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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 16 février 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Pacte de responsabilité

M. Éric Alauzet

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Cohérence gouvernementale

M. Philippe Vigier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Pacte de responsabilité et emploi

Mme Catherine Troallic

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Crise de l’agriculture

M. Marc Le Fur

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Mobilisation pour l’agriculture

M. Hervé Pellois

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Politique tarifaire des compagnies aériennes pour les liaisons entre la métropole et l’océan Indien

M. Thierry Robert

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Référendum sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

M. Guillaume Chevrollier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Situation en Syrie

M. Jean-Louis Destans

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Politique étrangère

M. Jacques Myard

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Conférence nationale de santé

M. Gérard Bapt

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Politique de l’emploi

M. Olivier Dassault

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Situation dans le Calaisis

M. Christian Hutin

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Cohérence gouvernementale

M. Dominique Tian

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

Menace terroriste

M. Philippe Cochet

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Mise en œuvre de la prime d’activité

M. Gaby Charroux

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Suspension et reprise de la séance

2. Prorogation de l’état d’urgence

Présentation

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable

M. Noël Mamère

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Présidence de Mme Catherine Vautrin

M. Pascal Popelin, rapporteur

M. Alain Tourret

M. André Chassaigne

M. Yves Goasdoué

M. Éric Ciotti

Mme Isabelle Attard

M. Yves Jégo

Motion de renvoi en commission

M. Sergio Coronado

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. André Chassaigne

Mme Cécile Untermaier

M. Guillaume Larrivé

M. Noël Mamère

Discussion générale

M. Alain Tourret

M. André Chassaigne

M. Yves Goasdoué

Suspension et reprise de la séance

M. Guillaume Larrivé

M. Michel Zumkeller

M. François de Rugy

M. Hugues Fourage

M. Jean-Frédéric Poisson

Mme Michèle Bonneton

Mme Véronique Besse

M. Carlos Da Silva

M. Jean-Luc Laurent

M. Alain Chrétien

Mme Françoise Descamps-Crosnier

M. Éric Ciotti

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Discussion des articles

Article unique

Mme Michèle Bonneton

M. Thierry Mariani

M. Gérard Sebaoun

M. Pouria Amirshahi

M. Denys Robiliard

Amendements nos 13 , 4

Après l’article unique

Amendements nos 8 , 7 , 9 , 2, 3 , 5, 6

Explications de vote

M. Alain Tourret

M. François Asensi

M. Philippe Gomes

Vote sur l’ensemble

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Pacte de responsabilité

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Je veux d’abord souhaiter toute la réussite possible aux ministres écologistes qui ont rejoint le nouveau gouvernement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) et bon courage dans cette période difficile.

Monsieur le Premier ministre, depuis 2013, le Gouvernement a engagé une politique de soutien sans précédent en faveur des entreprises, de leur compétitivité et, nous l’attendons tous, de l’emploi. Les premières aides significatives du pacte de responsabilité datent seulement du milieu de l’année 2014 : elles étaient de 24 milliards d’euros en 2015 et seront de 32 milliards en 2016.

Le Gouvernement doit être exigeant avant de concrétiser l’objectif des 41 milliards d’euros en 2017, en particulier pour ce qui concerne la dernière étape de suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Cela représente 5 milliards d’euros, qui bénéficieraient aux plus grosses entreprises alors que les accords de branche piétinent.

Le Gouvernement lui-même indique que « le bilan n’est pas satisfaisant » et que « les engagements ne sont pas respectés partout ». Nous devons non seulement mieux cibler les aides en faveur des petites et moyennes entreprises, mais aussi leur offrir plus de débouchés et de commandes grâce à un soutien renforcé au pouvoir d’achat des ménages et à l’investissement des collectivités locales. C’est la condition d’une reprise de l’activité du secteur du bâtiment et des travaux publics, dans une logique de développement durable, qui conditionnera aussi le retour de la confiance dans l’ensemble de l’économie de notre pays.

M. Christian Jacob. Il serait temps !

M. Éric Alauzet. Car, en janvier 2016, l’enquête INSEE sur la conjoncture dans l’industrie du bâtiment révélait que les entrepreneurs continuent de juger leurs carnets de commandes très peu garnis, sans compter les problèmes de trésorerie rencontrés par les chefs d’entreprise. Nous devons tout faire pour inverser la tendance.

M. Guy Geoffroy. Bla-bla-bla !

M. Éric Alauzet. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous m’assurer que l’ensemble de ces sujets sont sur la table et que le Gouvernement a bien ouvert tout le champ des possibles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, la croissance a repris l’année dernière, puisqu’elle a été d’un peu plus de 1 %. C’est mieux que précédemment, mais c’est encore insuffisant. Cette année, nous nous sommes fixé l’objectif d’atteindre 1,5 %, taux à partir duquel les créations d’emplois sont suffisamment supérieures aux diminutions d’emplois pour que le chômage recule.

L’année dernière, près de 50 000 emplois ont été créés dans le secteur privé, mais cela ne suffit pas pour faire reculer le chômage.

Quels sont les deux piliers de notre politique économique ? Le premier, c’est le soutien à la consommation et aux ménages, avec une politique de baisse des impôts, déjà menée l’an dernier et renforcée cette année, qui soutient le pouvoir d’achat et conduit, comme on le voit d’ailleurs, à une consommation accrue.

Le second pilier, auquel vous avez fait allusion, monsieur le député, c’est le soutien aux entreprises, pour l’investissement et pour l’emploi. En effet, c’est l’investissement et surtout l’emploi qui permettront d’obtenir une croissance supérieure et de faire face à cette grande difficulté à laquelle la France est confrontée depuis des années et des années, à savoir l’augmentation du chômage.

Avec le soutien de la majorité, nous avons mis en place un programme d’aide aux entreprises : comme vous le rappeliez, monsieur le député, il s’agit de 33 milliards d’aides à l’heure actuelle et de 41 milliards pour l’année prochaine. Mais il y a une condition : chacun doit prendre ses responsabilités et avoir la capacité de tenir ses engagements. Un engagement est un engagement…

M. Christian Jacob. Bravo !

M. Michel Sapin, ministre. …qu’il soit pris par le Gouvernement, qui tient ses engagements, par le Parlement, qui tient ses engagements, ou par les chefs d’entreprise, qui doivent tenir leurs engagements. Hier, nous avons fait le bilan des accords de branche. C’est insuffisant. Il faut aller plus loin.

Nous aurons à en reparler, avec vous-même, avec l’ensemble de l’Assemblée, au cours de cette année.

Cohérence gouvernementale

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, à quoi aura servi le remaniement de jeudi dernier ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains. À rien !

M. Philippe Vigier. À faire croire que vous avez encore une majorité pour conduire les réformes dont le pays a besoin ? À augmenter le nombre des ministres pour le porter à trente-huit, ce qui n’est pas un gage d’efficacité ? À saigner à blanc les Verts et leur velléité de primaire ou à mettre sous le boisseau Emmanuel Macron et ses velléités de réformes ? Ce remaniement ne changera rien. En tout cas, la politique du Gouvernement a échoué, en particulier sur le chômage.

Monsieur le Premier ministre, vous aimez à dire que les mots d’ordre de votre majorité sont la cohérence, la cohésion et la clarté. Mais où est la cohérence lorsque vous rejetez sur le dos du patronat l’échec du pacte de responsabilité ou lorsque François Hollande se défausse sur l’Europe de la crise agricole ? Où est la cohésion lorsque Emmanuelle Cosse, à peine nommée ministre, réitère son opposition à la déchéance de nationalité, alors que notre groupe vous a soutenu au nom de l’unité nationale et de l’intérêt général ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Bernard Accoyer. C’est la chienlit !

M. Jacques Myard. Cosse démission !

M. Philippe Vigier. Où est la clarté lorsque le Président de la République annonce un référendum local sur Notre-Dame-des-Landes, remettant ainsi en cause 155 décisions de justice et passant par-dessus la tête de tous les élus locaux et nationaux ? Et je passe sur les propos de Ségolène Royal, qui voudrait remettre tout à plat.

Monsieur le Premier ministre, quand la majorité sera-t-elle enfin animée par cette cohérence, cette clarté et cette cohésion ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Vigier, je reconnais bien là, sur le remaniement, vos talents de commentateur de la vie politique.

Mme Claude Greff. C’est méprisant !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La politique étrangère ou la politique de défense du Président de la République et du Gouvernement changent-elles ? Non. La politique de sécurité, qui vise à faire face à la menace terroriste, change-t-elle ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains. Non !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Non.

Mme Claude Greff. Rien ne change !

M. Christian Jacob. Et la question ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il en est de même de la politique qui donne la priorité à la lutte contre le chômage et pour l’emploi, qui fait confiance aux entreprises à condition qu’elles remplissent pleinement leur engagement. C’est ce que j’ai tout simplement rappelé hier, car, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, nous avons fait ce constat : le CICE est un succès et le pacte de responsabilité a permis aux entreprises de restaurer leurs marges, mais il faut aller plus loin, notamment dans les réformes. Allons-nous changer ? Non, bien sûr. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains)

M. Christian Jacob. Ayrault à Matignon !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La politique d’égalité, qui donne la priorité à l’école et à l’éducation nationale et que nous traduirons également par une grande loi sur l’égalité et l’engagement citoyen, qui est indispensable parce qu’au cœur du pacte républicain, changera-t-elle ? Non. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues.

M. Manuel Valls, Premier ministre. La mise en œuvre du grand accord qui a été obtenu à la fin de l’année lors de la COP21 change-t-elle ? Non. À partir du moment où la COP21 a été un grand succès, je me réjouis que des écologistes entrent au Gouvernement parce que, là, est pleinement leur place. Lorsqu’il y a un succès en matière d’environnement, il faut que les écologistes soient dans le Gouvernement. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Monsieur Vigier, vous avez peut-être du mal à m’entendre compte tenu du brouhaha général : je pense que la cohérence et l’engagement du Gouvernement autour de ces priorités, que je viens de rappeler, sont préservés. Pour moi, c’est cela l’essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. Philippe Le Ray. Pipeau !

Pacte de responsabilité et emploi

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de retrouver votre sérénité.

La parole est à Mme Catherine Troallic, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Catherine Troallic. Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, hier s’est tenu un point d’étape entre les partenaires sociaux et le Gouvernement pour évaluer le degré d’avancement du pacte de responsabilité et de solidarité. À cette occasion, le Premier ministre a tapé du poing sur la table (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) et mis chacun face à ses responsabilités. Après dix années de laisser-aller, l’effort de 41 milliards d’euros, décidé par notre majorité, pour redresser la compétitivité économique de notre pays, ne peut être consenti sans contreparties. À cet égard, les représentants du MEDEF ne doivent plus se réfugier dans une posture contestataire, voire même de victimisation face à l’action de la gauche, alors que des efforts sans précédent ont été déployés.

Oui, notre majorité a baissé le coût du travail sans pour autant baisser les salaires : c’est indispensable pour améliorer notre compétitivité, préserver notre modèle social et protéger le tissu de nos PME et TPE. Le Président de la République a voulu ce pacte pour créer de l’emploi, redresser notre compétitivité, favoriser l’investissement et l’innovation. Ce sont bien ces objectifs qui doivent être concrétisés.

M. Alain Marty. Cela ne marche pas !

Mme Catherine Troallic. C’est pourquoi il est regrettable que seulement seize des cinquante branches professionnelles aient à ce jour signé un accord d’engagement sur l’emploi. Le Premier ministre a eu raison d’indiquer que, sans un engagement fort du patronat sur cette question, la modification des règles du jeu devra être mise sur la table.

Alors que l’économie mondiale est au cœur d’une période de fortes turbulences, la France poursuit son chemin sur la voie du redressement grâce à notre stratégie économique ambitieuse et volontariste. Le retour de la croissance, le pacte de responsabilité et la baisse de l’euro alimentent une dynamique qu’il faut préserver. Madame la ministre, quelles leçons doivent être tirées de la réunion d’hier sur la mise en œuvre du pacte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, je voudrais rappeler qu’en 2012 nous avons trouvé une situation économique très dégradée (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Claude Perez. Absolument !

M. Dominique Dord et M. Claude Goasguen. Cela fait quatre ans !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …, avec des entreprises en perte de compétitivité qui n’investissaient plus. Depuis 2013, nous avons mené des réformes structurelles pour restaurer la compétitivité de ces entreprises et soutenir les TPE et les PME dans leur capacité à investir et à créer de l’emploi. Cela fonctionne. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.) L’investissement a augmenté en 2015, l’emploi a commencé à se redresser et les taux de marge des entreprises ont rebondi. C’est donc une politique ambitieuse et cohérente.

Vous l’avez rappelé, le Président de la République a été clair lors de la mise en place du pacte de responsabilité et de solidarité : l’objectif de celui-ci est de permettre aux engagements pris de se traduire par des actions concrètes au service de l’emploi et de la compétitivité. Mais l’engagement des branches sur des objectifs et des ambitions en termes d’emploi, de qualité de l’emploi, de dialogue social et d’investissement est indissociable de l’effort financier inédit de l’État en faveur des entreprises. L’ensemble des parties prenantes se sont engagées sur un bilan précis.

M. Christian Jacob. Vous mentez !

Mme Myriam El Khomri, ministre. N’en déplaise à certains, elles se sont engagées sur un bilan précis. Or nous constatons que celui-ci n’est pas partout satisfaisant :…

M. Dominique Dord. Allez-y ! C’est la faute du patronat ! C’est la faute de l’Europe !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …seize branches sur les cinquante plus grosses ont engagé des négociations et signé des accords. Trois d’entre elles se sont engagées sur des créations nettes d’emplois. Il est évident que des secteurs comme celui du bâtiment, qui signera dans les prochains jours, s’engagent plutôt dans des mesures de maintien de l’emploi. Beaucoup se sont engagés notamment à accueillir plus d’apprentis. Trois branches, en revanche, ne se sont absolument pas engagées dans les négociations. Il est donc normal de faire évoluer le dispositif : les aides pourront être conditionnées et réorientées vers d’autres entreprises. Ce n’est ni une bravade ni une provocation : il est de notre responsabilité collective…

M. le président. Je vous remercie, madame la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. …de mener une politique efficace… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Crise de l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour le groupe Les Républicains.

M. Marc Le Fur. Monsieur le Premier ministre, nous sommes en pleine crise agricole.

M. Christian Jacob. Eh oui !

M. Marc Le Fur. Cette crise s’aggrave et les choses vont extrêmement vite. Cette crise se traduit par des drames individuels, familiaux, et par l’effondrement d’un certain nombre de filières agricoles. Ce sont aussi des territoires qui se sentent aujourd’hui menacés : cela vaut pour bien des territoires de France, et cela revêt une acuité toute particulière en Bretagne.

C’est pour cela que les élus bretons, toutes sensibilités rassemblées, ont décidé de se retrouver en masse samedi prochain, à quinze heures, à Loudéac, au cœur de la Bretagne. Ce rassemblement associera toutes les tendances syndicales : non seulement la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA – et le Conseil national des jeunes agriculteurs – CNJA –, mais aussi la Coordination rurale et la Confédération paysanne.

Monsieur le Premier ministre, il faut que vous entendiez cet appel de Loudéac, cet appel qui vous demande de décréter l’état d’urgence agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Pour nos territoires, il n’y a pas de plan B ! Si l’agriculture et l’agroalimentaire s’effondrent, il n’y a pas de solution de remplacement immédiate.

Aujourd’hui, l’Europe ne bouge pas. La parole de la France n’est plus entendue : on a pu le constater hier. Mais, monsieur le Premier ministre, il y a des choses qui ne dépendent que de nous. La baisse des impôts, condition de la compétitivité, ne dépend que de nous. La baisse des charges, condition de la compétitivité, ne dépend que de nous. L’allégement des contraintes administratives, condition de la compétitivité, ne dépend que de nous.

Monsieur le Premier ministre, c’est pour cela que ceux qui se réuniront en masse, samedi, à Loudéac, vous demanderont très solennellement un rendez-vous pour que nous puissions traiter avec vous des sujets qui relèvent de votre compétence.

Mme Claude Greff. Cela ne servira à rien, comme d’habitude !

M. Marc Le Fur. Ils attendent désormais de vous des décisions. Ils attendent aussi, pour organiser ce rendez-vous, un lieu et une date. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. (Huées et « Démission ! » sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mes chers collègues, écoutez la réponse !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Il est nul !

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, chacun a bien compris, dans votre question, l’intérêt que vous portez à l’agriculture en général, et à l’agriculture bretonne en particulier.

M. Christian Jacob. Contrairement à vous !

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est le cas de tout le monde.

Vous avez évoqué un certain nombre de sujets, sur lesquels je reviendrai, en particulier la question européenne. Vous avez dit des choses qui ne sont pas exactes.

M. Philippe Le Ray. Impuissant !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Si l’Europe s’est saisie de ce dossier en septembre, c’est à la demande de la France. Si l’Europe en a discuté hier, pendant deux heures et demie, dans le cadre d’un conseil agricole, c’est à la demande de la France. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Si le commissaire européen modifie son analyse de la crise, c’est à la demande de la France.

M. Dominique Dord. Toujours l’Europe ! Ce n’est jamais de votre faute !

M. Stéphane Le Foll, ministre. L’opposition souhaite une déclaration d’état d’urgence, avec un certain nombre de mesures.

Vous avez évoqué un moratoire sur la « surtransposition » des normes. C’est parfaitement exact : ce moratoire est appliqué depuis 2012. Les normes qui s’appliquent aujourd’hui sont celles que vous avez adoptées vous-mêmes et que vous n’avez pas modifiées. Vous auriez pu le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vous avez évoqué la baisse des charges, monsieur Le Fur. Quand nous sommes arrivés aux responsabilités, la baisse des charges dans le secteur agricole, liée aux exonérations de François Fillon, était d’environ 600 millions d’euros. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. Et vous, que faites-vous ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Aujourd’hui, pour le monde agricole, la baisse des charges atteint 1,9 milliard d’euros. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Si vous l’aviez pu, vous auriez dû le faire, monsieur Le Fur ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Le Ray. Impuissant !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez ensuite évoqué la question de l’étiquetage. C’est un vrai sujet. Mais je me rappelle qu’en 2010, au Parlement européen, le groupe PPE avait voté contre l’étiquetage des produits transformés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Protestations et huées sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Perez. Et voilà ! Honte à vous, monsieur Le Fur !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Stéphane Le Foll, ministre. À la même époque, Mme Renate Sommer, qui appartient à votre famille politique, avait refusé cette traçabilité,…

M. Jean-Claude Perez. Toujours les mêmes !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …et Glenis Willmott, socialiste et travailliste, lui avait répondu que c’était une erreur fondamentale. Chacun assume ses responsabilités.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Démission !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Devant les agriculteurs, chacun assume ses responsabilités… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – « Démission ! Démission ! » sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues ! Vous savez bien que ce n’est pas ce genre de comportement qui va vous aider à faire avancer ce dossier !

M. Christian Jacob. Ce n’est pas non plus le ministre qui fera avancer les choses ! Il est mauvais !

Mobilisation pour l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Hervé Pellois, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Hervé Pellois. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, je vous félicite tout d’abord pour ce renouvellement dans vos fonctions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Votre connaissance des dossiers agricoles et votre implication au niveau européen sont les bienvenus en cette période particulièrement difficile pour nos éleveurs.

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a permis de diversifier nos modèles agricoles, est en marche, mais elle n’a pas encore produit – et c’est bien normal – des résultats concrets. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dominique Dord. Cela fait quatre ans !

M. Hervé Pellois. La crise actuelle de l’élevage affecte peu les producteurs qui ont su se démarquer par des critères de qualité. Elle est, par contre, redoutable pour la grande majorité des éleveurs, qui n’ont pas – ou trop peu – droit à la parole et qui subissent les prix imposés par l’amont et l’aval des filières.

Hier à Vannes, dans ma circonscription, ou demain à Rennes, les manifestations s’enchaînent, comme un peu partout sur nos territoires. Les mots d’ordre se multiplient, souvent dans la cacophonie – n’est-ce pas, monsieur Le Fur ? Les attentes du terrain portent principalement sur les prix et la régulation des marchés du lait, du porc et de la viande bovine, sur l’étiquetage de l’origine des produits transformés, sur la pléthore de normes et la complexité administrative des dossiers PAC, s’agissant notamment des surfaces non agricoles.

La semaine passée, vous avez rencontré non seulement les dirigeants de la grande distribution et vos collègues européens pour présenter le mémorandum français, mais aussi les autorités russes pour lever l’embargo sanitaire. Or, vous aviez déjà engagé une démarche similaire dès l’été 2015,…

M. Claude Goasguen. Avec succès, oui !

M. Christian Jacob. Cela n’a servi à rien !

M. Hervé Pellois. …mais force est de constater que, sept mois plus tard, la situation des prix sur les marchés agricoles s’est dégradée. La durée de cette crise grève la solidité financière et la pérennité de nombreuses exploitations.

Hier, vous avez défendu les propositions françaises à l’occasion du conseil des ministres européens de l’agriculture.

M. Christian Jacob. Cela ne s’est pas vu !

M. Dominique Dord. Aucun résultat !

M. Hervé Pellois. Reconnaissant la gravité de la crise agricole, le commissaire Hogan s’est engagé à venir en France le 25 février prochain…

M. le président. Merci, monsieur Pellois.

La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. (« Démission ! Démission ! » sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

S’il vous plaît, mes chers collègues ! Vous n’êtes pas comme cela dans la vraie vie ! (Sourires.)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, j’ai parfaitement compris la question que vous avez posée, et qui fait suite, d’ailleurs, à la précédente. Pour s’exonérer de leurs propres responsabilités, certains oublient facilement que la crise agricole est liée à une situation de marché,…

M. Dominique Dord et M. Christian Jacob. C’est faux !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …que ce soit pour le lait, pour le porc, ou même pour la viande bovine. Cette crise est liée à l’équilibre entre l’offre et la demande à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale.

Suite aux décisions prises en 2008, lors de la présidence française de l’Union européenne (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains), les grands outils de régulation qui existaient jusqu’alors ont disparu. La bataille que nous devons mener consiste à essayer de redonner un cadre à un minimum de coopération et de régulation à l’échelle européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

La sortie de crise dépend également, bien sûr, de l’action que nous conduisons, avec le Premier ministre et Emmanuel Macron.

Deux rencontres ont eu lieu pour rappeler à leurs responsabilités les acteurs des négociations commerciales, lesquelles sont organisées par la loi de modernisation de l’économie, que vous aviez votée, mesdames, messieurs les députés de l’opposition, et qui donne beaucoup de pouvoirs – trop de pouvoirs – à ces mêmes acteurs. Nous avons donc lancé un appel à la responsabilité, exercé une pression et engagé des contrôles, qui ont d’ailleurs conduit à une perquisition.

Toutes ces actions visent à montrer que l’État est présent, vigilant, qu’il fait en sorte que les négociations commerciales tiennent compte de la situation de l’élevage et que l’on évite cette course effrénée à la baisse des prix que vous aviez un temps souhaitée, mesdames, messieurs les députés de l’opposition. Là aussi, chacun doit pouvoir regarder les choses avec objectivité.

M. Dominique Dord. Vous n’avez jamais rien fait ! Qui est le ministre ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Nous avons également mis en œuvre un plan de soutien à l’élevage, qui donne aux éleveurs des réponses de court terme. Aujourd’hui, nous évaluons à 29 millions d’euros la somme versée dans le cadre de ce plan pour la Bretagne.

Il faudra encore prendre des mesures supplémentaires, mais l’État est là, le Gouvernement est là…

M. Christian Jacob. C’est bien le problème ! Le ministre est mauvais !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …pour venir en aide à l’élevage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique tarifaire des compagnies aériennes pour les liaisons entre la métropole et l’océan Indien

M. le président. La parole est à M. Thierry Robert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Thierry Robert. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, je souhaite vous interpeller sur un sujet qui émeut les passagers aériens : l’opacité de la fixation des prix des billets d’avion, notamment pour les liaisons entre la métropole et l’océan Indien.

D’abord parce que la surcharge carburant est incompréhensible. Mise en place alors que le cours du pétrole montait en flèche, cela était justifié afin de garantir aux compagnies aériennes une relative bonne santé financière. Que le prix du billet ne diminue pas concomitamment à la baisse des cours afin d’écouler les stocks achetés au prix fort, passe encore ! Mais alors que les stocks achetés au moment où les cours étaient au plus haut sont épuisés, le maintien de cette surcharge carburant à son niveau le plus haut est inacceptable.

Pis, les trois compagnies reliant La Réunion à l’Hexagone, dont l’une a pour actionnaire l’État à hauteur de plus de 17 %, ont récemment décidé, de manière quasi simultanée, d’augmenter leurs tarifs sur la liaison. Ces décisions invitent à s’interroger sur l’entente entre ces compagnies afin de maintenir un certain niveau de prix au détriment des voyageurs. Personnellement, j’ai du mal à croire aux coïncidences. D’autant plus que dans le même temps, d’autres grandes compagnies annoncent des baisses de prix de l’ordre de 15 % !

Monsieur le ministre, pouvez-vous d’une part nous dire la position de l’État actionnaire sur le niveau inexpliqué de la surcharge carburant appliquée par la compagnie nationale dans un contexte de baisse durable du prix du baril ? Par ailleurs, êtes-vous prêt à saisir l’Autorité de la concurrence afin de déterminer s’il y a entente anticoncurrentielle entre les trois compagnies concernées ?

La continuité territoriale est certes un dispositif….

M. le président. Merci, monsieur le député.

La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous avez raison de souligner l’importance de ces sujets, notamment s’agissant de la liaison entre la métropole et La Réunion, mais également de la préservation de l’intérêt de l’ensemble des consommateurs. Comme vous l’avez souligné, nous avons en effet observé des comportements tarifaires qui ne sont pas justifiés ou ne l’étaient pas jusqu’alors, à savoir une augmentation par trois compagnies au moins de 20 euros pour le billet en classe économique en basse saison et de 30 euros en haute saison.

Vous dénoncez la surcharge carburant. Il s’agit là d’une pratique d’affichage des prix. La surcharge carburant a été mise en place précisément pour introduire de la transparence, expliquer au consommateur quelle était la pression sur les prix des billets et quelle était la part liée à la hausse du prix du carburant. Si nous la supprimions, nous affaiblirions ce processus de transparence sans pour autant résoudre le problème.

La solution ne réside pas dans la suppression de la surcharge carburant, mais dans la fixation des prix. Aujourd’hui, de par la loi, celle-ci est libre entre les compagnies. Les comportements que nous avons observés, les comportements que vous dénoncez, indépendamment de cette surcharge carburant, ne sont pas satisfaisants et semblent indiquer qu’il existe une forme d’entente.

Face à cette situation, nous allons prendre deux types de mesures. Premièrement, dans la mesure où l’État est actionnaire de référence de l’une de ces compagnies, j’ai demandé une clarification des pratiques tarifaires, non seulement pour ce qui concerne la desserte de La Réunion, mais également d’autres liaisons.

Deuxièmement, nous avons demandé non pas à l’Autorité de la concurrence, mais aux services qui dépendent de notre ministère, c’est-à-dire à la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – de se rapprocher de ces compagnies afin que toutes les clarifications puissent être apportées. Je vous rendrai compte de ces investigations et des démarches que nous aurons effectuées qui concernent non seulement la liaison avec La Réunion, mais aussi avec d’autres territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Référendum sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le Premier ministre, le remaniement ministériel a des conséquences inattendues. La tentative de refonte de votre majorité se paie au prix fort pour l’Ouest de la France.

Alors que cette grande région agricole souffre déjà, la voilà impactée par l’incapacité du Président de la République à prendre une décision. Je veux parler, bien sûr, de l’annonce du référendum sur Notre-Dame-des-Landes. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Comment concilier un ex-Premier ministre, devenu ministre des affaires étrangères, grand défenseur de ce projet, avec des écologistes divisés sur quantité de sujets, sauf celui de Notre-Dame-des-Landes ?

M. Bernard Accoyer. Marchandage scandaleux !

M. Guillaume Chevrollier. La défausse trouvée par le Président de la République pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. C’est un déni de démocratie. Ce référendum est malvenu alors que les urnes viennent, à plusieurs reprises, et encore dernièrement aux élections régionales, de porter des équipes favorables à ce projet.

M. Bernard Accoyer. Que fait-on de l’intérêt général ?

M. Guillaume Chevrollier. Quelle est sa base juridique ? Qui peut l’organiser ? Qui peut voter ? Le seul département de la Loire-Atlantique ? Sûrement pas alors que plusieurs départements sont concernés et financent cet aéroport. Le futur résultat de ce référendum est déjà contesté par les organisations écologistes et les zadistes qui annoncent d’ores et déjà qu’ils ne le reconnaîtront pas.

Ce référendum montre une nouvelle fois l’incapacité de ce Gouvernement à prendre des mesures courageuses. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) N’aurait-il qu’un objectif ? Retarder la décision, jouer la durée avant une année électorale. (« Bien sûr ! » sur les mêmes bancs.) Après l’alibi des décisions de justice, voilà qu’on se retranche derrière un référendum. L’autorité de l’État est à nouveau bafouée. (« Très juste ! » sur les mêmes bancs.)

Monsieur le Premier ministre, je viens donc vous demander de faire cesser cette mascarade, de faire appliquer la loi, de respecter la justice qui, par cent cinquante-cinq décisions, autorise la lancée des travaux de cet aéroport du Grand Ouest. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Yves Censi. Qui va répondre ? Un ministre pour ou un ministre contre le projet ?

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous le savez, monsieur le député, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer devant la représentation nationale à propos du dossier et du projet de Notre-Dame-des-Landes. Je vous le confirme : je ne change pas, nous ne changeons pas de position.

Oui, je le répète, le projet de transfert de l’aéroport de Nantes sur le site de Notre-Dame-des-Landes est un projet important pour le développement économique et urbain de ce territoire, ainsi que pour la réduction des nuisances subies par les habitants de la métropole de Nantes et pour la préservation de l’environnement.

M. Bernard Accoyer. Est-ce aussi l’avis de Mme Cosse ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je rappelle que le projet a été déclaré d’utilité publique en 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) En juillet dernier, le tribunal administratif de Nantes a rejeté l’ensemble des recours déposés contre les arrêtés préfectoraux qui autorisaient le lancement des travaux. Ce projet, vous l’avez rappelé, est soutenu par l’ensemble des collectivités locales concernées.

M. Bernard Accoyer. Alors, où est le problème ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous savons, vous et moi, comme les élus du territoire, qu’il faudra, au début des travaux au mois d’octobre prochain, procéder aux évacuations qui s’imposent parce que sinon, il n’y aura pas de projet. Telle est la réalité. (« Il faut évacuer les zadistes ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Force à la loi !

M. le président. Écoutez la réponse.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Personne ne veut ou ne peut perdre de temps sur ce dossier. Cependant, je crois, en toute lucidité et en toute responsabilité, parce que je sais, et le ministre de l’intérieur le sait aussi bien que moi, que l’évacuation de la ZAD…

M. Bernard Accoyer. C’est quoi une ZAD en République ?

M. le président. S’il vous plaît, monsieur le président Accoyer.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je sais que l’évacuation de ce territoire, occupé par un certain nombre de personnes (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) qui s’opposeront de toute façon à toute initiative du Gouvernement ou d’élus et à tout acte démocratique, sera difficile. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Nous savons que cette évacuation, et c’est la responsabilité du Gouvernement de l’intégrer, se passera dans des conditions difficiles. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

M. Christian Jacob. Et alors ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est pour cela qu’avec le Président de la République, nous avons considéré qu’il fallait donner une légitimité supplémentaire à ce dossier. (Exclamations persistantes sur les mêmes bancs.)

M. Christian Jacob. Il s’agit tout de même de voyous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et chacun sera placé devant ses responsabilités. C’est pour cela, que nous nous donnons quelques semaines, un mois au plus, avec la ministre chargée de l’écologie.

Mme Claude Greff. Et on recommence !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les consultations nécessaires auront lieu sur la question qui sera posée, sur le périmètre de la consultation et sur les modalités.

Un député du groupe Les Républicains. Qui va voter ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Car personne n’ignore, cela a été rappelé depuis jeudi dernier, l’existence d’une série de problématiques juridiques liées à l’organisation d’un référendum. Mais cette consultation aura lieu et aura force de loi d’une certaine manière, au-delà de la loi et de l’avis des élus. (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Vautrin et M. Bernard Accoyer. Non !

M. Guy Geoffroy. Il ne manquerait plus que ça !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames, messieurs les députés, et je vous livre là un commentaire plus personnel, dans la situation que nous connaissons… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président. Je vous en prie, chers collègues.

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’irai jusqu’au bout, car, pardon de vous le dire, ces interruptions, ces appels à la démission, ces comportements vont exactement à l’encontre de ce que les Français attendent de la représentation nationale ou de responsables politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Consulter les citoyens sur ce sujet-là avant l’été s’impose : cela donnera la force nécessaire au projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen – Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Cochet. Zéro pointé !

Situation en Syrie

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Destans, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Louis Destans. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, sept personnes ont trouvé la mort hier en Syrie, lors d’un nouveau bombardement visant délibérément un hôpital soutenu par Médecins sans frontières, dans le nord du pays. Six patients et un employé de l’hôpital ont été tués au cours de deux attaques distinctes sur la même cible. Huit membres du personnel sont toujours portés disparus et l’organisation non gouvernementale fait état de dizaines de blessés, ajoutant que la destruction de cette structure privait d’accès aux soins les quelque 40 000 personnes vivant dans cette zone de conflit ouvert. Le même jour, quatre autres établissements de santé et deux écoles ont été visés, faisant près de cinquante morts, selon les Nations unies.

Depuis le mois d’octobre, vingt-neuf hôpitaux ont été détruits, ce qui en porte le nombre à 171 depuis 2012, et à 695 le nombre de personnels de santé tués. Par crainte de tels bombardements, certaines victimes refusent désormais d’être conduites à l’hôpital, qui n’est plus un lieu de sûreté.

Les attaques contre les structures de santé en Syrie par le régime ou ses soutiens sont inacceptables et constituent un crime de guerre. La situation dans la région d’Alep et au nord de la Syrie est très préoccupante et des dizaines de milliers de réfugiés s’amassent le long de la frontière turque, à ce jour fermée. Par ailleurs, la Turquie a engagé dans les zones kurdes des bombardements, dont la cessation a été demandée par la France et les États-Unis. La situation en Syrie est aujourd’hui très confuse et très complexe.

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, vous venez de décrire une situation terrible. L’urgence est aujourd’hui très clairement la protection des populations civiles. Les bombardements – tous les bombardements – doivent cesser.

M. Claude Goasguen. Et les Turcs ?

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Il est intolérable que des hôpitaux et des écoles soient visés, comme ce fut le cas encore hier, où plus de cinquante civils ont été tués par ces bombardements. Ces actions, je l’ai dit et je le répète en les dénonçant, constituent des violations flagrantes du droit international.

J’ai appelé ce matin le président de Médecins sans frontières, M. Mego Terzian, pour lui dire toute la solidarité et tout le soutien de la communauté nationale et du Gouvernement. Les travailleurs humanitaires paient au prix fort leur engagement sur le terrain et doivent être salués.

La priorité est en effet l’accès des populations à l’aide humanitaire. La situation est particulièrement dramatique à Alep, où vivent un million de personnes, dont 50 000 ont tenté de fuir.

Un accord a été trouvé à Munich. Il doit être respecté. C’est un engagement : arrêt des hostilités, arrêt des bombardements et accès aux zones pour aider les populations, avec pour objectif la reprise, le plus vite possible, des négociations politiques à Genève, car c’est là aussi le moyen de trouver une solution à cette crise dramatique, et la mobilisation de toute la communauté internationale, sans hésitation et sans objection, contre Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Claude Goasguen. Et les Kurdes ?

Politique étrangère

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe Les Républicains.

M. Jacques Myard. Monsieur le Premier ministre, ministre des affaires étrangères, je suis, je vous l’avoue, admiratif du courage donc vous faites preuve en succédant à celui qui a mis la France hors-jeu sur la scène internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Votre mission est quasiment mission impossible si vous continuez dans la voie tracée, celle de l’idéologie et des postures moralisatrices.

Comprenons-nous bien, monsieur le ministre : comme le souligne Max Gallo – qui est un homme de gauche, mais réaliste –,…

M. Christian Paul. Tu parles !

M. Jacques Myard. …, nous sommes tous pour les droits de l’homme, mais ils ne sont pas une explication du monde. Cela est particulièrement vrai quand on fustige d’un côté, et de manière sélective, tout en se montrant sourd et aveugle de l’autre, comme envers l’Arabie Saoudite – pour prendre un exemple au hasard.

Oui, la France est hors-jeu au Proche-Orient où, comme cela vient d’être rappelé, la tournure des événements prend une dimension tragique et hyper-dangereuse, avec notamment la politique aventureuse de la Turquie à l’égard des Kurdes et de la Syrie.

La Syrie, où votre prédécesseur saluait devant la presse le bon travail – sic et re-sic ! – d’Al-Nosra, filiale d’Al-Qaïda.

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

M. Jacques Myard. La Syrie, où nous nous privons, par idéologie, de sources de renseignements sur les terroristes de l’État islamique, notre ennemi, faute de relations diplomatiques avec Damas. Quant aux sanctions contre la Russie, croyez-vous qu’elles feront plier Moscou, alors qu’elles pénalisent nos intérêts ?

Mes questions sont donc simples : allez-vous réexaminer notre politique étrangère à l’égard de la Syrie et de la Russie, dans l’intérêt bien compris de nos intérêts, mais aussi face à la nécessité de trouver des solutions politiques à ces conflits qui n’ont que trop duré, en renonçant au suivisme et aux postures idéologiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, je ne me lancerai pas dans un exercice théorique. L’objectif est clair : il faut que la guerre en Syrie cesse. (« Bravo ! » et rires sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Cela passe effectivement par un engagement international, qui exige en effet lucidité et sens des réalités. Il faut parler avec tout le monde. Vous avez évoqué la Russie ? Bien sûr que nous parlons avec la Russie de la situation en Ukraine et en Syrie.

M. Claude Goasguen. Et les Kurdes ?

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. En même temps, nous avons des exigences, qui sont aujourd’hui le respect des engagements pris à Munich, où la Russie, comme d’autres partenaires, s’est engagée à l’arrêt des hostilités et des bombardements…

M. Claude Goasguen. Et les Turcs ?

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. …pour l’accès à l’aide humanitaire. Ce n’est tout de même pas faire du sentimentalisme ou de droit-de-l’hommisme que de dire que des millions de personnes sont aujourd’hui sous les bombes et, faute d’autres solutions, n’ont que celle de fuir et de devenir des réfugiés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Alors, oui, il faut être clairs et fermes. L’engagement est pris. Bien sûr qu’il faut discuter avec tout le monde, y compris avec la Turquie – ce que nous faisons, en bonne intelligence. Nous nous disons les choses, y compris à propos de ce qui s’est passé il y a quelques heures.

Mais nous voulons aussi aider ces pays – la Jordanie, le Liban, dont je rencontrerai dans quelques instants le ministre des affaires étrangères. C’est le sens de la conférence de Londres, qui prévoit 10 milliards d’euros d’aide, dont 3 milliards venant de l’Europe et dont une partie ira la Turquie, une partie au Liban et une partie à la Jordanie.

Si nous voulons trouver des solutions pour les réfugiés qui arrivent massivement, il faut se battre avec détermination pour arrêter les bombardements, apporter une aide humanitaire et engager un processus politique de négociation, qui doit reprendre à Genève le plus vite possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Conférence nationale de santé

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gérard Bapt. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé. En ce début d’année, deux étapes majeures viennent d’être franchies pour l’évolution de notre système de santé, dont nous voulons assurer la pérennité des valeurs de solidarité et d’excellence. Ce fut, en premier lieu, la loi de modernisation de notre système de santé, telle qu’adoptée par notre assemblée (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains).

Il s’agit, en deuxième lieu, de la Conférence nationale de santé, dont l’objet était d’avancer avec le ministère de l’éducation nationale et de la recherche sur l’ensemble des sujets ne relevant pas de la compétence exclusive de votre ministère, madame la ministre.

Les défis à affronter sont multiples et immenses pour faire reculer les inégalités d’accès à la santé, pour assurer la promotion de la santé et de la culture de prévention, pour réduire les inégalités environnementales, notamment le risque chimique qui fut pointé par la Conférence environnementale sur la santé. Sont concernés notre organisation des soins, nos structures de santé publique ainsi que le système de formation des professionnels médicaux et paramédicaux et leur répartition dans nos territoires.

La révolution numérique apporte des défis supplémentaires parce qu’elle bouscule l’ensemble des organisations assurant la gestion du système de soins, ainsi que la prise en charge du patient avec l’arrivée de la santé connectée. Elle fera disparaître des métiers et en fera apparaître beaucoup d’autres.

Enfin, les progrès en génomique, la médecine prédictive qui est à nos portes, posent des questions fondamentales concernant l’égalité devant la maladie et l’inviolabilité du vivant.

Madame la ministre, pouvez-vous dire à la représentation nationale et, au-delà, à tous les acteurs de santé dont font partie désormais les patients et leurs associations, quelles priorités sont les vôtres pour répondre aux préoccupations immédiates face aux difficultés d’accès aux soins, qu’elles soient d’origine financière ou liées à la démographie médicale, et pour répondre également aux interrogations qui sont nombreuses chez les professionnels de santé face aux profondes mutations en cours ou à venir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, pour continuer à améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens, nous devons faire en sorte de répondre aux attentes des professionnels de santé en matière de formation et de conditions d’exercice.

M. Christian Jacob. Dites-le sans rire !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’était le sens de la grande Conférence nationale de santé qui s’est tenue jeudi dernier sous la responsabilité du Premier ministre et avec mon collègue chargé de l’enseignement supérieur, Thierry Mandon.

Nous avons la volonté de rassembler, d’écouter et de prendre les décisions qu’attendent les professionnels. Cette conférence a été un grand succès : des centaines de participants, représentant tous les ordres professionnels en matière de santé, rassemblant des professionnels médicaux et paramédicaux, publics et privés, ont non seulement discuté mais également pris des décisions.

Tout d’abord, pour l’amélioration de la formation, nous avons décidé d’inscrire dans la durée la filière médicale de médecine générale financée par l’enseignement supérieur.

Nous avons également décidé d’accroître les passerelles entre les professions paramédicales et les professions médicales. Nous avons indiqué que les étudiants des professions paramédicales pourraient disposer des mêmes droits sociaux que leurs collègues étudiants des professions médicales ; c’est une avancée tout à fait importante.

De la même manière, pour répondre aux attentes sur l’exercice des professionnels de santé, nous voulons leur donner envie de s’installer à l’hôpital ou en ville. Pour cela, nous améliorons leur protection sociale, en particulier la protection maladie des femmes médecins installées en libéral.

Nous voulons continuer ce travail : je vous confirme donc, monsieur le député, ma disponibilité à travailler avec les professionnels de santé pour l’amélioration des conditions de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Olivier Dassault, pour le groupe Les Républicains.

M. Olivier Dassault. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. La semaine dernière, alors qu’il tentait de justifier son remaniement ministériel, le Président de la République a soutenu l’idée d’une « flexisécurité à la française » pour vaincre le chômage.

Si je me réjouis que cette notion ait enfin convaincu votre majorité, permettez-moi de soulever quelques inquiétudes sur cette terminologie de « à la française ». La France est si célèbre pour ses 35 heures, pour sa taxe à 75 %…

M. Pascal Popelin. Pour son Rafale !

M. Olivier Dassault. En amour comme en politique, tout est une question de confiance et, il faut l’avouer, elle n’est pas au beau fixe dans le couple État-entreprise, les règles imposées par l’un décourageant l’investissement de l’autre ! Ce sera un mariage voué à l’échec, une séparation programmée, un divorce pour faute grave si l’État ne fait pas l’effort de renouer avec la compétitivité. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Olivier Dassault. Je vous propose donc de cesser cette lutte contre l’emploi et de faire comme nos voisins : combattre le chômage ! Vous parlez de flexibilité à l’embauche pour les entreprises ; or, taxes et charges continuent de proliférer !

Libérez la capacité d’entreprendre en diminuant les impôts sur le travail et sur le capital au lieu de promettre un chèque de 2 000 euros aux entreprises pour les inciter à embaucher. Plutôt que de donner, arrêtez de prendre !

Quand on parle d’embauche à un artisan, il répond : « C’est trop risqué ! », parce qu’il a vécu une séparation difficile ! Si vous facilitez cette séparation, alors vous faciliterez les embauches ! C’est cela, la vraie flexisécurité, comme au Danemark et comme, plus récemment, en Espagne !

M. Jean-Claude Perez. Amnésique !

M. Olivier Dassault. Je regrette, monsieur le Premier ministre, que la véritable exception à la française ne soit que nos 700 000 chômeurs de plus depuis l’élection présidentielle, au moment où les États-Unis renouent avec le plein emploi.

Rappelez-vous, monsieur le Premier ministre, que notre avenir, l’artisan de notre destin, c’est l’entreprise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Christian Jacob. Et du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, le Président de la République, la semaine dernière, a dit qu’entre « ceux qui ne veulent rien faire et ceux qui veulent tout défaire », nous, nous voulions bien faire. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Bravo ! Respect !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Il y a une cohérence dans l’action de ce gouvernement depuis 2012 – nous venons d’en parler à l’instant : le pacte de responsabilité, le CICE. Si ce n’est pas une preuve d’amour en direction des entreprises, alors dites-moi ce que c’est ! Cela permet en effet aux entreprises de retrouver des marges.

M. Christian Jacob. Il n’y a qu’à voir les chiffres du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Des engagements réciproques devront être tenus. Depuis 2012, notre méthode est la même : le dialogue, la négociation. Pour vous, c’est une perte de temps car vous êtes pour la décision unilatérale de l’employeur. Avec vous, c’est la flexibilité sans la sécurité : voilà la réalité !

M. Christian Jacob. Rebsamen, reviens !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le contournement des organisations syndicales, ce n’est absolument pas notre philosophie !

Notre philosophie à nous consiste justement à laisser plus de place à la négociation collective, plus de capacités et plus de souplesse aux entreprises par le biais de la négociation. Depuis 2012, nous avons fait du chemin en la matière : négocier pour anticiper, négocier pour éviter des licenciements et, quand on ne peut pas faire autrement, négocier aussi pour permettre un meilleur reclassement des salariés.

Quels résultats avons-nous obtenus ? Moins de PSE – plans de sauvegarde de l’emploi –, moins de contentieux et plus d’accords négociés.

M. Dominique Dord. Et plus de chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre. De plus, des droits nouveaux ont été mis en place : la complémentaire santé, le compte personnel de formation. C’est dans cet esprit que je prépare mon projet de loi, qui vise à laisser plus d’espace à la négociation, plus de possibilités de conclure des accords d’entreprise, précisément parce que la loi ne pourra pas tout régler.

Entre la posture des organisations patronales qui veulent bien négocier mais sans les syndicats, la posture de certaines organisations syndicales qui ne veulent absolument aucune négociation et, parfois, la posture des pouvoirs publics qui est de tout réglementer, telle est la nouvelle philosophie que nous voulons inscrire dans la loi que je défendrai au printemps prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Situation dans le Calaisis

M. le président. La parole est à M. Christian Hutin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christian Hutin. Je pensais, monsieur le ministre de l’intérieur, que depuis 1880 et le rattachement à la France de Nice et de la Savoie, les frontières nationales n’avaient pas été modifiées. Or aujourd’hui et depuis six ou sept ans, les accords de Schengen n’ayant pas été signés par la Grande-Bretagne, la frontière britannique s’est déplacée de fait de ce côté-ci de la Manche. Désormais, à Calais, à Grande Synthe, à Dunkerque, c’est nous qui assumons la garde de cette frontière, c’est nous qui assumons la police, la justice, de belle manière d’ailleurs et courageusement, c’est nous qui assumons l’humanitaire.

Pourrions-nous, monsieur le ministre, dans le cadre d’une renégociation des accords du Touquet qui me semble absolument indispensable tant la situation devient intenable, rappeler à nos amis anglais que Calais, si elle a été la dernière place forte britannique sur le territoire français aujourd’hui ne l’est plus, que ma petite-fille, qui est née il y a deux jours à la maternité de Calais (« Félicitations ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) n’est pas binationale, que Louis XIV – excusez du peu – a racheté Dunkerque en 1652 et que la frontière anglaise ne passe ni à Calais ni à Dunkerque.

La situation est aujourd’hui intenable pour la population et pour le secteur économique. Je remercie l’Angleterre de l’obole qu’elle nous verse pour dresser des barrières autour de nos ports, mais l’activité du port de Calais, comme de celui de Dunkerque, n’en souffre pas moins.

M. Marc Francina. Il a raison !

M. Christian Hutin. Merci Majesté, mais cela ne suffit pas. Je pense qu’il est temps de mettre les Britanniques devant leurs responsabilités et je sais que je peux compter sur vous et votre ténacité pour le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, le sujet que vous évoquez est un sujet extrêmement sérieux et difficile qui appelle une approche pragmatique et tout aussi sérieuse.

Les accords du Touquet ont été signés au début des années 2000. Ils reposent sur l’idée que si l’on veut éviter de laisser des migrants entre les mains des passeurs sur la façade septentrionale française et de les mettre dans une situation humanitaire intenable, il faut éviter d’ouvrir cette frontière.

Si demain, dans le cadre d’une renégociation des accords du Touquet, nous ouvrions la frontière, ce ne sont pas quelques milliers de migrants qui seraient à Calais, ce serait des dizaines de milliers compte tenu de la situation migratoire en Europe. Et tous ceux qui aujourd’hui demandent la renégociation des accords du Touquet et l’ouverture de la frontière appelleraient le Gouvernement à sa responsabilité en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles nous aurions fait ce choix.

Nous avons donc pris la décision de rendre étanche cette frontière parce que nous devons démanteler les filières de passeurs. Ce sont 25 % de filières supplémentaires que nous avons démantelées, et, vous le savez, à Grande-Synthe ce matin ce sont dix-sept passeurs, dix-sept acteurs de la traite des êtres humains qui ont été mis hors d’état de nuire.

Ensuite, nous voulons offrir une solution humanitaire à ceux qui sont à Calais et Grande-Synthe. Nous avons ouvert 98 centres d’accueil et d’orientation qui ont permis de relocaliser et d’orienter vers la demande d’asile 2 500 personnes qui étaient à Calais, et nous avons continué à expulser ceux qui ne relèvent pas de l’asile en France et qui doivent être reconduits dans leur pays d’origine si nous voulons assurer l’asile dans de bonnes conditions.

Quant au résultat de cette politique, vous ne l’avez pas souligné dans votre question. Grande-Synthe, où il y avait 3 000 migrants au mois de décembre, n’en compte plus que 1 500 ; Calais, où il y en avait 6 000 à la même époque, n’en compte plus aujourd’hui que 3 800. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Cohérence gouvernementale

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour le groupe Les Républicains.

M. Dominique Tian. Monsieur le Premier ministre, vous venez de remercier Mme Lebranchu, une ministre loyale qui avait mis fidèlement en place votre réforme territoriale pourtant très contestée. Vous nommez à sa place, au sixième rang protocolaire, devant le ministre de l’intérieur, M. Baylet, certes très expérimenté, mais qui fut un adversaire résolu de votre réforme territoriale. Je rappelle que, dans un communiqué du 24 juillet 2014, M. Baylet s’opposait à la nouvelle carte des régions, une réforme menée, selon lui, « à marche forcée » et « au mépris des réalités géographiques, historiques et sociologiques. » (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Pire, M. Baylet devra composer avec Mme Grelier, secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, son antithèse parfaite et qui applaudissait des deux mains la suppression des départements au moment où M. Baylet, en tant que président du parti radical de gauche menaçait de retirer les ministres radicaux du Gouvernement pour la même raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Si vous me permettez, je dirais que c’est l’alliance de la carpe et du lapin.

M. François Loncle. Jaloux !

M. Dominique Tian. Monsieur le Premier ministre, à l’heure où les collectivités territoriales sont dans une situation financière dramatique à la suite de la baisse des dotations de l’État de 50 milliards d’euros et des difficultés d’application de la loi NOTRe, loi mal rédigée et qui met certaines collectivités dans une situation invraisemblable, pourriez-nous vous expliquez la cohérence de votre choix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Une fois n’est pas coutume, monsieur le député, je vais vous remercier du ton polémique de votre question même si je suis par goût plutôt porté au consensus. (« On l’a vu ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) En effet, vous me permettez ainsi de clarifier d’entrée de jeu un certain nombre de points quant aux responsabilités ministérielles qui ont été confiées tant à Estelle Grelier qu’à moi-même par le Président de la République et le Premier ministre.

Monsieur le député, dans l’action publique il y a le temps de la réflexion (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.: est-il utile de voter telle loi ou non ? Est-elle bonne pour la France ? Il y a le temps de la concertation et du débat. (« Olé ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Dans ce cadre-là effectivement, et dans le cadre des responsabilités et des mandats qui étaient les nôtres, Estelle Grelier et moi-même avons fait connaître nos positions : cela s’appelle tout simplement la démocratie et la diversité d’opinions. Vous n’en êtes pas avares, à droite, de diversités d’opinions, surtout par les temps qui courent où vous les enfichez tranquillement !

Et puis, monsieur le député, vient le temps de la décision (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) et du vote de la loi par le Parlement. Une fois que la loi est votée, elle s’applique à tous sur le territoire de la République, elle engage tout le monde, a fortiori les membres du Gouvernement.

Alors, monsieur le député, si vous le souhaitez, nous pouvons dans ce sens travailler ensemble, comme nous l’avons fait ce matin excellemment avec l’ensemble des élus corses dans leur diversité, voire dans leur divergence, de manière sérieuse et utile, dans le souci d’assurer le meilleur avenir possible à ce magnifique territoire.

Si vous partagez cet état d’esprit républicain et démocratique, je vous engage à venir travailler avec nous sur l’avenir des collectivités dans l’intérêt des élus et de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Menace terroriste

M. le président. La parole est à M. Philippe Cochet, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Cochet. La réponse qui vient d’être donnée est absolument atterrante.

Monsieur le Premier ministre, nous sommes en guerre et cette situation d’exception nécessite une information précise de nos compatriotes comme de la représentation nationale sur la réalité des attentats à venir en France.

À la fin de l’année dernière, vous évoquiez des risques d’attaques chimiques et bactériologiques. Samedi, vous évoquiez à Munich un danger « d’hyperterrorisme » sur notre sol national. Vous constatez également que des milliers de jeunes Français sont en cours de radicalisation. Il y a non seulement un ennemi extérieur, mais aussi un ennemi intérieur. Parmi les centaines de milliers de migrants qui entrent en Europe, il y a des terroristes. En un mot, le danger entre partout à flux continu.

Vous comprendrez dans ce contexte que le remaniement du Gouvernement et les quelques calculs politiciens de fin de mandature – dont nous venons d’avoir l’expression – sont en total décalage avec la gravité de la situation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, quelle est la réalité des informations que vous détenez concernant la sécurité des Français ? Nos services de renseignement sont-ils réellement débordés compte tenu du nombre de terroristes de l’intérieur et de l’extérieur ? Quelles mesures préventives de masse allez-vous mettre en œuvre pour protéger nos compatriotes ?

Nous savons tous que la question n’est pas de savoir s’il va y avoir des attentats, mais quand. Ce sont la République et notre mode de vie qui sont attaqués. La population française saura tenir face à ces agressions. Elle doit avoir des responsables politiques à la hauteur. Alors, monsieur le Premier ministre, quelle est la vérité sur la situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, la situation de la France et de l’ensemble de l’Union européenne face à la menace terroriste a souvent été décrite par le Premier ministre et par le Président de la République. Je veux vous confirmer que le niveau de menace est plus élevé qu’il ne l’a jamais été.

Je voudrais donner quelques éléments très précis, puisque vous vous interrogez sur la capacité de nos services à faire face. Depuis le début de l’année 2016, ce sont cinquante individus impliqués dans des activités terroristes qui ont été arrêtés sur le territoire national, grâce au travail de la direction générale de la sécurité intérieure – la DGSI – et de la sous-direction antiterroriste – la SDAT –, sous l’autorité du procureur antiterroriste. Parmi ceux-ci, plus de la moitié ont été incarcérés ou placés sous contrôle judiciaire.

Nous avons, dans le cadre de l’état d’urgence, procédé à la saisie de plus de cinq cents armes, dont quarante-deux armes de guerre, à l’issue de perquisitions administratives.

Nous avons par ailleurs multiplié les initiatives au sein de l’Union européenne, parce que nous considérons que ce qui constitue notre devoir – l’accueil des réfugiés, pour des raisons qui tiennent au contexte évoqué à l’instant par le ministre des affaires étrangères – doit aller de pair avec un haut niveau de sécurité.

Quel est notre agenda au plan européen ? Mettre en œuvre les décisions sur le contrôle des frontières aux frontières extérieures de l’espace Schengen ; mettre en application la modification de l’article 7-2 du code frontières Schengen décidée par le Conseil européen au mois de décembre ; créer les hot spots en Grèce et en Italie – nous avons lancé hier une mission pour accompagner la Grèce dans cette opération ; mettre en place une véritable équipe européenne de lutte contre les faux documents, parce que Daech a récupéré, en Irak, en Syrie et en Libye, des passeports vierges qui sont utilisés pour aider des terroristes à s’infiltrer sur le territoire européen.

Tout cela doit permettre de protéger les Français dans un contexte où nous augmentons considérablement les moyens des services de police et de renseignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mise en œuvre de la prime d’activité

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gaby Charroux. Madame la ministres des affaires sociales et de la santé, la mise en œuvre de la prime d’activité est effective depuis le 1er janvier 2016. Celle-ci remplace le RSA-activité et la prime pour l’emploi. Nous avions émis un avis favorable à cette mesure, mais nous avions également soulevé, lors du débat, plusieurs questions qui restent d’actualité.

En premier lieu, cette prime est, par exemple, d’un montant de 132 euros par mois pour un célibataire au SMIC. Cela montre à l’évidence que le SMIC est trop bas : plutôt que de verser des prestations pour lesquelles il faut justifier de ses revenus tous les trois mois, la vraie solution pour éradiquer la pauvreté, et peut-être relancer la consommation, est d’augmenter significativement les salaires, les retraites et les minima sociaux.

Depuis sa mise en œuvre, je suis, comme de nombreux collègues certainement, interpellé par des Français qui percevaient la prime pour l’emploi et n’ont pas accès à la prime d’activité, ce qui représente une perte moyenne de revenu d’environ 500 euros par an.

L’étude d’impact de la loi du 17 août 2015 faisait état de 824 000 perdants pour 1 240 000 gagnants. Je ne suis pas sûr que cela console vraiment les ménages qui voient leurs revenus baisser, d’autant que les revenus pris en compte pour percevoir la prime au 1er janvier sont ceux du dernier trimestre 2015, incluant dans certains cas une prime de fin d’année – ce qui, de fait, exclut plus de personnes que prévu.

Enfin, rapporteur des crédits de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », j’ai eu à déplorer le sous-financement de cette mesure, le coût en ayant été estimé sur la base d’un taux de recours de 50 %. Ce taux va être rapidement atteint. On ne peut que s’en féliciter.

Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour atteindre un taux de recours de 100 % et apporter les correctifs nécessaires aux dysfonctionnements décrits ? Et sur quels crédits financerez-vous cette action ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, depuis l’entrée en vigueur du dispositif, la prime d’activité a été versée à un peu plus de deux millions d’adultes de tous âges : c’est un succès dont nous devons nous réjouir. En un mois à peine, en effet, la prime d’activité a été versée à davantage de personnes que le RSA-activité, lequel n’arrivait pas à trouver son public.

Mais, vous l’avez dit, nous devons profiter de ce succès pour amplifier l’effort et atteindre ceux qui pourraient bénéficier de la prime mais n’ont pas formulé de demande.

Pour améliorer le taux de recours, nous allons relancer dans les jours qui viennent l’ensemble des personnes ayant effectué des simulations sur le site des caisses d’allocations familiales et qui n’ont pas demandé la prime alors qu’elles semblaient y avoir droit.

De la même manière, nous allons adresser un mail à l’ensemble des anciens bénéficiaires de la prime pour l’emploi, pour voir s’ils peuvent bénéficier de la prime d’activité, ce qu’un certain nombre d’entre eux ignorent.

Nous allons également communiquer sur les réseaux sociaux en direction des jeunes, qui ne connaissent pas ce droit nouveau, puisqu’ils étaient totalement exclus de l’ancien dispositif.

L’objectif, monsieur le député, c’est que le plus grand nombre de bénéficiaires potentiels profitent effectivement de la prime d’activité. Le Gouvernement débloquera les ressources nécessaires à la mise en œuvre de ce droit à destination des Français qui travaillent et qui ont des revenus modestes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Prorogation de l’état d’urgence

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi adopté par le Sénat prorogeant l’application de la loi n55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (nos 3487, 3495).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, depuis le 13 novembre 2015, notre pays est confronté à une menace terroriste d’une gravité sans précédent au cours de notre histoire.

Voici maintenant trois mois, 130 victimes innocentes ont en effet perdu la vie en plein cœur de Paris et aux abords du Stade de France tandis que des centaines d’autres restent marquées dans leur chair, parfois même pour le restant de leurs jours. Jamais, jusqu’alors, nous n’avions connu des attentats d’une telle nature et d’une telle ampleur sur le sol national.

Sous l’autorité du Président de la République, le Gouvernement a pris alors toutes les mesures qui s’imposaient, décrétant notamment l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national afin de donner aux autorités de l’État dans de telles circonstances les moyens de préserver l’ordre public et de prévenir la commission de nouveaux attentats.

Le 20 novembre, le Parlement a adopté à la quasi-unanimité la loi modernisant la loi de 1955 relative à l’état d’urgence et en prorogeant l’application pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.

Aujourd’hui, en raison de la persistance de menaces susceptibles de nous frapper à tout moment, le Gouvernement soumet à votre examen une nouvelle loi de prorogation de l’état d’urgence pour une durée supplémentaire de trois mois. Je remercie le rapporteur et, à travers lui, l’ensemble de la commission des lois qui, à l’issue d’un débat riche et dense, s’est exprimée en faveur de cette prorogation.

Je crois utile de commencer par rappeler l’état d’esprit dans lequel nous proposons au Parlement d’adopter cette nouvelle loi de prorogation.

L’exception au droit commun fait partie intégrante de l’histoire républicaine française. En effet, tout État démocratique a le devoir de prévoir un dispositif d’exception susceptible de lui donner les moyens de droit de faire face à une situation d’une extrême gravité, mais il doit bien évidemment le faire dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et en prévoyant les garanties permettant de s’assurer qu’il en sera fait un usage strictement nécessaire.

La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence vise ainsi à nous permettre de lutter contre tout péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou contre des événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique. Nul ne conteste, sur aucun banc, que les attentats de 13 novembre s’inscrivaient bien dans ce cadre.

Mais si nous devons faire preuve de fermeté et de détermination, nous devons également agir dans la pleine conscience de la responsabilité qui est la nôtre.

L’état d’urgence, je le dis solennellement devant la représentation nationale, n’est pas le contraire de l’État de droit. Au contraire, dès que la situation l’exige, il en est le bouclier.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, contrairement à certaines allégations, l’état d’urgence n’est pas synonyme d’arbitraire. Les raisons justifiant d’y avoir recours, sa déclaration comme sa prorogation ainsi que les actes et les décisions pris sur son fondement sont tous prévus et strictement encadrés par la loi.

L’état d’urgence est donc un élément de l’État de droit et non une entrave, une infraction aux règles de droit qui régissent le fonctionnement de notre pays.

Par principe, l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril imminent ayant justifié sa déclaration. Je vous présenterai donc dans quelques instants les données factuelles qui amènent le Gouvernement à estimer que ce péril persiste.

J’ajoute enfin qu’avec la loi du 20 novembre 2015 et cette nouvelle loi de prorogation, nous demeurons fidèles à l’ambition républicaine et progressiste qui animait les rédacteurs de la loi de 1955, je veux parler de Pierre Mendès France et d’Edgar Faure, lesquels considéraient en effet que l’état d’urgence constituait une alternative libérale – je cite leur propos – à l’état de siège.

C’est également pourquoi le Gouvernement a souhaité prévoir des garanties supplémentaires, telles que l’interdiction de procéder à des perquisitions administratives dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, ou bien la nécessité d’informer le procureur de la République avant et après la perquisition, ou encore le contrôle du juge administratif, y compris dans l’urgence.

Je vous présente maintenant un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence et des résultats que nous avons d’ores et déjà obtenus.

Depuis le 13 novembre dernier, 3 379 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 580 armes, qui se répartissent de la manière suivante : 220 armes longues ; 171 armes de poing ; 42 armes de guerre ; 147 autres armes qui, pour la plupart, présentent un caractère de dangerosité élevé. Et 995 interpellations ont eu lieu, entraînant 344 gardes à vue.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, l’État a choisi de créer un effet de surprise pour éviter une réplique éventuelle et déstabiliser les filières liées à des activités terroristes. Nous y sommes d’ores et déjà parvenus. Néanmoins, je n’ignore pas que, depuis la proclamation de l’état d’urgence, des critiques, notamment dans la presse, ont porté sur l’usage qui peut être fait de ces mesures.

J’ai pour ma part identifié certains cas isolés, certaines perquisitions qui n’ont pas été accomplies avec le discernement qui aurait dû pourtant présider à leur mise en œuvre ou même à leur choix.

C’est la raison pour laquelle, considérant qu’il ne doit y avoir en ces matières aucun manquement et que le ministère de l’intérieur, précisément parce que nous sommes confrontés à une menace mobilisant des moyens de police administrative exceptionnels, doit être absolument irréprochable, j’ai adressé le 25 novembre aux préfets une circulaire précisant les conditions dans lesquelles les mesures de police administrative devaient être rigoureusement mises en œuvre. Il appartient bien entendu au ministre de veiller à ce que ces instructions soient respectées.

Le juge administratif exerce un contrôle juridictionnel extrêmement rigoureux, et je ne peux que m’en réjouir. Le Parlement lui-même, Assemblée nationale et Sénat, s’est doté de moyens exceptionnels pour procéder au contrôle du Gouvernement dans la mise en œuvre de l’état d’urgence. Pour répondre dans les meilleures conditions aux demandes exprimées par les parlementaires, j’ai installé auprès de mon cabinet une cellule particulière destinée à les traiter en continu afin que ce contrôle puisse s’effectuer quasiment en temps réel.

Je souhaite également vous informer des suites judiciaires qui ont été réservées à ces mesures, tout particulièrement aux perquisitions. Ce sont 576 procédures judiciaires qui ont été ouvertes. Sur les 344 gardes à vue, 67 condamnations ont d’ores et déjà été prononcées et 54 décisions d’écrou ont été prises, soit respectivement 19,5 % et 16 % des gardes à vue, ce qui est un pourcentage élevé. J’ai lu récemment dans un article qu’il était faible. Il est nettement supérieur à celui que l’on constate pour les perquisitions à caractère judiciaire. Ces chiffres particulièrement élevés attestent de la réussite du dispositif mis en œuvre.

Si l’on s’en tient aux procédures ouvertes sous la qualification terroriste – 29 procédures, dont 23 pour apologie du terrorisme – le bilan pourrait sembler modeste. Et j’ai souvent entendu dire aussi que pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence, seules six procédures pour terrorisme avaient été ouvertes alors que nous avions pris de nombreuses mesures de police administrative. Là encore, c’est un raisonnement faux : au cours des perquisitions administratives, énormément d’éléments ont été récupérés, certains éléments informatiques ou numériques ont été copiés, éléments qui sont en cours d’exploitation et qui déboucheront sur d’autres incriminations au titre du terrorisme dans les prochaines semaines et les prochains mois. Au moment où la justice est en train de procéder à l’analyse de l’ensemble de ces éléments, il est impossible de tirer des conclusions précises sur le nombre d’individus mis en cause pour leur implication dans des activités à caractère terroriste au terme des perquisitions administratives ou des assignations à résidence.

Il m’est arrivé d’entendre aussi que les perquisitions administratives avaient été pour partie d’entre elles un échec puisque rien n’avait été trouvé. Mais ce qui caractérise une perquisition administrative, c’est qu’elle a pour objet de prévenir la commission d’une infraction, notamment d’une infraction de nature à troubler gravement l’ordre public s’agissant d’une infraction à caractère terroriste. Nul ne sait ce qu’on trouvera au cours d’une telle perquisition. Sinon, ce n’est pas une perquisition administrative, mais une perquisition judiciaire que l’on engage, des éléments concrets à disposition des forces de sécurité intérieure justifiant que l’on judiciarise immédiatement la situation de ceux sur lesquels pèsent des soupçons.

Je tenais à faire cette mise au point car, pour analyser l’état d’urgence, je le redis très solennellement, il faut de la rigueur. Pour les raisons que je viens d’expliquer, il est trop tôt pour tirer le bilan de l’ensemble des mesures qui ont été initiées. Cela dit, et je m’adresse notamment aux parlementaires les plus réticents que j’ai devant moi, je trouve ces interrogations légitimes. Il appartient au Gouvernement d’y répondre, ce que je m’emploie à faire devant vous parce que ces explications vous sont dues dès lors que vous en demandez.

Depuis de nombreuses semaines, l’activité de nos services de renseignement et de police a augmenté considérablement en raison de l’intensification de la menace qui pèse sur notre pays. Je l’indiquais tout à l’heure lors des questions au Gouvernement, depuis le début de l’année, c’est-à-dire en cinq semaines, il y a eu 50 interpellations pour apologie du terrorisme ou association de malfaiteurs en vue de la commission d’un acte terroriste. Ce sont des chiffres très élevés, et la moitié des personnes qui ont été interpellées ont été judiciarisées, placées sous contrôle judiciaire et incarcérées.

Y compris dans le cadre de l’état d’urgence, nous avons identifié des individus que nous avons mis hors d’état de nuire. Je pense à ce personnage, qui résidait à Tours, d’origine tchétchène, qui menaçait de passer à l’acte et qui, au terme des investigations que nous avons conduites au titre de l’état d’urgence, a été interpellé et incarcéré. Je pense à ces deux résidents d’Orléans qui, si l’on en croit les documents en leur possession, s’apprêtaient à porter atteinte à la vie d’autorités publiques et préfectorales et de forces de sécurité et qui, eux aussi, ont été interpellés et incarcérés. Je pense aussi à ce couple de Montpellier qui a été interpellé et placé sous écrou parce qu’il disposait d’une documentation abondante témoignant de ses liens avec des organisations terroristes et d’un certain nombre d’objets destinés à dissimuler des explosifs en vue de la commission d’un attentat ou d’un acte de nature à occasionner énormément de morts.

Je veux rappeler aussi l’importance du phénomène auquel nous sommes confrontés. Ce sont près de 2000 Français qui, de près ou de loin, sont concernés par les activités terroristes des groupes qui agissent en Irak et en Syrie. Aujourd’hui, 216 dossiers judiciaires concernant 1 038 individus ont été ouverts pour implication dans des activités terroristes. Parmi ces individus, 320 ont d’ores et déjà été interpellés et 13 font l’objet d’un mandat d’arrêt international, 199 ont été mis en examen, 153 ont été écroués et 46 font l’objet d’un contrôle judiciaire. Ces chiffres témoignent, s’il en était besoin, de l’intensité du travail des services placés sous ma responsabilité au ministère de l’intérieur, dans un contexte de menace extrêmement élevée.

Je pourrais évoquer aussi les attentats intervenus en Afrique, au Mali, à Ouagadougou, ceux qui sont intervenus en Turquie. Tout cela témoigne de l’intensité de l’activité de Daech, qui veut semer partout la terreur, avec le niveau de barbarie que l’on sait.

Je voudrais dire quelques mots sur les garanties qui ont été prises afin de nous assurer que les mesures mises en œuvre au titre de l’état d’urgence respectent scrupuleusement les exigences de l’État de droit.

Des directives très précises ont été données, dès le lendemain des attentats, afin que l’autorité judiciaire, dont on a dit qu’elle était tenue à l’écart, soit totalement associée, à travers les procureurs de la République, aux opérations de perquisition administrative, et ce en parfait accord avec la Chancellerie.

Je me suis rendu il y a trois jours à Metz pour rencontrer l’ensemble des services qui ont été mobilisés dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence, en présence du procureur de la République et de l’avocat général. J’ai pu constater à quel point l’association en amont des magistrats du parquet permettait une judiciarisation rapide de ceux qui avaient commis des infractions pénales et permettait un travail en continu entre les forces de sécurité intérieure, notamment les services de renseignement, et les parquets afin de mettre hors d’état de nuire des individus extrêmement dangereux.

Non seulement l’autorité judiciaire a été associée, mais, et j’insiste sur ce point, il y a eu un contrôle juridictionnel extrêmement puissant sur les mesures de police administrative que nous avons prises. Il m’est souvent arrivé d’entendre que l’état d’urgence n’était pas acceptable dans son principe parce qu’il excluait le juge du contrôle des mesures prises. C’est totalement faux. Le juge contrôle les mesures de police administrative que nous prenons – je veux parler du juge administratif.

Depuis 1790, pour des raisons qui tiennent au principe de la séparation des pouvoirs, c’est le juge administratif qui est chargé de contrôler les mesures de police administrative prises par le gouvernement, à l’exception de celles qui relèvent depuis le début de la VRépublique de l’article 66 de la Constitution, qui, elles, sont sous le contrôle du juge judiciaire. C’est donc dans le respect scrupuleux des principes de la séparation des pouvoirs et du droit en France depuis quasiment la Révolution française – je parlais d’un texte de 1790 : un an après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! – que ces principes sont appliqués. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 22 décembre 2015 concernant les assignations à résidence, a confirmé la parfaite constitutionnalité et conformité au droit des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence.

La meilleure démonstration que le juge contrôle ces mesures, c’est qu’il a cassé un certain nombre de décisions prises par l’État dans le cadre de l’état d’urgence.

J’en profite pour dire quelques mots sur un débat qui semble agiter l’espace public, la presse, les personnalités politiques, et que je trouve également légitime : celui sur les notes blanches.

Vous savez que lorsque nous sommes devant le juge administratif et que nous devons justifier des mesures de police administrative prises par nos services, nous ne pouvons pas lui communiquer des éléments ayant fait préalablement l’objet d’une classification par les services. Les textes, en effet, ne prévoient pas de déclassification, sauf pour la formation spécialisée du Conseil d’État qui aura à connaître des éléments classifiés relatifs à la mobilisation des techniques de renseignement dans le cadre de la loi renseignement. L’impossibilité dans laquelle nous sommes de procéder à la déclassification, pour des raisons de droit et non d’opacité, nous oblige donc à fournir au juge administratif des notes blanches pour justifier de l’action des services.

Ces notes blanches doivent être documentées. J’ai donné des instructions extrêmement rigoureuses à mes services pour qu’elles contiennent des éléments appuyant, dans la plus grande clarté, la motivation ayant présidé à la mise en œuvre de telle ou telle mesure de police administrative dans le cadre de l’état d’urgence.

Une fois encore, cela me paraît normal que, sur ce sujet, nous soyons sollicités. Il me paraît moins normal que des polémiques naissent sur ce sujet sur lequel nous sommes contraints en droit. Afin que ces polémiques puissent s’éteindre, je veillerai à l’occasion des prochains contentieux à ce que l’ensemble des éléments susceptibles d’être produits le soient dans leur globalité.

Dans le cadre de la lutte contre l’islam radical, nous avons procédé à des perquisitions sur des lieux de culte et procédé à la fermeture d’un certain nombre d’entre eux, en ne nous fondant pas d’ailleurs toujours sur le texte relatif à l’état d’urgence. Il y a eu une perquisition administrative à Lagny mais c’est au titre du droit commun et après une procédure contradictoire que nous avons décidé de procéder à la dissolution des trois associations qui posaient problème en raison de l’activité à laquelle elles s’étaient livrées.

Ainsi, nous nous appuyons sur l’état d’urgence pour mettre hors état de nuire les prêcheurs de haine mais, lorsque nous décidons de dissoudre des associations, nous le faisons sur le fondement du droit commun, comme nous l’avons fait à Lagny. Si la police administrative peut être un accélérateur pour lever le doute, nous essayons systématiquement de mobiliser les mesures de droit commun lorsque cela se justifie.

Je voudrais conclure en disant quelques mots sur la suite. Beaucoup d’entre vous avaient légitimement interrogé le Gouvernement pour savoir si cette prorogation de l’état d’urgence en annonçait d’autres et si, de prorogation en prorogation, nous n’allions pas instaurer un état d’urgence permanent. Je tiens à répéter ce que j’ai eu l’occasion de dire devant votre commission des lois.

D’abord, si nous soumettons à l’Assemblée nationale une demande de prorogation, c’est parce que nous sommes convaincus que les conditions de droit la permettant sont réunies. La dimension imminente du péril qui demeure, comme le montrent les éléments extrêmement précis que je viens de donner concernant l’activité de nos services, me conduit à confirmer devant vous que les conditions de droit sont réunies. Dès lors qu’elles le sont, dans un contexte de crise terroriste aiguë, ne pas demander la prorogation ne manquerait pas de susciter des questions légitimes. Ces mesures reposent sur un principe de proportionnalité vis-à-vis du risque évalué et, partant, encouru.

Deuxièmement, nous devons nous préparer à la sortie de l’état d’urgence et nous y travaillons chaque jour, en mobilisant des mesures de police administrative pour ceux qui en ont déjà fait l’objet au titre du droit commun. La loi du 13 novembre 2014 permet de mobiliser de telles mesures de police administrative, comme une interdiction de sortie de territoire pour ceux qui sont inscrits au fichier FSPRT, qui ont fait l’objet de mesures de police administrative et qui pourront être suivis dans le cadre des mesures de police de droit commun.

Dans le projet de loi qui sera bientôt présenté par le garde des sceaux devant le Parlement, après l’avoir été en conseil des ministres, il y a des mesures tout à fait conformes à l’État de droit qui permettront de prendre des précautions face aux risques auxquels nous sommes confrontés. C’est un arsenal de mesures globales qui permettront de sortir de l’état d’urgence, en maintenant la protection des Français, laquelle est notre préoccupation majeure dans un contexte où le niveau de menace demeure extrêmement élevé.

De la même manière, la loi sur le renseignement permettra de mobiliser des techniques garantissant le suivi d’un certain nombre d’individus pouvant représenter un risque pour l’ordre public. Il n’y a pas une seule mesure qui permette de faire face au risque terroriste, mais un ensemble de mesures dont l’État s’est doté au fil des mois et qui, combinées les unes aux autres et s’ajoutant aux dispositions que nous essayons de faire partager par l’Union européenne, permettront d’assurer la protection des Français.

C’est pourquoi je demande au Parlement de voter cette prorogation de l’état d’urgence. C’est la menace terroriste qui est le danger. Il n’est pas dans les mesures que nous proposons pour y faire face, dans l’état d’urgence, mais dans la barbarie de ceux qui s’en prennent à nos valeurs et qui, comme le 13 novembre, s’en sont pris à nos enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’année 2015 a été marquée par plusieurs attentats et attaques terroristes perpétrés sur notre sol, d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de notre pays. La réaction des pouvoirs publics, en janvier comme en novembre, a été rapide, forte, et de l’avis de beaucoup, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, à la hauteur des événements.

Dès le soir des attentats du 13 novembre, le Président de la République a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national, après avoir réuni le conseil des ministres. Nos forces de sécurité, soutenues par nos armées, ont été immédiatement mobilisées. Je veux ici, de nouveau, saluer leur engagement exemplaire, comme celui de tous les agents des services publics qui ont eu à apporter leur concours aux victimes. Les habitants de notre pays se sont eux-mêmes levés en nombre pour dire leur détermination à faire face.

Par la loi du 20 novembre 2015, le Parlement a renforcé le cadre juridique de l’état d’urgence et autorisé, une première fois, sa prorogation pour trois mois, période qui prend fin le 25 février prochain à minuit. Nous sommes aujourd’hui saisis d’une nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence, pour trois mois supplémentaires.

Il revient au Parlement, et à lui seul, de décider de prolonger cette légalité d’exception. Pour en décider, il nous appartient de vérifier que les conditions légales de mise en œuvre de l’état d’urgence sont toujours réunies, de calibrer la durée de la prorogation et de fixer l’étendue des mesures dérogatoires. Nous avons aussi le devoir, en toutes circonstances, de demeurer vigilants quant aux conséquences d’une telle décision sur les libertés publiques.

La première question qu’il nous revient de trancher est celle de la permanence de la menace. Elle ne fait malheureusement mystère pour personne. Notre pays demeure bien l’une des cibles privilégiées de la nébuleuse terroriste. Ceux qui ont revendiqué d’avoir frappé la France et qui projettent de le faire de nouveau mènent un combat contre la liberté, contre la démocratie, contre notre modèle de société et contre notre façon de vivre. L’engagement de nos armées sur les théâtres d’opérations syro-irakiens, comme au Sahel, les frappe durement. La présence, hélas, de plus de 600 ressortissants dans les rangs de Daech et d’Aqmi fait aussi de la France le pays d’Europe le plus directement concerné.

Ces groupes terroristes n’ont pas désarmé, depuis les attentats qui ont frappé notre pays en janvier et en novembre 2015. Le 20 novembre, ils ont attaqué un hôtel à Bamako, au Mali, majoritairement fréquenté par des Occidentaux. Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul, en Turquie, a causé la mort de dix touristes allemands. Plusieurs attentats ont été déjoués en Belgique et en Allemagne, à la fin de l’année dernière.

Considérant le risque élevé de récidive sur notre sol et m’appuyant sur les informations que M. le ministre de l’intérieur a portées de manière circonstanciée à la connaissance de la commission des lois et qu’il vient de rappeler à l’instant, la condition de péril imminent posée par la loi du 3 avril 1955 pour la mise en œuvre de l’état d’urgence me semble pleinement remplie. Le Conseil d’État n’a pas dit autre chose lorsqu’il a statué en référé, le 27 janvier 2016, sur la décision implicite de ne pas mettre fin à l’état d’urgence de manière anticipée. Il a réitéré cette appréciation lorsqu’il a été consulté par le Gouvernement, le 2 février dernier, sur l’avant-projet de loi de prorogation.

S’agissant de la durée de la prorogation, il nous est demandé de décider de prolonger cette légalité d’exception jusqu’au 26 mai 2016. Comme toute législation de salut public, l’état d’urgence doit être limité dans le temps et strictement interprété. Il ne peut être que temporaire, selon l’avis du Conseil d’État. En décidant de cette prorogation, nous permettons à l’autorité administrative de continuer à recourir aux mesures temporaires prévues par la loi du 3 avril 1955 durant encore trois mois. Il s’agit principalement des possibilités de perquisitions administratives, d’assignations à résidence, mais aussi, si nécessaire, de fermetures administratives ou d’interdictions de manifester.

Vous avez exposé de nouveau à l’instant, monsieur le ministre, l’efficacité de ces perquisitions pour saisir des armes et, c’est à mon avis capital et parfois perdu de vue, pour collecter du renseignement. Les assignations à résidence ont également contribué à déstabiliser les réseaux terroristes. Même si elles sont naturellement de moins en moins nombreuses depuis le mois de décembre, elles continuent de contribuer à déjouer des tentatives de projets terroristes.

La contrepartie de ces mesures dérogatoires, qui limitent par nature les libertés publiques, c’est l’existence de garanties solides. Pour ce que nous avons à en connaître, il y a bien sûr le contrôle parlementaire. Notre commission des lois avait chargé son président d’alors, Jean-Jacques Urvoas, auquel je souhaite ici rendre hommage, ainsi que notre collègue Jean-Frédéric Poisson d’une mission permanente de suivi des mesures prises au titre de l’état d’urgence. Je salue le souhait du président Dominique Raimbourg de poursuivre personnellement ce travail.

Le Sénat, pour sa part, a créé un comité de suivi de l’état d’urgence. Les commissions des lois des deux chambres se sont dotées pour ce faire des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête.

Grâce aux déplacements et aux auditions auxquels il a été procédé, le contrôle parlementaire nous a permis de mesurer l’usage concret qui a été fait de l’état d’urgence. Ces investigations ont permis de dissiper certaines accusations parfois portées contre les forces de l’ordre et souvent reprises trop hâtivement dans le débat public. Elles ont aussi mis en lumière quelques débordements, corrigés par le ministre de l’intérieur, qui a veillé personnellement à un pilotage rigoureux, sans faiblesse mais sans concession avec le droit, des mesures mises en œuvre dans notre territoire.

Le Défenseur des droits et ses correspondants locaux jouent aussi un rôle important pour identifier d’éventuelles erreurs. Afin que chacun dispose des bons ordres de grandeur, je rappelle que sur 3 720 perquisitions et assignations ordonnées au début de ce mois, 42 lui avaient été signalées.

Au-delà de ce travail de contrôle nécessaire et consubstantiel du rôle du Parlement, c’est bien sûr le contrôle juridictionnel qui constitue la principale garantie offerte aux habitants de notre pays. Par la loi du 20 novembre dernier, nous l’avons considérablement modernisé – la loi de 1955 confiait l’examen des recours à une commission consultative ad hoc ! – renforcé et adapté aux évolutions de notre droit et aux différentes jurisprudences, dont celles de la Cour européenne des droits de l’homme, en accordant notamment une place importante au juge des référés.

Je précise de nouveau que les mesures prises au titre de l’état d’urgence ont suscité un contentieux limité en nombre. Pour 97 référés-liberté portés devant les tribunaux administratifs et 33 procédures devant le juge des référés du Conseil d’État, 6 injonctions et 12 suspensions ont été prononcées ; 17 référés-suspension en première instance et 1 en appel ont conduit à 3 suspensions totales ou partielles. Enfin, 7 recours au fond ont conduit à une seule annulation, étant entendu naturellement que d’autres décisions demeurent en instance.

Des décisions, en particulier celles du 11 décembre et du 6 janvier, ont permis au Conseil d’État de faire évoluer sa jurisprudence et de l’adapter aux enjeux du contrôle durant l’état d’urgence. Elles ont encouragé les tribunaux administratifs à mettre en œuvre un « entier contrôle », encore renforcé par la convocation systématique d’audiences et l’utilisation inédite des mesures d’instruction pour compléter l’information des magistrats.

Mardi dernier, le Sénat, saisi en premier du projet de loi, a suivi l’avis de sa commission des lois et voté à une très large majorité la prorogation pour trois mois de l’état d’urgence. Il n’a opéré qu’une modification purement rédactionnelle du projet de loi initial du Gouvernement.

Jeudi, notre commission des lois a confirmé cette appréciation en adoptant sans modification, à l’unanimité des votants, la version du texte issue des travaux des sénateurs, comme eux-mêmes l’avaient fait en novembre pour celle issue de notre assemblée, lors de la première demande de prorogation.

Compte tenu de tout ce qui vient d’être exposé et afin de permettre la continuité de l’état d’urgence pour une nouvelle période de trois mois à compter du 26 février prochain, je vous invite, mes chers collègues, à faire de même que le Sénat et votre commission des lois, en votant conforme ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Noël Mamère une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la semaine dernière, nous débattions et votions sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Début mars, nous serons appelés à nous prononcer sur une nouvelle loi antiterroriste. Semaine après semaine, le populisme pénal prospère !

Nous sommes donc réunis aujourd’hui pour décider de la prorogation ou non de l’état d’urgence jusqu’au 26 mai prochain, soit encore trois mois de régime d’exception, au nom de la lutte contre le terrorisme. Le 19 novembre dernier, avec cinq autres de mes collègues, j’avais refusé la première prorogation de l’état d’urgence estimant, entre autres, qu’au-delà de douze jours, il devenait inefficace, inutile et dangereux.

Trois mois après, je dois avouer que les faits ont confirmé cette analyse. L’état d’exception, que nous appellerons « état de sécurité », est devenu la règle de la République.

Une révolution est en effet à l’œuvre. Elle transforme subrepticement notre société de liberté en société de la surveillance et du soupçon. C’est pourquoi notre débat n’a rien d’anodin : il concerne tous les citoyens, pas seulement les personnes dites « ciblées ». Quand l’état d’exception sera devenu un état permanent, après la honteuse réforme du code pénal et du code de procédure pénale que le Gouvernement prépare, les Français prendront la mesure des dégâts et se rendront compte que cela n’arrive pas qu’aux autres…

La motion de rejet préalable que je présente devant vous va s’efforcer de répondre à cinq questions : ces mesures sont-elles réellement nécessaires et proportionnées pour prévenir de futurs attentats terroristes, objectif proclamé par François Hollande dès le 13 novembre et motif invoqué pour les proroger ? Ces mesures ont-elles été efficaces et quelle évaluation peut-on en faire ? La prorogation de l’état d’urgence est-elle justifiée et les mesures contenues dans la loi de 1955 sont-elles suffisantes pour lutter contre les fascistes religieux ? Quelles catégories de la population sont-elles visées par l’état d’urgence, n’est-on pas en train de construire délibérément un ennemi de l’intérieur ? L’état d’urgence permanent ne débouche-t-il pas sur un état d’exception qui modifie les règles de droit et provoque une transformation radicale de notre société sous couvert de guerre contre le terrorisme ?

Pour nous convaincre de la nécessité de cette nouvelle prolongation, monsieur le ministre, vous alignez pêle-mêle dans votre exposé des motifs les actes terroristes déjoués en France et ceux qui ont abouti à l’étranger. Vous évoquez également « un bilan opérationnel conséquent au-delà des seuls constats chiffrés ». Or si l’on s’en tient au strict domaine de lutte contre le terrorisme, ce fameux bilan est assez médiocre, et même négligeable, on peut l’affirmer aujourd’hui. Le contrôle de l’état d’urgence par l’Assemblée nationale a été confié à la commission des lois. Celle-ci effectue un travail statistique qui ne peut permettre de rendre compte de la réalité sur le terrain, au contraire des lanceurs d’alerte comme Amnesty International, Human Rights Watch ou encore La Quadrature du Net, qui ont mené un vrai travail d’enquête qualitative, ce que n’a pas fait la commission dans ses deux rapports successifs.

Quelques chiffres maintenant, connus de tous : au 12 février 2016, sur 3 340 perquisitions administratives, il n’y a eu que 5 procédures concernant des faits de terrorisme, contre 202 au titre du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants ; 24 autres procédures ouvertes ne visent pas l’acte terroriste mais le délit d’apologie du terrorisme ; en fait, 74 % des procédures concernent la législation sur les armes ou les stupéfiants, la plupart ayant été réalisées dans les premiers jours d’application de l’état d’urgence, soit avant la mi-décembre 2015. Ces milliers de perquisitions de domicile, de restaurant, de mosquée, ces centaines d’assignations à résidence, ont juste révélé leur inefficacité, démontrée dans les deux rapports de la commission de contrôle du Parlement.

Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire ! Et pas seulement moi, ni un autre droit-de-l’hommiste patenté : Jean-Jacques Urvoas, le nouveau garde des sceaux, le reconnaît lui-même, « L’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. » Il ajoutait : « L’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre des mesures dérogatoires semble à présent derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les objectifs avaient été traités. De fait, l’effet de surprise s’est largement estompé, et les personnes concernées se sont pleinement préparées à faire face elles aussi à d’éventuelles mesures administratives. »

En outre, l’argument de la persistance d’un danger fort et permanent que vous invoquez en appui de votre demande de prolongation peut se retourner : la persistance du danger est précisément le signe que son traitement relève de bien autre chose que de la prolongation de l’état d’urgence.

L’inutilité de la prorogation est donc avérée. De surcroît, les faits montrent que le sens même de la loi a été détourné. Que penser en effet des assignations de vingt-six familles de militants écologistes pendant la COP21… sinon qu’il s’agissait de les empêcher de manifester ? Que penser des interdictions de certaines manifestations de solidarité avec les migrants ou même de rassemblements syndicaux qui n’avaient rien à voir avec le terrorisme ? Il aura fallu la persévérance de la Ligue des droits de l’homme et du collectif « Stop état d’urgence » pour que vous vous décidiez à lever des interdictions au droit de manifester alors qu’il est pourtant inscrit dans notre Constitution.

Demain, dans une situation sociale tendue, qui nous dit que vous-mêmes ou vos successeurs ne pourriez pas utiliser cette loi sur l’état d’urgence, modifiée par votre gouvernement, contre d’autres catégories de la population ? En effet, depuis ce sinistre 20 novembre, jour du durcissement de la loi de 1955, les conditions permettant de décréter l’état d’urgence ne visent pas spécifiquement la criminalité terroriste. Les mesures de contrainte qu’il autorise ont vocation à s’appliquer à un nombre potentiellement infini de situations. Il suffit d’un comportement perçu comme « une menace pour la sécurité et l’ordre publics » pour décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence ; il suffit, pour interdire une réunion, de soutenir qu’elle est « de nature à provoquer ou à entretenir le désordre » ; il suffit, pour dissoudre une association, de démontrer qu’elle participe, facilite ou incite « à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public »… À partir du moment où l’on légifère sous la conduite de l’émotion et des sondages, tout est permis. Surtout le pire.

L’état d’urgence n’est qu’un simulacre d’efficacité, votre seul but étant de faire croire aux Français que vous maîtrisez la situation au moyen de l’exception. Or, nous savons que la lutte contre la menace terroriste passe par un travail précis et renforcé des services de renseignements, lesquels, faute de moyens, ne parviennent pas toujours à être au maximum de leur efficacité. J’ajoute qu’en prolongeant l’exception vous dispersez inutilement des forces de police qui seraient bien mieux employées à la détection et à la prévention des projets criminels avérés.

Mais, et c’est bien là le cœur du débat, l’état d’urgence remet en cause la séparation des pouvoirs. Il est un acte de défiance à l’égard de la magistrature, un acte de mépris à l’encontre de juges qui font leur travail dans des conditions précaires. C’est une grave erreur de penser que les juges doivent limiter leur contrôle pour qu’il soit possible de faire face aux attentats. Ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens pour les appliquer, chaque fait divers le démontre un peu plus !

Hors état d’urgence, l’interdiction d’une réunion, d’une manifestation, la dissolution d’une association sont possibles. Mais leur nécessité et leur proportionnalité sont évaluées, au cas par cas, en tenant compte des circonstances et de l’importance des menaces qui pèsent sur la société. Hors état d’urgence, le pouvoir de perquisition judiciaire est large, sa mise en œuvre étant justifiée par un lien, même ténu, avec la recherche d’une infraction pénale après renseignement. La perquisition a donc bien toute sa place, tant dans les suites d’un acte criminel terroriste que dans la recherche d’infractions en préparation, voire en germe. Pour les infractions relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme, la perquisition peut même être réalisée à toute heure, sur autorisation donnée en urgence par un juge apte à mesurer les éléments de contexte. Nous possédons donc déjà tout l’arsenal judiciaire nécessaire.

L’état d’urgence consacre à la fois la marginalisation du juge et l’accroissement des atteintes aux libertés, s’appuyant sur la notion vaste et floue d’ordre public. Toutes ses conséquences néfastes ont d’ailleurs été constatées par des instances internationales apparemment plus vigilantes que notre commission de contrôle. Ainsi, le 19 janvier, cinq rapporteurs spéciaux des Nations unies, notamment les rapporteurs sur la liberté d’opinion et d’expression et sur la protection et la promotion des droits de l’homme dans le cadre de la lutte antiterroriste, ont appelé votre gouvernement à ne pas prolonger l’état d’urgence au-delà du 26 février. Ils ont déclaré : « Si des mesures exceptionnelles peuvent être nécessaires dans des circonstances exceptionnelles, cela ne dispense pas les autorités de faire en sorte que ces mesures soient appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et soient directement liées à l’objectif spécifique qui les a inspirées. » Ils se sont inquiétés du caractère vague des motifs sur lesquels vous vous êtes fondé pour faire procéder à des perquisitions et pour ordonner des assignations à résidence.

Le 22 janvier, dans une lettre à François Hollande, le secrétaire général du Conseil de l’Europe s’est dit, lui aussi, préoccupé par les pouvoirs actuellement conférés aux autorités administratives en vertu de l’état d’urgence, notamment en matière de perquisitions et d’assignations à résidence. Selon l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, un gouvernement peut imposer des restrictions à l’exercice de certains droits, notamment à la liberté de mouvement, d’expression et d’association, dans le cadre d’un état d’urgence, mais seulement dans la stricte mesure où la situation l’exige.

Les dérives de cet état d’urgence sont en train de normaliser un phénomène dangereux à très court terme : la tendance à l’utilisation des perquisitions administratives ou des assignations à résidence « pour voir », comme un coup de poker. Cela permet d’introduire sans le dire une présomption de culpabilité en fonction du comportement de l’individu et non de ses activités. Vous avez introduit cette modification scélérate de la loi de 1955 à la faveur de la première prolongation de l’état d’urgence, en instituant, en rupture totale avec le droit français, un délit prédictif. C’est d’ailleurs une des raisons majeures qui m’avaient décidé à refuser de voter cette première prolongation, avec cinq autres de mes collègues. C’est ce nouveau délit qui justifie le nombre impressionnant de perquisitions inutiles et explique leur décalage par rapport aux poursuites judiciaires : on jette des filets sur ce qui semble un terreau favorable et on voit si cette pêche au gros a rapporté quelque chose dont on va se servir pour d’autres perquisitions.

La conséquence est facile à comprendre : en ratissant aussi large, vous suscitez le ressentiment et l’humiliation. Là encore, faut-il citer les perquisitions violentes qui ont traumatisé durablement des familles et qui contribuent au ressentiment et à la radicalisation, notamment des jeunes, qui voient leurs parents, leurs grands-parents, leurs amis proches poursuivis le plus souvent sans aucune justification ? Ce n’est pas un gauchiste qui souligne, pour ces raisons, les dangers de la prolongation de l’État d’urgence, mais le Défenseur des droits, qui a reçu une quarantaine de plaintes faisant état d’abus liés aux mesures d’urgence, notamment de perquisitions injustifiées, de manque de preuves et de descentes effectuées à des adresses erronées. « L’état d’urgence ne signifie en rien l’abandon de l’État de droit », déclariez-vous pourtant le 2 décembre dernier, monsieur le ministre, à propos de son contrôle. Or, plus de 400 assignations à résidence sont susceptibles d’être frappées d’illégalité à en croire le tribunal administratif de Pau dans une ordonnance rendue le mercredi 30 décembre 2015.

L’autre grand risque que la prolongation de l’état d’urgence fait courir à la société est la construction de la représentation d’un ennemi intérieur, qui n’est autre que la communauté musulmane. La loi qui a institué l’état d’urgence existe depuis 1955 et la guerre d’Algérie. Nous l’avons déjà dit à cette tribune, elle est liée à un imaginaire colonial qui se perpétue depuis cette époque. Souvenons-nous du massacre du 17 octobre 1961, perpétré sous l’état d’urgence, dont furent victimes des dizaines d’Algériens suspectés d’être des terroristes liés au FLN. Ce n’était pas Vichy, monsieur le ministre, mais la République,…

M. Éric Ciotti. Scandaleux, de dire ça !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Belle manière de convoquer l’histoire !

M. Noël Mamère. …soutenue par Guy Mollet et la SFIO, le parti socialiste de cette époque.

M. Bruno Le Maire. Et Mitterrand ?

M. Noël Mamère. Souvenons-nous de 1984 et de la Nouvelle-Calédonie, de 2005 et des banlieues qu’il fallait mater. Bien que les mesures autorisées par l’état d’urgence ne ciblent pas un groupe en particulier, nous voyons bien qui elles visent en priorité.

M. Pascal Popelin, rapporteur. La révision de l’histoire est parfois bien pratique !

M. Noël Mamère. Non, il ne s’agit pas d’une révision de l’histoire, monsieur Popelin, mais de la réalité. Vous pouvez toujours protester mais ces faits ont existé et l’histoire est là pour le prouver. Il faut arrêter le présentéisme et contextualiser ces questions, quand on en débat. La loi de 1955 n’est pas née par hasard mais pendant la guerre d’Algérie, pour justifier l’intervention de l’armée mais sans mettre en œuvre l’état de siège afin de ne pas considérer les membres du FLN comme des militaires. Il faut dire les choses comme elles sont.

M. le président. Retrouvez le fil de votre discours, monsieur Mamère.

M. Noël Mamère. Bien que les mesures autorisées par l’état d’urgence ne visent certes pas explicitement un groupe, nous voyons bien, disais-je, qui elles visent en priorité. Pas étonnant par conséquent que se développent un sentiment d’injustice et une vraie défiance envers les pouvoirs publics. De fait, la grande majorité des personnes ayant fait l’objet de perquisitions et d’assignation à résidence sont musulmanes ou d’origine maghrébine. Toutes les mesures que Human Rights Watch a documentées visaient des musulmans, des établissements musulmans ou des restaurants halal. Un grand nombre de ces personnes ont déclaré avoir été prises pour cible en raison de leur religion.

Les effets des assignations à résidence sont catastrophiques puisque les personnes perdent leurs moyens de subsistance, leur réputation... enfin tout, comme par exemple Kamel, assigné à résidence dans une ville de la banlieue de Paris le 26 novembre, accusé d’être « fortement impliqué dans la mouvance islamiste radicale » sur de simples notes blanches, non signées et non datées, alors qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on lui reprochait. Il a confié qu’il n’avait pas déposé de recours contre l’assignation à résidence parce qu’il n’avait pas confiance dans la justice. Il a ajouté qu’il n’avait déjà pas confiance avant, et maintenant encore moins !

Ces pratiques discriminatoires marginalisent les musulmans français et rendent plus difficile la coopération entre les communautés musulmanes et les efforts de mise en œuvre de la loi qui pourraient aider à identifier les menaces terroristes locales basées sur l’islam radical.

Elles sont aussi détestables pour l’image de la France à l’étranger. Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, n’a-t-il pas exprimé récemment des inquiétudes relatives à un possible profilage ethnique ? L’état d’urgence a été, est et sera dangereux pour la démocratie, car on sait quand on y entre, mais jamais quand on en sort.

Le 22 janvier 2016, le Premier ministre a déclaré : « Nous ne pouvons pas vivre tout le temps avec l’état d’urgence, mais tant que la menace est là, nous devons utiliser tous les moyens […] jusqu’à ce qu’on puisse, évidemment, en finir avec Daech ». Si je comprends bien, il faudrait prolonger l’état d’urgence jusqu’à la disparition finale de l’État islamique, alors que celui-ci se répand aux quatre coins de la planète en organisant une guerre asymétrique. Cela veut dire que l’état d’urgence devient une règle générale pour tout l’Occident et pour un temps indéterminé.

Une telle approche politique porte un nom, chers collègues, c’est l’état de mobilisation et de militarisation permanent. Voilà le choix de société qui nous est proposé. Devons-nous l’accepter sans nous interroger sur ce qu’il signifie comme rupture avec les fondements même de la République ? Quid de la séparation des pouvoirs, avec la primauté quasi définitive de l’exécutif non seulement sur le législatif – avérée depuis 1958 – mais encore sur l’ordre judiciaire, le tout dans un agenda et une mise en scène organisés par un pouvoir non défini, celui des médias et de l’audimat ?

Ces médias, loin d’être impersonnels, sont bien identifiés. Ils ont pour nom Dassault, Bolloré, Drahi ou Bouygues. Des marchands de canons, des managers de la Françafrique, des magnats du BTP et des télécoms…

Mme Isabelle Attard. Eh oui !

M. Noël Mamère. …qui savent très bien où sont leurs intérêts, lesquels ne sont pas nécessairement compatibles avec l’intérêt général de la société.

L’état d’urgence institue une société du soupçon et de l’hypersurveillance. Comme nous l’avons dit plus haut, en introduisant la notion de comportement dans la loi de 1955, vous avez institué le délit prédictif de présomption de responsabilité, en rupture avec le droit français. Jusqu’ici, aux termes de notre droit pénal, les autorités judiciaires ne pouvaient prononcer des assignations à résidence que contre des personnes mises en examen, à propos desquelles il existait par conséquent des indices graves ou concordants montrant qu’elles avaient pu participer à la commission d’une infraction.

Au vu de votre nouvelle définition, qu’il ne faut pas séparer de la rétention de sûreté – que la gauche et François Hollande s’étaient engagés à abroger ! – on ne doit pas s’étonner que les critères retenus pour prononcer une assignation à résidence soient moins stricts et conduisent à des excès.

C’est la fin de la présomption d’innocence et le début de l’État sécuritaire. Face à la mondialisation du terrorisme, il est compréhensible que les États cherchent à protéger leurs citoyens, mais faut-il pour autant faire de chacun un suspect, en plaçant l’ensemble de la société sous surveillance ?

Des débats autour de la loi sur le renseignement, du fichier S, de l’existence d’une Plateforme nationale de cryptanalyse et de décryptement – la PNCD, dont l’existence, entre 1989 et 1995, avait été cachée par l’État – jusqu’aux fichiers RFID ou ADN en passant par l’extension indéfinie des caméras de surveillance, tout montre que nous entrons dans un monde du contrôle et de la surveillance, au nom de la sécurité mais avec les moyens immenses du numérique. Big Brother n’est pas loin, sauf que nous ne sommes plus dans la fiction d’Orwell, mais dans une réalité co-construite par les États et les entreprises privées qui, telles les GAFA – Google, Amazon, Facebook et Apple – exploitent toutes les données existant sur notre intimité soit pour nous marchandiser soit pour nous surveiller, les deux démarches n’étant pas incompatibles.

Nous sommes donc en train de vivre le passage de l’État de droit à l’État de sécurité, qui nécessite de gouverner par la peur et conduit à la dépolitisation des citoyens, auxquels il faut proposer des ennemis de l’intérieur faute de débats et d’explications. Un tel État ne peut que fragiliser la cohésion sociale pourtant si nécessaire à notre pays en ces temps incertains.

Pour justifier un tel choix, le Premier ministre a trouvé un dérivatif : plus besoin de s’attaquer aux racines internes du mal, puisque les comprendre, c’est excuser le terrorisme. L’éducation, le chômage, les discriminations ne seraient que des excuses. Ne faisons surtout rien d’autre que de faire quadriller nos rues par les militaires et de mettre en condition les écoliers, les collégiens, les lycéens ! Cela s’appelle discipliner une population, l’habituer à l’état d’exception permanent, mais ce n’est pas lutter contre les fascistes religieux, qui ne peuvent que se réjouir de voir alimenter leur terreau.

Neutraliser les tueurs actifs ou potentiels, c’est l’urgence ; stériliser le terreau idéologique qui les nourrit, notre obligation permanente. Je crains que le souci quasi exclusif de l’urgence ne nous l’ait fait oublier.

C’est pourquoi l’urgence n’est pas de prolonger l’état d’urgence, mais de s’occuper de l’urgence démocratique et sociale, d’en finir avec le dépérissement de l’État qui, en dehors de sa fonction sécuritaire, abandonne des pans entiers de ses responsabilités dans les services publics, dans la lutte contre le chômage et la misère, dans l’éducation et la culture.

Mme Sylvie Tolmont. C’est insupportable d’entendre ça !

M. Noël Mamère. Ces derniers temps, les réformes législatives se sont empilées à une vitesse telle qu’une nouvelle loi est votée sans même que la précédente ait commencé à produire ses effets ni à être évaluée. Tout est dans le symbolique. Mais ce qui se cache derrière cette inflation de textes, c’est la fusion entre sécurité intérieure et sécurité nationale. C’est l’abolition de la distinction entre le criminel et l’ennemi. C’est la remise en cause de la souveraineté judiciaire au profit de la police.

Personne n’osera affirmer aujourd’hui que la menace terroriste est écartée. Chacun sait, sur ces bancs comme dans l’ensemble de notre société, qu’elle est bien réelle et qu’il faudra probablement plusieurs années pour la réduire. Mais devons-nous pour autant maintenir ce régime d’exception aussi longtemps que le terrorisme durera, et conférer aux autorités administratives des pouvoirs étendus et renforcés, susceptibles de restreindre considérablement nos libertés ? Telle est la question qui nous est posée.

On peut y répondre, différemment de vous, par ce qu’écrivait en 1898 le jeune Léon Blum pour stigmatiser les lois antiterroristes de l’époque : « de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge ».

Parce que la justice n’est pas dans l’arbitraire, parce que l’état d’urgence est inutile, dangereux et inefficace, je vous demande, chers collègues, de voter cette motion de rejet. L’urgence, c’est de sortir de l’état d’urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Jean Lassalle et M. Pouria Amirshahi. Très bien !

M. le président. Souhaitez-vous prendre la parole, monsieur le ministre ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais répondre en quelques mots à M. Mamère. Je respecte toutes les interventions, toutes les préoccupations et tous les questionnements, mais je dois à la vérité de dire que, pour des raisons que je vais exposer rapidement, j’ai beaucoup de mal à accéder au raisonnement qu’il vient de développer.

M. Benoist Apparu. Nous aussi, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Du coup, je me sens moins seul ! (Sourires.)

En premier lieu, j’insisterai sur la relation entre l’état d’urgence et la liberté. Très sincèrement, monsieur Mamère, lorsque, en tant que ministre de l’intérieur, je prends des mesures antiterroristes, je ne le fais pas pour remettre en cause ces libertés fondamentales, auxquelles je ne suis pas moins attaché que vous. Dans l’exercice de ma responsabilité, et précisément parce que je suis à la tête d’un ministère qui dispose, pour citer une expression bien connue, des moyens de la contrainte physique légitime, je souhaite qu’il soit fait un usage absolument proportionné de ces mesures, et qu’elles permettent de garantir la sécurité sans jamais remettre en cause la liberté.

Lorsque des terroristes s’en prennent à nos enfants qui sont aux terrasses de cafés, à des jeunes qui sont dans des salles de spectacle, en créant une terreur, un effroi qui les empêchent de continuer à vivre libres comme ils entendaient le faire, n’est-il pas du devoir de l’État de prendre toutes les mesures non pour enfreindre les libertés, mais pour permettre aux jeunes d’exercer les leurs tranquillement, sereinement ?

C’est par attachement à la liberté que nous prenons ces mesures. C’est parce que nous sommes soucieux qu’aucune d’elles ne remette en cause les libertés fondamentales que, lorsque nous avons décidé de prolonger l’état d’urgence en révisant la loi de 1955, nous avons retiré de ce texte toutes les mesures relatives à la liberté de la presse et de la liberté d’expression.

S’agissant des interdictions de manifestations, à vous entendre, on a l’impression que nous aurions profité de l’état d’urgence pour annihiler toute forme de liberté d’expression dans notre pays, ainsi que toute capacité de revendiquer. Nous avons prononcé une interdiction de manifester pendant la COP21, pour des raisons qui tenaient au fait qu’au lendemain des attentats, je ne pouvais pas, en responsabilité, mobiliser les forces à autre chose qu’à la protection des Français contre le risque terroriste. Mais dès lors que les conditions ont été réunies pour assurer l’ordre public, nous n’avons à aucun moment renoncé à laisser les manifestations se dérouler.

Je suis aussi attaché que vous à ce que, dans la France telle que nous l’aimons, on puisse manifester pour dire son opinion, pour exprimer ce à quoi on aspire, et à ce qu’on puisse le faire chaque jour à chaque instant, librement, conformément aux garanties prévues par les textes qui régissent notre pays. C’est pourquoi, lorsque des manifestants se sont engagés dans les rues de Paris pour dire leur hostilité à l’état d’urgence, je me suis fait un devoir de mobiliser les forces de l’ordre pour qu’ils puissent défiler en toute sécurité. Dans ma responsabilité de ministre de l’intérieur, je le ferai systématiquement, parce que j’ai la même passion que vous pour la liberté.

Le second point sur lequel je veux insister, c’est le sentiment de stigmatisation qu’éprouveraient, en gros, les musulmans de France, en raison des mesures prises par le Gouvernement.

Je vais être extrêmement clair : l’immense majorité, voire la quasi-unanimité des musulmans de France, qui vivent dans le respect des valeurs de la République, attendent du gouvernement français la plus grande fermeté à l’égard de la poignée de ceux qui dévoient leur religion, religion dont ils ne savent rien, dont ils ignorent tout du texte comme de l’esprit, pour engendrer la violence.

Mme Elisabeth Pochon. Absolument !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà ce que les musulmans de France attendent de nous ! Ils sont de plain-pied avec la République, ils veulent que la République les protège et je ferai tout, à chaque instant, dans ma responsabilité de ministre de l’intérieur, pour protéger les lieux de culte et pour que les préfets portent plainte, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, dès lors qu’ils auront à connaître d’un acte, d’un geste ou d’un propos antimusulman dans la République.

Donc, non seulement je ne vois aucune antinomie entre notre action et le respect des musulmans de France, aucun lien entre notre action et le risque de stigmatisation, mais je pense que, par nos décisions, nous protégeons les musulmans contre tout risque de ce type.

Je conclurai, monsieur Mamère, en invitant les députés à ne pas voter votre motion de procédure. Très sincèrement, je pense que vous suivre serait nous engager dans une impasse…

Mme Cécile Untermaier. Bien sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …alors que notre pays est confronté à un risque de terrorisme élevé, qui, s’il se concrétisait, remettrait en cause toutes nos libertés publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

(Mme Catherine Vautrin remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. J’ai un point d’accord avec M. Mamère.

Mme Elisabeth Pochon. C’est déjà beaucoup !

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est que notre débat n’a rien d’anodin. D’ailleurs, nos compatriotes le suivent avec attention. Malheureusement, je crains que, sur l’état d’urgence, les opinions que nous pourrions partager ne s’arrêtent là.

Monsieur Mamère, en novembre, vous avez voté contre l’état d’urgence.

M. Noël Mamère. Non : contre la prolongation de l’état d’urgence !

M. Pascal Popelin, rapporteur. En effet, pour la raison toute simple que vous n’êtes pas membre du Gouvernement : l’état d’urgence est prononcé par le Président de la République après avis du conseil des ministres. Vous avez donc voté, en novembre, contre la prorogation de l’état d’urgence.

Tout à l’heure, au début de votre intervention, vous avez indiqué que les faits avaient confirmé votre conviction. Pour ma part, il y a deux formes de raisonnement que je m’efforce de bannir de mon système de pensée. La première consiste à ne douter de rien ; la seconde, à douter de tout. J’ai le sentiment que vous avez abusé de ces deux travers dans votre tentative de démonstration.

Mme Catherine Quéré. Très juste !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous avez qualifié le bilan de l’état d’urgence de médiocre et de négligeable.

Mme Sylvie Tolmont. Ce n’est pas sérieux !

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est peu respectueux du travail des forces de l’ordre, qui mettent parfois en jeu leur intégrité physique pour assurer la sécurité des Français. C’est surtout faire peu de cas, par méconnaissance ou par une volonté délibérée, de ce qu’a permis l’état d’urgence, de ce qu’il permet et de ce qu’il permettra encore pour déstabiliser la mouvance terroriste et prévenir ses funestes projets.

Durant un peu plus de vingt minutes, vous avez critiqué, dénoncé, érigé des exemples rares en généralités, convoqué une histoire que vous revisitiez. Mais j’observe qu’au nom de votre conception de la liberté, vous n’avez rien proposé pour défendre nos libertés.

Monsieur Mamère, le terrorisme ne se combat pas avec une fleur de tournesol. (Rires sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Mme Cécile Duflot. Non ! Non ! Non ! C’est nul !

M. Noël Mamère. Il y a longtemps que les écologistes ne voient plus le soleil…

M. Pascal Popelin, rapporteur. La commission des lois ayant adopté le projet de loi à l’unanimité, je ne puis qu’inviter notre assemblée à ne pas voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion, la parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. La colonne vertébrale de la démonstration de M. Mamère, c’est la conspiration des paradoxes : il n’y aurait pas assez d’assignations à domicile, pas assez de perquisitions pour justifier la prorogation de l’état d’urgence. J’ai même l’impression qu’il regrette qu’il n’y en ait pas plus !

Il faudrait donc, à l’entendre, mettre fin à l’état d’urgence, quels que soient les risques et quels que soient les attentats perpétrés depuis novembre 2015. Finalement, si je comprends bien la teneur de son raisonnement, il faudrait attendre que les éventuelles condamnations judiciaires soient définitives, et faire jouer de ce fait une présomption d’innocence absolue, empêchant par définition tout contrôle et toute mesure de contrainte.

Je vous pose la question suivante : faut-il préférer un terroriste en liberté à un terroriste emprisonné ? Je laisse répondre les familles des 140 morts et des 300 blessés des attentats de novembre 2015. Nous autres radicaux, nous ne voulons ni d’une république populiste, ni d’une république sécuritaire. Nous ne voulons pas non plus d’une république anarchiste, ni du terrorisme intellectuel. Ce que nous voulons, c’est la sécurité pour tous, dans le respect de l’État de droit. Voilà pourquoi nous rejetterons cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Nous voterons pour cette motion de rejet préalable…

M. Guy Geoffroy. Oh, non !

M. André Chassaigne. …car nous rejetons ce projet de loi dans son ensemble. Je tiens à souligner que ce n’est pas pour mettre en doute votre sincérité, monsieur le ministre,…

Un député du groupe socialiste républicain et citoyen. Un peu quand même !

M. André Chassaigne. …ni votre mérite personnel. Nous voulons répondre sur le fond, avec honnêteté.

En janvier dernier, le président de la commission des lois, M. Urvoas, parlait déjà d’essoufflement de l’état d’urgence, d’extinction progressive de l’intérêt de ce régime d’exception. Cela nous commande d’y mettre fin. Cela ne signifie pas, en ce qui nous concerne, que nous remettons en cause notre vote en faveur du précédent prolongement de trois mois. Le constat de cet essoufflement a été clairement établi dans le cadre du contrôle parlementaire de l’état d’urgence. Le rythme des perquisitions administratives a en effet clairement diminué en trois mois.

M. Jean-Luc Warsmann. Ce qui est logique !

M. André Chassaigne. De fait, si le péril n’a pas disparu – j’y reviendrai – l’intérêt des outils placés à la disposition de l’administration dans le cadre de l’état d’urgence est très nettement en déclin. Nous pensons qu’il est temps d’en revenir au droit commun et de sortir de cet état d’exception, qui est par essence attentatoire aux libertés fondamentales. Amnesty International dénonce le bouleversement de centaines de vies ; le Défenseur des droits dénonce l’avènement de « l’ère des suspects » ; des organisations internationales s’inquiètent d’une nouvelle prorogation, et des risques de dérives.

Nous pensons que le Gouvernement et la représentation nationale ne peuvent rester sourds à ces inquiétudes légitimes. Nous voterons donc, presque unanimement, pour cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Goasdoué. La France a besoin d’apaisement. Elle a besoin de la garantie de l’État de droit, mais elle a aussi besoin d’être assurée que sa sécurité, dans toute la mesure du possible, est prise en compte.

Ceux qui menacent la liberté, ce ne sont pas les juges ou les forces de l’ordre de la République, ce sont les terroristes ! J’ai entendu parler d’une révolution sécuritaire, d’une société de surveillance et de soupçon, et même de « délit prédictif » – comme si un délit prédictif pouvait exister dans notre droit !

M. Sergio Coronado et M. Noël Mamère. Et la rétention de sûreté ?

M. Yves Goasdoué. J’ai aussi entendu parler de populisme pénal : peut-être n’y a-t-il rien de pénal dans ce populisme-là… Je crois, pour ma part, qu’il ne faut pas hystériser le pays, car la question est trop grave.

À la vérité, toutes les opinions sont bonnes à entendre. Mais deux questions doivent être posées. Premièrement : les mesures sont-elles inefficaces ? M. le ministre de l’intérieur a démontré l’inverse et, contrairement à ce que j’ai entendu, le contrôle parlementaire a aussi démontré l’inverse. Deuxièmement : y a-t-il atteinte aux droits fondamentaux, aux libertés publiques ? Je réponds : non, de concert avec le Conseil d’État. Celui-ci a constaté que le juge administratif, au plein contentieux, disposant de ses pouvoirs d’injonction contre l’administration, a fait son travail. Les quelques cas d’annulation – il y en a eu, et c’est normal – prouvent que l’état de droit a été respecté, et qu’il continuera à l’être.

C’est pourquoi le groupe socialiste, républicain et citoyen rejettera cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe Les Républicains.

M. Éric Ciotti. Le groupe Les Républicains rejettera naturellement cette motion de rejet préalable qui, dans le contexte des événements tragiques qu’a traversés notre pays en 2015, nous paraît particulièrement irresponsable.

Je vous ai écouté, monsieur Mamère, et j’ai écouté M. le ministre. J’ai donc constaté, encore une fois, à quel point vous avez trompé les Français en constituant cette majorité improbable au printemps 2012.

Sur le fond, comme M. Goasdoué l’a rappelé, vous avez parlé de « populisme pénal ». Ces propos sont soit irresponsables, je le répète, soit honteux. C’est une offense aux 130 victimes qui sont tombées au cours de l’année 2015.

M. Noël Mamère. Certainement pas !

M. Éric Ciotti. Notre devoir collectif, c’est de mieux protéger nos concitoyens, c’est de mobiliser tous les moyens pour protéger les Français. Le Gouvernement, sous l’autorité du Président de la République, au cours de cette nuit tragique du 13 novembre, a décidé de recourir à la fois à l’état d’urgence et aux contrôles aux frontières. Il a fait œuvre utile, car ces mesures ont été efficaces. Nous aurions préféré d’ailleurs qu’elles aient été prises plus tôt, dès le mois de janvier 2015, et j’aurais de surcroît souhaité dès le 16 novembre qu’elles soient prolongées, ce qui nous aurait évité de débattre à nouveau ce soir.

En tout cas, comment pouvez-vous opposer la protection de nos concitoyens à la garantie des libertés ? La première des libertés, c’est la sécurité.

M. Noël Mamère. Non !

M. Éric Ciotti. L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait du principe de sûreté la garantie des libertés.

M. Noël Mamère et Mme Elisabeth Pochon. La sécurité et la sûreté, ce n’est pas la même chose !

M. Éric Ciotti. Comment imaginer que la protection, la sécurité, la sûreté, s’opposent à la liberté ? Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette motion, monsieur Mamère !

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Quelques précisions : au sein du groupe écologiste, personne n’a jamais critiqué la parole présidentielle, ni la décision de proclamer l’état d’urgence pour douze jours après les attentats du 13 novembre. Nous étions quelques-uns à voter contre la première prorogation ; nous serons beaucoup plus nombreux, au sein de notre groupe, à nous opposer à la deuxième.

L’on explique que si nous nous opposons à cette prorogation, c’est parce que nous sommes sans cœur, que nous ne pensons pas à tous nos morts, à tous ces jeunes, décédés le 13 novembre. C’est vraiment affligeant : c’est justement parce que nous sommes conscients qu’il faut tout faire pour lutter contre le terrorisme que nous ne nous rangeons pas à de faux arguments en faveur de cette prorogation.

Monsieur le ministre, si les forces de l’ordre avaient réalisé ces 3 500 perquisitions en ayant réfléchi aux lieux à perquisitionner, en ayant travaillé comme d’habitude, en amont, avec les juges, elles auraient obtenu d’excellents résultats, des résultats ciblés. Au lieu de cela, vous avez, comme le disait Noël Mamère, ratissé large, souvent pour faire du chiffre, comme en Dordogne.

Vous nous dites que les opérations sont préparées en amont : c’est faux ! Le 24 novembre, les gendarmes qui ont débarqué, en armes, chez Élodie et Julien à Lusignac, en Dordogne, ne savaient pas ce qu’ils cherchaient. Noël Mamère a raison : c’est de la pêche au chalut de fond que vous faites depuis le 14 novembre 2015. Vous ne savez pas forcément ce que vous cherchez, mais il est évident que dans le lot, vous trouverez nécessairement quelque chose.

Ayez la décence de comparer les résultats que nous obtenons depuis le 14 novembre avec ceux que les services de renseignements quels qu’ils soient et les forces de l’ordre obtenaient dans la lutte contre le terrorisme. C’est parce que nous voulons lutter efficacement contre le terrorisme que nous vous proposons de rejeter cette prorogation en votant cette motion. Laissons les services faire leur travail, la main dans la main avec la justice, pour garantir le respect des libertés.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Jégo, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Yves Jégo. Le groupe UDI s’opposera à cette motion de rejet préalable, en considérant qu’il faut donner à la police les moyens nécessaires pour poursuivre le travail qu’elle a engagé au lendemain du 13 novembre. J’ai une pensée pour les victimes qui, ce soir, vont participer à un concert organisé en miroir à celui du Bataclan le 13 novembre dernier. Je regrette que nous n’ayons pas trouvé de chemin vers l’unité. Sur cette question fondamentale, il ne faut pas désarmer. Nous nous opposons donc à cette motion.

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Sergio Coronado une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, décrété dès le 14 novembre dernier, l’état d’urgence a été prolongé pour une durée de trois mois par la loi du 20 novembre 2015. Ce régime d’exception devait donc s’achever le jeudi 25 février à minuit. Si nous n’avons été que six parlementaires à nous opposer, le 19 novembre dernier, à la prorogation de l’état d’urgence, qui a d’ailleurs été accompagnée de modifications substantielles de la loi du 3 avril 1955, je crois que cette fois-ci, ce ne sera plus tout à fait le cas.

Aujourd’hui, en effet, les oppositions sont plus vives. La concomitance de la révision constitutionnelle et de la réforme de la procédure pénale avec cette nouvelle prolongation de l’état d’urgence nourrit les préoccupations de nombreux parlementaires comme celles de nos concitoyens. En novembre dernier, les enquêtes d’opinion semblaient unanimes, et le Gouvernement les a largement utilisées pour appuyer son action. Je crois qu’aujourd’hui, ce n’est plus cas non plus !

Le Sénat a adopté le 9 février dernier le projet de loi prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 26 mai 2016, après adoption d’un unique amendement, proposé par notre collègue sénateur Michel Mercier, le rapporteur du projet de loi. Cet amendement a procédé à une réécriture de l’article, sans effet cependant sur la durée ou le périmètre de la prorogation. Il a permis de revenir à la rédaction traditionnelle des lois de prorogation de l’état d’urgence, en trois points. Premier point : prorogation de l’état d’urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016. Deuxième point : mention expresse en vertu de laquelle il pourra être procédé, pendant cette durée, à des perquisitions administratives. Troisième point : le Gouvernement pourra mettre fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres avant la fin de cette période de trois mois, auquel cas il sera tenu d’en rendre compte au Parlement.

Chers collègues, dès la déclaration de l’état d’urgence, le ministre de l’intérieur et les préfets ont été dotés de pouvoirs de police très étendus. Et, comme vous le savez, le régime a de surcroît été renforcé, je dirais même durci par la loi du 20 novembre 2015.

En effet, onze mesures dérogatoires, individuelles ou de portée générale, sont prévues par la loi. Je voudrais ici les énumérer pour que celles et ceux qui nous écoutent constatent l’étendue des prérogatives octroyées au pouvoir exécutif et aux forces de police et de gendarmerie : l’interdiction de circulation des personnes ou des véhicules ; l’institution de zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; l’interdiction de séjour ; l’assignation à résidence, complétée le cas échéant par une assignation à domicile à temps partiel, pouvant comporter jusqu’à trois pointages au commissariat ou à la brigade de gendarmerie et une interdiction d’entrer en relation, et qui peut être aménagée sous la forme d’un placement sous surveillance électronique ; la dissolution d’associations ou de groupements ; la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion ; l’interdiction de manifestation ; la remise des armes de catégories A à C et de celles de catégorie D soumises à enregistrement ; la réquisition de personnes ou de biens ; la perquisition à domicile de jour et de nuit ; le blocage de sites internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, mesure qui existe d’ailleurs déjà dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

D’après les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur, certaines de ces mesures ont été utilisées très activement. On compte 3 340 perquisitions administratives ; seules 52 % des personnes perquisitionnées seraient inscrites sur le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste, créé en mars 2015 et qui compte plus de 11 000 noms. Il y a eu 395 interpellations entraînant 344 gardes à vue, dont 67 condamnations prononcées et 54 décisions d’écrou, ainsi que 29 procédures dont 23 pour apologie du terrorisme – c’est donc la grande majorité de ces cas qui concerne le délit d’apologie du terrorisme. Enfin, 285 assignations à résidence sont toujours en vigueur ; 2 ont été suspendues ou annulées par le juge administratif et 46 ont été abrogées « spontanément » par le ministère de l’intérieur, sans doute par crainte d’une condamnation de l’État, notamment celles intervenues durant la COP21.

La loi du 20 novembre 2015 a introduit un nouvel article dans la loi du 3 avril 1955 : l’article 14-1, qui reconnaît la pleine compétence du juge administratif pour contrôler a posteriori les mesures de police administrative prévues par l’état d’urgence, faisant ainsi de lui le garant de la nécessité et de la proportionnalité de ces mesures.

Toutefois, comme vous l’avez vous-même noté, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des lois la semaine dernière, eu égard aux mesures déployées, le bilan semble, non pas médiocre, mais modeste, surtout si l’on s’en tient au nombre de procédures ouvertes sous la qualification de « terroriste », puisque le pôle antiterroriste du parquet de Paris n’a été saisi que de cinq procédures – mais je concède que ce chiffre n’est pas définitif, de nouvelles enquêtes judiciaires pouvant être ouvertes au vu des éléments recueillis. En outre, sur les 578 armes saisies par les autorités, 428 l’étaient déjà à la mi-décembre. Même constat concernant les stupéfiants : sur 254 découvertes, 206 avaient déjà été faites à la même époque. La principale mesurée utilisée est en réalité la perquisition administrative.

Le 13 janvier dernier, Jean-Jacques Urvoas, en sa qualité de président de la commission de contrôle parlementaire de l’état d’urgence, faisait le constat suivant devant la commission des lois : « La proportion de perquisitions nocturnes reste stable alors même que l’effet de surprise s’est estompé, que les cibles prioritaires se raréfient et que les unités spécialisées interviennent moins fréquemment ». Il ajoutait que « le recours aux perquisitions administratives [s’était] concentré dans les premières semaines de l’état d’urgence », pour ne pas dire les premiers jours ; il soulignait même que « depuis le 30 novembre, la brigade de recherche et d’intervention, l’unité de recherche, assistance, intervention, dissuasion et le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale [n’étaient] presque plus engagés ».

Certes, le Conseil d’État a donné, le 2 février, un avis favorable à la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 26 mai. Comme l’a rappelé Pascal Popelin, pour la juridiction administrative, « les précautions prévues contre d’éventuels excès dans l’emploi de ces mesures, ainsi que leur contrôle juridictionnel, se sont révélés effectifs ». En l’occurrence, le Conseil d’État à la fois dit le droit et fait office de conseil du Gouvernement, de contrôle et de recours : cela fait beaucoup pour une seule instance !

Les recours devant les tribunaux contre l’état d’urgence ont mis en évidence quelques approximations – j’espère que vous ne vous offusquerez de ce terme, monsieur le ministre – de la part du ministère de l’intérieur, dont les décisions d’assignation à résidence reposaient parfois uniquement sur des notes blanches qui n’ont pas résisté au débat contradictoire devant le juge. Pourtant, ces feuilles volantes ne devraient plus exister : peu après les attentats de Madrid, le ministre de l’intérieur de l’époque, Dominique de Villepin, présentait à l’Assemblée nationale une petite révolution : « Il n’est pas acceptable dans notre République que des notes puissent faire foi alors qu’elles ne portent pas de mention d’origine et que leur fiabilité ne fait l’objet d’aucune évaluation ». M. de Villepin assurait même avoir élargi cette mesure à l’ensemble des notes, y compris celles qui sont transmises aux juridictions administratives et judiciaires.

La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Mme Christine Lazerges, a elle aussi fait part de son scepticisme : « On peine à comprendre qu’on puisse aujourd’hui en France effectuer des perquisitions sur la base d’informations trop souvent ni datées ni signées, si ce n’est par un service, et contre lesquelles il est dès lors très difficile de former un recours ».

Dans sa décision du 11 décembre, le Conseil d’État indique clairement qu’une assignation à résidence constitue une atteinte grave et immédiate aux libertés, tandis que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 décembre, rappelle que les dossiers doivent être examinés contradictoirement et que les allégations du ministre de l’intérieur ne bénéficient d’aucune présomption de vérité. Tout comme ici, en fait !

Certes, 2 assignations à résidence ont été suspendues par la justice, mais 46 autres ont été abrogées par le ministère de l’intérieur la veille de l’audience, le ministre préférant sans doute mettre fin aux assignations à résidence, conformément à la conduite qu’il s’était fixée dès le départ, afin de ne pas subir de camouflet devant le juge judiciaire. Probablement pour se prévenir d’éventuelles condamnations devant la Cour européenne des droits de l’homme, le Gouvernement a aussi informé le Conseil de l’Europe d’une dérogation provisoire à la Convention.

Enfin, comme vient de le souligner Noël Mamère à la tribune, l’utilisation de l’état d’urgence pour des décisions très éloignées de la lutte contre le terrorisme avait été critiquée le 13 janvier dernier par Jean-Jacques Urvoas, lequel avait cité l’exemple d’un arrêté préfectoral interdisant la vente d’alcool dans le Nord et celui d’une interdiction de déplacement visant des supporters de clubs de football – je crois que M. Popelin a lui aussi assisté à cette réunion de la commission des lois.

Parce qu’il me semble qu’il reste encore quelques gaullistes dans cet hémicycle,…

M. Alain Chrétien, Mme Annie Genevard et M. Guy Geoffroy. Oui !

M. Sergio Coronado. …je voudrais convoquer Michel Debré. Lorsqu’il avait présenté en 1958 l’avant-projet de notre Constitution, il s’était montré intraitable sur l’autorité judiciaire. Il avait dit qu’on ne peut emprisonner, perquisitionner, assigner à résidence, si ce n’est sur décision d’un juge ; et que c’est le juge judiciaire qui doit autoriser les atteintes aux libertés. Lorsque Michel Debré défendait avec vigueur cette position, la guerre d’Algérie durait depuis plus de quatre ans !

Chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur la prorogation d’un état d’urgence déjà prorogé une première fois. Vous le savez, notre outil répressif n’a cessé d’être renforcé depuis quarante ans. Il s’est encore enrichi, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. L’arsenal juridique français est loin d’être laxiste ! On encourt jusqu’à sept ans de prison pour apologie du terrorisme sur internet et l’« entreprise terroriste individuelle » a été intégrée dans notre droit.

Le délit d’association de malfaiteurs en liaison avec une activité terroriste avait déjà pour objet de prévenir les attentats en arrêtant ceux qui les projettent, au moment où des actes préparatoires suffisamment graves sont commis mais où l’irréparable n’a pas encore eu lieu. Cette infraction repose sur le comportement général de l’individu, sur ses fréquentations, sur les sites internet qu’il consulte. Le délit, prévu à l’article 421-2-1 du code pénal, existe depuis la loi du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme.

L’essentiel de la loi relative au renseignement, en particulier la possibilité de s’introduire chez une personne pour sonoriser son logement à titre préventif et sans autorisation préalable d’un juge, constitue également un dispositif lourd de conséquence.

Pour réprimer, l’exécutif dispose de moyens considérables dans notre droit. C’est le corps social tout entier qui est affecté par l’état d’urgence, dont les effets ne se limitent pas à la police administrative. Vous avez, tout comme moi, été informés de cas qui n’en relèvent pas : ainsi, ce fonctionnaire travaillant dans une ambassade à l’étranger, qui avait bénéficié d’un passeport des services et qui, deux jours après les attentats, a été rappelé sans explication, au prétexte qu’il faisait l’objet d’une fiche S. La vie de milliers de citoyens est ainsi directement affectée.

Les conséquences de l’état d’urgence inquiètent bien au-delà des organisations de défense des droits humains. Dès janvier, alors que l’on en était à la première prolongation de trois mois, le secrétaire général du Conseil de l’Europe faisait part de ses préoccupations. Dans une lettre au président français, il soulignait les risques pouvant résulter des prérogatives conférées à l’exécutif dans le cadre de ce régime d’exception, en particulier s’agissant des perquisitions administratives et des assignations à résidence.

Mi-janvier, le commissaire aux droits de l’homme s’inquiétait des dérives de l’état d’urgence en France ; il évoquait notamment le risque d’un profilage ethnique et mettait en doute la nécessité des perquisitions administratives.

Hier, la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 a débuté ses travaux en auditionnant les associations de victimes des attentats. Des victimes d’une très grande dignité, que je veux saluer ici en notre nom à toutes et tous, qui ont évoqué une administration pesante, procédurière et déshumanisée et qui ont largement critiqué la réponse politique apportée par le Gouvernement. Demain, une seconde table ronde aura lieu avec notamment les représentants de l’association française des victimes du terrorisme.

En outre, la mission d’information sur les moyens de Daech continue ses auditions. On est encore loin d’avoir tiré toutes les conclusions de ses travaux précieux. L’impact des nombreuses lois antiterroristes n’a pas encore été établi que, déjà, un nouveau texte renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, vient en discussion, en procédure accélérée, au Parlement. Il s’agit d’un texte hybride, dont la vocation est de prolonger les mesures autorisées par l’état d’urgence en dehors de l’état d’urgence.

Je voudrais être très clair. Comme vient de le souligner Isabelle Attard, personne ici ne s’est opposé à la décision du Président de la République de décréter l’état d’urgence le soir même des attentats ; personne ici ne considère que le terrorisme ne représente pas un danger. Mais, pour reprendre les mots de Jean-Jacques Urvoas le 13 janvier, arrêter l’état d’urgence « ne sera pas synonyme d’une moindre protection », car, en réalité, « l’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre [de ces mesures] semble à présent derrière nous ». « Partout où nous nous sommes déplacés », ajoutait-il, faisant référence au contrôle parlementaire qu’il avait réalisé avec Jean-Frédéric Poisson, « nous avons entendu que les principales cibles et objectifs avaient été traités. » L’effet de surprise est de fait largement estompé et les personnes concernées sont désormais pleinement préparées à faire face à d’éventuelles mesures administratives.

Ce phénomène d’extinction progressive de l’intérêt des mesures de police administrative se lit d’ailleurs dans les chiffres. Réagir efficacement à un attentat terroriste en donnant à l’État les moyens proportionnés à l’ampleur de la menace imminente était une chose, combattre le terrorisme sur le long terme en est une autre.

Il y a un mois, en commission des lois, il était question de sortir de l’état d’urgence ; aujourd’hui, il s’agit de proroger cet état d’urgence pour trois mois supplémentaires !

Ce qui a changé sans doute, comme le Premier ministre l’a, comme souvent, exprimé clairement – j’allais dire brutalement – c’est l’approche du Gouvernement. En effet, dans de nombreuses et récentes déclarations, le Premier ministre a indexé la durée de l’état d’urgence sur les menaces terroristes permanentes – ce sont ses propres mots – et la mise hors d’état de nuire de Daech. D’une mesure limitée, proportionnée, on passe à un dispositif ordinaire de lutte contre le terrorisme, à un état permanent de maintien de l’ordre public. Ce n’était pas, je crois, l’esprit de la loi du 3 avril 1955.

Nous aurions souhaité, et je sais que le président de la commission des lois partage cet avis, que la commission de contrôle fasse un bilan global de l’application de la prorogation pour trois mois : c’eût été une nécessité avant de proroger une nouvelle fois l’état d’urgence. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

Si le ministère que vous dirigez, monsieur le ministre, a fait preuve d’un esprit de coopération qu’il convient de saluer, les propos que vous avez tenus à cette tribune diffèrent beaucoup de vos communications d’étape devant la commission de contrôle composée par celui qui est désormais garde des sceaux et par notre collègue Jean-Frédéric Poisson.

Le renvoi du texte en commission permettrait de dresser un bilan global de la prolongation pour trois mois de l’état d’urgence. C’est, je le répète, une nécessité avant toute nouvelle prolongation. Ce serait aussi reconnaître la réalité du contrôle parlementaire, sans doute la seule mesure positive de la loi du 20 novembre 2015. Cela rendrait enfin possible un débat non pas uniquement sur les mesures et leur efficacité, mais aussi sur le changement d’approche du Gouvernement après les déclarations du Premier ministre. Si ce changement était entériné sans discussion, cela reviendrait à considérer que rien ne fait obstacle à une prorogation incessante de l’état d’urgence. C’est pour toutes ces raisons que j’invite mes collègues à voter le renvoi du texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous sommes d’accord pour la prolongation de l’état d’urgence, au vu de l’importance et de l’imminence de la menace qui continue à peser sur notre pays. Personne, bien sûr, n’a oublié les attentats du 13 novembre dernier, mais personne ne peut non plus faire abstraction du fait qu’ils risquent malheureusement de se reproduire. Dans ces conditions, il serait difficile d’accepter que l’État républicain baisse la garde, dès lors qu’il doit assurer la sécurité de nos concitoyens.

Face à cette crise, à cette série de périls et de menaces, je veux saluer l’action résolue et déterminée qui est la marque du ministre de l’intérieur. La prolongation de trois mois de l’état d’urgence n’a rien de surprenant : cette durée est tout à fait raisonnable, et il est arrivé qu’elle soit sensiblement plus longue. L’état d’urgence a ainsi été appliqué d’avril 1961 à mai 1963, soit vingt-cinq mois, suite au putsch des généraux et à d’autres événements en Algérie ; après le vote de la loi du 25 janvier 1985, il a aussi été instauré pendant six mois en Nouvelle-Calédonie. Cette dernière loi, faut-il le rappeler, avait été présentée par des responsables politiques tout à fait nuancés et modérés, à savoir Laurent Fabius et Robert Badinter, qui lui avait donné son contreseing. L’état d’urgence n’est donc pas une mesure liberticide au regard des faits considérés ; et il importe de souligner que le présent texte prévoit la possibilité d’y mettre fin si les circonstances le justifient : c’était déjà le cas, du reste, de la loi du 20 novembre 2015.

À cette époque j’avais d’ailleurs suggéré que, la durée de trois mois étant peut-être insuffisante, il convenait sans doute de la porter d’emblée à six mois ; mais le résultat sera le même.

Je m’étonne un peu, enfin, des proclamations qui émanent de l’autorité judiciaire, par la voix des Premiers présidents de cour d’appel qui pratiquent la remontrance, comme le faisaient les parlements de l’Ancien Régime.

M. Guillaume Larrivé. Absolument !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Ce faisant ils s’élèvent non seulement contre les positions du Gouvernement, mais aussi contre les lois votées par le Parlement, lequel, à leur différence, incarne la souveraineté nationale. La séparation des pouvoirs suppose que chacun demeure dans sa sphère de compétence. Encore les Premiers présidents de cour d’appel sont-ils des magistrats du siège dont nous respectons l’indépendance lorsqu’ils en font preuve ; mais de tels propos, lorsqu’ils émanent du ministère public, notamment du procureur général près la Cour de cassation placé sous l’autorité hiérarchique du garde des sceaux, ne laissent pas d’étonner.

Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui !

M. Guillaume Larrivé. Tout à fait !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. De l’avis des professionnels de la justice, notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme est suffisamment abondant ; il a d’ailleurs été considérablement renforcé, au cours des dernières années, pour répondre à la menace grandissante et mondialisée du terrorisme.

En fait, le prolongement de l’état d’urgence ne se justifie que par la crainte d’en sortir. Comme le disait Jean-Jacques Urvoas en janvier dernier, « c’est un acte délicat à prendre », et il faudra « faire preuve de responsabilité le moment venu ». Nous pensons, pour notre part, que le moment est venu, et qu’il faut désormais nous appuyer sur notre droit commun, qui nous apparaît suffisamment performant.

Mme Marie-Christine Dalloz et M. Alain Chrétien. Mais non !

M. André Chassaigne. Quelle est en réalité l’alternative ? La pérennisation de l’état d’urgence et le renforcement graduel de notre législation répressive, ou la mise en œuvre de notre droit commun assorti, au besoin, d’un accroissement des moyens humains et matériels de nos services de renseignement, de justice, de douane et de police.

Il nous semble aussi urgent de prendre le temps de repenser l’organisation de la lutte contre le terrorisme car, malgré le courage de nos forces de police, des dysfonctionnements sont apparus dans les dispositifs de renseignement, de surveillance et de répression des terroristes. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette motion de renvoi en commission.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il y a quelques flottements dans la majorité !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Cécile Untermaier. Depuis qu’il a été décidé de proroger l’état d’urgence jusqu’au 26 février, nous avons mis en place un contrôle et un système de veille parlementaires. La commission des lois s’est dotée de prérogatives dévolues aux commissions d’enquête ; le Défenseur des droits a porté un regard vigilant ; des informations précises et régulières ont été données par le ministre de l’intérieur aux différents groupes et en commission des lois. Nous avons aussi assisté aux réunions de la commission de contrôle et entendu, entre autres, les acteurs des services de renseignement et des forces de l’ordre. Le rapport de Jean-Jacques Urvoas, au fond, ne dit pas autre chose. Il exprime un doute sur la prorogation d’une mesure d’exception ; et cette interrogation légitime, ultime, nous l’avons tous avant de nous prononcer sur une mesure de ce genre.

Retenons que nous avons bien travaillé, au sein tant de la commission des lois que de la commission de contrôle. La prorogation de l’état d’urgence n’a jamais été une chose évidente et entendue : elle se présente à nous parce que l’État est attaqué et parce que le péril, toujours présent, ne doit nous priver d’aucun moyen d’empêcher des attentats.

C’est l’État de droit qui, suite aux informations et aux avis recueillis, commande l’examen du présent texte, dont le renvoi en commission serait une procédure dilatoire, en contradiction avec la nécessité d’une réactivité éclairée de la représentation nationale et le travail très sérieux effectué en amont de cette séance. C’est pourquoi nous rejetterons la présente motion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Larrivé. Après Noël Mamère, Sergio Coronado s’est livré, au nom d’Europe Écologie Les Verts,…

M. Guy Geoffroy. Ou de ce qu’il en reste !

M. Guillaume Larrivé. …à une sorte de réquisitoire contre la politique sécuritaire du Gouvernement. Permettez-moi, à cet égard, de relever un point de lucidité du Président de la République François Hollande à l’occasion du remaniement bizarre de la semaine dernière : contre toute logique, il a certes fait entrer Mme Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts, au Gouvernement ; mais il a eu la sagesse de ne pas lui confier la place Beauvau, car sinon je peine à imaginer quelle aurait été la position du Gouvernement : il nous aurait sans doute incités à voter la présente motion.

Plus sérieusement et sur le fond, monsieur Coronado, je veux vous rappeler avec gravité que la menace, c’est le terrorisme islamiste, ce n’est pas l’état d’urgence. Celui-ci n’est en rien l’abrogation de l’État de droit : il est seulement un régime de renforcement temporaire des pouvoirs de police administrative, sous le contrôle politique et démocratique du Parlement, et sous le contrôle juridictionnel de la justice administrative. Il est déjà cela, me direz-vous, mais il n’est que cela. Aussi ne mérite-t-il assurément pas cette motion de renvoi en commission, que bien entendu nous ne voterons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe écologiste.

M. Noël Mamère. Je veux rassurer M. Larrivé : l’urgence à entrer dans le Gouvernement était plutôt du côté des écologistes que la demande du Gouvernement d’assurer un état d’urgence grâce à eux.

M. Guillaume Larrivé. C’est incompréhensible !

M. Noël Mamère. Si c’est incompréhensible, c’est précisément à l’image de la décision des écologistes qui ont rejoint le Gouvernement.

La motion de renvoi en commission se justifie pour deux raisons. La première est celle avancée par Sergio Coronado : la commission de contrôle créée par la commission des lois s’est fondée sur des statistiques qui ne suffisent sans doute pas à évaluer d’une manière profonde et juste la réalité de l’état d’urgence et de ses conséquences. Tout à l’heure, j’ai évoqué les « lanceurs d’alerte », et plus précisément des organisations comme Amnesty International, qui ont mené des enquêtes qualitatives, démontrant ainsi les dégâts que peut engendrer l’état d’urgence dans le cadre des perquisitions ou des assignations à résidence.

Cela ne signifie pas pour autant, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que les députés écologistes qui soutiennent la présente motion considèrent que l’état d’urgence est contraire à nos libertés ou ne les protège pas. Nous disons seulement que notre droit commun et notre appareil juridique sont suffisants pour lutter efficacement contre les menaces terroristes.

Le Gouvernement est dans une impasse bien embarrassante car il ne sait pas comment sortir de l’état d’urgence, dont le Premier ministre lui-même nous a indiqué qu’il était adossé à la menace terroriste ; or chacun sait que celle-ci ne prendra pas fin le 26 mai prochain. On peut ainsi voir se prolonger indéfiniment un état d’exception qui, dès lors, entrerait dans le droit commun.

Par ailleurs, le texte que vous soumettez à nos suffrages s’inscrit dans une sorte de cycle qui a commencé non pas le 20 novembre dernier mais en 1986, date depuis laquelle une vingtaine de lois dites « antiterroristes » ont été adoptées, dont quatre sous la gauche. Ces lois ont à chaque fois fait reculer le droit commun au profit d’exceptions ou de dérogations. Bref, cela fait un moment que l’on est entré dans une logique d’exception ; et demain, le Gouvernement normalisera l’état d’urgence avec la réforme pénale en faisant entrer, pour la première fois dans l’histoire de la VRépublique, le préfet dans le code de procédure pénale.

Ce que nous n’acceptons pas, c’est que le juge judiciaire, garant de nos libertés individuelles, soit effacé par le procureur, le préfet et la police.

Mme Isabelle Attard et M. Sergio Coronado. Très bien !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, faut-il proroger l’état d’urgence instauré par le décret du 14 novembre 2015 pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016 ? Le projet de loi relatif à cette deuxième prorogation prévoit par ailleurs qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en Conseil des ministres avant l’expiration du délai, à savoir le 26 mai 2016. Il en serait alors rendu compte au Parlement.

Avant de répondre à la question relative au renouvellement de l’état d’urgence, je veux faire quelques observations. L’état d’urgence a été décidé à la quasi-unanimité du Parlement, tant la tuerie du 13 novembre 2015 s’est révélée massive, brutale, au-delà de toute imagination, par sa sauvagerie et par la détermination des terroristes : cela n’a fait qu’accroître notre inquiétude. Cent trente personnes ont été assassinées, une à une, et plusieurs centaines d’autres ont été blessées, là aussi, une à une. Il ne s’agit donc pas, sur le plan juridique, d’un crime collectif, mais de cent trente assassinats et de plusieurs centaines de tentatives d’assassinat. Jamais la République n’a connu autant d’assassinats en une journée. La cruauté et l’ampleur de ces crimes font penser aux massacres de septembre 1792 ou à la Saint-Barthélemy en 1572.

La République devait répondre à la hauteur de l’attaque qui la visait. Elle aurait dû prononcer l’état d’urgence après les assassinats du mois de janvier 2015,…

M. Jacques Pélissard. C’est vrai !

M. Alain Tourret. …comme le dira sans doute la commission d’enquête présidée par Georges Fenech.

La durée de l’état d’urgence aurait pu être de six mois, comme notre groupe l’avait proposé par la voix de Roger-Gérard Schwartzenberg : c’était la durée retenue par la République romaine lorsqu’elle avait recours à la dictature, tempérée il est vrai par l’obligation, pour le dictateur, de se consacrer, tel Cincinnatus, aux travaux agraires au bout de ce délai de six mois. Nos dirigeants, le Président de la République comme le Premier ministre, devraient méditer la sagesse de Cincinnatus. « O tempora, o mores ! », s’exclamait Cicéron, qui obtint du Sénat la déclaration de l’état d’urgence – la première du genre que j’aie pu trouver – en 63 avant Jésus Christ, contre Catilina et ses assassins.

L’état d’urgence était donc incontestable, tant la menace était grande. Cette menace, du reste, ne visait pas seulement la France : des attentats ont pu être déjoués en Belgique et en Allemagne dans les jours qui ont suivi l’attaque du Bataclan.

Le 20 novembre 2015, deux terroristes massacrent vingt otages à Bamako, au Mali ; le 12 janvier 2016, un attentat suicide massacre dix touristes à Istanbul ; le 14 janvier 2016, un attentat organisé depuis la Syrie massacre quatre personnes à Djakarta en Indonésie ; et le 15 janvier 2016, trois attentats massacrent trente personnes, dont trois Français, à Ouagadougou. La menace est donc mondiale et l’organisation terroriste s’étend, telle une pieuvre, en Europe et en Asie.

Encore faut-il souligner, afin de prendre conscience de l’ampleur de ses ramifications, que des tentatives d’attentat ont été déjouées en France, notamment à Tours et à Orléans.

La présence d’un péril imminent est incontestable au vu de cette toile d’araignée qui n’a rien à voir avec la théorie des loups solitaires imaginée par des esprits faibles, irrationnels et dangereux.

Comment oublier, par ailleurs, que près de 600 Français sont dans les rangs de Daech et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique – Aqmi –, faisant ainsi de la France le pays le plus menacé de la planète ? Face à cette situation, le bilan des actions menées par les forces de l’ordre pendant l’état d’urgence est-il insignifiant, comme certains le prétendent ?

Monsieur le ministre, vous avez répondu à cette question : 3 340 perquisitions ont été diligentées, dont 2 700, il est vrai, avant le 15 décembre 2015 et 578 armes ont été saisies, dont 428 avant cette même date. D’autres mesures administratives ont pu être utilisées comme le blocage de sites internet ou la dissolution d’associations minées par le salafisme.

Actuellement, 285 assignations à résidence sont toujours en vigueur, mais elles deviendraient caduques le 26 février prochain, sauf à inventer une nouvelle procédure juridique. Pourquoi le deviendraient-elles ? Parce que cette date marque la fin de la première période de l’état d’urgence.

Faudrait-il donc ne pas proroger l’état d’urgence au motif de la diminution, au fil du temps, du nombre de ces mesures de contrainte ? Telle est la thèse de Noël Mamère, dans le cadre de sa stratégie des paradoxes.

Je l’invite à relire François Heisbourg, conseiller spécial du président de la Fondation pour la recherche stratégique, qui rappelle que « la menace est protéiforme ». Il explique qu’un attentat d’envergure ne nécessite pas particulièrement de moyens importants, et que les cellules de combat des assassins agissent de manière indépendante, ce qui rend leur détection encore plus difficile.

À ceux qui s’inquiètent de la prorogation de l’état d’urgence, nous rappellerons que toutes les garanties ont été données, par le contrôle juridictionnel comme par le contrôle de l’Assemblée nationale et de sa commission des lois.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé que le législateur avait « suffisamment encadré les pouvoirs confiés à l’autorité administrative ». Mais, d’évidence, il faudra bien sortit de l’état d’urgence, afin de ne pas risquer, comme en 1961, en 1962, et en 1963, de maintenir pendant près de vingt-quatre mois un état d’exception.

Plus le temps passe, plus le contrôle judiciaire s’impose et se justifie, et plus le contrôle politique s’impose.

M. François Loncle. Très bien !

M. Alain Tourret. Nous y veillerons. Mais pour l’instant, la République est menacée. C’est pourquoi nous voterons le principe même de la reconduction de l’état d’urgence. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les terribles attentats du 13 novembre dernier ont justifié, dans un contexte inédit, la mise en place de l’état d’urgence et sa prorogation afin de prendre, avec une grande célérité, les mesures nécessaires pour en arrêter les auteurs et prévenir d’autres attaques.

Aujourd’hui, à la quasi-unanimité, les députés du Front de gauche, et plus largement ceux du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, considèrent qu’une nouvelle prorogation de ce régime n’est pas souhaitable et que sa pérennisation doit être exclue.

Cette conviction ne s’appuie pas sur la disparition de la menace terroriste, dont la persistance restera, au moins jusqu’à la disparition de Daech, incontestable. Elle s’appuie sur la nécessité de ne pas proroger indéfiniment des mesures d’exception qui, face à une menace durable, ne se révèlent pas plus efficaces que notre droit commun.

Il faut avoir le courage politique de sortir de l’état d’urgence et de mettre fin à ce régime d’exception attentatoire aux libertés et aux droits fondamentaux. Le maintenir serait entretenir l’illusion que seul l’état d’urgence nous permettrait de nous prémunir des attaques terroristes.

Sur ce point, je voudrais citer un entretien récent d’Edgar Morin que j’ai lu ce week-end. Il y disait que « penser que les actuelles mesures d’urgence en France accroissent la sécurité est un leurre. Elles diffusent, au sein de la population, un sentiment psychologique de sécurité. Mais cette perception n’est pas synonyme de sécurité véritable. » En outre, entretenir cette perception et ce sentiment de plus grande sécurité est dangereux pour notre État de droit.

L’état d’urgence est un état d’exception qui restreint les libertés et c’est précisément la raison pour laquelle il a vocation à être strictement encadré et limité dans le temps.

Cette obligation a d’ailleurs été rappelée, en janvier dernier, par le président de la commission des lois qui s’appelait alors M. Urvoas : « Une législation d’exception doit être limitée au strict nécessaire, ciblée avec suffisamment de précision et seulement temporaire. Le grand dérangement qu’entraînent les législations d’exception ne peut donc être que bref et sans séquelles ».

C’est d’ailleurs la première fois, dans l’histoire, que le Parlement est appelé à proroger une seconde fois ce régime exceptionnel : ce précédent interroge sa validité.

En effet, l’article 3 de la loi du 3 avril 1955 interdit expressément une seconde prorogation. Le rapporteur du projet de loi au Sénat n’a pas manqué de le souligner, précisant que sa rédaction mériterait « d’être révisée car une lecture stricte de cette disposition pourrait sembler interdire des prorogations successives de l’état d’urgence ». L’état d’urgence est, par définition, un instrument de l’urgence. Le faire perdurer, c’est heurter frontalement notre État de droit.

C’est pourquoi les mises en garde contre la tentation d’ériger en règle ce régime d’exception affluent de toutes parts : elles émanent d’éminents juristes, d’associations de défense des droits de l’homme, ou encore d’organisations internationales.

La professeur Mireille Delmas-Marty rappelle ainsi ce préalable : « L’urgence, par définition, est temporaire et les dérogations aux droits fondamentaux qu’elle légitime doivent rester temporaires. C’est ce qu’on appelle l’état d’exception, qui dit bien son nom. Avec le terrorisme global, il ne faudrait pas que l’exception devienne la règle. »

L’Organisation des Nations unies, de son côté, par la voix de ses experts indépendants, a fait part de ses inquiétudes. Même si leurs recommandations ne sont pas contraignantes, elles remettent en cause le respect par l’État français du droit international des droits de l’homme. Face aux restrictions excessives et disproportionnées pour les libertés fondamentales générées par l’état d’urgence, ces experts appellent ainsi les autorités françaises à ne pas prolonger celui-ci au-delà du 26 février.

Le Conseil de l’Europe s’est également dit préoccupé de cette prolongation pour trois mois. L’adresse de son secrétaire général au Président François Hollande fait état « des risques pouvant résulter des prérogatives conférées à l’exécutif pendant l’état d’urgence ».

Du reste, au-delà des atteintes à notre État de droit, les abus causés par le dispositif ont également été pointés du doigt, notamment par Amnesty International qui, dans son rapport, montre, à travers des témoignages précis et circonstanciés, à quel point les perquisitions de nuit et les modalités d’intervention de la police ont provoqué des dégâts et des traumatismes non négligeables.

Ces abus ont également été relevés par le Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui, le 22 décembre dernier, lançait également cette alerte : « Au fur et à mesure, on va s’apercevoir qu’il y a un certain nombre de cas dans lesquels les mesures qui ont été prises ont été excessives ».

Je vous invite à réfléchir, monsieur le ministre, aux mots de Jacques Brel qui chantait : « Je vous souhaite de résister à l’enlisement ».

Les inquiétudes, légitimes, vont au-delà même de cette prorogation et concernent le projet de loi sur la réforme de la procédure pénale qui tend à inscrire des mesures d’exception dans notre droit commun. Avec ce texte que nous allons examiner dans quelques jours, la menace de la mise en place d’un état d’urgence permanent devient bien réelle.

Outre l’introduction dans le droit pénal de dispositifs toujours plus dérogatoires, l’autorité judiciaire, garante des libertés individuelles, est, comme dans le cadre de l’état d’urgence, écartée. Pourtant, l’intervention du juge judiciaire est indispensable pour garantir au citoyen, en toute circonstance, l’accès à un juge indépendant et impartial.

Fait suffisamment rare pour être pris au sérieux, cette réforme, pensée comme une prolongation de l’état d’urgence, a poussé le président de la Cour de cassation et les présidents de cours d’appel à prendre position publiquement. Ils se sont en effet alarmés des « mises en cause répétées de l’impartialité de l’institution et de ceux qui la servent, car elles portent atteinte à leur crédit et à la confiance que doivent avoir les citoyens dans leur justice ».

Le Défenseur des droits le souligne : « Il ne faudrait pas décider un tel abaissement de notre État de droit sans ouvrir un vrai débat. Les Français veulent-ils léguer à leurs enfants un État de droit inférieur à celui que la République a mis 200 ans à bâtir ? » La réponse doit être, selon nous, clairement négative, sauf à vouloir transformer notre pays, auteur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en une terre du rejet, de la peur et des atteintes aux libertés fondamentales.

Il faut cesser de considérer qu’il y a un risque à sortir de l’état d’urgence. Notre arsenal anti-terroriste est aujourd’hui largement suffisant : il a d’ailleurs été, maintes et maintes fois, remanié et complété afin de l’adapter aux nouvelles formes de terrorisme. Il nous faut donc nous appuyer sur les acquis législatifs pour affronter, de manière réfléchie et sur le long terme, le terrorisme international.

Il est temps de sortir de l’état d’urgence et de céder le pas aux mesures permanentes de notre droit commun. Il serait absurde de persister dans ce régime d’exception alors que nous en avons épuisé tous les effets.

Je pourrais à nouveau citer M. Urvoas, qui disait en janvier dernier : « L’essentiel de l’intérêt que l’on pouvait attendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les principaux objectifs avaient été traités, qu’en tout état de cause l’effet de surprise était largement estompé et que les personnes concernées étaient désormais pleinement préparées à une éventuelle perquisition. Cette extinction progressive de l’intérêt des mesures de police administrative se lit d’ailleurs dans les chiffres mêmes, qui montrent bien plus qu’un essoufflement ». Et il poursuivait : « L’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. »

Certes, pour paraphraser Blaise Pascal, on pourrait dire : vérité en-deçà du maroquin, erreur au-delà.

Oui, il faut du courage politique pour sortir de l’état d’urgence, mais il en va de la confiance que les citoyens accordent encore à l’exécutif et à leurs représentants. Paul Valéry écrivait : « La pire faute en politique consiste à laisser en l’état ce qui doit disparaître. »

Il faut faire preuve de courage et de responsabilité pour entrer dans une autre logique que la seule logique sécuritaire. Cela suppose d’étudier, de comprendre et de concevoir, enfin, des réponses globales qui s’inscrivent dans une démarche de prévention pour conjurer, à terme, le terrorisme comme mode d’action politique, objectif bien plus légitime que celui d’éradiquer des ennemis avec des moyens qui ne font que les faire se multiplier.

Ce courage que l’exécutif doit à ses concitoyens, et que leurs représentants ont pour devoir de lui prescrire, présente des perspectives de succès bien plus sérieuses et durables que les réactions actuelles de court terme.

Parce que l’état d’urgence doit être seulement considéré comme un nécessaire moment transitoire, parce qu’on ne peut pas justifier les abus comme étant des effets collatéraux acceptables dans un État de droit, parce que notre droit commun nous fournit les outils juridiques nécessaires pour lutter contre le terrorisme, parce que les mesures de l’état d’urgence s’essoufflent et ne sont plus efficaces aujourd’hui, nous devons sortir de l’état d’urgence et penser, en urgence, une réponse globale pour prévenir la menace terroriste qui pèse sur notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun comprend que la décision qui nous incombe est tout sauf anodine et qu’elle mérite, évidemment, un examen approfondi. Le Sénat, chacun le sait, s’est prononcé favorablement, à une large majorité.

Seule la persistance d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public peut justifier cette prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 26 mai 2016. Cette condition est-elle malheureusement remplie ?

Le Gouvernement le pense ; le Conseil d’État le confirme ; le groupe SRC le constate.

Monsieur le ministre, vous avez longuement exposé les raisons qui vous conduisent à présenter ce projet de loi. On ne note aucune perte d’intensité ni dans la menace ni dans la réalité que représente le nombre important de Français sur les théâtres d’opération irako-syriens. Ces Français, d’une certaine manière, ne demandent qu’à rentrer en France pour y perpétrer des actions d’une extrême violence. Partout dans le monde, la liste des attentats visant des Occidentaux et, plus précisément, des Français, s’allonge. Alors que la propagande sur internet atteint de plus en plus d’individus isolés, le groupe État islamique et les entités qui lui font allégeance menacent quotidiennement notre pays et nos ressortissants. Tout cela est patent. Le nier serait irresponsable. Personne sur ces bancs n’a d’ailleurs tenu de tels propos.

Le Conseil d’État a eu l’occasion de le confirmer à deux reprises : le 27 janvier 2016, lorsqu’il était saisi d’une demande tendant à suspendre l’état d’urgence et, plus récemment, dans son avis du 2 février sur le projet de loi que nous examinons.

Avant de nous prononcer, il faut être certain que la poursuite de l’état d’urgence opère bien une conciliation non déséquilibrée entre la sauvegarde des droits et libertés, d’une part, et la protection de l’ordre et de la sécurité publique, d’autre part.

S’agissant des droits et libertés, premier terme de cet équilibre, le Conseil constitutionnel répond de manière claire. Il constate que le juge de l’excès de pouvoir s’assure que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sont « adaptées, nécessaires et proportionnelles » à leur finalité. Il constate par ailleurs que le référé liberté permet, dans des délais brefs, un débat oral et contradictoire devant un juge qui dispose de larges pouvoirs de suspension et d’injonction envers l’administration. C’est donc un recours réel. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, les annulations sont rares, mais leur existence même démontre la possibilité d’en obtenir. La loi du 20 novembre dernier a clairement affirmé le rôle de contrôle du juge administratif.

J’ajoute que la juridiction judiciaire répressive, qui a été au centre de nombreux débats, n’est pas pour autant dessaisie puisque l’article 111-5 du code pénal lui permet d’apprécier directement la légalité des actes administratifs et réglementaires, dès lors qu’ils ont conduit à constater des infractions pénales. C’est en particulier le cas en matière de perquisitions, un sujet qui interroge et passionne.

La prorogation est-elle de nature à protéger l’ordre et la sécurité publique, second terme de notre équilibre républicain ? Les résultats qui nous ont été communiqués, ainsi que les travaux conduits dans le cadre du contrôle parlementaire ne laissent aucun doute. On cite beaucoup Jean-Jacques Urvoas, ce qui est bien, et, dans la bouche de certains, sans doute mieux que de citer Jacques Toubon…

M. Bernard Debré. Pourquoi cela ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Il s’égare !

M. Yves Goasdoué. En effet, 3 284 perquisitions ont été opérées, qui ont permis la saisie de 560 armes, dont 42 armes de guerres et 163 armes de poing. Ces procédures ont conduit en garde à vue 341 personnes et 65 individus ont d’ores et déjà été condamnés par un juge judiciaire. C’est aussi, on le dit plus rarement, plus de 1 million d’euros qui a été saisi. Or ces sommes alimentent le terrorisme.

Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, six procédures de terrorisme ont déjà pu être engagées par le pôle spécialisé du parquet de Paris, ce qui ne préjuge en rien des poursuites qui seront ultérieurement engagées. Vingt-trois procédures d’apologie ou de provocation au terrorisme sont conduites par les autres parquets. Ces mesures, qui ont désorganisé les réseaux criminels, ont permis de recueillir des renseignements importants concernant les personnes radicalisées. Ces quelques chiffres démontrent, s’il en était besoin, l’efficacité de ces mesures, qui sont des mesures d’exception, dès lors qu’elles s’appuient sur un renseignement efficace et sur une mise en œuvre éclairée. L’intensité de la menace ne doit pas permettre de laisser le pays dans une situation de protection inadéquate ou insuffisante.

Mes chers collègues, l’état d’urgence est un état d’exception. Il ne peut devenir permanent à raison de la permanence de la menace – nous en convenons tous. Bien entendu, nul ne peut dire quelle sera la situation à l’issue de cette seconde période de prorogation. En revanche, il est malheureusement probable, pour ne pas dire certain, que la menace djihadiste n’aura pas disparu le 26 mai prochain. Il est dès lors indispensable de doter la nation d’instruments de droit commun qui permettront de quitter l’état d’urgence tout en faisant face avec toute l’efficacité nécessaire à cette menace terroriste non éradiquée.

Dans son avis, le Conseil d’État indique que « l’état d’urgence perd son objet, dès lors que s’éloignent les atteintes graves à l’ordre public ayant créé le péril imminent, ou que sont mis en œuvre des instruments qui, sans être de même nature, ont vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l’a suscité ». Le Conseil d’État fait directement référence au texte qui sera soumis à notre examen d’ici à quelques jours.

Ce projet de loi, rédigé en parfaite collaboration avec les parquets, renforcera les prérogatives des autorités administratives, dans le respect des libertés individuelles, en permettant, en cas de menace terroriste, des contrôles d’identité avec retenue, des visites de véhicule, des contrôles visuels et des fouilles de bagages. Il permettra de mieux protéger les grandes manifestations – l’Euro, le Tour de France – et de s’assurer du contrôle et de la réinsertion des Français de retour des théâtres d’opération irako-syriens, dès lors que leur judiciarisation n’aura pas été décidée par le juge.

Par ailleurs, ce projet de loi renforcera les moyens des parquets, des juges des libertés et de la détention, et des juges d’instruction. De nouvelles facultés d’investigation leur seront accordées et les procédures existantes seront renforcées : les perquisitions judiciaires de nuit, notamment, seront rendues possibles – bien différentes des perquisitions administratives, elles ne sont pas une transposition dans le droit commun des mesures d’urgence de l’état d’urgence –, ainsi que la sonorisation de locaux et la captation de données durant l’enquête de flagrance ou en préliminaire.

Déjà en cours d’examen par notre assemblée, ce texte que nous examinerons prochainement en commission des lois fera, je n’en doute pas, l’objet de nombreux amendements. En l’état, force est de constater que le maintien de l’état d’urgence est nécessaire, qu’il est encadré de manière à ne pas porter une atteinte disproportionnée aux libertés publiques et individuelles. Nous constatons de plus que le Gouvernement anticipe la sortie de l’état d’exception en soumettant au Parlement un texte de droit commun de nature à répondre à une menace de long terme.

C’est pourquoi le groupe SRC votera cette prorogation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, faut-il proroger l’application de la loi relative à l’état d’urgence ? Oui, nous le croyons nécessaire, aujourd’hui, dans la France de février 2016, directement menacée par des islamistes terroristes, très organisés, très déterminés. Leur obsession est d’assassiner le plus grand nombre de Français. Notre obsession doit être de les neutraliser par tous les moyens de l’État de droit.

La menace, c’est l’islamisme terroriste. La menace, ce n’est pas l’état d’urgence. Car l’état d’urgence, ce n’est évidemment pas l’abrogation de l’État de droit, ni même sa suspension. L’état d’urgence n’est qu’un renforcement partiel et temporaire des pouvoirs de police administrative dont disposent les autorités gouvernementales, sous le contrôle démocratique du Parlement et sous le contrôle juridictionnel du juge administratif. L’état d’urgence est tout cela, mais il n’est que cela.

Ce qui n’avait pas été fait pendant des mois a enfin commencé à l’être, grâce à quelque 3 379 perquisitions ordonnées par les préfets, permettant de saisir 580 armes. Ces procédures d’initiative administrative ont pu avoir des suites pénales, puisque 576 procédures judiciaires ont été ouvertes, donnant lieu à 344 gardes à vue, 67 condamnations prononcées et 54 décisions d’écrou. En mentionnant ces chiffres, je ne dis évidemment pas que le régime de l’état d’urgence serait l’alpha et l’oméga de la lutte antiterroriste. Je n’ignore pas que, dans ce cadre, seules vingt-neuf procédures judiciaires ont été ouvertes sous la qualification terroriste, dont vingt-trois pour apologie du terrorisme. Mais je mesure que ces perquisitions ont permis, au fond, de donner un coup de pied dans la fourmilière, en déstabilisant des réseaux de trafics d’armes et de stupéfiants qui, à partir de la délinquance de droit commun, nourrissent les filières djihadistes.

Quelque 285 assignations à résidence sont encore en vigueur. Ce chiffre doit être évalué au regard des milliers d’individus repérés, d’une part au titre des atteintes à la sûreté de l’État au sein du fichier des personnes recherchées, d’autre part au titre de la radicalisation islamiste au sein du fichier FSPRT. Nous continuons à nous interroger, monsieur le ministre, sur le volume des assignations à résidence. À l’heure où nous débattons, plusieurs milliers d’individus connus des services de renseignement sont encore parfaitement libres de leurs mouvements sur le territoire français. Il nous semble indispensable de continuer à assigner à résidence, avec discernement, des individus ciblés par les services de renseignement. Il est tout autant nécessaire, monsieur le ministre, que vous utilisiez pleinement les pouvoirs de dissolution accélérée des mosquées salafistes et de toutes les structures qui participent à des actes portant atteinte à l’ordre public. Il ne serait pas responsable de se priver aujourd’hui de ces instruments juridiques.

Faut-il rappeler que ces pouvoirs de police administrative sont exercés sous le contrôle démocratique de notre assemblée ? La Constitution le prévoit évidemment déjà, puisque nous avons la mission de contrôler l’action du Gouvernement. Nous nous sommes organisés à cette fin. Nous avons fait, ni plus ni moins, ce que nous avions à faire. Nous sommes pleinement légitimes pour cela, puisque nous sommes la représentation nationale. Pardon de devoir le dire aussi directement à cette tribune aux professionnels du droit-de-l’hommisme twitté, aux pétitionnaires compulsifs, aux comités Théodule, aux bidules supranationaux et aux divers professeurs de vertu, qui gagneraient peut-être en crédibilité s’ils s’abstenaient de nous donner, matin, midi et soir, des leçons aussi arrogantes qu’hasardeuses.

Permettez-moi de rappeler, enfin, que le contrôle juridictionnel de l’état d’urgence s’exerce pleinement. Juger des actes de la puissance publique, c’est la mission du juge administratif et de lui seul, qui l’assume en toute indépendance, conformément à la Constitution, puisqu’il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le ministre a rappelé cette belle loi de 1790. Le Conseil constitutionnel dès 1980 a dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l’indépendance de la justice administrative est pleinement garantie. Quant au Conseil d’État, il a une nouvelle fois prouvé, ces dernières semaines, qu’il entendait effectuer pleinement son office juridictionnel. Il a exigé des tribunaux administratifs qu’ils exercent un contrôle entier, et non pas un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation, sur les actes administratifs pris sous l’empire de l’état d’urgence – il a donc pleinement rempli sa mission de juge. Et il a saisi le Conseil constitutionnel d’un certain nombre de questions prioritaires de constitutionnalité, saisissant ainsi ce progrès de l’État de droit que nous devons au Président Nicolas Sarkozy avec la révision constitutionnelle de 2008.

C’est dans ce contexte que sont apparues, pourtant, les déclarations de personnalités éminentes qui, exerçant des fonctions au sommet de l’autorité judiciaire, ont appelé le législateur, voire le Constituant, à conforter leur propre mission. C’est là une curieuse conception de la séparation des pouvoirs que celle qui consiste, pour une autorité constituée, à s’adresser ainsi au Constituant, à la manière des parlements d’ancien régime qui exprimaient leurs remontrances. Et c’est une lecture bien audacieuse de l’article 66 de la Constitution que d’estimer que l’autorité judiciaire serait, seule, le juge de toutes les libertés. Sa mission constitutionnelle, éminente, est celle de « la gardienne de la liberté individuelle », c’est-à-dire de la sûreté, qui garantit à chacun qu’il ne peut être arbitrairement détenu. Cela ne signifie en rien que le juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une mesure de prévention d’un trouble à l’ordre public, ne veille pas, conformément à son office, à l’exigence du respect des libertés. Il n’est point besoin d’évoquer à cette tribune le chancelier Maupeou pour rappeler à l’autorité judiciaire qu’elle doit rester dans son champ et exercer pleinement sa responsabilité éminente, mais qu’elle n’a pas à solliciter le législateur ou à émettre des recommandations au Constituant. Elle est une autorité éminente, qui doit être respectée par les justiciables, mais elle n’est évidemment ni le Constituant ni le législateur.

M. François Loncle. C’est exact !

M. Guillaume Larrivé. Ainsi contrôlé, le régime de l’état d’urgence est-il suffisant pour neutraliser les terroristes ? Je ne le crois évidemment pas. D’autres initiatives, pérennes, sont absolument indispensables. Le rétablissement durable des contrôles nationaux aux frontières intérieures est une nécessité vitale, dès lors que le contrôle aux frontières extérieures de l’Europe reste aujourd’hui, hélas, une fiction. De même, une refondation pénale et pénitentiaire est nécessaire. Il faudra revoir profondément le quantum des peines et leur exécution : les peines doivent être prévues, prononcées et exécutées avec rigueur et certitude. Les terroristes les plus dangereux doivent être et peuvent être définitivement mis hors d’état de nuire en étant enfermés à vie, c’est-à-dire condamnés à la perpétuité réelle.

Il est de même indispensable de supprimer toutes les possibilités de réduction et d’aménagement de peine des détenus terroristes. De 2012 à 2014, cinquante-six terroristes condamnés ont été libérés avant la fin de leur peine de prison, en faisant l’objet de mesures de libération conditionnelle. Ce n’est pas acceptable.

Pour mettre hors d’état de nuire les individus qui veulent nous détruire, nous devons assumer de les écarter durablement de la société, en les soumettant à un régime d’incarcération très strict, les isolant des autres détenus et leur interdisant tout contact avec l’extérieur. De tout cela, nous débattrons dans quelques jours, en défendant des amendements au projet de loi présenté par le garde des sceaux.

En votant aujourd’hui la prorogation de l’état d’urgence, nous n’affaiblirons en rien l’État de droit. Nous permettrons à la puissance publique de conserver provisoirement des armes juridiques temporaires qui sont utiles pour défendre les Français, dans le respect de nos libertés. Mais nous savons que d’autres instruments juridiques, pérennes ceux-là, seront indispensables pour réaffirmer l’autorité de l’État et gagner la guerre qui nous a été déclarée par les terroristes islamistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a trois mois, après les attentats de janvier 2015, la France était de nouveau frappée en plein cœur par des attentats terroristes sans précédent, faisant plus de 130 morts et de nombreux blessés. Devant l’ampleur et le caractère coordonné des attaques terroristes commises dans la soirée du 13 novembre, le Gouvernement avait aussitôt déclaré l’état d’urgence, prorogé ensuite pour trois mois par le Parlement.

La loi du 20 novembre 2015 a, rappelons-le, également permis d’adapter notre droit aux nouveaux défis auxquels la France est aujourd’hui confrontée. Le terrorisme, ses causes et ses caractéristiques ont profondément évolué. Nous faisons face à un ennemi d’une nature exceptionnelle, peu visible et tentaculaire. Nous sommes confrontés à un phénomène nouveau qui ne connaît ni frontières ni limites, et dont la menace plane sur l’ensemble de la planète et, naturellement, sur notre territoire. Il est évident que des mesures datant de la guerre d’Algérie n’étaient pas à même de nous mettre en capacité de lutter contre ce fléau. Devant une menace aussi élevée, seul un régime d’exception et une adaptation de la loi de 1955, avec notamment un renforcement du dispositif d’assignation à résidence, pouvaient nous aider à prévenir ces effroyables atteintes à notre sécurité et à l’ordre public.

Nous savons tous pourtant qu’il faudra certainement plusieurs années pour anéantir Daech et Al-Qaïda. Le 19 novembre dernier, à cette même tribune, mon collègue Jean-Christophe Lagarde, comme bon nombre de parlementaires, évoquait la forte probabilité que nous nous retrouvions dans cet hémicycle, dès le mois de février, pour examiner un second projet de loi de prorogation de l’état d’urgence. Nous y sommes. Après le vote de nos collègues sénateurs, la lourde charge nous revient de décider si, oui ou non, l’état d’urgence doit être maintenu jusqu’au 26 mai prochain.

Il ne fait tout d’abord aucun doute que la menace qui pèse sur nos concitoyens demeure, aujourd’hui, aussi élevée qu’il y a trois mois. Cependant, comme l’a indiqué le ministre de l’intérieur lors de son audition par la commission des lois, « ce n’est pas la menace terroriste qui fait l’état d’urgence, c’est le péril imminent ».

En effet, l’article 1er de la loi de 1955 conditionne la déclaration de l’état d’urgence à l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Mes chers collègues, la question est donc la suivante : le péril est-il toujours imminent ? Un examen de la situation actuelle, à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières, semble répondre de manière évidente à cette interrogation.

Le rapport de la commission des lois sur le présent projet de loi rappelle les tragédies qui se sont produites ces derniers mois. Plusieurs attentats ont été projetés ou perpétrés, au cours des dernières semaines, sur le territoire national ou à l’étranger, au nom d’organisations terroristes telles que Daech ou Al-Qaïda. Si des projets ont pu être déjoués en Belgique et en Allemagne, ce ne fut malheureusement pas le cas à Bamako le 20 novembre, à Istanbul le 12 janvier, à Jakarta le 14 janvier, ni à Ouagadougou le 15 janvier. N’oublions pas non plus que, sur notre territoire, deux projets terroristes ont été déjoués en décembre, à Tours puis dans la région orléanaise, et qu’un autre attentat a été déjoué en janvier dans le 18arrondissement de Paris. Le 11 janvier, à Marseille, un mineur a blessé à l’arme blanche un professeur de confession juive, avant de revendiquer son acte au nom de l’organisation Daech.

En outre, le nombre de Français qui rejoignent des pays étrangers pour combattre aux côtés des terroristes ne cesse de croître. Ils seraient aujourd’hui 600 à avoir rejoint les rangs de Daech et d’AQMI. Ces 600 individus susceptibles de revenir sur notre territoire font de la France le pays d’Europe le plus directement concerné.

Dans ces circonstances, nous pouvons considérer que l’existence d’un péril imminent est avérée. Le Conseil d’État a d’ailleurs estimé à deux reprises que le péril ayant justifié la déclaration d’état d’urgence le 13 novembre 2015 n’avait pas disparu.

Pour autant, l’examen de ce projet de loi doit être également l’occasion de dresser un bilan de l’état d’urgence déclaré le 14 novembre dernier.

Le bilan des mesures administratives prises dans le cadre de l’état d’urgence est important : 3 379 perquisitions à domicile, 400 assignations à résidence. Nous devons néanmoins nous assurer du respect de l’État de droit durant ces trois mois, et être certains que la République a agi, à chaque fois, dans le respect des règles fondamentales.

Sans nul doute, le Conseil d’État s’est livré à un contrôle plein et entier des mesures prises au titre de l’état d’urgence. Nous constatons que ces mesures ont suscité un contentieux limité en volume.

En outre, le contrôle parlementaire, élément de garantie fondamental dans le cadre d’un régime d’exception, par nature attentatoire aux libertés fondamentales, a permis d’assurer un suivi régulier de ces mesures. Vous le savez, le groupe UDI est très attaché à cette garantie, qu’il a défendue dans le cadre de la révision constitutionnelle.

Il importe que ce suivi et ce contrôle, tant juridictionnel que parlementaire, demeurent effectifs si notre assemblée vient à se prononcer en faveur de la prorogation de l’état d’urgence. Lorsque la République agit dans le cadre de l’état d’urgence, en recourant à des pouvoirs exorbitants du droit commun, l’État de droit doit être respecté.

Enfin, nous devons nous interroger sur la sortie de l’état d’urgence. L’éventualité d’un attentat commis au lendemain de la levée de ce dispositif ne doit pas nous conduire à rester trop longtemps en dehors du cadre du droit commun.

Le moyen de sortir de l’état d’urgence sans baisser la garde est de renforcer et d’actualiser notre arsenal répressif contre les terroristes. Au-delà des symboles, en effet, nous avons avant tout besoin d’outils juridiques efficaces. Nous devons envisager la lutte à moyen et à long termes contre le terrorisme dans le cadre normal de l’État de droit. Pour cela, nous devons doter notre arsenal législatif de moyens suffisants pour assurer une lutte efficace contre le terrorisme.

La législation en vigueur prévoit d’ores et déjà des procédures susceptibles de prendre le relais des mesures de l’état d’urgence : l’interdiction de sortie du territoire, ou encore le blocage administratif de contenus ou sites internet faisant l’apologie du terrorisme. De nouveaux outils juridiques sont toutefois nécessaires pour lutter efficacement contre le terrorisme et permettre une sortie de l’état d’urgence. Des mesures de droit commun doivent être adoptées pour lutter sans discontinuer contre le terrorisme, sans avoir à mettre en œuvre un régime d’exception qui, par essence, ne pourra répondre à des menaces dont nous connaissons le caractère pérenne. Nous devons notamment prévoir l’éventuel retour sur notre territoire de Français partis faire le djihad. Nous devons également nous assurer que l’assignation à résidence et le contrôle judiciaire empêchent les individus concernés de s’enfuir de notre pays.

Au-delà de la sécurité intérieure, nous devons travailler ensemble sur les causes profondes, sur les racines mêmes de ce mal, et non pas seulement sur ses symptômes.

La prochaine discussion du projet de loi améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale nous donnera, je l’espère, l’occasion d’enrichir notre arsenal législatif sur ces points.

Dans cette perspective, mes chers collègues, vous aurez compris que le groupe UDI votera en faveur de ce projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 13 novembre dernier, la France a subi l’attaque terroriste la plus meurtrière de son histoire : 130 personnes ont perdu la vie, et plusieurs centaines de nos concitoyens ainsi que des touristes étrangers ont été grièvement blessés. Dans ce contexte, le Président de la République et le Premier ministre ont pris la décision de décréter l’état d’urgence. Ce dispositif exceptionnel répond à une situation exceptionnelle : il a pour objectif de doter les services de l’État des moyens les plus larges pour prévenir la commission de nouveaux actes terroristes, dans le respect de l’État de droit.

Le 19 novembre dernier, les députés de notre assemblée ont ainsi adopté, à la quasi-unanimité, la prorogation de l’état d’urgence pour une durée de trois mois. Au sein de mon groupe parlementaire, quinze députés sur dix-huit s’étaient d’ailleurs déclarés favorables à cette mesure.

Trois mois plus tard, la menace terroriste n’a jamais été aussi élevée. Depuis le début de l’année 2016, pas moins de quarante interpellations ont visé des individus qui s’apprêtaient à commettre des actes terroristes ou à entrer en contact avec des filières terroristes internationales. Depuis 2013, onze attentats ont été déjoués sur notre territoire. Face à la persistance de cette menace, et dans l’attente de l’adoption de la réforme pénale visant à mieux lutter contre le terrorisme, il nous est proposé de prolonger l’état d’urgence de trois mois supplémentaires.

En commission des lois, monsieur le ministre, vous avez dressé un bilan extrêmement précis et rigoureux de l’action menée par les services de l’État dans le cadre de l’état d’urgence. Depuis le 13 novembre, 3 340 perquisitions administratives ont été conduites. Elles ont permis la saisie de près de 600 armes et d’un million d’euros en espèces, et ont donné lieu à 395 interpellations et 344 placements en garde à vue. Ces chiffres mettent en évidence les connexions qui existent entre la petite délinquance, la grande délinquance, le trafic d’armes et le terrorisme. Par ailleurs, vingt-neuf procédures ont été ouvertes pour des faits relevant du terrorisme, dont vingt-trois pour apologie du terrorisme. Mais il faudra attendre que l’ensemble des éléments saisis dans le cadre des perquisitions administratives soient exploités avant de pouvoir déterminer le nombre exact de personnes mises en cause pour des infractions terroristes dans le cadre de l’état d’urgence.

Par ailleurs, comme je l’ai souligné en commission, les préfets ont pu répondre, dans chaque département, aux demandes de nos collègues députés et sénateurs. Ils ont précisé que, dans un certain nombre de cas, des perquisitions avaient pu être menées pour lever des soupçons : lorsque ces derniers étaient infondés, cela n’a évidemment pas donné lieu à l’ouverture d’une procédure.

Enfin, le bilan des trois premiers mois de l’état d’urgence a permis de démontrer l’efficacité des dispositifs de contrôle et d’encadrement. Je pense notamment à l’interdiction de procéder à des perquisitions administratives dans des lieux affectés, par exemple, à l’activité des avocats. De même, lors de la réforme de la loi de 1955, nous avons évidemment écarté le contrôle de la presse. Nous avons ajouté dans la loi l’information du procureur avant et après les perquisitions, le contrôle du juge administratif, ainsi que le contrôle parlementaire : toutes ces mesures ont été scrupuleusement mises en œuvre.

À cet égard, alors que de nombreuses voix annonçaient l’avènement d’un « État liberticide » – une expression utilisée lors de certains procès –, seules deux annulations ont été prononcées, sur une centaine de recours engagés. Ces procédures ont d’ailleurs montré que de nombreux recours étaient possibles : nous sommes bien loin des procès d’intention, des procès en autoritarisme et en arbitraire malheureusement trop souvent intentés.

Plus généralement, je veux redire mon étonnement devant le climat de suspicion que certains entretiennent, notamment dans les médias, à l’égard des forces de police et des autorités judiciaires.

M. Jean-Paul Bacquet. Voilà un écolo qui défend la police ! C’est tellement rare ! Et il n’a même pas été nommé ministre !

M. François de Rugy. En effet, on assiste quasiment à l’émergence d’une présomption de culpabilité à l’égard de nos services de police et de sécurité qui se retrouvent, par avance, accusés de vouloir mener des actions attentatoires aux libertés.

Enfin, je veux redire que les propos qui ont été tenus au sujet de prétendues assignations à résidence de militants écologistes, notamment dans mon département de Loire-Atlantique où il y a, comme chacun sait, une controverse et une contestation très fortes autour du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, constituent des contre-vérités. J’ai pu le vérifier moi-même auprès de la préfecture : aucune perquisition ou assignation à résidence n’a été décidée pour ce motif. Il n’y a pas, dans notre pays, de militants écologistes qui soient assignés à résidence parce qu’ils sont écologistes – et heureusement !

M. Yves Fromion. On respire !

M. François de Rugy. Il y a eu un abus en Dordogne, et vous l’avez reconnu vous-même, monsieur le ministre. On ne peut pas généraliser à partir d’un seul abus.

M. Bernard Perrut. Cela arrive !

M. François de Rugy. De même, certaines mesures ont été prises parce que des personnes voulaient mener des manifestations violentes contre la COP21.

Au vu de ce bilan, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous serons donc un certain nombre de députés écologistes à voter en faveur de cette prorogation, qui permettra, dans un délai de trois mois, d’adopter de nouvelles mesures législatives pérennes pour donner de nouveaux moyens à la police et à la justice. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Christophe Cavard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Fourage.

M. Hugues Fourage. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est simple dans son intention : il vise à proroger l’état d’urgence instauré par le décret du 14 novembre 2015 et déjà prorogé par la loi du 20 novembre 2015. Simple dans son intention et simple dans son dispositif, puisque le projet de loi dont nous débattons comporte un seul article.

En réalité, il renvoie à notre sens à plusieurs questions fondamentales, auxquelles il convient de répondre : celles, bien entendu, de la nécessité de la prorogation, qui exige de notre part d’analyser si perdurent les conditions qui ont prévalu à l’instauration de l’état d’urgence.

La première prorogation, votée une semaine après les attentats à la quasi-unanimité de notre assemblée, s’est imposée comme une évidence, tant il fallait une réponse forte, ferme, déterminée et durable face aux actes barbares qui ont endeuillé notre pays. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour en contester le principe. Pourtant, l’état d’urgence n’est pas le contraire de l’État de droit : il en est le défenseur parce qu’il agit comme un bouclier, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre de l’intérieur.

Certains voient dans l’état d’urgence un état d’exception qui irait à l’encontre de la protection des libertés fondamentales. Mais la sécurité de tous est aussi une liberté fondamentale. L’état d’urgence n’est pas un état d’exception : c’est une réponse exceptionnelle à des circonstances qui le sont tout autant. L’état d’urgence n’est pas synonyme d’arbitraire : ses motifs, sa déclaration, sa prorogation, son contrôle par notre assemblée, que nous avons institué, et son contrôle approfondi par le juge administratif sont autant de garanties données à nos concitoyens.

Le Gouvernement a fait preuve de discernement et de mesure dans sa gestion de l’état d’urgence. Aucune liberté publique n’a été affectée. Alors que les recours n’ont pas manqué, la justice administrative n’a suspendu qu’un très petit nombre d’actes. En outre, sur 400 assignations à résidence prononcées par les préfets, onze seulement ont été suspendues, dont dix à l’initiative du ministère lui-même.

La légitimité de la mise en œuvre de cette mesure est consubstantielle à son caractère exceptionnel et temporaire. Dans sa décision du 27 janvier, le Conseil d’État a défini l’état d’urgence comme « un régime de pouvoirs exceptionnels » dont les effets, « dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l’espace ». Dans son avis consultatif du 3 février, ce même Conseil d’État a reconnu lui-même les fondements de la prorogation en soulignant la persistance d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, dès lors que « les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l’étranger contre la France n’ont rien perdu de leur intensité ». Il poursuit son analyse de la situation en indiquant que « des actions terroristes de moindre ampleur qu’avant l’instauration de l’état d’urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace ».

Certes, j’entends certains évoquer, ici ou là, quelques mesures ou procédés ayant fait l’objet de contestations ou d’applications disproportionnées, mais ces dernières restent marginales et ne remettent pas en cause le principe. De plus, des correctifs ont été apportés, notamment, monsieur le ministre, dans le cadre de la circulaire du 25 novembre que vous avez adressée aux préfets.

S’il apparaît aujourd’hui nécessaire de proroger l’état d’urgence, la question des modalités de sortie se posera, dans un avenir proche, avec encore plus d’acuité, car l’état d’urgence n’est pas un état permanent, mais temporaire. Nous avons bien conscience de la difficulté d’en sortir, y compris en termes de responsabilités pour l’exécutif : que dirions-nous si un attentat survenait quelques jours après la sortie de l’état d’urgence ?

Cette sortie n’est pas à l’ordre du jour, au regard des éléments que nous avons mentionnés. Reste que vous la préparez, monsieur le ministre : vous nous l’avez rappelé à l’instant. Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale viendra renforcer l’arsenal que notre majorité a mis en place depuis 2012.

En matière de terrorisme, François Mitterrand disait qu’il fallait « tout faire, sauf céder ». C’est ce que nous faisons aujourd’hui, afin de « ne pas subir », comme le disait un célèbre Vendéen issu de ma circonscription, de Lattre de Tassigny. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Paul Bacquet. « Ne pas subir, ne pas subir les événements, ne pas subir l’ennemi. » La formule est de Joseph Kessel : de Lattre de Tassigny n’a fait que la reprendre !

M. Yves Fromion. Cela tangue, à gauche ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je m’exprime ici en tant que rapporteur, au nom de la commission des lois, de la mission de contrôle sur l’application de l’état d’urgence et en mon nom personnel.

Il ne vous étonnera pas que je demeure fidèle aux conclusions que Jean-Jacques Urvoas, qui n’était pas encore garde des sceaux, mais président de la commission des lois et co-rapporteur de la mission, et moi-même avions présentées au mois de janvier dernier devant notre commission des lois. Après avoir suivi pendant quelques semaines l’application de l’état d’urgence et de ses premières mesures, ce rapport concluait qu’il n’y avait pas d’utilité expresse à le prolonger.

Malheureusement, monsieur le ministre, heureusement pour le garde des sceaux, malheureusement pour notre travail de contrôle parlementaire – en tout cas, pour le moment –, nous n’avons pas pu bénéficier de la finalisation de ce rapport alors que l’Assemblée nationale est aujourd’hui saisie du projet de loi visant à proroger l’état d’urgence. Le calendrier politique s’impose, au moins pour partie, à l’Assemblée nationale, c’est ainsi.

Pour autant, au regard de ce que je sais car j’ai continué à me pencher sur la mise en œuvre de l’état d’urgence, je ne pense pas que des événements ou des faits supplémentaires qui auraient été collationnés depuis lors m’auraient fait changer d’avis. Je reste persuadé comme nous l’avons dit devant la commission des lois il y a quelques semaines qu’il était en effet nécessaire d’instaurer l’état d’urgence. Nous en avons parlé à de multiples reprises, monsieur le ministre, aussi bien à l’Assemblée nationale que place Beauvau dans votre ministère, et à Matignon.

Je reste persuadé qu’aucune dérive ni aucune atteinte au respect des droits fondamentaux n’ont été constatées depuis la mise en place de ces mesures. Je reste persuadé que la vigilance que vous-même, monsieur le ministre, avez préconisée, à l’égard de l’ensemble des services engagés dans ces opérations a permis de contenir les débordements que l’on aurait pu craindre dans de telles circonstances. Bref, je vois bien l’efficacité de ces mesures, leur nécessité. Il fallait instaurer l’état d’urgence. Il fallait décider de le proroger pour trois mois jusqu’au 26 février : cela ne fait pour moi aucun doute.

Mais au vu de l’évolution des décisions prises dans le cadre de cet état d’urgence et à l’aide des outils de droit, de leur concentration très importante sur les premières semaines, et quand on entend les forces de l’ordre expliquer que les réseaux sont désorganisés, les malfrats s’étant par ailleurs protégés d’un certain nombre d’avanies, il est clair que ces dispositifs perdent au fil du temps en percussion et, d’une certaine façon, en efficacité.

Cela ne signifie pas que la lutte ne doit pas se poursuivre avec la même intensité, mais que les dispositifs spécifiques de l’état d’urgence sont moins efficaces maintenant qu’ils ne l’étaient dans les tout premiers jours de son instauration.

Je m’interroge donc sur la nécessité de prolonger cet état dont vous avez tenté, cher collègue Fourage, de dire qu’il n’était pas un état d’exception, mais de règle exceptionnelle – j’ai admiré la pirouette…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce n’est pas une pirouette, mais de la dialectique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Néanmoins, il reste vrai de dire que nous sommes dans un régime dérogatoire au droit commun et que nous devons absolument veiller à ce que ce régime dérogatoire ne se prolonge pas dans le temps, et cela pour une raison. Si jamais, mes chers collègues, nous entrions dans un état d’urgence permanent ou prolongé, nos ennemis terroristes auraient sans doute gagné une victoire, moins spectaculaire, moins violente, moins significative peut-être, mais pas moins importante au regard du respect de nos lois fondamentales.

M. Jean-Luc Laurent. Exact.

M. Jean-Frédéric Poisson. Et nous devons aussi veiller à cet aspect.

Monsieur le ministre, je mets en perspective le texte dont nous débattons aujourd’hui. Lorsque je l’ajoute au projet de loi constitutionnelle tendant à constitutionnaliser l’état d’urgence, et aux dispositions que vous vous apprêtez à présenter devant le Parlement dans le cadre de votre projet de loi de réforme de la procédure pénale, en particulier son article 20, qui me paraît contenir des dispositions pour le moins hasardeuses à ce stade, je me dis qu’en effet, nous sommes peut-être là devant un risque de dérive et d’atteinte à nos libertés fondamentales de manière généralisée. Les terroristes en pâtiront sans doute, et c’est mon souhait. Mais je le redis, si tel était le cas, nous aurions perdu une bataille de la première importance s’agissant du respect de nos libertés fondamentales, de leur ordre, de leur hiérarchie et de leur universalité. Or nous devons porter une attention particulière à cet aspect par les temps qui courent.

Enfin, je ne peux pas m’empêcher de faire le lien entre cet état d’urgence que vous nous demandez de prolonger et l’échec d’un certain nombre de vos choix politiques, monsieur le ministre, et de ceux du Gouvernement.

Mme la présidente. Veuillez conclure, je vous prie.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’en termine, madame la présidente.

Je vois, et cela été dit par plusieurs orateurs, le lien qui existe entre la contention de la menace terroriste et l’absence totale d’intervention du ministère de la justice dans les prisons, véritables incubateurs de menace terroriste comme le dit Jean-Jacques Urvoas lui-même, citant le sociologue Gilles Kepel. Je vois une politique pénale qui conduit à libérer de manière anticipée des personnes qui devraient rester incarcérées. Je vois des problèmes d’effectifs qui expliquent les creux dans l’organisation des contrôles quand on suit la courbe des opérations.

Et je sais qu’il y a un lien essentiel, mécanique, immédiat entre les effectifs disponibles dans un département et la possibilité de conduire de manière concentrée dans le temps un certain nombre d’opérations.

Mme la présidente. Merci, monsieur le député.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je conclus d’une phrase, madame la présidente.

En définitive, j’espère que nous ne sommes pas en train de traiter davantage le problème de la communication du ministère de l’intérieur – qui devra décider un jour de sortir de cet état d’urgence – plutôt que la menace terroriste.

M. Jean-Paul Bacquet. Pas ça !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pour ces raisons, je ne voterai pas la prolongation de l’état d’urgence.

M. Philippe Noguès. Très bien !

M. Sergio Coronado. Très bonne intervention !

M. André Chassaigne. C’est du Bernanos !

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, notre pays a traversé des heures très difficiles et les menaces qui pèsent sur la France ne sont à l’heure actuelle pas écartées.

Nous avons été touchés dans ce qui nous est le plus cher, notre mode de vie. Il nous est alors apparu nécessaire de proroger l’état d’urgence le 19 novembre dernier puisque le péril paraissait imminent. Faciliter l’action de l’administration et des forces de sécurité était nécessaire et justifiait des mesures exceptionnelles.

Je rappelle que pour l’essentiel, l’état d’urgence permet d’effectuer des perquisitions et de décider d’assignations à résidence sans autorisation préalable du juge judiciaire, celui qui garantit qu’il ne soit dérogé ni à la loi, ni à nos valeurs fondamentales. Je tiens aussi à rappeler que le droit commun permet ces procédures, mais de façon plus encadrée.

Le bilan de cette période d’état d’urgence montre qu’il a pu permettre pendant un temps d’accélérer contrôles, perquisitions et placements en résidence surveillée. Ainsi, sur les 400 décisions d’assignation à résidence, les trois quarts ont été prononcées entre le 15 et le 30 novembre 2015, un peu moins de 70 l’ont été au cours du mois de décembre et seulement une quinzaine au mois de janvier.

À la date du 3 février 2016, 3 320 perquisitions administratives ont été conduites, 75 % d’entre elles ont été réalisées dans les quatre premières semaines et moins de 10 % en janvier. Sur les 549 procédures qui ont été ouvertes, seulement 5 sont en relation avec le terrorisme. Ainsi, il apparaît que l’essentiel des procédures en question se sont déroulées dans les quatre premières semaines après les tragiques attentats du 13 novembre.

Nous devons aussi réfléchir sur les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence. Un certain nombre de perquisitions et d’assignations à résidence effectuées n’ont aucun lien, pas même indirect avec le terrorisme, comme l’illustre ce qui s’est passé durant la COP21.

Il ne faut pas perdre de vue que l’état d’urgence écarte l’autorité judiciaire de la prise de décision. Il constitue donc une entorse à l’État de droit qui doit rester exceptionnelle car l’État de droit n’est pas un État faible, comme l’a rappelé récemment Robert Badinter. En ce sens, le projet de loi relatif à la procédure pénale qui va nous être présenté ne nous rassure pas.

Au lieu de jouer sur la peur, nous devons avoir confiance dans les capacités de notre système judiciaire pour répondre au défi du terrorisme ainsi que dans les vertus de la République et de la démocratie.

Je vois deux écueils principaux à la prorogation de l’état d’urgence. Donner plus de pouvoir au juge administratif au détriment du juge judiciaire serait une mauvaise méthode pour masquer le manque criant de moyens tant matériels qu’humains de notre justice. Autre écueil : laisser toute la place à une démocratie d’opinion et d’émotion, sans faire appel au sens des responsabilités des citoyens.

Autour de moi je vois des initiatives fort intéressantes pour protéger les Français : par exemple des pompiers, nombreux, apprennent les gestes de premiers secours permettant de sauver des vies.

Autre piste importante : donner plus de moyens humains et matériels aux services de renseignement, aux forces de l’ordre, mais également aux services pénitentiaires, et bien sûr, renforcer la coordination des services tant au niveau national qu’international.

Comme nous le disions lors de la première demande de prorogation de l’état d’urgence, les écologistes ne veulent pas d’un état d’urgence qui se prolongerait indéfiniment. En faire le droit commun serait abdiquer devant nos adversaires qui veulent en tout premier lieu attaquer notre vivre ensemble et nos libertés, sans pour autant mieux protéger les populations. Les lois existantes nous donnent les moyens d’agir.

La première réponse que la République doit apporter à ceux qui veulent la détruire, c’est proclamer qu’ils ne nous changeront pas, que la France est le pays des droits de l’homme et le restera. Nos belles valeurs de liberté, égalité et fraternité, sans oublier la laïcité, constituent le socle de ce que nous sommes. Il faut préserver ces valeurs.

Alors que les résultats de l’état d’urgence n’ont été réellement efficaces que lors des toutes premières semaines, sa prorogation aujourd’hui risquerait d’en appeler d’autres : à l’occasion de l’Euro 2016 de football, puis pour les échéances électorales, etc.

M. Alain Chrétien. Mais non !

Mme Michèle Bonneton. Il faut sortir de cet état d’exception. C’est pourquoi nous ne voterons pas sa prorogation.

M. André Chassaigne. Très bien 

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, trois mois après les attentats du 13 novembre et la mobilisation importante des forces de l’ordre, j’aurais souhaité voter contre la prolongation de l’état d’urgence.

M. Gaby Charroux. Eh bien, faites-le !

Mme Véronique Besse. J’aurais souhaité que les conditions d’un retour à une situation normale soient remplies.

Or force est de constater que nous en sommes loin ! Et cette situation va obliger beaucoup d’entre nous à voter en faveur de cette prolongation.

La France est en état d’urgence, c’est vrai ! La responsabilité en revient évidemment à nos agresseurs islamistes. Mais la prolongation de cet état d’urgence illustre également le manque d’efficacité du Gouvernement.

La fin de l’état d’urgence nécessite quatre conditions qui ne sont pas remplies depuis trois mois et qui, en réalité, ne le sont pas depuis des années.

La première condition, c’est de mettre fin au laxisme : au laxisme judiciaire évidemment.

M. Alain Chrétien. Il y a du boulot !

Mme Véronique Besse. Et en cela, le départ de Mme Taubira, qui incarnait ce laxisme, est une bonne nouvelle. La dégradation ne date pas de ce quinquennat, mais elle est devenue consternante. La prolongation de l’état d’urgence devrait nous permettre de donner à la justice l’esprit et les moyens nécessaires pour faire son travail.

Depuis des années, les juges n’ont plus les moyens de faire appliquer les peines. Ce sont plus de 100 000 peines de prison ferme par an qui ne peuvent être appliquées, faute de place dans les prisons. Il y a en France un profond malaise vis-à-vis de la justice, en laquelle beaucoup de Français ne croient plus. Les Français se sentent abandonnés.

Ensuite, il faut mettre fin au laxisme politique Nos services de renseignement sont efficaces ; nos forces de l’ordre sont efficaces, on le sait. On l’a vu à la suite des attentats du 13 novembre, avec des centaines de perquisitions réalisées en quelques jours. Ils surveillent, informent, transmettent les faits et gestes d’individus dangereux. Ces services connaissent parfaitement où se trouvent les menaces. Mais ont-ils les moyens humains et matériels nécessaires pour reconquérir certains quartiers et démanteler les filières criminelles et terroristes ? Je ne le crois pas.

Mais plus encore que les moyens, ce qui manque, ce sont la volonté et surtout le courage politiques !

La deuxième condition, c’est d’avoir la maîtrise de nos frontières. Comment expliquer que certains djihadistes aient pu traverser l’Europe, des frontières de la Turquie jusqu’à Paris, sans qu’on leur demande le moindre papier ? L’Europe est une passoire et les accords de Schengen constituent aujourd’hui la meilleure protection des réseaux terroristes. Neuf mois après le premier sommet européen sur la crise migratoire, aucune solution viable et pérenne n’a été mise en place.

Alors oui, il y a bien état d’urgence pour la restauration de la sécurité à nos frontières Nous n’avons pas besoin de demi-mesures provisoires aussi inefficaces qu’inapplicables, mais d’une politique de maîtrise de nos frontières nationales.

Oui, il y a bien état d’urgence pour la mise en place d’une politique européenne qui tourne le dos à l’idéologie du tout laisser-faire et du tout laisser-passer !

La troisième condition est d’avoir une vision claire de nos priorités à l’international. Notre diplomatie a trop longtemps oscillé entre une politique extérieure alignée sur celle des États-Unis et une ligne de conduite jusqu’au-boutiste qui nous a amenés à nous isoler. Il faut désormais être efficaces.

Ne nous trompons pas d’ennemi ! La sécurité des Français est à ce prix. En Syrie, par exemple, d’où viennent des milliers de migrants, notre priorité est la lutte contre Daech. La France doit faire entendre sa voix. Nous nous sommes obstinés à soutenir des rebelles prétendument modérés et, de manière irresponsable, nous avons refusé de reconnaître nos alliés objectifs, qu’ils soient russes, syriens ou iraniens, qui luttent aussi contre Daech. Or, pendant que nous ne faisons pas de choix clair, l’État islamique étend ses réseaux en Europe, embrigade une partie de la jeunesse et propage la misère en Orient. Oui, il y a aussi état d’urgence pour la mise en œuvre d’une politique diplomatique courageuse, à la hauteur de la générosité et de la grandeur de la France.

La quatrième condition est de retrouver un sentiment d’appartenance, qui repose sur notre identité nationale, et c’est certainement là le plus important. Être Français, ce n’est pas uniquement avoir une nationalité : c’est avoir envie de partager un destin commun. Pendant des années, la France a accueilli des populations de travailleurs venus des quatre coins du monde – une main-d’œuvre bon marché – et leur a donné des papiers d’identité pour en faire de parfaits consommateurs ou de bons électeurs, mais elle a oublié d’en faire des Français, c’est-à-dire des hommes et des femmes membres d’une nation, qui aiment leur pays et qui ont la volonté de partager ce destin commun.

Que dire de plus lorsque les Français de cœur voient les Français de papiers agiter des drapeaux étrangers – algérien, marocain ou turc – lors des matchs de football, ou d’autres siffler la Marseillaise ?

La France doit cesser d’avoir honte d’elle-même, de son passé, de sa culture, de ses coutumes, de son orthographe, de ses paysages et de son mode de vie. Être Français, c’est assumer l’héritage de la nation française. Oui, il y a état d’urgence pour notre identité et notre singularité dans le concert des nations.

Mes chers collègues, il est urgent d’offrir aux jeunes Français une identité nationale forte, faute de quoi ils seront condamnés à aller chercher ailleurs un idéal de substitution. L’État doit savoir donner aux Français les moyens concrets d’aimer la France. Voilà le véritable état d’urgence.

Alors, oui, je voterai pour la prolongation de l’état d’urgence, car il y va de la sécurité des Français, qui est la première de nos libertés, en appelant avant tout de mes vœux un réel sursaut national. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Carlos Da Silva.

M. Carlos Da Silva. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons parfois entendu dans cet hémicycle et sur certains plateaux de télévision que la prorogation de l’état d’urgence pourrait instaurer un régime d’exception menaçant tout à la fois nos libertés individuelles, le droit à la vie privée et familiale, le droit d’aller et venir, les libertés d’expression et de manifestation, et qu’elle nous exposerait à l’arbitraire des forces de sécurité. Nous avons aussi entendu que l’état d’urgence était inefficace, inutile, inadapté ou, pour être plus exact, superfétatoire.

Tout d’abord, je me félicite que notre assemblée puisse avoir ce débat sereinement, trois mois et trois jours exactement après les événements qui ont bouleversé le pays et le monde entier, le 13 novembre dernier. Je crois en effet que ce projet de loi ne souffre aucune approximation, aucune posture, aucune idéologie.

La vérité, c’est que notre pays est confronté à un nouveau type de menace – une menace diffuse que, jamais dans son histoire, il n’avait connue – et que, si nous devons continuer de vivre, de sortir, de penser et d’aimer comme avant, nous ne pouvons pas faire comme si rien n’avait changé.

L’état d’urgence est, par essence, un état intermédiaire, dont il faut être capable de sortir, mais il serait irresponsable de le faire dans la précipitation, sans être parfaitement sûrs que tous les moyens matériels et humains mobilisés puissent assurer durablement la sécurité de nos concitoyens. C’est tout le sens des nombreux renforcements de nos moyens de protection adoptés dès 2012 et qui vont être prolongés par le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, ainsi que l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Comme l’ont rappelé le ministre de l’intérieur et Pascal Popelin dans son rapport, ce n’est pas la menace terroriste qui fait l’état d’urgence, mais le péril constamment imminent. Comment ne pas le reconnaître, quand on sait que des projets d’attentats ont été déjoués grâce au travail méticuleux des services de renseignement, de police et de justice et à une coopération renforcée entre eux ?

Rappelons-nous ce moment de concorde, à Versailles, devant le Président de la République et sous le regard des Françaises et des Français. Rappelons-nous ce vote quasi unanime, ici même, le 19 novembre dernier, lorsqu’il s’est agi de prolonger une première fois l’état d’urgence. Rappelons-nous ces images, auxquelles nous n’étions pas habitués, de ces hommes et de ces femmes, membres des forces de police et de gendarmerie, militaires, sauveteurs, acclamés par tout un peuple qui reste debout. Face à la menace terroriste, nous devons être forts. L’action publique, ce sont des décisions fortes et des résultats.

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, ainsi que l’ensemble des services départementaux grâce auxquels nous disposons d’un suivi et d’un bilan précis des mesures déployées : 3 340 perquisitions administratives ont ainsi été réalisées, qui ont donné lieu à 395 interpellations, entraînant 344 gardes à vue et conduisant à 67 condamnations, avec 580 armes neutralisées, parmi lesquelles 42 armes de guerre. Qui peut prétendre sérieusement que ces mesures ont été inutiles ? Qui peut regretter que ces armes, les mêmes que celles qui ont été utilisées par les terroristes, aient été retirées de la circulation ?

Quant au nombre de cas litigieux, la vérité nous oblige, là aussi, à l’exactitude : leur nombre est extrêmement faible et, parce que chaque cas mérite d’être examiné avec la plus grande attention et la plus grande impartialité, les juges administratifs disposent de toute latitude pour établir les éventuels manquements, que nous ne saurions en aucun cas tolérer.

En mars, la commission des lois rendra un rapport d’étape sur le suivi de l’état d’urgence – un travail nécessaire, initié par Jean-Jacques Urvoas, qui est exigeant, intransigeant, viscéralement attaché à la justice et à la liberté, comme l’est Dominique Raimbourg, et qui assure un contrôle effectif, permanent et librement consultable de l’action du Gouvernement.

Bref, nous avons su nous dépasser et dépasser des enjeux dérisoires pour nous retrouver sur l’essentiel. Je ne doute pas que ce soir, il en ira de même sur ce texte, dans l’intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne pensais pas m’exprimer devant vous aujourd’hui, car j’ai une interprétation stricte la loi de 1955 et de son article 3, selon lequel la loi fixe la durée définitive de l’état d’urgence. Pour moi, l’affaire était pliée : il n’y aurait pas de seconde prorogation législative.

En novembre, j’ai voté sans hésitation la prorogation de l’état d’urgence et je ne le regrette pas. Je n’étais sous le coup, ni de l’émotion, ni de la peur et, dans mon vote, j’indiquais clairement une borne : un vote et un seul. Ce n’est pas l’esprit de la loi de 1955, c’est sa lettre.

Or, voilà que vous nous demandez, monsieur le ministre, une nouvelle prorogation, pour trois mois et sans doute, au bout du compte, pour six, avec l’approche de l’Euro 2016.

Personne ici ne sous-estime le risque d’attentats en France. L’année 2015 a en effet été une année terrible. Député du Val-de-Marne, j’ai eu la tristesse d’accompagner trois familles meurtries par les attentats du 13 novembre, qui vivaient ou travaillaient dans les villes de ma circonscription. Nous savons tous que la menace reste très élevée.

Pourquoi, alors, ne pas proroger l’état d’urgence ? Pourquoi ne pas se donner tous les moyens ? Eh bien, parce que c’est précisément la grandeur de la démocratie, que nous défendons contre le djihadisme, que d’être un régime de limite. Pourquoi ne pas le prolonger face à un risque et une menace élevés ? Parce qu’en pratique, au-delà de la question des principes, il ne sert pas cette fin. La procédure d’état d’urgence est en effet une procédure d’exception, un outil de gestion de crise face à un péril imminent, un outil de maintien de l’ordre, et non pas un outil de prévention. Cette dernière repose sur le droit commun et sur le travail résolu de nos forces de police et de nos magistrats, qui accomplissent, il faut le rappeler, un travail remarquable pour assurer la sécurité de tous.

Le Conseil d’État a, de ce point de vue, rendu un avis d’une grande subtilité, que je qualifierais même de paradoxal, en validant le projet de loi tout en rappelant longuement que l’état d’urgence n’est pas et ne doit pas être une procédure permanente : « Lorsque, comme cela semble être le cas, le « péril imminent » ayant motivé la déclaration de l’état d’urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c’est à des instruments pérennes qu’il convient de recourir. Il convient donc que le Gouvernement prépare dès maintenant la fin de l’état d’urgence ».

Il n’est pas raisonnable de fixer pour terme à l’état d’urgence, comme nous l’avons entendu de la bouche du Premier ministre, l’éradication de Daech. Il n’est pas correct non plus de le justifier par l’attente de l’adoption du projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme car, contrairement à ce qu’on lit souvent, ce projet de loi, auquel je suis très favorable, n’opère pas un basculement de la procédure d’état d’urgence dans le droit commun.

Pourquoi voter contre la prorogation ? Parce que la procédure est essoufflée. Même le contrôle parlementaire, grand acquis du mois de novembre, s’est essoufflé, comme l’a souligné la commission des lois, chargée du contrôle à l’Assemblée nationale.

J’étais très favorable au contrôle parlementaire, pour des raisons de fond, mais aussi par opportunité, parce que je comptais sur ce contrôle et sur l’objectivation de l’activité des services de l’État pour aider le Gouvernement à trouver la force de sortir de l’état d’urgence. J’ai été optimiste !

Au mois de janvier, j’ai suggéré, sur la base du travail de contrôle de la commission des lois, une sortie anticipée, comme le prévoit l’article 3 de la loi du 20 novembre, avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui mais aussi parce que je pressentais la situation à laquelle nous sommes parvenus : au bout du compte, il est difficile, voire impossible de sortir de l’état d’urgence. De la même manière, il semble impossible de sortir de Vigipirate, alors même que tout le monde s’interroge sur l’utilité de ce dispositif tel qu’il est mis en œuvre actuellement.

Je voterai contre la prorogation de l’état d’urgence, non parce que cette procédure serait intrinsèquement dangereuse ou inutile – je la sais nécessaire pour faire face aux périodes de crise –, mais parce qu’il est essentiel de ne pas la banaliser. Ni les citoyens, ni les responsables politiques ne doivent s’habituer à vivre dans un état d’exception. Il me semble donc important d’y mettre fin.

M. André Chassaigne. Excellente intervention !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Chrétien.

M. Alain Chrétien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai, pour ma part, la prolongation de l’état d’urgence, mais ce n’est pas sur ce sujet que je centrerai cette intervention.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est pourtant la question qui est posée !

M. Alain Chrétien. Il nous faut prendre un peu de recul sur l’ensemble du dispositif législatif que vous allez nous proposer dans les mois qui viennent. Si j’ai bien compris, en effet, vous nous proposerez dans quelques semaines la réforme de la procédure pénale, qui devrait renforcer l’arsenal juridique à la fin de l’état d’urgence, prévue pour le 26 mai. Vous avez également prévu, si la réforme constitutionnelle parvient à son terme, une loi d’application destinée à modifier, améliorer et renforcer la loi de 1955.

Ma première question, monsieur le ministre, est donc de savoir comment, si cette réforme constitutionnelle n’allait pas à son terme – ce qui est une probabilité importante, compte tenu du désaccord potentiel entre les deux chambres –, vous adapteriez la loi de 1955 en fonction des éléments dont nous avons eu connaissance dans le cadre de l’avant-projet.

À ce propos, j’insisterai sur un point particulier qui me tient à cœur, ainsi qu’aux services de renseignement et de police : la saisie administrative des ordinateurs et des téléphones portables. C’est un sujet important et sensible, car cette mesure permettrait de faciliter le travail des services d’investigation.

Je l’ai évoqué dès le 19 novembre en commission des lois et j’ai reçu du président de cette commission une fin de non-recevoir, au motif que ce n’était pas là une demande des services de police. Je suis revenu sur le sujet le 20 novembre en séance publique, où le même président de la commission des lois – devenu depuis lors garde des sceaux – m’a déclaré que les sénateurs ne seraient pas d’accord et qu’une commission mixte paritaire n’était pas souhaitable, car il était urgent de prolonger l’état d’urgence.

Revenant sur le sujet le 13 janvier dernier, je vous ai demandé, monsieur le ministre, s’il était prévu la saisie administrative des ordinateurs et des téléphones portables pendant l’état d’urgence. Vous m’avez répondu que cela n’était pas constitutionnel ; or, je ne vois pas en quoi modifier la loi de 1955 serait contraire à la Constitution ! C’est pourtant ce que vous m’avez répondu lors des questions cribles du 13 janvier dernier.

J’ai enfin déposé une proposition de loi le 26 janvier dernier, cosignée par plus de quarante de mes collègues, visant à autoriser les services de police à saisir les ordinateurs et les téléphones portables lorsque leur exploitation sur place n’est pas possible, lorsque les systèmes sont protégés par des mots de passe ou lorsqu’ils ont été détruits par les protagonistes.

Alors que cette proposition de loi a été déposée sur le bureau de l’Assemblée, j’ai eu la surprise de constater que vous avez intégré ce dispositif dans l’avant-projet de loi de modification de la loi de 1955, laquelle devrait intervenir après la réforme constitutionnelle. Pourquoi ne pas l’intégrer dès maintenant, dans ce véhicule législatif de prolongation de l’état d’urgence ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce n’est pas constitutionnel !

M. Alain Chrétien. Cela permettrait de donner immédiatement aux services de police et aux services de renseignement le pouvoir de saisir ces matériels, plutôt que d’attendre une éventuelle révision constitutionnelle dont le caractère hypothétique menace cette capacité importante demandée par les services de police et par les services de renseignement.

Pardonnez-moi d’insister sur ce sujet important : après avoir écouté mes collègues, qui se sont appuyés sur des principes – c’est tout à fait légitime –, je souhaite appeler à nouveau votre attention sur la demande des services de police de pouvoir examiner en laboratoire l’intérieur des disques durs des ordinateurs et des mémoires des téléphones portables. Alors qu’il s’agit d’une nécessité, c’est pour l’instant impossible, l’état du droit les obligeant actuellement à exploiter in situ les matériels. Comment feront-ils si ces matériels sont inexploitables in situ alors que des informations extrêmement importantes peuvent s’y trouver ? Celles-ci échapperont alors aux services de police.

Vous souhaitez renforcer l’arsenal juridique et nous le souhaitons aussi : une grande partie de l’opposition votera cette prolongation de l’état d’urgence. À mon avis, il aurait été judicieux que ce projet de loi, qui ne comporte qu’un seul article, poursuive la modernisation de la loi de 1955 en permettant la saisie administrative de ces matériels électroniques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, ces derniers mois, c’est à des questions graves que nous avons été amenés à répondre.

Les réponses que le pays et nos concitoyens attendent de nous sont à la mesure du choc que nous avons subi, des drames que nous avons connus et des défis qui nous sont posés. Elles doivent permettre de donner à la puissance publique, à travers le Gouvernement, les moyens d’action qui lui sont nécessaires pour endiguer la menace terroriste.

Elles doivent aussi nous permettre de ne rien concéder aux terroristes qui ne cherchent, à travers leurs actions, qu’à faire en sorte que la France remette en cause les valeurs qui sont les siennes, qui sont les nôtres, et qu’ils abhorrent parce qu’elles sont universelles, généreuses et démocratiques, alors qu’ils veulent voir germer des graines de haine pour nous diviser.

Répondre à la question de savoir s’il faut, oui ou non, proroger l’état d’urgence tel que nous l’avons réformé avec la loi du 20 novembre, c’est répondre à cette double injonction : combattre et vaincre tout en restant nous-mêmes, tout en faisant en sorte que la France reste fidèle aux valeurs qui l’ont faite. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous sommes tous, sur les différents bancs de cette assemblée. C’est aussi, monsieur le ministre, votre état d’esprit, comme vous nous l’avez exposé lors de votre audition par la commission des lois la semaine dernière.

Nous nous prononçons, il faut le dire, sur la base de renseignements et sur la foi d’informations essentiellement fournis par le Gouvernement – c’est normal. Toutefois, et c’est nouveau, grâce au nouveau cadre de l’état d’urgence et à la pleine utilisation des outils fournis par notre règlement, le contrôle parlementaire permet fort heureusement de contrôler et de compléter les informations les plus sensibles.

L’avis du Conseil d’État sur le projet de loi, les décisions de la justice administrative intervenues depuis le début de l’état d’urgence ainsi que la presse, bien sûr, viennent compléter le tableau de cette information disponible pour les parlementaires.

C’est en fonction de cet ensemble de données que nous nous déterminons pour juger de la pertinence de l’état d’urgence par rapport à la menace actuelle. Comme plusieurs de mes collègues, je tire de l’ensemble de ces données les enseignements suivants.

Tout d’abord, les mesures prises depuis novembre ont été et demeurent nécessaires. La menace terroriste reste haute, comme nous l’ont prouvé les événements survenus à la fin de l’année 2015, ainsi que le nombre important de perquisitions avec interpellations et saisies d’armes, de même que le nombre d’assignations à résidence.

Les chiffres ont été rappelés, je n’y reviens pas, tout en soulignant que, comme nous l’a rappelé M. le ministre lors de son audition, contrairement à ce qui a été rapporté trop souvent, les suites judiciaires données aux mesures administratives ont été importantes et le seront encore.

L’état d’urgence a donc prouvé son utilité. La question est de savoir si celle-ci est toujours d’actualité. Comme l’a rappelé le rapporteur Pascal Popelin, que je tiens à saluer pour le travail qu’il a mené, c’est sur la notion de péril imminent qu’il nous faut juger. Comme le rapport le détaille parfaitement et comme le Conseil d’État l’a indiqué dans son avis sur le présent projet de loi, le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public demeure malheureusement très actuel. Le projet de loi m’apparaît donc fondé sur ce point.

Ensuite, je veux souligner que le cadre juridique dans lequel l’état d’urgence s’exerce actuellement permet de garantir le respect des libertés. L’effectivité du contrôle du juge administratif, constatée ces dernières semaines, est venue démentir les craintes qui s’étaient exprimées à l’occasion de nos travaux sur le premier projet de loi de prorogation. L’état d’urgence n’est pas synonyme d’arbitraire et, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, il est un élément de l’État de droit.

Il nous restera, à l’occasion de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, dont nous commençons l’examen demain en commission des lois, à nous assurer que nous restons dans le même esprit, hors état d’urgence.

À ce stade, je nourris encore quelques réserves sur un certain nombre de dispositions qui sont proposées, mais je suis sûre que les débats parlementaires devraient nous permettre d’avancer sur ces sujets.

Le dernier enseignement que je tire, c’est que nous devons préparer dès maintenant la sortie du cadre exceptionnel qu’est l’état d’urgence. Ainsi que vous l’avez rappelé devant notre commission, monsieur le ministre, par principe, l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril imminent qui a justifié sa déclaration.

J’ai indiqué tout à l’heure que je partage l’analyse selon laquelle cette notion est toujours d’actualité. J’entends aussi qu’il nous faut, avant que nous ne sortions de l’état d’urgence, aménager le cadre juridique de droit commun pour qu’il soit en adéquation avec le niveau de menace actuel. C’est l’objet de notre travail de demain en commission.

Mais, puisqu’il est dans la nature même de l’état d’urgence d’être temporaire, il me paraît légitime et sain de prévoir dès maintenant les conditions et les étapes de sortie de ce régime qui n’a pas vocation à durer au-delà du nécessaire et du raisonnable.

Ce travail préparatoire et d’anticipation est d’autant plus fondé que plusieurs voix importantes se sont élevées, ces dernières semaines, pour souligner que, si nous ne sommes pas encore parvenus au terme de l’état d’urgence du point de vue de son utilité, cette échéance se rapproche et que l’essentiel de ce qu’il permet de faire a été mis en œuvre.

Je pense particulièrement à la dernière communication présentée devant la commission des lois sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, lors de laquelle plusieurs éléments de nature à conforter cette idée ont été présentés.

Les prochains travaux du contrôle parlementaire doivent nous permettre de préparer le retour souhaitable et souhaité au fonctionnement ordinaire de nos institutions. Il est essentiel que le contrôle parlementaire se poursuive avec une vigueur constante. Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai en faveur du projet de loi et j’appelle mes collègues à faire de même. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le Premier ministre a rappelé ce week-end le niveau maximal de la menace à laquelle notre pays est confronté ; vous l’avez vous-même souligné, monsieur le ministre, cet après-midi encore.

Les terroristes djihadistes sont animés par la haine de toute forme de civilisation. Pour cette raison, ils constituent un danger extrême, majeur, pour nous, pour toute forme de démocratie.

Ce soir, dans quelques minutes, aura lieu un concert avec le groupe qui avait été visé au Bataclan le 13 novembre dernier. Certaines des victimes de cette attaque y assisteront ; je veux le dire ce soir avec beaucoup d’émotion en pensant à elles. Ce soir-là, 130 hommes et femmes sont tombés sous les balles de ces barbares ; plus de 350 blessés ont connu le traumatisme de cette violence aveugle. Notre pays a été plongé dans un état de choc ; notre drapeau a été atteint, comme notre Nation.

La première de nos responsabilités, cette responsabilité que vous assumez, monsieur le ministre de l’intérieur, la première tâche régalienne des pouvoirs publics consiste à garantir à chaque citoyen son droit naturel et imprescriptible à la sécurité, à la sûreté, comme prévu par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous avons ensemble cette obligation, ce devoir.

Dans cette nuit tragique, le Président de la République a décrété l’état d’urgence et le rétablissement des contrôles aux frontières. L’opposition l’a approuvé dans un esprit de responsabilité et d’unité, comme nous l’avons toujours fait depuis 2012 en soutenant tous les textes – il y en a déjà eu cinq et nous allons voter ce soir la sixième loi concernant le terrorisme ; nous pourrions en ajouter une septième avec la réforme de la procédure pénale, que nous aborderons dès demain matin en commission.

Nous avons toujours pris nos responsabilités : l’opposition d’alors n’a pas toujours eu la même attitude lorsque des attentats ont frappé notre pays à Toulouse et à Montauban avec l’affaire Merah.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Chacun sait qu’il n’y a pas eu d’attentat sous Nicolas Sarkozy !

M. Éric Ciotti. Nous vous avions alerté à plusieurs reprises, monsieur le ministre, lors de ces discussions ; nous vous avons alerté lorsque j’ai présidé la commission d’enquête. Ce soir, naturellement, nous allons approuver la prorogation de l’état d’urgence. Mais, monsieur le ministre, nous pouvons aussi nous poser une question, comme les victimes l’ont fait encore hier : pourquoi l’état d’urgence n’a-t-il pas été décrété après les attentats de janvier, après Charlie Hebdo ?

Cette procédure, dont vous avez rappelé tout à l’heure l’utilité et l’efficacité, aurait pu et aurait dû être engagée après cette attaque majeure subie par notre pays. Dix mois se sont écoulés entre Charlie Hebdo et le Bataclan ! Dix mois au cours desquels la traque des terroristes aurait pu et aurait dû être intensifiée…

M. Pascal Popelin, rapporteur. En Belgique ?

M. Éric Ciotti. …grâce à ces moyens et à ces mesures exceptionnelles que vous avez mobilisés légitimement, opportunément, après le 13 novembre.

Alors que la menace terroriste est extrême, nous allons examiner cette demande de prorogation. Je vous rappelle que j’avais défendu un amendement lors du débat qui nous avait réunis ici pour vous proposer de porter cette durée à six mois. Si vous nous aviez écoutés, nous n’aurions pas à nous réunir à nouveau ce soir.

Prenez les bonnes décisions quant à la durée de cet état d’urgence. Une manifestation internationale – l’Euro 2016 – se tiendra au mois de juin en France : or nous allons approuver ce soir la prorogation de l’état d’urgence jusqu’à fin mai. Il serait opportun, et je défendrai tout à l’heure un amendement en ce sens, que cet état d’urgence prenne en compte et englobe cette période.

En tout état de cause, avec cette appréciation que nous portons sur ce qui s’est passé et sur ce qui aurait dû être fait, avec cette attitude de responsabilité et d’unité qui a toujours guidé l’opposition républicaine, nous soutiendrons la prorogation de l’état d’urgence, tout en soulignant qu’elle aurait pu, qu’elle aurait dû intervenir plus tôt, dès le mois de janvier 2015. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je souhaite remercier l’ensemble des orateurs pour leurs interventions et leur dire à quel point celles-ci, toutes sensibilités confondues, ont contribué à l’enrichissement du débat. Sans revenir sur des sujets que nous avons déjà abondamment traités, je voudrais revenir sur trois questions qui ont été posées à l’occasion de notre débat.

Tout d’abord, la dernière, qui vient d’être évoquée par M. Ciotti : pourquoi l’état d’urgence n’a-t-il pas été mis en place dès le mois de janvier 2015 ? Pour une raison très simple : l’état d’urgence ne peut être mis en place que dès lors que les conditions de droit pour le déclencher sont réunies.

Or, en janvier 2015, les conditions de droit pour déclencher l’état d’urgence n’étaient pas réunies. En effet, immédiatement après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, l’ensemble de ceux qui avaient commis ces attentats avaient été neutralisés par les forces de l’ordre, ce qui n’était pas du tout le cas lors des attentats du 13 novembre.

Aujourd’hui encore, l’artificier, le coordonnateur, Salah Abdelslam n’ont pas été récupérés par les forces de l’ordre, et ils ne l’étaient pas au moment où nous avons déclenché l’état d’urgence. C’est parce qu’ils ne l’étaient pas et que le péril était imminent que nous avons décidé alors de déclencher l’état d’urgence, et c’est parce que ce péril demeure que nous le prorogeons.

L’état d’urgence, ce n’est pas un dispositif que nous mettons en place pour des raisons de confort politique ; c’est un dispositif qu’on met en œuvre dès lors que les conditions de droit sont réunies pour le faire.

D’ailleurs, monsieur Ciotti, trouvez-moi un orateur de l’opposition qui l’ait demandé à l’époque. J’ai bien cherché : en janvier 2015, pas un responsable de l’opposition n’a demandé qu’on déclenchât l’état d’urgence, pas un ! pour la bonne et simple raison que les conditions de droit n’étaient alors pas réunies pour cela.

Deuxième point : vous avez dit, madame Besse, que les forces de l’ordre étaient formidables mais qu’elles manquaient de moyens. Je ne veux pas revenir sur des sujets que nous avons déjà traités à plusieurs reprises ici mais peut-être n’avez-vous pas été informée que sous la mandature précédente, les services de renseignement ont vécu une réforme extrêmement difficile qui a mis complètement sur le flanc notre organisation territoriale. Sans doute n’avez-vous pas été informée qu’entre 2007 et 2012, les effectifs des forces de sécurité intérieure ont perdu 13 000 emplois. Sans doute n’avez-vous pas été informée que pendant la même période, les crédits hors titre 2 dont bénéficiaient les forces de sécurité ont diminué de 17 % et sans doute n’avez-vous pas été informée que dans le courant de ce quinquennat, ce sont 9 000 emplois qui auront été créés au bénéfice des forces de sécurité intérieure, dont 1 500 décidés dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste de janvier dernier, qui a d’ores et déjà permis de programmer la création de 500 emplois dans le renseignement territorial et 500 dans le renseignement intérieur, s’ajoutant aux 432 déjà programmés avant ce plan, 126 au sein de la direction centrale de la police judiciaire pour lutter contre la délinquance terroriste sur internet. Et nous avons encore rehaussé cela à travers l’annonce faite par le Président de la République devant le Congrès de créer 5 000 emplois supplémentaires.

Je comprends que vous, qui avez soutenu une majorité qui a détruit 13 000 emplois, vous considériez qu’en créer 9 000, ce n’est pas suffisant. Je souhaite vraiment que sur ces sujets on puisse de temps en temps, ne serait-ce que pour la qualité de notre débat, convoquer la bonne foi et essayer de dire les choses telles qu’elles sont sans être systématiquement dans des postures politiques.

Enfin, monsieur Chrétien, si nous n’inscrivons pas directement dans la loi une disposition qui permettrait aux services de police de récupérer à l’occasion des perquisitions administratives des éléments contenus dans les ordinateurs, c’est tout simplement parce que ce n’est pas constitutionnel. Un tel dispositif porterait atteinte aux principes énoncés dans l’article 66 de la Constitution, au terme desquels ce type de perquisitions, qui conduisent à des saisies, ne peut avoir lieu que sous le contrôle du juge judiciaire. Sans modification de la Constitution, ce ne sera pas possible. Et si nous révisons la Constitution pour y inscrire l’état d’urgence et proposons dans la loi d’application qui suivra d’introduire cette possibilité, c’est parce que nous ne pouvons pas le faire en l’état du droit constitutionnel.

Nous sommes dans une approche rigoureuse en droit et je voulais apporter ces éléments de réponse précis à ceux qui ont interrogé le Gouvernement.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

Article unique

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article unique.

La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Je souhaite revenir sur les assignations à résidence. Pendant l’état d’urgence, l’assignation à résidence est ordonnée par le préfet et se passe de la décision d’un juge, ce qui n’est pas le cas dans la procédure pénale de droit commun.

À la date du 16 février, il y a eu quatre cents assignations à résidence, dont une centaine ont été contestées devant le tribunal administratif et certaines annulées.

Prenons garde à ne pas entrer dans l’ère des suspects et dans la société du soupçon. Ces assignations à résidence ne sont pas de petites mesures. Comme le dit le Défenseur des droits, Jacques Toubon, « cela affecte la liberté d’aller et venir, le droit à la vie privée et à la correspondance privée, la liberté de travailler ou d’étudier. »

Je terminerai en rappelant l’avis rendu par le Conseil d’État le 2 février 2016. Je tiens à citer ce paragraphe en entier parce que j’en ai entendu précédemment des interprétations diverses. (Protestations sur divers bancs.)

Mme la présidente. Un peu de calme. Laissez l’oratrice s’exprimer.

Mme Michèle Bonneton. « Lorsque, comme cela semble être le cas, le péril imminent ayant motivé la déclaration de l’état d’urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c’est à des instruments pérennes qu’il convient de recourir. Il convient donc que le Gouvernement prépare dès maintenant la fin de l’état d’urgence. »

Il est temps de sortir de cet état d’exception.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. L’article unique du projet de loi prévoit que l’état d’urgence, déclaré par les décrets des 14 et 18 novembre dernier et prorogé pour trois mois, est à nouveau prorogé pour trois mois à compter du 26 février.

Face à la menace islamique, nous devons être fermes. La reconduction de l’état d’urgence est bien sûr une nécessité. Je voterai d’ailleurs cette seconde prorogation, comme j’ai voté la première. Mon objectif, comme celui de mes collègues, c’est de protéger nos compatriotes.

Il n’en reste pas moins qu’on ne peut se contenter d’inscrire indéfiniment l’action de nos services de sécurité dans un tel cadre juridique. L’état d’urgence est par définition un état de crise, dont les effets doivent être limités dans le temps et dans l’espace.

Dans ces conditions, il est urgent de modifier le régime de droit commun pour le doter de dispositifs efficaces en matière de lutte antiterroriste tout en respectant les principes républicains et les règles constitutionnelles. Alors que notre assemblée examinera à partir du 1er mars le projet de loi de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, j’appelle de mes vœux la mise en place d’un tel dispositif.

La fermeté doit également être le maître mot en matière d’immigration : là aussi, il faut en finir avec les postures. Or je constate que nous vivons toujours dans une Europe passoire, qui laisse entrer sur notre territoire des individus dangereux. Des terroristes peuvent s’introduire en France sans aucune difficulté. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Dans la lutte contre le terrorisme, le renseignement est primordial. Sur ces points des évolutions sont aussi nécessaires. Nous avons besoin de recueillir des renseignements sur place et donc de coopérer avec certains pays.

Au-delà de la prorogation de l’état d’urgence, que je voterai, j’espère que sur ces points le Gouvernement ne fera pas la sourde oreille. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. La question posée appelle une réponse évidemment binaire, pour ou contre la prorogation de l’état d’urgence, mais chacun sait ici, et nos débats le prouvent, que la réalité qui nous occupe est complexe.

Le droit international nous autorise à déroger au régime normal de protection des droits humains par un état d’exception temporaire, mais en l’encadrant de principes de proportionnalité et de temporalité. La Cour européenne des droits de l’homme ne dit rien d’autre.

Dans son propos introductif, le ministre de l’intérieur, après le Premier ministre, nous a rappelé la permanence du danger terroriste sur notre sol – je ne reprends pas les chiffres déjà rappelés ici et excellemment détaillés dans le rapport sénatorial de Michel Mercier.

Cependant il est raisonnable d’affirmer que l’effet de surprise ne joue plus et que le filet tendu aux terroristes par l’autorité administrative dans les premiers jours et les premières semaines n’a plus l’effet escompté. Il n’a plus le même rendement.

Chacun reconnaît également que les mesures que nous avons votées le 20 novembre sont restrictives des libertés publiques.

Alors permettez-moi d’user d’une métaphore médicale qui oppose urgence et chronicité. L’urgence en médecine s’entend d’un événement extraordinaire justifiant la mise en œuvre d’une action immédiate et salvatrice. À l’inverse, une maladie chronique est un état pathologique durant depuis au moins trois mois : je n’invente rien, ce sont les définitions données par le Haut conseil de la santé publique.

Nous ne sommes pas très éloignés de l’objet de notre débat. C’est la raison pour laquelle je me refuse toujours à confondre urgence et permanence, sans méconnaître la réalité du danger et la nécessité de protéger nos concitoyens.

La prorogation de l’état d’urgence a sa légitimité mais celui-ci ne répond pas à une menace permanente. En conséquence je voterai contre sa prorogation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. Philippe Noguès. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Monsieur le ministre, le temps qui m’est imparti ne me permet pas de rivaliser avec vous sur le terrain des chiffres que vous énumérez sur un ton doucereux sans convaincre beaucoup de magistrats, d’avocats ou de défenseurs des droits de la pertinence du maintien d’un tel dispositif.

Je ne m’aventurerai donc pas sur ce terrain. Je voudrais simplement appeler votre attention sur le choix que nous avons à faire. Si, comme le dit le Premier ministre, la menace est permanente et que nous risquons de connaître prochainement de nouveaux attentats, alors vous avez deux solutions.

La première est d’assumer un état d’urgence permanent jusqu’à « la destruction de Daech », comme il le dit. La deuxième est de lever l’état d’urgence car si la survenue d’attentats est probable en dépit de l’état d’urgence, c’est bien que celui-ci n’est pas la solution.

Lever l’état d’urgence vous permettrait de rendre toute sa place au juge judiciaire, que vous avez court-circuité avec l’état d’urgence, d’employer nos policiers et nos gendarmes dans des dispositifs de filature et d’investigation sans doute bien plus efficaces que l’accroissement des effectifs de Vigipirate. Vous mettriez de l’ordre dans les dispositifs de renseignement, aujourd’hui éparpillés et mal coordonnés.

Enfin et surtout, monsieur le ministre, le gouvernement français s’honorerait en mettant fin à la destruction massive et désastreuse des emplois d’éducateurs de rue dans de nombreux départements, alors qu’ils sont aujourd’hui les premières sentinelles de la lutte contre la radicalisation, voire le basculement dans la violence. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Vitel. Mais oui, c’est ça, des éducateurs de rue !

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Encore faudrait-il qu’on me le permette !

Si au contraire vous prorogez l’état d’urgence, on continuera de vivre un moment d’asphyxie démocratique, d’avoir le sentiment que la société est figée… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Est-ce que je pourrais terminer dans le calme ?

Mme la présidente. Merci. Vous avez déjà parlé deux minutes trente.

M. Pouria Amirshahi. Je termine d’une phrase. Dans les démocraties européennes, à l’ONU et chez nos alliés, l’inquiétude ne fera que croître. Je vous demande de ne pas balayer cette inquiétude d’un revers de la main…

Mme la présidente. Merci, monsieur le député.

La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Monsieur le ministre, j’avais voté la première prorogation de l’état d’urgence et je ne m’en repens nullement. Je ne considère pas que l’état d’urgence mette l’État de droit entre parenthèses. J’ai la plus haute considération pour le juge administratif et je loue le dévouement des services de sécurité. Pour autant je ne voterai pas le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.

La menace est en effet permanente, chronique, comme l’a très bien expliqué M. Sebaoun. Elle va sans doute durer plusieurs années. Les arguments aujourd’hui donnés pour justifier la reconduction de l’état d’urgence vaudront encore dans trois mois. À l’appui de mon raisonnement, je citerai simplement les propos du président Urvoas dans le rapport qu’il faisait le 13 janvier dernier devant la commission des lois – qu’il présidait encore : « L’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. L’essentiel de l’intérêt qu’il y avait à prendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les principaux objectifs avaient été traités et qu’en tout état de cause, l’effet de surprise était largement estompé et que les personnes concernées étaient désormais pleinement préparées à une éventuelle perquisition. Cette extinction progressive de l’intérêt des mesures de police administrative se lit d’ailleurs dans les chiffres mêmes qui montrent bien plus qu’un essoufflement. » Le doyen Hauriou écrivait en 1929 : « Les mesures administratives constituent un droit de seconde qualité et devront disparaître à l’expiration de l’état d’urgence. », et concluait : « Réagir efficacement à un attentat terroriste en donnant à l’État des moyens proportionnés à l’ampleur de la menace imminente était une chose, cela a été fait et bien fait. Combattre le terrorisme en profondeur en sera une autre. » »

Mme la présidente. Merci, monsieur Robiliard.

M. Denys Robiliard. Puissions-nous l’écouter !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. J’ai conscience, madame la présidente, que vous me donnez la parole pour ainsi dire au rattrapage, parce que je suis arrivé en retard, mais je suis très heureux de pouvoir m’exprimer sur un sujet aussi grave et important.

J’ai beaucoup aimé, monsieur le ministre, le débat qui s’est tenu la semaine dernière et je ne suis pas le seul : je crois que mon collègue Chassaigne a fait une déclaration analogue. En effet, je trouve que nous avons refait de la politique, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps – en tout cas depuis que je siège dans cette maison et cela fait longtemps. Nous avons fait de la politique parce que nous avons essayé de tracer une perspective.

Mais comme je ne veux pas déplaire à Mme la présidente, je suis obligé d’aller droit au but. J’ai voté les premiers textes que vous nous aviez proposés, monsieur le ministre, parce qu’il s’agissait dans l’urgence de rassurer le peuple français : c’était normal. Mais je pense qu’aujourd’hui, ce n’est pas un bon signe que nous adressons à nos compatriotes et au monde entier. La patrie des droits de l’homme, ce pays qui parle tant au monde, peut apparaître aujourd’hui comme un pays qui a peur et se recroqueville sur lui-même.

Or je crois que nous avons dans la Constitution tous les éléments qu’il faut pour servir et protéger nos concitoyens : il faut assurer leur sécurité et les rassurer, mais il ne faut pas, dans un pays qui compte six millions de musulmans, continuer à parler comme nous le faisons. Je ne le sens pas bien et je crains que cela ne nous desserve à l’avenir.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisie d’un amendement n13, tendant à supprimer l’article unique.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le soutenir.

Mme Isabelle Attard. Je serai rapide, car, avec mes collègues Noël Mamère et Sergio Coronado, nous avons déjà tout dit (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains). Cet état d’urgence, il n’est pas besoin de le prolonger pour agir. On peut même faire mieux sans lui, car on remettrait le juge judiciaire à sa juste place, en amont, et on éviterait ainsi un grand nombre de recours.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous proposez de supprimer l’article unique du projet de loi : c’est cohérent avec ce que vous avez longuement développé au cours de nos débats. Vous comprendrez que, par cohérence, le rapporteur et la commission émettent un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n13 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n4.

M. Éric Ciotti. Je l’ai déjà défendu dans la discussion générale : il s’agit de porter la prorogation de l’état d’urgence de trois à six mois, pour englober notamment la période de l’Euro 2016 qui aura lieu aux mois de juin et de juillet dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Les questions de durée ont été longuement évoquées. Je rappelle quand même que, la semaine dernière, en examinant le projet de révision constitutionnelle, nous avons limité à quatre mois la durée maximale de l’état d’urgence avant un nouveau passage devant le Parlement. Avis défavorable.

(L’amendement n4, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article unique est adopté.)

Mme la présidente. Je vous indique dès à présent que sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisie par le groupe socialiste, républicain et citoyen, le groupe écologiste et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Après l’article unique

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article unique.

La parole est à M. Bernard Reynès, pour soutenir l’amendement n8.

M. Bernard Reynès. Les attaques terroristes de novembre dernier, comme celles de janvier 2015, ont montré à quel point il est important pour nos forces de l’ordre de pouvoir agir vite et d’accéder rapidement à des informations pouvant se révéler capitales dans une enquête.

Il s’agit de permettre aux agents de la police municipale d’accéder directement à certains fichiers : le fichier national des immatriculations, le système d’immatriculation des véhicules, le fichier des véhicules volés ainsi que celui des objets et véhicules signalés. Cela leur permettrait de remplir leur mission dans des conditions optimales et des délais réduits.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je vais donner une réponse de principe sur la forme, ce qui m’évitera de la répéter à chaque amendement : j’ai proposé à notre assemblée, comme l’a fait la commission des lois, de voter conforme le texte, pour des raisons de calendrier qui ont été exposées dans mon discours liminaire. Tous les amendements ont donc reçu de ma part un avis défavorable.

Sur le fond, je ne suis pas favorable à des amendements qui modifieraient le cadre de la loi du 3 avril 1955. Nous avons voté la semaine dernière en faveur de la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Attendons qu’un projet de loi d’application du futur article 36-1 de la Constitution nous soit soumis.

Enfin, votre amendement renvoie davantage à un régime pérenne d’accès des policiers municipaux à ces fichiers. Cette question, que je ne balaie pas d’un revers de main, mériterait d’être débattue en dehors de l’hypothèse du recours à l’état d’urgence.

(L’amendement n8, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Reynès, pour soutenir l’amendement n7.

M. Bernard Reynès. La police municipale constitue une police de proximité contribuant efficacement à la sécurité des Français. Elle se caractérise par sa présence sur le terrain. Pouvoir procéder à des contrôles d’identité lui permettrait d’asseoir davantage sa légitimité et son autorité.

Il est choquant qu’une caissière, au supermarché, puisse demander la carte d’identité mais que ce soit impossible à un policier municipal. Permettre aux policiers municipaux d’effectuer des contrôles d’identité pendant l’état d’urgence renforcerait la sécurité sans mettre en danger les droits fondamentaux de nos compatriotes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Pour les mêmes raisons que sur l’amendement précédent, avis défavorable.

(L’amendement n7, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Reynès, pour soutenir l’amendement n9.

M. Bernard Reynès. Il est défendu.

(L’amendement n9, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 2 et 3, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Alain Chrétien, pour les soutenir.

M. Alain Chrétien. Je persiste et signe : ces deux amendements ont pour objet d’autoriser la saisie des téléphones portables et des ordinateurs pendant les perquisitions. (« Oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre, au mois de novembre vous avez étendu le champ des perquisitions et des assignations à résidence : vous avez donc restreint les libertés individuelles sans jamais invoquer la Constitution. Or, pour de simples objets matériels, vous soulevez un problème de constitutionnalité. Permettez-moi de ne pas être d’accord avec cet argument. Je maintiens que les services de police souhaitent pouvoir exploiter les ordinateurs et les téléphones portables en laboratoire. Ces deux amendements visent à faciliter leur travail.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Le ministre a déjà expliqué les raisons qui ont conduit le Gouvernement et l’Assemblée à ne pas adopter cette disposition dans le cadre de la modernisation de la loi de 1955.

Le problème que vous soulevez est réel. La révision constitutionnelle pourrait permettre d’envisager cette mesure une fois l’article 36-1 voté. Je souhaite donc que nous adoptions le plus rapidement possible la révision constitutionnelle afin que nous puissions légiférer dans un cadre sécurisé. Dans cette attente, avis défavorable.

(Les amendements nos 2 et 3, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 5 et 6, qui peuvent eux aussi faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour les soutenir.

M. Éric Ciotti. Ils visent à faciliter, pendant l’état d’urgence, l’expulsion des étrangers qui représentent une menace grave pour l’ordre public. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Au plan technique, c’est une mesure aux effets pérennes qu’il me paraît compliqué de limiter à la seule durée de l’état d’urgence.

Sur le fond, votre dispositif porterait une atteinte disproportionnée au droit à mener une vie familiale normale et la censure du Conseil constitutionnel me paraît certaine.

Enfin, les attentats du 13 novembre n’ont pas été commis par des étrangers en situation irrégulière, mais par des étrangers résidant en Belgique et des nationaux français. Avis défavorable.

(Les amendements nos 5 et 6, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles.

Explications de vote

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote, avec un orateur par groupe, qui disposera de cinq minutes. (Exclamations sur divers bancs.) Chers collègues, gardez votre calme. Je ne fais que rappeler les règles des explications de vote.

La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Mes chers collègues, je serai bref. Nous appelons à voter ce projet de loi. (Sourires et applaudissements sur de nombreux bancs.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François Asensi. À l’issue de cette discussion, les députés du groupe GDR confirment leur opposition à la prorogation de l’état d’urgence.

Dans l’urgence, ce régime d’exception était nécessaire et se justifiait pour une durée limitée de trois mois : nous l’avons voté.

Aujourd’hui il n’est pas justifié de le proroger. Cet état, par nature, est provisoire. Il doit donc nécessairement s’achever un jour. Nous avons conscience qu’il s’agit là d’une lourde responsabilité, mais il faut avoir le courage de la prendre.

Ce courage politique s’impose. Face à une menace terroriste intemporelle, nous ne pouvons installer notre démocratie dans un état d’urgence intemporel. C’est pourquoi nous nous opposerons dans quelques jours au projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé, qui a pour vocation d’introduire dans notre droit commun des mesures d’exception.

Nous avons rappelé les raisons essentielles qui justifient aujourd’hui de sortir de l’état d’urgence. Elles devraient suffire à convaincre l’exécutif et la représentation nationale qui, nous n’en doutons pas, sont soucieux de ne pas malmener dans la durée notre État de droit.

Premièrement, nous disposons d’un arsenal juridique suffisamment performant pour lutter aujourd’hui contre le terrorisme. Deuxièmement, les effets collatéraux causés sur les libertés ne peuvent devenir la norme dans notre démocratie. Enfin, les mesures de l’état d’urgence, nécessaires pour un temps transitoire, ont désormais quasiment perdu toute leur efficacité. C’est pourquoi, avec courage et responsabilité, nous voterons contre cette prorogation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. Le péril est imminent. La menace terroriste n’a jamais été aussi élevée. Le contrôle parlementaire est maintenu au niveau où il doit l’être. Pour toutes ces raisons, nous voterons la prorogation de l’état d’urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Avant que nous ne procédions au scrutin, je vous informe que nous avons reçu trois délégations, de M. Candelier à M. Chassaigne, de M. Carvalho à Mme Fraysse et de M. Emmanuelli à M. Popelin.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants246
Nombre de suffrages exprimés243
Majorité absolue122
Pour l’adoption212
contre31

(Le projet de loi est adopté.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à quinze heures :

Questions au Gouvernement sur des sujets européens ;

Débat sur la politique nationale en matière d’enseignement supérieur ;

Discussion, sur le texte de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly