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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 04 juin 2015

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Programmation militaire pour les années 2015 à 2019

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (nos 2779, 2816, 2806, 2804, 2803).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la défense nationale, mesdames et messieurs les députés, au seuil d’une nouvelle échéance majeure pour notre défense, j’ai l’honneur de vous présenter au nom du Gouvernement le projet de loi portant actualisation de la loi de programmation militaire – LPM. Dans les circonstances où nous nous trouvons, ce texte revêt une importance de premier ordre pour la sécurité de la France.

Certes, cette échéance était prévue par l’article 6 de la loi de programmation militaire : il était convenu que nous nous retrouvions avant la fin de l’année 2015 pour faire le point sur l’avancement de la programmation. Cependant, l’évolution de la situation internationale et le très grand engagement de nos forces depuis le début de l’année 2013 ont motivé l’accélération de notre calendrier. Si le Gouvernement a jugé nécessaire de déclarer l’urgence sur ce texte, c’est avant tout parce que nos armées ont besoin de disposer sans attendre d’un cadre et d’une perspective à moyen terme rénovés.

Le projet de loi de finances pour 2016 est en pleine préparation. Depuis les attentats de janvier 2015 et la décision du Président de la République de déployer sur la longue durée 7 000 à 10 000 hommes sur notre territoire, décision que je crois très largement consensuelle, les missions combinées à l’intérieur et à l’extérieur du pays se déroulent selon un rythme qui pourrait menacer la qualité de l’entraînement et de la préparation des hommes. Ce risque doit être écarté le plus rapidement possible, car les tensions actuelles ne peuvent être maintenues plus longtemps sans mettre en péril la qualité et la sécurité dans l’action de notre armée professionnelle. Il fallait donc agir très vite.

J’ajoute que la démarche qui nous rassemble aujourd’hui n’a pas pour objet de redéfinir entièrement une nouvelle programmation ; il s’agit bien d’une actualisation. Aucun des fondements stratégiques de la loi de programmation militaire votée en 2013 n’est donc remis en cause.

Cette actualisation se traduit par un accroissement de nos moyens et de nos ressources par rapport à la prévision initiale. C’est sans précédent dans notre histoire militaire récente, mais c’était indispensable. Ce projet de loi est donc crucial pour adapter au mieux notre défense aux défis de sécurité présents et à venir.

J’aborderai en premier lieu les évolutions de notre environnement stratégique depuis le vote de la loi de programmation militaire en décembre 2013. Les crises récentes concourent toutes à une dégradation notable de la situation internationale et à l’augmentation durable des risques et des menaces qui pèsent sur l’Europe et sur la France.

Les attaques terroristes perpétrées en janvier 2015 à Paris ont ainsi montré que la France, comme les autres États européens, est directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent. Cette menace se joue des frontières. L’imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l’extérieur de ses frontières, que j’ai souvent évoquée à cette tribune, s’est brutalement matérialisée.

Face à des groupes terroristes d’inspiration djihadiste qui sont militairement armés, qui conquièrent des territoires et qui disposent de ressources puissantes, nos forces sont engagées à grande échelle depuis 2013 dans des opérations militaires de contre-terrorisme particulièrement exigeantes, sur terre, dans les airs et sur mer. À dire vrai, c’est une bonne part de notre appareil de défense qui s’est mobilisé autour de cet enjeu, et c’est aussi une nouveauté importante dans notre histoire militaire.

Au même moment, la crise ukrainienne a reposé, d’une façon inédite depuis de nombreuses années, la question de la sécurité internationale et de la stabilité des frontières sur le continent européen lui-même. Elle ravive le spectre de conflits interétatiques en Europe. C’est pourquoi les forces françaises doivent maintenir à un haut niveau leurs capacités à faire face à la résurgence de menaces de la force, quelles qu’en soient les formes, y compris en Europe même. C’est aussi pourquoi les choix fondamentaux qui ont été faits dans la loi de programmation militaire 2014-2019 doivent être confortés.

Par leur soudaineté, par leur simultanéité et enfin par leur gravité, ces évolutions ont mobilisé à un degré très élevé les moyens de connaissance, d’anticipation et d’action de la France. Elles ont mis sous tension son système de forces, souvent au-delà même des contrats opérationnels retenus en 2013. Nous avons régulièrement plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures, un engagement sur le territoire national allant bien au-delà de 10 000 hommes pour un temps court prévus par le contrat de protection de 2013 comme d’ailleurs celui de 2008, des avions de combat engagés, en gestion de crise, en nombre une fois et demie supérieur et d’autres mobilisations très importantes.

Des ajustements sont donc indispensables. C’est tout le sens de la clause de rendez-vous qui avait été très sagement fixée par la loi. J’observe d’ailleurs que ces transformations ne concernent pas seulement la France mais aussi l’Europe. Douze autres pays de l’Union européenne ont engagé une révision et une augmentation de leurs budgets de défense. Il me semble bien que nous sommes à un tournant de nos politiques de sécurité. La France demeure en la matière au premier rang en Europe.

Pour importantes qu’elles soient, ces évolutions ne remettent pas en cause les grands principes de la stratégie de défense et de sécurité nationale énoncés dans le Livre blanc. L’analyse stratégique est globalement confirmée. Par voie de conséquence, les grands équilibres définis par la loi de programmation militaire sont confortés par le présent projet de loi. Il est impératif que le triptyque protection-dissuasion-intervention continue à structurer notre stratégie de défense et les missions des forces armées. Il ne peut être question d’abandonner l’un de ses éléments, comme certains le suggèrent parfois. Cette exigence, à laquelle souscrit une grande majorité d’entre nous, a bien un coût. Le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de l’assumer pleinement malgré le contexte extraordinairement contraint de nos finances publiques car la défense du pays doit prendre le pas lorsque sa sécurité est clairement en jeu. L’analyse de notre situation de sécurité implique un accroissement de notre dépense de défense et c’est ce qui a été décidé.

La présentation du projet de loi fera ressortir les neuf orientations majeures caractérisant cette actualisation. Premièrement, dans le contexte que je viens de rappeler, le Président de la République, chef des armées, a choisi de définir un nouveau contrat de protection du territoire dont l’objectif est désormais que nos armées disposent de la capacité de déployer durablement 7 000 soldats sur le territoire national et de la faculté d’atteindre presque instantanément 10 000 hommes pour un mois, comme nous l’avons fait en trois jours lors des attentats de janvier. À cet effet, les effectifs de la force opérationnelle terrestre, la FOT, seront portés à 77 000 hommes au lieu des 66 000 initialement prévus par la loi de programmation militaire. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue.

Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente un tournant majeur dans notre histoire militaire récente.

M. Pierre Lellouche. Pas du tout !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Elle bénéficiera à l’ensemble de notre armée professionnelle et de nos missions. Vous aurez en effet observé, mesdames et messieurs les députés, que l’analyse des menaces réalisée au lendemain des attentats de janvier n’a pas retenu les idées de garde nationale ni de réserve territoriale massive.

M. Pierre Lellouche. C’est une absurdité !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il s’agit bien d’un renforcement de nos unités de combat professionnelles. Car il faut pour mener cette mission des professionnels, un commandement, du renseignement, des capacités appropriées et renforcées. J’entends d’ailleurs mener, suite à nos échanges en commission, une ample réflexion avec le chef d’état-major des armées et le général Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le concept d’emploi, les capacités adaptées et les moyens de nos unités ainsi engagées sur le territoire.

M. Pierre Lellouche. Il serait temps !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ces forces ne sont pas des auxiliaires supplétifs de l’ordre public. Elles ont une mission de protection exigeante. Un tel déploiement, en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, doit contribuer à la protection des points d’importance vitale mais aussi, le cas échéant, à celle des flux essentiels à la vie du pays, au contrôle des accès terrestres, maritimes et aériens du territoire et à la sauvegarde des populations face aux menaces de tous ordres. Cette mission devra en outre s’articuler avec la cyberdéfense, qui est en pleine expansion. Bien entendu, il sera rendu compte de ces travaux au Parlement et d’abord à votre commission de la défense, mesdames et messieurs les députés.

Deuxièmement, le Président de la République a décidé, dans ce contexte, d’alléger les déflations d’effectifs afin de renforcer nos capacités opérationnelles qui sont très sollicitées et de faire face à certains besoins majeurs et croissants, notamment de nos services de renseignement et de la cyberdéfense. Globalement, la réduction de la déflation permettra de gager les postes à créer au bénéfice de la force opérationnelle terrestre et d’accompagner cette montée en puissance par les soutiens qui lui sont indispensables. Elle permettra aussi de gager les 650 créations de postes additionnelles par rapport à la loi de programmation militaire de 2013 en matière de renseignement et les 500 créations de postes en matière de cyberdéfense, laquelle gagnera au total plus de mille postes de 2014 à 2019. Elle permettra enfin d’assurer le renforcement de la protection de nos sites militaires, le soutien aux exportations d’armement très consommatrices de ressources pour nos armées et le parachèvement des transformations des armées et des services de la défense à l’horizon 2020.

En troisième lieu, le Président de la République a décidé d’accroître la dépense de défense de 3,8 milliards d’euros par rapport à la trajectoire initiale de la loi de programmation militaire. Ces crédits additionnels bénéficieront d’abord au nouveau contrat « Protection », car 2,8 milliards d’euros seront consacrés aux effectifs et aux coûts d’infrastructure et de soutien afférents à ces emplois. En parallèle, cet effort supplémentaire renforcera la priorité que nous donnons à l’équipement des forces et d’abord à la régénération des matériels. L’effort financier en faveur de l’entretien des équipements, sur lequel j’avais beaucoup insisté, était déjà prévu en 2013. Je rappelle que l’entretien programmé des matériels bénéficie depuis lors d’une progression de crédits de 4,3 % par an en moyenne.

Cet effort sera accru au profit des matériels les plus sollicités en opération grâce à une dotation supplémentaire de 500 millions d’euros pour la période 2016-2019 afin de prendre des mesures urgentes visant à préserver durablement notre capital opérationnel. L’efficacité de nos armées est à ce prix. Signalons également l’accentuation de notre effort en matière d’équipements critiques au profit du renseignement et de l’action opérationnelle auxquels sont consacrés 500 millions d’euros en crédits budgétaires nouveaux et 1 milliard issu de redéploiements internes rendus possibles par la réaffectation des gains de pouvoir d’achat découlant de l’évolution favorable des indices économiques depuis le vote de la loi de programmation militaire en décembre 2013.

M. Jean-François Lamour. Nous attendons des précisions sur ce point !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La somme totale dégagée et abondée au bénéfice de l’équipement de nos forces est donc de 1,5 milliard d’euros, soit 500 millions en crédits budgétaires nouveaux et 1 milliard en gains de pouvoir d’achat. Elle permettra en particulier d’adapter notre composante hélicoptère aux exigences des opérations sur tous les théâtres par l’acquisition de sept Tigre et de six NH90 supplémentaires. Ces acquisitions accompagnent un plan de renforcement de la disponibilité des appareils. Elle permettra aussi de renforcer nos capacités de transport aérien tactique, qui sont excessivement sollicitées. Nous étudions la mise à disposition de quatre nouveaux appareils C-130 et avons provisionné des crédits à cette fin. Cet engagement permettra aussi de confirmer la livraison de frégates européennes multi-missions – FREMM – au cours de la période de programmation, malgré le prélèvement d’un bâtiment pour l’exportation vers l’Égypte, et d’avancer le lancement du programme de futures frégates de taille intermédiaire.

Ces financements permettront de boucler le budget du troisième satellite CSO réalisé en coopération avec l’Allemagne, qui assumera d’ailleurs la majorité de son coût, et enfin, je le déclare devant l’Assemblée, d’équiper nos drones de surveillance Reaper d’une charge d’écoute électromagnétique, instrument indispensable aux armées modernes dont les opérations, en particulier de contre-terrorisme, combinent repérage optique et électromagnétique.

En quatrième lieu, les décisions prises par le Président de la République en conseil de défense sécurisent et simplifient la structure des ressources financières de la programmation militaire pour la première fois depuis 2007.

M. Pierre Lellouche. C’est faux !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En effet, le Président de la République a décidé de mettre un terme pour l’essentiel à la pratique délicate et souvent critiquée du recours aux ressources extrabudgétaires, à l’exception des ventes de patrimoine immobilier et dans une mesure nettement moindre des cessions de matériels militaire d’occasion. La part de ces seules recettes extrabudgétaires sera divisée par plus de six et ne représentera plus que 0,6 % des ressources financières totales de la programmation militaire pour la période 2015-2019.

M. Pierre Lellouche. C’est ce qu’on appelle un déni de réalité !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ainsi, la très grande majorité des 6,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver pour la période 2015-2019 est convertie en crédits budgétaires de droit commun, à hauteur de 2,14 milliards dès l’année 2015 dans le collectif budgétaire et pour le reste, à partir de 2016, dans les prochaines lois de finances initiales.

De même, les crédits supplémentaires de 3,8 milliards d’euros qui viennent d’être décidés seront attribués à la mission « Défense » sous forme de crédits budgétaires. Il s’agit donc d’un effort considérable pour le budget de l’État par rapport aux prévisions, un effort qui est à la hauteur de la situation que je rappelais tout à l’heure.

M. Pierre Lellouche. Il faudra expliquer où trouver ces milliards !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Au total, l’effort de la France en faveur de sa défense s’élèvera ainsi à 162,41 milliards d’euros courants pour la période 2015-2019, contre 158,61 prévus par la loi de programmation militaire votée en 2013. Je voudrais préciser ici la manière dont ces évolutions éminemment positives pour notre défense seront prises en compte par la prochaine loi de finances rectificative. Pour 2015, la mise à disposition des nouveaux crédits budgétaires de 2,14 milliards d’euros aura lieu dans le cadre du collectif budgétaire de fin de gestion. Toutefois, l’ouverture de ces crédits en fin d’année seulement et le besoin de financement au titre des surcoûts liés aux opérations extérieures comme à l’opération Sentinelle pourraient provoquer des tensions de trésorerie majeures et inédites sur les programmes 146 et 178.

M. Pierre Lellouche. En effet !

M. Charles de La Verpillière. Nous y voici !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Afin d’y remédier, le ministère de la défense étudie en ce moment avec celui du budget plusieurs leviers, notamment le recours nettement plus tôt qu’habituellement à la levée anticipée de la réserve de précaution et à un décret d’avance.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Très bien !

M. Jean-François Lamour. Vous ne pouvez pas faire autrement, faute de crédits !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ces mesures permettront au ministère de la défense de disposer pleinement en 2015 des crédits de 31,4 milliards d’euros annoncés et sanctuarisés par le Président de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Le cinquième point porte sur l’ambition véritable que nourrit la loi de programmation militaire pour notre industrie de défense. Dans le contexte de progression du budget que j’ai rappelé, l’actualisation ne manque pas de prolonger cette orientation fondamentale. À cet égard, je rappelle d’abord qu’elle apporte des réponses fortes aux interrogations qu’avait suscitées la loi de programmation militaire votée en 2013 à propos de la soutenabilité des paris faits sur nos exportations. Des succès majeurs viennent en effet conforter notre programmation.

M. Guy Chambefort. Eh oui !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La concrétisation récente et tant attendue de l’exportation du Rafale au profit de l’Égypte et du Qatar contribue à l’équilibre financier et industriel de la loi de programmation militaire. D’autres prospections sont en cours, notamment en Inde, à la suite de la récente visite du Premier ministre Modi dans notre pays, et d’autres pourraient encore être activées. Plus que jamais, l’équipe de France des exportations de défense doit être mobilisée. Et je ne doute pas, pour ma part, qu’en suivant une nouvelle fois une méthode qui a fait ses preuves, nous rencontrerons d’autres succès.

M. Yves Fromion. Nous le souhaitons comme vous !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je vous remercie. Comme vous le voyez, nous sommes au rendez-vous.

L’État favorisera notre industrie grâce à sa politique d’acquisition qui bénéficiera à plusieurs secteurs du fait du surcroît d’investissements que j’ai décrit précédemment : en moyenne annuelle, le ministère dépensera 17,6 milliards d’euros pour acquérir de nouveaux équipements. Il poursuivra aussi, à travers son implication d’actionnaire, tous les mouvements permettant la création de leaders européens compétitifs. Dans cet esprit, nous élaborons, en coopération avec l’Allemagne et l’Italie, un projet de drone de reconnaissance de type MALE qui pourrait équiper les armées à partir de 2025.

M. Pierre Lellouche. Il serait temps !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est vrai, monsieur Lellouche, mais je rattrape le retard accumulé, et vous le savez bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Nous venons de signer un accord avec les Allemands et les Italiens pour développer un drone européen de nouvelle génération.

En outre, la consolidation industrielle se poursuit dans le secteur terrestre avec le rapprochement entre Nexter et KMW, qui devrait être finalisé courant 2015, et dans le secteur des lanceurs spatiaux avec la création d’une coentreprise Airbus Safran qui sera pleinement opérationnelle d’ici à la fin de cette année. Ces développements illustrent la continuité de notre politique de mise en place pragmatique et très concrète d’une Europe de la défense.

Sixièmement, ce projet de loi sera marqué par la création des associations professionnelles nationales de militaires – APNM – qui contribuera à la rénovation de la concertation militaire. Il s’agit, à n’en pas douter, d’une novation majeure qui fera date dans l’histoire de notre défense.

Vous le savez, le droit français interdit traditionnellement aux militaires de créer ou d’adhérer à des groupements professionnels. Mais dans deux arrêts prononcés le 2 octobre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, estimant que cette interdiction générale et absolue figurant dans notre loi était contraire à l’article 11 de la Convention.

M. Pierre Lellouche. Pourtant vous n’avez pas fait appel !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La Cour a cependant rappelé que, pour les membres des forces armées, la liberté d’association pouvait faire l’objet de « restrictions légitimes ». Le chapitre II du présent projet de loi instaure donc le droit pour les militaires de créer et d’adhérer librement à des associations professionnelles nationales de militaires, mais uniquement à ces associations, la création d’un groupement à caractère syndical au sens du droit commun du travail restant proscrite.

M. Pierre Lellouche. Vous verrez !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les « restrictions légitimes » concernent plus particulièrement le droit de grève, de manifestation ou de retrait, ou encore les actions collectives de la part des militaires engagés dans des opérations, notamment extérieures.

Il importe que cette avancée majeure pour la condition militaire soit accompagnée et acceptée par toute la communauté militaire. C’est la raison pour laquelle elle ne doit ni heurter, ni précipiter, mais au contraire rassurer sur le fait qu’elle ne remet en cause ni les obligations fondamentales de nos armées, ni l’unicité du statut militaire.

En septième lieu, je souhaite appeler votre attention sur la nouvelle politique des réserves engagée dans ce projet de loi. Il s’agit notamment d’associer davantage les réserves opérationnelles au renforcement de la posture de protection de nos armées, qu’il s’agisse des déploiements ou de la cyberdéfense. C’est pourquoi le projet de loi engage un effort sans précédent au profit de la réserve opérationnelle.

La loi fixe un objectif pour le nombre de réservistes, qui passe de 28 000 à 40 000, en favorisant un élargissement des recrutements vers la société civile. Cette ambition est forte, tout en demeurant réaliste. Elle en tout cas nécessaire aujourd’hui et les chefs d’état-major y sont résolus.

Dans la même perspective, il est prévu, en cas de crise menaçant la sécurité nationale, d’améliorer les conditions d’appel des réservistes opérationnels. Ces dispositions ont fait l’objet, à ma demande, de concertations avec le MEDEF afin de tenir compte des besoins des entreprises, avec l’objectif de n’avancer qu’après le dialogue – ce qui a été fait. Outre une augmentation du budget dédié à la réserve de 75 millions d’euros sur la période 2016-2019, des partenariats avec les entreprises devront concourir à cet objectif.

En huitième lieu, au titre du lien entre l’armée et la nation, je souhaite souligner l’expérimentation en métropole d’un service militaire volontaire, conformément au souhait exprimé par le Président de la République. Il s’inspirera du service militaire adapté dont vous savez qu’il a fait ses preuves dans les outre-mer.

Ce dispositif, souhaité par le Chef de l’État dès cette année, doit contribuer à l’insertion de jeunes en situation difficile en les aidant à accéder à l’emploi. Il s’agit d’un dispositif militaire porté par l’armée de terre, en partenariat avec des entreprises et des acteurs régionaux de l’emploi et de la formation. Deux centres accueilleront des jeunes en service militaire volontaire dès la rentrée 2015 : Montigny-les-Metz, en Moselle, et Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne. Un troisième centre, qui sera établi à La Rochelle, complétera en 2016 l’expérimentation en accueillant un millier de volontaires.

Ce dispositif s’intègre naturellement dans un ministère dont la tradition et l’exemplarité en matière de lien entre les armées et la jeunesse n’est plus à démontrer : près de 20 000 jeunes recrutés par an, 6 000 stagiaires en service militaire adapté outre-mer, 750 000 participants chaque année à la journée défense citoyenneté, 10 000 stagiaires de tous niveaux et 30 000 jeunes accueillis dans le cadre du plan égalité des chances.

En plus de ce service militaire volontaire que nous créons et des missions que je viens d’évoquer, le ministère de la défense diversifiera et augmentera le nombre de missions de service civique qu’il propose, conformément à la décision du Président de la République de porter à 70 000 jeunes dès 2015 et 150 000 jeunes en 2016 le nombre de volontaires du service civique, désormais universel. Dans ce cadre, le Gouvernement présentera un amendement au projet de loi de programmation militaire visant à permettre à l’Agence du service civique d’assurer la montée en charge du dispositif et de mettre en œuvre le volet jeunesse du programme européen Erasmus + qui facilite la mobilité des jeunes de treize à trente ans en Europe.

Enfin, afin d’éviter tout malentendu ou erreur d’interprétation, je tiens à souligner encore une fois que la transformation en cours du ministère, dans pratiquement toutes ses composantes, ne va pas s’arrêter. Au contraire. La montée en puissance de nos moyens, par exemple l’augmentation des effectifs de la FOT, ne peut que nous inciter à accentuer les réformes qui portent modernisation du ministère et des forces armées. Ainsi, les suppressions de postes destinées à gager les capacités nouvelles ou à accompagner des restructurations se poursuivront. En outre, le projet de loi intègre désormais les plans stratégiques de chaque armée et de chaque grand service. Il s’agit des programmes « Au contact ! » de l’armée de terre, « Horizon marine 2025 » de la marine, « Unis pour faire face » de l’armée de l’air, « SSA 2020 » pour le service de santé des armées, et enfin « SCA 2021 » pour le service du commissariat des armées. L’objectif à atteindre pour 2020 est désormais clair pour tous.

Mesdames et messieurs les députés, j’ai ouvert mon propos en insistant sur la gravité des menaces que nous devons affronter aujourd’hui et qui se poursuivront, malheureusement, dans les années à venir. Face aux urgences opérationnelles, les armées ont répondu présent lors de la mobilisation sans précédent, par son ampleur et sa rapidité, qui a suivi les attentats de janvier. Elles l’ont fait en dépit de toutes les difficultés qui ont pu se présenter, en faisant preuve de courage, de professionnalisme et d’une abnégation à toute épreuve.

Aujourd’hui nos soldats ont besoin de votre soutien, tel qu’il est décliné dans cette actualisation de la loi de programmation militaire, pour continuer de remplir les missions qui leur sont confiées. Je souhaite vivement une mobilisation de tous, du Gouvernement comme du Parlement, c’est-à-dire de la nation dans toutes ses composantes, qui sait se rassembler lorsque l’essentiel est en jeu.

Cette actualisation est à la hauteur des enjeux. Jamais une telle inflexion, en termes de ressources humaines et de finances, n’avait été décidée en cours de programmation. Jamais, non plus, la place des militaires au sein de la société, dans la spécificité mais aussi la plénitude de leur citoyenneté, n’avait été reconnue au point rendu aujourd’hui possible par la création des associations professionnelles nationales de militaires. Ma conviction est que ce sont là deux décisions appelées à faire date dans l’histoire de notre défense. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, présidente et rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Mme Patricia Adam, rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais au préalable remercier, en tant que présidente de la commission de la défense, ceux de nos collègues de l’opposition qui ont pris leur part au débat – je pense particulièrement à MM. Lamour, Lefebvre, au président Carrez, à MM. Cornut-Gentille, Folliot et Hillmeyer. En matière de défense, la polémique sert rarement l’intérêt commun. Nos forces armées, qui n’ont proportionnellement jamais été aussi engagées qu’actuellement, méritent mieux que des « non-débats » sur leurs moyens.

Monsieur le ministre, pour la première fois, une loi de programmation est revue à la hausse en termes de crédits et d’effectifs. Nous pouvons vous en féliciter et nous en réjouir, comme des avancées concrètes que vous avez citées en ce qui concerne l’Europe de la défense et ses retombées en matière industrielle.

La loi de programmation que vous avez construite à l’issue des travaux du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale poursuivait plusieurs objectifs et s’efforçait de préserver une cohérence, cette cohérence que vous venez de nous présenter.

Le premier objectif était la stabilisation des ressources du ministère de la défense. Après cinq décennies de baisse ininterrompue, vous avez souhaité mettre un terme à l’assèchement des moyens. Nous y sommes.

M. Yves Fromion. Ah bon ?

Mme Patricia Adam, rapporteure. Le second était la stabilisation d’un modèle d’armées et d’organisation du ministère que vous avez hérité de vos prédécesseurs et qui était loin d’avoir trouvé son rythme de croisière. L’affaire Louvois en est l’exemple le plus frappant.

M. Yves Fromion. Vous mélangez tout !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Le troisième objectif était de contenir la hausse des dépenses, notamment des dépenses de personnel, en dotant le ministère d’une nouvelle organisation. Vous l’avez engagée, elle est désormais en place.

Cette cohérence, vous l’aviez vous-même qualifiée de « costume taillé au plus juste ». À l’heure de l’actualisation prévue par la loi de programmation, il nous appartient de regarder de quelle façon les éléments fondamentaux de cette construction ont évolué. J’en rappelle les deux principaux. Le premier était une pause de quatre ans et demi dans la prise en compte des Rafale et la substitution de commandes étrangères à la commande nationale. Cet objectif est satisfait. Le second était la réalisation de recettes exceptionnelles, issues notamment de la vente de fréquences hertziennes. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agira de crédits budgétaires, ce que tout le monde souhaitait dans cet hémicycle.

Cependant, rien ne s’est passé comme prévu, ou plutôt tout s’est accéléré. En effet, alors que le dispositif français en opérations extérieures avait été adapté pour dégager des économies budgétaires, alors que les armées avaient entamé de très gros efforts de rationalisation de leur masse salariale, alors que les contrats industriels avaient été renégociés en harmonie avec la nouvelle trajectoire des ressources et les besoins de préservation des plans de charge, la réalité opérationnelle a considérablement modifié les choses.

Quatre événements majeurs se sont produits. Au Mali, en Syrie et en Irak, la situation s’est considérablement dégradée et a nécessité une mobilisation internationale qui ne semble pas près de cesser. Notre pays a été frappé, en janvier, par trois attentats. Des pays voisins l’ont été également, ou ont réussi à l’éviter de justesse, grâce d’ailleurs au concours de la France. En outre, la Russie a annexé une partie du territoire de l’Ukraine et maintient une forte pression à l’intérieur de ce pays, provoquant un trouble naturel chez nos alliés baltes et polonais.

Jusqu’à un certain point, aucun de ces événements ne constitue une réelle surprise stratégique, au sens où le Livre blanc les avait envisagés, que ce soit en termes généraux ou sous forme de scénario. Cela étant, ils ont conduit à une modification de la posture opérationnelle de notre pays qui s’est traduite par un dépassement des contrats opérationnels à l’extérieur mais aussi, comme on le sait, à l’intérieur du territoire.

Des conséquences en ont été tirées en conseil de défense. Je vais y venir. Toutefois, je souhaiterais préalablement appeler l’attention du ministre sur deux points qui me semblent ressortir clairement des débats en commission. Premièrement, les moyens nouveaux consentis sont motivés par une volonté de rééquilibrage des forces engagées en OPEX et dans Sentinelle. Il ne s’agit donc pas, vous l’avez dit, d’une nouvelle loi de programmation militaire, mais bien d’une actualisation en fonction du contexte. Deuxièmement, ce qui permet l’opération Sentinelle, c’est la polyvalence des soldats de l’armée de terre. Ils doivent pouvoir assurer Sentinelle en janvier, s’entraîner à Sissonne en juin et être en opération extérieure.

M. Yves Fromion. Quelle blague !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Monsieur le ministre, la polyvalence, cela implique aussi des capacités de combat de haute intensité. De la même façon que la marine nationale peut faire de l’action de l’État en mer avec ses frégates, il nous faut refuser le principe d’une garde nationale ou d’une armée de terre à deux vitesses.

M. Pierre Lellouche. Pourquoi ?

Mme Patricia Adam, rapporteure. Nous aurons en commission ce débat que vous souhaitez, tout comme nous, engager, et c’est bien légitime. Je vous engage donc à porter l’effort prioritairement sur les capacités de haute intensité. C’est ce qu’ont décidé de faire nos voisins allemands, polonais, baltes, ainsi que douze autres pays qui réfléchissent actuellement à une augmentation de leur budget de défense. Nous devons faire de même, et nous le ferons. Les soldats de nos brigades blindées savent remplir la mission Sentinelle, mais j’insiste sur le fait que nous n’avons pas besoin de soldats qui ne sauraient faire que cela.

S’agissant de la programmation proprement dite, il y a lieu de remarquer que l’exécution a été, à ce jour, globalement conforme à la programmation. En revanche, il faut se féliciter que les recettes exceptionnelles soient converties en crédits budgétaires. C’est un retour à l’orthodoxie budgétaire que nous souhaitions tous. À ces crédits s’ajoutent les 3,8 milliards d’euros de crédits nouveaux, sur la durée de la programmation.

Enfin, vous l’avez dit, le ministère redéploiera un milliard d’euros de crédits déjà programmés mais libérés par une évolution favorable du coût des facteurs. Cette dernière question a suscité une forme d’inquiétude chez certains chefs d’état-major que nous avons auditionnés ainsi que dans une partie de l’hémicycle. Notre assemblée sera donc particulièrement attentive, comme elle l’a été précédemment, à la façon dont ce redéploiement s’effectuera. D’ores et déjà, je vous informe que je procéderai, avec mes collègues de la commission des finances, comme nous en avons l’habitude, à un contrôle sur pièces et sur place concernant ce redéploiement.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Enfin, 18 500 emplois seront épargnés sur l’ensemble des suppressions de postes initialement prévues. Je souhaiterais que vous reprécisiez à l’Assemblée que la remontée de la force terrestre à 77 000 militaires, pour ne citer que cet élément, ne se fera pas au détriment des autres forces et qu’elle s’inscrit dans la durée. En effet, certaines auditions ont pu nourrir un doute sur ce point qui me paraît pourtant dénué d’ambiguïté. Pour autant, le ministère n’est pas exonéré d’efforts. Il poursuit sa réorganisation, ainsi que celle des armées et des services.

J’en viens maintenant à la question des associations professionnelles nationales de militaires. Je me félicite bien sûr que notre pays se mette en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, tout en regrettant que l’urgence de l’actualisation, que je peux par ailleurs comprendre, car elle est motivée par la nécessité de lancer les recrutements, n’ait permis qu’un débat peut-être trop rapide sur la création de ces associations. L’examen des amendements permettra d’y revenir.

Enfin, il y a lieu de se féliciter de la création du service militaire volontaire. J’espère que le ministère de la défense sera très vite rejoint par d’autres acteurs pour faire prospérer cette belle initiative en direction de notre jeunesse. J’aspire à voir un élan comparable en faveur de réserves rénovées.

En conclusion, on peut considérer que cette actualisation marque un tournant stratégique. Tout au long de cette journée, nous allons en débattre en responsabilité, pour nos armées, pour leur engagement exemplaire, qu’il est bon de souligner dans cet hémicycle. Les Français le savent et ont l’occasion d’en faire part à nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. L’actualisation qui nous est présentée aujourd’hui a quelque chose d’extraordinaire : pour une fois, il ne s’agit pas de revoir à la baisse les crédits d’une loi de programmation militaire, mais bien de les augmenter. Or, combien de Cassandre avaient prédit un retour piteux du Gouvernement devant cet hémicycle, anticipant l’échec de la LPM ?

M. Jean-Luc Laurent. Exact !

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis. Non seulement les engagements de la loi de programmation militaire seront tenus, mais ses crédits seront augmentés, ce qui constitue une première depuis bien longtemps. Monsieur le ministre, nous devons vous rendre hommage pour cela. Votre engagement et votre détermination ont été entendus par le Président de la République. Les arbitrages rendus étaient difficiles dans le contexte budgétaire que nous connaissons tous, mais n’en étaient pas moins indispensables.

Depuis la rédaction du Livre blanc de 2013, la situation internationale n’a cessé de se dégrader. Les ruptures stratégiques se sont succédé : janvier 2013, lancement de l’opération Serval ; printemps 2014, annexion de la Crimée par la Russie ; été 2014, montée en puissance de Daech, opération Barkhane, propagation rapide de l’épidémie d’Ebola, puis montée des tensions en mer de Chine ; novembre 2014, cyberattaque de la Corée du Nord contre Sony ; et enfin, en janvier 2015, les attentats à Paris. Dans ce contexte, les missions des armées ont explosé. Aux engagements extérieurs nombreux et durables se sont ajoutées les mesures de réassurance et, à présent, l’opération Sentinelle sur le territoire national. La marine est déployée en permanence dans cinq zones maritimes, alors que le Livre blanc n’en prévoyait que deux.

Dans ces conditions, les armées n’avaient plus les moyens de remplir toutes les missions qui leur étaient confiées par l’exécutif. Cette situation n’était pas tenable dans la durée. Il fallait opérer un choix. Le Président de la République l’a fait. Il repose sur deux décisions fortes : la sécurisation des ressources de la programmation initiale et l’affectation de 3,8 milliards supplémentaires au budget de la défense.

La sécurisation des ressources de la LPM est un acquis essentiel. Nous pouvons tous nous en réjouir, majorité comme opposition, et j’espère l’entendre tout à l’heure. La programmation initiale reposait sur trois hypothèses risquées : les recettes exceptionnelles – REX, la vente des Rafale et la maîtrise des opérations extérieures – OPEX. L’actualisation remplace les REX par des crédits budgétaires, ce qui est une très bonne chose. Les contrats signés avec l’Égypte, le Qatar et bientôt l’Inde pourront faire tourner les chaînes de production et les bureaux d’étude de Dassault sans que le budget de la défense n’ait à porter ces activités. Deux de ces hypothèses risquées sont donc évacuées. Reste la maîtrise des OPEX, qui seront toujours confrontées au même aléa, quels que soient la LPM et le gouvernement.

S’agissant des 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires, je me contenterai de deux observations. Premièrement, une grande partie, soit 2,8 milliards, sera absorbée par la préservation de 18 750 postes, dont la vocation principale est de permettre à l’armée de terre de recruter afin de pérenniser l’opération Sentinelle. Il faudra être très vigilant, et je sais que vous l’êtes, monsieur le ministre, pour que cette nouvelle mission ne conduise pas à désavantager l’armée de l’air et la marine. Elles sont très engagées dans des missions aussi essentielles que la protection du territoire national ou la liberté de navigation. Ce sont des armées très techniques, caractérisées par la présence de spécialités nombreuses et difficiles à conserver. Enfin, elles jouent un rôle fondamental dans le soutien aux exportations, qui mobilise près de 200 pilotes et mécaniciens dans l’armée de l’air et un demi-équipage de FREMM pour l’Égypte. Il faudra donc impérativement que la répartition des postes préserve aussi la capacité de ces deux armées.

Ma deuxième observation concerne les mesures prévues pour les équipements. L’excellente nouvelle que constituent ces 2 milliards supplémentaires mérite d’être consolidée par la production d’un document en direction du Parlement fixant les calendriers précis d’acquisition et les enveloppes prévues par équipement. Cela renforcera indéniablement la confiance au sein des armées.

Voilà ce que je souhaitais vous dire sur les nouvelles mesures annoncées, qui me semblent, je le répète, salutaires et courageuses. Mais je ne crois pas que notre débat doive se limiter simplement aux questions budgétaires : elles appellent un questionnement plus profond sur les fondamentaux de la politique de défense. À cet égard, deux sujets préoccupent la commission que je représente.

Le premier sujet, qui touche, à vrai dire, au cœur de cette actualisation, est la pérennisation de l’opération Sentinelle. La France est l’une des seules démocraties occidentales à faire le choix de déployer son armée sur le territoire national. Si cette opération a véritablement vocation à devenir permanente, cela constituerait un changement doctrinal profond pour notre politique de défense. Le Parlement doit être pleinement associé à cette réflexion. Il en est de même pour le cadre juridique et le contrôle parlementaire de la mission. De fait, 7 000 soldats en permanence dans les rues de France, c’est un chiffre considérable, presque égal au nombre de militaires engagés en opération extérieure. Il est donc utile de sécuriser l’opération Sentinelle, pour les militaires eux-mêmes mais aussi pour nos concitoyens, qui pourraient s’interroger sur son sens.

Deuxième sujet de préoccupation : les exportations d’armement. Comme tout le monde, je me réjouis des succès à l’exportation du Rafale, mais nous devons nous interroger sur les conséquences stratégiques de ces ventes d’armements. En effet, nous ne vendons pas seulement des matériels mais aussi des alliances, des accords. Or, qui sont nos clients ? L’Égypte, le Qatar, l’Arabie Saoudite, le Liban et peut-être, bientôt, les Émirats arabes unis. Cela n’est pas neutre, et pourrait être compris comme le choix d’un camp, celui des sunnites, contre un autre. Il est donc nécessaire d’indiquer clairement que notre position diplomatique n’a pas changé. Elle reste la recherche de l’équilibre. La paix dans cette région passe par une normalisation des relations avec l’Iran.

La commission des affaires étrangères estime que cette actualisation est une excellente chose. Elle autorise les armées à répondre aux défis qui leur sont posés et permet à la France de conserver son statut de grande nation. Tel est l’apport, majeur, de cette réactualisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean Launay, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Chacun ici en est conscient, depuis le vote de la loi de programmation militaire, en décembre 2013, le contexte sécuritaire s’est dégradé, tant sur le plan international que sur le plan national. Nos forces armées doivent aujourd’hui faire face à des engagements multiples, au Mali, en Centrafrique, en Irak, mais aussi sur le territoire national puisque, à la suite des dramatiques attentats qui ont eu lieu le 7 janvier 2015, le Gouvernement a décidé de renforcer le plan Vigipirate et de déployer en permanence 7 000 hommes sur le territoire, dans le cadre de l’opération Sentinelle.

Or, l’inquiétude légitime des militaires, dont les missions se sont multipliées alors même que leurs crédits apparaissaient parfois fragilisés, notamment par un fort recours à des ressources exceptionnelles et non budgétaires, appelait une réponse crédible au plus haut niveau de l’État. C’est justement cette réponse que le chef de l’État a apportée, à l’issue du conseil de défense du 29 avril 2015, en rappelant que « La sécurité, la protection, l’indépendance, sont des principes qui ne se négocient pas » et en accordant au ministère de la défense les garanties qu’il attendait sur le volume et la qualité des crédits qui lui échoient. En particulier, la priorité affichée par le présent projet de loi d’actualisation est de renforcer le principe de protection du territoire.

Les OPINT, pour « opérations intérieures », s’ajoutent donc aux OPEX. Dans ce cadre, il est nécessaire de pouvoir compter sur un format de forces élargi, car chaque homme sur le terrain nécessite une base de trois hommes à l’arrière. Cet élargissement du format de la force opérationnelle terrestre est en effet nécessaire pour nous prémunir d’une asphyxie de notre modèle d’armée telle qu’ont pu la vivre les Britanniques à la suite de leur déploiement massif en Irak. Il est également nécessaire de réaliser un effort sur les crédits d’équipements des armées.

La commission des finances, qui ne s’est saisie que des quatre articles qui composent le chapitre 1er ainsi que du rapport annexé, approuvé par le premier de ces quatre articles, a émis mardi 26 mai dernier un avis favorable sur ce projet de loi d’actualisation.

Ce projet comporte en effet trois décisions d’importance majeure que je voudrais rappeler. En premier lieu, la part des recettes exceptionnelles dans les crédits du ministère de la défense, pour la période 2015-2019, est drastiquement réduite en faveur de crédits budgétaires. Ce sont ainsi près de 5,2 milliards d’euros de recettes exceptionnelles qui seront remplacées par des crédits budgétaires, plus fiables quant à leur montant et quant à leur calendrier de perception. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il convient de rappeler qu’avant les annonces du Président de la République, la défense devait percevoir, sur l’ensemble de la période de programmation comprise entre 2014 et 2019, près de 8,45 milliards d’euros de recettes exceptionnelles.

Deuxièmement, le présent projet de loi prévoit de renforcer substantiellement les crédits qui bénéficieront au ministère de la défense sur les quatre années de la programmation actualisée, de 2016 à 2019. Ce sont ainsi 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires qui seront répartis sur ces quatre années, qui viendront s’ajouter aux 5,2 milliards prévus en remplacement des recettes exceptionnelles. Au total, près de 9 milliards d’euros supplémentaires bénéficieront au ministère de la défense.

En troisième lieu, 18 500 postes seront préservés parmi les 34 000 suppressions initialement prévues dans la LPM, ce qui permettra une redéfinition du contrat opérationnel des forces terrestres. Le nouveau contrat portera la réserve d’hommes disponibles pour la FOT de 66 000 à 77 000 hommes.

Ces trois décisions sont de nature à répondre aux inquiétudes que nous avons pu formuler tant sur les recettes exceptionnelles que sur les effectifs disponibles et nécessaires pour assurer l’ensemble des missions dévolues à la défense.

Cette moindre déflation des effectifs mobilisera 2,8 milliards d’euros sur les 3,8 milliards supplémentaires accordés à la défense. Le milliard restant sera affecté à l’entretien programmé des matériels ainsi qu’aux programmes d’équipement majeurs, chacun à hauteur de 500 millions d’euros. L’équipement des forces bénéficiera également du redéploiement en interne d’1 milliard d’euros, rendu possible par la baisse du coût des facteurs : baisse du coût du carburant, mais surtout évolution du cours de la monnaie et des marchés de fournitures.

M. Yves Fromion. Ben voyons !

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Je rappelle néanmoins que la LPM n’a qu’une valeur programmatique, étant donné que les décisions normatives dans le domaine budgétaire relèvent exclusivement du champ des lois de finances, et que ces dispositions doivent donc être traduites concrètement par les discussions budgétaires à venir.

Je sais que certains parmi vous s’interrogent sur l’effet trésorerie qui pourrait pénaliser le ministère de la défense si les crédits ne sont pas versés au plus vite. En effet, si la loi de finances rectificative tarde à intervenir, le risque existe d’une nouvelle dégradation du report de charges en fin d’année. Toutefois, je voudrais rappeler qu’il existe d’autres moyens pour atténuer, voire annuler cet effet négatif : il s’agit notamment, le ministre l’a indiqué, de la levée de tout ou partie de la réserve de précaution, qui représente environ 1,5 milliard d’euros pour le ministère de la défense, ou de l’adoption éventuelle d’un décret d’avance.

D’autres parlementaires se sont interrogés sur les recettes exceptionnelles restantes, soit 1 milliard d’euros, ainsi que sur le redéploiement d’1 autre milliard dû à l’évolution du coût des facteurs. Je voudrais leur répondre sur ces deux sujets.

M. le président. Monsieur Launay…

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Premièrement, on constate que les 930 millions d’euros de ressources de cessions programmées sur la fin de la LPM sont composés pour les trois quarts de cessions immobilières, et pour le reste de cessions de matériels militaires. Ce sont donc des actifs physiques, vendus sur des marchés où de nombreux acheteurs sont présents. Il n’y a aucune inquiétude à avoir quant à leur réalisation.

Deuxièmement, l’évolution du coût des facteurs devrait permettre de dégager 1 milliard d’euros. Cependant, avant toute autre considération, il convient de rappeler que ce milliard d’euros n’est pas constitué de crédits budgétaires, sinon ce sont non pas 3,8 mais 4,8 milliards qui auraient été ajoutés sur la période restante de la LPM.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Je finis, monsieur le président. Il s’agit simplement d’une hypothèse de pouvoir d’achat supplémentaire qui devrait bénéficier aux armées. Dans d’autres ministères, ce pouvoir d’achat supplémentaire est retiré aux bénéficiaires. Or, en l’occurrence, la défense le conservera et il est normal que l’actualisation de la LPM intègre cette évolution.

En tant que rapporteur spécial du budget opérationnel de la défense, j’ai affirmé devant la commission des finances que je m’efforcerais de vérifier les calculs qui sous-tendent cette hypothèse. La présidente de la commission ayant la même intention, nous le ferons ensemble.

Pour conclure, monsieur le président, il conviendra d’être attentif à ce que ces mesures positives ne soient pas amoindries par les mesures de régulation budgétaire qui interviennent en fin de gestion. Il faudra donc veiller, autant que cela sera possible compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles est soumise la France, à ce que l’équilibre financier ainsi dessiné pour le ministère soit préservé dans la durée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Jean-François Lamour. Nous pourrions presque applaudir !

M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler que, quelle que soit l’importance des sujets abordés, les temps de parole sont fixés par la conférence des présidents et par le règlement.

La parole est à M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Notre commission des lois s’est saisie pour avis du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Elle a concentré son attention sur deux séries de dispositions : les articles 5 à 7 d’une part, qui permettent de créer des associations professionnelles nationales de militaires, et d’autre part les articles 9 à 16, relatifs aux ressources humaines, qui portent sur la gestion des personnels de la défense, sur les différentes positions statutaires et sur les voies d’accès des militaires à la fonction publique.

Les mesures relatives aux ressources humaines ne posent aucune difficulté particulière : elles améliorent les conditions d’emploi et de départ des militaires. Elles renforcent en outre le recours à la réserve, ce qui est une bonne chose. Je centrerai donc mon propos sur l’origine et les conséquences de la création des associations professionnelles nationales de militaires – APNM.

Traditionnellement, le droit français interdit aux militaires de créer des groupements à caractère syndical et d’y adhérer, quelle que soit la forme de ces derniers, au motif que « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité ».

Cette interdiction vient d’être remise en cause par les arrêts Matelly contre France et ADEFDROMIL contre France de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2014. Celle-ci a condamné la France sur le fondement de l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre la liberté d’association. Il est reproché à notre pays d’avoir inscrit dans sa législation une interdiction absolue pour les militaires d’adhérer à un groupement professionnel constitué pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux et une interdiction pour ce type de groupements d’ester en justice.

En conséquence, il est proposé au travers du présent projet de loi d’instituer un droit d’association professionnelle adapté à l’état militaire, à l’exclusion, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, du droit syndical et du droit de grève. Les militaires auront désormais la possibilité de créer des associations professionnelles nationales de militaires et d’y adhérer. Il s’agit d’associations au sens de la loi de 1901, mais qui seront soumises à certaines restrictions afin d’être compatibles avec d’autres exigences constitutionnelles, comme la préservation des intérêts fondamentaux de la nation, les impératifs de la défense nationale, la sauvegarde de l’ordre public ou la nécessaire libre disposition des forces armées.

Ainsi, ces associations seront, par définition, de dimension nationale, ce qui exclut toute association au niveau d’un régiment ou d’une base de défense. Elles auront pour seul objet de préserver et promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire, notion désormais légalement définie. Cela interdit de s’immiscer dans la définition de la politique de défense ou des choix opérationnels et de contester l’opportunité des décisions d’organisation des forces armées ou encore celle des décisions individuelles intéressant la carrière des militaires.

Aux termes du projet de loi, ces associations représentent, sans distinction de grade ni de sexe, les militaires d’active ou réservistes « appartenant à l’ensemble des forces armées et des formations rattachées ou à l’une d’entre elles ». Sont donc exclues la constitution d’associations à but catégoriel, ainsi que la participation des retraités non-réservistes.

Ces associations disposent du droit d’ester en justice, mais sous certaines réserves. Sur proposition de notre commission des lois et de la commission de la défense, nous avons élargi la possibilité pour les associations de se porter partie civile à tous les faits « dépourvus de lien avec des opérations mobilisant des capacités militaires », et non pas seulement pour les faits « dont elles sont personnellement et directement victimes », comme cela était proposé initialement.

Ces associations sont par ailleurs soumises à des obligations strictes. Elles doivent avoir leur siège en France. Elles doivent procéder à un double dépôt de leurs statuts et de la liste de leurs administrateurs en préfecture et auprès du ministre de la défense pour obtenir la capacité juridique. Cette obligation pourrait introduire un contrôle a priori du ministre de la défense sur la constitution de ces associations qui serait, aux yeux de la commission des lois, de nature à porter atteinte à la liberté d’association des militaires qui vient d’être affirmée par la Cour européenne des droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement visant à découpler l’obligation de double dépôt des statuts de l’obtention de la capacité juridique.

Les APNM sont soumises à une obligation d’indépendance par rapport au commandement, aux syndicats, aux partis politiques, aux entreprises et à l’État. Elles ont également l’obligation de ne pas porter atteinte, par leurs statuts ou leur activité, aux valeurs républicaines et aux principes fondamentaux de l’état militaire. Si ces associations ne respectent pas l’ensemble de ces obligations, l’autorité administrative compétente peut demander, après une injonction demeurée infructueuse, leur dissolution devant le juge judiciaire.

Par ailleurs, le projet de loi veille à ne pas remettre en cause le cadre institutionnel de concertation et de représentation instauré depuis 2005 autour du Conseil supérieur de la fonction militaire – CSFM, des sept conseils de la fonction militaire – CFM – et des représentants des personnels militaires aux niveaux local et national. Tout au plus prévoyait-il la participation des APNM dites « représentatives » au dialogue devant les chefs d’états-majors et devant le CSFM, à l’exclusion des CFM. Sur proposition de la commission des lois et de la commission de la défense, le texte soumis à notre discussion prévoit désormais la participation progressive de ces associations au sein des CFM de la force armée qu’elles représentent d’ici à cinq ans afin d’éviter l’émergence d’un double langage auprès des chefs d’états-majors.

Le projet de loi fixe en outre cinq critères de représentativité pour ces associations : respect de leurs obligations mentionnées, transparence, diversité, influence de l’association, mesurée en fonction des effectifs.

La commission des lois a présenté un certain nombre de propositions qui ont été reprises par la commission de la défense, et j’en remercie sa présidente, notamment un amendement garantissant la liberté des membres des APNM, un amendement garantissant les facilités matérielles qui leur sont accordées, un amendement prévoyant l’actualisation annuelle de la liste sur le premier triennal et un amendement au rapport annexé prévoyant la possibilité pour les APNM d’être représentées dans d’autres instances.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis. Pour conclure, je souhaite enfin appeler votre attention sur un dernier point : l’exercice par les militaires d’un mandat d’élu local. À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelle l’incompatibilité absolue entre la fonction militaire et tout mandat municipal. Le législateur a jusqu’à 2020, année des prochaines élections municipales, pour remédier à cette inconstitutionnalité. Il nous faut donc chercher à tracer les contours de ce nouveau droit reconnu aux militaires en définissant de façon plus stricte l’incompatibilité entre mandat municipal et fonction militaire. J’ai déposé un amendement sur ce sujet afin de lancer une réflexion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion. Monsieur le ministre, ici même, lors du débat sur la désormais défunte loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, je concluais mon intervention au nom de mon groupe en vous mettant en garde : je vous disais que vous vouliez faire le pas de trop et que l’opposition ne vous suivrait pas.

Le pas de trop, vous l’avez fait, avec votre majorité et sous l’entière responsabilité du Président de la République. Le constat est accablant. Songeons un instant à la situation dans laquelle se serait retrouvé notre pays si les attentats de janvier dernier s’étaient produits en 2016 ou en 2017 ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis. Nous sommes en 2015 !

M. Yves Fromion. La trajectoire de déflation des effectifs figurant dans votre LPM aurait en effet conduit à priver nos armées de 14 897 hommes fin 2016 et de presque 20 000 hommes fin 2017.

M. Jean-Jacques Bridey. Ce n’est pas sérieux !

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. C’est de la fiction ! Nous, nous sommes dans la réalité !

M. Yves Fromion. Comment, la déflation ayant produit ses effets, aurait-il été possible de mettre en œuvre vos propres engagements, figurant dans la LPM sous la rubrique « La protection », et que je rappelle : « En cas de crise majeure, [les forces armées] doivent pouvoir renforcer les forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, avec un concours qui pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres » ? Ces dispositions n’ayant pas de limite temporelle, elles étaient réputées pouvoir perdurer à l’aune de la menace. Comment, dans ce contexte, aurait-il été possible en 2016 ou en 2017 de mobiliser au son du tocsin les 10 000 hommes de l’opération Sentinelle, qui ont d’ailleurs été déployés dans des conditions qui posent question ?

Fort heureusement pour nos concitoyens dont vous avez si imprudemment engagé la sécurité avec votre LPM, la surdéflation de 24 000 hommes que vous aviez prévue était à peine engagée en ce début d’année 2015. C’est ce qui a permis aux responsables de nos forces armées de placer le Président de la République devant ses responsabilités politiques…

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Il n’a pas besoin de vous pour les prendre !

M. Yves Fromion. …en le conduisant à admettre que sa loi de programmation militaire et la surdéflation d’effectifs qu’elle comportait étaient dévastatrices pour notre sécurité nationale. Et c’est ainsi que François Hollande a annoncé dans l’urgence, alors que des attentats avaient été commis, qu’il suspendait la déflation des effectifs de nos armées, ce qui, de facto, suspendait la mise en œuvre de la LPM. Voilà les faits, voilà ce qui fera date.

Le rappel de ces éléments de contexte, dont je peux comprendre qu’il apparaisse déplaisant à certains ici présents, est évidemment indispensable pour resituer le débat auquel nous sommes invités. La suspension dans l’urgence de la déflation n’était qu’un argument de circonstance, et vous avez été contraint rapidement de vous poser la question de la pérennité de votre LPM, monsieur le ministre. Fallait-il ou non la remettre en cause ? Le dilemme était politiquement cruel pour vous, qui aviez proclamé à son de trompe qu’il s’agissait d’une œuvre impérissable destinée à marquer l’histoire un peu chaotique il est vrai des lois de programmation militaire.

Mais le doute, bien qu’il soit « un mol oreiller pour une tête bien faite », comme l’exprimait Montaigne, ne vous a guère été permis. Il fallait revoir en profondeur la LPM…

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Actualiser !

M. Yves Fromion. …pour donner l’impression d’une réponse construite au méli-mélo des problèmes d’effectifs, de budget, de ressources exceptionnelles, de sociétés de projet, de ressources OPEX, de commandes d’équipements nouveaux, d’entretien, de maintien des matériels en condition et j’en passe qui donnent de la défense l’impression d’une institution en état de burn out.

Pour amortir l’effet inévitablement très fâcheux de ce revirement, de ce voyage à Canossa, dans l’opinion publique et aux yeux de nos soldats, vous vous êtes attaché, monsieur le ministre, avec le savoir-faire que l’on vous connaît, à expliquer que, finalement, tout cela n’avait rien que de très naturel et que l’actualisation de la LPM, prévue en 2015, était justement destinée à apporter les quelques corrections de trajectoire utiles à ladite loi, mais rien de plus.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Yves Fromion. Sauf que, monsieur le ministre, nous ne sommes plus dans l’ajustement. En effet, la remise en cause de la déflation des effectifs, qui constituait le socle de votre LPM, induit des conséquences profondes en matière budgétaire comme en matière d’organisation de nos forces. Nous ne sommes plus dans la même LPM mais dans une version « Canossa ». Voilà qui fera date. J’aurai l’occasion d’y revenir. Mais auparavant, je voudrais m’autoriser deux observations.

La première se rapporte aux conséquences directes de l’épisode terroriste de janvier dernier, dont je comprends que certains ne jugent guère opportun de les évoquer. Mais dans ce débat qui concerne notre sécurité nationale, il serait incompréhensible que l’Assemblée ne se demande pas pourquoi la seule équipée terroriste du clan Coulibaly sur notre sol national a provoqué l’ébranlement, jusque dans ses fondements, de la loi de programmation militaire. Voilà qui fera date !

J’ai déjà rappelé au début de mon propos les dispositions de la LPM, reprenant celles du Livre Blanc, relatives à ce qu’il est convenu d’appeler la « protection du territoire national et des Français » et qui visent à « assurer aux Français une protection efficace contre l’ensemble des risques et des menaces, en particulier le terrorisme ». Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi l’on s’interroge maintenant sur l’opportunité de faire intervenir notre armée sur le sol national, au motif que nous sommes les seuls à le faire en Europe : c’est prévu dans le Libre blanc et dans la loi de programmation militaire ! Certaines interrogations sont assez surprenantes.

La loi de programmation militaire s’est donc littéralement désintégrée au terme de seulement dix-huit mois d’existence, sous le coup d’un seul épisode de terrorisme sur notre sol national. Un seul épisode ! Voilà qui interpelle ! Voilà qui fera date !

On ne saurait mieux démontrer que votre LPM faisait, comme nous l’avons dénoncé à l’époque, une part un peu trop belle à l’illusion. Alors aujourd’hui la question se pose de savoir où s’arrêtent les limites de l’illusion et quelle est la crédibilité de notre système de forces.

Certes nos soldats, sur les théâtres d’opération où ils sont engagés, nous apportent une preuve éclatante de leurs capacités opérationnelles. Avec eux, il n’y a pas de doute. Mais c’est la globalité du système qui pose question. Qui ignore la paupérisation de nos forces armées, les tensions insolubles sur les équipements, les restrictions qui vont jusqu’à peser sur la formation et l’entraînement ?

Monsieur le ministre, les conditions dans lesquelles votre LPM a, en quelque sorte, implosé sous nos yeux portent en germe la redoutable question du doute sur l’efficience globale de l’outil dont vous avez la responsabilité. Pour qu’il n’y ait pas d’interprétation erronée de mon propos, je réaffirme bien qu’il ne s’agit pas de la qualité ni du professionnalisme de nos soldats, reconnus de tous, mais bien de la pertinence des moyens mis à leur disposition, notamment dans le cadre de votre LPM. C’est votre responsabilité de lever le doute que vous avez introduit.

Ma deuxième observation porte sur le niveau exceptionnellement élevé de nos engagements armés hors de nos frontières et sur les conséquences qui en découlent. À cet égard, je voudrais mentionner l’excellent rapport d’information Engagement et diplomatie : quelle doctrine pour nos interventions militaires ? que viennent de rendre nos collègues députés Guy-Michel Chauveau et Hervé Gaymard.

M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis. Membres de la commission des affaires étrangères ! (Sourires.)

M. Yves Fromion. Ces derniers soulignent qu’il existe un critère implicite à tout engagement extérieur, qui est celui de la contrainte budgétaire, principe fondamental de cohérence budgétaire. Ils concluent à cet égard que ce principe de cohérence budgétaire est fragilisé actuellement, en raison des contraintes fortes que le niveau d’engagement des armées fait peser sur les hommes et sur les équipements.

En fait, tout est dit et ces observations corroborent les propos de certains chefs d’état-major qui affirment que le niveau d’engagement de leurs moyens dépasse le contrat opérationnel auquel ils doivent se conformer. Ceci n’est évidemment pas sans conséquences pour la crédibilité du travail législatif qui nous occupe.

Nous avons, depuis 2012, beaucoup entendu parler d’héritage dans cet hémicycle : c’est de bonne guerre, dirais-je, et il faut savoir s’accommoder de bien des outrances. Mais il y a un héritage dont je voudrais parler en cet instant, c’est l’outil de défense dont le Président de la République et sa majorité ont hérité. Il n’était sans doute pas parfait et ses faiblesses étaient connues ; mais c’est de cet outil, sans qu’on n’y ait rien changé, que François Hollande a fait usage pour l’intervention au Mali dans les conditions que l’on sait. C’est également le même outil qui a été mis en œuvre en République Centrafricaine, ainsi qu’en Irak, toujours avec la même efficience.

Toutefois cet héritage de qualité ne va-t-il pas être rudement affecté par le suremploi et la suractivité dont souffrent nos forces armées, par le vieillissement d’un grand nombre d’équipements que l’on peine à maintenir en condition opérationnelle tant ils sont sollicités et de surcroît par l’étalement sans cesse accru des commandes et des livraisons de matériels nouveaux ?

Mme Patricia Adam, rapporteure. Vous avez quelque responsabilité en la matière !

M. Yves Fromion. On comprend sans peine l’indicible délice de vivre à Bamako un triomphe à la romaine (Rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), mais ne convient-il pas, pour le Président de la République et ceux qui ont la charge des affaires de notre pays, de s’attacher à conserver pleine et entière sa capacité à assurer sa défense en toutes circonstances, dans un contexte stratégique qui se dégrade, comme il est souligné dans le projet de loi que vous nous soumettez ? Or toutes les informations concordent : nos forces armées sont en voie d’usure accélérée. Vous êtes en train de solliciter avec démesure le précieux héritage reçu en 2012, et cela parce que vous ne compensez pas, ou pas suffisamment, l’attrition de nos moyens militaires par une régénération qui se révèle pourtant indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ayant abordé quelques éléments du contexte dans lequel vous nous présentez votre mouture Canossa de la LPM 2014-2019, j’en viens à votre projet. À l’issue des travaux du récent conseil de défense, le Président de la République a fait état de sa décision d’interrompre la déflation des effectifs des armées, de doper le budget de la défense et même de mettre en place en métropole une version du service militaire adapté dont on salue la réussite dans les outre-mer depuis sa création en 1961.

On ne pouvait évidemment que saluer d’aussi bonnes annonces. La maîtrise incontestée du pouvoir en matière de communication et la complaisance de quelques commentateurs stipendiés ont permis de relayer largement ces déclarations auprès d’une opinion priée de croire que jamais le souci de sa sécurité n’avait été pris en compte avec autant de sérieux.

La presse a titré sur la croissance des effectifs, les milliards d’euros supplémentaires consentis pour la remise à niveau des matériels et la commande d’équipements nouveaux, bref, sur le redressement de l’effort de défense engagé par la France, suivant en cela les bons élèves européens qui accroissent eux-mêmes leur budget de la défense. L’affaire paraissait donc entendue et la version dite actualisée de la LPM 2014-2019 devait être adoptée rapidement par le Parlement, dans une approbation unanime, à laquelle vous nous avez appelés il y a encore un instant.

L’opposition parlementaire, au nom de laquelle je m’exprime, s’est toutefois étonnée des difficultés particulièrement incompréhensibles auxquelles elle se heurtait pour obtenir des informations nécessaires à son travail de contrôle…

Mme Patricia Adam, rapporteure. Il suffit d’être présent en commission !

M. Yves Fromion. …alors que dans le même temps le calendrier législatif connaissait une accélération si spectaculaire qu’elle aboutissait à un escamotage des procédures en vigueur, ce sur quoi d’autres reviendront dans le cours de ce débat.

Un véritable malaise s’est alors installé. Pourquoi, si cette loi d’actualisation de la LPM était porteuse d’autant de bienfaits, l’entourer d’un si épais mystère et lui réserver une procédure parlementaire presque d’exception ? C’est qu’en fait, Monsieur le ministre, ce projet de loi n’est pas ce que vous avez voulu faire croire, et c’est bien pour cela que vous vous êtes efforcé d’escamoter la procédure parlementaire, de crainte que la réalité ne vienne brouiller votre très habile communication.

Abordons la question des effectifs. C’est, à vrai dire, la plus simple, parce que vous donnez des chiffres.

La loi de programmation votée en décembre 2013 prévoyait, pour les années 2015 à 2019, 25 794 suppressions d’emplois. Je mets à part les 7 881 suppressions d’emplois de 2014 qui portaient sur le reliquat de la déflation de la LPM 2009-2014.

Mme Patricia Adam, rapporteure. Vous le reconnaissez ! Il y en avait 10 000.

M. Yves Fromion. Vous nous présentez un nouveau plan de déflation d’effectifs sur la période 2014-2019, qui se traduit par une déflation totale de 14 925 emplois, avec une singularité en 2015 où la déflation est nulle. Mais – c’est la magie des chiffres – vous mettez en avant une création de 15 000 postes tout en indiquant que la déflation des effectifs militaires sera de 9 400 postes. On en attrape le tournis !

Que vous procédiez à une redistribution de postes à l’intérieur de votre ministère, notamment pour renforcer l’effectif opérationnel de l’armée de terre, quoi de plus normal ? C’est votre responsabilité. Mais pourquoi essayer d’accréditer auprès de l’opinion publique et singulièrement auprès de nos militaires l’idée que des créations de postes, c’est-à-dire un renforcement d’effectifs, figurent dans votre copie corrigée de la LPM ? Or c’est bien ce qui ressort de la campagne de communication faite autour des conclusions du dernier conseil de défense.

C’est une sorte de mystification qui ne donne pas vraiment crédit à la parole politique : la réalité de votre projet, c’est qu’il y aura entre 2015, c’est-à-dire, aujourd’hui, et 2019, une nouvelle décroissance de 6 418 postes. Ce sont vos chiffres. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Il serait mal venu de se plaindre de la prise de conscience salutaire qui vous conduit à remettre en cause la déflation, une initiative dévastatrice pour notre sécurité nationale. Mais pourquoi ne pas renoncer à toute déflation, comme nous vous l’avions demandé en 2013, et comme nous vous le demandons à nouveau ? Vous savez bien, monsieur le ministre, qu’une tension extrême sur les effectifs met nos armées dans une situation insupportable. Pourquoi maintenir la suppression de 6 418 postes ?

S’agit-il pour vous de ne pas paraître vous rallier au référentiel de la précédente loi de programmation militaire ? Madame la rapporteure doit pourtant se souvenir des critiques acerbes contre la déflation qui était alors programmée. La cohérence dans le discours politique est une valeur qu’il faut entretenir, madame.

Mme Patricia Adam, rapporteure. Merci de votre conseil.

M. Yves Fromion. S’agit-il de donner des gages à Bercy ? Mais la sueur et le sang de nos soldats, le suremploi auquel ils sont soumis, les atteintes à leur moral qui se multiplient ne sont-ils pas des gages suffisants pour les argentiers de la République ? Tous les chefs d’état-major font état de leurs grandes difficultés en matière de personnel. Vous ne les écoutez pas, vous ne les entendez pas ?

C’est pourtant l’entière responsabilité du Président de la République d’avoir pris les décisions d’engagement de nos moyens militaires qui conduisent aujourd’hui à un suremploi de nos forces armées, au-delà des contrats opérationnels, comme nous l’ont dit, je le répète, les chefs d’état-major. À vous d’en tirer les conséquences. Vous ne le faites pas, n’attendez pas que nous vous donnions quitus de votre gestion de la ressource humaine de nos armées !

Passons maintenant à l’aspect budgétaire de votre projet de loi. Il nous est annoncé une rallonge budgétaire de 3,8 milliards d’euros sur la période 2016-2019. C’est une bonne nouvelle. Enfin, plus précisément, ce devrait être une bonne nouvelle. Qu’en est-il ?

Sur les 3,8 milliards, 2,8 sont consacrés au « contrat protection », c’est-à-dire pour l’essentiel au financement de la non-déflation des effectifs de votre ministère, déjà évoquée. Vous nous avez dit que 1,3 milliard sera mis à votre disposition pour 2016-2017. Ces sommes serviront-elles uniquement à couvrir le coût lié à la non-déflation des personnels ? On s’interroge alors sur la ventilation du milliard et demi résiduel du contrat de protection en 2018 et 2019.

Il reste par ailleurs 1 milliard, sur les 3,8 milliards, réparti à raison de 500 millions dédiés à l’entretien programmé des matériels et 500 millions affectés à l’acquisition de matériels nouveaux. Mais on nous laisse entendre que ce milliard d’euros ne se concrétiserait qu’en 2018 et 2019 soit, une fois encore, après 2017 ! Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, et vogue la galère !

Quel crédit faut-il porter dans de telles conditions au projet d’acquisition de sept hélicoptères Tigre et six hélicoptères NH90 ainsi que d’une panoplie d’autres équipements dont vous faites état, monsieur le ministre, sans autre précision sur les dates de commande et de livraison de ces matériels dont le besoin est criant ?

Et notre circonspection ne peut qu’être encouragée, hélas, par l’apparition dans votre édifice budgétaire d’un objet non formellement identifié, ayant la forme d’un milliard d’euros, constitué par des économies sur les coûts des facteurs, c’est-à-dire les indices économiques des produits, matières premières, services dont nos armées font un usage quotidien. On ne sait d’ailleurs rien de précis sur le sujet, ni sur la façon dont seront faits les calculs, ni par qui, ni comment se feront les répartitions entre programmes…

Or ce milliard virtuel est lui aussi censé servir à l’acquisition des matériels évoquée il y a un instant. Et je veux faire observer qu’aucune clause de sauvegarde, aucune, n’est prévue au cas où le milliard virtuel se transformerait, tout ou partie, en mirage, hypothèse hélas fort crédible. Les ressources exceptionnelles sont mortes, ou presque, vive les gains « coût des facteurs »… On va de Charybde en Scylla !

Une observation encore. Pourquoi, si des gains sur les coûts des facteurs présentaient un caractère plausible, ne pas avoir utilisé ce moyen pour réduire les reports de charges de plus de 3 milliards qui pèsent sur les trésoreries des entreprises fournisseurs de la défense et sur votre propre budget, monsieur le ministre ?

Sincèrement, monsieur le ministre, est-on jamais allé aussi loin en matière budgétaire dans l’improvisation, dans la fiction ? Qu’adviendra-t-il si les coûts des facteurs n’évoluent pas dans le sens attendu ? Pire encore, qu’adviendra-t-il si on découvre que ces gains miraculeux n’existent pas ?

M. Gilbert Le Bris. C’est outrancier !

M. Yves Fromion. Eh bien, faute de clause de sauvegarde, on serrera encore davantage l’étau des contraintes qui étouffent déjà nos forces armées, pour tenter d’extraire le milliard escompté de cette communauté humaine déjà sollicitée plus que toute autre dans la nation. On arrivera à ce paradoxe de faire payer aux militaires leur outil de travail, l’outil de la sécurité des Français. Comment voudriez-vous, monsieur le ministre, que des parlementaires responsables cautionnent une telle démarche ?

Mme Edith Gueugneau. Caricature !

M. Yves Fromion. Outre la rallonge de 3,8 milliards d’euros, vous prévoyez de remplacer, dans la LPM actualisée, les ressources exceptionnelles par des ressources budgétaires. C’est une décision positive, qu’il faut saluer. (« Enfin ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Luc Laurent. Enfin, vous sortez de la démagogie !

M. Yves Fromion. Elle répond à l’engagement du Gouvernement de pallier l’éventuelle défaillance des REX par du crédit budgétaire dans la LPM que vous avez votée. Cela répond à la demande que nous avions formulée, en pure perte, en 2013. Au passage, je crois utile de souligner que les REX sont passées de 6,1 à 8,4 milliards d’euros en 2014, dans le cadre du budget triennal ; cette réalité n’est pas clairement évoquée. Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des informations précises sur cette question car, là encore, dans votre LPM Canossa, vous ne faites que revenir partiellement sur les décisions néfastes qui ont été prises depuis 2013.

Au demeurant, on constate dans votre projet budgétaire la persistance de REX, à hauteur de 930 millions d’euros, qui devraient provenir de cessions immobilières ou de ventes de matériels. On ne peut que déplorer une décision qui nous replonge encore dans l’insécurité budgétaire.

Vous abandonnez l’idée des sociétés de projet, dont l’exotisme faisait irrésistiblement penser aux pratiques des républiques bananières. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Yves Fromion. Formulons simplement le souhait que les ressources budgétaires soient au rendez-vous, afin que les financements des programmes auxquels elles sont destinées ne contribuent in fine à grossir le report de charges, la fameuse « bosse », lourde déjà de 3,5 milliards.

D’autres interrogations, d’autres inquiétudes naissent du volet financier de votre projet de loi d’actualisation. Ainsi, monsieur le ministre, comment financerez-vous la non-déflation de 7 500 équivalents temps plein, qui était prévue en 2015 ? Par un décret d’avance, m’a-t-on répondu en commission. On connaît cette formule magique.

Mme Patricia Adam, rapporteure. Dont vous avez usé à plusieurs reprises !

M. Yves Fromion. Voilà encore de l’instabilité budgétaire ! De la même façon, nous nous interrogeons sur le financement en 2015 des OPEX, dont le coût ne fait que croître au fil des décisions prises par le Président de la République.

Par ailleurs, nous ne possédons aucun élément sur le financement de la mission de sécurité intérieure Sentinelle, supporté par la défense. Nous savons qu’elle induit des surcoûts importants en charges de personnels, de l’ordre d’un million d’euros par jour – ce qui est d’ailleurs normal. OPEX, OPINT : voilà des centres de coût qui ne peuvent qu’impacter votre dispositif budgétaire en amplifiant son instabilité, ainsi que le confirme la Cour des comptes. Il en va de même de l’initiative du service militaire volontaire, dont on ne peut manquer de relever, hors de tout jugement de valeur sur le projet et son opportunité, que son coût pour la défense n’est pas connu.

Avant de clore mon propos sur le volet budgétaire de votre projet de LPM actualisée, je veux brièvement évoquer les succès à l’exportation de l’avion Rafale.

M. Pierre Lellouche. Enfin !

M. Gilbert Le Bris. Sarkozy l’a rêvé, Hollande l’a fait !

M. Yves Fromion. C’est d’abord le mérite des industriels concernés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Mais si ! Si des industriels n’avaient pas construit les avions, à qui reviendrait le mérite de les vendre ? La multitude de leurs sous-traitants se trouve aussi récompensée. Nous devons mêler nos félicitations et nos remerciements à ceux qui leur ont été déjà exprimés.

On sait, monsieur le ministre, que vous vous êtes beaucoup impliqué et l’on doit saluer votre action. Il faut dire qu’outre cette belle percée industrielle, la vente de nos Rafale sauve d’une mort certaine la programmation militaire : on n’imagine guère que nos ressources budgétaires auraient permis de maintenir en activité la chaîne de production des avions !

Il faut saluer enfin la part qu’y ont prise les personnels de l’armée de l’air – mais peut-être cela vous gêne-t-il aussi ? Ce sont eux qui, au prix d’une implication extraordinaire, ont su mettre en valeur le système d’armes Rafale. C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, il serait difficilement compréhensible que l’armée de l’air ait à supporter les conséquences notablement fâcheuses des marchés d’exportation qu’elle a largement contribué à gagner.

Vous l’aurez sans doute compris, monsieur le ministre, nous pensons que le volet budgétaire de votre projet de loi d’actualisation de la LPM, en dépit des éléments positifs qu’il contient, n’est pas à la mesure des besoins et des attentes de nos forces armées.

Beaucoup trop d’équipements sont dans un état de vétusté, et même de déclassement opérationnel, qui impose leur renouvellement accéléré. Le maintien en condition des matériels, pour lequel vous avez fait un effort, monsieur le ministre, l’entraînement des personnels, la vie courante dans les unités sont soumis à des contraintes financières qui ne sont supportées par aucune autre des institutions de l’État.

La précarité et l’instabilité des ressources financières, ajoutées à l’usage immodéré que vous persistez à faire de financements virtuels, voire spéculatifs, confèrent à votre budget un caractère irréaliste, et ce depuis 2013.

Pour faire court, monsieur le ministre vous vous inspirez du sapeur Camember, figure sympathique de notre panthéon militaire : lui s’échinait à déplacer les trous, l’un rebouchant l’autre, et vous, avec la même constance, vous appliquez à déplacer les virtualités budgétaires, lesquelles d’ailleurs ressemblent fort à des trous en devenir.

Monsieur le ministre, j’ai centré mon propos sur les deux piliers sur lesquels se construisent toutes les lois de programmation militaire : les ressources humaines et la ressource financière.

En matière d’effectifs, vous corrigez à l’économie la très mauvaise évaluation que vous aviez faite en 2013 des besoins capacitaires de nos forces armées, singulièrement de l’armée de terre. Nous vous avions mis en garde, hélas en pure perte. Sur le plan budgétaire, vous vous révélez impuissant à donner une réelle crédibilité à vos engagements financiers. Mais pire encore, vous présentez un budget notoirement insuffisant au regard des besoins qui s’expriment au quotidien dans nos armées, notamment sur les théâtres d’opération où vous avez pris la responsabilité de les engager.

A l’examen de ce projet d’actualisation, de cette LPM Canossa, on a l’impression que vous n’avez qu’une obsession, monsieur le ministre : tenir jusqu’en 2017, en nourrissant la fiction que vous honorez vos engagements. Plus personne, surtout au sein de nos armées, ne croit à cela.

Si vous aviez confiné nos forces armées dans leurs cantonnements, dans leurs ports ou sur leur base, avec une activité minimale, peut-être auriez-vous pu organiser leur survie dans le cadre de votre LPM. Mais ce n’est pas le cas. Vous usez nos forces armées et le résultat sera dévastateur pour notre défense. C’est le Président de la République qui a décidé de leur emploi ; c’est donc à lui seul qu’incombe la responsabilité de donner aux armées, dont il est le chef, les moyens dont elles ont besoin.

L’engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme djihadiste, en position très avancée, a pour conséquence d’exposer notre pays à un ensemble de risques grandissants. Nous sommes donc appelés à un effort considérable de mise au meilleur niveau de nos forces de sécurité, notamment pour ce qui concerne nos armées. Cet effort ne transparaît pas à la lecture de votre projet de loi.

Nous vous avions mis en garde en décembre 2013, nous n’avons pas été écoutés. Les événements de janvier ont montré que vous aviez eu tort de ne pas le faire. Nous alertons de nouveau. L’actualisation de votre LMP devait être l’occasion de corriger les insuffisances criantes du projet voté en 2013. Dire que ce n’est pas le cas est une litote.

La République doit assurer aux citoyens la sécurité. Elle doit apporter à ses soldats les meilleurs moyens qui soient pour remplir leur mission. Elle doit aussi leur témoigner sa considération et sa reconnaissance. Votre projet ne correspond à aucune de ces exigences. Les Républicains ne vous accordent par leur confiance et vous demandent de retirer votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à onze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ma réponse au discours de M. Fromion contre l’actualisation de la loi de programmation militaire sera brève, car que je reviendrai à la fin de la discussion sur une partie des sujets qu’il a abordés.

M. Yves Fromion. De toute façon, on connaît la réponse.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je suis surpris par cette référence répétée à Canossa. Comme M. Fromion, dont je connais la culture historique et littéraire, n’ignore pas que c’est là que l’empereur germanique vint s’agenouiller devant le pape Grégoire VII. Je ne vois pas vraiment le lien. Mais peut-être pourra-t-il m’éclairer ultérieurement sur le sujet.

Je comprends cependant, monsieur Fromion, que votre tâche est difficile.

M. Yves Fromion. La vôtre l’est aussi !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Critiquer une actualisation qui garantit les budgets, les sanctuarise, qui permet que l’on respecte intégralement, pour la première fois depuis des années, une loi de programmation militaire…

M. Yves Fromion. Oh !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. …et qui renforce même les moyens les moyens budgétaires, ce qui, pour le coup, ne s’était jamais vu…

M. Yves Fromion. Vous ne faites qu’annuler la déflation des effectifs ! Ce n’est pas respecter la loi !

M. le président. La parole est à M. le ministre et à lui seul !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je ne vous ai pas interrompu lors de votre intervention, monsieur Fromion. Mais je me mets volontiers à votre place, et je conçois que la critique soit ardue et les arguments pour voter contre difficiles à trouver. C’est laborieux, vous l’avez montré, et je partage vos angoisses.

M. Eduardo Rihan Cypel. Eh oui ! M. Fromion est de mauvaise foi !

M. Yves Fromion. Ce n’est pas à la hauteur, monsieur le ministre !

M. Philippe Meunier. Oui, c’est vraiment léger !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Vous vous référez à vos propres interventions lors de la discussion de la loi de programmation initiale en décembre 2013. Or je me souviens très bien de nos échanges de l’époque. Vous vous êtes cité vous-même ? je vous ai moi aussi relu avant de venir ! Parmi les critiques adressées au projet de loi de programmation que je présentais au nom du Gouvernement, vous souteniez par exemple que je n’engagerais jamais le programme Scorpion. Je l’ai fait en décembre 2014.

M. Gilbert Le Bris. C’est vrai !

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Ça, c’est à la hauteur !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je sais que vous êtes attaché à ce programme. Il est engagé et permettra à notre armée de terre de disposer des équipements qui lui sont nécessaires et que nous avions annoncés.

Vous étiez également très préoccupé de la flotte d’hélicoptères, et vous l’êtes encore aujourd’hui.

M. Yves Fromion. Oui !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Eh bien, non seulement nous sommes au rendez-vous pour ce qui est des capacités fixées par la loi de programmation, mais nous les renforçons. Les commandes d’hélicoptères Tigre et NH90 que j’ai évoquées dans mon propos liminaire seront passées cette année.

Dans une apostrophe dont je me souviens fort bien, vous me mettiez au défi au sujet des avions ravitailleurs et de transport MRTT et m’enjoigniez d’être au rendez-vous. Il y avait même eu des amendements à ce sujet. Je vous avais répondu que nous y reviendrions au moment de l’actualisation. Nous y sommes, et j’ai engagé la commande de tous les appareils.

En vous écoutant tout à l’heure, j’ai parfois eu le sentiment que vous avez, comme dit la chanson, la mémoire qui flanche. Il est vrai, encore une fois, que votre tâche était difficile !

Vous disiez, à l’époque, que je n’obtiendrais jamais les résultats escomptés en matière d’exportations,…

M. Yves Fromion. Je n’ai jamais dit cela !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. …accusant le projet de loi de programmation d’être insincère car les ventes de Rafale ne seraient pas au rendez-vous.

M. Yves Fromion. Vous avez de l’imagination !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Eh bien, elles le sont !

Vous oubliez aussi – toujours cette mémoire qui flanche ! – les 40 000 suppressions de postes que j’ai trouvées en arrivant et que vous aviez effectuées dans le cadre de la précédente loi de programmation militaire...

M. Philippe Meunier. Vous les avez validées !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ce sont ces postes qui nous ont manqué… (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Nous ne le contestons nullement ! Nous l’avons assumé !

M. le président. Seul le ministre a la parole !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Fromion ! Gardez votre calme, même si je sais que c’est dur pour vous !

M. Jean-David Ciot. M. Fromion nous fait un burn-out !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Vous oubliez, enfin, que le report de charges était de 1,5 milliard d’euros au début de la précédente loi de programmation militaire, et que lorsque j’ai pris mes fonctions, il était passé à 3 milliards. Vous l’avez donc doublé.

M. Yves Fromion. Ce n’est pas mieux aujourd’hui !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Au moins n’a-t-il pas augmenté !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je sais bien, monsieur Fromion. Mais j’ai rempli mes engagements ; pas vous !

Pour toutes ces raisons, j’ai trouvé vos propos excessifs, même en faisant la part de ce qu’ils comportaient d’emphase. Le point de vue de fond que défend le groupe Les Républicains dans ce débat, c’est qu’il ne faut pas délibérer, donc qu’il ne faut pas réactualiser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yves Fromion. Il faut réactualiser, mais intelligemment !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Par cette motion, vous demandez le report du texte. Eh bien moi je dis : oui, il faut actualiser car la sécurité de la France l’exige ! Si nous avons déclaré l’urgence, c’est pour cette sécurité. Je demande donc à l’Assemblée de repousser la motion de rejet préalable du député Fromion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. Yves Fromion. Ce n’est pas digne de vous, monsieur le ministre. J’ai pourtant dit que vous étiez le meilleur ministre de ce gouvernement ! (Exclamations sur de nombreux bancs.)

M. Gilbert Le Bris. Il faut que M. Fromion se calme !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.

La parole est à M. Charles de La Verpillière, pour le groupe Les Républicains.

M. Charles de La Verpillière. J’ai écouté avec attention votre discours de présentation, monsieur le ministre, et j’y ai décelé une gêne certaine en ce qui concerne le volet budgétaire. La hargne avec laquelle vous avez répondu à l’allocution d’Yves Fromion est venue conforter cette impression. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste ; applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Eduardo Rihan Cypel. La vérité, ce n’est pas la hargne !

M. Charles de La Verpillière. Oui, une gêne certaine… D’une part, vous insistez sur le caractère limité de cette actualisation. Je vous cite : « L’équilibre de la loi de programmation militaire initiale n’est pas remis en cause, et il n’est procédé qu’à des ajustements. » D’autre part, vous soulignez la gravité des nouvelles menaces et l’« urgence » d’y faire face par des mesures qui représenteraient, selon vous, un « tournant majeur ».

Tournant majeur, ou simple ajustement ? D’où vient cette contradiction ? Tout simplement du fait que la loi de programmation militaire initiale était dramatiquement insuffisante. Nous vous l’avions dit, notamment par la voix de François Fillon, et nous avions voté contre.

M. François de Rugy. Qu’avait-il fait auparavant, François Fillon ?

M. Charles de La Verpillière. Vous avez pris conscience, avec retard, de ces insuffisances. Mais la réponse que vous apportez n’est pas à la hauteur de la gravité de la situation. Vous appliquez à nouveau la maxime énoncée par votre maître François Mitterrand : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. »

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Charles de La Verpillière. Dès lors, vous multipliez les artifices. Yves Fromion, avec beaucoup de talent, les a débusqués : premièrement, un effort financier reporté pour l’essentiel après 2017 ;…

M. Jacques Myard. Comme par hasard !

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Charles de La Verpillière. …deuxièmement, la fragilisation du budget de 2015, avec un meccano à base de décrets d’avance ; troisièmement, une diminution de la déflation des effectifs qui évoque fâcheusement les discours du Président de la République sur la « baisse de la hausse » du chômage ;…

M. le président. Merci, monsieur de La Verpillière.

M. Charles de La Verpillière. …enfin, des dépenses nouvelles gagées sur d’hypothétiques économies.

Monsieur le ministre, nous ne cautionnerons pas ces procédés. Ce qui est en cause, c’est la sécurité de notre pays,…

M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis. Justement !

M. Charles de La Verpillière. …c’est l’efficacité de nos armées,…

M. le président. Je rappelle que le temps de parole dans les explications de vote est de deux minutes pour chaque groupe !

M. Charles de La Verpillière. …c’est le moral de nos soldats. Pour toutes ces raisons, nous appelons l’Assemblée à voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Vous vous passionnez tous pour ce débat et c’est bien normal, mes chers collègues. Je me permets néanmoins de rappeler que le règlement encadre les temps de parole.

La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, les questions de défense, si essentielles, si centrales dans les missions régaliennes de l’État, méritent du temps et de la mesure. L’ensemble des membres de la communauté militaire nous regardent. Les envolées et les caricatures auxquelles on peut se livrer ici ou là, de part et d’autre de l’hémicycle, ne sont certainement pas à la hauteur des aspirations de celles et ceux qui, en ce moment même, aux quatre coins du monde, dans le cadre des opérations extérieures ou sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle, oeuvrent au succès des armes de la France, à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité de nos concitoyens. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Patricia Adam, rapporteure. Comme vous avez raison !

M. Yves Fromion. C’est à vous que ce discours s’adresse, mes chers collègues socialistes !

M. Philippe Folliot. Mon groupe avait formulé des critiques et émis des réserves sur le projet de loi de programmation militaire de 2013. Pour autant, devant cette motion de rejet préalable proposée par notre collègue du groupe Les Républicains, je me dis que l’on a parfois la tentation, quand on est dans l’opposition, de forcer le trait s’agissant de certains sujets. Peut-être M. Fromion y a-t-il succombé dans certaines de ses explications.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur Fromion !

M. Philippe Folliot. Est-il urgent ou non de procéder à l’actualisation de la loi de programmation militaire ? Au regard de la situation, des enjeux, de ce qui s’est passé depuis le mois de janvier, la réponse est clairement oui.

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Philippe Folliot. En toute logique, donc, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Nicolas Bays. Ils n’instrumentalisent pas, eux !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Je souhaite moi aussi que l’on passe au débat sur le texte lui-même. Il est dommage que le fin connaisseur de l’armée française que vous êtes, monsieur Fromion, se soit laissé aller, dans sa critique, à des excès de langage que l’on trouverait plus facilement dans la bouche de certains de ses collègues – M. Meunier ou M. Dhuicq, par exemple. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Pas d’attaques personnelles !

M. François de Rugy. Je ne fais que saluer leur talent de polémistes, monsieur Myard !

Sur le fond, et c’est plus gênant, monsieur Fromion, vous avez tout de même un énorme trou de mémoire. À vous entendre, on pourrait croire que l’armée française était riche et opulente jusqu’en 2012, qu’elle disposait de lignes de crédit sans limites, qu’elle pouvait obtenir tous les équipements possibles et imaginables, que leur remplacement ne présentait aucune difficulté…

M. Yves Fromion et M. François Cornut-Gentille. Caricature !

M. François de Rugy. Vous avez concédé du bout des lèvres un gros problème de maintien en condition opérationnelle des équipements. Pour ne pas dire les choses franchement, on emploie plus volontiers le sigle MCO. En bon français, pourtant, ne pas pouvoir assurer le maintien en condition opérationnelle signifie que les équipements, même s’ils sont inclus dans le patrimoine de l’armée, ne sont pas opérationnels. Ce n’est pas rien ! Or, je le répète, vous l’avez reconnu du bout des lèvres,…

M. Yves Fromion. Pas du tout ! J’ai dit qu’il y avait eu un effort de fait !

M. François de Rugy. …comme si, en 2012, l’armée française était devenue d’un seul coup pauvre et rabougrie. Vous savez très bien que tel n’est pas le cas : nous sommes là dans l’outrance du débat !

M. Pierre Lellouche. M. de Rugy est devenu militariste !

M. Philippe Meunier. Dans son groupe, il représente la ligne droitière !

M. François de Rugy. Depuis un an et demi que la loi de programmation militaire a été adoptée, vous réclamez à cor et à cri une actualisation sur deux points : les effectifs et le budget. C’est bien ce que propose le ministre : une pause dans la baisse des effectifs et un coup de pouce budgétaire. On peut bien sûr en discuter. Il vous est loisible de trouver cela insuffisant – auquel cas il faudra nous dire où vous prenez l’argent pour en donner davantage à l’armée. Mais votre exposé n’engage pas ce débat. C’est une raison de plus pour que nous votions contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Maggi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Pierre Maggi. On apprend à tout âge : tout comme M. de Rugy, je viens d’apprendre que l’armée a vécu dans l’opulence jusqu’en 2012 et que, depuis 2012, elle vit dans la misère !

M. Yves Fromion. Vous n’avez pas bien écouté ce que j’ai dit !

M. Jean-Pierre Maggi. J’ai peut-être la vue qui baisse, mais je ne suis pas sourd et je vous ai bien entendu !

M. Yves Fromion. Pas bien !

M. Jean-Pierre Maggi. Si certains ont une mémoire sélective, pour ma part, je n’ai pas la mémoire courte ! Chacun est dans sa posture.

M. Yves Fromion. Non !

M. Jean-Pierre Maggi. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste ne votera donc pas cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. L’examen de l’actualisation de la loi de programmation militaire est l’occasion d’analyser, en dépit d’un manque de temps, la stratégie du ministère de la défense. Je constate que la droite, à l’exception de quelques amendements, ne profite pas de ce débat pour proposer des changements politiques de fond, se contentant de déposer une motion de rejet.

Or nous pouvons observer une continuité avec la treizième législature : je tiens à rappeler qu’entre 2008 et 2013, la précédente loi de programmation militaire a permis de supprimer 54 000 postes. Dès 2007, la France a peu à peu aligné l’ensemble de ses positions stratégiques sur les États-Unis, en réintégrant le commandement militaire de l’OTAN et en participant à des opérations extérieures – dites OPEX – qui ont été des fiascos. Je pense évidemment à la Libye, qui a contribué à constituer un foyer terroriste,…

M. Yves Fromion. C’est l’OTAN, ce n’est pas la France !

M. Jean-Jacques Candelier. …et à déséquilibrer la région. Cette posture de pompier pyromane dans un grand nombre d’OPEX ne peut plus durer !

Par ailleurs, les députés communistes et Front de gauche regrettent que le débat se déroule dans de telles conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il y a urgence à réfléchir en profondeur à des sujets de grande portée politique, comme notre implication dans la coalition guerrière de l’OTAN, l’utilisation de nos forces dans l’opération Sentinelle,…

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Jean-Jacques Candelier. …la privatisation rampante de notre défense, le contrôle public des industries de défense ou encore la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple ».

Je voterai donc pour cette motion de rejet mais, vous l’aurez compris, pour des raisons politiques radicalement opposées à celles de nos collègues de droite !

M. le président. La parole est à M. Christophe Léonard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christophe Léonard. J’ai bien écouté M. Fromion s’exprimer dans un discours « façon Shadocks ».

M. Patrick Hetzel. C’est un expert qui parle !

M. Christophe Léonard. M. Fromion n’a pas hésité à prononcer le mot de trop, l’outrance de trop : les faits sont têtus, et si quelqu’un dans cet hémicycle est allé à Canossa sur les questions militaires, c’est bien vous, monsieur Fromion ! Comme vous le savez parfaitement, en votre qualité de rapporteur de la loi de programmation militaire 2008-2014, cette LPM, qui a saigné nos armées de 54 000 postes, a été clouée au pilori budgétaire par la Cour des comptes s’agissant notamment de la masse salariale, qui a augmenté de 1 milliard d’euros et des recettes exceptionnelles, qui ont fait défaut pour 1 milliard d’euros.

M. Yves Fromion. C’était le résultat de la déflation !

M. Christophe Léonard. Elle a entraîné un déclassement de nos armées, comme nous avons pu le constater lorsque nous sommes intervenus en Libye et au Mali,…

M. Yves Fromion. Vous n’avez pas lu la loi !

M. Christophe Léonard. …et un report de charges de 3 milliards d’euros, le tout dans un contexte, monsieur Fromion, où la dette publique de la France s’est accrue entre 2002 et 2012, passant de 60 % à 90 % de notre produit intérieur brut et de 930 milliards à 1 860 milliards d’euros !

M. Philippe Meunier. Ça ne s’est pas arrangé depuis !

M. Christophe Léonard. J’entends votre volonté polémique et votre consciente amnésie, mais je vous prends au mot : les Français – nos compatriotes, nos soldats – ne comprendraient pas que vous ne votiez pas une loi de programmation militaire qui donne des moyens supplémentaires à nos armées – et pas qu’un peu : 3,8 milliards d’euros ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Allez donc voir les soldats dans leurs unités !

M. le président. La parole est à M. Léonard, et à lui seul !

M. Christophe Léonard. J’observe qu’en commission, vous n’avez défendu aucun amendement – commission que vous avez d’ailleurs désertée !

M. Jacques Myard. Oh !

M. Christophe Léonard. Plutôt que de tomber dans le ridicule, je vous propose de retirer cette motion de rejet. Un seul argument pourrait être entendu – d’ailleurs avancé par une fine lame, Jean-François Lamour –, sur le milliard d’euros d’économies dû au coût des facteurs ; mais après avoir auditionné hier en commission de la défense le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et entendu le rapporteur pour avis de la commission des finances tout à l’heure, on comprend qu’il s’agit de tout sauf d’une fiction budgétaire !

M. Yves Fromion. Où avez-vous entendu cela ?

M. Christophe Léonard. En conclusion, le groupe socialiste, républicain et citoyen votera contre cette motion de rejet, si toutefois M. Fromion ne la retire pas, dans une forme de retour à la raison qui l’honorerait dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Philippe Vitel.

M. Philippe Vitel. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense et des forces armées, mes chers collègues, c’est un grand honneur pour moi de défendre ce matin cette motion de renvoi en commission du projet de loi d’actualisation de la loi de programmation militaire.

Loin de toute intention polémique, c’est mon attachement majeur à notre défense et à la démocratie parlementaire qui m’amène à vous livrer le ressenti qui est le mien au plus profond de mon cœur et de mon âme.

Siégeant dans cette commission de la défense et des forces armées depuis maintenant treize ans, j’y ai exercé de belles responsabilités. J’ai pu y réaliser de très nombreux rapports et travaux dans de bonnes conditions même si, aujourd’hui, le manque de moyens financiers et humains qui lui sont accordés est parfois un frein aux activités que nous devrions mener.

M. Yves Fromion. Malheureusement !

M. Philippe Vitel. Permettez-moi de rendre hommage à nos administrateurs qui nous accompagnent dans notre labeur avec gentillesse, compétence et disponibilité.

M. Pierre Lellouche. Bravo !

M. Philippe Vitel. Comme tous mes collègues, quelle que soit notre origine politique, j’essaye d’y accomplir le mieux possible mon travail de parlementaire et de justifier la confiance que m’ont apportée les électeurs de ma circonscription qui ont, vous le savez bien, une importante appétence pour les sujets qui intéressent la défense.

J’y ai connu de grandes joies, et elle m’a permis d’y côtoyer, d’y rencontrer et d’y auditionner d’importantes personnalités et de grands professionnels, aussi passionnés que nous le sommes tous des questions de défense et de sécurité.

Nous avons su nous battre ensemble, unis, solidaires et déterminés, au-delà de nos appartenances politiques, pour garder à la commission sa si importante autonomie et ne pas la fusionner avec la commission des affaires étrangères, comme cela est le cas au Sénat.

Aujourd’hui, nous souhaitons, madame la présidente, qu’elle redonne à chacun des commissaires qui y siègent sa fierté d’en être membre et le bonheur d’y travailler, en ayant bien sûr les moyens d’y exercer l’une des plus belles fonctions de la représentation nationale : je veux parler du contrôle. En ce sens, chaque commissaire, qu’il soit de la majorité ou de l’opposition, doit avoir à sa disposition tous les éléments lui permettant l’analyse la plus fine de la situation et cela, en temps réel.

Aussi ne pouvons-nous accepter, madame la présidente de la commission, monsieur le ministre, de travailler à la va-vite sur un texte de loi qui engage pour plus de 162 milliards d’euros les généreux contribuables de notre pays. Le sujet de notre défense et des moyens que nous donnons à nos militaires, dont je rappelle qu’ils sont en guerre, est bien trop sérieux pour que nous nous contentions d’une analyse superficielle conduisant à une vision parcellaire d’une situation que tout un chacun sait très difficile.

En effet, nous avons découvert dans nos boîtes aux lettres le texte qui nous rassemble aujourd’hui le mercredi après-midi, quelques minutes seulement avant sa présentation par le ministre en commission. La date limite de dépôt des amendements a été fixée, comme une provocation, au lundi de Pentecôte à 17 heures ! Il n’a échappé à personne que nos collaborateurs étaient pour ce long week-end en repos bien mérité depuis le vendredi soir. Il n’a échappé à personne que cette date de dépôt d’amendements était contemporaine d’auditions de la plus haute importance, comme celles des chefs d’état-major des trois armées qui – c’est un comble ! –, n’auraient jamais eu lieu si elles n’avaient été expressément demandées par l’opposition !

M. Yves Fromion. Exactement !

M. Philippe Nauche. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Vitel. Il n’a enfin échappé à personne que d’autres auditions, tout aussi importantes, ont étés fixées après le passage du texte en commission ! Non, vraiment, cela n’est pas sérieux et absolument pas respectueux de la fonction parlementaire !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Très bien !

M. Philippe Vitel. Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, nous refusons catégoriquement d’être les complices d’un scénario à l’eau de rose et avons bien l’intention de dénoncer les tours de passe-passe utilisés pour tenter d’afficher un semblant d’image de sérieux budgétaire.

M. Jean-Luc Laurent. Faites preuve d’un peu de sens de l’intérêt général, que diable ! Soyez « Républicains » : pensez à l’intérêt de la France !

M. Philippe Vitel. Même le premier président de la Cour des comptes ne s’y trompe pas, qui évoque par exemple, dans son rapport sur le budget de l’État en 2014, les 2 milliards d’euros des plans d’investissement d’avenir, « largement utilisés pour combler des insuffisances de crédits budgétaires en faveur du ministère de la défense ». De plus, il épingle le mode de financement des surcoûts des OPEX – c’était hier dans tous les journaux nationaux.

Les plus anciens de la commission se souviennent du travail de fond que nous avons réalisé en 2002 pour évaluer la situation que vous nous laissiez après cinq années de gestion de gauche : en cinq ans, la LPM avait perdu une année entière de crédits d’équipement, 12 milliards d’euros, et laissait nos armées sans aucune capacité de mise en condition opérationnelle, puisque la moitié des hélicoptères ne pouvaient plus voler et que la moitié des tanks ne pouvaient plus rouler !

M. Yves Fromion. Ils ont des trous de mémoire !

M. Philippe Vitel. La professionnalisation n’était pas démarrée ; notre industrie, GIAT et DCN en particulier, était à l’agonie ; aucun des grands programmes nécessaires à l’armée du futur n’avait été lancé. Il a fallu une législature pour remettre notre armée à niveau, lancer la recherche et le développement des matériels d’avenir et redonner pérennité économique et capacité d’innovation à notre industrie de défense.

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Philippe Vitel. Il a fallu ensuite une autre législature pour la réorganiser, l’optimiser, la restructurer et lui donner place dans le concert des grandes nations de ce monde, car il n’y a pas de grands pays sans grande armée.

M. Gilbert Le Bris. Vous enjolivez !

M. Philippe Vitel. Quel beau symbole de la revitalisation de notre outil de défense que cette magnifique réalisation qu’est Balard, démonstration de la réussite de « l’interarmisation », que nous avons construite et soutenue et que vous serez fier, monsieur le ministre, d’inaugurer dans quelques semaines.

M. Gilbert Le Bris. Parlez-nous du logiciel Louvois !

M. Philippe Vitel. D’un point de vue budgétaire, on peut constater que durant ces dix années, les deux LPM ont été quasiment respectées, le delta se limitant à environ 4 milliards d’euros imputables à la crise sans équivalent que nous avons traversée à partir de 2008, et qui n’a pas permis d’instituer à partir de 2010 le bonus de 3 % annuel que la LPM promettait.

Permettez-moi au passage de rappeler que cette crise, que vous avez la fâcheuse tendance de sous-estimer, avait entraîné d’un seul coup une diminution des budgets de défense de 9 % en Allemagne et de 7,5 % en Grande-Bretagne, que le total des budgets européens avait, lui, chuté de 195 milliards d’euros en 2011 et de 180 milliards en 2012, ce qui représentait brutalement une diminution de 9,2 %.

M. Olivier Audibert Troin. Belle démonstration !

M. Philippe Vitel. Durant toutes ces années, nous n’avons eu de cesse, à la commission, à l’initiative du président Teissier, de donner à tous la capacité de connaître en temps réel, avec précision, le niveau d’engagement des sommes votées en loi de finance initiale. Ainsi était née cette merveilleuse et innovante mission d’évaluation et de contrôle – MEC –, première du genre mise en place à l’Assemblée nationale, outil rendu encore plus pertinent du fait de l’avènement de la LOLF. Elle a permis à tous, majorité comme opposition, de s’immerger totalement dans la gestion budgétaire fine de nos armées et de s’initier à la nouvelle vision des comptes publics à laquelle ce nouveau mode de présentation des budgets nous conduisait. Quel dommage, madame la présidente, que vous ne vouliez plus en entendre parler aujourd’hui !

M. Yves Fromion. En effet !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Le Bureau en a décidé ainsi, monsieur Vitel, et vous n’êtes pas membre du Bureau !

M. Philippe Vitel. Vous évoquez, pour justifier votre position, les moyens de contrôle sur pièces et sur place qu’autorise l’article 7 de cette LPM. Cette disposition a démontré qu’elle ne peut nous donner qu’une vision très partielle de la situation en temps réel d’un sujet donné, contrairement à notre ancienne MEC qui permettait une vision à la fois globale et précise. Elle pourrait présenter un intérêt si elle était plus fréquemment utilisée, mais cela n’a pas été le cas. En effet, vous ne l’avez mise en œuvre qu’à deux reprises : le 17 juin 2014, sur les recettes exceptionnelles et les moyens de pallier leur retard et sur la question des reports de charge, ainsi que le 8 avril 2015 sur les sociétés de projets, lesquelles ont depuis disparu des intentions gouvernementales.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Vous avez assez crié contre !

M. Philippe Vitel. Cela est bien insuffisant pour considérer que cette mesure peut contribuer utilement au bon travail des parlementaires.

Après avoir supprimé notre MEC, vous aviez toutefois accepté que nous réalisions chaque année un rapport sur l’exécution budgétaire. Je m’y suis personnellement investi, en binôme avec François André puis avec Geneviève Gosselin-Fleury : nous avons produit un rapport sur l’exécution budgétaire 2011 et 2012, puis un second sur celle de 2013. Contrairement à la MEC, la réalisation de ce rapport ne nous permettait qu’un contrôle a posteriori, mais avait quand même le mérite d’exister, d’autant que, chaque année, nous ciblions quelques domaines nécessitant un suivi très attentif, tels les OPEX, la dissuasion, les bases de défense ou la cybersécurité.

Madame la présidente, pourquoi l’avez-vous purement et simplement supprimée, ce qui a pour conséquence directe de nous priver d’une image précise de la situation au 31 décembre 2014 ? Cela nous serait très utile aujourd’hui !

Nous vous avons adressé plusieurs courriers, madame la présidente, pour vous proposer de revoir le fonctionnement de la commission quant au contrôle exercé par les parlementaires. Nous restons à votre entière disposition pour échanger sur nos propositions et sommes ouverts à celles que vous voudriez bien nous soumettre.

M. Yves Fromion. On peut attendre longtemps !

M. Philippe Vitel. La LPM demande par ailleurs au Gouvernement d’informer le Parlement, par l’intermédiaire du ministre de la défense, de l’état de l’exécution budgétaire. L’article 8 précise que, chaque semestre, le ministre de la défense présente aux commissions compétentes de l’Assemblée et du Sénat un bilan détaillé de l’exécution de la loi de finances et de la loi de programmation militaire.

Vous avez effectivement, monsieur le ministre, présenté le 25 juin 2014 un état des lieux de l’exécution des crédits de défense, mais je ne retrouve pas dans nos archives un autre exemple d’application de cet article.

Vous êtes revenu le 1er octobre présenter le projet de loi de finances pour 2015, mais je ne note pas dans nos archives l’organisation d’un débat préalable au débat d’orientation budgétaire faisant suite à la présentation d’un rapport sur l’exécution de la loi de programmation militaire, comme l’exige l’article 10 de la LPM.

Il aurait été bien utile, monsieur le ministre, qu’en amont de la présentation de cette actualisation, vous nous présentiez le bilan complet et sincère de l’exercice 2014 et l’état d’engagement de la LFI pour 2015 au 31 mai de l’année en cours.

Quant à l’actualisation de la LPM, l’article 6 précise bien les modalités selon lesquelles sera vérifiée avec la représentation nationale la bonne adéquation entre les objectifs fixés par la présente loi et les réalisations.

La première actualisation sera l’occasion d’examiner le report de charges du ministère de la défense, afin de le réduire dans l’objectif de le solder.

Enfin, il est bien précisé que cette actualisation a pour but de permettre le nécessaire redressement de l’effort de la Nation en faveur de la défense et de tendre vers l’objectif d’un budget de défense représentant 2 % du PIB. Cet objectif de 2 % a été vigoureusement rappelé par l’OTAN à l’occasion du sommet du Pays de Galles de septembre 2014.

Si nous avions constaté, monsieur le ministre, un réel effort de transparence au début de l’exécution de la LPM, nous constatons aujourd’hui que ce n’est plus tout à fait le cas. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire !

Lorsque cette motion de renvoi en commission sera adoptée – car il est légitime que la représentation nationale soit satisfaite lorsqu’elle demande à être entendue – …

M. Jean-David Ciot. Vous n’êtes qu’une partie de la représentation nationale !

M. Philippe Vitel. …nous pourrons alors prendre le temps d’aller au fond des choses.

Le contexte mérite bien que nous approfondissions notre analyse, en premier lieu en ce qui concerne les dispositions présentées comme des mesures phares de ce projet de loi d’actualisation de la LPM. Vous évoquez avec une certaine fierté votre proposition d’une forte diminution de la déflation des effectifs. C’est pourtant bien votre gouvernement qui l’avait renforcée de 24 000 équivalents temps plein, ou ETP, en décembre 2013, pour la porter à 34 000 sur cinq ans.

Nous avions eu grandement raison à l’époque de combattre avec la plus grande fermeté cette initiative, et François Fillon, tout en assumant un resserrement des effectifs qu’il avait lui-même prescrit, déclarait alors à cette tribune : « notre débat est amputé par un manque de précision et de visibilité. Nous agissons à l’aveugle et je pense que nous dépassons le seuil du raisonnable. »

Que serait-il arrivé, monsieur le ministre, si les assassinats du 7 janvier dernier s’étaient déroulés le 7 janvier 2017 ? Aurions-nous été capables alors de mobiliser en trois jours 10 500 militaires pour protéger nos sites sensibles ?

Vous corrigez aujourd’hui partiellement ce qui est une grave faute, mais de grâce, évitez, madame la présidente, de proclamer à qui veut l’entendre que pour la première fois depuis cinquante ans les effectifs de l’armée vont augmenter !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Eh oui !

M. Philippe Vitel. C’est tout simplement faux !

M. Yves Fromion. C’est un mensonge éhonté !

M. Philippe Vitel. Si aujourd’hui le nouveau contrat de protection va porter notre force opérationnelle terrestre à 77 000 ETP, c’est en déshabillant Pierre pour habiller Paul. Pierre, d’ailleurs, ne sait pas exactement aujourd’hui quels vêtements lui seront épargnés.

M. Olivier Audibert Troin. C’est à cause de la théorie des genres !

M. Philippe Vitel. De plus, nous nous posons tous la question de savoir si l’utilisation de 7 000 militaires en faction devant des sites dont le caractère sensible est lié au culte qui y est pratiqué est totalement en adéquation avec leur cœur de métier.

Malgré la prise de conscience tardive de votre majorité, la perte sur la LPM sera quand même de 14 925 équivalents temps plein, et avec 261 161 éléments, notre armée comptera moins de professionnels en 2019 qu’en 1996, année où a été décidée la professionnalisation !

Si vous envisagez de consacrer 2,8 milliards de plus sur le titre 2 pour financer les postes non supprimés, nous ne savons pas – mais peut-être n’avez-vous pas eu le temps de nous l’expliquer – comment seront financés sur l’exercice 2015 les 7 500 postes sauvés cette année. Nous ne savons pas non plus comment sera financé le surcoût de 300 millions d’euros de l’opération Sentinelle, dont la Cour des comptes nous apprend qu’il n’a été prévu qu’à hauteur de 11 millions d’euros et alors qu’elle ne pourra pas, contrairement aux OPEX, bénéficier de la solidarité interministérielle.

Et bien sûr reviendra l’éternelle litanie du surcoût des OPEX, qui devrait atteindre cette année sensiblement le même niveau qu’en 2014, c’est-à-dire 1,115 milliard d’euros, soit 665 millions non financés en loi de finances initiale.

La discussion interministérielle risque une fois de plus d’être tendue, et nous craignons un nouveau prélèvement sur le programme 146, les crédits d’équipements étant comme toujours susceptibles de servir de variable d’ajustement.

Nous apprécions, monsieur le ministre, la budgétisation d’une grande partie des 6 milliards de recettes exceptionnelles prévues par la LPM, mais nous demanderons que soit maintenu dans la LPM le mécanisme de compensation, au cas où tout ou partie des 930 millions restants ne serait pas au rendez-vous.

Si nous saluons le bonus de 3,8 milliards que vous ajoutez dans le berceau, nous notons que 2,8 seront consacrés à la solde des personnels non « déflatés ». Seul un petit milliard sera donc consacré à l’achat et à l’entretien de matériel.

François Fillon évaluait en 2013, à cette tribune, à 16,5 milliards la réduction budgétaire qui allait frapper l’investissement durant cette LPM. Vous n’aviez d’ailleurs pas contesté cette évaluation, vous contentant d’évoquer dans votre réponse une moyenne de 17 milliards de dépenses d’investissement chaque année d’exécution de la LPM.

Aujourd’hui, tous les spécialistes s’accordent à dire que compte tenu de l’intensité de nos engagements et des milieux hostiles dans lesquels nos troupes évoluent, on peut considérer qu’il manque 3 milliards d’euros par an pour faire le compte, soit 18 sur la durée d’exécution de la LPM !

Vous confirmez d’ailleurs tout cela en vous livrant à un décalage systématique de tous les programmes, en réduisant le format de nos équipements partout où vous avez l’occasion de le faire et en n’engageant pas tous les travaux d’infrastructures et d’accueil pourtant si nécessaires à nos armées et à leurs personnels militaires et civils.

Ainsi, notre marine parviendra péniblement au milieu de la prochaine décennie à une flotte de quinze frégates de premier rang, en y incluant quatre frégates de taille intermédiaire. On est loin de l’évaluation des états-majors, qui il y a dix ans considéraient que, compte tenu de l’étendue de nos espaces maritimes, il était dangereux de descendre en dessous de vingt-trois.

Le report d’un an du programme de Frégate européenne multimission, ou programme FREMM, oblige au maintien en activité de trois frégates de type F70, ce qui complique encore plus la manœuvre « ressources humaines » de la marine, puisque chacune nécessite l’emploi de 250 marins lorsqu’une FREMM n’en a besoin que de 100.

Le report à 2018 de la livraison du premier Barracuda va dans le même sens, comme la réduction de quatre à deux du nombre d’Atlantique 2 dont la rénovation est programmée au titre de la LPM, et bien sûr le recul de cinq mois du début de l’indisponibilité périodique pour entretien et réparation, ou IPER, de ce qui restera encore pour longtemps notre seul et unique porte-avion, ce qui permet un glissement budgétaire de 2016 à 2017 !

Certains de mes collègues vous interpelleront sur le format de notre armée de l’air, car le contexte, dont nous pouvons tous nous féliciter, d’accélération du marché de l’export augmente notre crainte qu’elle ne se retrouve le dindon de la farce. En effet, la vente « sur étagère » n’est pas réalisée sur les étagères des industriels, mais sur celles de nos forces armées, comme cela a été le cas pour la FREMM et les Rafale vendus à l’Egypte.

Si l’on ne peut que partager votre joie de l’embellie inespérée d’1 milliard du coût des facteurs, il ne faut toutefois pas sous-estimer l’aléa que cette recette représente car, monsieur le ministre, on ne gagne pas au Loto à chaque fois que l’on remplit une grille !

Les 500 millions supplémentaires consacrés à l’entretien programmé des matériels, l’EPM, qui complètent les 4,3 % d’augmentation initialement prévus, constituent eux aussi un bel effet d’annonce. Là encore, tous s’accordent à dire qu’ils ne suffiront pas à inverser la chute du taux de disponibilité des matériels, en particulier de notre armée de terre.

En effet, ses véhicules ne résistent pas aux conditions extrêmement hostiles dans lesquels ils sont utilisés au Mali et en RCA, et qui nécessiteraient une augmentation de 50 % du budget d’EPM, comme le chef d’état-major de l’armée de terre nous l’avait précisé au moment de la discussion de la LFI.

Seul un arrêt immédiat de toute action de guerre dans ces contrées pourrait inverser la tendance. Cela est bien sûr plus qu’improbable aujourd’hui !

Enfin, quand aurons-nous, comme la LPM le demande dans son article 6, une réflexion sur le report de charges afin, comme il est précisé, « de le réduire dans l’objectif de le solder » ? Il est d’ailleurs très difficile d’obtenir à son sujet une évaluation précise, mais les 3,8 milliards couramment évoqués menacent la direction générale de l’armement de cessation de paiement.

Le temps n’est plus à l’approximation et au bricolage.

Nos armées sont en guerre, et nos soldats, nos aviateurs et nos marins, à qui nous devons respect et attention, méritent une loi à la hauteur des circonstances, mais aussi de l’engagement et des compétences des femmes et des hommes qui servent notre pays.

M. Gilbert Le Bris. Ils l’auront !

M. Philippe Vitel. J’ai en ce moment une pensée pour les 102 de nos soldats qui, depuis 2003, sont tombés sur les théâtres de crise en Afghanistan, au Mali, en RCA pour défendre nos libertés et notre drapeau ; une pensée aussi pour nos plus de 700 blessés, parfois lourdement handicapés pour le restant de leur vie et que nous nous devons d’accompagner vers une reconversion et une réinsertion ô combien douloureuse et difficile.

À ceux qui sont morts, à ceux qui ont souffert d’horribles blessures, comme à leurs camarades aujourd’hui au combat, mais aussi à chacun de nos compatriotes, nous devons des choix avisés et courageux et un engagement volontariste quant aux moyens budgétaires que nous devons y consacrer.

Face à un ennemi qui n’a comme objectif que l’éradication totale de notre civilisation, nous ne devons lésiner sur rien. Il en va de la survie de la patrie !

Ce texte, même si nous lui reconnaissons quelques utiles avancées… (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-David Ciot. Il était temps !

M. Philippe Vitel. …reste bien en deçà des exigences du moment et ne permet pas le nécessaire réinvestissement dans notre défense qu’impose la spectaculaire montée des menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur la France et sur l’Occident.

C’est pour toutes ces raisons que nous souhaitons, madame la présidente, monsieur le ministre, prendre le temps d’un travail sérieux, approfondi et constructif en commission de la défense et des forces armées afin de programmer ensemble le réarmement de notre pays.

M. Jean-Jacques Bridey. Vous avez quitté la commission !

M. Philippe Vitel. À chaque occasion où il veut apparaître comme un futur homme d’État, c’est-à-dire très souvent, le Premier ministre évoque l’esprit du 11 janvier. C’est en soutenant cette motion, mes chers collègues, que vous démontrerez que cet esprit souffle toujours dans notre honorable assemblée, et qu’il soufflera encore plus fort demain au sein de notre prestigieuse commission de la défense et des forces armées lorsque nous nous pencherons de nouveau sur ce texte.

Alors, mes chers collègues, au moment d’exprimer votre vote, n’ayez aucune hésitation ! En approuvant le renvoi en commission de ce texte, vous voterez pour notre armée. En approuvant le renvoi en commission de ce texte, vous voterez pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Patricia Adam, rapporteure. Vous vous doutez bien, monsieur Vitel, que je ne voterai pas le renvoi en commission de ce texte.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises que les missions décidées par la commission, c’est-à-dire par son bureau, ne vous convenaient pas. Je vous rappelle que ces missions ont été décidées à l’unanimité du bureau, donc avec l’accord des représentants du groupe Les Républicains.

M. Philippe Meunier. La situation a changé depuis, madame la présidente !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Il s’agit donc d’une décision collective, et non pas d’une décision unilatérale de la présidente. Vous étiez présent lorsque ces décisions ont été prises, monsieur Meunier, et vous les avez validées.

M. Philippe Meunier. Les circonstances ne sont plus les mêmes !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Par respect pour les groupes qui siègent au sein de la commission, j’avais demandé à chacun d’eux de me faire des contre-propositions si les propositions que je vous soumettais ne vous convenaient pas : je n’en ai eu aucune. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Meunier. Ne faites pas comme si la situation n’avait pas changé, madame la présidente !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Puisque vous laissez entendre que vous n’avez pas eu le temps de travailler, monsieur Vitel, vous me permettrez de rappeler quelques faits. Comme vous, voilà treize ans que je siège dans cette commission, et quand j’étais dans l’opposition, j’ai toujours été présente, et vous le savez. (« Comme nous ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

La première raison est que notre commission a beaucoup travaillé : il suffit de reprendre les chiffres, vous pouvez les comparer, ça ne me pose aucun problème. Et nous avons travaillé très en amont à l’examen de ce texte. Nous savions qu’il y aurait une actualisation de la loi de programmation militaire et, depuis les événements du mois de janvier, nous savions, vous saviez, que nous devrions l’examiner bien avant la fin de l’année. C’est ce que nous sommes en train de faire.

M. Philippe Vitel. C’est faux !

Mme Patricia Adam, rapporteure. La deuxième raison, c’est l’urgence des décisions. L’urgence, c’est vous qui l’avez mise en place dans cette Assemblée. Nous ne faisons qu’appliquer les textes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je rappelle le travail de la commission. Nos efforts ont porté sur deux dossiers qui sont au cœur de cette actualisation et qui font d’ailleurs l’objet de nombreux amendements. Je regrette que vous n’ayez pas été présents en commission pour en proposer.

M. Yves Fromion. On ne pouvait les déposer !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Sur la « manœuvre ressources humaines » et les conséquences des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, une mission d’information a été conduite par Geneviève Gosselin-Fleury et Alain Marleix, qui ont rendu leur rapport le 6 mai dernier, c’est-à-dire très en amont. Six auditions très riches ont eu lieu en commission sur ce sujet. Vous aviez donc la possibilité d’amender.

M. Olivier Audibert Troin. Ce n’est pas le texte !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Nous avons également préparé en amont deux sujets figurant dans le projet de loi : le service militaire volontaire et les réserves. Sur ces deux questions, nous avons conduit sept auditions en commission. Marianne Dubois et Joaquim Pueyo, auteurs d’un rapport d’information, ont effectué un point d’étape sur leurs travaux. Il était donc, là encore, possible d’abonder en amendements sur ce projet.

Autre axe de nos récents travaux – et non des moindres : le contexte stratégique. Nous avons pu compter sur la disponibilité de M. le ministre, et vous le savez. Je dois dire qu’en treize ans passés dans cette commission, j’ai rarement vu une aussi forte présence du ministre. Il est venu à chaque fois que nous l’avons demandé et parfois de lui-même, pour nous tenir régulièrement informés de l’évolution de la situation sur les différents théâtres d’opérations extérieures, dont l’opération Sentinelle.

M. Philippe Vitel. Vous êtes contente, c’est parfait !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Le chef d’état-major des armées, à chaque fois, a été entendu, ainsi que les chefs d’état-major de chaque arme, qui sont venus nous présenter leur organisation.

M. Yves Fromion et M. Philippe Vitel. Parce que nous l’avions demandé !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Je le rappelle, ils sont venus au mois d’avril, d’autres sont venus au mois de mars : ils nous ont présenté les modèles qu’ils étaient en train de mettre en place.

Qu’il me soit aussi permis de relever que nous avons utilisé nos pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place pour suivre étroitement la question des ressources exceptionnelles des sociétés de projet.

M. Philippe Vitel. Deux fois !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Nous l’avons fait avec la commission des finances, et nous en avons rendu compte. Je dois dire que, dans ce domaine, nous sommes allés beaucoup plus loin que ce que nous faisions au titre de la Mission d’information sur le contrôle et l’exécution des crédits de la défense – MICEC –, qui n’a pas été reconduite par le bureau.

Cela étant, ces arguments sur la densité des travaux de la commission ne sont que très peu de chose au regard de ce qui doit, au premier chef, nous conduire à repousser cette motion. Il y a effectivement urgence ; nous devons donc délibérer et voter ce texte.

Sur les recrutements, sur les crédits budgétaires qui remplacent les recettes extra-budgétaires ou exceptionnelles, sur les acquisitions d’équipement, les arbitrages doivent être rendus.

En conclusion, je dirai, pour avoir été moi-même dans l’opposition pendant près de dix ans, que je peux tout à fait comprendre qu’il soit difficile de s’opposer à une loi de programmation prévoyant pour la première fois une augmentation conjointe du budget et des effectifs.

M. Philippe Vitel. Nous ne parlons que de son actualisation !

Mme Patricia Adam, rapporteure. Je comprends qu’il soit difficile de s’y opposer. Mais parce que j’ai l’expérience de cette commission, et que j’ai aussi une responsabilité en tant que parlementaire devant notre pays, devant la nation et devant nos armées, je ne peux pas comprendre cette posture politicienne qui a été la vôtre, cette posture inadmissible consistant à refuser de siéger à la commission de la défense ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Cette attitude est absolument irresponsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Et la vôtre sur le Livre blanc ?

Mme Patricia Adam, rapporteure. Irresponsable à l’égard de nos concitoyens, irresponsable à l’égard de nos armées !

Vous avez déserté la commission de la défense.

M. Nicolas Bays. Irresponsable ! Minable !

Mme Patricia Adam, rapporteure. C’est vous qui avez fait le tour de passe-passe, ce n’est pas nous.

M. Nicolas Bays. Minable !

Mme Patricia Adam, rapporteure. La défense de notre pays mérite mieux. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ce n’est pas la peine de crier comme une vierge effarouchée, monsieur Vitel, monsieur Meunier ! Ce n’est pas utile. Gardez votre calme. J’espère que je vous reverrai prochainement en commission de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Vitel. C’est inacceptable de la part d’une présidente de commission ! Vous devez travailler avec tous les commissaires, pas seulement avec ceux de votre clan, ceux de votre secte !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.

La parole est à M. Charles de La Verpillière, pour le groupe Les Républicains.

M. Charles de La Verpillière. Les conditions dans lesquelles a été examiné ce projet de loi d’actualisation de la loi de programmation militaire sont inacceptables, d’abord à cause de l’ampleur du sujet et de la gravité de la situation, mais aussi parce que les droits du Parlement ont été méconnus.

Il y a d’abord eu, ce qui peut se comprendre, le choix par le Gouvernement de la procédure accélérée. Mais il y a eu surtout cet examen précipité – et pour tout dire, bâclé – en commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Philippe Nauche. Vous n’y étiez pas !

M. Charles de La Verpillière. C’est absolument inacceptable, et cela nous conduit à nous demander ce que cherchent à cacher le Gouvernement et sa majorité : tout simplement l’insuffisance dramatique et le flou des mesures qui nous sont proposées.

Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, nous sommes convaincus qu’un examen sérieux pourrait permettre d’améliorer votre texte. C’est pourquoi nous présentons cette motion de renvoi en commission et nous demandons à l’Assemblée nationale de la voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Il y a des jeunes qui nous regardent et, à certains égards, on peut s’interroger sur la façon dont nous agissons et dont nous nous comportons, s’agissant de l’image de notre Assemblée. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Excusez-moi, mes chers collègues, mais je vous renverrai dos à dos. Je regrette de constater que les procès d’intention faits aujourd’hui par les uns sont les mêmes que ceux qu’instruisaient les autres hier. (Mêmes mouvements.)

Il me paraît important de rappeler la réalité des choses.

M. Alain Marty. Avoir le cul entre deux chaises, c’est très inconfortable !

M. Philippe Folliot. Je voudrais me tourner vers mes collègues et amis du groupe Les Républicains pour leur dire qu’il est certes important de pouvoir s’exprimer, dire ce qu’on pense, utiliser les moyens offerts par notre règlement – ne serait-ce qu’au moyen des motions de procédure –, mais qu’il y a quand même une contradiction à nous demander aujourd’hui, alors que vous n’avez pas voulu participer aux travaux de la commission la semaine dernière, de voter une motion de renvoi en commission. Il en irait autrement si vous aviez assisté, comme nous l’avons fait, aux travaux de cette commission. Certes, les délais étaient contraints et n’avoir que jusqu’au lundi de Pentecôte pour pouvoir déposer des amendements n’était assurément pas satisfaisant, mais avec de la volonté, il était possible de faire un certain nombre de choses.

M. Philippe Meunier. Vous êtes tout seul ! Nous avons un groupe à réunir !

M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis. Ça, c’est élégant…

M. Philippe Folliot. Ce que je constate, c’est que vous êtes partis de manière préalable aux travaux de la commission. Si, à l’issue de ceux-ci, vous aviez trouvé que nous n’allions pas assez loin ou qu’il fallait plus de temps, j’aurais compris l’intérêt de cette motion, mais dans ce contexte-là, le groupe UDI ne la votera pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Monsieur Vitel, vous avez conclu la défense de votre motion de procédure en disant qu’il fallait la voter « pour la France » !

M. Philippe Vitel. Oui ! Je le redis et je l’assume !

M. François de Rugy. Épargnez-nous votre grandiloquence sur ce sujet ! Vous savez très bien que c’est la posture habituelle de l’opposition que d’utiliser les motions de procédure pour développer ses arguments. Nous les avons entendus. Certes, les délais étaient courts.

Monsieur Meunier, vous avez attaqué M. Folliot, pendant qu’il parlait, de façon assez basse en disant que vous réunissiez un groupe tandis qu’il se réunissait tout seul. Or, pour les petits groupes, qui ont peu de moyens, il est difficile de rédiger rapidement des amendements.

M. Philippe Meunier. Nous avions besoin de nous réunir pour prendre une décision !

M. François de Rugy. La vérité, vous la connaissez : il s’agit d’une actualisation de la loi de programmation militaire. L’essentiel du projet est dans le texte initial. Si vous aviez des amendements à celui-ci, il était donc très facile de les reprendre.

Deuxièmement, vous le savez comme moi, les annonces du Président de la République ont été faites – le ministre pourra le confirmer – le 29 avril dernier, il y a plus d’un mois. Si en un mois vous n’avez pas eu le temps de réfléchir aux amendements que vous vouliez défendre et à vos contre-propositions, alors que vous réclamez cette actualisation à cor et à cri depuis des mois, c’est que vous n’avez pas beaucoup travaillé sur le fond.

M. Philippe Vitel. Vous connaissez l’article 40 ?

M. François de Rugy. Laissez-nous travailler.

M. Bernard Accoyer. Pas de leçons, monsieur de Rugy !

M. François de Rugy. Si vous voulez boycotter la séance comme vous avez boycotté la commission, faites-le : ce n’est pas grave, nous avancerons. Pour notre part, nous repousserons cette nouvelle motion pour pouvoir passer enfin à l’examen du texte et au débat de fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Maggi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Pierre Maggi. J’énoncerai d’abord comme une évidence que le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera contre cette motion de renvoi en commission, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce que l’actualisation de la loi de programmation militaire était prévue. La loi que nous avons votée en septembre 2013 prévoyait en effet, en son article 6, que cette programmation « fera l’objet d’actualisations, dont la première interviendra avant la fin de l’année 2015 ».

Nous pouvons constater que, face aux événements et suite au conseil de défense de la fin du mois d’avril, le Gouvernement n’a pas attendu cette échéance. De telles actualisations sont en effet nécessaires, puisqu’elles doivent permettre de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la loi et les réalisations et d’affiner certaines des prévisions inscrites dans le texte, notamment dans le domaine de l’activité des forces et des capacités opérationnelles.

En outre, le contexte a évolué et la menace terroriste s’est amplifiée, jamais très loin de nos frontières : en Afrique, au Moyen-Orient et, en janvier dernier, tragiquement, sur notre territoire. Est donc venu le temps de tirer les conséquences des engagements intensifs de nos forces armées et des nouveaux besoins apparus depuis le vote de la loi de programmation militaire.

Une actualisation est donc justifiée et urgente. Nos forces sont désormais engagées à grande échelle dans des opérations militaires exigeantes. Les 31,4 milliards de crédits de défense qui sont sanctuarisés en 2015 et les 3,8 milliards supplémentaires qui couvriront les quatre prochaines années le permettront, qu’il s’agisse des effectifs ou des équipements.

Il est plutôt cocasse de demander un renvoi en commission alors que vous avez déserté ses travaux, mesdames et messieurs les Républicains ! Ce n’est pas une politique sérieuse et responsable, au moment où il est devenu prioritaire de consolider l’effort de défense de la France, ce que cette actualisation a le grand mérite de faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. J’assiste à de nombreuses réunions de la commission de la défense. J’ai assisté à celle du 27 mai. Nous avons déjà eu l’occasion de le rappeler alors : nous déplorons les conditions dans lesquelles le débat sur l’actualisation de la loi de programmation militaire se déroule. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Intervenu une semaine après le passage de ce texte en Conseil des ministres, il n’a pas permis une réflexion approfondie ni un examen sérieux de l’ensemble des articles et des amendements déposés par nos collègues et rédigés en quelques jours seulement.

Beaucoup d’amendements n’ont pas été examinés en commission la semaine dernière. Je rappelle que l’édition des 90 pages du texte et de ses 25 articles n’a été faite que le jeudi 21 avril, il y a à peine deux semaines. Quel manque de considération pour le Parlement ! Le sujet est pourtant crucial pour le pays.

L’Assemblée nationale n’est pas une chambre d’enregistrement des projets gouvernementaux. C’est pourtant ce que le Gouvernement nous propose encore aujourd’hui – mais vous n’êtes pas les premiers ! – avec de nouveaux amendements de séance qu’il conviendrait d’étudier de manière approfondie.



Après la loi sur le renseignement, le Gouvernement utilise à nouveau la procédure d’urgence.



Comment peut-on le faire sur un tel texte, dont le chapitre II concerne les droits de l’homme avec les associations professionnelles nationales de militaires, ou l’instauration d’un service minimum volontaire ou, encore, la rallonge de 3,8 milliards d’euros ?



Monsieur le ministre, il ne faut pas se cacher derrière le terrorisme : l’actualisation de la LPM ne relève pas de la législation antiterroriste.



Une absence de vision nous conduit à devoir de nouveau légiférer.



Nous voterons ce renvoi en commission. (« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Nauche. Chers collègues de l’opposition, vous êtes gênés sur le fond, et vous attaquez donc sur la forme, à travers quelques gesticulations un peu politiciennes exécutées par le groupe du parti républicain de droite, du boycott de la commission qui, me semble-t-il, n’honore personne, à une motion de rejet préalable outrancière dans ses propos…

M. Philippe Vitel. Qu’y a-t-il d’outrancier ?

M. Philippe Nauche. … et jusqu’à une lettre adressée par plusieurs membres de ce groupe à la présidente de la commission pour expliquer qu’il était scandaleux de faire siéger l’Assemblée nationale le jeudi.

Comprenne qui pourra ! Car cela fait des semaines que notre commission examine cette actualisation et y travaille. Nous savions qu’elle était en préparation ; le projet de loi présenté par le ministre de la défense est venu la formaliser.

Bref, voilà des semaines et des semaines que notre commission travaille à l’actualisation de la LPM, mais certains d’entre vous, sans doute préoccupés par des échéances départementales, n’ont pu participer à l’ensemble des travaux. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Audibert Troin. C’est un délit d’initié ! Vous connaissiez donc le texte ? Comment peut-on y travailler lorsque tel n’est pas le cas ?

M. Philippe Nauche. La formalisation de cette actualisation par le Gouvernement ne remet pas en cause les fondements stratégiques de la LPM.

L’accélération du calendrier est nécessaire, parce que nous devons faire face à des échéances opérationnelles concrètes.

Je comprends que cela vous gêne, car une LPM respectée, un nouveau contrat de protection, un allégement des déflations d’effectifs…

M. Philippe Vitel. Rien ne nous gêne !

M. Philippe Nauche. … une trajectoire financière renforcée de 3,8 milliards, des crédits budgétaires assurés au lieu de recettes exceptionnelles aléatoires et des avancées s’agissant des associations professionnelles nationales de militaires, le service militaire volontaire et les réserves, cela fait beaucoup !

C’est très positif pour notre défense et pour nos armées. Le groupe socialiste, républicain et citoyen ne votera donc pas votre motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Vitel. Quel scoop !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, lors de l’examen de la loi de programmation militaire ici même, le 26 novembre 2013, l’orateur de notre groupe, François Fillon, avait dit ceci : « Notre politique de défense ne se prête pas aux postures partisanes. En la matière, l’intérêt national doit être notre seul guide ».

Je partage entièrement ce point de vue, et je mesure la gravité, monsieur le ministre, de voter contre votre loi de programmation militaire actualisée. Je pense en effet, avec la plupart des membres du groupe Les Républicains, qu’elle ne répond pas à l’intérêt national, et ce pour trois raisons.

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. Là, nous ne sommes plus d’accord.

M. Pierre Lellouche. La première tient aux moyens que vous mettez à la disposition de nos forces.

Il y a deux ans, François Fillon indiquait qu’avec le volume prévu, 1,4 % du PNB, votre loi « dégradait de manière inconnue jusqu’alors la situation de la défense ».

Sur les ressources programmées de 190 milliards, 6 milliards d’euros étaient censés provenir de ressources exceptionnelles. Depuis, nous n’avons cessé de vous mettre en garde contre le fait que ces fameuses « ressources exceptionnelles » ne seraient pas au rendez-vous… Elles ne le sont pas.

En 2013, François Fillon vous avait pourtant déjà alerté : « Avec cette loi de programmation, vous partez déjà de très bas, alors, qu’en sera-t-il dans deux ou trois ans ? ». Nous y sommes.

Après avoir tenté vainement, tout au long de cette année, de sortir de l’impasse budgétaire dans laquelle vous vous êtes vous-même placés en inventant une forme nouvelle de cavalerie financière appelée société de projet – ce que j’ai nommé pour ma part « défense Cofidis » –, que vous aviez même inscrite dans la loi Macron, vous êtes finalement obligés d’y renoncer et de trouver de nouvelles formules.

Vous avez dit devant la commission des affaires étrangères, je vous cite, que vous aviez « gagné vos arbitrages », que vous seriez « le seul ministre de la défense de la Ve République » non seulement à tenir la loi de programmation, mais même à l’augmenter.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En effet.

M. Pierre Lellouche. Malheureusement, monsieur le ministre, les deux tiers de ces fameux 3,8 milliards que vous agitez viendront après les élections présidentielles de 2017. Autrement dit, l’ardoise sera pour vos successeurs. Quant aux ressources de cette année, nous ignorons toujours d’où surgiront les 2,3 milliards qui manquent.

Allez-vous augmenter les impôts ? Allez-vous faire des économies quelque part, et où ? François Fillon vous posait déjà cette question en 2013 : « Où le Gouvernement ira-t-il piocher ? L’éducation ? La santé ? Les dépenses sociales ? L’emploi ? Reste donc le budget de la défense qui, je le crains, n’est sanctuarisé que dans votre esprit, monsieur le ministre ».

Je redis exactement la même chose. Aujourd’hui, vous nous renvoyez à une hypothétique loi de finances rectificative qui devrait être présentée en fin d’année. Vous nous demandez donc de signer un chèque en blanc. Au vu de la politique qui est la vôtre depuis trois ans, je ne peux pas le signer.

La deuxième raison de notre vote négatif tient à la déflation des effectifs.

Il y a trois ans, nous vous avions mis en garde – là encore – contre le fait qu’en dix ans, nos armées ont perdu un quart de leurs effectifs. Vous avez choisi de supprimer 34 000 postes tout en recrutant 60 000 fonctionnaires supplémentaires dans l’Éducation nationale et en créant 100 000 emplois aidés.

Vous êtes aujourd’hui rattrapé par la dégradation de la situation stratégique tout autour de nous et par les attaques terroristes en France même.

Vous avez donc été contraint de renoncer à une partie de cette déflation…

M. Yves Fromion. Eh oui !

M. Pierre Lellouche. … et vous avez choisi de déployer dans le cadre de l’opération Sentinelle entre 7 000 et 10 000 hommes, choix que vous assumez.

Vous considérez en effet que la même armée doit pouvoir jouer le rôle de supplétif de la gendarmerie mobile ou des CRS et être capable, en même temps, d’intervenir sur des théâtres de haute intensité à l’extérieur.

Nous ne partageons pas ce choix, monsieur le ministre. Une armée d’intervention ne peut pas être en même temps une garde nationale.

Mme Patricia Adam, rapporteure. C’est pourtant le cas de la marine nationale.

M. Pierre Lellouche. Nous vous demandons d’engager une réflexion de fond. Nous ne voulons pas être placés devant le fait accompli, comme vous le faites aujourd’hui. Nous vous invitons solennellement à revoir votre copie !

Troisième raison, enfin, de notre vote négatif : les opérations extérieures.

Là encore, nous vous avions mis en garde il y a trois ans quant à une insuffisante prévision de crédits. Une fois encore, cet avertissement n’a pas été entendu.

Alors que vous n’avez budgété que 450 millions d’euros annuels pour les OPEX, jamais l’armée française n’a été autant sollicitée sur autant de théâtres d’opérations et sur une aussi longue durée – je vous renvoie d’ailleurs à l’excellent rapport de M. Gaymard concernant l’histoire de l’ensemble de nos OPEX depuis le début de la Ve République.

M. Philippe Vitel. Très bien !

M. Pierre Lellouche. De toute évidence, l’actuel Président de la République adore son rôle de chef de guerre. Il est dommage qu’il ait oublié de financer notre participation à ces différents conflits, à tel point que là encore, les dépenses dépassent très largement les crédits alloués, comme la Cour des comptes vient d’ailleurs de le démontrer – plusieurs de mes collègues y ont fait allusion.

Nos soldats effectuent leurs missions avec un dévouement et un professionnalisme incomparables. Il est néanmoins préoccupant que des interventions censées être de courte durée se transforment en opérations à durée indéterminée, avec le risque – j’ai pu le constater en Afrique – que nos forces passent désormais pour des forces d’occupation.

L’opération Serval au Mali, censée être terminée, ne l’est toujours pas, et aucun accord de paix n’a été trouvé à Alger.

Pire encore, avec Barkhane, nous nous sommes embarqués dans une opération exceptionnellement difficile, sur un territoire immense, avec des moyens modestes ; mais avec quels buts, quels objectifs, quelles portes de sortie ? Nous l’ignorons.

Il en est de même s’agissant de l’opération Chammal. Vous vous êtes embarqués derrière les Américains, dont la stratégie est illisible en Syrie et en Irak (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains), dans une opération extrêmement coûteuse, avec des résultats nuls sur l’extension de Daech en Irak (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Là encore, une réflexion et une remise à plat sont indispensables. Nous avons demandé l’organisation d’un débat à l’Assemblée nationale.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, vous comprendrez qu’au-delà de l’estime que nous vous portons tous, et qui n’est pas en cause – pas plus qu’il n’est question de polémiques politiciennes – , nous ne pouvons pas – au nom de l’intérêt national – signer le chèque en blanc que vous nous demandez et participer à ces « bidouillages » budgétaires permanents qui caractérisent la gestion du ministère de la défense sous le règne de François Hollande. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente et rapporteure, messieurs les rapporteurs, chers collègues, la défense est une mission éminemment régalienne.

Mes premières pensées vont à l’ensemble de nos militaires qui assument aujourd’hui sur le territoire national ou en opérations extérieures, dans un contexte particulièrement difficile, cette mission essentielle.

Honneur et fierté : tels sont les mots qui doivent venir pour caractériser l’action des hommes et des femmes qui servent les armes de la France avec professionnalisme, courage, détermination et volonté.

Onze soldats ont été tués en 2013 et 2014, des dizaines ont été blessés : nous devons penser à celles et ceux qui contribuent à conforter l’image de notre pays, mais aussi à lutter contre le terrorisme et à défendre les valeurs républicaines, qui sont aussi celles des Nations unies.

Si vous me permettez l’expression, je dirais que la France est un équipier de premier rang dans la lutte contre le terrorisme. Elle intervient au premier chef et, dirais-je, de manière quasi-solitaire en Afrique subsaharienne, notamment sahélienne. Elle intervient aussi de façon complémentaire avec des alliés en Irak et en Syrie, mais malheureusement pas en Libye, avec toutes les conséquences que ce non-engagement entraîne.

L’opération Barkhane, monsieur le ministre, constitue un tournant et un élément essentiel, parce que pour la première fois, nous prenons en compte ce fait qu’est l’absence de frontières physiques dans cette zone sahélo-saharienne. Cette approche, que je qualifierais de multinationale et régionale, est un élément positif, parce que les terroristes ne connaissent pas les frontières.

De surcroît, nous menons nos actions dans le respect du droit, en liaison avec les gouvernements concernés, mais aussi dans le cadre de résolutions des Nations unies.

Cette LPM actualisée nous renvoie à la loi de programmation initiale.

En 2013, j’avais émis à cette même tribune un certain nombre de réserves.

Celles-ci portaient d’abord sur la suppression des effectifs, et plus particulièrement les 23 500 postes supplémentaires que vous vouliez supprimer, venant s’ajouter aux 54 000 déjà supprimés dans le cadre de la précédente LPM.

Aucun autre ministère, aucune autre administration n’a autant contribué à la nécessaire résorption des déficits publics que la défense. Sa contribution à cet effort est bien supérieure à ce qu’aurait voulu la simple proportionnalité. Nous avions fait ce constat et souligné combien il nous paraissait difficile pour la défense de consentir des efforts supplémentaires.

De même, nous nous étions longuement exprimés au sujet des 6,5 milliards de ressources exceptionnelles : nous vous avions dit que vous ne seriez pas au rendez-vous, monsieur le ministre, que vous ne disposeriez pas de ces recettes-là. Hélas, hélas, les faits nous ont donné raison.

Nos inquiétudes quant à l’équipement et au matériel de nos forces se sont elles aussi avérées justifiées.

Depuis le vote initial de cette LPM, l’engagement de nos forces en OPEX est encore plus important que dans le passé. Cela montre que le Président de la République a pris la mesure de l’effet de levier global que peut représenter la capacité d’intervention de nos forces armées par rapport à la politique qui est la sienne.

Force est d’ailleurs de constater que les OPEX engendrent des surcoûts toujours aussi importants.

Au-delà des 450 millions d’euros initialement prévus et budgétés, nous avons un surcoût de 665 millions d’euros en 2014, qui va peser à hauteur de 20 % sur le budget de la défense, avec toutes les conséquences que l’on sait.

Mais l’élément fondamental qui justifie cette actualisation de la loi de programmation militaire, c’est le lancement de l’opération intérieure Sentinelle, cette mobilisation de 10 000 hommes, ramenés dans un second temps à 7 000, chargés d’assurer des actions de surveillance sur le territoire national. L’armée a alors montré qu’elle était la seule institution de la République capable de mobiliser autant de moyens en si peu de temps et avec une telle efficacité.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En effet !

M. Philippe Folliot. Cela étant, la question financière se pose, puisque nous ne devions consacrer que 11 millions d’euros aux opérations intérieures et que cette mission coûte 1 million d’euros par jour. Ce surcoût important sera pour l’essentiel à la charge du ministère de la défense, et ceci doit nous interpeller. En effet, si nos militaires peuvent assumer cette mission ponctuellement, ce n’est pas leur rôle de le faire de manière pérenne : elle est davantage du ressort de la sécurité intérieure, c’est-à-dire des forces de gendarmerie, de police, voire, le cas échéant, de sociétés privées.

Cette actualisation de la loi de programmation militaire a pour conséquence – et pour mérite – de réduire les aléas contenus dans la loi de programmation initiale. Il y avait en effet un risque de défaut de paiement dès le mois de juillet si nous nous en étions tenus à la projection initiale. Nous savons que les 18 500 postes en question ne sont pas des créations, mais une conséquence de la moindre déflation des effectifs – il faut le dire et le reconnaître. Par ailleurs, les 3,8 milliards d’euros qui vont être apportés sont une rustine nécessaire, mais assurément pas suffisante pour répondre aux besoins.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Une rustine à 3,8 milliards d’euros, comme vous y allez !

M. Philippe Folliot. Des interrogations demeurent, concernant notamment le report de charges : 3,5 milliards d’euros en 2014, dont 2,4 milliards d’euros sur le seul programme 146, relatif à l’équipement des forces, c’est un sujet d’interrogation et d’inquiétude.

L’état du matériel est un vrai sujet d’inquiétude. Sans énumérer tous les problèmes qui se posent, je rappellerai seulement qu’une partie du matériel de nos forces armées n’a pas été renouvelée depuis des décennies. Je songe en particulier aux hélicoptères : j’ai volé il y a quelques jours, en opération souveraineté, sur un hélicoptère Alouette II qui est plus âgé que moi – c’est dire ! Les ravitailleurs en vol ont, eux aussi, plusieurs dizaines d’années, tout comme les avions de surveillance ou ceux qui assurent notre souveraineté sur notre domaine maritime. Et que dire des véhicules de l’avant blindés – VAB – qui font 1 000 kilomètres par an sur le territoire national en temps normal, qui faisaient 1 000 kilomètres par mois en Afghanistan, et qui font à présent 1 000 kilomètres par semaine au Mali !

Ce que l’on peut regretter, c’est l’absence de cap. Les allers et retours sur la question des sociétés de projet l’ont bien montré. Nous sommes dans un monde qui se réarme, et la France prend la mesure de cette nouvelle donne, notamment par rapport au terrorisme. Mais elle n’est pas encore à la hauteur des enjeux.

Pour nous, centristes, il paraît très important que les réponses soient apportées au niveau européen, afin que notre continent soit à même d’assumer les responsabilités qui sont les siennes, vis-à-vis de lui-même, comme de son environnement immédiat. Il importe de favoriser la mutualisation de capacités opérationnelles, le partage d’expériences, la coordination d’opérations, comme la mise en œuvre de programmes communs en matière d’armement. Certains existent déjà, comme l’Airbus A400M ou l’hélicoptère Tigre, mais je songe aussi au drone du futur. Tout cela est fondamental, et il faut impérativement que vous fixiez un cap. S’agissant de la question essentielle du financement des opérations extérieures, il importe ainsi qu’une mutualisation ait lieu à l’échelle européenne. Certains dispositifs existent déjà, comme le dispositif Athena, mais ils sont très nettement insuffisants. Il nous paraît donc fondamental d’avancer sur cette question.

Je voudrais, pour finir, évoquer la question de la représentation et du droit d’expression des militaires : il nous semble que ce texte est parvenu à un juste équilibre sur ce point. Nous saluons très vivement, aussi, la création du service militaire volontaire, adaptation métropolitaine du service militaire adapté en vigueur outre-mer. Le fait que, pour une fois, la métropole prenne exemple sur l’outre-mer me semble tout à fait intéressant et positif, et mérite d’être souligné.

Mme Maina Sage. Absolument !

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Philippe Folliot. Je conclus, monsieur le président. La question que nous devons nous poser à moyen terme est celle du rôle et de la place de la France dans le monde. Il faut que nous puissions assumer nos engagements internationaux, notamment en tant que membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce que vous nous proposez, monsieur le ministre, au travers de ce projet de loi actualisant la programmation militaire, va incontestablement dans le bon sens, mais certainement pas assez loin. C’est pourquoi le groupe de l’Union des démocrates et indépendants sera dans une posture d’abstention, positive, certes, mais d’abstention.

Mme Patricia Adam, rapporteure, et, M. Jean Launay et , rapporteur pour avis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, nous entamons l’examen de l’actualisation de la loi de programmation militaire, adoptée il y a un peu plus d’un an, à la fin de l’année 2013, et qui court jusqu’en 2019.

Nos collègues de droite ont contesté tout à l’heure, comme en commission, la décision du Gouvernement de réactualiser ce texte dans l’urgence. Pourtant, qui pourra nier que, depuis le vote de la loi de programmation militaire initiale, la menace qui plane sur notre pays s’est accrue et s’est modifiée ? Qui pourra mettre en doute l’état de saturation des forces armées françaises et le risque de rupture capacitaire qui les guette ? À l’évidence, personne.

Dans ce contexte, deux attitudes étaient donc possibles : contribuer au débat, avec les forces et les moyens qui sont les nôtres – ceux d’un petit groupe. Ou bien déserter, oserais-je dire, comme l’ont fait en commission nos collègues de l’UMP…

M. Yves Fromion. Les Républicains !

M. François de Rugy. …à l’exception notable de Frédéric Lefebvre. Notre collègue centriste Philippe Folliot a également participé aux débats. Je pense que cette attitude n’était pas à la hauteur de l’enjeu. Étant donné la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la France, quand on a à examiner une actualisation de la loi de programmation militaire, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, quelle que soit notre sensibilité, il faut essayer de se hisser à la hauteur de la situation et des menaces qui pèsent sur la France.

M. Yves Fromion. Nous n’avons pas été respectés, voilà le problème !

M. François de Rugy. Cette actualisation de la loi de programmation militaire prévoit en premier lieu – et c’est le gros morceau de ce projet de loi – des ajustements humains et budgétaires au bénéfice des armées françaises. En commission, j’avais résumé la situation en disant qu’il y avait à la fois un coup de pouce budgétaire, avec environ 1 milliard d’euros supplémentaires par an, et une pause dans la baisse des effectifs. Quels que soient les choix qui peuvent être faits par ailleurs, ce choix est parfaitement compréhensible dans la période actuelle.

J’en profite d’ailleurs pour saluer non seulement l’engagement, mais aussi le dévouement des soldats français qui sont mobilisés sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle. Nous savons que ce n’est pas facile pour eux d’être ainsi mobilisés sur cette mission, dans des conditions souvent tendues, à la fois en termes de temps de travail et de conditions matérielles. Ils interviennent en complément des forces de police et de gendarmerie qui sont mobilisées dans le cadre du plan Vigipirate.

Nous continuons en revanche de penser, monsieur le ministre, et cela ne vous étonnera pas, que la loi de programmation militaire initiale ne présentait pas des évolutions assez fortes, ni des choix assez clairs pour adapter l’outil de défense de la France à nos choix stratégiques et diplomatiques qui, eux, ont évolué avec le temps – ce qui est bien normal.

Nous ne sommes plus, cela va de soi, dans la situation de la Guerre froide, encore moins dans la crainte d’une invasion étrangère de notre territoire national par nos voisins. Par ailleurs, nous avons connu, avec la professionnalisation, avec l’armée de métier, une autre évolution majeure. Je le dis à nos collègues de l’UMP, à nos collègues de droite : je n’étais pas député à l’époque, mais c’est le président Jacques Chirac qui a décidé la professionnalisation des armées, et je salue cette décision. Je pense même que l’on retiendra cette décision comme l’un des éléments marquants de son action comme chef de l’État. Je salue cette décision, je le répète, et ce n’est pas parce que nous ne sommes pas du même bord que nous devons prendre des postures d’opposition – et cela vaut aussi pour la situation actuelle.

M. Jean-François Lamour. C’est vrai.

M. François de Rugy. Je souscris au choix de l’armée de métier. Non seulement j’y souscris, mais je pense qu’il faut en tirer toutes les conséquences, notamment en termes de format des armées. Dès le départ, en effet, cette décision a été prise en vue de réduire le format des armées, en vue d’avoir une armée plus réactive et plus conforme au souhait de la diplomatie française de participer à des interventions lointaines. Et je ne voudrais pas que l’on entretienne la nostalgie, comme certains collègues de droite le font régulièrement, de l’armée de conscrits.

M. Jean-François Lamour. La droite n’est pas la seule à le faire ! On entend cela sur tous les bancs !

M. François de Rugy. Un jour, c’est M. Xavier Bertrand qui annonce qu’il va déposer une proposition de loi pour rétablir le service militaire –, c’est tellement ridicule que j’ignore s’il l’a fait.

M. Jean-François Lamour. C’est une façon de réfléchir au lien entre la jeunesse et la nation !

M. François de Rugy. Un autre jour, on propose d’allonger la durée des journées de préparation à la défense, ou de créer un service civique militaire. Non ! Il faut au contraire aller au bout de la logique de la professionnalisation, qui est une bonne logique pour notre pays.

Par ailleurs, il faut tenir compte de la contrainte budgétaire ! Mes chers collègues, on ne va pas faire comme si la contrainte budgétaire existait dans tous les domaines, sauf dans celui-ci. Et il en a toujours été ainsi ! J’ai en mémoire les propos d’un ancien chef d’état-major des armées, qui officiait justement, me semble-t-il, à l’époque où Jacques Chirac était Président de la République. Il nous a parlé, en commission, de ce que l’on appelle, dans l’armée, le syndrome de « l’édredon dans la valise ». La valise, c’est le cadre budgétaire, et il faut faire entrer l’édredon à l’intérieur. Alors, que fait-on ? On a tendance à tasser, à comprimer un peu, et puis il faut bien couper des morceaux, sans quoi cela ne rentre pas. On a toujours fait ainsi : voilà ce qu’il nous a dit. C’est une question de réalisme !

Mes chers collègues de droite, vous passez votre temps, à longueur de meetings, puisque votre nouveau président de parti ne cesse de faire des meetings, et à longueur d’interventions dans notre assemblée, à dire qu’il faut faire beaucoup plus d’économies budgétaires. Selon les jours, vous dites qu’il faut en faire 100, 120, 130 milliards…

M. Jean Launay, rapporteur pour avis. 150 milliards !

M. François de Rugy. …et 150 milliards pour les plus optimistes, quand le gouvernement actuel essaie d’en faire 50 milliards.

M. Charles de La Verpillière. Et qu’il n’y arrive pas !

M. François de Rugy. Mais vous nous dites par ailleurs qu’il faut augmenter le budget militaire, qu’il faut l’augmenter, alors même – et vous avez été obligé de le reconnaître du bout des lèvres tout à l’heure – que vous l’avez vous-même réduit, stabilisé, baissé – choisissez le terme qui vous convient – lorsque vous étiez aux responsabilités. Sans doute le syndrome de l’édredon dans la valise…

Il faut que nous soyons cohérents. Je pense qu’il faut rétablir l’équilibre des finances publiques dans notre pays et qu’on ne peut pas continuer à s’endetter. Je le dis au ministre, et aux collègues de tous les groupes : je ne suis pas favorable à cet artifice qui consisterait à sortir les investissements militaires du calcul du déficit budgétaire. Non : il faut être réaliste et cohérent, et appliquer la contrainte budgétaire au budget de la défense.

Je comprends aussi la logique du ministre – il l’a toujours exposée très clairement devant notre commission. En tant que ministre de la défense, il défend son budget dans les arbitrages budgétaires, et il y est plutôt bien parvenu depuis trois ans, y compris récemment. Mais la contrainte budgétaire ne disparaîtra pas comme par enchantement.

M. Yves Fromion. Pourquoi ne pas interrompre les OPEX, alors ?

M. François de Rugy. Mais nous avons déjà parlé des OPEX ! Le ministre vous a répondu que dans le cadre des arbitrages budgétaires, certaines décisions sont allées dans le bon sens. Suivez-nous plutôt, cher collègue, lorsque nous disons qu’il faut donner la priorité à ce type de moyens, mais en faisant des choix.

Je vais justement dire un mot de nos propositions. Elles permettraient, sans bouleverser l’équilibre stratégique et technologique de notre défense, de faire des économies pour doter les soldats des moyens et des équipements dont ils ont cruellement besoin.

Nous pensons ainsi que l’on peut faire des économies sur le budget de la dissuasion nucléaire, qui est extrêmement lourd – entre 3 et 3,5 milliards d’euros par an – sans nécessairement la supprimer du jour au lendemain, même si philosophiquement, nous avons toujours soutenu les positions légitimes pour le désarmement nucléaire. Mais au-delà de ces considérations, d’anciens ministres de la défense et d’anciens militaires aujourd’hui libres de s’exprimer publiquement l’ont dit à de nombreuses reprises : le statu quo en la matière contraint encore davantage les autres aspects de notre défense, ceux que nous utilisons le plus, puisqu’un certain nombre d’interventions ont été décidées par le Président de la République depuis trois ans.

J’ai bien compris que le Gouvernement n’avait pas l’intention de revenir sur ces grands choix, mais je le rappelle à l’occasion de ce débat, car ce choix structure toujours les débats sur la défense et son budget.

Enfin, nous pensons que ce texte aurait pu être plus précis sur la réaffirmation d’une ambition européenne en matière de défense et de projets communs, certains choix d’équipements et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Malgré ces points de désaccord, qui peuvent être profonds, nous saluons une avancée importante : la reconnaissance du droit des militaires à faire entendre leurs revendications et à défendre leurs intérêts professionnels, avec la création des associations nationales professionnelles militaires. Nous proposerons des amendements sur cette question, mais je salue le fait qu’un amendement ait été adopté en commission, conjointement avec la présidente de la commission et le groupe socialiste, républicain et citoyen. Nous sommes attachés à ce que les associations professionnelles soient interarmes, afin de ne pas enfermer les militaires dans un corporatisme dès le départ, car nous ne pourrions revenir là-dessus. C’est un des points sur lesquels nous serons extrêmement vigilants lors de la discussion.

Nous proposerons évidemment d’autres amendements au cours du débat, et leur sort décidera de notre vote final sur ce projet de loi de programmation militaire actualisée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Maggi.

M. Jean-Pierre Maggi. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, en décembre 2013, nous votions une loi de programmation militaire pour la période 2014 à 2019, fixant les objectifs de la politique de défense et la programmation financière qui lui est associée.

Or le contexte a évolué depuis. D’une part, les dramatiques attentats survenus à Paris en janvier ont démontré la nécessité d’un déploiement accru des forces sur le sol national, tant pour garantir la sûreté des populations que pour participer à la lutte contre le terrorisme.

D’autre part, la multiplication des crises en Afrique et au Moyen-Orient a contraint l’armée française à déployer des moyens importants sur des théâtres nouveaux, notamment dans la bande sahélo-saharienne et en Irak, pour des opérations militaires de contre-terrorisme exigeantes.

Le temps est donc venu de vérifier, d’une part la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la loi de programmation militaire et les réalisations, et d’autre part, d’affiner certaines des prévisions qui y sont inscrites, notamment dans les domaines de l’activité des forces et des capacités opérationnelles. Face à ce nouveau contexte stratégique, une actualisation s’est avérée nécessaire, d’autant qu’elle était prévue pour cette année dans la loi de programmation militaire.

Dès lors, en sanctuarisant les crédits de la défense à hauteur de 31,4 milliards pour 2015 et en dégageant 3,8 milliards de crédits supplémentaires pour couvrir les quatre prochaines années, le Président de la République a fait le choix nécessaire de renforcer les capacités d’intervention de nos armées.

Ce choix, il fallait l’assumer, et le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste le salue. Il permettra de réaliser les adaptations indispensables sans remettre en cause les grands principes de la stratégie de défense et de sécurité nationale énoncés dans le Livre blanc, pas plus que les grands équilibres de la programmation militaire.

D’autant que l’actualisation de la loi de programmation militaire permet de sécuriser les ressources financières dont bénéficie le ministère, puisque la majeure partie des recettes exceptionnelles prévues dans la programmation initiale, qui devait en partie provenir de la cession de la bande de fréquences des 700 mégahertz, sera remplacée par des crédits budgétaires.

Dès l’année 2015, et pour les années suivantes, les ressources de la programmation militaire seront alors constituées des crédits budgétaires de la mission « Défense » et des seules recettes extrabudgétaires issues des cessions immobilières et de matériels militaires, soit 0,6 % des ressources financières totales.

Ainsi, avec un financement en hausse et sécurisé, l’actualisation permettra tout d’abord une adaptation en termes d’effectifs.

Les attaques de janvier à Paris ont montré que la France, comme les autres États européens, était directement exposée à une menace terroriste en pleine expansion. Face à ce constat alarmant, le Président de la République a décidé que le rythme de réduction des effectifs du ministère de la défense devait être révisé.

La diminution des effectifs de la mission « Défense », initialement prévue à hauteur de 33 675 postes, est réduite de 18 750 pour s’établir sur la période 2014-2019 à 14 925 équivalents temps plein. La protection terrestre sera alors renforcée, avec la capacité de déployer 7 000 hommes durant une année sur le territoire national, et la possibilité de monter jusqu’à 10 000 pendant un mois. Cela implique de porter le format de la force opérationnelle terrestre à 77 000 hommes, au lieu des 66 000 initialement prévus.

C’est là encore une décision salutaire, tant le haut niveau d’engagement des forces armées, aussi bien sur le territoire national qu’au titre d’opérations extérieures, doit être renforcé. À ce titre, 2,8 milliards d’euros y seront consacrés.

Pour répondre à ces besoins croissants en matière de protection du territoire national, la contribution de la réserve opérationnelle militaire sera également accrue. Pour atteindre cet objectif, le budget consacré connaîtra une augmentation de 75 millions d’euros sur la période 2016-2019.

Ainsi, en cas de menace sur la sécurité nationale, il sera possible d’augmenter le nombre de jours d’activité des réservistes salariés et de réduire le préavis d’information de leurs employeurs. De même, un élargissement des recrutements vers les entreprises sera favorisé pour mettre fin à l’érosion des effectifs, avec une augmentation de 28 000 à 40 000 du nombre des réservistes. C’est un dispositif nécessaire, tant la réserve opérationnelle est une capacité à part entière de nos forces, qu’il convient donc de développer.

Autre objectif de l’actualisation : une adaptation en termes d’équipements.

D’abord, au profit de la régénération des matériels. L’activité des forces était déjà une priorité de la loi de programmation militaire, marquée par un effort financier important dans ce domaine, puisque les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels progressaient en moyenne de 4,3 % par an en valeur sur la période.

Avec l’actualisation, l’effet financier sera encore amplifié au profit des matériels les plus sollicités en opérations, avec une dotation supplémentaire de 500 millions d’euros sur la période 2016-2019.

En effet, le niveau actuel des engagements, leur nature et les moyens disponibles pour s’y préparer nécessitent de maintenir, dans la durée, un potentiel technique des matériels des forces armées suffisant.

L’actualisation permettra, ensuite, une amélioration dans le domaine des équipements critiques. Elle se fera, en premier lieu, au profit de la composante hélicoptères, avec des achats supplémentaires ; mais également au profit de la capacité de projection aérienne tactique, notamment avec l’avancement de la livraison de plusieurs avions ravitailleurs. Enfin, dans le domaine du renseignement, avec un renforcement de nos capacités d’observation spatiale par l’acquisition notamment d’un troisième satellite.

Le projet de loi contient, par ailleurs, deux dispositifs importants.

Tout d’abord, il institue un droit d’association professionnelle des militaires. Ces derniers auront désormais le droit de créer et d’adhérer à des organismes ayant pour objet la préservation de leurs intérêts professionnels. De même que sera garanti à ces organismes, par l’attribution de certains droits et moyens, l’exercice effectif de la mission qu’ils se sont assignée, notamment par la reconnaissance d’un droit au dialogue social avec la hiérarchie militaire.

C’est une évolution importante et nécessaire, d’une part pour que notre législation soit mise en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme, mais surtout pour réussir pleinement le processus de professionnalisation des armées. Ce dernier, engagé en 1997, a pour ambition de rapprocher de manière générale, la nation de son armée et le civil du militaire.

Par conséquent, tout en prenant en considération les impératifs liés au statut même de militaire, il doit être offert à l’ensemble de celles et ceux qui composent nos armées un certain nombre de droits et libertés dont bénéficient les compatriotes civils qu’ils ont pour mission de protéger.

Autre dispositif important : l’expérimentation d’un service militaire volontaire.

Malheureusement, certains jeunes rencontrent aujourd’hui de graves problèmes d’insertion dans le monde professionnel. Dans le texte que nous discutons aujourd’hui, il est proposé de créer, à titre expérimental, un service militaire volontaire tourné vers des jeunes ayant entre 17 et 25 ans, et ce pour une durée variable de six mois à un an.

Ce dispositif est remarquable, puisqu’il ambitionne d’accompagner des jeunes décrocheurs sur le chemin de la socialisation et de l’emploi en leur offrant une formation globale. Militaire d’abord, pour une durée d’un mois, cette formation élémentaire, au sein de l’armée de terre, leur apprendra ainsi le goût de l’effort et du dépassement. Elle pourra être aussi l’occasion pour eux de porter assistance aux populations dans le cadre des missions de sécurité civile. Ensuite, une formation citoyenne, se faisant par une remise à niveau scolaire, un apprentissage des valeurs de la République et des règles de vie en collectivité, ainsi qu’une formation au permis de conduire et de secourisme. Enfin, une formation professionnelle pourra également être proposée et, le cas échéant, les volontaires stagiaires pourront effectuer des périodes de mise en situation professionnelle en entreprise.

Ce service militaire volontaire présente donc plusieurs avantages qui devront pousser à le généraliser au-delà des deux années prévues pour son expérimentation, car il constitue une solution originale et innovante pour l’insertion des jeunes. II contribue pour les armées au renforcement de la cohésion nationale, et aussi à l’esprit de défense, par une diffusion de la culture militaire. Enfin, il apporte, pour les entreprises, une ressource jeune ayant acquis les bases de la vie en collectivité et de l’insertion professionnelle.

Ce projet de loi actualisant la programmation militaire 2014-2019 donne à la France les moyens de mettre en œuvre un modèle d’armée ambitieux, apte à répondre à l’évolution des enjeux internationaux et au besoin de sécurisation du territoire national.

Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste lui apportera tout son soutien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly