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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 03 décembre 2015

SOMMAIRE

Présidence de Mme Laurence Dumont

1. Incapacité pénale des personnes condamnées pour pédophilie

Présentation

M. Claude de Ganay, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale

Discussion générale

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

M. Philippe Gomes

M. Joël Giraud

M. Dominique Raimbourg

Mme Claudine Schmid

Discussion des articles

Article unique

Suspension et reprise de la séance

2. Rénovation des casernes

Présentation

M. François de Mazières, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Discussion générale

M. Serge Grouard

M. Philippe Gomes

M. Joël Giraud

M. Daniel Goldberg

M. François de Mazières, rapporteur

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques

M. Patrick Kanner, ministre

Discussion des articles

Avant l’article 1er

Amendement no 4

Article 1er

M. Bernard Debré

Amendement no 1

Article 2

Amendement no 2

Après l’article 2

Amendements nos 8 , 7

3. Participation de fonds français au financement de Daech

Présentation

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires étrangères

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Jean-Pierre Dufau

M. Meyer Habib

M. Joël Giraud

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur

Vote sur les conclusions de rejet de la commission

M. Jean-Pierre Dufau

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Incapacité pénale des personnes condamnées pour pédophilie

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Claude de Ganay et M. Guy Geoffroy visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques (nos 3140, 3255).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Claude de Ganay, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Claude de Ganay, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie, en première lecture, de la proposition de loi que j’ai déposée le 14 octobre 2015, visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques.

Mon initiative fait suite à deux récentes affaires médiatisées de pédophilie survenues dans des établissements scolaires au printemps 2015, d’une part, à Villefontaine, en Isère et, d’autre part, à Orgères, en Ille-et-Vilaine.

À l’occasion de ces deux affaires, il était apparu que des personnes mises en cause pour des actes pédophiles avaient pu continuer à exercer leurs fonctions professionnelles au contact de mineurs, alors même qu’elles avaient déjà été condamnées en 2006 et en 2008 respectivement pour détention d’images pédopornographiques et pour recel de bien provenant de la diffusion d’images pédopornographiques.

Ces affaires avaient conduit les ministres de la justice et de l’éducation nationale à diligenter une enquête administrative, confiée conjointement à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et à l’Inspection générale des services judiciaires, afin d’identifier les éventuelles défaillances organisationnelles des deux ministères et de faire des propositions pour y remédier.

À la suite de la remise, le 4 mai 2015, d’un rapport d’étape sur les faits de Villefontaine et d’Orgères, réalisé par les services d’inspection, le Gouvernement avait décidé, en cours d’examen devant les assemblées, d’introduire par voie d’amendement un article dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne – DADUE – dont notre collègue Dominique Raimbourg était le rapporteur.

Il s’agissait de remédier aux lacunes de notre législation en matière de transmission d’informations aux autorités administratives de tutelle en cas de condamnation ou de procédure judiciaire en cours pour des infractions sexuelles contre mineur concernant un agent public.

Sur mon initiative et avec la bienveillance de Dominique Raimbourg, que je te tiens ici à remercier, l’Assemblée nationale avait complété ce dispositif en votant un amendement interdisant à toute personne condamnée définitivement pour un certain nombre de délits, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée, d’exploiter, de diriger ou d’exercer au sein de l’un des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles.

Le Sénat s’était cependant opposé à cette démarche, tant pour des raisons de forme que pour des motifs de fond. Le seul dispositif gouvernemental – à l’exclusion donc de celui issu de mon amendement – avait alors été jugé comme portant une atteinte substantielle au principe constitutionnel de présomption d’innocence.

Dans sa décision du 13 août 2015 sur la loi définitivement adoptée par l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel, saisi d’un recours présenté par plus de soixante sénateurs, avait déclaré ces dispositions, à l’instar de vingt-six autres articles additionnels, contraires à la Constitution, considérant qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi.

Il n’en reste pas moins que la législation pénale relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs doit aujourd’hui faire l’objet d’améliorations dans les meilleurs délais. Je soutiens ce point de vue de longue date, puisque j’avais déposé, dès le 8 avril 2015, une première proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques.

M. Alain Chrétien. Quelle pugnacité ! Persévérance, récompense !

M. Claude de Ganay, rapporteur. J’avais défendu, lors de l’examen en première lecture, en mai 2015, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, un amendement poursuivant le même objectif que le texte que nous examinons aujourd’hui.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très bien !

M. Claude de Ganay, rapporteur. C’est à la lumière de ces débats et des articles adoptés en lecture définitive au mois de juillet par notre commission et par l’Assemblée nationale que j’ai souhaité déposer la présente proposition de loi, afin de créer un dispositif simple permettant d’améliorer efficacement la protection des mineurs contre les actes de pédophilie, dans le respect de nos principes constitutionnels.

Son article unique entend rendre plus systématique, à l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles, la peine complémentaire d’interdiction d’activité auprès des mineurs au sein des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le même code en cas de condamnation définitive pour un certain nombre d’infractions : délit d’agressions sexuelles autres que le viol imposées à un mineur de quinze ans, délits de mise en péril des mineurs, délit de recel d’images à caractère pédopornographique, etc.

Dès lors que des personnes sont condamnées pour infraction sexuelle contre mineur, le législateur doit définir des mécanismes garantissant leur mise à l’écart d’un milieu professionnel qui les placerait au contact de mineurs. Il apparaît donc indispensable de rendre plus systématique le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice en cas de condamnation pour de telles infractions.

Je n’ignore pas, mes chers collègues, que l’article 3 du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs, déposé sur le bureau de l’Assemblée le 25 novembre dernier et ayant vocation à être examiné en séance publique le 8 décembre prochain, reprend sur le fond l’intégralité du dispositif qui figure dans la proposition de loi que j’ai déposée et que nous examinons aujourd’hui.

Nous ne pouvons que nous féliciter, sur l’ensemble de ces bancs, de cette initiative du Gouvernement. Celui-ci s’efforce, en effet, de tenir compte des propositions émanant des parlementaires de l’opposition. Qu’il en soit remercié !

Je considère toutefois que le long et difficile parcours législatif de cette réforme, qui aurait dû être entreprise et effective depuis plusieurs mois déjà, exige que nous adoptions dès à présent la présente proposition de loi. Alors que nous entendons mieux les protéger, les personnes mineures victimes d’infractions à caractère sexuel ainsi que leurs proches ne comprendraient pas que les députés retardent le vote de cette proposition de loi, voire la rejettent, sous prétexte que le Gouvernement aurait présenté son propre texte sur une question qui, je le rappelle, fait l’objet de nombreux débats depuis le début de cette année.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je vous invite tous à voter la proposition de loi qui vous est soumise dans l’attente de l’examen par notre assemblée du texte du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord d’excuser Mme Christiane Taubira, retenue par d’autres obligations, qui m’a demandé de la remplacer cet après-midi.

Chacun connaît les circonstances tragiques qui ont conduit le Gouvernement à réétudier les modalités de la communication entre la justice et les administrations sur la transmission des informations entre le ministère de la justice et les institutions accueillant des mineurs.

Votre assemblée a déjà eu l’occasion d’en débattre dans le cadre de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, en juillet dernier, mais, vous le savez, la disposition dont je viens de parler a été invalidée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif.

Le Gouvernement a donc déposé un projet de loi qui sera examiné le 8 décembre prochain ici même, en première lecture. À la suite des préconisations de la mission commune des deux inspections – Inspection générale des services judiciaires et Inspection générale de l’éducation nationale –, qui a été diligentée dès les faits de Villefontaine connus, une évolution législative est apparue impérative. En effet, le principe d’une communication au stade de l’enquête ou des poursuites nécessite d’être concilié avec le principe fondamental du secret de l’enquête, qui est de nature législative.

Un projet de loi relatif à cette question a donc été examiné par le Conseil des ministres le 25 novembre dernier et il passera en première lecture devant votre assemblée le 8 décembre prochain. Votre commission a nommé le député de l’Isère, Erwann Binet, rapporteur sur ce texte, lequel a été adopté hier en commission des lois.

Ce texte insère deux nouveaux articles dans le code de procédure pénale : un article 11-2 permettant au procureur de la République d’informer l’administration ou les organismes de tutelle non seulement des condamnations non définitives, mais aussi des mises en examen ou des poursuites engagées contre l’auteur présumé de tels faits ; un article 706-47-4 applicable aux personnes exerçant une activité comportant un contact habituel avec des mineurs et pour certaines infractions spécifiquement énumérées. Ce dernier article aura deux conséquences : premièrement, il obligera le procureur de la République à informer l’administration des condamnations non définitives et de certains contrôles judiciaires prononcés contre ces personnes ; deuxièmement, il permettra au procureur d’informer l’administration en cours de procédure des poursuites, des mises en examen, mais aussi de suspicions éventuelles, avant même l’engagement de quelque poursuite que ce soit.

Le Gouvernement aura l’occasion de revenir en détail, dès la semaine prochaine – le 8 décembre – sur les dispositions de ce projet de loi et sur les garanties offertes. Comme vous le savez, nous avons engagé sur ce texte la procédure accélérée qui permettra une adoption rapide si vous en décidez ainsi.

Sur la question des incapacités, monsieur le rapporteur, la commission des lois a adopté hier à l’unanimité le projet dont je viens de parler. L’article 3 de ce projet de loi modifie justement le code de l’action sociale et des familles dans un sens identique à votre proposition de loi. Il s’inspire d’ailleurs très largement de l’amendement qui avait été voté ici même, en juillet dernier, à l’initiative de l’opposition et en particulier de vous-même.

En effet, aujourd’hui, toute personne condamnée pour un crime ou à une peine d’emprisonnement d’au moins deux mois sans sursis pour un délit listé à l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles a automatiquement une incapacité d’exploiter, de diriger ou d’exercer une fonction dans les lieux d’accueil de mineurs.

L’article 3 de notre projet complète le premier alinéa de l’article L. 133-6 afin d’interdire à toute personne condamnée définitivement pour un certain nombre de délits, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée, d’exploiter, de diriger ou d’exercer au sein de l’un des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles.

Sont ainsi visés, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le délit d’agressions sexuelles sur mineur de quinze ans, les délits de mise en péril des mineurs et le délit de recel d’images à caractère pédopornographique. Pour ces infractions, la condition imposant une condamnation à une peine d’au moins deux mois d’emprisonnement sans sursis est donc supprimée.

Vous l’avez compris, le Gouvernement ne peut donc qu’être favorable à votre proposition de loi,…

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très bien !

M. André Vallini, secrétaire d’État. …puisqu’elle est en convergence avec ce que nous souhaitons porter dans le cadre de notre propre projet de loi.

Toutefois, afin d’assurer une protection plus complète des mineurs, le Gouvernement fait tout son possible pour accélérer l’examen de son propre projet, qui est sécurisé juridiquement par le Conseil d’État, projet qui englobera donc, à terme, votre disposition, monsieur de Ganay.

C’est la raison pour laquelle, après l’avis favorable du Gouvernement à votre texte, je demande à l’opposition de voter la semaine prochaine le texte du Gouvernement.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cela peut se faire !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons constaté, en commission des lois, un réel consensus autour de la proposition de loi de notre collègue Claude de Ganay, qui s’inscrit dans une démarche de pur bon sens.

La nécessité de rendre automatique l’impossibilité pour toutes les personnes définitivement condamnées pour des faits de nature pédophile d’exercer des fonctions professionnelles au contact des mineurs est une évidence, et ne pas légiférer en ce sens serait irresponsable.

Le système de protection des mineurs contre la pédophilie, tel qu’il est conçu actuellement, n’a malheureusement que trop apporté la preuve de ses lacunes, en permettant notamment au printemps dernier à deux personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie, de récidiver dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, respectivement de directeur d’une école primaire en Isère et de professeur de sport dans un collège d’Ille-et-Vilaine.

Ces affaires avaient provoqué consternation et indignation chez les parents d’élèves et dans l’opinion publique, et pour cause : quel parent pourrait accepter que son enfant soit encadré, éduqué par une personne qui a commis des actes de nature pédophile et qui a été condamnée en justice pour cela ? Pourquoi faire perdurer plus longtemps une telle faille dans le système de protection des mineurs contre les actes pédophiles ?

Le texte que nous examinons aujourd’hui propose un dispositif simple permettant d’améliorer efficacement la protection des mineurs contre les actes de pédophilie, et ce dans le respect des principes constitutionnels.

Que les personnes condamnées aient été qualifiées de criminels ou de délinquants pédophiles par la justice, que ces personnes aient été condamnées à plus ou à moins de deux mois d’emprisonnement ferme, les actes qu’elles ont commis demeurent à caractère pédophile et cette différence dans la qualification des faits ainsi que dans le quantum de la peine ne doit pas aboutir à une différence de traitement s’agissant de l’incapacité d’exercer professionnellement auprès de mineurs.

Cette incapacité doit résulter non pas du quantum de la peine, mais directement de la nature du fait ayant entraîné la condamnation : en matière de protection des mineurs face à la pédophilie, il convient de tendre au risque zéro.

Les termes que nous employons pour qualifier cette interdiction d’exercer auprès de mineurs ont leur importance. C’est pourquoi je souhaite insister sur une précision qui avait été très justement apportée en commission des lois par notre collègue Georges Fenech. Celui-ci a souligné qu’il ne s’agit pas d’une « peine supplémentaire » à proprement parler puisqu’elle relève non pas du code pénal mais de l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles.

Cette précision juridique nous permet de comprendre qu’il s’agit avant tout d’une mesure de protection, à la fois des mineurs contre les personnes condamnées pour des actes de pédophilie mais, aussi, de ces derniers contre eux-mêmes.

Par ailleurs, l’incapacité résultant de manière automatique du jugement pénal est de nature administrative, comme l’avait souligné Marie-Françoise Bechtel.

Parce qu’il y a urgence à adopter cette mesure de bon sens, le Gouvernement l’a reprise – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État – à l’article 3 du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs, lequel fait l’objet d’une procédure accélérée et que nous avons étudié hier en commission des lois.

Nous nous en félicitons et nous soutenons par ailleurs l’initiative gouvernementale – répondant ainsi à votre demande, monsieur le secrétaire d’État – visant à renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités ou des professions impliquant un contact avec des mineurs et, de façon plus générale, des personnes exerçant une activité soumise au contrôle des autorités publiques.

En votant aujourd’hui en faveur de la proposition de loi de Claude de Ganay visant à rendre automatique l’incapacité d’exercer auprès de mineurs pour toute personne définitivement condamnée à des faits de pédophilie, nous nous assurons que des drames tels que ceux qui se sont produits au printemps dernier dans des établissements scolaires à Villefontaine et à Orgères ne se reproduiront plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons ce texte quelques mois après les deux récentes affaires de pédophilie survenues dans des établissements scolaires à Villefontaine et à Orgères au printemps dernier.

Cela a été dit, un directeur d’école et un professeur d’éducation physique et sportive, tous deux précédemment mis en cause pour des actes pédophiles, l’un pour détention d’images pédopornographiques, l’autre pour recel de biens provenant de la diffusion d’images pédopornographiques, avaient pu continuer à exercer leurs fonctions professionnelles au contact de mineurs. C’était en 2014, c’est en 2015, et c’est en France.

Les ministres de la justice et de l’éducation nationale avaient alors diligenté une enquête administrative – c’était bien le moins – afin de faire la lumière sur les raisons pour lesquelles il était possible, à notre époque, de se trouver dans une situation pareille : comment les informations relatives aux poursuites et condamnations pénales des deux enseignants avaient-elles pu rester inconnues des administrations ?

L’objectif de cette enquête était d’analyser les circonstances dans lesquelles l’autorité judiciaire et l’éducation nationale ont pu partager des informations relatives à ces condamnations, les conditions de nomination de ces enseignants, et de déterminer si les services de l’éducation nationale avaient été informés.

Ainsi que l’indique le rapport d’étape remis au mois de mai 2015, plusieurs enseignements avaient pu être tirés de ces deux affaires.

Dans l’Isère, l’éducation nationale n’avait appris la condamnation de l’enseignant en 2008 que lorsque celui-ci a été placé en garde à vue pour des faits de viol commis en 2015. Avant cette date, rien dans le dossier administratif de l’intéressé ne semblait de nature à alerter son administration. Les ministères fonctionnent donc de façon parfaitement étanche.

En llle-et-Vilaine, l’éducation nationale n’a été prévenue de la condamnation de l’enseignant en 2006 pour des faits de pédopornographie que par l’ex-compagne de celui-ci.

Ainsi, le rapport d’étape conclut qu’ « aussi bien dans le dossier de Grenoble que dans celui de Rennes, les parquets compétents n’ont avisé l’éducation nationale ni des poursuites ni des condamnations ».

Indéniablement, ces affaires ont démontré la nécessité d’améliorer – le mot est faible – dans les meilleurs délais, la législation pénale relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs.

Ce n’est pas la première fois que ces sujets sont évoqués dans cet hémicycle. Lors de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, au mois de juin dernier, un article avait été adopté à l’initiative du Gouvernement visant à remédier aux lacunes constatées en matière de transmission d’informations.

Ce dispositif avait été complété par le rapporteur du présent texte afin d’interdire à toute personne condamnée définitivement pour un certain nombre de délits d’exploiter, de diriger ou d’exercer au sein de l’un des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles.

Intervenant au nom du groupe UDI, j’avais alors fait part de notre abstention sur ce texte qui, selon nous, cédait à la tentation de la « surtransposition » en y intégrant des éléments qui dépassaient le cadre de la simple transposition.

Le Conseil constitutionnel nous a donné raison puisqu’il a déclaré ces dispositions, à l’instar de 26 autres articles additionnels, contraires à la Constitution – il a en effet considéré qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est un véhicule adapté pour remédier aux dysfonctionnements qu’ont révélés ces récentes affaires.

Nous nous félicitons de l’initiative du groupe Les Républicains qui nous permet ainsi d’aborder une question essentielle. Nous devons faire en sorte que de tels faits ne puissent se reproduire.

Le dispositif proposé par ce texte améliorerait efficacement la protection des mineurs contre les actes de pédophilie.

Il semble évident que la législation actuelle ne garantit pas systématiquement la mise à l’écart des personnes condamnées pour infraction sexuelle contre un mineur d’un milieu professionnel qui les placerait à leur contact.

Aujourd’hui, le code de l’action sociale et des familles interdit à toute personne d’exploiter ou de diriger des lieux d’accueil pour mineurs ou d’y exercer une fonction si elle a été condamnée définitivement pour un crime ou pour certains délits.

Or, cette incapacité n’est automatique que lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou une peine d’emprisonnement d’au moins deux mois sans sursis pour un délit.

Cette faille permet à des individus reconnus coupables de délits sexuels envers des mineurs et n’ayant été condamnés qu’à des peines de prison avec sursis de ne pas être systématiquement évincés des emplois impliquant une responsabilité auprès d’enfants.

Nous approuvons donc – comment pourrait-il en être autrement ? – la mesure proposée par ce texte : en rendant l’incapacité d’exercice indépendante de la nature et du quantum de la peine prononcée, il rend cette peine plus systématique. Cette modification de notre droit est donc indispensable.

Il serait inacceptable que des personnes condamnées auparavant pour des délits sexuels commis envers des mineurs ou pour détention d’images à caractère pédopornographique puissent continuer à travailler avec des mineurs.

En revanche, un certain nombre de dispositions adoptées dans le cadre de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne n’y figurent pas : l’information de l’autorité administrative par le ministère public en cas de poursuite ou de condamnation d’une personne exerçant une activité auprès des mineurs, les incapacités prévues par le code du sport ainsi que les procédures disciplinaires prévues par le code de l’éducation.

La question de la transmission d’informations relatives aux poursuites et condamnations pénales a pourtant été perçue comme l’une des principales failles de notre système judiciaire lors des affaires de Villefontaine et d’Orgères.

De telles dispositions figurent donc dans le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs, adopté hier en commission des lois, qui sera discuté la semaine prochaine en séance.

Outre la disposition prévue par la présente proposition de loi, le projet de loi apporterait plusieurs modifications à notre droit, dans différents codes, afin de renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités impliquant un contact avec des mineurs.

En vertu de ce projet de loi, le procureur de la République sera tenu d’informer l’administration des condamnations et de certaines mesures de contrôle judiciaire prononcées à l’encontre de ces personnes.

Il aura également la faculté d’informer l’administration des mises en cause en ces matières dès lors qu’elles résulteront d’indices graves et concordants, des poursuites qu’il engagera et des mises en examen prononcées.

Ces dispositions compléteront utilement la mesure prévue par l’article unique de la présente proposition de loi.

Mes chers collègues, les conditions d’examen de ce texte sont un peu particulières. Comme vous le savez tous, nous nous prononçons en effet sur une disposition qui figure également dans le projet de loi.

Néanmoins, la présente proposition de loi comporte une disposition essentielle, nécessaire à l’amélioration de la protection des mineurs, sur un sujet très largement transpartisan. Le groupe UDI la votera donc bien évidemment. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dominique Raimbourg. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous commençons l’examen de la proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques déposée par nos collègues du groupe Les Républicains à l’occasion de la journée d’initiative qui leur est réservée.

Comme le rapporteur l’a précisé, cette proposition de loi fait suite aux affaires d’actes de pédophilie commis dans des établissements scolaires portés à notre connaissance au printemps 2015.

Les dispositions actuelles de l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles permettent, en matière d’infractions commises sur un mineur, d’interdire à toute personne condamnée pour un crime ou pour un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins deux mois sans sursis d’exploiter, de diriger ou d’exercer une fonction dans les lieux accueillant des mineurs.

Or, l’objet de la proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains est d’étendre cette incapacité pénale automatique d’exercice d’activités professionnelles au contact des mineurs aux personnes condamnées pour des délits sexuels commis envers des mineurs, y compris en cas de condamnation à de seules peines de prisons avec sursis ainsi qu’en cas de détention d’images ou de vidéos à caractère pédopornographique définies par l’article 227-23 du code pénal.

Ces délits comprennent les agressions sexuelles imposées aux mineurs autres que le viol, la mise en péril des mineurs, ou encore le recel d’images à caractère pédopornographique.

Or, ce dispositif a déjà été débattu et fait suite à un amendement déposé par Les Républicains et adopté après avis favorable de la garde des sceaux ainsi que du rapporteur, Dominique Raimbourg, à l’occasion de l’examen aux mois de juin et juillet derniers du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit DADU pénal.

Ces dispositions, ensuite réécrites avec le même contenu par un amendement du rapporteur, ont été présentées comme légitimes car relevant de l’éthique et de la bonne gestion des établissements impliquant des mineurs.

Ce dispositif, bien qu’adopté par l’Assemblée nationale en lecture définitive, avait été censuré par le Conseil constitutionnel non sur le fond mais en ce qu’il ne présentait pas de lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi examiné, celui-ci n’étant qu’un texte de transposition des directives européennes.

Cette décision entérine d’ailleurs la position du Conseil constitutionnel s’agissant des projets de transposition des directives européennes, à savoir que toutes dispositions complémentaires, avec ou sans lien direct avec les dispositions objets de transposition, seront jugées inconstitutionnelles dès lors qu’elles ne constituent pas de simples articles de transposition.

On peut considérer que cette jurisprudence du Conseil est bien sévère, d’autant plus qu’elle peut être in fine détournée lorsque l’intitulé du texte de loi dépasse la simple transposition de directives. Elle n’en doit pas moins s’imposer à nous.

Aussi, mes collègues Stéphane Claireaux et Jean-Pierre Maggi ont formulé cette critique lors de l’examen des amendements présentés par le Gouvernement sur le DADU pénal, la méthode étant pour le moins cavalière : déposés hors délai, examinés à une heure du matin un mercredi soir après demande de retrait au profit d’un amendement du rapporteur plus mesuré… Le Gouvernement avait pris une fois encore des libertés avec le travail des parlementaires. Mais, plus encore, le fond des amendements proposés a fait l’objet de critiques.

En effet, ces amendements visaient à ouvrir la possibilité pour le ministère public d’informer les administrations et les organismes compétents de l’existence d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant une personne dont l’activité professionnelle ou sociale est en lien avec des mineurs.

Si l’objectif de cette disposition pouvait se justifier pleinement en ce qu’elle vise à protéger les mineurs du fait des majeurs ayant autorité sur eux, nous nous étions montrés inquiets car l’insertion d’un tel dispositif pouvait aller à l’encontre du principe juridique de la présomption d’innocence, principe fondamental de notre droit pénal que nous avons le devoir de protéger au nom des libertés de chacun.

Or, la seule ouverture d’une enquête ou d’une instruction ne pouvait pas constituer une preuve suffisante de la commission des faits par la personne soupçonnée et pouvait entraver la procédure.

Plus encore, l’utilisation de ces informations, non définitives, pouvait porter préjudice à la réputation et à l’honneur de la personne concernée.

Vous avez évité cet écueil, monsieur le rapporteur, en nous présentant un texte ouvrant aux dispositions délictuelles les possibilités actuellement offertes par le code de l’action sociale et des familles en matière criminelle.

Nous sommes rassurés, puisque ce texte prévoit que seules les condamnations définitives pourraient faire l’objet de telles sanctions. Cette précision constitue une sécurité nécessaire afin de préserver la présomption d’innocence des personnes soupçonnées. Ce dispositif équilibré respecte les droits de la défense, tout en remplissant son objectif indispensable de protection des mineurs.

Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera cette proposition de loi.

Mme Claudine Schmid et M. Philippe Gomes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, le groupe socialiste, républicain et citoyen votera cette proposition de loi.

Mme Claudine Schmid. Très bien !

M. Dominique Raimbourg. Il la votera, tout d’abord, parce que c’est une bonne proposition de loi. C’est en effet une proposition de loi prudente, qui instaure une interdiction d’exercice, dans les établissements accueillant des enfants placés par la justice, pour les personnes ayant été condamnées pour pédophilie ou pour tout autre type de délits contre des mineurs : violences, agressions sexuelles ou mise en danger.

C’est d’autant plus nécessaire que les mineurs placés par la justice dans ces institutions sont souvent dans une situation plus difficile que les autres et qu’ils n’ont pas eu, dans leur vie, les mêmes chances que d’autres. Il y a donc vraiment lieu de les protéger avec beaucoup de soin.

Vous avez étendu une interdiction qui existe déjà, monsieur le rapporteur, en décidant qu’elle serait appliquée dès l’instant où il y aurait une condamnation, alors qu’il est pour l’instant nécessaire que cette condamnation soit supérieure à deux mois d’emprisonnement avec sursis. C’est là une mesure de prudence, dont on doit se féliciter.

Ce texte doit être voté, ensuite, parce qu’il constitue le nouveau chapitre d’une histoire assez longue et tortueuse, qui a été évoquée par les précédents orateurs. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, ces nouvelles dispositions ont d’abord fait l’objet d’un amendement déposé sur un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne – DADUE. Cet amendement venait lui-même compléter un autre amendement, relatif à la transmission d’informations en cas de condamnation pour des faits de pédophilie, lorsque le condamné est une personne ayant un contact régulier avec des mineurs. Ces deux amendements faisaient suite aux affaires dites de Villefontaine et d’Orgères.

Le Conseil constitutionnel a censuré ces amendements au motif qu’ils ne procédaient pas à une adaptation au droit de l’Union européenne et qu’il s’agissait de ce que l’on appelle familièrement des cavaliers législatifs, à savoir des amendements sans rapport avec le texte examiné.

Comme vous l’avez expliqué, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a pris l’initiative de déposer sur ce sujet un projet de loi qui a été examiné hier en commission des lois, et qui le sera mardi en séance. Ce projet de loi reprend les dispositions de l’amendement déposé sur le projet de loi DADUE et prévoit une interdiction d’exercer pour toute personne ayant été condamnée pour des faits d’atteinte aux mineurs. Il est donc tout à fait logique que nous nous retrouvions aujourd’hui sur votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, et mardi prochain sur le projet de loi qui va intégrer ces dispositions.

Il est vrai que nous allons ainsi nous retrouver avec deux textes qui vont évoluer parallèlement, et l’un des deux ira plus vite que l’autre. Il est vraisemblable que celui qui bénéficie de la procédure accélérée sera voté beaucoup plus rapidement, si bien que notre vote d’aujourd’hui sur cette proposition de loi aura une portée essentiellement symbolique.

Il y a encore deux autres raisons de voter ce texte. La première, c’est qu’il est le fruit d’un travail en commun, ce qui n’est pas si fréquent dans notre république, où les institutions favorisent l’affrontement entre la droite et la gauche, l’affrontement binaire entre l’opposition et la majorité. Malgré la bonne volonté des uns et des autres, nous retrouvons en effet bien souvent ce bon vieux réflexe qui consiste à dire que, par nature, ce que fait le camp opposé n’est pas bon.

Sur ce texte, nous avons pu trouver un accord. Comme l’ont noté Pierre Morel-A-L’Huissier et Joël Giraud, il importait, sur un sujet aussi difficile, de trouver un consensus, et nous y sommes parvenus. Cela prouve que nous pouvons, parfois, travailler ensemble. Nous devrions suivre cet exemple plus souvent.

Ce vœu a souvent été proféré à cette tribune, mais il n’a pas toujours prospéré autant que l’espérait celui qui le proférait. Peut-être les choses changeront-elles à l’avenir, nous verrons. Si tel est le cas, vous aurez été l’un des principaux acteurs de ce changement, monsieur le rapporteur.

La dernière raison d’adopter ce texte, c’est son caractère raisonnable. On est toujours un peu inquiet lorsque les interdictions ont un caractère automatique. Entre la réalité des faits et le chef d’inculpation, il y a parfois un écart considérable. Il est d’usage de rappeler que l’inculpation de vol est la même, que l’on ait volé un carambar, plusieurs voitures, ou des milliards. Parfois, l’inculpation ne correspond pas véritablement à la dangerosité. L’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles prévoit ainsi la possibilité de demander le relèvement de l’incapacité dans le cas où des circonstances particulières – ce seront évidemment des cas minoritaires – le justifient.

Parce que ce texte est prudent et équilibré, le groupe socialiste, républicain et citoyen le votera.

M. Jean-Yves Caullet et M. Joël Giraud. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Schmid.

Mme Claudine Schmid. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, les actes de pédophilie en milieu scolaire et l’insuffisance des mesures annoncées, ces derniers mois, par mesdames les ministres Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem ont conduit notre collègue Claude de Ganay, soutenu par son groupe parlementaire, à déposer une proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercer une fonction dans les lieux d’accueil des mineurs pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques.

Est-il nécessaire de rappeler les pénibles faits survenus à Villefontaine, qui ont mis la France en émoi en mars 2015, alors qu’un professeur et directeur d’école a été arrêté, puis mis en examen pour viol sur des élèves ? Ce professeur avait déjà comparu pour recel d’images à caractère pédopornographique devant le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu en 2008. Cette dernière information n’avait pas été transmise par le parquet à l’éducation nationale. Ce défaut de transmission témoigne de la nécessité d’une meilleure coordination entre la justice et l’administration, pourtant prévue par de nombreux textes.

Il est devenu proprement insupportable que, année après année, les violences sexuelles contre les enfants continuent d’être perpétrées dans l’enceinte scolaire, pourtant dédiée à la protection des enfants. Ces faits sont encore plus insoutenables lorsqu’ils sont commis par des éducateurs, déjà condamnés par la justice pour de telles violences. Le 4 mai dernier, les ministres Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira annonçaient qu’un projet de loi garantirait la transmission d’informations de la justice à l’administration. Mmes les ministres viennent seulement de présenter un projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs en Conseil des ministres, le 25 novembre dernier.

Malgré les dispositions extrêmement précises du code pénal et du code de l’action sociale et des familles concernant la prévention du risque pédophile, la répression de celui-ci et le suivi des personnes concernées, malgré le nombre incalculable de circulaires émises depuis plus de quinze ans – circulaires interministérielles ou émanant des ministères de la justice et de l’éducation nationale – censées améliorer l’information des employeurs sur d’éventuelles condamnations pour atteintes sexuelles concernant les éducateurs, il se trouve encore, dans notre pays, des professeurs ou des directeurs d’école en exercice alors qu’ils ont été condamnés par la justice pour des faits de violences sexuelles ou de pédophilie.

Le cœur du problème, c’est cette faille, principale : l’interdiction d’exercer toute profession au contact d’enfants par des personnes concernées par ce type de crime ou de délits est considérée aujourd’hui, dans notre droit, comme une peine complémentaire laissée à la libre appréciation du juge. Cette interdiction peut être temporaire ou définitive ; elle peut, ou non, être décidée par le juge, en complément de sa peine principale – emprisonnement ou sursis, par exemple. Il arrive donc que des éducateurs condamnés pour la consultation de films pornographiques à caractère pédophile soient laissés en activité. Il arrive aussi que des condamnations pour ce type de faits ne soient pas communiquées aux institutions qui emploient ces éducateurs, à commencer par l’éducation nationale.

De tels dysfonctionnements sont tout simplement inacceptables. Ces violences sexuelles subies par les enfants ont des conséquences irréparables. Notre République ne peut pas laisser ces prédateurs sexuels continuer d’exercer des professions au contact des enfants. C’est le but de la présente proposition de loi que de remédier à ces failles en rendant obligatoire, pour toute personne condamnée pour des faits de pédopornographie, de pédophilie ou toute autre infraction de nature sexuelle sur mineur, l’interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

Il faut aussi rendre obligatoire et définitive la peine complémentaire d’interdiction d’exercer. Toutefois, l’appréciation du juge, conformément au principe d’individualisation de la peine, doit être maintenue, tout en laissant à celui-ci la possibilité de moduler cette peine. Dans ce cas, il devra motiver sa décision au vu de la personnalité de l’auteur et des circonstances de l’infraction, et prouver que le risque pour les enfants aura disparu. Enfin, il faut faire en sorte que l’interdiction d’exercer fasse l’objet d’une communication immédiate auprès des organismes employeurs, afin qu’elle entraîne une révocation, elle aussi immédiate, de la personne condamnée.

Pour toutes, ces raisons je soutiens cette proposition de loi et vous invite à faire de même, comme vous y a aussi invité M. le secrétaire d’État. Nous éloignerons ainsi, tous ensemble, les prédateurs sexuels de nos enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Joël Giraud et M. Philippe Gomes. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

Article unique

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Rénovation des casernes

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. François de Mazières et M. Serge Grouard visant à financer la rénovation des casernes en activité dégradées des ministères de la défense et de l’intérieur par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (n2817, 3281).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières, rapporteur de la commission des affaires économiques.

M. François de Mazières, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui une proposition de loi cosignée par de nombreux députés du groupe Les Républicains, dont Serge Grouard et moi-même sommes les premiers signataires.

Je suis heureux que l’Assemblée nationale se saisisse à cette occasion d’un problème très concret qui touche des milliers de familles.

Quel est le constat ? Année après année, les rapports et les témoignages s’accumulent pour dénoncer l’état de vétusté des logements des gendarmes et des membres de l’armée française. Année après année, les moyens consacrés aux réhabilitations de ces logements ne cessent pourtant de diminuer.

Les missions des gendarmes et des militaires impliquent une disponibilité totale, qui peut se traduire par une obligation de loger en caserne. C’est la raison pour laquelle les ministères de l’intérieur et de la défense disposent du parc immobilier de l’État le plus important. À elle seule, la gendarmerie nationale gère aujourd’hui plus de 75 000 logements. Le parc du ministère de la défense est, quant à lui, constitué d’environ 47 000 logements.

Le rapport de notre collègue Daniel Boisserie, sur le projet de loi de finances pour 2016, affirme que la piètre qualité de certaines emprises confine « parfois à l’insalubrité ».

De nombreux témoignages, recueillis au cours des auditions que nous avons réalisées, étayent ce diagnostic. À Versailles, commune dont je suis maire, une part importante des logements du camp militaire de Satory nécessitent d’importants travaux d’entretien, voire, pour la caserne Delpal, une rénovation totale.

En janvier dernier, à l’occasion de la question d’actualité que j’ai posée au ministre de l’intérieur sur ce sujet, j’ai également reçu des messages poignants de gendarmes des casernes de Chaumont, Nanterre, Bagnols-sur-Cèze et du Plessis-Robinson.

Les conditions de vie dans certaines casernes ne sont pas acceptables et ont un impact conséquent sur le moral des gendarmes et de leur famille. Les gendarmes subissent quotidiennement de fortes pressions dans le cadre de leur travail et ne peuvent pas trouver la sérénité dans des logements trop dégradés.

Les gendarmes, comme les militaires, vivent le plus souvent avec leur famille. Ces conditions de logement vétustes sont donc imposées à des civils exerçant d’autres professions et à des enfants.

Quelles sont les causes de cette situation anormale ? La dégradation continue de ces conditions de logement résulte d’un sous-investissement chronique de l’État dans l’entretien et le renouvellement de son parc immobilier. Depuis 2008, les crédits budgétaires consacrés aux investissements immobiliers dans la gendarmerie nationale ont baissé de 72 %.

Pour faire face aux besoins de maintenance les plus urgents, le Gouvernement a certes annoncé un plan de réhabilitation immobilier pluriannuel allant de 2015 à 2020 pour la gendarmerie. Une enveloppe de 70 millions d’euros d’autorisations d’engagement par an, jusqu’en 2017, a été promise. Hélas, la baisse des crédits de paiement sur la même période est très forte. Elle atteindra un point historiquement bas de 58 millions d’euros en 2016.

Je tiens à signaler, à cette occasion, que le décalage entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement constitue un risque majeur. Ce phénomène bien connu dans les crédits du patrimoine du ministère de la culture aboutit à un « mur » de crédits à franchir au moment où arrive la mise en paiement des chantiers.

Si l’on analyse les chiffres fournis par nos collègues du Sénat Alain Gournac et Michel Boutant sur le projet de loi de finances pour 2015, il n’y a eu depuis 2012 aucun crédit de maintenance courante. Cela crée un doute sur le fait que les projets promis soient effectivement réalisés dans un délai raisonnable, d’autant plus que les opérations de partenariat public-privé conclues par l’État depuis 2010 prévoient un doublement des charges annuelles de remboursement à partir de… 2018.

Dans une réponse à une question écrite de notre collègue Laurent Grandguillaume, publiée en 2013, le Gouvernement indiquait que « Selon les standards professionnels, le maintien à niveau de ce parc nécessite un besoin évalué annuellement à 300 millions d’euros. » Les 70 millions d’euros annuels du plan de réhabilitation ne suffisent donc même pas à couvrir les besoins de maintenance courante.

La situation dans l’armée est similaire : 20 millions d’euros par an seulement sont programmés pour la rénovation des logements familiaux. Ces crédits ne permettent qu’une remise à niveau minimale des résidences les plus vétustes, mais certains grands ensembles de logements mériteraient une rénovation lourde et certaines réhabilitations sont reportées, faute de financement. Le ministère de la défense estime que neuf grandes résidences représentant plus de 800 logements en Île-de-France et 550 en région auraient besoin d’une rénovation importante, pour un montant total estimé à 77 millions d’euros.

La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui vise donc à ce que soient étudiées toutes les voies de financement possibles pour la rénovation de ces logements. Une telle mobilisation relève de la solidarité nationale. Depuis les événements de janvier 2015, et encore plus aujourd’hui, la France tout entière exprime sa reconnaissance aux forces de l’armée et à la gendarmerie. Celles-ci attendent des gestes concrets, non pas de simples paroles.

Une telle mobilisation relève de l’équité. Les gendarmes et les militaires comprennent en effet de moins en moins que des sommes importantes soient consacrées à la construction et à la rénovation de logements, alors que toute dépense supplémentaire de cette nature leur est refusée. Les logements des gendarmes et des militaires semblent être la seule catégorie de logements exclue du système d’aides publiques en faveur de la construction, de la réhabilitation et de la rénovation énergétique.

Un nouveau plan d’action, incluant l’Agence nationale pour la rénovation urbaine – ANRU – pourrait contribuer à cette amélioration. Cette agence, spécialisée dans la réhabilitation de grands ensembles de logements, peut intervenir de deux façons : d’une part, dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain – NPNRU – pour les casernes situées à proximité d’un quartier de la politique de la ville ; d’autre part, en appui d’un plan plus large financé par le programme d’investissements d’avenir de deuxième génération – PIA 2.

En matière de rénovation urbaine, l’action de l’ANRU est très positive. Elle peut toutefois être vécue, à juste titre, comme une injustice par les gendarmes et les militaires dont les logements ne bénéficient pas des mêmes efforts de réhabilitation. Dans certains cas, comme à Melun ou à Rennes, les opérations de rénovation urbaine menées par l’ANRU se déroulent à proximité immédiate des casernes. Alors que ces logements sont dans le même état de vétusté que les logements sociaux bénéficiant des opérations de rénovation de l’ANRU, cette dernière ne leur consacre pas de crédits.

C’est la raison pour laquelle nous avons proposé, en commission, un amendement visant à prendre en compte, dans le nouveau programme national de renouvellement urbain – NPNRU –, la réhabilitation de logements affectés aux ministères de la défense et de l’intérieur lorsque ces logements sont situés dans les quartiers du NPNRU. Cet amendement a reçu un accueil positif de la part des membres de la commission des affaires économiques. Le président de l’ANRU, François Pupponi, a même déclaré qu’il n’y voyait « pas de difficulté ». Malgré ces soutiens, et à notre grande surprise, l’amendement n’a pas été adopté par la commission.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. François de Mazières, rapporteur. On me dit que ces dossiers pourraient être traités, au cas par cas, directement par l’ANRU. Je m’en réjouis, mais j’ai peine à y croire, car une modification de la loi est bien nécessaire. En l’état actuel du droit, les missions de l’ANRU et les actions du nouveau programme national de renouvellement urbain sont strictement définies. La réhabilitation des casernes n’en fait pas partie. Je vous appelle donc de nouveau à voter cet amendement, dont la rédaction a d’ailleurs été assouplie afin de permettre un traitement des dossiers au cas par cas.

La majorité des casernes ne se situent toutefois pas dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Pour celles-ci, une hausse des crédits budgétaires des ministères de l’intérieur et de la défense consacrés à leur réhabilitation serait la solution la plus simple et la plus efficace.

Mais l’analyse de la période récente nous montre que cet espoir est vain. Les crédits des missions « Sécurités » et « Défense » consacrés à l’immobilier ne cessent de baisser. Ils sont régulièrement sacrifiés par les ministères, soumis à des objectifs de réduction des dépenses publiques, afin de préserver les dépenses jugées prioritaires comme l’investissement dans du nouveau matériel. On peut d’ailleurs saluer l’attitude des gendarmes, qui sacrifient souvent des dépenses qui pourraient être consacrées à leur logement au bénéfice de leurs véhicules ou d’autres dépenses jugées prioritaires.

C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi invite à diversifier les sources de financement tout en changeant de méthode. L’article 1er prévoit la création d’un programme national de réhabilitation des casernes dégradées, dont l’ANRU serait l’un des opérateurs. Ce programme viserait en priorité les grands ensembles domaniaux qui nécessitent des opérations d’envergure.

La désignation de cet opérateur peut surprendre. Elle est toutefois pertinente pour trois raisons.

Tout d’abord, les ensembles immobiliers sur lesquels l’ANRU est intervenue au titre du programme national de rénovation urbaine ont des caractéristiques très similaires aux casernes domaniales de la gendarmerie nationale et des armées. L’ANRU pourrait donc apporter son expertise en la matière.

Ensuite, ce ne serait pas la première fois que l’ANRU interviendrait en dehors des quartiers de la politique de la ville. La critique la plus facile à l’encontre de cette proposition de loi est que cette nouvelle mission éloignerait l’ANRU de son cœur de métier. Cette affirmation est fausse : depuis 2003, date de sa création, l’ANRU s’est déjà vu confier de nombreuses missions n’ayant qu’un lien indirect avec la rénovation des zones urbaines sensibles ou des quartiers prioritaires. L’ANRU gère, par exemple, trois programmes d’investissements d’avenir de première ou de deuxième génération qui sont éloignés de la rénovation urbaine des quartiers populaires au sens strict : il s’agit des internats de la réussite, du programme « Développement de la culture scientifique et technique » et du programme « Projets innovants en faveur de la jeunesse ».

Un programme de réhabilitation d’immeubles de logements dégradés des ministères de l’intérieur ou de la défense ne serait donc ni la première mission de l’ANRU qui se situerait en dehors du cadre de la politique de la ville, ni celle qui s’éloignerait le plus de son cœur de métier. À ce titre, un tel programme se rapprocherait du programme de rénovation des collèges dégradés, décidé en 2008, ou du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, que l’ANRU gère depuis 2009.

Enfin, l’accompagnement de l’ANRU permettrait de sécuriser des fonds dédiés à la réhabilitation des casernes. Il faut bien le dire, en effet : les crédits ministériels consacrés à la rénovation des casernes sont régulièrement sacrifiés en cours d’année pour financer des besoins imprévus. La désignation de l’ANRU comme financeur complémentaire donnerait la visibilité nécessaire à des projets pluriannuels, tout en assurant le bouclage d’opérations de grande ampleur.

Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2015, deux nouvelles actions ont été proposées : l’action « Innovation numérique pour l’excellence éducative », dotée de 168 millions d’euros, et le « Fonds de fonds de retournement » – quel titre ! –, doté de 75 millions d’euros, grâce à des redéploiements de crédits du programme d’investissements d’avenir. Je propose donc que le financement de ce programme de réhabilitation se fasse de la même manière, par une réaffectation d’autres fonds du programme d’investissements d’avenir dont la pertinence et l’utilité paraissent moins prioritaires dans le moment présent. L’intervention de l’ANRU pourrait, par la suite, entraîner un effet de levier susceptible de mobiliser d’autres sources de financement.

Enfin, lors de l’examen de la proposition de loi par la commission des affaires économiques, Daniel Goldberg a évoqué une autre source de financement qui me paraît pertinente dans certains cas : le conventionnement. Les militaires logés dans les logements familiaux du ministère de la défense paient un loyer. Certains remplissent les conditions de ressources et de loyer du logement social et habitent dans des logements appartenant à de grands bailleurs sociaux – je pense notamment à la Société nationale immobilière, la SNI. Pourtant, ces logements ne bénéficient pas des aides publiques comme l’aide personnalisée au logement – APL – ou les subventions de l’Agence nationale de l’habitat – ANAH –, qui pourraient permettre de réaliser des travaux d’amélioration. Dans ma ville, la SNI gère ainsi 500 logements qui pourraient être conventionnés, du jour au lendemain. Je vous proposerai donc, dans quelques instants, un amendement visant à entamer une démarche en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi de M. de Mazières porte sur un sujet très important aux yeux du Gouvernement. Je vous le dis très simplement : les conditions de vie et, plus particulièrement, de logement de nos gendarmes et de nos militaires doivent être dignes de l’engagement sans faille dont ils témoignent jour après jour, particulièrement en cette période si difficile pour notre pays. Je tiens à les saluer. À l’heure où la liberté est menacée, où la communauté nationale peut sembler fragilisée, il faut plus que jamais rappeler le travail formidable réalisé par nos forces de l’ordre et nos forces armées.

Si nous partageons donc l’ambition initiale et la philosophie de cette proposition de loi, qui consiste à soutenir la rénovation des casernes de gendarmes et de militaires dégradées, vous vous doutez bien que nous ne partageons pas la proposition d’utiliser l’Agence nationale pour la rénovation urbaine pour ce faire.

Je tiens à vous rappeler, monsieur le rapporteur, que l’ANRU n’a pas été créée pour répondre à cette problématique, mais pour traduire une ambition politique. Cette ambition, qui était initialement celle de Jean-Louis Borloo, que je tiens à saluer, n’a pas été remise en question ; au contraire, elle a été relancée de manière très ambitieuse par le Gouvernement, à travers le nouveau programme national de renouvellement urbain. Il s’agit d’opérer une transformation profonde des quartiers prioritaires de la politique de la ville concentrant les difficultés sociales et présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants en matière d’enclavement, de dégradation du bâti et des espaces publics, de déficit d’offre commerciale et de services, de difficultés d’accès aux activités économiques. Nous connaissons le diagnostic, et je crois que nous le partageons sans difficulté sur tous les bancs de cette assemblée. L’intervention de l’ANRU est donc nécessairement géographiquement située et circonscrite.

Le financement attribué par l’ANRU à ces fins est essentiel pour poursuivre la transformation de ces quartiers. Je vous rappelle que nous parlons de 200 quartiers prioritaires d’intérêt national et de 250 quartiers d’intérêt régional. La convention tripartite signée le 2 octobre dernier entre l’État – votre serviteur –, Action Logement et l’ANRU permet de financer le NPNRU sur des bases consensuelles, même si elles ont été difficiles à négocier. Cette convention prévoit 5 milliards d’euros d’équivalent-subvention, avec des versements jusqu’en 2031. Cela représentera environ 20 milliards d’euros de travaux, ce qui est considérable. Les solutions de trésorerie sont désormais positionnées pour soutenir l’accélération rapide de la montée en charge du NPNRU, ce dont je me félicite.

Cette enveloppe de 5 milliards d’euros a déjà été intégralement répartie entre les projets de renouvellement urbain d’intérêt national et régional. Un prélèvement sur cette enveloppe pénaliserait donc les projets en cours. Il n’apparaît pas souhaitable d’imputer cela sur les programmes de rénovation urbaine qu’attendent légitimement des millions de nos concitoyens – les plus modestes – pour vivre mieux dans leur quartier.

Chacun sait bien que le financement du programme de rénovation urbaine repose quasi exclusivement, depuis 2009, sur Action Logement, dont la première mission est le logement des salariés des entreprises privées, notamment celles qui cotisent au fameux 1 % logement. Si l’ANRU devait intervenir pour financer la rénovation des casernes, il y a fort à craindre qu’Action Logement serait amenée à revoir ses conditions de financement de l’agence. Ce serait légitime, mais particulièrement préjudiciable. Nous risquons donc de susciter un véritable conflit avec nos amis d’Action Logement, qui serait difficilement surmontable.

Vous l’avez compris : le Gouvernement ne soutient pas l’utilisation de l’outil qu’est l’ANRU. Je veux néanmoins rappeler, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ce que nous avons fait en faveur des logements des gendarmes et des militaires depuis 2012, sous l’autorité, notamment, de Jean-Yves Le Drian.

Un plan immobilier 2015-2020 relatif aux casernes domaniales a été programmé par le ministère de l’intérieur et prévoit de consacrer 70 millions d’euros par an, sur trois ans, à des travaux de réhabilitation lourde. Au total, 210 millions d’euros seront donc engagés.

Le ministère de la défense porte une action ambitieuse pour répondre à une situation qui s’est dégradée et dont il a parfaitement conscience. À la fin des années 1990, un plan global de réhabilitation des casernements de l’armée de terre, le plan Vivien, a été défini. Il a permis d’améliorer les conditions de vie de près de 10 000 sous-officiers et de 40 000 militaires du rang. Les investissements financiers qui y ont été consacrés se sont élevés à plus de 1,1 milliard d’euros.

En 2014, le ministre de la défense a décidé, après une visite dans la garnison de Montlhéry, dans l’Essonne, la mise en place d’un plan de rénovation des conditions de vie pour remettre à niveau les infrastructures qui avaient pâti de ressources contraintes lors des années précédentes. Ce plan vise à traiter près de 700 opérations, pour un montant total de 560 millions d’euros jusqu’à 2020, avec un flux annuel de l’ordre de 70 millions d’euros. Depuis sa mise en place, plus de 150 opérations ont été traitées et 185 sont en cours.

Enfin, même s’il ne correspond pas totalement à la catégorie de logements visée dans cette proposition de loi, on peut mentionner l’effort entrepris par le ministère pour rénover les logements de son parc domanial, dont la vétusté est avérée. Il se monte à 25 millions d’euros pour 2015 ; 20 millions d’euros sont prévus, en moyenne, pour les cinq prochaines années.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les députés : les ministères concernés au premier chef ont bien conscience de l’enjeu que représente la rénovation de leur patrimoine. Ils vont dans votre sens, monsieur le rapporteur.

Je précise en outre qu’en tant qu’établissement public, l’ANRU ne peut se substituer aux ministères ayant la tutelle des militaires pour le financement de leurs logements sociaux, qui dépendent du groupe Société nationale immobilière – SNI –, que vous connaissez bien et qui est un élément majeur de l’intervention de la Caisse des dépôts et consignations.

Cela dit, comme l’ont indiqué François Pupponi, le président de l’ANRU, et Daniel Goldberg lors de l’examen de cette proposition de loi en commission, le ministère de la ville et l’ANRU soutiennent, chaque fois qu’ils le peuvent, la réhabilitation de casernes dans ou à proximité des quartiers prioritaires de la politique de la ville. J’en veux pour preuve concrète que nous accompagnons, en ce moment même, la rénovation en cours de la caserne de Melun. Une vente de foncier est envisagée dans l’enceinte de la caserne pour permettre la réalisation de projets compatibles avec le programme de renouvellement urbain voisin et le financement des travaux de la caserne elle-même. En l’espèce, monsieur le rapporteur, nous n’avons pas eu besoin de passer par la loi.

L’exemple de Melun montre que des solutions peuvent être recherchées autour de la valorisation foncière. Lorsqu’une caserne se situe à l’intérieur d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, la mobilisation des fonciers disponibles permettrait de développer utilement des projets de diversification de l’habitat, des projets d’accession à la propriété, ou des projets économiques, par exemple. Les recettes générées par la vente de ces fonciers permettraient d’envisager la rénovation de bâtiments. Nous y sommes très intéressés.

Autre exemple : lorsque la caserne est située hors d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, la mobilisation de foncier permettrait de reconstituer une partie des logements sociaux démolis dans le cadre de la rénovation urbaine, générant là aussi des recettes pour la rénovation des casernes. Je rappelle en effet que nous assumons la nécessité de reconstituer désormais, sauf dérogation spécifique, l’intégralité de l’offre de logements sociaux hors site, dans le cadre d’un programme d’habitat diversifié n’accueillant pas que du logement social.

En tout état de cause, il est nécessaire de procéder à une analyse fine, dossier par dossier, dans la subsidiarité, afin de définir au mieux les modalités d’interventions possibles et souhaitables. C’est la raison pour laquelle je souscris pleinement à la volonté du président de l’ANRU, François Pupponi, de convoquer rapidement une réunion sur ce sujet, pour déterminer la liste des casernes qui pourraient être concernées par ces programmes, afin de régler rapidement certaines situations particulièrement urgentes.

Je veux également vous dire, et c’est bien là la preuve de l’engagement du Gouvernement à traiter cette question, qu’une convention cadre de partenariat entre les ministères de l’intérieur, du logement et de la ville, relative au logement des militaires de la gendarmerie et de leurs familles est en préparation, dans le périmètre de mon action. Son objectif est de conforter l’action engagée par le ministère de l’intérieur dans le cadre du Plan d’urgence immobilière en favorisant l’émergence de projets d’amélioration des conditions d’habitat.

Pour conclure, je veux vous assurer, mesdames, messieurs les députés, de mon entière disponibilité et de celle de mes services pour approfondir à vos côtés cette réflexion au cas par cas. Mais vous comprendrez que je ne puisse pas donner d’avis favorable du Gouvernement à cette proposition qui met le doigt sur un sujet d’importance, mais n’apporte pas la solution opérationnelle adaptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. Vous êtes dans votre rôle, monsieur le ministre, lorsque vous dites que tout va bien et qu’un effort formidable a été fait. C’est donc qu’avec notre collègue et ami François de Mazières, nous nous sommes trompés ! Nous serions ainsi dans l’erreur lorsque nous abordons la question de la vétusté des casernes puisque, dites-vous, des crédits importants ont été dégagés, plusieurs plans ont été mis en œuvre ou vont l’être, et puisque l’on va réussir à remédier à la situation telle qu’elle n’est pas, finalement.

Le problème, monsieur le ministre, c’est que nos chiffres ont du mal à coïncider avec les vôtres. Pour notre part, nous constatons plutôt l’inverse car nous voyons des crédits en diminution année après année. La seule question qui vaille est la suivante : les logements attribués à nos militaires et à nos gendarmes sont-ils, oui ou non, décents ? S’ils ne le sont pas, reconnaissons-le ensemble car la situation ne date pas d’hier. Cela fait des années que les ministères de l’intérieur et de la défense considèrent ces questions comme la cinquième roue du carrosse. S’il y a des crédits, tant mieux et, de temps en temps, on s’inquiète notamment quand certains ministres vont sur place constater la situation. Car que voient-ils alors ? Pire que la vétusté,…

Mme Claudine Schmid. La misère !

M. Serge Grouard. …de l’indignité. Le plan Vivien ne date pas d’hier. Effectivement un peu plus de 1 milliard a été dépensé, mais la situation est d’autant plus indigne à un moment où la nation est si reconnaissante envers nos militaires et nos gendarmes pour leur abnégation, leur efficacité et leur manière de servir.

Que notre assemblée soit à la hauteur de ce qui est demandé : le respect de ceux qui servent avec honneur, parfois au prix du sang, les trois couleurs de la France. Que nous, qui sommes bien logés dans ces beaux palais, ayons une pensée,...

Mme Claudine Schmid. Plus qu’une pensée !

M. Serge Grouard. …plus qu’une pensée, pour celles et ceux qui paient de leur sang, de leur vie la défense du pays et de nos concitoyens. Ce ne sont pas des mots faciles que je prononce là ; je connais les questions de défense pour avoir longtemps travaillé sur ces sujets, je sais donc de quoi je parle. Il y a là un sujet qui doit nous réunir.

Monsieur le ministre, vous évoquez, à juste titre, des difficultés dont nous avons pris la mesure s’agissant du risque de voir Action logement revoir ses conditions de financement de l’ANRU, mais des amendements ont justement été déposés pour moduler notre rédaction initiale.

Notre proposition de loi pose trois principes. D’abord, lorsque des casernements en situation de vétusté se situent sur le périmètre d’une zone ANRU, celle-ci doit pouvoir intégrer leur rénovation dans les programmes déjà existants.

Ensuite, le renouvellement urbain ne correspond plus exactement à celui qu’avait conçu Jean-Louis Borloo, auquel je tiens à rendre hommage. Par exemple, les programmes de rénovation des internats, auxquels sont consacrés des moyens financiers importants, ne sont pas de la rénovation urbaine au sens où on l’entendait lors de la création de l’ANRU. Nous proposons donc que les casernes situées à proximité d’un quartier retenu pour le NPNRU puissent bénéficier des subventions de l’ANRU.

Enfin, il faudra bien que les ministères de l’intérieur et de la défense définissent une programmation pluriannuelle et ne se contentent pas d’analyser les besoins. Les besoins, on les connaît depuis des années. On botte en touche lorsqu’on dit qu’on va les étudier ! Il faut agir ! La réalité, nous la connaissons. Nous savons qu’il y a des difficultés budgétaires et nous y sommes sensibles, mais il faut définir des priorités. En outre, nous ne parlons que de quelques centaines de millions d’euros, contre 12 milliards pour le premier plan ANRU et 5 milliards pour le deuxième. Un tel effort est donc à la portée de l’État sans que cela remette en cause l’équilibre, ou plutôt le déséquilibre, des finances publiques. Si nous en avons la volonté, nous pouvons aujourd’hui le décider.

Je salue l’ouverture du président de l’ANRU, François Pupponi, qui maîtrise particulièrement ces sujets. Cela devrait permettre dans un premier temps – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, et je vous en remercie – de réunir les partenaires concernés qui ne se parlent pas. L’ANRU dispose d’une capacité d’ingénierie remarquable et nos casernements devraient pouvoir en bénéficier, mais ils ne parlent pas. C’est regrettable.

Nous devons engager cette dynamique qui relève de l’essentiel. Au-delà des difficultés concrètes, de situations inacceptables, elle relève en effet de la reconnaissance de la nation, pas seulement en paroles, qui sont faciles, mais en actes.

Voilà ce que nous demandons pour nos militaires et nos gendarmes. Nous aurions préféré que les budgets des ministères concernés prennent en compte cette situation pour éviter d’avoir à en passer par la loi, mais cela fait au moins trois ans que nous évoquons le problème en vain. La lassitude de l’insuccès nous a conduits à déposer ce texte qui a pour but de réveiller les uns et les autres, de faire prendre conscience de la situation et d’y apporter les solutions qu’elle mérite.

À l’heure où je vous parle, et j’en suis quelque peu ému, est rendu, sur la base aérienne d’Orléans-Bricy, un hommage à l’un de nos militaires qui est tombé en opération extérieure, le sergent-chef Alexis Guarato. Je veux à cette évocation vous dire que les mots que j’ai utilisés, comme les vôtres, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, ne sont pas désincarnés. Ils touchent à l’essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe UDI ne peut que partager le constat présenté dans cette proposition de loi : les conditions de logement de certains militaires et gendarmes sont absolument inadmissibles. Elles sont indignes dans certains cas, cela a été rappelé à plusieurs reprises.

Elles sont d’autant plus inadmissibles – au-delà du fait que l’État ne tient pas les engagements qu’il prend à l’égard de ses fonctionnaires lorsqu’ils sont recrutés – lorsque l’on connaît l’engagement sans faille de nos forces de l’ordre pour leur pays.

Alors que nous traversons une période particulièrement trouble, nous avons plus que jamais besoin de nos policiers, de nos gendarmes et de nos militaires pour contribuer à instaurer un climat de sécurité et de paix dans notre pays lourdement fragilisé par la menace terroriste. Au nom du groupe UDI, j’aimerais une nouvelle fois rendre hommage à nos forces de l’ordre dont le travail exemplaire mérite à la fois respect et reconnaissance.

Et si les marques de soutien à leur égard sont de plus en plus importantes, notamment de la part de nos concitoyens, les actes restent, malheureusement, trop souvent insuffisants. Comment préserver le dévouement de ces hommes et de ces femmes, alors même que nous ne sommes pas capables de mettre en place des conditions de travail décentes, conformes aux engagements pris lorsqu’ils ont intégré leur corps ?

Cette proposition de loi ne traite finalement que d’un problème parmi tant d’autres, à savoir la vétusté des logements des gendarmes et des membres de l’armée française. Je dis « parmi tant d’autres », car depuis plusieurs années, les moyens alloués à notre « sécurité » ne cessent de se dégrader : suppressions de postes, insuffisances en matière de matériel, crédits limités en matière de fonctionnement – à une certaine époque, le quota kilométrique était réservé pour que les crédits inscrits en matière de carburant soient consommés dans la limite de l’inscription. Il est clair que, sur ce sujet comme sur tant d’autres, nous avons, au cours de la décennie écoulée et peut-être même avant, abandonné ce qui relève du régalien, c’est-à-dire des fonctions essentielles de souveraineté d’un État.

Le groupe UDI a régulièrement alerté le Gouvernement sur ce sujet, notamment lors des débats budgétaires.

Outre le manque chronique d’effectifs, amplifié par l’accroissement important de la charge de travail à la suite des attentats de janvier et de ceux du 13 novembre, nos forces de l’ordre doivent faire face à de lourdes carences en matière d’équipement, qui touchent aussi bien les véhicules et les armements que les logements.

Assurer des logements décents à nos militaires, à nos gendarmes et à leurs familles, mis quotidiennement à rude épreuve, est le minimum de ce que nous leur devons. Si un tel postulat peut paraître relever du bon sens, ce bon sens a du mal à se traduire dans les faits : nous assistons au contraire depuis plusieurs années, comme l’ont relevé les orateurs précédents, à la lente dégradation des logements, notamment des casernes.

La responsabilité n’en revient, bien entendu, pas seulement à l’actuel gouvernement ; elle est partagée par la droite et la gauche. Les investissements immobiliers ont connu sous la précédente législature des baisses importantes, qui se sont inlassablement poursuivies sous l’actuel quinquennat.

Le texte proposé par notre collègue François de Mazières, dont je salue le travail et l’implication, est incontestablement une première étape pour résorber un problème malheureusement bien plus profond.

En effet, la situation se révèle particulièrement préoccupante dans une centaine de casernes, où l’État n’a toujours mis aux normes de sécurité le réseau électrique ni les ascenseurs. Cela a été dit, la situation est, dans certains cas, proche de l’insalubrité. Ce constat vaut plus particulièrement pour le parc domanial, dont l’État est directement propriétaire.

Monsieur le rapporteur, vous évoquez souvent l’exemple de la caserne de Melun qui abrite 556 logements. Alors que le coût de sa rénovation a été estimé à cinquante millions d’euros, l’ancien Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, ne s’était engagé qu’à hauteur de dix millions d’euros pour l’ensemble du parc immobilier de la gendarmerie, fin 2013 et si le Gouvernement a récemment annoncé une enveloppe annuelle de soixante-dix millions d’euros sur la période 2015-2020 pour son plan de réhabilitation immobilier pluriannuel pour la gendarmerie, la lecture des chiffres montre que nous sommes loin du compte.

Plusieurs bureaux d’étude civils ont en effet chiffré le besoin annuel de construction et de réhabilitation de casernes à trois cents millions d’euros. Il existe aujourd’hui un fossé abyssal entre les besoins et les moyens débloqués par l’État, d’autant plus que nous n’avons ici évoqué que l’existant et que nous devons également faire face à un manque criant de casernes pour le logement de l’ensemble des personnels.

Pour compenser un tel déficit, le parc locatif a connu un important développement, qui a entraîné des effets d’aubaine prévisibles. Aujourd’hui, le parc immobilier de la gendarmerie se compose de casernes domaniales et de casernes locatives, qui appartiennent à des collectivités territoriales, mais aussi à des partenaires privés et donnent donc lieu au versement de loyers. Or, avec le développement du parc locatif, les loyers ont augmenté, alors même que nombreux ménages pourraient être éligibles à des logements sociaux.

Nous sommes tous conscients du problème, et la principale difficulté, véritable mur auquel nous nous heurtons constamment, réside dans le financement. Comment, en effet, espérer dégager des fonds supplémentaires dans une période de contrainte budgétaire sans précédent ?

Devant le Congrès réuni à Versailles, le Président de la République a affirmé que le pacte de sécurité l’emportait sur le pacte de stabilité. Cette formule valait engagement quant aux moyens supplémentaires alloués par l’État aux forces de l’ordre, notamment en matière de création de postes et d’acquisition d’équipements.

Bien qu’il n’ait jamais considéré qu’il fût pertinent d’opposer les deux idées de sécurité et de stabilité, le groupe UDI demande toutefois des engagements concrets, qui aillent dans le sens des propos tenus par le Président de la République ou, du moins, s’inspirent de leur esprit.

Cette proposition de loi offre précisément une solution réfléchie et sensée en proposant d’intégrer dans les missions de l’ANRU, et à titre exceptionnel, un nouveau programme de réhabilitation des casernes.

L’ANRU, dont plusieurs orateurs ont rappelé avant moi qu’elle avait été créée par Jean-Louis Borloo, peut tout à fait servir de support à cette mission. Un tel mécanisme n’est d’ailleurs pas nouveau puisqu’en 2008, il avait déjà été prévu de verser à l’ANRU une enveloppe de quarante millions d’euros pour réhabiliter les collèges les plus dégradés. La création d’un nouveau programme par l’ANRU permettrait donc de réhabiliter les casernes dégradées qui sont toujours en activité et qui relèvent des ministères de la défense et de l’intérieur.

Fin 2014, l’ANRU s’est vu doter d’une enveloppe de cinq milliards d’euros au titre du nouveau programme national de renouvellement urbain, ou PNRU, pour la période 2014-2024. Mobiliser une partie de ces fonds pour la rénovation de casernes est une idée d’autant plus intéressante que certaines d’entre elles se trouvent déjà à proximité d’opérations de rénovation urbaine.

Si donc il apparaît que les travaux de rénovation peuvent être pris en charge par l’ANRU, dont on connaît la qualité de l’expertise dans ce domaine, un tel dispositif soulève néanmoins quelques interrogations. Tout d’abord, le PNRU est-il en mesure de mobiliser de tels fonds pour les casernes ? Ensuite, les objectifs initiaux du nouveau PNRU, à savoir la réhabilitation de plus de deux cents quartiers prioritaires, ne risquent-ils pas d’être revus à la baisse ? En effet, chers collègues, la sécurité se joue également dans ces quartiers, souvent délaissés et particulièrement pauvres, où la délinquance, mais aussi la radicalisation, prennent de plus en plus souvent racine.

Lors de l’examen de ce texte en commission des affaires économiques, le président de l’ANRU, M. François Pupponi, a formulé un engagement que je trouve particulièrement constructif et consensuel. Il a en effet rappelé qu’il n’y avait aucune difficulté à ce que l’ANRU intervienne pour les casernes situées dans les quartiers prioritaires ou à proximité de ces quartiers. Il a également indiqué qu’une réunion devait se tenir très prochainement sur ce sujet avec l’ensemble des partenaires concernés. Il a enfin été proposé d’examiner au cas par cas et en concertation avec la direction générale de l’ANRU l’état des casernes qui ne se trouvent pas dans un quartier prioritaire.

Ce compromis, même s’il est limité et n’est à la hauteur ni des enjeux et des ambitions, ni de nos devoirs envers les forces de l’ordre, me paraît toutefois être un geste dans la bonne direction, susceptible de permettre à cette proposition de loi de se concrétiser. Les échanges doivent désormais se poursuivre au Sénat sur ce sujet qui revêt, me semble-t-il, toute son importance dans le contexte national particulier que nous connaissons.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI ne s’opposera pas à ce que nous considérons comme un appel solennel au Gouvernement à œuvrer sur un point majeur pour l’avenir de nos forces de l’ordre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Madame la présidente, monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, chers collègues, les journées d’initiative parlementaire sont riches en sujets divers et variés.

Les groupes parlementaires déposent des propositions de loi souvent intéressantes, parfois avec un brin d’opportunisme. La maîtrise de l’ordre du jour du Parlement par les groupes minoritaires est une avancée démocratique incontestable, mais nous pouvons en améliorer les modalités en repensant ensemble la façon dont elle pourrait être plus féconde – à l’image, du reste, de ce qui vient de se produire avec la proposition de loi relative à l’incapacité pénale des personnes définitivement condamnées pour pédophilie.

La proposition de loi visant à la rénovation des casernes par l’Agence nationale de rénovation urbaine, soumise à notre examen cet après-midi, présente plusieurs avantages, dont le premier est de nous donner une nouvelle occasion de rendre hommage aux militaires, aux gendarmes et aux policiers.

Face à la menace terroriste et aux craintes légitimes qu’elle provoque, notre responsabilité est de dire que nous allons tout faire pour nous redresser et pour vivre dans la sécurité, et que nous serons plus forts que les terroristes.

Mais nous devons aussi résister ensemble, ne pas céder aux querelles politiciennes et ne pas ajouter de l’huile sur le feu. Rendre hommage aux policiers, aux gendarmes et aux militaires, c’est d’abord être tous responsables et nous montrer à la hauteur des inquiétudes en évitant les tentatives de récupération, d’où qu’elles viennent.

Ils sont intervenus à Paris, au Bataclan et à Saint-Denis, ils ont risqué leur vie, certains ont été blessés. Policiers de l’unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion – RAID – et de la Brigade de recherche et d’intervention – BRI –, gendarmes, membres des forces de sécurité, pompiers, sans parler des médecins, des chirurgiens, des infirmiers et de tous les fonctionnaires qui ont eu un comportement exemplaire, dans une situation de crise, pour sauver des vies : redire notre respect et affirmer notre soutien à toutes ces personnes dont la mission est d’assurer notre protection, c’est d’abord montrer de la dignité face à l’immense courage et à la générosité dont ils font preuve.

Nous sommes dans un temps où les responsables politiques doivent manifester humilité et modestie. Ce sont ces policiers et ces militaires qui étaient en face de terroristes prêts à se faire exploser à tout moment. Ce sont ces policiers et ces militaires qui chargeaient face aux rafales. Ce sont ces policiers et ces militaires qui étaient dans la salle du Bataclan et qui ont dû dénouer une situation extrême au milieu des cadavres et des blessés. Gardons-nous donc de verser dans les altercations et les chicanes : c’est, dans le temps du deuil où nous sommes, la meilleure façon de témoigner de notre respect.

Au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je veux aussi dire notre respect à nos collègues François de Mazières et Serge Grouard, dont le travail remarquable témoigne de l’implication des parlementaires sur une question finalement assez simple – c’est du reste le lot des propositions de loi, car nous ne disposons pas des services ni de l’administration d’un ministère pour bâtir des propositions de loi complexes.

Monsieur le rapporteur, nous saluons vos efforts et nous vous remercions d’avoir pris en charge cette question de la rénovation des casernes en tentant de lui apporter une réponse. Votre proposition de loi est l’aboutissement d’innombrables heures d’auditions, d’écoute, de concertation et de rédaction. Quelles que soient les positions et les observations de chacune et chacun d’entre nous sur les divers éléments de cette proposition, je pense pouvoir dire sans prendre de grands risques que nous sommes unanimes pour reconnaître la quantité et la qualité de votre travail.

Cette proposition est un bon exemple des possibilités données aux parlementaires pour défendre, diffuser et faire avancer des idées et pour répondre à des problèmes concrets de nos concitoyens. Sans cette initiative, qui apporte une réflexion complémentaire pour prolonger les efforts, il n’est pas impossible que le rythme prévu pour la rénovation des casernes eût été moins rapide.

Pour revenir plus précisément aux dispositions de la proposition de loi, je tiens à dire, au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, que nous partageons une grande partie de votre constat : des dizaines de casernes sont dans un état lamentable et méritent des rénovations en urgence. Les milliers de militaires et de gendarmes, mais aussi leurs familles qui vivent dans ces casernes, méritent des conditions de vie dignes – nous parlons en effet de la vie quotidienne concrète de nos forces de l’ordre.

Des installations électriques et de gaz vétustes et dangereuses, des vitres cassées dans les parties communes, des escaliers glissants et dangereux dans des cages dont le dernier ravalement et la dernière mise au propre avec un coup de peinture remontent à trente, voire quarante ans, des caves humides, des moisissures et la présence de plomb, des colonnes d’eau détériorées provoquant des fuites : nous ne comptons plus les dégradations, l’absence d’entretien et parfois l’insalubrité dans certaines casernes. C’est tout simplement insupportable.

Monsieur le ministre, nous ne devons pas nous cacher et « faire les bordures ». Notre devoir est de reconnaître notre responsabilité collective face à ces situations.

Les ministres de l’intérieur et de la défense disposent d’un immense parc immobilier qui représente, au total, plus de 120 000 logements. L’État n’est pas propriétaire de tous ces logements, dont certains appartiennent d’ailleurs à des collectivités territoriales ou des bailleurs sociaux. La situation n’est en outre pas homogène, car certaines casernes – souvent celles qui appartiennent aux collectivités locales – sont en excellent état ou ont fait l’objet de belles rénovations, que nous devons saluer.

Si, dans l’ensemble, le parc immobilier est vieillissant, la vétusté préoccupante des logements ne concerne pas la majorité du parc. Si, globalement, la dégradation des conditions de vie demeure une réalité, des crédits budgétaires et des investissements importants ont été consacrés à la maintenance et la rénovation. De fait, face aux témoignages et aux rapports qui s’accumulent pour constater certaines situations alarmantes, reconnaissons aussi les efforts accomplis.

Le Gouvernement a ainsi annoncé en 2014 un plan de réhabilitation immobilière de cinq ans, couvrant la période 2015-2020. En 2015, ce ne sont pas moins de 62 opérations de réhabilitation et de maintenance qui ont été lancées, en priorité pour les logements des familles, afin de procéder à leur mise aux normes réglementaires et à la rénovation des toitures et des réseaux d’eau et de chauffage.

Les montants et les opérations sont presque nécessairement inférieurs aux besoins réels. Pour y faire face, vous proposez de mobiliser les moyens de l’ANRU pour la réhabilitation des logements. À première vue, l’idée paraît intéressante, voire astucieuse. L’agence spécialisée dans la rénovation urbaine, à qui nous devons de grandes réussites en termes de rénovation de quartiers dans toutes leurs dimensions et de réhabilitation de grands ensembles de logements, possède en effet une expertise qui pourrait être très utile pour rénover des casernes qui constituent parfois de véritables quartiers.

Une coopération avec l’ANRU, c’est de toute façon une bonne idée. Je note avec intérêt les propos du ministre et du président de l’ANRU, M. François Pupponi, sur les casernes situées dans les secteurs relevant de l’Agence. Nous pouvons en effet partager l’incompréhension légitime et le sentiment d’injustice éprouvés par les militaires, qui constatent la réhabilitation de quartiers entiers jouxtant leurs casernes sans que ces dernières bénéficient de la moindre rénovation.

Cela se justifie d’autant plus que l’ANRU est déjà intervenue en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Tout le problème réside dans le fait que les moyens de l’ANRU ne sont pas extensibles.

La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, dite « loi Lamy », a lancé un nouveau programme national de renouvellement urbain, qui bénéficiera de cinq milliards d’euros sur la période 2014-2024, mais ces moyens sont destinés à la réhabilitation de projets de renouvellement urbain dans le cadre de la politique de la ville : ce sont deux cents quartiers d’intérêt national qui sont ciblés et la liste a été fixée selon des critères stricts en termes de pauvreté, en recourant au fameux « carroyage ».

Confier de nouvelles missions à l’ANRU diminuerait nécessairement les moyens alloués aux quartiers les plus pauvres et les plus fragiles. Mettre en concurrence les quartiers prioritaires et les casernes présente donc des risques de confusion.

Le financement des rénovations urbaines repose depuis 2009 sur « Action logement », dont la mission est le logement des salariés des entreprises privées grâce à une contribution de 0,45 % des salaires. Rénover les casernes avec ce financement implique donc une dilution du financement des logements des salariés du secteur privé.

Enfin, nous devons aussi éviter de confondre les missions régaliennes des ministères de la défense et de l’intérieur avec celles d’une agence. Le parc de casernes n’est pas un parc de logements sociaux : il est constitué de bâtiments destinés à l’accueil de certaines catégories de personnels militaires des deux ministères. Les personnes logées dans les casernes relèvent d’un régime particulier qui leur permet d’occuper un logement dans un bâtiment du ministère. Ces personnes, même celles qui perçoivent une rémunération modeste, ne peuvent prétendre à bénéficier d’un logement social.

Cette proposition de loi a le mérite de pointer un problème auquel les ministres concernés doivent répondre avec plus d’énergie et plus de volontarisme. Toutefois, elle contient certaines confusions qui sont dommageables.

Dans ces conditions, tout en reconnaissant l’intérêt que présente cette interpellation – notre groupe sera plus que vigilant et mettra le Gouvernement face à ses responsabilités en la matière – et malgré le travail sérieux et les bonnes intentions du rapporteur, nous ne pourrons pas voter pour cette proposition de loi.

M. Serge Grouard. C’est dommage, c’était bien parti !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Goldberg.

M. Daniel Goldberg. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me joindre à l’hommage qu’a rendu notre collègue Serge Grouard à Alexis Guarato – à qui un hommage national est rendu en ce moment même dans la circonscription de notre collègue. Il est normal que l’ensemble de la représentation nationale se joigne à cet hommage et salue le courage et le dévouement de ce soldat mort pour défendre nos idéaux, et par là même rende hommage à toutes celles et tous ceux qui risquent leur vie, en France ou à l’étranger, pour défendre les valeurs de notre République.

Beaucoup d’arguments ont été échangés depuis le début de cette discussion, qui a commencé en commission des affaires économiques. Je risque donc de me répéter et de reprendre des constats qui ont déjà été dressés.

Premier constat : les conditions de vie de nos militaires et de nos gendarmes sont parfois déplorables. Cela nécessitait une proposition de loi dont le ton et la gravité ont valeur d’interpellation – j’en remercie le rapporteur et M. Grouard –, interpellation du Gouvernement, du Parlement dans son ensemble, mais aussi de chacun d’entre nous.

Car si beaucoup de parlementaires connaissent, car c’est une réalité de leur circonscription, les conditions de vie des militaires et des gendarmes, ce n’est pas le cas des cinq cent soixante-dix-sept députés. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de nous interpeller en déposant cette proposition de loi.

Mais nous pensons que la réponse que vous apportez n’est pas adéquate. Et ce n’est pas un débat qui oppose la majorité et l’opposition, la gauche et la droite, puisque le mal est ancien, nous le savons tous, et les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes l’ont reconnu.

Et c’est parce que le mal est ancien qu’il mérite de la part de chacun d’entre nous une réponse qui soit à la hauteur et qui soit constante, qui engage pour plusieurs années, quelles que soient les majorités politiques qui se succéderont, de la part de toutes celles et tous ceux qui sont présents aujourd’hui et dont je m’engage à faire partie.

Premièrement, ainsi que l’a indiqué le ministre Patrick Kanner, l’ANRU n’a pas été créée pour répondre à cette problématique régalienne, mais pour rénover en profondeur les quartiers relevant de la politique de la ville. C’était l’objet du débat que nous avons eu lors de l’examen de la loi votée en 2013 : redéfinir la politique de la ville en établissant un « carroyage » du territoire afin de déterminer les zones où il était nécessaire d’intervenir. Deux cents quartiers ont été ciblés dans le cadre d’une enveloppe nationale et deux cent cinquante dans une enveloppe dite régionale. Concrètement, c’est vrai, faire évoluer les missions de l’ANRU transformerait les capacités d’action de l’Agence dans ces quartiers. C’est un élément important.

Deuxièmement, le financement attribué à l’ANRU, s’il est important, n’est pas assuré par des fonds d’État mais par « Action logement » – l’ancien 1 % logement –, normalement destinée à financer le logement des salariés des entreprises privées. De ce fait, si l’État indiquait à nos partenaires d’Action logement que nous pourrions utiliser ces moyens pour loger une partie des salariés de la fonction publique d’État – et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agirait de militaires et de gendarmes – cela poserait un certain nombre de questions et pourrait entraîner un désengagement global d’Action logement de l’ensemble de ses missions.

Enfin, l’ANRU étant un établissement public, elle ne peut pas se substituer au ministère de tutelle et à un certain nombre de bailleurs. En effet, si 671 casernes de la gendarmerie sont domaniales, la plus grande partie des casernes sont la propriété des collectivités territoriales ou sont gérées par des organismes de logement social classiques.

Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il n’est pas opportun d’affecter une ligne du budget de l’ANRU à la rénovation des casernes de militaires, d’autant moins qu’un plan immobilier portant sur les années 2015-2020 a été programmé en vue de la construction de casernes domaniales.

Avec mon collègue François Pupponi, député et président du conseil d’administration de l’ANRU, j’ai voulu me situer dans une démarche positive et d’écoute eu égard à l’exactitude du constat établi par les auteurs de cette proposition de loi.

Je m’engage à porter un regard attentif sur le sujet des casernes situées à proximité des zones définies par la politique de la ville ainsi que des casernes qui, bien que situées en dehors de ces zones, pourraient permettre une reconstitution de l’offre. M. le ministre a rappelé sa disponibilité et se dit prêt à envisager un partenariat renforcé entre son ministère et les deux ministères de l’intérieur et de la défense, avec pour objectif une vision à long terme, qui engage chacun d’entre nous.

Par ailleurs, nous avions discuté avec le rapporteur François de Mazières du conventionnement et du problème des logements qui ne sont pas conventionnés. Il nous faudra sans doute bousculer nos habitudes pour parvenir à avancer et proposer de meilleures conditions de vie aux gendarmes et aux militaires.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, républicain et citoyen n’approuvera pas cette proposition de loi.

M. Serge Grouard. C’est dommage !

M. Daniel Goldberg. Mais, encore une fois, j’ai beaucoup apprécié la manière dont vous l’avez présentée, monsieur le rapporteur, ainsi que la gravité et la sincérité de votre démarche. Croyez à notre engagement ferme, qui ira plus loin que des mots, pour améliorer très concrètement cette situation. Nous donnerons ainsi suite aux demandes répétées de notre collègue Daniel Boisserie, qui est depuis plusieurs années le rapporteur budgétaire en charge de ces questions. C’est ainsi que nous avancerons très concrètement sur l’ensemble de ces sujets. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François de Mazières, rapporteur. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que le financement des casernes de gendarmerie domaniales et des casernes de la défense nationale est un vrai problème.

Nous devons garder à l’esprit un chiffre : en 2008, environ deux cents millions d’euros étaient investis dans l’entretien des casernes domaniales de la gendarmerie. Progressivement, ces crédits ont diminué et le projet de loi de finances pour l’année prochaine prévoit seulement 56 millions d’euros.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est peu !

M. François de Mazières, rapporteur. Nous en avons tous conscience aujourd’hui : il faut un geste fort vis-à-vis des gendarmes. Nous avons tous rendu hommage à leur action et nous sommes tous témoins de leur courage. Il faut que nous fassions quelque chose.

Je souligne que ma démarche n’est pas partisane. C’est celle d’un maire qui compte sur le territoire de sa commune la plus grande caserne de France, celle du plateau de Satory.

Nous avons essayé de trouver une solution. Il est vrai, monsieur le ministre, que L’ANRU n’est pas destinée à financer ce type de rénovation. Mais j’ai entendu avec beaucoup d’intérêt que vous étiez décidé à agir. Vous avez même indiqué que vous agissiez déjà à Melun. Même si ce n’est pas le cas, cela nous a au moins donné, à Serge Grouard et à moi-même, la satisfaction d’avoir été utiles !

En effet cette rénovation des casernes va coûter cher et si elle était financée par des crédits normaux, ce serait au détriment d’autres investissements. Le reconnaître représente déjà une avancée significative.

Comme le disait notre collègue Pupponi, président de l’ANRU, il faut considérer le problème au cas par cas. Nous sommes bien conscients que ces rénovations ne peuvent être entreprises que dans une démarche spécifique de l’ANRU, ou avec des crédits émanant du Plan d’investissements d’avenir pour toutes celles situées en dehors des zones visées par l’ANRU.

D’autant plus qu’une caserne présente certaines spécificités. On ne peut pas traiter les logements du plateau de Satory comme des logements standards, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité – vous savez tous ce qui se trouve aujourd’hui sur le plateau de Satory. Nous avons donc considéré qu’il fallait engager une démarche exceptionnelle, adaptée à ces circonstances particulières.

Voilà pourquoi nous sommes convaincus qu’il s’agit là d’une bonne proposition, surtout après la discussion de qualité que nous avons eue avec l’ensemble des membres de la commission et qui nous a amenés à partager sensiblement la même analyse, et c’est pourquoi je regretterais que vous n’adoptiez pas notre proposition de loi, modifiée par les amendements que nous avons élaborés en commission.

S’agissant enfin du conventionnement, monsieur le ministre, il faut absolument engager cette démarche. Il devient incompréhensible que les militaires ne soient pas traités comme les autres Français. Pourquoi n’ont-ils pas le droit à l’aide personnalisée au logement – APL – ? Ma ville compte 2 500 logements de militaires. Pour les gendarmes, la situation est un peu particulière, du fait des nécessités de service qui leur sont propres. Par contre, les autres militaires sont locataires de la SNI. Pourquoi ces logements ne sont-ils pas considérés comme des logements sociaux ? J’ai posé la question il y a un an et l’on m’a répondu que c’était pour ne pas dégrader son bilan.

Mme Claudine Schmid. C’est honteux !

M. Serge Grouard. Ce n’est pas acceptable !

M. François de Mazières, rapporteur. Ce n’est pas acceptable en effet, et il faut qu’ensemble nous puissions améliorer cette situation.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais souligner rapidement la qualité de nos débats, tant en commission qu’en séance publique. Il faut effectivement nous garder de tout excès oratoire et de toute caricature parce qu’il s’agit d’une problématique lourde…

Mme Claudine Schmid. Vous avez raison !

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. …et la responsabilité de l’état actuel des bâtiments qui logent nos gendarmes et les militaires est partagée sur tous les bancs.

Je souhaite à mon tour saluer l’engagement de M. Pupponi, président de l’ANRU, qui a participé à nos débats en commission mais n’a pas pu être parmi nous aujourd’hui. Il a d’emblée fait un pas pour avancer sur ces dossiers en disant qu’on pouvait déjà faire certaines choses sans avoir besoin d’un support législatif, et elles seront faites.

Je souhaite également souligner votre engagement, monsieur le ministre, et votre volonté de dialoguer et, au-delà, d’envisager une convention-cadre.

Vous avez eu raison, monsieur de Mazières, de présenter cette proposition de loi, même si elle risque d’être rejetée, comme elle l’a été en commission : elle nous a au moins permis de montrer notre volonté d’avancer concrètement, et pas uniquement en paroles puisque des actes sont d’ores et déjà posés.

Je rappelle qu’au cours de la réunion qui s’est tenue au titre de l’article 88, seuls deux amendements ont été votés, à savoir les nos 1 et 2 de M. Goldberg, les amendements du rapporteur ayant été rejetés.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Je ne dirai, madame la présidente, que quelques mots à l’issue de cette discussion générale. Tout d’abord, je remercie les députés Joël Giraud et Philippe Gomes qui ont clairement identifié les difficultés. Nous partageons leur diagnostic ; en revanche, la solution envisagée par les députés Serge Grouard et Philippe Gomes, sous l’autorité, bien sûr, du rapporteur de ce texte, M. François de Mazières, nous semble inappropriée. C’est sur ce point que je voudrais insister.

Je reviendrai sur quelques-uns de vos propos, monsieur Grouard. Vous avez évoqué le fait que certains de nos militaires et de nos gendarmes, vivent dans des logements plus que vétustes, indignes. La situation est la même pour certains habitants des quartiers populaires de nos villes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela n’excuse rien !

M. Patrick Kanner, ministre. Vous êtes maire d’Orléans : heureusement que l’ANRU est intervenue dans les quartiers de la Source et de l’Argonne, vous le savez !

M. Serge Grouard. C’est vrai !

M. Patrick Kanner, ministre. L’ANRU continuera à intervenir ; elle dispose de moyens importants qu’il faut savoir mobiliser en faveur de nos concitoyens. Nous ne nions pas la réalité de l’habitat des militaires et des gendarmes, qui sont aussi des citoyens ; ce que nous disons, c’est que l’outil que vous proposez, monsieur le rapporteur, avec MM. Grouard et Gomes, n’est pas le bon. C’est un outil conventionnel, porté par « Action logement », qui représente 93 % du financement de l’ANRU. Pour avoir négocié pied à pied la convention de financement du deuxième plan national de rénovation urbaine, je puis vous dire que nos partenaires d’ « Action logement » ne pourraient pas accepter votre proposition.

Je souhaite que nous avancions de manière pragmatique au niveau local. La rénovation de la caserne de Melun a été rendue possible grâce à la bonne volonté des uns et des autres, mais elle n’a pas été directement prise en charge par l’ANRU. Cette rénovation a été possible parce qu’elle s’inscrivait dans un projet économique global. Cela montre que l’ANRU peut être un facilitateur, à condition qu’elle dispose des moyens suffisants pour mettre en œuvre sa propre politique.

Je confirme donc, madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires économiques, la position du Gouvernement.

Je salue à mon tour la qualité de ce débat. Il montre que la difficulté en la matière est ancienne : il nous faut la traiter avec le pragmatisme que j’évoquais il y a un instant, et surtout avec le souci de rendre le logement de ces militaires et de ces gendarmes plus digne.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Avant l’article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l’amendement n4.

M. François de Mazières, rapporteur. Cet amendement tend à insérer dans la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine un alinéa ainsi rédigé : « À titre expérimental, et pour une durée de trois ans à compter la promulgation de la loi visant à financer la rénovation des casernes en activité dégradées des ministères de la défense et de l’intérieur par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, le Gouvernement peut autoriser ce programme à comprendre la réhabilitation des logements affectés aux ministères de la défense et de l’intérieur lorsque ces logements sont situés dans les quartiers mentionnés au II ou à une distance de moins de 500 mètres de la limite de ces quartiers. »

C’est ce que nous essayons de vous démontrer depuis tout à l’heure : il n’y a pas de raison pour que les casernes situées à proximité des quartiers en rénovation ne bénéficient pas des mêmes avantages.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Votre amendement tend à inclure, à titre expérimental, dans le champ du nouveau programme national de renouvellement urbain la réhabilitation des casernes dégradées, dans un périmètre de 500 mètres autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Or, je le répète, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine n’est pas faite pour cette mission, qui ne figure pas dans ses statuts, ni dans les conventions qui nous lient avec « Action logement ». Les financements de l’ANRU sont exclusivement destinés à la réhabilitation de logements occupés par des salariés, dans les conditions fixées par « Action logement ». En tant qu’établissement public, l’ANRU ne peut pas se substituer au ministère de tutelle des militaires pour le financement de leur logement : cela est lié au périmètre budgétaire de ces deux ministères.

Compte tenu de ces éléments, et des nombreux débats que nous avons déjà eus, je vous demande, monsieur le rapporteur, de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, j’en demande le rejet.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Goldberg.

M. Daniel Goldberg. Madame la présidente, si vous le permettez, j’en profiterai pour présenter les amendements nos 1 et 2 visant à supprimer respectivement l’article 1er et l’article 2, pour des raisons conformes aux arguments exposés par Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

Mme la présidente. Je vous en prie.

M. Daniel Goldberg. En ce qui concerne votre amendement n4, je pense qu’une durée de trois ans ne permettrait pas, de toute façon, une démarche d’ampleur. C’est pourquoi je ne le voterai pas.

Je pense, d’une façon plus générale, qu’une expérimentation ne suffirait pas et qu’il faut traiter ce problème dans son ensemble. Pour les raisons que nous avons évoquées tout à l’heure, dans une démarche d’ouverture et pour régler efficacement le problème en mobilisant tous les moyens et toutes les énergies, nous appellerons à supprimer les articles 1er et 2.

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Debré, inscrit sur l’article.

M. Bernard Debré. Cette discussion est fondamentale. Nous connaissons tous des casernes d’une vétusté absolument incroyable. Il faut faire un effort : il y a un temps pour parler et un temps pour agir !

On nous dit que l’ANRU n’est pas un outil adapté pour rénover ces casernes. Je pensais que lorsque ces casernes étaient situées dans une zone relevant du programme national de rénovation urbaine, elles pouvaient bénéficier de ces subventions. Les militaires comme les gendarmes attendent de votre part, monsieur le ministre, ainsi que de tout le Gouvernement des actions d’urgence.

Après que, sur tous les bancs de cet hémicycle, nous avons salué l’honneur de ces militaires, de ces gendarmes, surtout dans la période que nous traversons, ils ne comprendraient pas de telles arguties ! C’est pourquoi François de Mazières et Serge Grouard, dont je salue le remarquable travail, ont présenté cette proposition de loi. Nous aurions aimé que le Gouvernement se montre favorable à ce texte : c’eût été une forme de reconnaissance de l’action de nos militaires et de nos gendarmes.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement de suppression n1.

M. Daniel Goldberg. Je l’ai déjà défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François de Mazières, rapporteur. Cet amendement a été accepté par la commission ; à titre personnel, j’y suis évidemment défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Le Gouvernement est naturellement favorable à l’adoption de cet amendement de M. Goldberg.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. Adopter cet amendement reviendrait à supprimer purement et simplement notre proposition de loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est peut-être pour cela qu’il a été déposé ! (Sourires.)

M. Serge Grouard. Peut-être bien, en effet !

Mme Claudine Schmid. Manière bien peu élégante de ne pas renvoyer le texte en commission !

M. Serge Grouard. Je voudrais revenir sur l’exposé sommaire de cet amendement de suppression. Cet amendement est justifié par l’argument suivant : l’ANRU n’est pas le bon vecteur.  Pourquoi cela ? Parce qu’elle n’a pas été créée pour cela. CQFD !

M. Jean-Pierre Dufau. C’est exact, l’ANRU n’a pas été créée pour cela.

M. Jean-Yves Caullet. Elle n’est pas financée pour cela non plus !

M. Serge Grouard. L’argument selon lequel le financement par « Action logement » poserait problème est tout à fait recevable étant donné les mécanismes de financement de la rénovation urbaine. C’était précisément la raison de l’amendement que nous avons présenté il y a quelques instants et que vous avez refusé. Il visait à inclure les casernes dans les zones de la rénovation urbaine, de sorte que la rénovation de ces bâtiments corresponde à la mission de l’ANRU.

Si la seule mission de l’ANRU était la rénovation urbaine, alors votre argument serait imparable. Mais depuis 2008, d’autres programmes – je ne sais plus s’ils sont au nombre de quatre ou de cinq – sont gérés par l’ANRU alors qu’ils ne relèvent pas directement de la rénovation urbaine.

Je vous en donnerai deux exemples. Le premier est le programme d’aide à la rénovation des collèges. À l’époque, un budget de quatre millions d’euros a été affecté à ce programme. C’étaient bien des crédits d’État ! Le deuxième exemple a déjà été cité dans le débat : c’est celui des internats d’excellence, rebaptisés internats de la réussite.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le député.

Mme Claudine Schmid. C’est important, madame la présidente !

M. Serge Grouard. Puisqu’il existe déjà quatre ou cinq programmes rattachés à l’ANRU, on peut bien en créer un de plus !

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

(L’amendement n1 est adopté et l’article 1er est supprimé.)

(Les amendements nos 5 et 6 tombent.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement de suppression n2.

M. Daniel Goldberg. Il a déjà été défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François de Mazières, rapporteur. À titre personnel, je suis évidemment défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. C’est un amendement de cohérence, madame la présidente ; le Gouvernement y est donc favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. Je reste sur ma faim. Je vous ai présenté, monsieur le ministre, un argument important en rappelant que l’ANRU finance déjà d’autres programmes que le PNRU. Ayez l’obligeance de me répondre : pourquoi les casernements militaires seraient-ils par principe exclus de ce financement, alors que l’ANRU finance sur crédits d’État la rénovation des internats de la réussite ? Cette solution a pourtant le mérite de contourner le problème, réel, du financement par « Action logement ». Puisque nous nous accordons sur le constat, et que chacun convient de la qualité de nos débats, j’aimerais une réponse de votre part, monsieur le ministre.

Pour que les choses soient bien claires, notamment pour les personnes qui pourraient à l’avenir se référer à nos débats, je tiens à préciser que notre proposition de loi a été conçue avant les événements tragiques que nous venons de vivre. Il ne s’agit donc pas d’une proposition d’opportunité, mais d’une proposition de fond.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Monsieur le député, il est vrai que le premier programme de rénovation urbaine, qui va bientôt arriver à échéance, a permis de financer des équipements structurants, comme des collèges ou des écoles. C’est qu’ils étaient considérés comme nécessaires au bon fonctionnement des quartiers concernés et permettaient une meilleure intégration sociale et économique.

Nous continuerons à le faire, mais avec beaucoup plus de réserve. En effet, les représentants d’Action logement nous ont dit très clairement, dans le cadre de la négociation que nous avons menée avec eux, que le 1 % logement devait servir prioritairement, voire essentiellement, à financer le logement des salariés relevant de leur compétence. Nous le ferons donc de façon très ciblée, après négociation préalable avec « Action logement ». Celle-ci ne veut plus se voir imposer, notamment par les maires, des décisions qui ne seraient pas conformes à la convention que nous avons signée en octobre dernier. Je veillerai très soigneusement à ce que l’État respecte sa parole en la matière.

Vous me permettrez de penser qu’une caserne ne peut pas être considérée comme un équipement structurant pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il ne s’agit pas de nier votre constat, qui est partagé sur tous les bancs de cette assemblée ; simplement, la politique prioritaire de la ville, et son outil principal d’intervention en matière de rénovation urbaine, à savoir l’ANRU, ne sont pas une solution adaptée à ce problème.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François de Mazières, rapporteur. Monsieur le ministre, l’objet de notre proposition de loi est précisément d’éviter le problème posé par la présence d’ « Action logement » dans le financement. Le Programme d’investissements d’avenir ne dépend, lui, que de l’État. Pourquoi refuser de financer via l’ANRU un tel investissement au titre de ce programme, comme vous le faites pour les actions que Serge Grouard vient de rappeler ?

Je remarque que, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2015, des crédits ont pu être dégagés pour financer des actions comme l’« Innovation numérique pour l’excellence éducative », dotée de 168 millions d’euros, ou le « Fonds de fonds de retournement », à hauteur de 75 millions d’euros. Ce n’est donc pas si compliqué que vous le dites, monsieur le ministre.

(L’amendement n2 est adopté et l’article 2 est supprimé.)

Après l’article 2

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières, rapporteur, pour soutenir l’amendement n8.

M. François de Mazières, rapporteur. Cet amendement vise à ce que les logements des ministères de la défense et de l’intérieur qui appartiennent à des bailleurs sociaux et dont les occupants remplissent les mêmes conditions de ressources que celles permettant d’accéder à un logement social, soient considérés comme des logements sociaux au sens de l’article 55 de la loi SRU.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien ! Excellent !

M. François de Mazières, rapporteur. Cette proposition a suscité un débat très intéressant au sein de la commission des affaires économiques, notamment grâce aux échanges avec notre collègue Daniel Goldberg.

Il est aberrant que des militaires qui remplissent les conditions d’accession au logement social et sont locataires de la SNI n’aient pas droit à l’APL ! Par ailleurs, on considère que les logements concernés ne sont pas des logements sociaux : il y a vraiment là une anomalie profonde. Dans ma ville, ce sont au minimum 500 logements qui sont concernés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Monsieur le rapporteur, votre amendement propose de créer une nouvelle catégorie de logements sociaux dans le sens de l’article 55 de la loi SRU. Je tiens à vous rappeler que cette dernière ne comptabilise que les logements sociaux conventionnés.

M. François de Mazières. Ceux que j’ai évoqués pourraient le devenir !

M. Patrick Kanner, ministre. Or ce n’est pas le cas des logements dont vous venez de parler. Je ne peux, selon le principe du parallélisme des formes qu’émettre un avis défavorable sur votre amendement.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est le serpent qui se mord la queue !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Quelques mots pour soutenir, de manière extrêmement énergique, l’amendement de notre collègue François de Mazières, et d’abord parce que je suis moi-même, comme beaucoup d’entre nous ici, l’heureux élu d’une commune sur le territoire de laquelle se trouve une caserne de gendarmerie, une caserne de sapeurs-pompiers, ainsi qu’un casernement militaire, avec le commissariat de l’armée de terre. C’est pourquoi, même si ce ne sont pas 500 logements mais 190 qui sont concernés dans ma commune, je partage tout à fait votre argumentation, monsieur le rapporteur : il est incompréhensible qu’ils ne soient pas comptabilisés au titre de l’article 55 la loi SRU.

Ensuite, monsieur le ministre, ils pourraient parfaitement être conventionnés. Absolument rien ne s’y oppose. L’obstacle que vous évoquez ne tient pas, à moins que vous nous donniez les raisons précises pour lesquelles un tel conventionnement serait en l’état impossible. Il suffit de le décider, peut-être même par voie réglementaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Goldberg.

M. Daniel Goldberg. Cher collègue, vous venez de donner la raison pour laquelle il ne faut pas adopter cet amendement : ce type de disposition ne relève pas forcément de la loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Pas complètement : uniquement le principe.

M. Daniel Goldberg. Je vous l’ai dit, monsieur de Mazières : je m’engage personnellement, et beaucoup de mes collègues font de même, à défendre cette demande de conventionnement des logements familiaux concernés.

Mais ce que vous proposez là est tout différent : vous proposez d’intégrer au nombre des logements locatifs sociaux au sens de l’article 55 de la loi SRU les logements occupés par des militaires et des gendarmes. Une telle disposition permettrait aux communes comptant un nombre important de logements occupés par des militaires de contourner l’obligation imposée la loi du 18 janvier 2013 de compter au moins 25 % de logements locatifs sociaux d’ici 2025.

M. Alain Fauré. Bien tenté !

M. Daniel Goldberg. Ce n’est pas Versailles que je vise !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ni Rambouillet !

M. Jean-Pierre Dufau. C’est un bon argument !

M. Daniel Goldberg. Pour cette raison, je ne peux voter ni approuver cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. Au terme de ce débat, je suis malheureusement contraint de faire le triste constat que les propositions concrètes et précises que nous avons faites ont toutes été repoussées. Elles peuvent certes soulever, ici ou là, des problèmes : nous en sommes tombés d’accord et nous avons proposé des modifications et des solutions.

Ce rejet systématique de tous nos amendements traduit votre refus de prendre en compte le problème que nous décrivons. Celles et ceux qui nous écoutent peuvent mesurer le décalage qui existe entre vos propos initiaux, qui approuvaient notre démarche, et en des termes forts – certains ont parlé de « vétusté », d’une « situation inacceptable », entre autres – et votre opposition à la moindre avancée que nous proposons de manière responsable.

Il me semble que vous auriez pu procéder différemment, dans une perspective constructive. Vous auriez pu nous dire que vous acceptiez notre proposition de loi au prix d’un certain nombre de modifications.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est vrai !

M. Serge Grouard. La reconnaissance du statut de logement social serait bien évidemment justifiée, même si elle pose un certain nombre de questions comme celles que vient d’évoquer notre collègue Daniel Goldberg à l’instant. Il aurait fallu prendre en compte ce problème et chercher les moyens de le résoudre.

Pour l’instant, nous ne pouvons que constater ce refus. Je le regrette parce qu’à l’extérieur de cette enceinte, les problèmes restent en l’état.

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières, rapporteur, pour soutenir l’amendement n7.

M. François de Mazières, rapporteur. L’amendement propose que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 30 juin 2016, un rapport visant à généraliser le conventionnement à l’APL des logements affectés au ministère de la défense. Cet amendement fait suite au débat que nous venons d’avoir : pourquoi le conventionnement n’est-il pas possible pour des personnes dont le niveau de ressources le justifierait ?

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Avant de le donner, madame la présidente, je voudrais répondre à M. Grouard sur la loi SRU.

On ne peut pas exonérer les communes de leurs obligations en termes de logements sociaux en les autorisant à comptabiliser à ce titre les logements occupés par les militaires ou les gendarmes. Ce n’est pas l’esprit de la loi SRU ; cela servirait une stratégie de contournement qui n’est pas conforme à ce que souhaite le Gouvernement.

S’agissant, monsieur le rapporteur, de votre amendement, je rappelle ici que la vocation des aides au logement n’est pas de financer les dépenses d’entretien ni de réhabilitation de logements quels qu’ils soient. L’APL vise à améliorer la solvabilité des ménages les plus modestes. Je rappelle que 80 % des allocataires de l’APL gagnent moins que le SMIC. Sans cette aide, ils ne parviendraient tout bonnement pas à se loger : elle répond donc à une exigence de solidarité, de justice et d’égalité entre les citoyens.

Cela étant dit, monsieur le rapporteur, la possibilité que les gendarmes et les militaires vivant dans ces logements familiaux puissent bénéficier de l’APL quand ils en satisfont les critères semble intéressante. En lien avec le ministère du logement, nous sommes prêts à étudier cette possibilité et à y travailler de manière constructive, ce qui répond en partie à vos préoccupations.

En revanche, il n’apparaît pas pour l’instant opportun de l’inscrire dans la loi. Je me vois donc, là encore, contraint d’émettre un avis défavorable concernant cet amendement n7.

M. Serge Grouard. Imparable.

M. Patrick Kanner, ministre. Mais l’ouverture est faite.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières, rapporteur.

M. François de Mazières, rapporteur. Le rapport que nous demandons par cet amendement correspond exactement à cette ouverture : il faut donc l’adopter.

(L’amendement n7 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi. L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de cette proposition de loi, ainsi que les articles additionnels, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des Présidents.

3

Participation de fonds français au financement de Daech

Discussion d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Jean-Frédéric Poisson tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la participation de fonds français au financement de Daech (nos 2799, 3260).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nul doute que les forces de l’ordre peinent à contenir la foule qui se presse à l’entrée de l’hémicycle, en cette fin d’après-midi ! (Sourires.) Nous abordons cependant un sujet qui mérite beaucoup de sérieux et d’attention. Aussi je remercie ceux de mes collègues qui ont fait l’effort de rester jusqu’à cet instant pour en débattre.

J’ai déposé au printemps dernier une résolution tendant à la création d’une commission d’enquête pour étudier les mécanismes par lesquels l’État islamique se finance.

À l’époque, le conflit au Moyen-Orient présentait deux caractéristiques. Le premier était la gravité extrême de la situation des chrétiens d’Orient. Elle ne s’est pas beaucoup arrangée depuis, mais l’attention du monde était alors focalisée sur le sort des chrétiens dans cette région.

Par ailleurs nous n’avions pas complètement compris à l’époque que le pétrole n’était pas la seule ressource utilisée par l’État islamique pour amasser des devises.

Pour des raisons qui tiennent à la vie de notre assemblée et à ses procédures, cette proposition de résolution n’arrive en débat que maintenant, six mois après son dépôt. La situation au Moyen-Orient ne s’est malheureusement pas améliorée dans l’intervalle et les ressources que l’État islamique tire du trafic du pétrole ne se sont pas taries.

Mais nous avons découvert et compris depuis – et c’est désormais un fait attesté – qu’en sus du pétrole, l’État islamique tire également profit du trafic d’êtres humains, de réseaux de prostitution, de trafic de drogue, d’armes et d’antiquités, du racket, sans compter les ressources dont il a dépouillé les habitants de ces régions en pillant les banques des villes qu’il a prises, notamment Mossoul. Il dispose désormais d’un patrimoine très conséquent.

C’est dans le souci de connaître ses sources de financement et, bien entendu, de trouver les moyens de les assécher que notre groupe a souhaité la constitution d’une commission d’enquête.

En effet la commission d’enquête dispose de prérogatives dont aucun autre organe parlementaire ne peut se prévaloir, notamment le droit de procéder à des enquêtes sur pièces et sur place et celui de convoquer toutes personnes qu’elle juge bon d’entendre et de les faire déposer sous serment, celles-ci étant tenues de déférer à cette convocation.

Le mécanisme de la commission d’enquête est donc celui qui nous a paru le plus solide. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a accepté d’inscrire cette résolution à l’ordre du jour, ce dont je remercie le président Jacob.

Bien sûr, personne ne peut imaginer qu’il y ait ici un seul parlementaire qui ne soit pas sensible à cette question et qui ne désire pas tirer les choses au clair. Bien sûr, aucun parlementaire ne souhaite faciliter la vie à l’État islamique. Cependant, non sans susciter chez nous une certaine surprise, la commission des affaires étrangères a refusé la création d’une telle commission d’enquête pour des motifs que j’avoue ne pas avoir encore très bien compris.

Cela a un peu agacé quelques membres éminents de cette commission, mais il m’a été répondu en substance que l’idée était bonne, que le champ de la proposition mériterait d’être un peu plus large, que c’était une vraie question et que, pour autant, on n’allait pas faire comme ça, en tout cas pas à l’initiative de l’opposition.

Bien entendu ce n’est pas tout à fait une première. Nous sommes quelques-uns dans cette assemblée à compter suffisamment d’heures de vol pour avoir déjà assisté à des situations de ce genre. Je ne sais pas s’il faut s’en plaindre, mais je le constate.

Cela étant dit, je maintiens que le champ d’investigation de la commission d’enquête tel que nous l’avons défini, c’est-à-dire le financement de Daech, n’est pas limité à la question du pétrole. Il permet donc d’inclure l’ensemble des ressources financières dont dispose aujourd’hui l’État islamique.

Si l’on veut aboutir à des conclusions fiables et recueillir des informations précises, créer une commission d’enquête, est, je le répète,  la seule façon d’obliger les personnes que nous souhaiterions entendre à déposer sous serment et donc à dire la vérité. Je rappelle en effet que mentir lors d’une déposition sous serment devant une commission d’enquête est passible d’une amende. Le code pénal prévoit même des peines d’emprisonnement. Il ne s’agit donc pas de choses qu’on prend à la légère.

C’est la raison pour laquelle j’ai refusé d’accepter la demande de la commission des affaires étrangères de retirer cette proposition de résolution et que nous en débattons cet après-midi dans l’hémicycle. Nous devrons donc décider tout à l’heure si, oui ou non, une commission d’enquête sur cette question verra le jour.

En tout état de cause, l’urgence demeure, la modalité retenue est la bonne. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous inviterai dans quelques instants à adopter cette résolution visant à créer une commission d’enquête sur le financement de l’État islamique.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, la France est engagée depuis plus d’un an au sein de la coalition internationale contre Daech aux côtés d’une soixantaine d’États. Notre action porte ses fruits : Daech a reculé en Irak, en Syrie ; ses capacités de redéploiement sont réduites ; le territoire sous son contrôle se resserre.

La réponse ne peut cependant être uniquement militaire. La riposte, nous le savons, doit porter sur plusieurs fronts à la fois, financiers, politiques, économiques, sociaux, idéologiques.

L’originalité et la puissance de cette organisation terroriste tiennent au fait qu’elle a amassé un butin de guerre exceptionnel. Les données dont nous disposons sont fragmentaires, que ce soit pour la nature des ressources ou pour les sommes en jeu. Les estimations sont néanmoins éloquentes, le capital de Daech étant estimé à près de trois milliards de dollars à la fin de l’année 2014. Jamais un groupe terroriste n’avait encore disposé de ressources financières d’une telle ampleur.

Permettez-moi d’insister sur deux points.

Premièrement, nous ne disposons d’aucune information permettant d’étayer les propos selon lesquels des pays européens achèteraient le pétrole produit dans les zones sous contrôle de Daech : il faut le souligner pour ne pas contribuer à la confusion.

Deuxièmement, la contrebande de pétrole occupe certes une grande place dans les revenus de Daech, mais il ne faut pas ignorer ses autres sources de revenus : les réserves financières des administrations des territoires conquis, le produit du système d’extorsion généralisé mis en place par l’organisation, le trafic d’antiquités et de biens culturels, les recettes de diverses activités criminelles, les dons directs de l’étranger ou le détournement de dons humanitaires.

Assécher les ressources de Daech est certainement l’un des moyens de détruire cet ennemi. La coalition internationale s’y emploie activement. Depuis plus d’un an, les frappes ont entamé de manière significative les ressources de Daech, qui sont en diminution, notamment, très récemment encore, le transport et la fourniture de pétrole.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 12 février 2015 la résolution 2199, qui appelle les États à accroître leurs efforts dans la lutte contre les sources de financement de Daech, en particulier les trafics de pétrole et de biens culturels. Au titre de la résolution 1267, les États membres de l’ONU ont aussi l’obligation de geler les avoirs des individus qui financent Daech. À la suite des attentats de Paris et de Beyrouth, le Conseil de sécurité a enfin adopté, le 20 novembre, à l’initiative de la France et à l’unanimité de ses quinze membres, une résolution dans laquelle il appelle tous les États qui le peuvent à lutter contre Daech.

L’Union européenne s’est également mobilisée contre le financement du terrorisme. À la demande de la France, le conseil « Justice et Affaires intérieures », ou conseil JAI, extraordinaire du 20 novembre a invité la Commission à faire des propositions pour renforcer les dispositifs européens de lutte contre le financement du terrorisme. Aujourd’hui même, M. Sapin, notre ministre des finances, travaille sur ces questions avec M. Schäuble, son homologue allemand.

La France s’est quant à elle dotée d’un dispositif de gel national permettant de bloquer les avoirs des individus qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, ainsi que les avoirs de ceux qui financent le terrorisme. Elle a mis en place un dispositif de vigilance financière à l’encontre de Daech. En mars 2015, le ministre des finances et des comptes publics a ainsi présenté un plan de lutte contre le financement du terrorisme. Enfin la France s’est mobilisée pour lutter contre le trafic de biens culturels.

Je suis convaincu de l’utilité de la mission d’information sur les moyens dont bénéficie l’organisation terroriste Daech créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale. Elle permettra d’examiner la question dans sa globalité, avec l’appui des différentes commissions permanentes de l’Assemblée nationale, et sera utile pour améliorer les réponses apportées par la France au terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le rapporteur, la proposition de résolution que vous avez présentée en commission des affaires étrangères a été rejetée par les députés de la majorité, en particulier les députés socialistes, pour deux raisons principales.

Tout d’abord, l’exposé des motifs, principalement centré sur la situation des chrétiens d’Orient, est manifestement partiel, pour ne pas dire plus, en regard des nombreuses victimes de Daech. La référence à l’acte de protection de Saint-Louis, nous ramenant à la septième croisade, me paraît au mieux inopportune, au pire inutilement provocatrice dans le contexte actuel.

Par ailleurs, dépassée par l’actualité, vous en convenez – elle a été déposée en mai 2015 – votre proposition de résolution se limite à une enquête sur la participation des seuls fonds français au financement de Daech. Je ne vais pas reprendre sur ce point l’argumentation du Gouvernement, que je partage.

Après l’avoir rejetée, les commissaires socialistes ont proposé de saisir la Conférence des présidents pour élargir la discussion à l’ensemble des députés de l’Assemblée et étendre le périmètre des investigations nécessaires.

Mardi dernier, Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, a proposé à la Conférence des présidents de créer une mission d’information sur les moyens dont bénéficie l’organisation terroriste Daech. Il en a été ainsi décidé de manière consensuelle par tous les groupes. Cette décision nous agrée. Il serait donc plus sage que vous retiriez votre résolution, mais est-ce la sagesse qui vous motive ?

Cette mission comptera trente membres issus de tous les bancs de l’hémicycle. Contrairement à ceux d’une commission d’enquête, ses travaux ne sont pas limités dans le temps. Une commission d’enquête a un intérêt réel, mais, vous le savez, on peut lui opposer le secret défense ou le secret de l’instruction.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. À une mission d’information aussi !

M. Jean-Pierre Dufau. Le périmètre d’investigation est élargi pour mieux cerner l’ensemble des moyens, financiers, logistiques, militaires, dont bénéficie l’organisation tentaculaire et complexe de Daech.

C’est pourquoi, si vous maintenez votre proposition de résolution, les députés socialistes, comme en commission, voteront pour son rejet, c’est-à-dire adopteront les conclusions de la commission des affaires étrangères. Ils soutiendront la mission mise en place par le président de l’Assemblée nationale, qui, par sa définition, son périmètre, sa composition, répond au besoin d’unité nationale des Françaises et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition vise à créer une commission d’enquête sur la participation de fonds français au financement de Daech.

Cette proposition est motivée principalement par une cause qui nous est très chère : la protection des chrétiens d’Orient, dont la présence plurimillénaire est menacée. En 2015, Daech a littéralement crucifié des chrétiens dans le berceau du christianisme. Il faut évidemment que cette barbarie cesse.

Hélas, le 13 novembre, c’est la France qui a été touchée au cœur. Après l’attentat de Toulouse, ceux contre Charlie-Hebdo et l’Hyper Casher, la macabre décapitation de l’Isère, les Français réalisent qu’ils sont en guerre. Nos compatriotes exigent sécurité et réclament justice. Il faut « décapiter » Daech, pour employer un terme que ces djihadistes affectionnent tant.

L’argent est le nerf de la guerre. Comme l’indique le rapport de la commission d’enquête sur les filières djihadistes, dont j’ai eu l’honneur d’être le vice-président, l’une des clés de la lutte contre le terrorisme est le contrôle et l’entrave des moyens financiers dont disposent les organisations pour attirer et maintenir en leur sein des djihadistes et organiser leurs actions criminelles.

Ce volet financier pourrait se décliner en plusieurs axes, visant notamment à tarir les ressources de Daech, ce pseudo-État islamique, qui, aujourd’hui, bat monnaie et administre un territoire aussi grand que le Royaume-Uni ; empêcher le système de microfinancements sur notre sol et traquer les liens financiers entre grand banditisme et djihadisme – je rappelle que les attaques contre l’Hyper Casher et Charlie n’ont coûté que quelques dizaines de milliers d’euros à peine – ; étrangler financièrement les filières d’acheminement de djihadistes de France et d’Europe ; rendre transparent et contrôler le financement étranger de l’islam de France ; contraindre l’ensemble des acteurs financiers à surveiller l’ensemble des flux suspects au niveau français, mais aussi européen, voire international.

Premier axe, priver Daech de ses ressources.

Daech est très riche, on le sait. Il est financièrement autonome. L’organisation dispose d’un patrimoine colossal – on parle de deux milliards d’euros. Son budget en 2015 est estimé à 2,5 milliards d’euros : de quoi mener des actions militaires, armer, nourrir et payer les quelque 30 000 terroristes – c’est une faute de les appeler des combattants –, verser des pensions, administrer les territoires nouvellement occupés, réaliser des clips de propagandes scénarisés.

Je voudrais, si vous me le permettez, faire une remarque importante à ce stade. Si Daech met en scène ses exactions barbares, l’organisation est loin d’avoir le monopole de l’horreur. Monsieur le rapporteur, on estime que le régime d’Assad, coresponsable de cette guerre atroce, a massacré près de dix fois plus de civils que Daech, notamment par l’emploi d’armes chimiques. Évidemment, ces crimes ont été beaucoup moins scénarisés et médiatisés.

Je reviens à Daech. Son modèle économique s’appuie sur une diversité de ressources financières : extorsion de fonds, vente de pétrole, de gaz, de céréales et de coton, trafic de biens culturels, trafic d’êtres humains, de femmes principalement réduites au statut d’esclaves sexuelles, donations, enfin, même si celles-ci ne représentent que 2 % du budget de Daech.

Notre objectif est clair : rendre plus compliqué le recyclage des fonds qui profitent à l’organisation, issus en particulier de la vente de pétrole. Aucune société française, ou opérant en France ou en Europe, ne doit être mêlée à ces trafics. Ce travail doit être mené au niveau national, mais aussi européen, avec la directive anti-blanchiment, et international, avec le groupe d’action financière – GAFI.

S’agissant du microfinancement des attentats, des filières, des financements étrangers de l’islam de France et du contrôle des opérateurs financiers, dans le prolongement des annonces faites par le ministre des finances et des comptes publics, nous devons étudier les moyens de mieux réglementer les instruments de paiement et l’utilisation de l’argent liquide et assurer une pleine coopération des opérateurs financiers.

Avant de conclure de façon plus générale, je veux redire que la priorité absolue est de détruire Daech. Mais ne nous laissons pas aveugler ! Daech n’est que l’arbre qui cache la forêt du djihadisme, sunnite, mais aussi chiite. Toutes ces organisations, voire ces États, ont en commun de vomir nos valeurs, notre modèle de société et notre culture. Daech, encore inconnu il y a trois ans, n’en est que l’ultime avatar.

Daech n’est pas la première organisation djihadiste à attaquer notre pays. Il y a d’abord eu le Hezbollah pro iranien dans les années 1980, à l’origine des attentats rue de Rennes, qui avaient fait sept morts, et de ceux de Beyrouth qui avaient tué 58 paras français. Gilles de La Bâtie, président de l’association des rescapés et des victimes de l’attentat du Drakkar, me remerciait, pas plus tard que la semaine dernière, de ne pas les oublier et de défendre leur mémoire.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le député !

M. Meyer Habib. Je vous demande encore trente secondes, madame la présidente.

Djihadisme sunnite ou chiite, le but reste le même : imposer par la terreur la plus barbare une conception radicale et rétrograde de l’islam.

Il faut être lucide : le terrorisme ne se développe que parce que des États lui apportent leur concours financier. Ces États, nous les connaissons et les fréquentons. Il y a évidemment l’Arabie Saoudite et le Qatar, mais aussi la République d’Iran, matrice du djihad depuis trente ans, et la Syrie, son vassal.

Pour conclure, madame la présidente…

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le député. Vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole.

La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, Daech, issu d’une branche dissidente d’Al-Qaïda, est devenu peu à peu, depuis 2014, l’organisation terroriste la plus puissante et dangereuse au monde. Elle est dangereuse par son idéologie macabre, puisque, sous couvert de principes islamiques, elle prône une doctrine mafieuse et criminelle, s’appuyant sur le djihadisme salafiste pour asservir les populations tombées sous son contrôle.

Elle est dangereuse aussi par son exportation du terrorisme, car depuis sa base arrière en Syrie et en Irak, Daech nous touche régulièrement en plein cœur. Les événements tragiques que nous vivons depuis le début de l’année l’illustrent bien sombrement.

Cette dangerosité, Daech la tire de sa puissance territoriale tout d’abord, puisque l’État islamique étend son influence sur environ la moitié des territoires irakien et syrien, en contrôlant les principaux points de communication et les axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes frontières. Ambitionnant d’établir à terme un califat allant du Levant à l’Irak, il continue son expansion terroriste et vise désormais Alep et Bagdad, poussant à l’exode plus d’un demi-million de réfugiés.

Sa puissance terroriste provient également de sa force combattante composée de plusieurs dizaines de milliers d’individus venus d’Irak et de Syrie pour la plupart, et aussi d’Occident.

« Mais c’est surtout grâce à des réserves de plus de 2 000 milliards de dollars que Daech peut financer ses exactions barbares. Les recettes tirées du pétrole restent, certes, importantes puisqu’elles devraient atteindre environ 600 millions de dollars en 2015, mais elles ont fortement diminué depuis l’an dernier, d’abord parce que les prix se sont effondrés de moitié en 2015. Par ailleurs, depuis août 2014, la coalition occidentale a mené environ 10 000 frappes aériennes contre Daech – intensifiées depuis les attentats de Paris – ciblant particulièrement les raffineries, les oléoducs et les camions de transport.

Daech produit du pétrole pour ses propres besoins, totalement autosatisfaits, parvenant à en vendre sur ses terres, y compris à ses opposants en Syrie, et à en exporter, alors qu’il est pourtant sous embargo – les frontières avec la Syrie et l’Irak étant poreuses, surtout celle avec la Turquie, au nord de la Syrie.

Pour compenser la baisse des recettes tirées du trafic de ressources naturelles, l’État islamique a considérablement augmenté ses activités crapuleuses. Les extorsions représentent désormais son plus gros poste de recettes. Il  taxe tout : les biens de consommation, les télécoms, les retraits d’argent, les salaires, les pillages des sites archéologiques ainsi que les péages et les droits de passage. Outre les extorsions, l’État islamique pratique des confiscations, en s’appropriant tout ce que les habitants qui ont fui ont laissé derrière eux, l’esclavage sexuel, le trafic d’organes, le trafic d’êtres humains, ainsi que le kidnapping, dont les rançons représenteraient 4 % de son budget global.

Enfin, Daech a réussi à mettre la main sur le secteur financier, puisque dès juin 2014, en prenant Mossoul, la deuxième ville d’Irak, il a pris le contrôle de plusieurs banques privées et publiques, dont la succursale de la banque centrale d’Irak, faisant ainsi main basse sur 425 millions de dollars en argent liquide, et, côté syrien, du système bancaire avec les banques de dépôt.

L’État islamique a donc fortement diversifié ses ressources financières. Il est important, pour l’éradiquer, de s’y intéresser sérieusement. Les pays membres du G20 ont d’ailleurs été appelés, le 16 novembre dernier, à renforcer le combat contre le financement du terrorisme, en sus de l’action militaire.

En ce sens, la décision prise, mardi dernier, par la Conférence des présidents de notre assemblée, de créer une mission d’information portant sur les moyens dont bénéficie l’organisation terroriste Daech, est tout à fait justifiée. La mission d’information est en effet le format le plus adapté pour élargir le champ d’investigation, notamment dans la durée, contrairement à celui trop restreint qui nous est proposé aujourd’hui par la proposition de résolution demandant la création d’une commission d’enquête relative à la participation de fonds français au financement de Daech.

Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste ne soutiendra pas cette proposition de résolution ; il votera même contre. L’exposé des motifs, dans sa formulation et dans ses accusations, est indigne…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Allons !

M. Joël Giraud. …du défi que nous lance Daech. Souvenez-vous du hashtag soyonsunis et appliquez ce message. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour votre modération. J’ai cru comprendre que vous contestiez le fait qu’il y ait la moindre trace de participation de fonds français au financement de Daech. Il est vrai que l’ambassadrice tchèque de l’Union européenne à Bagdad, qui avait tenu les propos qui ont motivé notre proposition de résolution, a d’ailleurs elle-même reconnu qu’elle avait peut-être parlé un peu vite.

Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, j’attire votre attention sur le fait que M. Le Drian, le ministre de la défense, interrogé il y a quelques jours sur ce sujet par une grande radio périphérique, a répondu que, si l’on ne disposait pas d’éléments précis en ce sens, c’était une possibilité que l’on ne pouvait pas exclure. En la mentionnant, nous ne cherchons pas à alimenter la confusion ; nous pointons simplement quelque chose qui mérite d’être étudié.

Je vous remercie, mes chers collègues, pour l’intérêt que vous avez porté à ce débat. Nous l’avons déjà eu en commission et nous ne le reprendrons pas ici, d’autant que l’heure avance. Je voudrais simplement dire à mon collègue Joël Giraud, que j’ai connu plus inspiré, que je conteste l’usage que vous avez fait du mot « indigne » qui n’est, à mon avis, absolument pas adapté.

M. Joël Giraud. Si !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Je prétends seulement, et peut-être aurait-il fallu l’écrire de manière plus précise, que l’un des buts, très clair, de la guerre menée par l’État islamique est de faire partir les chrétiens du Moyen-Orient. Ce n’est pas le seul, mais à l’évidence, c’en est un.

De fait, si l’Europe occidentale et l’Amérique du nord, comme l’Amérique du sud dans une moindre mesure, sont engagées dans le soutien des chrétiens d’Orient, c’est sans doute parce qu’on peut, que l’on soit croyant ou non considérer qu’il y a, derrière leur présence dans cette région du monde, des enjeux politiques, mais aussi civilisationnels, qui dépassent assez largement les équilibres politiques et les différences de culture. C’était l’une des motivations du texte et je regrette vivement que vous ayez employé cet adjectif qui n’appartient à votre vocabulaire habituel.

Pour terminer, je rappelle que la commission des affaires étrangères a rejeté cette proposition de résolution.

Vote sur les conclusions de rejet de la commission

Mme la présidente. La commission des affaires étrangères ayant conclu au rejet de l’article unique de la proposition de résolution, l’Assemblée, conformément à l’article 82, alinéa 3, du règlement, est appelée à voter sur ses conclusions de rejet. Si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée. Si elles sont rejetées, nous examinerons l’article unique de la proposition de résolution. Tout le monde a suivi ? (Sourires.)

La parole est M. Jean-Pierre Dufau, pour une explication de vote. Ce n’est pas clair, monsieur le député ?

M. Jean-Pierre Dufau. C’est tellement clair que je tiens à dire très nettement que les députés socialistes voteront pour. (Rires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les conclusions de rejet de la commission.

(Les conclusions de rejet de la commission sont adoptées.)

Mme la présidente. L’Assemblée ayant adopté les conclusions de rejet de la commission, la proposition de résolution est rejetée.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2015.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly