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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 24 juin 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Souhaits de bienvenue à la classe lauréate du vingtième Parlement des enfants

2. Questions au Gouvernement sur des sujets européens

Écoutes de la NSA

M. Jacques Myard

M. Bruno Le Roux

M. Manuel Valls, Premier ministre

Sauvetage de la Grèce

M. Joël Giraud

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Sauvetage de la Grèce

M. Nicolas Sansu

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Sauvetage de la Grèce

M. Axel Poniatowski

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Sauvetage de la Grèce

Mme Danielle Auroi

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Situation en Libye

Mme Nicole Ameline

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Plan Juncker

M. Jean-Jacques Bridey

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Europe spatiale

M. Arnaud Richard

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche

Traité de libre-échange transatlantique

M. Alain Moyne-Bressand

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Tarification du carbone

M. Bertrand Pancher

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Chrétiens d’Orient

M. Claude Goasguen

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Politique migratoire

Mme Marietta Karamanli

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Massacre de Srebrenica

M. Michel Voisin

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Rénovation énergétique des logements

M. Romain Colas

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

3. Accord France-États-Unis sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah

Présentation

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

M. Jean-Pierre Dufau, suppléant M. Armand Jung, rapporteur de la commission des affaires étrangères

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

Discussion générale

M. François de Rugy

M. Jacques Moignard

M. François Asensi

M. Philippe Baumel

M. Pierre Lellouche

M. Meyer Habib

Mme Valérie Fourneyron

M. Jean Glavany

Mme Chantal Guittet

M. Michel Vauzelle

Discussion des articles

Article unique

M. Gilbert Collard

M. Christophe Premat

M. Frédéric Lefebvre

M. Harlem Désir, secrétaire d’État

Explications de vote

Mme Seybah Dagoma

M. Pierre Lellouche

M. Meyer Habib

Mme Cécile Duflot

Vote sur l’article unique

4. Renseignement (CMP) - Nomination du président de la CNCTR (Proposition de loi organique)

Présentation commune

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Discussion générale commune

M. Jean-Jacques Candelier

M. Pascal Popelin

M. Éric Ciotti

M. Yannick Favennec

Mme Isabelle Attard

M. Alain Tourret

M. Philippe Nauche

M. Jean Lassalle

Texte de la commission mixte paritaire (Renseignement)

Amendement no 8

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification

Amendements nos 1 , 2 , 6 , 7 , 3 , 4 , 5

Vote sur l’ensemble

Discussion des articles (Nomination du président de la CNCTR)

Article unique

M. Lionel Tardy

M. Pouria Amirshahi

Vote sur l’article unique

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue à la classe lauréate du vingtième Parlement des enfants

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de saluer la présence dans notre hémicycle des élèves de la classe de CM2 de l’école élémentaire Pelleport à Paris dans le XXe arrondissement. Cette classe est lauréate du vingtième Parlement des enfants pour sa proposition de loi visant à protéger les enfants des images et vidéos qui sont diffusées sur internet. Je les félicite en votre nom. (Mmes et MM les députés ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement sur des sujets européens

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement sur des sujets européens. Mais en préalable, il y aura deux questions sur un autre sujet d’actualité.

Écoutes de la NSA

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe Les Républicains.

M. Jacques Myard. Depuis ce matin, le manège médiatique s’emballe à nouveau à la suite des révélations de WikiLeaks selon lesquelles nos chers amis américains écoutent les présidents de la République, des ministres et même des députés. (« Scandaleux ! » sur de nombreux bancs.) Ce qui prouve d’ailleurs qu’aux yeux de la NSA, les députés valent bien un Président de la République ! (Rires.)

Mais s’agit-il vraiment de révélations ? Puisque nous sommes entre nous et que personne ne nous écoute, je dirai qu’il n’y a là de révélations que pour les naïfs, car de Gaulle nous a appris depuis longtemps que les États n’ont pas d’amis.

Nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours. Nos alliés sont d’abord des concurrents économiques et diplomatiques.

M. Jean-Louis Christ. C’est vrai.

M. Jacques Myard. Ils ne font aucun cadeau, y compris nos chers partenaires européens. Alors, nos ministres n’ont pas à se répandre sur les téléphones portables et à raconter leur vie. Je dirai même plus. Si, après les nécessaires actions diplomatiques que vous mènerez, monsieur le Premier ministre, pour rappeler fermement à Washington qu’il s’agit là d’écoutes inadmissibles ; si donc nos chers alliés américains jurent, la main sur le cœur, qu’ils ne recommenceront plus, ne les croyez pas, conformément à l’adage de Virgile « Jamais de confiance dans l’alliance avec un puissant » !

M. Julien Aubert. Très bien !

M. Jacques Myard. C’est à nous, et à nous seuls, de défendre nos intérêts, de nous en donner les moyens, de sortir de notre angélisme, de regarder le monde tel qu’il est et non comme le rêvent les euro- et atlantico-béats.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin poser à plat les relations franco-américaines, certes en matière d’écoute, mais aussi en matière d’application extraterritoriale de leurs lois ?

Monsieur le Premier ministre, quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour répondre à l’amour pressant que nous portent nos chers alliés américains ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, l’amitié entre les peuples a des exigences qui n’échappent pas aux règles élémentaires du respect mutuel. Les États-Unis ont dérogé à ces règles élémentaires en procédant à la mise sur écoute de trois présidents de la République successifs.

Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande sur écoute de la NSA ! Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient-ils les ennemis des États-Unis ? La France représente-t-elle pour les États-Unis un danger, une menace ? En aucune manière et à aucun titre. Le fait est qu’un système d’écoute de grande ampleur, quasi addictif, s’est emparé de la NSA après le 11 septembre 2001, ne distinguant plus amis et ennemis, écoutes de sécurité et écoutes généralisées, collecte de renseignements et envie de tout savoir.

M. Pierre Lellouche. Tout à fait !

M. Bruno Le Roux. Chers collègues, la révélation de ces faits inacceptables a provoqué une réaction normale et immédiate de la France et, dès ce matin, le Président de la République en a informé les responsables parlementaires à l’Élysée. Sur tous les bancs de cette assemblée, nous condamnons cette pratique détestable dont la gravité ne doit pas être sous-estimée. Elle est une atteinte évidente à la souveraineté de la France.

À un moment où nous affrontons des défis considérables dans la lutte contre le terrorisme et où nous devons nous-mêmes renforcer nos moyens et nos règles – c’est ce que nous allons faire cet après-midi par la loi –, les révélations de Wikileaks abîment la confiance et l’esprit de coopération qui lie la France et les États-Unis.

Monsieur le Premier ministre, lorsqu’on a un ami, on l’appelle, on ne l’écoute pas. De toute évidence, les agissements découverts ne peuvent rester sans conséquences. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale la façon dont nous entendons assurer notre sécurité et répondre à cette grave atteinte qui a été portée à notre souveraineté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Jacques Myard, monsieur le député Bruno Le Roux, en vous répondant à tous deux, j’imagine que je réponds aussi aux autres groupes et à la plupart d’entre vous. Depuis ce matin, en effet, chacun se pose des questions légitimes.

Depuis 2013, soit déjà deux ans, la presse a eu l’occasion de distiller et de publier une partie des dossiers qu’Edward Snowden a captés au sein de la NSA. Parmi eux figure à plusieurs reprises la confirmation de l’espionnage, systématique et sur une longue durée, de dirigeants et de hauts fonctionnaires d’États étrangers. Ces pratiques ciblent des pays proches, alliés des États-Unis – il est public que le Brésil et l’Allemagne, au moins, ont été concernés.

Aujourd’hui, les documents publiés par deux journaux français en collaboration avec Wikileaks concernent la France. Ils pointent le fait que des pratiques similaires ont été conduites à l’encontre de personnalités politiques et administratives françaises pendant de longues années, et jusqu’au plus haut niveau – trois présidents de la République.

Le Président de la République a immédiatement réagi en convoquant le Conseil de défense. Il a réuni à midi les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents des commissions concernées et celui de la délégation parlementaire au renseignement, ainsi que l’ensemble des présidents des groupes politiques des deux assemblées. Cette réunion a été l’occasion, au-delà des nuances et des avis qui peuvent diverger, de mesurer et de partager l’émotion et la colère qui, dans un mouvement d’unité, étreignent l’ensemble de la représentation nationale et le pouvoir exécutif face à ces pratiques inacceptables – oui : inacceptables – émanant d’un pays ami.

Ces informations sont très graves. Ces pratiques sont anormales entre États démocratiques alliés de longue date, d’autant plus que nos deux pays portent un message universel de défense et de promotion de l’État de droit.

Non, il n’est pas légitime, au nom des intérêts nationaux, de procéder à la surveillance des communications de dirigeants politiques de ses proches alliés et de leurs collaborateurs – que ces dirigeants appartiennent d’ailleurs à la majorité ou à l’opposition, comme le Président de la République le rappelait ce matin.

Non, contrairement à certaines spéculations médiatiques, la France ne pratique pas la surveillance et le ciblage des communications des dirigeants politiques de ses partenaires européens ou de ses alliés.

Aucun dirigeant politique responsable, monsieur Myard, ne peut s’autoriser la naïveté. Dans le monde contemporain, même entre démocraties amies et proches, les intérêts nationaux restent les intérêts nationaux mais, lorsqu’on partage des valeurs communes, le respect réciproque de la souveraineté est un principe fondamental pour établir, maintenir et faire prospérer des relations de confiance pour la sécurité de nos peuples respectifs. Ces pratiques constituent donc une très grave violation de l’esprit de confiance qui doit nous animer.

Les États-Unis doivent reconnaître non seulement le danger que de tels agissements font peser sur nos libertés, mais aussi tout faire, et vite, pour réparer les dégâts que cela occasionne dans les relations entre pays alliés et entre les États-Unis d’Amérique et la France.

Si, de fait, les révélations d’aujourd’hui ne constituent une véritable surprise pour personne – ce qui ne veut pas dire, monsieur Myard, qu’il faille succomber au cynisme sur ces questions –,…

M. Jacques Myard. Oh !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …cela n’atténue en rien l’émotion et la colère : elles sont légitimes.

La France ne tolérera aucun agissement mettant en cause sa sécurité et ses intérêts fondamentaux.

Le sujet avait déjà été évoqué entre l’été 2013 et le voyage d’État du Président de la République aux États-Unis début 2014. Des explications claires et franches avaient été demandées par les autorités françaises. Des engagements avaient d’ailleurs été pris par nos alliés américains. Ils doivent être fermement rappelés et strictement respectés.

Il faut sans nul doute aller plus loin encore dans ces engagements.

M. Pierre Lellouche. Des excuses !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il est souhaitable qu’entre alliés, un code de bonne conduite soit établi en matière de renseignement et de respect de la souveraineté politique. Dans ce cadre, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a convoqué sans délai l’ambassadrice des États-Unis pour demander des explications officielles…

M. Pierre Lellouche. Des excuses !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et faire directement part de la position des autorités françaises.

Le Président de la République, cela a déjà été dit, s’entretiendra dans les prochaines heures avec le président Barack Obama, afin de s’assurer que les États-Unis réitèrent des engagements clairs et précis. À sa demande, le coordonnateur du renseignement, M. Didier Le Bret, et le directeur général de la sécurité extérieure, M. Bernard Bajolet, se rendront très vite aux États-Unis pour vérifier le renouvellement et l’approfondissement de nos accords de coopération dans le domaine du renseignement.

La confiance en ce domaine, la France s’honore de la construire chaque jour. Elle conduit une coopération fructueuse avec les États-Unis contre le terrorisme, contre la prolifération des armes de destruction massive et contre les filières du crime organisé international. Cette coopération, nous l’assumons pleinement.

Mesdames et messieurs les députés, le principal enseignement que l’on doit tirer de cette affaire est que notre pays doit veiller en permanence à perfectionner les moyens dont il s’est doté pour protéger l’indépendance nationale en sécurisant le domaine des communications stratégiques, et cela bien au-delà des domaines diplomatique ou militaire.

Il faut également, et vous le savez, être capables de le faire dans le domaine du renseignement ou de la sécurité des télécommunications et de l’informatique. Ces préoccupations sont au cœur de la politique du Gouvernement.

Mesdames et messieurs les députés, la réponse de la France à ces révélations est un message de clarté et de fermeté face à ce qui n’est pas acceptable.

Notre pays est un allié loyal, qui sait ce qu’il doit aux États-Unis et au peuple américain dans son histoire,…

M. Pierre Lellouche. C’est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …mais la gratitude ne l’empêchera jamais d’être indépendant. La loyauté n’est pas l’alignement.

La mission assignée par le Président de la République au Gouvernement est de veiller en toutes circonstances à protéger la liberté de nos concitoyens, en France comme à l’étranger.

Contrairement au choix fait par d’autres pays, nous avons fait un choix clair concernant le projet de loi sur le renseignement qui vous sera soumis, pour le vote vital final, cet après-midi et qui est totalement fidèle à l’approche que nous portons. Il encadre étroitement l’ensemble des méthodes de surveillance. Il crée un outil de contrôle puissant, composé de neuf personnes indépendantes, dont quatre magistrats issus des deux plus hautes juridictions françaises et quatre parlementaires des deux chambres, dont la moitié issus de l’opposition. Un contrôle juridictionnel est institué pour l’intégralité des opérations de surveillance menées sur le territoire national et je ne laisserai pas dire que ce texte de loi pourrait mettre en cause nos libertés et que nos pratiques seraient celles que nous condamnons aujourd’hui, ici à l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Aujourd’hui, mesdames et messieurs les députés, nous portons ici, dans un esprit d’unité nationale, l’indignation de la France et des Français et une exigence de vérité et d’explication qui doit venir au plus vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Sauvetage de la Grèce

M. le président. Nous en venons aux questions au Gouvernement sur des sujets européens.

La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Monsieur le ministre des finances, l’échéance du 30 juin, à laquelle la Grèce doit rembourser au Fonds monétaire international la bagatelle de 1,6 milliard d’euros, n’a jamais été aussi proche. Pour cela, la Grèce doit obtenir la reprise de l’aide financière de ses créanciers européens, par le biais principalement du Fonds européen de stabilité financière, dans le cadre d’un accord ardu sur une série de réformes et mesures budgétaires drastiques dans un pays déjà asphyxié.

À notre époque postmoderne, le paradoxe ne choque plus. En effet, les créanciers prêtent à l’État grec pour que celui-ci les rembourse, à la condition supplémentaire qu’il applique des mesures d’économies subsidiaires. Ce cercle économique vicieux est devenu le principe même de l’endettement de nos États.

Je me permettrai un petit détour historique, ce qui permet souvent de renouer avec le sens pratique.

Dès les temps de la Mésopotamie antique, les rois babyloniens effaçaient l’ardoise lorsque la machine économique et sociale se grippait. Les empereurs sumériens avaient trouvé une solution simple : ils coupaient la tête aux prêteurs et observaient un principe de jubilé – tous les 49 ans, les dettes étaient annulées et les esclaves retrouvaient leurs biens. Bien plus tard, la loi biblique du jubilé disposait que les dettes seraient automatiquement annulées tous les sept ans.

Selon David Graeber, universitaire mondialement connu pour son récent best-seller Dette : 5 000 ans d’histoire, l’effacement de la dette par les créanciers dans l’Antiquité leur permettait utilement d’éviter la colère populaire qui aurait poussé les paysans à brûler les tablettes, papyrus, grands livres et autres registres de dettes.

Plus récemment, le Plan Marshall, en effaçant une partie de l’accumulation de la dette allemande, a permis au continent européen de renaître après la Seconde guerre mondiale, sans que personne ne s’en offusque, ni sur le plan moral, ni sur le plan économique. L’Islande, quant à elle, est sortie récemment de la crise en effaçant les dettes des ménages et des PME.

Les prêts bilatéraux de la Grèce les plus problématiques auprès des pays de la zone euro ne représentent que 16 % de l’ensemble de la dette qui menace la stabilité financière de l’Europe : ce n’est pas marginal, mais c’est mineur.

Monsieur le ministre, ma question est simple : comment justifiez-vous que, dans les sommets en cours, le reprofilage la dette grecque soit relégué au rang de sujet de seconde importance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, républicain et citoyen et plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, vous êtes plusieurs sur ces bancs à m’interroger sur la situation de la Grèce, les relations entre la Grèce et ses partenaires européens et les négociations qui vont reprendre cet après-midi et ce soir – je vous quitterai d’ailleurs pour rejoindre l’Eurogroupe et mes collègues, les autres ministres des finances, pour parler avec notre collègue grec d’une issue qui doit être positive.

Je vous redis la position de la France, qui a été exprimée très clairement par le Président de la République, voilà quelques heures, au sommet de l’Eurogroupe à Bruxelles : la France veut un accord global, parce que nous voulons un accord durable.

Dans l’accord global, la question de la dette n’est pas taboue. Elle devra être abordée, même si elle n’est pas la plus urgente ou la plus nécessaire dans un premier temps. Elle fait partie des sujets qui sont sur la table et n’est donc pas exclue.

Mais, monsieur le député, même si j’ai pu admirer vos connaissances historiques et votre capacité à déchiffrer, sur les tablettes babyloniennes, le cunéiforme dans le texte (Sourires), je voudrais souligner une différence entre ce à quoi vous avez fait allusion au cours de l’histoire – dont on peut éventuellement décrire les effets dans l’actualité – et la question de la dette grecque : les Grecs ne doivent pas aux marchés financiers, à des banquiers qui viendraient s’enrichir sur leur dos,…

M. André Chassaigne. Ceux-là ont été remboursés !

M. Michel Sapin, ministre. …mais à nous tous, contribuables français, européens, allemands, espagnols, italiens, lituaniens, slovaques, slovènes – parfois même aux contribuables de pays qui sont eux-mêmes dans une situation économique très difficile.

C’est parce que c’est une dette vis-à-vis des États que la question doit être traitée entre États. Il s’agit de trouver une solution durable et solide, et c’est ce à quoi nous allons aujourd’hui travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Sauvetage de la Grèce

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le Premier ministre, jeudi dernier, la commission de vérité sur la dette grecque a présenté son rapport préliminaire au cours d’une grande conférence organisée au Parlement grec, à laquelle je participais au nom des députés du Front de gauche. Les conclusions sont accablantes, tant il est démontré qu’une grande part de la dette grecque est illégitime, insoutenable, voire illégale et odieuse. En réalité, les créanciers ont fait leur beurre de la misère d’un peuple grec qui s’est vu imposer deux memoranda aux conséquences terribles.

Faut-il rappeler qu’en 2010, la BCE a racheté des titres de la dette grecque en dessous de leur valeur pour exiger aujourd’hui leur remboursement sur leur valeur totale ? Faut-il rappeler que le FMI a empoché 2,5 milliards d’euros d’intérêts excessifs sur le dos du peuple grec ? Faut-il rappeler que les échéances de 1,6 milliard au FMI et de 7 milliards à la BCE sont une goutte d’eau face à la richesse de l’Europe, qui est de 10 000 milliards d’euros ? 7 milliards d’euros pour la BCE ! C’est le montant de l’amende payée par BNP-Paribas aux États-Unis – ces États-Unis qui nous espionnent !

Mme Isabelle Attard. Très bien !

M. Nicolas Sansu. La question de la dette grecque n’est donc pas une question financière : c’est une question politique. Allons-nous enfin cesser de sacrifier le bien-être des peuples pour continuer d’engraisser une oligarchie financière qui fait régner la terreur de l’austérité ? Le peuple grec a démocratiquement choisi un chemin différent. Si la « troïka » et les États de la zone euro, au premier rang desquels l’Allemagne, lui tordent le bras gauche jusqu’à le casser, il ne faudra pas s’étonner que seul le bras droit se dresse, jusqu’à l’extrême ! Voilà le résultat de l’intransigeance du FMI, de la BCE et de l’Eurogroupe, intransigeance réaffirmée ce jour !

Monsieur le Premier ministre, la dette est une chose trop importante pour qu’on la laisse aux seuls banquiers et financiers. Appuyez la demande du Parlement grec d’une grande conférence européenne sur la dette associant gouvernements, associations, citoyens et parlementaires pour sortir de cette spirale, restructurer la dette en en effaçant une part et remettre l’Europe sur le seul chemin de l’espoir : celui de la démocratie, de la solidarité et de l’écologie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe écologiste ainsi que sur divers bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur Sansu, vous êtes par ailleurs gestionnaire d’une collectivité locale : vous savez donc ce qu’est une gestion sérieuse, comme vous la menez à Vierzon, permettant d’honorer ses engagements et d’éviter de pressurer trop ses contribuables.

Je voudrais répéter ici que la question de la dette grecque est importante et qu’elle n’est pas taboue – elle doit être abordée ; mais gardez-vous de l’aborder dans les termes que vous venez d’utiliser car c’est une autre manière de voir, qui n’est pas le reflet de la réalité. Peut-être était-ce le reflet de la réalité il y a dix ans mais aujourd’hui, la dette grecque n’est pas une dette envers les financiers, comme vous l’avez dit, ou envers les banques : les Grecs ne doivent plus rien aux banques ! (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. André Chassaigne. Et pour cause : les banques ont été servies !

M. Michel Sapin, ministre. C’est à nous qu’ils doivent, au travers de la Banque centrale européenne – attention à cette illusion : ce n’est pas une banque comme les autres, mais une institution publique dont nous sommes, la France comme les autres, des actionnaires, au bon sens du terme.

M. André Chassaigne. Nous n’avons pas notre mot à dire !

M. Michel Sapin, ministre. La Banque centrale européenne est aussi notre banque publique : évitons donc les facilités de langage pour traiter de ce sujet sérieux ! La dette grecque est due à nos contribuables, à l’ensemble des Français, des Britanniques, des Allemands et de tous les Européens, et c’est ainsi que nous devons la traiter.

Je veux rappeler que l’accord global auquel le Président de la République a souhaité qu’il soit donné le plus rapidement possible une réalité porte sur l’équilibre budgétaire, nécessaire en Grèce comme ailleurs, et sur les moyens d’y arriver. Les Grecs devaient faire des propositions : ils ont fait des propositions sérieuses sur la base desquelles nous devons travailler.

M. Jean-Luc Laurent. La Grèce est réaliste !

M. Michel Sapin, ministre. Nous parlerons de l’investissement et de la croissance et nous parlerons également de la dette, parce qu’il est nécessaire de parler aussi de la dette. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Sauvetage de la Grèce

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, pour le groupe Les Républicains.

M. Axel Poniatowski. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, toujours à propos de la Grèce, je souhaite savoir non pas quelle est la position de la France, mais combien tout cela nous coûtera « à nous », comme vous dites. Les différents sommets de cette semaine permettront peut-être à la Grèce d’éviter un défaut de paiement à brève échéance, mais à quel prix ?

Depuis son entrée dans la zone euro en 2001, la Grèce vit bien au-dessus de ses moyens, et surtout à crédit. L’Europe demande aujourd’hui au gouvernement de M. Tsipras de prendre quelques mesures en matière de TVA et de retraites et de présenter un budget en excédent primaire. Or, depuis son arrivée au pouvoir, M. Tsipras, à l’inverse, creuse tous les jours un peu plus les déficits publics en accompagnant cela d’un zeste de provocation, assuré qu’il se croit que jamais l’Europe ne lâchera l’un de ses membres.

Pourtant, les demandes formulées par la zone euro sont en réalité bien modestes, quand on sait que le mal profond dont souffre la Grèce est son incapacité à collecter l’impôt et que le sport national est le recours à l’économie souterraine.

Monsieur le ministre, qu’un pays décide de tricher au sein de ses frontières, c’est son affaire ; mais lorsque ses frontières sont les nôtres, cela devient insupportable, d’autant qu’il revient aux Européens de régler toutes les factures de jeu de la Grèce.

Qui plus est, si un accord est trouvé, chacun sait bien que le sujet de l’endettement reste tabou et que les 320 milliards de dette cumulés depuis quinze ans ne seront jamais remboursés ; d’ailleurs, 110 milliards ont déjà été passés par pertes et profits !

Je relève en outre les propos stupéfiants du premier secrétaire du parti socialiste, votre parti, qui, en début de semaine, appelait solennellement le FMI, la BCE et la Commission à « cesser d’entraver tout compromis » ! Loin d’entraver tout compromis, nous sommes au contraire dans la fuite en avant. Monsieur le ministre, ma question est simple : combien cela va-t-il coûter à la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président Poniatowski, je suis de ceux qui considèrent, et je pense que vous en faites également partie, qu’il faut être exigeant vis-à-vis de la majorité actuelle du Parlement grec, dans le respect de la démocratie – car s’il y a une nouvelle majorité, s’il y a un nouveau gouvernement en Grèce, ce n’est pas pour faire exactement et en tout point ce que faisait la précédente majorité ou le précédent gouvernement…

M. Franck Gilard. Lequel était socialiste !

M. Michel Sapin, ministre. …sinon je ne comprends rien à la démocratie, ni là, ni ailleurs !

Il faut être exigeant, mais il faut être juste : or je vous ai trouvé injuste, monsieur Poniatowski. Il est injuste de dire que la situation actuelle, en particulier du point de vue des impôts – ce que vous avez décrit est juste – serait de la responsabilité de ce gouvernement. S’il y a un grave échec, une grave responsabilité de la part du gouvernement précédent, des majorités précédentes, c’est de n’avoir jamais apporté une réponse à ce que demandaient les « institutions » et les Européens : mettre en place un système de perception de l’impôt permettant que tout le monde paye l’impôt, et surtout les plus riches des Grecs…

M. Franck Gilard. Et l’Église !

M. Michel Sapin, ministre. …qui, aujourd’hui, s’exonèrent de toute obligation de verser l’impôt. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

C’est aussi cela, la justice ! Le gouvernement grec, et nous le soutenons, veut de la justice fiscale, là comme ailleurs.

M. Jacques Myard. Ça coûte combien ?

M. Michel Sapin, ministre. C’est un des éléments fondamentaux pour retrouver de la stabilité et pour qu’un accord, par ailleurs nécessaire, qui doit être juste et exigeant, permette à la Grèce de retrouver la croissance et l’emploi.

M. Jacques Myard. Ça va coûter combien ?

M. Michel Sapin, ministre. Pendant cinq années consécutives, monsieur Poniatowski, ce pays n’a pas cessé de baisser, baisser, baisser, perdre de la richesse, perdre de l’activité.

M. Jacques Myard. Comme nous !

M. Michel Sapin, ministre. Or le gouvernement grec d’aujourd’hui n’en est pas responsable. Soyons exigeants, mais soyons justes : c’est comme cela qu’on aboutira à un accord ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Sauvetage de la Grèce

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour le groupe écologiste.

Mme Danielle Auroi. Monsieur le ministre des finances, à mon tour, je poserai une question sur les négociations avec la Grèce qui doivent aboutir dans les heures qui viennent – nous l’espérons en tout cas.

On sent enfin un élan d’optimisme. Chacun fait un pas : le gouvernement grec en acceptant certaines hausses de TVA, les Européens en comprenant la volonté grecque de protéger les petites retraites ou l’accès de tous aux médicaments. De son côté, le FMI reconnaît que l’austérité imposée a provoqué un terrible recul économique mais dans le même temps veut contraindre un pays exsangue à de nouvelles restrictions. C’est quelque peu schizophrène.

Certes, des transformations profondes sont nécessaires en Grèce. Le Gouvernement a la lourde tâche de faire disparaître zones de non-droit et économie souterraine. Les réformes doivent s’éloigner de la doxa austéritaire – réduction des prestations sociales ou des salaires – et viser plutôt l’équité, l’éradication du très ancien système clientéliste, la lutte contre la corruption, en même temps que doit être engagée une vraie réforme fiscale.

Mais n’oublions pas de saluer la solidarité des Grecs les plus pauvres, dans les îles, avec les migrants : nous pourrions prendre exemple sur eux !

Aujourd’hui, le gouvernement français souhaite un « accord global et durable », et je salue cet engagement. Le choix de la confiance au nouveau gouvernement grec constitue pour nous tous une chance historique.

Alors, pourrait-on envisager, monsieur le ministre, que les mesures de consolidation budgétaire soient compensées, du moins la première année, par un programme d’investissements piloté par l’Union ? Un tel programme, axé sur des secteurs d’avenir et d’emploi tels que les énergies renouvelables, permettrait à la Grèce de s’investir dans l’Union de l’énergie, dont l’Europe a besoin pour faire face au changement climatique.

La France, monsieur le ministre, est-elle prête à soutenir ces propositions qui pourront donner à la Grèce toute la place qu’elle mérite dans l’Europe ? Est-elle prête à soutenir une relance tournée vers un avenir décarboné et à montrer, dans tous les domaines, sa solidarité avec le peuple grec ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Votre question, madame la députée, me permet de compléter les réponses que je viens de faire sur les moyens de trouver ensemble une solution, je le redis, globale et durable.

En reparler toutes les trois semaines, en effet, a beaucoup d’inconvénients. Je ne parle pas du temps que nous y passons ; je veux dire que pendant ce temps-là, l’économie grecque est à l’arrêt, les entreprises grecques n’investissent plus, les salariés grecs sont dans l’inquiétude. C’est de cette situation qu’il faut aider le gouvernement grec et sa majorité à sortir.

Pour en sortir, vous avez raison, madame la présidente de la commission des affaires européennes, d’insister sur la question de l’investissement. Oui, les Grecs doivent faire des efforts pour équilibrer leur budget. Faire des efforts, nous en savons nous-mêmes quelque chose – même si les nôtres sont bien loin de ceux demandés aux Grecs dans le passé –, cela veut dire diminuer un certain nombre de dépenses, augmenter un certain nombre d’impôts. Mais nous devons aider la Grèce à compenser, le terme est exact, ces efforts par une solidarité venant soutenir les investissements.

Le plan global auquel le Président de la République française appelle chacun traite de budget, de fiscalité, de lutte contre la fraude fiscale, mais aussi d’investissement et de développement économique.

Des propositions sont faites au niveau de la Commission – M. Juncker y est particulièrement attentif – pour que, parallèlement aux efforts aujourd’hui promis par la Grèce, nous soyons en mesure d’apporter des crédits, notamment par le biais des fonds structurels européens, afin de développer l’économie grecque dans tous ses aspects, en particulier environnemental, de façon qu’elle puisse intégrer les contraintes climatiques. Il y a en effet là, en Grèce comme ailleurs, une capacité de création d’emplois et de développement économique, ce dont la Grèce a particulièrement besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Situation en Libye

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe Les Républicains.

Mme Nicole Ameline. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur la Libye et sur la stratégie globale de l’Union européenne dans le Sud.

Chacun sait qu’aujourd’hui, seule une solution politique peut résoudre la crise libyenne qui affecte toute la région méditerranéenne, y compris notre propre continent. Je veux vous interroger sur l’action et la responsabilité de l’Europe dans le règlement politique de cette crise, sur sa capacité à accompagner la reconstruction de ce pays stratégique et, au-delà, à stabiliser un espace qui l’est tout autant.

Vous le savez, un accord est aujourd’hui possible en Libye, il est proche. Il répond certes à la mobilisation positive des pays riverains, mais aussi à l’action internationale. La mise en place d’un gouvernement d’union nationale serait de nature à répondre à toutes les questions qui se posent, qu’elles soient sécuritaires, politiques, mais aussi migratoires, car nous savons que la question des migrations se réglera à terre, dans la restauration des contrôles aux frontières, dans la stabilisation globale de la région, mais aussi dans une approche du développement de la région subsaharienne plus adaptée aux réalités actuelles. C’est dire à quel point il est prioritaire que l’Union européenne mobilise son énergie pour obtenir cet accord politique.

Plus encore, je souhaiterais connaître l’action de la France et ses initiatives pour, au-delà de cet accord, mobiliser l’ensemble de la communauté européenne dans la reconstruction politique et économique de cette région. Cela suppose une volonté, une stratégie nouvelle, un redéploiement de la politique de voisinage et surtout la mise en place de solidarités nouvelles, dans le cadre d’un partenariat stratégique avec le Sud qui n’est pas satisfaisant aujourd’hui. Quelles initiatives la France compte-t-elle prendre dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Madame la députée, je vous remercie de votre question sur la situation en Libye, pays qui traverse depuis plusieurs mois à la fois une crise politique et une crise sécuritaire, puisqu’il y a dans ce pays deux parlements, deux gouvernements, plusieurs groupes armés qui s’affrontent. Cette situation comporte des risques pour la stabilité des pays voisins, mais aussi des risques humanitaires très importants pour la population libyenne, comme pour les populations africaines, victimes de toutes sortes de trafics, y compris le trafic d’êtres humains.

La situation politique, sur le terrain, est bloquée. La reprise du dialogue politique est suspendue aux réponses des différentes parties libyennes au projet d’accord que le représentant spécial du secrétaire général des Nations-unies, M. Bernardino León, a préparé.

Le Congrès général national de Tripoli, qui est l’ancien Parlement, a accepté ce projet d’accord le 17 juin mais veut y apporter des amendements. Dans le camp de Tobrouk, la Chambre des représentants de l’autorité actuellement reconnue ne s’est pas encore prononcée définitivement et souhaite elle-même des modifications.

L’action de la France, c’est de tout faire pour inciter les deux parties, et tout particulièrement le camp de Tobrouk, à accepter ce quatrième projet d’accord : c’est celui qui doit permettre de pacifier le pays, de reconstruire un État capable de lutter efficacement contre le terrorisme.

C’est là le deuxième point : cette situation de crise politique a abouti à une situation très dégradée sur le plan de la sécurité. La Libye est aujourd’hui le carrefour de nombreuses menaces pour la région et pour l’Europe. Les groupes djihadistes, dont Daech, profitent du vide étatique et du climat de guerre civile pour s’y implanter et l’absence d’État fait le lit de tous les trafics : trafic d’armes, trafic d’êtres humains.

L’Europe doit se mobiliser. Elle doit d’abord mettre en œuvre l’opération navale EUNAVFOR MED de surveillance des côtes et de lutte contre les trafiquants, mais aussi donner la priorité, dans le cadre de la politique européenne de voisinage, au soutien à la stabilité, à la paix et au développement des pays du Sud. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Plan Juncker

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Bridey, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Jacques Bridey. Monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, aujourd’hui, le Parlement européen adopte définitivement le plan d’investissement européen, autrement appelé plan Juncker.

M. Jacques Myard. C’est du pipeau !

M. Jean-Jacques Bridey. Présenté au mois de novembre dernier, il crée un Fonds européen pour les investissements stratégiques de 315 milliards d’euros au service de la relance, de la croissance et donc de l’emploi.

Dès 2012, dès l’élection de François Hollande, la France avait demandé qu’un plan de relance européen soit engagé. Nous avions obtenu la réorientation de la politique européenne et nous avions mis fin à la spirale de la rigueur.

Nous nous étions battus pour faire entendre notre voix et c’est ainsi que le plan Juncker a été élaboré. Le vote d’aujourd’hui vient couronner ces efforts et nous sommes heureux que ces négociations aboutissent à des financements pérennes et concrets pour la relance.

Ces 315 milliards d’euros sont pour les Européens, pour nos compatriotes, pour l’emploi, pour la croissance, pour la recherche, pour le numérique, pour le développement, pour l’environnement et pour l’éducation. Oui, ces financements viennent appuyer une Europe dynamique et positive.

L’Europe n’est pas synonyme de carcans et de contraintes, comme voudraient nous le faire croire certains populistes qui préfèrent désigner des coupables plutôt que de trouver les solutions. L’Europe, c’est la préparation de l’avenir, de notre avenir, c’est une force économique, c’est la garantie de notre développement et de notre rayonnement économique international.

Le plan Juncker est une force. Il deviendra le moteur de projets ambitieux à toutes les échelles.

Concrètement, ces financements apporteront des fonds pour que nos start-up et pour que nos entreprises se développent. Le plan financera la recherche et l’investissement mais aussi de grands projets d’infrastructures. Il participera également au développement et au financement de la transition énergétique.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quels seront les effets concrets du plan Juncker sur l’économie française et sur la vie quotidienne de nos concitoyens ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le député, c’est en en effet ce soir même que le Parlement européen doit adopter le règlement qui créera le Fonds européen pour les investissements stratégiques, règlement qui pourra ensuite être adopté par le Conseil européen. Nous restons donc dans le calendrier souhaité par le Président de la République – adoption rapide des bases législatives qui permettront de lancer le Fonds d’investissement afin de générer 315 milliards d’euros de soutien à des projets innovants dans toute l’Europe. Dans quels domaines ? Ceux qui sont précisément mentionnés dans la législation qui sera adoptée ce soir : le numérique, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les infrastructures, la mobilité urbaine, l’innovation, la recherche, le développement, l’éducation, la santé, la culture.

Sans attendre, vous le savez – et c’était également une demande du Président de la République – la Banque européenne d’investissement a d’ores et déjà accepté de préfinancer plusieurs programmes sur ses fonds propres, et notamment deux en France : l’un de 440 millions d’euros de prêts à l’innovation vers les PME et les ETI françaises – c’est la Banque publique d’investissement qui les met en œuvre – et l’autre de 400 millions pour la rénovation thermique de 40 000 logements – plusieurs régions ont déjà présenté des projets afin d’en bénéficier.

Nous poursuivons en même temps le travail d’identification et d’accompagnement des projets qui pourront être éligibles au Fonds lorsque son comité d’investissement aura été installé, soit à la rentrée de septembre car le Parlement européen doit encore recruter le directeur et son équipe.

D’ores et déjà, la Caisse des dépôts et consignations, le Commissariat général à l’investissement et Bpifrance ont identifié plus de 140 projets dans notre pays, correspondant aux secteurs concernés et qui sont susceptibles de recevoir la garantie, l’appui et le soutien du fonds Juncker.

Son effet sur l’économie et sur nos territoires sera donc concret. Il permettra de répondre à notre objectif : la mise en place d’une Europe de la croissance, de l’innovation et de l’emploi, une Europe qui prépare l’avenir ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Europe spatiale

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’Europe spatiale est une évidence et l’une des plus belles réussites de notre continent – l’accès à l’espace constitue une composante de la souveraineté européenne.

Le Gouvernement a confirmé la décision attendue de céder les titres d’Arianespace détenus par le CNES à la co-entreprise Airbus Safran Launchers afin que celle-ci consolide la filière. Pour cela, Airbus et Safran se seraient engagés à ne pas toucher aux emplois. La France accueille 24 000 emplois directs très qualifiés, ce qui constitue un atout et un enjeu majeurs pour notre pays. Qu’en est-il exactement, monsieur le secrétaire d’État ?

Ce choix de la privatisation marque une ère nouvelle pour l’histoire spatiale européenne, bouleversée par l’arrivée de nouveaux entrants longtemps sous-estimés. L’espace est désormais un marché concurrentiel dans lequel la guerre des prix succède à la guerre des étoiles.

L’Europe doit prendre ce tournant stratégique vers un marché de plus en plus dominé par des acteurs low-costs, vers le transfert de la valeur ajoutée aux services et vers le lancement de constellations de satellites. Pour s’engager sur des coûts et des délais, la gouvernance de la filière est ainsi simplifiée, l’équilibre étant souvent difficile à trouver avec nos partenaires européens.

Dans ce mécano industriel, monsieur le secrétaire d’État, ce ne sont pas les effectifs qui doivent être la variable d’ajustement. Dans un contexte de concurrence féroce, la réponse de la préférence communautaire n’est-elle pas désormais nécessaire ? Alors que les États-Unis n’ont jamais lancé de satellite américain à partir d’un lanceur européen ou russe, il s’est parfois révélé difficile d’imposer Ariane pour le lancement des satellites Galileo, projet pourtant européen.

Alors, monsieur le ministre de l’espace, face aux changements historiques que connaît l’espace, quelle stratégie comptent mener la France et l’Europe pour conserver leur leadership dans le domaine des lanceurs ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, vous m’interrogez sur la stratégie française et européenne en matière de restructuration de l’activité spatiale. Tout d’abord, vous avez eu raison de rappeler les enjeux économiques considérables de ce secteur : vous avez évoqué 24 000 emplois directs, auxquels il serait possible d’ajouter un peu plus de 50 000 emplois indirects. L’enjeu est donc absolument majeur.

Ce secteur, ensuite, connaît une profonde évolution. Très longtemps, il a dépendu de la commande publique…

M. Jacques Myard. Là-dessus, nous sommes d’accord.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État. …avec les lanceurs de satellites de télécommunication et de météorologie. Désormais, il dépend de partenariats avec les industriels pour plus de 50 % de son chiffre d’affaires.

De surcroît, cet univers-là est de plus en plus concurrentiel et connaît l’émergence de nouveaux acteurs dont la stratégie, s’agissant des lanceurs, est comparable à celle des low-costs pour les avions – vous avez cité une société qui, en effet, procède à des lancements à des coûts qui n’ont plus rien à voir avec ceux que l’on connaissait précédemment.

L’Europe a décidé de se remobiliser et de se donner toutes les possibilités de répondre à cette nouvelle compétition internationale.

Elle l’a fait en décembre dernier lors d’une rencontre européenne à l’ESA, l’European Space Agency – l’Agence spatiale européenne. Elle a décidé d’une stratégie qui, certes, repose sur la constitution d’un groupe privé fort, mais aussi sur un partenariat durable avec la puissance publique – réunion dans une entreprise commune des groupes Airbus et Safran au sein de Airbus Safran Launchers, l’ASL – partenariat durable répartissant les responsabilités des uns et des autres : à l’ESA la maîtrise d’ouvrage du système de lancement, à l’ASL celle du lanceur et au CNES la maîtrise d’œuvre du segment au sol.

Cette économie mixte réorganisée doit nous permettre…

M. le président. Je vous remercie…

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État. …de gagner en compétitivité et de préserver les emplois. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Traité de libre-échange transatlantique

M. le président. La parole est à M. Alain Moyne-Bressand, pour le groupe Les Républicains.

M. Alain Moyne-Bressand. Monsieur le Premier ministre, nos agriculteurs sont très inquiets et je souhaite ici relayer leurs préoccupations, dans le contexte des négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre la Commission européenne et les États-Unis.

Ces négociations sont aujourd’hui menées dans le plus grand secret. Elles font l’objet de spéculations diverses, et le report du vote qui devait avoir lieu le 10 juin au Parlement européen a renforcé les inquiétudes. Le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur déclarait, le 8 mai 2015, que les négociations n’avançaient pas. Pourquoi ? Quels sont les points de blocage ? Ces questions sont importantes pour nos agriculteurs.

Avec ce traité, c’est l’avenir et la qualité de notre modèle agricole qui sont en jeu. La loi d’avenir pour l’agriculture d’octobre dernier a surtout apporté des contraintes pour le présent. Les exploitants sont noyés sous les déclarations et les obligations administratives nouvelles. On comprend leur inquiétude, car aucun signal positif n’est à entrevoir. Il suffit par exemple de voir le prix du lait, qui ne cesse de chuter : en janvier 2014, la tonne de lait se vendait 392 euros. Aujourd’hui, on est aux alentours de 300 euros. Et ne dites pas, comme d’habitude, que c’est la faute de l’arrêt des quotas ! Il suffit d’aller un peu sur le terrain pour comprendre qu’il n’en est rien.

Les agriculteurs, en particulier les jeunes, sont catastrophés par le manque de perspectives. De plus en plus d’exploitations, ne trouvant pas de repreneur, sont malheureusement à l’abandon. Aussi, monsieur le Premier ministre, il est important que la représentation nationale soit tenue informée des négociations transatlantiques, de leur calendrier et de leur contenu. Les agriculteurs attendent des réponses. Quelles actions concrètes le Gouvernement français va-t-il mener ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le député Alain Moyne-Bressand, je vous prie tout d’abord d’excuser M. Matthias Fekl, qui vient de partir en déplacement avec le Premier ministre en Colombie et en Équateur, et qui m’a demandé de répondre à votre question.

Comme vous l’avez rappelé, le traité transatlantique, ou TTIP – Transatlantic Trade and Investment Partnership – est aujourd’hui en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis, et le dixième cycle de négociation s’ouvrira au début du mois de juillet. Pour l’heure, aucun accord n’a donc été signé.

Du reste, il faut être deux pour négocier, or je veux souligner qu’à ce stade, le gouvernement américain demande encore au Congrès de disposer de la Trade promotion authority, c’est-à-dire du mandat qui lui permettra de conduire réellement cette négociation. Cette demande a jusqu’ici été repoussée et va à nouveau être examinée par le Sénat.

Tout au long de ces négociations, la France a formulé des exigences précises et fixé des lignes rouges, notamment au sujet de l’agriculture. D’abord, nous l’avons dit, nous n’intégrerons pas aux négociations les règles relatives à la sécurité sanitaire des aliments – nous refusons les OGM, le bœuf aux hormones et le poulet chloré. De même, nous avons exclu de ces négociations les secteurs très sensibles que sont l’audiovisuel et la protection des données personnelles.

S’agissant, deuxièmement, de la méthode et de la transparence à laquelle vous avez appelé, ce sont là des exigences absolues pour nous. Le mandat de négociation donné à la Commission européenne est désormais public : c’était une demande forte de la France, mais il faut aller plus loin, en permettant l’accès aux documents de négociation dans les capitales des États membres. Les États-Unis s’y opposent et nous proposent de donner accès à ces documents dans leurs ambassades. Cette proposition est absolument inacceptable, puisque c’est à chacun des vingt-huit États membres qu’il reviendra de donner son accord, puis à chaque Parlement, ainsi qu’au Parlement européen, de ratifier un éventuel accord.

Sur la transparence, comme sur les lignes rouges, nous partageons vos préoccupations, et nous les défendons.

Tarification du carbone

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. Madame la ministre de l’écologie, la France va accueillir la conférence internationale sur le réchauffement climatique, et la question de la tarification du carbone s’est invitée à sa table. C’est l’instrument de régulation du climat réclamé par tous, notamment par les entreprises et le monde de la finance.

Pour monter aux arbres, il vaut mieux avoir les culottes propres, dit un proverbe. Il vaut mieux être exemplaire, ce qui n’est malheureusement plus le cas de l’Union européenne. Le prix du carbone lié aux échanges de quotas ETS – Emissions Trading Scheme – s’est écroulé, puisqu’il est actuellement de 7 euros la tonne, contre 30 euros à son origine. La Commission européenne s’apprête à déposer un nouveau texte concernant le système ETS, à compter de 2020 seulement. Cette initiative européenne permettra-t-elle de retrouver un prix élevé et durable du carbone, et dans quels délais ?

La Commission proposera la mise en réserve de surplus de quotas pour faire remonter les cours, mais il faudrait les annuler. Le Gouvernement va-t-il corriger cette mauvaise copie ? La nécessité de revoir en profondeur le mécanisme de gouvernance européen du marché du carbone est indispensable. Entre le moment où l’on découvre un problème et celui où on commence à le régler, on en prend pour deux ans. En cas de croissance, il n’y a pas assez de volume carbone disponible, et le prix explose. En cas de récession, c’est le contraire. Quelles sont les initiatives de la France dans ce domaine ?

Enfin, une dernière nécessité s’impose à nous : l’élargissement du marché carbone à d’autres secteurs de l’économie. Le marché de l’ETS ne couvrant actuellement que 15 % de la production de carbone, il faut élargir son champ à d’autres secteurs, comme celui des transports, par exemple. De nombreux pays européens l’envisagent. Quelle est votre position sur la question ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Vous évoquez, monsieur le député, un sujet qui peut paraître complexe, mais qui est en réalité assez simple. Tous nos citoyens doivent d’ailleurs le comprendre, s’ils veulent adhérer aux stratégies qui vont nous permettre de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2° C. Il s’agit en réalité de construire une économie décarbonée. De ce point de vue, le signal-prix du carbone est un élément important, qui peut permettre de rentabiliser les investissements dans l’économie verte.

Il se trouve que nous venons de recevoir le rapport de la commission coprésidée par MM. Pascal Canfin et Alain Grandjean, à quelques mois de la COP 21 et dans le cadre de l’application de la loi de transition énergétique. Ce rapport identifie quatre leviers de financement d’une économie décarbonée : premièrement, le signal-prix carbone, que vous évoquez ; deuxièmement, les infrastructures bas carbone ; troisièmement, la mobilisation des banques de développement pour développer les projets bas carbone ; enfin, la réglementation financière et la mobilisation des acteurs financiers privés.

Ce rapport est un guide pour l’action et je fais miennes ses conclusions. Il y est notamment recommandé de mettre en place un signal-prix carbone, à travers un engagement volontaire des pays développés et des pays émergents. Il s’agit de fixer une cible carbone, dotée d’un prix minimum de 15 à 20 dollars avant l’échéance de 2020, puis d’augmenter le prix du carbone en diminuant les subventions aux énergies fossiles, qui représentent, selon le Fonds monétaire international, des subventions de 10 millions de dollars par minute !

Nous avons la possibilité de basculer d’une économie carbonée, responsable de l’effet de serre, du réchauffement climatique et de toutes les catastrophes qu’il provoque, vers une économie verte. J’ai donc pris l’initiative de travailler avec mes homologues, les vingt-sept autres ministres de l’environnement, de l’énergie et du climat, pour mettre en place des réglementations et des objectifs européens, dans le cadre de l’Europe de l’énergie que nous venons de définir, et cela, avant la Conférence de Paris sur le climat. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Chrétiens d’Orient

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe Les Républicains.

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre des affaires étrangères, la question se pose aujourd’hui : à quoi sert l’Europe ?

M. Jacques Myard. À rien !

M. Claude Goasguen. À quoi sert l’Europe alors qu’à sa frontière, le massacre et le génocide religieux des minorités yazidies et des minorités chrétiennes, sous les yeux de l’Europe, nous laisse dans une indifférence totale, et pas seulement en France ? Visiblement, la Commission européenne a d’autres choses à faire, sans doute très importantes. Néanmoins, avons-nous voulu une Europe qui soit à ce point spectatrice qu’elle laisse à ses frontières tuer et massacrer les chrétiens d’Orient ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre des affaires étrangères, j’entends bien que la France est engagée, plus que d’autres nations, dans ce grand cataclysme qui frappe le Moyen-Orient. Mais je voudrais que la France rappelle à la Commission européenne que ses objectifs ne sont pas simplement de mettre en place des technostructures et de gérer des affaires économiques…

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Claude Goasguen. …mais aussi de faire respecter l’identité européenne lorsque les droits de l’homme sont à ce point atteints et que l’on assiste à un génocide religieux.

Ma deuxième question porte sur la Turquie. Cet État, qui réclamait à cor et à cri son entrée dans l’Europe, peut-il continuer à laisser ses frontières ouvertes, par où passent les armes et le pétrole ? Qui achète le pétrole, d’ailleurs ? C’est une vraie question. Est-ce que de temps en temps, la Commission européenne pourrait rappeler à la Turquie que l’on ne peut pas à la fois être européen et combattre l’idéal européen par ailleurs ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le député, vous l’avez dit, les minorités yazidies, les chrétiens d’Orient, sont aujourd’hui victimes d’une barbarie, celle des groupes djihado-terroristes de Daech, au Moyen-Orient. Face à la gravité de la situation, la France a pris l’initiative. Le ministre des affaires étrangères a présidé fin mars une réunion du Conseil de sécurité consacrée à cette question. C’était une première.

M. Jacques Alain Bénisti. Nous voilà rassurés !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. La France a adressé un message clair : la communauté internationale doit se mobiliser pour permettre le retour des chrétiens et des autres minorités persécutées sur les terres qui sont les leurs. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Quand ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Nous avons proposé qu’une charte d’action soit élaborée, en quatre volets. D’abord un volet humanitaire : nous proposons la création d’un fonds d’aide au retour. Un volet militaire ensuite : la stratégie de la coalition internationale et des forces locales doit intégrer l’exigence du retour des minorités et la sécurisation de ce retour. Et la France est engagée en ce sens, ainsi que de nombreux pays européens – même s’ils ne le sont pas tous et qu’il est vrai que nous souhaiterions que davantage de partenaires s’impliquent aujourd’hui dans ces opérations.

Un volet judiciaire aussi : les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent être jugés par la Cour pénale internationale. Un volet politique enfin, parce qu’il n’y aura pas de ré-enracinement durable des minorités sans État inclusif, c’est-à-dire garantissant les droits de tous les citoyens.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien parti !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. C’est le sens de l’action du ministre des affaires étrangères, pour qu’il y ait en Irak, mais aussi en Syrie, une solution politique trouvée avec des gouvernements inclusifs.

M. Sylvain Berrios. Et la Turquie ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Les Nations unies sont également pleinement mobilisées. Le Secrétaire général des Nations unies – c’était notre demande – est en train de constituer un groupe d’experts pour travailler sur ces questions.

M. Philippe Meunier. D’ici là, ils seront tous morts !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Par ailleurs, en septembre, la France accueillera une conférence internationale au cours de laquelle nous ferons le point sur cette charte d’action pour la protection des personnes victimes de violences ethniques ou religieuses.

M. Julien Aubert. Agissez !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Soyons clairs : la solution pour sauver la Syrie, la région, les minorités qui la composent, est politique. C’est ce qui guide l’action de la France, qui y met tous ses moyens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. Sylvain Berrios. Zéro pointé !

Politique migratoire

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le ministre de l’intérieur, l’an passé, l’immigration irrégulière aux portes de l’Union a atteint le chiffre record de 240 000 personnes, le nombre de morts se montant lui au chiffre inédit et terrible de 4 000.

Cette vague migratoire, sans précédent depuis plusieurs décennies, est due pour une bonne part à l’effondrement de trois États : la Syrie, l’Irak et la Libye, et à la déstabilisation djihadiste meurtrière qui sévit dans une grande partie de l’Afrique.

En vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les frontières extérieures de l’Union sont gérées conjointement par les États membres et l’Union, par le biais notamment de l’agence Frontex.

Face à l’acuité des problèmes, plusieurs priorités se sont fait jour : sauver les migrants en danger de mort, accueillir les réfugiés qui ont droit à une protection, sécuriser les frontières, poursuivre et punir les trafiquants, améliorer la réadmission dans les États d’origine des personnes ne pouvant et ne devant pas rester.

Notre assemblée, elle-même, a fait des propositions fortes dans ce domaine. Elle soutient par exemple la création d’un corps européen de gardes-frontières. Elle demande que la compétence d’un parquet européen en cours d’examen soit étendue à la poursuite et à la répression des trafiquants et passeurs d’immigrés clandestins qui utilisent des réseaux, des comptes et des complicités analogues à ceux des autres trafiquants de la grande criminalité transnationale. Enfin, notre assemblée s’est prononcée pour une coopération renforcée avec les pays tiers, axe défendu par la France.

Sur l’ensemble de ces actions de court et plus long terme, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer les principales initiatives politiques et mesures opérationnelles prises par notre pays, mais aussi les moyens et le calendrier retenus par l’Union européenne pour faire face à un défi qui impose des mesures fortes pour la sécurité des personnes, la stabilité de la zone et la définition d’une orientation de politique extérieure commune à tous les États de l’Union européenne ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la députée, comme vous le savez, la France n’a cessé d’agir au cours des derniers mois pour qu’il y ait une politique européenne face à ce drame humanitaire considérable, et pour faire en sorte aussi que nous puissions démanteler les filières de l’immigration irrégulière, qui sont de véritables filières du crime organisé – vous évoquiez à l’instant leur rôle funeste.

Cette action de la France m’a conduit, au mois d’août dernier, bien avant que la crise migratoire ne prenne l’importance qu’on lui connaît aujourd’hui, à faire une tournée des capitales européennes pour arrêter un plan en plusieurs volets.

D’abord, il faut faire en sorte d’avoir une opération de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne – c’est l’opération Triton – qui puisse également sauver des vies en mer. Parce que si nous sauvons des vies sans démanteler les filières de l’immigration irrégulière qui conduisent ces femmes et ces hommes vulnérables à prendre la mer en sachant qu’ils risquent la mort, alors nous ne sommes pas efficaces.

Deuxièmement, nous avons souhaité que par-delà cette opération, il y ait un véritable dispositif de répartition des demandeurs d’asile entre les pays de l’Union européenne. La solidarité doit jouer : c’est la réadmission, la relocalisation, à la fois pour ceux qui sont dans les camps en Jordanie et pour ceux qui arrivent en Italie et en Grèce, et nous voulons faire preuve de solidarité. La France a construit cette solidarité, elle souhaite en être un acteur déterminé.

Enfin, il est absolument indispensable qu’il y ait un dispositif en Italie et en Grèce qui permette de distinguer ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière de ceux qui relèvent du statut de réfugié, pour procéder aux reconduites à la frontière et créer les conditions d’une prise en charge immédiate de ceux qui relèvent du statut de réfugié. Sinon, nous aurons cette errance de femmes, d’enfants et de personnes vulnérables.

C’est le plan sur lequel nous travaillons résolument, à la fois avec les pays de provenance tels que le Niger et nos partenaires européens. Le Conseil européen qui doit se tenir dans les heures à venir sera une occasion de faire prévaloir ces vues, et je souhaite qu’avant la fin de l’été nous ayons abouti à ce dispositif global. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Massacre de Srebrenica

M. le président. La parole est à M. Michel Voisin, pour le groupe Les Républicains.

M. Michel Voisin. Monsieur le ministre des affaires étrangères, il y a près de vingt ans, le 11 juillet 1995, les forces serbes, sous la conduite du général Mladic, entraient dans l’enclave bosniaque de Srebrenica. On connaît la suite : 8 000 hommes âgés de 15 à 65 ans capables de porter les armes ont été exterminés. Ce fut le crime de guerre le plus odieux depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le groupe d’amitié France-Serbie rentre d’une mission à Belgrade, où nous avons rencontré nos homologues serbes.

Alors que se déroulaient les événements de Srebrenica, des communautés serbes étaient également exterminées et subissaient la barbarie.

Aujourd’hui, la Grande-Bretagne a déposé devant le Conseil de sécurité des Nations unies un projet de résolution, qui doit être discuté le 6 juillet prochain, visant à qualifier de « génocide » les événements de Srebrenica.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, la représentation nationale aimerait connaître la position que défendra la diplomatie française le 6 juillet prochain devant le Conseil de sécurité des Nations unies. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le député, vous venez de le rappeler : il y a vingt ans, le 11 juillet 1995, plus de 8 300 musulmans, adultes et enfants, étaient massacrés à Srebrenica. Ces événements marquèrent les heures les plus terribles de la guerre de Bosnie ; ils restent à ce jour la pire tuerie en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, la Bosnie-Herzégovine a proposé que le Conseil de sécurité adopte début juillet une résolution afin de commémorer les vingt ans du génocide de Srebrenica. Ce projet est actuellement en discussion à New York.

Comme dans le cas du Rwanda, le massacre de Srebrenica a été qualifié de « génocide » par des juridictions internationales. La France souhaite donc que cette résolution le fasse, qu’elle permette non seulement de faire œuvre de mémoire, mais qu’elle contribue également au rapprochement des États de la région autour d’un avenir européen partagé. C’est dans ce sens que nous travaillons.

Dans les Balkans, des progrès incontestables ont été réalisés au cours des dernières années. Je pense par exemple aux relations entre la Serbie et le Kosovo. Tous les pays des Balkans sont aujourd’hui engagés dans un rapprochement avec l’Union européenne. Vous étiez à Belgrade, monsieur le député, et vous savez quelle est la démarche actuelle du gouvernement et de l’ensemble de la société serbes pour faire aboutir la procédure d’adhésion de leur pays à l’Union européenne – ils partagent donc les valeurs de paix de l’Union européenne.

Malgré tout, la situation reste fragile. Tous les États doivent continuer leurs efforts pour contribuer à la stabilité et ne pas répéter les erreurs du passé. Les événements récents en Macédoine montrent qu’il est important que tous les acteurs politiques soient bien dans cet état d’esprit.

Le 11 juillet prochain, l’ensemble de la communauté internationale se réunira donc en Bosnie-Herzégovine, à Srebrenica, pour rendre hommage aux victimes de ce massacre, à l’ensemble des personnes qui ont souffert de la guerre, et pour permettre à la région des Balkans de se projeter dans cet avenir européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Rénovation énergétique des logements

M. le président. La parole est à M. Romain Colas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Romain Colas. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à quelques semaines de l’adoption définitive du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, et avant que ne débute à Paris la COP21, la France et son gouvernement donnent corps au volontarisme en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

M. le secrétaire d’État Harlem Désir l’a déjà dit : le 21 mai dernier, vous annonciez, dans un communiqué commun avec la ministre du logement et le président de la région Île-de-France, qu’une somme de 400 millions d’euros allait être octroyée à la France pour la rénovation de logements dans le cadre du plan Juncker, suite aux propositions soumises par notre exécutif à la Commission européenne.

M. François Brottes. Très bien !

M. Romain Colas. Financée par la Banque européenne d’investissement, cette enveloppe permettra la rénovation de près de 40 000 habitations et la création d’environ 6 000 emplois sur l’ensemble du territoire national.

En Île-de-France, grâce à l’engagement pionnier de la collectivité régionale dans le tiers financement, au moins 8 000 logements en copropriété bénéficieront de ces travaux, et des milliers de ménages verront ainsi leur facture énergétique se réduire.

L’engagement de l’Union européenne s’ajoute d’ailleurs aux effets du crédit d’impôt pour la transition énergétique, qui favorise la reprise des investissements et l’émergence vertueuse d’une croissance verte.

Madame la ministre, cette mise en œuvre en France de décisions européennes de soutien à l’investissement, obtenues notamment grâce à la mobilisation du Président de la République, montre que l’Europe peut et doit agir concrètement pour préparer l’avenir de notre continent, soutenir son économie et lutter contre les inégalités. Elle démontre aussi qu’il existe une alternative à la critique systématique de l’action de la France et de l’Europe, qui dissimule trop souvent le vide programmatique et la vacuité des idées.

Je souhaite donc connaître, madame la ministre, les modalités précises de l’application du plan Juncker en faveur du logement et de la transition énergétique dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Vous avez raison, monsieur le député, d’insister sur le rôle de l’Europe dans la transition énergétique. Nous devons être exemplaires avant la conférence de Paris sur le climat. L’Europe l’a été en apportant très rapidement sa contribution dite « nationale » et en mettant en mouvement l’Europe de l’énergie, notamment l’Europe de l’efficacité énergétique puisque les vingt-huit ministres chargés de l’énergie se sont engagés fortement dans cette direction.

J’apporterai trois éléments concrets de réponse à votre question.

D’abord, j’ai déjà signé avec la Banque européenne d’investissement une convention qui va permettre de réaliser des travaux de performance énergétique dans les collèges, pour un montant d’un milliard d’euros. Beaucoup de départements s’en sont déjà saisis.

En outre, comme vous l’avez dit à l’instant, la Banque européenne d’investissement vient de débloquer 400 millions d’euros pour la rénovation de 40 000 logements. Concrètement, ces crédits seront octroyés par l’intermédiaire des sociétés de tiers financement que les régions pourront mettre en place grâce à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Certaines régions ont anticipé la mise en place de ces sociétés de tiers financement, qui éviteront aux particuliers de devoir avancer les fonds : c’est le cas des régions Île-de-France, Poitou-Charentes, Picardie…

Mme Barbara Pompili. Très bien !

Mme Ségolène Royal, ministre. …et Nord-Pas-de-Calais. Le mouvement est enclenché : très rapidement, ces fonds vont devenir opérationnels. Le Gouvernement a demandé à la Banque publique d’investissement et à la Caisse des dépôts et consignations d’être beaucoup plus efficaces, rapides et simples dans leur action de soutien et de relais de financement.

Enfin, il faut évoquer les territoires à énergie positive, dont j’ai signé ce matin la quarante et unième convention de financement. Les 216 projets en cours vont bénéficier du fonds de transition énergétique pour la croissance verte. Cette mesure concerne les collectivités territoriales. Quant aux particuliers, ils ont accès au crédit d’impôt pour la transition énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement sur des sujets européens.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Accord France-États-Unis sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (nos 2705, 2875).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis visant à indemniser certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français antérieurs. Cet accord, signé au mois de décembre dernier par les gouvernements français et américain, est important à un double titre : d’abord, parce qu’il répond à la nécessité de mettre en œuvre une mesure de justice au bénéfice des victimes de la déportation depuis la France qui n’étaient pas couvertes par les régimes mis en place antérieurement par notre pays ; ensuite, en raison à la fois des sérieux risques contentieux auxquels la SNCF faisait face devant des tribunaux américains et des initiatives législatives de nature à nuire à ses activités aux États-Unis et, plus largement, à sa réputation à l’étranger.

Je voudrais revenir sur ces deux points.

Tout d’abord, je rappelle que le régime de pension d’invalidité au profit des victimes de la déportation institué à partir de 1948 est ouvert à nos nationaux et aux ressortissants de quatre pays, en application d’accords bilatéraux qui ont été conclus après-guerre, mais un nombre important de survivants de la déportation, du fait de leur nationalité, ne pouvait en demander le bénéfice. Les contentieux apparus aux États-Unis ont été le révélateur d’une situation depuis l’origine inéquitable, à laquelle il convenait de remédier. L’accord soumis à votre approbation aujourd’hui vise ainsi à répondre à cet impératif d’équité à l’égard de ces survivants de la déportation depuis la France, qu’ils soient américains ou d’autres nationalités. Cet accord, j’y insiste, n’est ni dans son esprit ni dans sa lettre un accord portant réparation de guerre. Il a été négocié avec l’intention de parachever l’édifice français d’indemnisation, ce qui est totalement différent. Il s’agit d’un accord visant à mettre en œuvre des réparations individuelles au profit de certaines victimes de la déportation depuis la France en remédiant à une inégalité de traitement de ces victimes par notre régime de pension d’invalidité des victimes civiles de guerre.

Les bénéficiaires exclusifs du futur fonds d’indemnisation qui devra être créé en application de cet accord seront des survivants de la déportation, américains ou d’autres nationalités, non couverts par notre régime, ou leurs ayants droit pour ceux qui sont décédés après guerre. Je souligne qu’aucune part des 60 millions de dollars qui seront versés par les autorités françaises ne sera affectée aux frais de gestion du fonds d’indemnisation, lesquels incomberont à la partie américaine seule. Le montant de ce fonds sera intégralement versé aux victimes de la déportation et rien ne reviendra à la partie américaine dès lors qu’il devra être distribué jusqu’au dernier dollar. La démarche des négociateurs et le résultat obtenu ont été salués par les organisations représentatives de la communauté juive de France comme le meilleur compromis possible soixante-dix ans après la fin de la guerre.

La deuxième raison qui rend cet accord important est de nature plus juridique. En raison d’un défaut d’indemnisation, des recours ont été introduits devant des tribunaux américains contre la SNCF pour son rôle dans les déportations. Il convenait donc, pour le Gouvernement français, d’obtenir, par cet accord, des garanties permettant de clore définitivement tout différend et contentieux relatif à la déportation depuis la France.

Cet accord institue donc des garanties qui vont au-delà des clauses généralement consenties par nos partenaires. Elles s’appliqueront en effet non seulement aux recours devant les juridictions américaines mais aussi – c’est une innovation majeure que nous avons obtenue – à toute initiative législative, à quelque niveau du gouvernement américain que ce soit, y compris, donc, au niveau des États fédérés et des autorités locales. Les autorités américaines s’engagent, au titre de cet accord, à s’opposer par tout moyen à tout recours introduit devant la justice américaine et à toute initiative législative, nationale ou locale, visant la France, des administrations ou des entreprises publiques françaises. La pratique confirme que nos partenaires ont toujours respecté, jusqu’à maintenant, les engagements pris en termes de paix juridique dans le cadre d’accords internationaux. Cependant, je veux dire ici clairement, en réponse aux doutes qui ont pu être exprimés sur l’effectivité des mesures de paix juridique prévues par cet accord, qu’aucun traité ou convention internationale ne saurait empêcher des plaignants de saisir des tribunaux aux États-Unis ou ailleurs, mais il importe de souligner que seules les garanties obtenues par le Gouvernement dans le cadre de cet accord permettront d’assurer le rejet de tout recours introduit devant la justice américaine et de toute initiative législative visant la France.

Mesdames et messieurs les députés, ce sont donc ces deux impératifs, mesure de justice et paix juridique, qui ont conduit le Gouvernement à vouloir compléter dans le cadre de cet accord l’édifice progressivement mis en place en France pour l’indemnisation des victimes de la Shoah. Le Gouvernement a conscience de la très grande sensibilité politique de ce sujet. Le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, a, de ce fait, souhaité répondre aux objections soulevées, lors de l’examen de cet accord en commission des affaires étrangères, à propos des références au gouvernement de Vichy. Le ministre, comme il s’y était engagé, a fait saisir les autorités américaines d’une demande de suppression de cette mention « Gouvernement de Vichy » dans le texte, pour qu’y soient substitués les termes de l’ordonnance de 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, qui vise, comme l’exposé des motifs, « l’autorité de fait, se disant gouvernement de l’État français ». Cet échange de notes diplomatiques entre les deux gouvernements français et américain, mis en œuvre en application de l’article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités – et je remercie Élisabeth Guigou d’avoir contribué à élaborer cette solution –, a eu lieu la semaine dernière et a été transmis à l’Assemblée nationale. Il confirme l’engagement du Gouvernement de procéder à la rectification des termes de l’accord sur ce point. Le texte publié au Journal officiel sera par conséquent l’accord ainsi modifié.

Je voudrais, pour conclure, souligner que cette démarche de nature exceptionnelle entend répondre aux objections soulevées, qui ne mettent aucunement en cause le principe de l’indemnisation et le fond de l’accord. Parce que cet accord présente un intérêt évident en termes de justice, comme en termes de protection de nos entreprises, je souhaite que cette démarche du Gouvernement permette un large consensus. Ce sera important pour l’image de notre pays et cela permettra la mise en œuvre rapide de l’accord, dans l’intérêt des survivants de la déportation, qui sont aujourd’hui très âgés.

Tels sont, monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation. Le Gouvernement appelle donc l’Assemblée nationale à l’approuver, parce qu’il est le moyen définitif, global et exclusif de répondre à toute demande au titre de la déportation liée à la Shoah et parce qu’il y va de l’intérêt de notre pays et de la protection de nos entreprises.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, suppléant M. Armand Jung, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Dufau, suppléant M. Armand Jung, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord excuser Armand Jung, qui était le rapporteur de ce dossier, qui est indisposé et que je remplace. Nous lui souhaitons tous un prompt rétablissement. Je voudrais profiter de cette tribune pour dire nettement que, comme le Président de la République, comme le Premier ministre il y a quelques instants dans cet hémicycle, nous condamnons tous ce que nous avons entendu concernant un espionnage américain des plus hautes autorités de l’État ces dernières années, notamment un espionnage de trois présidents de la République, et que toutes les suites seront données à ces révélations. Pour autant, il ne faudrait pas que ces faits, dont nous apprenons la teneur aujourd’hui, gênent, en aucune façon, notre jugement sur le dossier dont nous avons à parler. Ce n’est pas par l’amalgame que l’on traite les questions, c’est au contraire par la séparation des choses, par l’objectivité, et il ne faudrait pas que ce dossier puisse pâtir de choses avec lesquelles il n’a rien à voir.

Mes chers collègues, cette année marque le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, celui des débarquements alliés en Normandie et en Provence mais aussi de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis, trois commémorations qui éclairent singulièrement la signature de l’accord conclu par la France et les États-Unis sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah, dont le présent projet de loi propose la ratification. Comme vient de le faire M. le secrétaire d’État il y a quelques instants, je tiens, moi aussi, à remercier Mme la présidente de la commission des affaires étrangères d’avoir su écouter et entendre les demandes des commissaires des affaires étrangères pour que ce dossier ne souffre aucune équivoque. Je remercie également le Gouvernement d’avoir bien compris cette démarche et de nous avoir donné les moyens d’arriver à une clarification, je le remercie d’avoir fait en sorte que ne figure pas dans le texte qui sera promulgué ce que nous ne voulons pas y voir figurer, à savoir la référence au « Gouvernement de Vichy ». 

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. En dépit des mesures de réparation mises en place en France dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des déportés survivants, ou leurs ayants droit, n’ont pas eu accès au régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité, ni à des compensations versées par d’autres États. Ces personnes ont tenté, à partir des années 2000, d’obtenir des réparations par d’autres voies, notamment devant les juridictions américaines. Le présent accord vise à mettre fin à ces procédures contentieuses en indemnisant les victimes par la création d’un fonds qui, pour des raisons pratiques évidentes, tenant à la nationalité et à l’âge des victimes, sera géré jusqu’à sa liquidation complète par les autorités américaines. Il s’agit d’une mesure de justice : je suis sûr que tous les députés, sur tous les bancs de cette assemblée, sont d’accord sur ce point.

En revanche, certains d’entre nous se sont interrogés sur le vecteur qui a été choisi, à savoir un accord gouvernemental donnant lieu à un transfert de fonds d’État à État. En premier lieu, je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un régime de réparation de guerre entre États, mais d’un accord de réparations individuelles, morales et financières, qui a été négocié à l’initiative de la France. Les négociateurs ont choisi de confier au gouvernement américain l’instruction des dossiers, dans le souci de simplifier les démarches des demandeurs – par définition très âgés – qui résident sur le sol américain et en possèdent la nationalité. Les 60 millions de dollars ne sont pas versés au budget américain, mais transférés au Trésor américain au profit d’un fonds ad hoc, et le gouvernement américain devra rendre compte de leur utilisation au gouvernement français. L’article 6, paragraphe 7, prévoit un rapport annuel. Ce n’est pas exactement comme cela que fonctionnerait un régime de réparation.

En second lieu, certains se sont demandé s’il n’aurait pas été préférable que l’indemnisation incombât à la SNCF. En réalité, c’est une option qui aurait pu convenir au gouvernement américain, mais qui a été écartée d’emblée par la partie française. Faire participer la SNCF au fonds aurait eu pour effet de reconnaître sa responsabilité indirecte dans la déportation des Juifs, et le bien-fondé des plaignants américains. Or un arrêt du Conseil d’État de 2007 a exonéré la SNCF, ainsi que tous les démembrements de l’État, de toute responsabilité. Serge Klarsfeld a montré que la SNCF était un rouage placé sous réquisition des autorités allemandes d’occupation. Pour cette raison, cette option qui avait été demandée par nos partenaires américains a été formellement rejetée par les négociateurs français.

Il faut, enfin, ajouter que ce dossier est très différent de celui des spoliations. Si les banques françaises ont été mises à contribution par l’accord franco-américain de 2001, c’est au titre des avoirs qu’elles avaient abusivement acquis de leur propre initiative. Pouvait-on alors, au lieu de signer un accord, étendre les régimes d’indemnisation nationaux aux non-nationaux ? Cette solution aurait conduit à confier à l’administration française l’instruction des dossiers, alors que les demandeurs résident aux États-Unis et sont très âgés, ce qui n’aurait certainement pas facilité les choses. De plus, la création de ce fonds doit permettre à la partie française d’obtenir des garanties afin de clore les contentieux, ce que n’aurait sans doute pas permis une extension des régimes nationaux.

Certains ont mis en doute la solidité des garanties offertes par la partie américaine contre la poursuite éventuelle d’actions contre la SNCF ou d’autres entreprises françaises. Or les garanties obtenues par la France sont très larges et opèrent à plusieurs niveaux, à la fois judiciaires et législatifs : au niveau fédéral, au niveau des États et au niveau local. Elles sont donc plus importantes que celles des accords bilatéraux précédemment signés avec les États-Unis : non seulement les recours contentieux sont visés, mais aussi les recours législatifs, qui pourraient s’avérer bien plus préjudiciables à la SNCF ou à la RATP.

En ce qui concerne le volet contentieux, la garantie de sécurité juridique majeure réside dans la préservation de l’immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements. C’est une garantie fondamentale pour empêcher les recours engagés contre la SNCF de prospérer et d’aboutir à une condamnation devant les tribunaux américains à des sanctions financières certainement très lourdes au regard des précédents. C’est l’objectif de cet accord, qui institue une obligation internationale contraignante pour les États-Unis : ils s’engagent à protéger cette immunité de juridiction devant les tribunaux. Cette obligation s’appliquera aux recours passés ou à venir pour lesquels le gouvernement américain interviendra en adressant aux juridictions des déclarations d’intérêt aux fins de rejet. Elle pourra également prendre la forme d’une intervention directe dans la procédure en qualité de partie. Le maintien de cette immunité, à défaut d’empêcher de nouveau recours, qui resteront toujours possibles, les empêchera de prospérer devant les tribunaux américains.

S’agissant des initiatives législatives, de manière très large, le gouvernement américain s’est aussi engagé, à la suite de nos demandes, à intervenir pour s’opposer à toute législation qui serait contraire à l’accord, au niveau fédéral, des États ou local. Concrètement, cela peut prendre plusieurs formes, notamment un veto de l’exécutif au Congrès, ou différentes interventions de nature politique dans le cadre d’initiatives législatives locales. L’accord s’appliquera ainsi à tous les niveaux de gouvernement et aux États fédérés.

Je vous invite donc à approuver cet accord en adoptant le présent projet de loi, dont l’objet n’est pas à mes yeux de compenser les créances de l’histoire – ni, d’ailleurs, de la refaire – mais de garantir la juste indemnisation de personnes qui en étaient privées : il s’agit de réparer une injustice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je rappelle d’abord que l’objet de cet accord est d’indemniser les victimes de la Shoah qui ont été déportées depuis la France, et qui n’ont pas pu être indemnisées par les programmes français parce qu’elles ne remplissaient pas les critères français de réparations.

Il s’agit donc, comme vient de le dire notre rapporteur, d’un acte de justice, que nul ici – je crois – ne remet en question. Il me semble que cet acte de justice ne doit pas non plus être éclipsé par d’autres débats que nous avons eus en commission, ni par les récentes révélations à propos des écoutes américaines. La rédaction maladroite de la dernière phrase de l’article 1er de l’accord, qui faisait référence au « Gouvernement de Vichy », a soulevé de réelles interrogations en commission des affaires étrangères. Cette rédaction aurait pu laisser croire à une forme de continuité entre les autorités de Vichy et la République française : il ne pouvait, évidemment, en être question, car les institutions et les valeurs de notre République s’opposent en tout point à celles de Vichy, et parce que des femmes et des hommes ont défendu, souvent au prix de leur vie, cette idée de la France, qui heureusement l’a emporté.

C’est pourquoi nous avons demandé au Gouvernement de lui substituer l’expression communément acceptée : « l’autorité de fait se disant gouvernement de l’État français ». Cette expression est employée par l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental. Il est heureux que l’article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités nous permette de corriger cette erreur par voie d’échange de notes diplomatiques, car une renégociation de l’accord aurait évidemment retardé l’indemnisation de victimes dont la plupart sont très âgées – ce que nous voulions à tout prix éviter.

En revanche, je demande que nous ne cherchions pas de mauvaise querelle à partir de ce texte. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, cet accord n’est pas un traité de réparations que les États-Unis nous auraient imposé, mais un accord de justice par lequel la France préserve l’immunité de juridiction dont dispose la SNCF, ce qui devrait mettre un terme à de nombreux contentieux.

Même si la question de l’imperium juridique américain –…

M. Pierre Lellouche. Merci de reprendre cette expression !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …qui s’est illustré dernièrement par la condamnation de la BNP à une amende par la justice américaine – mérite d’être sérieusement posée,…

M. Pierre Lellouche. Je vois que vous êtes bien inspirée, madame la présidente !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …cette question n’est pas au cœur du texte que nous examinons aujourd’hui.

M. Pierre Lellouche. Ben voyons !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Je suis heureuse également que ce débat me permette d’affirmer solennellement à cette tribune que nous ne pouvons pas accepter que les Américains écoutent les plus hautes autorités de la République.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Ces pratiques n’ont pas leur place dans les relations entre deux pays alliés, qui entretiennent d’ailleurs dans d’autres domaines une coopération étroite – je pense en particulier à la lutte contre le terrorisme.

Il serait consternant que les personnes directement concernées par l’accord que nous examinons aujourd’hui fassent les frais de cette consternante affaire des écoutes. Je précise d’ailleurs que la commission des affaires étrangères suit et suivra avec attention cette question des écoutes téléphoniques, tant que nous n’aurons pas obtenu les garanties nécessaires pour l’avenir. J’indique d’ailleurs à la représentation nationale que j’ai invité l’ambassadrice des États-Unis à Paris à venir devant notre commission, si possible dès la semaine prochaine,…

M. Pierre Lellouche. Convoquez-la !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …pour qu’elle puisse écouter les remarques des députés, et comprendre l’indignation – je crois que ce mot n’est pas trop fort – qu’ils éprouvent, quels que soient les groupes politiques.

M. Jean-Pierre Dufau et M. Bernard Lesterlin. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Le département d’État américain a suivi et accompli, sur l’accord dont nous sommes saisis, toutes les procédures internes requises avant la signature du texte par les deux parties. Il revient donc à présent à la France d’achever sa procédure interne en vue de l’approbation de l’accord. Je vous invite par conséquent à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement français et le gouvernement américain sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah, déportées depuis la France et non couvertes par les programmes d’indemnisation français. Il s’agit d’un débat particulièrement sensible, auquel nous sommes très attentifs, qui touche à l’une des pages les plus sombres de notre histoire, et qui appelle de notre part tout à la fois de l’empathie, de la rigueur et du discernement.

Je rappellerai en quelques mots l’objectif poursuivi par cet accord : mettre en place de nouvelles mesures d’indemnisation des victimes de la Shoah déportées depuis la France. En effet, en droit français, l’indemnisation des victimes civiles de guerre est placée sous condition de nationalité. Elle par ailleurs possible pour les nationaux de pays ayant signé une convention de réciprocité avec la France. Elle est enfin prévue pour les personnes qui ont été déportées et ont acquis la nationalité française suite à leur déportation.

Ce régime d’indemnisation ne couvre donc pas les personnes déportées depuis la France mais n’ayant pas acquis la nationalité française ultérieurement, ou leurs ayants droit, soit environ 500 personnes – principalement de nationalité américaine ou israélienne – d’après les chiffres fournis par notre rapporteur en commission. Ce vide appelait incontestablement un ajustement de notre droit, a fortiori dans le contexte actuel, marqué par le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

C’est donc pour pallier cette situation que le gouvernement français a engagé des négociations avec le gouvernement américain. Ces négociations ont abouti à la signature de l’accord qui nous est aujourd’hui soumis, et qui prévoit la création d’un fonds ad hoc de 60 millions de dollars pour indemniser les personnes qui échappent aujourd’hui au régime de réparation en vigueur. Bien que mes collègues l’aient déjà mentionné, je rappelle également que depuis son premier passage en commission des affaires étrangères le 27 mai dernier, le texte a évolué.

Dans sa version initiale, le projet de loi comportait une référence au « gouvernement de Vichy » qui a suscité un très vif débat. Notre collègue Pierre Lellouche a notamment considéré que cette mention établissait « expressément l’idée que le Gouvernement de la République Française est le continuateur du gouvernement de Vichy ». Son intervention en commission des affaires étrangères a éveillé des interrogations, tant parmi les rangs de la majorité que parmi ceux de l’opposition. Et cela a conduit, d’une part, à la suspension de l’examen du texte, d’autre part, à une nouvelle phase de négociation entre le ministère des affaires étrangères et les États-Unis d’Amérique, afin de s’accorder sur une nouvelle rédaction, rendue possible au titre de l’article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui autorise des modifications de forme pour des accords déjà validés entre les parties.

Le Gouvernement s’est donc engagé à modifier le texte en séance, afin de remplacer la référence au « gouvernement de Vichy » par la formule consacrée : « autorité de fait se disant gouvernement de l’État français ». Je crois qu’il nous revient à tous de saluer l’esprit d’écoute et la recherche de consensus qui ont prévalu dans l’examen législatif de ce texte. En revanche, il ne semble pas nécessaire, à nos yeux, d’alimenter une polémique nouvelle sur la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France, dans la mesure où, sur ce sujet, se sont déjà exprimées les plus hautes autorités de l’État, qu’il s’agisse du Président Jacques Chirac, de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, ou plus récemment du Président de la République, François Hollande.

Si l’opposition continue d’exprimer des réserves, tout à la fois symboliques et juridiques, sur le dispositif prévu, je crois qu’il faut saluer la volonté du Gouvernement de compléter le dispositif d’indemnisation des victimes de la Shoah. En définitive, si, comme cela est prévu, le Gouvernement apporte les modifications rédactionnelles attendues, les écologistes soutiendront ce texte, car cela permettra, comme l’a dit le rapporteur, de réparer une intolérable injustice. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bernard Lesterlin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Moignard.

M. Jacques Moignard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, entre 1940 et 1944, près de 80 000 déportés dits « raciaux » furent envoyés de France vers des camps d’extermination ; seuls 2 500 à peine en revinrent. Au lendemain de la guerre, le gouvernement français a progressivement mis en place des mesures visant à verser des réparations matérielles aux victimes des persécutions antisémites perpétrées pendant cette période par les autorités allemandes d’occupation ou les autorités du « gouvernement de l’État français » – qui ne sauraient être confondues avec la République française – et à répondre à ses responsabilités historiques.

À partir de 1946, la France a étendu le régime de pensions d’invalidité pour les victimes de guerre instauré au lendemain de la Première Guerre mondiale, en prévoyant de nouveaux cas d’ouverture du droit à pension. Puis, à partir de 1948, un régime spécifique a été ouvert aux victimes de la déportation par l’attribution à ces dernières du statut de déporté politique. Ce régime de pensions d’invalidité est ouvert aux ressortissants français. Au sortir de la guerre, il a été limitativement étendu à d’autres nationalités, en application d’accords bilatéraux conclus par la France avec la Belgique, la Pologne, le Royaume-Uni et l’ex-Tchécoslovaquie, ainsi qu’à certains réfugiés bénéficiant des conventions internationales de 1933 et 1938. Il repose sur une présomption d’imputabilité de la maladie ou de l’invalidité aux conséquences de la déportation et est considéré comme l’un des plus élevés d’Europe.

Depuis la reconnaissance par le Président de la République, en 1995, de la responsabilité de l’État dans la déportation des Juifs de France, des mesures de réparation matérielle complémentaires ont été adoptées. En 1998, le régime des pensions pour les déportés politiques a été étendu aux requérants devenus français après la Seconde Guerre mondiale, élargissant ainsi le nombre de bénéficiaires. Un régime spécifique d’indemnisation au bénéfice des orphelins d’un parent mort en déportation, ouvert quant à lui à toutes les nationalités, a été instauré en 2000. Une Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations a été par ailleurs créée en 1999, afin d’examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droit pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens matériels et financiers intervenues du fait des législations antisémites. Enfin, en 2001, un accord a été conclu entre les gouvernements français et américain, relatif à l’indemnisation des spoliations bancaires intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers dispositifs sont ouverts sans critère de nationalité – faut-il le rappeler ?

Bien que ces mesures aient progressivement étendu le champ des réparations, il est apparu que certaines victimes de la déportation depuis la France n’avaient pu avoir accès à notre régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité, ni pu bénéficier de mesures de réparations versées par d’autres pays ou institutions.

Dans ce contexte, il a été décidé de négocier avec les États-Unis un accord dont l’objectif – il faut le rappeler – était de compléter les dispositifs d’indemnisation en vigueur, afin d’assurer la prise en compte de toutes les victimes n’ayant pu avoir accès au régime français ou à tout autre régime. À partir de 2012, des discussions informelles ont alors été engagées à la demande de la France – comme l’a rappelé M. le rapporteur – avec les autorités américaines, afin de trouver une solution à la situation de ces victimes non couvertes par le régime des pensions d’invalidité et des victimes de guerre ou par tout autre régime. Au mois de février 2014, ont formellement débuté des négociations visant à conclure un accord intergouvernemental. Les négociations ont eu lieu à un rythme soutenu et serein – il faut le remarquer. L’ambition était de conclure dans les meilleurs délais pour tenir compte notamment de l’âge avancé des déportés survivants. Elles se sont achevées début novembre 2014 et l’accord a été signé à Washington le mois d’après.

Contrairement à la procédure américaine, qui ne prévoit pas, pour les accords internationaux, d’approbation parlementaire, nous sommes saisis aujourd’hui, dans notre assemblée, du projet de loi autorisant l’approbation de cet accord. Ce dernier est nécessaire, tout d’abord parce qu’il entend mettre en œuvre une mesure de justice de nature à répondre aux insuffisances de notre régime d’indemnisation vis-à-vis des victimes. En effet, il prévoit la mise en place d’un fonds d’indemnisation de 60 millions de dollars versés par les autorités françaises aux autorités américaines, qui assumeront seules la responsabilité du recensement de l’ensemble des demandes – quels que soient la nationalité et le lieu de résidence du demandeur –, de leur traitement et de l’indemnisation des bénéficiaires, selon des critères qu’elles détermineront unilatéralement.

Ce montant, qui correspond à un point d’équilibre au regard notamment des demandes de compensations exprimées par certains avocats américains, a été établi en tenant compte de différents critères : tout d’abord, celui du nombre de bénéficiaires potentiels – survivants de la déportation ou leurs ayants droit pour ceux décédés après-guerre. Il est estimé à quelques milliers à ce stade et ne sera exactement connu qu’après une procédure de recensement engagée par les autorités américaines. Une marge d’aléas pour pouvoir répondre à un possible afflux de demandes a de ce fait été prévue. Il est clairement établi que ce fonds ne saurait être ré-abondé par les autorités françaises, l’accord stipulant en effet que ce paiement constitue le moyen définitif de répondre à toutes demandes. Autre critère, la volonté de mettre en place une indemnisation juste pour les bénéficiaires et en cohérence avec le régime des pensions d’invalidité des victimes civiles de la guerre, par référence au niveau moyen de pension annuelle, de l’ordre de 32 000 euros par an. Dernier critère, la nécessité de pouvoir intégrer une part encadrée d’antériorité dans les indemnisations pour les survivants de la déportation qui n’avaient pu bénéficier du régime des pensions ouvert il y a soixante-dix ans, ou pour leurs ayants droit, pour ceux décédés récemment.

Ensuite, cet accord est nécessaire car il assure à la France, en contrepartie, des garanties contre toute demande liée à la déportation. En effet, ce dernier a aussi pour objectif de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à toute demande ou toute action qui pourrait être entreprise aux États-Unis contre la France au titre de la déportation liée à la Shoah depuis notre territoire. Dans cette perspective, l’accord crée une obligation internationale contraignante pour les autorités américaines et prévoit expressément l’engagement des autorités américaines à assurer à la France « une paix et une sécurité juridiques durables ».

À ce titre, le champ d’application de l’accord inclut les entreprises ou entités publiques françaises, quel que soit leur statut juridique, qui pourraient être mises en cause directement ou indirectement au titre de la déportation, comme cela a pu être le cas de la SNCF aux États-Unis. En effet, des projets de loi ont été régulièrement introduits au Congrès américain pour permettre aux juridictions américaines de poursuivre toute entreprise ayant joué un rôle dans le transport des victimes de la déportation, faisant ainsi craindre le développement d’un contentieux majeur, notamment pour la SNCF. Le gouvernement des États-Unis s’engage par conséquent à prendre toute mesure nécessaire contre des initiatives juridiques ou législatives au niveau fédéral, des États ou des autorités locales, qui mettraient en cause l’immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements ou qui viendrait contredire l’esprit ou la lettre de l’accord.

En cette année 2015, marquée par les soixante-dix ans de la libération des camps d’extermination nazis, la conclusion d’un tel accord constituerait une contribution majeure de la République française à la mémoire des victimes de la Shoah, en instaurant les conditions d’une indemnisation juste et facilement accessible à celles d’entre elles, ou à leurs ayants droits, qui en étaient exclus jusque-là. Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le 10 juillet 1940, 569 parlementaires français commettaient l’irréparable en votant la fin de la République et la création d’un État fasciste. En s’engageant dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne nazie, le régime de Vichy devenait complice de l’un des pires crimes de l’histoire de l’humanité. Comme l’a très bien montré le chercheur américain Robert Paxton, le régime collaborationniste a pris une part active à la déportation depuis la France de centaines de milliers de juifs, d’opposants politiques ou de membres de minorités vers les camps de la mort. La réalité est que le régime de Vichy a été plus qu’un exécuteur zélé de l’Allemagne nazie, devançant à de nombreuses reprises les exigences de l’occupant, pour des raisons politiques et idéologiques.

Le régime de Pétain a bien été un pouvoir totalitaire et fasciste. Plus de 140 000 personnes ont été déportées depuis la France. Parmi elles, 75 000 personnes ont été envoyées dans les camps de la mort parce que juifs. Seule une infime minorité reviendra vivante de cet enfer. La rafle du Vel d’Hiv, les camps de Drancy et du Struthof, les arrestations et exécutions sommaires, toutes ces monstruosités resteront des taches indélébiles dans l’histoire de notre nation. Au regard de l’histoire, l’indemnisation des victimes de la déportation n’est donc que justice. Il s’agit d’un acte légitime pour toutes celles et tous ceux qui ont souffert dans leur chair de la déportation.

Le problème auquel nous sommes confrontés est que les résidents américains ne peuvent bénéficier du régime de pension ouvert dès 1946 aux déportés de nationalité française ou issus d’autres pays. Pour des raisons éthiques et de réparation évidentes, il fallait trouver un moyen de pallier cette carence. La convention franco-américaine que nous discutons aujourd’hui en séance publique est la solution qui a été trouvée entre les autorités des États-Unis et les autorités françaises pour permettre enfin l’indemnisation des résidents américains et leurs ayants droit.

Parce que l’essentiel est d’agir pour les victimes et de leur rendre justice, nous soutiendrons par conséquent cet accord, non sans émettre plusieurs critiques. Lors du passage en commission des affaires étrangères, un certain nombre de députés ont émis des réserves sur la rédaction de cet accord. En cause, la mention à l’article 1er, alinéa 3, du « gouvernement de Vichy » comme exécutant de la déportation. Comme la plupart, voire la majorité, des membres de la commission, j’ai été troublé de l’emploi de cette expression, qui ignore la rupture que constitue le régime collaborationniste par rapport à la République. C’était un régime illégitime, mis en place en pleine débâcle de l’armée française, par la voie d’un vote dont les parlementaires communistes, je veux le rappeler ici, avaient d’ailleurs été exclus, pourchassés depuis l’interdiction du parti communiste français par Daladier en 1939. C’était un régime fasciste, qui a organisé la persécution des juifs, des Républicains, des communistes, des francs-maçons, des libéraux, des socialistes, des homosexuels, des Tsiganes, bref, de tous ceux qui n’acceptaient pas l’horreur nazie ; un régime qui a voulu instaurer un « ordre nouveau » avec son programme de révolution nationale, créature de l’idéologie nazie et des forces de l’Axe.

Non, ce terme n’avait pas sa place dans cet accord. Je remercie Mme la présidente ainsi que le ministère des affaires étrangères d’avoir fait le nécessaire, avec les autorités américaines, pour que ce passage soit réécrit. L’expression « autorité de fait se disant gouvernement de l’État français » est la seule appropriée pour caractériser le régime de Pétain. C’est, au demeurant, cette formulation qui a été retenue par l’article 7 de l’ordonnance du 9 août 1944, par lequel le gouvernement provisoire de la République ôte toute légalité au régime de Vichy.

Cela étant dit, cet accord franco-américain a fait l’objet, sur le fond, d’un certain nombre de critiques, qu’il me paraît nécessaire de rappeler. Cet accord est la conséquence directe des mesures de rétorsion économiques prises à l’encontre de la SNCF aux États-Unis pour sa responsabilité supposée dans la déportation des Juifs depuis la France. Depuis 2000, l’entreprise publique est ainsi régulièrement poursuivie par des associations de victimes de la Shoah. À plusieurs reprises, elle n’a pu participer à des appels d’offres publics, perdant des marchés particulièrement en Californie ou dans le Maryland. On peut penser que la tragédie de la Shoah a été instrumentalisée dans certains milieux pour des raisons mercantiles, afin de nuire aux entreprises françaises en les écartant des marchés étasuniens. Le doute est permis après les révélations concernant les écoutes pratiquées par la NSA sur l’Élysée et les grandes entreprises – je m’associe à la condamnation unanime dans cet hémicycle de l’espionnage par les États-Unis des plus hautes autorités françaises.

L’impression qui ressort est que la France a cédé aux pressions américaines afin d’obtenir, pour nos entreprises publiques, une immunité juridique aux États-Unis. C’est quelque part inquiétant pour l’indépendance de notre diplomatie qui, dans cette affaire, s’est trouvée un peu prise en otage.

Pourtant, les tribunaux français n’ont pas reconnu la responsabilité directe de la SNCF dans la déportation des Juifs. Ainsi, le Conseil d’État a, dans son arrêt de décembre 2007, estimé que l’entreprise publique était, et cela a déjà été dit, « un rouage du processus d’extermination placée sous réquisition des autorités allemandes d’occupation ».

Un des plus éminents spécialistes du sujet, Serge Klarsfeld, ne dit pas autre chose. Même si cela a également été dit, je veux le rappeler : selon lui, « la SNCF, réquisitionnée par l’occupant, a agi sous la contrainte. Les trains de déportation étaient allemands. Les factures étaient payées par la Gestapo à une agence de voyages allemande. ».

Il ajoute être opposé à toute « repentance qui dilue les responsabilités alors que celles des Allemands, de Pétain, de Laval, de Bousquet, de Papon et de Leguay sont, elles, bien identifiées. » Je regrette que nos amis américains n’aient pas su entendre ces arguments.

Enfin, le mécanisme d’indemnisation retenu par l’accord peut prêter à controverse. En effet, il consiste à accorder un chèque en blanc de 60 millions de dollars aux autorités américaines.

Les États-Unis seront chargés de recenser et d’indemniser les personnes concernées. La France n’a plus voix au chapitre et laisse les Américains décider seuls des critères d’indemnisation des déportés et de leurs ayants droit.

Le versement de 60 millions de dollars aux États-Unis rappelle le paiement des réparations de guerre : une anomalie au regard de l’histoire puisque la France fait partie des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et qu’elle a payé un lourd tribut à l’occupant nazi.

Avec cet accord se pose inévitablement la question de la transparence, alors que le nombre de personnes restant à indemniser aux États-Unis n’est pas connu avec précision. N’y avait-il pas la possibilité d’étendre le système actuel d’indemnisation aux résidents américains ?

M. Pierre Lellouche. Bonne question.

M. François Asensi. Il aurait été sans doute préférable de permettre à ces personnes de bénéficier des pensions d’invalidité créées en 1946 pour les victimes de la déportation de nationalité belge, britannique, hongroise, tchèque et polonaise. Pour les ayants droit, nous aurions pu élargir les critères d’applications du décret du 13 juillet 2000 qui institue des mesures de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites.

M. Pierre Lellouche. Voilà.

M. François Asensi. Il est difficile, nous le savons, de regarder en face les heures les plus sombres de notre histoire, mais c’est l’honneur d’une grande nation comme la France que d’effectuer ce travail de mémoire avec courage et humanité.

En effet, seule la reconnaissance des crimes peut apaiser les souffrances des victimes. Nous souscrivons donc totalement à la volonté de l’État français d’indemniser toutes celles et tous ceux qui ont souffert dans leur chair des affres de la déportation.

Malgré ces remarques et les défauts qu’il présente, l’accord franco-américain discuté aujourd’hui dans cet hémicycle a l’avantage de permettre une indemnisation rapide des résidents américains. Il représente un geste de concorde permettant de réparer, autant que faire se peut, les blessures du passé. Pour toutes ces raisons, les députés communistes et du Front de gauche voteront cette convention. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Baumel.

M. Philippe Baumel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État aux affaires européennes, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au moment où nous examinons le protocole d’accord sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah me revient en mémoire le dernier discours prononcé par François Mitterrand devant le Parlement européen le 17 janvier 1995.

M. Jean Glavany. Très bon discours, et très émouvant.

M. Philippe Baumel. Dans ses propos, il nous exhortait alors collectivement : « Il faut vaincre notre histoire et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera : le nationalisme. Et le nationalisme, c’est la guerre. La guerre, ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir, et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir ! »

Alors que nous nous apprêtons à commémorer le 70ème anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis et la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces mots résonnent comme une impérieuse obligation.

En France comme en Europe, la tentation du repli nationaliste semble progresser inexorablement : partout les droites extrêmes soufflent sur les braises des haines que l’on croyait éteintes. Le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme revivent dans des discours qui tentent de maquiller les atrocités de notre histoire récente. Pourtant, nous le mesurons, toutes ces idées et tous ces mots ont tué, et ces idées et ces mots peuvent encore tuer demain.

Les événements du 11 janvier et la montée du nationalisme un peu rance, souvent porté par l’extrême droite,…

M. Meyer Habib. Et parfois par la gauche.

M. Philippe Baumel. …prouvent, s’il en était encore besoin, que la République peut mourir et que le pire n’est jamais incertain.

L’accord entre la République Française et les États-Unis sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France était particulièrement attendu, soixante-dix ans après ces déportations et ces persécutions.

C’est, je crois, l’honneur de notre pays que de compléter aujourd’hui le régime des pensions en assurant l’indemnisation des victimes de la Shoah déportées depuis la France et qui n’y étaient pas, du fait de leur nationalité, éligibles.

En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France a étendu le régime des pensions d’invalidité aux victimes de la déportation. D’autres régimes ont été également été créés pour indemniser les orphelins de parents morts en déportation.

Dans le même temps, la France concluait avec d’autres pays des conventions de réciprocité en matière d’indemnisation des préjudices liés à la Shoah. Cependant, et bien que le champ des réparations ait été progressivement étendu, il est apparu que certaines victimes de la déportation depuis la France n’avaient pu bénéficier, en raison de leur nationalité, de notre régime de pensions d’invalidité.

Cette absence d’indemnisation était vécue douloureusement par celles et ceux qui ont vécu la déportation mais également par leurs ayants droit. La création d’un fond de 60 millions de dollars permettra d’indemniser les survivants de la déportation et leur ayants droit, qu’ils soient américains ou d’une autre nationalité.

Et même s’il intervient tardivement, et même si on ne repère aujourd’hui, malheureusement, qu’un millier d’attributaires potentiels, ce dispositif constituera une simple réparation matérielle de douleurs vécues sur plusieurs générations.

Ce dispositif spécifique, géré par les autorités américaines, permet, à la différence de l’extension des droits à pension, une application rétroactive. C’était une demande forte de nos partenaires qui répond, je crois, à une exigence d’équité.

Par ailleurs, les autorités américaines se sont engagées à prendre toutes les dispositions utiles pour faire connaître aux bénéficiaires potentiels, partout dans le monde, les possibilités d’indemnisation ouvertes par cet accord.

Enfin, le gouvernement américain s’engage à rendre compte de l’utilisation de ce fonds au gouvernement français.

Rien ne répare la mort, la douleur ou l’absence, mais tout doit être fait pour reconnaître et soulager. L’accord entre la France et les États-Unis répond à cet impératif à la fois moral et politique.

Pour conclure, je voudrais à mon tour saluer l’action du ministère des affaires étrangères qui a répondu rapidement à l’alerte des parlementaires, de gauche comme de droite, en modifiant la rédaction controversée de l’article 1er.

M. Pierre Lellouche. Oui.

M. Philippe Baumel. Nous ne pouvions en aucun cas accepter, dans un accord international, que le terme « gouvernement de Vichy » puisse être substitué au terme « l’autorité de fait se disant gouvernement de l’État Français » qui est utilisé dans l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus. C’est aussi participer à la confusion des valeurs. Cet accord nous rappelle notre histoire récente, sa barbarie, ses errements, ses atrocités et, probablement, la banalité du mal.

Cet accord peut cependant être – je veux le croire – un antidote salutaire : pour toutes ces raisons, comme les orateurs précédents, je vous invite sans réserve à l’approuver. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Jean Glavany. Mon cher collègue, vous n’êtes pas obligé de faire vingt minutes.

M. Pierre Lellouche. Merci de votre accueil, monsieur Glavany.

M. Jean Glavany. Il est tout à fait cordial.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le secrétaire d’État aux affaires européennes, vous nous soumettez aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de l’accord signé le 8 décembre 2014 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, portant sur l’indemnisation de « certaines » victimes de la Shoah déportées depuis la France pendant l’Occupation.

Comme vous – et M. Fabius – le savez mieux que personne, ce projet de loi était initialement inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée le 16 juin dernier. Et, comme vous le savez également, la discussion en séance publique a dû être reportée en raison de différentes questions de fond soulevées par les parlementaires sur tous les bancs, et notamment par votre serviteur, lors de l’examen de ce texte devant la commission des affaires étrangères, le 27 mai dernier.

Il y a, à ma connaissance, peu de précédents, sinon aucun, du moins dans la période récente, où l’on a vu le Parlement jouer ainsi pleinement son rôle de contrôle sur un texte relevant du droit international, et obliger l’exécutif à revoir sa copie, si j’ose dire, dans le cas d’un accord signé avec un État étranger. Je veux remercier ici mes collègues siégeant sur tous les bancs qui ont soutenu ma démarche et qui ont amené le Gouvernement à prendre l’initiative, avec sagesse, de demander au département d’État de revoir certaines parties de la rédaction de l’accord.

Car vous avez été contraint de le faire – je dis bien contraint, car telle n’était pas l’intention au départ de M. Fabius – devant la gravité des questions soulevées à l’encontre d’un texte mal rédigé, mal négocié et sur lequel subsistent, je dois vous le dire, de lourdes interrogations. Ces interrogations justifieront, d’ailleurs, que le groupe des Républicains, ne pourra pas faire autre chose que de s’abstenir sur ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany. Oh !

Mme Valérie Fourneyron. Quelle erreur !

M. Jean-Pierre Dufau. C’est une faute.

M. Pierre Lellouche. Ce texte, en vérité, vise, sur deux plans difficilement conciliables, deux objectifs.

Le premier est d’ordre moral : il vise à indemniser des ayants droit – aujourd’hui de nationalité américaine et parfois israélienne, résidant aux États-Unis – de personnes déportées de France pendant l’Occupation dans les trains de la mort, ceux de la SNCF, à l’époque sous contrôle de l’occupant nazi.

Ces personnes sont aujourd’hui très âgées. Que la République française veuille leur rendre en quelque sorte justice, dans la droite ligne du discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv en 1995, en réparation de la « faute morale » qu’il avait évoquée à l’époque, voilà qui fait aujourd’hui consensus sur tous les bancs.

Au demeurant, à la suite de ce discours, dans lequel le Président Jacques Chirac avait admis « la dette imprescriptible de la France à l’égard des 76 000 juifs déportés de France, de la reconnaissance des fautes du passé et des fautes commises par l’État », cette indemnisation avait été élargie, par le décret n2000-657 du 13 juillet 2000, aux orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. Elle prend la forme, au choix du demandeur, d’un capital ou d’une rente de 540 euros par mois.

Sur le principe de l’indemnisation, donc, sur l’élargissement de celle-ci à des ressortissants d’un autre État, en un mot sur cet objectif moral, il n’y a et il ne peut pas y avoir de désaccord entre nous : je le dis clairement.

Mais tel n’était pas l’unique l’objet de l’accord, que vous avez voulu, de votre propre aveu, négocier et signer avec les États-Unis. Je dirais même que cet objectif-là, qui était la réparation d’une faute morale, n’était que le sommet de l’iceberg, ou, pour ainsi dire, la façade, à peine crédible d’ailleurs, d’un tout autre objectif, de nature économique celui-ci, qui consistait, pour le gouvernement français, à tenter de faire cesser la stratégie de harcèlement à la fois politique et juridique mise en place aux États-Unis depuis 2000 contre la Caisse des dépôts et la SNCF, et ce de façon permanente.

Le texte de l’accord est, de ce point de vue, presque touchant dans sa description franche, voire crue, de l’objectif qui est visé. En signant cet accord, le gouvernement français cherche – cela figure en toutes lettres – à acheter ce que vous appelez vous-même une « paix juridique durable » avec les États-Unis, en échange du versement au gouvernement américain d’une somme de 60 millions de dollars « pour solde de tous comptes ». Ces termes figurent également en toutes lettres dans l’exposé des motifs et dans les propos de notre rapporteur.

C’est ainsi qu’aux termes de l’accord, le gouvernement américain répartira la somme versée par la France « unilatéralement et discrétionnairement » aux victimes qui se seront fait connaître, « la France n’ayant aucun droit en ce qui concerne cette répartition ». En échange de quoi, le même gouvernement américain, « conformément à son système constitutionnel, entreprendra toutes les actions nécessaires pour atteindre une paix juridique durable au niveau fédéral, à celui des États, et à celui des autorités locales ».

Il est également prévu qu’avant tout versement des sommes envisagées, le citoyen américain bénéficiaire éligible s’obligera à signer un document comportant une renonciation à tous ses droits à faire valoir des demandes d’indemnisation ou d’autres demandes de réparation à l’encontre de la France.

Voilà donc comment s’organise le deuxième objectif – commercial celui-ci – « pour solde de tous comptes ». Tout le problème, monsieur le secrétaire d’État, tient à ce que ces deux objectifs, l’un moral, l’autre de nature commerciale, voire mercantile, sont difficilement conciliables. Et c’est de ce vice fondamental dans la construction même de l’accord que découle toute une série de problèmes qui demeurent grands ouverts à l’heure où nous parlons.

Prenons d’abord le problème moral.

S’il ne s’agissait que de rendre justice à quelques centaines de survivants de la Shoah résidant aux États-Unis ou aujourd’hui citoyens américains, il aurait été beaucoup plus sage et beaucoup plus simple, comme je l’ai proposé, et l’idée a été reprise par M. Asensi, d’élargir à leur profit le décret précité de 2000, qui prévoit l’indemnisation des déportés et de leurs ayants droit. Dans ce cas, les personnes concernées auraient pu simplement faire valoir leurs droits en s’adressant aux services consulaires français situés sur le territoire américain.

Si cette formule n’a pas été retenue par M. Fabius et si vous avez voulu négocier et signer un mauvais accord, c’est que vous craigniez que l’indemnisation morale n’éteigne pas les poursuites, voire les offensives législatives lancées périodiquement contre la SNCF devant les tribunaux ou les différentes assemblées législatives des États fédérés, voire du Congrès américain.

Ce que vous avez voulu essayer d’acheter, je le répète, de votre propre aveu, et à la demande, semble-t-il, pressante de la direction de la SNCF, c’est l’engagement du Gouvernement américain de bloquer le harcèlement juridique et législatif dont ont pu faire l’objet nos entités juridiques sur le territoire américain.

Sur le principe, la promotion, voire la défense des intérêts de la SNCF aux États-Unis, le soutien de son développement éventuel à l’avenir – je pense notamment au projet de vente de trains à grande vitesse dans certains États fédérés, sujet sur lequel j’ai eu moi-même à travailler lorsque j’étais en charge du commerce extérieur –, nous ne pourrons bien sûr que nous retrouver, mais fallait-il pour autant, et c’est la question clé, payer un tel objectif au prix fort, au prix de ce qui revient à une forme d’abaissement national ?

Comme M. Fabius l’a lui-même rappelé dans la lettre qu’il m’a adressée le 3 juin dernier, c’est la France qui a pris l’initiative de cet accord, en acceptant donc de capituler pour prévenir toute menace des avocats ou de certains législateurs américains, dont d’éminents collègues de M. Fabius comme Hillary Clinton ou son homologue actuel, John Kerry.

En essayant d’acheter cette « paix juridique durable » et en inscrivant même cette notion dans le texte de l’accord, vous avez en réalité fait deux choses. Vous avez d’abord implicitement accepté l’idée que nous étions en guerre économique avec les États-Unis et qu’ayant perdu cette guerre, vous entendiez essayer d’acheter la paix. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Vous avez par ailleurs accepté à l’avance de céder à ce chantage, car c’est bien d’un chantage qu’il s’agit, des cabinets d’avocats américains et de certains législateurs, au lieu de faire respecter le droit international devant les juridictions américaines, en l’occurrence les conventions internationales et les conventions franco-américaines sur l’immunité, le plus piquant étant qu’à l’heure où nous nous apprêtons à ratifier ce texte, ces clauses d’immunité ont été reconnues par tous les tribunaux américains qui ont été saisis jusqu’à présent.

La SNCF a été mise hors de cause devant les juridictions des deux côtés de l’Atlantique pour les transports de déportés, tout simplement parce qu’elle était sous le contrôle des forces allemandes d’occupation, ce qui est d’ailleurs rappelé dans la note du Quai d’Orsay que vous avez fait distribuer auprès des parlementaires, et c’est inscrit dans les accords d’armistice entre la France et le régime nazi.

Si quelqu’un avait dû être poursuivi pour les transports de déportés, c’était non pas la SNCF mais bien la République allemande, au titre des réparations de guerre. Or, en signant ce texte, que vous le vouliez ou non, vous avez en quelque sorte organisé, consacré même, une sorte de capitulation française (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) devant une forme de chantage permanent judiciaire, voire législatif de la partie américaine.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Pierre Lellouche. Vous me permettrez de penser que tout cela n’est pas très digne (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)

Mme Valérie Fourneyron. Qui n’est pas digne ?

M. Pierre Lellouche. Je vous prie, mes chers collègues, de respecter la parole de l’opposition.

M. Patrick Mennucci. Du calme !

M. Pierre Lellouche. Même si cela vous déplaît, ce n’est rien d’autre que la vérité d’un texte d’abaissement national que vous présentez au nom de la justice. Laissez l’opposition s’exprimer. Merci.

M. le président. Écoutons l’orateur, mes chers collègues. Seul M. Lellouche a la parole.

M. Pierre Lellouche. Vous me permettrez de penser que tout cela n’est pas très digne et qu’on aurait pu tout simplement, en faisant respecter le droit international, défendre tout aussi bien, mieux, les intérêts de nos entreprises publiques aux États-Unis, sans accepter de nous coucher, qui plus est dans un traité de droit international avec un État étranger.

Mme Valérie Fourneyron. Et les victimes alors ?

M. Pierre Lellouche. En acceptant une transaction aussi peu digne, aurez-vous au moins atteint l’objectif de sécuriser les activités de la SNCF aux États-Unis, puisque c’est ce que vous recherchez ? C’est du moins ce que vous prétendez à longueur d’argumentaires distribués ces dernières semaines aux parlementaires, mais est-ce pour autant la réalité ?

De nombreuses procédures judiciaires ont en effet été intentées devant plusieurs juridictions américaines, notamment contre la SNCF et la Caisse des dépôts depuis l’an 2000, pour complicité de crimes contre l’humanité. De même, depuis 2005, différentes propositions de loi ont été déposées par les membres du Sénat et de la Chambre des représentants en vue de retirer le bénéfice de l’immunité de juridiction des États à la SNCF. Aucune de ces procédures n’a cependant abouti, et c’est à juste titre que le président de la SNCF de l’époque, M. Louis Gallois, avait fait valoir devant les juridictions américaines qu’aux termes de l’accord d’armistice signé en 1940, la SNCF s’était en fait placée sous le contrôle total de l’occupant nazi.

Après la ratification de cet accord, ces procédures vont-elles pour autant s’interrompre ? La réponse est naturellement non, tout simplement parce que les institutions américaines, dûment mentionnées dans l’accord, sont fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs, si bien qu’en aucun cas, l’exécutif américain ne pourra empêcher un citoyen américain de continuer d’ester en justice et de poursuivre la SNCF devant les tribunaux. Libre alors au juge, lui-même indépendant, d’accorder ou non réparation. Au demeurant, je crois savoir que des procédures sont en cours, et les cabinets américains spécialisés n’ont été nullement dissuadés par l’accord dont nous parlons aujourd’hui.

Reste l’aspect législatif.

Toujours dans le respect de la séparation des pouvoirs et des institutions américaines, ce qui est là encore rappelé dans l’accord, l’exécutif américain s’engage à essayer de bloquer les initiatives parlementaires qui pourraient être engagées à différents niveaux. Des procédures en ce sens existent aux États-Unis et il est probable, mais nullement absolument garanti, que l’exécutif recoure à de telles actions, y compris le droit de veto du Président américain, pour bloquer des initiatives parlementaires hostiles à la France.

Cela dit, je le répète, d’autres moyens existaient pour contrer ce type de démarches, qui relèvent d’ailleurs directement des attributions du ministre français des affaires étrangères. On imagine mal en effet que le Congrès des États-Unis vote une loi condamnant la SNCF pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, ou encore lève son immunité, sans que cela ne fasse débat aux États-Unis et que la France, qui est un grand pays, fier, allié des États-Unis depuis la naissance de ce pays, ne réagisse fortement contre de telles manœuvres.

Soit, vous avez choisi cette forme de paix. Tant pis pour la France, mais vous comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, que nous ne puissions pas accepter ce genre de transaction sur l’essentiel, et ce d’autant plus, et j’en viens à la rédaction initiale du texte, que l’accord comportait en toutes lettres l’expression « Gouvernement de Vichy », reconnu à l’époque par les États-Unis, dont la République française réparerait en quelque sorte aujourd’hui les dramatiques erreurs d’il y a soixante-dix ans.

Dans son discours du Vel d’Hiv de 1995, le Président Chirac, tout en admettant les erreurs commises, les fautes, la faute collective, avait cependant insisté pour dire qu’il y avait parallèlement la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France-là n’a jamais été à Vichy, ajoutait-il. Autrement dit, le principe de l’indemnisation des victimes de la Shoah, sur lequel nous sommes tous d’accord, ne devrait pas remettre en cause le principe fondamental de notre récit national, auquel nous sommes tous attachés, selon lequel il n’y a aucune continuité entre le régime criminel de Vichy et la République française.

Or quelle fut ma consternation, partagée par l’ensemble des collègues de la commission, de découvrir que ce point capital était piétiné, battu en brèche dès le premier article de ce traité conclu avec les États-Unis, qui dispose dans son alinéa 1 que le terme « France » désigne la République Française, le Gouvernement de la République Française, toute agence ou entité publique actuelle ou passée du Gouvernement français, l’alinéa 3 prévoyant que les termes « déportation liée à la Shoah » désignent « le transfert d’un individu depuis la France vers une destination située hors de France dans le cadre des persécutions antisémites exercées par les autorités allemandes d’occupation ou par le Gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale ». Voilà qui établit expressément l’idée que le Gouvernement de la République française est le continuateur du « Gouvernement de Vichy » et qu’à ce titre, il s’engage, en droit international, à assumer les réparations dues au titre des exactions commises il y a soixante-dix ans.

Ainsi rédigé, ce texte ne fait rien d’autre que de placer la République française au même niveau que la République fédérale allemande, continuatrice du IIIe Reich, qui, à ce titre, doit des réparations de guerre en tant qu’État vaincu. Cet amalgame est proprement insupportable, inacceptable. À tout le moins, il aurait fallu que cet article 1er exprime de façon claire que le principe d’indemnisation des victimes de la Shoah et de leurs descendants, y compris de nationalité américaine, n’implique en aucune manière que la France soit désignée soit par la République, soit par le gouvernement de Vichy, mais qu’au contraire, la République française n’a rien à voir avec l’État de fait de Vichy.

Dans un premier temps, que ce soit dans la lettre que M. Fabius m’a adressée le 3 juin ou dans l’argumentaire qui a été distribué à tous les commissaires de la commission des affaires étrangères, vous avez tenté de nier l’existence même de ce problème, que vous reconnaissez aujourd’hui. Vous prétendiez même que le terme « Gouvernement de Vichy » ne soulevait que des éléments de contexte historique, sans répondre à la confusion inscrite dans l’article 1er de l’accord, notamment son alinéa 3.

À l’appui de votre thèse, vous alliez même jusqu’à citer des arrêts du Conseil d’État, lesquels confortent en fait mes critiques contre la rédaction de cet accord. En effet, le Conseil d’État a constaté clairement la nullité et l’illégalité manifeste des actes pris par l’« autorité de fait se disant Gouvernement de Vichy ». Que la République répare les fautes de ce Gouvernement est une chose, qu’elle semble en assumer la continuité est en une autre, car, dans ce cas, au lieu d’être à la table des vainqueurs en 1945, nous aurions été les continuateurs du régime collaborationniste. Disons-le clairement, la rédaction initiale de l’accord était une insulte au général de Gaulle et au gouvernement provisoire de la République.

Au final, devant l’opposition résolue des parlementaires, y compris dans les rangs de la majorité, vous avez dû vous résoudre à revoir votre copie et, vous abritant derrière l’obscur article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités,…

M. Jean Glavany. Obscur ? Très éclairant et très utile.

M. Pierre Lellouche. …vous avez argué de l’erreur matérielle, comme s’il s’agissait d’une erreur matérielle. Vous êtes même allés chercher le mot sceau, seau dans le texte initial, ce qui montre à quel point le texte était bien rédigé et de quel zèle vous faites preuve pour réparer les fautes d’orthographe et les erreurs matérielles.

Ces corrections faites, le texte va donc pouvoir être ratifié, mais vous me permettrez de penser qu’à la faute morale initiale que vous avez tenté de réparer maladroitement en indemnisant les ayants droit par cet accord, vous en avez ajouté au moins deux autres. La première est de céder à l’imperium judiciaire et législatif américain, la seconde est de placer, en fait comme en droit, la France sur le même plan que l’Allemagne, héritière, elle, du régime nazi.

En acceptant d’acheter une « paix juridique durable » pour protéger la SNCF, vous n’avez fait que confirmer la tendance évidente toutes ces dernières années de la part des États-Unis à une forme d’imperium politique et économique, et je suis content que Mme Guigou ait repris ce terme.

Les États-Unis, en effet, depuis une quinzaine d’années, n’hésitent plus à utiliser leur justice, parfois appuyée par différentes agences de renseignement, pour faire pression sur des États ou des entreprises étrangères. Les exemples récents abondent de ce fameux soft power à l’américaine, des amendes monumentales contre la BNP pour la violation d’un embargo qui n’était pas reconnu par la France, à l’incarcération de cadres dirigeants d’Alstom avant la vente de ce fleuron de l’industrie nationale aux États-Unis, en passant par les affaires en cours de la FIFA, le dernier épisode étant celui dont tout le monde se goberge aujourd’hui, les écoutes de trois Présidents de la République successifs. Autant, entre alliés et amis, ce genre de comportement est possible en matière de coopération contre le terrorisme par exemple, autant il est insupportable quand il s’agit de relations politiques ou économiques.

Les Républicains attendent donc du Président de la République française qu’il ne se contente pas de faire convoquer l’ambassadrice des États-Unis mais qu’il demande à son homologue américain des explications et des excuses publiques. La France est un grand pays et doit être respectée.

L’autre faute morale tient dans le parallèle entre l’accord dont nous sommes saisis aujourd’hui et d’autres accords signés par l’Allemagne. C’est le plus embêtant, si j’ose dire.

Pour l’accord dont nous discutons aujourd’hui, la France n’a fait que dupliquer un accord bilatéral germano-américain du même type signé en l’an 2000 concernant les travailleurs forcés, dans lequel les autorités allemandes ont obtenu des garanties de paix juridique au bénéfice des entreprises allemandes en échange de sommes d’argent payées directement par l’Allemagne, soit par le Gouvernement, soit par des fondations, aux ayants droit de ces travailleurs forcés. Autrement dit, nous sommes exactement dans le même dispositif. Nous avons accepté le même traitement que les Allemands, héritiers du IIIReich, et ça, je ne l’accepte pas, je ne le supporte pas. (« Votez contre ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d’État, que nous ne puissions accepter cet accord, ce très mauvais accord, qui constitue une preuve matérielle de l’abaissement consenti de la France sous votre règne.

En guise de conclusion, monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous recommander, ainsi qu’à M. Fabius, la lecture de l’excellent ouvrage d’un historien américain, Edwin Black, IBM et l’Holocauste. Son sous-titre est « L’alliance stratégique entre l’Allemagne nazie et la plus puissante multinationale américaine », et il a été publié chez Robert Laffont, en 2001. Il montre comment IBM, tout au long de la guerre, était demeuré propriétaire et complice d’une filiale allemande, Dehomag, qui a puissamment contribué à l’Holocauste – les pré-ordinateurs de l’époque, les machines à calculer, ayant permis de ficher toutes les populations juives jusque dans les camps de concentration. Curieusement, personne aux États-Unis n’a jamais pensé poursuivre IBM. Il est dommage que personne en France, au Quai d’Orsay, n’ait pensé à poursuivre IBM au moment où l’on poursuivait la SNCF. Si nous avions eu un peu de fierté nationale, c’est peut-être ce que nous aurions dû faire au lieu de signer ce genre d’accord.

M. Philippe Baumel. Quelle suffisance !

M. Patrick Mennucci. Heureusement que vous étiez là !

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Jean Glavany. On va revenir à un peu de sérieux !

M. Patrick Mennucci. Et de modération !

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, alors que cette année marque le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps de l’horreur et d’extermination, l’accord d’indemnisation de certaines victimes de la Shoah, déportées depuis la France et non couvertes par les programmes français, revêt, au-delà de son aspect technique, une dimension politique, morale et symbolique forte. Le groupe UDI estime que cet accord apporte une solution équilibrée et satisfaisante, répondant aux deux objectifs qui lui sont assignés : apporter enfin une indemnisation aux survivants de la Shoah déportés de France non couverts par les dispositifs existants ; couvrir le risque contentieux qui résulte de cette situation de vide juridique tant pour l’État que pour ses démembrements, en particulier, comme cela a été évoqué, la SNCF, plusieurs fois mise en cause dans des actions en justice aux États-Unis depuis une dizaine d’années.

Tout d’abord, le présent accord entérine logiquement le principe de responsabilité de l’État à l’égard des 76 000 Juifs déportés de France, en vertu d’une position constante des gouvernements depuis la reconnaissance courageuse et historique du président Chirac en 1995, reprise par Nicolas Sarkozy et François Hollande. En effet, les gouvernements français ont beaucoup tardé, hélas, à reconnaître la responsabilité de l’État français dans la persécution et la spoliation des Juifs sous l’Occupation, au nom d’une altérité radicale entre la République et la parenthèse autoritaire incarnée par le régime de Vichy. En vérité, cela n’a pas empêché la République, dès le lendemain de la guerre, en 1946, de mettre en place une série de dispositifs pour indemniser les victimes de la barbarie nazie, à partir du socle législatif d’un régime de pensions d’invalidité des victimes civiles de guerre. Bien que le champ des réparations ait été progressivement étendu, certains rescapés de la déportation en ont été exclus de par leur nationalité.

L’année 1995 a marqué un tournant historique. Dans un discours mémorable prononcé le 16 juillet à l’occasion de la commémoration de la Rafle du Vél’ d’Hiv, le président de la République, Jacques Chirac, a reconnu la responsabilité historique de la France dans la déportation des Juifs pour les crimes perpétrés sous l’autorité du régime de Vichy. Depuis la reconnaissance de cette responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs de France en 1995, plusieurs mesures de réparation matérielle complémentaires ont été adoptées. En particulier, face aux initiatives des États-Unis, un accord a été conclu en 2001 mettant en place un mécanisme d’indemnisation des spoliations bancaires intervenues sous l’Occupation.

En dépit de toutes ces mesures, le régime d’indemnisation laissait certains survivants ou ayants droit en dehors du champ d’application. Le présent accord permet de suppléer à ces défaillances et de mettre un point final aux demandes d’indemnisation. Notre collègue Pierre Lellouche a opportunément relevé la rédaction initiale, pour le moins maladroite, de l’article 1er, qui pouvait induire un lien entre la République française et le Gouvernement de Vichy. Le ministère des affaires étrangères a pris acte et nous estimons que les corrections apportées début juin, acceptées par la partie américaine par note diplomatique, permettent de clore le débat. Nous notons que le Gouvernement tiendra ses engagements de faire figurer la modification de l’article 1er dans le texte publié au Journal officiel.

S’agissant de l’objet de l’accord, il y avait urgence à tenter d’apporter une réponse juste et définitive à ce dossier. Un impératif éthique d’abord : rendre justice aux derniers survivants de la déportation, qui, soixante-dix ans après la fin de la guerre, sont aujourd’hui d’un âge avancé et méritent enfin justice, tout au moins matériellement. En effet – dois-je le rappeler ? – beaucoup, si ce n’est la majorité, sont morts à ce jour sans réparation. Cet accord répond également à un impératif de sécurité juridique. L’indemnisation des victimes de la Shoah empoisonne les relations entre la France et les États-Unis depuis une quinzaine d’années et fait peser un risque contentieux sur la SNCF, accusée de complicité de crime contre l’humanité. En effet, à partir des années 2000, des déportés survivants, non couverts par les régimes existants, ont tenté d’obtenir des réparations devant les juridictions américaines.

Ainsi, des actions en justice ont été intentées contre la SNCF en 2000 et 2006. En 2000, les actions pour avoir collaboré activement à la déportation des Juifs de France n’ont pas abouti, grâce au bénéfice de l’immunité de juridiction instaurée par une loi fédérale de 1976. En 2006, attaquée sur le fondement de la spoliation, la requête a été rejetée faute de preuves suffisantes. Une nouvelle action a été initiée en avril 2015, démontrant qu’il existait un risque réel que d’autres plaintes soient déposées contre la SNCF et qu’il y avait donc urgence à couvrir ce risque contentieux de manière définitive. Ce risque est d’autant plus important qu’il s’est déplacé sur le terrain législatif. Des initiatives, tant au niveau fédéral que des États, tendent à retirer le bénéfice de l’immunité de juridiction à la SNCF et à permettre à d’éventuels recours de prospérer devant une juridiction américaine.

Derrière la réparation symbolique, il y a aussi un enjeu financier important pour la SNCF. La résolution de ce différend devrait permettre à la SNCF d’opérer en toute sécurité sur le sol américain. En effet, depuis de nombreuses années, des élus américains s’opposent régulièrement à ce que la SNCF remporte des appels d’offres sur leur territoire, tant que celle-ci n’aura pas indemnisé les victimes de la Shoah et leurs ayants droit. Aucun accord n’est parfait, mais le présent accord est malgré tout un bon accord. Nous l’estimons bien négocié et plutôt efficace dans ses mécanismes de mise en œuvre. C’est un accord qui semble équilibré, qui permet à notre pays de s’acquitter de sa dette historique, tout en préservant les intérêts de la France et en garantissant une sécurité juridique à notre administration et à nos entreprises publiques, la SNCF en premier lieu.

En ce qui concerne le montant de la réparation octroyée par le gouvernement français, précisé dans l’article 4 de l’accord, la somme de 60 millions d’euros semble raisonnable.

M. Jean Glavany. 60 millions de dollars !

M. Meyer Habib. Au temps pour moi ! Vous avez raison, monsieur Glavany !

M. Patrick Mennucci. C’est pareil !

M. Meyer Habib. Pour être tout à fait précis, il y a encore 12 ou 13 % d’écart.

Cette somme a été calculée par rapport à des critères objectifs et elle permet d’échapper aux aléas de la justice américaine et à la surenchère de certains avocats, qui avaient chiffré dans un premier temps les indemnités à plus de 200 millions de dollars. Cet accord ne remet nullement en cause le statut d’État vainqueur de la France, je veux le dire à M. Lellouche, qui n’est plus là,…

Mme Valérie Fourneyron. C’est comme d’habitude !

M. Patrick Mennucci. Il est parti ? C’est incroyable ! Lui qui nous donnait des leçons !

M. Meyer Habib. …et il ne s’apparente pas à un régime de réparation de guerre. Si la logique financière, avec la mise en place d’un fonds dédié géré aux États-Unis a pu faire débat, il s’agit d’un régime de réparations individuelles, négocié à l’initiative de la France. D’ailleurs, un rapport annuel de gestion sera remis chaque année au gouvernement français.

Le présent accord a le mérite d’exclure la SNCF du champ de responsabilité. En effet, le risque contentieux concernait, comme il l’a été rappelé précédemment, au premier chef la SNCF, accusée de complicité de crime contre l’humanité, si bien que certains se sont demandé s’il n’aurait pas été préférable que l’indemnisation lui incombe, comme dans le cas des banques s’agissant des spoliations bancaires. Cette option a été écartée d’emblée par la France qui a une position claire, exprimée par un arrêt du Conseil d’État de 2007, qui a exonéré la SNCF de toute responsabilité. Sur le plan historique, Serge Klarsfeld, référence incontestable en la matière, a prouvé que la SNCF était un simple rouage du processus d’extermination, réquisitionné par l’occupant, et que sa responsabilité directe ne pouvait être mise en cause. C’est à l’honneur de son président, Guillaume Pepy, d’avoir exprimé sa profonde peine pour le rôle imposé à la SNCF par l’occupant. Il a pu, ou non, y avoir du zèle. Mais cela ne saurait équivaloir à une responsabilité.

L’accord offre une garantie juridique durable au risque contentieux. Les États-Unis s’engagent à défendre l’immunité de juridiction, dont bénéficient l’État français et ses démembrements sur leur sol. Il permet, en outre, de couvrir les initiatives législatives susceptibles de viser l’un des démembrements de la France aux États-Unis, comme cela a pu être le cas de la SNCF. De plus, une déclaration sur l’honneur individuelle devra être effectuée préalablement à toute indemnisation par les bénéficiaires du fonds, pour exprimer leur renoncement à toute indemnisation autre que celle garantie par le fonds.

Pour conclure, s’il ne peut évidemment réparer l’irréparable, cet accord permet néanmoins, en cohérence avec la position juste et honorable, assumée par notre pays depuis 1995, de garantir, bien que tardivement, une indemnisation juste et définitive à celles et ceux qui en ont été privés. Le présent accord permet de clore dans la dignité ce douloureux différend entre la France et un pays ami, les États-Unis.

Un pays ami ?… Mon propos ne serait pas sincère, en ce jour un peu particulier, si je n’exprimais pas à la tribune l’indignation et la déception qui sont également les vôtres, sur tous les bancs de cette assemblée, après les dernières révélations d’espionnage massif et systématique au plus haut niveau de l’État par le gouvernement américain – trois Présidents de la République écoutés en permanence ! En plus d’être irrespectueux, cela est indigne et intolérable de la part d’un pays ami voire d’un allié.

Quelle hypocrisie, quand on sait que les Américains refusent de libérer Jonathan Pollard, emprisonné depuis vingt-neuf ans, un citoyen américain qui a commis une faute grave, en espionnant pour un État allié, Israël en l’occurrence, mais qui a purgé sa peine – vingt-neuf ans ! –, qui est malade et se meurt derrière les barreaux. Mes chers collègues, quelle sanction mériteraient aujourd’hui les États-Unis, si on appliquait la jurisprudence Pollard ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany. Très bien, monsieur Habib !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Fourneyron.

Mme Valérie Fourneyron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 3 avril dernier, l’Assemblée nationale accueillait l’Amicale de Dachau, l’association qui regroupe ceux qui ont survécu à l’horreur absolue du camp d’extermination de Dachau et leurs familles. Le thème de ce colloque était « De l’expérience à la mémoire », pour reconnaître que l’épreuve indicible de la déportation ne se limite pas aux camps. Il y a un après. Il y a le retour. Il y a les tentatives de reconstruction et la transmission de la mémoire, vécues par les proches des déportés.

À travers l’examen du texte qui nous est présenté, c’est bien cette question fondamentale du vécu et de la mémoire de la déportation qui nous est posée ; c’est la question de l’humanité que nous devons parvenir à réinstiller dans des vies qui ont été saccagées par la pire des monstruosités. Cette entreprise passe par la reconnaissance du statut de victimes pour les déportés. Elle passe aussi par des mécanismes d’indemnisation des victimes de la barbarie nazie. Ce principe a été admis en France, dès la fin de la guerre, avec la mise en place d’un régime de pension d’invalidité pour les victimes civiles. Comme l’a rappelé le rapporteur, ce régime a été progressivement étendu, par des lois successives, puis par des conventions de réciprocité, afin de couvrir tous ceux qui ont été entassés dans les trains de la mort depuis le sol français, et ce quelle que soit leur nationalité.

Cette volonté de n’oublier aucune des victimes qui ont été déportées depuis la France par les nazis, avec l’aide – nous ne l’oublions jamais – de collaborateurs français, est un honneur pour la France. C’est ce devoir qu’il nous revient aujourd’hui de perpétuer. Car, malgré nos efforts, quelques centaines ou milliers de victimes de la déportation depuis la France n’ont pas pu avoir accès à notre régime d’indemnités, du fait de leur nationalité. Les seules questions qui doivent éclairer nos débats aujourd’hui sont donc celles-ci : est-ce que cette situation est juste ? La réponse est évidemment non. Pouvons-nous agir pour réparer cette injustice ? La réponse est évidemment oui. Une fois n’est pas coutume, les enjeux du texte qui est soumis à notre examen sont simples, clairs, sans ambiguïté. Nous aurions aimé qu’il n’y ait pas d’enjeux partisans, de postures à défendre, de procès d’intention à faire ni de prétendues arrière-pensées à dénoncer.

La seule vérité qui doit déterminer notre décision, c’est qu’il n’y pas de victimes de seconde catégorie, celles qui auraient moins droit à réparation que d’autres. La souffrance n’a pas de nationalité.

Mes chers collègues, nous sommes face à une situation d’injustice, d’autant plus intolérable qu’elle est exercée sur ceux qui ont été victimes du pire crime de l’histoire de l’humanité. Il nous incombe d’apporter une solution pragmatique, efficace et rapide.

Notre devoir, c’est donc d’agir vite et d’agir bien. À ce titre, je veux saluer la détermination du ministre des affaires des affaires étrangères et celle du gouvernement français qui ont pris l’initiative, fin 2012, de trouver la solution la plus opérante possible face à cette situation inique. Les choix faits sur la forme comme sur les termes de l’accord que nous examinons aujourd’hui sont placés sous le signe de la recherche capitale de l’efficacité, animée par l’impératif d’agir vite et de simplifier les démarches administratives en raison de l’âge avancé des déportés survivants, comme l’a rappelé le rapporteur : les négociations entre la France et les États-Unis ont été menées à un rythme soutenu ; le choix a été fait de créer un fonds ad hoc, pour un usage souple, avec une application rétroactive encadrée, fonds qui sera géré directement par les autorités des États-Unis car la plupart des victimes identifiées sont aujourd’hui américaines.

Ce qui domine dans l’accord qui nous est soumis aujourd’hui, c’est d’abord l’intérêt des victimes : c’est lui qui a été placé en premier et a été l’étalon pour soupeser les diverses options qui s’offraient aux négociateurs. Face à l’impératif de morale, d’éthique et de dignité – je le dis à M. Lellouche qui, comme souvent, après s’être exprimé, quitte notre hémicycle ou notre commission –, face à cet impératif de justice, nous avons su répondre présents par ce texte.

Si cet accord permet également de donner des garanties judiciaires et législatives solides, comme l’ont détaillé le rapporteur et la présidente de la commission, protégeant ainsi les intérêts de la France et de ses démembrements face aux risques de poursuites, assurant son immunité judiciaire de manière durable, je ne vois là rien de honteux, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire !

Je tiens également à remercier le Quai d’Orsay et la présidente de notre commission des affaires étrangères d’avoir pris en compte de manière aussi rapide et exemplaire le légitime émoi qu’avait suscité la rédaction initiale, a minima maladroite, de l’article 1er du projet de loi, sans déroger à l’impératif de maintenir un calendrier serré.

Mes chers collègues, entre 1940 et 1944, 76 000 déportés dits « raciaux » ont quitté la France pour les camps de la mort : 3 % d’entre eux sont revenus… 2 564 exactement. Et sur ces 2 564, une poignée aujourd’hui sont des laissés-pour-compte, comme si leurs souffrances étaient niées. La France, patrie des droits de l’homme, ne pouvait tolérer plus longtemps cette situation. Je veux le rappeler : les membres de la commission qui ont débattu de ce texte sont tombés unanimement d’accord pour affirmer que son objet premier et principal, l’indemnisation de victimes individuelles, était bon, tout comme l’ont fait les principales associations représentatives de la communauté juive. C’est cette interprétation fondamentale qui prime, c’est ce message que notre Parlement doit envoyer. Aussi, soyons cohérents et justes jusqu’au bout ! Sans contestation de pur principe ! En 2015, année où la lutte contre le racisme et l’antisémitisme a été décrétée grande cause nationale ; en 2015, année où nous commémorons le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps d’extermination nazis ; en 2015, année où nous luttons pied à pied contre la recrudescence d’actes et de paroles antisémites ; faisons le choix d’un acte fort, solennel, que j’aurais souhaité unanime : celui d’approuver ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. David Habib. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Monsieur le président, pour que notre débat soit un vrai débat et pas seulement une succession de monologues, je veux d’abord m’adresser à M. Lellouche, que je remercie de sa présence… Mais je ne doute pas qu’un autre membre du groupe Les Républicains va l’informer de ma remarque. (Sourires.) Je n’aime pas parler avec des notes, mais j’aime bien en prendre : il a dit que c’était « indigne », que les négociateurs se sont « couchés » et que c’est un « abaissement national ». Mais, monsieur Lellouche, si c’est indigne, si les négociateurs se sont couchés, s’il s’agit d’un abaissement national, il ne faut pas s’abstenir !

M. Philippe Baumel. Il le lui dit en le regardant droit dans les yeux ! (Sourires.)

M. Jean Glavany. Je vous regarde droit dans les yeux, monsieur Lellouche ! (Sourires.) Je n’imagine pas une seconde que si vous pensez ce que vous avez dit, vous puissiez vous abstenir. Il y a là une incohérence qui me frappe et qui, d’une certaine manière, discrédite tout votre discours.

J’irai droit au but : moi, sans réserve, enfin, sans réserve désormais, j’approuve l’accord qui nous est présenté entre la France et les États-Unis sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah, déportées depuis la France et non couvertes par des programmes français. Je l’approuve parce qu’il répare une injustice et qu’il cherche à sécuriser les choses, par une garantie juridique durable, en évitant l’engrenage financier dans lequel notre pays pourrait être engagé. Je ferai juste un commentaire à ce sujet : oui, il répare une injustice, mais apporte-t-il une garantie juridique durable ? Je l’espère. L’avenir le dira. Les deux sont liés puisque cet accord a été notifié pour un montant de 60 millions de dollars, tandis que, comme le disait Meyer Habib à juste titre, les avocats outre-atlantique l’avaient chiffré à 200 millions de dollars, et j’ai du mal à croire que nos chers amis avocats américains se contentent d’une somme bien moindre après avoir réclamé bien plus, et qu’ils s’en tiendront quittes… Mais il faut au moins essayer de mettre en œuvre l’accord ainsi signé et, de ce point de vue, je n’ai pas de réserve.

Je veux revenir sur le débat qui nous a retenus à propos de l’utilisation des termes : « gouvernement de Vichy », désormais remplacé par les termes : « autorité de fait se disant gouvernement de l’État français ». Je ferai deux commentaires à ce propos.

Tout d’abord, je redis à M. Lellouche – que je remercie toujours de sa présence et dont je salue le sens de la modestie extrêmement développé quand il nous a remerciés de l’avoir appuyé dans sa démarche –, que nous ne l’avions pas attendu sur ce sujet. Notre démarche, qui a précédé la sienne, était, elle, sans emphase, sans spectacle, sans publicité et sans doute plus efficace.

Second commentaire : tout a commencé en 1995, plusieurs orateurs y ont fait référence, avec le discours de Jacques Chirac que certains ont qualifié d’historique, lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Tout le monde l’avait applaudi, y compris le premier secrétaire du parti socialiste de l’époque, Lionel Jospin. Pour ma part, je m’en étais abstenu, ayant élevé dans la culture gaulliste – personne n’est parfait – par un combattant de la Seconde Guerre qui m’avait toujours expliqué que Vichy n’était pas la France et qu’il n’y avait pas à s’excuser pour cette période. Mais je n’ai pas entendu à l’époque M. Lellouche protester contre ce changement de ligne historique effectué par les plus hautes autorités françaises en la matière alors que c’est pourtant à ce moment qu’a eu lieu ce changement idéologique dans l’interprétation de notre histoire, à la source de l’évolution d’aujourd’hui.

M. Philippe Baumel. Évidemment !

M. Jean Glavany. Puisque j’en suis à la sémantique, je voudrais aborder un passage de l’exposé des motifs qui mentionne que l’approche qui a mené à cet accord « a recueilli le soutien de la communauté juive ». Mes chers collègues, dans ma culture républicaine, il n’y a pas de communauté juive ; il n’y a qu’une communauté : c’est la communauté nationale. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Dans ma culture républicaine, il y a une composante juive de la communauté nationale, des concitoyens de culture ou de culte juifs.

M. David Habib. Il y a des Français juifs.

M. Jean Glavany. Il y a des Français juifs, mais pas de communauté juive. J’aurais aimé que le Gouvernement français n’emploie pas une telle formule dans l’exposé des motifs d’un texte de loi.

Je conclurai en disant à quel point je veux rendre hommage à nos formidables diplomates qui ont négocié cette remarquable Convention de Vienne sur le droit des traités, à eux qui ont rédigé l’article 79 qui nous a sortis d’affaire, et que personne ne connaissait, pas même les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, lesquels nous disaient qu’on ne pouvait plus rien changer, sauf à prendre six mois ou un an de retard. Nous avons changé le texte grâce à l’article 79 de la Convention de Vienne, et sans perdre même une seconde par rapport au calendrier fixé, et je me réjouis devant tous de cette modification qui nous permet de faire consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Meyer Habib. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France doit-elle indemniser les victimes étrangères de l’Holocauste transportées par la SNCF entre 1942 et 1944 ? Oui sans hésitation. C’est notre devoir. Si les abominations subies ne sauraient être effacées, l’indemnisation des victimes dont nous débattons tente toutefois d’en panser les plaies, ces plaies ouvertes et béantes, conséquences d’une vague meurtrière qui eut cours sur notre territoire, dans une Europe tourmentée par le fascisme il y a seulement soixante-quinze ans, vague meurtrière instiguée par les autorités allemandes d’occupation et à laquelle le régime de Vichy donna son aval, idéologique et logistique.

Cet accord s’inscrit dans la continuité de la politique de reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation vers l’Allemagne de Juifs français lors de l’occupation du pays par les nazis, reconnaissance initiée, certains l’ont rappelé, par la voix de Jacques Chirac dans son discours prononcé en juillet 1995, réitérée en 1997 par Lionel Jospin et reprise récemment par François Hollande qui a évoqué un « crime commis en France par la France ». Cet accord, disais-je, s’inscrit dans le prolongement des mécanismes de réparation progressivement mis en place par la France au profit des victimes des persécutions antisémites perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale. Il tend avant tout à réparer une injustice : celle faite à des milliers de victimes, hommes, femmes et enfants, déportées depuis la France et qui n’ont pas eu accès à notre régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité.

Par ailleurs, cet accord est présenté comme un moyen définitif de répondre à toute demande et à toute action qui pourrait être entreprise aux États-Unis contre la France, au titre de la déportation liée à la Shoah depuis notre territoire, par le biais de la SNCF.

Sur le fond, je crois que nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’indemniser les victimes. Le débat au sein de la commission des affaires étrangères s’est focalisé sur la formulation de cet accord car celui-ci laissait à penser que la République est la continuité du gouvernement de Vichy. Je tiens à saluer la pugnacité des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, qui ont œuvré pour obtenir une nouvelle formulation. Je remercie Mme la présidente de la commission, Élisabeth Guigou, pour son écoute et son soutien, ce qui a permis une coopération efficace et de qualité avec le Quai d’Orsay. Ces efforts conjoints ont permis d’aboutir à la rectification des termes contestés. Plus qu’une querelle sémantique, plus qu’une formule litigieuse, derrière les mots se cache une réalité politique, une réalité d’envergure à la hauteur des discordes soulevées par l’emploi de l’expression « le gouvernement de Vichy », celle utilisée dans le texte initial de l’accord. Il n’est en effet pas acceptable de concevoir la République française comme étant l’État successeur de l’État français de Vichy. Il convient de réaffirmer ici que Vichy est un sombre interlude, une autorité qui s’est imposée dans un contexte particulier, qu’elle ne se positionne pas dans une continuité chronologique et encore moins idéologique. La République française n’est pas l’État Français ; or cette proximité syntaxique entraîne un regrettable amalgame, et c’est ce dont nous ne voulions pas. Garder les termes initiaux, c’eût été donner de l’envergure à une minorité dont chacun connaissait l’existence, celle des collaborationnistes, c’eût été ignorer une majorité dissimulée dans l’illégalité, celle des acteurs de la Résistance.

La méthode choisie pour indemniser les victimes soulève certaines questions, évoquées à l’instant par Jean Glavany. L’indemnisation se fera par le biais d’un fonds ad hoc, géré par les Américains, et non par une extension du régime des pensions d’invalidité. Mais ce dispositif répond à la volonté de mettre en place un mécanisme d’indemnisation facilement accessible aux bénéficiaires résidant à l’étranger, en raison notamment de leur âge avancé.

Je conclurai en soulignant que cet accord est un rendez-vous avec un passé douloureux. En le votant, nous apportons une pierre supplémentaire à un édifice de justice et de réhabilitation de la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Meyer Habib. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Vauzelle.

M. Michel Vauzelle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où la France commémore avec émotion la victoire de la Résistance et la Libération, nous devons nous prononcer sur un accord entre la République et le gouvernement des États-Unis.

Répétons-le – surtout après avoir entendu des propos qui risqueraient de nous faire oublier l’essentiel : l’année 2015 marque le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination, symboles d’une barbarie sans nom. Ce souvenir, nous l’exaltons lorsque le Président de la République fait le choix de faire entrer au Panthéon deux femmes et deux hommes résistants, déportés ou exécutés par l’occupant nazi. Ils symbolisent ce que la France porte de meilleur. Mais la France, à ce même moment, vivait aussi de sombres heures, alors qu’elle était dirigée par Pétain.

Après la guerre, notre pays a reconnu sa responsabilité dans la déportation de milliers de Français, en créant une série d’indemnisations pour les victimes des préjudices liés à la déportation et à la Shoah. Des conventions de réciprocité ont en outre été conclues avec quatre pays ; elles ont permis l’indemnisation par la France des victimes civiles de la guerre de 1939-1945 qui avaient la nationalité du pays cosignataire, lorsque le fait de guerre s’était produit en France ou depuis la France, et réciproquement.

Malgré ces systèmes, trop de victimes des crimes nazis et de la collaboration du régime de Pétain sont encore confrontées à des obstacles pour obtenir une indemnisation, principalement en raison des clauses de nationalités induites par les systèmes auxquels je viens de faire allusion. Soixante-dix ans après, le temps est bien évidemment compté pour réparer ce à quoi le régime de Pétain a collaboré.

Le présent accord vise à construire un mécanisme exclusif d’indemnisation des personnes ayant survécu à la déportation ou de leurs ayants droit. Il exclut toute personne déjà couverte par un autre programme d’indemnisation au titre de la déportation liée à la Shoah.

Depuis les années 2000, de nombreux recours contentieux et législatifs ont été intentés aux États-Unis contre notre pays et ses démembrements. Si tous ont échoué, il existe toutefois un risque que d’autres plaintes soient déposées, notamment contre la SNCF. Par ailleurs, depuis 2005, un projet de loi bipartisan est régulièrement déposé par des membres du Sénat et de la Chambre des représentants en vue de retirer le bénéfice de l’immunité de juridiction des États à la SNCF ; s’il était adopté, cela permettrait à un recours de prospérer devant une juridiction américaine.

C’est pourquoi le Gouvernement de la République a proposé en 2012 à ses partenaires américains de rechercher une solution négociée aux demandes des survivants américains.

Le présent accord se veut équilibré, en indemnisant les dernières personnes exclues des dispositifs existants. L’accord garantit à la France une paix et une sécurité juridiques durables. Les États-Unis d’Amérique, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 2 de l’accord, seront contraints de faire respecter l’immunité de juridiction de la France contre toute initiative, à quelque niveau de l’État américain que ce soit.

Cet accord ne doit cependant pas nous faire perdre de vue les engagements des États-Unis, au respect desquels le gouvernement français devra veiller. D’autre part, les États-Unis ne pourront pas déléguer la gestion de ce fonds à des organismes non publics – il s’agit là d’un point très important. Seules les autorités américaines assureront, via ce fonds de 60 millions de dollars, la réception des demandes, leur examen et l’indemnisation des bénéficiaires.

Le gouvernement français devra également s’assurer de la bonne utilisation du fonds par le gouvernement américain : ce dernier est dans l’obligation de communiquer des rapports annuels spécifiques. Le Parlement ne manquera pas de veiller lui aussi au respect de cette obligation.

Je tiens, pour finir, à saluer les membres de la commission des affaires étrangères, ainsi que sa présidente, pour avoir demandé au Gouvernement de substituer à une expression inacceptable l’expression « l’autorité de fait se disant gouvernement de l’État français ». Je salue également l’action du Gouvernement, qui s’est engagé à apporter cette rectification.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que l’accord a avant tout un objet humain bien spécifique : l’indemnisation des victimes de la Shoah, individuellement. En cette année 2015, année de commémoration, la conclusion de cet accord revêt un aspect symbolique fort, qui nous rappelle, tout simplement, mais sûrement et nécessairement, les valeurs de notre République – une République solidaire, fraternelle, libre, et qui a une mémoire. C’est pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany et M. Patrick Mennucci. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

Article unique

M. le président. Trois orateurs sont inscrits sur l’article unique.

La parole est d’abord à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. J’approuve sans aucune restriction cet accord. Nous avons l’obligation, moralement et matériellement, sans fin, de réparer.

Je voudrais faire deux observations. La première, c’est que l’accord semble exclure – sauf erreur de ma part – les victimes de spoliations qui n’ont pas été déportées, bien que victimes de l’antisémitisme. D’autre part, le protocole – là encore, sauf erreur – exclut les victimes de la Shoah internées, mais non déportées, qui seraient décédées du fait des conditions déplorables d’internement – conditions sanitaires et nutritionnelles : des étrangers internés par Vichy sur la base du fameux décret-loi Daladier-Chautemps du 12 novembre 1938. Je me permets d’ailleurs de rappeler que ce décret-loi qualifié par Marrus et Paxton d’acte de naissance des camps de concentration en France a été pris sur habilitation du Parlement de Front populaire – mais c’est l’histoire.

Cet accord, j’y adhère de tout cœur. Je me permets simplement de faire ces deux observations. Peut-être sont-ce là des lacunes que l’on ferait bien, un jour ou l’autre, voire maintenant, de combler.

M. Meyer Habib. Très bien !

M. le président. Sur l’article unique du projet de loi, je suis saisi par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Je souhaiterais répondre aux interrogations juridiques soulevées sur ce projet de loi.

Certains estiment que l’indemnisation est impossible parce que la République française n’a jamais cessé d’exister et que le régime de Vichy ne serait qu’un régime de pur fait dont la République n’aurait pas à assumer les actes. Cependant, comme l’a rappelé Philippe Baumel, l’ordonnance du 9 août 1944 considère, en son article 7, que certains actes pris par Vichy recevront une application provisoire afin de ne pas remettre en cause un trop grand nombre de situations juridiques nées sous l’empire des textes de l’époque.

En outre, le Conseil d’État, dans un arrêt du 12 avril 2002 dit « arrêt Papon », a jugé que l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ne saurait avoir pour effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique à raison des actes commis par l’État français. Par conséquent, l’Assemblée du contentieux a reconnu que les actes commis dans le cadre des persécutions antisémites pendant l’Occupation constituaient une faute de service de nature à engager la responsabilité de l’État.

Le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah se situe dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’État. L’État républicain n’est absolument pas la continuité du régime de Vichy. Il est donc important d’indemniser une fois pour toutes ces personnes auxquelles on niait le respect de la dignité de la personne humaine.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Cet accord, je le juge parfaitement équilibré, et je voudrais avant toute chose en saluer l’existence.

J’ai suivi avec une grande attention, avec la communauté juive française des États-Unis, le déroulement des négociations. On pourrait discuter à l’infini de la responsabilité des uns et des autres, mais je voudrais rappeler ce que le Président Chirac a dit le 16 juillet 1995 : « La folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. » C’est notre honneur – et je souhaite que nous soyons le plus nombreux possible, sur tous les bancs de cette assemblée, à voter ce projet de loi…

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Très bien !

M. Frédéric Lefebvre. C’est notre honneur, disais-je, d’envoyer aujourd’hui, dans cet hémicycle, un signal : celui que nous voulons réparer, notamment envers tous ceux qui sont passés au travers des plans de réparation existants. Combattre cet accord sur son principe, ce serait combattre l’ensemble des accords qui existent déjà et des dispositifs d’indemnisation qui ont été créés par le passé.

Mme Valérie Fourneyron. Absolument !

M. Frédéric Lefebvre. Je veux saluer le fait que, tout au long de ces années, la France aura parlé d’une seule voix. Dans la continuité de cette action, le Gouvernement fait un acte que je soutiens avec force ; je voterai ce texte avec détermination et fierté : les citoyens du monde entier qui ont eu à subir les crimes – le mot est faible – que chacun connaît méritent réparation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste et sur certains bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme Seybah Dagoma. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Je veux remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions. S’agissant de victimes de la déportation, ce débat méritait la plus grande dignité. C’est pourquoi il n’aurait pas dû y avoir de place pour l’excès, et certains mots – comme « capitulation », « indignité » ou « abaissement » – n’auraient pas dû être prononcés. Toutefois, de nombreux orateurs ont placé les échanges au niveau où ils devaient se trouver, avec une double exigence – que j’avais soulignée dès mon propos introductif : répondre à l’impératif de justice et d’équité envers les victimes de la déportation qui n’avaient pas été touchées par les régimes d’indemnisation précédents ; répondre à un impératif juridique, celui de mettre fin au contentieux et d’assurer une sécurité contre tout recours ou toute démarche législative qui pourrait nuire à la France ou à des entreprises françaises.

Aucun parallélisme ne peut être établi avec l’Allemagne, et s’il pouvait y avoir le moindre doute, la correction que le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, a fait apporter aux termes de l’accord pouvant être sujets à caution, s’agissant de la mention du « gouvernement de Vichy »,…

M. Pierre Lellouche. C’est grâce à moi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Fourneyron. Pas du tout !

M. Jean Glavany. Nous ne vous avons pas attendu !

M. le président. Merci d’écouter le secrétaire d’État, chers collègues.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. …a montré, à la suite d’une démarche tout à fait exceptionnelle, mais conforme à la Convention de Vienne, notre volonté qu’aucune sorte de parallélisme ne puisse être fait, puisque la France est un des pays vainqueurs de la guerre.

M. Pierre Lellouche. Quelle hypocrisie !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Je veux enfin répondre aux interventions qui viennent d’être faites.

J’espère que celle de M. Lefebvre aura été utilement entendue par Pierre Lellouche, car elle a répondu à bien des interrogations que ce dernier avait soulevées, et auxquelles j’avais pourtant déjà répondu dans mon propos introductif – mais M. Lellouche n’était pas encore présent.

L’intervention de M. Premat a permis de remettre les choses en place s’agissant des aspects juridiques.

Monsieur Collard, il s’agit d’indemniser les seules victimes de la déportation, car, concernant les victimes de spoliations, celles-ci sont déjà couvertes, depuis 1999, par un régime universel, qui concerne aussi les non-Français.

Je vous remercie donc, mesdames et messieurs, et j’appelle l’Assemblée nationale à approuver ce projet de loi, qui mettra fin à tout risque de contentieux. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Seybah Dagoma, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Seybah Dagoma. Au terme de ce débat, il me revient de rappeler les deux raisons du vote positif du groupe socialiste, républicain et citoyen. La première est d’évidence. Cet accord était nécessaire et personne n’a contesté son bien-fondé. Certes, il vient sans doute bien tard. Les victimes de la déportation avaient en effet légitimement droit à une reconnaissance morale comme à une réparation matérielle. Cela avait été fait pour les victimes de nationalité française.

Les ressortissants d’autres pays déportés depuis le territoire français avaient également bénéficié d’un droit à réparation. Il convenait de trouver une solution pour les survivants encore non couverts, en particulier, pour ceux qui aujourd’hui habitent aux États-Unis.

Moralement, politiquement, comme économiquement, cette situation n’était pas satisfaisante. Il fallait trouver les voies d’un compromis. L’accord négocié entre Paris et Washington répond manifestement à ces enjeux. Je ne reviendrai pas sur le contenu de ses articles, ils ont longuement été évoqués.

Cet accord avait donc toutes les raisons du monde d’être adopté dans les plus brefs délais ; le grand âge des victimes encore concernées, la symbolique des années 2014 et 2015 marquées par la commémoration des débarquements de Normandie et de Provence, ainsi que par celle de la libération des camps d’extermination de l’Allemagne nazie.

L’accord négocié en 2014, déposé le 8 avril 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale, a pourtant fait l’objet de deux examens par la commission des affaires étrangères, cela a été rappelé.

La représentation nationale, au nom des valeurs réaffirmées par l’accord, a en effet considéré qu’il devait être rectifié sur un point. Il ne concerne que trois mots, mais porteurs de confusion inacceptable.

M. Pierre Lellouche. Inacceptables, en effet.

Mme Seybah Dagoma. Il n’était pas admissible d’accepter une terminologie laissant supposer qu’il pouvait y avoir une continuité institutionnelle entre le gouvernement de Pétain et la République française. Nous avons donc demandé de façon pressante au ministère des affaires étrangères un rectificatif.

M. Pierre Lellouche. Qui l’a demandé ?

M. Jean Glavany. Nous. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas fait de conférence de presse qu’on ne l’a pas fait !

Mme Seybah Dagoma. Ce rectificatif, s’appuyant sur l’article 79 de la Convention de Vienne, permet de substituer la dénomination « gouvernement de Vichy » par l’expression « autorité de fait se disant gouvernement de l’État français ». La proposition, comme en fait foi les lettres dont copie nous a été communiquée, a été acceptée par le gouvernement des États-Unis. Nous n’avions dès lors plus de réticences à voter un texte de réparation aussi nécessaire que légitimement attendu.

Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je souhaitais, de façon solennelle, rappeler les raisons qui nous ont conduits à émettre un vote positif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe Les Républicains.

M. Pierre Lellouche. Voilà un bel exercice de tartufferie auquel nous avons assisté cet après-midi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Fourneyron. C’est indigne !

M. le président. Écoutons M. Lellouche, mes chers collègues.

M. Pierre Lellouche. Sur l’indemnisation des malheureux, victimes de l’État criminel de Vichy, il n’y a, je le répète, aucun désaccord.

M. Jean Glavany. Alors, votez le texte.

M. Pierre Lellouche. Après le discours du Vel’ d’Hiv, il me semble, monsieur Glavany, qu’il y a eu des élections législatives et qu’un Premier ministre socialiste était en place. Vous aviez largement le temps d’ouvrir le décret de 2000, qui apportait des compensations aux victimes de la déportation, à ceux qui, à l’étranger, pouvaient formuler des réclamations. C’était le cas d’un certain nombre de citoyens américains.

Je dis, et je le répète, que sur le principe de l’indemnisation, il n’y a pas de désaccord entre nous. Et j’aurais aimé voter le texte.

Mme Valérie Fourneyron. C’est le seul message qu’il faut envoyer aux victimes.

M. Pierre Lellouche. Premièrement, nous savons tous que cet accord a été mal rédigé, c’est là la principale erreur.

M. Yves Censi. Absolument.

M. Pierre Lellouche. Ensuite, la demande de modification de cette rédaction est venue de l’opposition. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Lellouche a la parole.

M. Pierre Lellouche. Que vous vous en attribuiez le mérite me choque ! Je tiens à votre disposition les échanges de lettres entre M. Fabius et moi-même.

M. Jean Glavany. Et alors ? On n’a pas besoin d’écrire à Fabius !

M. le président. Monsieur Glavany !

M. Pierre Lellouche. Ainsi que les échanges que nous avons eus avec Mme Guigou et le président de notre groupe. Si le groupe Les Républicains n’avait pas demandé une modification du texte, il n’y en aurait pas eu. Je trouve inconvenant que la majorité s’en arroge la paternité.

M. Jean Glavany. On la partage. Nous sommes des partageux.

M. Pierre Lellouche. C’est cela, le bal des Tartuffe.

En outre, cet accord sert théoriquement à dédommager les victimes de cette monstruosité qu’était la Shoah. En fait, et vous le savez mieux que personne, il résulte de multiples coups de téléphone de M. Pepy, au nom de la SNCF, pour qu’on arrête les frais aux États-Unis, qu’on stoppe les procédures américaines, les menaces alors même que la SNCF est protégée par l’immunité aux États-Unis et que toutes les juridictions américaines nous ont donné raison.

C’est vous qui vous êtes couchés devant l’imperium juridique américain. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yves Censi. Très bien.

M. Pierre Lellouche. Et c’est cela que nous dénonçons. Aujourd’hui, ne vous étonnez pas si les Américains espionnent impunément toute l’Europe. C’est exactement le même processus. Mesdames, messieurs de la majorité, je vous demande un peu de dignité. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany. Pas de leçons !

M. Pierre Lellouche. Vous avez souscrit à l’abaissement national en acceptant un accord dicté par les pressions du système judiciaire américain et les menaces de législateurs américains. C’est insupportable.

Oui au dédommagement des victimes de la Shoah !

M. Jean Glavany. Alors, votez pour le texte.

M. Pierre Lellouche. Il suffisait de modifier un décret de la République française. Vous avez choisi de signer un accord indigne avec les États-Unis dans lequel vous échangez 60 millions de dollars contre une « paix juridique durable ».

M. Yves Censi. C’est insuffisant.

M. Pierre Lellouche. Cet accord est exactement le même, au mot près, que celui signé par la République fédérale d’Allemagne, héritière de l’Allemagne nazie, avec le même gouvernement américain.

M. Jean Glavany. Quel ego ! Appelez le médecin de l’Assemblée.

M. Pierre Lellouche. Je n’accepterai jamais, ô grand jamais, que la France, la France du général De Gaulle, la France de la Résistance soit traitée au même niveau que les États successeurs de l’Allemagne nazie.

M. Jean Glavany. Deux minutes, monsieur le président.

M. Pierre Lellouche. Vous avez aujourd’hui commis un acte d’abaissement de la France, je le maintiens. C’est pour cela que le groupe UMP va s’abstenir. (« Quel groupe ? » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Et je déplore que nous ayons à nous abstenir.

M. Jean-Pierre Dufau. Tartuffe !

Mme Valérie Fourneyron. On ne sait pas de quel côté est le scandale.

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Meyer Habib. Je déplore les paroles excessives de mon collègue et ami Pierre Lellouche. Le texte a en effet été modifié grâce à sa contribution et certaines remarques approuvées de tous.

M. Jean Glavany. On l’avait fait avant.

M. Meyer Habib. Je regrette le climat qui règne autour d’un sujet aussi consensuel dans un moment aussi important aujourd’hui. Nous avons un vrai respect pour les États-Unis, censé être un État allié et ami, mais nous ne pouvons qu’être scandalisés par cette affaire d’espionnage concernant trois Présidents de la République française. Cela étant, un sujet aussi consensuel, aussi douloureux aurait mérité mieux.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien.

M. Meyer Habib. À cet égard, je salue Gilbert Collard qui a mis l’accent sur l’unité nationale dans ce domaine. Il ne doit pas y avoir de polémique.

En tant que français, en tant que juif, je vote sans la moindre hésitation ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pierre Lellouche. Depuis quand fait-on état de sa religion dans l’hémicycle ? On n’a pas à afficher sa religion !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Duflot, pour le groupe écologiste.

Mme Cécile Duflot. Le débat qui a eu lieu en commission des affaires étrangères et que vous venez de soulever, monsieur Lellouche, est en rupture totale avec une démarche engagée par le Président de la République, Jacques Chirac, en juillet 1995. Il a été poursuivi par Lionel Jospin, et a abouti à l’adoption de la proposition de loi du député Le Garrec visant à faire en sorte que l’histoire de notre pays – et ce qui n’était pas complètement une parenthèse – soit regardée avec beaucoup plus de lucidité, avec le recul que donne la distance.

Peut-être fallait-il en 1945, 1946, 1947 réfléchir différemment, mais nous sommes en 2015, monsieur Lellouche. Prendre en otage ce travail et ce document pour rouvrir le débat sur la responsabilité de la France, de l’État français, la continuité de la République pendant la Seconde Guerre mondiale n’est pas une bonne chose.

M. Pierre Lellouche. Nous n’avons pas le même avis.

Mme Cécile Duflot. Ce travail a abouti à l’adoption en 2000 de la proposition de loi de M. Le Garrec sur ce sujet. Ce fut une bonne chose. Rouvrir le débat à l’occasion de la ratification de cet accord est une formidable hypocrisie.

M. Pierre Lellouche. Je vous renvoie le compliment !

Mme Cécile Duflot. Voilà pourquoi les écologistes voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vote sur l’article unique

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants45
Nombre de suffrages exprimés39
Majorité absolue20
Pour l’adoption39
contre0

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)

4

Renseignement (CMP)

-

Nomination du président de la CNCTR (Proposition de loi organique)

Commission mixte paritaire et discussion d’un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif au renseignement (n2868) et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (nos 2855, 2874.)

La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Présentation commune

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission mixte paritaire, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, madame la secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification, mes chers collègues, c’est la dernière étape de la discussion d’un texte dont heureusement le contenu n’a pas grand-chose à voir avec ce que l’on peut en lire ici ou là.

C’est donc l’ultime occasion de dire, dans cette enceinte, combien la création, pour la première fois dans notre pays, d’un cadre juridique démocratique pour les activités de renseignement constitue un progrès de l’État de droit.

Et si l’on accepte de l’étudier avec un minimum de sérieux, il est difficile de ne pas reconnaître que ce qui est proposé tranche radicalement avec l’existant. Ainsi les critiques n’ont pas ménagé notre définition des missions des services, mais elles se sont peu appesanties sur le fait qu’aujourd’hui ces précisions n’existent pas ! Et ce ne sont pas les détails disparates piochés dans quelques textes réglementaires ou dans des déclarations officielles qui les compensent.

Demain, les services devront justifier en toutes circonstances qu’ils agissent dans les limites et pour des finalités expressément définies par la loi. Et pas seulement à l’occasion de la mise en œuvre de telle ou telle technique de recueil d’information.

Et quoi que l’on puisse penser sur tel ou tel détail du texte adopté par la commission mixte paritaire, personne ne peut contester que cette invocation des missions contribue à les rendre comptables de leurs activités auprès des citoyens.

Je ne doute d’ailleurs pas que les justiciables et leurs avocats sauront en profiter pour demander des comptes et inciter les services à rester dans les limites de leurs missions légales, ce qui sera aussi une garantie appréciée par leurs personnels, lesquels, comme citoyens autant que comme agents publics, ont à cœur de travailler dans le respect de la loi et pour l’intérêt général.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission mixte paritaire. Ensuite, j’ai lu et entendu beaucoup d’observations sur de prétendues atteintes aux libertés publiques. Je veux donc rappeler que les prérogatives des services ne sont que des dérogations, limitativement justifiées par l’intérêt public et précisées par la loi, aux libertés fondamentales, et particulièrement à celle de la vie privée.

Il s’agit, là encore, d’un changement complet de perspective avec l’existant. Là où les services estimaient usuellement que leur légitimité l’emportait, par principe et en toutes circonstances, sur toute autre considération politique ou juridique, conformément à une doctrine implicite de la raison d’État, ils devront désormais agir dans le respect du principe inverse, leurs prérogatives particulières n’étant admises qu’à la condition qu’elles soient justifiées et strictement proportionnées à l’objectif public recherché.

Avec l’adoption de ce texte, le contrôle juridique trouvera aussi une base solide pour promouvoir une pratique démocratique de la sécurité nationale. Ce texte impose en effet un renforcement très important du contrôle hiérarchique et politique sur la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement les plus sensibles.

Ainsi, l’autorisation du Premier ministre, qui ne concernait jusqu’alors que les seules interceptions de communication, sera désormais requise pour la mise en œuvre de toutes les autres techniques, et, alors que ces décisions étaient jusqu’à présent prises au sein des services, ce sera désormais la responsabilité directe du chef du Gouvernement qui sera en jeu, avec tout ce que cela implique tant en termes symboliques et politiques que du point de vue du renforcement du contrôle gouvernemental sur des entités qui étaient, par nature, très cloisonnées. Cela aussi marquera une évolution considérable.

Enfin, ce contrôle gouvernemental sera complété non seulement par un contrôle parlementaire renforcé, mais aussi par un double contrôle externe : celui d’une nouvelle autorité administrative indépendante et, pour la première fois en France, un contrôle juridictionnel exercé en dernier recours par la plus haute juridiction administrative française, dont la jurisprudence est, depuis plus d’un siècle, particulièrement protectrice des droits et libertés des citoyens et des libertés publiques.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Là aussi, il convient de relativiser bon nombre des critiques émises souvent trop vite, voire contradictoires. Ainsi, s’agissant de cette autorité administrative qu’est la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – CNCTR, comment peut-on à la fois considérer que le travail de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – est utile au point de vouloir lui donner de nouvelles prérogatives sur les fichiers des services et nous reprocher de créer une autorité administrative indépendante à qui confier le contrôle des techniques de renseignement ?

J’observe aussi que les contempteurs du texte oublient avec constance le rôle que nous allons donner au Conseil d’État. Pourtant, qu’une juridiction de droit commun appliquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne puisse plus se voir opposer le secret de la défense, comme c’était le cas jusqu’alors, et dispose de la capacité de sanctionner irrévocablement toute violation du cadre d’emploi des techniques de renseignement concernées, est indubitablement un progrès.

C’est parce que nous partagions ces conceptions que les membres de la commission mixte paritaire ont pu aboutir sans grande difficulté à un texte déjà adopté hier par le Sénat.

M. Jacques Myard. C’est vrai.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. C’est un bon texte, dans lequel les deux chambres ont veillé à deux exigences. La première est le souci de la constitutionnalité. En ce domaine, ma seule certitude est que rien n’est jamais certain. Aussi ai-je été impressionné par ceux qui affirmaient doctement que telle ou telle disposition était, ou n’était pas, constitutionnelle. Nos choix furent donc souvent le produit de leur sentence.

L’autre exigence est la volonté de tenir compte de la dimension opérationnelle. C’est notamment cet aspect qui m’a poussé à suggérer d’écarter les références au renseignement pénitentiaire, alors même que l’Assemblée avait manifesté son souhait de voir le Gouvernement agir de manière plus déterminée dans ce domaine.

M. Jacques Myard. Dommage !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je me suis donc inspiré de Gandhi, qui affirmait que son exigence pour la vérité lui avait enseigné la beauté du compromis… Ce compromis a été construit. L’Assemblée nationale aura sans doute l’occasion de reparler de ce sujet.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la réunion de la commission mixte paritaire qui s’est tenue mardi 16 juin s’est conclue par un accord qui nous permet de nous réunir aujourd’hui même pour soumettre à votre examen, et, je l’espère, à votre approbation, le texte issu des travaux des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le rapporteur a remarquablement présenté les conclusions de cette commission mixte paritaire. Je veux souligner le travail méticuleux qui y a été réalisé sur de nombreux sujets pour conserver les versions des textes de l’Assemblée nationale et du Sénat les plus protectrices des libertés individuelles.

Je sais que vous avez à l’esprit une mesure qui a fait couler beaucoup d’encre et que certains veulent utiliser pour jeter l’opprobre sur tout un travail parlementaire qui a été réalisé avec une précision d’orfèvre sous l’impulsion de Jean-Jacques Urvoas, qui travaille depuis de nombreuses années sur la question du renseignement et à qui je souhaite, à ce stade de notre débat, rendre un hommage très appuyé. Je tiens en effet à confirmer que ce texte met en place toute une architecture de contrôle qui lui doit beaucoup et qui repose sur une idée simple et incontestable : plus une technique de renseignement est intrusive, plus elle suppose des garanties procédurales renforcées.

Le texte issu de la commission mixte paritaire reprend très précisément cette doctrine. Plusieurs amendements viennent du reste en témoigner. Je pourrais citer par exemple le délai de conservation des interceptions de sécurité, courant à partir du recueil et non de la première exploitation, la saisine automatique du Conseil d’État pour autoriser une intrusion domiciliaire après un avis négatif de la CNCTR ou encore les restrictions à l’usage des IMSI-catchers. La procédure d’urgence absolue a en outre été restreinte aux seules finalités de la lutte contre le terrorisme, de la lutte contre la criminalité organisée et de la prévention des atteintes à la forme républicaine du gouvernement.

Il n’est pas d’usage que les lectures de conclusions de la commission mixte paritaire donnent lieu à un long développement de la part du Gouvernement. Les deux chambres se sont réunies et elles ont abouti à un accord solide, fondé sur le plus grand dénominateur commun, à savoir la protection de nos libertés.

Cependant, je ne peux pas passer sous silence le contexte des révélations de ces dernières heures, tout d’abord pour rappeler très précisément la position du Gouvernement, qui s’est réuni en conseil de défense ce matin même, mais aussi pour éviter que ne se développent, à l’occasion de ces révélations, certaines confusions autour du texte que vous vous apprêtez à adopter.

Un conseil de défense s’est donc réuni ce matin même autour du Président de la République à la suite de ces révélations. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents des commissions concernées et de la délégation parlementaire au renseignement ainsi que l’ensemble des présidents des groupes politiques des deux assemblées ont été reçus pour une réunion à l’Élysée. Je veux témoigner devant la représentation nationale de la solennité et de l’extrême fermeté des propos du Président de la République.

Le conseil de défense a permis d’examiner la nature des informations diffusées hier soir par la presse, portant sur la période 2006-2012 et qui concernent le comportement de la NSA. Il s’agit, je le redis, de faits inacceptables, qui ont déjà donné lieu à des mises au point entre les États-Unis et la France, notamment à la fin de l’année 2013, au moment des premières révélations, et lors de la visite d’État du Président de la République aux États-Unis en février 2014. Des engagements avaient été pris par les autorités américaines. Ils doivent être rappelés et strictement respectés.

Mais il est souhaitable d’aller plus loin. Il est souhaitable qu’entre alliés, un code de bonne conduite en matière de renseignement et de respect de la souveraineté politique soit établi.

Mesdames et messieurs les députés, la France, qui a encore renforcé son dispositif de contrôle et de protection, ne tolérera aucun agissement mettant en cause sa sécurité et la protection de ses intérêts. Aucun. Le chef de l’État et le Premier ministre ont exprimé avec une grande fermeté la position de la France à cet égard.

Au-delà de la nature même des faits révélés, la date choisie pour rendre ces informations publiques peut laisser craindre des amalgames entre les pratiques de certains services étrangers et le contenu du projet de loi sur le renseignement. On peut d’ailleurs, certains commentateurs le relèvent, se demander si un tel amalgame ne serait pas recherché au moment où nous examinons ce texte.

Or, ce contexte implique précisément que nous fassions preuve dans nos débats de la plus grande clarté et de la plus grande rigueur intellectuelle. Le texte qui vous est soumis n’a ni pour objet, ni pour effet, d’autoriser les services français à pratiquer un quelconque espionnage systématique des responsables des pays alliés. L’affirmer serait un mensonge.

Le Président de la République a dit avec la plus grande netteté ce matin, à l’occasion des entretiens qu’il a eus avec les représentants du Parlement, et le Premier ministre a redit voici quelques heures devant vous que de telles pratiques ne sont pas celles de la France. Comme l’a dit M. Urvoas, le texte qui vous est soumis renforce, y compris en matière de surveillance internationale, les contrôles – de la CNCTR, du Conseil d’État, de la délégation parlementaire au renseignement – permettant de s’assurer que ces pratiques ne pourront pas davantage se développer demain.

Plus spécieux encore serait l’amalgame consistant à voir dans les pratiques de la NSA la marque d’une surveillance généralisée que le projet de loi français, selon ses adversaires les plus malhonnêtes, autoriserait. Il me faut donc une nouvelle fois le réaffirmer solennellement devant vous, avant le vote : le projet de loi sur le renseignement n’autorise pas la surveillance généralisée mais, bien au contraire, l’interdit. Contrairement aux choix effectués dans d’autres pays, ce texte met en place un cadre juridique très précis et détaillé.

La mise en œuvre d’une technique de renseignement ne pourra être autorisée que si elle est justifiée par l’une des finalités, limitativement énumérées, qui sont inscrites dans le texte et si son usage est proportionné à l’objectif poursuivi. Les instances de contrôle disposeront de moyens renforcés pour veiller au respect de ces règles et les techniques les plus susceptibles d’affecter la vie privée sont entourées de garanties spécifiques.

Le débat parlementaire a d’ailleurs permis de les accroître à plusieurs égards. Je pense notamment à la protection spécifique de certaines professions particulièrement sensibles. Ainsi, la protection du secret des sources des journalistes, le secret de l’instruction et de l’enquête, nécessaire à la présomption d’innocence, et le secret attaché aux échanges intervenant entre un client et son avocat, nécessaire au respect des droits de la défense, feront l’objet de garanties incontestables qui ont encore été renforcées par la commission mixte paritaire.

Pour les professions d’avocat, de magistrat et de journaliste, l’avis préalable spécialement motivé de la CNCTR réunie en formation collégiale sera systématiquement exigé. Les techniques du renseignement ne pourront pas, pour ce qui concerne ces professions, être employées selon les procédures d’urgence prévues par ailleurs dans le projet de loi. La CNCTR bénéficiera d’une information systématique sur les modalités d’exécution des autorisations dûment motivées.

Pour terminer, afin de préserver expressément le secret attaché à l’exercice de ces professions, les transcriptions de données collectées seront systématiquement transmises à la CNCTR. Comme le prévoit le texte issu de la commission mixte paritaire, magistrats, avocats, parlementaires et journalistes ne pourront tout bonnement pas être écoutés dans le cadre de leurs fonctions. Ces garanties provenant toutes d’amendements de l’Assemblée nationale, en faire état dans cet hémicycle me semble être la moindre des courtoisies. C’est aussi un hommage que nous devons rendre collectivement à la vérité.

Les techniques de renseignement auxquelles nos services pourront recourir en vertu du projet de loi n’ont rien à voir avec les pratiques de la NSA. L’ensemble de ces techniques repose en effet sur le principe du ciblage préalable. Dans le cas des algorithmes, le ciblage s’effectue sur la base d’informations préalablement récoltées qui permettent d’identifier des modes de communication utilisés entre les individus d’une même filière que nous cherchons à identifier. Le recours à ces algorithmes a été strictement encadré par les travaux de votre assemblée, qui ont été fidèlement retranscrits dans le texte issu de la CMP.

Je veux citer très précisément les garanties qui ont été apportées : la commission de contrôle disposera d’une capacité de contrôle préalable des critères de conception du traitement et disposera du code source correspondant pour pouvoir le faire expertiser, au besoin, par des ingénieurs.

Seules les données de connexion seront concernées. En revanche, le contenu des correspondances ne le sera pas, ce qui exclut formellement les technologies de surveillance générale des correspondances par mot-clef utilisées dans d’autres pays. L’autorisation d’usage d’un algorithme devra être renouvelée à chaque modification, et au minimum tous les quatre mois, si bien que l’exécutif devra périodiquement reformuler une demande d’autorisation répondant aux exigences de proportionnalité et de pertinence de la technique employée et la soumettre à la CNCTR, sans préjudice des pouvoirs de contrôle permanents dont disposera la Commission.

Un amendement conservé par la CMP a prévu également que l’autorisation du Premier ministre devrait préciser le champ technique de la mise en œuvre de la technique de renseignement, qui sera limité aux éléments strictement nécessaires à la détection d’une menace terroriste. Les opérateurs auront la possibilité de s’assurer par eux-mêmes que les données de contenu seront exclues de la mise en œuvre de ces traitements. La procédure d’urgence ne sera pas applicable à cette technique de renseignement.

Je note que l’adoption de cet amendement a été saluée par le principal hébergeur de sites internet en France qui, après avoir formulé d’importantes réserves sur le texte, a constaté que « des engagements concrets quant à la préservation des données personnelles et au caractère ciblé, limité dans le temps et non systématique de ce dispositif de surveillance [avaient] été apportés ».

J’entends encore ici et là de virulentes contestations de ce texte. Il est normal qu’il y ait des désaccords, mais les professionnels eux-mêmes ayant noté des avancées, il serait juste que les opposants au texte prennent la mesure des garanties apportées par le Parlement avec l’appui du Gouvernement ; l’exigence d’honnêteté intellectuelle qui doit prévaloir sur ces sujets sérieux devrait les y conduire.

Mesdames, messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis vise à donner à nos services de renseignement les moyens de faire face aux menaces auxquelles notre pays est confronté, ce qui suppose qu’ils soient soumis aux contrôles nécessaires à la garantie de nos libertés publiques. Tel est l’objectif poursuivi par le Gouvernement depuis le début de l’élaboration de ce texte.

L’actualité, en soulignant la puissance des moyens de surveillance dont disposent certains de nos partenaires, nous rappelle aujourd’hui combien il est indispensable de disposer, en la matière, de capacités autonomes, de capacités efficaces, de capacités contrôlées. Je note d’ailleurs que le futur article L.811-3 du code de la sécurité intérieure classe l’indépendance nationale et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère parmi les finalités susceptibles de justifier l’usage de techniques de renseignement.

Avec ce texte, la France sera encore mieux protégée demain contre les pratiques que nous dénonçons aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les députés, j’en viens à présent aux amendements qui vous seront soumis. Le Sénat en a adopté un certain nombre à l’occasion de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, et ils vous sont à présent soumis à cette même étape de la discussion. Si vous ne les adoptiez pas, cela aurait pour effet de faire échouer la CMP.

J’aimerais vous présenter les amendements qui ont été déposés par le Gouvernement. Comme vous le savez, la CMP a adopté deux dispositions visant à ce que les techniques utilisées sur le territoire national à l’égard de ressortissants étrangers non-résidents n’aient pas à faire l’objet du contrôle de la CNCTR. Le Gouvernement y est défavorable, pour des raisons de nature constitutionnelle. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est en effet très restrictive quant aux possibilités d’instituer des différences de traitement au détriment des étrangers, même non-résidents, dans l’application de la loi française sur le territoire national. En particulier, il est difficile d’admettre de telles différences lorsque le droit à la protection de la vie privée est en jeu. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose de revenir sur ces dispositions en adoptant un amendement de suppression, lequel a été adopté au Sénat.

Par ailleurs, deux amendements de précision vous sont soumis pour clarifier la rédaction issue de la commission mixte paritaire. Naturellement, le Gouvernement a apporté son aval aux amendements déposés par le rapporteur, qui ont également été adoptés au Sénat et qui permettent de fluidifier la rédaction issue de la commission mixte paritaire.

Telles étaient les précisions que le Gouvernement souhaitait formuler. Je tiens une fois de plus à remercier le rapporteur Jean-Jacques Urvoas et l’ensemble des députés pour la qualité du travail accompli. Par-delà les clivages partisans, les députés ont eu une position constructive. Le fait même que la commission mixte paritaire aboutisse démontre bien le caractère consensuel et l’esprit de responsabilité qui ont présidé à ces travaux et que je veux saluer. Je voulais toutes et tous, au nom du Gouvernement, vous en remercier sincèrement.

Mesdames, messieurs les députés, avec ce projet de loi, nous dotons les services du renseignement d’un cadre permettant la protection des libertés publiques. Et le Président de la République saisira le Conseil constitutionnel, pour la première fois depuis 1958, ce qui démontre aussi, s’il en était besoin, combien nous sommes résolument déterminés à ce qu’aucun doute ne subsiste sur la conformité de ce texte à nos principes fondamentaux, les principes fondamentaux du droit inscrits dans la Constitution et qui, depuis des décennies, voire plus longtemps encore pour ceux d’entre eux qui sont issus des autres textes inclus dans le bloc de constitutionnalité, garantissent nos libertés publiques. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, nous arrivons à la fin de l’examen de ce texte de loi. Après les interventions du rapporteur de la commission mixte paritaire et du ministre de l’intérieur, il reste peu d’éléments à ajouter. Je concentrerai donc mon propos d’une part sur l’esprit même de ce texte et d’autre part sur les dispositions relatives au contrôle juridictionnel et à la responsabilité du ministère de la justice, s’agissant notamment du renseignement pénitentiaire, qui fut un sujet de débat.

Ce texte de loi répond à la nécessité à la fois de mettre en œuvre des techniques de recueil du renseignement et de protéger nos libertés, qui sont garanties non seulement par la loi fondamentale, ainsi que M. le ministre de l’intérieur vient de le rappeler, mais aussi par notre code civil et par nos engagements internationaux, en particulier conventionnels.

Ces garanties, qui portent sur la protection de notre vie privée et familiale et de l’inviolabilité de notre domicile et de notre correspondance, doivent être préservées. Nous savons parfaitement que les techniques de recueil du renseignement sont potentiellement attentatoires à ces libertés. Le Gouvernement a donc eu le souci de donner aux services de renseignement les capacités opérationnelles nécessaires pour recueillir les informations leur permettant d’assurer la sécurité des Français tout en fixant des conditions en matière de contrôle administratif et juridictionnel telles que les citoyens n’ayant aucune raison d’être soumis à une telle surveillance voient l’effectivité de leurs droits garantie.

Évidemment, ce texte a fait débat, ce qui me paraît tout à fait sain, car il concerne des sujets essentiels. Il a tout d’abord été examiné dans des circonstances particulières, même si, cela a été dit à plusieurs reprises, ce n’était pas un texte de circonstance, puisque son élaboration avait commencé deux années auparavant. Nous ne pouvons cependant faire fi des circonstances particulières du début de l’année en cours. Il touche ensuite à nos libertés fondamentales. Il est donc sain que les citoyens se préoccupent des conditions dans lesquelles leur sécurité est assurée par la puissance publique et leurs libertés protégées.

Nous savons bien que le recueil du renseignement relève d’un domaine dérogatoire au droit commun et que les conditions de contrôle administratif et juridictionnel doivent, en restant dans le droit commun, apporter toutes les garanties nécessaires.

Le débat a donc eu lieu, la société civile s’est impliquée, les associations de défense des droits de l’homme et les organisations professionnelles se sont exprimées. Certes, comme le texte évoluait, il y avait parfois un décalage dans les débats, mais c’est dans la nature des choses : le texte du Gouvernement a d’abord été transmis au Conseil d’État, puis à la commission des lois de l’Assemblée nationale, avant d’être examiné en séance publique. Cela étant dit, il est bon, dans notre démocratie, que les uns et les autres puissent s’exprimer sur un texte de cette teneur. Le Conseil d’État a examiné le texte, la Commission nationale de l’informatique et des libertés s’est exprimée et nous avons eu des débats riches tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Le Gouvernement a souhaité que le contrôle soit effectif, et c’est le cas, dans la mesure où tout citoyen pourra, le rapporteur l’a rappelé, saisir le Conseil d’État, notre plus haute juridiction administrative, qui, au demeurant, a démontré par sa jurisprudence qu’elle était garante des libertés individuelles. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement peut également le saisir, dès qu’un tiers de ses membres, soit trois personnes, le jugent nécessaire.

Nous avons veillé en outre à renforcer les contrôles sur les techniques les plus intrusives : en cas d’avis négatif de la commission de contrôle, le Conseil d’État sera automatiquement saisi et les investigations seront suspendues dans l’attente de sa décision.

Nous n’avons pas voulu négliger les nécessités d’urgence. Nous permettons donc que la procédure de référé puisse être enclenchée auprès du Conseil d’État. Pour la première fois, des magistrats du Conseil d’État seront habilités secret défense, ce qui leur donnera un accès direct aux documents classifiés et leur permettra de former leur jugement sur la base d’éléments non pas transmis mais qu’ils auront constatés directement eux-mêmes.

Le contrôle parlementaire sera également effectif au travers de la délégation parlementaire au renseignement et du rapport annuel qui sera présenté devant chacune des chambres du Parlement.

Certains professionnels sont protégés du fait des secrets que leur activité les conduit à détenir ; les journalistes du fait du secret des sources, les avocats pour les besoins des droits de la défense, les magistrats du fait des dispositions législatives sur le secret de l’enquête, de l’instruction et du délibéré, et les parlementaires. Toutes ces professions et fonctions qui relèvent de la vie et de la vitalité de la démocratie sont protégées dans ce texte. Comme vient de le rappeler le ministre de l’intérieur, et c’est la raison pour laquelle je ne m’y attarderai pas, aucune technique de recueil du renseignement ne sera mise en œuvre sans que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ne se soit réunie dans sa formation plénière, et les procédures d’urgence ne pourront être mises en œuvre que s’il est établi par des indices sérieux que la personne agit sur ordre d’une autorité étrangère ou appartient à une organisation terroriste ou criminelle.

Le Président de la République a décidé de saisir le Conseil constitutionnel : c’est la traduction de la consigne forte qu’il a donnée afin que ce texte soit conçu dans le respect de l’État de droit et de nos principes démocratiques. Que notre haute cour constitutionnelle statue sur cette loi avant sa promulgation constitue à cet égard la meilleure garantie qui soit.

J’en viens à présent aux points qui concernent spécifiquement le ministère de la justice.

Le Parlement, dans ses débats, a convenu que les missions constitutionnelles dévolues au ministère de la justice en qualité de garant des libertés et des droits fondamentaux pouvaient être préservées sans que cela porte atteinte à l’efficacité opérationnelle de la surveillance nécessaire, notamment au sein des établissements pénitentiaires, où elle est déjà exercée.

J’aimerais d’ailleurs lever le malentendu qu’il y a pu avoir sur ce sujet : certains ont pensé que le débat portait sur l’opportunité ou non d’exercer une surveillance au sein des établissements pénitentiaires, alors que ces derniers font déjà l’objet d’une surveillance réelle, puisqu’ils font bien partie de notre territoire. La question était plutôt de savoir qui devait opérer une telle surveillance.

Nous avons proposé avec détermination, monsieur le ministre Urvoas – pardon, monsieur le président de la commission des lois ! Certaines personnes sont visionnaires, il s’agissait peut-être là d’un oracle… (Sourires.) Je rappelle que le renseignement pénitentiaire a été fortement renforcé, puisque nous sommes passés d’un effectif de 72 officiers en 2012 à 159 en 2015 – plus du double – et qu’ils seront 185 l’année prochaine. Surtout, nous avons diversifié leurs compétences : une cellule pluridisciplinaire à compétence internationale a été installée, et le recrutement s’est élargi à de nouvelles professions telles que les analystes veilleurs, les traducteurs interprètes et les spécialistes informatiques pour le contrôle des logiciels.

La surveillance sera effectuée par des services de renseignement spécialisés, ce qui est une garantie d’efficacité, car il y aurait un risque réel de rupture et de déperdition d’informations si elle devait être confiée au renseignement pénitentiaire. Aux termes du décret de 2008, celui-ci a en effet pour mission d’assurer la sécurité des établissements. L’impliquer dans la mise en œuvre des techniques sophistiquées de renseignement aurait donc supposé à la fois la dispense des formations nécessaires, le recrutement des effectifs indispensables – même s’ils ont plus que doublé, cela n’aurait pas été suffisant – et l’actionnement de toute la plateforme correspondante, en termes de base de données, de logistique et d’outils techniques… Tout cela pour qu’il puisse exercer une surveillance dans les mêmes conditions professionnelles d’efficacité que les services de renseignement.

Ensuite, nous savons bien que les détenus, dans les établissements, ne sont pas en rupture totale avec l’extérieur, puisqu’ils reçoivent des visites, qu’ils reçoivent de la correspondance, qu’ils reçoivent et passent des appels, et qu’ils finissent par sortir. Il y avait donc lieu de considérer les conditions d’efficacité dans lesquelles la surveillance des détenus particulièrement suivis, soit parce qu’ils appartiennent à la criminalité organisée, soit parce qu’ils appartiennent à des organisations terroristes ou qu’ils ont commis des actes terroristes, serait prise en charge par les services de renseignement spécialisés. C’est ce que nous avons souhaité faire.

Au fur et à mesure des discussions, toutes les dispositions concernant le renseignement pénitentiaire ont disparu. Nous allons très prochainement publier un décret qui précisera les modalités dans lesquelles ces interventions se feront, dans lesquelles le renseignement pénitentiaire va continuer à effectuer des signalements auprès des services de renseignement spécialisés et dans lesquelles va s’organiser la remontée d’information vers le renseignement pénitentiaire – c’est une des grandes difficultés.

Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit en première lecture concernant toutes les dispositions que nous avons prises en coopération avec le ministère de l’intérieur, notamment en intégrant un directeur des services pénitentiaire à l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, sans parler des procédures conjointes ou des protocoles signés – je passe sur ces points-là.

Je conclurai sur deux points qui appellent réserve, je me permets de le dire ici, à la tribune de l’Assemblée nationale.

D’une part, la commission mixte paritaire a souhaité extraire du texte la mention introduite pour rappeler aux services de renseignement qu’ils exercent leurs missions sous réserve des attributions du juge judiciaire en matière de crimes et délits. Cette disposition a donc été enlevée du texte. Inutile de rappeler que ce projet est sans préjudice des dispositions prévues à l’article 40 du code de procédure pénale, à savoir la nécessité de procéder à un signalement auprès d’un juge pénal si l’on a connaissance d’un délit ou d’un crime.

D’autre part, une disposition introduite par la commission mixte paritaire a été modifiée par un amendement du Gouvernement largement adopté au Sénat et qui concerne la dérogation à l’avis de la commission de contrôle pour les personnes de nationalité étrangère. Cet amendement vous sera présenté. Très probablement vous choisirez le même vote que le Sénat, puisque c’est en conscience que le Gouvernement vous présente cet amendement.

Voilà pour l’essentiel des dispositions qui relèvent du ministère de la justice. Il y a pour les professions protégées une distorsion entre le régime des écoutes et celui des autres techniques intrusives : je pense qu’il est bon que je le signale, pour avoir en charge certaines de ces professions protégées.

Ce texte fixe donc les conditions d’exercice de la surveillance nécessaire pour garantir la sécurité des Français et en même temps, ce qui est sans précédent, il prévoit un contrôle administratif, un contrôle juridictionnel et un contrôle parlementaire qui apportent aux citoyens ordinaires la garantie que le Gouvernement a le souci de protéger les libertés individuelles ainsi que les libertés publiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification, mes chers collègues, je ne répéterai pas tout ce que j’ai dit en première lecture.

L’affaire a été rondement menée, s’agissant du projet de loi sur le renseignement. La commission mixte paritaire a « bien » travaillé. La seule opposante au projet de loi, en son sein, était la sénatrice communiste Cécile Cukierman.

Les versions adoptées le 5 mai par les députés et le 9 juin par les sénateurs différaient peu. Toutes deux consacraient une extension inédite des moyens légaux à la disposition des services de renseignement et instauraient des dispositifs de surveillance massive des réseaux, des opérateurs et des hébergeurs.

Le texte final comporte quelques changements par rapport à celui que nous avons examiné. Ainsi en est-il des prérogatives de la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui aura un accès permanent, complet et direct aux locaux des services et à ce qu’ils recueillent, hors surveillance internationale.

Des restrictions sont apportées à l’usage des IMSI-catchers. Un encadrement cosmétique est prévu pour les fameuses boîtes noires destinées à détecter des « connexions susceptibles de révéler une menace terroriste ». Même sur la composition de la CNCTR, c’est la version du Sénat qui a eu le dernier mot : elle comptera neuf membres, et non treize comme le souhaitait l’Assemblée nationale.

Comme sur le projet de loi Macron, il faut désormais s’habituer à ce que le Sénat, chambre pourtant passée à droite, enrichisse et vote les textes du Gouvernement. La gauche peut se poser gravement des questions…

Les députés, eux, l’ont emporté sur la sémantique. Les « intérêts fondamentaux » pouvant justifier une mise sous surveillance sont redevenus « majeurs » et non plus « essentiels ». Ce qualificatif fondamental s’applique de nouveau aux intérêts économiques et scientifiques, singulièrement élargis lors des débats au Sénat. Quant aux durées de conservation des informations collectées, substantiellement raccourcies par les sénateurs, elles ont fait l’objet d’un compromis PS-droite. Ainsi, les données de connexion – qui communique avec qui, quand, pour combien de temps – pourront finalement être conservées pendant quatre ans.

On s’en souvient, l’un des principaux points d’achoppement portait sur le rôle du ministère de la justice. Mme la garde des Sceaux plaidait, à juste titre, pour que la place Vendôme ne figure pas parmi les donneurs d’ordre d’une mise sous surveillance. Contre toute logique, elle avait trouvé une majorité contre elle, composée de la droite et d’une partie de la majorité. Un triste épisode. Le texte final, de ce point de vue, est satisfaisant, monsieur le rapporteur. On n’a jamais raison contre le Gouvernement !

M. Pascal Popelin. Vous feriez bien de réfléchir sur ce point !

M. Alain Tourret. Scepticisme du rapporteur…

M. Jean-Jacques Candelier. Au rayon des nouveautés, la CMP a créé un délai de conservation, jusqu’ici inexistant, pour les données cryptées, qui pourront être conservées six ans à compter de leur recueil et non plus indéfiniment.

Je passe rapidement sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la CNCTR. J’ai l’impression qu’il s’agit là de la carotte démocratique pour faire avaler la pilule. On nous dit qu’étant donné l’importance de cette fonction pour la garantie des droits et libertés, il est nécessaire de soumettre la nomination à l’avis préalable des commissions permanentes des deux assemblées. Une opposition des commissions parlementaires aux trois cinquièmes des suffrages exprimés empêcherait la nomination du candidat présenté. Nous l’avons déjà dit : pour ce type de nomination, c’est une majorité inverse qui devrait valoir, à savoir que l’opposition des deux cinquièmes devrait suffire.

Ce projet de loi, en définitive, est déjà, à mon sens, en dehors de la marche de l’histoire. Le vote d’aujourd’hui est une victoire à la Pyrrhus. Les lois scélérates sont toujours votées à de larges majorités. C’est quelques années plus tard que l’on s’avise de l’erreur commise. Quand il est trop tard. Quand le mal est fait.          

Je veux saluer la mobilisation citoyenne exceptionnelle qui s’est manifestée à propos de ce texte. J’ai l’intime conviction qu’il en faudrait une identique contre tous les mauvais coups du Gouvernement. Le peuple ne peut plus laisser passer sans rien faire les multiples reculs démocratiques et sociaux.

« Les rapports de force commencent à changer. Nous assistons à l’émergence d’une génération post-terreur, qui rejette une vision du monde définie par une tragédie particulière. » Ces phrases sont celles du lanceur d’alerte Edward Snowden.

La loi sur le renseignement, c’est, malgré tous les dénis, le coup du Patriot Act avec quatorze ans de retard, et alors même que les Américains reviennent en arrière.

M. Pascal Popelin. Il faut lire le texte !

M. Jean-Jacques Candelier. Donner aux services de renseignement le pouvoir d’intercepter tout ce que bon leur semble, cela donnera la même chose que la NSA et donc des scandales prévisibles.

C’est un fait désormais établi : les milliards d’interceptions du programme PRISM ont permis en tout et pour tout de déjouer « peut-être un attentat » et en réalité aucun. C’est donc que le but de la surveillance de masse n’est pas de déjouer des attentats terroristes, mais la surveillance de masse elle-même ; le terrorisme sert de prétexte à une tout autre politique.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Candelier. Un étrange raisonnement consiste à dire que puisque la police a telle ou telle pratique illégale, autant la légaliser. Il faudrait plutôt en déduire, ce qui est tout de même plus logique, qu’elle doit cesser cette pratique. Si les services antiterroristes se mettaient à torturer des suspects afin de déjouer des attentats, dirait-on qu’il n’y a qu’à légaliser la torture ? Certains le proposent. Les députés du Front de Gauche ne participent pas à la démission intellectuelle collective.

M. Pascal Popelin. Mais à la confusion intellectuelle, quand même !

M. Jean-Jacques Candelier. Avant de donner un pouvoir sans contrepartie aux services de renseignement, avant de mettre la police antiterroriste à l’abri de tout contrôle et de tout recours, il n’est pas mauvais d’écouter ce que ces professionnels disent de leur métier. Alain Chouet, qui dirigea le service de renseignement de sécurité de la DGSE, écrit ainsi : « C’est ne rien comprendre que d’accuser les services secrets de faire dans l’illégalité. Bien sûr, qu’ils font dans l’illégalité. Ils ne font même que cela. C’est leur vocation et leur raison d’être. Le renseignement se recueille en violant ou en faisant violer la loi des autres. […] Considérant cette fin, il va de soi que les moyens mis en œuvre seront en rapport : manipulation, séduction, corruption, violence, menace, chantage, au terme d’un processus qui aura mis à nu toutes les facettes de l’objectif visé, pénétré son intimité, exploité toutes ses vulnérabilités. » Voilà où nous en sommes, chacun pourra juger.

Les lois toujours plus féroces que le Gouvernement multiplie depuis les attentats de janvier témoignent d’une offensive tous azimuts. On en appelle à l’union nationale pour faire ses coups en douce, si possible en procédure accélérée ou à coups de 49 alinéa 3. Projet de loi Macron, projet de loi Rebsamen, pacte de compétitivité, pacte de responsabilité, plan PME, nouvelle organisation territoriale de la République : autant de fronts ouverts simultanément, dans une sorte de guerre-éclair contre tout ce qui fait la France !

C’est ce que Naomi Klein appelle « la stratégie du choc ». Dans ce cadre, la loi sur le renseignement fonctionne comme un verrou contre les révoltes logiques. Et ce sera la DGSI qui sera en charge de gérer les mouvements naissants, les dissidences potentielles et les futures interdictions de manifester.

Bien entendu, nous voterons contre ce projet de loi, d’autant qu’un amendement de dernière minute prévoit de vider de sa substance le mécanisme de protection des lanceurs d’alerte, déjà précaire, prévu par le texte.

Je profiterai de ma conclusion pour dénoncer le scandale de l’espionnage de la NSA en France.

En avril nous apprenions que la France, ses entreprises et ses ressortissants figuraient parmi les principales victimes d’un espionnage américano-allemand. On savait que la NSA avait espionné ALCATEL ou encore EADS. Cela devrait mettre fin à toute négociation sur le traité transatlantique.

Depuis, nous avons appris que la NSA a espionné les présidents français. C’est inacceptable. Une réaction ferme doit avoir lieu. Les autorités doivent protester avec force. Une commission d’enquête parlementaire sur l’espionnage dont la France est victime de la part de pseudo-partenaires et alliés serait utile. Nous pourrions cosigner de manière transpartisane la demande d’une telle commission d’enquête. L’appel est lancé.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. À l’heure d’une actualité qui ne nous apprend malheureusement rien de véritablement nouveau et dont j’ai la conviction qu’elle n’a pas davantage de caractère fortuit, nous nous engageons aujourd’hui dans l’ultime étape de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, tel qu’il est issu de l’accord intervenu entre députés et sénateurs la semaine dernière au sein de la commission mixte paritaire.

C’est l’occasion de dresser le bilan du travail d’ampleur que nous avons mené ensemble au cours de ces derniers mois sur cette question d’importance qui n’a pas manqué de susciter l’intérêt, voire les passions, pour ne pas dire de francs excès. Ce débat, nous l’avons mené les uns et les autres avec conviction, dans une confrontation des points de vue parfois ardente, au sein de cet hémicycle, sous le regard sans aménité d’un certain nombre de nos concitoyens qui ont souhaité exprimer des inquiétudes que nous nous devions de prendre en compte.

Je veux ici saluer la marque que notre rapporteur Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, a su imprimer à ce texte en portant de manière constante, avec sincérité et force juridique, une vision mesurée et déterminée de ce que doit être la conciliation du respect des libertés publiques et de l’efficacité des services de renseignement dans un État de droit comme le nôtre.

Je veux aussi remercier le Premier ministre et les ministres pour leur écoute et l’attention qu’ils ont portée au travail des parlementaires, ici, à l’Assemblée nationale, ensuite au Sénat.

Qui pourrait nier que le texte soumis par le Gouvernement a été profondément consolidé lors de son passage dans les deux chambres s’agissant des garanties apportées aux citoyens ? Nous nous sommes interrogés lors de nos débats pour savoir si un pays comme la France avait une légitimité pour disposer de services de renseignement. Si, objectivement, très peu se posent encore cette question, il en demeure quelques-uns.

Nous nous sommes interrogés sur les moyens auxquels ils pouvaient avoir recours : devaient-ils pouvoir agir, de manière encadrée et contrôlée, sur tous les outils technologiques employés par ceux qui visent à attenter à la sécurité de la France et des Français ? Et nous avons porté une attention particulière aux conséquences de ces dispositions sur le respect de la vie privée.

À ces préoccupations, nous avons apporté des réponses, à chaque fois de manière claire et largement majoritaire.

Oui, la France est fondée à disposer de services de renseignement car il s’agit d’un indispensable outil de souveraineté dans un État de droit.

Oui, la France doit adapter les moyens dont elle autorise l’emploi à ses services car les technologies sont en constante évolution et sont malheureusement mises au service d’une menace de niveau très élevé.

Oui, une démocratie comme la France doit se donner par la loi les moyens d’encadrer par des règles et des contrôles stricts l’usage de ces outils, par nature incontestablement intrusifs dans la vie privée. Il s’agit d’une démarche de protection des libertés, en aucun cas d’une prise de liberté par rapport aux libertés.

Les articulations que nous sommes parvenus à trouver pour concilier ces préoccupations qui peuvent à première vue être considérées comme antagonistes ont recueilli le vote favorable de 690 parlementaires, députés et sénateurs, quand seulement 153 s’y sont opposés.

Dans ce contexte, la faiblesse des différences de fond constatées à l’issue de l’examen du texte par nos collègues sénateurs conférait à chacun des membres de la commission mixte paritaire le devoir de rechercher un accord. C’est dans cet esprit de responsabilité que nous l’avons trouvé.

Ainsi, sur la question de la durée de conservation des renseignements collectés, que notre assemblée avait tranchée en adoptant un amendement que j’avais proposé au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, la CMP a retenu le point de départ pour le calcul des délais choisi par le Sénat – le recueil des renseignements – plutôt que celui que nous avions voté – la première exploitation. Un accord clair a été trouvé sur les durées de conservation : 30 jours pour les correspondances interceptées, 120 jours pour la captation d’images ou de données informatiques et quatre ans pour les données de connexion. Ces durées retenues dans la version finale de la loi soumise aujourd’hui à notre vote constituent un progrès – est-il besoin de le rappeler ? – dans l’encadrement du recueil des renseignements.

S’agissant des finalités pour lesquelles les techniques de renseignement peuvent être mises en œuvre, la CMP a rétabli la rédaction de notre assemblée, à savoir la défense des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France » alors que le Sénat avait supprimé le mot « majeurs ».

Je regrette, en revanche, que la notion d’atteinte à la paix publique, retenue par le Sénat, ait été préférée à celle d’atteinte à la sécurité nationale, que j’avais proposée et qui avait été retenue par l’Assemblée en première lecture. Il me semble toutefois que nos débats parlementaires ont été suffisamment éclairants pour que le juge qui serait saisi d’un éventuel abus de la justification de cette finalité soit en mesure de percevoir le caractère exceptionnel que le législateur a souhaité lui conférer.

Aux protections spécifiques déjà prévues pour les avocats, journalistes, magistrats et parlementaires, nous avons ajouté un principe de portée générale selon lequel « ces personnes ne pourront, en aucun cas, faire l’objet d’une surveillance à raison de leur profession ou mandat ».

Enfin, il n’a échappé à personne que cette loi suscitait des débats dans une partie de la société. Nous avons donc bien volontiers repris l’idée sénatoriale d’une évaluation dans les cinq prochaines années. Si le dispositif ne démontrait pas sa pertinence et son effectivité, comme certains le prétendent, elle aurait alors vocation à être purement et simplement supprimée.

Quelques mots maintenant sur un élément essentiel du texte qui justifie l’examen simultané d’une nouvelle proposition de loi organique : je veux parler de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Parmi les nombreux dispositifs de contrôle instaurés, la CNCTR, qui remplacera la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité créée par la loi du 10 juillet 1991 – avec des prérogatives et des moyens renforcés – sera une pièce maîtresse, tout comme le contrôle juridictionnel du Conseil d’État, qui constitue une des principales nouveautés des dispositions de cette loi.

Si un consensus s’est dégagé, lors de nos débats, sur le principe de la nomination de son président par le Président de la République parmi les membres qui seront issus du Conseil d’État et de la Cour de cassation, comme le proposait le Gouvernement, nous nous étions aussi mis d’accord sur le fait que cette nomination devait recueillir préalablement l’avis des commissions parlementaires compétentes dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 13 de notre Constitution.

En effet, la CNCTR remplira des missions importantes de surveillance et de contrôle de l’usage des différentes techniques de renseignement que cette loi autorisera. Nous avons considérablement renforcé ses pouvoirs et ses possibilités d’investigation lors des débats dans cet hémicycle et au Sénat. Nous avons précisé les modalités d’organisation de ses travaux et le rôle essentiel qu’y jouera celle ou celui qui aura la lourde tâche de la présider. Cette présidence, qui disposera d’une voix prépondérante en cas de partage des votes, ne doit donc faire l’objet d’aucune suspicion quant à son indépendance.

En prévoyant le recueil de l’avis des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, nous donnons une garantie supplémentaire à l’indépendance de la CNCTR, dont nous souhaitons la mise en place dans les délais les plus rapprochés possibles après la promulgation de la loi sur le renseignement. Pour qu’il en soit ainsi, l’adoption d’une loi organique est nécessaire.

Une proposition en ce sens a été adoptée par le Sénat le 9 juin dernier. Notre commission des lois l’a validée à son tour à l’unanimité la semaine passée. En l’approuvant dans les mêmes termes aujourd’hui, nous contribuerons à permettre l’installation de la CNCTR dans les meilleurs délais. Ce dispositif vient ainsi parachever un édifice que nous avons voulu complet, équilibré, efficace et respectueux des principes généraux de notre droit.

L’annonce par le Président de la République de son intention de saisir personnellement le Conseil constitutionnel constitue une garantie supplémentaire de notre volonté d’agir de manière totalement transparente et respectueuse de ce droit.

C’est dans cet esprit que le groupe socialiste républicain et citoyen votera le projet de loi sur le renseignement issu des travaux de la CMP, qui constitue un réel progrès pour notre droit, ainsi que la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la CNCTR. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Nous arrivons au terme de ce débat extrêmement important et même capital concernant ce projet de loi sur le renseignement. Cette dernière lecture intervient dans un contexte particulier que je tiens à rappeler, celui des attentats qui ont marqué tragiquement notre pays au début du mois de janvier.

Ce texte concerne bien entendu spécifiquement le renseignement…

M. Lionel Tardy. Non ! Il contient bien d’autres choses !

M. Éric Ciotti. …mais il s’inscrit aussi dans la logique visant à lutter contre le terrorisme et à le prévenir. Le renseignement constitue bien entendu l’un des moyens indispensables et essentiels pour qu’il en soit ainsi.

Nous savons que cette menace terroriste est maximale, je le dis au terme de six mois de travail de la commission d’enquête sur le suivi des filières djihadistes que j’ai eu l’honneur de présider. La France est une cible, sans doute l’une des premières au monde, l’une des plus visées.

Le nombre d’individus français ou ressortissants français engagés dans les filières djihadistes a triplé depuis le 1erjanvier 2014. Chaque semaine, 25 individus supplémentaires y sont recensés. Nous savons donc que cette menace est forte. Face à elle, notamment à celle émanant de l’État et de la barbarie islamiques, nous devons adapter avec lucidité et efficacité nos moyens de lutte et de prévention.

Bien sûr, le travail de nos services, que je salue, a évité la commission de plusieurs attentats au cours des dernières années et, n’en doutons pas, a permis de sauver plusieurs vies dans notre pays, même si 105 Français ont été victimes du terrorisme depuis le 11 septembre 2001. Mais les moyens qui sont à leur disposition sont désormais insuffisants. J’ai évoqué le triplement du nombre de personnes engagées dans les filières djihadistes au cours des dix-huit derniers mois… Il n’est nullement besoin de préciser que les moyens destinés à y faire face n’ont pas bénéficié du même coefficient multiplicateur.

Nous savons également que les techniques évoluent, que la révolution numérique qui touche toute notre société concerne aussi les actions criminelles et terroristes. En tant que responsables politiques, nous devons nous y adapter afin de renouveler nos méthodes de lutte.

Or, ce texte a été présenté après les attentats, et je le déplore : nous aurions pu l’adopter avant, madame la garde des sceaux, sans doute dès le printemps 2012 si l’opposition d’alors avait suivi la proposition du président Sarkozy suite à l’affaire Merah…

Mme Patricia Adam. Il n’y avait pas de texte !

M. Éric Ciotti. …en adoptant une position unitaire.

Au nom de l’opposition, nous avons quant à nous toujours exprimé notre volonté d’unité nationale et c’est pour cela que, lors du vote solennel qui a eu lieu dans cet hémicycle, plus des deux tiers des membres du groupe Les Républicains ont approuvé ce projet de loi.

Ce dernier constitue un point d’équilibre positif et contient des avancées significatives en matière de protection. Je pense notamment à la mise en place d’outils pertinents, réclamés de longue date : les interceptions de sécurité, les accès administratifs aux données de connexion, la captation d’images et de sons, leur enregistrement.

À ce stade de notre discussion, je tiens à remercier et à féliciter notre rapporteur Jean-Jacques Urvoas pour la qualité de son travail. Nous avons travaillé ensemble, notamment au sein de la commission des lois, dans cet indispensable esprit constructif qui doit tous nous guider face à la menace à laquelle notre pays est exposé. Cette menace exige, impose et réclame une unité nationale sans faille et telle a toujours été l’attitude du groupe que j’ai l’honneur de représenter ce soir à cette tribune, celui des Républicains.

Ce projet de loi est nécessaire et positif, même si nous aurions souhaité qu’il s’insère dans une perspective plus large, avec un projet de loi d’orientation et de programmation contre le terrorisme que j’avais réclamé en son temps et avec une programmation budgétaire consacrée aux moyens humains et matériels nécessaires.

M. Pierre Lellouche. Oui.

M. Éric Ciotti. Au terme de ces débats, nous avons pris acte du compromis adopté en CMP. Il résulte d’un équilibre patiemment recherché et, me semble-t-il, obtenu s’agissant d’une meilleure sécurité pour nos concitoyens et de la défense des libertés individuelles.

Ce souci, cette légitime inquiétude exprimés sur les bancs de notre groupe, mais pas seulement, ont été pris en compte. Je crois pouvoir dire que ces inquiétudes qui se sont fait jour et que je respecte, bien entendu, je le dis à Pierre Lellouche, peuvent être apaisées par les dispositions qui ont été adoptées notamment par nos amis sénateurs.

Des garanties supplémentaires en matière de protection des libertés publiques ont en effet été inscrites dans ce projet de loi, qui permettent d’aboutir à cet équilibre exigeant et difficile, toujours recherché et longtemps débattu dans notre république, entre sécurité et liberté. Je crois que nous avons fait œuvre utile en élaborant un dispositif qui garantira plus fortement la préservation des libertés publiques. Ce texte prévoit en effet un contrôle administratif indépendant, grâce à la création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, laquelle, vous l’avez rappelé, émettra un avis préalable à toute autorisation de mise en œuvre d’une technique de renseignement par le Premier ministre, comme c’était déjà le cas en matière d’écoutes téléphoniques et d’interceptions de sécurité administratives. C’est là un vrai progrès. Vous avez également évoqué les voies de recours et le contrôle juridictionnel confié au Conseil d’État.

Je regrette néanmoins, madame la garde des sceaux, que vous ayez obtenu gain de cause sur la question du renseignement pénitentiaire. Le vote en commission mixte paritaire, sur cette question, a été obtenu à une très courte majorité – une voix seulement. Il s’est trouvé d’un côté la quasi-totalité des députés, tous groupes confondus, et de l’autre la quasi-totalité, ou peut-être même la totalité des sénateurs, tous groupes confondus.

Vous avez exposé vos arguments, madame la garde des sceaux, et je déplore une fois de plus que vous ayez gagné votre arbitrage sur ce point. Je persiste à penser qu’il aurait été important, et même essentiel, puisqu’on observe que la prison est aujourd’hui très souvent un lieu de radicalisation, de pouvoir y appliquer ces techniques de renseignement. Il aurait importé que vous-même, madame la garde des sceaux, ainsi que l’administration pénitentiaire, puissiez en solliciter l’utilisation, comme c’est le cas pour les ministères de l’intérieur, de la défense et de l’économie et des finances. Le fait que votre ministère ne puisse pas mobiliser ces techniques de renseignement me semble être une lacune importante de ce texte.

M. Pierre Lellouche. En effet !

M. Jacques Myard. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela témoigne d’une grande ignorance des différents services !

M. Éric Ciotti. Je veux enfin souligner que le débat de ce soir s’inscrit dans un contexte particulier, celui des révélations qui ont été faites par la presse hier soir. Je ne peux pas croire au hasard. Je condamne avec beaucoup de force les actes commis par les États-Unis : ils sont totalement scandaleux et doivent appeler, non pas des déclarations, mais des sanctions très fortes de la part de notre pays. Mais je répète que je ne crois pas au hasard : certains ont voulu faire un amalgame entre ces révélations et le texte que nous examinons. Rien n’est plus éloigné que ce projet de loi de ce que nous pouvons reprocher aux Américains en la matière. C’est, me semble-t-il, la force de ce texte, et c’est la raison pour laquelle la très grande majorité du groupe Les Républicains le soutiendra.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Notre société a connu, en vingt ans, des bouleversements technologiques majeurs. Or, depuis la loi du 10 juillet 1991 qui avait légalisé les écoutes téléphoniques, notre législation n’a été modifiée qu’à la marge, sans répondre à l’évolution spectaculaire des menaces qui pèsent sur nous.

En effet, dans le même temps, les criminels, les terroristes, les services de renseignement étrangers et les agences privées ont acquis des moyens de communication et des technologies sans commune mesure avec ce que la législation actuelle prévoit pour les contrecarrer. Certes, nos services se sont adaptés, à travers l’accroissement des moyens qui leur étaient dévolus d’une part, et grâce à une évolution de la jurisprudence de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité d’autre part.

Toutefois, le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. C’est pourquoi la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire adapté était absolument nécessaire, afin d’autoriser, sans la moindre ambiguïté juridique, des méthodes et des pratiques déjà utilisées par les services.

Ce texte était attendu depuis longtemps : il renforcera les capacités des services de renseignement et permettra également d’asseoir leur légitimité. En préparation depuis de nombreux mois, il a pris tout son sens à la lumière des terribles attentats qui ont ébranlé notre pays en janvier dernier.

Nous devons en effet prendre des mesures ambitieuses afin de faire face à la recrudescence de la menace terroriste, une menace diffuse, extérieure autant qu’intérieure, qui prend de nouveaux visages et qui, désormais, se nourrit des ressources du numérique, la cyberattaque dont TV5 Monde a fait l’objet en avril dernier en est la preuve. Mais ce texte n’a pas pour seul objet de lutter contre le terrorisme. Il a également vocation à donner à nos services les moyens de protéger la souveraineté nationale contre les tentatives d’ingérence et d’espionnage à l’encontre de nos atouts scientifiques et économiques et de prévenir le pillage des entreprises françaises.

Nous tenons à souligner le travail de qualité accompli sur ce texte lors des débats qui se sont déroulés, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. L’accord obtenu en commission mixte paritaire est la preuve que, lorsque l’intérêt supérieur de la nation est en jeu, la majorité et l’opposition savent faire bloc, afin d’avancer ensemble. Pour autant, nous ne légiférons pas pour six mois, ni pour deux ans, ni uniquement en réaction aux attentats de janvier.

C’est pourquoi nous devons rester prudents et vigilants : lorsque ces dispositions seront inscrites dans notre droit, elles y demeureront par-delà les alternances politiques. Notre travail de législateur consiste donc à trouver le juste équilibre entre la nécessité de garantir à nos concitoyens une politique efficace du renseignement, en mesure de les protéger contre des risques graves de déstabilisation ou d’attentats, tout en s’assurant que les moyens déployés préservent leurs libertés individuelles et ne conduisent pas à la mise en place d’un système abusivement intrusif.

La protection des libertés et des données personnelles est devenue un sujet d’autant plus sensible que les techniques ont évolué et se sont faites invasives. À ce titre, nous saluons l’inscription dans ce texte, à l’initiative notamment du groupe UDI, de la protection des données personnelles comme partie intégrante du respect de la vie privée. Mais la seule édiction de principes ne suffit pas. Le recours aux techniques de renseignement doit être encadré, entouré des garanties nécessaires et s’accompagner de contrôles efficients, tant en amont qu’en aval.

Sur la question du contrôle, le groupe UDI a fait deux propositions principales : d’une part, assurer l’accès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou de tout autre organisme indépendant, à tous les fichiers de la police, et d’autre part centraliser les données collectées en un même lieu, afin de vérifier qu’elles soient bien conformes à l’autorisation accordée par le Premier ministre. Si nous n’avons pas été entendus sur ce point, force est de reconnaître que l’efficacité du contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a été renforcée, par l’Assemblée nationale et également par le Sénat.

Grâce à l’adoption d’un amendement de l’UDI, la nouvelle commission disposera d’un accès permanent aux autorisations, relevés, registres, données collectées, transcriptions et extractions. Elle contrôlera, en outre, les dispositifs de traçabilité des renseignements collectés mis en place par chaque service, ainsi que tous les locaux dans lesquels s’exerce la centralisation des renseignements collectés. Ces garanties sont de nature, nous le croyons, à permettre à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement d’être réellement en mesure de contrôler l’activité des services. Nous soutenons également la proposition de loi organique de nos collègues sénateurs relative à la nomination du président de la CNCTR. Au vu de l’importance de cette fonction pour la garantie des droits et libertés, il nous paraît en effet nécessaire que cette nomination soit soumise à l’avis préalable des commissions des lois des deux assemblées.

Je tiens aussi à aborder la question des fameuses boîtes noires, également appelées algorithmes. Leur installation chez les fournisseurs d’accès à internet figure parmi les techniques ayant suscité un vif émoi et fait craindre une surveillance de masse. Le but de ces algorithmes est pour les agents de repérer un élément particulier dans les connexions, qui les mettra sur la piste de crimes ou de délits à caractère terroriste en préparation. Similaire aux mesures mises en œuvre aux États-Unis, un tel dispositif pourrait se révéler particulièrement intrusif. C’est pourquoi nous nous félicitons des avancées qui ont été apportées au cours de nos débats et que le Sénat a par la suite renforcées.

Ainsi, l’autorisation du Premier ministre vaudra pour une durée de deux mois renouvelables et le champ technique de la mise en œuvre de la mesure sera limité aux éléments strictement nécessaires à la détection d’une menace terroriste. En outre, la procédure d’urgence ne sera pas applicable à ce dispositif et, point important, le Parlement sera à nouveau consulté si le Gouvernement veut prolonger l’algorithme au-delà de l’année 2018. Nous nous félicitons également que la mise en œuvre des techniques de renseignement, lorsqu’elles concernent les magistrats, les avocats, les parlementaires ou les journalistes, soit mieux encadrée, ainsi que le préconisait le groupe UDI.

Alors que nous nous apprêtons à adopter définitivement ce texte, quelques réserves subsistent cependant.

M. Lionel Tardy. Ah !

M. Yannick Favennec. Le champ d’application des interceptions demeure très large, comme nous l’avions souligné en première lecture, et couvre peu ou prou tout le champ de la vie nationale. Et la procédure d’urgence, si elle a évolué à plusieurs reprises, écarte toujours, à ce stade, l’avis préalable de la commission dans de nombreux cas, laissant le Premier ministre seul juge de la mise sous surveillance.

Nous aurions souhaité que soit mis en place un régime d’astreinte au sein de la commission, et que cette dernière puisse disposer de moyens spécifiques, afin d’être en mesure de rendre des avis dans des délais très courts. En outre, nous nous félicitons du retrait de la disposition permettant au Premier ministre de se passer de l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pour l’utilisation de mesures de surveillance à l’égard d’étrangers de passage en France. Il nous semble essentiel, en effet, que chaque interception fasse l’objet d’un contrôle préalable indépendant, et que toute personne, quelle que soit sa nationalité, bénéficie des mêmes droits sur notre territoire.

Au moment de se prononcer sur ce texte, la principale préoccupation du groupe UDI est à la fois de s’assurer que la loi ne devienne, si elle venait à tomber dans des mains mal intentionnées, un instrument qui puisse porter atteinte à nos libertés fondamentales, et d’encadrer des activités qui, à l’heure actuelle, sont toujours régies par une loi vieille de plus de vingt ans. À titre personnel, considérant que ce texte porte atteinte à nos libertés fondamentales, je ne peux me prononcer en sa faveur. Pour autant, et sous certaines réserves, la majorité du groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Nous arrivons à la fin de l’examen du projet de loi relatif au renseignement. Nous devons nous prononcer aujourd’hui sur ce texte, dans un contexte particulier, qui fait suite aux révélations de WikiLeaks, de Libération et de Mediapart.

WikiLeaks a révélé aujourd’hui que nos trois derniers présidents étaient sur écoute des services secrets américains. C’est diplomatiquement inacceptable entre pays officiellement alliés. Certains ont dit que la publication de ces informations, précisément aujourd’hui, relèverait de la manipulation. Sachez que le groupe écologiste ne vote ni en fonction de l’actualité, ni en fonction des pressions. Nous sommes en revanche attentifs aux arguments étayés que nous transmettent les citoyens, notamment lorsque ces derniers sont juges, avocats, chercheurs ou responsables de la sécurité informatique du pays.

Chers collègues, les révélations de WikiLeaks, puis d’Edward Snowden, ont eu lieu il y a plus de deux ans, et rien de ce qui a été annoncé aujourd’hui par Mediapart et Libération n’est une nouveauté : les États-Unis d’Amérique pratiquent une surveillance généralisée mondiale.

Dès le début de la discussion, notre groupe a souligné que ce projet de loi n’était pas un texte de circonstance. La nécessité d’un encadrement de l’activité de la communauté du renseignement est urgente et nécessaire. Le rapport de notre rapporteur le met en évidence et le souligne justement : les services de renseignement disposent aujourd’hui de moyens juridiques morcelés, issus d’une lente sédimentation de dispositions législatives, sans cadre général.

On compte la loi du 10 juillet 1991, qui offre un cadre juridique aux interceptions de sécurité ; celle du 23 janvier 2006 sur l’accès aux données de connexion pour la prévention du terrorisme ; celle du 18 décembre 2013, qui unifie les régimes d’accès aux données de connexion et la géolocalisation en temps réel ; et, enfin, les lois de 2012 et de décembre 2014, destinées à lutter contre le terrorisme, sans oublier l’article 20 de la loi de programmation militaire et son dispositif unifié de recueil administratif des données de connexion. Unifier le cadre et soustraire bon nombre de pratiques à l’illégalité et aux zones grises est indiscutablement nécessaire. Mais si l’urgence à légiférer est une réalité, en matière législative, il ne faut pas la confondre avec la précipitation.

En la matière, il eût été nécessaire d’être plus prudent et plus précis. Les derniers amendements déposés par les rapporteurs et le Gouvernement montrent que le compromis élaboré par la CMP souffre de défauts. Sergio Coronado a déjà pu dénoncer l’amendement qui visait à exempter la surveillance des étrangers sur le territoire français du contrôle de la CNCTR. Cette disposition va, et c’est heureux, être supprimée.

Nous regrettons aussi l’atteinte de dernière minute qui est faite à la protection des lanceurs d’alerte par l’amendement gouvernemental n7, qui est tout sauf un amendement de précision. La protection des lanceurs d’alerte était pourtant une des avancées de nos travaux dans l’hémicycle.

Au-delà, plusieurs éléments ont amené la majorité du groupe écologiste à rejeter ce texte à l’Assemblée comme au Sénat.

Il y a tout d’abord l’extension des finalités du renseignement. L’accès aux techniques spéciales pour recueillir des renseignements liés à la promotion des intérêts majeurs de la politique étrangère, à l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et à la prévention de toute forme d’ingérence étrangère est une extension assez importante par rapport à la loi de 1991.

J’ai donc du mal à comprendre que l’on puisse s’offusquer de la surveillance des USA tout en votant un projet de loi qui donne la même doctrine et les mêmes moyens à nos propres services de renseignement.

M. Philippe Nauche. C’est de l’intoxication !

Mme Isabelle Attard. Je considère, par exemple, que la surveillance de nos présidents de la République relève d’une forme d’ingérence étrangère. Si l’on applique ce projet de loi à la lettre, cela signifie-t-il que nos services pourront mettre le gouvernement des États-Unis sous surveillance ?

L’extension des finalités du renseignement à la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France va encore une fois largement au-delà de ce que prévoyait la loi de 1991. Souhaite-t-on pouvoir écouter demain un militant de l’association Greenpeace quand il dévoile un rapport sur les failles des EPR, ou un journaliste de reflets.info quand il révèle le commerce d’entreprises françaises avec des régimes totalitaires ?

Le motif de prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique suscite également l’interrogation, par son caractère large et disproportionné. La notion de paix publique recouvre un nombre important de situations, ce qui a suscité de nombreuses craintes. L’Assemblée, en première lecture, avait préféré la notion de sécurité publique. Il est dommage que le texte ait été étendu, d’autant que l’usage de techniques très attentatoires, comme la sonorisation ou la captation de données informatiques, sera permis pour l’ensemble de ces finalités.

En effet, ce texte permet également aux services d’accéder à de nouvelles techniques, pour de nouveaux motifs. Si de nouvelles techniques ont été autorisées, elles n’ont parfois pas été correctement limitées. Ainsi, Jean-Marie Delarue, actuel président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, l’a bien souligné à propos de la sonorisation des appartements : « est-ce que c’est 20, est-ce que c’est 200, est-ce que c’est 2 000, est-ce que c’est 20 000 par an ? » Il faut que le Gouvernement soit un peu précis sur ses intentions. Selon lui, « Une société où il y a 200 appartements sonorisés, on peut penser que c’est pour les criminels et les terroristes. Une société où il y en a 200 000, c’est La vie des autres ». Un film qui relate le quotidien de la police politique est-allemande…

Parmi ces techniques, deux innovations ont été fortement critiquées : il s’agit du suivi renforcé et des algorithmes. Le suivi renforcé permettra la collecte systématique de données sur une personne, sans possibilité pour elle d’échapper à cette surveillance, dès lors qu’internet et l’informatique sont devenus d’usage quotidien et recueillent un nombre très important d’informations personnelles.

Concernant les algorithmes, le flou a été entretenu et les débats au Parlement n’ont pas permis de savoir comment ils fonctionneront, et avec quelle technologie. Qui stockera les informations collectées ? Selon quelles modalités, et avec quel contrôle ? Là aussi, il est regrettable que la loi n’ait pas été plus claire.

Le Gouvernement a, à plusieurs reprises, affirmé qu’il ne souhaitait pas organiser une surveillance de masse. Soit. Il n’en demeure pas moins que ces algorithmes représentent des possibilités de recueil technique de données et de métadonnées de très grande ampleur, si ce n’est de masse. Cette technique ne permet pas un avis préalable individualisé de la part de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. De surcroît, la levée d’identité sur les données collectées pourra être une porte d’entrée vers d’autres techniques spéciales de recueil de renseignement.

Concernant les parlementaires, avocats, magistrats et journalistes, si nos travaux ont permis d’avancer sur le sujet, il n’est pas prévu que ces dispositifs administratifs soient assortis de garanties équivalentes à celles qui sont prévues pour les professions protégées par le code de procédure pénale lorsqu’ils sont mis en œuvre dans un cadre judiciaire.

En outre, aucune protection n’est prévue pour le secret médical. C’est pourtant un élément essentiel dans la vie privée des individus, qui nécessite une protection particulière. L’atteinte à cet élément intime fondamental n’est ainsi ni proportionnée, ni contrôlée par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Nous regrettons que notre assemblée ait refusé cette garantie, qui avait pourtant reçu un avis de sagesse du Gouvernement et du rapporteur.

Ce texte étend également les durées de conservation des données, notamment des données de connexion. Mais les données qui sont considérées comme telles ne sont pas précisément définies. Ces données de connexion permettent déjà une information très importante quand elles peuvent être rattachées à une personne : localisation, contacts, sites fréquentés. On sait bien, depuis les révélations d’Edward Snowden, que les métadonnées donnent autant d’informations que le contenu lui-même. Mais plutôt que rester sur ce concept déjà très large, le texte parle des informations et documents, ce qui accroît le flou.

Enfin, le texte prévoit un recours devant le Conseil d’État, sur saisine de la CNCTR. Ce recours est une avancée importante du texte. Mais il prévoit que les exigences du contradictoire pourront être adaptées, sans préciser l’étendue de ces adaptations. Le requérant n’aura accès ni à l’ensemble des pièces du dossier, ni aux données de la jurisprudence, ni aux arguments de l’administration, contrairement à cette dernière. Toute la procédure se déroulera pour lui à l’aveugle.

Internet est devenu un objet central et quotidien dans la vie de nos concitoyens, bien plus encore que d’autres moyens de correspondance comme le téléphone ou le courrier postal.

Pendant tous les débats, notre groupe a voulu être constructif et a porté de nombreux amendements. Une quinzaine d’entre eux a été adoptée, mais nos préoccupations principales n’ont pas été entendues. Elles ont pourtant été largement exprimées par nombre d’organisations internationales, d’autorités administratives indépendantes, d’ONG, d’associations, de médias, de magistrats, d’acteurs de l’économie numérique, de hauts responsables européens et de citoyens.

Ce sont ces mêmes préoccupations qui amènent aujourd’hui le groupe écologiste, très majoritairement, à rejeter ce texte. Nous souhaitons également que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer à son sujet, et c’est pourquoi nous soutenons le principe d’une saisine parlementaire du Conseil en parallèle de la saisine présidentielle.

Mme Cécile Duflot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Ces dernières années, la France a trop souvent ignoré le renseignement – les « services », comme on dit – et c’est sans doute pourquoi nous subissons aujourd’hui même en matière de renseignement un des plus grands sinistres qu’elle a pu connaître.

En Grande-Bretagne, le renseignement est une affaire de gentlemen, avec le MI-5. En France, on l’a rejeté : c’était l’affaire de barbouzes, sur lesquels planait l’ombre de Charles Pasqua. Le renseignement serait donc une pieuvre qui viendrait s’attaquer à toutes nos libertés, celle d’aller et venir, celle d’avoir un domicile inviolable, celle d’avoir une conversation secrète. Tout un chacun téléphone à chaque moment de la journée sans savoir qu’il sera localisé et identifié si les services le souhaitent, en particulier lorsqu’ils sont étrangers.

Intellectuels et avocats s’opposent totalement à la notion de renseignement. Journalistes et actrices aussi, bien évidemment, puisque les unes et les autres ont souvenir de certaines des intrusions qui ont pu être reprochées à l’un de nos présidents préférés. (Sourires.) Quoi qu’il en soit, toute notre élite rejette le renseignement. Il suffit pour s’en convaincre de lire tous les articles qui ont pu paraître dans la presse – c’est même très étonnant. Le bâtonnier de Paris, homme éminent s’il en est, évoque un mensonge d’État, un fourre-tout où domine l’arbitraire. C’est tout de même assez fort.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme est radicalement contre, c’est le moins que l’on puisse dire. Ses réserves sont, de manière paradoxale, appuyées par des personnalités de tous rangs : extrême droite, extrême gauche, extrême centre (Sourires) mais également par le Front national – si présent pendant ces débats ! – trop heureux de jouer, avec M. Collard et Mme Le Pen, le rôle de la Venus effarouchée, du défenseur des libertés, après s’être essayé à être le chantre de la laïcité. On croit rêver quand on entend Mme Le Pen parler de texte liberticide !

Alors, il a fallu rompre avec cette idéologie. Et c’est sans doute le ministre de l’intérieur, la garde des sceaux, le ministre de la défense mais également le président de la commission des lois qui ont réussi à faire cette rupture. Car finalement, on peut écouter les positions qui divergent de ces bien-pensants. On peut aussi et surtout reconnaître et accepter que la République est menacée et que la sécurité est sans doute et même assurément la première des libertés.

On peut espérer qu’un large consensus, malgré ce que j’ai entendu, sera trouvé grâce à un texte enrichi au cours de toutes les lectures et lors de son passage en CMP, des garanties renforcées ayant été données et obtenues, en particulier, et je tiens à le souligner, grâce au président Urvoas.

Le principe de proportionnalité entre les dangers encourus par la société et les atteintes à la liberté individuelle a été fort justement respecté. À pouvoir renforcé, contrôle renforcé, n’ont cessé de rappeler le Premier ministre, le ministre de l’intérieur, le président de la commission des lois et la garde des sceaux. Ils ont bien raison.

II est vrai que cette loi ne s’applique pas qu’au terrorisme mais également à la criminalité organisée et au piratage industriel et économique.

Nous devons protéger nos entreprises, nous devons protéger notre territoire, nous devons protéger la France y compris de nos meilleurs alliés, qu’ils soient Allemands ou Américains. Et, madame la garde des sceaux, je suis quand même extraordinairement surpris de voir que la France ait pu être espionnée au plus haut niveau entre 2006 et 2012, pendant six années, sans qu’on le sache, d’après ce qui nous est dit.

De deux choses l’une : soit nos services sont incompétents, soit c’est inexact. Mais comment peut-on admettre qu’une grande démocratie comme la France ait pu laisser surveiller, espionner, contrôler toutes ses élites pendant six années ? Si cela ne nous pose pas question… Jadis, pour une telle affaire, on déclarait la guerre !

M. Pascal Popelin. On va peut-être y réfléchir à deux fois !

M. Alain Tourret. En 1870, il a suffi de la dépêche d’Ems. En 1830, il a suffi d’encore bien moins avec le bey d’Alger. Alors, je me pose de nombreuses questions à ce sujet. Mon sentiment est qu’il faut pouvoir obtenir le même niveau de renseignement que nos principaux alliés et que les principales puissances. Avoir l’arme atomique, c’est être certain de ne pas recevoir l’arme atomique. En tout cas c’est ce qui a été démontré depuis 1945 : c’est la dissuasion. Et c’est par la dissuasion avec un renseignement du plus haut niveau que nous pourrons éviter d’être soumis nous-mêmes à ces intrusions insupportables de la part de nos alliés, si l’on peut encore les caractériser d’alliés.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très juste !

M. Alain Tourret. La France a toujours eu des espions. Farewell, par exemple, un espion extraordinaire. Mais c’était un Russe, en Russie. Et on ne peut pas dire que la Russie de l’époque était notre meilleur allié ! Donc le rôle de Farewell était incontestable. Mais à part lui, j’ai cherché des espions français en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis… Je n’ai trouvé personne ! Ou alors nous l’apprendrons prochainement dans quelque roman policier de type L’espion qui venait du froid, ce sera passionnant… (Sourires.)

Bref, pour l’instant, je n’ai trouvé personne. En revanche, j’ai entendu avec beaucoup d’intérêt et peut-être une certaine naïveté M. le Premier ministre déclarer que la France n’avait, elle, jamais espionné ses alliés. (Sourires.) Si c’est vrai, je suis prêt…

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Ne prenez pas d’engagement !

M. Alain Tourret. …à brûler quelques cierges,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous allez vous brûler les doigts !

M. Alain Tourret. …mais laïc comme je le suis, j’espère ne pas avoir à le faire.

M. Philippe Nauche. Ils étaient de mèche ! (Sourires.)

M. Alain Tourret. L’un de nos anciens préfets s’est beaucoup penché sur les liens entre la bataille pour l’emploi et la bataille du renseignement. Comme lui, je veux souligner que la bataille économique est une véritable réalité et que c’est en grande partie par le renseignement qu’elle sera gagnée ou perdue. La France ne se rend pas bien compte des préjudices colossaux qu’elle subit du fait du pillage économique, alors qu’elle-même s’en dispense, si j’en crois M. le Premier ministre.

Il fallait donc élaborer une nouvelle loi, une loi qui assure la défense des libertés tout en permettant des intrusions contre ces libertés. Il fallait un juste milieu, et je pense qu’il a été trouvé.

Mais, madame la garde des sceaux, je veux vous poser une question. J’ai entendu M. le Président de la République dire qu’il allait saisir le Conseil constitutionnel, ce qui a été présenté comme une grande nouveauté depuis 1958. Je dois vous avouer que je ne comprends pas cette initiative. Je voudrais donc qu’on me l’explique. De deux choses l’une. S’il s’agit en fait du Conseil d’État, alors il a déjà été consulté ! Qu’il donne un avis au Gouvernement et à la représentation nationale, c’est très bien. Mais le Conseil constitutionnel, à moins que je ne connaisse mal ma Constitution, n’a pas vocation à donner des avis éclairés au Gouvernement : il sanctionne, ou il ne sanctionne pas ! Pour le saisir, nous serons donc bien obligés d’indiquer quelles dispositions nous semblent contraires à la Constitution dans le texte que nous allons adopter ! Tout cela m’interpelle très fortement.

Selon vous, si je comprends bien votre raisonnement, il appartient à la plus haute autorité de l’État, garante des libertés, de saisir le Conseil constitutionnel, ce qui constituera une garantie vis-à-vis de tous ceux qui craignent pour les libertés individuelles. Mais là encore, je ne vous suis pas : c’est au législateur, c’est à l’Assemblée nationale d’être la première garante des libertés ! C’est nous autres, députés, qui garantissons les libertés, et non le pouvoir exécutif !

M. Jean Lassalle. Absolument !

M. Alain Tourret. C’est essentiel, madame la garde des sceaux ! C’est pourquoi j’invite tous mes collègues députés à saisir, s’il le faut, le Conseil constitutionnel. Dès lors, nous retrouverons notre rôle nécessaire de défenseurs des libertés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faudra offrir un exemplaire de la Constitution à Alain Tourret !

M. Alain Tourret. Les députés du groupe RRDP – les radicaux et leurs alliés – voteront ce projet de loi opportun, indispensable, qui renforce la sécurité des Français au moment où celle-ci est gravement menacée. Ils sont convaincus que ce texte, qui devra faire l’objet d’une procédure de revoyure, ménage les libertés dans une période troublée, protège nos intérêts économiques et, surtout, assure la paix publique.

M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche.

M. Philippe Nauche. Ce projet de loi relatif au renseignement vient parachever les importantes réformes entreprises depuis 2008 pour doter la France de capacités techniques, humaines et financières en matière de renseignement, en adéquation avec les enjeux stratégiques contemporains.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a réaffirmé, dans la continuité de la programmation militaire précédente, que la fonction « connaissance et anticipation » était un élément fondamental de notre stratégie de sécurité nationale et la condition de notre autonomie stratégique. Les six services qui composent la communauté du renseignement ont vu leur coordination renforcée, depuis 2009, autour d’un Conseil national du renseignement qui arrête désormais une stratégie nationale du renseignement.

Ce projet de loi vient donc consolider les évolutions entreprises ces dernières années pour mettre en place une véritable politique publique en matière de renseignement. C’est à ce titre qu’il avait été largement approuvé par la commission de la défense nationale et des forces armées de notre assemblée. Contrairement à ce que certains ont affirmé, il ne s’agit pas d’un projet de loi de circonstance, dicté par l’émotion suscitée par les attentats meurtriers de janvier dernier, même s’il comporte des mesures majeures en matière de lutte antiterroriste.

Ce projet de loi comble les lacunes d’une législation éparse, dont certaines dispositions étaient entrées en vigueur il y a plus de vingt ans, bien avant l’explosion des communications téléphoniques et des réseaux électroniques de télécommunications. Il permet de doter les services de renseignement d’outils techniques adaptés à ces évolutions technologiques et aux mutations de la menace. Surtout, il donne à notre politique publique de renseignement un cadre juridique clair et stable, plus protecteur, tant pour les agents de ces services que pour l’ensemble des citoyens. Il organise également un contrôle très strict des activités de renseignement, grâce à un cadre contraignant, à des procédures lisibles, à une autorité administrative indépendante aux pouvoirs renforcés et à un contrôle juridictionnel inédit. Il définit enfin les domaines précis qui doivent être suivis par les services et, contrairement à ce que certains répètent en boucle, ne correspond pas à un dispositif d’écoutes généralisées et sans contrôle.

Les lectures dans les deux chambres ont permis de clarifier le texte sur un grand nombre de points, de renforcer l’encadrement des procédures d’urgence ainsi que les conditions de recours aux IMSI-catchers, d’accroître les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement ou encore d’instaurer un principe d’évaluation de la loi dans un délai de cinq ans.

Je dirais donc que le texte adopté par la commission mixte paritaire la semaine dernière est un texte équilibré, tant par les droits qu’il accorde aux services que par les garanties qu’il offre, en contrepartie, aux citoyens. En outre, les modalités de la nomination du président de la CNCTR, que nous examinons aussi aujourd’hui et qui feront recours à une procédure parlementaire, vont renforcer encore l’indépendance de cette autorité par rapport à l’exécutif. J’invite donc tous les détracteurs de ce texte à le lire dans le détail, pour en saisir l’équilibre et comprendre le progrès démocratique qu’il constitue.

Cela a été dit au cours de nos débats : c’est dans la capacité de la future autorité indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, à effectuer son contrôle, assortie de la capacité de saisine du Conseil d’État, que réside la meilleure garantie de protection des droits individuels.

Il nous appartiendra donc à tous d’être particulièrement attentifs à la mise en place de cette nouvelle commission, afin qu’elle dispose des moyens nécessaires à l’exercice de son contrôle. Le Gouvernement en a conscience : des décisions doivent donc être prises très rapidement afin qu’à l’entrée en vigueur de la loi, qui est très proche, la CNCTR dispose de locaux, de personnels et d’outils adaptés à l’exercice de ses missions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. J’ai rarement vu un texte qui interpelle autant mes compatriotes que celui sur lequel nous avons l’honneur de travailler à nouveau cet après-midi. Pourtant, à première vue, il semblait qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat : il paraissait même plus que logique et naturel de nous doter des moyens de nous défendre contre un ennemi violent et déterminé.

Monsieur le président de la commission des lois, j’ai donc été très étonné d’entendre tant de compatriotes me dire que c’était une honte d’avoir voté ce texte sans plus de garanties que celles qu’il contient, ou que n’étais capable d’expliquer. D’autres me disant que c’était une honte qu’il se soit trouvé quatre-vingts députés parmi nous pour ne pas le voter… Cela faisait un moment que nos compatriotes ne nous avaient pas parlé sur ce ton – à moins que je ne rencontre pas ceux qu’il faudrait… En fait, j’ai le sentiment que ce texte n’est peut-être pas la réponse qu’il faudrait apporter à l’acte odieux commis sur notre territoire en janvier dernier, épreuve dont notre peuple s’est immédiatement relevé quelques jours plus tard – et de quelle manière !

En tout cas, il y a un malaise. Et, comme l’a souligné M. Tourret, ce malaise est tel que le Président de la République lui-même s’est senti obligé de consulter le Conseil constitutionnel – ou ce qu’il en reste, si je peux me permettre, parce qu’à vrai dire, il ne m’inspire plus beaucoup confiance…

M. Jean-Yves Caullet. C’est réciproque !

M. Jean Lassalle. Je veux bien que ce soit réciproque, mais j’ai le droit de le dire ici, et je le répète, mon cher collègue.

Quant au Conseil d’État, nous l’avons réduit, au cours des législatures précédentes, au rôle de vague secrétariat aux affaires courantes du Gouvernement, sans aucune vision. Je n’en dirai pas plus.

Le problème, c’est que je n’ai plus confiance. Lorsque nous disons, au nom du peuple français, que nous élaborons un texte qui nous permettra de nous défendre, je vibre dans mon for intérieur, dans ce que j’ai de plus intime, comme l’ensemble des 577 députés qui ont l’honneur de siéger ici. Mais lorsque je regarde un peu plus loin, je me demande jusqu’où nous irons. Dans un monde où il existe tant de moyens de contrôler l’individu, jusqu’à l’incontrôlable, est-il digne pour notre grand pays d’ériger une loi qui ne donne pas au peuple les moyens de surveiller le contrôle qu’il s’assigne à lui-même ? Attention !

Je ne suis qu’un modeste député, mais fier de l’être et pour l’instant, je suis encore en fonctions. Je suis très troublé, monsieur le président de la commission des lois. Je suis aussi très honoré d’avoir la chance de participer à un débat aussi libre, aussi ouvert, pour la deuxième fois à l’Assemblée nationale. Je sais que nous saurons trouver la force de répondre avec bon sens à l’une des grandes questions qui se posent à notre temps, au début du premier siècle de ce troisième millénaire, en pleine période de mondialisation où tous les repères se perdent, y compris celui des États, sur lequel se basent les valeurs qui constituent certainement le plus grand apanage d’un des peuples les plus avancés au monde. Nous devrons encore nous poser d’autres questions, notamment sur notre rôle et sur la place d’un État à reconstruire dans notre pays qui en a plus que jamais besoin. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale commune est close.

Texte de la commission mixte paritaire (Renseignement)

M. le président. J’appelle maintenant le texte du projet de loi relatif au renseignement élaboré par la commission mixte paritaire.

Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisi.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Cet amendement vise à garantir le plein respect de nos règles constitutionnelles. Le Gouvernement propose de supprimer les alinéas 27 et 124 introduits par la commission mixte paritaire. Bien entendu, la surveillance de certaines personnes étrangères séjournant temporairement dans notre pays peut se justifier au titre de la sauvegarde des intérêts fondamentaux mentionnés à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, mais il n’apparaît pas justifié de priver les procédures d’autorisation et de mise en œuvre des garanties prévues par l’article L. 821-1.

Autrement dit, les mesures de surveillance à l’égard des étrangers de passage doivent être autorisées et mises en œuvre sous le contrôle de la CNCTR, dans les mêmes conditions que les mesures de surveillance pouvant viser d’autres personnes. Certes, les déplacements de certains non-résidents dont les activités justifient une surveillance au regard des finalités prévues par la loi sont inopinés ou, parfois, dissimulés, ce qui implique de réagir dans un très bref délai. Toutefois, nous sommes certains que la CNCTR, demain, saura traiter aussi rapidement qu’aujourd’hui les demandes d’avis qui lui seront présentées. Il pourra par ailleurs être fait application, le cas échéant, de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 821-2. Dès lors, il n’y a pas de raison de prévoir une procédure dérogatoire pour les étrangers non-résidents.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur, pour donner l’avis de la commission.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Le Sénat a adopté l’ensemble des amendements qui vous sont présentés. Sauf à rejeter les conclusions de la CMP, ce qui est naturellement inenvisageable, je vous invite à adopter ces amendements, de même que les cinq amendements rédactionnels que j’ai déposés, qui sont simplement de coordination et qui n’appellent aucun commentaire.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. J’aurai l’occasion de m’exprimer globalement, dans quelques instants, sur ce projet de loi. En attendant, constatons que le nombre d’amendements, notamment rédactionnels, est exceptionnellement élevé pour un texte sorti de CMP, ce qui prouve, s’il en était besoin, que ce projet de loi aurait mérité une seconde lecture étant donné les enjeux.

En voici une nouvelle illustration avec cette disposition incroyable concernant les non-résidents. Un problème de clarté se posait, s’agissant de la différence entre les étrangers et les résidents habituels. Sortir du chapeau, en CMP, une disposition nouvelle posait un problème constitutionnel, comme l’a souligné le rapporteur du Sénat. Elle créait surtout un problème de fond sur un régime spécial et inédit. Je résumerai cela en citant Jean-Marie Delarue dans Le Monde : « Ne nous méprenons pas : ce n’est nullement l’immigrant érythréen ou syrien qui est visé. Mais celui qui est soupçonné d’être menaçant pour les intérêts français : l’homme politique, l’homme d’affaires ou encore le vrai ou faux riche touriste… Ceux-là pourront être surveillés, par autorisation directe du Premier ministre. La commission de contrôle ne pourra, après coup, protester que si c’est un Français ou un étranger résidant en France qui aura été écouté. »

Alors, pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi cet amendement, monsieur le rapporteur ? On peut se poser la question : est-ce l’administration qui fait la loi ? En lisant le rapport de la CMP, vous suggérez que ce genre de collecte a pu se pratiquer par le passé. C’est encore plus inquiétant. Nous sommes tous d’accord pour donner un cadre légal au renseignement, mais en réalité, ce dont il est question ici, ce serait de donner cours à des pratiques très contestables et illégales. Et c’est finalement cela l’objet d’une grande partie de ce projet de loi.

Pour ma part, je ne cesse de me réjouir de la saisine transpartisane du Conseil constitutionnel qui est en cours. Je me réjouis aussi de cet amendement de suppression, sans que cela m’empêche d’être très inquiet en vous voyant charger la barque de la collecte de renseignement. Vous procédez avec une légèreté très inquiétante et finalement très similaire à ce que fait la NSA.

Madame la secrétaire d’État, ceux qui s’opposent à ce texte ne sont ni des amis des terroristes, ni des anti-Cazeneuve, ni des menteurs. Nous ne faisons qu’appliquer ce que disait Victor Hugo : « Le législateur, en élaborant la loi, ne doit jamais perdre de vue l’abus qu’on peut en faire ». Je sais que, par principe, vous ne croyez pas ce qui est écrit dans la presse. Eh bien l’opposition démocratique et parlementaire, par principe, se méfie de ce que proposent la majorité ou le Gouvernement, et quand je vois certaines dispositions introduites en CMP, je me dis que c’est une bonne chose.

(L’amendement n8 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement no 1.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Amendement de coordination, monsieur le président.

(L’amendement n1, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement no 2.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Amendement rédactionnel, monsieur le président.

(L’amendement n2, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n6.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je voulais m’exprimer sur l’amendement n2, monsieur le président !

M. le président. Le vote a eu lieu. Exprimez-vous sur l’amendement n6, mon cher collègue.

M. Lionel Tardy. Je vous avais fait signe, c’est sur l’amendement n2 que je voulais m’exprimer !

(L’amendement n6 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n7.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Amendement de précision.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Favorable.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Duflot.

Mme Cécile Duflot. Cet amendement, présenté comme un amendement de précision, tient en une seule phrase : « Supprimer cet alinéa. » Je voudrais donc donner lecture de l’alinéa en question : « L’agent mentionné au précédent alinéa peut, dans le seul cadre de la relation ou du témoignage réalisé devant la commission, faire état d’éléments ou d’informations protégés au titre du secret de la défense nationale ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnels ou des missions des services mentionnés à l’alinéa précédent. »

Il ne s’agit pas d’un amendement de précision, puisqu’il supprime un alinéa. Et, en supprimant cette disposition, on interdit de fait à la CNCTR de recueillir des éléments couverts par le secret de la défense nationale et on met donc les lanceurs d’alerte dans l’incertitude.

L’article 40 du code de procédure pénale, vous le savez, se heurte systématiquement au secret défense. C’était donc l’apport très important de la procédure des lanceurs d’alerte que de permettre, devant la seule CNCTR, de s’en affranchir. En supprimant cette précision, vous enlevez un apport que nous estimons absolument nécessaire.

Sans vouloir un seul instant vous mettre en cause personnellement, madame la secrétaire d’État, je dois dire que considérer cet amendement, ou le présenter, comme un amendement de précision est, si je puis me permettre, un peu fort de café. Il est vraiment très rare qu’un amendement dit « de précision » rende un texte plus imprécis ! C’est le cas de celui-ci. Voilà pourquoi nous voterons contre, mais nous aimerions encore mieux qu’il soit retiré, puisque, je le dis, il fragilise la situation des lanceurs d’alerte et qu’il avait été spécialement rédigé pour protéger les agents qui relèvent du secret de la défense nationale.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

Dans la même veine, je dois dire que contrairement à ce qu’indique son exposé sommaire, cet amendement n’est effectivement pas « de précision ». Il remet en question le dispositif prévu pour les lanceurs d’alerte : c’est très clairement un pas en arrière. En effet, selon le texte issu de la CMP, l’agent lanceur d’alerte peut, lorsqu’il y a une illégalité bien sûr, faire état devant la CNCTR d’informations secret défense ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnels. C’est ce qui semble vous poser problème : la partie sur la sécurité des personnels et le déroulement des missions. Cependant, avec cet amendement à la fausse qualification, vous supprimez l’ensemble de l’alinéa, et donc la possibilité pour le lanceur d’alerte de donner des informations confidentielles mais utiles à la CNCTR. Vous sapez tout l’édifice.

Pourquoi ce pas en arrière ? C’est incompréhensible. Le Snowden français va devoir se cacher, si un jour il existe – et ce projet de loi lui donnerait matière à exister. C’est regrettable. L’expérience américaine, justement, aurait dû nous instruire, ce qu’elle n’a visiblement pas fait. Compte tenu de l’actualité, comment peut-on raisonnablement défendre cet amendement ? Ce n’est pas parce qu’on n’a rien à cacher qu’on n’a rien à craindre, à mon avis, et le Président de la République doit être d’accord avec ce point de vue. Si cet amendement est adopté, vous réussirez l’exploit d’aggraver ce texte qui pose déjà des questions sur le plan juridique. On a beau s’attendre au pire, il nous surprendra toujours.

Je souhaite terminer sur un simple exemple. Au-delà de l’aspect technique, qui rendra potentiellement inefficaces et contre-productifs des dispositifs comme les boîtes noires, nous devons une nouvelle fois nous méfier des abus qu’un pouvoir politique peu scrupuleux pourrait – j’ai bien dit « pourrait » – faire de cette loi. Rien n’empêche ainsi le suivi d’un parti politique ou d’un syndicat, et je vais le prouver rapidement.

Si le Gouvernement estime, par exemple qu’un tel groupement risque de porter atteinte à la forme républicaine des institutions, soupçon plus que flou, il pourra le surveiller. L’avis de la CNCTR n’étant pas contraignant, celle-ci aura beau se prononcer contre cette surveillance, cela n’y changera pas grand-chose. Il en ira de même si elle saisit le Conseil d’État : en attendant que celui-ci se prononce, la surveillance aura lieu. Quant au justiciable, vous me direz qu’il pourra aussi saisir le Conseil d’État… mais à la condition bien entendu qu’il sache qu’il est surveillé, ce qui, par définition, n’est pas évident !

Voilà pourquoi la surveillance politique est un abus rendu possible par ce texte, et voilà l’une des raisons pour lesquelles il ne faut pas accepter cet amendement.

La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. J’appuie les deux interventions critiques précédentes et je voudrais formuler ici un questionnement qui devrait, je crois, nous saisir tous. Les tentations de contrôle sont réelles et sérieuses. Nous l’avons vu récemment, avec la révélation par la presse de dispositifs de surveillance mis en œuvre par des États alliés, même si nous en connaissions l’existence. Et l’on voit bien que les pouvoirs sont, par définition, soumis à des tentations autoritaires de surveillance, surtout dans les démocraties qui bénéficient, usent et abusent de dispositifs de contrôle qui, parfois, les dépassent.

Ces dispositifs de contrôlé ne sont pas autorégulés, ils ne sont pas toujours contrôlés – nous l’avons vu dans de nombreux cas – et ne rencontrent comme résistance que ces fameux lanceurs d’alerte. Ces derniers ne sont pas ceux qui sont surveillés mais ceux qui, animés par un souci éthique, constatent dans leur métier un certain nombre de dérives dans les pratiques, d’abus des outils mis à leur disposition, et se rendent compte de la grande fragilité de nos démocraties lorsque les technologies l’emportent sur le reste.

Autant les amendements précédents vont dans le bon sens, autant celui-ci porte, à mon avis, atteinte à ce qui est le plus précieux dans le moment que traversent ces démocraties fragiles : la vigilance justement de celles et ceux qui, bien qu’étant au service de l’État, restent quand même résolus à ne pas accepter les entorses aux principes, les entorses au droit commises au nom de la protection et du renseignement aux libertés et aux droits fondamentaux.

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi.

Mme Danielle Auroi. Je crois qu’il faut en effet souligner l’importance et le rôle des lanceurs d’alerte. Dans cette loi sur le renseignement, il faut vraiment les protéger. Ce ne sera pas le cas si nous adoptons cet amendement n7.

(L’amendement n7 est adopté.)

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, j’avais demandé la parole sur l’amendement n7 !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Amendement rédactionnel, monsieur le président.

(L’amendement n3, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement no 4.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Amendement de précision.

(L’amendement n4, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Amendement de coordination.

(L’amendement n5, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

Discussion des articles (Nomination du président de la CNCTR)

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Article unique

M. le président. Deux orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cette proposition de loi organique, qui nous vient du Sénat, s’inscrit dans la logique du projet de loi sur le renseignement que, personnellement, j’ai combattu au début du mois de mai. Il s’agit cependant d’un progrès par rapport au texte initial, puisque la nomination du futur président de la CNCTR sera soumise à un vote des commissions compétentes des deux assemblées, en application de l’article 13 de la Constitution. Cela renforce l’indépendance de la Commission, il faut le saluer – la composition de la CNCTR est d’ailleurs un des seuls points sur lesquels le projet de loi initial a été modifié dans le bon sens. Je ne saurais donc être défavorable à cette proposition de loi organique. J’avais d’ailleurs déposé un amendement pour que les parlementaires siégeant à la CNCTR soient aussi nommés après un vote des commissions compétentes.

J’en profite, même s’il vient d’être voté, pour dire quelques mots sur l’état actuel du projet de loi dans sa globalité, après la CMP, car l’absence de seconde lecture empêche l’expression des parlementaires. Je regrette encore une fois vivement que ce projet de loi fasse l’objet d’une procédure accélérée – comme quoi le Gouvernement n’a pas besoin que de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution pour éviter le débat.

L’évaluation du texte dans les cinq ans, présentée comme une avancée, ne répond pas à grand-chose car en attendant, pendant cinq ans, une loi que je qualifierais pour ma part de « limite » va être appliquée. Si le recul sur les étrangers est logique, je me suis exprimé à ce sujet, celui sur les lanceurs d’alerte l’est beaucoup moins, je l’ai également dit.

Quant à la suppression de la partie sur le renseignement pénitentiaire, je ne sais pas trop comment expliquer à nos concitoyens que leurs données personnelles pourront être recueillies pour des motifs très larges, mais que ce ne sera pas le cas pour les prisonniers, y compris ceux qui se radicalisent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-Françoise Bechtel et M. Pascal Popelin. Ce n’est pas vrai !

M. Lionel Tardy. J’en profite pour dire que depuis l’examen de ce texte en première lecture à l’Assemblée, la commission aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a estimé que les boîtes noires aboutiraient à un nombre important de faux positifs. La présidente de la CNIL a quant à elle répété que ce projet de loi reste profondément déséquilibré, et le vice-président de la Commission européenne, tout en respectant son devoir de réserve, a estimé que ce texte « pourrait soulever d’importantes questions de droit ». Rien que ça ! Ce ne sont que des exemples…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous n’avez pas lu le texte !

M. Patrick Mennucci. On ne l’a pas vu en commission !

M. Lionel Tardy. J’étais bien présent en commission, j’ai fait tout ce qu’il fallait, ne vous inquiétez pas pour moi. Si vous ne m’avez pas vu en commission, c’est que vous n’avez pas bien suivi les débats.

Le Conseil constitutionnel, je l’espère, fera un peu de ménage. En attendant, toutes les petites avancées, comme cette proposition de loi organique, sont bonnes à prendre, même s’il en faudrait beaucoup plus pour rendre le projet de loi relatif au renseignement acceptable.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. À vrai dire, je trouve assez surprenant que ceux-là mêmes qui s’étonnent d’être surveillés instituent des dispositifs de surveillance pour d’autres. À ce stade, la question porte sur le rôle, les missions d’une commission, et sur les modalités de nomination de son président. Nous devrions nous arrêter quelques instants sur cette procédure particulière, dans laquelle les technologies l’emporteront sur les hommes censés les maîtriser.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Mais ce n’est pas le sujet !

M. Pouria Amirshahi. Beaucoup de choses ont été dites, notamment à propos des IMSI-catchers et des algorithmes dont les algorithmiciens eux-mêmes expliquent qu’ils sont très difficilement déchiffrables et compréhensibles. Même si je sais que les parlementaires qui siégeront dans la commission seront de bonne foi et de bonne volonté, nous savons tous pertinemment qu’il leur sera très difficile de comprendre le langage très obscur que les spécialistes ont eux-mêmes du mal à maîtriser.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Pouria Amirshahi. C’est le nœud du problème soulevé par cet article : quelles seront les capacités réelles de contrôle dans les missions de surveillance ? Je rappelle, au passage, que le champ de ces missions a été tellement élargi que l’on en est arrivé à légaliser certaines choses qui devaient l’être, mais aussi certaines choses inadmissibles.

Pour conclure, à l’issue d’un processus de dialogue que je ne nie pas, car nous y avons consacré un certain temps en dépit de la procédure accélérée, je tiens à dire que ce débat ne fait que commencer. Dans notre pays, la discussion relative à l’approfondissement de la démocratie n’est pas finie. Certes, nos démocraties semblent parfois en panne, saisies de panique ; alors, par mimétisme, elles sont tentées d’imiter, au moyen de technologies trop fascinantes, ceux-là mêmes qu’elles veulent combattre.

Nous sommes cependant au début d’une grande réflexion démocratique : je vous invite tous à y contribuer, à la nourrir. C’est justement au cours des mois, des années à venir, dans ce monde trouble où chacun se surveille, où les nations se concurrencent les unes les autres, où les citoyens se font face, que des questions lourdes seront posées, concernant le renouveau de la démocratie dans ce qu’elle a de plus sacré : le respect des droits et des libertés fondamentales. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme Isabelle Attard. Très bien !

Vote sur l’article unique

M. le président. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi organique.

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi organique.)

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, à vingt et une heures quarante-cinq :

Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly