Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du vendredi 05 février 2016

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Protection de la Nation

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation (nos 3381, 3451).

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je souhaite simplement vous demander, monsieur le président, quelles sont les intentions du Gouvernement et de la commission concernant l’organisation de nos travaux cet après-midi…

M. Bernard Roman. Elles sont bonnes. (Rires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Certainement, je n’en doute jamais.

M. le président. Rendez à l’Assemblée ce qui revient à l’Assemblée. Nous avons le plaisir d’accueillir le Premier ministre. Quant au déroulement de la séance, nous allons nous en occuper.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’en doute pas. Je me suis interrompu moi-même certainement, mais je voulais savoir quelles étaient les intentions du Gouvernement et de la commission et, par ailleurs, quelle décision prendrait la présidence de la séance.

Pour pouvoir nous organiser correctement, nous aimerions savoir jusqu’où nous allons. Commencerons-nous l’examen des amendements, entendrons-nous les inscrits sur l’article 1er ?

M. le président. Nous ne dépasserons pas dix-neuf heures.

M. Jean-Frédéric Poisson. Plus précisément, qu’est-ce que cela veut dire ?

M. le président. Nous verrons où nous en serons à la fin de la discussion générale. Il y a ensuite un certain nombre d’inscrits sur l’article 1er. Nous avancerons en fonction de l’heure mais la séance sera levée au plus tard à dix-neuf heures.

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci.

Discussion générale (suite)

M. le président. Ce matin, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, c’est devant le Parlement réuni en Congrès que le Président annonça le 16 novembre, trois jours après les attentats qui ont endeuillé toute la Nation, sa volonté de procéder à une réforme constitutionnelle pour y inscrire l’état d’urgence dans un premier temps, et il ajouta que cette révision de la Constitution devait s’accompagner d’autres mesures. En fait, il s’agissait d’une seule et unique mesure : la déchéance de nationalité.

La déchéance de nationalité, précisa-t-il, ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride, mais nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien même s’il est né français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité.

Le Président a donc choisi la voie du Congrès qui peut se révéler aléatoire, d’autant plus, monsieur le Premier ministre, que vous avez fait de cette voie une succession de surprises.

Cette voie requiert de réunir la majorité qualifiée des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Elle suppose que le texte proposé chemine dans une forme de consensus, qu’il soit même du domaine de l’évidence, comme l’a rappelé si justement Philippe Houillon lors de votre audition devant la commission des lois.

Nous sommes loin du compte. Il se dégage en effet de ce projet de révision un sentiment de confusion pesant, de grand désordre et même de trouble, trouble au sein de votre majorité, que vous malmenez, monsieur le Premier ministre. Les oppositions y sont vives. Elles y sont fondées. Or il vous faut convaincre d’abord cette majorité pour recueillir les trois cinquièmes,…

M. Guy Geoffroy. Ça, c’est vrai !

M. Sergio Coronado. …ne pas mépriser les oppositions, notamment sur la déchéance de nationalité, qui révulse un grand nombre de parlementaires attachés viscéralement à l’égalité.

La commission des lois a passé de longues heures l’année dernière à rejeter les propositions de loi de l’opposition sur la déchéance et l’indignité nationale, trois propositions pour être précis. Il n’a pas manqué une voix alors dans la majorité, y compris celles de M. Dosière et de Mme Bechtel, pour s’y opposer.

Nous avions tous en mémoire au cours de ces débats les mots lancés par François Hollande pour condamner le discours de Grenoble tenu par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. François Hollande avait alors parlé de mesure attentatoire à ce qu’est finalement la tradition républicaine et en aucune façon protectrice pour les citoyens.

Nous avions aussi en mémoire les mots de Mme Royal, qui y voyait l’illustration d’une République qui pourrit par le sommet.

En liant nationalité et délinquance, il fait ce que personne n’a jamais osé faire dans l’arc républicain. Jusqu’à présent, ce discours était l’apanage de l’extrême-droite. C’est ainsi que s’exprimait Jean-Jacques Urvoas à l’époque. En effet, la majorité n’a pas oublié que la déchéance de nationalité fait partie des propositions les plus anciennes de l’extrême-droite, et j’espère que vous ne serez pas fâché, monsieur le Premier ministre, que je le rappelle.

Vous avez par ailleurs alimenté ce trouble. Nous avons en effet débattu en commission des lois du projet de révision sans avoir sous les yeux les avant-projets de loi d’application auxquels renvoient les articles du projet. Nous en avons pris connaissance tardivement la semaine dernière après votre audition devant la commission. Alors que vous annonciez qu’il n’y aurait plus de référence explicite aux citoyens nés Français ayant une autre nationalité, vous durcissiez en même temps le texte en élargissant aux délits, en plus des crimes, les motifs de déchéance, tout en précisant que la loi serait respectueuse des engagements internationaux de la France et ne créerait pas, par voie de conséquence, d’apatrides.

À la lecture des avant-projets, chaque parlementaire a pu constater que, dans les faits, la déchéance ne pouvait s’appliquer qu’aux seuls citoyens français ayant une autre nationalité, c’est-à-dire les binationaux. Vous disiez vouloir rassurer. Or, nombre de députés ont eu le sentiment d’avoir été bernés.

Entrant donc dans le texte de révision lui-même.

Se référant habilement au rapport de la commission Balladur, le chef de l’État a défendu l’idée qu’il faudrait que l’état d’urgence fasse son entrée dans la Constitution. Cette idée repose sur le constat selon lequel le régime d’exception le plus utilisé sous la Ve République, six fois au moins depuis 1958, serait prévu uniquement par une loi ordinaire. Il n’y a pourtant plus de véritable difficulté juridique puisque le Conseil constitutionnel, saisi en 1985 par certains parlementaires, a estimé que le législateur bénéficiait d’une sorte d’habilitation implicite de la Constitution. Il a admis que le silence de cette Constitution n’interdisait pas au législateur ordinaire d’instaurer l’état d’urgence sur le fondement de l’article 34 de la Constitution.

Dans une récente décision sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité rendue le 22 décembre dernier, le Conseil n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence. Il lui appartient dans ce cadre d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Dans cette décision, le Conseil reconnaît la constitutionnalité de l’une des mesures phares de l’état d’urgence, l’assignation à résidence.

Vous avez cité l’avis du Conseil d’État en faveur de la constitutionnalisation, mais, comme en commission, vous avez omis de citer l’avis préalable à la loi du 20 novembre du même Conseil, qui affirme le contraire.

Il peut paraître étonnant, incongru, allais-je dire, pour reprendre les termes du garde des sceaux, que le principe de hiérarchie des normes n’ait pas imposé qu’un tel régime d’exception soit organisé par la Constitution.

C’est vrai, la Constitution de 1958 n’a pas abrogé la loi du 3 avril 1955. Elle ne l’a pas non plus constitutionnalisée. Peut-être que les constitutionnalistes de 1958 avaient en mémoire les mots du parlementaire Louis Vallon, qui, à l’époque des débats sur l’état d’urgence, disait que c’était une loi d’exception qui a pour projet de donner un statut à l’arbitraire.

L’utilité de constitutionnaliser l’état d’urgence est loin d’avoir été démontré. Ce n’est en rien un progrès de l’État de droit que d’inscrire dans la Constitution des dispositions qui permettent d’y déroger.

Constitutionnaliser l’état d’urgence pourrait être un moyen de donner un statut à l’arbitraire néanmoins, a-t-on entendu ici ou là. On pourrait encadrer le laps de temps où il est fait exception à la légalité ordinaire en fixant les règles du jeu. On pourrait prévoir que l’état d’urgence est du domaine de la loi organique, ce qui impose un examen parlementaire d’au moins quinze jours. On pourrait prévoir aussi le passage d’un examen de conformité à la Constitution opéré par le Conseil, inscrire les conditions d’ouverture de l’état d’urgence, sa limitation dans le temps, une liste de mesures de police administrative pouvant en découler.

Tout cela aurait pu être dans le projet de révision. Le texte aujourd’hui ne contient rien de tout cela. Inscrire le principe de l’état d’urgence sans les garanties, ce n’est pas souhaitable.

Sur le fond, une question. L’état d’urgence est-il la solution adéquate pour lutter contre la violence terroriste au point d’en faire aujourd’hui un point de notre Constitution ? Face à une menace globale, diffuse et sans durée définie, l’état d’urgence, qui est un état d’exception limité au territoire national, limité dans le temps, est-il la meilleure défense ? Est-ce à dire que les dizaines de lois votées depuis quarante ans sont sans effet dans la lutte contre le terrorisme ? Sur cette question, monsieur le Premier ministre, affirmer n’est pas convaincre.

Sur la déchéance de nationalité, il y a, pour reprendre les mots de Christiane Taubira, votre ancienne ministre de la justice, un désaccord politique majeur. En quoi, en effet, l’article 2, qui consacre la déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français et disposant d’une autre nationalité protège-t-il l’unité de la Nation puisque tout le monde s’accorde à dire qu’il est de nature exclusivement symbolique sans portée opérationnelle ? Il est vrai qu’elle ne saurait avoir un caractère dissuasif sur celles et ceux qui sont prêts à mourir.

Par ailleurs, quel État acceptera d’accueillir un citoyen français déchu de sa nationalité au prétexte que nous souhaitons nous en débarrasser et que celui-ci détient la nationalité du pays ? Rappelons que même les binationaux devenus Français par naturalisation ne sont pas toujours expulsables en raison de nos engagements internationaux. Un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux, écrit dans un petit livre, intitulé Murmures à la jeunesse, Mme Christiane Taubira.

M. le garde des sceaux, qui était au banc ce matin, ne disait pas autre chose dans le rapport sur l’indignité nationale qu’il a présenté devant la commission des lois pour argumenter et fonder son opposition à la proposition de loi visant à faire perdre la nationalité française et à rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité, que la commission a repoussée trois fois, comme je vous l’ai dit : « A la réflexion, la réactivation de l’indignité nationale, qui correspond d’une certaine façon à une laïcisation de l’excommunication, issue du droit canonique, serait indéniablement pour la République l’aveu d’un échec. »

Si la déchéance ne parle pas aux terroristes, à qui parle-t-elle en fait ? Elle parle aux citoyens français qui ont une autre nationalité, qui, sans aucun lien avec le terrorisme, ont le sentiment terrible que, pour un même crime, des Français de naissance ne subiraient pas la même peine, pour la simple et unique raison qu’ils ont une autre nationalité. Cette autre nationalité, ils ne l’ont pas réclamée. Parfois, ils ignorent qu’ils en bénéficient. Il arrive parfois même qu’ils ne puissent pas s’en séparer. Ils sont des millions, notamment parmi ces Français que l’on appelle les Français de l’étranger. Ce qui apparaissait jusqu’à présent comme une richesse deviendrait une fois le texte voté une discrimination négative, comme le rappelle Robert Badinter dans une tribune contre la révision constitutionnelle publiée aujourd’hui.

Vous légitimez, monsieur le Premier ministre, l’idée qu’il y aurait dans le corps national des degrés dans cette appartenance qu’est la nationalité. Vouloir inscrire cette peine dans la Constitution est une erreur, et ce qui me heurte le plus, c’est le fait d’avoir lié dans un même texte une mesure visant à lutter contre le terrorisme et la peine de déchéance, nourrissant ainsi un imaginaire colonial, faisant un terrible clin d’œil à l’histoire et au contexte de lutte contre l’indépendance algérienne au moment de l’adoption du texte sur l’état d’urgence. C’est alimenter l’idée que des citoyens nés Français ne le sont pas tout à fait, et nul besoin ici de préciser de quels citoyens nous parlons.

Vous renvoyez à une loi ordinaire l’application de cette mesure, c’est-à-dire que vous ouvrez la possibilité que lui soient apportées des modifications à une majorité simple. Mesure-t-on les dangers ?

Vous avez aussi élargi la déchéance aux délits pour répondre à la demande de Nicolas Sarkozy et, comme l’a dit Noël Mamère, vous avez transformé le Parlement en lieu de marchandage.

M. Patrick Mennucci. Il y a les circonstances…

M. le président. Laissez l’orateur conclure…

M. Patrick Mennucci. Ils ont déjà parlé une heure !

M. Sergio Coronado. Il y a quelques mois, les arguments pour s’opposer à cette mesure rassemblaient les députés de la majorité. Nous, nous n’avons pas changé d’idée, monsieur Mennucci. Il y a quelques mois, nous avions les mêmes arguments pour nous opposer à cette mesure. Nous pensons que ces arguments étaient justes. Nous pensons qu’ils le sont toujours. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, après les événements du 13 novembre, j’ai pensé utile de réunir les enfants de l’école de ma commune. J’avais à côté de moi une petite fille d’une dizaine d’années, élève de CM2 – une jeune fille très intelligente. Elle m’a dit ceci : « Monsieur le député, qu’avez-vous fait au cours de l’année pour assurer notre protection ? Vous nous dites qu’il vient d’y avoir plus de 130 morts et plusieurs centaines de blessés, mais qu’avez-vous fait ? ». Voilà ce qu’une enfant de dix ans m’a posé comme question !

Je lui ai répondu que nous nous sommes intéressés au renseignement, que nous avons pris un certain nombre de mesures, mais j’ai eu le sentiment que nous n’avions pas fait assez, monsieur le Premier ministre. Et si j’avais une requête à vous faire, ce serait que vous veniez dans les semaines qui viennent…

Monsieur le Premier ministre, vous ne m’écoutez pas. Monsieur le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, laissez M. le Premier ministre écouter !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous écoute, monsieur le député !

M. Alain Tourret. Eh bien, monsieur le Premier ministre, je vous invite à venir dans ma petite commune de Moult parler avec les enfants de l’école.

J’ai donc expliqué à cette jeune fille que nous allions faire tout un ensemble de choses, et qu’en particulier, à la demande du Président de la République qui venait de nous réunir en Congrès, nous allions modifier la Constitution. Pourquoi ? Parce que si la Constitution de 1958 est incontestablement très complète pour ce qui concerne les temps ordinaires, on peut considérer qu’elle ne l’est pas pour ce qui concerne les temps extraordinaires. En effet, chacun admettra que l’article 16 de la Constitution, qui fit jadis l’objet de multiples attaques de la part du président Mitterrand, est un élément d’équilibre de la Constitution, surtout depuis que nous lui avons donné un encadrement démocratique ; mais il y a aussi l’article 36, qui prévoit l’état de siège. J’ai donc essayé de comprendre si oui ou non, la Constitution était suffisamment précise, suffisamment balancée entre le temps ordinaire et le temps extraordinaire, et je suis aujourd’hui intimement persuadé que vous avez raison de vouloir inscrire dans la Constitution ce qui relève de ce que certains appellent « l’état de crise », d’autres « l’état d’urgence », d’autres enfin, dont je suis, « l’état de nécessité ».

Il fallait à l’évidence préciser un certain nombre de mesures qui relevaient de la loi du 3 avril 1955. Cette dernière, si elle a été jugée conforme à la Constitution, pose quand même certains problèmes puisqu’elle confère le pouvoir de supprimer la possibilité de se réunir, de manifester ou d’organiser des spectacles – c’est-à-dire ce qui fait l’essence même d’une société démocratique.

Alors oui, monsieur le Premier ministre, il est nécessaire d’inscrire l’état de nécessité, ou « état d’urgence », dans la Constitution, et il est nécessaire de faire ce que vous-même et le garde des sceaux avez exigé, à savoir prévoir un contrôle par le Parlement des mesures prises par l’exécutif.

Fallait-il en revanche conserver la notion d’état de siège ? Très franchement, je ne le crois pas – et je voudrais essayer de vous en persuader. Si nous insérons un article 36-1, nous conforterons l’article 36, puisque nous inscrirons ces nouvelles dispositions à l’intérieur de ce dernier : ne pas modifier l’état de siège, cela revient à le conforter. Or qu’est-ce que l’état de siège ? C’est une notion qui renvoie à l’Ancien régime, lorsque tous les pouvoirs étaient donnés au responsable d’une société assiégée. Cela n’a plus rien à voir avec la vie actuelle. J’ai regardé quels étaient les pouvoirs en question : il s’agit de pouvoirs considérables, donnés à une seule personne. En outre – et c’est ce qui, en tant que juriste, m’inquiète fortement –, l’état de siège prévoit la suppression du pouvoir judiciaire au profit du pouvoir militaire : non seulement les pouvoirs civils sont transférés au pouvoir militaire, mais l’autorité judiciaire est confiée au pouvoir militaire, lorsque celui-ci le demande. Comment peut-on imaginer cela après que l’on a supprimé la Cour de sûreté de l’État et les tribunaux militaires des forces armées ? Cela ne correspond plus à rien ! Il faut donc supprimer cet article 36.

Je pense que grâce à ce qui a été inscrit dans l’article 2, ainsi que dans l’article 1er, l’union de la France et l’état de droit vont être confortés.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Alain Tourret. Simplement, il serait nécessaire de clarifier les choses. Si l’on avait prévu, non pas la déchéance de la nationalité, mais la déchéance des éléments de la nationalité, probablement aurait-on obtenu rapidement un accord au sein de cette assemblée.

Voilà pourquoi, monsieur le Premier ministre, si je juge que ce projet de loi constitutionnelle est bon, je pense qu’il mériterait d’être clarifié, en particulier pour ce qui concerne l’article 2 et le fait que l’on ne peut pas retenir les délits. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous entrons dans ce débat constitutionnel comme nous sommes entrés à Versailles ; nous entrons ici, aujourd’hui, conscients de ce que nous sommes : les représentants de la nation. Et comme à Versailles, nous devons, au moment où nous nous saisissons de ce texte, avoir les yeux mouillés par les larmes du 13 novembre. Même si le temps a passé, même si le son des cloches des églises s’est tu, même si nous n’entendons plus les pleurs des mères, même si l’abomination des corps fauchés dans leur jeunesse sur les trottoirs de Paris s’est éloignée, même si la politique a repris le dessus – les oppositions, les débats, la polémique –, la question, la seule question qui vaille, est de savoir si nous serons dans les jours qui viennent capables d’être à la hauteur de la nation rassemblée dans le deuil de ceux qui sont tombés sous le feu de Daech.

Pour être à la hauteur de la protection de la nation, nous allons constitutionnaliser l’état d’urgence et sanctionner les terroristes en les expulsant de la nation, quelle que soit l’origine juridique de l’acquisition de leur nationalité française.

Je parlerai aujourd’hui essentiellement de la déchéance. Un important débat s’est ouvert sur ce sujet. Toute personne qui s’exclut elle-même de la communauté nationale, qui commet un crime contre la vie de la nation, doit pouvoir être exclue de cette dernière.

Des conditions très précises ont été fixées : tout terroriste pourra être déchu de la nationalité française s’il a commis un crime contre la nation. Ces conditions, je le fais remarquer à ceux qui se sont exprimés sur ce sujet avec parfois un peu de laisser-aller, notamment ce matin, sont beaucoup plus restrictives que celles qui existent aujourd’hui ; elles permettront de cibler bien plus précisément ceux qui s’en prennent à la nation. La déchéance de nationalité ne doit pas être une peine ordinaire ; ce sera une peine prononcée par le juge, une peine individuelle qui répondra à des menaces ou à des actes extrêmement graves.

Nous, députés socialistes, avons considéré qu’il ne pouvait y avoir de différence entre les Français qui n’ont qu’une nationalité et ceux qui en ont plusieurs. Nous avons refusé la stigmatisation d’une partie de nos concitoyens. Le long travail mené par les députés socialistes, par le président Le Roux, par les présidents successifs de la commission des lois – celui qui est rapporteur du texte et celui qui est devenu garde des sceaux –, nous a permis de lever un certain nombre d’inquiétudes, et l’on peut dire aujourd’hui que la façon dont la question de la déchéance de la nationalité est abordée est désormais convenable, parce qu’elle n’établit aucune différence de traitement, que l’on soit Français depuis quinze ans ou depuis quinze générations. Et votre décision, monsieur le Premier ministre, de présenter au Parlement la ratification de la convention des Nations unies de 1961 sur l’apatridie, signée par le général de Gaulle au cœur de la guerre d’Algérie, nous permettra de compléter ce dispositif.

Ce sont les terroristes qui ont quitté la nation. Ce sont eux qui ont pris les armes, qui ont chargé les kalachnikovs, qui ont pressé les détentes, qui ont vu les corps s’abattre – et l’on imagine leurs cris, leurs rires, leur joie mauvaise. (Murmures sur plusieurs bancs du groupe écologiste.) C’est cela qui fait qu’ils se sont expulsés eux-mêmes de la nation. Et celui qui sera condamné par le juge à cette peine complémentaire le sera dans des conditions d’égalité entre tous les Français bien meilleures que celles qui prévalent aujourd’hui. Je le dis à ceux qui contestent ce fait – malheureusement ils sont partis : je ne les ai pas entendus dire que la déchéance de nationalité, telle qu’elle s’exerçait jusqu’à aujourd’hui, rendait les Français inégaux à raison de leur origine.

M. René Dosière. C’est vrai.

M. Patrick Mennucci. Je ne les ai pas entendu dire un mot sur le sujet depuis trois ans et demi que je siège dans cette Assemblée ! (Vives exclamations sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. Benoît Hamon. Ah bon ?

M. Sergio Coronado. N’importe quoi !

M. Pascal Cherki. Sophisme !

M. Patrick Mennucci. Et c’est au moment où le Gouvernement nous propose un texte qui clarifie complètement cette question que se réveillent ceux qui ont été silencieux pendant des années et qui ont découvert à l’occasion de ces malheureux événements que la déchéance de nationalité existait ! (Mêmes mouvements.)

Oui, chers collègues, l’acquisition du régime juridique sera désormais bien meilleure. Vous aurez permis, monsieur le Premier ministre, de faire avancer les droits sur cette question. Les Français seront encore mieux protégés, car vous avez décidé que ce sera au juge judiciaire de prendre cette décision, alors que ce n’était pas le cas jusqu’à aujourd’hui. Sans conteste, la constitutionnalisation de la déchéance protégera mieux les Français, grâce à l’intervention du juge judiciaire et à la clarification que vous apportez. C’est pourquoi le groupe socialiste votera cette réforme de la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.– Protestations sur d’autres bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. Pascal Cherki. Il n’y a pas de position commune du groupe sur le sujet !

M. Bruno Le Roux. Si, il y a une position de groupe ! Il faut s’informer – ou bien changer de groupe !

M. Alain Chrétien. Oh, oh… Il y a de la division dans l’air !

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues !

La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Je ne voudrais pas interférer dans les problèmes de la majorité…

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat que nous entamons aurait pu et aurait dû constituer un instant exceptionnel pour notre démocratie.

L’instant où la représentation nationale se penche sur sa conception de la nation dans sa loi fondamentale : une nation qui réunit et protège ceux qui adhèrent à nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ; une nation qui exclut ceux qui ont décidé de l’abattre, animés par le fanatisme, l’obscurantisme et la haine.

L’instant où la représentation nationale déclare sa volonté de combattre jusqu’au dernier les terroristes avec les armes de la République.

Hélas, depuis le Congrès de Versailles, vous avez abaissé à un niveau médiocre ce grand débat qui aurait dû élever la République. La France appelle à l’unité nationale : vous lui offrez la synthèse socialiste – ô combien difficile, nous venons de le voir !

Une fois de plus, une fois de trop sans doute, le Président de la République n’a pas été à la hauteur des enjeux. Le spectacle offert par ses calculs, par ses revirements, par ses arrière-pensées, a encore un peu plus abîmé la fonction qu’il occupe.

Monsieur le Premier ministre, j’ai envie, en cet instant, de vous demander de vous ressaisir !

Notre famille politique, avec l’esprit de responsabilité qui la guide depuis le début de cette législature dans le combat contre le terrorisme, a exprimé dès le 16 novembre une position claire. Oui, nous pensons qu’il est utile et sans doute nécessaire d’inscrire dans la Constitution l’État d’urgence, comme l’avait demandé le comité Balladur.

M. Jacques Myard. Avec raison !

M. Éric Ciotti. Cet état d’urgence a démontré son efficacité grâce à la mobilisation exemplaire de nos forces de l’ordre, qui sont en première ligne dans cette guerre que nous livrent les barbares islamistes, et auxquelles je veux rendre ici un hommage solennel.

Cet état d’urgence dont nous, nous que pouvons regretter qu’il n’ait pas été déclaré dès le 7 janvier 2015.

Nous pensons qu’il faut aller plus loin dans le retrait de la nationalité française à l’encontre de ceux qui portent les armes contre notre pays, à l’encontre de ceux qui professent la haine de la France, qu’ils soient criminels ou qu’ils soient délinquants. C’est ce qu’attend des parlementaires une écrasante majorité de nos concitoyens.

Le Président de la République a exprimé à Versailles sa volonté que les binationaux nés français puissent désormais, lorsqu’ils s’inscrivent dans ce parcours destructeur, être déchus de leur nationalité. Je soutiens cette position nouvelle, que je salue, qui marque un profond revirement dans la pensée présidentielle, revirement lucide et pertinent, opportun et courageux venant de ceux qui n’avaient trouvé de mot assez violent pour dénoncer le discours de Grenoble du Président Nicolas Sarkozy,…

M. Jacques Myard et M. Pierre Lequiller. Eh oui !

M. Éric Ciotti. …de ceux qui s’opposaient, ici même, à nos amendements visant à élargir la déchéance de nationalité – je pense à Bernard Cazeneuve m’accusant, le 16 septembre 2014, de vouloir instrumentaliser ce sujet à des fins politiques.

M. Patrick Mennucci. Il avait raison !

M. Éric Ciotti. Déchoir de leur nationalité ceux qui attaquent la France doit avoir une conséquence claire : pouvoir immédiatement les expulser vers un pays dont ils possèdent également la nationalité. C’est pour cette raison évidente que l’idée même de créer des apatrides constitue une incongruité juridique et une hypocrisie politique ! La déchéance de nationalité n’a de sens que pour expulser de notre territoire ceux qui sont condamnés pour les crimes et délits définis à l’article 2. Le reste relève de la combinaison et de la manipulation.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Éric Ciotti. Oui, monsieur le Premier ministre, je veux voter cette réforme car elle porte des idées que j’ai toujours défendues avec ma famille politique ; je veux voter cette réforme car elle exprimera la force de la nation contre ceux qui la combattent. Mais de grâce, ne dénaturez pas le débat ! La parole présidentielle prononcée au Congrès de Versailles le 16 novembre doit être scrupuleusement respectée, respectée sans retrait et sans ajout. Nous voulons le contenu du texte de Versailles du 16 novembre. Tout Versailles ! Mais rien que Versailles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, que de temps perdu, une fois de plus, à cause de grosses ficelles politiciennes alors qu’il serait grand temps de prendre enfin les décisions réclamées à cor et à cri par les Français : je pense notamment au rétablissement de nos frontières nationales, maintes fois promis, encore d’ailleurs le même jour que cette réforme constitutionnelle, suite aux événements du 13 novembre, mais qui n’a jamais été effectif.

Au lieu de cela, nous voici réunis parce que le Président de la République et son chef de Gouvernement ont décidé de gribouiller à la va-vite notre texte fondamental. Dans quels objectifs ? J’imagine pour tenter de rassurer nos concitoyens, légitimement inquiets de se voir dirigés par un gouvernement sous tutelle d’une Union européenne passoire où les flux migratoires ont atteint des records en 2015 ; et j’imagine aussi pour apaiser son aile gauche dogmatique en lui accordant quelques gages votés à la va-vite – une fois de plus – en commission.

Cette réforme constitutionnelle n’est qu’une perte de temps alors qu’il y aurait urgence à agir avec force et efficacité face à la menace terroriste grandissante. Pendant que le débat politique s’épuise depuis des semaines autour de ce texte, nous ne parlons plus de la suspension nécessaire de l’espace Schengen, nous ne parlons plus de la mise en place d’un consistoire pour les Français musulmans, nous ne parlons plus de la fermeture des mosquées salafistes officielles et officieuses, plus d’une centaine identifiées dans notre pays et dont une dizaine à peine ont été fermées… de façon temporaire. Nous ne parlons plus de la lutte contre le trafic d’armes par lequel se fournissent les terroristes sur fond de libre circulation des biens et des personnes.

Le comble est que votre réforme, présentée comme un moyen d’élargir le périmètre de la déchéance de nationalité aura, au contraire, pour conséquence directe la restriction du droit existant en la matière. En plus, il suffit d’observer la législation en vigueur pour en déduire que cette réforme est parfaitement inutile, ce qui semble avoir échappé au Gouvernement et à la majorité : oui, le code civil permet déjà de déchoir de leur nationalité des binationaux nés français.

M. Jacques Myard. C’est exact !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il s’agit des articles 27 et 23-8 relatifs à la perte de nationalité, de l’article 25-1 et de l’article 25 qui prévoit la déchéance pour les individus qui se sont livrés « au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ». Il aurait donc suffi d’une simple réforme législative pour en élargir l’application à certains autres cas de crime et délit.

M. Pascal Popelin. Lisez l’avis du Conseil d’État !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Or, la rédaction de votre article 2 rendra inconstitutionnelles les articles susmentionnés car ils permettent une déchéance sans condamnation alors que celle-ci deviendra dorénavant un préalable obligatoire pour un privé un Français de sa nationalité.

M. Pierre Lellouche. C’est exact !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Par ailleurs, votre objectif, dans le projet de loi à venir, est de réduire la déchéance à une peine complémentaire prononcée par le juge – qui pourra d’ailleurs se contenter de la seule privation des droits civiques. Une façon pour le Gouvernement de se laver de toute responsabilité en écartant la déchéance par décret. Quel manque de courage ! Un courage qui n’a d’ailleurs jamais été prouvé au regard des cinq déchéances prononcées depuis quatre ans, un nombre dérisoire, mais moins dérisoire, il est vrai, que celui des déchéances prononcées sous Nicolas Sarkozy.

Cette réforme aurait pu être nécessaire si elle avait eu pour objectif bien défini de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel en permettant la suppression des contraintes temporelles à la déchéance – je pense à la condition de commission du crime dans les quinze années suivant l’acquisition de la nationalité. Cela aurait été une mesure de bon sens et même d’équité alors qu’il n’y a pas de contrainte temporelle exigée entre le fait reproché et la perte de nationalité pour les Français nés français.

Ce débat ne peut pas éluder les entraves que pose aujourd’hui le droit européen dans la lutte contre le terrorisme. Une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, dont personne n’a parlé jusqu’ici,…

M. Pierre Lellouche. Si, moi !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …sanctionne l’expulsion des personnes déchues de leur nationalité au motif qu’elles pourraient subir des traitements inhumains ou dégradants dans leur pays d’origine. C’est pourquoi certains terroristes ont pu échapper à leur expulsion, tel le terroriste franco-algérien Djamel Beghal, caché au fin fond du Cantal et qui a ainsi pu apporter en son temps son aide aux frères Kouachi. Que compte faire le Gouvernement face à cette jurisprudence qui vide la déchéance de son utilité en empêchant l’expulsion ? Comptez-vous refuser de l’appliquer, monsieur le Premier ministre ? Permettez-moi d’en douter alors que cela fait bien longtemps déjà que le gouvernement français est incapable de faire valoir ses intérêts face aux instances européennes.

Si nous en sommes venus à voir de telles atrocités perpétrées sur notre sol et si nous débattons aujourd’hui de notre Constitution, c’est bien parce que quarante ans de déconstruction de notre code de la nationalité ont contribué à fabriquer des Français déconnectés de notre histoire, de nos valeurs, de notre identité : l’acquisition de la nationalité française n’est plus subordonnée à la renonciation de la nationalité étrangère, et puis il y a l’acquisition via le droit du sol, les naturalisations à tout va,…

M. Bernard Roman. C’est incroyable de dire ça !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …un communautarisme exacerbé que favorise l’immigration de masse.

C’est pourquoi, au vu de tout cela, monsieur le Premier ministre, nous ne voterons pas cette réforme constitutionnelle.

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce n’est pas un exercice banal d’être confronté à un projet de loi constitutionnelle. Ce n’est ni un projet de loi ordinaire, ni un projet de loi organique : il s’agit de modifier ce qui nous renvoie à notre histoire, la Constitution.

La première, cela a été rappelé ce matin, date d’avant la République – 1791. On évoque souvent le Serment du Jeu de Paume, lors duquel ceux qui étaient réunis avaient pris l’engagent de ne pas se séparer avant d’avoir donné au royaume une Constitution. Ce fut fait en 1791, deux ans après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et un an avant la Ire République. C’est fondateur. Et c’est consubstantiel de la définition que nous devons avoir de la nation, sachant la première fois que ce terme a été utilisé dans notre pays. En effet, si on se souvient de la phrase de Mirabeau prononcée aux États Généraux devant l’envoyé du roi – « Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes » –, on a oublié d’une remarque du député Bailly, disant au même envoyé royal : « La nation ici unie n’a de leçons à recevoir de personne. » C’était la première fois que la notion de nationalité était évoquée, et c’est sur cette base, en s’appuyant sur cette volonté qui a conduit à la République dans notre pays, que s’est fondée la notion de nationalité. C’est également sur celle-ci que s’est assise l’écriture de la première Constitution.

La Constitution a toujours eu les mêmes caractéristiques depuis la première jusqu’à celle de 1958, revisitée. Elle n’a pas été écrite en creux, mais faite, non pas pour retirer ou punir, mais pour donner des droits et affirmer des devoirs, pour protéger les libertés, pour organiser les pouvoirs. La Constitution a une vocation, c’est d’ailleurs étymologiquement ce qu’elle veut dire : rassembler et non pas exclure. On ne la modifie pas impunément. Et quand on lui donne une mission qui n’est pas la sienne, on prend le risque de rompre avec la tradition de la République depuis son origine.

M. Claude Goasguen. Mais non !

M. Bernard Roman. Or, l’article 34 de la Constitution de 1958 précise que « c’est la loi qui fixe les règles concernant […] la nationalité ». Je me pose dès lors comme d’autres la question suivante : y avait-il besoin de modifier la Constitution, au risque de l’altérer, pour y introduire la notion de déchéance ? À titre personnel, je ne le pense pas. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe Les Républicains.) Si j’insiste sur cet aspect de notre texte fondamental c’est parce que quand l’on fait la loi, il est toujours possible de penser qu’on pourra la modifier au gré de telle ou telle alternance, alors qu’une modification de la Constitution gravera pour des décennies dans le marbre de la loi la déchéance de la nationalité.

M. Claude Goasguen. Et alors ?

M. Bernard Roman. Le deuxième point que je souhaite évoquer, toujours à titre personnel, c’est la façon dont j’appréhende l’égalité de tous devant la loi. Dans son avis, le Conseil d’État rappelle que la nationalité est, dès la naissance, un élément constitutif de la personne. Je pense donc qu’elle fait partie de notre identité républicaine, de notre ADN républicain, et qu’il n’y a par conséquent qu’une seule catégorie de Français. Sur ce point, monsieur le Premier ministre, je me félicite des avancées réalisées par rapport texte initial ; je me félicite que vous ayez entendu les nombreux Français binationaux, représentés par des députés de tous bords, qui ont demandé à ne pas se sentir stigmatisés comme par la première rédaction qui nous avait été présentée. Je suis heureux que la nouvelle rédaction n’opère plus aucune distinction entre nationaux et binationaux. Je suis heureux aussi qu’il soit laissé au juge le soin de décider du niveau de la peine complémentaire. Mais ces avancées ne suffisent pas à effacer mes doutes car même si le terme d’ « apatridie » disparaît, on n’a pas le droit de mettre à mal la lettre et l’esprit de notre bloc de constitutionnalité.

M. Pascal Cherki. Bravo !

M. Bernard Roman. Je fais référence notamment à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui précise que la loi doit « être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il y a pour moi de ce point de vue une rupture difficile à accepter.

M. Benoît Hamon. Exact !

M. Bernard Roman. Troisième point et ce sera ma conclusion, monsieur le président : je sais que nous avons tous des approches différentes de la question, mais c’est la première fois que par la loi ou plutôt, plus grave encore, par la Constitution, on va s’autoriser – même si c’est par voie de justice – à retirer la nationalité française à quelqu’un qui l’a obtenue parce qu’il est né sur le territoire français.

M. Claude Goasguen. C’est faux !

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Bernard Roman. Je sais bien que ce sont des sauvages, mais le principe autorisant à enlever la nationalité à une personne née sur le territoire français…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et les naturalisations ?

M. Bernard Roman. …est pour moi une vraie rupture avec le droit du sol. Je sais bien qu’il y a la contradiction avec le principe d’égalité, mais je sais aussi que le droit du sol est un pilier de la République française…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Non, ce n’est pas vrai !

M. Bernard Roman. …et que je ne peux donc que réaffirmer qu’il m’est, à titre personnel, impossible de voter la déchéance de nationalité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, sur les bancs du groupe écologiste et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, cette révision est inutile. Cette révision est dangereuse.

Nous sommes de plus en plus nombreux à la combattre, à gauche et à droite, et je veux commencer par un mot sur mes collègues de l’opposition, mobilisés contre ce projet. On n’entendait que quelques voix en décembre. Puis, quelques mains se sont levées, début janvier, au bureau politique des Républicains. Et, quinze jours plus tard, vingt parlementaires, que je salue – notamment Guy Geoffroy, Jean-Jacques Guillet, Bernard Debré, ici présents – co-signaient une tribune qui proclamait que, non, la droite n’était pas unanime derrière ce texte. Aujourd’hui, c’est probablement une bonne moitié de notre groupe qui s’oppose au projet. Je veux saluer ici la sagesse et l’ouverture de notre président de groupe, Christian Jacob (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains), qui, prenant acte du débat qui animait les députés du groupe Les Républicains, a choisi, pour cette discussion, de distribuer un égal temps de parole à ceux qui combattaient la révision et à ceux qui la défendaient.

M. Pascal Cherki. Très bien ! (Rires.)

M. Jacques Myard. C’est la liberté !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je l’ai dit pour ma part en toutes ces occasions, et je le redis ici, cette révision est inutile, et elle est dangereuse. Inutile, car s’il est un sujet sur lequel tout le monde s’accorde, c’est bien qu’elle ne sert à rien. Ceux qui la combattent le disent franchement. Ceux qui la défendent le disent pudiquement. Cela s’appelle un symbole. La lutte contre le terrorisme, la défense de notre sécurité n’y gagneront rien. Simplement, rien. Inutile aussi, car, pour ceux qui souhaitent la déchéance de nationalité, comme pour ceux qui défendent l’état d’urgence, il n’est nul besoin de modifier la Constitution pour les mettre en œuvre. Tous les juristes s’accordent sur ce point. Finalement, c’est l’habileté politique, et seulement l’habileté politique,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. …qui vous conduit à nous proposer cette révision et à rechercher des alliances baroques pour en faire majorité. Mais parfois, l’habileté se retourne.

Inutile, donc, votre révision est aussi dangereuse, justement parce qu’elle est inutile. La France est en état d’urgence. Urgence de la lutte contre le terrorisme. Urgence économique, tant la situation est grave. Urgence sociale : chaque jour apporte une nouvelle grève, une nouvelle colère, un nouveau témoignage de désespérance. Oui, la France est en état d’urgence !

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Dans ce contexte, débattre des heures, des jours, des semaines d’un texte inutile, c’est donner une nouvelle preuve de la déconnexion des politiques.

M. Guy Geoffroy et M. Bernard Debré. Bravo !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le Premier ministre, il est dangereux d’opposer aux inquiétudes, aux difficultés et à la colère des Français, la seule habileté politique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Cette révision est dangereuse, enfin, parce qu’elle nous divise. La lutte contre le terrorisme requiert toutes nos forces et notre unité. Monsieur le Premier ministre, l’unité, vous y appeliez de cette tribune après les attentats de janvier 2015. Ce matin encore, vous avez réaffirmé que les Français demandaient « une unité sans faille » face au terrorisme. Vous n’avez eu de cesse de la réclamer. Alors pourquoi la dissoudre dans une réforme, de surcroît inutile ? Nous avons voté toutes les lois utiles pour la sécurité des Français. Toutes. Celle-ci est inutile. Elle ne nous renforce pas. Et, puisqu’elle nous divise, elle nous affaiblit.

Monsieur le Premier ministre, cette révision est un naufrage. Chaque nouvelle initiative se retourne contre vous. Incertain sur votre majorité début janvier, vous avez cherché le soutien des nôtres. Sur la binationalité, sur l’apatridie, sur l’extension de la déchéance aux délits, vous aurez dit tout et son contraire, en fonction des publics. Vous cherchiez à élargir vos soutiens. Vous n’avez fait qu’en perdre. Arrêtez les frais. On retiendra de ces débats que l’habileté politique ne gagne pas à tous les coups. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, pour la première fois de cette législature, nous sommes amenés à préparer l’exercice de notre rôle de pouvoir constituant. Il ne s’agit pas là d’un moment anodin. Nous nous apprêtons à fixer la règle de fonctionnement de notre République pour les temps à venir, au-delà de notre propre mandat actuel.

Je pense parler au nom de certains d’entre nous quand je dis que c’est avec une grande humilité et davantage de réflexions et d’interrogations que de certitudes que nous entrons dans ce moment de la vie publique nationale. Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation fait l’objet de plusieurs débats. Cela est légitime puisque ce texte, aussi bien par le moment difficile dans lequel il s’inscrit, que par son objet même, interroge ce que nous sommes et les valeurs que nous portons.

Le Premier ministre nous l’a rappelé : nous sommes en guerre. C’est une situation qui requiert des représentants que nous sommes de nous hisser à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens. Il nous faut trouver l’équilibre pour doter les pouvoirs publics et le Gouvernement des moyens d’agir, pour contrer la menace qui nous fait face et qui nous a déjà durement frappés.

Il nous faut, dans le même mouvement, le faire « dans le respect de nos valeurs et sans rien perdre de ce que garantit l’État de droit », selon les mots du Président de la République prononcés à Versailles devant le Parlement réuni en Congrès. C’est cette double exigence qui doit nous animer, parce que nous sommes des républicains et des démocrates sincères. C’est cette double exigence qui doit nous conduire, à mon sens, à approuver la constitutionnalisation de l’état d’urgence par l’article 1erdu projet de loi.

L’inscription dans la Constitution de cet outil offre davantage de garanties que ne pourra jamais le faire la loi qui, jusqu’à présent, l’organisait et que nous avons été amenés à réformer au mois de novembre dernier. L’état d’urgence est et doit rester un état exceptionnel, un état répondant à une crise au sens étymologique du terme, c’est-à-dire une période appelant des décisions et des choix. L’inscription constitutionnelle le marque de ce sceau de l’exceptionnalité, que nous souhaitons tous lui conférer. L’état d’urgence s’inscrira donc désormais, à côté de l’état de siège et de la procédure de l’article 16 de la Constitution, comme l’un des outils de réponse à une crise majeure.

Le travail en commission, qui sera présenté en séance, nous permet d’encadrer son exercice, notamment par le contrôle parlementaire dont nous avons pu observer ces derniers mois toute l’utilité. Je veux en profiter pour saluer la qualité et l’exigence du travail réalisé à ce titre par Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson. À la constitutionnalisation du contrôle parlementaire, il nous faudra ajouter l’impossibilité d’une dissolution et le droit du Parlement à siéger pendant la durée de l’état d’urgence.

Il me paraît aussi souhaitable que le texte d’application que nous aurons à voter par la suite soit une loi organique, comme le préconisait le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la VRépublique dans son rapport de 2007 et comme plusieurs voix l’ont exprimé en commission des lois.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Ainsi encadré, l’état d’urgence présentera le niveau maximal de garanties.

L’article 2, relatif à la déchéance de nationalité, n’est pas revêtu de la même évidence. Cela tient probablement à la façon dont nous sommes entrés dans ce débat. Une majorité d’entre nous approuvent la volonté de marquer le fait que ceux qui choisissent de porter les armes contre la France et d’atteindre notre pays dans sa chair ne sauraient rester partie prenante de notre communauté nationale. Par la monstruosité de leurs actes, ils s’en excluent d’eux-mêmes.

Ce point ne fait pas débat quand bien même chacun est conscient du caractère anecdotique de la mesure en termes de prévention et de dissuasion. Le projet de loi constitutionnelle tel qu’il a été présenté par le Gouvernement instaurait une déchéance de nationalité limitée aux binationaux nés en France. Il ne me paraissait pas souhaitable – c’est là une question de principe – d’instaurer dans notre texte fondamental une distinction fondée sur la façon dont les uns ou les autres sont devenus Français. Ce serait introduire encore une rupture d’égalité alors que nous affirmons dès l’article 1er  de la Constitution que la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens.

Il me paraît évident et juste de sanctionner un terroriste en fonction de la nature du crime qu’il a commis et non en fonction de son origine. Aussi, la nouvelle rédaction proposée par le Gouvernement est plus équilibrée puisqu’elle n’ouvre plus dans le marbre de notre texte fondamental une brèche au principe d’égalité. La question, ensuite, des modalités pratiques d’application de la déchéance de nationalité restera en bonne partie entière à l’occasion de l’examen du texte législatif d’application de la réforme constitutionnelle dont nous débattons, quand bien même nos débats se nourrissent aussi de son anticipation.

Je constate le chemin parcouru et veux dire mon approbation des grands équilibres, tels qu’ils ont été présentés par le Premier ministre, à la fois devant la commission des lois la semaine dernière et depuis lors. Il en va ainsi de la judiciarisation de la sanction, dont le rapporteur a souligné qu’elle permettait de rappeler que les actes terroristes sont des crimes. Il est alors logique de judiciariser également l’autre sanction prévue par l’article 2, c’est-à-dire la déchéance de nationalité. Toute mesure de déchéance, quelle qu’elle soit, doit être une peine complémentaire, imposée par le juge judiciaire. Reste la question de l’opportunité de laisser ouverte ou non la possibilité de déchoir de leur nationalité des Français mononationaux, donc de créer des apatrides.

Sans renoncer aucunement aux objectifs auxquels la France a souscrit en signant la Convention de 1954 ainsi que la Convention sur la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961, notre pays doit se laisser cette possibilité, pour les cas exceptionnels, qui sont visés par la déchéance de nationalité, lors de crimes ou délits constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Il nous est permis d’exprimer des réserves sur ce point spécifique lors de la ratification de la Convention de New York, dans laquelle nous nous sommes engagés.

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. L’équilibre ainsi obtenu me paraît plus raisonnable et mesuré et j’appelle mes collègues à s’y rallier. La Nation a besoin d’être rassemblée. Alors que nous poursuivons ce débat solennel et qui prête à l’humilité et à la responsabilité, il est sans doute approprié de nous laisser guider pendant nos discussions par les mots du regretté Guy Carcassonne : « Une bonne constitution ne peut suffire à faire le bonheur d’une nation. Une mauvaise peut suffire à faire son malheur. »

M. David Habib et M. Jean-Jacques Bridey. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, en quittant le fauteuil que j’occupe dans cet hémicycle et qui, jadis, fut celui du grand Michel Debré, je m’interrogeais sur tous les propos que j’ai entendus, en particulier ceux qu’a tenus, il y a quelques minutes, le porte-parole du groupe majoritaire. Il disait, en effet, que la version initiale du projet de loi constitutionnelle n’était pas convenable.

Qu’est-ce qui n’était pas convenable ? Les propos qui avaient été tenus par le chef de l’État à Versailles, le 16 novembre dernier, où il affirmait que la déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride. Voilà les propos du Président qui expliquent notre présence aujourd’hui et dont le porte-parole du groupe majoritaire nous a dit tout à l’heure qu’ils n’étaient pas convenables.

Convenez, monsieur le Premier ministre, qu’il y a manifestement de quoi s’interroger ! Et, au moment d’engager une révision constitutionnelle, la première interrogation qui nous vient est la suivante : cette révision est-elle indispensable ? Est-elle de surcroît conçue et rédigée de telle manière qu’elle soit compréhensible, applicable et interprétable de façon non sujette à des difficultés ultérieures ? À ces questions je réponds par la négative, en toute conscience et après avoir, comme nous tous, beaucoup réfléchi à ce sujet.

Cette révision n’est pas indispensable, et, de surcroît, elle est rédigée et présentée dans des conditions qui mènent à trop d’incertitudes, à trop de dangers, sur lesquels nombre d’entre nous ici, en conscience, ont fait ce constat qu’il fallait en empêcher la mise en œuvre.

Avec ce projet de loi constitutionnelle, monsieur le Premier ministre, vous prétendez protéger la Nation.

M. Claude Goasguen. La Nation ou la nationalité ?

M. Guy Geoffroy. Qui peut vous croire ? S’il suffisait de réviser la Constitution, d’inscrire dans ce texte fondamental l’état d’urgence, pourquoi pas – avec les limites et les réserves qui ont été formulées antérieurement. Mais cela se saurait s’il fallait, pour protéger la Nation, y inscrire également la déchéance de nationalité, qui y figure déjà – je vous le démontrerai aisément tout à l’heure.

Non, la Nation ne sera protégée que si la détermination du corps politique tout entier est réunie autour de vraies mesures, consensuelles et efficaces, pour la protéger complètement, ce que votre texte ne permet absolument pas.

Je consacrerai l’essentiel du temps qui me reste à parler de l’article 2. Vous prétendez donc qu’il est nécessaire d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution, pour protéger la Nation. L’article 34 dispose que « la loi fixe les règles concernant […] la nationalité » et, plus loin, que « la loi détermine les principes fondamentaux[…] de la libre administration des collectivités locales ».

Cela fait apparaître une vraie différence. Dans certains cas, la loi est chargée de fixer les règles fondamentales, avant que le règlement ne se charge du reste. Dans le cas de la nationalité, la loi est compétente pour l’intégralité du domaine, qu’il s’agisse de son acquisition ou de sa perte. Il n’y a donc pas besoin d’être plus clair que ce texte limpide, simple et compréhensible par tous.

C’est pourquoi je peux affirmer tranquillement que ce qui nous est demandé aujourd’hui, c’est d’habiller la volonté présidentielle, de faire droit à son caprice et à ses atermoiements (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)…

M. Christophe Castaner. Scandaleux !

M. Guy Geoffroy. …pour donner à l’opinion publique un leurre de plus, celui qui permettrait de croire que l’Assemblée nationale et le Parlement tout entier ont trouvé la botte secrète, la solution pour protéger la nation grâce à sa Constitution.

Monsieur le Premier ministre, dans les studios Solférino on tourne les scènes d’intérieur, quand aujourd’hui nous jouons dans les scènes d’extérieur d’un mauvais film, dont le titre est « Il faut sauver le soldat Hollande ». (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bruno Le Roux. C’est nul !

Mme Laurence Dumont. Ce n’est pas à la hauteur du débat !

M. Guy Geoffroy. Ne comptez pas sur moi, monsieur le Premier ministre, ni sur un nombre important de parlementaires de droite et de gauche pour être les figurants de ce film,…

M. Bruno Le Roux. Il y a les soldats et les planqués, monsieur Geoffroy !

M. Guy Geoffroy. …pour être ceux qui permettront de mettre un terme aux caprices, aux atermoiements, aux incertitudes et à la confusion nés de l’engagement pris le 16 novembre, que vous contestez tous aujourd’hui. Je ne serai pas de ceux-là ! Monsieur le Premier ministre, en conscience et avec la certitude que mon propos rejoint la pensée de beaucoup d’entre vous, notamment sur les bancs de la majorité, je ne voterai pas ce projet dit de révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Le Roux. Planqué !

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons participe d’une réponse globale à cette menace diffuse et malheureusement devenue permanente qu’est le terrorisme. Il y a donc à l’origine de ce texte un contexte fort et dramatique. Cette réponse, c’est le chef de l’État qui en est à l’origine, au lendemain des graves attentats de novembre 2015 qu’a connus notre pays.

La réforme constitutionnelle a deux versants : constitutionnaliser le dispositif de l’état d’urgence, en l’encadrant ; inscrire dans la Constitution une mesure juridique de rupture avec les criminels qui commettent ces actes ou y contribuent. C’est le Président qui a inspiré cette réforme et l’a proposée devant le Congrès, réuni pour entendre son message, même si c’est juridiquement le Premier ministre qui la porte devant nous aujourd’hui.

Sous la VRépublique, il existe deux grands pouvoirs élus au suffrage universel direct : le Président de la République et l’Assemblée Nationale. La pratique constitutionnelle et politique fait du chef de l’État, depuis le début des années 1960, le mandataire de la nation entière. Elle le place sur un registre différent et indépendant, garant de l’unité de la nation devant le peuple qui l’élit. Il s’agit d’un constat, pas d’un jugement. La réforme proposée est une illustration de cette légitimité politique augmentée dont il est le dépositaire. Le Parlement doit en tenir compte.

Je fais partie des députés qui se sont interrogés sur la portée de ces propositions. Je fais partie des députés qui pensent qu’à plusieurs on est meilleurs que tout seul et qui veulent comprendre. Guy Carcassonne disait qu’un bon député n’est pas un député spécialiste, mais un député capable d’étonnement et d’interrogation. Face à un projet qui inscrit l’état d’urgence et le principe d’une sanction dans le texte de la Constitution, j’ai voulu comprendre.

J’ai d’autant plus voulu comprendre que j’ai une double nationalité et que je viens d’un pays qui a rejoint l’Europe, après avoir sombré sous le joug de ceux qui prétendaient le sauver. Je fais partie des députés qui ont souhaité une convergence entre l’exécutif et la majorité des députés, à la condition d’un effort de clarté et de garanties.

Concernant l’état d’urgence, il n’était pas inéluctable de le prévoir dans le texte au sommet de notre hiérarchie des normes. Mais, suite aux améliorations apportées par les amendements votés par la majorité, son inscription offre des garanties qui n’existaient pas avant, notamment grâce à son encadrement par le biais du vote et du contrôle parlementaires, ce qui est très positif. C’est notamment le Parlement qui établira les mesures de police administrative pouvant être prises par l’autorité civile. C’est le Parlement qui, par son vote, déterminera la durée maximale de son application.

S’agissant de la déchéance de nationalité, mesure ô combien discutée dans l’opinion et au sein de notre assemblée, je crois utile de rappeler quelques éléments. Cette sanction existe déjà dans notre droit, ainsi que dans des formes analogues à l’étranger. Il est à noter que, lors de la discussion parlementaire, en 2010, sur le projet de loi devenu la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, un amendement avait été discuté qui visait à faire encourir la perte de nationalité en cas de crime contre un agent public dépositaire de l’autorité publique.

Les députés socialistes avaient alors rappelé que si le législateur et le Conseil constitutionnel avaient, dès 1996, accepté une extension pour faits de terrorisme, c’était en raison de la nature particulière de ces actes qui manifestent clairement l’intention de ceux qui les commettent, non seulement de se placer en dehors de la République, mais de se poser en ennemi de la République. Autrement dit, le débat a déjà eu lieu.

Ce qui est nouveau, c’est l’introduction d’une référence à la perte de nationalité dans la Constitution. Ceci aurait pour effet de sanctuariser les conditions de cette déchéance, à la suite du Conseil constitutionnel, et d’empêcher une extension hors du cadre des atteintes les plus graves faites à la République. Cette inscription purgerait en quelque sorte le risque de voir l’extension de la sanction demandée pour des motifs n’ayant plus de lien avec l’atteinte grave à la vie de la nation.

Parallèlement, notre assemblée a fait évoluer le projet initial. Le texte amendé ne fait plus référence aux binationaux. Le mot même était un point de départ possible pour de nouveaux débats sur l’existence d’un lien qui, en aucun cas, ne permet de juger d’une différence de comportement à l’égard de notre pays. Le Premier ministre a, par ailleurs, pris l’engagement que notre pays ratifie les traités visant à prévenir l’apatridie.

M. le président. Il faut conclure, chère collègue.

Mme Marietta Karamanli. J’insisterai pour finir sur la nécessité que nous avons d’exercer demain notre vigilance sur la façon dont la loi normale ou habituelle appliquera le principe voté, en fixant strictement le cadre et en précisant les garanties fondamentales et indispensables. Je voterai ce texte. Notre capacité à délibérer fait la grandeur de notre assemblée.

Dans un remarquable essai, Nicolas Roussellier montre que c’est bien cette force de délibération qui est au fondement de nos grandes lois républicaines, celles qui perdurent et que trop souvent on perd de vue, en cédant à la fascination pour la concentration du pouvoir, telle qu’elle résulte de notre Constitution. La discussion parlementaire va continuer après le vote de notre assemblée, devant le Sénat, avant de revenir. Nous exercerons encore notre devoir de vigilance, de proposition et de nécessaire convergence avec l’exécutif en notre qualité de députés responsables et vigilants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a une unité de temps, un continuum, entre le discours prononcé par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre et aujourd’hui, car le contexte est le même. Il impose gravité, responsabilité et lucidité. Il impose surtout l’exigence de l’unité. La menace est présente, plus forte que jamais, installée dans la durée. C’est pour cela que notre État de droit doit se doter des armes juridiques et démocratiques adaptées au combat.

C’est pourquoi le projet de loi constitutionnelle entend consolider et sécuriser le cadre juridique applicable à l’état d’urgence. D’aucuns disent que ce serait inutile, voire dangereux. Est-il dangereux d’écrire que l’état d’urgence ne peut avoir qu’un caractère exceptionnel et limité dans le temps ? Ou d’écrire qu’il sera tout entier soumis au contrôle du juge et du Parlement, sans que l’Assemblée ne puisse être dissoute pendant sa durée ? C’est évidemment tout le contraire. L’article 1er garantit, même dans les situations les plus exceptionnelles, le respect de nos principes démocratiques, dont le juge et le Parlement seront les gardiens.

Quant à l’article 2 qui a suscité, bien légitimement, tant de débats, sa version initiale ne pouvait recueillir notre adhésion, car elle se heurtait à l’article 1er de notre Constitution. Sa rédaction devait évoluer pour garantir le respect du principe d’égalité des citoyens devant la loi et, au-delà, celui de l’unité du peuple français dont la République tire son caractère indivisible. Ces garanties sont aujourd’hui offertes par la nouvelle rédaction que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre, et nous vous en remercions.

S’agissant du texte constitutionnel, mais aussi de ses prolongements législatifs, l’article 2 permettra qu’une peine, et non plus une décision administrative, soit prononcée par un juge, et non plus par un ministre, au terme d’un débat contradictoire, entouré de toutes les garanties procédurales qu’offre notre démocratie. C’est donc un juge qui prendra sa décision, au nom du peuple français. Cette peine visant à déchoir un individu de sa nationalité ou des droits qui y sont attachés pourra concerner tous les terroristes – car il ne s’agit bien que d’eux – français, qu’ils n’aient que cette nationalité ou qu’ils en aient également une autre.

Ce texte est désormais en pleine conformité avec l’ensemble de nos principes constitutionnels et le droit international applicable, en particulier avec la convention internationale de 1961, sur la réduction des cas d’apatridie. Au troisième paragraphe de son article 8, il est prévu des cas exceptionnels d’apatridie pour les auteurs d’actes portant atteinte aux intérêts essentiels de l’État. La France s’engage aujourd’hui à ratifier cette convention qui a été signée sous la présidence du Général de Gaulle et le gouvernement de Michel Debré.

Je ne crois pas que l’on ait, à l’époque, osé convoquer les heures sombres de Vichy, pour dénoncer la signature apposée par le gouvernement du héros de la France libre. Il ne s’agit pas de renier le principe fondamental auquel nous sommes attachés selon lequel chaque individu a droit à une nationalité, mais d’accepter que, dans le cas très exceptionnel des terroristes, on puisse déroger à ce principe. On imagine mal comment ceux qui, à la droite de cet hémicycle, alors qu’ils se disent les héritiers du Général de Gaulle, pourraient aujourd’hui rejeter ce que lui-même acceptait hier.

En définitive, cet article 2 est un message que la France adresse à ses quelque 8 000 enfants qui, mus par une logique mortifère, s’engagent sur un chemin de rupture avec ses valeurs humanistes. Nous n’adresserions ce message qu’à certains d’entre eux, qu’à ceux qui ont une autre nationalité que la nationalité française. Au contraire, ce message s’adresse à tous. Il rappelle qu’être Français ne vient ni du ciel, ni du sol, ni du sang, car le lien qui unit les membres de la communauté nationale, c’est un lien contractuel. Être Français, c’est un acte de volonté, c’est un consentement de chaque instant, c’est, pour citer Ernest Renan, « le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ».

M. Razzy Hammadi. Excellent !

M. Sébastien Denaja. Porter atteinte aux intérêts de la vie de la nation, c’est rompre ce pacte. Tel est le sens profond de ce texte : réaffirmer notre attachement à la vie, à la vie d’une nation libre, ouverte, généreuse, tolérante et bienveillante. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président et rapporteur de la commission, chers collègues, devant le Congrès, le Président de la République affirmait à la fois la volonté de résistance de la nation et la détermination de l’État à se montrer intraitable avec les nouveaux ennemis de la République. Chacun doit bien prendre conscience que notre pays est en guerre contre le terrorisme djihadiste : il doit donc se doter de tous les moyens pour la mener et la gagner.

Non seulement la menace ne faiblit pas, mais mercredi dernier Europol nous avertissait que Daech préparait de nouvelles attaques en Europe, ciblant tout particulièrement la France. Un rapport vient de dévoiler que le nombre d’individus radicalisés sur notre territoire avait doublé en un an, atteignant le chiffre record de 8 250.

Ce projet de révision constitutionnelle, malgré son élaboration confuse – c’est le moins qu’on puisse dire –, m’apparaît néanmoins comme un outil supplémentaire pour mieux traiter ce fléau.

M. Bernard Debré. Ce n’est pas un outil !

M. Philippe Goujon. L’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution, comme le recommandait le comité Balladur dans son rapport de juillet 2007, conférera aux pouvoirs publics une légitimité renforcée afin d’agir conformément à l’État de droit contre le terrorisme, lorsque les conditions de l’état de siège ou du recours aux pouvoirs exceptionnels de l’article 16 – qui, eux, figurent d’ailleurs dans la Constitution bien qu’on n’y ait pour ainsi dire jamais recours – ne sont pas réunies.

Je regrette néanmoins que le Gouvernement ait cru devoir limiter à quatre mois la durée maximale de l’état d’urgence, alors même que nous nous apprêtons à voter sa prolongation à six mois depuis le 13 novembre et qu’il peut y être mis fin par un simple décret. Que d’incohérences !

Le fondement constitutionnel donné ainsi à l’état d’urgence, dont les sages du Palais-Royal avaient, il est vrai, reconnu la conformité à la norme suprême en 1985 lors de son application en Nouvelle-Calédonie, tout comme ils ont repoussé les questions prioritaires de constitutionnalité portant sur sa mise en œuvre – perquisitions administratives et assignations à résidence notamment –, permettrait néanmoins, et cela me paraît essentiel, de prévenir tout risque de censure ultérieure en raison de changements de droit ou de fait, comme ce fut le cas pour le régime de la garde à vue.

S’agissant de l’article 2, il est totalement légitime de déchoir de sa nationalité un individu coupable d’actes terroristes, qui a déchiré le lien qui l’attachait à la Nation. Renan définissait l’appartenance à la Nation, on le sait, comme « un plébiscite de tous les jours ». Ceux qui prennent les armes contre elle s’excluent d’eux-mêmes de la communauté nationale.

Vous vous êtes finalement ralliés aux propositions de notre groupe, que vous étendez même, conformément à notre souhait, aux délits d’atteinte grave à la vie de la Nation. Aux facilités qu’aurait pu présenter l’inscription de cette mesure dans une loi ordinaire répondent les limites apportées à son universalité par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui la cantonne aux naturalisés depuis moins de quinze ans, et par l’avis du Conseil d’État, favorable à une réforme constitutionnelle rendant juridiquement inattaquable le dispositif.

À des lois d’application dont la présentation varie encore au gré des discours ministériels, j’aurais préféré la fiabilité juridique d’une loi organique. Un débat des plus vifs, d’ailleurs transpartisan, a porté sur la distinction initialement opérée entre binationaux et nationaux, finalement abolie par un énième amendement gouvernemental. Malgré les tergiversations du Gouvernement comme de sa majorité dont ce texte a été le reflet, ce qui n’a pas contribué à sa lisibilité,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Assurément !

M. Philippe Goujon. …je considère, pour ma part, que la formulation retenue est plus acceptable symboliquement, sur le plan de l’égalité devant la loi de tous les citoyens, et juridiquement, dans la mesure où elle ne fait qu’universaliser une peine qui existe déjà dans le code civil.

M. Patrick Mennucci. Très bien !

M. Philippe Goujon. Quant à l’argument d’une éventuelle non-conformité aux conventions internationales sur l’apatridie, quand bien même la France les ratifierait, la réserve de l’article 8, paragraphe 3, à laquelle elle a souscrit, permet déjà de rendre un individu apatride lorsqu’il a porté un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est exact.

M. Philippe Goujon. La nouvelle peine complémentaire prononcée par le juge judiciaire que vous substituez à la sanction administrative est certes plus protectrice des libertés, mais elle risque d’être dépourvue de portée opérationnelle. Or, elle permettrait quand même d’éloigner définitivement de notre sol avec interdiction de retour ceux qui menacent la Nation.

En l’état actuel de nos débats, et sous réserve de nouveaux atermoiements gouvernementaux, ce qui peut toujours arriver, messieurs les ministres,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Oh !

M. Philippe Goujon. Ce texte nous y a un peu habitués, mon cher collègue !

Cette réforme, donc, me paraît justifiée à la fois juridiquement et pour le symbole qu’elle incarne. Elle est aussi, ne le négligeons pas, une manifestation très forte, vis-à-vis de l’opinion nationale et internationale, de la détermination de la France à mener une guerre sans merci contre le terrorisme.

M. Patrick Mennucci. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons toujours été clairs, monsieur le député.

M. le président. La parole est à M. Malek Boutih.

M. Malek Boutih. Le débat que nous avons depuis ce matin est, je pense, de bonne tenue et de bon niveau politique, tant sont nombreux les arguments et les convictions qui s’y déploient. Pour ma part, tout en respectant toutes les opinions exprimées, ici ou ailleurs, à propos de ce fameux article 2 consacré à la déchéance de nationalité, je souhaiterais formuler différentes remarques.

Sur la forme, tout d’abord, se poser en avocat des binationaux pour justifier ses propres positions me semble être un exercice un peu « limite ». En effet, les opinions de la très grande majorité de ces Français que l’on dit binationaux se partagent à peu près dans les mêmes proportions que celles des autres Français. Ils ne sont pas différents. Beaucoup d’entre eux, comme l’essentiel des Français, veulent que la Nation soit protégée.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Malek Boutih. On a le droit de défendre des arguments, mais on n’est pas obligé de se cacher derrière les autres pour les assumer ! (« Très bien ! » sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe Les Républicains.)

Ensuite, je crois que la responsabilité politique suppose une pensée dynamique. Si l’on observe la situation, on voit bien que le débat politique, dans sa réaction face à ce qu’on appelle le terrorisme – ce fascisme, ce nouveau nazisme ! –, n’est plus le même qu’avant les attentats de janvier, et encore moins qu’avant ceux du 13 novembre. Nous devons donc nous demander où nous en serons dans quelques mois. Avant de prendre une décision fondée sur des convictions, il nous faut réfléchir politiquement. Or, si ce débat donne lieu à l’expression de nombreuses nuances juridiques et éthiques, sachez bien que, politiquement, la situation va se durcir.

M. Jacques Myard. Oui !

M. Malek Boutih. En réalité, il ne restera que deux positions : d’un côté, les républicains, de l’autre, les identitaires. L’intervention de la députée Marion Maréchal-Le Pen vous l’a d’ailleurs prouvé : pour elle, ce n’est pas suffisant ; pour elle, rien ne sera suffisant dans la République, parce qu’elle ne partage en rien, et c’est son droit, nos convictions sur ce qui fait qu’on est un Français.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Excellent argument !

M. Malek Boutih. Il faut donc assumer une position dynamique. On a le droit de réfléchir, bien sûr, mais le législateur, qui porte la souveraineté nationale, a parfois la responsabilité d’agir.

La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, répète-t-on. Je ne partage pas ce point de vue. Pour les démocraties et pour notre époque, la guerre constitue une période exceptionnelle et extrêmement compliquée. Dans ce combat-là, nous devons être en situation de prendre des décisions fortes pour défendre la République. Il faut donner à notre pays sa force essentielle, qui est, comme l’a dit le Premier ministre, son unité. On voit bien que nos ennemis cherchent à exploiter toutes les fractures au sein de notre communauté nationale. Et l’on ne peut taire la part que prend, dans la dynamique de recrutement des djihadistes, le sentiment de non-appartenance nationale qui anime nombre de ces jeunes, y compris, même si cela peut paraître paradoxal, ceux que l’on dit « Français de souche » – expression du reste dépourvue de sens et de vérité scientifique, qui ferait de moi, qui ai toujours été français, un « Français de souche ».

Il faut donc agir avec force. Il faut sortir de la République ceux qui veulent l’assassiner.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. Malek Boutih. Mais, de l’autre côté, il faut maintenant y faire entrer de plain-pied tous ceux qui veulent la défendre et tous ceux qui veulent bien y vivre. Oui, nous avons besoin des François, des Amir, des Salif ou des Olivia. Ils doivent se sentir partie prenante d’un bloc fort qui vaincra nos ennemis.

M. Razzy Hammadi. Très bien !

M. Malek Boutih. La suite de ce texte, la suite de ce débat qui s’impose à l’ensemble des républicains car c’est une guerre longue que nous allons connaître, consiste à faire naître une nouvelle République. Retenons la leçon de Nelson Mandela et ouvrons un vrai débat autour de ces enjeux. Que chacun vide son sac, dise ce qu’il a à dire, expose ses craintes et ses peurs, pour construire une nouvelle nation française rassemblée dans le XXIe siècle ! Cela suppose, et je l’assume, que l’on aille très loin, que l’on prenne des mesures très fortes en matière de lutte contre les ghettos, d’émancipation des femmes, de défense de la laïcité. Et, dans un geste ultime de rassemblement et pour marquer notre fierté de nos travaux, pourquoi ne pas trouver de nouveaux symboles républicains ? Que ce ne soit pas seulement un sang impur abreuvant nos sillons, mais aussi nos couleurs qui défendent et qui rassemblent la Nation ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe Les Républicains.)

Mme Ericka Bareigts. Excellent ! Très bien !

M. Patrice Carvalho. Je ne renierais pas cette proposition !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pas vous, monsieur Carvalho ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités par le Président de la République et le Gouvernement à apporter une partie de notre réponse collective aux agressions dont nous sommes la cible. Cette réponse, de niveau constitutionnel, vient compléter la réponse législative ordinaire, l’action quotidienne de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, ainsi que l’engagement de nos forces armées dans le monde, et maintenant sur le territoire national, pour la même cause.

Que voulons-nous faire ? D’abord, donner à l’État de droit les moyens de lutter efficacement contre des ennemis déclarés de la Nation, des ennemis d’un genre nouveau. Mais aussi manifester notre attachement inébranlable à la devise républicaine, « Liberté, égalité, fraternité », et notre volonté de lui maintenir tout son sens sur l’ensemble du territoire de la République.

L’ampleur du défi qui nous est lancé par les barbares devrait nous obliger, par l’unité nationale, à apporter une réponse forte, digne, claire, qui évite tous les écueils ou amalgames – et les semaines qui viennent de s’écouler nous ont montré qu’ils sont nombreux !

Protéger la Nation contre ces ennemis d’un genre nouveau suppose qu’on les regarde et qu’on les nomme sans faiblesse. Ce sont des personnes qui, des trois piliers de la devise républicaine, méconnaissent la liberté et sont impénétrables à la fraternité. S’associant à un projet de destruction de la Nation, tuant aveuglément des individus, français ou non, ils s’écartent de la fraternité, de l’humanité même, et ils méritent d’être dénommés terroristes. Ciblant dans leurs tueries des symboles de notre mode de vie, voulant empêcher des personnes de choisir librement leur manière de vivre, ils entravent le vivre ensemble et combattent la liberté. S’associant dans ces projets à des groupes extérieurs, fussent-ils non étatiques, ils sont des traîtres à la Nation.

Qu’ils commettent ces actes en allégeance à un groupe terroriste qui se réclame d’une conception erronée de l’islam nous conduit à les dénommer terroristes islamistes ou djihadistes. En disant cela, nous ne les confondons pas avec l’immense majorité des musulmans du monde, qui sont tout aussi victimes que nous de cette barbarie, en Syrie, en Irak, mais aussi en Tunisie, au Mali, en Indonésie et partout ailleurs.

M. Jacques Myard. Très juste !

M. Ibrahim Aboubacar. La multiplicité, la diversité des leurs cibles et de leurs victimes sur tous les continents est un élément supplémentaire d’appréciation des vraies intentions de ces barbares.

Nous répondons également par des actes qui permettent d’éviter les amalgames, en clarifiant les choses en quelque sorte jusqu’au bout – telle est la portée de l’article 2 –, ce qui est nécessaire à l’égard de criminels qui, par leurs actes, montrent qu’ils n’hésiteraient pas à déchirer le sein de leur mère. C’est pourquoi nul musulman, et d’ailleurs nul autre croyant qui vit paisiblement sa foi, ne doit se sentir visé par notre action, bien au contraire !

Mais voilà que l’une des mesures proposées, la déchéance de la nationalité pour ces terroristes, a déclenché une controverse au sujet de l’égalité de traitement des citoyens devant la loi. Un débat pénible, quoique noble, s’est ensuivi. La convocation du principe d’égalité dans ce débat et la façon dont il est traité ne doivent pas nous faire oublier que l’argument pourrait laisser des traces sur son application à d’autres considérations dans l’avenir. Car nul n’a eu la volonté de contrevenir à ce principe. Et, jusqu’à présent, il était admis par le Conseil constitutionnel que le principe d’égalité ne s’opposait pas à ce que soient traitées différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

M. Jacques Myard. Tout à fait !

M. Ibrahim Aboubacar. L’existence de plusieurs voies pour devenir français ne crée pas pour autant différentes catégories de Français. Tout au plus a-t-elle pour conséquence que des personnes peuvent se trouver dans des situations différentes et avoir éventuellement plusieurs nationalités si tel est leur choix par ailleurs. Considérer que le projet gouvernemental constitue une atteinte au principe d’égalité, alors même que le Conseil d’État pense qu’il n’en est rien, et le faire évoluer dans le sens que nous connaissons, c’est l’affirmation encore plus forte de l’exigence d’égalité que le constituant, après tout, a tout à fait le droit de porter – mais alors sans faux argument ! Sans doute est-ce salutaire et, sur les bancs où je siège, je ne m’en plains pas. Mais il convient d’avoir à l’esprit qu’il s’agit là d’une évolution qui nous engagera à l’avenir. C’est un député issu d’un département connaissant en profondeur ce que sont les inégalités réelles et peuplé à 90 % de musulmans qui vous le rappelle !

La protection de la Nation, c’est la protection de son territoire, la sûreté de ses citoyens, la liberté pour chacun de choisir librement sa manière de vivre, partout où l’on se trouve, sur le territoire métropolitain ou outre-mer. C’est au nom de cela, et rien que de cela, que nous devons réviser la loi fondamentale. Et cela mérite l’unité de la Nation et celle de ses représentants. Nous le devons à toutes les victimes du terrorisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Yann Galut. On s’attend à un festival !

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues et néanmoins amis, après les terribles attentats du mois de novembre, le Président de la République, devant le Parlement réuni en Congrès, nous a annoncé les mesures relatives à la déclaration de l’état d’urgence et à la déchéance de nationalité. Ces annonces nous ont surpris, monsieur le Premier ministre : la Pentecôte, nous sommes-nous dit, a fini par descendre sur l’Élysée. (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà une référence bien laïque ! (Sourires.)

M. Jacques Myard. Examinons cependant ces deux questions. J’ai voté la loi relative au prolongement de l’état d’urgence, et je voterai également la prochaine, car j’estime que la menace est toujours là, et qu’il serait irresponsable de ne pas prendre tous les moyens, même administratifs, pour y faire face. Quand j’entends certains gauchistes décadents (Rires), je me dis qu’il faut avoir une sacrée dose d’irresponsabilité pour ne pas regarder les réalités en face.

Doit-on pour autant inscrire l’état d’urgence dans la Constitution ? Le doute est permis, je le concède, même si Son Altesse Sérénissime Édouard Balladur (Rires) avait proposé de le faire. Je suis donc de ceux qui pensent que cette mesure ne mange pas de pain, et qu’elle confortera l’état d’urgence, même si l’économie générale de notre Constitution, avec le Président de la République, chef des armées, et vous-même, monsieur le Premier ministre, qui conduisez l’action du Gouvernement – lequel doit la sécurité à l’ensemble de nos concitoyens –, comporte tous les arguments pour le justifier.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exact.

M. Jacques Myard. Quid de la déchéance de nationalité ? Rien de nouveau sous le soleil sur ce point, on l’a rappelé. La mesure fut inscrite dans plusieurs textes constitutionnels lors de la Révolution, et la Constitution républicaine n’a elle-même rien inventé : jadis, le bannissement perpétuel, hors du Royaume, en était l’équivalent, même si l’on ne parlait pas de « nationalité » pour les sujets – sans compter les sujets de mécontentement… (Sourires.)

Aujourd’hui, la déchéance de nationalité figure en deux endroits de notre droit, aux articles 23 et 25 du code civil. Il ne s’agirait, disent certains, que d’un symbole qui ne sert à rien. Mais il est des symboles qui portent en eux la conscience de la nation et scellent son unité. Un symbole de cette nature me semble avoir sa place dans la Constitution.

Les terroristes, Malek Boutih – que je salue – l’a dit avec force, se sont eux-mêmes mis hors la loi nationale. Il est légitime que l’on en tire les conséquences sur le plan juridique.

Ce texte serait-il par ailleurs inutile dans la lutte contre le terrorisme ?

M. Michel Pouzol. Oui !

M. Jacques Myard. Non, cher collègue, vous faites une confusion. Certes, la déchéance de nationalité visée à l’article 25 du code civil deviendra, avec le texte qui nous est soumis, une peine complémentaire : elle sera donc prononcée au terme d’un processus judiciaire qui peut être fort long. Dans ce cas, il est vrai, la mesure peut n’être guère dissuasive. Mais ce serait oublier l’article 23-8, qui permet la déchéance de nationalité par décret, après mise en demeure par le Gouvernement, de tout Français s’engageant, par exemple, dans une armée étrangère. Je suis de ceux qui pensent que l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution confortera cet article. Cependant, monsieur le Premier ministre, l’utiliserez-vous ? Toute la question est là ! On peut d’ores et déjà, sur le fondement de l’article 23-8, atteindre directement certains terroristes actuellement sur zone, engagés dans une quasi armée dirigée contre la nation : à ce titre, ils pourraient être déchus de leur nationalité. La mesure serait alors efficace, car elle permettrait d’atteindre directement des centaines de ces olibrius chez qui la barbarie tient lieu de conscience.

Nous devons penser à l’aspect juridique des choses. Mais la sécurité, c’est un peu comme l’amour : c’est une affaire d’expérience et de pratique. (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Ne disiez-vous pas que c’était plutôt affaire d’intuition ? (Sourires.)

M. Charles de La Verpillière. On a bien fait de venir ! (Sourires.)

M. Jacques Myard. De ce point de vue, monsieur le Premier ministre, je vous rappelle qu’une bonne politique étrangère, réaliste, loin des postures, tant au Proche et au Moyen Orient qu’à l’égard de la Russie, serait déjà un premier pas dans la lutte contre le terrorisme.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça, c’est vrai.

M. Jacques Myard. Ne nous trompons pas d’ennemi. Ce ne sont ni les Russes, ni le régime de Damas qui ont joué aux assassins au Bataclan, c’est l’État islamique. Nous n’avons qu’un seul ennemi, et nous devons en tirer toutes les conclusions qui s’imposent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Faure.

M. Olivier Faure. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est la France républicaine, sa devise et son art de vivre, qui ont été directement et lâchement visés tout au long de l’année 2015 par la secte Daech.

La condamnation de ces crimes a été unanime. Les Français, quelles que soient leurs opinions philosophiques ou religieuses et leurs origines, ont manifesté leur plus totale réprobation. Ils ont fait corps derrière le Président de la République, le Gouvernement et leurs élus, de la majorité comme de l’opposition.

Le débat d’aujourd’hui doit être la prolongation de cette unité nationale. Celle-ci est déjà une réponse aux fanatiques qui ont précisément pour projet de nous diviser ; elle est aussi une dette que nous avons vis-à-vis de nos victimes, des survivants, mutilés dans leur chair ou dans leur esprit, et vis-à-vis de leurs familles endeuillées.

Comment parvenir à cette unité sans nier notre diversité ? C’est la question qui nous est aujourd’hui posée. J’y vois quatre conditions. La première est de rechercher ce qui nous est commun, non ce qui nous oppose.

Deuxième condition : rechercher sincèrement cette unité. L’enjeu de notre discussion ne peut être ni d’obtenir la défaite du Président de la République ni, à l’inverse, d’assurer son triomphe. L’unité ne peut être la victoire d’un camp sur un autre.

Troisièmement, nous respecter. Les caricatures desservent les causes qu’elles entendent défendre. Elles blessent là où il faudrait au contraire rassembler.

La quatrième condition est de nous entendre sur la portée du symbole que nous souhaitons créer. De quoi parlons-nous, en effet, sinon d’un symbole, visé à l’article 2 ? Il s’agit en effet d’une peine complémentaire, qui pourrait éventuellement être prononcée par le juge au terme d’un très long processus judiciaire et à l’issue d’une peine inévitablement assortie d’une durée incompressible, autrement dit plusieurs décennies plus tard.

Cette peine, au terme des débats avec le Gouvernement, visera indistinctement les terroristes, qu’ils soient mono ou binationaux. Elle sera prononcée par le juge judiciaire, garant des libertés publiques : voilà ce que dira la loi d’application.

Cette évolution est incontestablement positive même si, par une curieuse inversion, c’est la loi simple qui viendra protéger des effets indésirables ouverts par le texte constitutionnel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exact.

M. Olivier Faure. C’est là – convenons-en, monsieur le Premier ministre – une difficulté. Entre le vote de la loi d’application et sa potentielle mise en œuvre s’écouleront cinq, six ou sept législatures, lesquelles verront donc se succéder autant de majorités qui auront tout loisir de revenir sur les garanties que vous posez.

Ce que vous demandez aujourd’hui à votre majorité, c’est d’accepter cette part de risque comme gage de l’unité nationale que nous devons aux Français. Mais, comme chacun aura pu l’observer, si les présidents des groupes socialiste, communiste, écologiste, radical et centriste ont exprimé leur position, M. Jacob – qui d’ailleurs a disparu de nos bancs – nous honore, lui, de sa présence silencieuse…

C’est à ce niveau que le débat doit être clair. Comment demander cet effort ultime à la majorité si le principal groupe de l’opposition masque ses intentions ?

M. Pierre Lellouche. Les intentions, ça ne se présume pas !

M. Olivier Faure. Comment accepter la division de la gauche alors même que la droite est dans la diversion ?

Pour ma part, fidèle à la vision du regretté Guy Carcassonne, je considère que la nationalité n’est pas détachable de la personnalité. On naît et on meurt avec un prénom, un nom, une filiation et une nationalité. Ces éléments ne peuvent être retirés à un individu, aussi barbare soit-il. Un Français peut être un héros mais aussi, hélas, un salaud.

On m’objectera que la République a recouru, à certaines périodes de son histoire, à la déchéance de nationalité. C’est exact. Mais la République est un processus qui n’est jamais achevé ; et c’est à nous qu’il revient de la faire progresser. La guillotine était républicaine, et c’est notre fierté de l’avoir rangée au musée en 1981, avec François Mitterrand et Robert Badinter. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Aussi ai-je déposé, avec soixante-seize collègues, un amendement répondant à la volonté de trouver un symbole qui réunisse les Français dans leur condamnation commune des auteurs d’actes barbares. Nous proposons une peine de déchéance nationale qui aurait pour principales qualités de ne pas lier terrorisme et nationalité ; de viser tous les criminels indépendamment de leurs origines ; de limiter, enfin, le champ de la déchéance aux seuls délits et crimes terroristes, le terrorisme étant une notion qui, définie juridiquement, ne laisse pas de place à une interprétation extensive.

L’unité nationale suppose la plus grande transparence entre nous. Si l’opposition ne s’engage pas dans la clarté,…

M. Philippe Houillon. Il faudrait que vous soyez clair vous-même !

M. Olivier Faure. …si elle soumet cet impératif d’unité à ses contingences tactiques, si son intention est de faire traîner un débat qui était nécessaire mais qui a assez duré, alors ce ne sera plus avec l’opposition qu’il faudra rechercher une introuvable unité, mais avec les Français. La proposition de déchéance nationale, j’en ai la certitude, peut en être le moyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, dès le début de son intervention, M. le Premier ministre a fixé l’enjeu de nos débats et, plus largement, celui de notre engagement. Nous nous pensions durablement en paix, avez-vous dit, monsieur le Premier ministre, et nous sommes désormais en guerre. La lutte contre la radicalisation, avez-vous ajouté, est désormais l’affaire de notre génération. Cette lutte suppose des réponses policières qui privilégient l’efficacité et placent nos forces républicaines à la hauteur qu’appelle le contexte. Elle suppose également des réponses de droit.

Beaucoup, avant moi, ont rappelé aujourd’hui qu’il y a une anomalie constitutionnelle à ce que notre loi fondamentale de 1958 aborde les conditions d’exercice prévues aux articles 16 et 36 tout en restant muette sur l’état d’urgence.

En inscrivant l’état d’urgence dans la Constitution, on protège de l’arbitraire,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Non, pas du tout.

M. David Habib. …on renforce les pouvoirs des juges suprêmes, on donne force juridique aux initiatives de transparence qui accompagnent la mise en œuvre actuelle de cette mesure.

La constitutionnalisation de la déchéance de nationalité est tout aussi légitime. Les terroristes qui commettent de tels crimes peuvent-ils conserver le même passeport, la même identité que leurs victimes et les enfants de leurs victimes ? Assurément non.

Le Gouvernement, ayant entendu les parlementaires, a décidé que cette déchéance s’appliquerait à tous et qu’elle relèverait d’une décision judiciaire, au terme d’une condamnation définitive.

Dès le mois de novembre, monsieur le Premier ministre, j’avais indiqué que je voterais cette réforme sans état d’âme. Je le ferai a fortiori aujourd’hui que vous avez tendu la main à ceux qui hésitaient, que vous avez favorisé et recherché l’unité nationale pour répondre de la meilleure façon aux épreuves que le pays a traversées.

Les terroristes, eux, ont choisi de ne plus être français : ils ont commis l’acte définitif, l’acte irréparable. Ils ne peuvent plus prétendre à ce beau qualificatif de « français ».

La France, c’est ce pays magique qui ouvre les bras au monde ; c’est ce pays qui garantit à chacun les libertés essentielles, qui tolère toutes les pensées, tous les cultes. Mais la France, c’est aussi ce pays fort, qui sait se battre pour préserver ses valeurs.

Pour les terroristes, la liberté, l’égalité, la fraternité – et j’y ajoute la laïcité – ne se conçoivent pas comme des évidences. Quand les terroristes déchirent leurs propres liens avec la nation, alors oui, c’est à notre génération, unie, fière de son passé et de son destin, de réaffirmer que la République nous protège, mais aussi qu’elle nous impose des droits. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi constitutionnelle que nous soumet le Gouvernement est inutile et parfaitement incompréhensible.

M. Patrice Carvalho. Très bien !

M. Bernard Debré. Tout a été modifié et transformé ces derniers temps : ce texte n’est que symbolique. Il n’a aucune incidence pratique. Or on ne combat pas le terrorisme avec des symboles, mais avec des actes.

L’article premier est relatif à l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution. Cette inscription, comme cela a été démontré à plusieurs reprises, est non seulement inutile, mais dangereuse.

Elle est inutile, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a jamais remis en cause la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, comme le montrent les décisions qu’il a rendues en 1985 et encore le 22 décembre dernier. Il est donc inutile d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution.

Vous avez cité tout à l’heure le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit comité Balladur, qui avait envisagé une telle inscription : sachez cependant que le Conseil d’État l’avait, à l’époque, déconseillée.

M. Pierre Lellouche. Absolument.

M. Bernard Debré. L’article 2, quant à lui, fait encore plus débat. Il s’agit de l’inscription à l’article 34 de la Constitution de la déchéance de nationalité française ou des droits attachés à celle-ci par une personne condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.

Les références à la naissance et à la binationalité ont disparu du texte, mais elles sont si implicites dans les textes internationaux que je vois mal comment nous pourrions enjoindre à un apatride de quitter la France si aucune autre nation n’est disposée à l’accueillir.

M. Jacques Myard. Et le passeport Nansen ?

M. Bernard Debré. Aujourd’hui, la question n’est donc pas d’être pour ou contre la déchéance de nationalité pour un Français, binational ou non : elle existe dans nos textes. La question est : faut-il ou non procéder à une inscription de ces articles du code civil dans la Constitution ? La réponse est non.

En effet, mes chers collègues, vous connaissez l’article 23-7 et suivants du code civil, ainsi que l’article 25 de ce même code. Pourquoi vouloir toucher à notre Constitution si tout est déjà prévu par le code civil ?

Par calcul politique ? Par risque d’insécurité juridique ? J’écarte l’insécurité juridique : jamais l’inconstitutionnalité de la déchéance de la nationalité française n’a été soulevée. Elle a été appliquée, certes rarement, mais appliquée quand même : l’argument tenant à l’insécurité juridique est donc inexistant.

Reste alors le calcul politique. Et là, je m’interroge. Pourquoi réunir en grande pompe un Congrès pour annoncer une mesure qui figure déjà dans le Code civil et une autre qui est issue de la loi de 1955 et a depuis été validée à de multiples reprises ?

Pourquoi annoncer une réforme constitutionnelle si elle est inutile et, qui plus est, si « la France est en guerre », comme l’a dit le Président de la République ? On ne modifie pas la Constitution lorsque notre pays est en guerre.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien vrai.

M. Bernard Debré. Et on ne modifie pas la Constitution lorsque l’état d’urgence est déclaré sur tout le territoire. Surtout, on ne modifie pas une constitution lorsque cela est inutile.

Ne nous laissons pas tromper par le calcul politique du Président de la République et par sa réforme impréparée. En outre, la garde des Sceaux, Mme Taubira, qui signe le projet de loi, a déjà démissionné car elle y est opposée ! A-t-on déjà vu cela dans l’histoire de la République ? Jamais !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas sûr.

M. Bernard Debré. Notre devoir de législateurs est de modifier la loi et de l’adapter au contexte de notre pays. Remplissons aujourd’hui le rôle pour lequel les Français nous ont élus : modifions, si nous l’estimons nécessaire, l’article 23-7 ou l’article 25 de notre code civil, mais pas notre Constitution.

Mes chers collègues, en notre âme et conscience, en accord avec l’intérêt supérieur de la Nation, réfléchissez bien aux débats que nous allons avoir dans cet hémicycle.

La Constitution de 1958 du Général De Gaulle a garanti, depuis cinquante-sept ans, les équilibres politiques et la stabilité de notre République : la modifier est un acte fort, qui ne doit pas être entrepris à la légère, sous le coup de l’émotion ou par petit calcul politique. Elle doit être utile, fondée, réfléchie, travaillée et servir l’intérêt de la République.

M. le président. Il faut conclure.

M. Bernard Debré. Luttons avec force et détermination contre le terrorisme islamique qui veut mettre à bas notre civilisation et nos valeurs : mais avec des actes, pas avec des symboles. Les terroristes doivent être déchus de leur nationalité : ils peuvent et doivent l’être sans que notre Constitution ne soit modifiée.

C’est pourquoi je voterai contre ce projet de loi constitutionnelle et je vous invite, mes chers collègues, à réfléchir également à votre choix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Cuvillier.

M. Jacques Myard. Il va cirer les pompes ! (Sourires)

M. Frédéric Cuvillier. Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué, devant la commission des lois, le nouveau monde, un monde confronté au terrorisme et à ses actes de guerre et de barbarie.

La France a été, est et sera malheureusement et vraisemblablement encore atteinte pour ce qu’elle représente dans le monde, c’est-à-dire en raison de ses valeurs et de ses principes. Or notre pays sait aussi répondre à ses ennemis d’aujourd’hui par l’admirable force de l’unité de son peuple. Celle-ci s’exprime dans de remarquables mobilisations populaires et nationales : ce fut notamment le cas le 11 janvier 2015.

Cette unité, mes chers collègues, nous oblige, bien sûr dans la façon d’aborder nos débats, mais également dans le nécessaire rassemblement dont la représentation nationale doit faire montre.

Dans la situation à la fois grave et inédite que nous connaissons, aucun de nos compatriotes ne saurait ni comprendre ni accepter, au moment où nous abordons la discussion de l’un des textes qui marqueront notre législature, que nous répondions au défi terroriste qui nous est lancé autrement que par l’unité.

Aujourd’hui, nos compatriotes attendent de nous des actes forts, en réponse à deux questions simples : comment mieux protéger la France du risque terroriste sans mettre en place un état d’exception permanent ? Ceux qui ont abandonné la communauté nationale, prêté allégeance à une idéologie radicale et pris les armes contre leurs compatriotes méritent-ils d’être considérés comme ayant leur place dans la communauté nationale ?

L’une des réponses à ces questions consiste à donner, par le droit, de la force à notre pays contre ceux qui usent de la force contre le droit. La force par le droit, c’est d’adapter nos règles et notre cadre juridique à notre stratégie antiterroriste. Je pense à la loi sur le renseignement validée par le Conseil Constitutionnel – que vous avez, monsieur le Premier ministre, rappelée –, à la modernisation de la loi de 1955 voulue par le Gouvernement, ou encore au projet de réforme pénale présenté lors du dernier Conseil des ministres.

La force du droit, c’est aussi ce que propose ce texte, au travers de l’inscription dans la Constitution du régime civil de crise qu’est l’état d’urgence, afin de lui donner une meilleure garantie d’application au regard du respect des droits fondamentaux. Certains amendements – vous y faisiez référence, monsieur le Premier ministre – viendront les conforter.

La force donnée au droit, c’est aussi de hisser au niveau de notre loi fondamentale, de notre Constitution, la sanction à l’encontre de ceux qui prennent les armes contre la République, terroristes ou auteurs d’actes graves portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. C’est à tort qu’André Chassaigne a qualifié cette inscription de banalisation : non, il n’y a pas de banalisation lorsqu’on inscrit dans la Constitution ce qui permet une meilleure protection de la société de droit.

La constitutionnalisation de cette sanction, la déchéance de nationalité ou de tout ou partie des droits qui lui sont attachés, fut annoncée à la Nation, avec solennité et détermination, par le Président de la République lors du Congrès. Elle gravera dans notre norme supérieure ce que doit être la réponse de la République à ceux qui lui manquent et qui l’agressent : une réponse fidèle à son histoire juridique et politique.

Je suis de ceux, mes chers collègues, qui pensent que cet engagement nous oblige tous et toutes, et que tout renoncement apparaîtrait à nos compatriotes comme un reniement de leur Assemblée nationale, un reniement qui porterait durablement et durement atteinte à la crédibilité du mandat qui nous a été confié.

La force du droit, c’est de donner au principe d’égalité une portée supplémentaire en unifiant les régimes de déchéance applicables aux personnes condamnées, quelles que soient les conditions de leur appartenance à la Nation. Ce n’est pas aujourd’hui le cas dans le droit applicable.

La déchéance de nationalité doit s’appliquer à tous les terroristes. Il ne s’agit ici de viser qu’une seule catégorie de personnes : ceux qui, consciemment et gratuitement, assassinent nos concitoyens.

La force du droit, c’est, enfin, de rendre opposables nos engagements internationaux. C’est la volonté que vous exprimée vous-même, monsieur le Premier ministre, en soumettant à la ratification la convention du 30 août 1961. Celle-ci précise d’ailleurs, en son article 8, que l’interdiction faite aux États parties de créer des apatrides ne s’applique pas aux individus ayant eu un « comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État ».

Mes chers collègues, nous vivons un moment qui nous engage et qui doit nous permettre de démontrer la force du droit. Si nous acceptons que, dans notre pays, ceux qui prennent les armes et risquent leur vie au nom de la France puissent acquérir la nationalité française, alors rien ne s’oppose à ce que ceux qui décident de se battre contre notre pays puissent être déchus de cette même nationalité.

Je conclurai, ironie de l’histoire, en empruntant à Chateaubriand les mots suivants, ramassés en une formule qui doit incarner notre action républicaine et qui prend aujourd’hui tout son relief : « c’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir ». (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, qu’a signifié notre Marseillaise entonnée en choeur à Versailles autour du Président de la République ? Notre amour de la République !

Quel message avons-nous adressé ce jour-là au monde ? La force des démocraties ! Aux balles des terroristes, nous avons, comme l’a dit admirablement Patrick Pelloux, opposé les couleurs de notre étendard : bleu, blanc, rouge. Le rouge des pompiers qui se sont portés au secours des victimes, le blanc des urgentistes qui ont pansé leurs plaies, et le bleu de la police et des forces de l’ordre, qui traquent sans relâche les semeurs de mort et qui protègent nos concitoyens.

À la folle idéologie qui anime les tueurs, nous avons répondu liberté, égalité, fraternité. Au poison de la division qu’ils veulent instiller dans notre société, nous avons opposé l’image de l’unité nationale.

Alors, chers collègues, prolongeons ce moment. Laissons les arrière-pensées, primaires ou autres, au vestiaire : place à la pensée ! Qu’avons-nous applaudi à Versailles ? Des moyens supplémentaires pour nos services de police, de renseignement et nos armées, et la proclamation de l’état d’urgence. C’était indispensable pour juguler la menace.

Faut-il inscrire l’état d’urgence dans notre Constitution ? Je le crois. La France doit pouvoir se doter de moyens exceptionnels quand elle est victime d’une agression exceptionnelle, et, notamment, renforcer les possibilités d’action de ses forces de l’ordre. L’état d’urgence modifie l’ordonnancement des pouvoirs : c’est donc à notre loi fondamentale de le prévoir.

Je voterai donc l’article 1er, d’autant plus que je nous sais capables de nous accorder sur l’extension des pouvoirs de contrôle du Parlement, extension que le Premier ministre a assuré appeler de ses vœux.

Je voterai également la prolongation pour trois mois de l’état d’urgence. En effet, cette limite temporelle, qui est claire, correspond au délai nécessaire à l’adoption des mesures nécessaires afin que les services de police puissent agir efficacement, sous le contrôle du juge et dans le respect des libertés fondamentales.

À Versailles, le Président de la République a aussi voulu associer un symbole à ces mesures nécessaires : celui, pour les auteurs de crimes de terrorisme, d’une peine de déchéance. Je ne récuse pas l’idée du symbole, car même si les symboles ne remplacent en rien l’action, ils peuvent lui donner du sens et donc plus de puissance.

Encore faut-il trouver ensemble le bon symbole. Déchéance, oui, mais déchéance de quoi ? Voilà la question. S’agit-il d’étendre la déchéance de nationalité au-delà de celle acquise par la naturalisation ? Je ne crois pas. On ne choisit pas sa nationalité quand on l’acquiert par le sang de ses parents ou par le sol sur lequel on naît.

Nous devons viser le symbole auquel les terroristes, au-delà des vies arrachées, se sont attaqués.

Ce furent, en janvier, la liberté, en particulier celle de la presse, mais aussi l’égalité, garantie par les forces de l’ordre, les policiers, ainsi que la fraternité, puisque des Juifs ont été spécifiquement ciblés.

En novembre, ce furent encore la liberté, l’égalité, la fraternité, nos trois boussoles fauchées à travers notre jeunesse.

C’est donc aux valeurs de la République que les terroristes se sont attaqués, valeurs auxquelles on adhère en étant citoyen français. C’est la citoyenneté qu’il faut déchoir, mes chers collègues. C’est pourquoi, avec une centaine de collègues, nous avons déposé des amendements en ce sens. Je sais qu’au fond de nous-mêmes, tous ici, nous en sommes profondément convaincus.

Convaincus à gauche, nous le sommes tous : c’est notre vision de toujours de l’identité de la France, qui est pour nous républicaine. Être français, ce n’est pas appartenir à une communauté d’origine, mais à une communauté de destin fondée sur l’adhésion aux valeurs de la République.

Convaincus à droite, humanistes, gaullistes, je sais que vous l’êtes nombreux. Certains l’ont dit tout haut, d’autres le pensent tout bas. Unissons-nous, députés, sénateurs, autour de l’idée non pas d’une déchéance de la nationalité, mais des droits attachés à celle-ci.

Cette peine marquera tout autant de façon indélébile la rupture du lien entre les terroristes et les valeurs auxquelles nous adhérons, forgées au cours de notre histoire et qui sont le socle de notre démocratie.

Nous surmonterons ainsi, dans le même temps, deux écueils qu’a rencontrés la proposition initiale. En ne discriminant pas les binationaux, nous respectons l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » En ne créant pas d’apatrides, nous restons fidèles à la philosophie de la patrie des droits de l’Homme.

Chers collègues de droite, l’unité nationale ne consiste pas, pour nous, à reprendre les idées qui sont les vôtres depuis longtemps…

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne ne vous le demande !

M. Jean-Marc Germain. …mais à ce que chacun fasse un pas vers l’autre. Nous l’avons fait les premiers, je vous invite à faire de même. Ainsi, nous serons à la hauteur de ce moment historique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, le terrorisme islamiste nous a déclaré la guerre et a commis sur notre sol et à l’étranger des crimes abominables. Je n’ai donc eu aucun état d’âme, moi qui suis député de l’opposition, à soutenir les décisions prises pour éradiquer le terrorisme et protéger les Français.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Charles de La Verpillière. J’ai approuvé nos interventions militaires en Afrique et au Moyen-Orient, j’ai voté pour la loi sur le renseignement, j’ai accepté la prorogation de l’état d’urgence après les horribles attentats du 13 novembre.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Charles de La Verpillière. Mais aujourd’hui, je veux exprimer à cette tribune, monsieur le Premier ministre, mon inquiétude et mes doutes.

Vous présentez à l’Assemblée nationale un projet de révision qui vise à inscrire dans la Constitution l’état d’urgence – c’est l’article 1er – et la déchéance de nationalité pour les terroristes – c’est l’article 2.

C’est vous qui le défendez, monsieur le Premier ministre, mais c’est le Président de la République qui l’a voulu. En vertu de l’article 89 de la Constitution, la révision est la seule procédure parlementaire dont l’initiative et la direction appartiennent au Président de la République. C’est lui qui décide de saisir l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est lui qui peut, dans un second temps, décider de les réunir en Congrès pour adopter le texte définitif.

Mes chers collègues, ce projet de révision porte la marque indélébile du Président de la République. Improvisation, hésitations, revirements et, pour finir, incohérences.

Certes, l’état d’urgence ne pose pas trop de problèmes. C’est un régime légal d’exception. Son inscription dans la Constitution est donc nécessaire. Elle se justifiera d’autant plus qu’il s’agira, si les amendements de la commission des lois sont adoptés, de renforcer le contrôle parlementaire et de limiter dans le temps les prorogations.

S’agissant en revanche de la déchéance de nationalité, les intentions du Président de la République et du Gouvernement ont varié et le texte a perdu toute cohérence.

J’admets, cependant, la nécessité d’une inscription de la déchéance dans la Constitution pour les motifs de droit qui ont été excellemment développés par Jacques Myard. Je pense aussi que la déchéance de nationalité peut être un outil juridique utile dans la lutte contre les terroristes et leurs complices, notamment ceux, et ils sont nombreux, qui assurent la logistique des opérations. Je rappelle d’ailleurs que les Républicains ont proposé cette mesure à plusieurs reprises, mais que la majorité gouvernementale s’y est opposée.

Que voulez-vous donc faire exactement, monsieur le Premier ministre ? C’est ici que le bât blesse. À force de compromis avec tous les courants et sous-courants de votre majorité, le texte de l’article 2 a perdu toute cohérence.

Dans le texte initial, la déchéance devait pouvoir s’appliquer aux personnes nées françaises, ayant une double nationalité, et condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.

Or, devant la commission des lois, et ce matin dans votre discours, monsieur le Premier ministre, vous avez pris le contre-pied sur chacun de ces trois points fondamentaux. Il n’est plus question des Français de naissance. La condition de binationalité a disparu. Enfin, la déchéance sera encourue non plus seulement en cas de crime, mais aussi en cas de délit. Sur ce point, d’ailleurs, je suis d’accord avec vous.

De surcroît, vous nous avez annoncé que la déchéance ne serait plus décidée par le Gouvernement, mais prononcée par les tribunaux sous forme d’une peine complémentaire.

Enfin, pour ajouter à la confusion, vous nous avez fait part de votre intention de ratifier la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Cela signifie-t-il que la déchéance ne s’appliquera qu’aux binationaux ? Sans doute. Ou bien au contraire l’appliquerez-vous aussi aux personnes n’ayant que la nationalité française, en invoquant le troisième paragraphe de l’article 8 de cette convention internationale ?

Bref, monsieur le Premier ministre, en l’espace de deux mois et demi, les intentions exprimées par le Président de la République à Versailles le 16 novembre se sont enlisées dans les sables des accommodements de la recherche d’une synthèse et, pour finir, du renoncement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le Premier ministre, vous êtes, comme moi, un admirateur de Clemenceau. Je crois me souvenir que le Président de la République, lorsqu’il vous a remis la grand-croix de l’ordre national du Mérite, a plaisanté à ce propos. Vous devriez lui rappeler le discours que Clemenceau prononça à cette tribune le 8 mars 1918 : « Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. »

M. Jacques Myard. Bravo ! Chargez !

M. Charles de La Verpillière. Oui, monsieur le Premier ministre, en guerre contre le terrorisme islamiste, il n’y a pas de place pour les combines et les calculs électoraux. Faute pour le Président de la République de l’avoir compris, la révision constitutionnelle est bien mal partie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, les sujets dont nous débattons depuis ce matin n’ont rien d’anodin.

D’abord parce que, par nature, les projets de loi constitutionnelle ne font pas le quotidien de nos ordres du jour, ce qui est plutôt sain pour la stabilité de nos institutions.

Ensuite parce que les circonstances qui conduisent à cette proposition sont exceptionnelles. Nul n’est besoin d’y revenir ici. Chacun connaît la nature et l’ampleur de la menace qui pèse sur notre pays.

Quelques mots, tout d’abord, au sujet de l’inscription de l’état d’urgence dans notre Constitution.

Le principal débat subsistant sur l’article 1er me semble en effet concerner, pour quelques-uns de nos collègues, l’opportunité d’une telle inscription. Nous avons même entendu parler à cette tribune de loi inutile, voire dangereuse.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est exact.

M. Pascal Popelin. Un examen rapide des outils constitutionnels disponibles pour faire face à des situations exceptionnelles permet pourtant de comprendre que ni les pouvoirs spéciaux prévus à l’article 16, ni l’état de siège régi par l’article 36, ne répondent à la situation à laquelle la France a été confrontée à partir du 13 novembre dernier.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas la question.

M. Pascal Popelin. Ajoutons, pour ceux à qui cette observation paraîtrait insuffisante, que le Conseil d’État considère, dans son avis, que la constitutionnalisation n’est pas de simple clarification ; qu’elle donne un fondement incontestable aux mesures de police administrative prises pendant l’état d’urgence et encadre opportunément la déclaration et le déroulement de l’état d’urgence, qui ne relevaient jusqu’ici que de la loi ordinaire.

M. François Fillon. Il disait le contraire il y a quelques années.

M. Pascal Popelin. Ainsi, ceux qui sont pleinement convaincus de l’utilité du recours à l’état d’urgence devraient-ils se réjouir que sa constitutionnalisation garantisse la solidité juridique de ses outils.

Et ceux qui observent cet état avec défiance devraient, dans un même élan, se féliciter que son inscription dans la loi fondamentale pérennise des garanties nouvelles du respect des principes fondamentaux de notre droit, y compris celles que nous avons ajoutées en matière de contrôle juridictionnel et parlementaire, la semaine dernière, dans le consensus des délibérations de la commission des lois et que nous pouvons affiner encore.

S’agissant de la déchéance de la nationalité, je voudrais m’adresser à nos collègues de l’opposition, pour leur rappeler que cette idée est bien davantage la leur que la nôtre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Frédéric Poisson. La preuve que non !

M. Pascal Popelin. Je conserve en mémoire le débat que nous avons eu ici, le 4 décembre 2014, lors de l’examen de la proposition de loi présentée par le groupe qui s’appelait alors l’UMP, à l’initiative de M. Philippe Meunier. J’avais alors objecté que ce texte me semblait d’une constitutionnalité douteuse, ce que n’a pas démenti le Conseil d’État.

N’oublions pas non plus que si cette mesure a été retenue par le Président de la République, c’est à la demande expresse de son prédécesseur. Et ce qui a animé le chef de l’État, en l’espèce, c’est le souci du rassemblement et de l’unité, dans des circonstances qui l’exigeaient hautement et qui continuent de l’exiger.

Disons les choses clairement : peu, même à droite, prétendent encore que la déchéance de la nationalité est un outil de dissuasion dans la lutte contre les terroristes. Je ne l’ai personnellement jamais cru.

Elle peut en revanche, à la lumière des événements tragiques qui ont frappé notre pays, être considérée comme un outil de réaction, placé entre les mains de la communauté nationale, pour manifester son rejet de ceux qui la frappent.

Ce principe étant admis, il ne nous semblait toutefois pas possible que cette sanction, par nature exceptionnelle, qui ne vise que des individus définitivement condamnés pour s’être rendus coupables d’une atteinte grave à la vie de la Nation, puisse distinguer différentes catégories de Français, selon leur parcours et l’histoire de leur vie. Qui peut d’ailleurs sérieusement souhaiter qu’il en soit autrement ?

Voilà pourquoi nous souhaitons qu’il ne soit fait aucune référence à la binationalité, ni dans notre loi constitutionnelle, ni dans les lois d’application, et pas davantage dans les effets juridiques concrets que ces nouvelles dispositions emporteront.

Sur ce sujet, loin d’être anecdotique au regard des principes, les solutions qui sont sur la table aujourd’hui, qu’il s’agisse de la réécriture de l’article 2 proposée par le Gouvernement et que la commission des lois a massivement adoptée jeudi dernier, ou des intentions du Gouvernement pour le projet de loi d’application, telles qu’elles ont été exprimées lors du Conseil des ministres d’avant-hier, sont de nature à rassembler tous ceux, sur tous les bancs de cet hémicycle, qui voudront bien se dépouiller un instant de toute posture de calcul,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Oh, ça va !

M. Pascal Popelin. …oublier un temps les positionnements tactiques qui font parfois le sel de notre vie démocratique quotidienne, pour se positionner à la hauteur des exigences du moment, au niveau des attentes de nos compatriotes.

Dans le moment que nous vivons, ces attentes portent les noms de rassemblement, de détermination et de dépassement de soi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bernard Debré. Voyons !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, des ennemis ont déclaré une guerre totale à notre pays : ce sont des islamistes armés de haine et de folie. Ils ont tué et ils veulent tuer des Français ; ils veulent détruire ce que nous sommes. Face à ce péril, nous avons un devoir d’unité, mais plus encore d’efficacité, pour protéger les Français.

C’est le combat de notre génération. Que nous siégions sur les bancs du Gouvernement ou du Parlement, l’exigence est la même. Tout le reste est accessoire et ne comptera pour rien, vraiment pour rien, au regard de l’Histoire. Les Français auraient raison de ne rien pardonner à ceux qui, par leurs renoncements, leurs bégaiements ou leurs reniements, seraient les coupables ou les complices d’une étrange défaite.

Nous n’avons pas d’autre choix que d’obtenir la victoire contre les terroristes, par tous les moyens de l’État de droit. Nous en sommes loin, encore, car du retard a été pris. Des failles opérationnelles doivent être comblées – et la commission d’enquête conduite par les députés du groupe Les Républicains aura pour mission de les identifier en toute clarté, pour que chacun prenne ses responsabilités. Des instruments juridiques nouveaux doivent être adoptés – et les députés Républicains, sans relâche, continueront à exiger du Gouvernement qu’il rompe enfin avec le désarmement pénal engagé et accéléré depuis bientôt quatre ans par votre majorité, sous l’impulsion délétère de l’ancienne garde des Sceaux, qui a commis une faute majeure contre la France en affaiblissant l’État. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Laurence Dumont. Cela faisait longtemps !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cela suffit !

M. Jacques Myard. Pourquoi n’assumez-vous pas l’action de Mme Taubira ?

M. Guillaume Larrivé. Car l’État de droit doit être fort. S’il est faible, il n’est plus l’État et il n’y a plus de droit. Dès lors, une question nous est aujourd’hui posée : pour renforcer l’État de droit, est-il nécessaire d’inscrire dans la Constitution, d’une part le régime de l’état d’urgence, d’autre part le principe de la déchéance de nationalité des individus qui attentent à la vie de la Nation ?

Je crois cette révision constitutionnelle utile, à une condition essentielle : que son texte soit clair,…

Un député du groupe socialiste, républicain et citoyen. Il l’est !

M. Guillaume Larrivé. …afin que sa portée soit nette. C’est pourquoi je souhaite pouvoir voter l’article premier. En constitutionnalisant l’état d’urgence, nous conforterons utilement ce puissant régime de police administrative nécessaire pour faire face à un péril imminent, sous le contrôle juridictionnel du juge administratif et sous le contrôle politique du Parlement.

Pour ce qui est de l’article 2, il me semble qu’un travail rédactionnel reste à accomplir – ici, bien sûr, à l’Assemblée nationale, et au Sénat – avant l’éventuelle adoption d’une révision au Congrès. Le président François Hollande, à Versailles, le 16 novembre 2015, s’est rallié à la position de principe qui avait été très fortement exprimée par le président Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble en 2010. Tant mieux : c’est l’intérêt de la France et des Français.

Mais, ces dernières semaines, les hésitations et les tergiversations de la majorité ont manifestement suscité, dans le débat public, une certaine confusion. Permettez-moi, pour ma part, et après d’autres orateurs du groupe Les Républicains, de réaffirmer une vraie conviction. Les Français qui tuent des Français parce qu’ils sont Français ne méritent pas d’être Français : ils s’excluent eux-mêmes de la communauté nationale, et la République française a le devoir de le constater.

Nous n’avons pas à nous excuser de vouloir déchoir de la nationalité française les individus condamnés pour des crimes ou des délits qui portent gravement atteinte à la vie de la Nation. Mais alors, monsieur le Premier ministre, disons-le vraiment, sans faux-semblants, en l’écrivant directement dans la Constitution, sans détour, sans artifice ni dénaturation, pour tous les terroristes – en veillant, autant que possible, à ne pas créer d’apatrides, car ceux-ci ne relèvent de l’autorité d’aucun État et ne peuvent donc être expulsés nulle part.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais si !

M. Frédéric Cuvillier. Cela n’a rien à voir !

M. Guillaume Larrivé. Cela ajouterait encore aux désordres du monde.

Monsieur le Premier ministre, je préférerais que la Constitution affirme nettement ce choix fondamental, par une rédaction sans détour. S’ils ont effectivement cette portée, et seulement s’ils ont cette portée, au terme des débats parlementaires, je souhaite pouvoir voter les textes de la révision constitutionnelle, du projet de loi d’application et du projet de loi de ratification des conventions relatives à l’apatridie. Ma conviction est qu’il ne faut pas dévier d’une ligne droite, qui est celle de la défense de la France et des Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je répondrai le plus brièvement possible, car beaucoup d’arguments avancés dans cette discussion générale seront repris au moment de l’examen de chacun des deux articles de ce texte, et des amendements.

Je tenais à être présent pour écouter chacune des interventions dans cette discussion générale. Je serai avec vous en partie lundi et mardi prochains, en compagnie de M. le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, que je remercie, et des ministres de l’intérieur et de la justice. C’est mon rôle d’être présent, après avoir présenté cette révision constitutionnelle, après les annonces faites par le Président de la République, et de vous répondre.

Je salue les orateurs qui se sont exprimés, mais je ne pourrai pas leur répondre un par un. Je remercie ceux qui ont apporté leur soutien à ce projet de révision constitutionnelle, avec leurs interrogations, leurs propositions. Je remercie aussi ceux qui ne sont pas d’accord : c’est tout à fait leur droit, car chaque parlementaire est constituant, dans cette assemblée comme, dans quelques semaines, au Sénat.

Je voudrais insister sur un point : le monde a profondément changé. Certains d’entre vous l’ont dit, et nous devons le garder constamment à l’esprit au cours de nos discussions. En disant cela, je ne reviens pas seulement à l’intervention du Président de la République le 16 novembre dernier, trois jours après les attentats.

Je l’ai dit ce matin, et j’insiste : le monde a profondément changé. Ces attentats représentent un véritable basculement, non seulement pour notre pays, mais pour le monde entier. Bien sûr, d’autres pays ont été concernés par des attentats ; nous avons en mémoire les terribles attentats qui ont eu lieu, au milieu des années 2000, à Madrid et à Londres. Je n’oublie pas non plus qu’aujourd’hui, les musulmans sont, dans le monde, les premières victimes de ces attentats : certains d’entre vous l’ont rappelé, notamment M. Aboubacar, député de Mayotte.

Nous savons ce qui se passe en Asie, au Proche et au Moyen-Orient, ou en Afrique de l’Ouest ; nous savons les nombreuses victimes que font les différents terrorismes. Mais nous avons changé profondément ; monsieur Myard, c’est – au fond – ce que vous disiez tout à l’heure.

Daech, l’État islamique, n’est pas une organisation terroriste comme une autre. Elle n’est pas semblable à celles que nous avons connues par le passé. C’est un proto-État qui, au nom d’une idéologie, le califat, contrôle des territoires ; qui détient des moyens puissants, quoiqu’il recule en Syrie et en Irak ; qui cherche à conquérir d’autres territoires, non seulement en Libye, mais aussi en Afghanistan et au Pakistan ; qui cherche à étendre son emprise au moyen de succursales, de franchises, d’alliances.

Son idéologie, c’est de détruire ce que nous sommes. Pour l’accomplir, elle dispose de son organisation, sur les principaux territoires qu’elle contrôle, en Irak et en Syrie. Elle dispose aussi de combattants étrangers : plus d’un millier de Français ou de personnes qui résidaient en France, et plusieurs milliers d’individus en provenance d’autres pays. Toutes ces personnes vont combattre dans les rangs de Daech, de l’État islamique ; nous n’avions pas connu, à l’époque moderne, de tel mouvement.

Cette organisation nous fait la guerre : c’est pourquoi nous pouvons dire que nous sommes en guerre. Elle ne nous fait pas la guerre parce que nous participons à une coalition animée par la volonté de l’éradiquer en Irak et en Syrie ; elle nous fait la guerre pour ce que nous sommes. Malek Boutih avait raison de souligner qu’au fond, il faut envisager une nouvelle vision de la Nation, et en rappeler les principes : la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes, bref, les valeurs de la République. C’est d’autant plus important que ce sont précisément ces valeurs qui sont attaquées par Daech.

Un deuxième élément me frappe, me préoccupe tout particulièrement : ces milliers de personnes qui sont radicalisées dans notre propre pays. S’il y a bien un sujet qui nous préoccupe, le ministre de l’intérieur et moi-même, au-delà de la menace terroriste qui vient de l’extérieur, c’est celui-là. J’ai évoqué tout à l’heure les rapports réalisés par plusieurs membres de l’Assemblée nationale : le rapport de MM. Ciotti et Mennucci sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, le rapport que j’ai commandé à Malek Boutih sur la radicalisation dans notre pays, intitulé « Génération radicale », le rapport de M. Pietrasanta sur les moyens à mettre en œuvre contre la radicalisation. Grâce à tous ces travaux, nous savons à quoi nous faisons face.

Le terrorisme a frappé au cours du dernier quinquennat, notamment en mars 2012 à Toulouse et à Montauban. Mais c’est seulement à partir de l’été 2012 que l’on voit apparaître les premières filières organisant des départs vers l’Irak et ensuite, sans doute, vers la Syrie. C’est le 19 septembre 2012 qu’a lieu le premier attentat qui ressemble à ce que nous avons connu, malheureusement, depuis. C’est en novembre et en décembre 2012 que nous avons adopté la première loi antiterroriste. Cette loi a été adoptée sur la base du travail engagé par François Fillon, en tant que Premier ministre, après les attentats de Toulouse et de Montauban ; il s’agissait aussi de tirer les leçons du mouvement dont j’ai parlé.

J’ai parlé, d’abord à la tribune du Sénat, puis à l’Assemblée nationale, d’ennemi extérieur et d’ennemi intérieur. Je ne l’ai pas fait en référence au passé, mais à une nouvelle situation. Nous devons appréhender cette menace dans un nouveau cadre de réflexion, de pensée.

À cet égard, la fameuse citation de Clemenceau – « Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais la guerre ; je fais toujours la guerre ! » – ne me paraît pas adaptée à notre temps. Notre situation n’est pas la même qu’entre 1914 et 1918. La guerre dans laquelle nous sommes plongés n’est pas classique, conventionnelle, c’est une nouvelle forme de guerre, qui correspond à l’ère de la mondialisation, et qui se déroule en partie sur internet.

Un certain nombre de cadres de réflexion – de cadres idéologiques, aurions-nous dit il y a quelques années – qui sont utilisés pour contester ce projet de révision constitutionnelle sont donc complètement dépassés. Je le dis en toute franchise : c’est aussi le cas de l’idée que certains se font de la nationalité. Non, je ne suis pas d’accord avec M. Popelin : la déchéance de nationalité n’est pas qu’une idée de droite, elle ne vient pas que de l’opposition. Les choses ont profondément changé, monsieur Popelin, de ce point de vue. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

On peut toujours en débattre, mais j’ai rappelé que l’idée de la déchéance de nationalité était ancrée dans l’histoire de République. L’une des plus belles interventions, à cet égard, a été celle de M. Aboubacar, député de Mayotte, pour qui « ces terroristes déchirent le sein de leur mère ». Il parlait là en tant que député de son territoire, avec ses convictions, avec sa connaissance de la réalité de Mayotte. C’est cela qui a profondément changé.

Cette idée – la déchéance de nationalité, et plus profondément, la Nation – vient de loin. C’est l’occasion d’un débat profond sur ce qu’est la Nation. Une partie de la gauche et de la droite – en témoigne l’intervention de Mme Kosciusko-Morizet – a cru que dans le cadre de la mondialisation économique, l’idée de Nation était dépassée.

M. Pierre Lellouche. M. Valls devient gaulliste ! C’est bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne le pense pas : je défends cette idée depuis longtemps, et d’autres que moi, à gauche, l’ont fait – je pense notamment à Jean-Pierre Chevènement.

M. Jacques Myard. Il était bien seul !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ces questions ont profondément changé ; l’idée même que l’on se fait de la Nation a profondément évolué. Cela nous oblige à réfléchir de nouveau. Face à cette nouvelle conception de la Nation, je me présente avec modestie, car je sais que cette réflexion est complexe. Elle l’est d’autant plus qu’il s’agit à présent de la transcrire dans le droit, dans la Constitution.

Nous verrons tout à l’heure, au cours du débat, que la constitutionnalisation de l’état d’urgence est un atout, qui renforcera notre État de droit – vous l’avez dit, pour la plupart d’entre vous. C’est aussi vrai de la déchéance de nationalité.

J’entends dire qu’il y a eu beaucoup de changements en trois mois, depuis le discours du Président de la République. J’assume tout à fait ce débat. Le Président de la République est intervenu devant le Congrès trois jours seulement après les attentats. Il a proposé de convoquer à nouveau, ultérieurement, le Congrès, pour inscrire dans la Constitution l’état d’urgence. À cette occasion, il a lui-même ouvert le débat sur la question de la déchéance de nationalité.

Le Conseil d’État a été consulté sur ces deux questions. Il a conclu qu’il fallait modifier la Constitution à la fois sur l’état d’urgence et sur la déchéance de nationalité.

C’est ainsi qu’est né le projet de loi qui a été adopté par le Conseil des ministres le 23 décembre et qui reprend les propositions du Conseil d’État.

Le Président de la République, le 31 décembre dernier, à l’occasion de ses vœux aux Français, indiquait qu’il y aurait un débat au Parlement. Il en a tenu compte.

C’est tout de même extraordinaire de me faire le reproche d’être à l’écoute des uns et des autres en sachant que leurs positions sont extrêmement différentes – je ne parle pas que de ma famille politique. Je pourrais citer certains d’entre vous qui, au sein de leur famille politique, ont voté un texte favorable à la déchéance, voire l’ont écrit dans leur livre, mais qui aujourd’hui nous expliquent qu’ils ne sont pas d’accord avec cette proposition de loi au nom, pour reprendre un terme qui a été utilisé, de l’habileté politique… Honnêtement, madame Kosciusko-Morizet, je ne peux imaginer que vous n’avez pas de convictions – je sais que vous en avez – mais en matière d’habileté politique, j’ai cru comprendre que chacun avait ses propres échéances… (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Ne nous faisons pas la leçon les uns aux autres concernant l’habileté politique. Sur une question comme celle de la déchéance, il faut surtout avoir des convictions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) À partir du moment où nous touchons un point fondamental pour la Nation, il faut aller jusqu’au bout du débat.

La nouvelle rédaction que j’ai proposée à la commission des lois vise précisément à rassembler et à faire en sorte que personne ne se sente stigmatisé.

M. Jean-François Lamour. On arrive sur un terrain glissant !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Même si je n’aime pas ce terme, avec cette rédaction personne ne peut se sentir stigmatisé. Aucun binational – d’ailleurs, l’un de vous l’a rappelé, la question de la binationalité est complexe puisque beaucoup de binationaux se la sont vu imposer. Je ne suis pas, pour ma part, binational, mais chacun de nous a ses origines. Elles font partie de chacun de nous et sont incontestablement une richesse pour le pays.

La rédaction que nous avons proposée est en mesure de rassembler parce qu’elle inscrit dans la Constitution l’idée même de déchéance, ce que nous assumons pleinement. Elle est une manière de conforter cette idée. Demain, nous pourrons procéder à un certain nombre de déchéances en respectant le principe d’égalité inscrit dans la Constitution.

C’est un débat noble, vous l’avez les uns et les autres démontré, et un débat utile pour le pays.

Le Président de la République, le 16 novembre, a annoncé des moyens supplémentaires, en plus des moyens qui avaient été engagés après les attentats du mois de janvier, pour les forces de l’ordre, la police, la gendarmerie et nos armées.

Je l’ai rappelé tout à l’heure, deux lois antiterroristes ont été votées depuis 2012 ainsi que deux lois sur le renseignement, et vous avez voté l’engagement de nos armées en Irak et en Syrie. Nous avons été à la pointe du combat contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Mali.

Il y a d’abord, dans le discours du Président de la République, cet engagement fort, parce qu’on lutte contre le terrorisme avec le droit, avec la justice, mais aussi avec nos forces de sécurité et nos forces armées.

Mais l’intervention du Président de la République est un tout – je ne dirais pas un bloc – et il n’est pas souhaitable que chacun puisse y piocher ici ou là en fonction de son propre intérêt. Cette intervention avait sa cohérence et sa logique.

Jean-Jacques Urvoas l’a fort bien dit, l’état d’urgence et la déchéance vont bien au-delà du symbole. Nous vivons un moment particulier parce que nous sommes en guerre – c’est sur ce mot que Guillaume Larrivé a conclu son propos et le président Bruno Le Roux et François de Rugy l’ont également employé avec beaucoup de force. Et pour y faire face, nous devons nous armer. Nous le faisons en luttant, par le biais de nos forces de sécurité et de nos forces armées, mais également en utilisant la force du droit et de la Constitution.

La proposition que nous faisons vise simplement à rappeler ce que nous sommes, et non pas ce que sont les terroristes. Les terroristes, ce ne sont pas des binationaux, mais des terroristes qui ont déchiré le contrat passé avec la Nation, rompant ainsi avec ce que nous sommes.

Et c’est pour cela que les Français ont compris ce que nous sommes en train de faire et c’est pourquoi ils n’attendent pas de nous telle ou telle critique sur l’un ou l’autre ou une mise en cause du Président de la République, dont je souligne qu’il a été à la hauteur, et c’est son honneur.

D’ailleurs, à chaque fois, depuis 2012, que la Nation a été attaquée par des terroristes, le Président de la République, François Hollande, et plus récemment en janvier et en novembre derniers, a su être un homme d’État, capable de répondre aux événements et de réaliser l’union de la Nation. Chacun l’a reconnu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Il a été à la hauteur lorsqu’il a fallu sauver le Mali, qui menaçait d’être désintégré par les terroristes.

Mais au-delà de ce débat, si la critique est tout à fait normale, nous sommes à un moment clé où il est important de faire la démonstration que le Parlement et les forces politiques de ce pays sont capables de s’unir autour de l’essentiel. Et, je le crois, l’essentiel passe aujourd’hui par la révision de notre Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle.

Article 1er

M. le président. Un certain nombre d’orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

Je rappelle que chacun dispose d’un temps de parole de deux minutes.

La parole est à M. Gilbert Collard, premier inscrit.

M. Gilbert Collard. Monsieur le Premier ministre, chers collègues, tous les discours du monde n’arriveront pas à transformer l’inutilité en utilité.

Cet article 1er, qui veut constitutionnaliser l’état d’urgence, est inutile. On sait, depuis le 25 janvier 1985, que l’état d’urgence est conforme à la Constitution. Alors pourquoi vouloir absolument le faire entrer dans la Constitution ?

Je pense personnellement, mais je ne veux pas être désagréable, que ce que vous faites s’apparente à du vent, du vent constitutionnel, du vent juridique. La Constitution n’est pas un objet qu’on fait entrer dans une boîte à outils, fut-elle présidentielle. Il en ressort quelque chose de l’ordre de la désacralisation dès lors qu’on se sert de la Constitution comme d’un instrument politique.

J’ai peur, après que l’on a constaté le départ de Mme Taubira, les atermoiements dont vous avez fait preuve, les hésitations, que vous cherchiez à couvrir votre nullité politique, désormais un peu burlesque, du noble vêtement de la Constitution.

C’est dommage. Nous n’avons pas besoin de constitutionnaliser ce qui n’a pas à l’être. Le faire, c’est donner l’impression qu’on utilise les instruments juridiques suprêmes de notre pays pour des accommodements politiques.

Tout le monde sait, les juristes l’ont dit et répété, que l’état d’urgence est constitutionnel. Il n’y avait donc pas lieu de recourir à ce qui constitue l’article 1er.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, mes collègues écologistes et réformistes et moi-même soutenons l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution telle qu’elle est prévue par l’article 1er de cette réforme constitutionnelle. C’est un progrès de l’État de droit et un gage de clarté.

Monsieur Collard, vous dites que ce texte n’est pas nécessaire en mettant en avant des décisions du Conseil constitutionnel, mais ces décisions portaient sur des questions prioritaires de constitutionnalité et pas sur l’ensemble.

Cet article est un chapeau constitutionnel qui donne une définition claire de l’état d’urgence et lui apporte plus de stabilité juridique que la loi de 1955.

Nous pensons que l’état d’urgence est parfois utile, voire nécessaire, et que le fait de parler dans la Constitution de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » est une bonne chose car c’est une définition claire. Il en va de même de la notion d’« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » car le terrorisme n’est pas la seule menace imminente pouvant nécessiter des mesures exceptionnelles.

Nous souhaitons y ajouter, et nous défendrons plusieurs amendements en ce sens, l’obligation d’un contrôle parlementaire de l’état d’urgence afin que ce contrôle soit inscrit dans la Constitution, sachant que le Conseil constitutionnel pourra se prononcer sur la régularité de l’utilisation de l’état d’urgence.

Nous souhaitons en outre fixer un délai maximum de trois mois de sorte que le Parlement sera amené à se prononcer chaque fois que ce délai sera atteint.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy. Être forts et être justes : Dominique Raimbourg prononçait ces mots ce matin et je les partage. Il n’y a pas de méprise entre les partisans de la constitutionnalisation de l’état d’urgence et ceux qui, comme moi, pour l’heure, n’y sont pas favorables.

J’ai voté sa prolongation pour trois mois. Nous sommes tous d’accord pour agir fermement contre le terrorisme. L’État et le Gouvernement ont agi et continuent d’agir.

Deux raisons essentielles motivent ma position.

La première, c’est qu’il n’est pas sain dans une démocratie de décider de réformer le texte fondamental qu’est la Constitution en réaction, dans un contexte de peur, de terreur et même de guerre. Le pays a peur et nous le comprenons tous.

Mais comme le rappelle l’éminente juriste Mireille Delmas-Marty, il convient de raisonner la raison d’État. Et c’est ma deuxième raison.

Qu’il faille réformer l’état d’urgence, qui relève de la loi de 1955, me paraît nécessaire à plus d’un titre. Qu’il faille réformer les conditions de l’état de siège, qui confère les pouvoirs de police aux militaires, conditions fondées sur une législation du dix-neuvième siècle, est également évident. Mais faut-il en passer par une révision constitutionnelle dans le contexte actuel ? Je m’interroge. Car finalement, depuis huit ans, nous n’avons rien fait de la proposition du comité Balladur.

L’état d’urgence peut rester du domaine de la loi, qui, nous sommes d’accord, doit être modifiée et précisée. D’ailleurs, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, qui viendra en débat prochainement, intégrera dans le droit commun des dispositions et des nouvelles procédures dont certaines s’apparentent aux procédures d’exception relevant de l’état d’urgence. Le débat aura donc lieu.

Ma conviction, en matière de lutte contre l’insécurité comme de lutte contre le terrorisme, est qu’il ne suffit pas de multiplier les lois ni de réformer la Constitution pour être efficace.

Deux conditions majeures ne sont pas encore remplies pour assurer une protection optimale des Français. D’une part, le renseignement et le fonctionnement des forces de l’ordre sont trop compartimentés – des réformes sont indispensables – et d’autre part les citoyens sont trop tenus à l’écart du fait d’une doctrine d’emploi des forces de l’ordre où prime le maintien de l’ordre.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’inscription de la déclaration de l’état d’urgence dans notre loi fondamentale.

Tout d’abord, il n’est pas sain de réviser la Constitution pendant l’état d’urgence.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

Mme Michèle Bonneton. Ce n’est pas avec des larmes dans les yeux, comme cela a été dit, que l’on révise la Constitution. Au contraire, cette procédure requiert objectivité, sérénité, sagesse.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

Mme Michèle Bonneton. De plus, comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 décembre 2015, cette constitutionnalisation n’est pas indispensable. La loi de 1955 est suffisante, comme cela a été démontré en novembre dernier.

Il s’agit seulement de constitutionnaliser la loi existante, ce qui n’apportera aucune protection supplémentaire pour les Français, contrairement à ce que certains veulent leur faire croire.

Cependant, l’état d’urgence sera mis au même niveau que les grands principes constitutionnels qui protègent nos libertés fondamentales, alors qu’aujourd’hui l’état d’urgence est soumis à ces principes. C’est la hiérarchie des normes qui est en cause. Ce n’est pas rien !

De plus, le texte proposé ne précise aucune garantie en termes de durée, de conditions, de contrôle par la justice ou de limites, y compris pour ce qui concerne les droits fondamentaux auxquels il ne peut être dérogé. D’après le défenseur des droits, M. Jacques Toubon, cela pourrait autoriser des mesures qui seraient aujourd’hui contestables au regard de la Constitution – il pourrait s’agir, entre autres, de saisies administratives, de retenues temporaires et de perquisitions administratives élargies.

Notre groupe propose, pour atténuer les risques de dérives, que cette loi soit une loi organique, afin que l’avis du Conseil constitutionnel soit requis, et nous regrettons que la commission des lois n’ait pas accepté cette condition. Évitons d’aller, au fil des lois, vers un État où l’exécutif et son administration prendraient le pas sur l’autorité judiciaire et sur l’État de droit – qui, comme l’a rappelé récemment Robert Badinter, n’est pas un État faible.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Avec cet article 1er, vous inscrivez l’état d’urgence dans la Constitution. Il s’agit d’une disposition que vous tentez de justifier par votre souci de protéger la sécurité de nos concitoyens – qui est en effet essentiel et sans aucun doute partagé par tous. C’est d’ailleurs précisément ce souci qui m’a conduite à voter la prolongation de l’état d’urgence en novembre dernier. Là n’est donc pas l’objet du débat qui nous occupe.

La question est de savoir si cette inscription permet effectivement, comme vous le prétendez, d’améliorer la sécurité. Nous pensons que ce n’est pas le cas et vous le savez parfaitement, car les faits montrent que, depuis 1955, date à laquelle la loi a instauré l’état d’urgence, les gouvernements y ont eu recours à plusieurs reprises sans qu’il soit sacralisé dans la Constitution. Vous avez d’ailleurs déclaré vous-même que cet état d’exception « doit être limité au strict nécessaire et ne présenter qu’un caractère temporaire ».

Son inscription aujourd’hui dans la Constitution correspond en réalité à une modification durable de l’équilibre des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire qui fonde notre République et son État de droit. C’est la marque d’une volonté de réduire le contrôle du pouvoir exécutif par un pouvoir judiciaire indépendant. C’est donc ouvrir la porte à de graves dérives liberticides n’ayant rien à voir avec la lutte contre le terrorisme.

Cultiver la peur chez nos concitoyens, sachant que le risque zéro ne peut exister, et utiliser leur légitime émotion pour introduire dans la Constitution des mesures remettant en cause les libertés individuelles et collectives n’est pas admissible. Je voterai contre cet article 1er, qui s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans l’actualité récente de répression des mouvements sociaux et de criminalisation de l’action syndicale.

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Monsieur le Premier ministre, la question qui se pose en réalité n’est pas de savoir s’il faut ou non appliquer l’état d’urgence, mais s’il faut le constitutionnaliser. Nous sommes en état d’urgence. Nous l’avons accepté lorsque, dans cette nuit terrible, le Gouvernement et le Président de la République l’ont décrété. Nous avons accepté de le prolonger lorsqu’on nous l’a demandé, conformément à la loi de 1955.

M. Pouria Amirshahi. Hélas !

M. Bernard Debré. Nous allons vraisemblablement l’accepter encore une fois si, comme vous l’avez dit récemment, vous nous le demandez pour trois mois supplémentaires.

M. Pouria Amirshahi. Hélas !

M. Bernard Debré. La Constitution n’a rien à y voir.

En 1955 et depuis lors, l’état d’urgence a été utilisé. Vous dites que le comité Balladur a pensé, à un certain moment, qu’il faudrait le constitutionnaliser. Or, à l’époque, le Conseil d’État a déclaré que ce n’était pas utile : il semblerait donc que le Conseil d’État change d’avis ! En votre âme et conscience, vous savez que la constitutionnalisation de l’état d’urgence n’est pas utile. Vous l’utilisez, vous nous demandez de le prolonger et nous le ferons.

Une question judicieuse a été posée tout à l’heure : pourquoi vouloir changer aujourd’hui la Constitution, alors que nous sommes dans cet état d’urgence que nous avons accepté ? On pourrait attendre que la France ne soit plus en guerre – le Président de la République dit qu’elle l’est –,…

M. Pierre Lellouche. C’est ce qu’exige l’article 89 de la Constitution !

M. Bernard Debré. …comme l’exigent en effet certains articles. Mais peut-être aussi, comme l’a dit le Président de la République, pourrait-on réfléchir, attendre et ne pas transformer la Constitution…

M. le président. Merci, monsieur Debré. Votre temps de parole est écoulé.

La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Il faut rappeler les faits et notre propre cohérence. Il y a eu le choc des événements tragiques et la réaction populaire. Il y a eu aussi une réaction politique : celle du Président de la République, qui s’est adressé à nous, à Versailles, avec une très grande clarté. Il ne l’a pas fait sur une intuition immédiate mais, me semble-t-il, après concertation avec les présidents et les présidents de groupe de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il nous a dit que nous allions inscrire l’état d’urgence dans la Constitution et, que je sache, nous avons réagi en nous levant et en applaudissant tous – ou presque – et en chantant la Marseillaise.

Mme Jacqueline Fraysse. Pas tous !

M. Paul Giacobbi. Pas tous, en effet, car il y a toujours des esprits chagrins, mais ils étaient tout de même très peu nombreux et on ne les a pas beaucoup vus. Par la suite, comme l’a dit à l’instant M. Debré, nous avons voté très largement l’état d’urgence. Ce n’est donc pas une question de fond.

La question est de savoir si nous acceptons de le placer dans la Constitution. Les esprits chagrins nous disent que ce n’est pas utile. Je rappellerai tout d’abord au professeur Debré l’adage « primum non nocere », principe assez ancien qui s’applique à son art. De fait, cette mesure ne fait pas de mal.

M. Bernard Debré. Elle ne fait pas de bien non plus.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Pensez au nombre de prostates que vous avez enlevées sans nécessité ! On les connaît, les urologues !

M. Paul Giacobbi. En deuxième lieu, la constitutionnalisation conforte, encadre et garantit. C’est ici l’occasion de clarifications, notamment, si l’on nous suit, à propos de l’état de siège prévu à l’article 36 de la Constitution.

Le débat qui s’engagera sur l’article 2 sera peut-être un peu plus compliqué, mais il n’y a pas lieu qu’il le soit sur cet article 1er, à propos duquel, bien évidemment, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera favorablement.

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi.

M. Razzy Hammadi. En l’état, je voterai évidemment pour cet article 1er, et tout d’abord pour une raison simple : si l’inscription de l’état d’urgence dans notre Constitution le conforte, elle conforte également la Constitution elle-même, car les libertés et les droits qu’elle garantit se retrouvent ainsi au même niveau.

Après avoir entendu notamment Mme Fraysse, permettez-moi de rappeler aussi que, par définition, il est contradictoire d’appeler à l’indépendance de la justice, puis de considérer que les décisions de cette même justice sont l’expression d’un harcèlement à l’encontre des syndicalistes ou des mouvements sociaux.

Dans ce même état d’urgence, le juge, qu’il soit administratif, judiciaire, ou même constitutionnel, peut être saisi. On parle donc ici de symboles, mais surtout de principes, qu’il s’agit donc de conforter dans la Constitution, mais aussi de consolider dans les us et pratiques. C’est ce que nous avons vécu hier à la préfecture de Seine-Saint-Denis, à la demande du ministre de l’intérieur – et je tiens à en remercier le Gouvernement. Nous avons pu, avec les autorités compétentes et les services de l’État, exercer un véritable suivi, voire un contrôle, de l’état d’urgence sur nos territoires. Nous aurions souhaité pouvoir exercer ce même contrôle lors d’épisodes précédents, notamment lorsque l’état d’urgence a été appliqué en 2005.

Inscrire aujourd’hui l’état d’urgence dans la Constitution relève précisément de ce type de garanties, de symboles et de principes qui visent à conforter la détermination de la République.

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax.

M. Jacques Valax. Beaucoup de choses ayant déjà été dites, j’apporterai brièvement ma modeste contribution au soutien de cet article 1er.

Vous avez rappelé, monsieur le Premier ministre, les tensions que connaît actuellement notre pays, les menaces que fait peser le terrorisme sur nos institutions et la forte attente de nos concitoyens vis-à-vis de la constitutionnalisation de cet article 1er. J’évoquerai donc trois raisons essentielles qui me conduiront à voter sans aucune réticence ni retenue en ce sens.

Faire évoluer la Constitution et l’enrichir, c’est d’abord permettre aux pouvoirs publics d’agir conformément à l’État de droit contre le terrorisme de guerre. C’est, ensuite, encadrer davantage l’état d’urgence et le mettre au même niveau de norme juridique que l’état de siège ou que les dispositions de l’article 16, alors qu’il est, je le rappelle, le régime d’exception le plus utilisé depuis le début de la VRépublique. Enfin, dans cet acte de constitutionnalisation, le contrôle parlementaire aura toute sa place, sa force et sa pertinence et nous rendrons impossible la dissolution du Parlement pendant la durée de l’état d’urgence. C’est là un élément essentiel de droit et de fait.

Ces trois séries de raisons me conduisent donc à penser et à dire que le droit et les libertés individuelles et collectives seront mieux protégés par la réforme constitutionnelle, notamment par cet article 1er qui nous est proposé.

Il faut, bien évidemment, protéger la nation et les citoyens. Il faut être plus forts, plus unis et plus justes, selon la formule employée par le président de la commission des lois. Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai l’article 1er.

Pour ce qui concerne l’article 2, le moment n’est pas venu d’argumenter, mais je puis déjà annoncer que je serai beaucoup plus réservé. J’attends donc avec impatience que les débats viennent forger la conviction qui sera éventuellement la mienne, mais qui a besoin d’être soutenue.

M. Manuel Valls, Premier ministre. On va vous aider !

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. Notre Constitution est la garante de notre régime démocratique. Elle est l’outil du peuple, qui permet de le protéger de la volonté que pourraient avoir certains de gouverner par l’arbitraire et la contrainte. C’est pourquoi, alors que nous engageons une révision de notre Constitution en raison des attaques terroristes menées contre notre République, nous devons être vigilants, car ce que nous changeons aujourd’hui restera dans l’histoire de notre pays. Nous serons responsables devant nos concitoyens, mais aussi devant leurs descendants, de ce que nous leur léguons dans le texte fondamental de nos institutions. C’est la raison pour laquelle je suis circonspect quant à la démarche que nous engageons ici. En effet, modifier la Constitution nécessite sérénité et consensus – deux conditions qui ne sont pas pleinement réunies.

L’inscription de l’état d’urgence dans notre Constitution peut cependant être utile si elle permet un meilleur encadrement des procédures mises en œuvre lorsque l’état d’urgence est déclaré. Celui-ci, qui correspond à l’attribution de pouvoirs exceptionnels, doit répondre à une exigence de transparence, de protection des libertés publiques et de respect des droits du Parlement. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé pour garantir aux parlementaires l’exercice de leurs pleines prérogatives en empêchant l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution en période d’état d’urgence. Je soutiendrai aussi des amendements permettant un contrôle renforcé des mesures prises dans ces périodes.

L’état d’urgence est un état d’exception, qui permet de prendre des mesures restreignant les libertés publiques. Ce ne peut pas être un état permanent. Il faut permettre à la justice et aux forces de l’ordre de retrouver un fonctionnement permettant d’allier l’efficacité à la protection du droit. Alors que nous sommes confrontés à une menace durable, je suis certain que la France a les moyens d’organiser la lutte contre le terrorisme dans le cadre du fonctionnement normal de ses institutions.

Dans le débat que nous ouvrons, gardons à l’esprit que, face aux terroristes qui ont souhaité remettre en cause notre modèle républicain, nous devons répondre par une République plus intégratrice, plus ouverte, plus protectrice du droit et des libertés, une République qui ne laisse aucun de ses enfants s’égarer dans la haine et qui garantit l’égalité entre tous ses citoyens.

À l’heure où je m’exprime, le texte que nous étudions ne va malheureusement pas tout à fait dans ce sens, notamment dans son article 2 – mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Je voulais cependant exprimer mon inquiétude à propos de cet article 2, car inscrire une peine au même niveau que nos grands principes fondateurs que sont la liberté, l’égalité et la fraternité est une ouverture vers une dangereuse pénalisation de notre Constitution.

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. La loi du 20 novembre comportait, vous vous en souvenez, deux éléments liés, mais très différents. Le premier était la prorogation de l’état d’urgence, envers laquelle je n’avais pas d’hostilité de principe, et, plusieurs modifications de loi de 1955, restrictives de libertés, qui ont motivé mon vote contraire.

Personne ne conteste ici le fléau terroriste et nous savons qu’il est protéiforme et permanent, à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, et que nous devons le combattre par tous les moyens. Il est cependant fondamental que cela se fasse dans le strict respect de nos libertés et sans aucun recul.

Le droit international nous permet de déroger au régime normal de protection des droits humains en proclamant un état d’exception temporaire et la Cour européenne des droits de l’homme admet que la potentialité d’une attaque peut constituer un danger menaçant la vie de la nation. Il n’y a pas, du moins dans mes lectures, d’accord décisif de l’ensemble des juristes sur l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution, mais elle reste aujourd’hui possible.

Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, le risque terroriste s’est installé pour très longtemps dans notre pays. L’argument de l’urgence ne peut donc nous être imposé indéfiniment, sous peine de confondre volontairement deux situations : l’urgence et la chronicité, pour employer une métaphore médicale.

Je fais donc mienne la conclusion du constitutionnaliste Olivier Beaud : « L’état d’urgence doit rester dans le domaine de la loi. Constitutionnaliser, c’est-à-dire institutionnaliser, banaliser, naturaliser l’état d’exception n’est pas un progrès pour la démocratie ». Dans ce sens, je défendrai un amendement de suppression de l’article 1er et plusieurs amendements visant à encadrer cet article s’il n’était pas supprimé.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Pour ma part, je n’éprouve pas d’états d’âme à inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. En effet, il y a un paradoxe à ce que soit le seul état d’exception à ne pas y figurer, alors qu’il a été le plus utilisé depuis 1958.

Cette situation n’est pas seulement paradoxale : elle me paraît aussi dangereuse. En effet, l’état d’urgence et les dispositions – adaptées ou non – de la loi de 1955 peuvent toujours être prorogés par la loi. Nous courons le risque que, dans d’autres temps, on applique toute la loi de 1955, y compris son article 12, qui autorise le recours à des tribunaux militaires en lieu et place de la justice ordinaire. Il est donc temps de subordonner l’application de l’état d’urgence au droit, ce qui est tout le sens, à mes yeux, de l’article 1er, à condition, toutefois, que la loi de 1955 soit abrogée et que soit adoptée une loi organique. En effet, celle-ci, par définition, sera moins susceptible d’être modifiée sans cesse, comme peut l’être la loi ordinaire. Cette loi organique devrait définir les modalités de l’état d’urgence et les mesures qu’il autorise pour une durée limitée. Or, l’avant-projet de loi d’application de l’article 1er que vous nous avez transmis, monsieur le Premier ministre, porte modification de la loi du 3 avril 1955, ce qui signifie que celle-ci n’est pas abrogée.

Par ailleurs, j’ai deux questions à vous poser sur le contrôle parlementaire. Premièrement, certains souhaitent inscrire ce contrôle dans la Constitution, ce que je comprends, mais n’y a-t-il pas là un risque de contradiction avec d’autres dispositions de la Constitution ? Deuxièmement, n’y aurait-il pas, par ailleurs, un risque d’exclure simultanément d’autres contrôles – je pense à ceux du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État – sur la nécessité et la proportionnalité des mesures prises sous le régime de l’état d’urgence ? Je ne doute pas, monsieur le Premier ministre, que vous pourrez répondre à ces interrogations.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Ce n’est pas l’émotion, la sidération, encore moins la peur qui nous conduit aujourd’hui à constitutionnaliser l’état d’urgence. Tout au contraire, c’est la raison, la responsabilité, le respect des valeurs républicaines qui nous enjoignent de le faire.

Nous protégeons nos valeurs républicaines en nous assurant que la Constitution empêchera une majorité de circonstance d’attenter aux libertés publiques ou individuelles.

Nous protégeons nos valeurs individuelles en inscrivant dans la Constitution les conditions de la déclaration et de la prorogation de l’état d’urgence, jusque-là prévues dans une loi simple. L’état d’urgence pourra donc être décrété, mais dans des conditions strictement limitées, qui ne pourront en aucun cas être étendues par le législateur ordinaire.

Nous protégeons nos valeurs républicaines en encadrant l’utilisation par les forces de l’ordre des moyens d’enquête exceptionnels et en garantissant le contrôle de la nécessité de ces mesures ainsi que de leur proportionnalité.

Nous protégeons nos valeurs républicaines en officialisant et en constitutionnalisant la pratique du contrôle parlementaire initiée par Jean-Jacques Urvoas. Il en va de même des propositions de réunion de plein droit du Parlement et d’impossibilité de dissolution sous l’empire de l’état d’urgence.

Pour toutes ces raisons, je voterai sans hésitation cet article 1er du projet de loi constitutionnelle.

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Je souhaite revenir sur les débats parlementaires de 1955, en particulier ceux des 30 et 31 mars et du 1er avril. Premièrement, ces débats ressemblent étrangement à ceux que nous vivons. Malgré des circonstances très différentes, puisque l’état d’urgence de l’époque était lié aux événements d’Algérie, les débats ont porté sur l’état d’urgence, et les termes d’« état d’urgence social et économique » ont même été prononcés. Je voudrais retenir trois moments de ce débat pour appuyer le fond de nos discussions.

Le premier intervenant que je veux citer s’appelait Édouard Depreux. Il a rappelé la nécessité de marquer une limite temporelle à cet état. « Que penseront les parlementaires de nos débats dans cinq, dix, quinze ou cinquante ans ? », se demandait-il.

Le deuxième acteur s’appelait Francis Valls, député socialiste, qui rappelait la sensibilité de la question au regard de ce qui advint en 1852, avant le coup d’État de Napoléon III et des événements de 1893-1894. Sa crainte était que nous perdions l’articulation entre état d’exception et état de droit.

Le troisième orateur était François Mitterrand, qui n’était plus, à l’époque, ministre de l’intérieur, mais qui exprimait ses doutes quant à la possibilité d’édicter une telle loi.

Puissions-nous nous inspirer des débats d’un autre temps, d’un autre ordre constitutionnel, pour discuter de l’opportunité de réformer la Constitution. De fait, les débats de l’époque portaient sur la question suivante : faut-il une loi ordinaire, une loi organique portant sur la séparation des pouvoirs ou une loi constitutionnelle ? Cela atteste la volonté de préserver une juste séparation des pouvoirs. (Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. J’ai voté l’état d’urgence sans état d’âme, car je le crois nécessaire face à l’état de guerre dont a parlé avec talent et justesse le Premier ministre. La question n’est pas là. La question est de savoir s’il faut inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. Pour avoir beaucoup travaillé la question et avoir cherché les arguments juridiques qui plaideraient en faveur de la constitutionnalisation, je vous avoue que je n’en ai point trouvé.

Cette loi a survécu à deux républiques. Elle a été utilisée à maintes reprises. Elle a été consacrée par le Conseil constitutionnel à deux reprises. Elle a été validée par le Conseil d’État. Son utilisation, ces derniers mois, a été contrôlée par le Conseil d’État et par le Parlement, qui vote les conditions d’entrée et de sortie. Toutes les garanties en matière de libertés publiques sont donc remplies, sous le contrôle du juge administratif.

Inscrire ces dispositions dans la Constitution ne changera donc rigoureusement rien – je dis bien rigoureusement rien – aux garanties de sécurité pour nos concitoyens. De ce point de vue, monsieur le Premier ministre – puisque, comme d’autres, vous avez utilisé cet argument – on ne peut pas comparer l’état d’urgence avec l’article 16, qui confère des pouvoirs exceptionnels au Président de la République en cas d’interruption du fonctionnement de nos institutions, ou avec l’état de siège, qui est une militarisation totale du pays en cas de guerre. Ce n’est pas la même chose.

Il n’y a donc aucune espèce de raison de constitutionnaliser cette loi, sauf des motifs qui tiennent, monsieur le Premier ministre, à l’habileté politique. C’est là, malheureusement, que nous nous séparons. Je crains fort que, depuis le 16 novembre, la fébrilité constitutionnelle du Gouvernement ne cache son impuissance à régler les problèmes concrets de la guerre contre le terrorisme, à commencer par la remise en ordre de nos services de renseignement, qui sont actuellement dans une situation plutôt chaotique, et le renforcement des moyens de nos forces de police et de défense.

Monsieur le Premier ministre, si nous subissons un autre attentat, ce qu’à Dieu ne plaise, je souhaite que, si vous devez expliquer les mesures que vous avez prises, vous puissiez mettre en avant autre chose que la réforme de la Constitution. Je crains donc que tout ce débat – pardon de le dire aussi crûment – ne soit qu’un enfumage général du pays.

M. le président. Merci, monsieur Lellouche. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Quand la discussion générale est un peu contrainte,…

M. Christian Paul. Contrainte est un euphémisme. Elle est censurée !

M. Pierre-Alain Muet. …les interventions sur l’article 1er permettent souvent de la prolonger. Je vais profiter de cette opportunité. L’article 1er ne me pose pas de problème : le fait d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution pour l’encadrer est une très bonne mesure, que je voterai. Mais que vient faire l’article suivant, relatif à la déchéance de nationalité, dans un texte constitutionnel ? Il n’était d’ailleurs pas clair dans le discours du Président devant le Congrès que cette déchéance serait inscrite dans la Constitution.

Depuis 1803 jusqu’à ce jour, les règles relatives à la nationalité n’ont plus figuré dans aucune des constitutions de la France. La Constitution de la Ve République ne mentionne la nationalité que pour rappeler, en son article 34, qu’elle relève de la loi. Quelle qu’en soit la formulation, et elle a beaucoup varié ces derniers jours, la déchéance de nationalité n’aura pas d’impact sur le terrorisme et ne produira que des effets pervers. Soit, en effet, elle s’appliquera à tous les terroristes et contreviendra alors à l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui interdit l’apatridie. Soit, elle ne concernera que ceux qui ont une autre nationalité, ce qui n’est guère conforme au principe d’égalité, fondateur de notre République.

Introduire dans notre loi fondamentale une mesure aussi inutile que controversée ne me paraît pas la décision la plus raisonnable dans le contexte actuel. La Constitution n’est pas destinée à être le réceptacle des mesures de circonstance. Je pense donc qu’il serait sage de s’en tenir à cet excellent article 1er et, soit d’oublier le suivant, soit de lui substituer une déchéance de citoyenneté, qui me paraît plus cohérente avec une Constitution dont le préambule fait référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je ferai trois remarques, principalement sur l’article 2, car j’aurai l’occasion d’évoquer l’article 1er en présentant mes amendements. Premièrement, qu’est-ce qu’une constitution ? Une constitution doit définir les règles relatives au fonctionnement régulier des pouvoirs publics, à la séparation des pouvoirs, au fonctionnement de l’autorité judiciaire ; elle doit également énoncer les libertés fondamentales ; elle doit enfin déterminer le mécanisme permettant de la contrôler et de la réviser. La constitution n’a pas pour rôle de définir les peines pénales ; cette prérogative appartient à la loi pénale. Or, vous entendez, par ce projet de loi, transformer la déchéance de nationalité, qui était une sanction civile, en une peine pénale, tout en la faisant entrer dans notre Constitution. Celle-ci contient une seule référence à une peine, en son article 66-1, aux termes duquel « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » Si vous introduisez aujourd’hui, dans la Constitution, la définition des crimes ou des délits passibles de la déchéance, vous devrez, demain, y déterminer les conséquences du viol, du meurtre, de l’assassinat, de l’empoisonnement ou de l’escroquerie, pour ne prendre que ces exemples : ce n’est pas son rôle.

Deuxièmement, il ne vous a pas échappé que vous enfantiez un monstre juridique. Soit vous venez sur le terrain des binationaux, et vous êtes accusés de discrimination, soit vous venez sur le terrain de la déchéance pour tous, et vous allez, à rebours du droit, fabriquer des apatrides.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Pascal Cherki. Monsieur le Premier ministre, en 1998, vous étiez conseiller technique auprès de Lionel Jospin quand celui-ci, alors Premier ministre, a interdit la déchéance de nationalité pour les naturalisés. Si l’on en faisait des apatrides, à quel retournement de l’histoire – pour ne pas employer une image vestimentaire – assisterait-on aujourd’hui !

Nous faisons face à un double déni. D’un côté, certains disent que cela n’a rien à voir avec l’islam, alors que ceux qui commettent ces attentats le font au nom d’une conception de l’islam qu’il faut combattre. D’un autre côté, on entend que cela n’a rien à voir avec la France, alors que des Français commettent ces actes. Alors que Jacques Chirac a su reconnaître, dans son discours du Vél’ d’Hiv, la responsabilité de la France dans la collaboration et la participation de notre pays au génocide, je ne comprends pas que nous ne soyons pas capables de reconnaître la responsabilité de Français pour des actes que nous combattons.

Troisièmement, une révision de la Constitution se fait dans le rassemblement. C’est la responsabilité du Gouvernement, du Premier ministre et du chef du principal parti de l’opposition de créer les conditions de ce rassemblement pour parvenir à un consensus. En l’occurrence, vous avez créé les conditions du dissensus, tant à gauche qu’à droite. La sagesse voudrait que vous retiriez l’article 2, car vous suscitez de la confusion au lieu d’apporter de la sérénité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Après les terribles événements du mois de novembre, les débats sur l’état d’urgence sont toujours difficiles, face à la menace terroriste, que personne ne nie, face à la peur et à l’émotion, qui demeurent vivaces, et aussi parce que, pour la plupart de nos concitoyens, l’état d’urgence ne change pas le quotidien. Cela peut d’ailleurs conduire certains à penser que les débats sur le respect des libertés fondamentales sont simplement théoriques et présentent finalement peu d’importance. Or, je crois que le rôle de la représentation nationale est d’expliquer que ce sont au contraire des débats fondamentaux pour notre démocratie et pour notre pacte républicain, et qu’il faut les mener dans la raison et la sérénité, quel que soit le terrible contexte dans lequel ils se tiennent.

Le 19 novembre dernier, on nous demandait, dans l’urgence, en quelques heures, de voter, non seulement la prolongation de trois mois de l’état d’urgence, mais aussi des mesures substantielles modifiant le contenu de la loi de 1955. C’est au nom de ces modifications que je me suis abstenue sur le vote de la loi, considérant que plusieurs d’entre elles posaient problème et, surtout, qu’il fallait éviter de faire ce que nous avions condamné par le passé, à savoir légiférer dans l’émotion, a fortiori sur la question des libertés publiques.

À présent, on nous demande de constitutionnaliser cet état d’urgence et, en toile de fond, on nous annonce que l’on veut d’ores et déjà le prolonger à l’issue de cette période de trois mois. Cela s’articule avec un nouveau projet de loi de lutte contre le terrorisme, dont de nombreuses dispositions inquiètent défenseurs des libertés et autorités judiciaires.

Il est important de souligner que c’est dans cet enchaînement sécuritaire qu’il faut examiner ce que l’on nous demande de voter aujourd’hui. Dans ce contexte, constitutionnaliser l’état d’urgence permettra-t-il de mieux articuler la sécurisation de l’ordre public et le respect du droit et des libertés, et de mieux protéger ces dernières ?

Je ne le crois pas, parce que le contexte ne permet toujours pas d’avoir le recul suffisant pour répondre à une telle question. Nous sommes d’ailleurs en train de légiférer en plein état d’urgence : les débats ne sont toujours pas tranchés sur son efficacité dans la durée, ni sur les conséquences de mesures de modification votées il y a moins de trois mois.

De plus, à ce stade, la constitutionnalisation que l’on nous propose ne s’accompagne pas des dispositions qui permettraient de mieux encadrer ces mesures de l’état d’urgence, notamment par le contrôle de l’autorité judiciaire. C’est pourquoi, dans ces conditions, je m’opposerai à cet article premier.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. J’ai fait partie de ceux qui, le 13 novembre au soir, et jusqu’au 15 pour ce qui me concerne, ont approuvé tant l’attitude que les décisions de l’exécutif, y compris l’état d’urgence décrété pour douze jours. En effet, les terroristes étaient encore dans la nature à ce moment-là, les assassins étaient encore dans la rue et il fallait bien, pour douze jours – c’était largement suffisant –, se donner les moyens de les appréhender.

Mais dès le 16, mon avis a changé, glacé par le discours de Versailles que, pour ma part, je n’ai pas applaudi. Je n’ai pas applaudi parce que j’y ai vu, à l’image d’autres dispositions annoncées dans d’autres pays européens, une dérive globale, une crispation du pouvoir sur son propre pouvoir, une sorte de confusion dans notre débat démocratique entre ce qui protège et ce qui exclut, entre ce qui relève de la sûreté nationale et ce qui relèverait de la responsabilité supposée de corps étrangers.

Pour ma part, je ne me laisserai pas aller à des confusions visant à constitutionnaliser l’état d’urgence, avec des conséquences potentiellement lourdes.

En laissant pour l’instant de côté les aspects pratiques, je souhaiterais revenir, monsieur le Premier ministre, sur la dimension principielle de la réforme de la Constitution. La Constitution définit des principes et vous avez vous-même, malheureusement, repris à votre compte la funeste formule selon laquelle « la sécurité est la première des libertés » – funeste, car cette formule n’est pas de nous.

Je me permets de vous rappeler que la première de nos sécurités, c’est la liberté, celle qui nous permet d’être en démocratie. C’est donc la liberté qui nous permet d’être en sécurité et de ne pas être inquiétés pour nos opinions.

Je finirai sur ce point fondamental : il n’y a pas, dans le domaine des libertés, à invoquer la sécurité, qui n’est pas une liberté mais n’en est qu’une condition. Elle est la condition de la liberté d’aller et venir, la condition de notre liberté de conscience, la condition de la liberté de nous réunir – et non une liberté en soi ! Cela est une funeste idée, que nous n’avons jamais partagée ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho.

M. Patrice Carvalho. Le premier alinéa de l’article 36-1 que vous nous proposez d’ajouter à la Constitution reprend l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 qui définit les conditions de déclenchement de l’état d’urgence.

Force est de constater que cette rédaction, réalisée dans le contexte de la guerre d’Algérie, est particulièrement large. Comment pouvons-nous être certains qu’à l’avenir, un gouvernement ne retiendra pas une interprétation extensive du « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ?

Certes, rendre ces dispositions immuables en les constitutionnalisant comme vous le proposez pourrait être salué comme un progrès si cela s’avérait la garantie d’un encadrement strict des pouvoirs conférés à l’exécutif. Mais vous nous demandez de constitutionnaliser une rédaction qui manque de rigueur alors que la protection des libertés fondamentales est ici en jeu.

Nous ne saurions tolérer que notre texte suprême intègre un encadrement aussi laxiste des conditions de mise en œuvre d’un état d’exception impliquant de graves atteintes aux droits des citoyens. Quand bien même nous admettrions que certaines circonstances devraient impliquer des dérogations à l’État de droit, encore faudrait-il que ces dérogations ne puissent être mises en place de façon abusive au regard de l’intention originelle du constituant.

La force d’une Constitution réside dans sa capacité à résister et à anticiper l’imprévisible. Or cette rédaction de l’article 1er du projet de révision ne présente pas de progrès réel quant à la protection des droits fondamentaux. Sa mise en œuvre est à la merci d’une interprétation malheureuse ou malintentionnée. Notre devoir est aussi de prémunir les Français contre de tels risques.

En conséquence, nous voterons contre cet article 1er. Mais, monsieur le Premier ministre, que ferez-vous si, dans six mois, nous devions subir un nouvel attentat ? Nous ferez-vous encore voter une loi ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. La discussion concrète du projet de loi constitutionnelle qui a commencé est difficile, nous le voyons bien, sans doute parce que nous avons fait nôtre la formule de Montesquieu : il ne faut changer la loi que d’une main tremblante, d’autant plus lorsqu’il s’agit de la loi fondamentale, la Constitution.

Je veux donc, à cette occasion, donner mon point de vue sur l’article 1er, naturellement, mais aussi sur l’article 2. S’agissant de ce dernier, je veux dire mon opposition à l’extension de la déchéance de nationalité qui n’est, à mes yeux, qu’une mesure d’affichage, sans effet réel pour dissuader ou pour sanctionner, qui affaiblit le principe d’égalité et la conception républicaine de la citoyenneté liée à la nationalité.

J’ai proposé avec Christian Hutin, député, comme moi, du Mouvement républicain et citoyen, d’inscrire dans la Constitution une déchéance civique, qui serait définie par la loi comme une peine complémentaire ; j’y reviendrai lors de l’examen de l’article 2.

Sur l’article 1er, je veux dire au Premier ministre mon accord de principe sur l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence. Nous avons évoqué à plusieurs reprises Guy Carcassonne et Édouard Balladur : je partage la préconisation du comité Balladur – toute la préconisation du comité Balladur, c’est-à-dire d’inscrire dans la Constitution l’état d’urgence mais aussi d’ériger l’état d’urgence au niveau d’une loi organique et non d’une loi ordinaire.

Voilà, mes chers collègues, les propositions que je ferai à l’occasion de la présentation d’amendements qui concerneront aussi le contrôle parlementaire et surtout la fixation d’une durée, car l’état d’urgence ne doit pas être rechargeable automatiquement ni permanent : il doit faire l’objet d’une délibération de l’Assemblée nationale et du Sénat.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Depuis le début de l’examen de ce texte, des mots comme « stratégie », « habileté politique » ou « posture politicienne » ont émaillé la discussion sur les différents bancs.

Aujourd’hui, la Nation est rassemblée pour faire face au fléau ; le peuple est rassemblé dans la solidarité. La moindre des choses, l’impérieuse nécessité, l’ardente obligation qui est la nôtre aujourd’hui, c’est de montrer, au sein du Parlement, au-delà des sensibilités, notre capacité à nous rassembler. Le Premier ministre a parlé d’exigence ; je dirai, pour ma part, que c’est tout simplement un devoir que nous avons à l’égard des Français.

Le débat est nécessaire et légitime, a fortiori dans notre enceinte, mais au terme de ce débat, nous devrons faire la part des choses pour donner au peuple français l’exemple du rassemblement de ses élus, de celles et de ceux qui parlent en son nom au sein des institutions.

En ce qui concerne l’article 1er plus spécifiquement, je suis favorable à la constitutionnalisation de l’état d’urgence pour les raisons qui ont été, à juste titre, développées. Les autres états d’exception – l’article 16 et l’état de siège – sont d’ores et déjà constitutionnalisés ; l’état d’urgence est un état d’exception qui s’inscrit dans l’État de droit. Dès lors qu’un état d’exception s’inscrivant dans l’État de droit n’est pas dans la loi fondamentale, quelque chose ne va pas. L’erreur n’est donc pas de le constitutionnaliser aujourd’hui, mais de ne pas l’avoir fait avant.

Cet état d’urgence comporte la possibilité d’atteintes majeures à un certain nombre de libertés publiques : si l’on veut garantir que ces atteintes sont mesurées et proportionnées, il nous appartient, de manière impérative, de leur donner le fondement juridique le plus élevé possible : c’est le cas de la Constitution de la République française.

Enfin, nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à asseoir, de la manière la plus solide possible, le contrôle du Parlement sur les mesures prises par l’exécutif dans le cadre de l’état d’urgence. Nous en débattrons lorsque ces amendements viendront en discussion.

M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.

M. Alain Chrétien. J’ai une question très précise à poser au Gouvernement en ce qui concerne la poursuite de la modernisation de la loi de 1955, que nous avons commencée le 20 novembre dernier.

J’aimerais savoir si vous attendrez la réforme de la Constitution pour nous soumettre à nouveau ce deuxième projet de loi relatif à la modernisation de l’état d’urgence – un avant-projet de loi dont nous avons eu communication il y a quelques jours.

Il est indispensable, pour les services de police, de procéder à ces quelques modifications, concernant notamment la saisie des ordinateurs et des téléphones portables prévue dans ce second projet de loi de modernisation,…

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Ce n’est pas constitutionnel !

M. Alain Chrétien. …mais que le Premier ministre, apparemment, conditionnait à l’approbation de la réforme constitutionnelle.

Il faudra également nous donner quelques précisions sur ce sujet. Peut-on se permettre d’attendre plusieurs mois avant de moderniser le régime juridique de la loi de 1955 alors qu’il y a urgence – c’est le cas de le dire ! – à ce que tous les moyens soient donnés à nos services de police et de sécurité pour combattre les terroristes ?

J’aimerais donc savoir si ce second projet de loi sera soumis avant que la réforme constitutionnelle arrive à son terme – si elle va à son terme un jour !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. C’est la Constitution !

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je souhaite verser au débat un argument complémentaire en réponse à mes collègues qui sont défavorables à la constitutionnalisation de ce texte. Je pense, après une longue réflexion, qu’il faut constitutionnaliser l’état d’urgence.

Constitutionnaliser, c’est sécuriser, c’est encadrer, c’est même blinder, parce que cette procédure est de droit commun alors que notre Constitution du 4 octobre 1958 impose de constitutionnaliser les procédures dérogatoires telles que celle prévue par l’article 16 ou l’état de siège.

Constitutionnaliser, c’est préserver nos concitoyens ; c’est surtout préserver les justiciables, ceux qui pourraient se prévaloir d’être victimes d’une loi instaurant un état d’urgence et auraient à s’en plaindre.

Si nous ne parvenions pas à constitutionnaliser, si nous restions en l’état, que se passerait-il si une autre majorité venait à voter un texte particulièrement liberticide en l’absence de véritable garantie ? Je rappelle que le juge judiciaire n’intervient pas : seul le juge administratif intervient pour toutes les procédures, qu’il s’agisse des assignations à résidence ou des perquisitions.

Constitutionnaliser préserve donc l’avenir parce que cela donnerait la possibilité extraordinaire au justiciable qui se sent victime de déposer, dans le cadre d’une procédure, une question prioritaire de constitutionnalité et de saisir une juridiction, qu’elle soit civile, administrative ou pénale, afin d’obtenir l’annulation de la loi qui déclare l’état d’urgence.

Rappelons-nous qu’en 1955, la question prioritaire de constitutionnalité n’existait pas, pas plus qu’en 2005. Aujourd’hui, en revanche, elle constitue un élément nouveau permettant de sécuriser les justiciables, à condition de constitutionnaliser l’état d’urgence. Je tenais à apporter cet argument supplémentaire à nos débats.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, lundi 8 février, à seize heures :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly