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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 01 juin 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Denis Baupin

1. Questions sur la situation économique et financière de la zone euro

M. Gaby Charroux

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

M. Gaby Charroux

M. Michel Sapin, ministre

M. Christophe Caresche

M. Michel Sapin, ministre

Mme Karine Berger

M. Michel Sapin, ministre

M. Éric Woerth

M. Michel Sapin, ministre

M. Éric Woerth

M. Michel Sapin, ministre

M. Philippe Gomes

M. Michel Sapin, ministre

M. Philippe Gomes

M. Michel Sapin, ministre

M. Ary Chalus

M. Michel Sapin, ministre

M. Ary Chalus

M. Michel Sapin, ministre

Mme Eva Sas

M. Michel Sapin, ministre

Mme Eva Sas

M. Michel Sapin, ministre

M. Gaby Charroux

M. Michel Sapin, ministre

M. Gaby Charroux

M. Michel Sapin, ministre

Mme Karine Berger

M. Michel Sapin, ministre

M. Dominique Baert

M. Michel Sapin, ministre

M. Pierre Lellouche

M. Michel Sapin, ministre

Mme Arlette Grosskost

M. Michel Sapin, ministre

Mme Arlette Grosskost

M. Michel Sapin, ministre

2. Octroi de mer

Présentation

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

M. Dominique Baert, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Discussion générale

M. Boinali Said

M. Daniel Gibbes

M. Ary Chalus

M. Alfred Marie-Jeanne

Mme Chantal Berthelot

M. Patrick Ollier

M. Gabriel Serville

M. Victorin Lurel

M. Serge Letchimy

Mme George Pau-Langevin, ministre

Discussion des articles

Article 1er

Article 2

Amendement no 14

Article 3

Amendement no 29

Article 4

Article 5

Amendements nos 16 , 17

Article 6

Amendements nos 1 , 35 , 8 , 9 , 25 , 10 , 12

Article 7

Amendement no 27

Articles 8 à 10

Article 11

Amendement no 30

Article 12

Article 13

Articles 14 et 15

Article 16

Amendements nos 31 , 32

Article 17

Amendement no 33

Articles 18 à 28

Article 29

Amendement no 28

Articles 29 bis à 31

Article 32

Amendements nos 22 , 3 , 18

Article 33

Amendements nos 4, 5

Articles 34 à 36

Après l’article 36

Amendements nos 11 , 13 , 23

Articles 36 bis et 37

Vote sur l’ensemble

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Questions sur la situation économique et financière de la zone euro

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions sur la situation économique et financière de la zone euro. Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.

Nous commençons par deux questions du groupe GDR.

La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, Paris et Berlin ont récemment pris une initiative commune pour renforcer la gouvernance de la zone euro. François Hollande et Angela Merkel se sont en effet déclarés favorables à la mise en place d’un gouvernement et d’une nouvelle architecture institutionnelle propres à la zone euro. Une telle initiative ne peut aller que dans le bon sens, pour deux raisons essentielles.

D’une part, sur le plan économique, les équilibres non coopératifs entre États restent la règle : excédents allemands colossaux, au détriment des voisins de l’Allemagne, course funeste à la compétitivité, dumping fiscal et social… Tout cela forme un jeu à somme nulle qui pénalise les États, les citoyens et les entreprises les plus fragiles. D’autre part, il faut corriger les malfaçons inhérentes à l’euro, qui est la monnaie commune de dix-huit États, avec autant de politiques économiques, fiscales et sociales, et qui repose par ailleurs sur des principes comptables peu légitimes s’agissant des déficits et de l’endettement.

Pour convaincre les citoyens européens du bien-fondé de cette démarche commune, un saut qualitatif de grande ampleur est urgent, car le désamour entre l’Europe et sa population est immense. C’est logique, car l’Europe est aujourd’hui synonyme d’austérité, de drames humains et de matraquage des budgets nationaux. Cela n’est pas, cela n’est plus acceptable !

L’urgence, c’est le concret. C’est la lutte contre les inégalités, endémiques sur notre continent. C’est la lutte contre le chômage, qui explose. C’est la lutte contre le dumping fiscal et social, pour assurer le développement de nos systèmes sociaux et l’investissement pour demain. En clair, c’est la coopération plutôt que la compétition, la démocratie plutôt que le marché. Au fond, ce dont a besoin l’Europe aujourd’hui, c’est d’une réorientation fondamentale de sa politique économique. Monsieur le ministre, quelle place occupent ces préoccupations, essentielles pour nos concitoyens, dans ce projet de refonte de la gouvernance et de l’architecture institutionnelle de la zone euro ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Merci de commencer par cette question, monsieur Charroux, car elle est absolument décisive. Nous avons participé à la mise en place de ce que l’on appelle l’Union économique et monétaire – UEM. Le pilier monétaire est constitué par l’euro, monnaie unique de dix-neuf pays aujourd’hui, dont les règles sont précisées jusqu’au dernier bouton de guêtre. Mais en regard, la politique économique, elle, est restée très disparate, au point que des pays qui partagent cette même monnaie ont pu complètement diverger. Cela peut marcher pendant un certain temps, mais à un moment donné, les divergences deviennent trop fortes, qu’il s’agisse de compétitivité, de fiscalité, de situation sociale, de chômage ou de balance commerciale.

Ce sont bien ces divergences qui posent problème à la zone euro. Pour ce qui me concerne, et je pense que c’est aussi votre cas, je tiens beaucoup à la zone euro, et à l’affirmation de la monnaie unique. Il faut donc compléter l’Union économique et monétaire pour rendre beaucoup plus convergentes les politiques économiques menées dans chacun de ces pays. C’est nécessaire pour éviter les phénomènes de concurrence nocive, notamment en matière de fiscalité.

On ne peut continuer à avoir de telles divergences en matière de fiscalité, par exemple en matière de fiscalité des entreprises, dans des pays qui partagent une même monnaie. Nous ne pouvons pas accepter – et beaucoup de mesures sont prises aujourd’hui à ce sujet – qu’un pays de la zone euro passe des accords avec des entreprises en leur promettant de ne pas leur faire payer d’impôts. En effet, si les impôts sont plus élevés dans les États voisins, sans pour autant être excessifs, tout sera transféré vers le pays qui ne fait presque pas payer d’impôts.

Nous partageons donc votre vision : il faut plus de convergence. Pour cela, dans l’immédiat, il convient de lutter contre le dumping social et l’optimisation fiscale. Il convient également de mettre en place des outils communs, en matière d’investissement par exemple, pour pouvoir investir sur l’ensemble de la zone euro, mais aussi en matière d’indemnisation du chômage : on pourrait imaginer un socle commun à l’ensemble des pays de la zone. Une Union économique et monétaire peut aussi avoir pour but une convergence sociale de ses membres.

M. le président. La parole est de nouveau à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre, vendredi dernier, nous fêtions les dix ans du référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne, à l’issue duquel le « non » l’avait emporté dans notre pays. Au terme d’un formidable débat démocratique, le peuple exprimait sa souveraineté en disant sa volonté de construire une autre Europe que celle de la concurrence libre et non faussée. La démocratie s’exprimait.

Depuis, elle a été littéralement bafouée, avec l’adoption au forceps du traité de Lisbonne. Pire, l’Europe est devenue le gendarme de l’austérité et la gardienne des intérêts de l’oligarchie financière. L’abîme qui sépare l’Union européenne des peuples qui la composent n’a jamais été aussi grand. On le voit aujourd’hui lorsque l’on se penche sur la situation grecque : alors que la Grèce est confrontée à une situation économique et sociale d’une gravité inédite, elle fait face à d’importantes échéances de remboursements, avec 1,6 milliard d’euros à reverser ce mois-ci au FMI.

Les craintes d’un défaut n’ont jamais été aussi grandes. Depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza, les créanciers jouent la carte de l’asphyxie financière du pays, en rejetant la liste de réformes présentée par Athènes ou en exigeant des mesures d’austérité inacceptables. Des négociations ont lieu actuellement entre la Grèce et ses créanciers à propos du versement d’une nouvelle tranche d’aide. Ces négociations se déroulent dans le plus grand secret, mais il apparaît certain que les créanciers exigent d’imposer de nouvelles réformes austéritaires à un peuple qui n’en peut plus.

La situation exige en réalité une restructuration, voire une annulation d’une partie de la dette grecque. Monsieur le ministre, quelle est la position de la France aujourd’hui dans ces négociations ? Quelles initiatives prenez-vous pour éviter le défaut de paiement du pays et permettre à la Grèce et à son peuple de se reconstruire de manière juste et durable dans l’Europe ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Je vous répondrai donc en deux minutes… (Sourires.) Il s’agit d’une question délicate, et fondamentale pour l’avenir de l’Europe, comme vous l’avez souligné. Je serai clair : la place de la Grèce est dans l’Union européenne, et dans la zone euro. D’abord, parce que c’est ce que souhaitent les Grecs eux-mêmes : quand on leur demande s’ils veulent sortir de l’euro, ils répondent non à une écrasante majorité. Ensuite, parce que la sortie de la zone euro créerait une situation objectivement extrêmement difficile, pour la Grèce elle-même, qui s’appauvrirait encore plus alors qu’elle vient de traverser cinq années très difficiles, au détriment des plus faibles d’entre les Grecs, mais aussi pour la zone euro, qui a vocation non à rétrécir, mais à s’élargir – non à expulser des pays, mais à en accueillir de nouveaux : cela, nous devons toujours le garder à l’esprit.

Vous m’avez demandé quelle est la position de la France dans ce débat. En recevant mon homologue grec Yanis Varoufakis une semaine après les élections législatives grecques, j’ai exprimé très clairement mon opinion : nous devons le respect à la démocratie grecque. La majorité parlementaire et le gouvernement ont changé : on ne peut pas leur demander de faire exactement la même chose que les précédents ! Cela reviendrait à dire aux Grecs qu’on se fiche complètement qu’ils aient voté. Non, il faut respecter l’issue du vote grec.

Parallèlement, la Grèce, elle, doit respecter les règles communes du fonctionnement de la zone euro, de la Banque centrale européenne ou de la Commission européenne. C’est ainsi que nous progressons pour arriver à un accord. Il n’y a pas d’autre solution qu’un accord entre la Grèce et les institutions internationales. C’est à une telle solution que tendent nos efforts, c’est à cela que nous devons aboutir. Le rôle que la France joue, celui que je joue moi-même, c’est un rôle de trait d’union, pour réussir ensemble.

M. Dominique Baert. Très bien !

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe SRC.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Je voudrais revenir sur les propositions qui ont été faites pour tirer les leçons du fonctionnement de la zone euro. Les présidents des principales institutions européennes présenteront dans quelques jours un rapport, qui sera examiné par le Conseil. La contribution de la France et de l’Allemagne à ce débat a été très intéressante.

Manifestement, la France et l’Allemagne n’envisagent pas une révision des traités. Les projets de réforme foisonnent, y compris chez nous, mais il est clair que pour les deux pays aujourd’hui, l’objectif est d’avancer « à traités constants. » Mais il faut tirer les leçons des dysfonctionnements récents des institutions européennes, qui ont révélé plusieurs défauts, à commencer par une excessive complexité. Nous percevons bien ce défaut ici, à l’Assemblée nationale : le semestre européen comporte de nombreux rendez-vous, mais n’a pas toujours une très grande lisibilité.

Deuxième défaut : le processus privilégie les orientations budgétaires par rapport à la surveillance macroéconomique. Il faudrait réintroduire une problématique macroéconomique plus importante. Troisième défaut : l’intérêt propre de la zone euro est insuffisamment pris en compte. Il faudrait avancer aussi sur ce point. Enfin, certaines institutions, comme l’Eurogroupe, s’avèrent trop faibles, ce que souligne la contribution présentée par la France et l’Allemagne.

Monsieur le ministre, selon vous, quels éléments permettent-ils de penser, d’ores et déjà, que le Conseil pourra avancer ? Certes, il y aura des négociations, mais sur quel point pensez-vous qu’il est possible d’avoir des espoirs raisonnables de réforme de la gouvernance de l’UEM ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Je voudrais commencer par préciser le cadre dans lequel nous nous plaçons. Il n’est pas interdit d’envisager, à moyen ou long terme, une évolution des traités. Les traités ont déjà été modifiés, d’une manière ou d’une autre, et des débats intenses portent sur l’opportunité de recommencer. Mais je tiens à dire très clairement que la France, aujourd’hui, n’envisage pas de changement des traités. Même dans le cadre actuel, il y a un espace considérable de progression pour faire en sorte concrètement que la zone euro soit plus efficace, qu’elle mène des politiques plus pertinentes et plus convergentes. J’évoquais tout à l’heure la lutte contre l’optimisation fiscale : cela fait partie de ces politiques qui doivent être plus convergentes.

Tout d’abord, il faut penser la zone euro dans son ensemble avant de penser les pays qui la composent : c’est notre première préoccupation. Jusqu’à présent, nous avions fixé des règles de discipline que chaque pays était tenu d’appliquer, mais nous ne nous préoccupions pas forcément de ce que serait le résultat global des politiques menées par chacun d’entre eux. En conséquence, ils ont mené des politiques budgétaires très contraignantes, ce qui explique en partie la faiblesse de la croissance. Il faut donc d’abord penser à l’échelle de la zone euro. Et cela vaut également pour la situation dite macroéconomique : c’est à l’aune de la zone euro que nous devons analyser la situation de chaque pays.

Ensuite, et je ne ferai qu’évoquer rapidement ce point, il est nécessaire, du point de vue de la démocratie comme de la qualité du débat, que nous puissions avoir des discussions de plus grande qualité, en particulier au Parlement européen. Ce n’est pas simple, car celui-ci représente tous les pays de l’Union. Mais la zone euro a une importance décisive au sein de cette institution et je souhaite que pays et parlementaires de la zone euro puissent discuter entre eux de ces questions.

M. le président. La parole est à Mme Karine Berger.

Mme Karine Berger. Curzio Malaparte a écrit dans La Peau, qui raconte la remontée de l’Italie par les troupes américaines à la fin de la Seconde guerre mondiale, « Qu’espérez-vous retrouver à Londres, Paris ou Vienne ? Vous y trouverez Naples. C’est la destinée de l’Europe de devenir Naples. » Depuis 2010, nous avons tous l’impression que c’est le destin de l’Europe de devenir Athènes. Monsieur le ministre, vous avez commencé à répondre à M. Charroux sur la façon dont la France se positionne sur la question grecque, mais je voudrais revenir sur ce point crucial.

La dette publique de la Grèce atteint aujourd’hui 177 % du PIB, alors qu’en 2010, lors du premier plan d’aide, elle n’était « que » de 110 %. De cette dette, 85 %, quasiment la totalité, sont détenus par les institutions, les États et la Banque centrale européenne, qui a dû d’ailleurs modifier à cet effet sa doctrine de non-rachat de la dette publique. De 2010 à 2015, les États européens ont su calmer la crise de confiance qui s’était installée dans le monde entier en raison de la situation grecque et ont petit à petit rétabli la crédibilité de la zone euro face au risque d’une sortie de la Grèce.

Mais voilà que le risque d’un grexit est réapparu au cours des dernières semaines, ce qui ravive les doutes du reste du monde sur la fiabilité politique de la zone euro. Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure à M. Charroux que la France tenait à ce que la Grèce reste dans la zone euro. Ma question est simple : comment la France peut-elle proposer une solution pratique de sortie de la crise, sachant qu’une réduction de la dette grecque ne porterait que sur les créances détenues par les États et la Banque centrale européenne et que par ailleurs, dans un contexte où l’inflation dans la zone euro est toujours à 0 % en avril, la croissance économique ne semble pas devoir être la solution qui était naturellement espérée lorsqu’en 2010 nous avons tous mis 110 milliards d’euros sur la table ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Je ne détaillerai pas les moyens de sortir de la situation de crise, d’abord parce que deux minutes ne suffiraient pas, ensuite parce que les discussions sont en cours. L’objectif n’est pas simplement de sortir de la crise, mais d’inscrire dans la durée le devenir de la Grèce en Europe. C’est cela qui est important. Le premier pays à subir les conséquences de ce qui nous fait passer d’une crise à l’autre, c’est évidemment la Grèce, qui a besoin de stabilité pour reconstruire une économie en très mauvais état et pour dégager un excédent budgétaire qui lui permette de faire face d’abord à ses besoins, ensuite à l’éventuel remboursement de la dette qu’elle a elle-même contractée.

Je vous remercie d’avoir souligné que la dette grecque n’était pas détenue par les marchés, par cette finance dont on pourrait souvent critiquer les objectifs de court terme. Cette dette-là n’existe plus : la dette est désormais détenue par les contribuables, les citoyens. Cette solidarité était légitime, mais il faut toujours garder en tête, lorsque certains proposent de tout simplement annuler la dette, que cela reviendrait à la faire payer par les autres contribuables d’Europe.

C’est sur cette base qu’il faut agir. Comment ? En accompagnant, en aidant. Pour le dire simplement, il y avait auparavant ce qu’on appelait le mémorandum, c’est-à-dire l’accord passé avec les institutions. Mais la Grèce d’aujourd’hui est libre de retirer certaines mesures contraires à son programme et d’en ajouter d’autres plus compatibles. Je veux accompagner la Grèce par exemple dans sa volonté de bâtir une véritable administration fiscale permettant de soumettre tout le monde à l’impôt, en particulier les plus gros contribuables, qui pourront ainsi contribuer au relèvement de la Grèce. Ce n’est pas le cas actuellement, puisque les plus riches pratiquent l’évasion fiscale ou échappent à l’impôt pour une raison ou une autre. Voilà l’une des plus belles réformes souhaitée par le gouvernement grec, que nous pouvons soutenir et qui peut permettre de créer de la stabilité dans la durée.

M. le président. Nous en venons à deux questions du groupe UMP. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Depuis trois ans, nous sommes moins bons que les autres pays de la zone euro, en particulier dans le domaine de l’emploi mais pas seulement. Entre mai 2007 et mai 2012 – autant faire tout de suite de l’histoire, puisque vous allez vous y référer, monsieur le ministre ! – le chômage a augmenté de 4 points dans la zone euro, mais « seulement » de 1,6 point en France. Entre mai 2012 et mars 2015, le chômage cesse d’augmenter dans la zone euro – + 0,1 %. En revanche, en France, il augmente de près d’1 point en trois ans. Terrible constat !

Les jeunes de moins de 25 ans subissent particulièrement les effets de cette contre-performance : dans cette catégorie, le chômage augmentait, sous l’effet de la crise, deux fois moins que dans la zone euro entre mai 2007 et mai 2012 alors que, depuis cette date, il a baissé dans la zone euro et augmenté en France. Ce ne sont ni la loi Macron ni la loi Rebsamen qui permettront de répondre à cette question du chômage. Elles ne font qu’effleurer le sujet, sans jamais entrer dans le détail. D’ailleurs, ces projets de loi ne sont pas stabilisés puisque vous y ajoutez sans arrêt des articles supplémentaires – y compris, si j’ai bien compris, pour la prochaine lecture du projet de loi Macron.

Les statistiques du chômage paraîtront ce soir. Nous espérons, sur les bancs de l’opposition, qu’elles seront bonnes – car nous ne souhaitons pas la politique du pire pour la France et les Français. Mais, au fond, ma question est simple : quel est le secret des autres pays ? Il n’y a pas de raisons fondamentales de faire moins bien dans le domaine du chômage. La capacité d’innover, de créer, d’entreprendre, de faire de la recherche est intacte en France, comme dans les autres pays. Elle a d’ailleurs peut-être été davantage préservée en France. Pourquoi donc ne réussit-on pas ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. La question est intéressante, importante, quelle que soit d’ailleurs la période envisagée. Il ne faut pas seulement s’observer soi-même, mais également se comparer, comprendre ce qui va mieux ou moins bien que dans les autres pays.

Je vais essayer de répondre très directement à votre question. Vous avez comparé des moyennes, mais celles-ci reflètent, comme chacun sait, des situations qui peuvent être très différentes. Pourquoi donc nos performances dans le domaine de la croissance ou du chômage sont-elles aujourd’hui moins bonnes qu’en Espagne ? – ce constat vaut éventuellement pour le Portugal, mais malheureusement pas pour l’Italie… Parce que la crise dans ces pays a été d’une brutalité incroyable, à tel point que l’Espagne, en dépit de l’amélioration récente de sa situation, va toujours moins bien qu’en 2007. La France, elle, a heureusement dépassé son niveau de PIB de 2007 il y a déjà plusieurs mois. Bref, ces pays vont mieux aujourd’hui parce qu’ils allaient beaucoup plus mal, qu’ils vont encore objectivement beaucoup plus mal que la France.

À l’autre bout du spectre, il est intéressant de se demander pourquoi nous allons moins bien que l’Allemagne. Le taux de chômage s’est amélioré en Allemagne.

M. Pierre Lellouche. Et en Angleterre ?

M. Michel Sapin, ministre. La situation de la Grande-Bretagne est un peu différente : à l’instar de l’Espagne, elle a plongé beaucoup plus fortement. Elle vient à peine de dépasser son niveau de PIB de 2007 et progresse moins que nous. Là aussi, regardons les choses sur la durée !

Revenons-en à l’Allemagne : la raison principale, c’est que tous nos pays, la France la première, doivent bouger, dans un monde en mouvement ; ils doivent s’ouvrir, dans un monde ouvert ; ils ne doivent pas se recroqueviller, se fermer. Mais on n’obtient pas des résultats en deux ou trois ans, il faut bouger pendant trois, cinq, dix ans !

Quand l’Allemagne a engagé des réformes pour faire face à ses difficultés, à partir de 2000 ou 2002, la France est restée immobile, et pendant très longtemps. Aujourd’hui, elle bouge et les fruits de ces mouvements se feront progressivement sentir. Mais il y a bien un décalage entre les fruits du mouvement et le mouvement lui-même. C’est ce que nous sommes en train de vivre.

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth pour sa seconde question.

M. Éric Woerth. Dans la série « ça va moins bien en France qu’ailleurs », et sans remettre en cause votre volonté d’assainir les finances publiques, monsieur le ministre, j’observe qu’il n’y a pas de résultats dans le domaine des dépenses publiques : nous sommes scotchés autour de 4 % de déficit. Nous ferons certainement mieux cette année, je l’espère, mais tout cela est extrêmement lent. On avance au rythme de la tortue. Entre 2006 et 2011, nous avons été plus rapides. Certes, la récession était terrible et les déficits ont augmenté de façon importante, mais ils ont ensuite diminué rapidement. Je remarque que la dépense publique a plutôt augmenté en France depuis 2011 : + 1,3 point en trois ans, quand elle se stabilisait dans les autres pays. Bref, on voit bien que d’autres pays font mieux.

La Cour des comptes a bien souligné – je sais bien que ce rapport n’a pas plu au Gouvernement ! – que le niveau actuel des dépenses publiques était dû à certaines manœuvres budgétaires, certes classiques, qui reviennent à cacher certaines dépenses sous le tapis pour les ressortir dans des circonstances économiques favorables – tant mieux si nous en profitons. Bref, il n’est dû à aucun élément structurel. Les dépenses publiques continuent d’augmenter en France, chaque année plus élevées que la précédente.

Nous devons pourtant poursuivre la réduction des dépenses publiques. Nous avons proposé un chiffre de 150 milliards, qui est souvent caricaturé lors des questions d’actualité. Pourtant, France Stratégie, organisme qui dépend étroitement de l’État, propose exactement la même chose. Lui n’a peut-être pas tout à fait tort ! Finalement, c’est cela qui nous éloigne de l’Allemagne, ce niveau d’endettement et de dépenses publiques. Comment pensez-vous accélérer le rythme de réduction de la dépense publique en France dans les mois qui viennent ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Là aussi, nous pouvons nous mettre d’accord sur les chiffres. Quels étaient les déficits de l’Allemagne et de la France en 2007, avant la crise ? De mémoire, le budget allemand était quasiment à l’équilibre – il vient d’y retourner. En France, il était juste en dessous de 3 %. Ainsi, au moment où tout allait bien, quand la croissance progressait, le chômage baissait et certaines dépenses sociales n’étaient plus nécessaires, la France avait déjà un handicap de 3 % de déficit ! Nous étions déjà épouvantablement en retard par rapport à l’Allemagne ! Telle est la mesure du chemin que nous avons à parcourir. Puis il y a eu la crise et l’augmentation des dépenses publiques, qui était, pour une grande partie, légitime. Il faut maintenant les maîtriser.

Je veux vous dire les choses le plus clairement possible : nous avons continué à diminuer le déficit. Non, nous ne sommes pas scotchés, comme vous dites : le déficit diminue tous les ans. L’année dernière, même si ce n’est pas autant que nous l’aurions souhaité, il a quand même été ramené à 4 %. Cette année, il sera autour de 3,8 %, en tous les cas inférieur au taux fixé par la Commission européenne. Nous continuerons sur ce chemin de manière irréversible, pour passer sous le seuil des 3 % en 2017.

Nous devons financer nos priorités. Je vois M. Lellouche, qui est de ceux qui déclarent que la défense doit être une priorité, de même que la sécurité. C’est vrai. Nous disons, nous, que l’éducation est une priorité. Or il faut financer ces priorités et aujourd’hui, nous faisons en sorte que cette équation ne soit pas résolue par la hausse des impôts, politique souvent pratiquée.

Nous avons diminué les impôts des entreprises et nous diminuons ceux des ménages cette année. La seule variable d’ajustement, c’est donc la dépense publique. C’est la raison pour laquelle nous la diminuons, en commençant par celle de l’État. De quelque façon qu’on calcule, en 2014, les dépenses de l’État qui sont à la main du Gouvernement ont diminué de 3,3 milliards, ce qui n’était jamais arrivé au cours des dix dernières années. Bref, nous avons maîtrisé les dépenses publiques largement mieux que nos prédécesseurs.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe UDI.

La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Monsieur le ministre, au sein de l’Union européenne, la France est le pays qui taxe le plus ses entreprises, avec un niveau record d’impôt sur les sociétés, mais également de charges sociales. Cette situation est insoutenable à plusieurs titres. D’une part, nos entreprises sont asphyxiées : leur taux de marge est tombé à son plus bas niveau depuis 1985, bien loin derrière nos voisins européens. D’autre part, notre pays souffre d’un véritable déficit de compétitivité qui nous handicape face à nos principaux partenaires et concurrents.

Alors qu’un mouvement de baisse des prélèvements sur les entreprises s’est amorcé dans toute l’Europe, la France fait donc toujours figure d’exception, le Gouvernement ayant même porté à 38 %, en 2013, le taux d’imposition pour les grandes entreprises. Les annonces du pacte de responsabilité, quoique timides, allaient dans le bon sens, et nous les avons saluées. Cependant, la motion majoritaire du Parti socialiste a annoncé une réorientation des 15 milliards d’euros du pacte de responsabilité, et la baisse de l’impôt sur les sociétés est repoussée à 2017.

Les députés du groupe UDI, profondément européens, considèrent que la convergence fiscale et sociale, au sein de l’Union européenne, est une nécessité absolue pour éviter toute situation de dumping. Monsieur le ministre, quand la France va-t-elle vraiment s’engager pour que nos entreprises puissent enfin combattre à armes égales au sein de l’Union européenne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, je vous trouve juste dans votre vision des handicaps de la France, mais injuste par rapport à la politique que nous menons. Comme je suis convaincu que vous êtes un esprit juste, je vais essayer de vous en persuader.

Vous êtes juste quand vous dites qu’il y a un manque de compétitivité. Le Gouvernement avait d’ailleurs fait ce diagnostic dès la fin de l’année 2012 et c’est pourquoi vous aviez voté le CICE, applicable par avance en 2013, puis en 2014 et en 2015. Il atteint cette année le niveau auquel il sera maintenu les prochaines années. Nous l’avons dit, nous l’avons fait ! Ce CICE, auquel personne ne croyait, est devenu une réalité en 2014. Au mois de mai, un surcroît de CICE a été versé aux entreprises. C’est d’ailleurs ce dispositif qui permet, contrairement à ce que vous avez dit, de voir les marges des entreprises se redresser, puisqu’elles sont remontées au niveau de 2010. Notre objectif est qu’elles remontent au niveau de 2007. Il faut en effet réparer les dégâts qui ont été causés par les politiques de chacun… C’est notre volonté, c’est le sens de nos décisions.

Vous vous interrogez également sur l’avenir. Après donc avoir mis en place le CICE, nous avons considérablement baissé les cotisations pour cette année, tout particulièrement sur les bas salaires, notamment au niveau du SMIC, ce qui n’est pas encore suffisamment connu des entreprises. Nous allons continuer. Je comprends tout à fait le débat sur la meilleure utilisation à faire de ce quantum, qui est un engagement du Gouvernement et de la majorité. Il sera tourné de la manière la plus efficace possible vers les entreprises pour leur permettre de récupérer leurs marges, d’investir et d’embaucher. Telle est notre politique, qui ne peut porter ses fruits que dans la durée et dans la cohérence, avec la volonté de nous adapter aux situations et aux débats sans varier l’objectif.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour sa deuxième question.

M. Philippe Gomes. En 2012, une réorientation de l’Europe vers la croissance avait été annoncée et un grand plan de 120 milliards d’euros avait fait l’objet de débats. Il apparaît assez clairement aujourd’hui que, sur ces 120 milliards, seuls 20 milliards d’argent véritablement « frais » ont été injectés, et que les 100 autres milliards n’étaient qu’un redéploiement de fonds déjà existants ou obtenus pour certains par effet de levier. Vous aviez dénoncé, en votre temps, le « carcan budgétaire en Europe ». Pour autant, dans le cadre dudit carcan, vous avez accepté l’année dernière le premier budget en baisse de l’Union européenne.

Trois ans après cette promesse de réorientation, l’investissement est toujours en panne en Europe, en France en particulier. Un grand plan, le plan Juncker, de 315 milliards d’euros, a donc été annoncé. Au groupe UDI, nous nous demandons ce qu’il en est véritablement de ce plan : au-delà de l’annonce, certes d’envergure, ses effets ne seront-ils pas extrêmement limités, s’il consiste simplement à ponctionner les fonds destinés à la croissance, à l’emploi, à l’infrastructure ou aux programmes de recherche européens ?

Nous considérons que la France devrait être, au contraire, à l’origine de propositions véritablement ambitieuses. Nous pensons notamment à l’augmentation des ressources propres de l’Union européenne grâce à l’instauration de la taxe carbone aux frontières ou encore à l’amplification de la taxe sur les transactions financières. Monsieur le ministre, la France va-t-elle prendre de nouvelles initiatives pour que ce plan Juncker devienne véritablement le plan de relance dont l’Europe a besoin ?

Mme Arlette Grosskost. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, nous serons d’accord pour dire que ce qui manque à l’Europe et à la France, c’est l’investissement. Si l’on regarde le niveau de l’investissement public et privé, en zone euro et plus particulièrement en France, nous sommes largement en dessous de ce qu’il était en novembre 2007. C’est certainement là que se trouve le relais de croissance en profondeur dont nous avons besoin. Au-delà d’une amélioration de la consommation, comme cela se passe en France, en dehors d’un euro plus faible et plus approprié à la concurrence internationale, qui nous permet d’être plus combatifs par rapport aux produits extérieurs ou pour vendre à l’extérieur, la question de l’investissement est centrale en Europe comme en France. C’est en ce sens que le plan Juncker de 315 milliards d’euros trouve tout son intérêt, avec son effet de levier.

La volonté de la France a été d’agir le plus vite et le plus simplement possible. Trop souvent, en Europe, nous avons une bonne idée, mais nous passons tellement de temps à la mettre en œuvre que la situation a déjà évolué quand elle commence à se traduire sur le terrain. Ou alors nous faisons tellement compliqué que cette bonne idée devient absolument inaccessible, en particulier pour le tissu économique, qui a besoin de cet argent pour soutenir son investissement. En effet, une bonne partie des investissements du plan Juncker doivent aller vers les infrastructures, mais aussi directement vers les entreprises, en particulier le tissu de PME-PMI qui, partout en Europe, particulièrement en France, peut porter cette croissance et ces emplois nouveaux.

Le plus simple et le plus vite ! C’est ainsi que cela vient de se passer. Comme vous le savez, la semaine dernière, le « trilogue », ainsi qu’on l’appelle dans le jargon européen, a permis d’aboutir à un accord entre la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement, qui était compétent sur ce sujet. Cet accord acquis, nous allons entrer dans la phase opérationnelle, à laquelle la Banque européenne d’investissement s’est préparée. Les premiers investissements sur les premiers projets, dont certains ont déjà été fléchés, pourront intervenir dans les semaines qui viennent.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe RRDP.

La parole est à M. Ary Chalus.

M. Ary Chalus. Monsieur le président, monsieur le ministre, je tiens à remercier le groupe GDR qui est à l’initiative de cette série de questions. Je commencerai par revenir sur la crise de la dette en Europe. Les négociations autour d’une restructuration de la dette ukrainienne, commencées en mars, agitent en effet les marchés et la diplomatie. Le Parlement ukrainien a voté récemment le texte du président Porochenko visant à lui permettre de cesser éventuellement les remboursements de sa dette étrangère, qui se monte à 23 milliards de dollars, afin d’éviter au pays le défaut de paiement.

Cela dit, désormais, au sein de la zone euro, la question du défaut de paiement ou du défaut partiel n’est plus taboue, comme on le voit pour la dette grecque, puisque le FMI, par la voix de Christine Lagarde, l’évoque lui-même. L’effet serait de bannir la dette grecque afin de garantir la stabilité de la zone euro, quoiqu’il en coûte pour ses créanciers, c’est-à-dire principalement les autres États de l’Union. En effet, le scénario d’une sortie de la Grèce serait douloureux, avec la création d’une nouvelle monnaie générant, entre autres, une probable hyperinflation ainsi qu’un marché noir de l’euro. Toutefois, une solution alternative serait de transformer la dette grecque en dette perpétuelle, exigeant uniquement un paiement régulier d’intérêts.

J’en viens à ma question : concernant le projet ancien d’une mutualisation progressive des dettes souveraines européennes, quelle est actuellement la position du Gouvernement et quelle est son action au niveau du Conseil ? Considère-t-il qu’elle se ferait nécessairement au détriment des États vertueux ou plutôt qu’il s’agirait, au contraire, de restaurer la solidarité et d’éviter que les États dits vertueux ne tirent parti des difficultés de leurs partenaires en jouant de l’éclatement des taux ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, vous avez commencé votre question en faisant allusion à l’Ukraine et vous avez continué en parlant de la Grèce. C’est très utile, car cela permet de comparer la réalité des dettes de l’un et l’autre pays et la réalité des discussions en cours. En Ukraine, c’est avant tout d’une dette privée qu’il s’agit, dont discutent aujourd’hui un certain nombre d’institutions afin de la restructurer et de permettre au pays de retrouver une base plus solide de croissance, dans le contexte extrêmement compliqué que nous connaissons. En Grèce, c’est une dette vis-à-vis d’institutions publiques, principalement des autres États de la zone euro ou de l’Union européenne, que ce soit par le biais de la Banque centrale européenne ou de la Commission elle-même. Il est très important d’avoir en tête cette différence de nature.

Que faire face à la dette grecque ? À mon sens, très clairement, monsieur Chalus, la première question qui se pose à la Grèce n’est pas celle-là, mais bien : comment faire en sorte de retrouver un certain équilibre budgétaire afin de faire face à ses propres besoins, à ses propres exigences ? La Grèce n’est pas en capacité d’emprunter pour payer ses fonctionnaires. Elle doit avoir les ressources nécessaires pour payer ses fonctionnaires et ses pensions. Et la deuxième question, c’est : comment faire en sorte que la Grèce retrouve de la croissance, alors que cela fait plusieurs années, au moins cinq d’affilée, que la richesse nationale baisse, en entraînant les conséquences que l’on sait sur la population ?

La croissance passe aussi par l’investissement. C’est pourquoi, lorsque le gouvernement grec nous demande ce que nous faisons pour l’aider à concrétiser sur son territoire des investissements qui soient porteurs de modernisation et de croissance, je crois qu’il voit juste. La première des préoccupations est bien celle-là : le retour à l’équilibre, le retour à l’investissement et, de fait, le retour à la croissance. Le jour venu, comme nous l’avions d’ailleurs décidé entre États en 2012, nous verrons ce qu’il conviendra de faire s’agissant de la dette grecque.

M. le président. Monsieur Chalus, vous avez la parole pour votre deuxième question.

M. Ary Chalus. Elle porte sur la situation de l’emploi dans l’Union européenne, y compris dans les outre-mer. Le chômage touche l’ensemble de la zone, et encore plus durement depuis la crise de 2008. Entre 2008 et 2010, le taux global d’emploi dans les vingt-huit pays de l’Union a en effet baissé en moyenne de 1,7 point avec, en outre, un net repli des contrats de travail à temps plein et à durée déterminée, au profit de formes atypiques et plus précaires d’emplois. En 2013, nous sommes même restés 11 points en deçà des objectifs de la stratégie « Europe 2020 », qui fixait le taux d’emploi des 15-64 ans à 75 % ! Dans ce contexte détérioré, l’emploi des jeunes est malheureusement le maillon le plus faible, avec un taux environ deux fois supérieur aux taux de chômage nationaux moyens, à l’exception de l’Allemagne.

Depuis 2013, sous l’impulsion du Président de la République, dont nous saluons l’engagement, l’activité des jeunes est enfin devenue une priorité européenne. Le programme d’initiative pour l’emploi des jeunes et le développement de la « garantie jeunes » sur le modèle scandinave tentent d’endiguer ce phénomène dramatique. Toutefois, les réformes structurelles qu’il requiert constituent des difficultés pratiques à sa bonne mise en œuvre.

Le plan jeunesse impulsé par la France, la politique volontariste de la BCE et les actions des gouvernements nationaux semblent commencer à porter leurs fruits. Par rapport à mars 2014, le nombre de demandeurs d’emploi a baissé de 679 000 dans l’Union – le taux le plus faible étant toujours attribué à l’Allemagne et le plus fort observé en Grèce. Concernant les jeunes, Eurostat a annoncé une baisse de 276 000 chômeurs sur l’année.

Néanmoins, la France fait partie des quatre pays de l’Union au sein desquels le chômage tarde à baisser, surtout en outre-mer, et particulièrement en Guadeloupe, aux côtés de la Belgique, de l’Italie et de la Finlande. Monsieur le ministre, le travail intérimaire commençant à frémir en France, signe d’une reprise prochaine de la création d’emplois, à quel horizon est-il prévu que notre taux d’emploi remonte et quelles sont les mesures envisagées pour l’outre-mer ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. À quel horizon, monsieur le député ? Je ne répondrai pas précisément : il nous est arrivé de le faire et d’être pris au piège de ce fameux horizon qui, par nature, est une ligne qui s’éloigne quand on s’en rapproche… (Sourires.)

M. Pierre Lellouche. Surtout quand la courbe ne s’inverse pas !

M. Michel Sapin, ministre. Il me semble que c’est précisément ce à quoi je faisais allusion, monsieur Lellouche. Comme quoi nous sommes peut-être plus lucides que vous avez pu l’être.

La question du chômage des jeunes est fondamentale en Europe. Dans tous les pays d’Europe, même en Allemagne, le taux de chômage des jeunes est à peu près du double du taux de chômage moyen. En Allemagne, le taux de chômage moyen est de 4 à 5 % et celui des jeunes de 8 à 10 %. Si nous avions un taux de 8 à 10 % en France, nous serions déjà heureux, me direz-vous ! Car chez nous, c’est 10 % en moyenne et 20 % pour les jeunes… À titre de comparaison, en Espagne ou en Grèce, les taux de chômage des jeunes atteignent 50 ou 60 %, ce qui est insupportable. De tels chiffres ne peuvent pas permettre à une société, à une jeunesse de se retrouver, ni par rapport à elle-même, ni par rapport à son avenir, ni par rapport à l’Europe, à laquelle elle ne peut pas croire dans une telle situation.

Il est donc nécessaire de mener des politiques volontaires et efficaces, comme les emplois d’avenir, qui ont permis de faire baisser le nombre de chômeurs de moins de 25 ans, ou l’initiative de l’Europe en direction de la jeunesse que vous avez vous-même soulignée, pour permettre au chômage des jeunes de diminuer.

C’est quand le chômage des jeunes diminuera en Europe et diminuera clairement en France que nous pourrons à nouveau espérer retrouver non seulement la croissance mais aussi un avenir de qualité.

M. le président. Nous passons au groupe écologiste.

La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Jeudi dernier, le 28 mai, un accord a été trouvé entre le Conseil européen, la Commission et le Parlement sur le plan d’investissement européen dit plan Juncker.

Il faut le dire, le plan Juncker constitue un tournant dans la politique européenne puisqu’il reconnaît l’importance des investissements pour une sortie de crise européenne. Il faut le dire aussi, le plan a été amélioré par le Parlement européen, par rapport à la proposition initiale de la Commission, avec une augmentation d’un milliard de la part prélevée dans les marges non utilisées du budget européen pour les années 2014 et 2015, ce qui diminue d’autant ce qui aurait été reversé aux États. Il n’en reste pas moins, et il faut aussi le dire, que le plan Juncker n’est pas à la hauteur des enjeux.

Alors que l’investissement a chuté d’un quart en Europe depuis la crise financière de 2008 et que des politiques de contraction budgétaire ont été menées partout en Europe, avec les effets désastreux que l’on sait sur l’activité, se traduisant par un taux de chômage supérieur à 11 % en zone euro, il était plus que temps de lancer un plan d’investissement ambitieux.

Or il n’en est rien, puisque le mécanisme passera par le Fonds européen pour les investissements stratégiques, qui ne sera doté que d’une garantie de 8 milliards d’euros sur trois ans, dont 5 milliards, qui plus est, seront prélevés dans d’autres programmes européens d’investissement, le programme européen pour la recherche dit Horizon 2020 et celui pour les réseaux de transport dit Mécanisme pour l’interconnexion en Europe. La majorité des investissements proposés ne sont donc que du recyclage de programmes préexistants.

M. Pierre Lellouche. C’est vrai !

Mme Eva Sas. Il est possible de s’interroger sur l’efficacité d’un tel mécanisme. Si encore une partie de ces investissements étaient orientés vers la transition énergétique… mais, cette fois, c’est le Parlement qui a reculé pour abandonner tout fléchage des investissements du plan Juncker vers la transition énergétique.

Compte tenu de ces limites, quelle est l’action de la France et quels sont les mécanismes au niveau européen pour contrôler l’utilisation des investissements du plan Juncker et s’assurer de leur effet réel sur l’économie ?

M. Pierre Lellouche. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. D’abord, je partage votre opinion : il était utile d’avoir un plan Juncker. Vous vous êtes réjouie, comme moi, que le dialogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil ait permis d’aboutir à un accord. La première des conditions pour mettre en œuvre ce plan, c’était qu’il y ait un accord entre les trois institutions, ce qui va se traduire par l’adoption des textes nécessaires dans les semaines qui viennent. Le plan Juncker est donc maintenant une réalité opérationnelle.

Ensuite, il y a un débat sur le montant d’argent frais et la capacité de mobiliser grâce à lui d’autres types d’investissements, ce qui me semble très nécessaire. Avec l’Allemagne et l’Italie, nous considérons que nos grandes caisses nationales, chez nous la Caisse des dépôts et consignations, doivent s’inscrire dans la même logique que le plan Juncker, pour lui donner plus de consistance encore. C’est l’une des manières de faire en sorte qu’il ait encore plus d’effet sur l’investissement – tout particulièrement, et c’est ce que nous faisons en France, lorsqu’une bonne partie de ces investissements concernent la transition énergétique, avec les activités et les emplois que peuvent générer ce type d’activités nouvelles.

Nous devons aussi mobiliser de l’argent privé. S’il n’y a que de l’investissement public, cela ne servira pas à grand-chose : c’est utile évidemment pour un certain nombre d’infrastructures où il n’est pas question de rentabilité, mais il faut aussi mobiliser globalement l’investissement privé. C’est la logique même de ce plan Juncker. Mettons-le donc en œuvre.

On peut estimer, même si je ne suis pas d’accord avec vous, que les sommes ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. Mais moi, ce qui me préoccupe le plus, c’est que cela arrive vite. Des investissements, nous en avons besoin non pas dans deux ou dans trois ans, mais dès maintenant, dès la deuxième moitié de l’année 2015, parce que c’est par l’investissement que nous retrouverons une croissance durable mais aussi plus respectueuse de notre environnement.

M. Dominique Baert. Très bien !

M. le président. Vous avez la parole, madame Sas, pour votre seconde question.

Mme Eva Sas. Les chiffres du budget de l’État grec concernant le début de 2015, annoncés le 26 mai, montrent à quel point l’économie grecque tourne au ralenti, et ce à cause de la potion amère que les institutions internationales lui font subir. En effet, le solde primaire positif de 2 milliards d’euros, représentant le double de celui qui se dégageait déjà l’année dernière sur la même période, montre la compression des dépenses publiques, due principalement au gel du paiement de nombreux fournisseurs des services publics. Le gouvernement grec se concentre sur le paiement des retraites et des salaires, d’un côté, et sur les remboursements à ses créanciers de l’autre. Dans ces conditions, plus aucun investissement n’est possible pour relancer l’économie.

Ce que cache ce solde primaire, c’est le terrible recul des recettes fiscales par rapport aux recettes attendues, avec une baisse de 11,4 % des impôts directs et de 3,4 % des impôts indirects.

Avec un chiffre d’affaires en baisse de 25 % et une baisse des salaires de 25 % depuis le début de la crise, on comprend que plus rien ne rentre dans les caisses de l’État grec. La cure d’austérité que subit l’économie grecque l’a fait entrer dans un cercle vicieux infernal, qui dure maintenant depuis six longues années : économies sur les dépenses publiques, baisse du pouvoir d’achat, de l’investissement, et donc de l’activité, moindres recettes fiscales, et donc besoin encore accru d’économies… Une telle spirale ne pourra pas durer éternellement.

Pendant les quatre premiers mois de cette année, les dépenses de l’État grec n’ont été que de 16 milliards d’euros. Il est plus que temps de desserrer l’étau et de permettre à la Grèce de faire redémarrer l’activité du pays, afin que ses recettes fiscales repartent à la hausse.

Monsieur le ministre, alors que Washington appelle à ce que toutes les parties avancent vers un compromis et que le gouvernement grec a déjà fait de nombreuses concessions, la position de l’Union européenne n’est-elle pas trop ferme et n’est-il pas temps de soutenir plus fermement les propositions de la Grèce concernant le remboursement de sa dette ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Vous avez conscience, madame la députée, que vous posez de nombreuses questions sur un sujet extrêmement délicat, qui est par ailleurs en cours de négociation, ce qui ne permet pas de rentrer dans tous les détails nécessaires pour vous répondre totalement. Je me concentrerai sur deux d’entre elles.

D’abord, la question des recettes fiscales ne se pose pas depuis janvier : elle se pose depuis longtemps, trop longtemps, car globalement, les Grecs – pas les plus petits ! – ne paient pas suffisamment d’impôts par rapport à leurs capacités. Il y a donc un large défaut de l’administration fiscale et des injustices considérables du point de vue fiscal. S’il y a bien un point sur lequel il y a une convergence totale entre l’ensemble des institutions – Fonds monétaire international, Commission, Banque centrale européenne, chacun de nos États – et la Grèce, c’est la nécessité de mettre en place une administration fiscale indépendante, capable de faire rentrer les impôts de façon juste et de les faire payer par tous. Voilà vraiment l’une des grandes orientations sur lesquelles nous sommes d’accord. Il faut maintenant la traduire concrètement pour que chacun paie à la mesure de ses moyens, y compris pour le redressement de l’économie grecque.

Vous avez souligné, à juste titre, que l’activité économique avait un peu repris au milieu de l’année dernière mais que, depuis le début de cette année, elle avait stoppé et même reculé. Elle est en fait victime principalement de l’incertitude sur l’avenir de la Grèce : va-t-elle rester dans la zone euro ou pas ? Les économies, les entreprises, les individus aussi se sont en quelque sorte congelés sur place en attendant de connaître la réponse. C’est la raison pour laquelle il faut très vite trouver un accord avec la Grèce.

Un accord, quel qu’en soit le contenu, sera le meilleur moyen pour que l’activité reprenne en Grèce. L’incertitude, c’est l’ennemi de l’activité en Grèce. Le fait qu’il y ait plus de certitudes, plus de stabilité lui permettra de retrouver la croissance.

M. le président. Nous en revenons au groupe GDR.

La parole est à M. Gaby Charroux, pour une troisième question.

M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre, l’Europe ne semble pas avoir retenu les leçons de la plus grave crise financière connue par le continent depuis 1929. Alors que le secteur bancaire représente aujourd’hui à lui seul 43 000 milliards d’euros, soit près de 350 % du PIB européen, alors que cette hypertrophie du secteur financier continue de menacer l’économie et les emplois de nos concitoyens, le projet européen de séparation des activités des grandes banques européennes est aujourd’hui dans l’impasse.

En effet, la semaine dernière, les eurodéputés ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un projet de directive à l’ordre du jour bruxellois depuis plus d’un an. Il est vrai que, dès le lancement des négociations autour de ce projet, celui-ci a subi les coups de boutoirs dévastateurs des lobbys, surpuissants à Bruxelles, des forces politiques conservatrices, majoritaires sur notre continent, mais aussi, hélas, de gouvernements se proclamant progressistes, comme celui de la France.

Les observateurs sont formels. Agissant en porte-parole des intérêts des grandes banques nationales, la France est une nouvelle fois apparue à la tête de la fronde visant à vider de son contenu un projet européen de séparation bancaire utile et nécessaire.

La séparation réelle des activités bancaires semblait pourtant l’une des conditions indispensables pour éviter de revivre les effets désastreux de la contagion d’une catastrophe financière à l’économie réelle, comme le préconisait le rapport Liikanen de 2012. Il apparaît tout bonnement irresponsable de se contenter aujourd’hui d’une réforme a minima comme celle conduite en 2013, qui a débouché sur une séparation de façade.

Monsieur le ministre, comment expliquez-vous la position défendue par le gouvernement français tout au long des négociations ? Comptez-vous prendre des initiatives concrètes pour avancer rapidement sur le chantier de la séparation bancaire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Je vous trouve injuste, monsieur le député, quand vous affirmez que l’Europe n’a pas tiré les leçons de la crise financière et bancaire de 2007.

L’objectif de l’union bancaire, c’est justement qu’il y ait exactement les mêmes règles pour toutes les banques, supervisées non pas chacune dans son coin mais par un seul superviseur, capable d’analyser banque par banque la situation exacte et les risques qu’elle représente ; avec aussi un système dit de résolution, dont nous avons d’ailleurs débattu ici, qui va nous permettre de minimiser le plus possible, pour ne pas dire supprimer, le lien qui existait entre un défaut dans le système bancaire et le budget de chacun de nos États. C’est ce lien qui a été l’une des causes des très grandes difficultés d’un certain nombre de pays, tout particulièrement ceux du Sud, qui ont été en quelque sorte emportés par la crise de leur système bancaire.

Nous avons donc fait en sorte que les risques soient minimisés et les réactions maximales, et que ce soient les banques elles-mêmes qui financent l’aide aux banques, et non pas les États et les contribuables.

Par ailleurs, et la description que vous avez donnée de la politique française n’est pas exacte, nous avons veillé à ce que soit adoptée au niveau européen une disposition permettant de faire face partout sur le territoire européen aux risques réels représentés par chacune des banques. La question n’est pas de savoir si c’est une grande banque ou une petite : une grande banque n’est pas en soi plus dangereuse qu’une petite. Ce qui compte, c’est de connaître la nature réelle des risques que représente cette banque. À partir du moment où ils sont trop élevés, il faut trouver une solution, d’une manière ou d’une autre. Telle est la position qui est défendue par la France aujourd’hui.

Je sais quelles sont les difficultés actuelles, je sais à quelles impasses ont conduit les votes un peu contradictoires au sein du Parlement européen, mais, la France le répète, nous souhaitons qu’il y ait une réglementation commune dans l’ensemble de la zone euro ou de l’Union européenne pour que les risques réels présentés par chaque banque puissent être identifiés et que des mesures soient imposées à chacune pour y faire face.

M. le président. Vous avez la parole, monsieur Charroux, pour votre dernière question.

M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre, devant le constat, d’une part, d’une atonie de l’économie européenne assortie d’une inflation très faible laissant craindre de graves risques déflationnistes, et, d’autre part, de difficultés persistantes devant la transmission à l’économie réelle de la politique monétaire, la BCE s’est récemment lancée dans un vaste programme d’assouplissement quantitatif, ou – horreur ! – quantitative easing.

Même si nous doutons largement de l’efficacité de ce programme, son ampleur et sa durée marquent un changement de doctrine dans la politique d’une BCE qui est devenue un acteur institutionnel majeur au sein de la zone euro depuis l’éclatement de la crise financière.

De fait, la BCE joue aujourd’hui un rôle politique de premier plan. Elle formule des recommandations à l’égard des gouvernements, les enjoignant de mettre en œuvre les fameuses réformes structurelles censées flexibiliser le marché du travail et de lever tous les freins pour permettre de libérer les énergies. Son influence politique est encore plus visible au regard de la place occupée par la BCE au sein de la troïka, la Grèce ayant bénéficié, si je puis dire, de l’aide européenne en contrepartie de mesures de destruction sociale massive.

Or, monsieur le ministre, ce rôle politique de premier plan n’était pas initialement prévu par les traités, alors que le principe même de son indépendance totale à l’égard du pouvoir politique y demeure gravé.

Cette évolution du rôle de la BCE appelle nécessairement un contrepoids politique fort, car un tel niveau d’indépendance traduit, nous le pensons, une dépendance à l’égard des exigences des intérêts financiers. Un renforcement du contrôle de l’action de la BCE par le Parlement européen est l’une des pistes que nous proposons. Monsieur le ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour renforcer le contrôle politique à l’égard de la BCE ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur Charroux, je vois comme une contradiction, permettez-moi de le dire, avec tout le respect que je vous dois, entre le début de votre question, où vous rendiez hommage à l’action de la BCE, et sa fin, où vous sembliez vouloir la soumettre à une volonté politique.

M. Gaby Charroux. Elle se mêle trop de la politique des États !

M. Michel Sapin, ministre. Je vous le dis très clairement : heureusement que la BCE, au milieu de l’année 2014, a fait le bon diagnostic et pris les bonnes décisions concernant la situation économique de la zone euro !

M. Gaby Charroux. Certes.

M. Michel Sapin, ministre. Elle a fait le bon diagnostic – peut-être me direz-vous qu’elle aurait dû le faire plus tôt, mais j’observe qu’elle l’a fait avant d’autres, notamment la Commission et les pays européens membres du Conseil ou de l’Union – en constatant que, budgétairement, les politiques menées étaient par trop restrictives, et qu’il lui fallait donc être, monétairement, plus active. C’est ce que vous avez superbement appelé, monsieur Charroux, le quantitative easing.

Cette politique est actuellement appliquée par la BCE de manière efficace et, surtout, de manière constante depuis que la décision a été prise et les outils fixés. C’est heureux, car cela nous permet d’avoir un euro beaucoup plus faible – ce qui est très efficace pour nos entreprises – ainsi que des taux d’intérêt extrêmement bas, ce qui est bon pour tout le monde, pour les États comme pour l’économie.

Enfin, je partage une part de votre question : s’il existe une banque centrale qui joue pleinement son rôle du point de vue monétaire, il faut de l’autre côté, peut-être pour équilibrer, en tous cas pour dialoguer, un pouvoir économique – nous revenons là à votre première question – qui soit en capacité de fixer, pour l’ensemble de la zone euro, une politique adaptée à la situation. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de renforcer et d’approfondir l’Union économique, sorte de contrepoids à l’Union monétaire.

M. le président. Nous en revenons aux questions du groupe SRC. La parole est à Mme Karine Berger.

Mme Karine Berger. Nous ne nous sommes pas coordonnés, avec M. Charroux, je tiens à le préciser, mais il se trouve que de nouveau, ma question s’emboîte dans celle qu’il a posée.

M. Gaby Charroux. Quelle articulation ! (Sourires.)

Mme Karine Berger. En glissement annuel, comme on dit techniquement, l’évolution des crédits aux entreprises au sein de l’Union européenne affiche, au mois d’avril une baisse de 0,3 %. Autrement dit, le crédit aux entreprises au sein de l’Union continue de baisser.

Or cette baisse se déroule à un moment où la BCE se trouve dans une situation de création maximale de monnaie, comme le glissement de l’agrégat M0 – pardon d’être un peu technique – en témoigne. Le glissement de la création monétaire par la BCE a atteint son niveau le plus élevé depuis 2008.

Comment concilier ces deux problématiques ? C’est évidemment au niveau du maillon bancaire commercial que le bât blesse : d’un côté, la BCE crée beaucoup d’argent, de l’autre les banques commerciales prêtent moins, voire pas du tout, à l’économie réelle. Entre les deux se situent les banques commerciales.

Monsieur le ministre, vous avez déjà indiqué que vous souhaitiez que la régulation bancaire se poursuive. M. Charroux a évoqué le projet de résolution législative du Parlement européen débattu la semaine dernière sur proposition de M. Hökmark, qui visait à imaginer une régulation structurelle du système bancaire européen et qui s’éloignait du rapport initial de M. Liikanen.

La France a, il y a deux ans, légiféré en la matière. Au niveau européen, les choses sont claires en matière d’union comme de résolution bancaires, et même de salaires des traders. Mais demeure le problème structurel des banques, qui m’amène à poser trois questions.

Monsieur le ministre, vous avez dit que la France était favorable à ce type de régulation : pensez-vous que nous aurons un texte, au niveau européen, avant la fin des fonctions de la nouvelle Commission européenne ? Ce ne fut pas le cas de feu la directive Barnier.

Deuxième question : au fond, la position de la France est-elle bien d’appliquer cette règle à l’ensemble des pays européens ? J’ai en effet cru comprendre que l’un de vos collègues visait une zone euro – ou une Union européenne – à deux vitesses, où certaines règles s’appliqueraient à cette zone et pas aux pays n’en faisant pas partie. Le Royaume-Uni pourrait-il, par exemple, être exonéré d’une règle de régulation bancaire comme ce que M. Hökmark a évoqué ?

Troisième question : si nous parvenons, au niveau européen, à une régulation bancaire, quid de ce qui n’en fait pas partie, c’est-à-dire ce que l’on appelle le shadow banking ? Il s’agit là d’une question qui concerne plus la France : auriez-vous des éléments à nous communiquer à ce sujet ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Madame la députée, vous avez dit beaucoup de choses en une seule question, ce qui ne m’étonne pas, compte tenu de la richesse de votre pensée ainsi que de votre grande capacité de proposition.

M. Dominique Baert. Elle fabrique beaucoup d’idées.

M. Michel Sapin, ministre. Je vous réponds en commençant par la fin. Nous avons, au niveau international, beaucoup progressé en termes de régulation bancaire. Il est toujours possible d’en demander plus, mais, pour ma part, je souhaite que nous puissions adopter, d’ici à la fin de l’année 2015, la nouvelle législation européenne s’appliquant aux banques, notamment en vue d’analyser les risques de chacune d’entre elles et de prendre les décisions visant à les minimiser. Telle est la position de la France.

Mais ce que vous avez appelé le shadow banking, qui se situe hors du système bancaire et qui est d’ailleurs utile à l’économie – il s’agit des marchés – car il peut financer nos économies et nos entreprises, est, aujourd’hui, très peu régulé, pour ne pas dire dérégulé. Je ne voudrais pas que ce qui a été encadré du côté bancaire glisse progressivement dans le domaine non encadré et non régulé, hors du système bancaire. Il s’agit d’un enjeu de taille, que nous avons encore il y a quelques jours évoqué au G7 à Dresde. Un travail doit être mené d’ici à la fin de l’année : il se poursuivra ensuite afin qu’une régulation s’exerce également en dehors du système bancaire.

Le cœur de votre question peut se résumer ainsi : comment faire pour que la politique de la BCE – qui, je le répète, est bonne – ait des effets bénéfiques à tous les niveaux des économies de la zone euro, en particulier dans les PME et dans les PMI, et aussi dans l’ensemble des pays de la zone, sachant qu’il y a une fracture et que tous les pays ne bénéficient pas de la même manière des politiques de la BCE ? C’est le cœur du sujet.

Nous allons essayer d’apporter un certain nombre de réponses, notamment en faisant en sorte que les banques, et les compagnies d’assurance, augmentent leurs investissements dans l’économie réelle ainsi que dans les entreprises. Madame Berger, les chiffres que vous avez cités s’agissant de la zone euro, qui sont certainement exacts, ne reflètent pas la réalité de la France en ce début d’année. Les chiffres enregistrés par notre pays montrent en effet que les crédits nouvellement accordés aux entreprises, c’est-à-dire excluant la renégociation de crédits déjà accordés, sont en forte progression. Il s’agit d’un bon signal, qui tendrait à prouver que les entreprises françaises ayant besoin d’argent pour investir en trouvent auprès du système bancaire national, ce qui prouve qu’il se porte mieux que ce n’était le cas jusqu’à présent.

M. le président. La parole est à M. Dominique Baert.

M. Dominique Baert. Monsieur le ministre, quand la politique budgétaire est contrainte tant par la discipline de la zone euro que par les déficits creusés et le poids de la dette, quand la politique de taux n’affiche pas d’objectif de change prioritaire, quand l’inflation s’inscrit en deçà de ses références historiques, la politique monétaire peut être utilisée plus spécifiquement à la stimulation de la croissance en même temps qu’à la stabilisation des dettes comme des économies.

Pour notre majorité, la réorientation de la politique était une évidence en même temps qu’une nécessité. Dans le discours que le Président de la République a adopté pour que l’Europe engage des actions de relance de la croissance économique, nous nous sommes félicités du fait que jamais n’ait été oublié le rôle positif que pouvait et que devait jouer la BCE, que vous venez d’ailleurs de rappeler.

Nous la voulions moins dogmatique, davantage porteuse d’un discours et d’actions plus adaptés à une situation macroéconomique européenne trop ternie par de lourdes dettes souveraines ainsi que par un chômage endémique. Sur ces deux points, un mouvement a eu lieu, avec une doctrine monétaire plus favorable à l’investissement, un cours de l’euro moins élevé, et des taux d’intérêt bas. Le changement s’est opéré via des mesures non conventionnelles, à commencer par le lancement du programme de prêts à long terme aux banques, et, grâce à l’influence de la France, au programme de rachat de 1 100 milliards d’euros de dettes publiques sur dix-neuf mois.

Les rachats en masse de dettes publiques et privées par la BCE doivent se poursuivre au moins jusqu’en septembre 2016. Monsieur le ministre, quels résultats attendez-vous, à moyen et long terme, de cette nouvelle donne monétaire européenne ? Faut-il s’inquiéter d’une période trop longue de très bas taux d’intérêt réels, compte tenu de leurs effets redistributifs, et, par ailleurs, de la création de nouvelles bulles boursières ?

Mme Arlette Grosskost. Très bonne question.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, je voudrais, après vous, souligner la qualité, la pertinence et l’efficacité de la politique monétaire qui a été menée par la BCE. On peut critiquer beaucoup d’institutions et souhaiter qu’elles fassent mieux dans beaucoup de domaines, mais en l’occurrence, les bonnes décisions ont vraiment été prises et commencent à produire leurs effets, ce que vous avez souligné, en termes de valeur de l’euro et de bas niveau des taux.

M. Dominique Baert. C’est un jugement de spécialiste.

M. Michel Sapin, ministre. Reste, et Mme Berger m’a, à juste titre, interrogé sur ce point, la question de la diffusion de cette politique auprès de chacun des acteurs économiques, dans tout le tissu économique et dans toutes les entreprises. Il s’agit plus de questions internes que chaque pays doit soulever et résoudre.

Cela va-t-il durer longtemps ? La BCE elle-même a indiqué qu’elle mènerait cette politique au moins jusqu’en septembre 2016. Nous avons besoin, comme nos acteurs économiques, de cette stabilité et de cette visibilité. Il s’agit donc d’une politique qui sera appliquée non pas pendant un mois ou deux mais pendant plusieurs mois, parce que cela correspond au temps nécessaire pour que ses effets se fassent sentir dans l’ensemble de l’économie. Plusieurs mois sont nécessaires, et je me réjouis que cette vision continue prédomine.

Cette politique est-elle sans risques ? Non – il n’y a pas de politique sans risques. On peut évidemment s’interroger sur les conséquences de taux très bas pour un certain nombre de secteurs. Celui de l’assurance, notamment, se préoccupe beaucoup de cette question dans la mesure où l’assurance-vie est majoritairement placée en obligations d’État. Quand ces dernières rapportent très peu…

Mme Arlette Grosskost. Leur rendement est négatif.

M. Michel Sapin, ministre. …ou, effectivement, ont un rendement négatif, se posent donc de véritables problèmes. La meilleure des solutions est d’encourager ces investisseurs à placer leurs fonds sur d’autres supports que des obligations d’État, et en particulier sur ceux permettant le financement de l’économie et des entreprises. L’Assemblée nationale a voté un certain nombre de dispositions nouvelles dans ce sens.

Oui, monsieur le député, il peut encore exister des risques. Mais le risque immédiat, c’est que la croissance ne reprenne pas ou que les crédits ne parviennent pas aux entreprises qui en ont besoin. Telle est notre principale préoccupation.

M. le président. Nous en revenons aux questions du groupe UMP. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Le Premier ministre grec Alexis Tsipras a eu la bonne idée de publier aujourd’hui même dans Le Monde une longue tribune sur la crise de la zone euro. Près de six mois après l’élection grecque du 25 janvier, la position d’Athènes semble exactement la même. L’explosion de la dette publique, à plus de 180 % du produit intérieur brut, celle du chômage, l’appauvrissement du pays : tout ceci ne serait dû qu’à la seule politique d’austérité imposée par la Troïka et le Fonds monétaire international, qui sont d’ailleurs cités à plusieurs reprises par le Premier ministre grec.

Il ajoute qu’il n’envisage de commencer à réformer réellement qu’à partir de 2017 et qu’il n’a pas l’intention de modifier sérieusement ni le programme de privatisations ni la sécurité sociale ni les retraites. Il commence tout juste à mettre en place un système fiscal digne de ce nom. Pour lui, la solution est donc simple : l’Europe doit faire preuve « de plus de solidarité », c’est-à-dire accepter de payer. Sinon, poursuit-il, nous serions obligés de supprimer les élections dans tous les pays qui sont soumis à un programme d’austérité : « Tout cela aboutirait à la naissance d’un monstre technocratique et à l’éloignement pour l’Europe de ses valeurs fondatrices ». Le Premier ministre conclut en citant Ernest Hemingway : « Pour qui sonne le glas ? » 

Monsieur le ministre, c’est exactement la question que je voulais vous poser : pour qui sonne le glas ? Sommes-nous prêts à continuer à payer ? Mme Berger a rappelé qu’en 2010, et j’y ai participé, nous avions mis sur la table 110 milliards d’euros, dont 80 % pour l’Allemagne et la France. Est-ce là notre politique, face à un gouvernement qui, de toute évidence, n’a aucunement l’intention de se plier aux disciplines communes et attend seulement que nous, nous continuions à payer ?

J’avoue que cette question, et c’est l’objet de ma deuxième interrogation, se pose aussi s’agissant de la France. Mme Berger parlait du lien entre Athènes et Paris. Le rapport de la Cour des comptes publié la semaine dernière montre que, chez nous aussi, le déficit se creuse, puisqu’il est en augmentation de 10 milliards d’euros par rapport à 2013. La dette de l’État continue de progresser de 71 milliards, ou 3 points de PIB, tout de même, pour atteindre désormais 1 528 milliards. Ce rapport nous apprend également que si les dépenses de l’État ont pu être stabilisées en 2014, ce résultat est uniquement dû à la baisse de la charge de la dette, de 1,7 milliard, et non à des économies. Notre besoin de financement continue d’augmenter : 179 milliards l’an dernier, 188 milliards cette année.

Monsieur le ministre, cette dérive des comptes publics et ces absences de réformes dans le pays sont-elles réellement compatibles avec la place de la France dans la zone euro ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Comparaison n’est pas raison, vous le savez bien, monsieur Lellouche : la situation de la Grèce et celle de la France n’ont rien de comparable. Je laisserai donc l’aspect polémique de vos questions de côté pour éviter d’avoir à vous rappeler vos responsabilités considérables dans la situation actuelle de la France.

S’agissant de la Grèce, quand M. Tsipras dit qu’on doit prendre en considération l’expression du peuple, surtout quand il s’est exprimé très clairement pour une nouvelle majorité, il a raison. L’Europe n’est pas la négation de la vie démocratique des pays. Vous seriez d’ailleurs le premier à contester une Europe qui voudrait ignorer les décisions prises souverainement par le peuple français. Mais je le dis clairement : il n’est pas possible pour la Grèce de considérer qu’elle sortira de sa situation uniquement en comptant sur les autres. Il faut les autres… mais il faut la Grèce, une Grèce qui prenne des décisions que parfois ses précédents gouvernements n’ont pas eu le courage de prendre.

À cet égard, je ferai une nouvelle fois référence à l’administration fiscale, qui doit être redressée pour permettre aux rentrées fiscales d’être à la hauteur des capacités de l’économie grecque. Oui, la Grèce doit mettre en œuvre des réformes, mais c’est à elle de dire lesquelles. Ce n’est pas à nous de les lui imposer. La condition pour que nous trouvions un accord le plus rapidement possible, c’est que celui-ci apporte la stabilité, la sérénité nécessaires à la Grèce du point de vue démocratique, et que, sur le plan économique, la Grèce expose à ses partenaires les moyens d’assurer un équilibre budgétaire qui lui permette de faire face à ses propres besoins – salaires, pensions, investissements – et aux engagements qu’elle a pris vis-à-vis de ceux qui, dans les moments les plus difficiles, ont fait preuve de la solidarité nécessaire pour venir la soutenir.

Voilà comment nous trouverons la solution. Cet accord est absolument nécessaire, pour la Grèce certes afin de lui éviter une situation absolument catastrophique, mais aussi pour la zone euro car, je le répète, l’Europe n’est pas là pour se recroqueviller mais pour accueillir. Et c’est ce que je souhaite à l’Europe de demain.

M. Pierre Lellouche. Y croyez-vous ?

M. Michel Sapin, ministre. Oui !

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le ministre, le plan Juncker, vous l’aurez compris, nous interpelle sur tous les bancs. Il conviendrait de lui donner un peu plus de transparence ou en tout cas de mieux l’expliquer.

Il a été rappelé par mes collègues que dans le document signé le 26 mai dernier, Paris et Berlin se disent prêts à amplifier ce plan de relance de l’investissement en Europe en insistant en particulier sur les spécificités de la zone euro. Conçu pour une Europe à vingt-huit, il pourrait donc être renforcé pour le noyau dur, c’est-à-dire pour les pays ayant adopté la monnaie unique.

L’actuel plan doit mobiliser, vous l’avez rappelé, 315 milliards, avec des effets de leviers. Mais alors que les conditions de sa mise en œuvre sont toujours en cours de négociations avec le Parlement européen, six États, dont la France à hauteur de 8 milliards d’euros, ont promis un soutien de plus de 25 milliards d’euros et la Banque européenne d’investissement lance les premiers projets.

Quant aux effets attendus de ce plan pour la France, il y a urgence. En effet, l’investissement dans notre pays devrait reculer de 0,6 % cette année alors qu’il va progresser de 1,7 % dans l’ensemble de la zone euro, confirmant ainsi le tableau d’une économie française entravée. Quand bien même l’investissement reprendrait-il grâce à l’effet de levier du plan Junker, voire d’un plan Juncker II renforcé pour la zone euro, force est de constater que les rigidités de notre marché du travail et notre réglementation sociale resteront un frein.

Aussi, il est à craindre que le nombre d’emplois attendus de ces investissements ne soit pas au rendez-vous. J’en veux pour preuve les récentes statistiques sur les investissements directs étrangers en France : les créations effectives d’emplois sont bien en deçà des attentes. Je rappelle que la France reste au troisième rang européen en nombre d’implantations d’entreprises étrangères, mais qu’elle crée moins d’emplois que ses principaux concurrents en ce domaine, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Le même phénomène risque de se répéter avec les investissements du plan Juncker.

Je sais que vous pouvez plus ou moins détailler les investissements qui bénéficieront des 8 milliards, mais parlez-nous tout de même des retombées attendues au niveau des emplois. Par ailleurs, puisque vous avez confirmé l’intervention de la Caisse des dépôts et consignations dans le plan Juncker, je souhaiterais savoir si ces investissements supplémentaires ne risquent pas de mettre en péril son modèle prudentiel.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Madame Grosskost, le modèle prudentiel de la Caisse ne peut être mis en cause puisque le Parlement y veille. Le Gouvernement compte bien entendu sur les parlementaires pour éviter à cet égard tout comportement susceptible d’être pernicieux. La Caisse des dépôts et consignations va intervenir encore plus, tant sur le plan national que dans le cadre du plan Juncker, dans des conditions qui me paraissent extrêmement favorables.

S’agissant du plan Juncker, nous devons nous réjouir que les négociations soient terminées. Un accord est intervenu il y a quelques jours entre les trois grandes institutions, et nous passons maintenant à la phase de la mise en œuvre.

Vous pourriez me dire que 315 milliards, ce n’est peut-être pas suffisant, surtout avec un effet de levier aléatoire, mais la France estime qu’il faut agir le plus simplement et le plus vite possible. C’est aujourd’hui, dans les mois qui viennent, que nous avons besoin de ces investissements supplémentaires, alors allons-y ! Proposons des projets ! Favorisons des cofinancements ! Réalisons les investissements ! Si dans deux ans ou dans trois ans, nous nous apercevons que ces 315 milliards ne sont pas suffisants, il sera alors temps d’évoquer un plan Juncker II. Mais pour le moment, c’est de l’actuel plan que nous avons besoin, c’est lui que nous devons mettre en œuvre, avec nos propres politiques de l’investissement – par exemple le suramortissement des investissements, qui commence à avoir des effets extrêmement positifs dans les entreprises. C’est en effet par l’investissement, en France comme dans l’ensemble de la zone euro, que nous pourrons retrouver une croissance durable et suffisamment forte – au-delà du très bon chiffre du premier trimestre – qui soit porteuse d’emplois.

Car je partage votre préoccupation : de l’investissement sans emplois, c’est certes de l’activité, peut-être de la croissance, mais cela ne répond pas à notre principale préoccupation, celle du chômage. C’est pourquoi il faut faire très attention quant aux choix des investissements. Je veux des investissements dans les petites et les moyennes entreprises françaises, y compris au travers du plan Juncker, parce que c’est là que se créent des emplois. Je veux des investissements dans le domaine environnemental, parce que là aussi la croissance peut être plus riche en emplois. C’est une de nos préoccupations, c’est une de nos politiques.

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost pour la dernière question.

Mme Arlette Grosskost. Le pacte de stabilité et de croissance impose à tous les pays de la zone euro de fournir tous les ans, en avril, un document à la Commission européenne faisant état de leur politique budgétaire. Lors du débat à ce sujet en commission des finances, nous étions quelques-uns à émettre des doutes sur les choix du Gouvernement. La semaine dernière, le Premier président de la Cour des comptes a clairement déclaré que la réduction de notre déficit budgétaire a été interrompue, avec un dépassement en exécution de 3 milliards d’euros par rapport à celui fixé en loi de finances initiale. Au mois de mai dernier, la Commission européenne a, pour sa part, demandé au gouvernement français de poursuivre ses réformes.

Dans le document envoyé à la Commission européenne, la France et l’Allemagne se prononcent en faveur d’un meilleur dosage des politiques économiques pour le renforcement de la croissance, de la compétitivité, de l’emploi et des finances publiques de la zone euro. Selon certains, il s’agit là d’un changement de paradigme, la croissance figurant en tête des nouvelles priorités après une période marquée par l’objectif de réduction des déficits publics. Monsieur le ministre, ce document soulève des interrogations. Il ne faudrait pas en effet que cette nouvelle inflexion serve encore de justification au relâchement des efforts et à un abandon dissimulé de la trajectoire de maîtrise de nos finances publiques. Nous devons être ambitieux, et même si nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté du Gouvernement d’améliorer la convergence économique réelle, nous devons aussi faire preuve de courage.

Il devient impératif, si nous voulons respecter nos engagements européens, de réaliser de réels progrès dans l’évaluation et la gouvernance d’ensemble de nos finances publiques en encadrant l’activité des opérateurs de l’État, en améliorant le suivi et l’évaluation des dépenses de l’État et de la Sécurité sociale, et en faisant de réels efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement dans toutes les administrations.

Afin de respecter nos objectifs à l’égard de l’Union européenne, comment allez-vous faire pour baisser la dépense publique de 40 milliards d’euros en tendance comme vous l’avez annoncé ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Vous savez qu’il y a eu, au niveau européen, une réorientation de la politique monétaire, mais aussi que la vision de la politique budgétaire est devenue plus progressive. Chacun a considéré qu’il ne fallait plus, au niveau de la zone euro, de restrictions budgétaires, mais une neutralité budgétaire. Cela n’empêche pas des pays qui ont un déficit public trop important, tels que la France, de continuer à le diminuer. Je dis bien continuer, car quels que soient les calculs des uns ou des autres, personne ne peut nier que le déficit public, toutes administrations confondues, a été inférieur en 2014 à celui de 2013. On peut prendre la question par tous les bouts, être aussi inventif que possible dans la critique, cela ne change rien à la réalité.

J’ai craint à un moment donné qu’en raison de la très faible croissance en 2014, nous ne puissions atteindre un tel chiffre, mais la vérité, c’est que le déficit a baissé et que cela continuera cette année. L’Assemblée nationale a adopté une prévision budgétaire de 3,8 % de déficit, et nous avons tous les éléments qui me permettent d’affirmer que cet objectif sera atteint. Le déficit diminuera encore l’année prochaine, et en 2017. Cela passe par la maîtrise des dépenses publiques, pour les raisons que j’ai déjà expliquées : comme il faut financer les priorités et continuer à diminuer les déficits, le seul facteur de maîtrise reste la dépense publique.

Vous me demandez comment nous faisons avec les opérateurs de l’État : avec exigence. Vous me demandez comment nous procédons avec l’ensemble des administrations, ce qui comprend les collectivités territoriales : dans le dialogue, mais avec exigence. Je ne souhaite qu’une chose, madame Grosskost : c’est que le même niveau d’exigence soit partagé sur tous les bancs – ce n’est pas vous qui êtes en cause – et que lorsque nous nous montrons exigeants, certains ici ou là ne fassent pas œuvre de démagogie, appelant à toujours plus de dépenses pour les opérateurs de l’État, chambres de commerce ou universités par exemple, quand ils en demandent moins au niveau global.

M. Dominique Baert. C’est vrai !

M. le président. Nous avons terminé les questions sur la situation économique et financière de la zone euro.

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Octroi de mer

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer (nos 2759, 2808).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur – cher Dominique Baert, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer que j’ai l’honneur de présenter à votre assemblée emporte des enjeux majeurs pour les économies des régions d’outre-mer : enjeux en matière d’accompagnement des filières productives, enjeux de développement des économies locales et de l’emploi, enjeux de financement des collectivités territoriales.

Ce dispositif spécifique aux économies d’outre-mer est bien connu dans les territoires. Héritier d’un impôt existant sous l’Ancien Régime, il est en place depuis plusieurs décennies, même si, sous l’influence du droit communautaire, il a sensiblement évolué. Ces derniers mois, la reconduction de ce régime a constitué, à bon droit, une préoccupation tant pour les élus et parlementaires que pour les exécutifs régionaux et les acteurs socio-économiques de chacun des territoires. Sa pérennité est en effet considérée, faute de système alternatif, comme une condition essentielle de l’équilibre économique des territoires. Le débat qui s’engage est donc essentiel pour le financement des économies ultramarines jusqu’en 2020, essentiel pour leur donner la capacité de faire face à une concurrence vive et soutenue.

Si le Gouvernement a engagé la procédure d’urgence pour l’examen de ce texte, ce n’est évidemment pas pour escamoter le débat nécessaire sur le financement de nos collectivités et le soutien adapté aux filières productives, mais pour tenter de rester dans les délais qui nous sont impartis par la décision européenne et pour qu’aucune rupture juridique dans la mise en œuvre du régime ne vienne déstabiliser nos économies.

Les enjeux de ce dispositif sont considérables, chacun le mesure. Ils sont liés à un certain nombre de handicaps structurels dont souffrent les économies éloignées : surcoûts engendrés mécaniquement par cet éloignement, spécificités de ces territoires, marqués par un faible nombre de productions locales et l’étroitesse de leurs marchés, dans des bassins régionaux au surplus extrêmement concurrentiels. De mon point de vue, le soutien à l’émergence, puis au développement de productions locales est la condition du développement pérenne de ces territoires ; une partie essentielle de mon action vise donc à consolider les filières productives locales.

Faut-il rappeler que ces territoires affichent une balance commerciale, hors services, structurellement déficitaire, de 1,2 milliard pour la Guyane à 4,4 milliards pour la Réunion, un taux de couverture des importations par les exportations trop faible, qui varie selon les territoires de 1 à 18 %, et une trop faible part des productions locales dans le PIB, de 11,6 % à 14 % selon les territoires ?

Dans ces conditions, la mise en œuvre d’un outil ad hoc demeure pleinement justifiée. Cet outil consiste en un dispositif sans doute complexe, mais global, articulant différentiels de taxation entre importations et productions locales, exonérations à l’initiative des conseils régionaux, qui peuvent bâtir une stratégie cohérente d’accompagnement de filières, et déductions. Cet outil, l’octroi de mer, ne permet pas à lui seul de corriger toutes les imperfections des marchés des DOM, loin de là,…

M. Dominique Baert, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Ah ça, non !

Mme George Pau-Langevin, ministre. …mais il permet, au moins, d’en atténuer les faiblesses et surtout d’accompagner efficacement les filières productives, ressorts de croissance, de richesse et d’emplois.

L’originalité du régime et sa légitimité résident en effet dans son double objectif : premièrement, soutenir la production locale, dont chacun mesure à quel point elle est confrontée, dans les régions d’outre-mer, à des handicaps structurels et exposée à une concurrence vive ; deuxièmement, constituer pour les collectivités une ressource dynamique, à hauteur de plus d’1 milliard d’euros par an, soit en moyenne 40 % des ressources fiscales des collectivités.

Sur le plan communautaire, la décision du Conseil de l’Union de décembre 2014 a largement conforté le bien-fondé de ce dispositif et sa proportionnalité aux handicaps des économies que nous cherchons à surmonter, en légitimant le principe de l’octroi de mer, c’est-à-dire une différence d’imposition entre les produits locaux et les productions importées, sur le fondement de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en justifiant la finalité de l’octroi de mer comme instrument de stratégie de développement économique et social des départements d’outre-mer, en démontrant l’absence de surcompensation du régime par une analyse exhaustive, menée position douanière par position douanière, et enfin en augmentant sensiblement le nombre de productions bénéficiant d’un différentiel de taxation, témoignant ainsi de l’intérêt du dispositif pour le renforcement du dynamisme de nos filières productives. Cette décision du Conseil de l’Union européenne est le résultat d’un travail entamé il y a près de trois ans, sous l’égide de mon prédécesseur Victorin Lurel, que je salue, en vue de justifier l’intérêt économique du régime. Cette évaluation, conduite par un cabinet d’études indépendant, a permis d’objectiver autant que possible les avantages de l’octroi de mer.

Je retiendrai de cette étude notamment les points suivants : le montant de l’aide effectivement procurée par l’octroi de mer aux entreprises de production est compris dans une fourchette allant de 170 à 250 millions d’euros annuels ; l’impact du différentiel de taxation a contribué au développement depuis une dizaine d’années de certaines activités de production dans les DOM, ce qui est illustré par quelques indicateurs : les effectifs salariés dans l’industrie ont augmenté de 15 % dans les DOM entre 2000 et 2008, et selon les territoires, le poids du différentiel d’octroi de mer sur le PIB varie entre 0,22 % et 1,55 %.

Toutefois, si les parts de marché de la production locale ont tendance à augmenter depuis 2005, les importations de produits équivalents n’ont pas pour autant diminué sur la même période. Les produits bénéficiant du différentiel de taxation demeurent donc encore particulièrement exposés à la concurrence.

Par ailleurs, l’analyse des comptes de résultat des entreprises montre que les principales filières bénéficiant du différentiel de taxation répartissent de façon équilibrée le surcroît de valeur ajoutée qu’elles en retirent entre les salaires, les investissements et les profits, ce qui est sain.

Je n’ignore pas les réserves qu’ont exprimées certains sur l’intérêt du dispositif, en raison d’éventuels effets pervers, par exemple sur le niveau des prix outre-mer. Toutefois, je ne considère pas que l’octroi de mer explique à lui seul le niveau des prix constatés. Compte tenu à la fois de taux réduits de TVA en outre-mer ou de l’absence de TVA dans certains territoires, comme la Guyane ou Mayotte, et surtout d’une politique dynamique d’exonération d’octroi de mer pouvant être ciblée sur des produits de consommation courante, l’impact de l’octroi de mer sur le niveau des prix ne me paraît pas déterminant. C’est d’ailleurs ce qui ressort des conclusions du rapport remis, au nom de votre délégation aux outre-mer, par les députés Vlody et Hanotin en février 2013. Ce rapport a nourri la réflexion du Gouvernement et a permis de partager des constats sur le niveau d’aide en faveur des entreprises généré par le dispositif, sur sa faible incidence sur les prix, notamment en raison des possibilités d’exonérations partielles ou totales sur les produits de grande consommation, sur son adaptation aux handicaps des régions ultrapériphériques et l’adoption de solutions comparables notamment en Espagne, enfin sur l’absence de dispositif alternatif présentant le même rendement pour les finances des collectivités et ayant les mêmes effets en matière de soutien aux filières productives.

Il s’agit donc d’un dispositif adapté aux handicaps de nos économies, et je crois que tout le monde s’accorde à reconnaître que son absence serait préjudiciable aux territoires ultramarins.

Ce constat partagé est sans doute ce qui explique le consensus global que je perçois sur l’objectif général du texte soumis à votre examen, ainsi que l’absence de tout amendement lors de l’examen en commission. Je sais bien que M. le rapporteur regrette que la situation ne soit pas demeurée en l’état,…

M. Dominique Baert, rapporteur. Rien n’est joué : vous pouvez encore changer d’avis, madame la ministre ! (Sourires.)

Mme George Pau-Langevin, ministre. …mais l’examen du projet de loi étant l’occasion pour les parlementaires de répercuter un certain nombre d’interrogations issues des territoires, notamment à l’échelon régional, on peut comprendre le souhait que ces questions soit traitées par le Parlement de manière démocratique. Je considère cependant que les échanges que nous avons eus et que nous allons avoir ne signifient pas qu’il y ait désaccord sur les grands équilibres du texte. C’est d’ailleurs un paradoxe : comme tout le monde est satisfait de la décision rendue par la Commission européenne et s’accorde sur les grands objectifs du texte, du coup, les débats sont vifs sur des sujets qui pouvaient auparavant paraître secondaires.

On doit en tout cas se féliciter de la méthode utilisée pour faire émerger un consensus sur la position commune que les autorités françaises avaient à présenter devant la Commission européenne et pour animer une réflexion transversale sur le dispositif et ses évolutions possibles. Cette position partagée nous a permis de consolider notre point de vue devant la Commission européenne ; ce fut un atout précieux, et j’espère que tout le monde continuera à la considérer comme tel.

La concertation nous a permis de dépasser des clivages qui auraient pu mettre en péril l’adoption du texte – je pense bien évidemment à l’équilibre rénové des relations entre le marché unique antillais et la Guyane. Cette concertation m’a semblé décisive pour lever les incompréhensions et nous inscrire dans la logique vertueuse d’un accord mutuellement profitable.

Les échanges avec la Commission européenne ont abouti à la préservation des grands équilibres existants, en autorisant des différentiels de taxation jusqu’en 2020. Je sais que certains auraient préféré avoir dix ans devant eux…

M. Serge Letchimy. Vingt ans ! (Sourires.)

Mme George Pau-Langevin, ministre. …mais la Commission a jugé indispensable que le régime de l’octroi de mer soit valable jusqu’à la date d’expiration des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale. On peut comprendre sa position. Cela nous permet en outre d’introduire des améliorations, qui sont traduites dans le texte soumis à votre examen.

L’abaissement du seuil d’assujettissement de 550 000 euros à 300 000 euros de chiffre d’affaires et, corollairement, la mise hors champ de l’octroi de mer des entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 300 000 euros, a certes été critiqué par certains, mais cette disposition a été prise en concertation avec Bruxelles – je rappelle que notre discussion s’inscrit dans le cadre tracé par la Commission européenne – et doit s’apprécier au regard du faible nombre d’entreprises concernées, qui s’élève à quelques dizaines par territoire, ainsi que de l’absence d’obligations déclaratives nouvelles pour les nouveaux redevables, dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros. D’autre part, cette mesure a l’intérêt de constituer une simplification majeure pour la très grande majorité de notre tissu entrepreneurial, formé de très petites entreprises qui ne seront pas assujetties à la taxe de l’octroi de mer.

Le projet de loi clarifie et modernise la mise en œuvre de la taxe. En complément de l’abaissement du seuil d’assujettissement, plusieurs autres dispositions doivent être soulignées.

D’abord, conformément à l’article 72-2 de la Constitution, et à la demande expresse du Conseil d’État, le texte encadre les taux que les conseils régionaux et, à Mayotte, le conseil général, sont autorisés à fixer.

Le projet de loi étend en outre le champ des opérations pouvant être exonérées par les conseils régionaux ou, à Mayotte, par le conseil général ; elles concerneront désormais non seulement les entreprises, mais aussi les établissements de santé, de recherche et d’enseignement, et les organismes caritatifs ou philanthropiques. Le Sénat a souhaité rendre également bénéficiaires de ces exonérations les personnes morales exerçant des activités scientifiques de recherche et d’enseignement, ainsi que les établissements et services sociaux et médico-sociaux publics et privés. Les possibilités de déduction sont enfin élargies ; elles permettront à un nouvel assujetti de déduire l’octroi de mer qui a grevé les biens d’investissement qu’il a acquis.

À l’occasion du débat au Sénat, nous avons établi un mécanisme de taxation à l’octroi de mer spécifique pour une liste de productions guyanaises identifiées dans le cadre des échanges entre le marché unique antillais et la Guyane ; la création d’une commission interrégionale a été prévue afin d’analyser sur le long terme les flux d’échanges et proposer, si nécessaire, des modifications à la liste de produits soumis au régime spécifique. Cette proposition a été adoptée grâce aux efforts des élus de la Guyane et de la Martinique afin de sortir de l’opposition de mauvais aloi que l’on voyait poindre entre les Antilles et la Guyane. Depuis, les discussions se sont poursuivies et j’espère que nous allons progresser dans le sens d’un compromis respectant les intérêts légitimes des uns et des autres.

Le Sénat a d’ores et déjà modifié la proposition initiale du Gouvernement, d’une manière qui peut sembler raisonnable, puisqu’il s’agit de confier la présidence de la commission interrégionale à chacun des exécutifs régionaux concernés à tour de rôle. Nous n’y voyons bien évidemment aucun inconvénient.

Nous sommes en train de préparer le décret qui précisera la composition et les missions de la commission interrégionale. Là encore, la discussion a eu lieu parallèlement à la discussion du projet de loi, de manière que les parlementaires soient à peu près fixés sur l’architecture du nouvel organisme avant d’avoir à se prononcer sur le texte.

Dans ce contexte de volonté collective d’accompagner la reconduction du dispositif, nous sommes évidemment tout à fait respectueux des débats parlementaires et des améliorations que les parlementaires entendent apporter à ce texte, même si, bien évidemment, la liberté offerte de ce point de vue est assez encadrée par les dispositions du texte de l’Union européenne.

Je veux aussi rappeler que notre dispositif doit, ultime contrainte à prendre en compte, être opérationnel pour le 1er juillet prochain. Cela nous impose évidemment de terminer nos discussions dans un délai que j’espère le plus réduit possible.

Cela suppose aussi que nous puissions, parallèlement, obtenir d’ici à la fin du mois l’approuvé communautaire au titre des aides d’État. La demande, que nous avons formée en temps utile, est toujours en cours d’instruction. Il faudrait que nous obtenions ce nécessaire approuvé d’ici à la fin du mois de juin, de manière à ce que tout le dispositif soit absolument sécurisé juridiquement dans les prochains jours – nous y veillons.

Je voulais remercier les parlementaires pour leur investissement, nonobstant les fortes contraintes de la procédure d’urgence. Je remercie particulièrement le rapporteur, à qui nous avons imposé des contraintes un peu dures.

M. Dominique Baert, rapporteur. Merci !

Mme George Pau-Langevin, ministre. Même si tout, je le sais, n’est pas totalement réglé, il est très important, monsieur le rapporteur, que vous soyez aussi investi pour essayer, sur ces sujets très importants pour les outre-mer et qui les passionnent, de faire en sorte que nous puissions répondre aux attentes des collectivités sur le fond, et dans des délais satisfaisants. J’espère en tout cas que notre discussion nous permettra encore d’avancer et sera productive. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Baert, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Dominique Baert, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos collectivités ultramarines, réparties sur tous les océans, contribuent au rayonnement de notre pays à travers le monde et disposent d’un potentiel de développement formidable, en particulier sur le plan touristique, mais aussi des productions propres. Elles sont aussi soumises à des contraintes géographiques et présentent des fragilités économiques et sociales. Il convient de le prendre en compte, y compris en termes de fiscalité, pour leur permettre de réussir.

Outil original, l’octroi de mer s’inscrit dans une démarche de soutien à ces économies ultramarines. Là où elle s’applique – en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte – cette taxe fournit des ressources importantes aux collectivités, mais elle permet aussi, vous le rappeliez, madame la ministre, par un jeu subtil de taxations différenciées, de dégrèvements et d’exonérations, de taxer certaines productions locales moins lourdement que les importations. L’octroi de mer est ainsi un pilier de l’équilibre du tissu économique local. Il nous faut donc le préserver – le Parlement est d’accord avec vous, madame la ministre, sur ce point. Et c’est bien ce que nous propose le Gouvernement, à l’issue de négociations européennes réussies, ce dont nous pouvons tous ensemble nous réjouir.

Ainsi, le projet de loi adopté par le Sénat le 7 mai dernier proroge l’octroi de mer au-delà du 1er juillet 2015, tout en le réformant pour tenir compte de nos obligations communautaires. Notre commission des finances a examiné ce texte, qui réforme la loi du 2 juillet 2004. Même si les délais ont été contraints par l’urgence, nous avons été attentifs à la prise en compte des situations diverses et des aspirations locales, comme l’ont aussi été nos collègues sénateurs, dont nous avons apprécié les ajouts et le travail globalement consensuel.

Dans nos territoires ultramarins, l’octroi de mer est une ressource essentielle pour les communes et les régions, ou les collectivités uniques qui tiennent lieu à la fois de département et de région. Il leur fournit de 30 % à 50 % de leurs recettes fiscales, vous le rappeliez. Consistante, cette taxe a rapporté en 2014 près de 1,15 milliard d’euros. L’octroi de mer, je le disais, protège aussi les productions locales, dans des économies qui font face à des contraintes structurelles et spécifiques. Je pense notamment à la taille limitée des marchés locaux, qui ne facilite pas toujours les économies d’échelle, à l’insularité ou, pour la Guyane, aux difficultés d’accès à une partie du territoire, ou encore au niveau de vie de la population. Voilà pourquoi il est juste de traiter l’outre-mer différemment de la métropole, y compris fiscalement.

L’Union européenne a d’ailleurs reconnu, pour l’octroi de mer, que cette démarche était fondée et pouvait conduire à accepter quelques exceptions au célèbre principe de non-discrimination, inscrit à l’article 110 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Parce qu’il déroge en partie à ce principe, le régime de l’octroi de mer reste transitoire et doit régulièrement être prorogé et adapté. Ainsi, son extension aux productions locales, prévue par une loi du 17 juillet 1992, faisait suite à une décision du Conseil des Communautés européennes rendue en 1989. Depuis cette époque, les conseils régionaux ou assemblées similaires sont autorisés à moduler les taux d’octroi pour taxer moins lourdement les entreprises qui livrent les biens qu’elles ont fabriqués dans la collectivité, et les plus petites entreprises ultramarines peuvent bénéficier d’une exonération complète d’octroi de mer.

Le régime actuel de l’octroi de mer résulte de la loi du 2 juillet 2004, adoptée à la suite d’une décision rendue par le Conseil de l’Union européenne le 10 février 2004, qui a prorogé le régime transitoire de l’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014. La France a ensuite obtenu, le 17 décembre dernier, que cette date soit repoussée jusqu’au 30 juin 2015.

C’est le délai, bientôt expiré, qui nous est laissé pour adapter la loi du 2 juillet 2004 aux nouvelles exigences européennes, en contrepartie de la prorogation de l’octroi de mer jusqu’en 2020. Si nous faisons le nécessaire à temps, nous aurons donc préservé cet outil fondamental pour plus de cinq années supplémentaires.

Quelles sont ces exigences qui nous conduisent à modifier la loi du 2 juillet 2004 ? En premier lieu, ne seront plus assujetties à l’octroi de mer les entreprises locales dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros par an, alors qu’actuellement toutes y sont assujetties. Cela permettra de libérer plus de 3 500 petites entreprises de leurs actuelles obligations déclaratives et comptables dans ce domaine. En revanche, les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros seront désormais redevables de l’octroi de mer. Cela ne devrait concerner qu’un peu plus de 650 entreprises, qui subiraient au total, d’après les estimations fournies, un surcoût évalué à 800 000 euros la première année.

En contrepartie toutefois de cette extension du champ d’application réel de l’octroi de mer, les entreprises redevables pourront, comme cela se fait pour la TVA, déduire du montant d’octroi qu’elles doivent payer celui qu’elles ont supporté sur leurs propres achats, en amont de la production. Par ailleurs, les assemblées territoriales disposeront de possibilités d’exonération accrues. Cela concernera l’importation et la livraison des biens à consommer sur place dans les avions et les bateaux, ainsi que le carburant à usage professionnel, grâce à un élargissement décidé par le Sénat, puisque cette possibilité était initialement réservée aux seuls biens destinés à être utilisés dans l’agriculture, la sylviculture et la pêche. Cela concernera aussi l’importation de biens destinés aux entreprises, à des établissements sanitaires, scientifiques, de recherche ou d’enseignement, ainsi qu’à des organismes exerçant sans but lucratif, vous le rappeliez, madame la ministre, certaines activités d’intérêt général.

En outre, le projet de loi a soumis les taux d’octroi de mer à un plafond, légitime au demeurant, en vertu du rôle d’encadrement que l’article 72-2 de la Constitution confie au législateur en matière de fiscalité locale. Pour tenir compte des taux actuellement pratiqués, ces plafonds seront fixés à 60 % de la valeur en douane ou du prix hors taxes des produits – à 90 % de cette valeur s’il s’agit d’alcool ou de tabac. Ces taux, majorés de moitié à Mayotte, étaient, dans le texte initial, de dix points moins élevés. Le léger relèvement des plafonds décidé par les sénateurs nous a paru réaliste et permettra de bien préserver la liberté des assemblées territoriales, qui sauront fixer, j’en suis certain, les taux au niveau approprié pour chaque type de produit.

Le Sénat n’a pas remis en cause l’équilibre général du projet de loi, et la plupart des modifications apportées ont un caractère technique destiné à clarifier ou préciser certaines rédactions en veillant à préserver la cohérence juridique de la loi du 2 juillet 2004. Il a cependant décidé quelques changements notables.

D’abord, il a décidé, comme je l’ai déjà dit, de permettre aux conseils régionaux d’exonérer d’octroi de mer les importations de biens destinées aux centres de santé et aux établissements ou services sociaux et médico-sociaux. C’est un point important.

Il a également prévu certaines adaptations des règles de territorialité applicables aux échanges entre la Guyane, d’une part, et la Guadeloupe et la Martinique, d’autre part, afin de remédier aux déséquilibres commerciaux que l’on peut constater actuellement. Issues d’un accord conclu entre les élus des collectivités concernées, le 28 avril dernier si je me souviens bien, les nouvelles règles conduiront, comme cela se fait pour les autres collectivités, à taxer dans la collectivité de destination certains biens limitativement énumérés. Il s’agit essentiellement d’alcool, de peintures et vernis, de papier hygiénique et de certaines barres métalliques.

Le Sénat a également introduit des dispositions dont l’objet est de créer une commission composée de représentants des élus territoriaux. Cette commission, qui devra suivre et analyser l’évolution des échanges de biens entre ces collectivités, constituera un forum de discussion et de réflexion très utile. Si nécessaire, elle pourra proposer d’adapter les modalités locales de taxation de certains produits. Enfin, il est légitime de prévoir, comme le propose le Sénat, que le Parlement sera destinataire du rapport transmis par le Gouvernement à la Commission européenne avant la fin de l’année 2017 pour que nous évaluions ensemble les effets économiques du nouveau régime d’octroi de mer.

Lorsqu’elle a examiné ce texte mercredi dernier, notre commission des finances a estimé que les changements proposés étaient globalement consensuels et allaient dans le bon sens, tout en tenant compte de nos engagements européens. Soucieux, avant tout, de respecter les délais européens, nous avons voulu adopter à l’unanimité et sans amendement – aucun n’avait été déposé – le projet de loi dans la rédaction proposée par le Sénat.

Sans doute, madame la ministre, notre commission et son rapporteur auraient-ils pu déposer et faire adopter quelques amendements d’esthétique textuelle, pour reprendre l’expression que j’ai employée en commission pour désigner des amendements qui viseraient à préciser ou à améliorer la rédaction de tel ou tel article. Mais, en responsabilité, nous avons, à l’unanimité, choisi de ne pas le faire…

M. Patrick Ollier. C’est vrai !

M. Dominique Baert, rapporteur. Merci, monsieur le président Ollier.

Nous avons donc choisi de ne pas le faire pour rester dans les délais, pour ne faire courir aucun risque à la sécurité juridique de l’octroi de mer ni aux ressources des collectivités concernées, et pour respecter la date du 1er juillet 2015 en l’anticipant suffisamment, d’autant que nous savons que, parallèlement, les textes réglementaires doivent encore être présentés et adoptés par le Gouvernement. Le choix du vote conforme nous a paru responsable et sérieux, et un même vote conforme ce soir, sur un texte qui aurait ainsi toute chance d’être adopté à l’unanimité dans notre hémicycle, donnerait, nous en sommes convaincus, plus de force politique à ce texte consensuel et technique. Ainsi cette loi serait-elle adoptée par le Parlement dès le 1er juin.

Aussi permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que là où les députés ont été raisonnables, votre ministère ne l’est pas. Il me semble que des amendements ont été déposés au nom du Gouvernement, qui ne me paraissent ni essentiels à l’application du texte ni consubstantiels de celle-ci. On ne peut même exclure qu’ils soient, à l’instar de certains amendements de quelques collègues députés, de nature plus réglementaire que législative. Je le regrette, pour le Gouvernement comme pour nos collègues ultramarins. Vis-à-vis de nos concitoyens et du secteur économique ultramarin, pouvoir proclamer que dès le 1er juin le Parlement avait adopté la prorogation de l’octroi de mer aurait contribué, me semble-t-il, à une bonne lisibilité économique et aurait constitué une réussite politique majeure.

Si, nonobstant ces péripéties rédactionnelles dont nous nous sommes expliqués, madame la ministre, la commission des finances et son rapporteur approuvent votre projet de loi, je veux évidemment, en conclusion, évoquer deux éléments qui nous préoccupent pour l’avenir. La première interrogation concerne le devenir même de l’octroi de mer, qui va être prorogé jusqu’en 2020. Système de taxation complexe, pour reprendre l’expression que vous avez vous-même employée, madame la ministre, en présentant ce texte au Sénat, l’octroi de mer participe à la définition des prix outre-mer et constitue, parmi les impositions indirectes, un système fiscal différencié – différencié par rapport à la TVA, dont les conditions d’application des taux diffèrent considérablement outre-mer par rapport à ce qu’ils sont en métropole, différencié aussi par rapport aux écarts de taux de TVA entre les territoires. Ne faudra-t-il pas, bien au-delà de 2020 bien sûr, dessiner à long terme une convergence de ce système vers la TVA pour conforter les économies locales ? Purement économique et fiscale, cette réflexion m’est strictement personnelle, mais elle ne me paraît pas dénuée de portée.

La seconde interrogation, madame la ministre, concerne la répartition des ressources de l’octroi de mer en Guyane, où une répartition particulière, instaurée en 1974, entre conseil général et communes brouille la lisibilité et crée des amertumes. À la commission des finances, nous sommes bien sûr particulièrement sensibles aux contraintes des finances publiques, mais sans doute aurions-nous intérêt à réfléchir collectivement, là encore, à une régularisation progressive, étalée sur plusieurs années, de cette clé de répartition de l’octroi de mer en Guyane, qui n’est rien d’autre qu’une anomalie liée à des considérations d’opportunité politique et financière.

Tel fut le travail, madame la ministre, de la commission, et telles sont, mes chers collègues, nos réflexions sur ce projet de loi, dont nous souhaitons, vous l’aurez compris, une adoption rapide, dans l’intérêt même de nos régions ultramarines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Ollier. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Boinali Said.

M. Boinali Said. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Conseil de l’Union européenne a reconduit le régime de l’octroi de mer. Par sa décision du 17 décembre 2014, il a ainsi détaillé le cadre dans lequel les départements d’outre-mer sont autorisés à exonérer totalement ou partiellement de l’octroi de mer certaines productions locales pour leur permettre de supporter la concurrence des produits similaires importés.

Le texte que nous examinons aujourd’hui modifie la rédaction de la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer afin de transposer les dispositions issues de cette décision du Conseil.

Ce dispositif est un outil à la fois fiscal et économique pour nos territoires ultramarins. Il poursuit un double objectif : celui d’assurer le financement des collectivités ultramarines et celui de stimuler leur développement économique grâce à la possibilité d’exonérer totalement ou partiellement les productions locales – ce qui leur permet de supporter la concurrence des produits similaires importés, sachant que ces derniers accusent aujourd’hui un important déficit commercial, renforcé par la forte dépendance en matière d’énergie.

Comme vous le savez, la situation économique des départements d’outre-mer est spécifique, avec des problématiques particulières à chaque territoire. Ces particularités ultramarines se traduisent par une augmentation des coûts de production et donc du prix de revient des produits fabriqués localement, lesquels, en l’absence de mesures spécifiques, seraient moins compétitifs que ceux provenant de l’extérieur, même en tenant compte des frais d’acheminement.

Le dispositif de l’octroi de mer a donc pour objectif de compenser une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent les départements d’outre-mer.

Il est donc un élément essentiel au développement et à la pérennité de filières productives locales. En effet, les différentiels de taxation entre les productions locales et les importations, dont le prix est augmenté, rétablissent une forme d’équilibre qui permet de prendre en compte l’ensemble des contraintes qui pèsent sur l’outre-mer. L’octroi de mer constitue également une recette essentielle pour les collectivités locales ultramarines.

De manière générale, la fiscalité indirecte tient une place déterminante dans les ressources des communes des départements d’outre-mer, du fait des régimes spécifiques et des mécanismes régionaux de répartition de ces taxes.

En 2014, les recettes issues de l’octroi de mer ont représenté 1,15 milliard d’euros, soit environ 40 % des ressources des collectivités ultramarines. L’octroi de mer constitue ainsi la première ressource fiscale des communes d’outre-mer.

Le présent projet de loi conforte ce dispositif, indispensable à l’économie de nos territoires.

Tout d’abord, en excluant du champ de l’octroi de mer des entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 300 000 euros.

Ensuite, en étendant le champ des exonérations que peuvent accorder les conseils régionaux – ou le conseil départemental à Mayotte – dans les domaines de la santé, de l’enseignement, de la recherche, et pour certains combustibles utilisés dans le domaine agricole.

Enfin, en plafonnant à 50 % les taux que peuvent fixer les assemblées délibérantes, sauf pour les produits alcooliques et les tabacs manufacturés pour lesquels le taux maximal est porté à 80 %. Le conseil général de Mayotte sera néanmoins autorisé à majorer ces taux de moitié, ce qui me semble correspondre aux réalités économiques du territoire.

Je tiens à saluer ici l’introduction par la commission des finances du Sénat d’un article 36 bis qui dispose que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport de mi-parcours, dont la transmission à la Commission européenne est prévue par la décision du Conseil du 17 décembre 2014 précitée. Nous aurons donc la possibilité d’apprécier la pertinence et l’efficacité globale du dispositif.

Je tiens enfin à saluer le travail effectué qui permettra de moderniser le dispositif actuellement en vigueur, et ainsi redonner un nouvel élan à nos collectivités et aux économies ultramarines. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gibbes.

M. Daniel Gibbes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’octroi de mer fait partie de nos plus anciennes taxes. Son principe, conçu par Jean-Baptiste Colbert, concerne les produits importés comme les productions locales. Progressivement étendue à l’ensemble des départements d’outre-mer, cette taxe indirecte assure des ressources aux budgets des collectivités, en particulier les communes, et favorise le développement des entreprises locales en instaurant des possibilités d’exonération.

Après un vote unanime au Sénat et en commission des finances de l’Assemblée nationale, le texte que nous examinons aujourd’hui tire les conséquences d’une décision européenne et modifie certaines caractéristiques importantes de l’octroi de mer, comme le seuil d’assujettissement ou le champ des opérations exonérées.

Il faut remonter au XVIIsiècle pour voir apparaître, sous une forme voisine, l’octroi de mer. Supprimé à la Révolution, il est réintroduit au XIXsiècle. Par la suite, les règles de libre circulation et de non-discrimination des marchandises édictées par la Communauté européenne dans les années 1990 ont obligé ce dispositif historique à évoluer.

Reconnaissant le caractère spécifique des territoires ultramarins français, le Conseil des communautés européennes a, dans sa décision du 22 décembre 1989, reconnu le rôle primordial de l’octroi de mer pour le développement économique et social des départements d’outre-mer.

La loi du 17 juillet 1992 en a tiré les conséquences en prorogeant le régime de l’octroi de mer français pour une durée de dix ans. Le dispositif arrivant à échéance le 31 décembre 2002, la France a demandé à l’Union européenne sa prorogation pour une nouvelle période de dix ans. La décision du 10 février 2004 du Conseil de l’Union européenne a fait droit à cette demande en autorisant la France à maintenir un régime dérogatoire jusqu’au 1er juillet 2014.

Enfin, la décision du Conseil du 17 décembre 2014 a autorisé une nouvelle prorogation des exonérations jusqu’au 31 décembre 2020. Il s’agit donc, à travers ce projet de loi, de transposer cette décision et de la compléter par certaines mesures tendant à moderniser le dispositif de l’octroi de mer issu de la loi du 2 juillet 2004.

Madame la ministre, je veux rappeler ici le caractère essentiel de cet impôt pour les départements d’outre-mer, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’octroi de mer constitue une recette fiscale de près de 1,15 milliard d’euros par an, au bénéfice principal des communes de ces départements. Il représente ainsi 38 % des recettes fiscales des communes réunionnaises et jusqu’à 48 % de celles des communes martiniquaises.

En outre, les exonérations d’octroi de mer dont bénéficient les productions locales les plus sensibles des DOM contribuent à leur développement en venant compenser une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent nos territoires ultramarins.

Les conditions géographiques défavorables font partie de ces handicaps. En effet, les départements d’outre-mer sont tous situés à plus de 6 000 km de l’Hexagone et à plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres des centres d’activité économique les plus proches. Ils sont donc fortement dépendants des approvisionnements extérieurs. L’étroitesse des marchés locaux, cause majeure de renchérissement, est une autre difficulté structurelle.

La coexistence de ces handicaps se traduit par une situation économique et sociale difficile. Rappelons que les territoires ultramarins souffrent d’un taux de chômage de l’ordre de 25 %, supérieur donc à la moyenne hexagonale. L’octroi de mer permet de répondre à ces difficultés en renforçant la production locale sur le marché.

Outre la prorogation de l’octroi de mer et de ses exonérations jusqu’au 31 décembre 2020, la principale mesure du projet de loi consiste à abaisser le seuil d’assujettissement des entreprises, ramené de 550 000 à 300 000 euros de chiffre d’affaires. Cela procurera aux collectivités un surcroît de ressources estimé par l’étude d’impact à 2,5 millions d’euros.

En revanche, les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros seront exonérées et n’auront plus à faire de déclarations administratives, jugées trop lourdes pour bon nombre d’entre elles.

Je souhaite cependant, madame la ministre, vous faire part de nos interrogations quant à l’opportunité, en période de crise, de taxer plus durement le tissu économique local.

Le projet de loi propose également d’étendre le champ des possibilités d’exonération aux carburants à usage professionnel, aux biens destinés à l’avitaillement des bateaux et des aéronefs, et aux importations de biens destinés à certains opérateurs tels que les établissements de santé. Cela signifie qu’une entreprise assujettie à l’octroi de mer pourra déduire une partie de ses dépenses d’investissement du montant de son impôt. C’est une bonne mesure pour les économies des départements d’outre-mer.

Enfin, les taux d’octroi de mer que pourront fixer les assemblées délibérantes seront plafonnés à 50 %, avec une exception pour les alcools et les tabacs qui pourront, eux, être taxés à 80 %.

En ma qualité de député de Saint-Barthélémy et Saint-Martin, permettez-moi d’ouvrir quelques perspectives pour la suite de nos travaux.

Il est urgent, madame la ministre, de s’atteler à la question de la fiscalité dans les outre-mer. Le système fiscal souffre dans nos territoires de nombreux dysfonctionnements qui pèsent injustement tant sur les collectivités que sur nos compatriotes, confrontés à un chômage galopant et, pour certains d’entre eux, à la misère.

Cette remise à plat de la fiscalité et des modalités de financement des collectivités en outre-mer s’impose d’autant plus que le dispositif de l’octroi de mer a été prorogé de seulement cinq ans par le Conseil de l’Union européenne, alors qu’il l’avait été de dix ans en 1992 puis en 2004. Est-ce là le signe de sa disparition prochaine ? Il serait peut-être sage de s’y préparer…

Permettez-moi également, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, d’appeler l’attention de notre assemblée sur un cas particulier que je connais bien. Saint-Martin et Saint-Barthélémy ne sont pas assujettis à l’octroi de mer. Toutefois, avant de devenir des collectivités d’outre-mer, ces deux territoires bénéficiaient des ressources de l’octroi de mer de la Guadeloupe.

M. Victorin Lurel. En effet, 14 millions !

M. Daniel Gibbes. Pour Saint-Martin, la suppression de cette recette représente une perte considérable puisque ce sont 30 % de recettes fiscales qui se sont volatilisées, soit 12 millions d’euros par an, et cela sans compensation.

En conclusion, dans la mesure où il met en application une décision du Conseil de l’Union européenne et va en outre majoritairement dans le sens des intérêts économiques de nos territoires ultra-marins en protégeant leurs productions locales de la concurrence des produits importés, de l’Hexagone mais surtout de pays étrangers, le groupe UMP votera en faveur du présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus.

M. Ary Chalus. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous revenons aujourd’hui, avec l’examen de ce projet de loi qui entend modifier la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, sur la question de la fiscalité ultramarine. Il s’agit plus particulièrement de faire en sorte que l’octroi de mer reste un outil au service du financement des communes et du développement économique des territoires d’outre-mer.

Cela semble avoir été l’objectif de cet impôt indirect depuis le XVIIsiècle. C’est en effet du maintien d’une disposition datant de Louis XIV et conçue par Colbert dont nous allons débattre, d’une imposition spécifique des départements d’outre-mer, dont l’origine remonte au « droit de poids » et instituée en 1670 – sans doute l’une des plus vieilles taxes du système fiscal français.

Une vieille histoire donc, dont nous nous sommes accommodés et qui avait à l’origine pour objectif de protéger la production locale en taxant les importations de biens qui, à l’époque, arrivaient par la mer.

Initialement appliqué uniquement aux biens débarqués à la Martinique, l’octroi de mer a été instauré plus tardivement en Guadeloupe et à La Réunion. Aujourd’hui, il concerne également les départements de Mayotte et de la Guyane.

Les recettes de cette taxe ont toujours ce double rôle : procurer des recettes aux communes et protéger la production locale.

Depuis 1984, les conseils régionaux peuvent y adjoindre un octroi de mer régional perçu au profit des régions, et du département de la Guyane, dont le taux maximum légal est fixé à 2,5 %.

Régulièrement révisé à partir de la Révolution française de 1789, ce régime fiscal a dû être mis en compatibilité avec le droit communautaire, dans la perspective de l’ouverture du grand marché intérieur européen au 1er janvier 1993. En effet, consistant à appliquer une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, il n’était pas conforme aux dispositions du traité de Rome.

Par une décision du 22 décembre 1989, le Conseil des communautés a demandé au Gouvernement français de modifier sa législation afin de taxer indistinctement les biens, qu’ils soient importés ou produits dans les départements d’outre-mer. Toutefois, le Conseil européen a autorisé la France à exonérer, totalement ou partiellement, les productions locales en fonction des besoins économiques pendant une durée initiale de dix ans.

Ainsi, l’extension de la taxation à la production locale assortie d’un régime dérogatoire d’exonération totale ou partielle a été adoptée par une nouvelle loi votée le 17 juillet 1992. Face à la nécessité de respecter le droit européen, on a choisi de préserver une ressource considérée comme vitale pour les communes et les collectivités territoriales au lieu de refondre entièrement la fiscalité des territoires d’outre-mer. De même, afin que l’octroi de mer demeure protecteur pour la production locale, les textes ont instauré un dispositif de différenciation des taux applicables aux produits importés d’une part et aux produits locaux d’autre part. Cette disposition étant assimilable à une aide d’État au sens de l’Union européenne, il a fallu se soumettre à un processus régulier d’approbation par celle-ci afin que la taxe soit reconduite dans le respect du droit communautaire. Le premier régime d’exonération arrivant à échéance le 31 décembre 2003, les autorités françaises en ont demandé la prorogation dès le 14 avril 2003.

Une fois de plus, le Conseil de l’Union européenne a su prendre en compte les contraintes géographiques et économiques particulières des outre-mer français. Sa décision du 10 février 2004 a autorisé la prolongation de l’octroi de mer jusqu’en juillet 2014 en contrepartie d’une série d’adaptations. La loi du 2 juillet 2004 a précisé les conditions du second régime dérogatoire qui a été prorogé d’un an, jusqu’en juin 2015, à la demande du Gouvernement, par la décision du 17 décembre 2014 du Conseil européen formulant un nouveau compromis entre les institutions communautaires et la France. Le Conseil européen a autorisé le maintien de l’octroi de mer pour cinq ans à condition de procéder à quelques aménagements. On se demande si l’octroi de mer ne va pas disparaître ! La loi du 2 juillet 2004 doit donc être adaptée avant la fin de ce mois de juin afin de transposer dans la loi française les modifications demandées en contrepartie d’une nouvelle prolongation de l’octroi de mer jusqu’en 2020. Celles-ci ne remettent pas en cause les caractéristiques de cet impôt indirect mais recommandent de procéder à des adaptations limitées qui concernent principalement le seuil d’assujettissement des entreprises et la liste de biens dont la livraison peut être exonérée.

Par exemple, le 17 décembre dernier, le Conseil européen a adopté le principe d’une obligation déclarative à partir de 85 000 euros et d’un assujettissement effectif à l’impôt à partir de 300 000 euros contre 550 000 actuellement. Concrètement, cela signifie que les entreprises de production agricole ou industrielle des outremer dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 300 000 euros, soit 25 000 euros par mois en moyenne, paieront une taxe supplémentaire. Nous devrons assumer les conséquences qu’aura sur plusieurs centaines d’entreprises moyennes le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui ! Par ailleurs, ce texte étant avant tout la traduction en droit français de la décision prise par le Conseil de l’Union européenne en décembre dernier, les dispositions principales relatives aux seuils d’assujettissement et à la différenciation de la taxation de la production locale et des produits similaires importés ne peuvent être véritablement amendées. C’est là toute la limite de notre exercice du jour !

Elles doivent en outre être transposées dans le droit français au plus tard le 30 juin prochain. Après l’adoption du texte au Sénat, notre assemblée est donc amenée à le voter à son tour, dans l’urgence une fois de plus, à défaut de remettre à plat le régime fiscal des cinq territoires d’outre-mer concernés. Certes, il y a matière à débattre ! Pour l’heure, le véritable enjeu du vote de ce projet de loi est d’éviter la disparition brutale de près de 40 % des recettes fiscales de nos communes ! À cette fin, nous devons veiller à la prorogation du dispositif le plus rapidement possible, en dépit de ses limites ! Néanmoins, une fois voté ce sursis supplémentaire, nous ne pourrons plus éluder un vrai débat sur la fiscalité de nos outre-mer dans son ensemble. D’ailleurs, les décisions successives de l’Union européenne en matière d’octroi de mer tendent vers un resserrement du dispositif. La date limite de révision du nouveau régime a été fixée au 31 décembre 2020, soit une prorogation de cinq ans, très certainement afin de coïncider avec la date de révision des lignes directrices des aides d’État à finalité régionale auxquelles est assimilé l’octroi de mer depuis 2004.

La réduction à cinq ans de la prorogation du dispositif contre dix ans auparavant n’est pas le seul élément qui doit nous inciter à agir. La menace pesant sur l’équilibre financier des communes d’outre-mer ne doit pas interdire toute réflexion. Dès 2011, la Cour des comptes jugeait la situation financière des communes d’outre-mer très préoccupante. Les réductions de la dotation globale de fonctionnement programmées jusqu’en 2017 ne contribueront pas à améliorer leur situation. Selon la Cour, leurs ressources reposent sur des bases fragiles car elles sont constituées pour plus du tiers du produit de l’octroi de mer, subordonné à la reconduction par l’Union européenne du moratoire qui fait l’objet du présent projet de loi, et de la taxe sur les carburants dont le produit tend à diminuer, d’autant plus que la réduction de leur consommation est l’un des objectifs du projet de loi relatif à la transition énergétique récemment voté en nouvelle lecture par cette assemblée. De surcroît, les recettes de fiscalité indirecte sont quasi-intégralement consacrées au financement des dépenses de fonctionnement au détriment des dépenses d’investissement qui soutiendraient l’activité plus efficacement.

Dès lors, qu’en est-il de la défense de la production locale ? Le constat n’est pas glorieux, nous le savons ! Nos économies sont repliées sur elles-mêmes et n’exploitent que très marginalement les potentialités de leurs zones d’influence respectives, en raison notamment de coûts de production prohibitifs pour l’export ! Même sur nos marchés locaux et malgré l’octroi de mer, nos produits peinent toujours à concurrencer les importations. Les taux de chômage, qui demeurent année après année à des niveaux insupportables et dépassent 50 % parmi les moins de 25 ans, témoignent de l’absence de décollage de la production locale. On mesure là les limites du système fondé sur les dérogations au droit communautaire européen. Peut-être devrions-nous poser sans tabou la question de la convergence avec la TVA ? Il conviendrait aussi de mesurer avec honnêteté et lucidité les incidences sociales et économiques de l’octroi de mer. Dès demain, il faudra donc continuer à travailler au développement et à l’avenir des outre-mer. Nous avons cinq ans pour refonder notre modèle. Le temps nous est donc compté pour élaborer les pistes d’une autre politique fiscale juridiquement sécurisée et véritablement au service du développement endogène de nos territoires ultramarins.

M. Serge Letchimy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l’octroi de mer a pratiquement trois siècles et demi d’existence. Une telle longévité s’explique par sa nature intrinsèque. Cette mesure est ingénieuse et efficace, adaptée et adaptable. Aujourd’hui encore, l’octroi de mer a toute sa raison d’être pour les collectivités, les communautés d’agglomérations et les entreprises, car toutes en dépendent largement. Il représente jusqu’à 48 % des ressources de certaines collectivités. Et dire que ce dispositif a été décrié, accusé, et qu’il fait l’objet de nombreux recours devant les tribunaux ! Les arguments fallacieux avancés invoquaient le renchérissement considérable du coût de la vie et l’entrave insupportable, comparable à un caillot, à la libre circulation des marchandises en provenance de l’Union européenne. Il se trouve qu’un rapport ad hoc publié par le cabinet Lengrand en 2012 affirme sans ambiguïté que l’octroi de mer n’a engendré ni surcompensation ni situation de rente. Ce constat n’est pas pour autant le dernier mot et l’octroi de mer doit évoluer afin de s’adapter aux exigences d’un monde en constante mutation. Tel n’est pas le chemin emprunté, ce que je déplore profondément.

On reste encore prisonnier du concept de « chasse gardée ». En effet, selon l’exposé des motifs du projet de loi, le dispositif doit être adopté d’ici le 30 juin 2015 en vue d’obtenir sa prorogation, pourtant réduite de moitié par rapport aux précédentes. On recadre tout en rétrécissant ! Le rappel très directif des principes européens ne saurait exclure les possibilités d’intégration dans d’autres espaces géographiques. N’est-ce pas la théorie économique en vogue répétant à l’envi qu’il importe de disposer d’un marché plus vaste si l’on veut réaliser des économies d’échelle ? Justement, un marché prometteur se trouve à notre portée dans notre bassin d’ancrage naturel et il serait contradictoire, improductif et anti-économique de ne pas y être ! L’Europe n’est pas recroquevillée sur elle-même. Elle ne vit pas en autarcie mais étend sans cesse ses relations commerciales avec le reste du monde. Au nom de quelle intransigeance cette possibilité nous serait-elle interdite ? Le principe de la réalité multiple doit être la règle appliquée à tous ! Est-il besoin de préciser que le tissu économique martiniquais est formé d’une myriade de petites entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 300 000 euros ? Soyons raisonnables ! Risquent-elles de déstabiliser la France et l’Europe ?

Le projet de loi prévoit la création du marché unique antillais englobant la Guadeloupe et la Martinique, initiative que je salue même si l’idée n’est pas neuve. Il était envisagé d’y inclure la Guyane mais celle-ci a de nouveau souhaité prendre le large. Personnellement, tout en respectant chaque prise de position, je souhaite qu’un accord de partenariat soit conclu afin de tenir compte des intérêts bien compris de chacun et d’éviter d’aggravantes distorsions et dissensions supplémentaires. Que penser enfin des pays voisins dont les marchandises entrent en Martinique, disons sans excès de complications et qui nous opposent en retour leur negative list ? Serait-ce une coopération à sens unique ? Voilà pourquoi notre adhésion comme membre de droit avec voix délibérative aux instances qui se mettent en place dans la zone caribéenne et américaine est une impérieuse nécessité et constitue une redéfinition optimale des liens et des intérêts. À rebours d’un dogmatisme sclérosant, optons pour un choix judicieux tout en continuant à développer la coopération avec la France et l’Europe !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans sa décision du 17 décembre 2014, le Conseil de l’Union européenne a reconduit, il est vrai pour une courte durée – cinq ans – le dispositif de l’octroi de mer. Cette décision entérine la nécessité de faire émerger et d’accompagner le développement de nos productions locales compte tenu des handicaps propres à nos régions ultra-périphériques.

Madame la ministre, je dois saluer le travail du Gouvernement, en particulier le vôtre et celui de vos équipes. Vous avez en effet su défendre auprès des instances communautaires les revendications de nos collectivités régionales. L’accord du Conseil s’accompagne de l’obligation de le transcrire dans notre droit national : c’est ce qui nous réunit aujourd’hui.

La discussion afférente a permis, en Guyane, de faire émerger des revendications légitimes à l’égard de ce dispositif, compte tenu des évolutions économiques à l’œuvre sur notre territoire. De fait, à partir des années 2000, ce dernier a vu se développer de nouvelles productions locales, sous l’impulsion d’entrepreneurs – que je tiens à saluer – au point de rendre le dispositif, dans sa forme historique, discriminant pour nos productions guyanaises naissantes, comme le relève très justement l’étude d’impact du projet de loi. Des négociations s’en sont suivies entre des professionnels antillais et guyanais, qui n’ont malheureusement pas permis de dégager un consensus.

Face à cette impasse, madame la ministre, vous avez agi en responsabilité et réuni le 27 avril dernier, sous votre présidence, l’ensemble des acteurs, dont les parlementaires, afin de parvenir à un accord sur une liste de produits guyanais qui bénéficieraient de mesures particulières dans le cadre des échanges entre le marché unique antillais et la Guyane. Sur la vingtaine de produits initialement listés par les socio-professionnels guyanais, seuls huit ont pu faire l’objet d’un consensus de la part des représentants des trois territoires. Je regrette bien sûr que les exécutifs régionaux et les socio-professionnels ne soient pas parvenus à s’entendre sur une liste plus large. Je présenterai d’ailleurs un amendement visant précisément à compléter cette liste dans un souci de cohérence et d’égalité économique, car, oui, mes chers collègues, le sens de l’histoire, de notre histoire et du développement de la Guyane nous imposera d’élargir cette liste pour accompagner la naissance et l’expansion des productions guyanaises, qui ne cesseront de croître au cours des prochaines années. Il en va de la survie de nos économies partagées antillo-guyanaises.

À cette fin, je salue également la décision de créer une commission composée des représentants des Antilles et de la Guyane, qui sera chargée de suivre et d’évaluer les échanges de biens entre la Guyane et le marché unique antillais. Je regrette cependant, madame la ministre, que les modalités de traduction normative des délibérations de cette commission ne soient pas précisées, alors même que celle-ci sera chargée de réviser chaque année la liste des produits.

Madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le principe même du dispositif de l’octroi de mer est de contribuer au financement des communes et d’accompagner notre développement économique. Or, en Guyane, depuis la loi de finances rectificative pour 1974, 35 % de cette recette, qui doit être versée intégralement aux communes, vient abonder, à titre dérogatoire, le budget du conseil général. S’ensuit une perte de près de 27 millions d’euros par an pour les communes guyanaises. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : il s’agit là d’une injustice regrettable, et même inacceptable. Elle trouve son origine dans un artifice préfectoral vieux de plus de quarante ans.

M. Dominique Baert, rapporteur. Eh oui !

Mme Chantal Berthelot. Avec mon collègue Gabriel Serville, nous vous présenterons un amendement visant à mettre un terme à cette discrimination dénoncée unanimement par l’association des maires de Guyane. Son président, M. David Richet, le maire de Roura, soutenu par des délibérations prises par les vingt-deux maires des communes de Guyane, a décidé d’ester en justice pour réclamer les 108 millions d’euros perdus au cours des quatre dernières années, comme le droit l’y autorise, si aucun règlement amiable n’est trouvé avec l’État.

L’exaspération des maires est d’autant plus légitime qu’elle vient s’ajouter à d’autres injustices dont sont victimes les communes de Guyane. Je pense en premier lieu à la dotation superficiaire, qui est exceptionnellement plafonnée, en Guyane, dans des proportions qui pénalisent le développement des communes. Je prendrai l’exemple de la plus grande commune de France, Maripasoula, que vous avez visitée, madame la ministre : avec ses deux millions d’hectares, elle devrait avoir, en vertu de cette dotation, les moyens de mener des politiques publiques en faveur de certains de ses écarts les plus isolés comme Antécume-Pata ou Kayodé, situés à plus de heures de pirogue du centre-bourg. Or, en dépit des efforts du nouveau maire de Maripasoula, M. Serge Anelli, il ne se passe pas un mois sans que notre jeunesse du Haut-Maroni ne crie sa souffrance et son désespoir.

Il est inutile de préciser que, dans ce contexte – je le dis ici haut et fort, madame la ministre –, demander aux communes guyanaises de participer à l’effort national de réduction des déficits publics relèverait de l’indécence.

Madame la ministre, mes chers collègues, c’est pour atteindre l’égalité réelle – je dis bien : l’égalité réelle – que je me bats, pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens et obtenir un pacte d’avenir pour la Guyane. Je sais, madame la ministre, pouvoir compter sur votre soutien.

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier.

M. Patrick Ollier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui ne provoque pas de vifs échanges dans nos travées, c’est bien parce que nous sommes unanimement convaincus des vertus de cette fiscalité fort ancienne, conçue au XVIIe siècle, que le législateur, au-delà des clivages politiques, a su faire évoluer pour la moderniser en la rendant compatible avec les traités européens et le droit positif français.

Je veux tout d’abord remercier notre rapporteur pour le travail qu’il a su réaliser et, ainsi, faire en sorte que ce texte puisse être adopté à l’unanimité en commission des finances.

Beaucoup d’élus locaux et nationaux se sont battus dans le passé pour défendre l’octroi de mer et obtenir une meilleure intégration des quatre départements d’outre-mer à l’Union européenne. C’est l’occasion pour moi de rendre hommage à Jacques Chirac, qui a engagé le combat à ce sujet dès 1986. Bien que la France ait défendu l’octroi de mer dans l’Acte unique européen de février 1986, ce dispositif a pourtant été remis en question en 1989, par la décision du Conseil des ministres des communautés européennes. La détermination des régions françaises d’outre-mer, soutenues par le Gouvernement, a permis en 1992 la reconnaissance au niveau européen des spécificités tenant à l’éloignement, à l’insularité et à l’exiguïté des marchés des départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion.

Nous avons essayé de faire évoluer les choses depuis mais nous n’y sommes, hélas, pas encore parvenus. Je veux aussi saluer le travail de Mme Girardin, ancien ministre chargé de l’outre-mer, qui, en 2004, avait bâti avec la majorité de l’époque l’architecture actuelle de l’octroi de mer et la répartition de son produit en faveur des communes, des régions d’outre-mer et du département de la Guyane. À l’époque, d’ailleurs, le projet de loi de Mme Girardin avait été voté à l’unanimité, tant au Sénat qu’à l’Assemblée.

Je tiens aussi à vous remercier, madame la ministre, ainsi que votre prédécesseur, Victorin Lurel, car vous vous êtes tous deux inscrits dans cette logique, au-delà des clivages politiques, afin de promouvoir une législation positive pour nos départements d’outre-mer. Je vous remercie aujourd’hui en particulier, madame la ministre, d’une initiative qui permet d’adapter ce texte, ce qui aurait dû être fait depuis quelque temps.

L’octroi de mer est l’un des éléments déterminants qui a permis d’adapter l’intégration de ces collectivités insulaires à l’Union européenne, en recourant à la notion d’« ultrapériphéricité » dans le traité d’Amsterdam de 1997, qui figure aujourd’hui à l’article 349 du traité sur l’Union européenne. Cinq piliers la définissent : l’intégration dans un double espace géo-économique, la dimension réduite du marché intérieur local, en relation avec la taille de la population, l’isolement provoqué par le grand éloignement du continent européen et renforcé par l’insularité, les conditions géographiques et climatiques, et la dépendance économique vis-à-vis d’un nombre réduit de produits ou l’existence d’un risque produit.

Certains d’entre vous avaient été associés aux travaux qu’avait conduits M. Letchimy au sein de la commission des affaires économiques. Je me rappelle les difficultés que nous avions rencontrées à l’époque, que ce soit pour l’essence, le tourisme ou le développement économique des départements d’outre-mer. Nous nous sommes systématiquement heurtés aux difficultés de faire évoluer la législation française dans le contexte européen.

M. Serge Letchimy. Très juste !

M. Patrick Ollier. Tout est loin d’être réglé. Néanmoins, c’est grâce à cette ultrapériphéricité que nous pouvons aujourd’hui proroger, unanimement, le dispositif de l’octroi de mer jusqu’en 2020. Cet outil fiscal de développement, dont le montant global des recettes s’élève, en 2014, à la somme de 1,15 milliard d’euros, est précieux pour les cinq régions ultrapériphériques que sont les départements français d’outre-mer – Martinique, Mayotte, Guadeloupe, Guyane et Réunion – et ce, à un double titre.

C’est d’abord la ressource la plus importante pour les 129 communes de ces régions ultrapériphériques. Plus de 60 % du produit de l’octroi de mer a été reversé en 2014 à ces communes, dont les bases d’imposition sont faibles, et qui sont soumises à des pressions croissantes sur les équipements municipaux, notamment pour ce qui est des capacités d’accueil du secteur éducatif, particulièrement en ce moment. Cette pression sur les budgets communaux est d’autant plus pressante que le Gouvernement a prévu de réduire les dotations aux collectivités territoriales, au titre du redressement des finances publiques, en 2015, 2016 et 2017. Selon la Cour des comptes, le poids de l’octroi de mer est déterminant pour les communes puisqu’il représente en moyenne, par exemple pour celles de la Réunion, près d’un tiers – 31,3 % précisément – de leurs recettes de fonctionnement. L’octroi de mer constitue ainsi la première recette fiscale de ces communes : c’est dire qu’il est incontournable.

C’est par ailleurs un outil fiscal qui, bien que frappant les importations et les activités de production, permet, par un système d’exonérations, la survie et le développement des productions de ces collectivités car, à défaut, et compte tenu de la balance commerciale déficitaire de ces départements, leurs productions locales seraient laminées par la concurrence.

C’est enfin la réforme de l’octroi de mer qui a permis l’émergence du marché unique antillais depuis 1995, et permet aujourd’hui de mieux intégrer à ce marché la Guyane, dont Mme Berthelot vient de parler.

Mais, madame la ministre, vous n’échapperez pas à une révision, à une remise à plat de la politique fiscale dans le cadre de l’outre-mer : il faut s’y préparer.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Patrick Ollier. Je termine, monsieur le président. Ce projet de loi n’est pas un sujet polémique puisqu’un vote à l’unanimité est à notre portée. Il nous offre l’opportunité de penser la politique de la France autrement que de manière strictement hexagonale. La France hexagonale forme avec l’outre-mer un seul territoire national, à l’histoire commune. Rappelons ici ce que la République doit à l’outre-mer. Personne ne l’a rappelé mais, en 1875, n’avaient été les députés d’outre-mer de l’époque, l’amendement Wallon, qui porte d’ailleurs le nom d’un ancien député de la Guadeloupe, n’aurait pas été voté. Et que serait la République aujourd’hui sans cet amendement ?

Voilà pourquoi nous devons faire capitaliser tous ces atouts en pensant la politique de la France autrement. C’est la raison pour laquelle, comme le rapporteur l’a dit tout à l’heure, je souhaite que l’unanimité se fasse autour de ce projet. En tant que rapporteur spécial des crédits de l’outre-mer, je me félicite de ces dispositions et voterai en leur faveur. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collèges, le texte qui arrive devant nous aujourd’hui, dans une certaine indifférence générale – à observer le nombre de députés présents ! – revêt cependant un caractère capital pour nos territoires ultramarins. Le consensus, au-delà des affinités partisanes, qui prévaut au sein de notre assemblée comme cela a été le cas au Sénat, en est la meilleure preuve.

Certes, ce régime dérogatoire au droit commun, qui a précédé la République, est décrié par une partie de la classe politique et vu d’un œil peu favorable par les instances communautaires. Faut-il rappeler que c’est bel et bien un mal nécessaire à la compétitivité de nos entreprises, de nos économies et au développement, bon an mal an, de nos productions locales ?

Vous le savez, madame la ministre, je vous soutiens pleinement dans la démarche qui est la vôtre et connais votre ténacité à faire reconnaître à Bruxelles l’importance de ce dispositif – qui s’est révélée payante, puisque la décision n940/2014/UE du Conseil reconduit le dispositif de l’octroi de mer jusqu’en décembre 2020.

Il faut aussi reconnaître le travail qui a été fait concernant le marché unique Antilles-Guyane, qui a permis de parvenir à un certain nombre de compromis et de solutions consensuelles – bien qu’à titre personnel, je le répète, j’y sois tout à fait défavorable, comme vous l’aurez noté, par ailleurs, à la lecture de mes amendements.

C’est pourquoi, si je soutiens votre démarche, je me dois de vous annoncer d’ores et déjà que je ne pourrai – une fois n’est pas coutume – apporter mon suffrage au projet de loi, tel qu’il est présenté aujourd’hui. Le point de blocage ne concerne pas le fameux marché unique Antilles-Guyane, qui a fait couler tant d’encre, mais l’article 32 du texte, qui perpétue une discrimination insupportable vis-à-vis des communes guyanaises et de celles de Mayotte, pourtant déjà parmi les plus mal loties de France.

Pour ce qui est de la Guyane, les dispositions de cet article 32 entérinent tout simplement la ponction sur les recettes issues de l’octroi de mer de 27 millions d’euros par an au profit du conseil général de la Guyane, et demain certainement de la collectivité territoriale de Guyane.

Pourtant, cette disposition est manifestement anticonstitutionnelle, car contraire à l’autonomie financière des collectivités, laquelle découle du principe de libre administration des collectivités territoriales. Je me permets de vous rappeler que l’État ne peut en aucun cas supprimer des ressources fiscales des collectivités sans compensation. C’est pourtant bien ce que prévoit cet article 32 pour les collectivités que sont les communes guyanaises et mahoraises.

Madame la ministre, en tant que maire de la commune de Matoury, commune surendettée dont le préjudice annuel du fait de ces dispositions s’élève à 3,3 millions d’euros, ce qui représente environ 10 % de son budget de fonctionnement, je suis favorable à ce que l’association des maires de Guyane engage une action en responsabilité contre l’État dans le cadre d’un recours de plein contentieux. J’ai d’ailleurs moi-même déposé des amendements qui tendent à supprimer le dispositif litigieux, mais j’avoue que j’ai peu d’espoir quant à leur adoption.

Il nous faudra pourtant trouver une solution satisfaisante à très court terme.

M. Dominique Baert, rapporteur. C’est ce que j’ai dit !

M. Gabriel Serville. À défaut, la commune de Matoury entamera elle aussi, et en son nom propre, un recours contentieux contre l’État. Il en sera certainement de même pour les autres communes de Guyane.

Madame la ministre, nous ne devons pas laisser perdurer la discrimination dont souffrent nos communes déjà éprouvées par la baisse des dotations aux collectivités, alors même qu’elles affichent toutes des taux records de croissance démographique. Déjà à la peine, elles ne pourront tout simplement plus faire face à leurs obligations, notamment en termes de fourniture de services publics à des populations dont les attentes sont de plus en plus fortes.

Voilà tout juste deux semaines, à l’occasion d’une question au Gouvernement, j’interpellais votre collègue du ministère de la décentralisation et de la fonction publique sur ce sujet. Sa réponse, que vous avez certainement entendue, fut loin d’être satisfaisante ; je considère en tout cas qu’elle n’était pas à la mesure de la gravité de la situation.

Permettez-moi donc d’espérer que mon abstention prévisible sur ce texte sera le témoignage de l’urgence à organiser des séances de travail afin que nous nous attelions, avec toutes les parties concernées, à trouver des solutions pérennes pour nos collectivités, donc pour nos populations. J’ai employé le qualificatif « prévisible », puisque nous discuterons dans quelques instants des amendements que j’ai déposés et qui feront, je l’espère, l’objet d’une analyse attentive et favorable de votre part. Je tiens d’avance à vous en remercier.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je monte à la tribune pour un exercice inédit qui consiste à vous féliciter.

Je ne viens pas pour entrer dans le détail technique du texte, que l’on connaît et sur lequel tout a déjà été dit. Je tiens plutôt à vous féliciter, donc, car vous êtes au terme d’un processus long et compliqué, technocratique, pas toujours compréhensible pour les populations mais fort bien intégré par nos socioprofessionnels, avec les difficultés que l’on sait.

Le contrôle exercé par les institutions européennes est de plus en plus tatillon. Dans une vie antérieure, j’ai eu à conduire quelques délégations à Bruxelles ; malgré la bienveillance de certains commissaires, une sorte de suspicion pèse sur la pérennité de l’octroi de mer.

Si je vous adresse des félicitations, je regrette avec quelque amertume que la reconduction n’ait été entérinée que pour une période de cinq ans, alors qu’une certaine stabilité fiscale est nécessaire. Une période de dix ans aurait constitué un bel horizon. D’ailleurs, on prendra certainement du retard, car je suis convaincu que d’ici au 1er juillet, l’Europe n’aura pas délivré ses agréments et que nous ne serons pas tout à fait prêts à cette date ; nous nous en accommoderons. Je tiens néanmoins à vous remercier personnellement, madame la ministre, et à saluer le bon et beau travail réalisé par vos services.

Je tenais également à venir à cette tribune pour assumer ce que j’ai fait dans une vie antérieure, même si vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, madame la ministre. J’ai en effet pour habitude d’assumer mes positions. En particulier, j’avais à l’époque soumis à l’ensemble des exécutifs locaux deux propositions : la baisse du seuil du chiffre d’affaires de 550 000 à 300 000 euros et l’élargissement de l’assiette, notamment aux entreprises de prestation de services. Face à l’opposition et à l’incompréhension dans les territoires, je n’ai pas soumis à Bruxelles cette modification de l’assiette ; cette possibilité existe toutefois dans le texte. J’ai en revanche accepté de le faire pour la baisse du seuil. Je prendrai un seul exemple pour justifier cette disposition : en Guadeloupe, sur plus de 60 000 entreprises, seules 175 s’acquittaient de l’octroi de mer à l’époque où j’étais en fonction. Ce chiffre n’est qu’un indicateur de la concentration des entreprises, et il n’est peut-être pas actualisé ; il n’est cependant pas très juste, en termes de participation à l’effort commun, qu’une si faible proportion d’entreprises s’acquitte de la taxe.

Le mécanisme de déduction facilite d’ailleurs l’application du dispositif et le rend beaucoup plus acceptable. Compte tenu de la crise économique et de la taille des entreprises concernées, on a tendance à croire que c’est une injustice, mais ce n’est pas le cas. Si on peut s’opposer à certaines mesures, toutes les entreprises doivent, selon leurs facultés, et autant que possible, participer à l’effort commun. Certaines entreprises de services dont le chiffre d’affaires est bien supérieur à 300 000 euros ne paient pas la taxe. J’ai demandé à ce que ces données soient vérifiées, car je ne suis pas certain qu’elles soient suffisamment précises. Certaines entreprises de services, bien que ne s’acquittant pas de l’octroi de mer, bénéficient des exonérations. Il y a là une asymétrie qu’il convient de corriger. Le texte présenté, qui intègre ces améliorations – je les considère du moins comme telles –, est de nature à permettre aux exécutifs locaux de mieux lisser les taux sur l’ensemble des productions.

En ce qui concerne le marché unique antillais, nous avons commencé avec la Martinique un travail qui n’est pas terminé, et des efforts restent à faire. Pour ma part, je crois à la concurrence, à la compétition ; mieux encore, je crois à l’émulation pour instiller un esprit de coopération. Nous devons avancer. La Guyane a souhaité bénéficier de quelques protections – je ne parle pas de protectionnisme. Il est heureux que les exécutifs, les collectivités aient su jusqu’à présent s’entendre et que nous ayons su raison garder.

Par conséquent, je voterai ce texte, même si ce sera sans enthousiasme, car je regrette que le dispositif n’ait été reconduit que pour cinq ans. Mais le Gouvernement et les commissions des deux assemblées ont fait un bon travail. Nous devrons bien entendu rester vigilants sur le travail de la Commission européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je respecterai le temps de parole de cinq minutes qui m’est imparti, car plusieurs orateurs ont déjà bien résumé le sujet.

Monsieur le rapporteur, j’étais venu pour un vote conforme, et je constate que ce ne sera peut-être pas le cas ; nous verrons bien.

M. Dominique Baert, rapporteur. Je le craignais !

M. Serge Letchimy. Je suis également convaincu qu’il y a urgence, madame la ministre. Vous avez pris le relais d’un marathon commencé par Victorin Lurel sur les négociations pour l’établissement de listes de produits concernés par des adaptations, un sujet très difficile. Le délai a été fixé au 1er juillet ; il serait souhaitable de s’y conformer.

La plupart de mes collègues ont rappelé l’importance de l’octroi de mer dans le budget des communes et des régions en outre-mer : son produit représente près de 180 millions d’euros pour les communes de la Martinique, soit 40 % à 50 % de leur budget, et 64 millions d’euros pour la région. Au total, ce sont plus de 240 millions d’euros de recettes. Vous imaginez donc les conséquences qu’aurait la suppression de cette taxe.

L’octroi de mer est par ailleurs un outil fiscal qui permet, grâce à des différentiels, de protéger la production locale. D’une région à l’autre, le choix du degré de protection est parfois différent, car la fixation du taux a également un impact sur le coût de la vie. Il a aussi pour fonction l’accompagnement des filières de production, cela a été évoqué tout à l’heure, en particulier là où les matières premières sont importées principalement d’Europe et de France, ce qui est un grand paradoxe, madame la ministre, retenez-le bien. Nous sommes bien entendu, comme l’a rappelé mon collègue voilà quelques instants, de très grands partisans de l’import-transformation dans les bassins maritimes transfrontaliers.

Cependant, madame la ministre, je suis inquiet, très inquiet, car nous n’avons pas encore commencé de réfléchir au nouveau modèle fiscal qui pourrait accompagner le développement de nos territoires, étant entendu que l’octroi de mer est aussi un outil économique, alors qu’on a réussi l’exploit de fixer à la reconduction une limite de cinq ans, assortie d’une clause de revoyure en 2017 avec un rapport de mi-parcours. Ce n’est probablement pas en cinq ans qu’on parviendra à régler le problème. Il serait donc très utile de réfléchir à la question suivante : pour quelles raisons Bruxelles a-t-elle imposé pour le maintien une limite de cinq ans plutôt que celle de dix ans ?

La raison en est essentielle, et j’aimerais à cet égard rappeler que j’ai eu l’occasion de rédiger un rapport à la demande de Victorin Lurel pour le Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault. Nous avions alors été extrêmement clairs. Chers collègues, ainsi que l’a rappelé Alfred Marie-Jeanne voilà quelques instants, vous avez une interprétation de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui est extrêmement rétrograde, extrêmement dure.

M. Victorin Lurel. Absolument !

M. Serge Letchimy. Certains handicaps sont dits « permanents » ; ce n’est en effet pas au moyen d’une formule bienséante que l’on pourra réduire une distance de 8 000 à 2 000 kilomètres et rapprocher l’outre-mer de la France métropolitaine. L’éloignement, l’insularité sont des faits permanents. Or, les mesures, selon Bruxelles, ne sont pas permanentes, madame la ministre : elles sont ponctuelles. Les contraintes permanentes sont donc traitées par des mesures extrêmement ponctuelles ; telle est la philosophie retenue. Bruxelles maintient que cette interprétation était déjà celle de la Commission européenne, qui ne concorde d’ailleurs pas avec celle du Conseil de l’Union européenne, de l’article 227 du traité de Rome, puis de l’article 299 du traité de l’Union européenne dans sa rédaction issue du traité d’Amsterdam, et enfin de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne.

Pour la Commission, les dispositions dérogatoires ont pour objet de mettre en œuvre des mesures dérogeant aux interdictions et obligations du traité lui-même, et non au droit dérivé. En d’autres termes, vous ne pouvez pas prétendre à ce que le droit primaire de l’Union européenne intègre de manière pérenne des modifications donnant à de telles dérogations une assise permanente. Tel est le problème auquel nous sommes confrontés. Quand j’avais rencontré M. Ayrault, il avait pris l’engagement de pousser Bruxelles à aller beaucoup plus loin dans le sens d’une interprétation permanente des handicaps qui sont les nôtres et des dérogations qu’ils devraient autoriser.

J’en viens au marché unique antillais. Je le dis très clairement à notre collègue Chantal Berthelot, le marché unique antillais ne doit pas léser la Guyane. Un dialogue a été engagé entre la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et le Gouvernement qui nous a déjà permis de cibler sept produits, alors qu’il n’y en avait que six au départ. Nous sommes ouverts à l’adoption d’une acception plus large de ce septième produit. Nous pouvons, je le pense, continuer d’œuvrer ensemble dans une véritable dynamique. Ce qui doit prévaloir, c’est le dialogue, et non pas les coups de boutoir lancés d’un côté ou de l’autre. Je souhaite que la commission qui sera créée avec la règle d’une présidence tournante entre les trois régions nous permette d’adapter cette liste à nos réalités.

Je conclurai avec quelques mots sur le modèle économique. Nous ne nous privons pas de le répéter à cette tribune : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane connaissent une situation économique difficile, le taux de chômage des jeunes est très élevé – près de 60 % dans la plupart des zones. Le taux de chômage de l’ensemble de la population stagne à 22 %, alors que le PIB par habitant est de 23 000 dollars, contre 400 à 800 dollars dans les pays voisins. Un vrai problème se pose quant au modèle économique. C’est la raison pour laquelle je suis totalement d’accord avec le rapporteur sur la nécessité d’impulser immédiatement une dynamique de réflexion pour déterminer le régime fiscal le plus approprié afin d’accroître rapidement la création de valeur ajoutée et d’emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Madame, messieurs les députés, je veux vous remercier pour vos apports et vos observations. Vous avez raison, ce texte n’a pas pour objet de régler l’ensemble des problèmes économiques et fiscaux que connaissent les outre-mer.

Dans le cadre – restreint – qui s’impose à nous, nous ne pourrons pas résoudre des difficultés qui, souvent, existent depuis plus de trente ans. La meilleure façon de procéder, me semble-t-il, est de commencer par régler la question spécifique de l’octroi de mer, dans les limites fixées par la Commission. Cela ne nous empêche aucunement de remettre à plat un certain nombre de questions économiques et fiscales. Nous nous y attellerons.

L’examen de ce texte de dimension communautaire, qui plus est dans des délais contraints, ne donne pas davantage l’occasion de travailler sur les relations entre collectivités et communes. Monsieur Serville, monsieur Gibbes, il nous faudra effectivement remettre notre ouvrage sur le métier. Mais il me semble que mettre en péril l’adoption de ce texte relatif à l’octroi de mer, qui découle d’une décision que nous avons eu tant de mal à obtenir de Bruxelles depuis deux ans, n’est pas la démarche la plus appropriée.

En revanche, à la suite de la mission confiée à Victorin Lurel, oui, il nous faudra discuter de l’égalité réelle et observer comment se mettent en place les nouvelles collectivités à la Martinique et en Guyane. Dans le cadre, bien mieux adapté, du Pacte pour la Guyane, sur lequel vous avez commencé de travailler, nous pourrons examiner ces questions.

À Chantal Berthelot, qui a évoqué les difficultés rencontrées par les communes de la Guyane ainsi que par les jeunes de l’intérieur des terres de ce département, je veux dire que nous avons réussi à débloquer, aujourd’hui même, une mission parlementaire que nous avions envisagée sur les mêmes thèmes. L’attitude de ces jeunes montre en effet qu’ils ont perdu espoir dans leur avenir, et cela nous désole.

Toutes ces questions pourront être approfondies dans le cadre des projets de lois de finances et du projet de loi sur l’égalité réelle. S’agissant du présent texte, je souhaite que nous changions le minimum de choses. Comme l’a fait remarquer M. le rapporteur, plus le texte venant du Sénat sera modifié, plus il sera difficile d’aboutir dans les délais. Je sais que certains d’entre vous veulent, par leurs amendements, soulever des problèmes ; je souhaite toutefois que vous n’apportiez de modifications qu’à la marge.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

(L’article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n14.

M. Gabriel Serville. Madame la ministre, j’entends parfaitement vos explications, ainsi que celles de nos collègues Serge Letchimy et Victorin Lurel. Mais, encore une fois, nous sommes confrontés à des réalités insupportables ! Je me trouvais il y a peu à Camopi, une commune sévèrement touchée par des problèmes de santé et de salubrité publiques – des fientes de chauve-souris dans les écoles, des déchets qui ne sont pas enlevés en raison des inondations récentes. Le maire de la commune ne se défausse pas de ses responsabilités, au contraire ; mais les fonds à sa disposition ne lui permettent pas de répondre favorablement aux demandes de la population. Comme pour la jeunesse, ce sont des problèmes transversaux qui existent depuis longtemps et pour lesquels nous devons trouver une solution rapidement.

La colère gronde à nos portes. Les entreprises de Guyane battent de l’aile, le secteur du BTP ne va pas bien du tout, le logement social connaît la crise que vous savez. Ces paramètres devraient nous inciter à davantage de prudence.

Les amendements que j’ai déposés n’ont pas pour objet de casser le travail qui a été fait. Nous sommes tous conscients du chemin qui a été parcouru, je le répéterai autant de fois que nécessaire, comme des difficultés de calendrier. Il n’empêche que mon rôle est d’alerter et de rappeler que nous devons trouver les réponses adaptées aux difficultés qui se posent.

Le présent amendement vise à maintenir le seuil d’assujettissement à l’octroi de mer, car on sait pertinemment les conséquences qu’aura son abaissement sur les petites entreprises de Guyane.

M. le président. La parole est à M. Dominique Baert, rapporteur, pour donner l’avis de la commission.

M. Dominique Baert, rapporteur. Même si je partage, ô combien, les préoccupations de notre collègue Gabriel Serville s’agissant des communes de Guyane, il me faut bien revenir au contenu de cet amendement qui prévoit de maintenir le seuil de taxation actuellement applicable aux petites entreprises locales – 550 000 euros de chiffre d’affaires annuel. Une telle correction est impossible, car ouvertement contraire à la décision du Conseil de l’Union européenne du 17 décembre 2014, laquelle motive ce présent projet de loi. Aussi ne puis-je qu’être défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour donner l’avis du Gouvernement.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Monsieur Serville, je suis consciente des problèmes que vous évoquez, notamment ceux que connaissent les communes de l’intérieur de la Guyane, telles Camopi, où je me suis rendue. Le Pacte pour la Guyane, sur lequel nous travaillons, devrait permettre de dégager des solutions. Le contrat de plan État-région apportera, lui, des réponses financières, notamment aux communes.

Mais pour le moment, nous ne disposons pas de marges de manœuvre et nous ne pouvons pas revenir sur la décision qui a été obtenue – arrachée, serais-je tentée de dire – auprès de la Commission. Je vous demande donc de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Serville, retirez-vous cet amendement ?

M. Gabriel Serville. Dans l’attente des suites qui seront données à ces différentes questions, madame la ministre, je le retire.

(L’amendement n14 est retiré.)

(L’article 2 est adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n29.

M. Dominique Baert, rapporteur. Comme je l’ai expliqué, la commission des finances avait souhaité voter le texte conforme, ce qui l’avait amenée à refuser tout amendement, j’en ai parlé tout à l’heure, relevant de l’esthétisme textuel, ou plus exactement de la clarification rédactionnelle. Mais à partir du moment où le Gouvernement a déposé des amendements et souhaite en accepter d’autres, vous comprendrez que, conformément à notre mission de législateur, nous puissions aussi défendre des amendements rédactionnels, qui permettront de préciser certains points du texte. Tel est l’objet de cet amendement n29.

(L’amendement n29, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

(L’article 4 est adopté.)

Article 5

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n16.

M. Gabriel Serville. L’article 4 de la loi du 2 juillet 2004, dont il est question ici, institue de facto un marché unique Antilles-Guyane pour la production locale, alors que la loi prévoit expressément un marché unique antillais. Cela pose des difficultés dans les rapports entre les différents marchés, puisque l’inopposabilité des différentiels aux productions originaires du marché antillais freine le développement des entreprises guyanaises, victimes de distorsion de concurrence sur leur marché domestique. Cela est contradictoire avec l’objectif du législateur de promouvoir les productions locales.

À cela s’ajoute un déséquilibre budgétaire, dès lors que le consommateur guyanais doit s’acquitter de taxes à la consommation reversées aux collectivités antillaises pour des produits consommés en Guyane, et ce alors qu’aucun dispositif de reversement n’est prévu entre la Guyane et le marché unique antillais.

S’appuyant sur l’étude d’impact accompagnant le présent projet de loi, selon laquelle « la disparité des situations des Antilles, d’une part, et de la Guyane, d’autre part, crée, de facto, une situation déséquilibrée, d’autant qu’aucun mécanisme de reversement n’est mis en place […] », cet amendement vise à supprimer les règles d’échanges dérogatoires prévues par l’article 5 du présent projet de loi, afin que s’appliquent des règles d’échange de droit commun entre le marché unique antillais et la Guyane.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer entièrement les règles de territorialité particulières qui régissent actuellement l’application de l’octroi de mer aux échanges entre les Antilles et la Guyane, ce qui serait un retour aux règles de droit commun. La commission, qui n’a pas examiné cet amendement, a estimé dans ses débats qu’un tel changement serait soudain et brutal pour les économies ultramarines. Si des adaptations sont requises, elles doivent être progressives. Au demeurant, cher collègue, il est sans doute préférable d’étudier d’abord l’évolution des échanges et des déséquilibres commerciaux entre la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, dans le cadre de la nouvelle commission prévue à l’article 6 du présent projet de loi, et dont nous allons débattre dans un instant des capacités d’intervention. Pour l’heure, avis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Monsieur Serville, la question que vous soulevez concerne une situation de départ, les difficultés entre le marché unique antillais et la Guyane. C’est précisément pour aborder cette question dans des conditions apaisées que nous avons organisé au ministère, le 28 avril, une réunion rassemblant tous les élus. Nous sommes parvenus à dégager des axes d’accord entre les conseillers régionaux guyanais, martiniquais et guadeloupéens. La proposition que nous avons faite concernant une commission et des listes de produits individualisés est une façon de répondre au problème que vous soulevez. Je crains que cet amendement ne relance la bagarre, ce qui ne me semble pas opportun. Je vous saurais gré de bien vouloir le retirer, faute de quoi je serais contrainte d’y donner un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Je ne souhaite pas « relancer la bagarre », d’autant que de mon point de vue, il n’y a jamais eu de bagarre, seulement des échanges très courtois. Mais avec cet amendement, nous prenons date. Monsieur le rapporteur, je vous entends évoquer une étude sur l’évolution des échanges. Fort nécessaire, elle nous donnera une vision beaucoup plus globale de ces différents marchés, ce qui devrait nous permettre, à terme, de trouver les réponses idoines.

Madame la ministre, je retire l’amendement.

(L’amendement n16 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n17.

M. Gabriel Serville. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Avis défavorable, dans la mesure où il s’agit d’un amendement de cohérence avec l’amendement n16, qui vient d’être retiré.

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Je voulais simplement entendre la réponse du rapporteur. Je retire l’amendement.

(L’amendement n17 est retiré.)

(L’article 5 est adopté.)

Article 6

M. le président. Je suis saisi de deux amendements nos 1 et 35, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour soutenir l’amendement n1.

Mme Chantal Berthelot. Lors de la réunion du 28 avril au ministère, sur les produits du marché unique antillais et de Guyane, il y a eu une certaine confusion et un jeu de mots sur lequel je ne reviendrai pas.

Je me contenterai de rappeler que, pour une entreprise spécialisée dans les produits à base de papier, rentabiliser son investissement dans le papier en rouleaux implique de fabriquer l’ensemble des produits de la gamme : papier hygiénique, mais aussi essuie-mains et nappes. Je souhaite, par cet amendement, corriger une erreur qui résulte d’une incompréhension.

J’ai entendu les propos de Serge Letchimy. Nos économies, et leur survie, sont liées. Le respect et l’entente mutuels doivent régner dans cette commission interrégionale. Je souhaiterais recueillir l’avis des uns et des autres sur cet amendement, qui vise à englober toute la gamme de papiers en rouleau.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Ce sera un avis d’attente, monsieur le président. Je suis évidemment sensible à la démarche de Mme Berthelot. Pour autant, en l’état de la discussion, la commission a estimé préférable de s’en tenir à l’équilibre trouvé par le Sénat à la suite de l’accord trouvé entre élus ultramarins le 28 avril dernier quant à la liste des produits pour lesquels on reviendrait au droit commun. Je le répète, la nouvelle commission réunissant des élus des trois collectivités sera chargée d’analyser les déséquilibres commerciaux et de présenter, le cas échéant, des propositions d’évolution concernant cette liste. Comme l’ont indiqué la ministre et nos collègues, celle-ci n’a pas vocation à être figée.

C’est pour ces raisons que la commission a repoussé votre amendement originel, ma chère collègue. Mais elle ne disposait pas, à l’époque, de l’amendement du Gouvernement que nous examinerons immédiatement après. Celui-ci devrait apporter une réponse aux préoccupations que vous avez exposées et que devraient également exprimer nos collègues de la Guadeloupe et de la Martinique.

Sans vouloir me substituer à la présidence, je pense qu’il serait intéressant d’entendre la position du Gouvernement, qui en profitera sans doute pour présenter son amendement n35, ainsi que celle de nos deux collègues guadeloupéen et martiniquais. Cela nous conduira sans doute, madame Berthelot, à vous demander de retirer l’amendement n1 au profit de celui du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Dans le texte que nous avons présenté au Sénat, nous avons essayé de traduire très fidèlement ce qui avait été acté au ministère des outre-mer. Cela dit, dès lors les parties essaient de progresser dans un sens positif, le Gouvernement ne peut que les suivre, tout en se félicitant des efforts consentis de part et d’autre pour améliorer la situation.

Par conséquent, je souhaite demander à MM. Letchimy et Lurel si, concernant la Martinique et la Guadeloupe, ils sont d’accord pour élargir la liste initialement prévue. Si tel est le cas, le Gouvernement sera d’accord également.

M. le président. Dois-je comprendre que le Gouvernement est défavorable à l’amendement n1 ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. En l’état actuel des choses, mon avis dépend de la position que prendront les autres parties, à savoir la Guadeloupe et la Martinique.

M. le président. Comprenez que je préside la séance, madame la ministre, et que je me dois de recueillir des indications pour éclairer mes collègues au moment du vote.

J’ai néanmoins bien entendu votre propos et je donne la parole à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. À l’appui de ma position, je voudrais revenir sur l’amendement précédemment défendu par M. Serville. La situation est déjà compliquée. Il y a, je le dis devant Chantal – pardon, devant Mme Berthelot –, une revendication légitime de la Guyane. Je ne vais pas remonter à 2004 mais, si la Guyane s’était engagée dans le processus, on ne connaîtrait pas un tel différentiel. Nous sommes donc très ouverts pour éviter qu’elle ne soit pénalisée et pour qu’elle trouve des niches de croissance. Mais il faut alors, d’un côté comme de l’autre, veiller à ce que l’approche soit consensuelle. L’amendement de M. Serville, au contraire, engage la bagarre, puisqu’il revient à faire reverser les sommes perçues par la Martinique pour les produits ne figurant pas sur la liste. Vous comprenez bien, mon cher ami et collègue de Guyane, que je ne saurais l’accepter. Mais si ou ka fè-y, di mwen, ko sà nou vwé sa ansamb « si tu fais, dis-moi, comme cela nous verrons ensemble » !

C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons réalisé un travail commun en déléguant des personnalités – Miguel Laventure et Jean Crusol pour la Martinique – qui ont négocié – je dis bien négocié – au ministère. La discussion, on le sait, a conduit à la création de la commission régionale. Nous avons déjà identifié six produits. D’après mes informations, le rhum arrive moins cher chez vous : ce n’est pas tolérable !

En outre, les acteurs économiques ont été intégrés et consultés. Derrière les numéros des références résultant de l’accord et figurant dans le texte, il y a des objets. En l’occurrence, la position tarifaire 4818 10 concerne le papier hygiénique.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Serge Letchimy. C’est un point si important qu’il me faut un peu de temps pour l’expliquer, monsieur le président.

M. le président. Certes, mais nous sommes en séance publique et il faut respecter le règlement.

M. Serge Letchimy. Je conclus. Nous sommes tombés d’accord pour ouvrir la liste à trois autres produits : la référence 4818 20 91, qui correspond aux essuie-mains en rouleaux, la référence 4818 20 99, qui correspond aux essuie-mains autres, ainsi qu’une autre petite niche qui commence à se développer, 4818 90 10, « articles à usage chirurgical, médical ou hygiénique ». Je tiens à votre disposition ce document signé par le secrétaire général de l’AMPI, l’association martiniquaise pour la promotion de l’industrie, ce qui montre bien qu’il y a eu concertation. Ainsi, Mme la ministre pourra apporter une réponse concrète, le reste étant soumis à l’instance interrégionale que nous avons créée.

M. Dominique Baert, rapporteur. C’est tout à fait clair !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. J’entends les arguments du rapporteur et de la ministre et je crois qu’ils ont entendu les miens. Je veux dire aussi à mon collègue Serge…

M. Dominique Baert, rapporteur. À M. Letchimy !

Mme Chantal Berthelot. Il m’a appelée Chantal ; donc, par parallélisme des formes… (Sourires.) Cela signifie surtout que nos échanges vont au-delà de notre fonction de parlementaires : nous sommes des citoyens de nos territoires et nous voulons que les choses avancent de manière coercitive dans l’intérêt de nos territoires. Il y a parfois des passions qui s’expriment, mais nous devons être capables de les dépasser.

Bref, j’entends les propos de mon collègue Letchimy et je le remercie, ainsi que les professionnels, de ce geste de compréhension. Les entreprises le savent : quand on investit – en bénéficiant, en outre, d’argent public pour le faire –, il est nécessaire de rentabiliser l’investissement.

Si vous me le permettez, monsieur le président, j’aimerais aussi demander à M. Lurel ce qu’il en pense. S’il nous rejoint, je retirerai mon amendement.

M. le président. Je vous rappelle que nous sommes en séance publique. Le règlement permet, le cas échéant, deux interventions après que le rapporteur et le Gouvernement ont donné leur avis.

M. Dominique Baert, rapporteur. En l’espèce, il nous faut recueillir trois points de vue, monsieur le président : celui de la Martinique, celui de la Guyane et celui de la Guadeloupe.

Mme Chantal Berthelot. C’est un problème de fond !

M. le président. Vous n’allez tout de même pas vous donner mutuellement la parole entre collègues du même groupe ! Cela dit, si M. Lurel demande la parole – mais je n’ai pas relevé qu’il l’ait fait –, je la lui donne.

M. Victorin Lurel. Au bénéfice de ces observations, je demande à Chantal Berthelot de retirer son amendement. Nous nous rangerons derrière celui du Gouvernement.

Mme Chantal Berthelot. Je le retire.

(L’amendement n1 est retiré.)

M. le président. Je présume que l’amendement n35 du Gouvernement a déjà été défendu, madame la ministre…

Mme George Pau-Langevin, ministre. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. À titre personnel, sagesse. La proposition en matière d’essuie-tout est plus ciblée que celle de Mme Berthelot et semble, comme nous venons de le voir, recueillir un consensus.

(L’amendement n35 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n8.

M. Serge Letchimy. Il s’agit de préciser la mission exacte de la commission tripartite, qui aura un rôle fondamental pour l’avenir. Nous préférons que l’on mentionne « la mise en œuvre de l’octroi de mer », car des termes plus généraux peuvent créer des confusions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Nous ne sommes pas entièrement convaincus de l’importance de la précision. Si la commission tripartite doit assurer à la fois l’évaluation et le suivi, elle doit évidemment être un lieu de concertation. Pour autant, il n’est pas nuisible d’étendre la concertation qui pourra être menée entre élus ultramarins au sein de cette commission. Bien qu’elle nous semble quelque peu superfétatoire, la précision n’est pas inacceptable. Nous donnons donc un avis de sagesse avec orientation positive.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Favorable. Dans un dossier comme celui-ci, la concertation sur l’objet de ce texte comme sur l’évolution économique dans son ensemble ne peut être que bénéfique.

(L’amendement n8 est adopté.)

M. le président. Vous avez de nouveau la parole, monsieur Letchimy, pour soutenir l’amendement n9.

M. Serge Letchimy. Peut-être s’agit-il aussi d’une précision superfétatoire, monsieur le rapporteur (Sourires), mais, pour justifier cette année devant Bruxelles le choix des différentiels de taxation, cela a été la Bérézina ! Nous avons dû recourir à un bureau d’études car nous ne disposons pas des états statistiques des flux d’échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Il est extrêmement compliqué de les établir, c’est pourquoi nous souhaitons que l’on s’y attelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Défavorable, cette fois-ci, par cohérence avec nos positions précédentes.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Je comprends la préoccupation de M. Letchimy. Les séances avec Bruxelles ont été, il est vrai, assez homériques ! Cela dit, la question relève plutôt de l’observatoire des prix, des marges et des revenus. La commission ne nous semble pas être le véhicule adapté. Nous ne sommes donc pas favorables à l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Je le retire.

(L’amendement n9 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour soutenir l’amendement n25.

Mme Chantal Berthelot. Au-delà de la précision demandée par cet amendement, j’aimerais que vous me rassuriez, madame la ministre. Nous sommes tous d’accord pour créer cette commission, qui sera un espace de concertation et d’échange entre les trois territoires. Mais, lorsque celle-ci statuera pour ajouter ou retirer un produit de la liste, je préférerais qu’il soit précisé que la proposition soit transmise au Gouvernement – c’est le sens de l’amendement –, mais aussi que vous nous indiquiez comment et selon quelle norme elle sera appliquée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Cet amendement a un contenu si limité que votre rapporteur se demande s’il devait être déposé. Il précise en effet que le Gouvernement recevra les propositions de la commission d’élus antillais et guyanais portant sur la liste des produits qui doivent être taxés selon le droit commun pour les échanges entre les Antilles et la Guyane, ce qui paraît être l’évidence même. Ces propositions seraient de toute façon transmises quand bien même cela ne figurerait pas dans la loi, d’autant que les services de l’État assisteront la commission à sa demande. Si elle veut émettre des propositions à l’intention du Gouvernement, seul habilité à proposer les évolutions législatives ou réglementaires, on se doute bien qu’elle lui transmettra lesdites propositions.

Cet amendement, que notre commission n’a pas examiné, est donc juridiquement peu utile. Pour autant, il ne coûte rien d’apporter cette précision, qui peut, j’en conviens, constituer un symbole important. Comme Mme Berthelot semble y être attachée, je lui répondrai favorablement. Mais peut-être apporterez-vous une réponse qui lui donnera satisfaction et permettra d’alléger le texte, madame la ministre.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Je comprends bien qu’il est rassurant pour les élus de voir différentes précisions actées noir sur blanc. Sur le fond, nous avions bien prévu que la commission, après avoir examiné la liste, nous transmettrait les actualisations à réaliser. La raison en est simple : elle ne peut mettre en œuvre ces évolutions puisqu’il faut passer par une loi de finances. Cela étant, cet ajout ne nuit pas et je lui donnerai un avis favorable si cela peut améliorer les choses.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Je suis également attachée à la clarté du texte, monsieur le rapporteur, et j’entends bien la réponse de la ministre. À partir du moment où le Gouvernement dit qu’il prendra la responsabilité qui est la sienne de faire figurer en loi de finances les produits ajoutés à la liste et où cela figurera dans le compte rendu de la séance, je peux, dans un souci d’allègement du texte, retirer mon amendement. Il figurera au compte rendu que le Gouvernement est tenu de déposer en loi de finances les propositions de la commission concernant les listes de produits.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Nous le mettrons également dans le décret.

Mme Chantal Berthelot. Dans ce cas, je suis rassurée – comme tous ceux qui liront le compte rendu – et je retire l’amendement.

(L’amendement n25 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n10.

M. Serge Letchimy. Contrairement aux apparences, cet amendement, qui pourrait sembler simplement technique, est très important et de nature politique. Selon le texte, la présidence de la commission d’élus serait assurée à tour de rôle par chacun des présidents des trois assemblées délibérantes concernées de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane. Malheureusement, la périodicité n’a pas été précisée : est-ce toutes les semaines, tous les mois, tous les dix ans ou tous les jours ? Je suis prêt à retirer mon amendement si vous nous éclairez, madame la ministre. Si vous ne le faites pas, préparez-vous à affronter de sérieux problèmes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Il n’appartient pas à la loi de tout régir. Préciser que chaque année tournera la présidence de la commission d’élus de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane ne relève pas, nous semble-t-il, du domaine législatif mais du domaine réglementaire. Il serait souhaitable que vous retiriez votre amendement, mon cher collègue, car le Gouvernement prendra sans doute un engagement dans ce sens en vue du futur décret qui précisera les modalités de fonctionnement de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Tous ces éléments sont importants. Nous préparons actuellement le décret qui sera soumis pour concertation aux conseils régionaux et aux élus. Je propose de renvoyer cette question à la rédaction du décret à laquelle nous allons nécessairement travailler ensemble. Nous souhaitons bien évidemment que les régions et les collectivités se sentent correctement représentées au sein de cette instance et puissent travailler dans de bonnes conditions. La présidence devrait tourner chaque année – une rotation plus rapide ne laisserait pas assez de temps.

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Je retire mon amendement.

(L’amendement n10 est retiré.)

M. le président. Monsieur Letchimy, vous avez de nouveau la parole, pour soutenir l’amendement n12.

M. Serge Letchimy. Je suis prêt, là encore, à accepter que l’objet de cet amendement figure dans le décret. C’est une manière de vous sensibiliser. Il est en effet prévu que les trois collectivités auraient des représentants dans la commission mais sans que leur nombre en soit précisé. Il faudrait le faire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Cette disposition revêt un caractère réglementaire. Il revient à Mme la ministre de nous donner ses intentions quant au contenu du futur décret d’application qui pourra préciser la composition et le fonctionnement de cette commission. L’essentiel, chacun en conviendra, est d’aboutir à une solution équilibrée et consensuelle.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Je propose que nous adoptions, en ce domaine, la même démarche que pour les produits. Il est important d’aboutir à un accord entre la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Nous pourrions aussi bien retenir le chiffre de trois élus par collectivité que celui de cinq mais nous devons d’abord en discuter avec la Guyane. L’accord auquel nous aboutirons sera ensuite transcrit dans le décret mais il serait prématuré d’arrêter aujourd’hui un chiffre. Cette question relève du domaine réglementaire.

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Le marché unique antillais, qui rassemble la Martinique et la Guadeloupe, est constitué depuis 1995. La Guyane, qui n’en fait pas partie, pouvait craindre de se retrouver face à deux institutions. Pour régler cette question, vous avez prévu que la commission serait composée d’élus des trois régions. J’ai bien compris votre engagement et je suis prêt à retirer mon amendement. Je voudrais cependant que nous soyons tous bien d’accord, dans cet hémicycle, sur le fait qu’il n’y a pas d’un côté le marché unique antillais et de l’autre la Guyane, mais la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. S’il doit y avoir trois représentants pour la Guyane, il devra y en avoir trois pour la Guadeloupe et trois pour la Martinique. Sans vous demander de valider mon amendement, je voudrais que vous me livriez le fond de votre pensée. Nous en serions tous rassurés.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, monsieur Letchimy ?

M. Serge Letchimy. Comme qui ne dit mot consent, je considère cela acté, et je retire mon amendement.

(L’amendement n12 est retiré.)

(L’article 6, amendé, est adopté.)

Article 7

M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement n27.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Cet amendement tend à apporter une précision qui évitera toute discussion ultérieure entre la commission et les services fiscaux. Nous avons proposé que des exonérations soient accordées par secteur d’activité économique et non entreprise par entreprise, comme cela a pu nous être suggéré. Mais il doit être clair que les collectivités puissent définir les biens éligibles au sein de chaque secteur d’activité par leur position tarifaire.

Nous savons, suite au procès-verbal que nous avons dû analyser, combien il est important de préciser un certain nombre de positions tarifaires pour éviter toute ambiguïté. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Cet amendement tend à préciser que, lorsque les conseils régionaux décident d’exonérer d’octroi de mer l’importation de certains biens destinés à des entreprises, ils doivent le faire en mentionnant dans leur décision la position tarifaire de ces biens. C’est évidemment souhaitable pour le bon fonctionnement du système et rendre compte des exonérations aux instances européennes. Cependant, je ne partage pas votre sentiment de l’importance de cette précision dans le texte de loi. En effet, il nous semble que le décret aurait tout aussi bien pu apporter cette précision puisqu’il est déjà indiqué dans la loi que « les exonérations sont accordées par secteur économique dans des conditions fixées par décret ».

La précision ne relève donc pas nécessairement du domaine de la loi. Le Gouvernement a fait le choix, que je regrette, de poursuivre la navette parlementaire, mais il ne me semblait pas impératif de retoucher le texte du Sénat sur ce point même si la disposition n’est pas nuisible.

Après vous avoir fait part de mes réserves de législateur, je rendrai néanmoins un avis favorable à cet amendement du Gouvernement.

(L’amendement n27 est adopté.)

(L’article 7, amendé, est adopté.)

Articles 8 à 10

(Les articles 8, 9 et 10 sont successivement adoptés.)

Article 11

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n30.

M. Dominique Baert, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n30, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 11, amendé, est adopté.)

Article 12

(L’article 12 est adopté.)

Article 13

M. le président. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 13.

Articles 14 et 15

(Les articles 14 et 15 sont successivement adoptés.)

Article 16

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n31.

M. Dominique Baert, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n31, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n32.

M. Dominique Baert, rapporteur. Il est également rédactionnel.

(L’amendement n32, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 16, amendé, est adopté.)

Article 17

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n33.

M. Dominique Baert, rapporteur. Rédactionnel.

(L’amendement n33, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 17, amendé, est adopté.)

Articles 18 à 28

(Les articles 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 sont successivement adoptés.)

Article 29

M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement n28.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Par cet amendement rédactionnel, nous tirons les conséquences de la modification des règles de fonctionnement des échanges entre la Guyane et le marché unique antillais.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Sans être indispensable sur un plan technique, l’amendement n’est pas nuisible. Avis favorable.

(L’amendement n28 est adopté.)

(L’article 29, amendé, est adopté.)

Articles 29 bis à 31

(Les articles 29 bis, 30 et 31 sont successivement adoptés.)

Article 32

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 22, 3 et 18, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 3 et 18 sont identiques.

La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n22.

M. Gabriel Serville. Madame la ministre, vous m’avez déjà entendu parler des 27 millions d’euros ponctionnés chaque année par le conseil général au détriment des communes de Guyane. Cet amendement tend d’une part à ce que cette somme soit, à partir de l’exercice 2016, répartie en Guyane exclusivement entre les communes et d’autre part à ce que la perte de recettes résultant pour la collectivité unique de Guyane soit compensée par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

On me dira bien sûr que les amendements ne doivent pas se traduire par une augmentation des charges de l’État mais j’aimerais tout de même que vous répondiez à ma première demande.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour soutenir l’amendement n3.

Mme Chantal Berthelot. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n18.

M. Gabriel Serville. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. La problématique est la même et je me suis moi-même interrogé sur l’avenir de l’octroi de mer, mais revenons à ce projet de loi. Son objet est de mettre en conformité la loi de 2004 avec les nouvelles obligations européennes, tout en prenant en compte l’accord intervenu entre la Martinique, la Guyane et la Guadeloupe. Il ne traite pas de la répartition des ressources ni des dotations entre les collectivités locales même si je considère, à titre personnel, qu’il faudrait revoir progressivement, dans le cadre du redressement des finances publiques que nous avons à opérer, ce que j’ai appelé une anomalie politico-financière – ce reversement qui date de 1974.

En l’état actuel des finances publiques et des dotations, et parce que tel n’est pas l’objet du texte, je ne peux, malheureusement, rendre un avis favorable à l’ensemble de ces trois amendements. Mais le problème soulevé est réel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Nous connaissons bien le problème que soulève M. Serville, notamment en Guyane. La répartition de l’octroi de mer entre la commune et le département est une vraie question, mais, comme je l’ai déjà dit, elle devra être traitée en d’autres lieux. Le sénateur Georges Patient, dans son rapport relatif aux pistes de réforme des finances des collectivités locales des départements et régions d’outre-mer, dresse la liste des modifications auxquelles il faudrait procéder. Il conviendrait déjà de partir de choses élémentaires comme l’amélioration de l’adressage ou le cadastre.

Nous sommes conscients des difficultés. C’est pourquoi nous avons beaucoup aidé les communes à procéder à des restructurations financières, grâce au concours de l’Agence française de développement, notamment. Nous avons également consenti de gros efforts dans les contrats de plan pour que les collectivités guyanaises puissent bénéficier de concours importants. Vous savez ainsi que la part par habitant pour la Guyane est l’une des plus élevées de France.

Ces problèmes sont réels mais nous ne pouvons pas les régler ici. Je ne peux donc qu’être défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Je comprends vos explications, madame la ministre, mais je voudrais que l’on prenne date. Vous avez évoqué les aides consenties à certaines communes de Guyane de manière conjoncturelle mais cela n’inscrit pas ces communes dans une démarche pérenne de développement. J’attends impatiemment que le Gouvernement, par voie législative ou réglementaire, trouve la solution pour régler définitivement ce problème. Même si l’octroi de mer n’est prorogé que jusqu’en 2020, j’espère que nous trouverons d’ici là une réponse satisfaisante, quitte à en trouver d’autres après 2020 si l’octroi de mer disparaissait de sa belle mort, ce que personne ne souhaite ici. Nous faisons de la prospective, nous proposons des pistes – bonnes ou mauvaises. J’espère en tout cas que nous saurons rapidement trouver celle qui permettra à la Guyane de garder la tête hors de l’eau.

Je retire mes deux amendements.

M. le président. Maintenez-vous le vôtre, madame Berthelot ?

Mme Chantal Berthelot. Je le retire également.

(L’amendement n22 est retiré.)

(Les amendements identiques nos 3 et 18 sont retirés.)

(L’article 32 est adopté.)

Article 33

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 4 et 5, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour les soutenir.

Mme Chantal Berthelot. Je vais retirer l’amendement n4, monsieur le président, car il fait écho à une argumentation déjà présentée.

S’agissant de l’amendement n5, en revanche, je souhaiterais tout d’abord rebondir sur la fin du propos tenu par M. le rapporteur, qui s’est déclaré favorable à une proposition d’étalement. Or, cet amendement, que je présente avec M. Serville, vise à ouvrir un délai de cinq ans pour remédier à l’anomalie de la répartition de l’octroi de mer en Guyane. Le Gouvernement, madame la ministre, pourrait en manifester la volonté politique en acceptant d’annuler le prélèvement reversé au conseil général afin de le remettre aux communes.

Je rappelle que ce prélèvement a été décidé par arrêté préfectoral en 1974, à une époque où le conseil général n’était pas un organe exécutif puisque c’était l’État qui, par l’intermédiaire du préfet, était l’ordonnateur des dépenses. Le conseil général, alors en difficulté, a choisi cette solution de facilité, et ce mécanisme a été intégré à la loi de finances de manière quelque peu rapide, à l’occasion d’une loi de finances rectificative. Que l’on fasse aujourd’hui payer les communes et les citoyens de Guyane à cause d’une faute commise par le représentant de l’État de l’époque me semble tout à fait inacceptable. L’État doit l’assumer, même quarante ans plus tard, car les faits sont incontestables.

J’ajoute que les communes de Guyane subissent une autre injustice concernant le plafonnement de la dotation superficiaire. L’AFD n’accorde pas de subventions, madame la ministre, mais des prêts – à des taux dont je laisse les représentants des communes parler.

Certes, j’entends le Gouvernement et la majorité à laquelle j’appartiens, mais le temps des actes est venu, et non plus seulement celui des paroles et des promesses, afin que les communes de Guyane soient réellement accompagnées dans le cadre de ce pacte d’avenir que nous souhaitons pour ce territoire, car la démographie guyanaise exige des moyens.

Je conclurai par cette statistique qu’Eurostat vient de publier : avec un PIB équivalant à 53,4 % de la moyenne européenne, la Guyane se classe entre la Roumanie et la Bulgarie – 54,5 % et 44,7 % respectivement –, c’est-à-dire parmi les régions les plus pauvres de l’Union.

(L’amendement n4 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Mme Berthelot me fait le plaisir de m’entendre, mais je constate qu’elle entend surtout ce qu’elle veut bien comprendre… Si j’ai bien dit que j’étais sensible à la problématique soulevée par nos collègues guyanais, j’ai également précisé que ce projet de loi n’était pas destiné à traiter de ce sujet, puisqu’il s’agit de mettre l’octroi de mer en conformité avec les obligations européennes qui nous sont prescrites. En outre, j’ai indiqué n’y être sensible qu’à titre personnel, et non en qualité de rapporteur.

L’amendement n5 qui nous est présenté vise à ôter progressivement – pendant trois ans – des ressources à une collectivité territoriale. Est-ce la bonne méthode ? Je répondrai en deux temps. Tout d’abord, il me semble qu’il faut rééquilibrer davantage la répartition de l’octroi de mer entre départements et communes sans adopter comme seule solution l’amputation sur trois ans du budget du conseil général. Une telle mesure serait complexe, car les ressources correspondent à des dépenses visant à fournir des services. Cela ne saurait donc se faire ainsi brutalement.

Cela étant, je m’engage personnellement à conduire cette réflexion en lien avec le Gouvernement dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2016. Nous connaissons tous les contraintes auxquelles sont soumises nos finances publiques. Nous devons donc avoir des perspectives et un horizon lisible pour résoudre le problème et sans doute, madame la ministre, serait-il intéressant de créer une mission d’information au sein de la commission des finances sur cette question – j’en parlerai au président de la commission.

En l’état actuel des choses, monsieur le président, je ne puis qu’être défavorable à cet amendement en raison de sa « brutalité », mais j’en partage l’esprit et la philosophie. Dans le même temps, madame la députée, je crois avoir dessiné quelques perspectives qui méritent d’être prises en considération.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Même avis. Mme Berthelot a raison de rappeler les difficultés des communes guyanaises, dont nous sommes tout à fait conscients. Là encore, cependant, cet amendement n’a pas sa place dans le présent texte.

Nous savons qu’une collectivité territoriale guyanaise naîtra prochainement et constituera la base du développement de la région. D’autre part, des projets pour la Guyane sont en cours d’élaboration. Il me semble que c’est dans ce cadre que nous devons poser la question de la répartition des ressources, y compris celles issues de l’octroi de mer.

En l’occurrence, la proposition est présentée de manière quelque peu brutale. Il est vrai que Mme Berthelot l’a modulée – de la suppression totale à une suppression en sifflet puis à une suppression progressive d’année en année. La question aura beau être tournée dans tous les sens, l’idée de base demeure la même : mieux vaut ne pas régler cette question ici et maintenant. Nous devons avoir une discussion approfondie avec les collectivités, en particulier les communes, sur l’évolution à décider – une évolution en sifflet, par exemple. Peut-être pourrons-nous entamer cette discussion dès l’examen du prochain projet de loi de finances.

Si je vous donne satisfaction aujourd’hui, madame la députée, il faudra bien justifier de l’origine des 27 millions d’euros que votre amendement aurait pour effet d’imputer au budget de l’État. À mon sens, il n’est donc pas du tout adapté de poser la question ici.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Compte tenu de l’importance que j’attache aux propos de M. le rapporteur et aux perspectives qu’il ouvre dans le cadre de la commission des finances, ainsi qu’aux propos de Mme la ministre, je retire l’amendement.

(L’amendement n5 est retiré.)

(L’article 33 est adopté.)

Articles 34 à 36

(Les articles 34, 35 et 36 sont successivement adoptés.)

Après l’article 36

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n11.

M. Serge Letchimy. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Baert, rapporteur. Avis défavorable : ce sujet a déjà été évoqué au Sénat. Sous réserve de confirmation par le Gouvernement, la transmission de données couvertes par le secret fiscal ne me semble pas possible.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Compte tenu du degré de précision des demandes formulées par Bruxelles, il est en effet difficile de faire remonter des informations utilisables par les régions. Les administrations d’État sont trop petites pour aborder l’ensemble de ces questions. Nous devons donc améliorer la qualité de l’information économique qui est transmise et renforcer la confiance entre administrations et régions. Les services peuvent en effet transmettre une partie des documents et des informations aux collectivités, mais toute donnée nominative ou permettant d’identifier facilement une entreprise est couverte par le secret.

En conséquence, nous devons affiner la manière dont nous échangeons les informations. J’ai compris votre préoccupation, monsieur le député, mais une fois de plus, il ne me semble pas que ce soit le lieu pour y répondre.

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Je suis très satisfait de la réponse apportée à cet amendement que je n’ai pas souhaité défendre bec et ongles. Le problème concernant les informations est réel. Il ne s’agit pas de transmettre des informations nominatives mais plutôt des informations extrêmement précises qui permettent aux collectivités de mesurer l’évolution d’une production ou d’une filière à partir des différentiels adoptés – et de déterminer si ceux-ci sont pérennes.

De ce point de vue, madame la ministre, je regrette que l’on ne puisse pas décentraliser – au niveau national ou local et sous l’œil restrictif de Bruxelles – la capacité de modifier à la marge la liste des différentiels. Songez qu’il faut remonter devant la Commission pour changer ne serait-ce qu’une seule ligne de la liste adoptée ! Le fonctionnement de cet outil fiscal, censé être bien plus adaptable, se caractérise donc par un conservatisme ankylosant bien problématique.

Quoi qu’il en soit, madame la ministre, je vous remercie pour votre intervention et j’espère que vous prendrez des mesures pour permettre à l’information de circuler.

(L’amendement n11 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 13 et 23.

La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour soutenir l’amendement n13.

Mme Chantal Berthelot. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n23.

M. Gabriel Serville. J’entends les explications qui nous sont faites et je vais retirer cet amendement. Je profite néanmoins de cette intervention pour indiquer à Mme la ministre à quel point j’ai été attentif à toutes les promesses qui ont été faites ce soir, ainsi qu’aux engagements qui ont été pris par M. le rapporteur concernant notre capacité à effectuer un suivi beaucoup plus fin de la situation et à trouver les voies et moyens permettant d’aboutir à des solutions pérennes afin d’améliorer la fiscalité de nos collectivités. J’en ai pris note. Le compte rendu de la séance permettra de revenir sur tout ce qui a été dit.

Je vous annonce d’ores et déjà qu’à l’avenir, je serai extrêmement attentif à ce que les propositions que nous avons entendues ce soir soient suivies d’effets concrets. La brutalité ne caractérise pas la manière dont certains amendements sont apparus dans le débat ; elle est ailleurs, sur le terrain. Vous savez les difficultés auxquelles je suis confronté en tant que maire de la commune de Matoury. Si nous ne réagissons pas immédiatement, nous serons confrontés à de graves soucis. C’est là qu’est la brutalité !

(Les amendements identiques nos 13 et 23 sont retirés.)

Articles 36 bis et 37

(Les articles 36 bis et 37 sont successivement adoptés.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly