur mode d’intervention, si nous voulons être en mesure de proposer une qualité adaptée aux besoins de chacun » – ce sont vos propres termes.

Nous vous l’avons dit à plusieurs reprises : aujourd’hui, l’ouverture d’un double régime, celui de l’autorisation et celui de l’agrément, n’est pas satisfaisante. C’est sans doute ce qui a conduit les sénateurs à modifier ce dispositif. Nous continuons cependant de penser que cette refonte au seul profit du régime de l’autorisation se fera au détriment de l’emploi à domicile, des entreprises privées et des particuliers employeurs qui ont pourtant un rôle très important à jouer dans le domaine de l’intervention à domicile dans les années à venir.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’opposer les acteurs privés aux acteurs publics, mais de les faire travailler en complémentarité pour répondre à des besoins qui, compte tenu de l’avancée en âge de la population, sont croissants – nous l’avons démontré.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous vous exprimer clairement ce soir sur le sort réservé aux structures mandataires qui, d’après ce que je comprends, devraient bien être maintenues dans l’agrément ? Vous le savez, madame la secrétaire d’État, et nous y reviendrons lors de la discussion des amendements : tel que vous l’avez amendé en commission le 15 juillet dernier, l’article 32 bis continue de poser problème, à tel point que pas moins de onze nouveaux amendements ont été déposés lundi soir par le Gouvernement. Cinq d’entre eux ont été retirés ce matin, sans doute suite à nos interventions d’hier soir. Nous avons vraiment besoin de retravailler au fond cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. On a bien compris que l’article 32 bis suscitait de nombreuses interrogations. En effet, le débat devra nous permettre de clarifier les choses.

Je souhaite rappeler quelques éléments, en particulier un élément de fond. Si les enjeux que nous évoquons sont lourds et s’alourdiront encore à l’avenir – nous en convenons tous –, il n’en demeure pas moins qu’ils concernent des politiques qui doivent être régulées.

Dès lors, les élus que nous sommes doivent être cohérents. Nous ne pouvons pas, d’un côté, mener des politiques de décentralisation et soutenir, comme nous le faisons tous, que les conseils départementaux doivent être les pilotes des politiques de solidarité, et d’un autre côté, exprimer une forme de défiance à l’égard des exécutifs départementaux en les soupçonnant de vouloir supprimer ou réduire les capacités et les moyens des organismes en place. Contrairement à ce que j’ai entendu, personne ne porte un projet qui consiste à supprimer 11 000 emplois.

Cependant, il est impératif de réguler ce secteur. Nous aurons besoin de cet échange pour lever les peurs que j’ai pu entendre et revenir à ce qu’il y a réellement dans l’article 32 bis, c’est-à-dire à la nécessité de confier aux conseils départementaux la responsabilité de fixer une orientation à la politique d’aide et d’accompagnement à domicile.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 96 et 202, tendant à supprimer l’article 32 bis.

La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n96.

Mme Bérengère Poletti. Je souhaite rappeler l’histoire de ce dispositif – je n’ai pas pris le temps de le faire tout à l’heure. C’est la loi Borloo de 2005 qui a introduit le régime de l’agrément, avec le souci de créer une dynamique de création d’emplois dans un secteur très porteur. Avant l’adoption de cette loi, le seul régime de l’autorisation était assez rigide et n’offrait pas la souplesse ni la liberté de création qu’on aurait pu souhaiter.

L’existence de ce régime d’agrément à côté du régime d’autorisation a posé des problèmes à un certain nombre de partenaires sur le terrain, mais pas partout : je suis élue dans un département où la coexistence des deux dispositifs ne posait pas de problème.

Actuellement, les services relevant de l’autorisation sont souvent tarifés. Vous proposez, madame la secrétaire d’État, de faire entrer tout le monde dans le régime d’autorisation, sans obligation de tarification, tout en permettant une tarification dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM.

Dans l’article adopté par la commission des affaires sociales avant la pause estivale, de nombreux éléments soulèvent des questions importantes. Certes, il faut réguler le secteur, mais il faut veiller à ne pas l’étouffer et à ne pas casser la dynamique de création d’emplois qu’on a pu observer depuis la loi Borloo. Il faut préserver le libre choix des personnes et des familles, préserver la liberté d’entreprise et garantir l’égalité en tout point du territoire. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a déposé cet amendement de suppression, qui permettrait de rétablir un dispositif stable et de revenir en arrière afin de ne pas fragiliser la situation de l’emploi alors que nous traversons une période très difficile.

Mme la présidente. Sur les amendements identiques nos 96 et 202, je suis saisie par le groupe de l’Union des démocrates et indépendants d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n202.

M. Arnaud Richard. Effectivement, le groupe UDI a demandé un scrutin public sur ces amendements de suppression, car il s’agit d’un sujet très important – merci au président Sirugue d’avoir souligné toute son importance dans tous les territoires de notre beau pays.

Sur ce sujet, on ne parle pas assez des usagers. Avec l’extinction de l’agrément, on perdra le contrôle sur la qualité des services à la personne. C’est un choix que vous faites. Soit ! Il faudra l’assumer. Il me semble nécessaire d’insister sur le fait que nous parlons de personnes fragiles et vulnérables, pour la plupart. Avec l’extinction de l’agrément, n’importe qui pourrait se prévaloir de la compétence de rendre des services à la personne, et les risques de maltraitance sont très élevés.

Une autre conséquence sera la perte d’emplois déclarés au profit du travail illégal. À notre avis, l’agrément implique la certification.

En la matière, il faut le dire, le Gouvernement a fait preuve d’une grande habileté en reprenant au pied levé la proposition des sénateurs tout en lui retirant son caractère expérimental.

Cher collègue Christophe Sirugue, il n’y a pas de défiance envers les conseils départementaux, dont la majorité et l’opposition de cet hémicycle se partagent les présidences. La différence entre vous et nous, c’est que vous êtes des partisans de la régulation – on sait ce que cela veut dire –, alors que nous voulons développer et créer de l’emploi. C’est manifestement une vraie différence entre nous : vous avez considéré qu’il fallait administrer ce secteur, alors que nous avons considéré qu’il fallait permettre le développement d’une industrie créatrice d’emplois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission sur ces deux amendements de suppression.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales. L’article 32 bis est important puisqu’il vise à répondre aux difficultés constatées dans ce secteur où coexistent deux régimes juridiques différents, l’agrément et l’autorisation. Cela avait conduit le Sénat à proposer la suppression pure et simple de l’agrément. Cette option permettait effectivement de réduire un certain nombre d’anomalies causées par la coexistence de ces deux régimes, mais elle nous est rapidement apparue trop radicale car certaines difficultés n’avaient pas été anticipées.

C’est pour contourner une partie de ces difficultés que la commission a adopté des amendements en juillet. Ainsi, nous avons voté le basculement des services agréés vers l’autorisation de façon automatique et pour une durée de quinze ans. Les services anciennement agréés qui basculeront vers l’autorisation auront le choix de conclure ou non un CPOM, ce qui leur permettra de conserver leur liberté tarifaire et évitera aux départements d’être surchargés par l’instruction des dossiers. Enfin, l’article 32 bis adopté par la commission prévoit l’absence d’appels à projets pendant sept ans.

Après avoir longuement discuté entre nous – pour ma part, j’ai en outre rencontré les différents partenaires durant le mois d’août et le Gouvernement en a fait autant – et avoir tenu compte de ce qui remontait du terrain, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait améliorer la rédaction issue de la commission.

Les différents amendements qui viendront en discussion permettront d’améliorer le texte. Les améliorations doivent porter sur la suppression de la limitation de l’activité et sur les zones d’intervention.

Notre discussion à venir devrait rassurer et satisfaire l’ensemble des partenaires et des groupes parlementaires.

Avis défavorable donc aux amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie, pour donner l’avis du Gouvernement sur les amendements de suppression de l’article 32 bis.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie. Prenons un peu de recul et revenons un peu en arrière pour comprendre ce que nous sommes en train de faire. Sans vouloir porter atteinte d’une quelconque façon au dispositif Borloo, à son caractère novateur, à sa réussite, on peut néanmoins se poser la question de savoir s’il était judicieux de l’appliquer aux services d’aide aux personnes les plus vulnérables. Si cela était à refaire, peut-être n’agirions-nous pas de même.

Le succès du dispositif Borloo tient en très grande partie au fait qu’il a permis de développer de nombreux services à la personne. Cependant, le jardinage n’est pas tout à fait la même chose que l’aide à domicile auprès de personnes âgées ou de personnes handicapées dont nous n’avons pas manqué de rappeler la vulnérabilité.

En tout état de cause, la coexistence des deux régimes existe. Elle est une donnée sur laquelle les parlementaires, bien avant que je ne sois responsable de ces sujets, se sont penchés. Les sénateurs comme les députés ont publié de nombreux rapports qui tous ont abouti à la même conclusion, celle-là même que vous évoquez dans votre exposé sommaire : à savoir que l’existence d’un double régime juridique n’est pas une situation satisfaisante, ce que, au demeurant, personne ne conteste.

Dès lors se dégagent trois options. La première est le statu quo. Cela revient à constater que la situation n’est pas satisfaisante, mais que, tout compte fait – courage, fuyons –, nous pouvons encore nous en accommoder pendant quelques années.

La deuxième option consiste à faire le choix du régime d’agrément pour l’ensemble des services. La troisième, à opter pour l’autorisation. La commission des affaires sociales du Sénat a eu une position pour le moins radicale en proposant que tout le monde bascule dans l’autorisation tarifée, sans prévoir d’expérimentation et en fixant un délai, pas très long, à 2021.

Cette position présentait deux risques : provoquer une inflation des dépenses des départements liées à la tarification ainsi qu’une déstabilisation du secteur dans la mesure où l’amendement n’était assorti d’aucune disposition d’amortissement, de transition.

Je rappelle que la commission des affaires sociales du Sénat reflète la majorité politique du Sénat. Les deux rapporteurs du Sénat à l’époque étaient présidents de conseil général : l’un, de votre formation politique, monsieur Richard, et l’autre de la mienne. Ils ont travaillé en osmose et défendu les mêmes dispositions.

Après le vote de la commission des affaires sociales, nous avions dit que le changement de régime juridique nous paraissait brutal et comportait des risques inflationnistes et de déstabilisation du secteur.

Nous avons donc retravaillé en nous appuyant sur les rapports parlementaires, avec les députés et les sénateurs qui suivent ces sujets depuis longtemps. Mais durant ce laps de temps, nous ne sommes pas restés sans rien faire depuis 2012. Je rappelle qu’un fonds de restructuration doté de 130 millions d’euros a permis de soutenir 1 400 services publics associatifs ou privés commerciaux. Le critère d’aide retenu – ce qui est tout à fait légitime lorsqu’il s’agit d’argent public – était que le service intervienne à plus de 70 % auprès des publics fragiles.

Nous avons constaté que le fonds de restructuration avait probablement aidé une série de structures à passer les trois ans qui viennent de s’écouler, mais qu’il n’avait rien restructuré. Les difficultés étaient destinées à perdurer et on aurait pu abonder chaque année le fonds de restructuration. Or, à un moment donné, il faut avoir le courage de trouver des solutions durables.

Dans les solutions de restructuration, j’évoque les services polyvalents d’aide et soins à domicile – les SPASAD – qui sont très probablement l’un des principaux outils que nous ayons à notre disposition à l’avenir. Nous en parlerons à l’article 34.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait repositionner le secteur en opérant un basculement de l’ensemble des services dans le régime de l’autorisation, mais, comme vient de le dire Mme la rapporteure, en portant une attention toute particulière aux services d’aide à domicile qui, aujourd’hui, relèvent de l’agrément. Et en basculant pour quinze ans les agréés d’aujourd’hui, nous leur offrons incontestablement une certaine sécurité.

Les amendements que le Gouvernement a déposés et que nous examinerons tout à l’heure visent à améliorer l’article 32 bis. Il se trouve que cet article a donné lieu à de nombreuses interprétations erronées, je le dis très clairement. L’ensemble des fédérations a été reçu par moi-même et mon cabinet. Durant tout l’été, nous avons conduit un travail avec les parlementaires. Je considère donc que, grâce aux amendements qui ont été déposés, nous offrons un système sûr pour l’ensemble des structures, protecteur des finances publiques des départements.

Pour tout vous dire, je suis pour le moins étonnée de voir repris un certain nombre d’arguments qui ont été développés par une partie des entreprises agréées, et de constater que les questions de la maîtrise de l’offre et de l’obligation des départements, lesquels doivent assurer la couverture territoriale accessible à tous, aient complètement disparu de nos débats. Nous ne pouvons pas simplement être les représentants d’une partie du secteur de l’aide à domicile.

Nous sommes aussi en charge des finances publiques et nous avons l’obligation de donner aux départements, qui ont vocation à organiser cette offre, les moyens d’assurer au mieux leurs responsabilités.

Nous devons avoir à l’esprit plusieurs critères : la sécurisation de l’ensemble de l’existant ; la maîtrise des dépenses publiques des départements ainsi que la capacité des départements à assurer la couverture territoriale de l’accès aux soins à domicile. Tels sont les trois critères qui sont les nôtres aujourd’hui.

Après que l’Assemblée aura repoussé, ce que je souhaite, les amendements de suppression de l’article 32 bis, nous pourrons envisager d’aboutir à la cohérence et à la sécurité du système.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Si notre groupe demande la suppression de l’article 32 bis, c’est parce que des incertitudes et des interrogations demeurent. Vous venez de dire, madame la rapporteure, qu’elles seront levées grâce aux amendements qui ont été déposés.

Sachez que nous considérons que le régime juridique d’autorisation, qui sera à l’avenir dispensé par les départements, ne doit pas se faire au détriment de certaines professions : les particuliers-employeurs, les entreprises, les associations. Tous les acteurs doivent pouvoir s’y retrouver, et nous insistons sur ce point.

Si j’ai bien compris, les services anciennement agréés basculeront automatiquement non plus pendant une période transitoire de sept ans, mais de quinze ans – information importante –, sous réserve de respecter un cahier des charges.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. D’où l’article 32 bis.

Mme Isabelle Le Callennec. Or nous ne disposons pas d’informations suffisantes quant à ce cahier des charges. C’est cela qui inquiète les entreprises qui nous ont sollicités.

Vous avez indiqué que le volume horaire serait a priori le même et qu’il n’y avait pas de risque d’une limitation de l’activité ainsi que vous l’avez rappelé, madame la rapporteure. Mais la question de l’instauration d’un plafond se pose néanmoins.

Enfin, l’Inspection générale des affaires sociales a établi des rapports entre les activités des associations et celles des entreprises. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde, mais les règles doivent être claires. Je rappelle que les entreprises ont déposé une plainte au niveau européen eu égard à ce qu’elles considèrent comme étant des distorsions de concurrence.

C’est sur ces points que doit porter le débat sur l’article 32 bis qui fait tant parler. Nous devons lui redonner de la lisibilité et faire en sorte d’assurer un service de qualité pour les publics fragilisés. Si nous en demandons la suppression, c’est parce qu’il comporte encore trop d’interrogations et d’incertitudes pour être voté en l’état.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 96 et 202.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants21
Nombre de suffrages exprimés21
Majorité absolue11
Pour l’adoption6
contre15

(Les amendements identiques nos 96 et 202 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 271 rectifié, 100 et 189, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n271 rectifié.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je vais présenter les six amendements du Gouvernement à l’article 32 bis, – le service de la séance, dans sa grande sagesse, les ayant fractionnés – afin que vous puissiez en appréhender la cohérence.

Ces amendements visent à simplifier et à clarifier le régime juridique des services d’aide et d’accompagnement à domicile pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap.

Dans une logique d’harmonisation, il est précisé que le cahier des charges national s’imposera bien à tous les services d’aide et d’accompagnement à domicile. Les conditions de fonctionnement de ces services seront donc identiques sur l’ensemble du territoire. Voilà qui me semble lever une interrogation.

Par souci de simplification, il est également prévu qu’à la date de publication de la loi, les services actuellement agréés basculent automatiquement dans le régime de l’autorisation, valant donc directement mandatement au sens du droit européen. Ils n’auront donc pas de démarches supplémentaires à effectuer.

Ils pourront ainsi poursuivre leur activité sans interruption, dans le régime de l’autorisation. De même, s’ils intervenaient auprès des bénéficiaires de l’APA – aide personnalisée d’autonomie – ou de la PCH – prestation de compensation du handicap –, ils pourront continuer à assurer leurs prestations auprès de ces personnes.

Le développement des SAAD – services d’aide et d’accompagnement à domicile – est favorisé puisque leur capacité d’accueil sera dorénavant définie par une zone d’intervention afin notamment de ne pas limiter le volume horaire de leur activité. C’est une évolution importante qui traduit la volonté du Gouvernement d’être en phase avec les réalités de terrain en proposant une autorisation rénovée et adaptée aux spécificités de l’aide à domicile.

Enfin, cet amendement confirme l’obligation du président du conseil départemental de motiver sa décision de refus d’une demande d’autorisation d’extension ou d’habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale lorsque le service concerné lui en fait la demande, que le refus soit explicite ou implicite. Cela répond donc à certaines de vos inquiétudes.

J’appelle votre attention sur le caractère dérogatoire au droit des collectivités territoriales qui obligera les présidents de département à motiver les refus, comme cela a été demandé. Soit. Je ne veux pas qu’il y ait de suspicion à l’égard de qui que ce soit. C’est pourquoi nous le faisons, mais dans les collectivités territoriales, les commissions permanentes des départements ou des régions n’ont même pas connaissance des décisions de refus sur les décisions individuelles de mise en œuvre des politiques.

Je prendrai un exemple très simple : lorsqu’une association demande une subvention au département ou à la région, la commission permanente ne vote pas sur le refus du département ou de la région d’accorder cette subvention et les élus n’en sont donc pas informés – ils l’apprennent en général lorsqu’ils rencontrent des représentants de l’association. Aucune obligation de motivation n’est imposée par la loi. Il s’agit donc d’un dispositif dérogatoire, mais qui semble nécessaire. Avec ces ajustements – et peut-être d’autres qui seront portés par des parlementaires experts du secteur –, nous renforçons largement la portée de la loi.

L’amendement n271 rectifié prévoit la création d’un article du code d’action sociale et des familles consacré au cahier des charges – sujet qui a déjà été évoqué cet après-midi –, afin de rappeler qu’il s’impose à tous les services d’accompagnement à domicile relevant du régime unique d’autorisation. Le même cahier des charges s’appliquera donc à l’ensemble des services d’aide à domicile, qui désormais relèveront tous du régime d’autorisation. Il permet ainsi de préciser que le cahier des charges fixe des normes qualitatives et qu’il sera opposable à tous les stades. En outre – la question a été posée et le sera donc nécessairement ici –, ce cahier des charges reprend en grande partie les dispositions du cahier des charges de l’agrément, avec quelques évolutions qui permettront de le simplifier et de l’actualiser.

Le contenu du nouveau cahier des charges sera précisé à l’issue d’une concertation prévue avec toutes les fédérations du service à domicile. Du reste, le prochain comité de pilotage de refondation des services à domicile, le 6 octobre prochain, permettra de soumettre un projet et le décret publiant le cahier des charges sera publié en même temps que la promulgation de la loi.

Cette série de six amendements prouve à la fois la volonté du Gouvernement de mettre en place un système stable, durable et respectueux de l’existant comme des capacités de développement du service d’aide à domicile, un dispositif qui ne discrimine pas, ne sélectionne pas les services en fonction de leur nature juridique. Les services lucratifs, commerciaux, qui ont beaucoup revendiqué ces derniers temps, se verront donc appliquer le même régime que les associations.

Enfin, ces services d’aide à domicile destinés à des personnes âgées ou handicapées étant solvabilisés par la dépense sociale, il convient de ne pas les aborder comme s’ils l’étaient par les usagers. Le système doit donc aussi assurer la maîtrise de la dépense par le département, qui est le payeur, et, surtout, l’accès de tous à ces services.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n100.

Mme Bérengère Poletti. Je souhaitais initialement intervenir à propos de l’amendement du Gouvernement relatif au cahier des charges, mais l’intervention de Mme la secrétaire d’État a déjà apporté certaines réponses. Depuis le début de l’examen de la question qui fait l’objet de l’article 32 bis et des changements introduits par le Sénat, Mme la secrétaire d’État s’est en effet attachée à apaiser le secteur, très inquiet de ces modifications – nous aurons l’occasion d’y revenir au fil de l’examen du texte.

Le cahier des charges était en effet une question centrale, mais le fait qu’une concertation soit prévue avec l’ensemble des ministres devrait être source d’apaisement et permettre de situer la demande à ce propos. Du reste, les services agréés se conforment déjà à un cahier des charges très exigeant, auquel nous ne savons pas ce que vous souhaitez ajouter.

L’amendement n100 tend à donner aux services un délai de six mois à partir de la date de publication du décret définissant le cahier des charges national, afin qu’ils puissent disposer d’un peu de temps pour se conformer aux éléments supplémentaires susceptibles de figurer dans le cahier des charges et n’y figurant pas actuellement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour soutenir l’amendement n189.

Mme Bernadette Laclais. Je tiens d’abord à remercier Mme la secrétaire d’État, dont les propos d’une grande clarté permettent à ceux qui ont déposé des amendements d’y voir beaucoup plus clair. En effet, certains amendements du Gouvernement concernent plusieurs alinéas du texte et elle vient de nous donner une lecture globale de l’ensemble de propositions formulées pour tenir compte des remarques exprimées à propos de l’article 32 bis.

Je retire l’ensemble des amendements que j’ai déposés, car les questions qu’ils soulevaient ont trouvé des réponses. Cependant, le fait que la concertation doive s’engager à partir du mois d’octobre et que le décret doive paraître en même temps que la promulgation de la loi ne répond pas à la question de savoir de quel délai disposeront les différents prestataires pour se conformer au cahier des charges après la parution de celui-ci.

(L’amendement n189 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Faut-il un délai de mise en conformité avec le cahier des charges ? Dans mon ministère, la concertation est permanente – nous avons promulgué la « concertation permanente ! » (Sourires.) Elle intervient à chaque instant, sur tous les sujets dont j’ai la responsabilité, qu’il s’agisse de la protection de l’enfance, de la loi sur le vieillissement ou de la famille. Sur tous ces sujets, je rencontre continuellement les parlementaires, les élus et les acteurs. D’un certain point de vue, donc, le comité de pilotage – COPIL – de la refondation des services d’aide à domicile, structure qui travaille de manière régulière, est déjà saisi de la prochaine réunion où nous commencerons à évoquer ces questions et s’y est préparé.

Je peux déjà dire sans déflorer la concertation, que, globalement, le cahier des charges sera à peu près celui qui est en vigueur aujourd’hui : il n’y aura donc pas de démarches ou d’actes particuliers à accomplir pour être en conformité avec ce cahier des charges.

Nous avons pensé, notamment avec la branche de l’aide à domicile, que c’était également l’occasion de voir si ce cahier des charges était toujours contemporain ou si certaines de ses dispositions ne dataient pas du moment de son élaboration – mais nous le ferons dans la concertation : si une difficulté survenait, nous en parlerions, puis la lèverions.

Soyons clairs, afin d’éviter toute suspicion : mon but n’est pas de compliquer la vie des services d’aide à domicile agréés. Je ne conduis aucune croisade et ce que je fais n’a aucune dimension idéologique. Ma seule exigence consiste à réformer un régime dual qui n’est ni performant, ni efficient, et à le faire avec la double ambition d’apporter le meilleur service aux usagers et de permettre à ce secteur porteur d’emplois de continuer à se développer comme il l’a fait. Je le répète : je ne ferai rien qui puisse compliquer la vie des services agréés aujourd’hui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Mme la secrétaire d’État a très bien exposé la nouveauté de cet article 32 bis. Je me bornerai à rappeler que la commission a émis un avis favorable sur l’amendement n271 rectifié et défavorable sur les autres amendements, qui fixent un délai de six mois pour la mise en conformité avec le nouveau cahier des charges.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n100 ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la secrétaire d’État, puisque vous avez défendu en même temps tous les amendements du Gouvernement, je vous poserai une question pour avoir une meilleure compréhension de ce sujet difficile. En effet, étant donné que nous découvrons tous ces éléments en séance, la motion de renvoi en commission que j’ai défendue hier me paraît plus que justifiée.

Dans l’exposé sommaire de l’amendement n305, par exemple – identique, du reste, à ceux de tous vos amendements à cet article –, vous déclarez qu’« en outre, le présent amendement confirme qu’en cas de refus du président du conseil départemental d’une demande d’autorisation d’extension ou d’habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale formulée par un service d’aide et d’accompagnement à domicile, le conseil départemental a l’obligation de l’informer des motifs de son refus ».

Cette obligation s’impose-t-elle d’emblée et le président du conseil départemental doit-il, lorsqu’il refuse l’autorisation, assortir immédiatement sa décision de la motivation de son refus ? En fonction de votre réponse, peut-être reprendrai-je la parole, si Mme la présidente m’y autorise, pour compléter ma question.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Tout d’abord, pour faire écho à la question de M. Lurton, en cas de refus de l’autorisation, la société a-t-elle une possibilité de recours ?

Deuxième question : vous nous annoncez, madame la secrétaire d’État, que la publication du décret interviendra en même temps que la promulgation de la loi, et c’est une bonne chose. J’en déduis qu’il n’y aura pas de délai d’adaptation au nouveau cahier des charges. Les sociétés ont donc quatre mois pour faire le nécessaire, en se fondant sur l’idée que, comme vous l’annoncez, le nouveau cahier des charges ressemblera probablement à celui qui est actuellement en vigueur. Encore faut-il en avoir la certitude.

Enfin, votre amendement envisage que le basculement se fasse sur la zone d’intervention. Qu’adviendra-t-il pour une société désireuse d’élargir son périmètre d’intervention ? Ayant basculé automatiquement dans le périmètre de l’autorisation, que devra-t-elle faire pour étendre son activité à un canton ou une communauté de communes supplémentaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Ma première question porte sur la zone d’intervention du service. Si je comprends bien, l’existant sera reconduit et les zones seront toutes départementales, à l’exception de quelques départements qui ont expérimenté le zonage et l’attribution d’une zone géographique. Cela n’est pas gênant.

En revanche, pourquoi refusez-vous l’instauration d’un délai de six mois ? En effet, tout n’est pas blanc ou noir : les services agréés ne sont pas seulement des services privés, mais aussi des associations bénéficiant d’un agrément et présentant des situations très diverses. Les régions françaises sont également très diverses et certains services interviennent dans des zones très denses, d’autres dans des zones très rurales, alors que vous vous apprêtez à créer des textes, des critères et un cahier des charges à l’échelle nationale.

Pourquoi donc vous opposez-vous à ce qu’un délai de six mois permettre aux services de se conformer à ce qui leur est demandé ? C’est un peu brutal, même si vous définissez préalablement le dispositif avec eux. Il serait de meilleure politique, et plus souple, de leur donner un peu de temps.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. J’évoquerai d’abord les modalités de recours et la motivation d’un éventuel refus. Si le président du conseil départemental répond dans le délai de deux mois, il doit motiver sa décision de rejet. Si le rejet est implicite, il incombe au service d’en demander la motivation. Concrètement : si un service fait une demande, à laquelle le département ne répond pas, ce silence vaut rejet et le service, constatant que le délai est dépassé, demande la motivation de ce rejet.

Quel est le recours ? C’est un acte administratif, donc il est susceptible d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, au même titre que n’importe quel autre acte administratif.

Deuxième sujet concernant les zones d’intervention. Mme Poletti a, d’un certain point de vue, déjà répondu : les zones d’intervention sont en général le département. Pour les services agréés, la DIRECCTE – direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – délivrait des agréments pour des zones d’intervention correspondant au département. La question est donc théorique, pour dire les choses clairement.

Concernant le respect du cahier des charges, je pars du principe que les services agréés qui basculeront dans l’autorisation sont présumés respecter le cahier des charges puisqu’ils sont en activité aujourd’hui. Il n’y a donc pas besoin, dès lors que le cahier des charges sera quasiment identique, qu’ils se réadaptent.

De plus, dans la vraie vie, cela ne se passera pas exactement comme cela : en admettant même, pour suivre votre hypothèse, qu’ils aient besoin de s’adapter au cahier des charges, le département ne leur retirera pas leur autorisation au bout de quinze jours sous prétexte de vérifier la compatibilité avec le cahier des charges. Cela va se faire en marchant ! Je ne vois pas bien ce qu’apporterait le fait de fixer un délai pour respecter un cahier des charges qu’ils respectent déjà. Je suis donc un peu perplexe sur l’utilité de cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Pardonnez-moi d’insister, mais a priori votre réponse me convient tout à fait. Elle signifie que le président du conseil départemental ne motive pas d’emblée, mais seulement s’il est saisi d’une demande de motivation par l’intéressé dans les délais du recours contentieux.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. En droit administratif, il existe deux manières de rejeter une demande : la première est explicite tandis que la seconde, implicite, découle du dépassement du délai de réponse. Dans l’hypothèse explicite, la décision de rejet est assortie d’une motivation ; dans l’hypothèse où il n’a pas répondu, il n’a bien évidemment pas motivé sa non-réponse ! Dans ce cas, l’administré, en l’occurrence le service, doit demander la motivation de la décision de rejet.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Alors que le Gouvernement avait annoncé qu’à partir de novembre 2014, le silence de l’administration au bout de deux mois vaudrait accord – je m’étais réjouie de cette annonce –, on s’aperçoit aujourd’hui qu’il existe toute une liste de dérogations et que ce n’est pas si simple que cela.

Je trouve dommage, alors que nous votons cette loi d’adaptation au vieillissement, que les deux mois ne vaillent pas accord de la part du conseil départemental. S’il y a un refus d’autorisation, la moindre des choses est d’en donner la raison et de l’expliquer : ce serait beaucoup plus explicite !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Oui ! C’est justement ce que nous prévoyons !

Mme Isabelle Le Callennec. Or cela ne l’est pas totalement : à vous entendre, madame la secrétaire d’État, il n’existe pas d’obligation, ainsi que vous venez de le dire.

Concernant le cahier des charges, vous nous dites que celui-ci sera « quasiment identique ». Or nous nous interrogeons sur ce point car, s’il est identique, il suffit à toutes les sociétés, toutes les associations, tous les intervenants de lire l’arrêté du 26 décembre 2011 pour savoir quel cahier des charges ils doivent respecter. C’est le « quasiment » qui nous ennuie : puisque vous nous disiez réunir régulièrement le comité de pilotage, pouvez-vous nous en dire davantage et préciser où réside cette petite différence qui justifie le « quasiment » ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. J’insiste à mon tour sur ce délai car l’inquiétude que nous exprimons est générée par la formulation que vous avez retenue : ce sera « quasiment » la même chose, avec peut-être quelques éléments supplémentaires. Nous avons besoin de connaître ces éléments supplémentaires : quels sont-ils ? Êtes-vous en train de réfléchir à une modification de ce cahier des charges ?

De plus, dans votre réponse, vous sous-entendez que « dans la vie de tous les jours », comme vous dites, un délai existera quand même : dès lors que vous concevez que, en pratique, il y aura un délai de quinze jours, d’un mois ou de deux mois, je ne vois pas pourquoi vous ne le concrétisez pas en l’inscrivant dans la loi. Sans doute trois mois ou six mois vous paraissent-ils trop longs : cela peut être un peu moins, mais je ne comprends pas pourquoi vous réagissez comme cela sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Nous reverrons tous ces sujets plus précisément lors de l’examen d’autres amendements. Mais peut-être suis-je trop honnête sur le cahier des charges : j’aurais dû dire qu’il sera absolument le même ! Nous n’allons tout de même pas nous priver de l’opportunité de simplifier si nous pouvons le faire ! Et même si les efforts de simplification entre 2011 et 2015 sont plus grands, si nous trouvons dans ce cahier des charges des dispositions pouvant être simplifiées, nous le ferons ! J’aurais donc dû dire que ce cahier des charges serait le même : cela ne nous aurait pas empêchés par la suite de simplifier un peu !

Les obligations portant sur les structures seront les mêmes, avec une actualisation parce qu’entre 2011et 2015 ont été votées quelques nouvelles lois, en particulier la loi Hamon qui renforce la protection des personnes prises en charge par les services d’aide et d’accompagnement à domicile ; nous-mêmes allons voter des dispositions qu’il faudra intégrer. Mais celles-ci ne changeront pas les conditions d’exercice de l’activité des services d’aide à domicile ; elles n’imposeront pas des conditions qui auraient pu suspendre l’agrément et qui pourraient suspendre l’autorisation.

Je répondrai à Mme Le Callennec sur la question de la motivation des actes administratifs et de la loi du 12 novembre 2013 selon laquelle le silence de l’administration vaut non pas refus, comme nous l’avons appris, mais acceptation : il y a une toute petite disposition qui précise « dès lors que la décision n’a pas d’incidence financière ». Selon la loi, le silence de l’administration vaut acceptation dès lors que cela n’a pas d’incidence financière ; or, en l’espèce, nous sommes en plein dans un champ comportant des incidences financières.

De plus, il est très compliqué de demander à un président de conseil départemental de motiver le fait qu’il ne dise rien – je vois les choses très simplement ! Ce n’est qu’après, à l’expiration du délai, quand on a constaté qu’il n’a pas répondu, qu’on lui demande de motiver son refus.

(L’amendement n271 rectifié est adopté et les amendements nos 100 et 178 tombent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n306 rectifié.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cet amendement a pour objet de favoriser le développement de l’activité dans le secteur de l’aide à domicile et, ainsi, de proposer une autorisation rénovée et adaptée aux spécificités du domicile. La capacité était jusque-là définie dans les autorisations en volume horaire ou en nombre de personnes accompagnées par les SAAD – services d’aide et d’accompagnement à domicile – ; elle sera désormais définie par zone d’intervention pour tous les services à compter de la date de publication de la loi.

Cet amendement permet de maintenir le périmètre d’intervention des services actuellement agréés qui basculeront automatiquement dans le régime d’autorisation. Les SAAD ne seront donc pas limités dans le développement de leur activité lorsqu’ils seront amenés à répondre à des demandes de prestations supplémentaires dans leur zone d’intervention.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement puisque l’un des principaux obstacles au volume d’activité est dorénavant supprimé.

(L’amendement n306 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n18.

Mme Bérengère Poletti. Il s’agit d’un amendement de repli afin de garantir que les services non habilités à l’aide sociale puissent continuer, comme aujourd’hui, à fixer librement leurs tarifs à l’entrée dans le service, sachant que ces tarifs libres ne sont pas opposables au président du conseil départemental lorsque ce dernier valorise en euros le plan d’aide APA à domicile.

Il en résulterait pour les départements un surcoût de 300 millions d’euros, selon les fédérations de services agréés, en cas d’alignement des tarifs retenus lors de la valorisation des plans d’aide APA à domicile par les équipes médico-sociales des départements avec ceux fixés par les ex-services agréés et les services autorisés et non tarifés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Cet amendement vise à imposer la signature d’un CPOM aux services habilités à l’aide sociale et à conserver la liberté tarifaire des services non habilités à l’aide sociale. Je rappelle que l’article 32 bis prévoit déjà que les services non habilités à l’aide sociale pourront conserver leur liberté tarifaire. Par ailleurs, la tarification pourra être encadrée par les clauses librement consenties des CPOM souscrits avec le département.

Quant à la question de rendre les CPOM obligatoires pour les services habilités à l’aide sociale, la commission y a été défavorable car nous avons fait le choix de laisser la liberté de conclure – ou non – un CPOM, afin d’alléger la charge de travail des départements au moment de la bascule des services agréés dans l’autorisation. La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Avis défavorable, des présidents de conseil départemental m’ayant fait remarquer qu’une telle obligation serait un peu lourde. De plus, il y a comme un oxymore dans l’idée qu’une convention puisse être obligatoire : la convention procède par nature de la rencontre de la volonté des parties et de leur consentement libre. Dès lors qu’elle est obligatoire, ce n’est plus une convention !

(L’amendement n18 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n300 rectifié.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cet amendement ayant déjà été présenté, nous pourrions le considérer comme défendu. Il vise à clarifier le texte actuel sur le mandatement au sens du droit européen.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. La commission a émis un avis favorable.

(L’amendement n300 rectifié est adopté et les amendements nos 97, 136, 149, 162 et 188 tombent.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 66 et 251.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n66.

M. Guillaume Larrivé. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Claireaux, pour soutenir l’amendement n251.

M. Stéphane Claireaux. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. L’intention de ces amendements est partiellement satisfaite puisque les services agréés qui basculeront dans l’autorisation pourront conserver le bénéfice de la certification qu’ils ont engagée sous le régime de l’agrément. Ils n’auront aucune démarche d’évaluation externe à faire au moment de la bascule. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

(Les amendements identiques nos 66 et 251, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n302.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cet amendement s’inscrit dans le souci de proposer une autorisation rénovée en prévoyant, dans une logique de simplification, un délai de deux ans avant toute évaluation externe des services d’aide et d’accompagnement à domicile anciennement agréés. D’un certain point de vue, cet amendement répond aux soucis de délai que vous avez exprimés tout à l’heure.

(L’amendement n302, accepté par la commission, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 55 et 155.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n55.

M. Guillaume Larrivé. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n155.

Mme Bérengère Poletti. Cet amendement concerne les évaluations externes. Les établissements et services sociaux et médico-sociaux doivent procéder à des évaluations externes de leurs activités et de la qualité de leurs prestations par un organisme habilité par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux.

Ces établissements et services peuvent également engager des démarches de certification de tout ou partie de leurs activités et prestations par des organismes indépendants mentionnés à l’article L. 115-28 du code de la consommation. Afin d’articuler ces deux démarches, l’article L. 312-8 du code de l’action sociale et des familles prévoit que les certifications peuvent être prises en compte au titre de l’évaluation externe. Le présent amendement a pour objet de préciser que les structures agréées réputées détenir une autorisation puissent bénéficier des mêmes droits…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est un roman de Tolstoï !

Mme Bérengère Poletti. …que les structures autorisées à la date de promulgation de la présente loi au regard de l’obligation d’évaluation externe.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. La commission a considéré que ces amendements sont déjà satisfaits par le septième alinéa de l’article L. 312-8 du code de l’action sociale et des familles. L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Même avis : je suis défavorable à ces amendements car ils sont satisfaits.

(Les amendements identiques nos 55 et 155 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n304 rectifié.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Cet amendement a pour objet de prévoir que tous les services d’aide et d’accompagnement à domicile bénéficieront d’un même délai, fixé au 31 décembre 2022, qui leur permettra d’être exonérés de la procédure d’appel à projets en cas de demande d’autorisation d’habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale, ou en cas d’extension de leur activité.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que jusqu’en 2022, les nouveaux entrants pourront demander une autorisation sans répondre à un appel à projets du département. Vous voyez, monsieur Richard, que nous aussi favorisons l’activité et la création d’emplois dans ce secteur !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Madame la ministre, après 2022, de nombreux porteurs de projets ne pourront plus déposer de demande qu’en réponse à un appel à projets des départements. Nous nous priverions ainsi de nombreuses initiatives. Il y a un vrai décalage entre cette mesure et la réalité des besoins des personnes en situation de fragilité. Cette mesure favorise les acteurs établis au détriment des nouvelles initiatives, qui pourtant peuvent être parfois très novatrices.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. L’amendement que je viens de défendre permet de solliciter une autorisation sans appel à projets jusqu’à 2022 : ce régime est déjà très dérogatoire ! En outre, si vous allez au bout de votre logique, si vous refusez de rendre la main aux présidents de région en 2022 pour l’organisation de l’offre, alors il vous faudrait déposer un amendement pour supprimer ces appels à projets.

Je vous fais cet aveu : je ne sais pas quel sera, en 2022, l’état du tissu local de services d’aide et d’accompagnement à domicile pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap. Je n’exclus donc pas qu’à cette date, les départements soient satisfaits de reprendre leur compétence, car l’appel à projets est le principal outil de régulation et d’organisation de l’offre médico-sociale sur leur territoire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Je pense que d’ici 2022, comme on dit, il passera de l’eau sous les ponts. Nous aurons bien le temps de voir comment les choses se passeront et de les corriger en conséquence !

Dans le cadre de la réalisation de mon rapport sur la tarification des services d’aide à domicile pour publics fragiles, je me suis déplacée dans de nombreux départements. Certains d’entre eux ne voulaient absolument pas avoir recours à l’autorisation, mais uniquement à l’agrément, car ils ne voulaient pas du tout tarifer des services. Ces départements étaient notamment situés dans la couronne parisienne et n’étaient pas forcément de ma couleur politique. Quoi qu’il en soit, les départements qui ont une très forte densité de population, avec un très fort renouvellement, ne voulaient pas de la tarification de l’aide à domicile à la famille, non plus que de l’autorisation – sauf de façon très marginale, notamment pour les personnes handicapées.

Tout cela pour dire que les départements présentent des situations très diverses et parfois très compliquées. Un seul système, une seule réponse pour tous, cela me paraît peu pertinent.

(L’amendement n304 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 154 et 163.

La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n154.

Mme Bérengère Poletti. Il s’agit, à la première phrase de l’alinéa 27, après le mot « départemental », d’insérer les mots « après avis conforme du représentant de l’État dans le département ».

Vous savez que notre pays est décentralisé, et que les collectivités territoriales sont maîtresses de leurs décisions. La France est néanmoins un pays jacobin : la garantie de l’État est requise, notamment en matière d’interventions publiques. Les Français ont en effet le sentiment – souvent à juste titre, d’ailleurs – que lorsque l’État valide une démarche, il doit garantir l’égalité de traitement en tout point de son territoire.

Il s’agit donc de réintroduire l’avis conforme du représentant de l’État dans le département afin de garantir cette égalité de traitement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n163.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement est identique à celui que vient de défendre ma collègue Bérengère Poletti. Il s’agit d’assurer une plus grande transparence dans l’attribution ou le refus de l’autorisation d’habilitation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Je suis un peu surprise par ces amendements, car imposer aux conseils départementaux de solliciter à chaque fois l’avis du préfet rendrait le processus d’autorisation plus rigide, alors que l’objet de cet article 32 bis est précisément de le simplifier. Le Gouvernement présentera par la suite un amendement que Mme la secrétaire d’État a déjà en partie exposé, et qui précise que les décisions de refus, qu’elles soient implicites ou explicites, devront être motivées. Il me semble que cette proposition rend inutiles vos amendements, qui imposent de passer à chaque fois devant le représentant de l’État. L’avis de la commission est donc défavorable à ces amendements identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Il faut rapprocher cet amendement d’un autre, que nous examinerons un peu plus tard, et qui touche au délai pendant lequel le président du conseil départemental est tenu de répondre à la demande d’autorisation. Parmi les questions qui ont fait l’objet d’une concertation cet été, figurait la durée de ce délai. L’article 32 bis, dans sa version adoptée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, fixait un délai de six mois. Tout le monde nous a fait remarquer qu’il était trop long : nous avons donc volontiers accepté de le raccourcir. Mais si l’on ajoutait la condition d’un avis conforme du préfet, alors le délai serait de facto de six mois ! Je sais bien que les services de l’État fonctionnent très bien, que les procédures vont très vite, mais enfin…

Je n’arrive pas totalement à comprendre vos arguments : tantôt vous présentez l’État comme un monstre totalitaire qui bride l’initiative, qui ralentit l’activité, raison pour laquelle il faut laisser les collectivités territoriales libres de s’administrer, tantôt vous voulez le réintégrer dans le processus de décision ! Pour ma part, j’aime beaucoup l’État, mais franchement, je ne suis pas certaine que ce dispositif soit nécessaire. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Je suis une décentralisatrice convaincue, et je crois à la libre administration des collectivités territoriales. Encore faut-il qu’elles aient les moyens de conduire leurs politiques, or la baisse actuelle des dotations est inquiétante !

J’estime que les collectivités territoriales ont assez d’expérience pour être capables de juger si tel ou tel service doit être autorisé. Par ailleurs, il y a de très grandes différences entre les départements en matière de gestion des services d’aide à domicile. Nous sommes donc d’accord sur l’objectif : décentraliser et confier des responsabilités à l’acteur principal, c’est-à-dire le conseil départemental – je vous rappelle qu’à un moment donné, il était question de le supprimer !

Vos amendements risquent cependant d’aboutir à de grandes différences entre les départements. Je ne suis pas vraiment favorable à redonner la main à l’État sur ces questions-là : il faut savoir ce qu’on veut, et ne pas s’arrêter au milieu du gué. Vous voulez décentraliser : allons jusqu’au bout, mais comment vous assurerez-vous de l’équité de traitement – je n’aime pas trop l’expression « égalité de traitement » – en tout point du territoire ?

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je souhaite compléter ce qu’a dit notre collègue. Tout d’abord, je trouve assez cocasse de vous voir confier de nouvelles responsabilités à une collectivité territoriale que vous vouliez mettre à mal – mais c’est un autre problème.

Au-delà des questions d’équité de traitement, il y aura quand même un transfert de charges. Nous sommes bien d’accord : il faudra bien que les fonctionnaires du conseil départemental assurent la gestion des agréments, comme le faisaient auparavant les fonctionnaires de l’État. Cela implique un certain nombre d’embauches, et donc des charges de personnel.

Vous dites, madame la ministre, que cette proposition de réforme émane de sénateurs qui, par ailleurs, président des conseils départementaux. J’imagine donc qu’ils ont eu la bonne grâce de vous demander un transfert financier pour compenser la prise en charge par les conseils départementaux de ces agréments et de ces autorisations.

(Les amendements identiques nos 154 et 163 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques, nos 98, 190, 216 et 231.

La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n98.

Mme Bérengère Poletti. Cet amendement porte sur un sujet déjà évoqué plusieurs fois par Mme la secrétaire d’État : le délai de réponse du conseil départemental. Nous souhaitons, par cet amendement, réduire ce délai de six mois à trois mois. Nous exigeons des services, lorsqu’ils déposent leur demande, de remplir un certain nombre de conditions. Les faire attendre six mois, alors qu’ils ont déjà emménagé dans leurs locaux et parfois même embauché leur personnel, peut leur rendre la tâche impossible. Je propose donc de réduire ce délai à trois mois.

Mme la présidente. Mme Laclais, l’amendement n190 est-il bien retiré ?

Mme Bernadette Laclais. Mme la ministre a parlé elle-même de réduire ce délai de six mois à trois mois. Si j’ai bien compris, elle devrait donc être favorable à ces amendements identiques. Je maintiens donc l’amendement n190, pour le plaisir de voir l’un de mes amendements adoptés, et je remercie Mme la ministre pour la clarté de ses explications.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n216.

M. Jean-Pierre Decool. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Huillier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n231.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements identiques ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je ne m’étendrai pas sur ces amendements identiques, car j’ai déjà évoqué cette question tout à l’heure. L’avis du Gouvernement est favorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Je vous remercie pour vos propos, madame la secrétaire d’État : nous en prenons bonne note. Toutefois, comme l’explique l’exposé sommaire de l’amendement n98, les agréments étaient jusqu’à présent délivrés par les DIRECCTE. J’en reviens donc à la question posée par mon collègue Arnaud Richard, du groupe UDI : que deviendront les personnels qui, dans les DIRECCTE, avaient pour mission d’examiner ces dossiers ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Ils trouveront à s’occuper, je ne m’inquiète pas pour eux !

(Les amendements identiques nos 98, 190, 216 et 231 sont adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 129, 191 et 217.

La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n129.

Mme Bérengère Poletti. Nous proposons que, passé un délai de trois mois, l’absence de réponse du conseil départemental vaille « acceptation » du dossier, ce terme étant par conséquent substitué à celui de « rejet » à la fin de la dernière phrase de l’alinéa 27. Sur cette question, je me suis rapprochée de l’Assemblée des départements de France : vous m’avez fait part, madame la secrétaire d’État, des difficultés que le dispositif pourrait créer pour les conseils départementaux, dont les représentants, que j’ai rencontrés, semblent plutôt favorables à l’acceptation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour soutenir l’amendement n191.

Mme Bernadette Laclais. Il est retiré.

(L’amendement n191 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n217.

M. Jean-Pierre Decool. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Mme la secrétaire d’État nous a rappelé la règle qui prévaut dans le cas considéré : lorsque les décisions de l’administration ont une incidence financière, l’absence de réponse vaut rejet de la demande. Il n’y a aucune raison de créer une exception en l’espèce. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Défavorable également : je me suis déjà exprimée sur ce point.

(Les amendements identiques nos 129 et 217 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n305.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. L’amendement, qui concerne l’obligation de motivation, est défendu.

(L’amendement n305, accepté par la commission, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n156.

Mme Bérengère Poletti. Le présent article est sans effet sur les structures qui interviennent en mode mandataire. Celles-ci demeurent donc sous le régime de l’agrément, et sont ainsi en mesure d’accompagner des particuliers employeurs éligibles à l’APA. L’amendement propose d’en tirer les conséquences en complétant l’article par une mention explicite ainsi rédigée : « Les structures mandataires agréées interviennent auprès des publics bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie. Afin de garantir un accompagnement de qualité des personnes âgées en perte d’autonomie, il est proposé que les structures mandataires bénéficiant du label "Qualimandat" soient privilégiées dans cet accompagnement. »

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. L’amendement du Gouvernement adopté par la commission en deuxième lecture vise justement à maintenir les dispositions du code du travail qui permettent l’agrément des structures mandataires, intermédiaires importants pour les particuliers employeurs.

Quant à l’autre volet de votre amendement, il me gêne un peu car le législateur ne saurait favoriser un label n’ayant aucune valeur législative. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Nous parlons des SAAD intervenant en qualité de mandataires et directement employés par la personne aidée, laquelle accède alors au statut de particulier employeur. Ces structures ont pour mission d’aider la personne qui les emploie dans ses différentes démarches administratives.

Je comprends l’intention de l’amendement, mais il ne me semble pas relever du domaine de la loi. La mission dont vous parlez est déjà assurée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, et le label « Qualimandat » n’ayant aucune base législative, je vois mal comment on pourrait y faire référence dans la loi. Celle-ci n’a pas à privilégier un label en particulier, d’autant qu’il a été créé par les structures susceptibles de le recevoir. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. L’exposé sommaire de l’amendement 268 rectifié, que le Gouvernement a fait adopter en commission le 15 juillet dernier, précise en effet que « la disposition est sans effet sur les agréments services à la personne qui n’entrent pas dans le champ du droit d’option ainsi que sur les services à la personne mandataires » ; mais cette précision ne figure nulle part dans le projet de loi lui-même. Si l’amendement dont nous discutons est applicable, je suggère donc de l’adopter.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Il me paraît difficile de voter des dispositions inapplicables. Les mandataires n’ayant jamais été concernés par le droit d’option, ils ne sont pas davantage concernés par son changement de régime. Je vous remercie néanmoins de votre précision, qui permet de clarifier l’intention du législateur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Les structures mandataires sont souvent mises en cause pour leurs insuffisances, notamment en matière de formation ou de qualité. L’amendement permettrait donc de valoriser les services détenteurs d’un label à la définition duquel fut associée la CNSA, en d’autres termes de valoriser la qualité et le professionnalisme.

(L’amendement n156 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour soutenir l’amendement n102.

Mme Bérengère Poletti. Bien que Mme la secrétaire d’État, avec qui je m’en suis entretenue, ne soit pas favorable à cet amendement, je persiste à croire qu’il serait bienvenu d’expérimenter les dispositions du présent article dans certains départements. Comme l’ont souligné M. Richard et Mme Le Callennec, les départements auront besoin de personnels pour instruire les demandes d’autorisation, appelées à remplacer les simples agréments.

J’ajoute que les CPOM ont un degré de complexité supérieur aux autorisations, elles-mêmes déjà fort complexes puisqu’elles requièrent plusieurs rencontres avec les services et la fixation d’une tarification aussi juste que possible. Les CPOM constituent un engagement pluriannuel assorti d’objectifs, avec une éventuelle territorialisation du service : ils nécessitent donc une ingénierie bien plus lourde et des besoins en personnels. Dans ces conditions, le principe d’une expérimentation, à des fins d’évaluation de la quantité de travail, me paraît opportun.

Les départements, je le rappelle, sont dans une situation très préoccupante, et le Gouvernement lui-même leur demande des efforts pour réduire leurs charges de personnels ; or le texte implique, à l’inverse, un développement substantiel des capacités d’ingénierie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable au principe d’une expérimentation.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. L’amendement tend à reporter à 2021, sous réserve de l’expérimentation, l’ensemble du dispositif de l’article et de l’expérimenter dans cinq départements pendant trois ans. Le travail que nous avons fourni l’une et l’autre sur ce dossier, madame Poletti, me semble mériter mieux que ces deux propositions. D’autre part, je ne puis exclure l’hypothèse de n’être plus en responsabilité sur le dossier en 2021 : je préférerais donc, par empathie avec mon successeur, le lui laisser bouclé. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. J’entends les arguments du Gouvernement, mais je ne puis imaginer un seul instant qu’il n’ait pas mesuré – lui ou l’ADF – l’impact réel du dispositif pour les départements. Ce dispositif sera mis en œuvre dès le 1er janvier 2016 : sitôt les décrets publiés, c’est le régime de l’autorisation qui s’appliquera. Vous avez organisé de manière anticipée la conférence des financeurs, madame la secrétaire d’État, et les départements ont dû vous faire remonter des données : pourriez-vous nous les communiquer ? La question, ce me semble, intéresse les départements et les Français en général.

(L’amendement n102 n’est pas adopté.)

(L’article 32 bis, amendé, est adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ;

Projet de loi sur l’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly