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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 02 mars 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Départ de Mme la secrétaire générale de l’Assemblée et de la Présidence

M. le président

2. Questions au Gouvernement

Égalité professionnelle et salariale entre femmes et hommes

Mme Marie-Jo Zimmermann

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Plan d’urgence pour l’emploi

M. Yves Goasdoué

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Crise agricole

M. François Rochebloine

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Gaz de schiste

Mme Michèle Bonneton

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat

Euro 2016

M. Henri Jibrayel

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Crise agricole

M. Gérard Menuel

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Réorganisation de Michelin

Mme Odile Saugues

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Lutte contre la radicalisation religieuse

Mme Laurence Arribagé

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Investissement ferroviaire

M. Philippe Duron

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Interdiction de la chasse à la glu

M. Julien Aubert

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat

Crise agricole

M. André Chassaigne

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Politique culturelle

M. François de Mazières

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication

Avenir de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales

Mme Béatrice Santais

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Mal-logement des enfants

Mme Gilda Hobert

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Politique carcérale

M. Philippe Goujon

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. David Habib

3. Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Discussion des articles

Article 7 (appelé par priorité)

Mme Marietta Karamanli

M. Jean Lassalle

M. Jean-Luc Laurent

Article 9 (appelé par priorité)

Mme Marietta Karamanli

Article 10 (appelé par priorité)

Article 17 (appelé par priorité)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Amendements nos 3 , 161 , 429

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Amendements nos 534 , 430 , 535

Après l’article 17 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 231 , 232 , 233 , 330 , 11 rectifié , 329 , 556 , 162 , 401 rectifié

Article 18 (appelé par priorité)

Amendements nos 2 , 148 , 163 , 248 , 431 , 459 , 509 , 557 , 548 , 207 , 261 , 449 , 537 , 536

Suspension et reprise de la séance

Amendements nos 72 , 136 , 257 , 53 , 579 rectifié , 580 (sous-amendement) , 333 , 141 , 367 , 164 , 512 , 453 , 565, 566 (sous-amendements) , 142 , 165 , 511 , 54, 78, 234 , 542 , 206 , 513

Après l’article 18 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 106 , 107

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Départ de Mme la secrétaire générale de l’Assemblée et de la Présidence

M. le président. Mes chers collègues, je tiens à remercier, en votre nom à tous, Mme Corinne Luquiens, notre secrétaire générale, qui participe aujourd’hui à sa dernière séance de questions au Gouvernement avant de rejoindre, dans les jours qui viennent, à la suite du vote émis en commission des lois, le Conseil constitutionnel.

M. Philippe Briand. Ce n’est qu’un au revoir !

M. le président. Je la remercie pour les années de service et l’énergie qu’elle a consacrées à la bonne marche de notre assemblée. En votre nom à tous, je lui souhaite bon vent dans ses nouvelles fonctions. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Égalité professionnelle et salariale entre femmes et hommes

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour le groupe Les Républicains.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le Premier ministre, le 8 mars prochain, nous célébrerons une nouvelle fois la journée de la femme. C’est l’occasion de rappeler que, depuis des décennies, un travail considérable a été engagé pour faire évoluer le statut de la femme, notamment avec la parité en politique. Toutefois, il est encore plus important de faire progresser l’égalité dans la vie au quotidien, avec une réelle égalité professionnelle et salariale.

En la matière, deux lois importantes ont marqué une évolution. Tout d’abord la loi du 9 mai 2001, initiée par Catherine Génisson, a mis en place un outil indispensable : le rapport de situation comparée, qui permet de prendre en compte tous les éléments relatifs à l’égalité salariale lors des négociations professionnelles. Ensuite, la loi du 27 janvier 2011, proposée par Jean-François Copé et moi-même, qui ciblait l’égalité dans l’évolution des carrières, a pleinement porté ses fruits car, en peu de temps, la part des femmes dans les conseils d’administration des grandes sociétés a quasiment doublé.

Il est malheureusement nécessaire d’engager un nouveau combat pour l’égalité salariale, car la loi Rebsamen d’août 2015, relative au dialogue social, a complètement marginalisé le rapport de situation comparée. Celui-ci a en effet été intégré dans la base de données unique, ce qui le vide de tout son sens, car il est noyé dans l’ensemble des informations du dialogue social et ne peut être pris en compte directement. C’est tout simplement un recul de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Monsieur le Premier ministre, c’est bien de l’égalité réelle qu’il est ici question. Puisque vous avez créé un ministère de l’égalité réelle, il faudrait maintenant que les actes soient en conformité avec les promesses. Pouvons-nous espérer que, dans le projet de loi réformant le code du travail, dont la présentation a été reportée, le rapport de situation comparée retrouve toute sa place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, avec la loi du 17 août 2015 sur le dialogue social et l’emploi, le législateur a souhaité, comme vous l’avez dit, transférer l’ensemble des données transmises au comité d’entreprise dans la base de données unique. Parmi ces données figurent celles qui sont contenues dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes.

Pourquoi ce choix ? Parce qu’il était clair que l’existence de nombreux rapports distincts ne permettait pas un dialogue social vivant et solide au sein des entreprises. Avec la base de données unique, le comité d’entreprise est désormais beaucoup mieux outillé pour remplir dans les meilleures conditions ses attributions en termes d’information et de consultation.

Vous souhaitez aujourd’hui revenir sur cette évolution voulue par le législateur, en faisant du rapport de situation comparée un document à part. Permettez-moi de vous rassurer : toutes les informations contenues dans le rapport de situation comparée, je dis bien toutes, ont été transmises à la base de données unique. Il n’y a donc aucune perte d’information pour le comité d’entreprise. Je tiens à le souligner, car il s’agit d’un point essentiel.

Nous pouvons, bien sûr, travailler à en améliorer la lisibilité. Laissons donc à cette disposition, qui, je le rappelle, a été promulguée le 17 août dernier, le temps d’entrer pleinement en vigueur. Nous en ferons alors une évaluation précise, à laquelle je suis tout à fait disposée à ce que vous soyez associée, si vous le souhaitez.

J’entends l’ensemble de vos préoccupations et vous pouvez, bien sûr, compter sur moi pour que le combat pour l’égalité professionnelle entre femmes et hommes avance dans le monde du travail, mais aussi en politique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Paul Molac. Très bien.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Parfait !

Plan d’urgence pour l’emploi

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Goasdoué. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la ministre, avant toute chose, je souhaite vous témoigner de l’amitié de l’ensemble des membres de notre groupe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Notre majorité a, depuis 2012, fait de l’emploi sa priorité absolue – c’est bien normal. Cette priorité, nous l’avons portée avec volonté. Emplois d’avenir, baisse de l’euro, plan Juncker, nouvelle France industrielle : de nombreux leviers ont été actionnés pour permettre à notre système productif de relancer l’emploi.

À cet égard, une nouvelle étape importante a été franchie avec le plan d’urgence pour l’emploi annoncé par le Président de la République au mois de janvier. Deux dimensions mobilisent particulièrement employeurs, salariés, services de l’État et professionnels de l’emploi : tout d’abord, la prime à l’embauche de 4 000 euros pour les TPE et les PME employant un nouveau salarié – ce coup de pouce est apprécié – ; ensuite, bien entendu, le doublement du nombre de formations proposées aux demandeurs d’emploi, particulièrement dans les secteurs en tension qui ne trouvent pas d’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi.

Madame la ministre, alors que toutes les énergies dans nos départements se mobilisent pour assurer la réussite du plan, quel bilan faites-vous aujourd’hui de sa mise en œuvre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je vous remercie tout d’abord pour votre message de soutien : sachez que la seule chose qui pourrait m’affecter, ce serait l’inertie pour notre pays !

Je souhaite vous répondre précisément sur le plan relatif à la formation. Annoncé par le Président de la République le 18 janvier dernier, il repose sur deux grands principes, deux axes majeurs. Tout d’abord, accélérer la création d’emplois : tel est le sens de l’aide « Embauche PME » qui a été mise en place il y a un peu moins d’un mois. Je tiens à dire à l’ensemble de l’Assemblée que près de 40 000 employeurs ont fait une demande d’aide : cette aide est donc suffisamment lisible, visible et trouve un écho particulièrement favorable, notamment dans les TPE. Il était essentiel de faire aujourd’hui ce point d’étape.

Deuxième angle : les 500 000 actions de formation supplémentaires. Je tiens à saluer la nomination de Clotilde Valter à mes côtés, dont ce sera l’une des missions essentielles. Cette semaine – je tenais à le rappeler ici car c’est passé un peu inaperçu –, nous avons officiellement lancé le plan « 500 000 formations supplémentaires ». (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Lundi, nous étions avec l’ensemble des présidents de région et avec les partenaires sociaux. Nous avons trouvé des modalités de travail très concrètes avec les présidents de région dans le cadre de leurs compétences en matière de formation professionnelle. Les régions volontaires coordonneront donc le plan au niveau régional : c’est essentiel.

Qu’avons-nous fait depuis un mois et demi ? Nous avons recensé tous les besoins, secteur par secteur, bassin d’emploi par bassin d’emploi ; nous avons, à partir de là, mobilisé tous les engagements de la formation professionnelle. Sachez que ce plan est en route depuis le 1er mars – nous en ferons une évaluation particulièrement précise –, ce qui permettra de répondre au problème des peu ou pas qualifiés dans notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Crise agricole

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. J’associe à ma question notre collègue Thierry Benoit, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. François Rochebloine. Je sais qu’il va très bien et qu’il nous regarde cet après-midi.

Monsieur le Premier ministre, M. le ministre de l’agriculture a affirmé, ce matin, qu’il devait désormais « convaincre les libéraux de la nécessité de réguler ». Avec la venue au salon de l’agriculture du commissaire européen Phil Hogan, il aura donc tout à l’heure l’opportunité de révéler tous ses talents de persuasion – mal exploités jusqu’à présent, malheureusement.

Nos agriculteurs doivent en effet bénéficier de prix rémunérateurs. Malheureusement, depuis le début de la crise agricole, de nombreux acteurs de la chaîne alimentaire ne jouent pas le jeu de la responsabilisation, cachés derrière le poids de décisions publiques parfois lourdes de conséquences.

M. Philippe Vigier. C’est vrai !

M. François Rochebloine. Alors oui, monsieur le Premier ministre, la suppression des quotas laitiers a été mal anticipée. Mais, plutôt que de se dissimuler inlassablement derrière l’argument désormais bien connu du « C’est pas ma faute ! », vous avez les moyens d’agir.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. François Rochebloine. La suppression des quotas laitiers profite aujourd’hui à de nombreux industriels, peu scrupuleux, qui n’hésitent pas, eux, à s’entendre sur les prix ! Ce sont eux qu’il faut responsabiliser car ils ont, en grande partie, remodelé notre agriculture, l’entraînant dans une crise désormais durable.

Le producteur ne doit pas être l’unique variable d’ajustement dans ce système : il doit au contraire, monsieur le ministre, en être le cœur. Mais comment peut-il encore se faire une place dans un marché totalement déconnecté des réalités et dirigé par les diktats de la grande distribution ?

Pire, votre politique nationale est difficilement compréhensible, à l’image de ce qu’il se passe en ce moment avec le projet de loi relatif à la biodiversité, qui ajoute, de manière insidieuse, de nouvelles normes à nos agriculteurs…

M. le président. Merci, monsieur le député !

La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Je souhaite tout d’abord m’associer à vos vœux de prompt rétablissement de Thierry Benoit : s’il nous regarde, le ministre lui adresse tous ses vœux de prompt rétablissement !

Vous avez évoqué mes propos sur les libéraux : ces derniers ont pour principe de considérer que le marché doit finir par régler les problèmes qui se posent. Il se trouve qu’en agriculture, le marché, alors que nous sommes déjà en excédent de production, a conduit à des baisses de prix, et que ces baisses de prix suscitent chez certains l’idée qu’il faut, pour compenser la baisse, continuer à augmenter la production. Or si on continue comme cela, les prix poursuivront leur baisse et la production continuera d’augmenter : c’est insoutenable !

Ce n’est pas le ministre socialiste de l’agriculture qui le dit : un comité d’experts du lait, au niveau de la Commission européenne, affirme également que cette situation est insoutenable.

Vous avez ensuite évoqué un certain nombre de pistes. Vous avez constaté que nous avons, avec le Premier ministre, mis la pression sur les industriels et sur la grande distribution. Dans ces négociations, chacun se renvoie la balle en disant d’un côté « C’est la grande distribution ! » et de l’autre « Ce sont les industriels ! » – résultat des courses : ce sont les agriculteurs qui payent !

M. Christian Jacob. C’est peut-être parce que le ministre est absent de Bruxelles !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il y a donc un moment où il faut agir et c’est ce que nous avons fait. Ainsi que les producteurs laitiers l’ont dit ce matin, il y a eu des négociations, sur lesquelles nous avons mis l’accent pour arrêter la baisse des prix. Il semble aujourd’hui, pour les informations que j’en ai – il faudra bien vérifier tout cela, aussi je le dis avec prudence –, que cette baisse continue des prix a été stoppée : c’est un point important.

Mais il faut poursuivre et tenter d’avancer à l’échelle européenne. C’est tout le travail qui est engagé depuis le 14 février, quand j’ai obtenu cette discussion sur la crise, et qui aboutira le 14 mars à un Conseil européen où la Commission européenne devra faire des propositions qui, dans ce domaine, doivent rejoindre ce que la France propose depuis le mois de septembre 2015.

M. Christian Jacob. Il faudrait pour cela que le ministre soit présent à Bruxelles !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Voilà, monsieur le député, les objectifs que nous nous fixons et sur lesquels nous devons aboutir. Le commissaire européen rencontrera cet après-midi toutes les organisations professionnelles.

Gaz de schiste

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour le groupe écologiste.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer.

Dimanche à Barjac, dans le Gard, environ 15 000 personnes se sont rassemblées pour affirmer leur opposition aux gaz et huiles de schiste. Cette grande mobilisation citoyenne a eu lieu un mois après l’annulation par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise de l’abrogation du permis dit « de Montélimar » concernant 4 327 kilomètres carrés. Délivré en mars 2010, il avait été abrogé en octobre 2011 sur le fondement de la loi du 13 juillet 2011.

Votre ministère a fait appel : nous en prenons acte avec satisfaction.

La loi de juillet 2011 est ambiguë : elle interdit tout recours à la technique de la fracturation hydraulique, mais pas l’exploitation des gaz et huiles de schiste bien qu’à ce jour aucune technique alternative n’existe. Mon département, l’Isère, était lui aussi concerné par un permis rejeté en 2012, portant sur une surface de 5 800 kilomètres carrés, soit cinquante fois la surface de Paris. Et bien d’autres départements et régions sont concernés, du nord à la Méditerranée en passant par la région parisienne, l’Essonne, le Val-de-Marne, etc…

Outre qu’elle porterait atteinte aux paysages et polluerait l’eau, l’air et les sols, l’extraction ne ferait qu’augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Après le vote de la loi de transition énergétique et le succès de la COP21, il serait incohérent de s’engager dans la voie d’une exploration de ces hydrocarbures. Il est impératif de développer les sources d’énergie renouvelable.

Madame la ministre, les écologistes vous demandent si vous entendez réviser la loi de juillet 2011 et engager la nécessaire réforme du code minier afin de renoncer définitivement à toute exploitation des hydrocarbures non conventionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Madame la députée, j’ai en effet fait appel au nom du Gouvernement de cette décision, pour trois raisons.

Premièrement, la fracturation hydraulique est interdite et il était important de réaffirmer ce principe. Deuxièmement, par la loi sur la transition énergétique, promulguée en août dernier, la France s’est engagée à réduire son recours aux énergies fossiles et à monter en puissance sur les énergies décarbonées, notamment sur les énergies renouvelables. Par conséquent il y a une contradiction entre l’autorisation de rechercher des énergies fossiles et l’engagement que nous avons pris de réduire à la fois la production et la consommation d’énergies fossiles.

La troisième raison est que pour respecter cette cohérence il faut maintenant inciter les entreprises qui en ont les moyens à investir dans les énergies renouvelables parce que c’est ainsi qu’elles créeront le plus d’emplois et qu’elles pourront conquérir des marchés mondiaux.

Par conséquent je vous réponds positivement : cette interdiction sera présente dans le code minier qui sera présenté avant la fin de ce semestre. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Euro 2016

M. le président. La parole est à M. Henri Jibrayel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Henri Jibrayel. Monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, dans cent jours, vendredi 10 juin, l’Euro 2016 démarrera par un match entre la France et la Roumanie. À un moment où l’Europe doute de son destin, le football reste un ciment. Cette grande fête populaire rassemblera vingt-quatre nations du vieux continent.

Chers collègues, les grands rendez-vous internationaux qu’ils soient sportifs ou non, permettent toujours à la France d’être au rendez-vous de son histoire. Récemment encore, au travers de la COP21, nous avons démontré notre capacité à organiser de grands événements, porteurs de sens et de valeurs. L’Euro 2016 ne dérogera pas à la règle et nous espérons tous que les Bleus nous feront vivre des moments aussi forts et beaux que lors de l’Euro de 1984 et de la Coupe du monde de 1998.

Dix sites accueilleront l’Euro 2016 : Bordeaux, Lens, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Saint-Denis, Saint-Etienne, Toulouse. Sur les territoires concernés, du 10 juin au 10 juillet, les pouvoirs publics seront aux côtés des organisateurs, des collectivités, des associations, des habitants et des supporters pour que la fête se passe dans les meilleures conditions. C’est vrai en matière de sécurité, mais aussi d’attractivité territoriale, d’emploi, de tourisme et d’animation.

Monsieur le ministre, à cent jours du coup d’envoi de l’Euro, comment l’État mobilise-t-il les énergies pour réussir ce grand rendez-vous ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Effectivement, monsieur le député, la France va organiser cette année la quinzième édition de l’Euro, du 10 juin au 10 juillet.

C’est une compétition hors normes : troisième compétition la plus suivie au monde, 24 équipes en compétition dans 51 matchs, 2,5 millions de billets vendus, 7 millions de personnes attendues dans les « fans zones », 2 milliards de chiffre d’affaires, 20 000 créations d’emplois dans le cadre de 94 000 missions pendant l’événement.

Cette fête sera d’abord sportive, monsieur le député, et la question de savoir si nous irons jusqu’à la finale relève de M. Didier Deschamps et de l’équipe de France. Mais ce sera aussi une fête sécurisée. Je remercie Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et tous les services de l’État qui seront mobilisés pour protéger les sites, les camps de bases et les fans zones, qui seront ainsi des lieux de fête pour l’ensemble des spectateurs. Je tiens aussi à saluer l’action des dix villes hôtes que vous avez citées pour la mobilisation de services de sécurité privée qui viendront conforter notre offre en la matière.

Cette fête sera aussi une fête pour les quartiers et pour les territoires ruraux puisque, dans le cadre du programme « Tous prêts ! », nous allons offrir 20 000 places à des jeunes sur l’ensemble du territoire national. Quatre cents projets ont déjà été valorisés.

Monsieur le président, monsieur le député, la fête sera réussie, en tout cas tout est fait pour y parvenir, et elle sera un élément majeur de la réussite de la candidature de Paris aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Crise agricole

M. le président. La parole est à M. Gérard Menuel, pour le groupe Les Républicains.

M. Gérard Menuel. Monsieur le président, ma question s’adresse au ministre de l’agriculture.

Avant de la poser, en cette semaine du Salon de l’agriculture, je veux, comme l’ensemble de mon groupe, saluer la qualité de la présentation de « la Ferme France » et, à travers elle, tous les exposants et en particulier ces paysans qui concourent à la richesse nationale, à l’entretien de nos territoires, avec tellement de passion, de courage et d’engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre, une grande partie des filières agricoles françaises présentes sur ce salon sont en crise. Des charges plus élevées que chez nos voisins européens, des prix en forte baisse comme celui du porc qui passe en quelques mois de 1,40 euro à moins de 1,20 euro, le lait à 27 centimes le litre, le prix des céréales à la production en forte baisse : cette situation nécessite, monsieur le ministre, que vous soyez au combat au sein de l’Europe, mais aussi en agissant au niveau national.

À chacune des questions que mes collègues ne manquent de vous poser au fil des semaines, vous répondez trop rarement sur le fond et trop souvent en revisitant l’histoire de la politique agricole commune.

Agissez et répondez aux besoins présents, mettez en œuvre les moyens de remédier à cette situation insoutenable et tournez-vous vers l’avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Et, parmi les nombreuses actions qui sont à engager, comme la baisse des charges, la clarification de l’origine des produits avec un étiquetage clair et beaucoup d’autres encore, il y en a deux qui peuvent alléger une paperasserie de plus en plus abondante, très coûteuse en énergie et en investissement.

Premièrement, êtes-vous prêt à mettre fin, ou à alléger, les surtranspositions en agriculture, qui touchent en particulier le secteur environnemental et les bâtiments d’élevage ?

La deuxième question est tout aussi précise : dans une exploitation agricole, le compte pénibilité est et sera impossible à appliquer. C’est méconnaître le métier que d’affirmer le contraire. Allez-vous revenir sur ce compte pénibilité en agriculture ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Pierre Lellouche. Fossoyeur de l’agriculture !

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez souligné la qualité de la « Ferme France » et ici, je le sais, personne ne la mettra en cause. Chacun la saluera et c’est bien normal : la passion des agriculteurs, c’est d’abord leur capacité à être fiers de leur métier.

Vous avez ensuite posé les questions habituelles pour savoir si je m’étais mobilisé au niveau européen. Vous oubliez, monsieur le député, de rappeler que si au mois de septembre il y a eu un conseil extraordinaire et 500 millions d’euros de débloqués, c’est à la demande de la France. S’il y a eu un conseil lui aussi extraordinaire pour discuter de la crise le 14 février, c’est à la demande de la France. Et s’il y a un conseil le 14 mars avec des propositions de la Commission, ce sera également à la demande de la France.

Vous avez rappelé, à juste titre d’ailleurs, que nous avions pris des mesures avec le Premier ministre, se traduisant par une baisse des cotisations sociales sans précédent. Vous avez raison. J’ai d’ailleurs entendu ce matin un ancien président de la République qui semblait revenir à la TVA sociale. Je rappellerai les chiffres : à mon arrivée, à peine 700 millions d’euros de baisse des cotisations sociales ; à la fin 2016, ce seront 3,2 milliards d’euros de baisse des cotisations sociales dans le secteur agricole. Vous parlez d’agir : voilà des chiffres clairs.

De la même manière, sur le plan de soutien à l’élevage, vous oubliez ce qui a été mobilisé : plus de 400 millions d’euros, qu’il s’agisse des aides, des allègements de charges ou de la Mutualité sociale agricole. Ce sont 25 000 dossiers qui ont été traités sur les 40 000 ouverts depuis octobre 2015. Là aussi, c’est de l’action.

Enfin, vous avez évoqué deux points, dont les surtranspositions.

Aucune surtranposition de norme, monsieur le député, n’a été faite depuis que j’assume ces responsabilités. Allez regarder un peu avant, peut-être ! Les normes d’aujourd’hui sont celles qui ont été décidées par d’autres.

S’agissant enfin de la pénibilité, ce qui a été parfaitement identifié comme une difficulté fait que c’est sur la base de contrats liés aux branches, et globalement non applicables à l’exploitant agricole, que sera mise en œuvre cette réforme.

Réorganisation de Michelin

M. le président. La parole est à Mme Odile Saugues, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Odile Saugues. Ma question s’adresse à monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la Manufacture Michelin a fait hier l’annonce d’un plan social d’entreprise qui touche 494 postes à Clermont-Ferrand, sans aucun départ contraint. Il se traduira dans l’ingénierie, car c’est la fin d’une forte période d’expansion industrielle, mais aussi par la suppression de l’atelier de rechapage de La Combaude à Clermont-Ferrand, dont je connais tout le savoir-faire pour y avoir travaillé longtemps – soit la suppression de 330 postes d’agents, collaborateurs et cadres.

Cet atelier ne travaillait plus qu’à 62 % de sa capacité, suite à l’arrivée sur le marché des pneus chinois mono-vie. Mon questionnement est double.

Je vous demande, monsieur le ministre, d’accorder au plan social d’entreprise de Clermont-Ferrand toute votre attention afin qu’il se déroule dans de bonnes conditions de dialogue social, en prenant exemple sur ce qui s’est passé à Roanne.

Par ailleurs, sachant que l’industrie du rechapage représente 18 000 emplois en Europe et que Michelin n’est pas le seul manufacturier touché par ce tsunami, la technique du rechapage est très vertueuse sur le plan environnemental, non seulement en termes d’émissions de dioxyde de carbone mais aussi parce qu’un pneu rechapé représente 50 % d’économies par rapport à un pneu mono-vie, si on considère le poids de la matière première et le coût du recyclage en fin de vie.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, de veiller à ce que les pneus chinois respectent les règles européennes, non seulement pour la santé de nos concitoyens, mais aussi pour que l’Europe, qui a perdu 1 800 emplois depuis 2011 dans le marché du rechapage, ne continue pas sa descente aux enfers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Face à la Chine, que faites-vous, monsieur Macron ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, vous avez raison de rappeler l’importance, pour le site productif France, du groupe Michelin. Depuis 1863, ce groupe est l’un de nos fleurons industriels. Il représente encore 20 000 emplois sur notre territoire et c’est un groupe engagé dans l’industrialisation française, qui a toujours géré ses réorganisations de manière exemplaire. Je tiens à le dire ici, parce que c’est suffisamment rare pour être mentionné.

Quelle est la situation aujourd’hui ? Vous l’avez parfaitement décrite : à cause d’une concurrence déloyale chinoise, il faut relever le défi du rechapage à chaud, qui est une activité écologique, vous l’avez rappelé également, puisqu’elle est moins polluante que la production de pneus et se révèle plus intéressante sur le plan des émissions.

Face à ce défi, face aux prix cassés, nous allons conduire les actions qui conviennent au plan européen. Nous allons aussi agir en matière de standardisation, pour que les standards français, qui sont de meilleure qualité, soient défendus. Et avec le groupe Michelin, nous allons réorganiser les choses de manière harmonieuse.

M. Pierre Lellouche. Des emplois sont détruits !

M. Emmanuel Macron, ministre. D’abord, ces 330 réorganisations de poste à La Combaude et ces 164 postes d’ingénierie ne sont pas des licenciements secs : ce sont des départs à la retraite et des reclassements, en particulier sur les différents sites de Clermont-Ferrand. Il n’y aura donc pas de licenciements.

M. André Chassaigne. Mais des pertes d’emploi !

M. Emmanuel Macron, ministre. En outre, le groupe Michelin confirme sa volonté d’industrialiser le site France. Comment ? En développant le site d’Avallon dans l’activité de rechapage. Il sera renforcé et c’est une bonne chose. (Interruptions sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lellouche. Parlez-nous donc de la Chine !

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous l’avez dit vous-même, en raison de cette concurrence déloyale, le taux d’utilisation du site de rechapage était tombé à 60 %. C’était insatisfaisant. On se réorganise donc : 90 millions d’investissements de Michelin sur les sites de production français, dont celui de La Combaude, et 400 emplois nouveaux sur le site dans les trois prochaines années.

Le site productif France est donc défendu et Michelin se montrera à la hauteur de ses engagements, nous y veillerons.

Lutte contre la radicalisation religieuse

M. le président. La parole est à Mme Laurence Arribagé, pour le groupe Les Républicains.

Mme Laurence Arribagé. Monsieur le ministre de l’intérieur, en 2015, plus de 8 000 personnes, dont 1 600 mineurs, ont fait l’objet d’un signalement pour radicalisation. Ce chiffre est deux fois plus élevé qu’en 2014.

Qu’elle frappe sur internet, dans le milieu carcéral, dans les lieux de culte ou au sein même de nos villes et des associations, notamment sportives, la radicalisation est complexe à appréhender. Tous les visages de la France peuvent être touchés. Nous avons tous été bouleversés par les témoignages de ces parents désespérés dont les enfants ont été enrôlés à leur insu.

Dans mon département, en Haute-Garonne, 200 individus font l’objet d’un suivi, soit parce qu’ils sont déjà radicalisés, soit parce qu’ils sont en voie de l’être. Parmi eux, en 2015, 30 mineurs ont fait l’objet d’enquêtes et d’un suivi spécifique par le juge des enfants. Le préfet et le procureur de la République rappellent fréquemment cette triste réalité : Toulouse fait face à une radicalisation grandissante et inquiétante.

Confronté à de tels chiffres, très préoccupants, votre Gouvernement reconnaît l’urgence de mettre en place une protection efficace de nos concitoyens, notamment à l’approche de grands événements populaires tels que l’Euro 2016.

À Toulouse et dans sa région, nous connaissons le visage du terrorisme – et permettez-moi de penser une nouvelle fois ici aux victimes de ces actes innommables.

Monsieur le ministre, au-delà des exigences de sécurité, la lutte contre la radicalisation, en particulier de la jeunesse, doit devenir un chantier national prioritaire. Aussi, pouvez-vous détailler concrètement les actions envisagées par le Gouvernement pour endiguer ce phénomène alarmant qui s’enracine au sein de nos écoles, de nos prisons, sur internet, dans les lieux de cultes et dans les milieux associatifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la députée, la question que vous posez est absolument centrale dans la lutte antiterroriste. Nous avons pris un grand nombre de mesures s’agissant du renforcement des forces de sécurité, et des moyens supplémentaires ont été donnés à nos services de renseignement. Mais notre action en matière de sécurité n’aura pas l’impact attendu si nous n’engageons pas des actions structurelles dans le domaine de la déradicalisation.

Vous me demandez d’être précis. Premier point : nombre de jeunes se radicalisent sur internet, comme nous l’avons vu à Marseille où un jeune lycéen s’en est pris à un enseignant d’une école juive suite à une auto-radicalisation sur le web.

Afin de faire face à une telle situation, nous avons instauré le blocage administratif des sites, nous avons engagé une relation très étroite avec les grands opérateurs internet américains, avec lesquels nous définissons des modalités de retrait des contenus, vidéos, sites et blogs illicites. Nous avons également mis en place un site, Stop-djihadisme…

M. Pierre Lellouche. Tu parles !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …qui mobilise les familles – Mme la ministre Laurence Rossignol est très impliquée dans ce dossier – et vise à prévenir la radicalisation des jeunes.

Deuxième point : avec le garde des Sceaux, nous avons envoyé il y a quelques mois une circulaire à l’ensemble des préfets et des procureurs de la République afin que, après que des jeunes ont été signalés sur la plateforme gérée par le ministère de l’intérieur, tous les services de l’État au sein des territoires puissent se mobiliser pour mettre en place des dispositifs individualisés de déradicalisation en fonction de chaque territoire et de chaque profil.

Troisième point : il est absolument indispensable que nous mobilisions les musulmans eux-mêmes. La semaine prochaine, nous mettrons en place une instance de dialogue avec les représentants du culte musulman pour engager ces derniers dans cette action de déradicalisation. Ils sont très partant pour cela, ils ont signé une charte qui les engage, nous aurons de bons résultats.

J’ajoute que l’installation de deux centres de déradicalisation est prévue, l’un pour des jeunes qui s’y rendraient volontairement, l’autre pour ceux qui rentreraient de Syrie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Investissement ferroviaire

M. le président. La parole est à M. Philippe Duron, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Duron. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, le 26 mai dernier, la commission TET d’Avenir vous remettait son rapport sur l’état et les perspectives des Trains d’Équilibre du Territoire, plus communément appelés « Intercités », qu’empruntent chaque jour une centaine de milliers de Français. Elle vous alertait notamment sur le vieillissement d’un matériel frappé d’obsolescence et sur la dégradation de la qualité du service et de la ponctualité de ces trains, qui cause des désagréments et provoque l’irritation des usagers. Ce rapport appelait également votre attention sur l’hétérogénéité de ces trains d’équilibre du territoire qui rend difficile la définition d’une offre lisible, cohérente et efficace.

Le modèle économique de ces trains ne cesse de se dégrader depuis près de dix ans et les pertes, qui s’aggravent année après année, ne sont plus supportables, pour la SNCF comme pour l’État. La situation des trains de nuit, qui relèvent de cette catégorie des TET, est tellement préoccupante que leur avenir doit être examiné avec lucidité et responsabilité.

Le rapport faisait des recommandations pour assurer l’avenir des trains Intercités, pour pérenniser des missions d’aménagement du territoire pour lesquelles il n’y a pas d’autre alternative que ces trains, mais également pour maîtriser la trajectoire financière de leur exploitation qui a longtemps brillé par un excellent ratio entre les recettes et les dépenses.

Monsieur le secrétaire d’État, le vendredi 19 février, vous avez annoncé une série de décisions importantes concernant le renouvellement des matériels et la pérennisation de trains de nuit indispensables à des territoires comme le Briançonnais.

Mme Karine Berger. Très bien !

M. Philippe Duron. Enfin, vous avez engagé des négociations avec les régions pour mieux harmoniser l’offre de certains TET et des TER.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous informer la représentation nationale des décisions que vous avez annoncées au nom du Gouvernement en matière de renouvellement du matériel, d’évolution des services Intercités et des trains de nuit, mais également en matière de garanties d’aménagement du territoire ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, les annonces qui ont été faites par le Gouvernement le 19 février s’inscrivent dans la suite des conclusions de la commission que vous avez présidée.

M. Jean Glavany. Vous ne les avez pas toutes suivies !

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Il s’agit d’abord d’un message de confiance en l’avenir des TET, même si le constat que vous avez fait est juste s’agissant de l’hétérogénéité de ces trains et des difficultés financières. Je rappelle que le déficit des trains d’équilibre du territoire est passé de 200 millions en 2011 à 400 millions en 2014 en raison d’une baisse de la fréquentation.

Nous avons décidé de commander de nouveaux matériels pour les lignes structurantes, à hauteur de 1,5 milliard, avec une capacité d’au minimum 200 kilomètres par heure. Nous avons également décidé de commander 30 nouvelles rames, qui s’ajouteront aux 34 qui seront livrées d’ici la fin de 2016 pour les trains Régiolis, qui répondront justement aux nouvelles demandes des territoires. Le Gouvernement délivre donc ainsi un message concret de confiance.

Ensuite, nous avons annoncé des décisions concernant les trains de nuit. La situation est extrêmement simple : leur fréquentation est si faible que ces derniers représentent 3 % de l’ensemble des TET et 25 % des déficits. Chaque fois qu’un voyageur monte dans un train de nuit, l’État doit payer 100 euros. Chacun comprend que, comme les Allemands, nous ne pouvons pas continuer ainsi !

Nous avons garanti le maintien de la ligne pour Briançon et Latour-de-Carol car il s’agit d’aménagement du territoire…

Mme Karine Berger et Mme Anne-Yvonne Le Dain. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. …mais pour le reste, l’État est contraint d’arrêter de financer ces déficits.

M. Yves Censi. Et à Rodez, comment faisons-nous ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Un appel à manifestation d’intérêt sera lancé.

Pour la suite, nous parlerons avec les régions. D’ici le mois de juillet, le préfet Philizot rencontrera les exécutifs, avec lesquels je m’entretiendrai, de même que l’Association des régions de France.

Le message d’espoir que nous avons délivré s’agissant des matériels portera aussi sur les dessertes. Rationalisation et confiance : ce Gouvernement croit à l’avenir du ferroviaire ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Paul Molac. Très bien.

Interdiction de la chasse à la glu

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe Les Républicains.

M. Julien Aubert. Monsieur le Premier ministre, un nouveau secrétaire d’État en charge de la biodiversité a succédé à Mme Ségolène Royal dans le suivi de la proposition de loi sur la reconquête de la biodiversité, dont l’examen en deuxième lecture a commencé cette semaine à l’Assemblée nationale. Il ne nous a pas échappé que Mme Barbara Pompili était écologiste, mais qu’elle n’avait curieusement pas participé aux débats sur la première version de ce texte. Du coup, nous nous interrogeons.

Comme vous le savez, c’est un amendement déposé en première lecture par une collègue écologiste de Mme Pompili qui a signé l’arrêt de mort d’une tradition ancestrale dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : la chasse à la glu. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Au Sénat, Mme Royal avait déclaré que ces dispositions n’avaient rien à faire dans le texte de loi, car elles avaient trait à la chasse, et non à la biodiversité. Le Sénat est revenu sur l’interdiction hâtive de cet art de capture qui concerne plus de 7 000 chasseurs au poste, tous concentrés dans cinq départements français de notre région.

Je rappelle que la chasse aux gluaux consiste en une capture temporaire d’oiseaux vivants, qui ne sont ni tués, ni blessés. Ils sont relâchés à la fin de la saison de chasse, après avoir servi d’appelant, et ils sont soignés lorsqu’ils sont blessés.

Mme Isabelle Attard. C’est faux !

M. Julien Aubert. Je rappelle par ailleurs que la chasse à la glu a été reconnue comme sélective par la jurisprudence européenne.

M. Jean Glavany. En ce qui vous concerne, il faudrait faire la chasse à la bêtise !

M. Julien Aubert. C’est finalement la même technique que celle employée par le Président de la République pour gluer trois écologistes au gouvernement. (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il ne s’agit pas de tuer politiquement Europe Écologie Les Verts mais de capturer provisoirement certains de ses membres, afin de les relâcher après mai 2017. (Mêmes mouvements.)

Quoi qu’il en soit, l’obsession idéologique contre cette pratique inoffensive est stupéfiante, et c’est pourquoi de nombreux députés de tous les bords de l’hémicycle entendent faire barrage à cette politique néfaste.

Mme Barbara Pompili n’est pas connue spécifiquement pour être très favorable à la chasse, puisqu’elle a déposé une proposition de loi visant à interdire la chasse à courre, à cor et à cri, ainsi que de multiples amendements en ce sens. La question que nous nous posons est donc simple : est-ce que votre gouvernement sera celui qui tuera une tradition multiséculaire de Provence ? Monsieur le Premier ministre, les chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ne sont pas des canards ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Monsieur le député, ce sont les propos d’un grand amoureux de la nature que nous venons d’entendre. Laissez-moi vous dire en toute sérénité, puisque les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat en première lecture ont été particulièrement sereins et respectueux des opinions des uns et des autres, que la loi sur la reconquête de la biodiversité, à laquelle Mme Barbara Pompili s’est attelée, n’est pas une loi pour la chasse, ni contre la chasse.

M. Yves Censi. Bien au contraire !

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement souhaite que ce projet de loi soit à l’abri des polémiques de toute nature et que les pratiques de chacun soient respectées. La chasse est autorisée dans notre pays et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage sera associé à la reconquête de la biodiversité. Les chasseurs – ceux, en tout cas, qui sont respectueux de la nature –…

M. Hervé Mariton. Pourquoi ces propos soupçonneux ?

Mme Ségolène Royal, ministre. …seront également associés à la reconquête de la biodiversité et des paysages.

Je voudrais simplement vous remercier d’avoir évoqué ces pratiques ancestrales, qui feront l’objet de débats au cours des jours qui viennent.

Comme vous le savez, l’amendement dont vous parlez n’a pas encore été débattu en commission en seconde lecture. Je fais toute confiance aux parlementaires pour apporter aux questions que vous soulevez les réponses les meilleures, celles qui seront vraiment dans l’axe de ce projet de loi, lequel fera de la France un pays excellent dans le domaine de la biodiversité, de la reconquête de la nature et des paysages. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Crise agricole

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, je voudrais revenir sur la crise agricole et sur l’angoisse qu’elle provoque dans la paysannerie française. Vous avez déjà apporté, lors de vos réponses précédentes, des précisions sur la limitation des volumes de production : il me semble en effet qu’il s’agit là d’un point central et qu’il importe de réguler les productions agricoles. Vous avez également abordé la question de la compétitivité, mais chacun reconnaît aujourd’hui que la compétitivité est une course sans fin, car on trouvera toujours plus compétitif que nous.

Je me réjouis donc que le monde agricole en vienne enfin à la véritable question de fond, celle du prix à la production, payé au producteur.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. André Chassaigne. Aborder cette question de fond, c’est abandonner le parapluie de l’eurocompatibilité : cet argument est trop souvent utilisé pour ne pas mettre en œuvre une politique française dans le domaine agricole. Je pense en particulier aux effets pervers de la loi de modernisation de l’économie – LME –, que nous appelions à l’époque la loi « Michel-Édouard ». L’opposition de gauche s’est opposée à cette loi il y a huit ans et, par la suite, des rapports parlementaires, notamment celui de MM. Patrick Ollier et Jean Gaubert, ont souligné à quel point cette loi pouvait avoir des effets pervers.

Il importe aujourd’hui de revenir sur cette loi, et pas seulement pour y faire des aménagements techniques à la marge. Nous devons fabriquer de nouveaux mécanismes législatifs qui permettent, d’une part de s’attaquer aux marges tout au long de la filière – celles prises par les transformateurs comme par les distributeurs – d’autre part, de fixer un prix plancher qui permette de garantir un revenu à nos paysans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez déjà souvent évoqué ces questions lors de nos débats à l’Assemblée nationale. Vous avez souvent évoqué aussi le fameux coefficient multiplicateur, qui permettrait, à partir d’un prix de base, de calculer le prix final pour le consommateur.

Nous sommes dans une économie de marché. Prenons l’exemple du lait : la France produit chaque année 24 à 25 milliards de litres de lait, dont 8 milliards sont exportés. Il importe donc de trouver un équilibre entre notre capacité à être présents sur les marchés internationaux, avec des produits qu’il faut sans cette monter en gamme, et la nécessité de mieux organiser notre marché national. Pour cela, nous renforçons la traçabilité et certifions l’origine de nos produits, avec les labels « Viandes de France », « Lait de France », « Fleurs de France », « Miel de France », que nous sommes en train de mettre au point pour assurer un débouché.

À cela s’ajoute le débat sur la LME et la négociation entre grands distributeurs et industriels. Or, dans cette négociation, dans ce dialogue, il y a un troisième partenaire qui n’est jamais pris en compte, alors même qu’il devrait avoir une place essentielle dans cette discussion : le producteur. C’est pourquoi nous proposerons, au moment de l’examen de la loi Sapin, que dans cette négociation commerciale entre grands distributeurs et industriels soit enfin prise en compte la conséquence de ces discussions pour le producteur.

Aujourd’hui, vous l’avez vu, chacun peut se renvoyer la balle : la grande distribution en disant que ce sont les industriels qui ne répercutent pas, et les industriels en disant qu’ils sont sous la pression de la grande distribution. Résultat : ce sont toujours les producteurs qui perdent. Michel Sapin, dont nous examinerons bientôt le texte, a très bien dit ce matin que la LME a rendu plus forts ceux qui étaient forts et plus faibles ceux qui étaient faibles. Alors, redonnons de la force aux plus faibles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique culturelle

M. le président. La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Madame la ministre de la culture et de la communication, je vous souhaite la bienvenue dans cet hémicycle.

Depuis quatre ans, la politique culturelle du Gouvernement, c’est le bateau ivre sans l’inspiration du poète. Trois ministres en quatre ans, un record d’instabilité. Une baisse historique des crédits de la culture qui, de 1 % du budget de l’État entre 2010 et 2012 – la gauche en parlait, la droite l’a fait – plongent à 0,8 % en loi de finances pour 2016, malgré une hausse en trompe l’œil due à la rebudgétisation de 110 millions d’euros de l’INRAP – Institut de recherches archéologiques préventives. Un seul projet loi, mal préparé, véritable fourre-tout qui remet en cause les fondements même de la protection du patrimoine. Jack Lang lui-même cria à la catastrophe : alors, au Sénat, machine arrière toute…

Autre incohérence : l’ambition de démocratisation affichée, une belle ambition, a été contredite dans les faits par la suppression des crédits d’État aux conservatoires. Devant notre mobilisation, votre prédécesseur a reconnu une erreur de son prédécesseur. Cela commence à faire beaucoup d’allers et retours, sans parler du peu de succès des pactes culturels annoncés comme une grande offensive culturelle, alors que la réalité est, malheureusement, un tissu local terriblement fragilisé par les coupes sombres faites dans les budgets des collectivités. Et pour achever cette navigation à vue, les directions régionales des affaires culturelles sont déboussolées par la nouvelle carte régionale. Tout ceci manque singulièrement de cohérence et de vision.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour redresser la barre du bateau ivre de la culture au cours des treize mois qu’il vous reste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, vous avez l’air très inquiet et je voudrais vous rassurer devant cette assemblée aujourd’hui.

Vous m’interrogez d’abord sur l’ambition culturelle du Gouvernement. Il est très important de le rappeler aujourd’hui, dans les doutes et la crise que notre pays traverse s’agissant de ses valeurs, et compte tenu aussi des attaques dont il a fait l’objet l’année dernière : plus que jamais, le pays a montré, et le Gouvernement avec lui, son attachement aux valeurs de culture et de partage, notamment en direction de la jeunesse.

M. François de Mazières. Sans financement !

Mme Audrey Azoulay, ministre. Nous devons nous rappeler que c’est la culture qui a été attaquée en premier, que ce soit en France ou à l’étranger. Voilà pour l’ambition générale.

Vous m’avez également interrogée sur les moyens dont nous disposons pour porter cette ambition. Le budget que j’ai la fierté de reprendre est un budget en hausse de 2,7 % et il reste en hausse lorsqu’on intègre la budgétisation de l’INRAP que vous avez évoquée.

M. Sylvain Berrios. Pour les conservatoires, c’est zéro !

Mme Audrey Azoulay, ministre. Ce gouvernement se donne donc les moyens de cette ambition culturelle.

Vous avez évoqué les 450 conservatoires qui, sur le territoire, favorisent la pratique amateur et la pratique professionnelle et changent parfois le destin de nos concitoyens : l’État se réengage cette année dans les conservatoires à hauteur de 8 millions d’euros. Les collectivités locales le savent, l’apprécient et nous en ont remerciés. Nous nous réengageons en faveur des conservatoires qui proposent à la fois une tarification sociale permettant aux familles de venir et des pratiques collectives.

Monsieur le député, j’espère que vous serez rassuré. Vous pouvez compter sur mon engagement en matière de politique culturelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Avenir de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Santais.

Mme Béatrice Santais. Monsieur le ministre de la défense, à l’occasion des débats portant sur le projet de loi de finances pour 2016, un certain nombre de parlementaires ont souhaité appeler votre attention sur la situation de l’Office national d’études et de recherches aérospatiale – ONERA. Cet organisme de recherche public, placé sous votre tutelle, qui a permis à notre industrie aéronautique et spatiale d’atteindre le niveau d’excellence qui est le sien, connaît en effet une situation difficile, notamment soulignée à l’automne 2015 par la Cour des comptes.

J’ai eu l’occasion de vous solliciter, aux côtés de Thierry Repentin, sur la situation particulière de la soufflerie de Modane-Avrieux, en Maurienne. Aujourd’hui, la plus grande soufflerie transsonique du monde, S1, est en danger. En effet, un phénomène géologique provoque un affaissement de la structure qui soutient la soufflerie, ce qui peut entraîner des dégâts irrémédiables si aucun financement n’est engagé pour des travaux urgents de confortement. Le centre d’essais de Modane-Avrieux a participé à tous les grands projets aéronautiques français et européens en expérimentant le Concorde et les différentes générations d’Airbus, ou encore le Mirage et le Rafale, qui font la fierté de notre industrie aéronautique.

Aujourd’hui 20 millions d’euros sont nécessaires pour pérenniser la soufflerie S1 dans un état de fonctionnement optimal et éviter le risque de perdre cet outil essentiel aux prochaines générations d’appareils de transport civil et autres aéronefs militaires. Nous savons par ailleurs que la mise hors-service de cette soufflerie entraînerait inexorablement la fermeture du site de Modane-Avrieux et la disparition de plus de 190 emplois hautement qualifiés, qui représentent une compétence et un savoir-faire uniques en Europe dans ce domaine.

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir nous faire un point sur la situation actuelle de l’ONERA et nous dire si un financement exceptionnel peut être alloué afin de réaliser les travaux de confortement indispensables à la soufflerie de Modane et de pérenniser ainsi ce centre d’études d’une importance stratégique capitale pour notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Madame la députée, le ministère de la défense soutient et continuera de soutenir le maintien des capacités de l’ONERA. Cela a été le cas en 2015 quand, du fait de l’insuffisance de contrats de l’aéronautique civile, mon ministère a décidé d’abonder le budget de fonctionnement de l’ONERA de plus de 9 millions d’euros. Cette décision se prolonge en 2016 par une garantie du budget de fonctionnement à hauteur de 105 millions d’euros, ce qui permet à l’Office de fonctionner et même de reprendre ses investissements.

Sur la question principale, celle du maintien de la soufflerie victime d’un effondrement du sol qui entraîne beaucoup de perturbations, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer et de rencontrer plusieurs élus de Modane. J’ai décidé d’affecter dès la semaine prochaine 20 millions d’euros à la reconstitution du sol, ce qui permettra d’assurer la pérennité de l’activité sur la longue durée. Cette décision importante était essentielle en raison de l’excellence de cet outil unique et de l’enjeu stratégique qu’il représente pour l’industrie aérospatiale française. Je peux donc vous rassurer à cet égard. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mal-logement des enfants

M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Gilda Hobert. Madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, dans notre pays, des enfants dorment dehors ou vivent dans des conditions de logement insalubres. Ils sont victimes de cette injustice parce qu’ils sont migrants, en situation transitoire, mais aussi parce que leur famille, étrangère ou française, affronte précarité et dénuement. Le 115 est débordé. Les associations multiplient leurs actions et effectuent des maraudes à longueur de nuit. Dans son dernier rapport, la Fondation Abbé-Pierre pointe l’accroissement des inégalités relatives au logement.

La plupart des collectivités territoriales font ce qu’elles peuvent pour pallier ces carences. Afin de remédier au manque de places dans les foyers d’hébergement, des chambres d’hôtel sont mises à disposition, mais cette mesure ne couvre pas tous les besoins.

Auditionnée par le comité des droits de l’enfant des Nations unies, l’UNICEF dressait, dans son dernier rapport alternatif à celui de l’État, un bilan globalement négatif. Elle déplorait les rudes conditions de vie auxquelles sont confrontés tant d’enfants dans notre pays. Aussi le comité a-t-il interpellé la France, l’invitant à revoir sa copie en matière de politiques publiques de l’enfance, bien qu’il reconnaisse les importants moyens qu’elle met en œuvre. Hélas, en dépit des efforts déployés, force est de constater que la montée des précarités fait payer à l’enfance et à l’adolescence un cruel tribut. Parmi ses recommandations, le comité des droits de l’enfant des Nations unies invite notre pays à coopérer plus étroitement avec la société civile pour élaborer des politiques publiques de l’enfance pérennes et équitables, mais aussi pour préparer le rapport périodique de l’UNICEF.

Madame la secrétaire d’État, quelles dispositions comptez-vous prendre afin d’instaurer durablement cette collaboration et d’améliorer cette situation désastreuse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Vous avez entièrement raison, madame la députée : la pauvreté des enfants est bien la pire des injustices. C’est la raison pour laquelle la lutte contre ce fléau est une priorité du Gouvernement.

Cela se traduit par la mise en œuvre, depuis un peu plus de trois ans, du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, lancé en janvier 2013. Permettez-moi de citer un chiffre : chaque année, suite aux revalorisations des minima sociaux, 2,7 milliards d’euros sont redistribués aux 2,6 millions de familles les plus démunies en France. Cela représente un versement moyen de 1 000 euros par an et par famille démunie depuis la mise en œuvre de ce plan de lutte contre la pauvreté.

Bien sûr, l’accent a été mis sur les familles avec enfants. En cinq ans, l’allocation de soutien familial réservée aux familles monoparentales sera revalorisée de 25 %, tandis que le complément familial réservé aux familles nombreuses sera revalorisé de 50 %.

S’agissant des familles sans abri, je veux vous rappeler que le plan de lutte contre la pauvreté prévoyait la création de 5 000 places d’hébergement d’urgence. En réalité, plus de 10 000 places ont été créées en 2013, et plus de 10 000 l’ont encore été en 2014. Je ne dispose pas encore du chiffre définitif pour 2015, mais il sera probablement au même niveau. Actuellement, nous remplaçons les nuits d’hôtel par des places d’hébergement pérennes.

Ces actions ont commencé à montrer leur efficacité, puisque le taux de pauvreté a baissé en 2013, pour la première fois en France depuis 2008. C’est en particulier le cas du taux de pauvreté des enfants.

Nous effectuons bien sûr tout ce travail avec les ONG, avec les associations. Il y a quelques jours, Laurence Rossignol a été auditionnée par le comité des droits de l’enfant de l’ONU : les associations et les ONG ont préparé avec elle cette audition, de même qu’elles seront associées au suivi de la situation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique carcérale

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Goujon. Monsieur le garde des sceaux, hier, répondant à notre collègue Élie Aboud sur l’attitude « inacceptable », disiez-vous, d’un détenu qui s’était filmé avec son smartphone, un joint à la main, et avait diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux, vous attendiez de l’opposition des propositions. Merci de cette ouverture d’esprit, à laquelle votre prédécesseur ne nous avait guère habitués ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Ce serait pourtant de salut public, selon votre propre constat. Je vous cite : « Honnêtement, ce que je découvre est pire que ce que je craignais. »

Le syndicat UFAP-UNSA se désole : « Il y a autant de portables en prison que de détenus, mais l’administration est dépassée et laisse faire. » En cinq ans, le nombre de portables en prison a triplé, favorisant les évasions, les pressions sur les victimes, la gestion des trafics, mais aussi la radicalisation.

Puisque vous estimez que « les prisons sont dans un état conforme à celui de la justice » – je vous cite, monsieur le garde des sceaux –, construisez d’abord les 20 000 places manquantes, renforcez les moyens humains et ne conditionnez pas les aménagements de peine au taux d’occupation ! Au lieu de rejeter ma proposition de loi visant à garantir l’isolement électronique des détenus, introduisez dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé l’interdiction légale des portables et d’internet, la systématisation des fouilles et la vidéosurveillance des parloirs ! Systématisez les scanners corporels, les filets anti-projections et les brouilleurs de dernière génération, promis depuis quatre ans ! Enfin, si vous avez accepté notre amendement intégrant le renseignement pénitentiaire dans le second cercle de la communauté du renseignement, permettez aussi l’utilisation des techniques spéciales du renseignement pour localiser et écouter ces appareils !

Monsieur le garde des sceaux, vous êtes à la croisée des chemins. Pour sortir les prisons de leur état de passoire et le pays de la délinquance, il vous faudra renier l’action désastreuse de votre prédécesseur, qui a fait de la prison l’exception et de l’impunité un principe. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Si vous en avez peut-être l’intention, en aurez-vous le pouvoir et l’audace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, j’ai demandé hier à Élie Aboud des propositions. Vous m’en faites : je vous remercie. Vous avez été le rapporteur de la loi qui a créé le contrôleur général des lieux de privation de liberté et votre connaissance du milieu carcéral vous a permis d’aborder en deux minutes cinq sujets : le renseignement pénitentiaire, les aménagements de peine, les constructions de places de prison, la sécurisation des établissements et la systématisation des fouilles. Ce sont autant de sujets sur lesquels il est important que nous puissions débattre.

Comme je veux être précis, je ne peux pas être complet. Je me limiterai donc à deux sujets ; pour le reste, nous continuerons le débat ultérieurement, y compris tout à l’heure lors de l’examen du projet de loi relatif à la procédure pénale.

J’ai déjà dit hier combien je pensais qu’il fallait lutter efficacement contre l’utilisation des téléphones en prison. Depuis la conversation que nous avons eue hier, notamment avec vous, je m’interroge : n’aurions-nous pas intérêt à mener une expérimentation dans une maison d’arrêt, pour permettre l’installation d’un téléphone dans chaque cellule, sous le contrôle de l’autorité, comme le prévoit le code de procédure pénale ? Cela existe déjà dans d’autres pays, et cela fonctionne. Peut-être cela pourrait-il marcher en France, et peut-être pourrions-nous conduire une expérimentation.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. S’agissant de la construction de places de prison, vous avez voté comme législateur, en décembre 2015, une disposition qui prévoit qu’en 2025, 80 % des détenus soient emprisonnés dans des cellules individuelles. Pour cela, il faut construire 12 000 places de prison.

M. Marc Le Fur. Eh oui ! Enfin !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cela coûte 2,5 millions d’euros. Il faudra donc que vous preniez des décisions, et il faudra que nous fassions des propositions.

M. Jean-Louis Dumont. Construisons plutôt des logements HLM !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Parce que ma responsabilité dépasse les quatorze mois durant lesquels je serai garde des sceaux, je ferai des propositions au Premier ministre sur ce sujet. Nous aurons l’occasion d’en reparler, y compris dans le cadre du débat budgétaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. David Habib.)

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (nos 3473, 3515, 3510).

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Je vous rappelle qu’à la demande du Gouvernement, nous examinons par priorité les dispositions qui relèvent de la compétence du ministre de l’intérieur, c’est-à-dire les articles 7, 9, 10, 17 à 21, ainsi que les amendements portant article additionnel après l’article 21, les amendements portant article additionnel avant l’article 32 A, l’article 32 et les amendements portant article additionnel après l’article 32.

Article 7 (appelé par priorité)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, inscrite sur l’article.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le garde des sceaux, madame, monsieur les rapporteurs de la commission des lois, mes chers collègues, avec l’article 7, nous abordons le chapitre relatif aux dispositions améliorant la lutte contre le trafic des armes dont la détention et l’utilisation sont directement liées à la grande criminalité et en particulier aux faits de terrorisme.

La Commission européenne a adopté un cadre nouveau dont les objectifs et les mesures encore en discussion visent notamment à rendre plus difficile l’acquisition d’armes à feu dans l’Union européenne ; à assurer un meilleur suivi des armes à feu détenues légalement ; à renforcer la coopération entre les États membres et à veiller à ce que les armes à feu neutralisées soient véritablement rendues inopérantes sans remise en état possible.

En tant que rapporteure, je présenterai prochainement à la commission des affaires européennes de notre assemblée un rapport sur ces propositions qui sont actuellement en discussion. Mais, d’ores et déjà, je souhaite indiquer que le renforcement de notre législation va dans le sens des mesures projetées et, à certains égards, monsieur le ministre, les a même précédées.

L’article 7 vise à renforcer le contrôle administratif des armes et munitions. Les diverses mesures contenues dans cet article sont complémentaires et s’articulent pour prévenir la détention d’armes dangereuses par des personnes susceptibles de l’être aussi.

L’article 7 propose également d’interdire la détention ou le port d’armes de catégorie B, C et D – soumises à autorisation, déclaration ou même enregistrement – aux personnes condamnées par la justice à ne plus détenir d’armes à autorisation ou ayant été condamnées à la confiscation. Cet élargissement me semble bienvenu.

Il permet aussi aux préfets d’interdire l’acquisition et la détention de ces armes en raison de comportements dangereux d’une personne sans attendre que celle-ci soit en possession d’une nouvelle arme, comme elle en a encore la possibilité.

Toutes ces mesures constituent un ensemble renforçant la cohérence des sanctions pénales avec des décisions administratives de prévention utiles dans un contexte où la circulation des armes augmente en Europe et en France.

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Je me réjouis, monsieur le ministre, qu’un tel texte soit présenté devant notre assemblée dans le contexte que nous connaissons tous, eu égard aux périls auxquels nous avons à faire face et à la montée irrésistible du crime, quel que soit le niveau auquel il se situe.

Je voterai bien entendu ce texte et je salue la possibilité de débat qu’il nous offre ; cela permettra peut-être, d’une certaine manière, de rassurer nos concitoyens.

Cependant, je déplore comme nombre d’entre nous que beaucoup de pays frères d’Europe ne soient pas tous sur la même longueur d’onde. Dès lors, je crains que certaines dispositions que nous pourrions prendre ne puissent être pleinement efficientes.

Enfin, il faudra que, progressivement – et j’espère que le pétrole aura moins d’importance qu’aujourd’hui –, nous cessions de vendre des armes à des pays qui, trop souvent, arment des criminels contre nous – je pense notamment à l’Arabie saoudite et même au Qatar – car sinon nous aurons du mal à y arriver.

Compte tenu de la situation géographique très originale de notre pays, nous devrions peut-être, monsieur le ministre, renforcer davantage les dispositions que nous sommes en train de prendre.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. En m’exprimant sur cet article, je tiens tout d’abord à dire que mon collègue Christian Hutin et moi-même, députés du Mouvement républicain et citoyen, sommes d’accord avec le projet de loi qui est présenté par le Gouvernement. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne ferons pas valoir des amendements au cours du débat.

Cependant, l’économie générale du projet nous semble permettre de faire face aux défis auxquels notre pays est confronté, en offrant des moyens supplémentaires à la police et à la justice, en particulier en termes de procédure. Nous avons en effet besoin d’une police et d’une justice formées, équipées, dotées des moyens nécessaires.

Permettez-moi, messieurs les ministres, de rappeler que le Président de la République avait, dans son discours devant le Congrès, annoncé la mise en place d’un pacte de sécurité. Je souhaiterais que vous nous apportiez quelques éléments d’information concernant son élaboration et sa mise en œuvre.

Par ailleurs, nous aurons l’occasion au cours du débat de présenter quelques amendements visant à aller plus loin en termes de moyens et de procédures à destination de la police et de la justice. Toutefois, je veux souligner, pour le déplorer, que l’article 40 ait été opposé à deux amendements visant à renforcer les sanctions concernant les personnes qui partent ou reviennent de Syrie et d’Irak.

M. Pierre Lellouche. Merci, mon cher collègue !

M. Jean-Luc Laurent. Il faudrait à cet égard aller plus loin, dans l’esprit des recommandations et préconisations issues de plusieurs rapports parlementaires, que nous pourrions reprendre. J’espère que notre discussion permettra de compléter les dispositifs qui nous sont proposés et d’aller plus loin. Mais quoi qu’il en soit, avec Christian Hutin, nous les voterons.

(L’article 7 est adopté.)

Article 9 (appelé par priorité)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, inscrite sur l’article.

Mme Marietta Karamanli. Le volume des armes à feu acquises de façon illégale, en circulation en Europe et en France, est tel qu’il nécessite une action plus déterminée en faveur d’une harmonisation de la législation et de la coordination de la lutte contre la criminalité. Les conflits passés sur le continent européen, la globalisation des filières mêlant les différents trafics avec un même souci de cupidité de leurs organisateurs ou bénéficiaires doivent nous conduire à agir avec plus d’efficacité, ce que nous essayons de faire au moyen de ce projet de loi.

L’article 9 poursuit précisément cet objectif. Il vise aussi à étendre la possibilité de recourir à des techniques et des procédures utilisées pour combattre d’autres trafics et d’arriver ainsi aux trafiquants, aux délinquants, aux criminels en vue de les mettre hors d’état de nuire. Par exemple, autoriser les services de police judiciaire à recourir à la technique dite du « coup d’achat » pour les besoins de la lutte contre le trafic d’armes ayant pour but d’interpeller un receleur et de remonter le trafic. Cette méthode était jusque-là réservée au trafic de drogue.

Il s’agit là d’un outil supplémentaire dans la lutte contre la criminalité organisée. Le recours à cette technique se fera aussi avec l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, en vue de remonter les filières et caractériser pénalement les trafics.

Ainsi, si le champ des techniques de lutte contre la criminalité s’élargit, le cadre légal doit rester et reste, à travers la volonté du Gouvernement, la référence. Celle-ci assure le respect des conditions devant être réunies : finalité légitime, utilité et proportionnalité des moyens, garantie du contrôle en amont et sécurité des poursuites en aval.

À ce titre, l’article 9 constitue une double avancée et l’article 10 complète le dispositif en proposant d’harmoniser les moyens d’investigation engagés dans cette lutte au profit de l’ensemble des services de l’État, en particulier des douanes.

(L’article 9 est adopté.)

Article 10 (appelé par priorité)

(L’article 10 est adopté.)

Article 17 (appelé par priorité)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Avant d’en venir à l’article 17, je souhaite remercier les parlementaires qui viennent de voter les articles 7, 9 et 10, qui sont très importants pour concrétiser ce que nous voulons faire en matière de lutte contre le trafic d’armes. J’en profite pour indiquer que c’est l’un des objectifs prioritaires du Gouvernement. Nous avons demandé qu’au sein de l’Union européenne, on puisse prendre en compte l’urgence de la modification de la directive 91/477 relative aux armes.

Il aura fallu attendre près de dix-huit mois avant que l’Union européenne décide d’engager la modification de la directive 91/477. La décision a été prise le 15 décembre dernier. C’est très important pour lutter contre le trafic d’armes à l’échelle européenne ; c’était une demande française qui se trouve satisfaite.

Nous avons considérablement renforcé la coopération entre les services de police et Europol de façon à être davantage vigilants en matière de vente d’armes sur internet. De fait, la lutte contre la cybercriminalité passe aussi par la lutte contre le trafic d’armes sur internet. Les moyens renforcés dont nous disposerons seront extrêmement utiles à cet égard.

Les dispositions du plan de lutte contre le trafic d’armes présentées au mois de novembre dernier par le ministère de l’intérieur permettront d’être beaucoup plus efficaces dans la traçabilité des armes acquises en France et beaucoup plus transparents dans la mise à jour des fichiers pour identifier plus rapidement ceux qui détiennent des armes, et éviter que celles-ci ne circulent entre de mauvaises mains.

Nous disposons grâce à l’ensemble de ces dispositions et aux mesures que nous venons de voter d’un arsenal de mesures contre le trafic d’armes, efficace et opérationnel. Je tenais à en remercier les parlementaires.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 3, 161 et 429 tendant à supprimer l’article 17.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n3.

M. Sergio Coronado. L’article 17 étend les pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles d’identité. Il introduit la possibilité, pour les officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire adjoints, de procéder, avec l’autorisation du parquet à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules.

La liste des infractions permettant de recourir à ce cadre de contrôles et de fouilles est très large car, contrairement aux affirmations du rapporteur en commission, elle inclut le vol simple et le recel, et pas seulement les crimes. De plus, aucun élément objectivable n’est nécessaire pour demander ce contrôle.

L’utilisation importante des contrôles en France est source régulière de critiques, notamment sur le caractère discriminatoire qu’ils revêtent. Le Défenseur des droits l’a, une nouvelle fois, souligné dans son avis concernant le présent projet de loi. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement identique n161.

M. Pascal Cherki. Dans le cadre de la lutte antiterroriste, je comprends, monsieur le ministre, la nécessité de permettre aux agents de police judiciaire adjoints de procéder, avec l’autorisation du parquet, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages.

Ce qui me gêne dans le libellé de l’article, c’est son caractère trop large. Il aurait mieux valu qu’il porte sur des infractions plus graves et plus circonscrites. Le fait qu’il puisse inclure le vol simple et le recel me paraît disproportionné au regard de l’atteinte aux libertés permise dans le cadre des pouvoirs donnés aux officiers de police judiciaire et aux agents de police judiciaire adjoints.

Aussi, pour engager le débat avec le Gouvernement, j’ai déposé cet amendement de suppression de l’article 17.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n429.

M. Marc Dolez. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a lui aussi déposé un amendement visant à supprimer l’article 17, et cela pour trois raisons.

La première est que nous considérons, comme cela a déjà été dit, que la disposition prévue par l’article s’inscrit dans un cadre trop large, qui dépasse de beaucoup les seuls actes de terrorisme, puisque sont aussi concernées les infractions de vol et de recel.

M. Pierre Lellouche. Et alors ? Il faudrait laisser courir les voleurs ?

M. Marc Dolez. La deuxième raison, c’est que les travaux du Défenseur des droits sur les contrôles d’identité ont mis en lumière le recours à des critères purement subjectifs pour procéder à un contrôle d’identité. À cette occasion, le Défenseur des droits a constaté que si la plupart des contrôles d’identité étaient effectués sur réquisition écrite du procureur de la République, une fois la réquisition délivrée, aucune motivation des contrôles n’était formellement exigée.

Enfin, troisième raison, l’extension des pouvoirs des forces de l’ordre n’est pas encadrée par une restriction de durée : le projet de loi maintient la période initiale de vingt-quatre heures au cours de laquelle les réquisitions sont valables, ce délai étant renouvelable sur décision expresse et motivée, sans limitation de durée.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, co-rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur les amendements de suppression.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. L’article 78-2-2 du code de procédure pénale permet d’ores et déjà aux officiers de police judiciaire de procéder, sur réquisitions écrites du procureur de la République, à des contrôles d’identité et à la visite de véhicules aux fins de recherche et de poursuite d’une série d’infractions ; sont visés, notamment, les actes de terrorisme et les infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, ainsi qu’en matière d’armes et d’explosifs.

À ceux qui s’inquiètent de la portée de la nouvelle mesure, je signale que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure, que cette liste n’était pas « manifestement excessive au regard de l’intérêt public qui s’attache à la recherche des auteurs de ces infractions ». En outre, cette procédure ne peut intervenir qu’au cours d’une période fixée par le procureur de la République, qui ne peut dépasser vingt-quatre heures et ne peut être prolongée que sur décision expresse et motivée.

L’article 17 du projet de loi modifie l’article 78-2-2 du code de procédure pénale en introduisant la possibilité pour les officiers de police judiciaire, assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire adjoints, et agissant sur réquisition du procureur de la République, de procéder à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules. J’estime que cette possibilité manque à notre droit. Vu les infractions recherchées, la courte période au cours de laquelle la réquisition du procureur peut être donnée et les garanties qui s’appliquent à la fouille, à savoir l’établissement d’un procès-verbal en cas de découverte d’une infraction ou si la personne le demande, ce procès-verbal devant être transmis sans délai au procureur de la République, il me semble que cet article apporte une réponse nécessaire et proportionnée.

Voilà pourquoi la commission a repoussé les amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est le même que celui de la commission.

Il convient de replacer la mesure prévue dans le cadre législatif qui l’entoure. Il s’agit de dispositions qui sont déjà inscrites dans le code de procédure pénale et sur le contenu desquelles le Conseil constitutionnel s’est prononcé ; le Conseil a indiqué qu’elles n’étaient, dans leur philosophie, aucunement contradictoires avec l’esprit de la Constitution qui protège les libertés publiques et individuelles. Le projet de loi y ajoute des éléments visant à permettre l’inspection visuelle et la fouille de bagages, de manière à ce que, dans des circonstances particulières qui sont notamment celles de la lutte contre le terrorisme – puisque c’est à cela que nous pensions lorsque nous avons rédigé le texte –, nous puissions être plus efficaces que nous ne le sommes compte tenu de ce que prévoient les textes en vigueur.

Pourquoi demandons-nous l’inscription de cette disposition dans le code de procédure pénale ? Tout simplement parce que nous avons besoin, dans des circonstances qui relèvent parfois de l’urgence, de veiller à ce que des armes ou des explosifs ne soient pas acheminés dans des conditions qui ne permettraient pas de les identifier et d’en prévenir l’utilisation – chacun sait à quoi je pense vu les événements qui se sont récemment produits.

La nouvelle disposition, conforme à l’esprit de l’article 78-2-2 du code de procédure pénale, permettra de procéder, sous le contrôle du procureur de la République et avec la mobilisation d’officiers de police judiciaire, à un contrôle renforcé, dont on sait qu’il n’est pas contraire aux principes constitutionnels, dans un contexte de menace terroriste élevée. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas du tout favorable à la suppression de l’article.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je veux soutenir les amendements qui ont été déposés par mes collègues Sergio Coronado et Pascal Cherki.

M. Sergio Coronado. Et Marc Dolez !

M. Noël Mamère. Et Marc Dolez.

Je voudrais signaler au rapporteur que la fouille d’un véhicule, ce n’est pas la même chose que la fouille des sacs et bagages. Dans le code de procédure pénale, l’article 78-2-2 indique que cela se fait sur réquisition du procureur de la République, mais on prévoit des restrictions pour la fouille des sacs et bagages ; il s’agit non plus d’une fouille, mais d’une perquisition : ce n’est pas la même chose !

Par ailleurs, actuellement, le procureur de la République peut, sur réquisition, autoriser une fouille. Si l’on suit votre logique, on va donc donner à la police l’autorisation de fouiller les sacs et bagages sans que les personnes concernées soient nécessairement suspectes, puisque c’est le procureur qui déterminera le périmètre dans lequel on pourra procéder à ce type de fouille.

J’entends bien vos arguments relatifs au renforcement de la lutte contre le terrorisme ; le problème, c’est que vous étendez le dispositif de telle manière que n’importe qui pourra faire l’objet, sur réquisition du procureur de la République, d’une fouille de ses sacs et bagages, alors même qu’il n’aura rien à voir avec le terrorisme ou même avec la criminalité.

Je rappellerai à ce propos le grand nombre de fouilles et de contrôles d’identité qui ont été effectués, notamment à la gare du Nord à Paris, et dont on a vu qu’ils étaient particulièrement discriminatoires.

Autant de raisons qui nous conduisent à demander la suppression de cet article. Et s’il en fallait une de plus, la philosophie générale de votre texte fait reculer le juge judiciaire, protecteur des libertés individuelles, au profit du procureur, du policier et du préfet, ce dernier faisant même – c’est inédit dans l’histoire de la VRépublique ! – son entrée dans le code de procédure pénale.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Comme nous tous, je suis très attaché à nos libertés individuelles. Je veux toutefois signaler aux collègues qui ont déposé les amendements de suppression que, comme l’a dit le Président de la République, la France est en guerre contre des gens qui ont décidé de nous tuer, et de tuer nos concitoyens. Je leur rappelle – le ministre de l’intérieur le sait parfaitement – que plusieurs des auteurs des attentats ont été interceptés à bord de véhicules, et qu’il ne s’est rien passé. Mme Boumeddiene, la fiancée – ou la compagne – d’Amedy Coulibaly, est partie, accompagnée par son compagnon, en Espagne, puis en Turquie ; elle est aujourd’hui en Syrie. Certains des auteurs des attentats ont pris la direction de la Belgique dans des véhicules contenant des armes. Par conséquent, demander que les véhicules puissent être fouillés, sur réquisition écrite du procureur de la République, de manière à éviter ce genre de choses, ne me paraît pas excessif au regard de nos libertés.

Je trouve au contraire que le présent article est parfaitement équilibré. D’aucuns pourraient même penser qu’il ne va pas assez loin ; mais au moins y trouve-t-on la possibilité de regarder ce qu’il y a à l’intérieur du véhicule, d’examiner les bagages et de demander l’identité des gens qui se trouvent à bord. Étant donné que, malheureusement, les terroristes se baladent d’un bout à l’autre de l’Europe, souvent en transportant des armes, la moindre des précautions est de permettre au procureur d’autoriser la police à se livrer à ce genre de contrôles !

Je trouve donc cette disposition plus que nécessaire et nous l’approuverons.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. J’entends tous les arguments et je ne prétends pas que la tâche du ministre de l’intérieur soit facile. Sur les pétitions de principe, nous pouvons nous rejoindre, monsieur Lellouche, mais il s’agit là d’une codification du droit. Or, ce qui me pose problème, c’est que, du point de vue du droit, une fouille de bagages s’assimile à une perquisition : je rejoins sur ce point l’argumentation de mon collègue Noël Mamère. Vu la liste des incriminations qui sont visées, une perquisition sur autorisation du procureur de la République serait une innovation. Je vous remercie de bien vouloir entendre cet argument ; je raisonne en juriste : peut-être ai-je tort sur le fond, mais j’essaie d’adopter le point de vue du droit.

Je pense aussi que le périmètre d’application de la disposition est trop large. Si celle-ci avait été liée à un certain type d’infractions, cela ne m’aurait posé aucun problème ; mais là, le périmètre est indéterminé, ce ne sont pas des personnes en tant que telles qui sont visées. Donc, en tant que juriste, je m’interroge.

S’il existait une autre rédaction, je serais prêt à m’y rallier, mais il n’y en a pas – et je reconnais que je n’en ai pas proposé. D’où le dépôt de l’amendement de suppression. Mais nous n’en sommes qu’à la première lecture…

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Il faut arrêter de présenter ceux qui se battent contre ce projet de loi comme des personnes qui feraient preuve d’angélisme ou de laxisme et ne permettraient pas à la France d’assurer sa sécurité. Je rappelle que, jour après jour, les enquêtes menées par des journalistes et même par des responsables de nos institutions policières et judiciaires montrent que ce n’est pas tant l’absence de fouilles que les failles dans les services de renseignement qui ont rendu possibles les tragédies que nous avons connues au cours de l’année 2015 : c’est sans doute là qu’il faudrait porter nos efforts.

M. Pierre Lellouche. Il y a eu les deux !

M. Noël Mamère. Je rappelle aussi que deux hauts responsables des institutions chargées de la surveillance du territoire ont expliqué, lors de leur audition par les commissions de l’Assemblée nationale, que cette dérive sécuritaire ne servait pas les intérêts de la France et qu’elle ne protégerait pas nécessairement nos concitoyens contre les menaces terroristes.

Je suis désolé, mais, pour ma part, je ne considère pas que nous sommes en guerre. Lorsqu’on se déclare en guerre, il faut un carburant qui s’appelle la peur. Que l’on se batte pour nos valeurs et que l’on défende nos concitoyens, c’est une chose, mais que l’on se déclare en guerre contre les terroristes, comme d’autres l’ont fait outre-Atlantique, ne me paraît pas une bonne décision – d’ailleurs, on a vu ce que cela a donné.

Par ailleurs, les magistrats, qu’il s’agisse du Syndicat de la magistrature ou de l’Union syndicale des magistrats – qui n’est pas à proprement parler un syndicat de gauchistes – proposent d’autres solutions, notamment un contrôle unique d’identité qui s’inspirerait de ce qui est actuellement prévu par l’article 78-2 du code de procédure pénale et fixerait un certain nombre de conditions ; cela permettrait de faire exactement ce que proposent le Gouvernement et le rapporteur, sauf que cela concernerait des personnes ciblées, sans – passez-moi l’expression – « ratisser large » et autoriser des fouilles et des perquisitions sur des gens qui n’ont rien à voir avec le terrorisme.

(Les amendements identiques nos 3, 161 et 429 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, pour soutenir l’amendement n534.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination rédactionnelle avec l’article 6 de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs, qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire le 10 février 2016.

(L’amendement n534, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement n458 tombe.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n430.

M. Marc Dolez. Cet amendement reprend une recommandation du Défenseur des droits, formulée dans son avis du 12 février dernier. Il s’agit ici de rendre systématique la remise d’un procès-verbal à l’intéressé afin d’assurer la traçabilité des opérations de fouille et de contrôle d’identité et de permettre ainsi à la personne contrôlée d’exercer un recours utile contre une mesure qu’elle jugerait illégale, abusive ou discriminatoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je me suis, moi aussi, interrogé sur l’opportunité de rendre systématique l’établissement d’un procès-verbal, remis à l’intéressé lors d’une fouille de bagages. Sur le principe, monsieur Dolez, votre idée se comprend ; pour ce qui est de la mettre en pratique, c’est une autre question. J’ai interrogé sur ce point les professionnels concernés : tous m’ont répondu que cela viderait de son sens la nouvelle possibilité prévue par cet article – ce qui est peut-être votre intention, puisque vous avez défendu tout à l’heure un amendement de suppression.

Prenons l’exemple d’un barrage filtrant : comment pourrait-on organiser la délivrance de procès-verbaux ? J’appelle votre attention sur le fait qu’en cas de découverte d’une infraction, la remise d’un procès-verbal est obligatoire ; elle l’est également si la personne le demande. Pour que cette nouvelle mesure reste opérationnelle, pour qu’elle conserve son intérêt, il ne faut pas adopter l’amendement que vous proposez.

La commission a donc donné un avis défavorable à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n430 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, pour soutenir l’amendement n535.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cet amendement vise à corriger une erreur de référence.

(L’amendement n535, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 17, amendé, est adopté.)

Après l’article 17 (amendements appelés par priorité)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 17.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n231.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, cet amendement vise à accorder aux forces de l’ordre – policiers et gendarmes – un droit général à procéder à un contrôle d’identité. Vous venez de rappeler l’utilité et même la nécessité des contrôles d’identité, dont vous élargissez d’ailleurs le cadre – nous en prenons acte avec satisfaction. Nous considérons néanmoins que, compte tenu du niveau de la menace terroriste à laquelle notre pays est exposé, il est quelque peu paradoxal de limiter le cadre des contrôles d’identité.

Je sais que, concernant le cadre juridique des contrôles d’identité, la jurisprudence du Conseil constitutionnel peut limiter nos marges de manœuvre. Je crois cependant qu’il faut ouvrir ce débat, poser cette question : les policiers, les gendarmes, et nos concitoyens ne comprennent plus, ne peuvent plus comprendre aujourd’hui que l’on limite les contrôles d’identité. On procède à des relevés d’identité à toutes les caisses de supermarché, et les forces de l’ordre, garantes et protectrices de nos libertés, engagées dans le combat contre le terrorisme, ne disposeraient pas d’un droit général à contrôler l’identité des personnes ?

Cet amendement a pour objet d’ouvrir un tel droit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Monsieur Ciotti, je vous rappelle que le régime des contrôles d’identité est constitutionnellement encadré. Saisi en 1993 d’une loi qui visait à étendre les conditions de mise en œuvre des contrôles et vérifications d’identité, le Conseil constitutionnel a estimé que si « la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle, […] la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ».

Le Conseil constitutionnel ajoutait, dans la même décision, que « s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ».

Dès lors, votre amendement me paraît présenter un risque sérieux d’inconstitutionnalité ; voilà pourquoi la commission ne l’a pas approuvé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n231 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n232.

M. Éric Ciotti. Je rappelle à M. le rapporteur et à M. le ministre qu’ils se sont engagés dans une révision constitutionnelle sur un sujet qui a beaucoup fait parler ; si vraiment elles posent des problèmes d’ordre constitutionnel, il serait peut-être opportun d’y inclure des dispositions comme celle que je proposais à l’instant, qui auraient un impact pratique et opérationnel beaucoup plus important pour lutter contre le terrorisme et seraient donc beaucoup plus protectrices pour nos concitoyens.

Cet amendement a été rédigé dans le même esprit que le précédent : il a pour but de donner un caractère général aux possibilités de fouille des véhicules. Je conviens que l’amendement précédent, qui concernait les contrôles d’identité, posait des problèmes d’ordre constitutionnel. Celui-ci, en revanche, est strictement équivalent aux dispositions de l’article 60 du code des douanes, pour les fonctionnaires des douanes. Ceux-ci peuvent, d’une manière très générale, procéder à la fouille des moyens de transport, notamment des véhicules.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé à quatre reprises de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité sur ces sujets. Cet amendement permettrait ainsi d’élargir et d’harmoniser le cadre des fouilles de véhicules, en alignant les dispositions applicables aux policiers et gendarmes sur celles applicables aux fonctionnaires des douanes. Cela permettrait d’élargir les moyens d’action des forces de l’ordre, afin d’améliorer l’efficacité de nos dispositifs de protection.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Les agents des douanes disposent en effet d’importants pouvoirs de visite et de contrôle des véhicules. Mais je vous rappelle que ces pouvoirs sont liés à une finalité principale : la recherche de fraudes douanières.

Par ailleurs, votre amendement me paraît largement satisfait par l’article 78-2-2 du code de procédure pénale, dans la rédaction que nous proposons par l’article 17 de ce projet de loi. Ces dispositions permettraient aussi la fouille des bagages.

Je pense que cet amendement n’est pas nécessaire, aussi je vous invite à le retirer ; dans le cas contraire, l’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n232 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n233.

M. Éric Ciotti. Cet amendement a été rédigé dans le même esprit que les deux précédents : il s’agit d’aligner les dispositions applicables aux forces de l’ordre sur celles applicables aux agents des douanes. Il vise plus particulièrement à étendre les conditions de l’inspection visuelle des bagages et de leur fouille, afin de rendre les fouilles plus faciles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Même avis que sur l’amendement précédent, pour les mêmes raisons.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Ces trois amendements sont liés. Par leur biais, M. Ciotti a proposé de permettre aux policiers et aux gendarmes de procéder à des contrôles d’identité et à des fouilles de bagages sur les personnes circulant dans notre pays. La commission et le Gouvernement les ont repoussés.

Monsieur le ministre de l’intérieur, je voudrais vous poser une question simple. Dans la situation actuelle, les services de police doivent à tout moment – je dis bien : à tout moment, car nous aurons d’autres attentats – avoir les moyens d’intercepter des équipes lorsqu’elles se regroupent, transportent du matériel ou communiquent entre elles pour préparer des attentats. Comment les forces de l’ordre pourront-elles le faire si aucune d’entre elles – pas seulement les douaniers, dont M. Ciotti a parlé, mais aussi les militaires et les policiers – ne peut demander leur identité aux personnes qui se promènent dans nos rues avec des bagages qui peuvent contenir des armes ? Dans ces conditions, comment faire pour empêcher les attentats ?

C’est impossible, sauf dans le cas où nos services de renseignement auraient intercepté des communications – mais nous savons qu’elles sont cryptées, et donc difficiles à intercepter. À moins, donc, de mener une action de police préventive en agissant sur la cible dans le cas où celle-ci est localisée, on ne pourra rien faire. Il faudrait au contraire permettre de mener des contrôles aléatoires devant des lieux publics, pour savoir qui est qui et qui transporte quoi. Pourtant, vous avez refusé les amendements en ce sens qui vous étaient présentés.

Voilà la question simple, monsieur le ministre, que je tenais à vous poser aujourd’hui, puisque vous êtes l’opérateur de la sécurité des Français. Je suis étonné que des amendements aussi simples, des amendements de bon sens,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Et anticonstitutionnels !

M. Pierre Lellouche. …soient retoqués ainsi.

Si vous pensez que ces amendements sont anticonstitutionnels, alors il faut les adopter, puis les soumettre au Conseil constitutionnel, pour avoir les explications nécessaires.

Du reste, une révision constitutionnelle a été engagée, et vous avez encore le temps, par voie d’amendement, d’inscrire dans la Constitution les dispositions autorisant d’une manière générale les forces de l’ordre à mener des contrôles d’identité et à fouiller les bagages, ce qui éviterait des dommages considérables à nos concitoyens.

Je vous mets en garde, monsieur le ministre : cette affaire est très sérieuse.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Nous aussi, nous vous mettons en garde.

Vous voyez des terroristes partout. Nous savons qu’il en existe, et que la menace est grande, mais ce n’est pas en autorisant les forces de l’ordre à contrôler l’identité de tous ceux qui passent que vous réglerez le problème.

Vous êtes en pleine contradiction. Vous faites partie de ceux qui, à droite, il y a quelques jours, se battaient contre la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, au motif que cela ne servait à rien.

M. Éric Ciotti. Pas moi !

M. Noël Mamère. Je m’adresse à M. Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je ne m’opposais pas à la déchéance de nationalité au motif qu’elle ne servirait à rien, mais parce que c’est déjà dans notre code civil.

M. Noël Mamère. À présent, vous nous expliquez qu’il faudrait permettre à la police et à la gendarmerie de contrôler tout le monde. Mais ça, c’est Je suis partout, enfin, ce n’est pas imaginable dans un pays comme le nôtre.

M. Pierre Lellouche. Je suis partout ? Je n’ai pas l’intention de me laisser traiter de fasciste !

M. Noël Mamère. Ce n’est pas l’adoption des amendements de M. Ciotti qui permettrait de lutter efficacement contre la menace terroriste. Je le répète, et nous sommes nombreux à le dire : le problème principal tient à l’efficacité des services de renseignement. Il tient aux moyens à leur donner pour infiltrer les réseaux, pour travailler en amont sur ceux qui s’apprêtent, éventuellement, à commettre un acte terroriste. Cela met aussi en question la politique étrangère de la France – mais ce n’est pas l’objet de la discussion d’aujourd’hui.

S’il vous plaît, monsieur Lellouche, épargnez-nous vos propositions caricaturales et simplistes qui, de toute façon – si nous sommes dans un État de droit – seront censurées par le Conseil constitutionnel.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. M. Lellouche m’a interrogé sur les raisons pour lesquelles nous venons de rejeter ces amendements. Elles sont très simples, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer à plusieurs reprises au cours de l’examen des différentes lois visant à lutter contre le terrorisme, lorsque l’opposition présentait des amendements qualifiés, par leurs auteurs mêmes, d’amendements d’appel. Je rappelle, à ce sujet, que M. Ciotti a souvent dit que les propositions qu’il soumet à l’Assemblée nationale sur ces sujets sont davantage destinées à susciter, à catalyser la réflexion du Parlement, qu’à être adoptées.

Cette raison est la suivante : le Gouvernement n’entend pas donner un avis favorable à des amendements anticonstitutionnels, indépendamment de l’appartenance politique de leurs auteurs. Nous voulons lutter contre le terrorisme dans le respect des dispositions constitutionnelles et de nos engagements conventionnels. Or comme l’a parfaitement expliqué M. le rapporteur en justifiant son opposition à ces amendements, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ils sont manifestement anticonstitutionnels et en contradiction avec les conventions internationales que nous avons signées.

M. Éric Ciotti. Laissons le Conseil constitutionnel en juger !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Parlement doit faire la loi avec la plus grande rigueur intellectuelle et juridique. Je ne peux donc pas accepter des amendements – d’où qu’ils viennent – orthogonaux aux principes constitutionnels.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur Mamère, nous ne voyons pas des terroristes partout : au contraire, nous espérons qu’il n’y en ait nulle part. Notre mission, telle que nous la concevons sur ces bancs, est de protéger au mieux nos concitoyens.

Monsieur le ministre, je comprends vos explications ; cependant nous ne sommes pas d’accord avec tous les arguments que vous avez présentés. J’ai évoqué la jurisprudence de la Cour de cassation, qui à quatre reprises a refusé de transmettre des questions prioritaires de constitutionnalité concernant les missions des douanes.

Monsieur le rapporteur, vous avez dit que la mission des agents des douanes est limitée à la lutte contre les fraudes. Cette mission revêt-elle donc un caractère constitutionnel plus élevé que la lutte contre le terrorisme ? Je n’en suis pas convaincu – en tout cas, cette question mérite d’être posée au Conseil constitutionnel lui-même.

Certes, monsieur le ministre, quant à la constitutionnalité de ces mesures, le débat est ouvert, mais nous pouvons parfaitement aborder cette question dans le cadre de la révision constitutionnelle, comme l’a précisé fort pertinemment Pierre Lellouche. La fouille des véhicules et des bagages, les contrôles d’identité sont des questions essentielles pour les policiers et les gendarmes. Qui peut contester que donner un caractère général à ces dispositifs serait utile pour lutter contre le terrorisme ?

Notre devoir, face à cette menace inédite pour notre pays, est de faire évoluer les règles et le droit : c’est là notre noble mission. Nous avons le devoir de protéger nos concitoyens : n’attendons pas, une fois de plus, que des drames surviennent pour nous pencher sur ces sujets. Faudra-t-il attendre le prochain attentat pour que vous nous proposiez une nouvelle révision constitutionnelle autorisant la fouille des véhicules et des bagages ainsi que les contrôles d’identité ? Saisissons-nous du problème dès à présent : c’est là l’honneur du Parlement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Faire évoluer le droit ne pose aucun problème, monsieur Ciotti : que faisons-nous d’autre en débattant dans cette enceinte ? Ce qui n’est pas concevable, en revanche, c’est de sortir de l’État de droit en adoptant des dispositions que nous savons contraires à la Constitution, comme elles le sont, sans la moindre ambiguïté, à la Convention européenne des droits de l’homme.

M. Éric Ciotti. Ah bon ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même si nous modifiions la Constitution pour adopter ces dispositions orthogonales, nous nous ferions taper sur les doigts, passez-moi l’expression, par la Cour européenne des droits de l’homme.

Nous pouvons avoir des désaccords, c’est tout à fait normal dans nos débats, mais je veux vous redire la position du Gouvernement. Je suis tout à fait prêt à faire évoluer le droit et à accepter toute disposition législative susceptible de renforcer notre arsenal de lutte contre le terrorisme, mais pas à accepter des mesures contraires à l’État de droit : d’autres ministres le feront peut-être à l’avenir, mais personnellement je m’y refuse, car cela consacrerait la victoire des terroristes.

Les dispositions que vous proposez, je le répète, sont profondément anticonstitutionnelles et anticonventionnelles : même si vous les défendez pour faire de la politique – très bien, d’ailleurs –, vous ne pourriez les faire appliquer car vous vous casseriez le nez sur des normes supérieures. On ne peut pas faire n’importe quoi, fort heureusement, en arguant de la volonté politique.

M. Éric Ciotti. Nous n’avons pas la même vision des choses !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je veux apporter quelques précisions, puisque M. Mamère, que j’estime profondément – il le sait bien –,…

M. Noël Mamère. C’est réciproque !

M. Pierre Lellouche. …m’a mis en cause à deux reprises.

Je ne fais pas partie des lecteurs ou des fanatiques de Je suis partout, cher collègue. Ce n’est pas parce que l’on n’est pas d’accord avec vous que l’on doit être étiqueté « fasciste » : de tels arguments ne sont pas dignes de vous, et en tout cas pas dignes de cette assemblée. Nous ne sommes pas là pour nous jeter à la figure des épithètes de ce genre, mais pour contribuer au mieux à garantir la sécurité de nos concitoyens, sujet grave s’il en est. Je vous remercie donc d’éviter les caricatures – je le dis très solennellement, pour la dernière fois j’espère.

Vous m’avez aussi mis en cause sur la déchéance de nationalité : sur ce point, mon opposition à la réforme constitutionnelle tient d’abord à son inutilité. La déchéance de nationalité existe déjà dans le code civil, aux articles 25 et 23-7.

M. Pascal Cherki. C’est vrai !

M. Pierre Lellouche. Si le Gouvernement avait eu l’intention de déchoir de leur nationalité les combattants français engagés en Syrie et en Irak, il aurait pu le faire en se fondant sur ce dernier article, sans passer par une révision constitutionnelle, contre laquelle je voterai donc.

S’agissant du texte dont nous débattons, le ministre nous dit, avec cet air patelin que nous connaissons bien et que nous apprécions,…

M. Pascal Cherki. Oui, il est très bon !

M. Pierre Lellouche. En effet. Il nous dit, donc, qu’il refusera toute disposition contraire à la Constitution et aux grands principes de notre droit. Mais qui défend de telles dispositions, sinon le Président de la République lui-même lorsqu’il parle de « guerre » ? Une guerre appelle un nouvel équilibre entre l’État de droit et la sécurité des Français. Nous ne vous demandons pas d’accepter des mesures anticonstitutionnelles, monsieur le ministre.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Qui est en train de violer la Constitution en créant des apatrides ?

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Ce n’est pas le sujet !

M. Pierre Lellouche. L’apatridie n’est-elle pas anticonstitutionnelle ?

M. le président. Merci, monsieur Lellouche, vous avez épuisé votre temps de parole.

M. Pierre Lellouche. Qu’est-ce qui, dans la Constitution, interdit de contrôler l’identité des personnes sur notre territoire ?

M. le président. Merci, mon cher collègue.

(L’amendement n233 n’est pas adopté.)

M. le président. Après avoir un peu dérogé au règlement de notre assemblée, nous en appliquerons dorénavant la lettre : je n’autoriserai donc plus que deux prises de parole sur chaque amendement, l’une pour et l’autre contre, après les interventions du rapporteur et du Gouvernement.

La parole est à M. Mathieu Hanotin, pour soutenir l’amendement n330.

M. Mathieu Hanotin. Cet amendement tend à encadrer les palpations de sécurité effectuées lors des contrôles d’identité. Il ne s’agit nullement d’interdire ces palpations, bien entendu, mais d’empêcher leur systématicité. Pour ce faire, je propose qu’elles ne puissent avoir lieu que s’il y a une « raison objective » de penser que la sécurité de l’agent – ou de la personne elle-même – est menacée. Elles sont souvent vécues, il faut le dire, comme des humiliations supplémentaires par les personnes régulièrement soumises à des contrôles – nous y reviendrons dans quelques minutes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Des dispositions réglementaires encadrent déjà de façon précise les palpations de sécurité. L’enjeu, d’ailleurs, dépasse largement les seuls contrôles d’identité.

Ainsi, l’article 203 du règlement intérieur d’emploi des gradés et gardiens de la paix de la police nationale dispose : « La fouille étant considérée comme une perquisition à corps […], les gradés et gardiens de la paix ne sont habilités à prendre que des mesures de sécurité.

« Ces mesures consistent, lorsqu’il est procédé à des arrestations en flagrant délit ou à des interpellations, à palper immédiatement les individus arrêtés ou interpellés ou à leur ôter les armes et objets dangereux ou de provenance délictuelle dont ils peuvent être porteurs.

« Les mesures précitées ne peuvent être exécutées que par une personne du même sexe. »

Ce cadre réglementaire répond parfaitement à l’interprétation faite par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 septembre 1988, indique que « la découverte de l’arme sur la personne de X… » – puisque c’était une affaire particulière – « ne résulte pas d’une fouille à corps devant être assimilée à une perquisition irrégulière dès lors qu’interpellant deux individus que des indices apparents désignaient comme venant de commettre un délit les fonctionnaires de police se sont bornés à s’assurer de la personne des intéressés en prenant les mesures nécessaires à leur sécurité et à celle des tiers avant de les conduire auprès de l’officier de police judiciaire compétent pour procéder à l’enquête ».

Il n’y a donc pas lieu d’adopter cet amendement, que la commission a repoussé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n330 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 11 rectifié, 329, 556, 162 et 401 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 329 et 556 sont identiques.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n11 rectifié, sur lequel je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. Sergio Coronado. Les contrôles d’identité et les fouilles font l’objet de nombreux débats en France depuis des années ; cela avait d’ailleurs conduit le candidat François Hollande à s’engager sur la mise en œuvre d’un récépissé assurant la traçabilité de ces contrôles.

L’absence d’un tel document – procès-verbal ou récépissé, donc – soulève des difficultés et constitue même une entrave au contrôle juridictionnel, lequel permettrait à la personne contrôlée de contester la mesure en cause, notamment sur son caractère éventuellement discriminatoire. Ce caractère a été mis en lumière par plusieurs études, en particulier celle – à laquelle se réfère la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son rapport de 2009 – menée dans deux gares parisiennes de très forte affluence, entre octobre 2007 et mai 2008, par des chercheurs du CNRS pour le compte de l’Open Society Institute. Selon cette étude, les personnes perçues comme noires avaient entre 3,3 et 11 fois plus de risques que celles perçues comme blanches d’être contrôlées par la police, et les personnes perçues comme arabes, entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques.

Cette étude avait alerté les pouvoirs publics et l’opinion, notamment plusieurs organisations de défense des droits humains, mobilisées autour du collectif Stop le contrôle au faciès.

Du fait du caractère discriminatoire de ces contrôles et de l’absence de traçabilité obligatoire, la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs condamné l’État pour faute lourde dans un arrêt du 24 juin 2015.

On ne saurait donc balayer la question d’un revers de main, d’autant que nous avons eu le débat plusieurs fois dans cette enceinte. Il serait utile, pour apaiser les tensions nées de l’état d’urgence, de mettre en place un tel récépissé, au moins de façon expérimentale, comme le propose cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin, pour soutenir l’amendement n329.

Sur cet amendement et sur l’amendement n556, qui lui est identique, je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. Mathieu Hanotin. Le débat sur le récépissé de contrôle d’identité n’est neuf ni dans cet hémicycle ni dans la sphère publique. Je ne reprendrai pas les arguments développés par M. Coronado : lors de la campagne électorale, des propositions ont été faites mais elles ont avorté. On a souhaité réfléchir à une meilleure solution, tout en rappelant la volonté de lutter contre les contrôles au faciès, qui nous ont toujours paru anormaux.

Je veux être un peu solennel car, comme M. Coronado l’a rappelé, l’État a été condamné en appel pour faute lourde, et il se pourvoit aujourd’hui en cassation ; or il est incroyable de constater que, dans le mémorandum déposé devant la Cour de cassation, il légitime de façon novatrice – au mauvais sens de ce terme – les contrôles au faciès. La question, monsieur le ministre, me paraît suffisamment grave pour que nous vous invitions à réagir.

D’après ce mémorandum, en effet, l’application de la législation sur les étrangers ne laisse pas le choix : on est obligé, est-il dit, de contrôler, passez-moi l’expression, les noirs et les Arabes.

M. Éric Ciotti. Ce que vous dites est scandaleux, monsieur Hanotin !

M. Mathieu Hanotin. Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur Ciotti : c’est ce qu’écrit l’avocat de l’État dans son mémorandum.

M. Éric Ciotti. Vous caricaturez !

M. Mathieu Hanotin. Une telle légitimation du profilage racial, dans le cadre de la législation applicable aux contrôles d’identité, pose un vrai problème. Nous ne pouvons donc en rester là.

M. Éric Ciotti. C’est ridicule !

M. Mathieu Hanotin. Nous ne pouvons entériner des discriminations qui, je le dis, sont une réalité.

M. le président. Merci, monsieur Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. Le récépissé dont nous parlons me paraît donc une bonne solution.

Je conclus d’un mot, monsieur le président, pour dire que la mesure donne certes des garanties à nos concitoyens, mais elle protège aussi l’action des forces de l’ordre.

M. Éric Ciotti. Avec un tel amendement, c’est sûr que vous allez les protéger !

M. Mathieu Hanotin. Nous devons en effet renforcer l’efficacité de nos dispositifs en la matière, ce qui est aujourd’hui impossible.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement identique n556.

M. Pouria Amirshahi. Beaucoup de contrôles d’identité sont des contrôles au faciès : c’est là une évidence et un fait établi, d’abord pour les personnes qui les subissent. Celles-ci en ont suffisamment témoigné pour que le candidat Hollande lui-même fasse sienne une revendication très novatrice de la jeunesse des quartiers : la mise en œuvre d’un récépissé de contrôle d’identité.

M. Éric Ciotti. Il en a dit, des stupidités, le candidat Hollande !

M. Pouria Amirshahi. Il se trouve que cette nouveauté soulevait des interrogations : j’ai donc rencontré des policiers londoniens, madrilènes et bulgares qui l’ont mise en place, au départ avec une grande réticence qui fait d’ailleurs écho à celle manifestée aujourd’hui par les policiers de notre pays.

Figurez-vous qu’au terme de son expérimentation, ils en sont tous satisfaits. Tous ! Ils expliquent, d’une part, que cette mesure a apaisé les tensions entre les jeunes et la police. Or vous connaissez, monsieur le ministre, le degré de tension qui existe actuellement dans notre pays, dans certaines zones, entre la police et une partie de notre jeunesse.

Vous connaissez parfaitement le sentiment de discrimination, et même la discrimination vécue par une partie de la jeunesse française : il ne s’agit pas uniquement d’une question de classe sociale, mais bien d’une question de faciès.

Les policiers étrangers que j’ai rencontrés trouvent, d’autre part, une seconde vertu à cette mesure : elle leur permet de se consacrer à leurs missions essentielles, à savoir les filatures, les investigations ou encore la gestion de la circulation.

C’est pourquoi je n’ai pas compris la décision prise par le ministre de l’intérieur de l’époque – votre prédécesseur, M. Manuel Valls – de lui substituer le fameux matricule.

Je termine sur ce constat : certes, une personne contrôlée qui se considère victime d’une discrimination peut aller porter plainte contre un policier – situation, reconnaissez-le, toujours ubuesque – au commissariat, mais cela crée des tensions supplémentaires.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, même si, pour des raisons qui continuent de m’échapper, vous ne vouliez pas de cette disposition qui consiste à fournir à la personne contrôlée un récépissé – système qui a fait la preuve de son efficacité dans d’autres pays –, une circulaire de votre part suffirait. Elle ne comporterait qu’une phrase : « Il est mis fin aux contrôles aléatoires. » À Londres, une telle expérience a également fait la preuve de son efficacité.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n162.

M. Pascal Cherki. Il s’agit d’un débat et d’un moment importants, au cours de cette législature, dans l’élaboration du droit. Je veux soutenir le récépissé fourni à l’issue du contrôle d’identité, et pas simplement parce qu’il s’agissait d’un engagement du Président de la République : si l’on usait de cet argument, l’ensemble de la majorité voterait cette mesure, car nous sommes attachés à la mise en œuvre de ses engagements – certains doivent encore être concrétisés d’ici à la fin de son mandat. (Sourires.)

Au-delà de cet argument – et même, s’il est toujours bon de rappeler les engagements qui ont été pris devant les Français –, je veux défendre cette mesure sur le fond, car elle est tout à fait opportune. En tant qu’élus, nous connaissons tous, dans nos circonscriptions, des lieux – je le sais pour avoir été maire d’un arrondissement parisien qui n’est pourtant pas le plus problématique – où des tensions entre les forces de l’ordre et les jeunes existent. Et je ne les mets pas, quant à moi, sur le compte du comportement des forces de l’ordre. Je les impute plutôt à un certain nombre de facteurs ou de situations locaux. Or, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le récépissé du contrôle d’identité, est, d’abord, une mesure qui protège la police.

En effet, que dit ce récépissé ? Que, lorsque les policiers procèdent au contrôle de votre identité, ils ne le font pas car vous êtes beur, black, jeune – la police est en effet un service public dont les fonctionnaires ne sont pas animés par une volonté de discriminer – ; ils le font parce que cela fait partie de ses missions de sécurité publique et de recherche des infractions.

La preuve de cette démarche est qu’on l’objective au moyen d’un document. Donc si vous pensez, parce que vous avez été contrôlé dix fois ou quinze fois, que vous faites l’objet d’une discrimination ou d’abus – ils peuvent exister dans toute collectivité humaine, même si la police, en tant que corps de fonctionnaires, est irréprochable, et si l’écrasante majorité d’entre eux, comme je peux l’attester dans mon territoire, fait son travail avec une conscience républicaine irréprochable – ou si vous constatez des dérapages, vous pouvez l’utiliser. Ce récépissé protège également la police car il lui offre un point d’appui objectif.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Cherki.

M. Pascal Cherki. Je termine, monsieur le président : il s’agit tout de même d’un débat important. Vous avez laissé longtemps la parole à M. Ciotti.

M. le président. Pas du tout. Ne jouez pas à ce jeu-là, monsieur Cherki !

M. Pascal Cherki. Vous m’excuserez, mais je discute de la mise en œuvre d’une mesure importante.

M. le président. J’ai donné du temps de parole en sus à chaque orateur, vous le premier.

M. Pascal Cherki. Je vais aller au bout de mon argumentation.

M. le président. Puisque vous le prenez comme cela, nous passons à l’orateur suivant.

La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n401 rectifié.

M. Pascal Cherki. C’est incroyable !

M. Christophe Cavard. Je ne vous pense pas, d’évidence, opposés au principe même du récépissé. Nous l’avons en effet soutenu ensemble en 2012, y compris au cours de la campagne pour les élections législatives.

Le sujet, nous le savons tous, a fait l’objet de nombreux débats, au sein même des forces de l’ordre qui, à l’époque, nous ont fait part de leur inquiétude quant à la mise en œuvre de ce dispositif.

Ces débats ont effectivement débouché sur la mesure relative au port du matricule, qui pose un autre problème. Je rejoins là l’argument qui a été avancé : il est difficile pour une personne qui estimerait qu’elle a été trop souvent ou injustement contrôlée d’aller elle-même porter plainte au commissariat pour dénoncer cette situation.

Contrairement à certains des orateurs qui se sont exprimés précédemment sur le sujet, le renforcement des contrôles et des fouilles de véhicules ou de bagages en eux-mêmes ne me pose pas de problème particulier, et j’ai voté l’article 17. En effet, nous avons changé d’époque ; nous nous trouvons dans une situation particulière. Mais, précisément parce que nous renforçons les contrôles, il nous faut bien inventer un moyen d’identifier les discriminations, lesquelles, nous le savons tous, existent bel et bien. Si vous êtes opposé au récépissé, monsieur le ministre, j’aimerais que vous nous disiez quelle solution vous proposez. Dans l’attente, j’en reste quant à moi à la proposition faite en 2012 par celui qui est aujourd’hui Président de la République, à savoir le récépissé.

L’idée sous-jacente de cette disposition est d’éviter – je l’ai d’ailleurs dit hier au cours de la discussion générale – que certains publics nourrissent le sentiment d’une injustice permanente commise envers eux par les forces de l’ordre. Nous savons tous, et vous mieux que quiconque, monsieur le ministre, qu’un tel sentiment existe.

Or il faut éviter qu’il se développe dans un contexte marqué par la nécessité de mieux surveiller et protéger notre territoire. Il faut donc trouver un moyen pour que ce sentiment qui existe, qu’on le veuille ou non et qu’il soit justifié ou non – et il l’est certainement lorsque l’on subit son cinquième ou son sixième contrôle –, ne perdure pas. Il nous faut donc trouver une solution. Voilà pourquoi nous soutenons nous aussi le principe d’un récépissé, qui avait été proposé en 2012.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements en discussion commune ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous avons déjà commencé ce débat en commission il y a quinze jours. Une relecture attentive des soixante propositions formulées par François Hollande en 2012…

M. Bernard Debré. Ce n’est tout de même pas la Bible !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …ne m’a pas permis de trouver trace d’un engagement portant sur ce récépissé en tant que tel. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste et sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Sergio Coronado. Il n’en demeure pas moins que c’était l’un de ses engagements !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je vous invite à les relire : elles sont encore accessibles.

M. Noël Mamère. Nous n’avons pas les mêmes lunettes !

M. le président. Laissez M. le rapporteur s’exprimer.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Certes, monsieur Debré, ce n’est pas la Bible, mais souffrez que je réponde aux différents orateurs qui ont utilisé cet argument pour tenter de me convaincre. Je ne suis pas convaincu, puisque cette proposition n’existe pas.

En revanche, il est fait mention, parmi ses propositions, de la lutte contre les discriminations dans le cadre de toutes procédures amenant les forces de l’ordre à contrôler telle ou telle personne.

Il s’agit, effectivement, d’un vrai sujet. Je rappelle, tout d’abord, le travail qui a été mené à cet effet depuis le début du quinquennat. Oui, les policiers et les gendarmes ont l’obligation de porter sur leur uniforme, et de manière visible, leur numéro de matricule. Il nous a été objecté – et je pensais à ce propos au sketch d’un humoriste – que pour porter plainte, il fallait se rendre dans un commissariat. Précisément non, car nous avons également mis en place le dispositif de pré-plainte en ligne.

M. Alain Fauré. Tout à fait !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je rappelle, par ailleurs, qu’une réforme de l’Inspection générale de la police nationale a eu lieu, et que, depuis le 1er janvier 2014, un nouveau code de déontologie est en vigueur au sein de la police nationale.

M. Gérard Sebaoun. Donc tout va bien ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Enfin, sur ce sujet, l’article 32, que nous examinerons bientôt puisqu’il sera appelé par priorité, vise à généraliser l’utilisation des caméras piétons, que nous avons souhaité appeler désormais « caméras mobiles ».

M. Pascal Cherki. Cela n’a rien à voir !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Elles font désormais l’objet d’un consensus alors que, sur ce sujet également, les organisations syndicales comme les forces de l’ordre se montraient, à l’origine, très réticentes à les utiliser.

De mon point de vue, c’est grâce à la généralisation de ce type de dispositif – l’expérimentation en a démontré toute la pertinence, tant pour les forces de l’ordre que pour les personnes contrôlées – que nous pourrons mieux encadrer cette problématique des discriminations pouvant exister lors des contrôles d’identité, et non au moyen d’un récépissé dont la mise en œuvre me semble tout à fait aléatoire, tout comme ses éventuels effets.

M. Gérard Sebaoun. C’est incroyable ! Et comment fait-on dans les pays où cela marche ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Voilà pourquoi la commission a repoussé ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je profite de la discussion sur ces amendements pour rappeler un certain nombre de points qui me tiennent à cœur, pour des raisons qui tiennent à la responsabilité qui est la mienne ainsi qu’à mon expérience des missions exercées par la police et par la gendarmerie nationales dans un contexte particulièrement difficile.

Cela doit nous conduire, je crois, à dépasser un certain nombre de débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle, comme dans celui du Sénat, depuis maintenant plusieurs décennies et qui reposent, de façon systématique, sur des idées préconçues quant à la manière dont les forces de sécurité accomplissent leurs missions.

Tout d’abord, je veux aller dans le sens des députés qui ont déposé les amendements dont nous débattons et répondre à un certain nombre de leurs préoccupations : je suis très favorable à ce que l’on rapproche la police de la population.

Comme ministre de l’intérieur, je n’accepte aucune dérogation aux principes déontologiques que nous avons, en 2014, inclus dans le code de la sécurité intérieure, afin de bien manifester que nous n’entendons pas qu’on puisse, ne serait-ce qu’une seule fois, y déroger.

Deuxièmement, les services de la police et de la gendarmerie nationales ne sont pas des services qui agissent de manière autonome. Parce qu’ils détiennent le monopole de la contrainte physique légitime, pour reprendre une expression bien connue, ils sont placés sous un contrôle extrêmement étroit : celui du ministre, qui définit leurs conditions d’intervention – et qui, de ce fait, assume la responsabilité pleine et entière des conditions dans lesquelles ils sont intervenus – mais aussi celui de l’Inspection générale de la police nationale. Désormais, celle-ci peut-être saisie directement et peut, après avoir été saisie, rendre compte des conditions dans lesquelles les forces de sécurité ont été amenées à accomplir leurs missions.

Enfin, je voudrais insister sur un point qui me paraît au cœur de notre débat, et que je vis très douloureusement, compte tenu de la responsabilité qui est la mienne. Chacun d’entre vous, notamment tous les auteurs des amendements dont nous débattons, pourra parfaitement, je pense, partager mon sentiment. Lorsque je vois la charge absolument harassante des forces de sécurité ainsi que les risques que leurs agents prennent, chaque jour, pour assurer la sécurité des Français, au péril de leur vie – certains l’ont perdue pour sauver celle des autres –, je me dis que nous leur devons peut-être, simplement, lorsque nous avons ce type de débats, des propos qui ne laissent pas à penser que la violence serait consubstantielle à la police,…

M. Pascal Cherki. Qui a dit cela ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …car chaque policier est un être humain attaché à sa mission.

Qui a dit cela, monsieur Cherki ? Quand j’entends ici que des contrôles au faciès seraient opérés en nombre…

Plusieurs députés du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen. C’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, ce n’est pas vrai. Je dispose de chiffres extrêmement précis : 294 plaintes pour discrimination ont été déposées en cinq ans,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Exact !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …comme en témoigne le rapport d’une organisation extérieure au ministère – la dépêche de l’Agence France-Presse rendant compte de ce rapport a été publiée hier.

Rapporté au nombre de contrôles qui ont eu lieu au cours de cette période, ce chiffre montre que le phénomène est totalement marginal. Par conséquent, et dans la mesure où les forces de sécurité jouent un rôle éminent dans la défense des Français, je trouve que nous devrions, dans la manière d’aborder ces problèmes, faire montre de modération comme de modération.

M. Noël Mamère. Ce que vous dites n’est pas bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais, monsieur Mamère, vous appartenez à une organisation qui a tendance à considérer que dans chaque policier se cache un être violent,…

M. Noël Mamère. Vous me faites un procès d’intention !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et vous passez votre temps à théoriser la consubstantialité de la violence et de la police. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Noël Mamère. Si vous étiez encore député, je vous aurais mis en cause pour fait personnel !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Eh bien, je ne partage pas une telle théorie : je pense que ce comportement, est, à l’égard des forces de police, extrêmement dégradant et incorrect, compte tenu des missions qu’elles remplissent.

Et, personnellement, j’en ai assez d’entendre théoriser sur la violence de la police. Monsieur Mamère, au moment où certains de vos amis se livraient à un tel exercice à propos de l’action de la police à Calais, je comptais onze CRS blessés, alors qu’aucun migrant ou représentant d’ONG ne l’avait été. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

À un moment donné, il est du rôle du ministre de l’intérieur de dire : ça suffit. C’est ce que je fais aujourd’hui.

M. le président. J’ai reçu énormément de demandes de parole. Pour respecter le règlement, je ne donnerai la parole qu’à quatre orateurs.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président !…

M. le président. Monsieur Coronado, vous n’en faites pas partie : je pense que M. Mamère, qui va prendre la parole dans quelques instants, le fera en votre nom, malgré la pluralité qui existe parfois au sein de votre groupe. Je donnerai ensuite la parole à des orateurs représentant d’autres groupes.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je vous remercie pour vos commentaires sur la diversité du groupe écologiste, monsieur le président, mais nous attendions du président qu’il fasse preuve d’une plus grande neutralité parce que nous pourrions vous adresser les mêmes observations à vous, membre du parti socialiste. Les amendements qui ont été déposés sont d’ailleurs l’illustration de cette diversité.

Je ne peux évidemment pas être d’accord avec la seconde partie de votre intervention, monsieur le ministre, et, si vous étiez député, j’aurais demandé la parole pour un fait personnel. Il est en effet caricatural de montrer du doigt des gens qui essaient de se battre pour la garantie de nos libertés. Ce ne sont pas pour autant des laxistes et des angéliques ; ils croient qu’une véritable menace pèse sur notre pays. Nous devons être solidaires mais pas forcément de la manière dont vous le dites.

Vous nous livrez des chiffres qui sont ceux du ministère de l’intérieur. Tout cela montre bien que, s’il y a si peu de réclamations pour des discriminations, c’est qu’il y a un problème de confiance vis-à-vis des institutions chargées de garantir l’ordre public et la sécurité publique.

Non, les amendements qui viennent d’être déposés ne sont pas des coquetteries de frondeurs ou des obsessions de droits-de-l’hommistes comme le prétendent un certain nombre de gens qui veulent nous montrer du doigt. Ils posent un problème de société et ils mettent en lumière les reniements de cette gauche qui s’était engagée sur le fait que la police devait se rapprocher de la population. Pour se rapprocher de la population, il faut effectivement une traçabilité, la possibilité d’assumer ses responsabilités lorsqu’on se livre à des contrôles d’identité répétés dans un certain nombre de quartiers de la République.

Il y a un autre engagement sur lequel vous êtes revenu avec le Premier ministre, c’est le droit de vote des étrangers dans les élections locales, et les deux sont liés car, comme l’a très bien expliqué M. Hanotin, les contrôles au faciès concernent toujours les mêmes. Donner le droit de vote aux étrangers, c’est permettre à ceux qui vivent sur notre territoire, qui contribuent à notre richesse, de participer à notre destin collectif et de dire à leurs enfants qu’ils sont des citoyens respectés.

M. Pascal Cherki. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Quelle conception de la République dans certaines interventions honteuses, choquantes et scandaleuses.

Pour vous, les ennemis de la République, ce sont ceux dont la responsabilité est de la protéger ;…

M. Noël Mamère. Pas du tout !

M. Éric Ciotti. …ce sont nos policiers et nos gendarmes. En 2014, 15 000 policiers et gendarmes ont été blessés, onze ont été tués, et il y a eu 60 % de violences en plus en quatre ans. Notre devoir, c’est d’être derrière nos policiers parce que ce sont eux les protecteurs de nos libertés, et personne d’autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Sebaoun. Aucun rapport !

M. Éric Ciotti. Ce n’est pas vous qui protégez les libertés, ce sont les policiers, qui sont en première ligne dans le combat contre le terrorisme et la délinquance. Il y en a assez de ces caricatures, de ces stigmatisations.

M. Gérard Sebaoun. Trop facile !

M. Éric Ciotti. J’approuve totalement ce qu’a dit le ministre de l’intérieur. Nous devons tous nous retrouver pour dire qu’il faut arrêter de stigmatiser les policiers. La police de la République ne procède pas à des contrôles au faciès…

M. Gérard Sebaoun. C’est faux !

M. Éric Ciotti. …parce qu’elle est garante de nos libertés. Il faut arrêter avec ces raccourcis, avec ces polémiques et ces propos qui font honte.

M. Gérard Sebaoun. C’est quotidien, les contrôles au faciès !

M. Éric Ciotti. Notre devoir, notre responsabilité, c’est de donner aux forces de l’ordre les moyens d’agir et sûrement pas de les en priver, de les stigmatiser et de les attaquer comme vous le faites.

M. Noël Mamère. Caricature !

M. Gérard Sebaoun. On ne stigmatise personne !

M. Éric Ciotti. Derrière vos propos, il y a de la défiance à l’égard des policiers et des gendarmes de la République. Une telle attitude est scandaleuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Peut-être pourrions-nous retrouver notre calme et éviter de nous envoyer certains propos à la figure. Il y a dans toutes les professions des gens qui font correctement leur travail et d’autres qui le font un petit peu moins bien. Selon l’endroit où nous vivons, nous ne vivons pas non plus toujours les mêmes choses. Il peut donc parfois y avoir des abus.

Je voulais juste parler du moment choisi. Alors que nous recherchons des gens capables d’en tuer d’autres, qui, eux-mêmes, d’ailleurs, pourraient être l’objet de contrôles parce que les victimes avaient tous les visages, est-ce bien le moment de donner à la police un travail supplémentaire, parce que cette méthode n’est peut-être pas la bonne ?

À un moment donné, il va falloir en arriver à quelque chose qui ressemble peut-être à un récépissé – mais pas sous cette forme, parce qu’un policier ne va pas passer dix minutes à remplir un document après avoir simplement demandé à quelqu’un de présenter ses papiers –, quelque chose comme un flash code sur un iPhone ou sur une carte d’identité.

Moi, je ne me sens pas extrêmement à l’aise de ne pas voter ces amendements parce que je n’ai pas envie de donner un travail supplémentaire à la police, qui a mieux à faire en ce moment. Et que des camarades puissent m’obliger à ne pas les voter alors que je souhaiterais tout de même qu’il y ait un échange, je trouve cela extrêmement inconfortable.

M. Pierre Lellouche. Nous ne sommes pas dans une section du PS !

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Vous n’avez pas répondu, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, sur le fait que des expérimentations concluantes existent dans plusieurs pays, concluantes non seulement parce qu’elles apaisent les relations entre la police et la jeunesse dans des zones de tension mais aussi parce que, de fait, il y a moins de contrôles d’identité au faciès puisque les policiers reprennent des investigations, des filatures et des activités de police quotidienne comme la circulation.

Il faut faire très attention car personne, monsieur Ciotti, n’incrimine la police en tant que telle. Chacun a une haute estime de la police républicaine lorsque les policiers se comportent en républicains, et ils sont nombreux, mais nous avons le droit aussi de parler de celles et ceux, français, nombreux, qui se sentent humiliés par des contrôles répétés et vexatoires.

M. Éric Ciotti. C’est faux ! Il n’y a pas de contrôles vexatoires !

M. Pouria Amirshahi. Nous parlons de terrorisme. Lorsque, quelle que soit votre classe sociale, vous avez le sentiment, et même la certitude puisque vous le vivez, que l’on vous considère non pas tout à fait comme un Français à part entière mais comme un Français à part, il y a des risques graves pour la cohésion nationale. Le premier de ces risques, c’est celui que vous dénoncez vous-même, c’est qu’un Français finisse à terme par se retourner contre ce qui fonde son identité, c’est-à-dire la France.

M. Pierre Lellouche. S’il y a des terroristes, c’est donc la faute de la police ? C’est n’importe quoi ! Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ?

M. Pouria Amirshahi. Il faut faire attention à tout ce qui peut être à un moment donné facteur d’humiliation pour des Français qui, dans votre ville comme dans bien d’autres, monsieur Ciotti, jeunes et moins jeunes, se font contrôler plusieurs fois par jour et qui, à un moment donné – comprenez-le en toute bonne foi, ou alors vous n’êtes pas dans un débat républicain –, craquent, n’en peuvent plus et n’ont plus confiance dans les institutions républicaines.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est juste pas possible d’entendre ça !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous affirmez, monsieur Mamère, que les chiffres que j’ai donnés émanent de mon ministère. Voici ce qu’on peut lire dans la dépêche AFP à laquelle je faisais référence : « Injuste, discriminatoire, abusif et reposant sur la seule apparence et non sur le comportement : en moins de cinq ans, 294 personnes disent avoir été victimes de contrôles au faciès », « affirme mardi le collectif Stop le contrôle au faciès, dans son premier rapport ». Je n’invente donc pas ces chiffres. Ils sont donnés par l’association aux travaux de laquelle vous faisiez référence à l’instant. Lorsque je donne des chiffres et avance des arguments, j’essaie d’être rigoureux. Vous prétendiez que ces chiffres émanaient de mon ministère ; c’est absolument faux.

Je reviens sur le fond des arguments qui ont été développés, notamment par vous à l’instant, monsieur Amirshahi. Tout argument est en effet recevable, sauf si j’estime qu’il serait préjudiciable au rapprochement de la police et de la population et au bon fonctionnement de la police de le recevoir.

Vous expliquez d’abord que, si l’on mettait en place de tels contrôles, la police aurait beaucoup plus de temps pour procéder à des investigations qui sont celles de son cœur de métier. Dans un contexte où la police nationale comme la gendarmerie nationale sont confrontées à des procédures de plus en plus lourdes, de plus en plus chronophages, qui les empêchent de disposer du temps dont elles ont besoin pour se concentrer sur leur cœur de métier, ajouter des formalités supplémentaires en prétendant que cela permettrait de dégager du temps repose sur une logique à laquelle je ne peux pas adhérer alors même que ce texte vise à simplifier la procédure pour donner précisément davantage de temps à la police et à la gendarmerie pour se consacrer à leur mission.

On peut être totalement déterminé à lutter contre les formes de discrimination et de contrôle au faciès en étant beaucoup plus pragmatique dans les modalités et beaucoup moins offensant à l’égard de ceux contre lesquels, je le répète en le regrettant, on instruit trop souvent et trop systématiquement des procès.

Nous avons mis en place le numéro RIO sur l’uniforme des policiers. Nous avons introduit dans le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie de nouvelles dispositions que nous avons intégrées au code de la sécurité intérieure en 2014. Nous avons permis à ceux qui portent plainte de saisir l’IGPN en ligne afin que l’Inspection intervienne directement. Nous proposons par ailleurs de légaliser les caméras piétons afin d’avoir une traçabilité de la relation entre la police et la population, meilleure façon de garantir qu’à aucun moment des dispositifs discriminatoires, dont les contrôles au faciès, n’auront été mobilisés à l’encontre de la population.

Il est important de chercher à atteindre le but que vous proposez mais en changeant de méthode et de discours, de manière à être sûr que le rapprochement de la police et de la population se fera sans blessure et sans offense et de façon efficace.

Les forces de sécurité intérieure sont aujourd’hui devant tous les lieux de culte et un très grand nombre d’écoles confessionnelles, sécurisent un très grand nombre de cultes dans les quartiers, afin que personne, dans un contexte de tension extrême, ne soit attaqué ou agressé en raison de ses convictions religieuses, de son appartenance religieuse ou de ses origines.

Vous expliquiez tout à l’heure que la population pouvait s’éloigner de la police car celle-ci pourrait éventuellement être suspectée de procéder à des contrôles au faciès, mais il y a aussi des millions de Français qui voient la police protéger des Français de toutes origines, parce que la République, c’est aussi cela.

Mme Elisabeth Pochon. Bien sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il me paraît important de le dire dans le contexte. Si nous voulons apaiser la relation entre la police et la population, je suggère que nous apaisions notre propre discours lorsque nous évoquons ces sujets en sortant des postures et en évitant les stigmatisations inutiles.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n11 rectifié.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants49
Nombre de suffrages exprimés47
Majorité absolue24
Pour l’adoption14
contre33

(L’amendement n11 rectifié n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 329 et 556.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants50
Nombre de suffrages exprimés48
Majorité absolue25
Pour l’adoption14
contre34

(Les amendements identiques nos 329 et 556 ne sont pas adoptés.)

(Les amendements nos 162 et 401 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 18 (appelé par priorité)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos 2, 148, 163, 248, 431, 459, 509 et 557, visant à la suppression de l’article.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n2.

M. Sergio Coronado. L’article 18 a suscité de longs débats en commission des lois, et il ne manquera pas de le faire également dans l’hémicycle. C’est d’ailleurs lui qui m’a conduit à voter hier la motion de renvoi en commission défendue par Patrick Devedjian, qui avait relevé les craintes exprimées par la magistrature, notamment lors des sessions de rentrée.

Cet article crée une nouvelle procédure de retenue permettant, à la suite d’un contrôle d’identité, de retenir une personne, et cela même si celle-ci a justifié de son identité et si le contrôle ne fait pas apparaître incidemment une quelconque infraction – il est donc curieux d’adosser cette procédure à une vérification d’identité.

Rien n’empêche actuellement les policiers et les gendarmes de contrôler la situation de la personne dans les différents fichiers de sécurité, notamment le fichier des personnes recherchées – le FPR –, ce qui aurait pu être l’un des objectifs de cette nouvelle mesure. La majorité des personnes recherchées sont d’ailleurs actuellement retrouvées à l’occasion d’une consultation du FPR. S’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe – et non fortuite – avec une personne ayant un tel comportement, le placement en garde à vue est déjà possible, comme Patrick Devedjian l’avait rappelé.

De plus, cette retenue ne s’accompagne pas, selon moi, de garanties nécessaires. Comme le note le Défenseur des droits, cet article présente une étrange parenté avec les dispositions de l’article 4 de l’avant-projet de loi portant modification de la loi relative à l’état d’urgence, lesquelles autorisent, lors d’une perquisition, une retenue de quatre heures d’une personne, y compris d’un mineur, lorsqu’il existe « des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». L’article 18 illustre ce glissement inquiétant vers l’intégration de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, un durcissement de notre arsenal juridique et un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire, au mépris des exigences constitutionnelles et conventionnelles et du « juste équilibre » qui doit être préservé entre protection des droits et impératifs de sécurité publique.

Pour toutes ces raisons, j’ai déposé cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n148.

M. Alain Tourret. J’ai lu avec intérêt un article de Libération, monsieur le rapporteur, où vous disiez que, mis à part quelques collègues qui déposeraient des amendements pour leur habituel « numéro de claquettes » dans l’hémicycle, peu de difficultés seraient susceptibles de se poser. J’ai cherché ce qu’était un numéro de claquettes : c’est un numéro de cirque. Ceux qui font des numéros de claquettes sont donc des clowns.

M. Jean-Luc Laurent. Ce peuvent être des danseurs !

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est très beau, les claquettes !

M. Alain Tourret. Il faut prendre garde à de telles déclarations, quand on est le rapporteur d’un texte.

En ce qui me concerne, je n’ai aucune envie de faire un numéro de claquettes ou de castagnettes avec M. Mamère. (Sourires.) Je ne suis pas non plus partisan du tango argentin ; je suis simplement partisan de la loi.

Pourquoi suis-je favorable à la suppression de l’article 18 ? J’ai voté les sept ou huit lois qui visent à renforcer, par la sécurité, l’État de droit. Mais à un moment, il faut savoir dire stop. Là, je ne vous suis plus.

Face à cet article, et du fait de la profession qui est toujours la mienne, j’ai le sentiment que les moments de non-droit sont les plus difficiles. En effet, c’est dans ces moments-là que les libertés sont le plus grandement atteintes. Nous l’avons bien vu avec l’évolution de la garde à vue. Pendant longtemps, elle n’a pas été un véritable moment de droit. Il a fallu de nombreuses percées judiciaires et autant de progrès juridiques pour que la personne gardée à vue ait la possibilité de bénéficier du contrôle d’un avocat, de la présence d’un médecin, et d’être tout simplement respectée.

La nouvelle situation que vous créez, sans aucune possibilité de contrôle, qui s’applique également aux mineurs de dix-huit ans, qu’ils soient ou non accompagnés – un mineur de quatorze ans peut donc être soumis à cette rétention – me fait vraiment l’impression d’une régression. S’il n’y a pas d’engagements profonds du Gouvernement et du rapporteur sur cette retenue de quatre heures, je ne pourrai naturellement pas vous suivre en ce qui concerne l’ensemble de la loi.

M. le président. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement n163.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement n248.

M. Gérard Sebaoun. Il n’y aura pas de faux procès. En effet, nous discutons bien du titre Ier, qui vise à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et le Conseil d’État a dit lui-même qu’il ne voyait pas d’obstacle constitutionnel ou conventionnel à cet article, lequel permet aux forces de l’ordre de retenir toute personne pour une durée maximale de quatre heures à l’occasion d’un contrôle d’identité, « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ». Vous reconnaîtrez que cette notion est extrêmement large et que la mention de ces « raisons sérieuses » et de ce « comportement » mérite que nous nous interrogions.

Le code de procédure pénale permet déjà de retenir une personne qui fait l’objet d’une vérification, mais seulement dans la mesure où elle refuse de justifier de son identité ou se trouve dans l’impossibilité de le faire pendant le temps strictement nécessaire à l’établissement de celle-ci. La rétention ne peut excéder quatre heures et le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment. C’est parce que cet article repose sur une notion assez vague, confuse et qui relève de la subjectivité des forces de l’ordre que je propose de le supprimer, même si je prends en compte le champ dans lequel nous nous situons.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n431.

M. Marc Dolez. Notre groupe a également déposé un amendement de suppression de cet article qui s’apparente à la création d’une garde à vue administrative. Nous partageons les raisons qui viennent d’être exprimées par nos collègues des différents groupes. Compte tenu de l’importance de la question, nous avons d’ailleurs déposé une demande de scrutin public.

M. le président. Je viens en effet de la recevoir.

Sur l’amendement n2 et les amendements identiques, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Pierre-Yves Le Borgn’, pour soutenir l’amendement n459.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Cet amendement vise également à supprimer cet article, dont la rédaction m’apparaît insuffisamment précise pour ne pas encourir le risque de mettre à mal la présomption d’innocence. Je n’y vois pas de garanties suffisantes qui permettraient de prévenir les risques de retenue arbitraire. La loi du 27 mai 2014 qui transposait la directive européenne 2012/13 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales accordait à la personne auditionnée librement des garanties procédurales qui sont, au demeurant, également assurées en matière de garde à vue.

Or, le dispositif dont il est question ici ne donne pas les garanties nécessaires au bénéfice de la personne retenue et il m’apparaît, dès lors, insatisfaisant au regard du respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian, pour soutenir l’amendement n509.

M. Patrick Devedjian. Je voudrais faire deux observations sur les dispositions de l’article 18.

Premièrement, la retenue n’est possible que s’il existe des « raisons sérieuses » de penser que la personne a une relation avec une activité terroriste, raisons dont il faudra faire la preuve a posteriori. Or, à supposer qu’elles existent, le procureur de la République aurait très bien pu intervenir préalablement, pour autoriser non pas une retenue de quatre heures, mais une véritable garde à vue,…

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. Patrick Devedjian. …dont le délai importe peu d’ailleurs, ce qui permet un contrôle a priori de l’ordre judiciaire.

Deuxièmement, cette retenue administrative relève d’une interprétation tout à fait discutable du Conseil constitutionnel, consistant à dire qu’en deçà de douze heures de retenue, il n’y a pas de privation de liberté : c’est seulement une restriction. Or, même si elle émane du Conseil constitutionnel, cette distinction est tout à fait scandaleuse.

M. Sergio Coronado. Tout à fait !

M. Patrick Devedjian. Elle est également contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont je vais vous citer deux dispositions pour preuves. Dans une décision du 12 octobre 1978, la Cour a déclaré que la liberté, c’est l’absence d’arrestation ou de détention. Une retenue de quatre heures porte donc atteinte à la liberté. Dans une décision de 1996, on peut lire qu’« entre la privation et la restriction de liberté, il n’y a […] qu’une différence de degré ou d’intensité et non de nature ou d’essence ». Par conséquent, cet article est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En cas de recours, la France serait sans doute condamnée.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement n557.

M. Pouria Amirshahi. Dans le prolongement des deux dernières argumentations, je voudrais ajouter deux éléments. Cet article introduit l’arbitraire dans la loi. Dans le même esprit et pour les mêmes raisons que lorsque vous avez reformulé la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, le 20 novembre dernier, vous permettez les interpellations sur la base non pas d’activités suspectes mais de comportements suspects, ce qui est très inquiétant, comme l’avaient déjà dit beaucoup d’orateurs à l’époque.

Par ailleurs, et sans même évoquer cette durée – inouïe – de quatre heures, je voudrais vous demander tout simplement pourquoi la personne retenue n’aurait pas le droit à un avocat pendant ce temps. Pourquoi autorisez-vous, dans notre démocratie, la retenue d’une personne, potentiellement sans avocat, et donc privée de la possibilité d’être représentée ou défendue in situ, après une interpellation dont elle ne connaît pas les causes, pour la bonne et simple raison qu’elles ne lui seront pas données immédiatement, mais a posteriori, comme vient de le dire M. Devedjian ? Pourriez-vous me répondre sur ces deux points ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous avons déjà eu un débat nourri sur ce sujet en commission. Je voudrais rappeler l’objectif de la mesure et les cas particuliers dans lesquels elle peut s’appliquer. Le cadre juridique est précis sur les conditions dans lesquelles des contrôles d’identité sont effectués. Que cela convienne ou non, toujours est-il que le droit le balise de manière claire. Le contrôle d’identité d’une personne recherchée déclenchera immédiatement l’action du ministère public et, partant, une garde à vue. Mais, dans certains cas, le contrôle d’identité ne fait que susciter une alerte, à cause de la découverte de certaines informations qui, en elles-mêmes et à ce moment-là, ne constituent pas un fait qui soit immédiatement judiciarisable sous la forme, par exemple, d’un placement en garde à vue.

M. Pouria Amirshahi. Ce qui est normal !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce qui est proposé dans l’article 18, c’est de laisser aux services le temps de vérifier les informations contenues dans les fichiers. Si le fichier est national et que l’information est facilement accessible, cela peut prendre quelques minutes ; si c’est un fichier international, il y a parfois besoin d’un temps plus long, comme nous avons pu le voir dans le cas de personnes qui étaient revenues sur notre territoire après en avoir été longtemps absentes.

Ce n’est en rien une garde à vue, puisque cette retenue relève d’une situation qui ne permet pas un tel placement. Aussi, soit la retenue conduira à une garde à vue, parce que la vérification aura été concluante, soit la personne pourra repartir au bout de dix minutes, d’un quart d’heure, d’une heure ou, quoi qu’il en soit, de quatre heures au maximum.

Qu’avons-nous fait pour encadrer cette disposition qui me paraît hautement nécessaire dans les situations que nous connaissons aujourd’hui ? Nous avons d’abord adopté un amendement visant à préciser l’objet de cette nouvelle retenue administrative, qui nous paraissait trop floue dans la rédaction initiale du projet de loi. Aux termes de la nouvelle rédaction, il est clairement précisé ce que permet cette nouvelle procédure de vérification : consulter les traitements de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun de ce type de fichiers ; interroger les services à l’origine du signalement de l’intéressé ; interroger les organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou les services de police étrangers. Au même article, nous avons adopté à titre conservatoire une mesure sur les mineurs qui fera l’objet tout à l’heure d’un débat – je ne l’ouvre pas maintenant, mais nous pensons qu’il existe et qu’il faudra prendre certaines décisions à cet égard.

Ces améliorations ne paraissant pas toutefois suffisantes, j’ai déposé deux amendements supplémentaires pour parfaire le dispositif. L’un d’eux précise, pour compléter ce que nous avons indiqué en commission que l’on pouvait faire, ce qui sera impossible : il n’y aura pas d’audition. C’est bien la raison pour laquelle nous ne sommes pas dans la situation d’une garde à vue et que j’indique par avance que j’émettrai un avis défavorable à tous les amendements qui propose d’introduire l’avocat dans la procédure. En effet, il ne s’agira pas d’une procédure contradictoire et il n’y aura pas nécessité d’une procédure d’assistance puisqu’il n’y aura pas d’interrogatoire.

Par ailleurs, j’indique que je proposerai des sous-amendements à un amendement du groupe socialiste visant à restreindre le champ des personnes concernées pour qu’elles ne le soient pas dans le cadre d’une relation incidente avec une personne en situation d’être soupçonnée d’activités terroristes.

Voilà les raisons pour lesquelles la commission, en cohérence avec les amendements qu’elle a adoptés, comme moi-même du fait des amendements que j’ai déposés, sommes bien sûr défavorables aux amendements de suppression de l’article 18.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements de suppression ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour commencer là où le rapporteur vient de conclure, je rappelle que certains vont permettre de donner, grâce au travail parlementaire, plus de force et de précision au texte gouvernementale, et d’y introduire plus de garanties.

Un mot sur les raisons pour lesquelles nous avons voulu introduire cet article dans le projet de loi parce que c’est en les comprenant qu’on parviendra peut-être à apaiser le débat sur ses motivations et ses dangers éventuels – je m’adresse notamment à Alain Tourret qui s’est exprimé très clairement à ce sujet. Nous sommes face à une crise terroriste de dimension internationale car les terroristes traversent les frontières de l’Union européenne pour commettre des attentats sur le territoire de nos pays, la stratégie de Daech étant très différente à présent, les attentats du 13 novembre nous l’ont montré : il s’agit de les décider à partir de l’étranger, de les faire préparer dans un autre pays que celui dans lequel ils seront commis par des équipes non composées de ressortissants du pays où ils seront perpétrés, avec l’espoir que les auteurs échapperont à la vigilance des services de renseignement du pays frappé parce qu’il n’aura pas eu nécessairement connaissance de leur existence. C’est exactement ce qui s’est produit le 13 novembre : le principe de ces attentats a été décidé en Syrie, préparé dans des appartements conspiratifs à Molenbeek, et les individus n’étaient pas identifiés comme terroristes par le système d’information Schengen ni connus de nos services.

Par conséquent, tout ce que nous pouvons faire dans un tel contexte de tension terroriste extrême, c’est de tenter de parvenir à prévenir la commission d’un acte terroriste en nous donnant la possibilité, dans des circonstances particulières précisées par l’article, de procéder non pas à une garde à vue, à un interrogatoire ou à une audition, mais à une vérification auprès des services compétents, notamment les services de renseignement, des éléments d’information disponibles de manière à prévenir le risque terroriste. Il s’agit de retenir des personnes dont il est établi à partir d’éléments d’enquête qu’elles peuvent représenter un risque qui justifie une vérification des fichiers des services de renseignement. Si nous ne procédons pas dans le contexte très concret que nous avons vécu et que je viens de rappeler, nous serons encore frappés.

Il est très important d’avoir tout cela à l’esprit parce que tous les débats que nous avons eus depuis des mois sur la lutte antiterroriste dans cet hémicycle nous ont toujours conduits à une opposition entre comment judiciariser ce qui est intervenu et comment prévenir ce que nous voulons éviter. Il y a toujours deux tendances car ceux en faveur de la judiciarisation, donc sous le contrôle du juge, considèrent que cela vaut mieux que de prévenir ce qui pourrait être évité. Le Gouvernement souhaite la judiciarisation de ce qui a été commis mais aussi la prévention, d’où cet article. Mais nous comprenons parfaitement, je le dis à Alain Tourret comme à Patrick Devedjian, qu’il faut que tout cela soit encadré pour faire l’objet d’un certain nombre de précautions. À cet égard, je rappelle qu’il est prévu que le procureur de la République soit prévenu et qu’il peut mettre fin à la mesure de retenue à tout instant et que, pour ce qui concerne le mineur, il doit autoriser ladite mesure mais en plus il peut le mettre en protection en saisissant les services de la justice compétents – je pense à la protection judiciaire de la jeunesse ou à des établissements de placement – si des éléments témoignent du fait que le mineur peut être mis en danger par l’influence d’une organisation sectaire.

Par conséquent, lorsque le député Pouria Amirshahi dit que nous introduisons de l’arbitraire, la réponse est non. Au contraire, nous introduisons plus de prévention, pour des raisons qui tiennent au contexte particulier que je viens d’évoquer.

M. Guillaume Garot. Oui, bien sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certes, nous ne prévoyons pas la présence d’un avocat, mais c’est parce qu’il ne s’agira pas d’une garde à vue mais d’une période de vérification auprès de nos services de la dangerosité d’un individu.

Je conclus en rappelant que nous devons tous avoir à l’esprit ce qui s’est passé dans une partie de l’espace public à propos des fiches S : à chaque fois qu’un attentat terroriste est commis, avant même que les circonstances n’aient été précisées par l’enquête judiciaire, il y a immédiatement toute une série de personnes, d’ailleurs généralement hostiles à ce que l’on renforce les moyens des services de renseignement, qui théorisent précipitamment sur les failles des services en question dès lors que le suspect est fiché S, comme s’il était possible d’éviter les failles sans leur donner les moyens de les combler. Imaginons ce que serait la situation de notre pays demain si, faute de pouvoir retenir en vue d’une vérification une personne fichée S, on lui permettait ainsi de commettre un attentat : quelle serait alors la capacité de résilience du pays ? Je comprends la teneur du débat, mais j’attire l’attention de chacun sur le contexte particulier dans lequel s’inscrit cet article, sur ses motivations et sur les conséquences que pourraient avoir certains manquements dans de telles circonstances du fait de l’absence des dispositions législatives adéquates. C’est pourquoi nous les prenons.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les arguments que vous venez de développer, mais il faut être bien naïf pour croire qu’un tel article va renforcer la sécurité des Français et que la retenue de quatre heures ne constituera qu’une simple vérification. Nous disposons déjà d’un arsenal juridique largement suffisant pour prendre un certain nombre de dispositions. De surcroît, vous êtes en train de faire inscrire dans le droit ordinaire des dispositions de l’ordre de l’état d’urgence. Vous ne faites que creuser encore un peu plus le fossé entre les autorités administratives et les autorités judiciaires. On en est donc en droit de s’inquiéter que vous proposiez à l’Assemblée nationale de voter en fonction de circonstances particulières une loi directement inspirée par la menace terroriste. Cela s’appelle du populisme pénal. Nous serons un certain nombre à ne pas voter ces dispositions mais, inscrites dans le droit ordinaire, elles pourront être appliquées, voire renforcées, par d’autres majorités que les Français auront choisies et donc réduire un peu plus notre État de droit.

J’ai entendu les allusions perfides que vous avez lancées à propos de ceux qui disent qu’il y a des failles dans les services de renseignement alors qu’ils n’ont pas voulu voter leur renforcement, mais je suis désolé de vous rappeler que si nous n’avons pas voté la loi relative au renseignement, c’est parce qu’elle ne dotait pas les services de moyens de lutte contre le terrorisme – qu’il s’agisse de la direction générale de la sécurité intérieure ou de la direction générale de la sécurité extérieure.

Il faut par ailleurs arrêter d’expliquer, quand nous refusons les IMSI catchers – nous en reparlerons -, qui permettent, comme vous dites de « ratisser large », que cet instrument renforcerait néanmoins les moyens du renseignement. Il s’agit d’une forme de contrôle général de la population. Il est sain et normal qu’un certain nombre de députés appartenant à votre majorité disent dans cet hémicycle : « Halte là, vous êtes en train de dériver. » Même avec les explications les plus complètes que vous pourriez nous donner, vous n’arriverez pas à nous persuader du bien-fondé de cette dérive.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je voudrais faire entendre une voix qui parmi Les Républicains n’est pas celle de Patrick Devedjian. Tout d’abord, je tiens à revenir sur l’intervention tout à fait fondamentale du ministre de l’intérieur puisqu’il a expliqué le pourquoi de cet article. En effet, dans ce drame qu’est le terrorisme, le metteur en scène n’est pas ici, mais à Raqqa, à Mossoul, et l’équipe de tournage encore ailleurs, à Molenbeek comme autre part en Europe, tandis que les acteurs viennent à Paris. Une partie d’entre eux ou de l’équipe de tournage est totalement inconnue de nos services, mais je diverge avec vous sur un point, monsieur le ministre : il me semble qu’une partie de celle-ci était connue d’autres services, notamment des services belges pour avoir appartenu à l’équipe de Viviers. Il est très important de se le rappeler, au regard de la prévention des attentats. En effet, en matière de contre-terrorisme, le but est de prévenir parce qu’une fois que l’attentat a eu lieu, c’est trop tard. La prévention est donc la clef et cet article va permettre d’intercepter et de contrôler. Nous avons déposé des amendements pour vous suggérer, monsieur le ministre, qu’une durée de quatre heures risque d’être un peu courte, surtout lorsqu’il s’agit de comparer les fiches de renseignement provenant de différents services à travers le monde.

M. Éric Ciotti et M. Olivier Marleix. Absolument !

M. Pierre Lellouche. En effet, le terrorisme façon État islamique est transnational, qui fonctionne à partir de communications cryptées et avec des personnes ultra-spécialisées dans les fonctions qui leur sont dévolues. Et nous n’en sommes qu’au début… Par conséquent, quand j’entends certains collègues expliquer que la mesure serait comparable à une garde à vue administrative et qu’il faudrait la judiciariser à l’avance, je leur rétorque que ce serait, faute d’informations, impossible.

M. Olivier Marleix. Très juste !

M. Pierre Lellouche. Il faut avant tout prévenir, et pour cela se saisir de la personne placée dans une situation particulièrement problématique et obtenir des vérifications de différents fichiers – INTERPOL, Schengen, ceux provenant des services des États voisins –, ce qui prendra probablement plus de temps que quatre heures, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Je ne fais pas le procès au ministre de l’intérieur de solliciter l’adoption de mesures qui ne seraient pas absolument nécessaires, même si nous avons été un certain nombre à nous interroger au sujet de cette retenue de quatre heures – j’ai bien entendu les interventions d’Alain Tourret ou de Pierre-Yves Le Borgn’.

Le rapporteur et le ministre nous ont expliqué pourquoi. Dans le cadre parfaitement défini des contrôles d’identité, on ne peut retenir une personne une fois qu’elle a décliné son identité. Or, admettons que les services de renseignement disposent sur elle de certains éléments : il n’est pas possible, en quelques minutes, surtout s’il faut consulter des services amis étrangers, de savoir d’où elle vient, où elle va et ce qu’elle est capable de faire.

Que penserait-on de la représentation nationale si, par malheur, dans quelques jours ou dans quelques mois, une personne qu’on aurait laissée libre à la suite d’un contrôle d’identité, alors que l’on dispose de renseignements inquiétants à son sujet, commettait peu de temps après un crime de masse ? Je ne suis pas pour autant en train de vous expliquer qu’il ne faut pas prendre de garanties. Au contraire, les amendements dont nous débattrons tout à l’heure visent à ce que nous en prenions, aussi bien dans la définition des cas permettant cette retenue de quatre heures que dans la protection des mineurs – mais le ministre en a déjà dit beaucoup à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. La distinction que vous opérez entre vérification et garde à vue ne me convainc pas sur un plan juridique. Si la vérification de quatre heures n’aboutit pas, elle débouche sur une garde à vue : autant dire que l’on commence une garde à vue !

En soi, le principe de la retenue de quatre heures pour procéder à des vérifications ne me pose pas de problème compte tenu du contexte, dès lors qu’on l’entoure des garanties nécessaires.

J’aurais d’ailleurs été prêt à retirer mon amendement de suppression de l’article 18 si l’on m’avait assuré que la présence de l’avocat était possible. Or, les débats n’avaient même pas commencé que le rapporteur et le ministre s’y opposaient déjà. Je maintiens par conséquent mon amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Monsieur le ministre, vous avez déclaré que l’autorisation du procureur de la République était nécessaire lorsqu’un mineur était en cause. Pourquoi ce qui est possible pour un mineur ne l’est-il pas pour un adulte ? La situation est la même, les risques sont similaires.

Par ailleurs, la retenue de quatre heures est conditionnée par l’existence de raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne est lié à des activités à caractère terroriste.

M. Gérard Sebaoun. Oui, le « comportement » !

M. Patrick Devedjian. Quelles sont ces raisons sérieuses ?

M. Pascal Cherki. Oui, quelles sont-elles ?

M. Patrick Devedjian. Je ne vous demande pas une réponse exhaustive mais j’aimerais savoir de quoi il s’agit.

Par ailleurs, pourquoi ces raisons sérieuses ne pourraient-elles déclencher l’intervention préalable du procureur de la République ?

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, dernier orateur. Vous voyez combien nous avons, les uns et les autres, dérogé au règlement que vous avez vous-même voté, monsieur Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Et que vous appliquez !

M. Alain Tourret. Je voudrais poser une question à M. le ministre pour ne pas avoir à demander une suspension de séance qui nous ferait perdre du temps.

Nous avions déposé, au nom de mon groupe, un amendement n198 qui tendait à ce que la personne retenue soit immédiatement informée par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, de la durée maximale de la mesure et du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix ou du droit d’être examinée par un médecin.

Au nom de l’article 40, sans que je comprenne exactement ce que l’article 40 vient faire là-dedans, cet amendement a été rejeté. Le Gouvernement pourrait-il le reprendre au Sénat ou dans une deuxième lecture ?

M. Pierre Lellouche. Les interprètes et les médecins !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ces interventions permettent de soulever de nombreux points et d’avancer ensemble. Monsieur Mamère, vous vous refusez à être naïf. Soit. Si je vous comprends bien, vous seriez très avisé là où je ferais preuve de la plus parfaite naïveté dans les mesures que je propose pour lutter contre le terrorisme. Sans vouloir polémiquer, et en respectant votre opinion, je constate tout de même que vous n’avez voté aucune loi antiterroriste. C’est d’ailleurs votre droit. Ni la loi du 13 novembre 2014, ni celle de juillet dernier sur le renseignement, ni celle que nous proposons aujourd’hui. Je me souviens de discussions infinies autour des dispositions de la loi du 13 novembre. L’interdiction de sortie du territoire, destinée à éviter que des jeunes ne s’engagent dans des opérations à caractère terroriste où ils risquaient de trouver la mort, ne se livrent aux exactions les plus abjectes qui pouvaient les conduire à commettre les crimes les plus épouvantables à leur retour, était considérée comme une mesure attentatoire aux libertés individuelles. Je me souviens de tout cela. C’est votre sensibilité, ce sont vos valeurs, vos principes. Je les conteste car face au terrorisme, cette attitude me semble d’une grande naïveté mais vous avez bien entendu le droit de porter votre opinion à notre connaissance pour que nous en discutions, tout comme je m’autorise à ne pas être d’accord avec vous. Mais, je le répète, vous n’avez voté aucune disposition antiterroriste.

M. Noël Mamère. C’est une polémique misérable et ce débat mérite mieux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce n’est pas misérable, c’est la réalité : vous n’avez voté aucune disposition antiterroriste. Vous pouvez toujours prétendre que vous n’êtes pas laxiste, que vous souhaitez mener une politique efficace de lutte contre le terrorisme, que vous êtes parfaitement de bonne foi lorsque vous constatez les failles des services de renseignement dont vous êtes d’ailleurs devenu un théoricien litanique et reconnu, votre posture ne m’en paraît pas moins entachée d’un peu de mauvaise foi. Et il n’est pas interdit de pointer un peu de mauvaise foi, surtout lorsqu’il y en a beaucoup.

Monsieur Devedjian, vous me posez deux questions précises. La première est celle du procureur de la République. Rappelons qu’il est systématiquement avisé, que la personne en cause soit mineure ou majeure, et qu’il peut à tout moment mettre fin à la mesure.

M. Patrick Devedjian. Avant.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. S’agissant des mineurs, une autorisation expresse est nécessaire car, justement, ils ne sont pas majeurs. Le procureur de la République, qui a donné l’autorisation, peut décider à tout moment de mettre un mineur sous protection de la justice s’il s’avère qu’il se trouve sous l’emprise d’organisations sectaires, par exemple, dont il convient de l’extraire. C’est la raison pour laquelle nous faisons une telle distinction. La mise sous protection du mineur est un objectif essentiel de la disposition que nous proposons de retenir et de mettre en œuvre.

Vous vous demandez par ailleurs, monsieur Devedjian, quelles raisons sérieuses pourraient laisser penser que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste. Prenons un exemple concret car, si nous sommes amenés à proposer de telles dispositions, c’est pour répondre à des situations précises auxquelles nous avons déjà été confrontés. Admettons que nous soyons dans une situation de crise et que nous devions faire face à un niveau de menace élevé, ce qui est le cas aujourd’hui. Si les services de renseignement d’un pays voisin nous indiquent que des individus, susceptibles de passer à l’acte, se trouvent à bord d’un certain type de véhicule, en provenance de tel pays, et qu’ils pourraient emprunter un certain axe de circulation, toutes ces informations justifient qu’on les interpelle. Or, beaucoup de véhicules du même type circulent et les vérifications risquent d’être nombreuses. Si nous devons agir dans l’urgence, cette mesure peut s’avérer utile pour procéder aux vérifications nécessaires, après information du Procureur. Voilà le contexte, et les raisons pour lesquelles nous prenons ce type de mesures.

M. Patrick Devedjian. Ce n’est pas le texte.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous n’avons pas la volonté de judiciariser des actes commis car, lorsqu’un acte terroriste est perpétré,…

M. Pierre Lellouche. C’est trop tard.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …la souffrance qui en découle est telle, la société se trouve à ce point perturbée et affaiblie par une forme de résilience, que nous avons le devoir de prévenir les actes terroristes. C’est pourquoi nous prenons ces dispositions.

M. Patrick Devedjian. Ce n’est pas le texte.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais, au passage, relever une remarque de M. Mamère. Ce n’est pas parce que nous prenons toutes les précautions que le risque sera nul. Nous savons, en revanche, que ne pas prendre de précaution nous expose à un risque maximal. J’imagine très bien ce que pourraient être les débats après l’adoption d’un tel texte. Si, après l’état d’urgence, alors que tous les décrets d’application de la loi relative au renseignement auront été pris, un attentat est commis, il y aura toujours quelqu’un pour nous rappeler que nous avions été prévenus et que ces mesures ne servaient bel et bien à rien ! Or, si de telles dispositions n’avaient pas été prises, ce n’est peut-être pas un attentat qui aurait eu lieu, mais cinquante ou soixante ! C’est pourquoi, en la matière, la pondération du propos, le pragmatisme dans l’approche, la lucidité face aux risques, doivent être la méthode.

Enfin, monsieur Tourret, nous sommes prêts à étudier, dans le cadre de la navette, les questions relatives à la traduction ou à l’accompagnement de la personne retenue. Nous sommes disposés à vous rencontrer pour approfondir la réflexion et répondre à vos préoccupations.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 148, 163, 248, 431, 459, 509 et 557.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants48
Nombre de suffrages exprimés47
Majorité absolue24
Pour l’adoption12
contre35

(Les amendements identiques nos 2, 148, 163, 248, 431, 459, 509 et 557 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement n548.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je voudrais, par cet amendement, attirer l’attention du Gouvernement sur la situation particulière des mineurs. Sans verser dans l’angélisme, la France réserve un traitement particulier aux mineurs. Or, dans sa version initiale, le dispositif de la retenue de quatre heures ne prévoyait aucune mesure particulière pour les mineurs. Le Gouvernement ayant travaillé avec notre groupe pour répondre à notre préoccupation, je retire mon amendement.

Je voulais insister sur l’importance de ne pas traiter les mineurs comme des adultes car, même s’ils peuvent, eux aussi, commettre des actes répréhensibles, il convient de les traiter différemment. Quel que soit l’acte commis, il ne remet pas en cause la minorité de son auteur.

(L’amendement n548 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n207.

M. Alain Tourret. Il est défendu.

(L’amendement n207, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 261, 449 et 537.

La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n261.

M. Alain Tourret. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n449.

M. Yves Goasdoué. Je l’ai dit tout à l’heure, il est important de fixer clairement les modalités de déclenchement de la retenue de quatre heures.

La mesure s’applique à « toute personne faisant l’objet d’une vérification d’identité », « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ». Le groupe SRC considère que le cadre de cette mesure est un peu large et que l’incidente doit être retirée. L’amendement tend donc à supprimer, à l’alinéa 3, les mots : « ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement, ».

J’espère qu’un tel amendement permettra à Alain Tourret, Pierre-Yves Le Borgn’ et quelques autres de nos amis de bien s’assurer de nos intentions en la matière.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur, pour soutenir l’amendement n537.

M. Pascal Popelin, rapporteur. La présentation de cet amendement me permettra également d’exprimer l’avis de la commission sur les deux amendements identiques que viennent de défendre MM. Tourret et Goasdoué, au nom du groupe SRC. La restriction proposée me paraît opportune. Avis favorable, donc.

(Les amendements identiques nos 261, 449 et 537, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur, pour soutenir l’amendement n536.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Comme je l’ai annoncé tout à l’heure à propos des amendements de suppression, nous avons explicitement précisé en commission, sur ma proposition, ce qu’il était possible de faire durant le temps de la retenue pour vérification. Je propose désormais, avec cet amendement, d’encadrer encore la rédaction de l’article en écrivant aussi ce qu’il n’est pas possible de faire. L’amendement a donc pour objet d’insérer, après l’alinéa 3, l’alinéa suivant : « La retenue ne peut donner lieu à audition. ». Ainsi, aucune confusion ne pourra plus être entretenue avec la garde à vue.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le rapporteur, il s’agit là d’un progrès important. En effet, cette zone de non-droit aurait pu être ce que l’on cherchait autrefois à obtenir, à savoir une zone durant laquelle on chercherait à obtenir des aveux – on sait en effet la faveur dont jouit en France cette religion de l’aveu ! Le fait qu’il ne puisse être procédé à aucune audition renforce la possibilité que nous acceptions – éventuellement –, au cours de la discussion, de voter cet article 18.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Je souscris aux propos de M. Tourret, car nous nous inquiétions de savoir ce qui se passerait durant ces quatre heures. Vous avez en effet beaucoup évoqué les vérifications, mais le fait est que la personne concernée se trouve durant quatre heures dans un lieu qu’elle n’a pas choisi. Il fallait donc bien préciser qu’il n’y avait pas d’entorse au droit.

Je saisis cette occasion pour vous demander une précision. L’article 18 prévoit en effet que la personne faisant l’objet de cette retenue peut faire appeler « une personne de son choix » : peut-il s’agir d’une personne autre qu’un membre de sa famille – par exemple son avocat ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je répondrai immédiatement, car cette question a été réglée en commission par une harmonisation de la rédaction du texte : il y est désormais question d’« une personne de son choix », et non plus d’une personne de sa famille. La personne de son choix, c’est la personne de son choix ! On peut donc, si l’on veut, appeler son avocat.

(L’amendement n536 est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 72, 136 et 257.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n72.

M. Georges Fenech. Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur, mais également au ministre de la justice, dont je souhaiterais en effet connaître l’avis quant à l’intervention du procureur de la République en tant qu’organe de contrôle judiciaire de cette mesure de retenue, qui est certes attentatoire à une liberté individuelle. Elle est nécessaire, et c’est pourquoi nous l’avons votée dans le cadre de ce projet de loi, mais reste à savoir de quelles garanties vous l’assortissez pour le respect des libertés individuelles.

Pourquoi avoir choisi le procureur de la République, et non pas le juge des libertés et de la détention – JLD ? Vous connaissez en effet la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le statut du parquet. De fait, jusqu’à preuve du contraire, le parquet n’est pas encore indépendant dans notre pays. Peut-être le deviendra-t-il – c’est en tout cas ce que je souhaite, à titre personnel –, mais cela suppose une révision de la Constitution puisque cela suppose une réforme du Conseil supérieur de la magistrature. J’ignore si vous la ferez.

Vous introduisez à maintes reprises dans ce projet de loi le juge des libertés et de la détention, ce qui est normal. Ainsi, lorsque le procureur de la République procède à des perquisitions de nuit, il le fait, si j’ai bien compris, sur autorisation du JLD. Se pose donc la question du statut de ce juge, qui n’existe pas encore dans l’organisation judiciaire actuelle – il est en effet désigné par le président du tribunal, et non pas nommé par décret, comme les juges d’instruction ou les juges des enfants. Le JLD dispose de pouvoirs accrus, très importants, ce qui pose la question de son statut et suppose aussi une réforme par loi organique.

Dans cette histoire, on a un peu mis la charrue avant les bœufs, car il aurait d’abord fallu définir un statut reconnu et particulier du JLD. Je crains donc que ces dispositions et les garanties apportées ne soient pas suffisantes au regard des règles imposées par l’Union européenne.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n136.

M. Alain Tourret. La question posée par cet amendement est importante. En effet, comme vient de le souligner très justement M. Fenech, le statut du procureur de la République est susceptible d’être mis en cause devant les juridictions européennes.

Mon avis diffère cependant un peu de celui de M. Fenech, car j’ai toujours pensé que le procureur de la République n’avait pas à être un organe totalement indépendant.

Mais il n’en reste pas moins que se pose le problème du statut de la personne susceptible de prendre les décisions qui concernent justement les libertés.

Nous savons que, par principe, le procureur est le défenseur des libertés ; mais nous savons également que cette notion est susceptible d’être remise en cause. C’est pourquoi j’attends avec beaucoup d’intérêt l’avis des deux ministres sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n257.

M. Pascal Cherki. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ces amendements posent plusieurs questions : judiciarisation ou pas ? Sous le contrôle du juge ou pas ? Pourquoi le procureur de la République plutôt que le juge des libertés et de la détention ?

Je rappelle tout d’abord que le Conseil constitutionnel considère que certaines mesures privatives de liberté organisées à des fins de police administrative ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution, et ce même si elles échappent au contrôle de l’autorité judiciaire, dès lors qu’elles sont nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de préservation de l’ordre public, brèves, consignées par les agents de police et de gendarmerie nationale et prises en compte, le cas échéant, dans la durée de la garde à vue. Le dispositif de l’article 18 répond totalement à ces critères.

Ainsi que je viens de le dire, le dispositif proposé à l’article 18 offre des garanties proportionnées à la restriction de liberté qu’il constitue puisque la personne ne peut être retenue que pendant un temps strictement nécessaire à l’accomplissement des vérifications et pour une durée maximale de quatre heures – donc un temps bref. Cette personne est aussitôt informée de son droit de prévenir à tout moment la personne de son choix. Si les circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui-même la personne choisie.

L’officier de police judiciaire mentionne dans un procès-verbal, transmis au procureur de la République, les motifs qui justifient la vérification de situation administrative et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer. Cette retenue s’impute sur le temps éventuel d’une garde à vue ultérieure. D’autre part, le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment. Pourquoi le procureur de la République ? Tout simplement parce que, à ce stade, le procureur de la République est en situation d’apprécier s’il y a lieu de prononcer ou pas une garde à vue. Voilà la raison de ce choix.

À l’aune de ces éclaircissements, le fin juriste que vous êtes pourrait retirer cet amendement : s’agissant d’une mesure de police administrative, l’intervention du procureur de la République ne sert qu’à vérifier que nous sommes à bon droit dans une procédure administrative et non pas dans une procédure qui mériterait d’être immédiatement judiciarisée, par exemple par le prononcé d’une garde à vue.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je suis du même avis que le rapporteur ; je ne vais donc pas redéployer l’argumentation qu’il vient de développer puisque j’y adhère en tout point. Mais je veux répondre à la question que vous avez posée concernant les garanties qu’offre le procureur de la République.

Le procureur de la République encadre aujourd’hui 96 % des gardes à vue ; or il ne s’agit pas d’une garde à vue. Donc s’il est légitime à encadrer 96 % des gardes à vue, on peut considérer que, pour une mesure de cette nature, sa légitimité est plus forte encore.

Deuxièmement, pour le Conseil constitutionnel, le procureur de la République est considéré comme une autorité judiciaire au titre de l’article 66 de la Constitution.

M. Pierre Lellouche. Pour la Cour de Strasbourg également !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne suis donc pas sûr que la crainte que vous exprimez, qui repose sur une interrogation juridique légitime, soit justifiée au regard de ce que je viens de dire concernant la position du Conseil constitutionnel sur le procureur de la République.

M. le président. Monsieur Fenech, maintenez-vous votre amendement ?

M. Georges Fenech. Je maintiens mon amendement en précisant que c’est une interrogation que se posent tous les juristes d’une manière générale. Vous avez entendu comme moi les réactions du corps de la magistrature lors des rentrées solennelles, avec une crainte d’une dépossession du juge judiciaire au profit de l’administration.

Nous ne savons pas s’il s’agit vraiment d’une procédure purement administrative car elle prévoit des mesures qui se rapprochent tout de même des procédures d’enquête : on consulte des fichiers, il y a un procès-verbal, un officier de police judiciaire. C’est une procédure très spéciale, et pas uniquement une vérification administrative !

Cette interrogation que se posent les acteurs judiciaires, les avocats, le barreau de Paris qui nous a sensibilisés sur ces questions, sera incontestablement posée un jour ou l’autre devant les juridictions internationales.

(Les amendements identiques nos 72, 136 et 257 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n53.

M. Pierre Lellouche. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 qui vient d’être adopté, c’est-à-dire à supprimer le droit pour la personne retenue administrativement pendant quatre heures, et dont on a toutes les raisons de penser qu’elle peut être liée à des activités terroristes, de téléphoner et de prévenir la personne de son choix : c’est exactement l’inverse de ce qu’il faut faire !

Si l’on a des raisons sérieuses de penser que cette personne peut être liée à un groupe terroriste et que l’on fait effectuer des vérifications, notamment auprès des services étrangers, la dernière chose à faire, c’est de lui donner la possibilité de téléphoner à des complices ou à quelqu’un pour l’avertir qu’elle est contrôlée : cela n’a aucun sens !

Deuxième point : vous expliquez qu’il ne s’agit pas d’une garde à vue et qu’il n’y a pas de droit à l’avocat. Si on n’est pas dans la garde à vue mais dans un régime de police administrative, sous le contrôle du procureur dans les conditions que vous venez de rappeler et que je partage, alors à quoi bon ouvrir la possibilité de téléphoner, de prévenir éventuellement un avocat, de le faire dans une langue étrangère, etc. ?

Vous entretenez vous-même la confusion sur le régime de rétention administrative temporaire que vous créez. Si vous créez ce régime, c’est, comme le rappelait tout à l’heure le ministre, parce que l’on soupçonne une personne d’être probablement liée à une organisation terroriste et que l’on se donne le temps de vérifier auprès d’un certain nombre de pays amis et de consulter des fichiers internationaux. Mais ne lui donnez pas les moyens de communiquer, sinon cela ne sert à rien ! C’est là que j’arrête de vous suivre, monsieur le ministre : jusque-là, j’étais complètement en phase avec votre analyse de ce qui nous arrive, mais là, je ne comprends plus !

Par ailleurs, en faisant cela, vous entretenez le doute sur la cohérence juridique du régime que vous créez, dans lequel on n’a pas l’avocat, on a le procureur mais, dans le même temps, on peut prévenir l’avocat en passant un coup de fil – il faut savoir dans quel monde on habite !

Il s’agit d’un régime de police administrative qui sert à lever un soupçon ou, s’il y a un problème, à judiciariser. Restons dans ce cadre et ne donnez pas au terroriste présumé les moyens de prévenir son organisation : cela n’a aucun sens !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. On voit bien, à travers cette discussion, que certains nous proposent d’accroître les éléments de garantie quand d’autres considèrent que ceux qui sont proposés sont excessifs. Je vais m’efforcer, tout au long de nos débats, de conserver le juste équilibre entre ces deux situations qui me semblent, l’une comme l’autre, constituer des écueils.

Vous évoquez ce que vous considérez comme une procédure hybride. Non ! Très clairement, le statut de cette mesure est celui d’une mesure de police administrative à ce stade, puisqu’elle peut conclure soit à ce que la personne reparte librement, soit que l’on passe à une procédure judiciaire clairement définie, par exemple par le régime de la garde à vue.

Mais nous ne partons pas de nulle part : ce régime de retenue pour vérification approfondie est inspiré, dans les modalités qui sont proposées, de la retenue pour vérification d’identité qui existe déjà, prévue par l’article 78-3 du code de procédure pénale. Ledit article prévoit également la possibilité pour la personne retenue de faire prévenir ou de prévenir elle-même la personne de son choix.

Par ailleurs, la proposition que vous faites ne revêt aucun intérêt opérationnel. La commission a donc repoussé votre amendement.

M. Pierre Lellouche. Pourquoi cela n’a-t-il aucun intérêt opérationnel ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. M. Lellouche pose une vraie question. Même si, dans les débats, lorsqu’il est trop d’accord, il cherche un petit chemin pour ne plus l’être, là je dois reconnaître que le petit chemin n’est pas mauvais et que la question qu’il pose n’est pas illégitime.

Une explication tout d’abord sur les raisons pour lesquelles nous avons pris cette disposition : nous avons pris cette disposition parce qu’elle se cale sur la procédure prévue à l’article 78-3 du code de procédure pénale relative au contrôle d’identité. Il nous paraissait difficile, dans un texte de cette nature, compte tenu de l’équilibre sur lequel il repose, de faire moins dans cette disposition que ce qui était prévu pour les contrôles d’identité.

Vous soulevez un problème qui est réel : celui de la possibilité d’alerter pendant la vérification, dès lors qu’on peut appeler une personne de son choix, des individus qui pourraient éventuellement poser problème.

J’entends cela ; je propose, si vous en êtes d’accord, de profiter de la navette parlementaire pour retravailler ce sujet – je m’engage à le faire – compte tenu de la préoccupation que vous avez exprimée, qui n’est pas illégitime et qui rejoint une préoccupation que j’ai moi-même. Je vous demande, en contrepartie de l’engagement que je prends, de retirer votre amendement.

M. le président. Monsieur Lellouche, retirez-vous votre amendement ?

M. Pierre Lellouche. Nous le maintenons.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Il est vrai que l’article proposé dans le projet de loi est calqué sur l’article 78-3 du code de procédure pénale, mais la vérification d’identité concerne des délits d’une nature différente de celle visée dans ce projet de loi qui concerne la lutte contre le terrorisme.

Il y aurait une incongruité à permettre de prévenir une personne de son choix, par exemple un éventuel complice, lorsque la vérification ferait apparaître que la personne retenue est entrée sur le territoire national pour commettre ou faciliter la commission d’un attentat. La rédaction de l’article pose problème et je partage les préventions de M. Lellouche. Mais comme on veut calquer cela sur le régime de la vérification d’identité, on se trouve dans une impasse.

M. Pierre Lellouche. Exactement !

M. Pascal Cherki. Il serait donc plus simple que la seule personne qu’elle puisse prévenir soit un avocat qui, lui, est quand même tenu par un certain nombre de contraintes.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Il serait sage de voter l’amendement de Pierre Lellouche pour deux raisons. La première, c’est que l’analogie avec la rédaction de l’article 78-3 a vraiment ses limites : il s’agit d’une retenue pour la vérification d’identité de la personne lambda qui a oublié sa carte d’identité ou son permis de conduire à la maison – je résume un peu l’esprit, mais c’est cela.

En l’occurrence, précisément, on essaie de créer une procédure exceptionnelle – et non une procédure d’exception – pour les cas très particuliers où il existe une présomption selon laquelle on a affaire à un individu extrêmement dangereux. Il me paraît donc vraiment curieux de lui donner tout de suite la faculté de prévenir un complice, un tiers ou que sais-je.

Deuxième remarque : on voit bien – le ministre qui nous invite à retravailler cet alinéa en est sans doute conscient – que la rédaction proposée par le texte est un nid à contentieux puisqu’elle dit à la fois que la personne faisant l’objet de la retenue est informée de son droit de prévenir à tout moment une personne et, immédiatement après, dans la deuxième phrase du même alinéa, que si des circonstances particulières l’exigent – sans trop les définir, ce qui montre bien la gêne du rédacteur de cet alinéa –, l’officier de police judiciaire préviendra lui-même la personne choisie par la personne faisant l’objet de la retenue.

Il me semble vraiment que cette rédaction très hasardeuse vide dans une certaine mesure de son contenu l’article que nous proposons de soutenir. Il y a là, vraiment, une ambiguïté dangereuse : il ne faudrait pas donner à ces individus dangereux la faculté de prévenir d’autres individus très dangereux au moment même où ils font l’objet de cette vérification.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je suis très sensible à cet argument de Pierre Lellouche et de Guillaume Larrivé, mais je propose vraiment – le compte rendu de l’Assemblée en fait foi – que l’on prenne le temps de bien réfléchir à la manière dont on articule la garantie avec le risque.

M. Patrick Devedjian. On est dans l’improvisation !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est pour cela que je propose que l’on réserve cette affaire et que Pierre Lellouche, s’il l’accepte, retire son amendement.

M. Patrick Devedjian. Il s’agit de libertés publiques et on est dans l’improvisation !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, on n’est pas dans l’improvisation ! Il s’agit de sujets compliqués et l’on pourrait très bien, si l’on était très peu soucieux des libertés publiques, supprimer totalement cette disposition : l’affaire serait réglée !

C’est précisément parce que nous ne sommes pas dans l’improvisation et que nous souhaitons que la question des libertés publiques soit totalement prise en compte dans ce texte que je propose que Pierre Lellouche retire son amendement, en sachant que je m’engage à ce que l’on travaille ensemble pour trouver une rédaction qui convienne et qui permette de trouver l’équilibre entre libertés publiques et efficacité de la mesure. Comme le disait Pierre Lellouche à l’instant, si la personne de son choix est M. Al Baghdadi, cela va poser un problème !

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Nous sommes un certain nombre sur tous ces bancs à nous inquiéter de l’efficacité du dispositif. L’article 18 ne me gêne pas en lui-même et c’est pourquoi je n’ai pas voté en faveur de sa suppression.

Pierre Lellouche et Guillaume Larrivé nous disent que s’il y a des raisons sérieuses pour soupçonner la personne de terrorisme, il ne faut pas lui laisser le temps d’appeler qui que ce soit. Le problème est d’apprécier le « sérieux » des soupçons. On le sait, c’est le rôle des services, via notamment les fameuses « notes blanches » qui sont aujourd’hui en débat. Certes nos services ne fonctionnent pas si mal que ça dans ces domaines, et c’est heureux, mais il peut y avoir de temps en temps des interprétations problématiques de ces notes, ou de ce qui peut constituer une « raison sérieuse ».

Il doit quand même en démocratie exister des garanties contre le risque d’être accusé a priori. On doit pouvoir prévenir, soit des proches, soit des juristes – j’imagine que vous ne voulez pas supprimer le droit à être défendu même quand on a commis le pire des crimes.

C’est pourquoi je trouve intéressant, monsieur le ministre, qu’on puisse connaître la personne choisie, soit qu’il revienne à l’officier de police judiciaire de l’appeler, soit que le retenu dise de qui il s’agit, au cas où il l’appelle lui-même.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Nous ne sommes pas là, monsieur le ministre, pour nous faire des entourloupes ou autres gamineries. Mon seul objectif c’est qu’on trouve un dispositif efficace, peu m’importe qu’il soit de droite ou de gauche. Tout ce que je veux, c’est que nous ne soyons pas attaqués par des terroristes. C’est pour cela que je suis là, c’est pour cela que j’ai travaillé sur ce texte et que je fais ces propositions.

La question est simple. Si on pense que ce mécanisme de rétention temporaire est utile, comme c’est mon cas, rendons-le efficace. Pour cela, il faut que la personne soit maintenue comme dans une bulle, pour laisser à nos services le temps de joindre d’autres services et de se connecter aux autres fichiers.

La question est donc celle du temps nécessaire à ces vérifications. Vous nous proposez quatre heures. Je vous proposerai pour ma part d’aller jusqu’à vingt-quatre heures parce que je ne crois pas que quatre heures soient suffisantes.

Si vous tenez absolument à la durée de quatre heures, alors vous pouvez interdire tout contact avec l’extérieur pendant ce temps : ce n’est pas la mort du petit cheval. C’est seulement si on va jusqu’à vingt-quatre heures qu’il faudra aménager la possibilité d’une communication, avec un avocat par exemple.

C’est une période de sûreté administrative. Pour que cela marche, il faut que la personne soit isolée, faute de quoi tout l’exercice que nous sommes en train de mettre en place sera vicié.

Je veux bien retirer mon amendement si cela vous est utile, mais je voudrais que ce soit à l’issue d’une discussion globale sur l’article et sur la durée de rétention et que vous proposiez au cours de cette première lecture une rédaction qui convienne à chacun.

J’aimerais bien vous entendre sur cette question des quatre heures. Vous avez toutes les informations puisque vous êtes aux manettes, mais l’expérience que j’ai me fait douter qu’une telle durée suffise à recueillir toutes les informations nécessaires sur une personne auprès des services étrangers, compte tenu notamment des décalages horaires.

M. le président. Monsieur Lellouche, retirez-vous votre amendement, en considération de l’engagement du ministre et des interventions venant de tous ces bancs qui ont souligné l’importance d’une réflexion sur ce point ?

M. Pierre Lellouche. Si le ministre s’est engagé…

(L’amendement n53 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n579 rectifié.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la reprise de l’amendement de M. Tourret concernant la possibilité pour la personne retenue de bénéficier du concours d’une personne parlant sa langue.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cet amendement n’a naturellement pas pu être examiné par la commission, mais je donne un avis favorable à titre personnel.

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je vous savais normand, monsieur le ministre, mais pas à ce point-là !

Prolongeant la discussion sur l’amendement de Pierre Lellouche, je dirais que vous oscillez entre ce que vous savez devoir faire – introduire une mesure de sûreté, à savoir cette retenue de quatre heures – et ce que vous croyez devoir introduire dans ce texte par précaution pour équilibrer les choses.

Cette disposition est assez extravagante puisque cela revient à introduire l’obligation de trouver un interprète. S’il faut dans les quatre heures trouver dans la campagne entre Dreux et Mantes-la-Jolie un interprète capable de traduire du syrien, de l’afghan ou que sais-je encore à deux heures du matin, je me demande comment pourrait être opérant le dispositif que vous avez vous-même défendu de manière très convaincante, monsieur le ministre, en nous décrivant le processus, et le type de personnes dont il peut s’agir – en général des individus étrangers.

Tout cela sent l’improvisation et je crois que, comme vous l’avez reconnu vous-même il y a quelques minutes, cet article a besoin d’être réécrit.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Nous sommes d’accord, monsieur le ministre, que la rédaction exacte de l’amendement n579 rectifié est la suivante : « La personne retenue est immédiatement informée par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, de la durée maximale de la mesure et du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix » ? Dans une première version de votre amendement, les mots : « et du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix » ne figuraient pas. Il y a donc bien deux possibilités.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Dans la mesure où nous avons retiré l’amendement précédent, je vous demande de faire de même de celui-ci, monsieur le ministre.

Si le but est de donner la permission au retenu de prévenir la personne de son choix en ourdou ou en arabe, on se tire une balle dans le pied !

On peut comprendre que le brave citoyen français arrêté par erreur dans un endroit où un attentat a été commis ou était en préparation ait envie de prévenir son conjoint. Mais quand on tombe sur un type qui arrive directement d’Afghanistan et qu’il faut trouver un interprète parlant farsi à trois heures du matin pour lui expliquer qu’il a le droit de prévenir son réseau, je ne comprends plus la logique !

Puisque nous sommes d’accord pour dire qu’il faut le garder dans une bulle, je vous demanderai de retirer votre amendement, monsieur le ministre.

M. Éric Ciotti. C’est le monde à l’envers !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non ce n’est pas le monde à l’envers, et on ne peut pas faire dire aux textes ce qu’ils ne disent pas.

Il s’agit de permettre à la personne de bénéficier du concours d’une personne parlant sa langue, ce qui ne signifie pas que la personne retenue choisit la personne parlant sa langue.

Par ailleurs, la personne en question peut très bien bénéficier du concours d’une personne parlant, non seulement sa langue, mais une langue qu’elle comprend et qui peut ne pas être sa langue. Par exemple, cette personne peut parler le tokharien B ou le tagalog et comprendre l’anglais !

Il y a peut-être de l’intérêt à inventer des difficultés, mais il s’agit là de faire en sorte qu’une personne qui est retenue pendant quatre heures puisse comprendre ce qu’on lui dit. Donc la personne qui sera mobilisée pour parler une langue accessible à l’entendement de la personne retenue peut être tout à fait choisie par nous sans que cela suscite les inconvénients que vous indiquiez à l’instant.

M. Pierre Lellouche. Je parle des derniers mots de votre amendement, selon lesquels le retenu doit être informé « qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix. »

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement a été préparé avant que votre amendement ne soit examiné, monsieur Lellouche. Le fait que nous avons décidé ensemble de réécrire le texte de manière à satisfaire votre préoccupation fait tomber de fait cet élément de l’amendement, bien entendu.

M. Pierre Lellouche. Merci de la précision !

M. Patrick Devedjian. Alors ce n’est plus l’amendement n579 rectifié !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’amendement gouvernemental a été rédigé préalablement à l’examen de l’amendement précédent.

Celui-ci soulevait le problème de la possibilité pour la personne retenue de prévenir une personne de son choix. Nous n’allons pas réintroduire dans cet amendement une disposition aussi problématique.

Il y a donc deux hypothèses concernant cet amendement. Soit on le vote en l’état : dans ce cas je propose de mettre à profit la navette pour enlever l’aspérité qui résulte de la décision que nous avons prise au cours de l’examen de l’amendement précédent. Cela n’enlève rien à la cohérence de ce que nous nous sommes dit tout à l’heure, à savoir que sur la question de l’information de la personne de son choix nous reverrions le dispositif au cours de la navette. Je m’y suis engagé.

Comme cet amendement, qui a été rédigé avant que nous ayons ce débat, introduit cet élément-là, on corrigera au cours de la navette, comme pour l’amendement précédent.

Si vous ne le votez pas en l’état, on peut le sous-amender de façon à supprimer cette partie de la phrase.

M. le président. Il y a donc deux possibilités : M. le ministre propose soit de voter l’amendement en l’état et de le corriger ensuite en fonction du travail qu’il reste à réaliser, soit de modifier cet amendement en supprimant la fin de la phrase après les mots : « la mesure ».

La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le ministre, vous pouvez être très clair comme vous pouvez parfois être dur à suivre !

Si j’ai bien compris, l’amendement du Gouvernement dit que « la personne retenue est immédiatement informée par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, de la durée maximale de la mesure et du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix. »

J’avais cru comprendre que l’intervention de M. Lellouche portait uniquement sur la possibilité pour la personne retenue pendant cette durée de quatre heures de communiquer avec la personne de son choix, c’est-à-dire que cette personne peut prévenir quelqu’un de sa famille ou un complice, en Afghanistan ou au Pakistan, mais pas un avocat, contrairement à ce que nous demandions.

Vous avez, monsieur le ministre, demandé à notre collègue de retirer son amendement, ce qu’il a fait volontiers, et vous nous appelez à voter l’amendement en l’état. Or il suffirait – et si j’étais M. Lellouche c’est ce que je demanderais – de supprimer la fin de l’amendement après les mots : « la durée maximale de la mesure ». Il n’y a pas besoin d’attendre la navette pour ce faire.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends la complexité du débat, puisque cet amendement a été rédigé avant que nous examinions celui de M. Lellouche, relatif à un problème sur lequel j’ai dit souhaiter que nous prenions le temps de travailler ensemble pour trouver la rédaction la plus efficace, ce qui me paraît être une démarche pragmatique.

Monsieur Coronado, avant que vous vous exprimiez, j’ai indiqué que deux hypothèses se présentaient à nous : soit prendre l’amendement en l’état et le corriger ultérieurement, soit le sous-amender de manière à enlever le membre de phrase qui pose problème.

M. le président. Monsieur le ministre, nous ne pouvons voter sur deux hypothèses : il faudrait en retenir une.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Il y a une confusion. Deux versions de l’amendement ont été distribuées : l’amendement n579 du Gouvernement qui s’arrête à : « durée maximale de la mesure » et ensuite l’amendement n579 rectifié qui ajoute : « et du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix ».

Maintenant, vous nous proposez de sous-amender cet amendement rectifié pour revenir au précédent : nous sommes chez les fous !

M. le président. Non, monsieur Devedjian : il y a eu un débat et je crois que M. le ministre a très clairement rappelé ce qui s’est passé. L’amendement n579 rectifié a été distribué avant que M. Lellouche s’exprime.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Nous avions proposé un tel amendement. Ce qu’il faut retenir, c’est la première hypothèse proposée par M. le ministre, qui a démontré sa capacité à trouver un consensus : l’autre hypothèse serait un signe de fermeture.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Compte tenu de nos échanges, je propose que l’Assemblée nationale puisse se prononcer sur la seconde option. C’est la raison pour laquelle, avec Pierre Lellouche, je dépose un sous-amendement à l’amendement n579 rectifié visant à supprimer les mots : « et du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir à tout moment une personne de son choix ».

M. le président. Ce sous-amendement portera le n580.

La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’ai aucun problème à accepter ce sous-amendement de cohérence. Je ne vais pas, après avoir demandé à M. Lellouche de retirer un amendement relatif au droit de prévenir la personne de son choix parce que ce droit pose un problème d’efficacité de la mesure, refuser un sous-amendement qui vise à supprimer la même disposition. Ou alors, je serais dans une complète incohérence.

Il y avait deux hypothèses. La première consistait à voter l’amendement intégralement et à corriger ensuite. Vous proposez de corriger tout de suite. Nous essayons dans ce débat de construire la loi ensemble, de façon consensuelle et intelligente : j’approuve donc ce sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Je rappelle que la seconde phrase de cet alinéa 5 prévoyait que « si des circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui-même la personne choisie par la personne faisant l’objet de la retenue ». Or l’adoption du sous-amendement à l’amendement n579 rectifié ferait purement et simplement disparaître l’obligation d’informer la personne faisant l’objet de cette retenue de son droit de prévenir à tout moment une personne de son choix…

(Le sous-amendement n580, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

(L’amendement n579 rectifié, sous-amendé, est adopté et les amendements nos 140, 424 et 302 tombent.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 333, 141, 367, 164, 512 et 453, pouvant être soumis à une discussion commune.

L’amendement n453 fait l’objet de deux sous-amendements, nos 565 et 566.

La parole est à M. Mathieu Hanotin, pour soutenir l’amendement n333.

M. Mathieu Hanotin. Si on ne peut plus appeler la personne de son choix parce que cela peut poser un problème, il faudrait au minimum insérer dans le texte une disposition prévoyant qu’on peut, durant ces quatre heures, appeler un avocat. Un avocat, ce n’est pas « une personne de son choix ». C’est quelqu’un qui est reconnu : il y a moins de risque que ce soit un terroriste.

M. Pierre Lellouche. Il y a de très bons avocats à Raqqa !

M. Patrick Devedjian. Ça suffit !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n141.

M. Alain Tourret. Certains prennent les avocats pour des complices des terroristes, d’après ce que j’ai compris. Mettons les choses au point : c’est à la fois protéger les libertés et la République que de faire intervenir un avocat.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n367.

M. Denys Robiliard. J’abonde dans le sens de M. Tourret : à l’évidence, un avocat n’est pas « une personne de son choix », mais une personne qui est encadrée, qui observe une déontologie, qui a un bâtonnier et qui est également sous le contrôle du procureur général. Cela fait quand même un bel ensemble.

Par conséquent, qu’est-ce qui s’oppose à ce qu’une personne retenue puisse prévenir l’avocat de son choix ? On me dit que cette personne n’est pas en garde à vue : c’est vrai, mais l’assistance d’un avocat peut prendre la forme d’une information sur le statut de la personne retenue. Elle peut consister aussi, si l’avocat l’estime nécessaire, dans des circonstances particulières, à saisir le procureur de la République de la difficulté que lui paraîtrait présenter la retenue opérée.

Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait refuser ce droit à la personne retenue, à laquelle, à ce stade, on ne reproche rien.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n164.

M. Pascal Cherki. On crée un nouveau régime permettant de retenir une personne pendant quatre heures – et maintenant sans lui permettre de prévenir la personne de son choix, ce qui est la grande différence avec l’article 78-3 du code de procédure pénale. Rappelons que cet article 78-3 concerne une personne qui ne peut justifier de son identité ou qui refuse de le faire : elle peut être retenue pendant quatre heures, et a la possibilité, dans ce cas, de prévenir une personne de son choix.

Dans cet article 18, il s’agit d’une personne qui a justifié de son identité, mais dont on estime qu’elle pourrait avoir un lien avec une entreprise terroriste : on a donc besoin de la retenir dans un local pendant quatre heures, et ce principalement dans le but de vérifier auprès des services spécialisés, français ou étranger, s’il s’agit d’une personne recherchée.

On voit bien pourquoi, dans ce cas, on ne veut pas qu’elle prévienne une personne de son choix : elle pourrait chercher à prévenir un éventuel complice, avec qui elle s’apprêtait à commettre un attentat.

D’accord, mais même dans ce cas, une personne n’est pas sans droits. Alors, qui peut-elle prévenir, pour vérifier que cela se passe dans les règles ? Un avocat.

Je ne reprendrai pas tout ce qu’a dit mon collègue Robiliard, mais un avocat n’est pas « une personne de son choix ». Ce n’est pas un complice.

Ce serait un bon équilibre : à partir du moment où nous créons un régime dérogatoire à l’article 78-3 du code de procédure pénale, il faut que la personne retenue puisse prévenir un avocat.

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian, pour soutenir l’amendement n512.

M. Patrick Devedjian. Tout a été dit. Je veux seulement rappeler que le droit à l’avocat est un droit général : le refuser est certainement contraire aux principes généraux du droit.

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n453 qui fait l’objet de deux sous-amendements, nos 565 et 566.

La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement.

M. Yves Goasdoué. Il s’agit du statut du mineur, dans le cadre de cette retenue de quatre heures.

Loin de moi l’idée que les mineurs seraient par nature non dangereux et non impliqués dans des affaires de terrorisme : malheureusement, le ministre pourrait citer des chiffres à ce sujet.

Cela étant, un mineur, même criminel, n’en devient pas majeur pour autant et il doit être protégé.

L’amendement que je présente au nom du groupe SRC comporte deux points. Nous souhaitons que la retenue d’un mineur soit subordonnée à l’accord exprès préalable du procureur de la République et nous souhaitons – mais nous voyons la difficulté – que ce mineur puisse non pas prévenir un avocat, mais être assisté d’un avocat.

M. le président. Je suis saisi de deux sous-amendements, nos 565 et 566, pouvant faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur, pour les soutenir, et pour donner l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements qui viennent d’être défendus.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Si vous le permettez, monsieur le président, dans la mesure où ont été mis en discussion commune, pour des raisons de procédure que je connais bien, des amendements portant sur deux sujets assez différents, je voudrais m’exprimer de manière globale.

Sur l’intervention de l’avocat, d’abord : comme je l’avais indiqué dès l’examen des amendements de suppression, je n’y suis pas favorable.

Je n’y suis pas favorable pour une raison principielle : il ne s’agit pas d’une garde à vue. Or, les termes : « assistée par un avocat » sont les termes exacts de l’article 63-1 du code de procédure pénale régissant la garde à vue.

D’ailleurs, je voudrais dire à plusieurs des orateurs ayant défendu des amendements qu’il y avait une ambiguïté dans leurs propos, puisque certains ont parlé de la possibilité de « prévenir un avocat », tandis qu’ils ont tous écrit dans leurs amendements que la personne peut « être assistée d’un avocat » : ce n’est pas tout à fait la même chose.

Je m’en tiens aux amendements tels qu’ils sont écrits et je dis que, puisque nous ne sommes pas dans le cadre d’une garde à vue, il n’y a pas nécessité de se faire assister par un avocat.

Mais il existe aussi une raison pratique. Nous avons tous évoqué la durée maximale de quatre heures – cela me permet d’ailleurs d’anticiper sur une des questions que posera M. Lellouche : pourquoi quatre heures ? Parce qu’au-delà des parallélismes de droit que nous avons recherchés afin de ne pas mentionner chaque fois de nouvelles durées, aucun praticien, aucun professionnel que nous avons auditionné sur ces questions ne nous a dit qu’une durée plus longue était nécessaire afin de réaliser les vérifications visées dans cet article 18.

En revanche, ce qui a souvent été dit – cela fera le lien avec la question de l’avocat –, c’est que, dans la plupart des cas, la durée nécessaire était nettement inférieure à quatre heures. Par conséquent, au-delà même de la question de principe – nous ne sommes pas dans une garde à vue –, si la vérification dure dix minutes, d’un point de vue pratique, comment un avocat, d’ailleurs la plupart du temps commis d’office, pourrait-il bénéficier d’un TGV personnel ou être doué d’une faculté de téléportation comme dans Star Trek ?

M. Olivier Marleix. La même question se pose si l’on prévoit l’obligation d’appeler un interprète.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Sur le plan des principes, je suis confronté à une difficulté juridique et, sur le plan pratique, la durée sera bien supérieure à quatre heures s’il faut tenir compte de l’arrivée de l’avocat !

Bref, pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable à l’adoption des amendements défendant la présence d’un avocat.

J’en viens maintenant à la question spécifique des mineurs et à mes sous-amendements à l’amendement de M. Goasdoué.

Oui, nous considérons que les mineurs doivent bénéficier d’une protection supérieure. J’aurais aimé que la situation que nous connaissons soit différente et qu’il ne soit pas nécessaire, pour ce type de vérification, de retenir des mineurs. Mais compte tenu du nombre de cas auxquels nous sommes confrontés, la réalité commande de dire que ce type de situations risque malheureusement de se présenter.

Je ne propose donc pas d’exclure a priori les mineurs de la possibilité d’une retenue maximale de quatre heures. Dès lors, il est normal de prévoir une protection supplémentaire par rapport à celle dont bénéficient les majeurs.

Je retiens, pour ma part, de l’amendement n453 de M. Goasdoué que « la retenue doit faire l’objet d’un accord exprès préalable du procureur de la République ». Comme l’a fort justement indiqué le ministre, non seulement cet accord exprès est une garantie pour le mineur ainsi placé sous la protection du parquet mais cela permet, face à un mineur isolé, de prendre toutes les mesures nécessaires vis-à-vis de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l’aide sociale à l’enfance départementale. Bref, nous instaurons des garanties supplémentaires.

Par cohérence avec ce que je viens de dire, je précise que le sous-amendement n565 supprime le mot « préalable » – les mots : « l’accord exprès » permettent une application pratique de la procédure – et le sous-amendement n566 supprime l’obligation de l’assistance d’un avocat.

Je résume. Avis défavorable à l’ensemble des amendements qui ont été défendus et qui concernent la question de l’avocat. Avis favorable à l’adoption de l’amendement n453 de M. Goasdoué et du groupe SRC, sous réserve que mes deux sous-amendements soient adoptés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’exposé de M. le rapporteur ayant été extrêmement précis et ayant évoqué tous les aspects du sujet sous un angle juridique et technique, je m’exprimerai brièvement.

Le Gouvernement est défavorable à l’adoption de ces amendements à l’exception de celui de M. Goasdoué sous réserve de l’adoption des sous-amendements proposés par le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Je suis d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : des mineurs peuvent être impliqués dans ce genre de situation et un encadrement est nécessaire.

Vous nous avez expliqué pourquoi vous ne souhaitez pas l’assistance d’un avocat. Je vous ai posé la question tout à l’heure et votre réponse était de bonne foi. S’il est possible de prévenir la personne de son choix, il est aussi possible de prévenir l’avocat – ce qui ne signifie pas que ce dernier « assiste » la personne au sens où il participerait à la procédure. Mais si j’ai bien suivi la réécriture de l’alinéa 5 à laquelle nous avons procédé tout à l’heure, même s’il y aura le temps de la discussion et de la navette, il ne sera plus possible de prévenir la personne de son choix – nous avons discuté de cela avec M. Lellouche. Il n’est donc même plus possible de prévenir l’avocat – sans même qu’il soit question d’assistance !

Vous comprendrez donc qu’un certain nombre d’inquiétudes se fassent jour et qu’elles s’expriment dans le débat qui est en train de s’ouvrir sur les amendements visant à réintroduire la présence de l’avocat.

Je me permets d’insister : avant la fin de notre discussion, en fin de semaine, il serait bon d’équilibrer à nouveau l’alinéa 5 et de faire en sorte de ne pas faire disparaître purement et simplement la possibilité de prévenir la personne de son choix – parce que, pour le coup, ce serait vraiment déséquilibrer cet article –, même si nous faisons confiance au ministre et au Gouvernement, dans le cadre de la navette, pour faire en sorte que ce ne soit pas le cas tout en tenant compte des arguments de MM. Lellouche et Larrivé.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je soutiens les amendements visant à ce qu’un avocat soit présent. Je note qu’ils ne sont pas issus d’un seul mais des deux côtés de l’hémicycle, ce qui prouve bien que cet article 18 soulève un problème au-delà de nos préférences partisanes.

Il soulève un problème quant au droit général, comme l’a très bien expliqué notre collègue Devedjian, puisque la présence d’un avocat est un principe de droit général auquel contrevient votre refus.

De plus, une retenue de quatre heures est très proche de la garde à vue et nous ne sommes pas dans le cadre du contrôle d’identité habituel.

J’ajoute que la personne retenue pendant quatre heures n’est pas inconnue, comme l’a précisé notre collègue Cherki, puisqu’elle a décliné son identité.

Dans un État de droit, un minimum de droits doivent être respectés. N’appliquons donc pas l’exception au droit ordinaire. C’est dangereux !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai l’impression que nous tournons en rond autour d’un fait qui a été très clairement expliqué par le rapporteur : nous ne sommes pas ici en présence d’une procédure de garde à vue, et dès lors, la notion de présence d’un avocat brouille complètement les choses au lieu de les clarifier.

Je souhaite plutôt intervenir sur les propos du rapporteur concernant l’amendement n453, que j’approuve, à condition bien entendu de supprimer l’adjectif « préalable » après les mots : « l’accord exprès ». En effet, quand sera-t-il formulé ? C’est comme la taxe : est-elle calculée en dedans ou en dehors ? Le préalable, est-ce avant qu’ait démarré le compteur des quatre heures ou y est-il compris ?

Dans le premier cas, cela prolonge les quatre heures : l’accord exprès du procureur est alors certes une garantie, mais une garantie qui allonge la durée de la retenue. Dans le second cas, nous ne sommes pas certain du moment où l’on aura cet accord exprès, qui ne peut pas toujours être immédiat – l’idéal serait qu’il le soit, mais la loi ne peut pas prévoir une telle obligation de résultat. Le système risque donc d’être inefficace et ne pas permettre d’obtenir les clarifications nécessaires.

L’idée de la protection du mineur est importante bien que, pour ma part – je dis cela pour prendre date –, j’appelle de mes vœux le moment où l’on différenciera la notion de minorité : autant la notion de personne vulnérable est objective, autant celle de minorité ne l’est qu’en apparence et est très variable sur le plan sociologique, comme le montre l’évolution de la société contemporaine. Sans doute faudra-t-il un jour s’adapter à cela. Mais il s’agit d’une question difficile que je ne propose évidemment pas de traiter ce soir.

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Je souhaite répondre aux deux arguments de M. le rapporteur et à celui de Mme Bechtel.

Il n’est pas nécessaire d’être en garde en vue pour avoir droit à l’assistance d’un avocat. On y a droit à tous les moments de la vie…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Pas pendant les premières heures de la garde à vue !

M. Patrick Devedjian. …lorsque l’on considère en avoir besoin. Il n’est pas nécessaire d’être en garde à vue pour avoir droit à un avocat ! Le fait qu’il ne s’agisse pas d’une garde à vue n’exclut donc pas pour autant le recours à un avocat.

M. Éric Ciotti. Ce n’est pas une obligation.

M. Patrick Devedjian. Ce n’est pas une obligation, c’est un droit. Et ce droit s’exerce dans toutes les circonstances de la vie, pas seulement en garde à vue, monsieur le rapporteur !

D’autre part, si l’accord du procureur de la République n’est pas préalable, ce n’est pas un accord du tout ! Il peut venir après la retenue de quatre heures – surtout si elle a lieu à deux heures du matin ! Cela se passera donc tout simplement sans l’accord du procureur de la République.

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Ce débat est un peu surréaliste et prêterait à sourire si le sujet n’était pas aussi grave et ne concernait pas la prévention d’actes de terrorisme.

Notre rapporteur explique qu’il ne sera pas possible, en quatre heures, d’attendre l’arrivée de l’avocat. Mais croyez-vous qu’on aura le temps d’attendre qu’un interprète parlant afghan soit dépêché sur place ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

M. Olivier Marleix. Tel que vous essayez de le rédiger et de le compléter, cet article ne fonctionne plus et devient tout à fait incohérent. Le Gouvernement doit assumer la mesure de police administrative qu’il a voulu créer initialement : il s’agit de retenir pendant quatre heures des individus sur lesquels pèse une suspicion dans des circonstances particulières. S’en tenir là serait infiniment plus sage.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. Je propose de sous-amender mon amendement afin de tenir compte des propos de M. Popelin. « La personne faisant l’objet de cette retenue doit pouvoir être assistée d’un avocat », écrivions-nous avec mes collègues. Je propose de disposer désormais que « la personne faisant l’objet de cette retenue doit pouvoir prévenir un avocat. »

M. le président. Il n’est pas possible de sous-amender son propre amendement, monsieur Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. Il s’agissait donc d’un appel à sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je ne voudrais pas qu’on laisse accroire que le rapporteur manquerait de cohérence intellectuelle et je souhaite préciser à M. Marleix…

M. Olivier Marleix. SOS Interprètes !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je m’exprimerai en français. D’abord, c’est la langue qui est obligatoire en cette maison et ensuite, je pense que nous n’avons pas besoin d’un interprète entre nous.

M. Éric Ciotti. La langue socialiste en mériterait parfois…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Les mots : « dans une langue qu’il comprend » n’implique en rien la présence d’un interprète. Informer des droits – c’est déjà le cas, hors des auditions, dans une garde à vue – implique simplement de disposer d’un formulaire dans une langue que comprend la personne, ce qui est assez simple à organiser et immédiatement communicable.

Pas de caricature, donc ! N’imaginez pas que faire comprendre à quelqu’un la situation juridique dans laquelle il se trouve dans une langue qu’il comprend – je suis désolé, mais cela me paraît important dans un État de droit – implique de réquisitionner un interprète d’une langue rare ! Il suffit simplement de prévoir les formulaires qui vont bien. Les traductions sur internet, de plus, permettent de transposer très rapidement des formules afin que la personne comprenne ce qui se passe.

De plus, comme il est interdit, ensuite, de procéder à l’audition de cette dernière, la présence d’un interprète physique n’est pas nécessaire.

(Les amendements nos 333, 141, 367, 164 et 512, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(Les sous-amendements nos 565 et 566, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

(L’amendement n453, sous-amendé, est adopté et les amendements identiques nos 153, 249 et 404 tombent.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 142, 165 et 511.

La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n142.

M. Alain Tourret. Nous proposons de préciser, après l’alinéa 5, que la personne faisant l’objet de la retenue est aussitôt informée de son droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer. C’est l’un des principes généraux du droit actuel.

M. le président. Monsieur Cherki, l’amendement n165 est-il défendu ?

M. Pascal Cherki. Âprement !

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian, pour soutenir l’amendement n511.

M. Patrick Devedjian. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. J’entends parfaitement que le droit de garder le silence soit un principe fondamental, mais, à partir du moment où l’on n’a pas le droit de vous auditionner, je pense que cet amendement est sans objet. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(Les amendements identiques nos 142, 165 et 511 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n54.

M. Pierre Lellouche. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement n78.

Il me semble que le rapporteur a déjà répondu à ma question, mais j’aimerais l’entendre aussi de la bouche du ministre. Sommes-nous bien d’accord que ces quatre heures sont le temps maximal nécessaire pour faire ces vérifications ? Si tel est le cas, il n’est pas nécessaire de demander un allongement de ce délai à huit ou vingt-quatre heures et je retirerai mes amendements, mais je voudrais avoir un engagement précis du ministre sur ce point. Tout dépendra donc de l’appréciation du ministre.

M. le président. La parole est à M. Ciotti, pour défendre l’amendement n234.

M. Éric Ciotti. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous avons déjà eu un débat sur ce sujet et j’ai exposé les raisons qui nous ont amenés à proposer une durée de quatre heures. Je m’en tiendrai à cela, même si je considère que l’extension de durée que vous proposez se heurterait irrémédiablement à un problème de constitutionnalité pour durée excessive.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. À l’argument qui vient d’être exposé par le rapporteur à l’instant, j’ajouterai que la durée de quatre heures que nous avons proposée dans le texte est le résultat de l’expérience des services et d’un travail que nous avons accompli en très étroite liaison avec eux, compte tenu des situations auxquelles nous avons été confrontés au cours des mois passés, et qui montrent que cette durée est tout à fait adéquate pour procéder aux vérifications nécessaires. Ma réponse, vous le voyez, est très claire.

M. Pierre Lellouche. Très bien.

M. le président. Monsieur Lellouche, vos amendements sont donc retirés ?

M. Pierre Lellouche. Je les retire.

(Les amendements nos 54 et 78 sont retirés.)

M. le président. Et le vôtre, monsieur Ciotti ?

M. Éric Ciotti. Je le maintiens.

(L’amendement n234 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur, pour soutenir l’amendement n542.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement n542, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n206.

M. Alain Tourret. Par cet amendement, nous proposons que, en deçà de l’âge de 16 ans, les mineurs ne soient pas concernés par les mesures privatives de liberté. Nous ramenons donc la limite de 18 à 16 ans.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable pour deux raisons. D’abord, je considère que nous avons déjà apporté, avec l’amendement que nous venons de voter, un certain nombre de garanties pour les mineurs. Ensuite, même si j’aurais aimé vous dire que les jeunes de moins de 16 ans ne sont pas concernés par les faits qui sont visés et qualifiés, il faut reconnaître que le spectre d’âge auquel on peut être confronté à cette nécessité de vérification descend en dessous de 16 ans.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. Alain Tourret. On va bientôt poursuivre jusque dans les pouponnières !

(L’amendement n206 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian, pour soutenir l’amendement n513.

M. Patrick Devedjian. Il est défendu.

(L’amendement n513, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 18, amendé, est adopté.)

Après l’article 18 (amendements appelés par priorité)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n106.

M. Éric Ciotti. Cet amendement tend à faire en sorte qu’un mineur ne puisse quitter le territoire national sans une autorisation de sortie du territoire signée des titulaires de l’autorité parentale.

Je rappelle que le groupe Les Républicains avait déposé une proposition de loi en ce sens le 8 octobre 2015, qui est en attente de discussion au Sénat. Cet amendement propose de rétablir sans attendre cette autorisation de sortie du territoire des mineurs, qui avait été supprimée en 2013. Or cette suppression, comme chacun sait, a posé des problèmes. Le rétablissement de cette autorisation de sortie provenant de l’autorité parentale avait été souhaité à l’unanimité par la commission d’enquête que j’ai présidée et nous voulons qu’elle soit rétablie dans nos dispositifs législatifs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Comme l’a fort justement indiqué M. Éric Ciotti, une proposition de loi rétablissant l’autorisation de sortie du territoire a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale et doit faire son chemin législatif. Indépendamment de l’opinion personnelle du rapporteur sur l’inutilité de cette mesure, compte tenu du fait que, depuis que cette autorisation de territoire a été supprimée, d’autres mesures beaucoup plus efficaces ont été mises en œuvre – je pense notamment à l’interdiction de sortie de territoire –, je propose que nous laissions la proposition de loi suivre son cheminement parlementaire et, si la majorité sénatoriale le souhaite, qu’elle soit examinée au Sénat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le groupe Les Républicains a souhaité, dans sa niche parlementaire, donner la possibilité à M. Marc Le Fur de présenter les dispositions que vous proposez d’introduire dans ce texte. Ce serait une très mauvaise manière faite à M. Le Fur que de considérer que le travail qu’il a accompli ne sert plus à rien. Non mais franchement !

M. Guillaume Larrivé. Il est cosignataire de l’amendement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par ailleurs, nous avons pour ainsi dire coproduit ce texte, puisque nous l’avons repris à notre compte, et qu’il chemine. Je n’ai pas d’opposition sur le fond de l’amendement, puisque nous avons décidé de voter le texte de M. Le Fur au terme d’un travail consensuel. Mais, comme ce texte existe et qu’il est engagé dans la procédure parlementaire, et que l’adoption de votre amendement le ferait tomber et lui ôterait tout intérêt, ce serait une manière curieuse de traiter la niche de l’opposition, pour laquelle nous avons le plus grand respect.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, je vous remercie du soin bienveillant que vous portez à la cohésion de notre groupe. Nous y sommes extrêmement sensibles. Sachez néanmoins que, pour notre part, nous n’avons pas besoin de support extérieur. Peut-être cette pratique serait-elle nécessaire dans d’autres groupes, mais notre cohésion est tout à fait confortée.

Plus sérieusement, vous venez de nous dire, monsieur le ministre, que vous êtes d’accord sur le fond de cet amendement. Cette disposition a été souhaitée à l’unanimité des groupes et elle a été approuvée dans le cadre de la commission d’enquête que j’ai eu l’honneur de présider, et dont M. Patrick Mennucci était le rapporteur. Nous avons ici un vecteur législateur qui, grâce à vous, sans doute, monsieur le ministre, sera beaucoup plus rapide que l’adoption de la proposition de loi que notre groupe a déposée, et que j’ai eu l’honneur de cosigner. Et je souligne, comme l’a rappelé Guillaume Larrivé à l’instant, que Marc Le Fur a cosigné cet amendement.

Nous nous accordons tous sur l’utilité de cette mesure – vous l’avez dit vous-même – et chacun reconnaît que la suppression de cette autorisation a posé des problèmes. Vous disiez tout à l’heure à M. Mamère qu’il s’était opposé systématiquement à tous les textes antiterroristes. Nous en sommes au huitième et, personnellement, j’ai voté les sept précédents. Il ne faudrait pas que les gestes nécessaires pour aboutir au consensus que vous appelez constamment de vos vœux sur ces sujets n’aient lieu que dans un sens.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Ciotti, je ne comprends pas très bien l’objet de votre intervention. J’ai voulu vous être agréable et j’ai donc du mal à comprendre pourquoi, dans votre réponse, vous vous montrez désagréable. J’ai indiqué qu’un texte avait été déposé dans le cadre d’une niche parlementaire et que nous étions d’accord sur le contenu de ce texte. Je n’ai pas fait référence aux oppositions qui peuvent exister entre vous – ce n’est pas mon sujet. J’ai assez de problèmes comme cela pour ne pas m’occuper de ceux des autres.

J’ai simplement appelé à prendre en compte le fait qu’un texte incluant cette mesure avait été voté dans le consensus. Maintenant, si vous voulez abandonner cette proposition de loi et introduire cette disposition dans le texte actuel, c’est une affaire qui vous concerne. Nous n’avons pas de désaccord sur le fond, donc je suis prêt à m’en remettre à la sagesse de l’assemblée. Quant à vous, prenez vos responsabilités.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. En cohérence avec ce que vient de dire notre collègue Éric Ciotti, je confirme que nous sommes un certain nombre à avoir participé à la commission d’enquête qu’il a présidée et à avoir validé cette proposition. Quant à savoir s’il faut préférer ce texte ou la proposition de loi qui est engagée dans la navette parlementaire, je ne m’en mêlerai pas, puisque ces textes ont un objectif commun et que ce n’est pas à nous de décider si la paternité de cette disposition doit revenir à M. Le Fur ou à M. Ciotti.

C’est plutôt à votre intervention, monsieur le rapporteur, que j’aimerais réagir. Prenons garde de ne pas confondre deux logiques différentes. L’interdiction de sortie du territoire est certes efficace, mais elle implique déjà une procédure. Souvent justifiée, elle peut aussi être contestée, et elle peut aller jusqu’à la confiscation des papiers d’identité ou du passeport d’un individu.

La logique de l’autorisation de sortie de territoire est très différente. Elle peut s’appliquer à des mineurs, lorsqu’un certain nombre d’éléments montrent que ceux-ci effectuent des va-et-vient, qui étonnent jusqu’à leurs familles. Nombre d’entre nous ont rencontré des parents étonnés de ce que leur enfant ait pu se déplacer aussi facilement. Or ces mineurs, monsieur le rapporteur, n’auraient pas pu faire l’objet de l’interdiction de sortie de territoire dont vous faites état, parce que rien ne le justifiait.

Je me suis permis de faire ces remarques, mais nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous examinerons de nouveau la proposition de loi au cours de la navette.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je n’ai pas opposé ces deux dispositions !

(L’amendement n106 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n107.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à permettre au procureur de la République de prononcer une interdiction de sortie du territoire d’un mineur lorsque l’autorité parentale, dans le cadre actuel, n’aurait pas saisi l’autorité préfectorale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il est cohérent d’adopter l’amendement n107 à la suite de l’adoption de l’amendement n106 – comme il eût été tout aussi cohérent de ne pas adopter le présent amendement si le précédent ne l’avait pas été.

Je le répète : je ne suis pas convaincu de l’efficacité du rétablissement d’une telle mesure. Cet avis n’engage que moi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sagesse.

(L’amendement n107 est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly