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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 11 juillet 2016

Présidence de M. François de Rugy

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Stockage en couche géologique des déchets radioactifs

Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue (n3755).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, avant d’examiner en détail la proposition de loi qui vous est soumise, et ses amendements, je crois utile de la replacer dans le travail de long terme mené depuis plus de vingt ans sur la gestion des déchets nucléaires.

La proposition de loi constitue une étape importante d’un processus de long terme, qui dépasse les clivages politiques et relève directement de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures.

Vous le savez, la France a fait dans les années 1970 le choix stratégique de l’énergie nucléaire en se dotant progressivement d’un parc de cinquante-huit réacteurs qui lui assurent la production d’une électricité décarbonée et compétitive.

La filière d’excellence qui s’est structurée autour de ce choix a permis le déploiement d’installations industrielles productives et sûres, sous le contrôle permanent de l’État et des autorités de sûreté.

Le maintien de l’énergie nucléaire comme une composante essentielle de notre production d’électricité a été confirmé dans la loi sur la transition énergétique, qui a fixé un objectif de 50 % d’énergie nucléaire dans notre mix électrique à l’horizon de 2025.

Mais, nous le savons tous, l’énergie nucléaire produit des déchets dont il nous faut assumer la gestion sur le long terme. La France s’est donc dotée d’un cadre législatif pour la gestion des déchets radioactifs par la « loi Bataille », du nom de son auteur, que je salue, spécialiste s’il en est des questions nucléaires. Cette loi du 30 décembre 1991 fixait notamment des axes de recherches pour la gestion à long terme des déchets les plus radioactifs : les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue.

Ces déchets principalement issus de l’exploitation des réacteurs nucléaires de production d’électricité représentent environ 3 % du volume de l’ensemble des déchets radioactifs, mais 99 % de leur radioactivité totale. La loi Bataille a créé un cadre de gestion responsable de ces déchets à la fois par le Gouvernement et par le Parlement.

L’un des axes de recherche identifiés par ce texte pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue était le stockage en couche géologique profonde. Les études ont été confiées à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, ou ANDRA, établissement public créé par cette même loi et indépendant des producteurs de déchets.

Pour conduire ses recherches sur leur stockage, l’ANDRA a créé un laboratoire souterrain à Bure, dans le sud du département de la Meuse, à quelques centaines de mètres du département de la Haute-Marne. C’est donc dans la couche argileuse, à 500 mètres de profondeur, âgée de 160 millions d’années et retenue pour ses propriétés de confinement de la radioactivité à de très longues échelles de temps, que l’Agence a étudié la faisabilité du stockage de ces déchets.

En 2005, après quinze ans de recherche, l’ANDRA a remis au Gouvernement un rapport établissant la faisabilité industrielle du stockage des déchets dans la zone investiguée. Après évaluation de ces travaux scientifiques par la Commission nationale d’évaluation et l’Autorité de sûreté nucléaire, ou ASN, et après un débat public national, la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs a retenu le stockage en couche géologique profonde comme solution de référence pour la gestion à long terme de ces déchets.

L’option adoptée par la France en 2006 a d’ailleurs été confortée au niveau européen par la directive 2011/70/Euratom du 19 juillet 2011 établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs, qui préconise le stockage géologique profond.

La loi du 28 juin 2006 a donc prescrit à l’ANDRA de concevoir et de préparer l’implantation d’un centre de stockage à proximité du laboratoire de Bure, parallèlement à la poursuite des recherches conduites dans le laboratoire. Ce projet industriel d’envergure, nommé Cigéo – acronyme de Centre industriel de stockage géologique – est prévu au centre de la nouvelle région « Grand Est », créée par la réforme territoriale, qui accueille, depuis plus de quarante ans, des installations importantes de l’ANDRA pour la gestion d’autres types de déchets radioactifs.

La loi de 2006 impose à l’ANDRA une caractéristique décisive pour la conception de son stockage – celui-ci doit pouvoir être réversible – et prévoit qu’une loi nouvelle devra définir les conditions de cette réversibilité.

Le complément que le législateur doit donc apporter à la loi de 2006 peut aujourd’hui bénéficier de dix années d’études supplémentaires, ainsi que des conclusions du second débat public national organisé en 2013 sur ce projet. Préciser le cadre dans lequel l’ANDRA doit poursuivre ses études permettra de rendre plus robuste le dossier de demande d’autorisation de création de Cigéo et fiabilisera la mise à disposition d’une solution de gestion pérenne et sûre.

C’est pour poursuivre le travail engagé depuis 2006 que les sénateurs Longuet et Namy ont déposé une proposition de loi sur la réversibilité du stockage Cigéo. Ce texte adopté le 17 mai au Sénat par une très large majorité de 333 voix contre dix demeure très proche d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 10 novembre 2015 par MM. Le Déaut, Dumont et Bataille.

Celle-ci a fait l’objet d’un examen et d’un vote conforme, le 29 juin, par la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, présidée par M. Jean-Paul Chanteguet. Elle contient les éléments appelés par la loi de 2006. En effet, elle précise la notion de réversibilité applicable à Cigéo. Elle introduit une phase industrielle pilote au démarrage de l’installation, conformément aux conclusions du débat public de 2013. Enfin, elle prévoit plusieurs dispositions techniques nécessaires à la poursuite du projet, relatives notamment à la maîtrise foncière, et aménage son calendrier pour mieux correspondre aux conditions de mise en œuvre du projet.

La proposition de loi n’est en rien une autorisation du projet. Si une autorisation doit intervenir, ce ne sera pas avant 2021, et elle sera délivrée par décret en Conseil d’État après une instruction technique de l’Autorité de sûreté nucléaire, un avis de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, des collectivités locales concernées, de la Commission nationale d’évaluation et une enquête publique.

Cette autorisation permettra la réalisation de la phase pilote au cours de laquelle la démonstration de la sûreté de l’exploitation devra être pleinement apportée par l’ANDRA. Les résultats de la phase industrielle pilote feront l’objet d’un rapport de l’ANDRA, d’un avis de la Commission nationale d’évaluation et d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, transmis pour examen à l’OPECST.

Si le rapport de l’OPECST en confirme la pertinence, le Gouvernement pourra alors déposer un projet de loi précisant les conditions du passage à l’exploitation courante du centre de stockage.

C’est au terme de l’analyse des résultats de la phase industrielle pilote que l’ASN pourra in fine délivrer l’autorisation de mise en service complète de l’installation, dont le caractère réversible sera réévalué tous les dix ans.

Le Gouvernement partage pleinement le souci des parlementaires d’horizons politiques différents qui ont proposé depuis plus d’un an des dispositions permettant de préciser les conditions de la poursuite du projet Cigéo. Nous pouvons être fiers du dispositif élaboré en France depuis 1991 pour une gestion sûre et responsable de nos déchets radioactifs, qui marque notre souci de responsabilité vis-à-vis des générations futures. La proposition de loi complète et précise utilement ce dispositif.

Le Gouvernement la soutient donc pleinement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains)

M. le président. La parole est à M. Christophe Bouillon, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Christophe Bouillon, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons porte sur les modalités, notamment la réversibilité, de la création d’une installation de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue.

Elle s’inscrit pleinement dans la continuité d’une série de textes examinés et votés par le Parlement. C’est en 1991 que celui-ci adopte la loi Bataille, dont je salue l’auteur, relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Il s’agit du premier jalon de ce processus.

C’est en 1994 que quatre sites possibles pour l’installation d’un laboratoire de recherche en profondeur sont validés. En 1998, le site de Bure, situé à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne, est retenu. En 2000, commencent les travaux d’implantation du laboratoire souterrain.

En 2005, l’ANDRA remet au Gouvernement un dossier dans lequel elle conclut à la faisabilité et à la sûreté du stockage profond sur le site de Bure, tandis que le Commissariat à l’énergie atomique ou CEA remet les conclusions de ses études alternatives au stockage profond, c’est-à-dire à la séparation-transmutation et l’entreposage de longue durée. Au cours de la même année, un débat public est organisé sur la gestion des déchets radioactifs, par la Commission nationale du débat public.

En 2006, après un débat au Parlement, une loi est votée. Elle retient le stockage réversible profond comme la solution la plus sûre sur le très long terme pour gérer les déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

En 2013, un nouveau débat public est organisé, toujours sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

En 2015, un avant-projet sommaire prépare les options techniques relatives à la réversibilité, ce qui ouvre la voie au dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Ce texte a été déposé au Sénat le 30 mars 2016 par Gérard Longuet, Christian Namy et plusieurs de leurs collègues. Il s’inspire fortement d’une proposition de loi semblable, déposée devant l’Assemblée nationale le 10 novembre 2015 par Jean-Yves Le Déaut, Jean-Louis Dumont et Christian Bataille, trois acteurs essentiels, très investis sur ce thème et dont je salue le travail.

Le texte était attendu, étant annoncé dès l’article 12 de la loi du 28 juin 2006 qui prévoyait une « loi fixant les conditions de réversibilité ». Selon ce même article, ce n’est qu’après promulgation de cette loi, que « l’autorisation de création du centre peut être délivrée par décret en Conseil d’État, pris après enquête publique ».

Deux débats publics ont donc été organisés et deux lois adoptées, avant la présente proposition de loi qui est la troisième. Le Parlement a été consulté et associé au processus décisionnel à plusieurs reprises. D’autres rendez-vous sont prévus, notamment par ce texte. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a été elle aussi étroitement associée au processus. En effet, le 3 février dernier, l’ANDRA a été entendue. Le 1er mars, ce fut le tour de l’Autorité de sûreté nucléaire. Un an auparavant, le 4 mars 2015, des membres de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – IRSN – se sont exprimés devant cette même commission.

Le texte qui nous est soumis n’a donc pas pour principal objet le principe même du stockage souterrain mais les modalités de sa réversibilité. En effet, il a d’emblée été décidé que le stockage devait avoir un caractère réversible afin de ne pas obérer les capacités de décision des générations futures. Il s’agit d’un choix éthique et responsable. En prévoyant la réversibilité du stockage des déchets et en la facilitant, nous permettons à nos descendants de les gérer autrement si à l’avenir une autre solution était mise au point ; dans le cas contraire, les générations futures resteront libres de les gérer en fonction des solutions techniques disponibles ou de les laisser stockés en profondeur.

Cette proposition de loi ne vaut pas décision d’exploitation du centre de stockage. La décision ultime incombera au pouvoir exécutif qui prendra, ou pas, le décret autorisant sa création, après enquête publique et sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire. Une fois pris ce décret d’autorisation, vers 2025, une phase industrielle pilote sera mise en œuvre pendant environ cinq ans. Il s’agira de réaliser des opérations d’essai de stockage, de colis inactifs dans un premier temps, afin de préparer le bon démarrage de Cigéo et la montée en régime de son exploitation. Si cette étape est concluante, les premiers déchets radioactifs ne seront reçus qu’après autorisation de mise en service par l’Autorité de sûreté nucléaire, soit après 2030.

Les phases de l’évolution du centre de stockage souterrain se succéderont sous un étroit contrôle. Celui de l’Autorité de sûreté nucléaire a déjà été mentionné ; par ailleurs, le Parlement sera encore consulté car une loi sera nécessaire pour aller au-delà de la phase pilote. Les collectivités territoriales concernées, qui font également l’objet d’une consultation dans la phase actuelle, seront à nouveau consultées à l’issue de la phase industrielle pilote. Enfin, des revues de mise en œuvre du principe de réversibilité sont prévues. Elles devaient initialement avoir lieu au moins tous les dix ans, mais un amendement sénatorial a réduit à cinq ans l’intervalle entre deux revues.

La présente proposition de loi opère quatre modifications de la loi de 2006 et du chapitre correspondant du Code de l’environnement relatives à la définition de la notion de réversibilité, au lancement d’une phase industrielle pilote qui marquera le début de l’exploitation industrielle du site, à l’adaptation de la procédure d’autorisation et à l’adaptation du calendrier initial. Tout d’abord, la proposition de loi définit la notion de réversibilité comme suit : « La capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Elle prévoit en outre des revues périodiques de la mise en œuvre du principe de réversibilité tous les cinq ans au moins.

Elle prévoit ensuite que l’exploitation du centre de stockage débutera par une phase industrielle pilote, conformément aux attentes exprimées lors du débat public organisé en 2013, visant notamment à conforter le caractère réversible de l’installation et à faire la démonstration de sa sûreté par un programme d’essais in situ. Les colis de déchets devront donc être aisément récupérables au cours de cette phase. Afin de tenir compte de l’ajout d’une phase pilote, le texte adapte en outre les procédures d’autorisation du centre de stockage en couche géologique profonde. Il prévoit ainsi que la phase pilote fera l’objet d’une autorisation de mise en service restreinte, l’autorisation de création couvrant ensuite l’ensemble du projet. Cette autorisation de mise en service des phases ultérieures ne pourra être accordée qu’après promulgation d’une loi débattue sur la base d’un rapport de l’ANDRA présentant les résultats de la phase industrielle pilote.

Enfin, le dispositif envisagé procède à l’adaptation du calendrier de mise en œuvre. Il propose un ajustement des échéances initialement prévues par la loi de 2006. Il prévoit notamment un dépôt de demande d’autorisation de création du centre en 2017 au lieu de 2015 comme prévu initialement et reporte l’exigence de maîtrise foncière au moment de sa mise en service afin de permettre des acquisitions progressives de terrains ou de tréfonds cohérentes avec la progressivité du développement des ouvrages.

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté sans modification ce texte équilibré et nécessaire lors de sa réunion du 29 juin dernier. Les maîtres mots de cette proposition de loi sont responsabilité, progressivité, adaptabilité et flexibilité.

Deux écueils doivent être évités. Le premier consiste à définir un projet figé s’étalant sur plus de cent ans sans laisser aux générations suivantes la possibilité et la capacité de le remettre en cause et de revoir la copie en modifiant ses options. Le second écueil, qui menace plus d’un, consisterait à ne rien faire et à refuser d’assumer notre responsabilité. Ces déchets, en effet, existent. Les plus anciens, qui seront stockés notamment à Bure, existaient déjà avant la naissance de la plupart d’entre nous. La génération qui nous a précédés en a produit, notre génération a fait de même et continue à en produire. Ne pas s’en occuper, c’est laisser les générations qui suivent se débrouiller avec. Le choix de la réversibilité, telle qu’elle est définie dans cette proposition de loi, ouvre une voie qui évite ces deux écueils au profit de la responsabilité partagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Bertrand Pancher. Bravo !

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de Mme Cécile Duflot une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Cécile Duflot.

Mme Cécile Duflot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, chers collègues, je vous invite en cet instant à faire preuve de la plus grande vigilance. L’enjeu dont nous discutons cet après-midi ne s’inscrit pas dans la cartographie classique des polémiques qui occupent le plus souvent notre hémicycle. La question des déchets nucléaires et de leur enfouissement convoque la notion même de responsabilité. En effet, les actes considérés auront des conséquences pendant des millénaires. Cette perspective comporte évidemment quelque chose de vertigineux et je conçois aisément qu’elle puisse déconcerter.

Le temps politique est souvent soumis au chronomètre électoral, considéré comme seul juge de paix de nos arbitrages. Telle décision facilitera-t-elle une réélection ? Sera-t-elle comprise ? L’art de gouverner, à l’heure des réseaux sociaux, est aussi l’art de plaire dans le temps immédiat. Il est aussi celui de dissimuler ce que l’on ne veut pas montrer au grand public. Je ne découvre pas cette réalité, qui est ancienne, et n’ai aucune naïveté au sujet de l’état de nos démocraties et du débat public. La crise démocratique, nous la connaissons et nous la constatons ! Elle est profonde et l’Histoire retiendra peut-être, malheureusement, que ce quinquennat l’a aggravée encore ! Par ces propos, je n’accable personne ; mais je ne me résigne pas à voir l’intérêt général devenir un paramètre parmi d’autres des décisions complexes. La dictature du court terme empoisonne le champ politique.

La protection des biens communs – et notre avenir en est un – doit à tout instant demeurer notre boussole. Je plaide ici pour que le temps long ensemence notre façon de voir et d’agir en politique, au contraire du texte que nous sommes en train d’examiner, car l’écologie n’est pas seulement un évangile de la sauvegarde mais bel et bien une révolution des consciences. Nous ne pouvons agir comme si le monde commençait et finissait avec nous. Nous devons forger et défendre une vision politique mise au service de la survie de l’humanité et de la préservation de la planète. Où allons-nous ? Que faisons-nous ? Quelle vision de nos lendemains communs guide nos décisions ? Une telle vision déplace dans le temps les limites de notre agir politique.

Par nos choix du temps présent, hérités en grande partie du passé follement nucléariste de notre pays, nous conditionnons le futur et donc la vie des générations dont notre avenir sera le présent. Voilà, au fond, ce dont nous débattons cet après-midi !

Permettez-moi, chers collègues, d’évoquer ici un problème de fond. Nous sommes appelés à nous prononcer sur un texte quasi vide, réduit à l’annonce d’un futur décret. Il est dangereusement vide ! Ni les coûts ni les risques ne sont portés à notre connaissance. Il ne faut pas seulement s’en émouvoir mais refuser de trancher des questions si profondes en disposant de si peu d’éléments. Le principe de responsabilité doit nous amener à refuser de nous prononcer à l’aveuglette. On ne gère pas l’avenir des déchets nucléaires à Colin-maillard ! Prenez en considération, chers collègues, le fait que ni l’Autorité de sûreté nucléaire ni l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire n’ont pu émettre un avis sur ce texte !

J’en viens au coût de ce qui nous est proposé, pour m’en étonner et dénoncer avec force le double langage de celles et ceux qui ont régulièrement et longuement évoqué ici la nécessité d’une véritable rigueur budgétaire lorsqu’il s’agissait de s’opposer à des avancées sociales destinées à nos concitoyennes et nos concitoyens mais oublient complètement la nécessité de maîtriser les coûts lorsqu’il s’agit de continuer à enfoncer la France dans l’hiver nucléaire ! Je vous alerte sur le fait qu’on demande aux députés de donner leur aval à un nouveau tonneau des Danaïdes !

J’en veux pour preuve que l’ANDRA évalue le coût de Cigéo à 34,5 milliards d’euros. D’autres estimations s’élèvent même à 41 milliards d’euros ! La phase pilote dont il est question dans le texte coûterait à elle seule 5,7 milliards d’euros, hors crédits de recherche, d’ici à 2034, or EDF n’a provisionné que 5 milliards d’euros ! Les difficultés financières de la filière nucléaire soulèvent clairement la question de sa capacité à financer de telles installations. Le report du démantèlement des centrales à uranium naturel graphite gaz, qui vient d’être annoncé, jette une lumière crue sur la réalité des difficultés financières actuelles d’EDF. Par ailleurs, la quasi-totalité de ces provisions consiste en actions sujettes aux aléas de la Bourse. Dès lors, comment penser que ce projet est économiquement raisonnable ? Écologiquement contestable, il est économiquement néfaste ! Aucune habileté ni aucun maquillage de la réalité ne masqueront les menaces qu’il fait peser sur une gestion rigoureuse des deniers publics !

Tout cela pour quoi ? Dans quel but ? Cigéo représente 80 000 m3 de déchets de moyenne et haute activité à vie longue, qui sont les plus dangereux jamais produits et resteront radioactifs pendant des milliers à des millions d’années. J’insiste sur ce point : pendant des milliers à des millions d’années ! Cigéo implique également la construction d’infrastructures gigantesques destinées au stockage des déchets, à la fois en profondeur – 300 km de galeries souterraines – et en surface. Ces déchets arriveront à un rythme de deux trains par semaine depuis La Hague pendant un siècle ! Je répète, que chacun écoute : deux trains par semaine depuis La Hague pendant un siècle ! À elle seule, la phase pilote évoquée dans la loi nécessitera le creusement de 40 km de galeries.

M. Jean-Louis Dumont. C’est faux !

Mme Cécile Duflot. Cigéo représente aussi des rejets radioactifs gazeux en surface tout au long de l’exploitation du site, car les déchets dégageront de l’hydrogène qu’il faudra évacuer en permanence. En cas de problème d’évacuation, il existera un risque d’explosion d’hydrogène. Dès lors, le risque d’incendie ne peut être exclu, notamment si des déchets bitumineux sont enfouis, et il sera impossible d’intervenir. Cigéo aura aussi pour conséquence quasiment inévitable la contamination à terme des nappes phréatiques. Qui, en effet, peut juger de la stabilité géologique des roches sur des millions d’années ? Personne ! Faut-il que je poursuive cette funeste énumération ? À l’évidence oui, car la réalité que je décris, pourtant connue de tous, ne nous empêche pas d’avancer à grands pas vers la catastrophe !

J’ajoute que la fragilité de la roche a déjà été prouvée par l’éboulement survenu le 26 janvier dernier. Il est pourtant prévu de poursuivre le creusement des galeries tout au long de la phase d’exploitation, ce qui fragilisera plus encore les galeries existantes. Sur ce sujet, le Réseau Sortir Du Nucléaire, auquel je rends ici hommage, a alerté à raison la ministre de l’environnement en février dernier. Je regrette d’ailleurs son absence, monsieur le secrétaire d’État. Je ne doute pas que le secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie que vous êtes n’ait des compétences sur d’autres sujets que les siens, mais celui-ci engage la France, notre pays et ses habitants, pour des millions d’années et la ministre en charge de l’écologie et de l’énergie aurait toute sa place au banc du Gouvernement ! Votre sourire, je crois, me donne raison !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Je suis poli, c’est tout !

Mme Cécile Duflot. J’en viens à un argument encore plus décisif contre ce projet. La réversibilité dont vous avez tous parlé, notamment vous, monsieur le rapporteur, est une mascarade, je le dis avec force. C’est un quasi-mensonge, ce qui explique, une fois de plus, notre refus du coup de force qui est en route. L’écologie est une étoile qui doit éclairer les décisions de l’avenir. Personne n’a le droit de la voiler par les tromperies d’éléments de langage destinés à gagner du temps et à faire retomber la pression en votant une loi un lundi après-midi de juillet, discrètement, sans permettre que le débat légitime sur une question aussi importante ait lieu.

À n’en pas douter, c’est la stratégie du fait accompli qui prévaudra comme elle prévaut déjà. On parle de « pilote », mais le « laboratoire » ont il était auparavant question s’est transformé en « site pressenti ». Des travaux commencent déjà alors que l’autorisation n’a même pas été accordée. La « phase pilote », sous couvert de dispositif expérimental, n’est qu’un moyen de commencer le projet par petits bouts, en construisant déjà les principales infrastructures. Puis on nous dira qu’avec tous les frais engagés, avec la réalité qui est la nôtre, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Cette stratégie du fait accompli, nous la refusons. Disons les choses avec gravité pour que les Françaises et les Français soient informés et pour que l’on retrouve ces propos dans le compte rendu, si ce n’est dans des millions d’années, du moins dans des dizaines d’année : en cas d’accident, mesdames et messieurs les parlementaires, il ne sera tout simplement pas possible de récupérer les déchets, comme le montrent deux exemples. Dans l’ancienne mine de sel d’Asse, où les déchets ont été attaqués par des infiltrations d’eau non prévues, il est impossible de récupérer les fûts. Et les gestionnaires de Waste Isolation Pilot Plant, aux États-Unis, n’ont rien pu faire – rien ! – lorsqu’ils ont été confrontés à un incendie en profondeur.

Voilà la part de conviction que je voulais défendre ici, en espérant – il faut toujours espérer en effet – emporter l’adhésion. Le sujet qui nous occupe mérite que l’on redessine les clivages. La question principale est ici que par vos votes vous fassiez émerger un parti de l’avenir aux frontières inédites, une force qui défende enfin le droit des habitants et des habitantes de notre pays à espérer que leur environnement, et partant leur santé et leur existence même, soient protégés.

Il n’y a pas de solution simple pour les déchets radioactifs. Là aussi, il faut dire la vérité : nous sommes condamnés à vivre avec et à les surveiller pendant toute la durée du temps humain. Mais le Gouvernement se précipite avec une mauvaise méthode – je le dis, monsieur le secrétaire d’État, conduire ce débat de cette manière n’est pas digne du sujet sur lequel nous devons travailler – pour mettre en œuvre d’une option qui rendrait inopérantes toutes les autres, imposant de fait un choix dangereux aux générations futures. En cas de problème, les risques seront encore moins maîtrisables. Et en cas de découverte ultérieure permettant une gestion plus sûre des déchets – car c’était bien le projet qui était une des raisons du lancement du programme électronucléaire français, la promesse qui a englué la France dans le tout-nucléaire : nous étions censés savoir mettre fin à la radioactivité des déchets avant le démantèlement des premières centrales –, si, donc, une telle découverte survenait, ce que j’espère et ce qui explique l’attachement que nous autres écologistes portons à la recherche, nous serions dans l’incapacité de récupérer ces déchets alors même que nous maîtriserions une technologie de suppression de la radioactivité.

M. Jean Lassalle. Très juste !

Mme Cécile Duflot. C’est totalement illogique et inacceptable, vous le comprenez bien !

Je conclurai cette intervention en indiquant ce que vous savez déjà. Les déchets existants sont là. Mais il est possible de ne pas en rajouter d’autres, en mettant en œuvre une véritable sortie du nucléaire. Nous avons déjà eu ce débat et une loi a été votée. C’est donc plus qu’un regret que je veux exprimer ici, c’est une forme de désespoir. Car cette loi ne sera pas appliquée par la ministre qui l’a fait voter. J’avais formulé, au nom du groupe écologiste, la crainte qu’elle ne fût qu’une loi de papier, et elle est en train de le devenir.

M. Julien Aubert. De papier recyclable…

Mme Cécile Duflot. Pourtant, nous voyons les conséquences du maintien d’un haut niveau de production à partir du nucléaire. La production de déchets fait peser sur nous une responsabilité considérable à l’égard des générations futures, des générations qui peut-être, et c’est là le plus grave, auront oublié l’existence de ces déchets radioactifs mortels dans la durée et dans un périmètre géographique infini. Êtes-vous sérieusement prêts à endosser cette responsabilité face aux générations à venir ? Là est la question !

Notre responsabilité est immense et nul ici ne l’a rappelé aussi brillamment qu’Aimé Césaire. Le poète écrivait ainsi : « Prends garde architecte, car tu es bâtisseur de pestilence. » Que son alarme nous réveille et nous enjoigne de construire l’avenir plutôt que de l’enterrer. Je vous invite, mes chers collègues, à rejeter cette proposition de loi.

Mme Laurence Abeille, Mme Michèle Bonneton et M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe Les Républicains.

M. Julien Aubert. Le groupe Les Républicains votera contre cette motion de rejet préalable pour deux raisons.

Mme Duflot a parlé de coûts, elle a parlé de trains, de kilomètres, de détails pratiques. Certes, il y a là matière à d’intéressantes discussions. Je regrette au passage que le débat sur la loi relative à la transition énergétique, qui soulevait également des questions pratiques, n’ait pas été l’occasion de démontrer la même attention au sujet du nombre d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques nécessaires à une telle transition.

En revanche, Mme Duflot n’a pas parlé de droit. Or une motion de rejet préalable suppose que l’on invoque des dispositions contraires à la Constitution justifiant le rejet du texte. Sur la forme, donc, nous sommes totalement hors sujet. Nous avons entendu une déclaration politique qui a sa valeur propre mais qui n’offre pas la moindre argumentation pour fonder en droit le rejet de ce texte.

Au plan du droit, d’ailleurs, le principe de réversibilité me semble constitutionnellement très acceptable, en ce qu’il est très proche du principe de précaution.

Mme Cécile Duflot. Cela n’a rien à voir !

M. Julien Aubert. La réversibilité, en somme, c’est l’assurance de ne pas s’enferrer dans un dispositif dont on s’apercevrait après coup qu’il n’est pas forcément optimal. Si vous vouliez parler de droit ou contester cette interprétation, il fallait le faire lorsque l’occasion vous en était donnée, ma chère collègue !

Le deuxième argument est de fond. Vous avez parlé de l’autorisation du projet Cigéo, vous avez parlé de l’avenir du nucléaire, or ce texte ne parle ni de l’autorisation du projet Cigéo ni de l’avenir du nucléaire.

Parce que vous êtes hors sujet sur la forme comme sur le fond, nous voterons contre.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. Nous voterons évidemment contre cette motion de rejet préalable.

Nous pensons en effet que le développement durable repose d’abord sur le principe de responsabilité, et que le principe de responsabilité veut que notre génération gère la question des déchets nucléaires et ne laisse pas aux générations futures le soin de se débrouiller avec une accumulation de déchets. Nous avons ici l’occasion de le faire.

Certes, comme l’a souligné Julien Aubert, ce texte n’inscrit pas dans la loi le principe du stockage. Il s’agit néanmoins d’une étape dans ce qui sera un stockage, sans doute, mais un stockage assuré dans de vraies conditions de réversibilité. Nous nous inscrivons en faux contre l’idée que le processus ne sera pas réversible, car tel est le cas. L’expérimentation qui va être lancée tiendra le plus grand compte de protections étudiées depuis près de vingt ans pour répondre à ce débat.

Non, cette proposition de loi n’arrive pas en catimini. Depuis vingt ans, je le répète, que l’on travaille et discute le sujet, le débat public a fait évoluer la problématique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Jean-Yves Le Déaut. Si le groupe socialiste ne s’associe pas à cette motion de procédure, c’est au nom du même principe que celui invoqué par Mme Duflot, à savoir le principe de responsabilité. Non, le Gouvernement ne se précipite pas. J’ai eu la chance de suivre ce dossier depuis un certain nombre d’années, plus précisément depuis 1991, avec la loi portée par notre collègue Christian Bataille. Il y a donc maintenant vingt-cinq ans que le Parlement suit ce dossier. Il n’a subi aucune accélération. Au contraire – et je partage les propos qui ont été tenus : nous ne sommes pas là dans le droit, mais dans la politique –, certaines personnes souhaitent qu’il s’enlise. La loi de 2006 disposait que le dossier Cigéo devait être déposé en 2015. Nous sommes aujourd’hui contraints de reporter ce dépôt, comme il est indiqué dans le texte, à 2018, car cela n’a pas été possible.

Il fallait, sur un sujet compliqué, « laisser du temps au temps ». C’est ce que nous avons fait. Mais il faut régler ce dossier maintenant, sans quoi il va s’enliser.

Selon vous, la réversibilité est une mascarade.

Mme Cécile Duflot. Oui. C’est juste un mot.

M. Jean-Yves Le Déaut. Et bien non, madame la députée. Elle est même assortie dans ce texte de précautions qui ne figuraient pas dans la loi de 2006. Est ainsi prévu, dans une phase préalable, un essai industriel sur une alvéole expérimentale qui permettra de vérifier en grandeur nature si la réversibilité est possible. De plus, nous n’envisageons pas la réversibilité en fonction d’un temps indéterminé mais sur cent ans. Comme il faut attendre une cinquantaine d’années avant de pouvoir effectivement stocker les déchets, la durée totale est de cent cinquante ans.

Bref, nous nous laissons cent cinquante ans pour voir si les techniques évoluent.

Mme Michèle Bonneton. Eh bien, attendons !

M. Jean-Yves Le Déaut. Est-il pour vous inadmissible que l’on se fixe cette durée à un moment donné ?

Ne rien faire aujourd’hui serait irresponsable, car cela reviendrait à transmettre aux générations futures l’obligation de traiter ce sujet. Que l’on soit contre ou pour le nucléaire, on aura de toute façon à gérer la question des déchets.

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de Mme Michèle Bonneton une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

Vous avez la parole, madame Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous vient du Sénat, où elle a été déposée le sénateur Gérard Longuet. Elle n’est pas accompagnée d’une étude d’impact, ce qui est normal puisqu’il s’agit texte d’initiative parlementaire.

Depuis 2013, il a été tenté d’introduire ce texte une quinzaine de fois, par exemple dans la loi relative à la transition énergétique, où il n’a d’ailleurs jamais émergé, et dans la loi pour la croissance et l’activité, où il est arrivé en toute fin de parcours avant d’être retoqué par le Conseil constitutionnel. Ces tentatives n’ont jamais abouti.

Comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, une proposition de loi très semblable à celle dont nous débattons a été déposée à l’Assemblée nationale le 10 novembre 2015 par MM. Le Déaut, Dumont et Bataille, mais elle n’a jamais été mise à l’ordre du jour. Aujourd’hui, ce texte nous est proposé dans la plus grande précipitation, le lundi de la semaine du 14 juillet et le lendemain de la finale de l’Euro 2016, qui était quand même prévue de longue date !

M. André Vallini, secrétaire d’État et M. Guy Geoffroy. Et alors ?

Mme Michèle Bonneton. Je vous laisse apprécier. Je n’en conclus rien, je me contente de soumettre ce fait à votre méditation.

Cette proposition de loi a trait aux déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, tels qu’en produisent principalement nos centrales nucléaires, le CEA et notre défense. Comment traiter ces déchets ? C’est un problème extrêmement difficile que les écologistes ont soulevé sans cesse depuis que la France a décidé de produire une forte proportion de son électricité à partir de l’énergie nucléaire.

La loi dite Bataille du 30 décembre 1991 fixe les règles concernant les déchets nucléaires ultimes. Elle a été complétée par la loi du 28 juin 2006, laquelle préconise comme solution la création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde, destinée aux déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Le site géologique de la couche d’argile de Bure a été choisi.

Cependant la demande d’autorisation de création que cette loi prévoyait en 2015 doit être reportée en 2018, pour tenir compte des conséquences du débat public de 2013.

La réversibilité doit être définie, l’introduction d’une phase pilote est devenue nécessaire après le débat public. Ce sont ces points que le projet de loi d’aujourd’hui aborde.

Il s’agit d’enfouir des déchets radioactifs qui restent extrêmement dangereux pendant des centaines de milliers d’années, voire des millions d’années. L’inventaire des déchets enfouissables n’est d’ailleurs pas encore arrêté à ce jour. Actuellement, ces déchets sont stockés dans des contenants adaptés à La Hague ou près des lieux de leur production.

Cette proposition de loi est censée définir la notion de réversibilité, très différente du principe de précaution, monsieur Aubert, lequel ne définit d’ailleurs pas du tout la réversibilité. Il s’agit essentiellement d’intégrer les progrès technologiques – en l’espèce la transmutation, encore impossible aujourd’hui mais que l’on espère réalisable à l’avenir, proche ou lointain – ou une évolution de la politique énergétique, pendant une durée supérieure à 100 ans. Mais qu’est-ce que 100 ans au regard de la durée de vie de ces déchets, de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’années ?

Ce texte tend à inclure « la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérente avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage ». Or, la durée n’est pas précisée, mais il est bien mentionné qu’il y aura fermeture du stockage – on ne pourra donc plus récupérer quoi que ce soit.

En réalité, ce texte tente d’introduire une confusion entre réversibilité et récupérabilité. La réversibilité est définie de façon floue, comme devant permettre de poursuivre le stockage, ou de « de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Chacun pourra y trouver ce qu’il souhaite, avec une telle imprécision.

Ainsi, cette réversibilité n’implique pas que l’on puisse récupérer les colis au-delà de la phase industrielle pilote. Par ailleurs, cette phase pilote est annoncée devoir durer cinq ans. Au-delà, il y a aura peut-être réversibilité mais pas récupérabilité possible des déchets déposés ! Autrement dit, on s’interdit tout vrai retour en arrière possible !

M. le rapporteur du texte au Sénat a reconnu, de toute façon, qu’en couches profondes, compte tenu des mouvements des couches d’argile, la récupération serait quasiment impossible au-delà de cinquante ans.

Cette proposition de loi pose le principe de la phase industrielle pilote qui marquera le début de l’exploitation industrielle du site. Le Gouvernement pourrait autoriser l’exploitation industrielle par simple décret en Conseil d’État, comme l’a à nouveau précisé M. le secrétaire d’État. Ce décret pourra autoriser la création du centre de stockage à Bure, en Haute-Marne. Ainsi, le Parlement ne pourra pas débattre de cette création et l’inscrire, ou non, dans une loi ! On reconnaît bien là la tactique de l’engrenage : on enclenche un nouveau cran qui rend le retour en arrière extrêmement difficile, si ce n’est impossible.

Selon la loi de 2006, le Gouvernement devait présenter un projet de loi sur la réversibilité, ce qui offrait l’avantage de l’étude d’impact, non prévue dans le cadre de la proposition de loi. L’autorisation de créer le centre pouvait ensuite être donnée par décret si certaines conditions étaient remplies.

En l’espèce, la procédure proposée est toute différente puisque ce n’est qu’après le décret d’autorisation du centre que le Gouvernement pourrait présenter un projet de loi pour adapter les conditions d’exercice de la réversibilité. La nuance est importante car il ne s’agirait plus de réversibilité dans son ensemble mais de ses conditions d’exercice. Autrement dit, si ce texte était adopté, c’est lui qui servirait de référence pour définir la notion de réversibilité. C’est pourquoi j’ai insisté sur ce point tout à l’heure.

Si l’Assemblée nationale adoptait la proposition de loi Longuet transmise par le Sénat, le projet Cigéo serait gravé dans le marbre de la loi sans que ce soit tenu un débat parlementaire approfondi, sans tenir compte des questions et des nombreux arguments de la société civile et des citoyens depuis trente ans, que le projet d’enfouir en profondeur les déchets nucléaires ne cesse d’inquiéter.

Peut-être n’avez-vous pas abordé ce sujet autour de vous, mes chers collègues, mais pour ma part, à chaque fois que je l’ai soulevé, j’ai recueilli inquiétude et réprobation. Je tenais à le souligner car nous ne pouvons pas négliger l’avis de nos concitoyens.

Je ne citerai que quelques-uns des risques potentiels, chacun pouvant conduire à une catastrophe du fait de la dangerosité de ces déchets radioactifs qui dégagent, en plus de leur radioactivité, de l’énergie, de la chaleur, de l’hydrogène et j’en passe. Les risques d’incendie et d’explosion à 500 mètres de profondeur – l’hydrogène, extrêmement explosif, et la chaleur ne font pas bon ménage –, les pannes de ventilation, les actes de terrorisme, les malveillances, les accidents divers : autant de points d’interrogation auxquels l’ANDRA ne répond pas, ou de manière parcellaire.

Les essais au laboratoire souterrain de Bure, censés valider les méthodes de creusement du tunnelier, se sont révélés problématiques : un éboulement typique d’une paroi d’argile en front de taille a fait un mort le 26 janvier 2016. Ce drame fait suite à un autre accident mortel, survenu le 15 mai 2002, au moment du creusement des puits du laboratoire. Ces événements terribles témoignent des difficultés à sécuriser ces travaux.

Et je ne parle pas de la dégradation des contenants sur le très long terme, qui conduirait à une dissémination de la radioactivité dans la géosphère, ni des risques géologiques, car chacun sait que les plaques tectoniques sont en mouvement, que la géomorphologie de la terre n’est pas fixée à jamais. Bien malin qui pourrait prédire ce qui se passera au cours des quelques centaines de milliers d’années à venir – séisme, venue d’eau plus importante que prévue, changement climatique provoquant dessèchement des couches d’argile et fissuration de celles-ci etc.

Sortons un peu de l’Hexagone. Au niveau européen, la directive du 19 juillet 2011 établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs, appelle chaque État membre à mettre en place une politique de gestion de ses déchets nucléaires. Cette directive reste ambiguë quant à la question du stockage en grande profondeur. Ainsi, tout en rappelant que « nous sommes loin d’une position très affirmative », « il est communément admis que sur le plan technique, le stockage en couche géologique profonde constitue actuellement la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des déchets de haute activité et du combustible usé considéré comme déchet ».

L’expression « Il est communément admis » est très loin de constituer une preuve scientifique !

Avant Giordano Bruno et Galilée, il était « communément admis » que le soleil tournait autour de la terre.

Avant Pascal et ses expériences sur la pression atmosphérique, il était « communément » admis que la nature a horreur du vide.

Il y a un siècle et demi, avant Fraunhoffer, Kirchhoff et la spectroscopie, il était « communément admis » que le soleil était une boule de feu.

D’ailleurs, les réalisations réelles récentes démentent clairement l’assertion de la directive.

Aux États-Unis, après vingt ans d’étude, le Waste Isolation Pilot Plant a accueilli des déchets radioactifs à partir de 1999, mais il a été fermé en février 2014, suite à l’incendie d’un camion qui transportait des sels radioactifs à moins de 650 mètres sous terre. Une semaine plus tard, une contamination radioactive à l’américium et au plutonium était détectée en surface. Vous savez, le plutonium, ce petit élément radioactif dont l’inhalation d’un seul milligramme suffit à provoquer inéluctablement un cancer du poumon. Malgré une filtration haute efficacité de la ventilation, des éléments radioactifs très dangereux ont été rejetés à l’extérieur du site, contaminant des employés. Partiellement rouvert en 2016, le site a été à nouveau fermé.

En Allemagne, la mine d’Asse, qui devait être totalement étanche, a été utilisée au cours des années 1970 pour stocker des déchets moyennement radioactifs avant d’être transformée en laboratoire de recherche souterrain, ce qui a été jugé dangereux en raison de la nature des déchets et des infiltrations. En 1978, ce stockage a été interdit et depuis 1995 le site est en cours de démantèlement, avec beaucoup de difficultés techniques et des coûts élevés – à ma connaissance, de l’ordre de 2 milliards d’euros.

En France, le site de Stocamine, dans le Haut-Rhin, ouvert en 1999 à 550 mètres de profondeur dans une ancienne mine de potasse stockait, des déchets chimiques très toxiques – mercure, arsenic, amiante, cyanure, plomb…. Il a dû cesser son activité de stockage trois ans plus tard suite à un incendie. Actuellement, une phase de déstockage rencontre d’énormes difficultés, à tel point qu’il est préconisé de tout laisser en l’état. Des risques de long terme pour la nappe phréatique ne sont pas à exclure. Le sénateur de la Moselle, Jean-Louis Masson, a même parlé de « désastre de l’enfouissement des déchets chimiques à Stocamine ». Et c’est un professionnel qui connaît son sujet.

Parmi tous les pays qui produisent de l’électricité à partir d’énergie nucléaire, la France est le seul à miser sur le stockage de déchets en couche géologique profonde, alors que l’état actuel de nos connaissances et des techniques ne permet pas de répondre aux questions posées par cette technologie.

Les retours d’expérience montrent que la moins mauvaise des méthodes reste aujourd’hui celle du stockage en subsurface – c’est d’ailleurs l’un des trois axes de recherche identifié par la loi Bataille de 1991. Cette technologie, utilisée en Allemagne et aux États-Unis, garantit une solution de stockage pendant des centaines d’années et répond aux exigences de réversibilité, tout en permettant de récupérer les colis radioactifs. Elle coûte, de surcroît, bien moins cher que celle préconisée avec Cigéo.

La seule phase industrielle pilote est évaluée à 6 milliards d’euros. L’investissement total s’élèverait à 35 milliards d’euros sur un siècle, selon l’ANDRA, mais le Gouvernement l’a fixé à 25 milliards d’euros. À vouloir réduire les coûts, la sécurité sera-t-elle aussi bien assurée ? On parle déjà de suivre l’avis d’EDF et de ne creuser qu’un tunnel de descente, alors que l’ANDRA en préconise deux. Rappelons le contexte d’une filière nucléaire en quasi-faillite, avec une opération de sauvetage d’Areva très coûteuse, un surendettement connu d’EDF de l’ordre de 50 milliards d’euros, sans compter le grand carénage des centrales existantes, évalué à 100 milliards d’euros par la Cour des comptes, et la probable nécessité de supporter les 23 milliards des EPR d’Hinkley Point en Angleterre.

Il n’est pas besoin d’être un ancien directeur financier d’EDF pour comprendre que ces engagements financiers sont impossibles à tenir ! On est en droit de s’interroger : y aurait-il une volonté d’en finir avec le service public à la française de l’électricité en organisant la faillite d’EDF ? Il serait urgent de changer de logique pour sauver EDF…

Beaucoup de questions pourraient encore être posées, comme l’a d’ailleurs fait remarquer un collègue lors des explications de vote sur la motion de rejet préalable.

Pourquoi se presser ? Selon l’avis de la conférence de citoyens rendu le 3 février 2014, « Il n’y a pas réellement d’urgence à décider du projet » car les déchets actuels entreposés sur les sites des centrales et à la Hague ne peuvent pas, de toute façon, être stockés en l’état puisqu’ils ont besoin d’au moins soixante ans pour refroidir. Au moins un point d’accord avec le groupe socialiste, écologiste et républicain...

Les citoyens estiment donc qu’il est préférable de mettre à profit cette période pour mieux explorer les voies alternatives que sont l’entreposage en subsurface et la transmutation.

Quel sera l’état des contenants de ces galeries dans quelques siècles, dans des millénaires, dans des centaines de milliers d’années ? L’argile est très sensible aux changements de température et d’hygrométrie, la croûte terrestre n’est pas statique, et l’on ignore quelle est l’imperméabilité à long terme des couches géologiques.

Par ailleurs, des investissements aussi considérables se feront aux dépens de la transition énergétique et les énergies renouvelables, alors que, dans ces domaines, de nombreux pays consentent de grands efforts et font des progrès considérables. Allons-nous prendre beaucoup de retard dans ces nouvelles technologies ?

D’immenses incertitudes demeurent, tant économiques que scientifiques et techniques. Ce n’est pas parce que l’on glissera les déchets sous le tapis qu’ils cesseront d’être radioactifs ! Ce serait un déni de réalité que de poursuivre dans cette voie du stockage profond des déchets de l’industrie nucléaire. Du point de vue de l’intérêt général, ce serait même un pari dangereux pour la santé humaine, pour des centaines de milliers d’années.

Les députés écologistes ont le sens des responsabilités ; ils s’opposeront à ce texte, proposé sans étude d’impact, et qui pourrait exposer chacun, dans un avenir proche ou lointain, à un Tchernobyl souterrain.

Pour un examen plus approfondi et l’élaboration d’un nouveau texte, nous demandons le renvoi en commission de cette proposition de loi.

Mme Cécile Duflot, M. Sergio Coronado et Mme Laurence Abeille. Très bien !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote. La parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe Les Républicains.

M. Julien Aubert. Le groupe Les Républicains s’opposera à cette motion de renvoi en commission. L’argumentaire développé par notre collègue montre que les débats qui ont eu lieu en commission n’ont pas perlé jusqu’à l’ancien groupe écologiste ! On se trompe de sujet : il ne s’agit pas de discuter de l’autorisation du projet Cigéo ! J’ai été étonné que Mme Bonneton explique qu’en votant cette proposition de loi, nous graverions le projet dans le marbre.

Mme Michèle Bonneton. Il faut lire le texte !

M. Julien Aubert. Nous sommes ici pour parler de réversibilité. J’ai été surpris aussi par l’expression « Tchernobyl souterrain ». Quant aux arguments juridiques, notre collègue a oublié de mentionner que la censure du Conseil constitutionnel ne portait pas sur le fond mais sur la forme, notamment la présence de cavaliers législatifs.

Enfin, Mme Bonneton a expliqué que ce texte n’avait aucun lien avec le principe de précaution. Je vous renvoie au site de l’ANDRA : la réversibilité est intrinsèquement liée au principe de précaution, puisqu’il s’agit d’éviter un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement, à un coût économique acceptable. C’est bien l’objet du projet Cigéo. Le principe de précaution est même poussé très loin : pour éviter, sur le très long terme, toute migration de radioactivité vers la surface, il est prévu un enfouissement dans un milieu géologique stable et anhydre, à l’échelle des temps géologiques, et l’emploi d’un conteneur métallique, quasi inaltérable à l’air et à l’eau. Le risque que de l’eau perle à travers les couches géologiques et finisse par corroder le conteneur est, avouez-le, faible !

Voilà les raisons pour lesquelles le groupe Les Républicains votera contre cette motion.

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est évidemment opposé à ce renvoi en commission. Madame Bonneton, j’ignore si vous vous êtes déjà rendue au laboratoire de Bure. Je vous y invite, il se situe dans ma circonscription et j’y suis allé des dizaines de fois. On ne peut pas dire que ça y pisse la flotte ! À moins que je n’aie rien compris ! Discutez avec les hydrogéologues, avec le personnel. N’ayez pas peur d’y aller ! Vous en ressortirez dans le même état d’esprit que l’un de vos collègues – dont je tairai le nom par respect de la qualité de nos débats –, qui m’a avoué : « on est obligé de s’y opposer parce que c’est ainsi, mais le problème n’est pas là »

M. Sergio Coronado. C’est facile !

Mme Michèle Bonneton. Quel argument !

M. Bertrand Pancher. Vous parlez de précipitation, mais cela fait vingt-cinq ans que l’on travaille sur le fond ! De qui vous moquez-vous ? Il y a trois ans, nous avons eu un débat public. Les vôtres se sont fait conspuer et ont été interdits de discussion.

Vous dites que la réversibilité est impossible. Mais il faut bien que cet objectif soit inscrit dans la loi, et que l’on puisse contrôler cette réversibilité. C’est tout l’objet de cette proposition. Ces arguments sont une insulte à l’intelligence collective !

Quant à la dangerosité des déchets, non, madame Bonneton, on ne les emballe pas dans des tapis !

Mme Michèle Bonneton. Je n’ai jamais dit cela !

M. Bertrand Pancher. Vous avez parlé de les mettre sous le tapis. Encore une fois, de qui vous moquez-vous ? Cela fait vingt-cinq ans que les chercheurs se penchent sur la question, que l’on en débat, que l’on échange avec nos partenaires. La France n’est pas le seul pays à stocker ses déchets dans le sous-sol : je suis allé à un colloque international, où étaient présents des chercheurs du monde entier. Il est inutile de renvoyer ce texte en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Christian Bataille. Je relis le titre de la proposition de loi : il s’agit de préciser les « modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde ». Dans sa motion, notre collègue a fort peu justifié le renvoi en commission et s’est largement éloignée du sujet de son intervention. Elle nous a parlé de l’énergie nucléaire en général, et même au-delà, ainsi que du projet Cigéo, qui a déjà fait l’objet de plusieurs débats dans cet hémicycle. Nous avons discuté du laboratoire, puis de la perspective d’un stockage ; nous avons aussi étudié les autres voies de recherche. Pour avoir siégé avec assiduité en commission, je peux vous dire que la réflexion a été menée.

Elle l’est, à divers niveaux, depuis plus d’un quart de siècle. C’est en 1989 que Michel Rocard, qui vient de nous quitter, a demandé au Parlement d’entamer cette réflexion. La pratique politique consiste aussi à faire succéder à la réflexion l’action. Nous n’allons pas réfléchir à perte de vue, pour l’éternité ! Il faut, à un moment, que la réflexion débouche sur une prise de décision. C’est ce qui nous est proposé aujourd’hui.

Voilà pourquoi notre groupe s’opposera à la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes réunis pour une nouvelle étape dans la mise en place du projet Cigéo, un chemin commencé dès 1991 avec la loi « Bataille ». À l’époque, le législateur avait demandé aux institutions compétentes d’approfondir leurs recherches selon trois axes principaux, dont l’un était le stockage profond des déchets. Cet axe de recherche a été confié à l’ANDRA, chargée d’identifier des sites géologiques favorables à l’implantation d’un centre de stockage profond et d’en étudier la sûreté et la faisabilité.

La loi avait prévu quinze années de recherche afin que chaque axe puisse faire l’objet d’une proposition étayée sur les plans scientifique et technique : un nouveau « rendez-vous » devant le Parlement était donc fixé à l’horizon de l’année 2006.

Pour ce qui concerne l’option d’un entreposage de longue durée, le CEA a conclu en 2006 que les concepts d’installations étudiés présentaient une robustesse particulière aux aléas externes, techniques ou sociétaux, mais nécessitaient une surveillance et un contrôle pendant toute leur durée de vie pour garantir la possibilité de récupérer les colis de déchets entreposés. En effet, quels que soient les concepts, il restait indispensable de reprendre les colis de déchets lorsque les entrepôts ont atteint leur fin de vie, éventuellement de les reconditionner et de construire de nouveaux entrepôts.

Après analyse de ces résultats, l’Autorité de sûreté nucléaire a estimé que l’entreposage de longue durée ne constituait pas une solution définitive, car il supposait de maintenir un contrôle de la part de la société et de prévoir la reprise des déchets par les générations futures, ce qui semble difficile à garantir sur des périodes de plusieurs centaines d’années.

C’est donc la solution du stockage profond qui est apparue comme la voie la plus crédible. La notion de stockage se distingue de celle d’entreposage par son caractère potentiellement définitif et par l’absence d’intention de récupérer les déchets stockés. La loi du 28 juin 2006 définit en effet l’entreposage de matières ou de déchets radioactifs comme « l’opération consistant à placer ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée en surface ou en faible profondeur à cet effet, dans l’attente de les récupérer ».

Dans le souci de mettre en sécurité, à titre définitif, les déchets radioactifs et de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures, la loi du 28 juin 2006 a entériné le choix du stockage profond mais a ajouté l’adjectif « réversible », permettant d’atténuer le caractère potentiellement définitif. On parle ici de gestion à long terme des déchets MA-VL et HA : 82 000 m3 de déchets « à terminaison », dont 10 000 m3 pour les déchets de haute activité qui représentent 0,2 % des déchets.

La loi du 28 juin 2006 définit le stockage de déchets radioactifs comme « l’opération consistant à placer ces substances dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive, dans le respect des principes énoncés à l’article L. 542-1 du code de l’environnement ». Elle précise que le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est « le stockage de ces substances dans une installation souterraine spécialement aménagée à cet effet, dans le respect du principe de réversibilité ».

L’ANDRA a été chargée de poursuivre les études et les recherches afin de concevoir et d’implanter un centre de stockage profond, de telle sorte que la demande d’autorisation puisse être instruite en 2015 et que, sous réserve de cette autorisation, la mise en service puisse être engagée en 2025.

S’appuyant sur l’ensemble de ses recherches, réalisées notamment lors de campagnes de reconnaissance géologique et dans son laboratoire souterrain situé à Bure, l’ANDRA a considéré que la couche d’argile sur le site étudié en Meuse Haute-Marne présentait toutes les caractéristiques favorables pour accueillir ce stockage. Ces résultats ont été évalués par la Commission nationale d’évaluation. À la demande du Gouvernement, les travaux de l’ANDRA ont également fait l’objet d’une revue par un groupe international d’experts. Ces évaluations ont confirmé les conclusions sur la faisabilité et la sûreté d’un stockage profond sur le site étudié.

Le Parlement a demandé en 2006 que ce stockage soit réversible pour une durée d’au moins cent ans, les conditions de cette réversibilité relevant d’une future loi qui devait être votée avant que le stockage ne puisse être autorisé. Cette loi sur la réversibilité, nous l’attendions avec impatience. Le projet Cigéo a pris deux ans de retard, mais désormais, nous y sommes.

La réversibilité est un concept essentiel. De quoi s’agit-il ? On pourrait penser qu’il s’agit de récupérer les déchets nucléaires afin de pouvoir les retraiter. Ces déchets étant en réalité vitrifiés, la réversibilité doit plutôt s’entendre comme la possibilité de récupérer les colis pour les stocker ailleurs.

Elle s’apparente donc à une forme de flexibilité – au moins pendant un siècle car au-delà, pour des raisons de sûreté, ce sera plus difficile. La réversibilité a une dimension politique puisque les déchets nucléaires sont et seront toujours invisibles pour les populations. Il est donc important que celles-ci soient assurées qu’il sera toujours possible, dans certaines limites, d’aller rechercher les colis si c’est nécessaire.

Là encore, la question du coût spécifique de la réversibilité mérite d’être posée, notamment au regard des différentes propositions de l’ANDRA.

Se pose également la question de la filière dans son état actuel. Si nous appliquions à la lettre la loi d’août 2015, relative à la transition énergétique, qui prévoit une réduction importante du nombre de réacteurs pour laisser place à des énergies dites vertes, nous serions confrontés à la question des combustibles usés. En effet, le MOX n’est consommé que dans vingt-deux réacteurs de 900 mégawatts, c’est-à-dire ceux menacés de fermeture du fait de leur âge. L’arrêt des usines de retraitement conduirait à un doublement du volume des déchets à stocker, ce qui risquerait d’étrangler Cigéo ou à tout le moins nous obligerait à revoir rapidement son organisation. D’où l’intérêt de la flexibilité.

En application de ce principe, l’ANDRA s’efforce de concevoir les installations de Cigéo de manière à maintenir les options de gestion du stockage aussi ouvertes que possible – mais cela n’inclut pas les centrales que j’ai évoquées tout à l’heure. Elle s’efforce de les concevoir dans le respect des exigences de sûreté, de sécurité et de protection de l’environnement, et en tenant compte des facteurs techniques et économiques mais aussi du retour d’expérience, dans un but d’optimisation continue de la conception et de l’exploitation du stockage. Elle se base pour cela sur un schéma directeur et sur une évolution flexible de la conception.

Cette proposition de loi, que le groupe Les Républicains soutient, permet d’instituer une phase industrielle pilote avant l’exploitation courante du projet Cigéo. Cette phase correspond à une mise en condition réelle qui permettra, avant toute utilisation courante, de s’assurer que le projet est exploitable, sûr et réversible. L’autorisation pour l’exploitation définitive ne sera accordée qu’après la promulgation de la loi. Pour ces raisons, beaucoup de débats préalables étaient hors sujet.

Je voudrais souligner un paradoxe : ceux qui sont opposés à la notion de réversibilité sont les mêmes qui voudraient fermer un tiers du parc nucléaire dans les dix prochaines années, considérant que ce délai est parfaitement normal, mais qui dans le même temps s’étonnent qu’il faille vingt-cinq ans pour étudier un projet et cent ans pour revenir dessus !

Je terminerai mon propos en insistant sur trois enjeux qui, à mon sens, suffisent à fonder un consensus politique sur la question qui nous est posée aujourd’hui.

Tout d’abord, quelle que soit la position que chacun peut avoir sur la question du nucléaire, il ne s’agit pas ici de statuer sur l’avenir mais de trouver des solutions à une situation qui existe et dont nous avons la responsabilité. Ces déchets existent et ils sont dangereux : il convient donc de faire en sorte que la solution technique retenue à un instant donné puisse garantir, quel que soit l’état des connaissances, la protection des populations. Stockés très profondément, à une profondeur de cinq cents mètres, ces déchets mettront un million d’années pour revenir à la surface, totalement privés de leur radioactivité. Ceux qui s’y opposent n’ont strictement aucune vision alternative pour les gérer.

Ensuite, la réversibilité est le corollaire naturel de l’absence de visibilité sur les évolutions technologiques. C’est une assemblée élue en 2012 qui doit décider aujourd’hui de projets qui engagent non seulement nos enfants mais aussi les nombreuses générations qui suivront. Le législateur a fixé à un siècle cette obligation de réversibilité : cet horizon entre dans le domaine du possible à l’échelle de la mémoire humaine.

Reste que les déchets radioactifs engagent la France pour une période beaucoup plus longue. En 2116, en 2126 et même en 3126, les Français, si le projet Cigéo est acté – ce qui n’est pas le sujet dont nous traitons aujourd’hui – vivront avec l’héritage issu de nos choix techniques. C’est un véritable défi politique, car la politique, souvent court-termiste, répugne à penser au-delà du siècle, et philosophique, notamment en matière de responsabilités.

Nos successeurs ne pourront nous reprocher d’avoir privilégié ce qui était la solution optimale en l’état des connaissances. En revanche, ils pourront nous reprocher de les avoir privés de la possibilité de réorienter le projet en fonction de techniques ou de compétences qui seront apparues après notre première décision.

Le troisième enjeu est industriel : avec Cigéo, la France se dote d’un embryon de filière, étant à la pointe de la recherche dans le stockage profond. D’ailleurs, contrairement à ce qui a été dit, la Suède a elle aussi un projet dans ce domaine.

Nul doute que dans vingt, trente ou quarante ans, d’autres pays se tourneront vers nous pour nous demander de les aider à gérer les déchets nucléaires. C’est ainsi pour la France un champ très intéressant de développement économique et industriel.

Je souhaite donc que nous parvenions au vote conforme de cette proposition de loi de Gérard Longuet, votée au Sénat, et que nous nous engagions de manière irréversible dans une gestion réversible des déchets nucléaires.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la gestion des déchets nucléaires en France raconte une histoire : celle de notre capacité à exercer nos responsabilités et à trouver collectivement des solutions à un problème complexe.

Nous pensons, face à ce problème complexe, avoir trouvé des solutions, en tout cas une grande partie d’entre elles, mais nous n’en sommes pas certains. C’est la raison pour laquelle nous entourons nos processus de décision d’un certain nombre de précautions. Cette proposition de loi en est une illustration.

Je voudrais rappeler ici l’étendue de la question que nous nous posons : 90 % des volumes de déchets nucléaires – les déchets à vie courte ou à faible activité – ont trouvé dans notre pays des solutions de stockage dans des équipements spéciaux situés dans la Manche et dans l’Aube. Restent 10 % des déchets nucléaires, dont 7 % sont des déchets à faible activité mais à vie longue, dits déchets FAVL, qui devraient être stockés dans l’Aube. Les 3 % de déchets restants sont les plus radioactifs et, surtout, leur activité se poursuit pendant une période longue ou très longue.

Ce sont 80 000 m3 de déchets jusqu’en 2045, soit un cube de trente mètres sur trente. Ici même, dans cet hémicycle, nous pourrions stocker cinq années de déchets radioactifs. Sur cent ans, cela représente une capacité de stockage égale à une vingtaine d’hémicycles de ce type, qui très vraisemblablement seront enfouis sous la terre.

Les déchets à forte activité comprennent 70 000 m3 de déchets à moyenne activité, dont 60 % sont déjà produits – il faut donc faire quelque chose – et 10 000 m3 de déchets à haute activité, dont 30 % sont déjà produits – il s’agit naturellement des déchets qui posent le plus de problèmes.

Comment gérer ces déchets en France ? C’est l’histoire de la loi dite « Bataille » et celle des élus du département de la Meuse, notamment Jean-Louis Dumont et moi-même. C’est aussi l’histoire de mon engagement car suite aux controverses à propos du stockage des déchets nucléaires, j’ai, avec le philosophe et sociologue Dominique Bourg, créé l’Institut du débat public local, devenu par la suite, ainsi que nous l’avons décidé ensemble, un important think tank sur la concertation et les conditions d’un débat public apaisé avant de prendre des décisions susceptibles de susciter des controverses.

Le premier acte est la loi de 1991 qui propose trois voies de recherche : des solutions permettant la séparation et la transmutation, des possibilités de stockage dans des formations géologiques profondes, et l’étude des solutions techniques de conditionnement en surface – c’est là que sont nées les controverses.

Étaient tout d’abord prévus trois sites d’expérimentation. Mais – courage, fuyons – il n’y en eut qu’un seul, celui situé dans les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, ce qui a fait naître chez nos concitoyens le sentiment d’avoir été quelque peu trompés. Vous dites vouloir expérimenter, mais à un seul endroit et vous décidez que c’est là qu’aura lieu le stockage des déchets nucléaires. Je ne dis pas qu’il ne faut pas stocker à cet endroit-là, mais c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes heurtés à autant de controverses.

Il existe un deuxième argument pour contester le nucléaire, que j’ai eu du mal à comprendre dans un premier temps : nous étudions le stockage en argile dur, dur comme du marbre, dans lequel l’eau ne passe quasiment pas. Cela ne fuit pas, contrairement à ce que d’aucuns pensent. La pression est telle que l’eau ne passe pas. Et si elle passait, le temps qu’elle corrode l’enveloppe de protection des déchets et que ceux-ci soient entraînés dans la nappe phréatique qui devient alors un danger pour la population, il se sera passé dix mille ans, voire cent, deux cents ou trois cents mille ans !

Tout cela dépasse l’entendement. Je me suis rendu plusieurs dizaines de fois sur place pour discuter avec les hydrogéologues et les techniciens : le risque est nul à l’échelle des générations humaines.

J’ai également débattu de cette question avec beaucoup de militants écologistes. Certains d’entre eux, faisant fi des contradictions, m’ont confié que le stockage des déchets nucléaires étant le talon d’Achille du nucléaire civil, ils devaient forcément s’y opposer.

Il me semble que la question des déchets doit être totalement séparée de la question du nucléaire. Si nous arrêtons le nucléaire civil, ce que nous ferons sans doute un jour, le développement des autres énergies réglera le problème plus rapidement que l’on ne pense, même s’il y aura toujours des déchets à stocker.

C’est la raison pour laquelle, en 1991, Jean-Louis Dumont s’en souvient sans doute, tous les élus locaux, de gauche comme de droite, du département de la Meuse – j’étais alors le benjamin de l’assemblée départementale – ont voté à l’unanimité en faveur de ce projet de recherche. Nous étions alors uniquement animés, dans un souci de solidarité nationale, par la volonté de régler le problème sur le plan national. Et c’est pour cette raison que nous nous sommes engagés dans cette direction avec nos collègues du département de la Haute-Marne.

Le deuxième acte est la loi de programme de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. De 1991 à 2006, beaucoup de recherches et d’études ont été réalisées – aujourd’hui le montant des études atteint un milliard d’euros, ce qui est colossal – et de grands débats publics ont été menés. Je me souviens d’un débat qui a duré huit heures à l’EPL Agro, dans mon département – je ne sais plus si j’étais alors maire ou président de département – et ce débat, qui s’est déroulé sans hostilité, sauf de la part de ceux qui sont génétiquement hostiles au stockage pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, a conclu à la nécessité d’introduire la notion de réversibilité. Nous avons donc introduit cette réversibilité pour une période de cent ans.

La loi du 28 juin 2006 de François Loos retient le principe du stockage en couches géologiques profondes, mais elle dispose que toute demande d’autorisation de stockage fera l’objet d’un débat public.

Le troisième acte est la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Un nouveau débat public est organisé, qui bénéficie des périodes d’expérimentation et de recherche ainsi que du débat public organisé en 2013. Celui-ci préconise non seulement la réversibilité mais la définit comme la capacité pour les générations futures de revenir sur les décisions prises, comme le prévoit cette proposition de loi, et précise qu’il ne peut y avoir de décision définitive avant une phase industrielle pilote. Nul doute que dans une quinzaine d’années, au sein de cet hémicycle, nous reposerons la question de savoir s’il est prudent d’agir ou non. Ensuite, tous les dix ans, nous pourrons revenir régulièrement sur la réversibilité.

Évacuons les grandes peurs. Aujourd’hui, ce n’est pas le rendez-vous des peurs mais celui de la rationalité, de la prudence, du débat public et par conséquent, la réconciliation avec une certaine forme d’intelligence collective.

Cette proposition de loi ne donne pas le feu vert à un stockage définitif, comme je l’ai entendu dire, stupidement, un peu partout – quand il s’agit de faire peur, plus c’est gros, plus cela passe – ni à l’autorisation du stockage expérimental puisque c’est le Gouvernement qui, en 2018, donnera son accord pour une phase pilote. Il s’agit, je le répète, d’une phase réversible, décidée après consultation de tous les grands organismes d’expertise, notamment l’ASN, qui n’est pas tendre avec le nucléaire dans notre pays. C’est une garantie supplémentaire.

J’espère pour ma part que nous allons rapidement voter cette proposition de loi, non pas parce que nous sommes pressés de le faire, comme je l’ai entendu tout à l’heure, mais parce que cela fait vingt-cinq ans que nous en discutons et que nous y réfléchissons.

Je discutais avec un hydrogéologue, un universitaire qui travaille sur ce sujet et qui est aujourd’hui en charge des échanges internationaux. Celui-ci me soutenait que nous sommes généreux dans notre pays, car 1 milliard d’euros de recherche et d’expérimentation ont d’ores et déjà été engloutis dans ce domaine ; il serait donc temps que l’on conclue en engageant cette phase pilote. Il y va de l’intérêt de notre pays et de celui des générations futures. Je me réjouis sincèrement que, à l’exception de quelques-uns de nos collègues, dont je comprends les positions, nous nous unissions, gauche et droite confondues, pour franchir une nouvelle étape au travers de cette belle et bonne proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. La proposition de loi de Gérard Longuet sur la notion de réversibilité du stockage des déchets nucléaires les plus dangereux arrive dans notre hémicycle aujourd’hui après plusieurs péripéties, après une gestation lente et douloureuse et après un travail de long terme, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État ; près d’un quart de siècle !

Avec le présent texte, très proche de la proposition déposée sur le bureau de l’Assemblée par nos collègues députés Jean-Yves Le Déaut, Jean-Louis Dumont et Christian Bataille, quasiment calquée sur l’amendement adopté il y a plus d’un an au cours de l’examen de la loi Macron puis censuré par le Conseil constitutionnel, il semble bien que la délicate tâche de définition législative de la réversibilité ait abouti.

Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste comprennent l’urgence de l’adoption de cette proposition, et la nécessité d’un vote conforme. Comme beaucoup de groupes, nous aurions pu crier au loup. Toutefois, arrive le moment où il faut faire un choix. Nous avons donc fait celui de la raison, et nous n’avons pas déposé d’amendements.

En effet, comme beaucoup d’autres, nous ne pouvons nous satisfaire de cet impératif catégorique. Nous regrettons également que le Gouvernement n’ait pas été à l’initiative de cette proposition de loi. Cela nous aurait permis de disposer d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, qui sont toujours enrichissants pour des débats de cette importance. Certains nous objecteront que nous avons déjà à notre disposition plusieurs rapports parlementaires et de nombreuses études et analyses. S’ils ont en partie raison, il faut reconnaître que ces documents ne sont pas écrits avec l’unique objectif d’analyser l’impact d’une caractérisation du concept de réversibilité dans la loi.

Réfléchir rationnellement au concept de réversibilité du stockage des déchets nucléaires d’une dangerosité extrême et d’une durée de vie pouvant aller jusqu’à plusieurs millions d’années pourrait nous plonger dans les abysses de la pensée. Les choix que nous sommes appelés à valider aujourd’hui engagent des milliers de générations futures, alors que nous sommes tous ici à égale distance de la vérité sur ce qu’un avenir aussi lointain réserve à l’humanité.

Face à l’enjeu exceptionnel de cette proposition de loi et aux incertitudes dans lesquelles nous baignons, deux exigences s’imposent : la modestie dans nos analyses et le respect de ceux qui doutent de la faisabilité et de la pertinence du projet Cigéo.

À ce titre, je veux saluer, au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, l’association constante de la représentation nationale à toutes les étapes de ce dossier, que ce soit dans notre commission du développement durable, par les rapports et les missions confiées aux parlementaires, ou encore par les travaux de l’OPECST.

Je souhaite à présent qu’au-delà de ce travail parlementaire nous puissions à nouveau mettre tout le monde autour de la table. Nous avons vu tout à l’heure devant l’Assemblée les opposants. Ne transformons pas le site de Bure en un nouveau Notre-Dame-des-Landes. Sur des sujets à propos desquels l’irrationnel peut dominer, même si les décisions prises se doivent d’être respectées, nous devons tout mettre en œuvre pour renforcer la discussion et le dialogue avec les opposants. En sus de l’information fournie par le comité local d’information et de suivi du laboratoire de recherche souterrain de Bure, dont la mission doit être renforcée, il faut également donner davantage d’explications pédagogiques aux citoyens, à tous les citoyens.

Je sais que le nouveau président de l’ANDRA veut renforcer cette orientation, ce qui est une excellente chose. Plus nous serons transparents, clairs, plus nous favoriserons la compréhension de nos concitoyens, et ce d’autant plus que ce sujet est difficile.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité directe d’une longue série de lois et travaux parlementaires commencée par la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dite « loi Bataille » ; j’en profite pour saluer notre collègue Christian Bataille, présent dans notre hémicycle. Jusqu’à aujourd’hui, le législateur a avancé à tâtons à la recherche de la moins mauvaise des solutions pour parer les conséquences du choix de l’atome fait au sortir de la Seconde guerre mondiale.

Les experts avaient sélectionné en 1994 quatre sites susceptibles de recevoir l’installation d’un laboratoire de recherche en profondeur en raison de leurs caractéristiques géologiques. C’est en 1998 que celui de Bure, situé en « Meuse-Haute-Marne », comme l’écrit l’ANDRA, sera retenu parmi ces quatre sites. En 2000, la société Eiffage gagne le marché et les travaux d’implantation du laboratoire souterrain débutent. Sans grande surprise, l’ANDRA confirme en 2005 la possibilité de garantir un niveau de sûreté élevé du stockage profond sur ce site. Enfin, dernière grande étape législative de montagne avant aujourd’hui, une loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est votée en 2006, entérinant un peu plus le choix d’un stockage réversible profond des déchets nucléaires les plus contaminés à durée de vie élevée.

Dans son avis du 1erfévrier 2006, l’ASN a considéré le stockage en couche géologique profonde comme « une solution de gestion définitive qui apparaît incontournable ». La loi de 2006 réclamait une définition législative de la réversibilité avant dix ans. Puisque nous sommes en 2016, nous arrivons au terme du délai imparti, et sommes forcés d’agir à peine de forclusion. L’article 12 de la même loi dispose sans ambiguïté que l’autorisation de création du centre Cigéo est conditionnée par la promulgation d’une loi fixant « les conditions de réversibilité ».

Pendant ces longues années, il a été démontré dans l’immense majorité des études et des expertises sur le sujet que la solution la plus sûre sur le très long terme pour la gestion des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue était certainement le stockage en couche géologique profonde. Les termes sont posés. Notre débat ne porte pas sur la question du nucléaire, et il ne s’agit en aucun cas aujourd’hui d’exprimer une préférence ou un avis sur cette source d’énergie. Quelles que soient nos opinions ou nos doctrines sur le nucléaire, les déchets nucléaires très radioactifs à moyenne et longue vie existent : ils sont là aujourd’hui, ils le seront encore demain, et pour longtemps. Pour nos concitoyens qui vivent aujourd’hui et pour ceux qui vivront demain, nous devons prendre des décisions sur leur stockage.

Les débats sur le nucléaire, habilement évités pendant le Grenelle, ont eu lieu, pour partie, au cours de la discussion de la récente loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous avons voté la réduction de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique de la France à l’horizon de 2025. Aujourd’hui se pose la question de la réversibilité du stockage, de la flexibilité de cette solution et, a fortiori, de la récupérabilité des colis. Le principe de réversibilité doit en outre se traduire par une exigence d’adaptabilité de l’installation, comme l’estime l’ASN dans son avis du 31 mai dernier.

Parce que nous ne sommes pas des experts scientifiques, nous ne sommes pas capables de débattre de détails d’une technicité infinie, et il serait aussi vain qu’inutile de se placer à ce niveau. En revanche, nous ne pouvons nous fier qu’aux expertises indépendantes pour éclairer nos choix dans la définition législative du principe de réversibilité. Vous connaissez la formule : sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, les radicaux pensent que la seule boussole qui vaille est la boussole scientifique. Si globalement les experts sont plutôt rassurants sur Cigéo, il convient aussi de rappeler que le risque zéro n’existe pas et que nous sommes loin d’avoir des certitudes définitives quant à la sécurité du stockage envisagé.

Tous les pays du monde qui ont des centrales nucléaires sont confrontés à ce problème, qui est immense. Pour l’instant, personne n’a de solution pleinement satisfaisante et, compte tenu de la complexité du problème, il est probable que personne n’en aura jamais. En France, nous avons peut-être la moins mauvaise des solutions, mais sachons rester modestes dans nos communications en évitant l’écueil des messages tranquillisants et du prosélytisme naïf.

Les déchets radioactifs de haute activité – HA – et de moyenne activité à vie longue – MAVL –, représentent environ 3 % du volume total des déchets radioactifs français déjà produits et concentrent plus de 99 % de la radioactivité totale. Ce sont des dizaines de milliers de mètres cubes de colis qui ont vocation à être stockés à Bure 500 mètres sous terre.

Plus on prévoit d’épaisseurs pour sceller le site avec le béton spécialement conçu à cet effet, plus le degré de sécurité garanti est élevé, mais plus on complexifie la récupérabilité, donc la réversibilité, jusqu’à la condamner. N’ayons pas peur de dire que les exigences de sécurité imposeront à terme cette fermeture définitive ; dans cette perspective, il n’est pas irrationnel de l’envisager.

Je me félicite de la mention de l’ASN en tant qu’autorité de contrôle aux alinéas 17, 18 et 22 de l’article 1er de la proposition de loi, car c’est indispensable. Cette mention me permet de poser la question des moyens de l’ASN et de l’IRSN. Ces deux institutions remarquables que le monde nous envie ont prouvé qu’elles étaient dignes de confiance. Elles auront besoin de moyens supplémentaires, et je le rappellerai dans le prochain projet de loi de finances en tant que rapporteur pour avis sur le programme n181 « Prévention des risques ».

En conclusion, cette proposition de loi présente un avantage important : elle donnera une meilleure visibilité des coûts du stockage. Le débat est vaste, et l’équation comporte tant d’inconnues qu’il est difficile de disposer d’une évaluation fiable et globale. Réduire ces inconnues aidera les acteurs du nucléaire, qui doivent provisionner des sommes importantes pour ce stockage, à affiner leurs comptes, ce qui n’est pas du luxe dans la situation que nous connaissons. La proposition de loi précise clairement que la réversibilité doit permettre de récupérer les colis de déchets après la phase industrielle pilote. C’était la première des exigences, et elle est satisfaite.

Avec ce texte, nous confortons le caractère réversible au fur et à mesure de la démonstration de la sûreté de l’installation. Il s’agit donc bien d’une démarche progressive qui se nourrira des observations de l’ASN. Des précisions sont apportées sur la phase pilote destinée à mesurer les effets réels en matière de sûreté et de coût.

Cette proposition de loi est une nécessité d’intérêt général ; en tant qu’élus responsables, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste la voteront. Nous devons toutefois assumer nos responsabilités pour aujourd’hui et pour l’avenir. Comme l’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le Renard et le Bouc : « En toute chose il faut considérer la fin. » Et la finalité ici, mes chers collègues, est bien d’assumer nos choix pour ne pas les laisser en héritage aux générations à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. J’invite l’ensemble des orateurs à bien respecter leur temps de parole.

La parole est à M. Patrice Carvalho.

M. Patrice Carvalho. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi sur l’enfouissement des déchets radioactifs est d’une importance capitale, car elle concerne à la fois les générations présentes et futures.

La proposition projette une installation, dont la mise en service est prévue en 2025, qui devra garantir le confinement de 80 000 mètres cubes de résidus radioactifs pendant plusieurs millénaires. Son exploitation durera plus d’un siècle, avant un scellement définitif. Durant ce laps de temps, la réversibilité du stockage, c’est-à-dire la possibilité de récupérer les produits radioactifs, mais aussi de choisir d’autres modes de gestion, doit être assurée.

J’aimerais préciser à mes collègues écologistes que 80 000 mètres cubes correspondent à 283 mètres de large sur 283 mètres de long sur 1 mètre d’épaisseur ; il ne faut donc rien exagérer. Il faudra certes de nombreux voyages en train pour les convoyer. Toutefois, les trains ne mesurent pas plus de 200 mètres de long ; avec deux trains par semaine, le nombre de kilos de déchets radioactifs transportés ne sera donc pas très important. Il me paraissait utile de rappeler ce que ces proportions représentent réellement.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. Patrice Carvalho. Afin de ne pas reporter le poids de cette responsabilité sur les générations futures, nous devons mettre en œuvre des solutions sûres de gestion des déchets radioactifs que nous produisons, car ils sont aujourd’hui stockés dans des lieux non adaptés. Comme le demande la loi, nous devons laisser la possibilité aux prochaines générations de revenir sur certains de nos choix : c’est le principe de réversibilité. À cet égard, j’aurais aimé que l’on poursuive les recherches sur les déchets radioactifs, au lieu de les réduire et d’abandonner le projet Superphénix.

Nous trouvons, de ce point de vue, la rédaction de la proposition ambiguë. Nous proposerons donc un amendement visant à réviser la définition retenue. Au regard de l’enjeu et de la dimension éthique de la question de réversibilité, compte tenu de l’échelle de temps qu’implique la gestion des déchets radioactifs les plus nocifs, il nous semble dangereux de ne pas proposer une définition qui fasse l’objet d’un réel consensus.

Nous ne pouvons faire porter aux générations futures la responsabilité de décisions sur lesquelles elles ne seraient pas certaines de pouvoir revenir.

Nous sommes également dubitatifs quant à la rédaction de l’alinéa 13 de l’article 1er, qui restreint la participation du public. Le Président de la République avait annoncé en novembre 2014, après la mort de Rémi Fraisse, l’ouverture d’un vaste chantier de démocratie participative, précisant qu’il entendait ainsi renforcer la concertation environnementale. « Le débat public, avait-il proclamé, c’est la seule manière de garantir dans la transparence et dans la responsabilité aussi bien la préservation de la nature que la poursuite de nos projets de développement économique. »

Nous estimons pour notre part que tout doit être fait pour que sur chaque grand projet, tous les points de vue soient considérés, toutes les alternatives posées, tous les enjeux pris en compte, et pour que l’intérêt général puisse être dégagé de cette réflexion commune. Car c’est bien de l’intérêt général qu’il s’agit, et non d’une simple somme d’intérêts particuliers. Nous devons donc assurer la transparence de chaque projet engagé en matière environnementale. C’est une question de respect pour les citoyens, de l’opportunité pour eux d’être informés convenablement de chaque risque et de chaque conséquence induite par ce genre de projet. Nous devons donc explorer de nouveaux modes d’association des citoyens aux décisions qui les concernent, de nouvelles façons de communiquer, d’expliquer, d’entendre et de dialoguer.

C’est pourquoi nous regrettons la faiblesse de la concertation publique prévue par l’article 1er, avec le report du délai d’organisation de l’enquête publique de cinq à dix ans. Il y a aujourd’hui tout un tissu associatif qui s’est installé autour du site Cigéo à Bure, dans la Meuse. Il faut prendre en considération les inquiétudes qu’expriment les associations et les habitants sur le stockage et l’enfouissement des déchets. C’est une nécessité, même si les déchets sont là et que la seule et unique solution aujourd’hui disponible est bien leur enfouissement. Nous sommes confrontés à un état de fait qui perdure.

La gestion à long terme des déchets radioactifs est en effet incontournable, quelle que soit la place que l’on souhaite réserver à l’avenir au nucléaire dans la production d’électricité, car nous ne pouvons ignorer les conséquences de celle qui a déjà été produite. La solution de l’enfouissement offre une sûreté totalement passive, ne réclamant pas d’action particulière à la charge des générations suivantes ; elle permet d’isoler les déchets de la biosphère bien au-delà du temps où leur radioactivité sera revenue à des niveaux négligeables. On peut raisonnablement établir que, bien loin d’être une « bombe à retardement », les déchets nucléaires ainsi stockés termineront leur existence radioactive dans un confinement efficacement sécurisé et n’imposeront à nos descendants aucune nuisance inacceptable.

Mais il faut à la fois convaincre et rassurer les citoyens, d’autant que nous pouvons avoir bon espoir, au regard des évolutions que notre siècle a connues, que les avancées scientifiques à venir permettront aux générations futures de trouver des solutions peut-être plus adéquates. Rappelons qu’à ce jour, aucune autre solution satisfaisante n’a été trouvée pour éliminer les déchets radioactifs, ni même pour réduire les risques qu’ils présentent – jusqu’à des centaines de milliers d’années pour certains d’entre eux.

Ce dont il est question aujourd’hui, c’est donc de prendre nos responsabilités en mettant fin à un attentisme qui dure depuis trop longtemps. Le débat de ce soir n’est pas « pour » ou « contre » le nucléaire : ce n’est pas le sujet. La recherche d’une solution de gestion des déchets radioactifs ne constitue pas en elle-même un moyen de pérenniser le recours à l’énergie nucléaire. Quand bien même notre mix énergétique évoluerait, avec une réduction significative de la part du nucléaire, voire un abandon de celui-ci, la gestion des déchets passés et présents est incontournable. L’enfouissement n’est peut-être pas la meilleure solution, mais c’est sans doute la plus sûre à l’heure actuelle.

Malgré les réserves que nous venons d’exprimer, nous tenons à saluer le travail conduit par la commission et les rapporteurs pour mener à bien cette proposition de loi qui nous semble aujourd’hui constituer la seule réponse possible à la gestion des déchets radioactifs. Nous apportons donc notre soutien à ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Florence Delaunay.

Mme Florence Delaunay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la France a fait le choix de l’électricité nucléaire depuis la mise en service en 1956 de la centrale de Marcoule, puis de celle de Chinon. Aujourd’hui, cinquante-huit réacteurs fonctionnent dans dix-neuf centrales, ce qui fait de la France le deuxième producteur au monde d’électricité d’origine nucléaire.

Le nucléaire est une industrie propre, non polluante et qui n’émet pas de CO2. C’est en tout cas ainsi qu’EDF fait la promotion de son électricité, issue pour 82 % du nucléaire. Pourtant, la dépendance au minerai d’uranium et les conditions d’extraction dans les pays émergents pourraient faire débat, tout comme l’opacité des incidents ou accidents et l’exposition aux radiations des salariés des sous-traitants chargés de la maintenance et du nettoyage des installations.

La proposition de loi que nous examinons porte sur la réversibilité d’une installation de stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs à vie longue que notre pays produit depuis soixante ans dans le nucléaire civil.

Après quinze ans de recherches organisées par la loi du 30 décembre 1991, qui ont porté sur trois axes – la réduction de la nocivité et de la quantité des déchets par la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue, l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface, solution provisoire dans la perspective du stockage ou de progrès scientifiques majeurs –, le choix de la solution de référence pour la gestion des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue s’est porté sur le stockage géologique profond. Cette solution reste débattue du point de vue technique et politique.

La proposition de loi définit la notion de réversibilité comme la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. Elle pose le principe de la phase industrielle pilote qui débutera l’exploitation industrielle du site. Elle prévoit que la demande d’autorisation de création soit instruite en 2018 et que la durée minimale de réversibilité du stockage soit obligatoirement supérieure à cent ans.

Avec cette installation, la France peut craindre de devenir leader dans le stockage des déchets. Il n’est donc pas inutile de rappeler le principe de l’interdiction du stockage en France de déchets radioactifs provenant de l’étranger. L’article 3 de la loi du 30 décembre 1991 est explicite. Il est réaffirmé par la loi du 28 juin 2006 : « est interdit le stockage en France de déchets radioactifs en provenance de l’étranger ainsi que celui des déchets radioactifs issus du traitement de combustibles usés et de déchets radioactifs en provenance de l’étranger ». Ce rappel est important au vu des investissements coordonnés avec la Chine, qui conduisent EDF à construire des centrales et des EPR en Chine et en Grande-Bretagne au prix d’un pari financier incertain.

2016 est l’année de la COP21, réussite essentielle. Nous sommes au lendemain de l’adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui va permettre à la France de renforcer son indépendance énergétique en équilibrant mieux ses différentes sources d’approvisionnement.

Je ne souhaite pas que cette proposition de loi assure la pérennité de la filière nucléaire. Ces déchets radioactifs ne seront inoffensifs que dans un million d’années au moins. La solution, c’est d’en produire de moins en moins pour finir par ne plus en produire. Nous ne sommes pas dans le monde de l’utopie, et les pays européens donnent l’exemple : la consommation électrique du Portugal a été entièrement couverte par le solaire, l’éolien et l’hydraulique pendant 107 heures, soit quatre jours entiers. En Suède, 52 % de la consommation d’énergie provient des énergies renouvelables, en Finlande 38 %, en Autriche 33 %. Politiques et société civile doivent inciter les entreprises à investir dans des projets d’énergies renouvelables, dans lesquels les ingénieurs et techniciens trouveront de nombreuses raisons de se réjouir d’un développement professionnel réussi. Je regrette que les financements des énergies renouvelables ne soient pas calqués sur ceux de l’industrie nucléaire. S’il incluait le coût du démantèlement des centrales et du stockage des déchets, le prix d’un kilowattheure nucléaire s’avérerait en effet bien supérieur à celui d’un kilowattheure éolien ou solaire.

Cette proposition de loi semble indispensable pour gérer le stockage des déchets radioactifs à vie longue existants. Qu’elle ne nous fasse néanmoins pas oublier que la priorité en matière d’énergie pour les générations futures reste le développement des énergies renouvelables.

Avec les effets du réchauffement climatique et les intérêts incompressibles de la dette, la gestion des déchets nucléaires est le troisième cadeau empoisonné que nous laisserons à nos petits-enfants et à leurs descendants, trois plaies que nous pourrions vaincre si l’espèce humaine se décidait un jour à effacer les traces de son passage sur terre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Michèle Bonneton. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée examine enfin cet après-midi la proposition de loi des sénateurs Gérard Longuet et Christian Namy précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Adopté à la mi-mai au Sénat, ce texte permettra de relancer le projet dénommé Cigéo, qui prévoit le stockage à Bure, à la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne, de déchets radioactifs en couche géologique profonde.

Permettez-moi tout d’abord de saluer cette initiative parlementaire, dont l’ambition, non partisane, est de ne pas laisser aux générations futures le soin d’assumer les contreparties de nos avantages accumulés pendant la période de production de nos réacteurs. L’initiative aurait pu être gouvernementale. Elle est parlementaire, mais l’essentiel est son objectif.

Plusieurs tentatives visant à préciser les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets ont vu le jour ; elles ont malheureusement échoué. En effet, les dispositions que nous examinons ont été insérées dans les avant-projets de loi relatifs à la transition énergétique ou encore à la croissance et à l’activité, puis retirées avant le dépôt des textes au Parlement. Elles ont par ailleurs été intégrées au Sénat, par voie d’amendement, dans la loi Macron et censurées par le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, le dispositif trouve enfin un véhicule législatif. On ne peut que s’en féliciter.

Quels sont les enjeux de ce texte ? Le retraitement des déchets nucléaires constitue une question d’une importance majeure pour le secteur de l’énergie. Le débat ne concerne pas uniquement les élus de la Meuse et de la Haute-Marne, qui connaissent extrêmement bien les problématiques liées au laboratoire d’étude sur le stockage des déchets nucléaires en couche géologique profonde, localisé à Bure. C’est aussi un débat d’une importance nationale, au travers de l’ensemble de la filière nucléaire. En effet, la pérennité de la filière nucléaire dépend également de notre capacité à apporter des solutions responsables au défi que représente le stockage des déchets radioactifs.

Comme le rapporteur a pu le rappeler, notamment en commission, cette proposition de loi s’inscrit, indépendamment des alternances politiques, dans la continuité d’une série de textes législatifs et réglementaires.

Alors que la France avait fait le choix du nucléaire pour produire son électricité dès le début des années 1970, la loi dite Bataille – du nom de notre collègue – du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs marque un tournant, dans le sens où la France s’est dotée, pour la première fois, d’un cadre législatif fixant les règles concernant les déchets radioactifs.

En 2006, la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est venue compléter les principes posés par la loi Bataille. La loi de 2006 prévoyait notamment la construction d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde destinée aux déchets radioactifs à haute et moyenne activité à vie longue sur le site géologique de la couche d’argile de Bure.

Dans cette continuité, le présent texte est une nouvelle étape, dont l’objectif est de définir la notion de réversibilité prévue par la loi de 2006, qui dit que le stockage géologique profond doit pouvoir être réversible dans des conditions définies par une loi nouvelle.

Le présent texte entend donc préciser la notion de réversibilité posée par la loi du 28 juin 2006 : la réversibilité est la capacité pour les générations futures de revenir sur des décisions prises lors de la mise en œuvre progressive d’un système de stockage. Cette réversibilité est permise par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation d’un stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde. Ce mode d’élaboration permettra d’intégrer les progrès technologiques et de faire évoluer les solutions de gestion des déchets – notamment liées à une évolution de la politique énergétique.

Cet ajustement législatif de la loi de 2006 procède également du débat public organisé en 2013, qui a fait apparaître une demande de phase industrielle pilote.

Cette phase, dont la présente proposition de loi prévoit le lancement, marquera le début de l’exploitation industrielle du site et permettra de juger de l’efficacité du système.

Par ailleurs, ce texte adapte le calendrier posé par la loi de 2006.

Dans la mesure où la présente proposition de loi apporte des précisions utiles à la notion de réversibilité, tout en engageant une phase industrielle pilote avant l’exploitation courante du projet Cigéo, nous ne pouvons, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que soutenir cette logique de prudence, qui est mère de sûreté.

En conclusion, ce texte va dans le bon sens. Il permettra sans nul doute de faire avancer la problématique de la gestion des déchets nucléaires. Je voterai donc bien sûr en faveur de son adoption. Au-delà des alternances politiques, cette initiative montre l’esprit de responsabilité dont fait preuve notre Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France s’est lancée, il y a plus de quarante ans, dans une entreprise de développement de l’énergie nucléaire qui ne trouve aucun équivalent dans le monde. On nous a vendu le mensonge d’une « énergie d’avenir, propre et peu coûteuse » : force est de constater, aujourd’hui, qu’elle constitue un gouffre financier et que le problème du traitement des déchets qu’elle produit n’a jamais été résolu. Or, il faudra bien trouver une solution pour les déchets nucléaires, puisque la génération qui a été à l’origine de ce programme a été suffisamment irresponsable pour le lancer sans avoir réglé ce problème majeur. Il me paraissait important d’y insister.

Après plus de quarante ans sans solution, que nous propose-t-on aujourd’hui ? De stocker les déchets en sous-sol, de dissimuler la poussière sous le tapis. De fait, cette proposition de loi est loin d’être satisfaisante et pose de sérieux problèmes, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, le stockage en profondeur est-il une bonne solution ? Nous ne le pensons pas. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il soit simplement faisable. Nous avons toujours fait part de notre préférence pour le stockage en subsurface, meilleur garant de la mémoire du lieu, qui offre des conditions d’exploitation plus sûres ; en tout état de cause, il nous faut bien disposer d’un plan B si le projet Cigéo n’est pas réalisable. Nous, écologistes, prenons nos responsabilités !

Je passe rapidement sur les nombreuses questions techniques laissées sans réponse, notamment les risques d’explosion liée à l’hydrogène, les risques d’incendie et les enjeux d’une gestion des flux sur 150 années. Plusieurs rapports de l’IRSN montrent de manière très explicite que l’ANDRA n’a pas trouvé, à ce jour, de solution satisfaisante à nombre de ces problèmes. Je ne m’étendrai pas non plus sur les multiples incertitudes relatives au financement et au dérapage prévisible – certain, devrais-je plutôt dire – du coût de l’opération, à l’heure où chacun peut constater l’état financier des entreprises du nucléaire.

Notre assemblée, dans les recommandations de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, adoptées en juin 2014, a résumé toutes ces préoccupations. Le 31 mai dernier, après l’examen de ce texte au Sénat, l’Autorité de sûreté nucléaire a émis un avis ; or ne pas faire évoluer la proposition de loi reviendrait à l’ignorer ! L’ASN appelle l’attention sur les évolutions possibles de notre politique énergétique et les effets importants qu’elles pourraient avoir sur le projet. Elle souligne aussi que l’inventaire des déchets est variable dans le temps. Or, rien de cela n’a été pris en compte.

L’ASN demande que la loi fixe une durée pendant laquelle les déchets devront être récupérables dans des conditions de sûreté et de radioprotection maîtrisée, y compris en cas de dégradation des ouvrages et des colis. Ses recommandations sont extrêmement explicites. Pourtant, rien n’est prévu non plus s’agissant de la durée de la phase pilote. Cette phase doit être longue pour permettre d’évaluer in situ toutes les situations, d’observer les déformations éventuelles des galeries de stockage, de procéder à des exercices de récupération des colis – pour ne citer que ces exemples.

Sur la forme, la décision prise en 2006 nous enjoint de débattre de la définition de la réversibilité. De nombreuses tentatives ont eu lieu pour contourner la volonté du législateur : des amendements déposés à de nombreuses reprises, par exemple à la loi sur la transition énergétique ou à la loi dite « Macron ». Dans ce dernier cas, l’amendement a été déposé à la dernière minute, alors que le Gouvernement engageait sa responsabilité. Le Conseil constitutionnel, que nous avions saisi, a confirmé que cet ajout constituait un cavalier. Ni l’esprit, ni la lettre de la loi de 2006 ne sont respectés ; son article 12 dispose en effet que « […] le Gouvernement présente ensuite un projet de loi fixant les conditions de réversibilité. […] » En spécifiant dans la loi que c’est au Gouvernement de présenter un projet de loi, le législateur avait tenu à ce que la discussion soit assortie de garanties juridiques et techniques – je pense notamment à l’avis préalable du Conseil d’État et à l’étude d’impact – que ne permet pas une proposition de loi.

Qu’à cela ne tienne ! Pour légitimer cette démarche, on modifie l’article 12 au risque d’affaiblir la légitimité juridique du texte, alors même que le sujet dont nous traitons aura des répercussions durant des millénaires ! De telles lacunes, en particulier celle de l’étude d’impact, empêchent pourtant les parlementaires d’avoir un débat éclairé : il est de fait impossible de chiffrer le coût des différentes options de réversibilité, de récupérabilité, le coût des risques induits, par exemple, en fonction des politiques énergétiques et industrielles des 150 prochaines années – ce qui représente près de quarante championnats d’Europe de football ! On se retrouve donc aujourd’hui, un 11 juillet, en session extraordinaire, dans un hémicycle déserté, au lendemain d’une finale de championnat d’Europe, à débattre d’une proposition de loi sénatoriale déposée par les Républicains et destinée à solder l’avenir d’un territoire pour une durée de quelques milliers d’années – une bagatelle ! Est-ce sérieux ? Nous connaissons les effets collatéraux de l’examen furtif d’un texte comme celui-ci : une « zone à défendre » s’est déjà installée sur le site. Si l’on ne veut pas que la situation s’envenime et s’installe dans la durée, il faut poursuivre le dialogue.

Ce texte nous paraît insuffisant, précipité, sur la forme comme sur le fond. C’est pourquoi mes collègues écologistes et moi-même ne pourrons pas le voter. Je tiens toutefois à remercier le groupe socialiste, écologiste et républicain, qui laisse les différences s’exprimer, contrairement à une droite qui muselle ses députés.

Mme Michèle Bonneton et Mme Florence Delaunay. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je me garderai bien de jeter la pierre à quiconque, car j’appartiens à cette génération qui a soutenu le choix qui nous réunit aujourd’hui. Je l’ai d’ailleurs moi-même soutenu, à mon modeste niveau – à l’époque, je n’étais pas député –, parce que je ne voulais pas, pas plus que je ne le souhaite aujourd’hui, revenir à la lampe à huile, et parce que je croyais à une certaine idée, une certaine vision du progrès. Cela étant, les choses évoluent, tout comme nous. À soixante ans, je fais partie d’une génération qui a bénéficié de tous les avantages de l’incroyable période de paix qu’a connue notre pays, si chèrement acquise par le sacrifice suprême de nos devanciers.

Un bouleversement du monde, comme il s’en est produit par le passé, s’est amorcé depuis une trentaine d’années, peut-être depuis 1983, peut-être depuis la chute du mur de Berlin, en tout cas depuis que notre modèle, auparavant unique, est devenu fou, furieux, au point de nous imposer, à toutes et tous, sa terrible loi. Nous sommes les pauvres marionnettes d’une puissance qui nous dépasse, que nous avons certes contribué à laisser s’installer, certainement par manque de vigilance, et qui, aujourd’hui, nous tient dans sa main. Mon propos n’est pas d’identifier les moyens qui nous permettraient d’y remédier mais de dire que nous ne pouvons plus raisonnablement parler de démocratie et continuer à nous comporter comme nous le faisons au nom des peuples que nous représentons.

Il faut que nous commencions à réfléchir à la manière dont nous allons rouvrir le cœur de nos compatriotes à la réflexion profonde, à leur expliquer les textes et les accords que nous avons signés dans tous les domaines essentiels de notre vie et de notre avenir. Le texte qui nous réunit cet après-midi en fait partie. Je pense qu’il faut inviter dès maintenant tous nos chercheurs à s’exprimer à ce propos. J’ai la chance de rencontrer un grand nombre d’entre eux ; je pensais que cela me serait très difficile, qu’ils me prendraient pour un marginal et ne voudraient pas m’écouter : au contraire, et je suis stupéfait de ce que j’apprends en les écoutant. Des experts, il y en a aussi parmi nous : je pense par exemple à notre collègue Christian Bataille, que j’estime beaucoup pour des raisons purement personnelles. Bien que le connaissant peu, je sais que c’est un homme doué de rigueur morale et animé par une réflexion profonde sur les dossiers. Nous ne pouvons pas tous – et moi le premier – en dire autant.

Les temps changent très vite. La peur s’est insinuée chez nos compatriotes, notamment après la tragédie survenue au Japon. Auparavant, un grand problème moral s’était posé lorsque nous avions appris que des vents avaient dévié les courants venus de Tchernobyl à quelques encablures de la Lorraine. Je pense que nos opinions publiques, d’ici quelques années, vont nous bloquer, ce qui nous conduira à discuter de la réversibilité et des possibilités qui s’offrent à nous en la matière.

Monsieur le secrétaire d’État, je rends hommage à votre courage, car c’est en effet faire preuve de courage politique que de mettre sur la table, devant l’ensemble des partis représentatifs de notre démocratie, un tel sujet, même si nous aurions pu sans doute parvenir à un meilleur résultat en nous réunissant un mardi ou un mercredi après-midi, à l’heure où l’hémicycle est archi-comble.

En tout état de cause, nous sommes beaucoup plus avancés que je ne le croyais dans le domaine de l’énergie solaire. Le moment est maintenant venu de se pencher, en s’éloignant de ce pétrole qui déclenche de féroces et furieuses guerres de religions, comme nous en avions rarement vu, sur la question des déchets, dont nous ne savons que faire. Il faut convoquer le savoir, et ce n’est pas en se faisant du mal les uns les autres – nous portons tous, en effet, un même espoir – que nous y arriverons, mais en remettant l’ouvrage sur le métier : vous avez commencé, je vous en remercie.

M. Bertrand Pancher. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le souci de la gestion des déchets nucléaires est ancien, mais on peut regretter que cette préoccupation n’ait pas été davantage prise en compte lorsque la décision a été prise de construire les premières générations de réacteurs nucléaires. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui marque une étape décisive dans le long cheminement de ce dossier, initié il y a plus de vingt-cinq ans par la loi du 30 décembre 1991, dont j’avais été le rapporteur à cette même tribune, et qui aboutira, vers 2035, avec l’exploitation courante du stockage des déchets radioactifs en couches géologiques profondes.

Préalablement, en 1989, j’avais été chargé du premier rapport parlementaire traitant de ce sujet : le gouvernement de Michel Rocard, après l’échec des gouvernements précédents, avait recherché une solution neuve en se tournant vers le Parlement. L’institution parlementaire peut être fière de cette démarche, qui illustre un processus conduit à son terme par la volonté de nos assemblées et relayé par le Gouvernement.

La performance n’est pas mince : sur une aussi longue période, il convenait en effet d’éviter le piège des alternances et de limiter le risque que soit remis en cause ce qui avait été décidé.

Cependant, la maîtrise des déchets nucléaires étant de l’intérêt supérieur du pays et de nos concitoyens, les querelles médiocres ont été la plupart du temps évitées, et la continuité de l’État s’est – sur ce dossier – clairement affirmée. Puisse-t-elle donner l’inspiration sur d’autres questions d’intérêt global.

Même si la réversibilité est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, je souhaite rappeler que la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs est fondée sur la recherche de solutions dans trois voies différentes. Les recherches sur l’entreposage en surface et en subsurface se sont poursuivies et seront utiles pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs.

En ce qui concerne les déchets à haute activité et à vie longue, aujourd’hui encore, les chercheurs du CEA et de nos universités travaillent toujours à en réduire la toxicité et le volume, voire – dans une perspective futuriste, presque utopiste –, à éliminer, à incinérer les déchets issus du retraitement, les matières nobles comme le plutonium étant réservées aux usages industriels.

À cette occasion, je soulignerai le rôle éminent tenu par la Commission nationale d’évaluation – CNE –, constituée d’experts provenant de tous les horizons scientifiques et sociologiques, et qui remet régulièrement des rapports très argumentés sur l’évolution des recherches dans les domaines du stockage souterrain, de l’entreposage en surface et de l’élimination par la transmutation des matières radioactives.

Contrairement à ce qu’avancent les adversaires du projet, les responsables du dossier ne se limitent donc pas à vouloir à tout prix « enfouir », comme ils disent, les résidus de retraitement en sites profonds afin de les y oublier : la réversibilité de ce stockage est présente à l’esprit des initiateurs du projet depuis le commencement.

À ce moment de notre réflexion, on pourrait évoquer la place de l’énergie nucléaire ou encore réaffirmer le rôle du progrès scientifique. Restons-en à la simple nécessité de prendre en charge les déchets nucléaires déjà produits ou qui seront produits à coup sûr sans poser le problème du devenir de la filière nucléaire.

Il eut été facile, il y a un quart de siècle, d’invoquer l’urgence, la sécurité pour justifier une démarche accélérée. Au contraire, on a pris le temps – vingt-cinq ans – et marqué les étapes. À la suite vote de la loi de 1991, sur laquelle je ne reviendrai pas, j’ai été chargé par le Gouvernement Balladur, en tant que parlementaire en mission, d’un rapport que j’ai remis à Gérard Longuet et Michel Barnier, alors ministres, et qui laissait au Gouvernement le soin de choisir entre quatre sites favorables. Enfin, la loi de 2006 est venue préciser celle de 1991 et autoriser le principe d’un centre de stockage.

Telles sont les principales étapes de ce parcours progressif et prudent. Il n’existe que très peu d’exemples de processus dans lesquels on a pris autant de précautions. Les critiques voudraient faire croire à une démarche précipitée ; on a pourtant pris le temps de la réflexion et du débat, et aujourd’hui, l’heure de la décision est venue. De toute façon, cinquante ans de réflexion au lieu de vingt-cinq ne contenteraient pas les critiques : pour certains, il faudrait débattre à perte de vue et ne jamais décider.

Avant d’évoquer la réversibilité, il convient de s’intéresser aux enjeux locaux, nationaux et internationaux.

Au niveau local, la préparation du centre de stockage a fait l’objet d’une étude rigoureuse en laboratoire. Le site du Laboratoire de Bure a été retenu par le Gouvernement après que l’on s’est assuré qu’il répondait à deux conditions : la qualité géologique du sol – une argile compacte, non sismique et sans circulation d’eau – et l’adhésion des populations locales au projet. Ces deux conditions étaient réunies dans la Meuse et dans la Haute-Marne comme elles auraient pu l’être dans les sites concurrents de Marcoule ou de la Vienne. En tout état de cause, dans ces régions où les activités industrielles sont précieuses, la future réalisation devra aller de pair avec un développement économique vigoureux. C’est ce que réclament les élus et les habitants du territoire.

Au niveau national, l’enjeu est bien celui de la responsabilité du pays où les déchets sont produits. La France doit assumer la sienne, et nous avons eu raison, à cet égard, de rejeter les solutions « exotiques » telles que le stockage dans un désert situé à l’étranger ou – comme avaient commencé à le faire les Britanniques – dans les fonds marins. Au nom du principe de responsabilité, c’est bien sur notre sol, ou plutôt dans notre sous-sol, que nous devons trouver les réponses. A contrario, la France n’aura pas à accueillir les déchets étrangers ; la loi l’affirmait dès 1991.

Au plan international, nous avons pratiquement rattrapé notre retard en matière de déchets. Dans quelques années, nous serons au même niveau qu’un pays comme la Suède, qui réalise un stockage dans le granit. Le savoir-faire ainsi acquis sera incontestablement pour notre pays un atout sur la scène internationale. D’ailleurs, des pays importants s’intéressent d’ores et déjà à nos méthodes et à nos compétences.

La réversibilité du stockage est une condition essentielle de sa crédibilité. Au début du processus, les économistes et les scientifiques penchaient pour l’irréversibilité, notion qui donnait – et qui donne encore – le vertige. La loi de 1991 n’avait pas arbitré, laissant ainsi ouverte l’alternative entre réversibilité et irréversibilité. La première, qui avait la préférence des parlementaires, a finalement été clairement affirmée par la loi de 2006. Le débat public organisé en 2013 par la Commission nationale du débat public a conduit à y ajouter une étape de stockage pilote.

Si nos débats d’aujourd’hui sont concluants – on peut l’espérer –, la réversibilité sera la clé du futur stockage. Cette notion ne doit pas être comprise comme synonyme de « récupérabilité ». Elle indique la capacité à offrir aux générations suivantes des options sur le long terme, que l’on choisisse de sceller les ouvrages de stockage ou, au contraire, de récupérer les colis de déchets. Cette réversibilité est assurée pendant le développement du stockage, qui est progressif et flexible.

La réversibilité s’inscrit donc bien dans la philosophie de l’ensemble de la démarche, qui est marquée depuis le départ par l’ouverture et la pluralité des options – entre plusieurs voies de recherche, entre plusieurs sites potentiels. Cette notion implique qu’il n’y a pas de solution définitive choisie arbitrairement.

Aujourd’hui, donc, nous confirmons cette démarche d’ouverture, cette dynamique, et nous refusons l’immobilisme.

Dans vingt, trente ou quarante ans, les progrès de la science pourraient nous permettre de récupérer les déchets nucléaires et de les traiter autrement. Le rapporteur l’a souligné, on ne peut pas stocker ces matières en surface pendant une longue durée dans des silos comme nous le faisons aujourd’hui à Marcoule ou à La Hague, même si ce stockage intermédiaire est tout à fait sécurisé.

A contrario, les États-Unis ne se sont pas engagés dans la voie du retraitement et accumulent leurs combustibles usés dans des zones désertiques. La gestion des déchets nucléaires dans ce grand pays reste pour l’instant sans solution.

La nécessité d’adopter une loi sur la réversibilité a fait l’objet de nombreux débats. Il y a un an, avec Jean-Yves Le Déaut et Jean-Louis Dumont, nous avions fait adopter dans la loi Macron une disposition semblable à celle dont nous discutons aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est du Sénat que nous revient un texte fort proche : ce texte très complet est pleinement satisfaisant. Il n’est plus utile d’y ajouter tel ou tel amendement. Au contraire, il est maintenant prioritaire de conforter par notre vote un texte adopté très largement par la majorité et l’opposition du Sénat rassemblées, avec le soutien du Gouvernement.

C’est la raison pour laquelle, au nom du groupe socialiste, je vous demande de rejeter tous les amendements pour aboutir à un vote final conforme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Bernard Accoyer et M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le sujet est loin d’être anodin. En fait, il est éminemment démocratique. Il me plaît de participer à un tel débat, à la fois, scientifique, technique, stratégique et profondément démocratique puisqu’il nous revient de décider et d’avancer.

Il s’agit d’un texte de nature technique car nous parlons d’énergie et d’atome. L’atome représente l’une des grandes angoisses du XXe siècle, mais également une de ses grandes chances. La science est ce que les êtres humains en font. Par nature et fonction, elle est comme l’univers. Ce qui compte, c’est ce que nous en faisons. On en a fait le pire, mais on peut aussi en faire le meilleur.

Or l’énergie représente le meilleur. Mais il existe mille et une sources d’énergie. Nous savons tous que, dans le siècle qui vient, il faudra investir dans les énergies renouvelables car les ressources fossiles ne sont pas infinies. Le nucléaire est une ressource fossile. Il n’empêche que ce qui est là, est là, ce qui est fait, est fait et ce qui doit être fait, doit l’être.

Or la question des déchets, elle est là. Les déchets à vie longue sont aujourd’hui entreposés en subsurface, ce qui n’est pas acceptable. J’entends que les Américains ne se sont pas engagés dans la même voie que celle qui est proposée. Certes, mais les Américains ont quelque chose que nous n’avons pas, à savoir d’immenses déserts sans eau, sans tremblements de terre. Il n’y a donc pas de risques et ils peuvent entreposer en subsurface, sous les montagnes. Tel n’est pas le cas sur notre territoire national.

Il importe donc de trouver des solutions, et celle de l’enfouissement souterrain est la seule. Il est important de rappeler certains faits d’ordre scientifique. Allons-nous conserver en subsurface des déchets à vie longue, comme c’est le cas aujourd’hui, alors qu’il pleut en abondance dans notre pays – ce dont on peut par ailleurs se féliciter ? Peut-on conserver le système actuel s’agissant de matières devant être stockées très longtemps, peut-être même au-delà de la vie de l’humanité ? Je rappelle que l’homme de Néandertal a 300 000 ans et qu’Homo sapiens sapiens n’en a que 100 000. Nous ne sommes qu’un petit aléa de l’histoire de la terre ; l’humanité qui écrit, qui parle et qui transmet a à peine 10 000 ans.

Nous avons créé le nucléaire et nous devons en assumer les conséquences. C’est un travail non seulement politique, mais c’est un travail de raison et qui doit être raisonnable. Ce texte aura mis trente ans à aboutir, et l’introduction de la notion de réversibilité est une bonne chose. Il faut engager le processus afin d’en mesurer les conséquences.

Nous devons nous faire confiance, ce qui est le principe même de la démocratie. Cela revient à admettre ce qui a été pensé, discuté, argumenté et qui peut être réfutable. C’est faire confiance à la raison, au raisonnable. La pensée prend le pouvoir scientifiquement, politiquement.

Nous parlons aujourd’hui d’un sujet important, l’entreposage en couche profonde. Nos ingénieurs ont fait un travail considérable dans ce domaine. Nous le constatons, tout change sur notre terre, dans nos sociétés. L’un de nos grands ingénieurs, que je ne nommerai pas, faisait de la sécurisation absolue, avec une absence totale de transparence, un principe essentiel. Aujourd’hui, les ingénieurs se font parangons de la transparence : ils n’échappent pas aux évolutions de la société politique et humaine. La géologue que je suis dit qu’il est temps de faire le travail et d’assumer nos responsabilités.

La France n’a pas de ressources naturelles fossiles. Nous n’avons pas de pétrole, disait-on, en d’autres temps. C’est vrai. Nous avons l’intelligence du nucléaire, nous sommes une puissance nucléaire, c’est un fait et il faut en assumer les conséquences. Il faut assumer le stockage, l’assumer sur une longue période tout en continuant à travailler sur les énergies renouvelables. C’est un enjeu fondamental et peut-être avons-nous été un peu en retrait, voire un peu légers sur de tels sujets.

L’autre point qu’il faudra assumer également est la nécessité de ne pas dépenser d’énergie, ou d’en dépenser moins. Nous en dépenserons cependant toujours et il n’est pas imaginable de revenir en arrière, vers des obscurantismes qui se sont toujours déployés dans des sociétés dictatoriales, alors que nous avons la possibilité de travailler du point de vue de la raison, qui est le fondement de la démocratie.

Je soutiens donc pleinement le projet Cigéo. Pour la géologue que je suis, les argiles du lieu où il sera implanté sont correctes et de bonne qualité, permettant un bon travail qu’il est temps de mettre en œuvre. Nous nous engageons sur la réversibilité et la transparence. C’est tant mieux. C’est la modernité. C’est l’avenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier tous les parlementaires qui, depuis vingt-cinq ans, notamment au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la commission du développement durable, se sont penchés sur ces questions, notamment M. Christian Bataille qui, comme cela a été redit, a réalisé dès 1991 un travail exploratoire. Je tiens également à remercier mes collègues Jean-Louis Dumont et Anne-Yvonne Le Dain, qui ont signé avec moi une proposition de loi émanant d’un travail de l’Office parlementaire, repris par les sénateurs Longuet et Namy. Le Sénat a été plus réactif en inscrivant le premier ce texte à son ordre du jour. Il est désormais soumis à l’Assemblée nationale et il faut, comme l’a dit notre collègue, le voter conforme.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Déaut. En effet, ne pas légiférer aujourd’hui reviendrait à retarder encore l’instruction de ce dossier. De fait, nous avons pris du retard et déjà, en légiférant aujourd’hui, ce n’est qu’en 2035 que nous pourrions disposer d’un centre opérationnel dans la Meuse, soit dans vingt ans, alors qu’il y a vingt-cinq ans que nous avons engagé ce processus.

Selon les dizaines d’études réalisées à ce propos et tous les scientifiques – sur lesquels vous vous interrogiez tout à l’heure, monsieur Lassalle –, la solution est là, comme je le dirai tout à l’heure. Quelle autre solution existe-t-il en effet ? Avez-vous entendu quelqu’un en proposer une dans cet hémicycle ? La possibilité de l’entreposage a pu être évoquée, mais personne n’est aujourd’hui favorable à un entreposage sur des sites disséminés sur le territoire. J’étais hier à Marcoule, où des déchets sont stockés dans l’attente d’un centre de stockage : comment parler de sécurité dans notre pays s’il faut surveiller en permanence des déchets disséminés ?

M. Jean-Louis Dumont. À très long terme, qui plus est !

M. Jean-Yves Le Déaut. Il est évident que la solution de sûreté pour nos concitoyens consiste à disposer d’un centre de stockage et d’un centre de gestion.

La proposition de loi que j’avais élaborée avec mes collègues poursuivait quatre objectifs, qui ont été repris par celle que nous examinons ce soir. Il s’agissait d’abord de modifier, comme on l’a dit tout à l’heure, le calendrier initialement prévu.

Il s’agissait ensuite de définir la notion de réversibilité. Celle-ci, en effet, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, n’est pas un subterfuge : elle consiste à permettre aux générations futures, à chaque étape, en fonction des connaissances techniques et scientifiques, de décider de poursuivre le projet, de le modifier, de revenir à son étape antérieure, voire de le stopper. La réversibilité permet d’assurer une gestion des déchets partagée entre les générations et ce texte permet de définir les conditions dans lesquelles on pourra récupérer les déchets pendant au moins un siècle, et donc de préciser comment adapter les installations et le creusement des galeries à cette exigence.

Pour aller plus loin dans la précaution, nous avons également proposé de lancer une phase industrielle pilote permettant de tester en vraie grandeur les choix techniques issus des travaux du laboratoire de Bure-Saudron et de confirmer leur bien-fondé. Nous validons ainsi une recommandation issue du débat public : comment peut-on nous reprocher d’écouter nos concitoyens ? Cette phase sera, bien entendu, évaluée ultérieurement par le Parlement. Je tiens à dire ici tout le respect que j’ai pour l’Autorité de sûreté nucléaire, pour l’IRSN et pour la Commission nationale d’évaluation qui, comme cela a été dit tout à l’heure, ont réalisé ce travail.

Il s’agissait enfin d’adapter la procédure d’installation en précisant les questions relatives à la maîtrise foncière et au délai entre le débat public et l’enquête publique.

J’ai entendu ce soir certains propos effarants. On a certes parlé du nucléaire – Mme Delaunay en a bien parlé et chacun est libre, bien entendu, d’être pour ou contre – mais quelle que soit notre position à cet égard, il est irresponsable de laisser aux générations futures le soin de régler la question des déchets. La responsabilité consiste à la traiter aujourd’hui. Il est faux, du reste, de dire que les autres pays ne suivent pas cette voie. Ainsi, en Finlande, la solution du stockage réversible a été votée à l’unanimité par le Parlement, députés verts inclus.

Il n’y a pas d’alternative au stockage, tous les scientifiques le disent – qu’il s’agisse de l’IRSN, de l’ASN ou de la Commission nationale d’évaluation. L’Autorité de sûreté nucléaire déclare ainsi que « l’entreposage de longue durée ne peut constituer une solution définitive pour la gestion des déchets de haute activité à vie longue » et, selon l’Union européenne – dont la position a été tronquée tout à l’heure –, « l’entreposage des déchets radioactifs, y compris à long terme, n’est qu’une solution provisoire, qui ne saurait constituer une alternative au stockage ».

Je soulignerai pour conclure l’importance des collectivités locales. Il n’y a rien d’aberrant à financer des collectivités locales qui, au nom de l’intérêt national, acceptent d’accueillir un centre de stockage de déchets et je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que le Comité de haut niveau, qui ne s’est pas réuni depuis un certain temps, le fasse rapidement.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien ! Il faut en faire un porte-parole. Monsieur le secrétaire d’État, je vous interrogerai tout à l’heure à ce propos, car voilà deux ans qu’il ne s’est pas réuni ! C’est scandaleux !

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce texte correspond aux valeurs que nous avons défendues : l’éthique, la réversibilité, la responsabilité et la progressivité. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons qu’aujourd’hui ce texte soit voté conforme à l’unanimité. Cette question n’attendra pas et il faut trouver une solution, car on ne peut pas la laisser aux générations futures. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. André Vallini, secrétaire d’État. Monsieur le président, sans répondre à chacun des orateurs, que j’ai cependant écoutés attentivement, je me limiterai à deux éléments.

Tout d’abord, le Gouvernement souscrit à l’impératif de modestie exprimé par plusieurs orateurs face à un sujet très ample par ses conséquences à très long terme et très complexe. Le débat d’aujourd’hui ne résout pas définitivement le problème de la gestion des déchets radioactifs, ni ne grave définitivement le Cigéo dans le marbre. Il s’agit simplement – mais c’est déjà beaucoup – d’une étape supplémentaire, qui se fonde sur l’état actuel des connaissances scientifiques.

En deuxième lieu, le Gouvernement se réjouit du quasi-consensus qui s’exprime sur la nécessité d’avancer pour définir les modalités du stockage souterrain, notamment sa réversibilité, et sur l’introduction d’une phase industrielle pilote, puis sur un nouveau rendez-vous démocratique devant le Parlement.

J’ai en outre bien noté la demande pressante des parlementaires de voir se réunir le Comité de haut niveau sur cette question. J’en ferai part au Premier ministre.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte dont nous examinons maintenant l’article 1er, texte qui nous vient du Sénat et qui a été adopté par notre commission du développement durable, indique à nouveau, s’il était nécessaire après toutes les informations qui viennent d’être rappelées, que c’est la volonté du Parlement qui a fait sortir la question des déchets nucléaires du secret, du silence, voire – pis encore ! – de l’indifférence.

Ce texte de 1991 a donné à l’ANDRA mission de recenser, qualifier et trier les déchets et de mener des études sur ce qu’il convenait d’en faire – transmutation, stockage en couche géologique profonde si nécessaire, voire en subsurface. Aujourd’hui, un seul élément reste à définir dans le texte : la réversibilité. De fait, il ne se passe pas de trimestre ou de semestre sans qu’aient lieu des débats publics, des échanges ou des colloques visant notamment à savoir comment se stockage pourra être identifié dans quelques milliers d’années – cela dépasse largement les quelques générations qui, au cours d’un long siècle, travailleront sur Cigéo.

C’est la raison pour laquelle les élus, en particulier les élus locaux, doivent être respectés et entendus. Vous avez compris, monsieur le secrétaire d’État, que le Comité de haut niveau nous tient à cœur. On ne peut accepter qu’un ministre du Gouvernement ne le réunisse pas, ne serait-ce qu’autour de son directeur de cabinet. Cela s’est déjà fait – je ne citerai pas de noms, mais cette question a une histoire. On ne peut pas laisser de côté ces territoires et les mépriser comme on vient de le faire pendant plusieurs trimestres – il y a en effet deux ans au moins que le comité n’a pas été réuni.

Je prendrai à nouveau la parole sur l’article 2. Je tiens cependant à souligner que les débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle ont été marqués par un grand sens de la responsabilité et un grand respect. Nous pouvons les poursuivre comme tels et prendre la responsabilité de passer à une nouvelle étape. C’est le cas aujourd’hui avec Cigéo et la réversibilité.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. À propos de cet article 1er et, plus généralement, de l’ensemble de ce texte, il importe de saluer ce qui a été construit depuis bien longtemps dans notre pays autour de la filière nucléaire. Le travail effectué par le Sénat et celui réalisé dans le cadre de la mission de notre rapporteur, avec notre excellent collègue Aubert, convergent vers une solution dont nous débattons aujourd’hui. Il faut saluer cette convergence. Je puis donc saluer aussi ce moment, toujours exaltant dans le travail d’un parlementaire, où il n’y a plus de barrières politiques et où nous nous retrouvons autour de sujets qui devraient nous rassembler.

L’histoire nucléaire de la France est l’une de nos fiertés et plusieurs de nos collègues, dont certains sont ici présents, l’ont accompagnée d’un travail assidu. L’OPECST a lui aussi, comme vient de le rappeler M. Le Déaut, apporté à cette filière, ainsi qu’à tout ce qui en découle et à ce qui l’entoure, en amont comme en aval, un travail d’une qualité exceptionnelle.

Dans la continuité du travail de M. Christian Bataille et de bien d’autres que je ne puis tous citer ici, il n’y a donc pas lieu de modifier en quoi que ce soit le texte adopté à l’unanimité par le Sénat. Réussissant à gérer la question difficile du calendrier et de la réversibilité, il mérite, en l’état, et en particulier pour son article 1er, d’être adopté conforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Comme je l’ai dit voilà quelques instants, il est, bien sûr, responsable et raisonnable de nous interroger sur la manière de trancher ce problème, car il est devant nous et nous ne pouvons faire comme s’il n’existait pas. Je tiens cependant à insister sur le fait qu’il faut porter à la connaissance du peuple nos débats et discussions, ainsi que tout ce dossier du nucléaire. Il faut en effet rendre au peuple les moyens de discerner, de débattre et, le moment venu, de choisir. C’est ainsi que nous éviterons les rumeurs et la peur qui ne manqueront pas de s’étaler si nous ne le faisons pas.

Je le redis : l’opinion publique changera beaucoup dans les dix ans qui viennent, notamment à propos du nucléaire, car la peur s’est insinuée. Je redoute le jour où nos gouvernements, quels qu’ils soient, pourraient se trouver dans l’impossibilité d’agir. J’ai donc voulu dire qu’il fallait accélérer : il ne s’agit pas tant de faire des COP22, comme ce sera le cas au Maroc dans quelques semaines, que d’intensifier d’urgence les travaux de reconversion énergétique, notamment pour le développement de l’énergie du soleil, dont nous savons aujourd’hui qu’elle peut constituer, avec celle des marées, une alternative réelle bien plus vite qu’on ne le croit et qu’on ne le dit jusqu’à présent. Je me permets d’y insister : faisons-le pendant qu’il en est temps car, dans quelques mois, ou peut-être dans quelques années, il sera trop tard.

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n7.

M. François-Michel Lambert. Le présent amendement a pour objet de supprimer les alinéas 2 à 25. L’article 1er précise en effet la définition de la réversibilité du stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Or cette précision est apportée par une proposition de loi et non, comme cela était prévu par le législateur de 2006, par un projet de loi. De ce fait, cette définition fait abstraction de toute étude d’impact et de toute validation a priori par le Conseil d’État.

Pour rappel, la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, dans sa dixième recommandation, insiste sur « le rôle du Parlement dans la définition préalable des conditions de récupérabilité, dans le respect des principes fixés par la loi. ».

Il est donc proposé de supprimer ces alinéas pour permettre au Gouvernement de proposer un projet de loi assorti des garanties juridiques et études prévues par la Constitution et par la législation.

Ainsi que je l’ai rappelé dans la discussion générale, la loi de 2006 prévoyait que l’initiative du texte reviendrait au Gouvernement. De ce fait, passer par l’initiative parlementaire nous prive de l’avis du Conseil d’État et surtout d’une étude d’impact.

Nous proposons donc de supprimer toute définition de réversibilité contenue dans ce texte pour permettre un déroulement conforme au souhait du législateur de 2006 et étudier ainsi un texte assorti de ses études juridiques et d’impact.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. J’indiquerai tout d’abord à mon collègue que cet amendement a été repoussé par la commission. Il a en effet pour objet de vider de sa substance l’article 1er et donc la proposition de loi, notamment dans sa disposition issue du débat public national de 2013, à savoir la question de la phase industrielle pilote.

Quoi qu’il en soit, vous vous fondez sur les conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur les coûts du nucléaire s’agissant du rôle du Parlement. Il est donc assez paradoxal, si vous me permettez cette remarque, d’évoquer le rôle du Parlement tout en demandant que l’on ait recours à un projet de loi plutôt qu’à une proposition de loi.

Nous avons la chance d’examiner aujourd’hui une proposition de loi. Il s’agit du reste d’un processus législatif au long cours – cela a été abondamment rappelé lors de la discussion générale –, commencé en 1991 par une loi qui, vous l’avez souligné, ne portait pas le nom d’un ministre mais celui d’un parlementaire : la loi Bataille.

Il est depuis toujours de la responsabilité du Parlement et de ses parlementaires de faire en sorte que ce débat revienne régulièrement ici, nous permettant d’assumer nos responsabilités.

Dernier argument s’agissant des études d’impact : je tiens à la disposition de nos collègues une liste exhaustive de rapports produits par les offices parlementaires, l’ANDRA, l’ASN et de divers autres organismes, traitant de la question du démantèlement comme de celle des déchets.

M. Jean-Louis Dumont. Tout à fait !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a missionné récemment certains de nos collègues sur la question du démantèlement : la littérature est donc abondante sur ce sujet. C’est du reste bien normal car, vous avez raison de le dire, nous avons besoin d’agir dans la transparence et avec une bonne connaissance du sujet.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Avis également défavorable en raison du rôle éminent, essentiel, que joue le Parlement depuis si longtemps sur cette question. Comme l’a dit Mme Le Dain tout à l’heure, s’il y a une question éminemment démocratique, c’est bien celle qui met en jeu la sécurité et la sûreté des populations en matière d’énergie, particulièrement l’énergie nucléaire.

Le Parlement doit donc évidemment continuer à jouer le rôle éminent qui est le sien depuis longtemps et pour longtemps encore.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Mme Duflot a cité tout à l’heure Aimé Césaire. Comme j’ai compris qu’on pouvait marier la transition énergétique, les déchets radioactifs et la poésie, je souhaite citer le poète qui disait : « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ».

En d’autres termes, qu’importe que ce soit une proposition de loi ou un projet de loi, pourvu qu’on garde la réversibilité. Or en proposant cet amendement qui vise en réalité à supprimer la définition de la réversibilité, nous garderions la bouteille, mais elle serait vide : nous n’aurions donc pas l’ivresse.

En outre, l’argumentation portant sur cet article 1er me paraît un peu spécieuse. Vous dites qu’il n’y a pas d’étude d’impact ; or il s’agit ici de la définition de la réversibilité. Une étude d’impact vise à apprécier les conséquences d’un projet : s’il s’agissait de l’autorisation du projet Cigéo, nous aurions effectivement besoin d’une étude d’impact. Mais, en l’occurrence, il est assez spécieux d’affirmer qu’il faut une étude d’impact pour la définition d’un concept.

De plus, vous ajoutez la validation par le Conseil d’État : il ne vous aura pas échappé que, dans les précédentes étapes législatives, le Conseil d’État s’est déjà saisi de la question de la réversibilité. Par conséquent, il convient de repousser cet amendement.

(L’amendement n7 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n6.

M. Patrice Carvalho. Cet amendement vise à compléter la définition de la notion de réversibilité, qui nous semble incomplète au regard de l’enjeu considérable qu’elle représente pour les générations futures.

La réversibilité doit en toute hypothèse offrir aux générations successives la garantie de pouvoir revenir sur les décisions prises par les générations précédentes et non de prévoir la seule possibilité de s’adapter à une situation en faisant évoluer les choix de gestion.

Pour lever toute ambiguïté sur ce point, le présent amendement propose donc de spécifier que la réversibilité implique la possibilité de revenir, en fonction des solutions techniques disponibles, sur les décisions prises par les générations antérieures.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. La définition proposée dans la proposition de loi est large puisqu’elle permet justement aux générations successives de réévaluer le projet et de l’adapter en conséquence.

Par ailleurs, l’amendement proposé par notre collègue est beaucoup plus restrictif puisqu’il se limite à la génération antérieure, alors que le texte que nous proposons évoque, lui, toutes les générations – deuxième, troisième, quatrième génération. Je lui propose donc de retirer son amendement ; si ce n’est pas le cas, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. Monsieur Carvalho, maintenez-vous votre amendement ?

M. Patrice Carvalho. Je le retire.

(L’amendement n6 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 18 et 8, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n18.

Mme Michèle Bonneton. Cet amendement précise ce que devrait être la réversibilité puisque la pseudo-définition qui en a été donnée est bien trop floue – beaucoup sont d’accord sur ce point.

Notre amendement précise ce que doit être la réversibilité en rédigeant ainsi la dernière phrase de l’alinéa 5 : « Elle inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés. »

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n8.

M. François-Michel Lambert. L’Autorité de sûreté nucléaire, dans son avis du 31 mai 2016, précise que la récupérabilité des colis de déchets doit être assurée pendant une période définie par la loi et dans des conditions de sûreté et de radioprotection maîtrisées.

Il s’agit ici de répondre à cet avis de l’ASN en garantissant que la réversibilité s’entend comme la faculté de récupérer les colis de déchets déjà stockés à tout moment, dans des conditions de sûreté satisfaisantes, jusqu’à la fermeture définitive de l’installation, afin que les générations futures puissent effectivement décider d’une alternative au stockage géologique.

Permettez-moi, monsieur le président, de répondre à notre collègue Julien Aubert : il y a réversibilité et réversibilité. La réversibilité sur une telle durée n’en est plus vraiment une, raison pour laquelle l’étude d’impact est absolument nécessaire. N’utilisez pas les mots pour masquer la réalité de ce que sera l’impact du stockage souterrain ! Voilà ce qu’il faut dire aux gens : il ne faut pas leur mentir !

Nous proposons donc d’ajouter une précision sur les conditions et la durée de réversibilité des déchets stockés en couche géologique profonde, conformément à la recommandation de l’ASN. Alors, comme le disait tout à l’heure notre collègue Jean Lassalle, le peuple pourra se prononcer en pleine connaissance du sujet.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. S’agissant de l’amendement n18 défendu par Mme Bonneton, la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage est définie à travers le plan directeur d’exploitation, qui fait l’objet d’une concertation ouverte.

Bien évidemment, la durée de la mise en œuvre de la réversibilité est intimement liée au projet industriel. Ce texte ne remet pas en cause la durée minimale de 100 ans. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

S’agissant de l’amendement déposé par notre collègue François-Michel Lambert, ce qu’il dit de l’Autorité de sûreté nucléaire correspond aux missions qu’elle opère dans le cadre de la loi transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN. Le projet Cigéo, qui est d’abord une installation nucléaire de base, n’échappe pas aux contrôles et à la mission opérée. Cet amendement étant redondant, j’émets également un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Duflot.

Mme Cécile Duflot. J’ai entendu dire que l’amendement de M. Lambert était redondant, mais je pense que ce qui s’entend peut se dire, surtout sur un sujet aussi important.

M. François-Michel Lambert. Très bien !

Mme Cécile Duflot. Au cœur du débat, la question de la réversibilité ne doit pas être un simple mot dans le titre de la loi : elle doit s’inscrire dans les faits.

Pour que la réversibilité existe, il faut que les conditions de sûreté soient possibles, c’est-à-dire qu’on n’oppose pas à la réversibilité le danger d’aller rechercher les fûts. Je ne vois donc pas d’obstacle sur le fond, monsieur le rapporteur, à ce que cet amendement soit adopté.

Votre argument sur l’amendement précédent pouvant s’entendre, ma collègue Michèle Bonneton et moi proposons de le retirer au profit de celui de M. Lambert.

(L’amendement n18 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Je remercie le rapporteur de nous faire part à nouveau de ces précisions. Il est important de rappeler que la réversibilité est conçue pour une période d’au minimum 100 ans après la phase pilote.

M. François-Michel Lambert. Cent ans !

M. Bertrand Pancher. Cela fait donc 115 ou 120 ans : si avec tout cela, on n’est pas capable de se rendre compte si le système est réversible ou pas, franchement, ce serait à douter de l’intelligence humaine !

Deuxième observation : dans 100 ans, et même dans 50 ans, sera-t-on incapable d’aller rechercher ce que l’on enfouit aujourd’hui ?

Mme Michèle Bonneton. Et dans 1 000 ans ?

M. Bertrand Pancher. C’est quand même invraisemblable de croire que l’on sera incapable d’aller rechercher demain, avec les technologies de demain, ce que l’on est capable de stocker aujourd’hui !

De plus, nous détaillons le contenu de la réversibilité. Chers collègues, faites très attention car nous finirons par vous prendre au mot. Vous nous avez dit, il y a quelques instants : « Si vous précisez les conditions de la réversibilité, nous serons tous d’accord avec vous ». J’ai presque envie de dire : chiche !

Mme Cécile Duflot. Eh bien allez-y, dites-le !

M. Bertrand Pancher. Sauf que je suis absolument certain que vous allez encore nous trouver des obstacles puisqu’à chaque fois que nous faisons la démonstration…

Mme Michèle Bonneton. Quelle démonstration ?

M. Bertrand Pancher. …que ce site présente des conditions de sécurité fortes,…

M. François-Michel Lambert. Fortes mais pas suffisantes !

M. Bertrand Pancher. …vous nous opposez toujours d’autres objections : le sous-sol est en train de chauffer, des fissures apparaissent, des incendies, etc. N’importe quoi est prétexte à faire en sorte que les choses n’avancent pas !

Cet article étant très bien rédigé, je propose donc qu’il soit maintenu en l’état.

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n19.

Mme Michèle Bonneton. Cet amendement vise à introduire une surveillance permanente du stockage et à demander que l’Autorité de sûreté nucléaire remette au Parlement un rapport annuel sur l’état du stockage.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Je vous remercie, madame Bonneton, de cet amendement qui me permet de préciser les missions de l’ASN s’agissant du caractère effectif de la surveillance.

Vous savez que de telles missions lui ont été données par la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : elles seront assurées.

L’ASN est déjà chargée d’établir un rapport annuel d’activité qu’elle transmet au Parlement – celui-ci saisissant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – ainsi qu’au Gouvernement et au Président de la République.

Ce rapport est ensuite rendu public et à cette occasion l’ASN se prononce sur l’état de sûreté nucléaire et de radioprotection.

J’ajoute, même si cela a été dit pendant la discussion générale par mes collègues Christian Bataille et Jean-Yves Le Déaut, que la Commission nationale d’évaluation est saisie sur l’état d’avancement des recherches et des études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs. Elle établit elle aussi un rapport annuel de qualité qui est transmis au Parlement ; et celui-ci saisit également l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ce rapport est rendu public.

On le voit, ce que vous demandez existe déjà. J’émets donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Ce type de rapport existe, en effet. Je m’interroge sur la rédaction que vous voulez donner à l’alinéa 6 : « une surveillance permanente du stockage », qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Des agents de l’ASN devraient-ils se tenir en permanence, jour et nuit, sur les lieux de stockage ? Va-t-on procéder par vidéosurveillance ?

En outre, vous voulez une surveillance « permettant à tout moment d’évaluer le caractère réversible du stockage en couche géologique profonde ». Cela induirait-il qu’on puisse à tout moment lancer une opération pour aller récupérer un colis ?

Cette proposition de loi a pour objet une certaine flexibilité. Dans la pratique, on ne va pas s’amuser chaque année à aller chercher un colis entreposé depuis dix ans. Qu’on se donne la possibilité de le faire, oui ; mais compliquer encore la procédure pour vérifier si c’est faisable me semble inutile.

M. Bertrand Pancher. Voire dangereux.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je suis un peu étonnée qu’on se propose d’inscrire dans un texte de loi qu’il faille aller voir physiquement. Nous sommes dans le monde de l’immatériel, il est possible d’installer partout des capteurs sans contact qui permettent de transmettre à très longues distances des données exceptionnelles : nous pouvons donc être renseignés en temps réel. Les ingénieurs étant ainsi faits, ces systèmes sont déjà en action et vont se développer : il n’est pas utile, dans un texte de loi, de prévoir ce que devront faire et dire les ingénieurs qui surveilleront ces capteurs. C’est une réalité banale sur tout site industriel.

(L’amendement n19 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n11.

M. François-Michel Lambert. Il vise à remplacer, à la première phrase de l’alinéa 8, les mots : « industrielle pilote » par les mots : « pilote préalable d’expérimentation ».

Je tiens à insister, car je sais mon collègue Julien Aubert très pointilleux sur les mots.

Cette substitution est indispensable. C’est un amendement de précision. Il s’agit de faire en sorte que l’Assemblée valide les recommandations du rapport de la commission d’enquête sur le coût du nucléaire.

Cette formulation nous paraît beaucoup plus explicite, alors que celle du texte laisse entendre que nous aurions déjà basculé dans un choix définitif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Ce n’est pas un amendement de précision mais de confusion que vous proposez. Une confusion risque en effet de se produire avec les travaux d’expérimentation conduits depuis 1999 au laboratoire de Bure.

La « phase industrielle pilote » consiste à conforter, en grandeur réelle, les conditions d’exercice mêmes de la réversibilité.

Pour éviter cette confusion, je demande le retrait de cet amendement. Sinon, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Il ne faut pas confondre le ver et la chrysalide, avant l’apparition du papillon.

Si je suis attaché à la précision des mots, en tant qu’ancien magistrat à la Cour des comptes, je souhaite aussi qu’on n’ajoute pas des procédures de navette parlementaire qui ont un coût.

M. François-Michel Lambert. Tout est dit !

M. Julien Aubert. Vous le savez comme moi, la modification d’un mot nécessiterait un vote au Sénat pour parvenir au même texte et je crois qu’il faut penser aux finances publiques, monsieur Lambert.

Vous avez suffisamment critiqué dans le passé le coût du projet Cigéo. Eh bien, je vous propose de faire des économies. Le sens du texte restera plus précis et nous éviterons de mobiliser nos collègues sénateurs pour ce qui relève du détail.

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le rapporteur, j’ai bien entendu vos propos mais je doute qu’il y ait confusion. Notre collègue Julien Aubert vient de le démontrer : ses objections ne reposent que sur des arguments financiers. À l’échelle des projets que nous évoquons, une démocratie qui est aussi la cinquième puissance mondiale ne pourrait donc pas se permettre un aller-retour avec le Sénat ? On voit bien dans quel jeu nous sommes.

M. Julien Aubert. Ce n’est pas un jeu, monsieur Lambert.

M. François-Michel Lambert. Mais si ! On refuse le débat parlementaire. Monsieur Aubert, vous auriez dû demander l’application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution : ainsi, il n’y aurait pas de discussion et nous gagnerions du temps !

M. Julien Aubert. Ça ne se demande pas !

M. François-Michel Lambert. Vous auriez aussi pu éviter de vous exprimer, ce qui nous aurait encore fait gagner du temps.

Il n’y a pas d’arguments de cet ordre. La seule question est celle-ci : écrivons-nous une loi précise pour les 150 ans qui viennent ou nous contentons-nous d’avaliser ce qui a été adopté par les sénateurs ?

(L’amendement n11 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n9.

M. François-Michel Lambert. Je suis désolé de prendre sur l’argent public en présentant des amendements…

Celui-ci vise à ajouter « d’une durée minimale de trente ans ». Le texte qui nous est soumis reste d’un flou absolu quant à la durée de la phase pilote. Or, il est nécessaire que celle-ci soit suffisamment longue pour permettre d’évaluer toutes les options de sûreté et de procéder à toutes les études in situ avant la transition entre la phase pilote et l’exploitation du centre.

Nous proposons donc de fixer cette période de test grandeur nature à un minimum de trente années. Merci pour ces trente secondes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. L’amendement suivant vise à fixer cette période à un minimum de vingt ans. On voit bien la difficulté de l’exercice.

Dans le texte, aucune durée n’est figée. On se donne entre cinq et dix ans pour tenir compte des éléments qui seront apportés dans l’avant-projet détaillé.

Il faut éviter de se lier les mains, tout en conservant les éléments utiles. Grâce à un amendement du Sénat, il reviendra au Parlement de se prononcer pour définir une phase d’exploitation courante.

Ces déchets, vous le savez, sont actuellement à La Hague ou à Marcoule. Il est nécessaire de ne surtout pas dilater le temps : notre responsabilité absolue est de faire en sorte que ces déchets qui existent trouvent un exutoire, c’est-à-dire un stockage en profondeur. Avis défavorable à cet amendement comme au suivant.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je suis surpris car je me rappelle de nos échanges pendant l’examen du projet de loi sur la transition énergétique : quand il s’agit de sortir du nucléaire, les écologistes appuient sur l’accélérateur, estimant qu’il faut aller très vite et fermer un tiers des centrales en dix ans.

Le problème n’est pas théorique, mais pratique : nous avons un volume de déchets mais pas de solutions alternatives, sinon des options qui, en termes de protection de l’environnement, posent d’autres problèmes, beaucoup plus graves. Or, dans ce domaine, vous voulez aller plus lentement et freinez au maximum.

On peut se demander, d’ailleurs, pourquoi fixer la durée minimale à trente ans ? Pourquoi pas cinquante ou quatre-vingt ans ? Vous n’expliquez pas, dans votre exposé sommaire, comment vous arrivez à cette durée.

D’ailleurs, cela fait déjà vingt-cinq ans qu’on prépare ce texte. En réalité, il ne s’agit pour vous que de remettre pour empêcher son adoption. Pourquoi pas quarante ans, ensuite, après l’expérimentation d’une phase industrielle pilote ? En 2200, nous aurons toujours nos déchets sans avoir trouvé la moindre solution pratique. C’est là ma principale critique : vous réfléchissez en théorie mais à aucun moment vous ne voulez régler le problème.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Duflot.

Mme Cécile Duflot. M. Aubert nous a donné le fin mot de l’histoire qui a été explicité par mon collègue François-Michel Lambert : nous examinons une proposition de loi déposée par deux sénateurs de droite – un centriste et un membre du groupe Les Républicains –, proposition examinée dans la niche des Républicains, le moment le plus politique dont dispose chaque groupe. Et voici que cette proposition est inscrite à l’ordre du jour par le Gouvernement, avec la volonté – vous l’avez dit et nous l’avons bien compris – qu’il n’y ait pas de débat et que ce texte soit voté conforme.

Je tiens juste à signaler une fois pour toute que plus personne ici – et je parle en particulier des membres du Gouvernement – ne peut donner de leçon sur les accords qui existent entre la gauche et la droite. Sur un texte qui nous engage pour des millions d’années, il n’y a visiblement aucun état d’âme à inscrire d’urgence ce texte des Républicains.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur et monsieur le secrétaire d’État, nous pouvons dresser la liste de tous les amendements : aucun ne recevra d’avis favorable.

Ce débat est finalement une mascarade, sur un sujet essentiel, en l’absence de la ministre de l’écologie – retenue pour faire des selfies avec nos footballeurs, et j’en profite pour les féliciter.

Néanmoins, je le dis : c’est normalement ici le cœur battant de la démocratie. Les parlementaires engagent notre pays pour des millions d’années en se contentant d’une mascarade en guise de débat parlementaire. Est-il vraiment nécessaire de s’attarder ? Il n’y aura aucun débat, aucune possibilité d’adopter des amendements : c’est bien triste et il faut que ce soit dit et vu.

Le compte rendu restera, lui aussi : sinon pendant des millions, du moins pendant des dizaines d’années. Chacun saura donc qui a dit quoi, et à quel moment.

M. Julien Aubert. Nous ne sommes pas des dinosaures !

(L’amendement n9 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n10.

M. François-Michel Lambert. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Duflot. Ne vous fatiguez pas !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Avis défavorable, tout simplement parce qu’il est prévu, dans les missions de l’ASN, que des exercices aient lieu durant la phase d’exploitation, ce qui vous donne satisfaction.

M. François-Michel Lambert. C’est l’objet de l’amendement suivant, le n12 !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Encore une fois, vous déposez un amendement qui est parfaitement inutile.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je ne peux pas laisser Mme Duflot tenir de tels propos. Ce texte n’est pas que celui du groupe Les Républicains…

M. Bertrand Pancher. Eh oui !

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. …mais nous en débattons après une longue discussion au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, lequel reçoit chaque année les représentants de l’ASN – qui est évaluée – mais aussi de la commission nationale d’évaluation.

Nous y avons travaillé et nous avons déposé une proposition de loi à peu près dans les mêmes termes que celle dont nous discutons aujourd’hui. D’ailleurs, l’un de vos collègues du groupe écologiste, Denis Baupin, a été très présent au cours de ces débats.

Nous sommes parvenus à la conclusion que lorsque des problèmes de sécurité et de sûreté nucléaires se posent, il faut très rapidement les résoudre et ne pas les laisser aux générations futures. À vous entendre, on a un peu l’impression que vous essayez de transmettre une « patate chaude » à ceux qui viendront après nous sans régler la question !

M. Bertrand Pancher. Eh oui !

M. Jean-Yves Le Déaut. Or, elle doit être réglée dans le temps : on parle d’une vingtaine d’années supplémentaires mais voilà vingt-cinq ans que nous travaillons sur le laboratoire souterrain de Bure où, j’en suis certain, un certain nombre d’entre vous n’est jamais allé – cela a été dit tout à l’heure. Je suis quant à moi descendu plusieurs fois au fond…

M. Jean-Louis Dumont. Il en est ressorti vivant !

M. Jean-Yves Le Déaut. …pour me rendre compte de la façon dont on y travaille. C’est cela, le travail du parlementaire !

Nous devons ici publiquement féliciter l’ANDRA, l’ASN, la CNE et l’IRSN pour le travail accompli.

M. Bertrand Pancher et M. Julien Aubert. Très bien !

(L’amendement n10 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n12.

M. François-Michel Lambert. M. le rapporteur a donc répondu à l’avance sur l’amendement n12, sur lequel j’insiste néanmoins.

Cet amendement vise à prendre en compte les recommandations données par l’ASN dans son avis du 31 mai – voilà donc à peine un mois et demi – et précise que, durant la phase pilote, l’ANDRA devra mener des simulations de situations d’incidents ou d’accidents pouvant survenir, sous le contrôle de l’ASN, dont nous ne faisons ici que transmettre les avis.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. J’indique simplement à mon collègue François-Michel Lambert que la réglementation prévoit déjà de tels exercices en grandeur réelle pour les installations nucléaires de base.

M. Jean-Louis Dumont. Tout à fait !

M. Bertrand Pancher. Eh oui !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Son amendement étant en quelque sorte satisfait, je lui propose de le retirer. À défaut, je serais défavorable à son adoption.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Un point juridique : je me demande dans quelle mesure ce type de précision relève de la loi. La voie réglementaire peut suffire et il n’y a pas lieu de préciser à ce point,…

M. François-Michel Lambert. On s’en souviendra.

M. Julien Aubert. …dans cette proposition de loi, l’existence de tels exercices. Pourquoi, sinon, ne pas définir leur durée et leur fréquence ? Je crois que, sur une question comme celle du principe de réversibilité, il convient de s’en tenir à des choses beaucoup plus générales.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Je souhaite tout de même rassurer nos collègues. Un laboratoire fonctionne déjà depuis quelques années. Il ne contient aucune trace d’uranium, de déchets ou autres mais il permet néanmoins de se rendre compte, à distance et pendant des dizaines d’années, de ce que sera l’éventuel futur stockage de Cigéo car les instruments qui seront mis en place sont déjà testés.

Peut-on imaginer que des déchets pareils, de haute activité et à vie longue – pour ne pas dire très longue – seraient abandonnés à eux-mêmes afin de voir si quelque chose se passe ? C’est un peu méprisant pour notre recherche et nos laboratoires que de le penser !

J’ajoute que Cigéo peut avoir des incidences sur la question de la transmutation, donc, sur la recherche fondamentale : les migrations sont étudiées et des éléments de réponses ont été trouvés pour faire en sorte que des déchets ne soient plus, disons, toxiques, de haute activité et à vie longue.

Ce travail n’est qu’une étape dans l’élaboration des lois, dans la recherche fondamentale, technique et technologique et dans les études stratégiques. Il y en aura d’autres. En matière de sécurité, il relève de notre responsabilité de définir la réversibilité afin que peut-être, un jour, il soit possible de récupérer ce type de déchets afin de les traiter définitivement.

(L’amendement n12 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n5.

M. Patrice Carvalho. Notre amendement vise à clarifier les conditions dans lesquelles la phase industrielle pilote sera mise en œuvre. En effet, l’alinéa 8 nous semble assez flou au regard de son importance dans le processus de construction du site de stockage des déchets radioactifs.

Avec cet amendement, nous voulons donc tout simplement nous assurer de la mise en place d’un cadre précis et sûr pour la phase industrielle pilote. Nous proposons qu’un décret en Conseil d’État pris après avis de l’ASN fixe en particulier la durée de cette phase – qui doit être au moins de cinq ans – afin qu’elle ne se prolonge pas indéfiniment.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Je vais donc essayer de clarifier la situation en rappelant à M. Carvalho qu’en effet, un décret en Conseil d’État est nécessaire après avis de l’ASN pour autoriser une installation nucléaire de base mais que la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire précise par ailleurs qu’il appartient à l’ASN – pour l’application du décret – de définir à la fois les prescriptions relatives à la conception, à la construction, à l’exploitation de l’installation qu’elle estime nécessaire. Ce n’est donc pas dans le texte dont nous discutons aujourd’hui qu’il nous appartient de définir, finalement, une nouvelle répartition des compétences entre l’ASN et le ministre chargé de la sûreté nucléaire.

Je demande donc à M. Carvalho de bien vouloir retirer son amendement. À défaut, je serais défavorable à son adoption.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Le maintenez-vous, monsieur Carvalho ?

M. Patrice Carvalho. Oui.

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n4.

M. Patrice Carvalho. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 12 et 13 de l’article. En effet, nous nous interrogeons fortement sur la nécessité de déroger, en l’espèce, aux dispositions de l’article L. 121-12 du code de l’environnement en repoussant de cinq à dix ans le délai d’ouverture de l’enquête publique. Sans nécessairement souscrire à l’hypothèse d’un référendum, il ne faut pas pour autant faire de l’enjeu majeur du texte un prétexte pour restreindre le temps du débat public. Nos concitoyens ayant en effet leur mot à dire sur cette question et des inquiétudes à exprimer, il est de notre devoir de les écouter et d’en tenir compte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Je précise à notre collègue Carvalho qu’il ne s’agit pas de restreindre le débat public puisqu’il y aura une enquête publique. Je lui rappelle également que deux débats publics ont eu lieu, en 2005 et 2013. Il s’agit simplement d’adapter le calendrier à ce projet hors-norme et aux nouvelles conditions qui ont vu le jour, ne serait-ce que pour la demande d’autorisation. Il s’agit donc d’adapter le calendrier et non de remettre en cause les débats publics.

Je rappelle en particulier que de nombreux cahiers d’acteur et de nombreuses contributions ont eu lieu en 2013 et que le site Internet ouvert à l’occasion du débat public a enregistré plus de 76 000 visites.

Il y a donc le débat mais, aussi, les procédures – notamment cette question importante de l’enquête publique, que vous avez d’ailleurs rappelée.

Je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, je serais défavorable à son adoption.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis, monsieur le président.

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n20.

Mme Michèle Bonneton. Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises sur tous les bancs de cette Assemblée, la réversibilité est au cœur de cette proposition de loi. Il nous semble particulièrement évident que la récupérabilité devrait en faire partie, or, ce n’est pas le cas.

Cet amendement vise donc à remplacer la fin de la première phrase de l’alinéa 15, « , y compris sa fermeture définitive » par les mots « et de sa surveillance à long terme » – ce qui change tout : évidemment, si le site de stockage est définitivement fermé, on ne pourra rien récupérer ! N’oublions pas que ces déchets seront très dangereusement radioactifs pendant des centaines de milliers d’années.

Je constate avec beaucoup de tristesse que la plupart de nos collègues, ici, ont quelques difficultés à imaginer ce que nous sommes en train de faire : examiner une proposition de loi dont les incidences porteront sur plusieurs centaines de milliers d’années. J’espère que d’autres hommes, plus sages, changeront ensuite tout cela mais encore faudra-t-il que cela soit possible. D’où cette pierre angulaire de la réversibilité.

Je ne comprends pas, au regard de l’intérêt général, pourquoi certains veulent aller très vite. Sur les bancs socialistes également, tout le monde était d’accord pour dire qu’il ne sera pas possible d’entreposer des déchets à haute activité et à vie longue avant plusieurs dizaines d’années voire cinquante à soixante ans, durée dont nous savons maintenant qu’elle est nécessaire pour que de tels déchets émettent un peu moins d’énergie et soient un peu moins chauds afin que leur stockage puisse être envisagé.

Je le répète une fois encore : je ne vois aucune raison d’intérêt général, je dis bien d’intérêt général, pour aller vite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. L’intérêt général, aujourd’hui, consiste à s’occuper des déchets produits depuis les années soixante lorsque les Français utilisent l’électricité, lorsqu’ils se chauffent, lorsqu’ils passent des examens médicaux dans les hôpitaux. L’intérêt général, c’est de s’en occuper !

Par ailleurs, je précise que si la réversibilité ne se réduit pas à la récupérabilité, celle-là contient bien évidemment celle-ci. Je suis donc défavorable à l’adoption de votre amendement.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Ce n’est pas très sérieux, madame Bonneton, de proposer que le centre de stockage profond soit laissé ouvert mais sous surveillance.

Je ne suis pas ingénieur mais je me souviens que lors de la visite de Bure…

M. François-Michel Lambert. Ah !

M. Julien Aubert. Je vous ai dit tout à l’heure, cher ami Lambert, que j’étais magistrat à la Cour des comptes. Vous ne suivez donc pas !

M. François-Michel Lambert. Mais si !

M. Julien Aubert. Des colis y sont entreposés dans de très longues galeries souterraines. Même si le centre est ouvert, vous ne pourrez récupérer le premier colis déposé sans avoir récupéré ceux qui obstruent la voie ! L’ouverture du centre ne favoriserait pas une quelconque récupérabilité de certains colis.

En outre, sur le plan des risques, il me semble plus sécurisant – une fois le projet acté – de fermer un centre qui contient des déchets radioactifs, même s’ils sont en containers, etc. – pour éviter que des personnes puissent y entrer plutôt que de le laisser ouvert – même si la notion d’ouverture que vous proposez me semble quelque peu spécieuse car pas très pratique – avec un système de surveillance dont vous n’expliquez d’ailleurs pas ce qu’il sera. Une caméra ? Je vous rassure : le site, même fermé, sera bien surveillé à l’entrée par une caméra. Un système de gardiennage perpétuel ? Peut-être un job sera-t-il ainsi créé mais ce n’est pas très concret !

Je vous invite donc aller voir le site de Bure, à descendre et à vous faire expliquer son organisation. Ce n’est pas un centre de traitement de déchets ménagers ! On parle ici d’un projet de très grande ampleur sur l’évolution duquel il convient de faire des propositions réalistes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai un peu l’impression d’assister à un dialogue de sourds. Vous nous dites, madame Bonneton, que la réversibilité n’inclut pas la récupérabilité.

M. Julien Aubert. C’est faux !

M. Jean-Yves Le Déaut. L’alinéa 5 dispose pourtant que la réversibilité « inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérente avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage ». C’est clairement indiqué !

Mme Michèle Bonneton. Pendant 100 000 ans ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Pendant le temps du stockage ! La récupérabilité est donc bien inscrite dans le texte.

Par ailleurs, vous dites que vous constatez avec tristesse que ce texte va nous engager pour 100 000 ans. Certes, mais moi, je constate avec tristesse que l’industrie nucléaire provoque une dissémination de ces déchets au pied de chaque centrale. Telle est la situation aujourd’hui. J’ai visité vendredi dernier le site de Marcoule : j’y ai vu des déchets qui sont maintenant refroidis et qui attendent d’être stockés, qui attendent que soit décidée la construction de Cigéo. Cela signifie que nous avons déjà des déchets qui pourraient trouver leur place dans ce centre de stockage.

La sûreté et la sécurité des installations sont aujourd’hui assurées à Marcoule, mais il pourrait très bien s’y produire un attentat. C’est donc notre responsabilité de trouver une solution. Contrairement à ce que vous dites, nous n’accélérons pas les choses : nous avons commencé il y a vingt-cinq ans, et le centre dont nous parlons aujourd’hui ouvrira peut-être dans vingt ans. Nous n’avons pas accéléré, mais vous, vous voulez que les choses s’enlisent. Nous, nous ne voulons pas que ce projet s’enlise, mais qu’il continue à son rythme, celui qui a été fixé il y a une dizaine d’années.

(L’amendement n20 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 13 et 21, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n13.

M. François-Michel Lambert. Cet amendement vise à rédiger ainsi la dernière phrase de l’alinéa 15 : « Seule une loi peut autoriser la création du centre. »

La création d’un centre d’enfouissement des déchets nucléaires en couche géologique profonde est une décision sur laquelle les parlementaires doivent pouvoir se prononcer.

Si le texte présenté ici prévoit une phase industrielle pilote, celle-ci n’est pas suivie d’un nouveau débat parlementaire, encore moins d’une décision parlementaire.

Il est donc souhaitable, eu égard à la complexité, aux nombreuses questions de sûreté et de sécurité qui pourraient survenir dans le courant de la phase industrielle pilote, et au temps long sur lequel un tel projet nous engage, qu’il soit validé par les parlementaires.

Cette proposition est issue du rapport de la Commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, dont la dixième recommandation « insiste sur le rôle du Parlement dans la définition préalable des conditions de récupérabilité, dans le respect des principes fixés par la loi. Estime que la recherche sur l’entreposage en subsurface de longue durée devrait être conduite en parallèle. Estime que, comme cela a toujours été le cas concernant les déchets nucléaires, la décision finale devrait revenir au Parlement. »

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n21.

Mme Michèle Bonneton. La dernière phrase de l’alinéa 15 précise que l’autorisation de création du centre est délivrée par décret en Conseil d’État. Je ferai remarquer que certains orateurs ont dit autre chose tout à l’heure.

Nous proposons de supprimer cette disposition et d’indiquer que seule une loi peut autoriser la création du centre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Cette loi existe : c’est celle du 28 juin 2006,…

M. Jean-Louis Dumont et M. Jean-Yves Le Déaut. C’est vrai !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. …qui pose le principe de réalisation et de création d’un stockage géologique profond. Tout à l’heure, l’un de vos collègues soulignait la concorde qui entoure ce projet, sur tous les bancs de l’assemblée, depuis la loi de 1991. C’est la grandeur d’un pays, lorsqu’il porte un projet d’intérêt général à aussi long terme, de se mettre d’accord, afin de ne pas en faire peser toute la responsabilité sur les générations futures. C’est ce qui est fait au Parlement depuis les années quatre-vingt-dix : nous avons désormais une solution pérenne, viable, sur l’ensemble de ce projet.

Lors du débat sur la loi de transition énergétique, il a beaucoup été question de l’exemple allemand. Or, maintenant que les Allemands ont décidé de l’arrêt du nucléaire, ils se trouvent fort dépourvus et ne savent pas quoi faire de leurs déchets. Ils viennent d’ailleurs de remettre un rapport volumineux qui renvoie finalement au siècle prochain le choix d’un site.

Nous avons une responsabilité, que nous assumons aujourd’hui, celle de ne pas laisser aux générations qui nous succéderont le soin de s’occuper de ce problème, comme le font d’autres pays aujourd’hui. Alors, je vous en prie, ne nous faites pas de procès d’intention en la matière. Respectons la concorde qui existe au Parlement depuis les années quatre-vingt-dix et qui permet, au-delà des aléas politiques et des alternances, que ce projet au long cours soit assumé de façon responsable et durable. J’émets un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Tout cela n’est pas très sérieux. Nous en sommes déjà à la troisième loi, et vous en réclamez encore une quatrième ! Une nouvelle loi doit déjà être votée au terme de l’expérimentation, ce qui nous amènerait donc à cinq lois. Deux grands débats publics ont déjà eu lieu, nombre d’organismes de contrôle indépendants ont été consultés, sans parler de la commission locale d’information et de suivi et des chercheurs et des experts qui travaillent sur cette question depuis vingt-cinq ans.

Mme Michèle Bonneton. Et alors ?

M. Bertrand Pancher. Je ne sais pas ce que vous voulez de plus ! Ce que nous souhaitons, c’est trouver une solution à ce problème, afin de ne pas le faire peser sur les générations futures, et contrôler les conditions de stockage. C’est ce qui va se passer : tout cela est très bien, et je ne vois pas pourquoi il faudrait ajouter une quatrième loi, alors que nous sommes tout juste en train de voter la troisième.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Abeille.

Mme Laurence Abeille. Je suis frappée de voir revenir dans ce débat certains éléments de langage, comme on dit aujourd’hui – je songe notamment à l’expression « générations futures ». Il est grand temps, effectivement, de se soucier des générations futures ! Il s’agit aujourd’hui de s’occuper de la poubelle du nucléaire, dont on ne sait que faire depuis des années.

M. Jean-Louis Dumont. Cela fait vingt-cinq ans que la solution a été trouvée !

Mme Laurence Abeille. Et on nous assure que la solution proposée est sûre, au prétexte que des ingénieurs y travaillent depuis vingt-cinq ans. Les centrales nucléaires étaient sûres à 100 %, nous disait-on, mais chacun se rappelle ce qui s’est passé à Fukushima – ou alors c’est que vous avez la mémoire courte.

Je suis vraiment choquée par ce débat, et je pense effectivement qu’il faudrait une loi supplémentaire, car la prise en compte réelle des générations futures implique le débat parlementaire et le vote de la loi. Le débat d’aujourd’hui est tronqué. Vous voulez aller vite, pour des raisons que j’ignore – peut-être pour satisfaire des intérêts particuliers, comme le suggérait ma collègue Michèle Bonneton. Il est surprenant que l’on décide en catimini – pour reprendre une expression qui a été employée tout à l’heure – d’accélérer brutalement un dispositif décidé il y a vingt-cinq ans. Je trouve cela surprenant et inquiétant.

(Les amendements nos 13 et 21, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n17.

M. François-Michel Lambert. Cet amendement tend à renforcer le rôle du Conseil national de la transition écologique, issu de la loi de 2012, relative à la mise en œuvre du principe de participation du public, défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Le CNTE a pour mission d’émettre un avis sur les textes concernant, à titre principal, l’environnement ou l’énergie. La présente proposition de loi répond à ces critères, bien qu’elle ne lui ait pas été soumise – ce qui, en soi, est paradoxal.

Il est proposé que ce conseil, instance de dialogue environnemental avec l’ensemble des parties prenantes, rende un avis sur les résultats de la phase industrielle pilote prévue par cet alinéa 17. J’espère que cette demande de démocratie environnementale sera comprise et suivie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Cher collègue, votre vœu sera exaucé, puisque le Conseil national de la transition écologique sera bien évidemment consulté sur le projet de loi fixant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage, tel qu’il est prévu dans le texte. Votre amendement est donc satisfait, et je vous invite à le retirer. Dans le cas contraire, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Cet amendement n’est pas nécessaire, comme l’a dit le rapporteur, dans la mesure où les résultats de la phase industrielle pilote feront l’objet d’un rapport de l’ANDRA, d’un avis de la Commission nationale d’évaluation, d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et du recueil de l’avis des collectivités territoriales situées à proximité du centre, dont le député Jean-Louis Dumont tient absolument, et à juste titre, qu’elles soient associées à ce projet.

Ce rapport sera ensuite transmis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évaluera et rendra compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les résultats de la phase industrielle pilote feront ainsi l’objet d’une très grande transparence.

Il n’apparaît pas nécessaire de consulter le CNTE, dont le rôle principal est de donner son avis sur les textes qui concourent à la transition énergétique et au développement des énergies renouvelables, et qui n’est donc pas spécialiste de sûreté nucléaire ou de la gestion des déchets radioactifs. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable à cet amendement.

M. le président. Monsieur Lambert, maintenez-vous votre amendement ?

M. François-Michel Lambert. Je ne sais pas si tout le monde a bien entendu les avis rendus par M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État, mais, pour ma part, je n’ai pas entendu la même chose. Le premier m’a dit que mon amendement était satisfait, le second que le CNTE ne serait pas invité à se prononcer sur le sujet. Je maintiens donc mon amendement.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. M. François-Michel Lambert n’a pas tout à fait tort : il est vrai que les deux réponses se faisaient un peu concurrence…

M. François-Michel Lambert. Vous allez donc voter mon amendement !

M. Julien Aubert. …mais je suis certain que le Gouvernement va éclaircir les choses.

Je pense en tout cas, pour être membre du fameux Conseil national de la transition écologique, que celui-ci n’a rien à faire là-dedans. Que l’on s’engage ou non dans la transition énergétique, que l’on mette fin, ou non, au nucléaire, peu importe : la question des déchets nucléaire est indépendante de ces dossiers.

Je ne vois pas en quoi l’avis de ce Conseil national de la transition écologique, qui inclut des associations de protection de la mer et des acteurs qui n’ont strictement rien à voir avec l’industrie nucléaire, constituerait une plus-value. M. le secrétaire d’État a justement fait remarquer que d’autres instances spécialisées sur les questions du nucléaire peuvent être consultées.

J’ajoute que les parlementaires seront également impliqués. En effet, vous ne l’avez pas pointé, mais l’alinéa 15, que vous vouliez modifier, dispose que « lors de l’examen de la demande d’autorisation de création, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive, et que « seule une loi peut autoriser celle-ci ». Le Parlement sera donc saisi, et notamment les parlementaires qui sont membres du CNTE.

C’est bien de faire de la concertation, mais il y a un moment où il faut savoir agir et trancher. Nous avons pris un quart de siècle pour débattre. Le temps est venu d’assumer les décisions qui ont été prises. Rien ne sert d’encombrer le processus décisionnel en faisant intervenir de multiples instances. Le débat national ne s’est pas toujours très bien passé, nous avons eu beaucoup de mal à le maintenir sur les rails. Ne compliquons pas encore les choses.

(L’amendement n17 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n22.

Mme Michèle Bonneton. Pour les aménagements souterrains dont nous parlons, le texte de la proposition de loi, en ses alinéas 24 et 25, dispense de la déclaration préalable ou du permis de construire prévus au chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’urbanisme.

Il est pour le moins surprenant d’alléger les obligations, en matière de déclaration préalable et de permis de construire, pour des installations qui sont pour le moins sujettes à interrogation de la part de nos concitoyens. Par cet amendement, nous souhaitons que les alinéas 24 et 25 soient supprimés, de façon à ce que les procédures normales aient lieu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Cette dispense ne signifie pas absence de contrôles, bien au contraire ! Vous savez bien que les ouvrages sous-terrain de Cigéo sont autorisés et contrôlés au titre de la réglementation des ouvrages nucléaires, qui est beaucoup plus contraignante que les règles d’urbanisme. Par ailleurs, ce type de dispense s’applique fréquemment aux ouvrages souterrains comme les stockages de gaz. La philosophie du texte est donc beaucoup plus contraignante que celle régissant les règles d’urbanisme habituelles. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Cet amendement propose de supprimer les dérogations prévues par le texte en matière de procédure d’urbanisme pour les ouvrages souterrains de Cigéo. Cette dérogation existe déjà pour les stockages souterrains de gaz, comme l’a dit M. le rapporteur. Pour le laboratoire souterrain de Bure, il est indispensable d’appliquer la même dérogation à Cigéo. La proposition de loi ne fait que rectifier une incohérence de procédure pour les stockages de déchets radioactifs.

La réglementation de l’urbanisme porte en effet sur l’insertion paysagère des ouvrages et est donc par essence peu applicable aux ouvrages souterrains. Tous les impacts sur l’environnement des installations souterraines de Cigéo seront traités dans le cadre des procédures spécifiques aux installations nucléaires de base applicables à Cigéo. Il serait difficile de vouloir appliquer à Cigéo, ouvrage souterrain, une procédure d’urbanisme prévue pour les ouvrages de surface. La déclaration préalable serait ainsi difficile à renseigner, ce qui pourrait d’ailleurs fragiliser le projet en cas de contentieux contre cette autorisation préalable, contentieux qui ne manquerait évidemment pas de survenir.

(L’amendement n22 n’est pas adopté.)

(L’article 1er est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements portant article additionnel après l’article 1er. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n16.

M. François-Michel Lambert. Il vise à préciser le rôle de l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs. Le présent texte prévoit une définition de la réversibilité, ouvrant la porte à une phase industrielle pilote puis à une exploitation d’un centre d’enfouissement de déchets radioactifs en couche géologique profonde. Cependant, pour l’heure, la sûreté nucléaire, en particulier la conformité aux exigences de l’Autorité de sûreté nucléaire, n’est en rien garantie. Il est donc important que, concomitamment à cette phase pilote, l’ANDRA puisse poursuivre la recherche de solutions alternatives au stockage de ces déchets produits depuis plus de quarante ans, en particulier les pistes explorées par d’autres pays producteurs de déchets nucléaires, comme le stockage en subsurface.

Il a été rappelé tout à l’heure que certains pays enfouissaient sur de longues périodes les déchets nucléaires, mais ils sont beaucoup plus nombreux à travailler sur la piste d’un stockage en subsurface. Je crains que la France prenne du retard et se retrouve dans une impasse.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Monsieur le député, je vous rassure, les recherches en la matière se poursuivront. Un décret récent précise même que « l’ANDRA pilote et coordonne les études et recherches sur l’entreposage. À cette fin, l’ANDRA poursuit le recueil et la capitalisation du retour d’expériences de la construction et de l’exploitation des installations existantes ou en développement. Elle continue également les recherches sur le comportement des matériaux utilisés pour la réalisation des ouvrages d’entreposage et des matériaux de colisage et les techniques de surveillance, en vue d’optimiser la durabilité, l’auscultation, » etc.

Comme l’a indiqué tout à l’heure M. Bataille, au moment où le principe de stockage profond a été consacré par la loi du 28 juin 2006, il a été décidé de poursuivre les recherches. C’est d’ailleurs le principe même de la réversibilité, dont je répète qu’il ne se réduit pas à la récupérabilité, qui permet aux générations successives de revoir non seulement la conception même du projet mais aussi sa phase d’exploitation. Je vous invite donc à soutenir fortement ce principe, au nom même de l’objectif que vous avez évoqué à l’instant, mais j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je précise que les recherches sur la réversibilité ne datent pas d’aujourd’hui mais de la loi de 1991. Au moment où nous avons décidé d’engager des recherches sur la création d’un laboratoire souterrain, les moyens du CEA et des centres de recherches universitaires, qui avaient considérablement chuté depuis une dizaine d’années, sont repartis à la hausse. Depuis lors, ces structures sont prospères et reconnues internationalement. Les États-Unis, par exemple, font très souvent référence aux recherches sur des matières futuristes dans des domaines comme la transmutation ou le retraitement poussé, c’est-à-dire l’élimination des déchets par des sciences qui ne sont pas encore maîtrisées aujourd’hui mais qui le seront peut-être demain, sans que nous n’en ayons la certitude.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Comme l’a dit M. Bataille, il me semble que ce débat a été tranché il y a un quart de siècle. En 1991, parmi les pistes à l’étude figurait celle du stockage en subsurface. Ne confondons pas réversibilité et retour en arrière. Pour vous, il s’agirait d’une réversibilité totale qui reviendrait à refaire le match tous les vingt-cinq ans et à étudier en permanence toutes les pistes au motif qu’aucune ne serait certaine. C’est peut-être de votre part, monsieur Lambert, un hommage à l’économie circulaire ! Mais il faut sortir du raisonnement circulaire pour avancer.

(L’amendement n16 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert, pour soutenir l’amendement n14.

M. François-Michel Lambert. Je tiens d’abord à répondre à l’avis de M. le rapporteur sur l’amendement précédent. Vous avez précisé qu’un décret entérinait le principe de poursuite des recherches alternatives, mais nous voulions inscrire dans la loi qu’il revient bien au Parlement de s’en assurer, quoi qu’en pense M. Aubert – ce dernier exerce des fonctions dans la finance que je respecte totalement mais qui me semble éloignées de la réalité des évolutions technologiques.

M. André Vallini, secrétaire d’État. Mon ennemi, c’est la finance ! (Sourires.)

M. François-Michel Lambert. Si nous devions, en 2016, nous arrêter aux décisions prises en 1991 en la matière, la France irait très mal.

M. Julien Aubert. C’est précisément le principe de réversibilité ! Vous venez d’expliquer pourquoi vous devez voter la proposition de loi !

M. François-Michel Lambert. Je vous invite à réécouter vos propos, qui reflètent la rigidité dont vous êtes coutumier.

Quant à l’amendement n14, il vise à insérer l’article suivant : « L’installation de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est soumise à la consultation pour avis des électeurs dans l’ensemble des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans la zone concernée par ladite installation. » Je n’irai pas plus loin : l’amendement, explicite, fait référence à un débat récent qui s’est conclu par un référendum local.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Bouillon, rapporteur. M. Lambert fait référence à un débat récent, sans doute relatif à un aéroport. En l’occurrence, le référendum était fondé sur l’ordonnance du 21 avril 2016, qui précise qu’il appartient au Gouvernement de décider d’une consultation locale sur un projet.

Mme Michèle Bonneton. Nous ne voulons pas d’un décret ! Cela doit être inscrit dans la loi !

M. Christophe Bouillon, rapporteur. Je rappelle simplement que nous débattons aujourd’hui, non pas du principe même du stockage géologique profond, car il a été adopté dans la loi du 28 juin 2006, mais des modalités de réversibilité.

Par ailleurs, je comprends votre intention mais ce n’est pas le rôle du Parlement que de sommer le Gouvernement d’organiser une telle consultation, qui relève de ses prérogatives. Je trouve dommage, alors que plusieurs de vos amendements visent à renforcer le rôle du Parlement en fixant des rendez-vous législatifs réguliers, de nous demander de revenir sur la décision prise ici même, au Parlement, sur le principe du stockage géologique profond. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je tiens également à revenir sur l’amendement précédent pour rappeler un moment de notre histoire parlementaire : dans le cadre des débats sur la loi de 1991, le législateur avait souhaité travailler sur le stockage profond et le stockage en subsurface. La loi mentionnait « les laboratoires », au pluriel, à l’initiative de M. Bataille. En définitive, quatre conseils généraux avaient accepté ce type de stockage, dont le Gard. Quand on a voulu tester le stockage en subsurface à Marcoule, les défenseurs de ce type de stockage – les prédécesseurs de M. Lambert – se sont mobilisés pour l’empêcher car un vin renommé est produit sur la montagne de Chusclan, à proximité du site.

Mme Michèle Bonneton. C’est trop facile de faire parler les absents !

M. Jean-Yves Le Déaut. Cela montre bien que votre position est tactique. Nous avons d’ailleurs eu ce débat à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale. En définitive, aux yeux de certains, il faudrait arrêter le nucléaire car la question des déchets est non résolue. Mais quand nous voulons la résoudre, nous sommes empêchés de le faire. Pourtant, quelle que soit notre position sur le nucléaire, nous devrions tous ici nous attacher à résoudre la question des déchets.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. S’agissant de la consultation, il est évident qu’un laboratoire de ce type est d’intérêt national. C’est au Gouvernement de décider si une consultation locale est requise.

M. Jean-Louis Dumont. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Déaut. Votre amendement reviendrait à consulter non seulement la commune, mais également les communautés de commune, les départements et la région Grand Est, qui compte 4,5 millions d’habitants, soit presque le dixième de la France.

M. Jean-Louis Dumont. Les élus sont tous d’accord !

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce n’est pas possible ! Il s’agit de sujets d’intérêts nationaux qui doivent être traités pour ne pas transmettre les problèmes aux générations futures.

M. Jean-Louis Dumont, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Julien Aubert et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Les propos du rapporteur me conduisent à retirer cet amendement, ce qui me permet par la même occasion de réfuter complètement les accusations de certains collègues : nous n’appliquons aucune tactique ; nous voulons simplement avancer et prendre nos responsabilités sur le sujet des déchets radioactifs.

(L’amendement n14 est retiré.)

Article 2

M. le président. Monsieur Dumont, maintenez-vous votre demande de parole sur l’article 2 ?

M. Jean-Louis Dumont. Je ne maintiens pas ma demande de parole, pour démontrer à mes collègues que nous sommes très pressés de voir ce texte voté conforme et appliqué. (Sourires.)

M. le président. Merci de vouloir faire preuve de cohérence et de veiller à l’efficacité de nos débats !

(L’article 2 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explications de vote. Je mets donc aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature ;

Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de modernisation de la justice du XXIsiècle.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly