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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 08 mars 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Décès de Mme la députée Sophie Dessus

M. le président

2. Questions au Gouvernement

Projet de loi travail

Mme Laure de La Raudière

M. Manuel Valls, Premier ministre

Garantie généralisée des impayés de pensions alimentaires

Mme Bernadette Laclais

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes

Projet de loi travail

Mme Eva Sas

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Droits des femmes

M. Philippe Vigier

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes

Projet de loi travail

Mme Marie-Louise Fort

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Égalité professionnelle

Mme Maud Olivier

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes

Projet d’EPR à Hinkley Point

Mme Sophie Rohfritsch

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Lutte contre la fraude fiscale

Mme Catherine Quéré

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Centrale nucléaire de Fessenheim

M. Éric Straumann

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Fermeture de lignes ferroviaires nocturnes

Mme Jeanine Dubié

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité

Préjudice écologique

M. Christophe Priou

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité

Fraude au détachement

M. Christophe Castaner

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Droit au travail des femmes et égalité salariale

Mme Marie-George Buffet

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Levée des sanctions contre la Russie

M. Thierry Mariani

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger

Opposition au démarchage téléphonique

M. David Comet

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire

Suspension et reprise de la séance

3. Remplacement d’une députée

4. Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Explications de vote

M. Marc Dolez

Mme Cécile Untermaier

M. Éric Ciotti

M. Michel Zumkeller

M. Christophe Cavard

M. Alain Tourret

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

5. Liberté, indépendance et pluralisme des médias

Présentation

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication

Motion de renvoi en commission

M. Franck Riester

M. Patrick Bloche, rapporteur

M. Stéphane Travert

M. Rudy Salles

M. Michel Herbillon

Mme Gilda Hobert

Mme Marie-George Buffet

Discussion générale

M. Stéphane Travert

M. Christian Kert

M. Rudy Salles

Mme Isabelle Attard

Mme Gilda Hobert

Mme Marie-George Buffet

Mme Julie Sommaruga

M. Michel Herbillon

M. Gilbert Collard

M. Hervé Féron

Mme Virginie Duby-Muller

M. Pascal Demarthe

Mme Audrey Azoulay, ministre

M. Patrick Bloche, rapporteur

Discussion des articles

Article 1er

Mme Colette Langlade

Mme Sandrine Mazetier

Mme Martine Martinel

M. Jean Lassalle

M. Jacques Cresta

Mme Dominique Nachury

Amendements nos 4 , 5

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Décès de Mme la députée Sophie Dessus

M. le président. Sophie Dessus, députée de la première circonscription de Corrèze, nous a quittés. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)

C’est avec une profonde douleur que nous avons appris, jeudi dernier, son décès brutal. C’était une femme pleine de vie, de bonne humeur, de générosité. C’était aussi une élue profondément attachée à son territoire, à ses concitoyens et qui défendait ses valeurs avec courage et ténacité. Elle va nous manquer.

Ses obsèques auront lieu demain après-midi à Uzerche. Je prononcerai son éloge funèbre lors d’une prochaine séance, mais en hommage à notre collègue disparue, j’invite d’ores et déjà l’Assemblée à observer une minute de recueillement. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Projet de loi travail

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour le groupe Les Républicains.

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite à mon tour saluer la mémoire de notre collègue Sophie Dessus.

C’était une femme de conviction, engagée, toujours positive, très gaie, appréciée sur tous ces bancs. C’était une belle figure de femme députée.

Au nom du groupe Les Républicains, je présente nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches.

Monsieur le Premier ministre, les Français fulminent devant le cynisme politique de votre gouvernement, qui sacrifie les réformes nécessaires à la France sur l’autel du parti socialiste, de votre parti. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Chaque jour ils font connaître leur écœurement. Ils vous reprochent, non pas de ne rien faire, mais de tout faire pour que rien ne change.

Vous agissez comme un premier secrétaire adjoint du parti socialiste. Votre dérobade sur le projet de loi El Khomri montre combien vous courbez l’échine devant Mme Aubry et devant des syndicats qui, trop souvent, ne représentent qu’eux-mêmes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Pendant ce temps, les entreprises et les Français restent sidérés de l’énergie que vous mettez à leur mentir.

Vous ne cessez d’évoquer les 40 milliards d’euros de baisses de charges et d’effort fiscaux au bénéfice des entreprises, mais jamais vous n’osez dire que les prélèvements pesant sur ces mêmes entreprises n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de 2012 !

M. Bernard Roman. Parce que c’est faux !

Mme Laure de La Raudière. Voilà le résultat de la folie fiscale des six premiers mois de la mandature !

Où sont vos réformes pour les entreprises ? Rien sur la transformation profonde de notre économie ! Rien sur la digitalisation des entreprises ! Rien sur l’export, rien sur l’orientation de la commande publique vers les petites et moyennes entreprises, rien sur la stabilisation de la fiscalité ! Rien, rien !

M. Jean-Paul Bacquet. Rien dans cette question ! Nul !

Mme Laure de La Raudière. Cela ne peut plus durer.

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous enfin trouver le courage, qui visiblement vous manque, de demander à votre ministre de l’économie de faire les réformes qui s’imposent au lieu de passer ses journées à les exposer dans les médias ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. François Loncle. Caricatural !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous remercie, madame de La Raudière, pour les mots que vous avez eus à propos de Sophie Dessus.

Demain, ses obsèques se dérouleront en présence du Président de la République, qui perd en elle une amie chère et une camarade, ainsi qu’en votre présence, monsieur le président. Nous aurons ici même l’occasion de lui rendre hommage, comme vous venez de le rappeler.

Elle va nous manquer en effet, sa ténacité, son sourire, sa bonne humeur et son attachement à la Corrèze vont nous manquer.

Je n’ai pas envie de polémiquer, madame de La Raudière. Vous avez certes le droit de critiquer l’action du Gouvernement et de proposer une alternative, mais votre question est caricaturale, outrancière.

Mme Laure de La Raudière. Moi non plus, je n’ai pas envie de polémiquer !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner combien la fiscalité pesait depuis plusieurs années sur les ménages comme sur les entreprises.

Le choix a été fait, au travers du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et à partir de 2014 au travers du Pacte de responsabilité et de solidarité, de baisser le coût du travail et de réduire la fiscalité sur les entreprises. Ce Pacte de responsabilité et de solidarité reste soutenu à la fois par les organisations patronales et par les syndicats réformistes.

C’est sur ces bases que nous avons, avec Myriam El Khomri et Emmanuel Macron, entamé une série de discussions et de rendez-vous avec les partenaires sociaux, en bilatéral au cours de cette semaine et collectivement lundi prochain, dans le cadre des quinze jours que nous nous sommes donnés pour mieux expliquer le projet de loi défendu par la ministre du travail et corriger ce qui doit l’être. L’objectif reste à chaque fois le même : donner plus de liberté, plus de souplesse, plus de visibilité, plus de flexibilité aux entreprises, et en même temps assurer aux salariés des protections et des droits nouveaux à travers le compte personnel d’activité.

Il y a un débat dans notre pays sur le code du travail. C’est une bonne chose, parce que chacun peut s’apercevoir, là où il y a des droits qu’il faut protéger, des changements et des améliorations qu’il faut apporter.

M. Olivier Marleix. Il est grand temps ! (« Quatre ans ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Plutôt que d’être, madame la députée, dans la critique outrancière, caricaturale – parce qu’au fond c’est cela qui ne marche plus…

M. Philippe Vitel. C’est votre politique qui ne marche pas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …, c’est de cela dont les Français ne veulent plus, d’un côté comme de l’autre de l’hémicycle : se renvoyer en permanence les responsabilités, caricaturer les positions des uns et des autres.

Plutôt que d’être dans cette caricature, attendez…

M. Christian Jacob. Cela fait quatre ans que les Français attendent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …que le texte vienne devant l’Assemblée nationale, début avril devant votre commission des affaires sociales, et dans cet hémicycle fin avril et début mai, pour pouvoir en discuter et faire des propositions pour améliorer la compétitivité de notre économie, de nos entreprises, dans un monde ouvert, marqué par la révolution du numérique, et pour améliorer la situation des salariés. (« Quatre ans ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Vitel. Qu’avez-vous fait depuis quatre ans ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Car au fond, dans cette affaire, il n’y a qu’une seule chose qui nous intéresse, la ministre du travail, le ministre de l’économie et moi-même, une seule : bien sûr, protéger les salariés qui aujourd’hui ont un emploi, mais aussi permettre à ces centaines de milliers, ces millions de chômeurs, souvent jeunes et peu qualifiés, et qui pour beaucoup sont depuis des années au chômage, d’accéder au marché du travail en supprimant ces obstacles.

M. Olivier Marleix. Il est bien temps !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est cela que nous sommes en train de faire, et plutôt que d’être dans la caricature, apportez vos propositions.

M. Christian Jacob. La caricature, elle est de votre côté !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est comme cela que nous serons, vous et moi, utiles à la France et à l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Laurent Furst. Quatre ans !

Garantie généralisée des impayés de pensions alimentaires

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Bernadette Laclais. Monsieur le président, le groupe socialiste vous remercie pour les mots que vous avez eus en hommage à notre collègue Sophie Dessus. Nous sommes bouleversés et émus par sa disparition. Nous rendons hommage à sa combativité au service de son territoire, des territoires ruraux, mais Sophie Dessus était aussi très attachée aux droits des femmes, qu’elle a défendus ici, dans cet hémicycle.

Madame la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, nous avons voté la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, dont l’article 27 créait un nouveau droit, bénéficiant très majoritairement à des femmes : la garantie des impayés de pensions alimentaires.

En effet, 40 % des pensions alimentaires fixées par le juge ne sont pas payées, ou irrégulièrement payées, ce qui plonge un grand nombre de familles dans des difficultés matérielles terribles. Et nous le savons : plus d’un million d’enfants sont concernés, un tiers des familles monoparentales vit sous le seuil de pauvreté. Et dans 85 % des cas, ce sont des femmes qui assument cette charge.

Nous avons alors décidé de pallier les défaillances du mauvais payeur en assurant à toutes les familles le versement d’une pension équivalente à l’allocation de soutien familial, soit environ 100 euros par enfant et par mois. Nous avons aussi décidé le versement d’une allocation différentielle dans le cas de très petites pensions alimentaires, afin que tous les enfants bénéficient au moins de ces 100 euros.

Tout au long de l’année 2015, vingt départements ont expérimenté cette nouvelle garantie, qui doit être étendue à l’ensemble du territoire national le 1er avril, comme il en a été décidé en décembre dernier lors du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016.

Ma question concerne les résultats de cette expérimentation, qui doivent nous éclairer en vue de la généralisation de cette mesure. Pouvez-vous nous donner les principaux enseignements de cette expérimentation et nous dire comment s’opérera sa généralisation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles (« De la famille ! » sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants), de l’enfance et des droits des femmes.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Madame la députée, vous le savez, le Gouvernement s’est engagé depuis 2012 contre toutes les violences faites aux femmes. Pas seulement le Gouvernement : vous aussi, vous tous parlementaires, je le sais, avez quotidiennement dans vos permanences à accompagner des femmes victimes de violences.

Nous avons identifié les violences intraconjugales, les violences sexuelles, le viol, mais il y a un autre type de violence qui s’exerce aussi à l’encontre des femmes : la violence économique, contre elles et leurs enfants, que constitue le non-paiement des pensions alimentaires.

Comme vous l’avez indiqué, les familles monoparentales, qui représentent aujourd’hui près de 20 % des familles, sont les plus frappées par la pauvreté et la précarité. Pour elles, le non-paiement des pensions alimentaires est un pas de plus vers la pauvreté.

Il y a deux ans, conformément à la loi du 4 août 2014 défendue par Najat Vallaud-Belkacem, nous avons expérimenté cette garantie des impayés de pension. Le bilan est bon. L’expérimentation est concluante. C’est la raison pour laquelle je suis heureuse de vous annoncer qu’au 1er avril, cette garantie sera étendue à l’ensemble des départements et qu’elle bénéficiera à près de 90 000 femmes qui, grâce à cette garantie, percevront chaque mois une allocation de 100 euros pour chaque enfant.

Cette garantie présente un autre avantage : elle épargnera aux femmes les démarches de recouvrement des pensions, les contentieux devant les tribunaux. Ce sont les caisses d’allocations familiales, subrogées dans les droits des femmes, qui poursuivront elles-mêmes les ex-maris débiteurs.

À travers cette garantie, nous agissons pour les familles monoparentales. D’autres mesures viendront. Nous travaillons à la préfiguration d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires et nous expérimenterons très prochainement des solutions de répit pour les familles monoparentales, qui ont certes besoin d’allocations, mais aussi de soutien humain, pour pouvoir souffler de temps en temps. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Projet de loi travail

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.

Mme Eva Sas. Je souhaite également, au nom du groupe écologiste, rendre hommage à notre collègue Sophie Dessus, dont le caractère positif et constructif manquera à cette assemblée.

Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, vous proposez une réforme du code du travail plus que controversée. Et vous nous dites que ce projet est mal compris par les Français, et par les jeunes en particulier.

Mais nous ne croyons pas que les Français aient mal compris cette réforme. Au contraire, ils ont très bien compris que vous souhaitiez ouvrir la possibilité d’allonger le temps de travail sans augmentation de salaire. Ils ont très bien compris que vous souhaitiez faciliter les licenciements à moindre coût, en plafonnant les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils ont très bien compris qu’en faisant primer la négociation d’entreprise sur le droit du travail, vous organisiez la concurrence entre les salariés et la course au moins-disant social.

En 2012, le Président souhaitait « réenchanter le rêve français », ce rêve « qui fait que chaque génération a la perspective de vivre mieux que la précédente ». Pour notre part, nous n’avons pas renoncé à cet objectif et nous voulons une réforme du droit du travail du XXIème siècle.

Une réforme pour la protection sociale des salariés précarisés : les autoentrepreneurs, les stagiaires et les vrais-faux salariés de l’économie collaborative.

Une réforme qui renforce la présence des salariés dans les conseils d’administration, pour une gestion partagée de l’entreprise.

Une réforme qui mette en place une politique constante pour la transition écologique. Car nous le savons, ce sont l’isolation des logements, les énergies renouvelables, les transports collectifs, l’agriculture biologique qui feront l’économie et les emplois de demain.

Madame la ministre, nous serons demain aux côtés de tous ces citoyens, jeunes, salariés ou demandeurs d’emploi, qui réclament le retrait de votre réforme.

Alors, ma question est claire : comment allez-vous répondre à l’appel des Français et de la jeunesse en particulier, qui veulent de l’emploi et non de la précarité généralisée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, la réforme que je défends, qui n’est aujourd’hui qu’un avant-projet de loi examiné en Conseil d’État, suscite des débats. Il y a une part de questionnement tout à fait sincère qui s’exprime dans le débat public et je suis heureuse que tous les Français s’emparent de ce débat sur le droit du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Lamour. Je ne suis pas sûr que ça s’appelle le bonheur !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Il me semble en effet essentiel que nous avancions. Si le Premier ministre et moi-même, avec le ministre de l’économie, avons décidé de prendre quinze jours supplémentaires pour continuer la concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux, c’est parce que nous pensons, nous, que le dialogue social est essentiel à notre pays et que nous ne sommes pas là pour le contourner.

Il y a des inquiétudes qui s’expriment dans la jeunesse, mais je voudrais vous dire que – même si le chômage des jeunes a diminué en 2015, ce qui nous réjouit –, l’objectif de cette réforme n’est pas de précariser la jeunesse, mais d’encourager l’embauche des jeunes, en contrat à durée indéterminée notamment.

Parce qu’il faut aussi regarder la France telle qu’elle est aujourd’hui : nous avons un taux de chômage de plus de 10 %. C’était le même il y a 20 ans.

Nous avons non pas une flexibilité, mais une hyper-flexibilité dans notre monde du travail. Et qui en sont les victimes ? Ce sont les femmes, les personnes les moins qualifiées et les jeunes.

Cette loi n’est pas là pour favoriser la précarité de la jeunesse ; elle est là pour répondre à cette hyper-fragmentation du marché du travail, au contournement du droit du travail au moyen des travailleurs détachés ou des indépendants. Voilà pourquoi elle est là !

Il y a des améliorations à apporter, nous l’avons dit : c’est pourquoi nous prenons quinze jours avec les partenaires sociaux.

Quant aux stages, c’est votre assemblée qui a voté en 2014, sous ce gouvernement, une limitation du nombre de stagiaires à 15 % des effectifs de l’entreprise. C’est vous et c’est ce gouvernement.

M. Laurent Furst. Il ne faut pas parler à la gauche, mais à la France !

Mme Myriam El Khomri, ministre. La garantie jeune, la prime de précarité, c’est nous aussi qui les avons mises en place : vous le voyez, la jeunesse reste notre priorité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Droits des femmes

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Permettez-moi tout d’abord, au nom du groupe UDI et de l’ensemble des parlementaires, de saluer la mémoire de Sophie Dessus. Chacun se souvient de son sourire, de son engagement, de son courage et de sa ténacité – j’ai encore en mémoire ses interventions lors des débats concernant la réforme territoriale.

Voilà aujourd’hui un peu plus de quarante ans qu’une femme extraordinaire, Simone Veil, montait à la tribune de l’Assemblée nationale. Militante infatigable de notre famille politique, elle a su conquérir des droits pour l’ensemble des femmes avec le texte sur l’interruption volontaire de grossesse qu’elle a défendu en 1975.

Chacun comprendra que, sur les bancs de notre groupe, ce 8 mars soit une date particulière.

D’immenses progrès, auxquels différentes majorités ont apporté leurs concours, ont été accomplis pour faire avancer les droits des femmes depuis 1975, mais chacun reconnaîtra que le chemin est encore long.

Ce chemin, je pense que nous pouvons l’emprunter sur tous ces bancs sans querelle, en dépassant les clivages et en défendant cinq priorités : parvenir enfin à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes ; favoriser l’accès des femmes à toutes les responsabilités – la route est encore longue ; lutter implacablement contre toutes les violences faites aux femmes et contre la remise en cause assez régulière de leurs droits ; combattre les situations de précarité dont sont souvent victimes les femmes ; enfin, faire entendre la voix de la France dans le monde au moment où les femmes sont plus particulièrement victimes de la barbarie – je pense par exemple à la condamnation à mort d’Asia Bibi et au jugement qui l’attend prochainement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Comment entendez-vous être utile en cette dernière année du quinquennat, madame la ministre des droits des femmes, pour avancer efficacement sur ces cinq chantiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Je vous remercie pour cette question, monsieur le président Vigier, mais aussi pour votre plaidoyer en faveur des droits des femmes, qui montre que sur ces sujets, nous pouvons nous retrouver, nous rassembler et porter haut et fort la parole de la France.

Tel sera d’ailleurs mon premier acte, puisque je me rendrai à l’issue de la semaine à l’ONU, à New York, afin de porter haut et fort cette parole, en particulier afin de faire partager à l’ensemble des femmes de la planète les droits que nous avons su conquérir en France, et pour m’émouvoir que dans des pays où les femmes sont atteintes par le virus Zika – qui peut entraîner des risques importants de malformation des enfants qu’elles portent –, le droit à l’interruption volontaire de grossesse leur soit encore refusé.

L’hommage que vous rendez à Simone Veil à cet instant est particulièrement vibrant.

S’agissant des autres champs d’action, ma politique se situera bien entendu dans la continuité de ce qui a été engagé depuis 2012. Les droits des femmes ont progressé, particulièrement en matière d’égalité professionnelle. J’aurai l’occasion de le répéter tout à l’heure, la loi de 2014 a imposé aux entreprises des plans d’égalité professionnelle, et nous progressons à cet égard.

En ce qui concerne la lutte contre toutes les violences, nous constatons que malgré nos campagnes et notre mobilisation, un plafond de verre demeure : celui du sexisme, idéologie qui, à partir d’incontestables différences sexuelles, construit des comportements, des stéréotypes, des qualités, des jugements sur les femmes – autant d’a priori qui, in fine, se traduisent en inégalités.

Avancer dans la promotion des droits des femmes et de l’égalité, c’est traquer le sexisme où qu’il se trouve : dans les entreprises, dans les médias – je salue à ce propos le rapport que le CSA a remis ce matin sur la place des femmes dans les médias, qui montre combien nous avons, là encore, des progrès à faire. Je compte sur les chaînes de radio et de télévision pour lutter elles aussi contre les stéréotypes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Projet de loi travail

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort, pour le groupe Les Républicains.

Mme Marie-Louise Fort. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et concerne le projet de loi sur le travail, dont la teneur est de plus en plus incertaine.

Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de vous rappeler sur le mode d’un inventaire à la Prévert les marques de votre impréparation et de votre improvisation à ce sujet.

Votre Gouvernement se voulait exemplaire, or il brûle les étapes et n’a pas su donner à la concertation avec les partenaires sociaux la place qu’elle aurait dû avoir.

On peut citer également l’article de l’avant-projet de loi concernant le licenciement économique, ajouté semble-t-il au tout dernier moment, toujours sans qu’aucun dialogue social n’ait été mené.

Alors que ce texte n’est pas encore déposé, vous êtes aujourd’hui contraint de reprendre la main et d’engager un cycle de concertation de dernière minute pour le réécrire entre le Conseil d’État et un Conseil des ministres reporté de deux semaines – tout cela pour arriver probablement à un texte vidé d’une grande partie de sa substance.

Le constat est accablant : pas de consensus syndical, pas d’assise parlementaire forte ; la contestation atteint vos propres rangs, et vous battez déjà en retraite face à une simple pétition.

M. Christian Jacob. Ce n’est pas brillant !

Mme Marie-Louise Fort. Devant tant de légèreté dans la conduite de l’action gouvernementale, qui réduit vos marges de manœuvre et met en danger des dispositions qui allaient dans le bon sens, ma question sera simple : êtes-vous conscient de la lourde responsabilité qui pèse sur vous ?

Par votre improvisation, vous allez provoquer un mouvement social sans doute de grande ampleur. En période d’état d’urgence et de menace accrue, nos étudiants et nos lycéens manifesteront demain à Paris et dans toutes nos villes de province à l’appel de responsables – mais le sont-ils vraiment ? – politiques et syndicaux.

Aussi, pouvez-vous assurer la représentation nationale et nos concitoyens que toutes les mesures de sécurité seront prises pour la protection de notre jeunesse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Mesdames et messieurs les députés, madame la députée, vous nous interrogez sur la méthode d’élaboration de cette loi.

M. Christian Jacob. Il y a de quoi !

Mme Myriam El Khomri, ministre. L’ouverture d’un cycle de concertation avec les partenaires sociaux était utile…

M. Christian Jacob. Pourquoi ne pas y avoir pensé avant ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. …parce que cette loi soulève des débats légitimes.

Le rapport de Jean-Denis Combrexelle nous a été remis une semaine après ma nomination. À cette occasion, nous avons demandé à l’ensemble des partenaires sociaux, au titre de l’article L. 1 du code du travail, s’ils souhaitaient ouvrir une négociation sur les suites à donner à ce rapport. Ils ne l’ont pas voulu.

Dès lors, j’ai mené un cycle de négociations bilatérales sur toute la partie relative au temps de travail et sur le compte personnel d’activité.

L’accord des partenaires sociaux sur le compte personnel d’activité est en effet arrivé tardivement. Des arbitrages ont également été rendus tardivement, et le texte dont il a été question dans la presse ne correspondait pas au projet définitif. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Laure de La Raudière. Arrêtez ! Ce n’est pas possible !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je le conçois tout à fait : cette séquence a été un peu difficile. Mais prendre quinze minutes… pardon, quinze jours… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) est le signe d’une gouvernance ouverte, soucieuse de revoir avec l’ensemble des partenaires sociaux l’intégralité de la démarche menée.

M. Patrice Verchère. Quinze minutes douche comprise ! (Sourires)

M. le président. Monsieur Verchère, il est inutile de crier !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Cela signifie que ce texte peut être amélioré, et nous y travaillons. L’objectif de ce projet de loi est de répondre à la situation de la France telle qu’elle est aujourd’hui.

Certes, il est nécessaire de trouver des points d’équilibre, mais en ce qui me concerne, je ne considère pas que le dialogue social constitue une perte de temps.

M. Laurent Furst. Quinze minutes ! (Sourires)

Mme Myriam El Khomri, ministre. Votre intervention est une ode aux partenaires sociaux et, tout à l’heure, on nous disait qu’ils ne représentaient qu’eux-mêmes ! Nous, nous croyons en la négociation collective, et c’est d’ailleurs pour cela que nous nous donnons les moyens et le temps nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-Louise Fort. Et la sécurité de nos jeunes ?

Égalité professionnelle

M. le président. La parole est à Mme Maud Olivier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Maud Olivier. Au nom de la Délégation aux droits des femmes, dont elle était membre, j’ai une pensée toute particulière aujourd’hui pour Sophie Dessus et ses proches.

Ma question s’adresse à Mme la ministre des familles…

M. Christian Jacob. De la famille !

Mme Maud Olivier. …de l’enfance et des droits des femmes.

En ce 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous allons nous voir offrir des roses, des réductions sur des parfums ou une séance de coaching beauté. Ce sont des cadeaux empoisonnés, au regard de la dignité des femmes et des réalités qu’elles vivent en France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Ils ne font pas avancer l’égalité. Je rappelle qu’une femme sur dix est victime de violences conjugales, et que 240 sont violées chaque jour.

Dans le milieu professionnel, les inégalités de traitement et d’opportunité marquent toujours le parcours des femmes, dans les entreprises privées comme dans la fonction publique : écart de rémunération, temps partiel, emplois peu qualifiés, avec les conséquences que l’on sait en matière de précarité et de retraite.

Ce sont toujours les actions volontaristes et contraignantes qui ont permis des progrès en la matière ; et la loi en a été un instrument indispensable. Nous le constatons depuis 2012 : le renforcement des dispositifs de sanction a contraint les entreprises à remettre les rapports de situation comparée et les plans d’action internes. La loi pour l’égalité réelle, adoptée en 2014, a ajouté le déroulement de carrière et la mixité des emplois aux thèmes de négociation obligatoires. Elle a interdit l’accès aux marchés publics des entreprises ne respectant pas l’égalité professionnelle. Nous avons également défini dans le code du travail ce qu’est un agissement sexiste.

Ce que vivent les femmes dans le milieu professionnel fait partie d’un tout : les inégalités entre les femmes et les hommes. On les retrouve dans le domaine privé, dans les sphères de pouvoir, dans l’espace public, partout. Elles sont la racine des violences faites aux femmes et résultent de la construction millénaire d’une culture fondée sur la domination d’un sexe sur l’autre, en France comme ailleurs dans le monde. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à madame la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Madame la députée, vous avez raison de poser la question : comment est-il possible, alors que nous disposons en France d’un socle législatif solide, robuste, en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, un socle construit depuis la loi Roudy de 1983, jusqu’à la loi de 2014, comment est-il possible que, malgré cela, nous enregistrions toujours 20 % d’écart de rémunération entre les hommes et les femmes ?

Les raisons sont doubles. D’une part, les femmes sont toujours concentrées dans les métiers les moins qualifiés, les moins rémunérés. D’autre part, elles continuent d’utiliser beaucoup le travail à temps partiel, ou se voient imposer des horaires atypiques et un travail à temps partiel contraint, en raison essentiellement de l’absence de partage des responsabilités familiales, des corvées domestiques et des soins aux enfants. C’est parce que les femmes font 80 % des tâches domestiques qu’elles sont payées 20 % de moins que les hommes dans leur carrière professionnelle.

À côté de ces causes, que nous connaissons bien, et qui justifient d’ailleurs ce ministère de la famille et des droits des femmes…

M. Hervé Mariton. Vous avez dit : « de la famille » ?

Mme Laurence Rossignol, ministre. …nous identifions aussi un écart de 10 % qui demeure, quand nous comparons, à travail et à poste égal, le salaire de deux salariés, homme et femme. Quand toutes les conditions sont identiques, et à temps de travail égal, il reste un écart de rémunération de 10 %. C’est celui qui est le plus inexplicable, le plus scandaleux : c’est celui qui tient au sexisme, aux stéréotypes, à la misogynie, qui continuent dans les entreprises de briser les carrières, d’empêtrer les femmes, de les empêcher de postuler. Les femmes entament leur carrière avec des salaires inférieurs à ceux des hommes, et cela dure pendant toute leur vie professionnelle.

Nous continuerons donc à soutenir les femmes et à faire appliquer les plans d’égalité professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Projet d’EPR à Hinkley Point

M. le président. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch, pour le groupe Les Républicains.

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, la démission du directeur financier d’EDF, largement relayée par la presse économique, sur fond de désaccord stratégique concernant les risques financiers associés au projet britannique de construction de deux EPR à Hinkley Point, ne manque pas d’interpeller.

EDF est à la fois un fleuron de l’industrie française et un producteur d’électricité qui, depuis soixante-dix ans, assure la compétitivité de la France et la sécurité d’approvisionnement de nos concitoyens. Le comité central d’entreprise a lancé en décembre un droit d’alerte sur sa situation économique, pour la première fois de son histoire. Si j’en crois les résultats boursiers, les analystes financiers partagent la même inquiétude que les salariés.

Il n’est pas pensable qu’un investissement annoncé de 23 milliards d’euros, supérieur à la capitalisation boursière de l’entreprise, risque purement et simplement de conduire EDF à la faillite. Pourquoi précipiter l’effondrement d’EDF en lui imposant le rachat d’Areva, la privatisation de l’hydraulique, la fermeture de Fessenheim et, si j’en crois la Cour des comptes, de dix-sept à vingt autres réacteurs d’ici à 2025 ?

Ce projet britannique profitera-t-il au moins aux salariés français ? Non, si l’on en croit la presse française, qui annonce que les cuves seront coulées au Japon. Non, si l’on en croit aussi la presse britannique, qui compte fort sur la création de 60 000 emplois – au Royaume-Uni, bien évidemment, et non en France. Les Français, en revanche, porteront seuls les risques énormes de ce projet !

Ne pensez-vous pas que, pour la filière nucléaire, comme pour EDF, ce projet insensé devrait attendre le démarrage de l’EPR de Flamanville, et surtout la participation financière d’autres investisseurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, tout d’abord, les difficultés financières du groupe EDF sont-elles liées à Hinkley Point ? Non. Elles sont liées – j’ai eu l’occasion de le rappeler ici à plusieurs reprises – à l’historique du groupe, et surtout à la profonde transformation du marché de l’électricité ces dernières années.

Il y a deux ans, seuls 20 % du chiffre d’affaires du groupe EDF étaient à des prix non régulés, c’est-à-dire aux prix du marché. Aujourd’hui, du fait de décisions successives, largement prises, d’ailleurs, à la demande du marché européen, c’est 66 % du chiffre d’affaires. Et dans le même temps, le marché du prix de l’électricité s’est effondré, avec un prix du mégawattheure qui est passé de plus de 50 euros à 25 ou 30 euros aujourd’hui.

La difficulté tient à l’état du marché, marqué par une surproduction mondiale et une sous-consommation due à une croissance trop atone dans nombre de nos économies : c’est de là que vient, avant tout, la difficulté du groupe EDF. Face à cela, il y a l’entretien du parc nucléaire, les nouveaux investissements dans l’énergie renouvelable, la cohérence de la filière nucléaire, qui est essentielle, le rachat d’Areva NP et le projet d’Hinkley Point.

Dans ce contexte, il convient de faire des efforts collectifs. L’État, en tant qu’actionnaire, en a fait, en renonçant à son dividende en numéraire pour le demander en actions. L’entreprise doit en faire également. Très longtemps, le compromis social sur EDF a été fait aux dépens de tout le monde, dans l’intérêt des seuls salariés – je vous le dis en toute franchise. Ce n’est plus durable. Il faut, enfin, céder des actifs non stratégiques, ce que le nouveau dirigeant a justement décidé de faire, depuis le début de son mandat.

Faut-il, dans ce contexte, renoncer à Hinkley Point ? Non, parce qu’Hinkley Point est le grand projet d’Europe occidentale et du monde développé en matière nucléaire. Si l’on croit au nucléaire, il faut faire Hinkley Point. C’est, pendant trente-cinq ans, une garantie de prix – sans volatilité des prix à l’achat – par le Gouvernement britannique et une rentabilité de plus de 9 % pour EDF. C’est donc bon pour EDF, mais il faut, à court terme, donner toutes les garanties financières à tous égards. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Furst. Très bonne réponse !

Lutte contre la fraude fiscale

M. le président. La parole est à Mme Catherine Quéré, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Catherine Quéré. Monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, l’année 2015 a été une année record en matière de lutte contre la fraude fiscale. Pour la première fois, le montant cumulé des redressements dépasse les 20 milliards d’euros. Ces résultats, nous les devons à la détermination sans faille de notre majorité. C’est la raison pour laquelle, à travers plusieurs lois et règlements, nous avons adopté plus de soixante-dix mesures pour lutter contre toutes les formes de fraude.

La quasi-totalité de nos concitoyens et des entreprises opérant en France s’acquittent de leurs obligations. Ils contribuent par leur effort au redressement des finances publiques engagé et réussi par notre majorité. En effet, pour la quatrième année consécutive, le déficit public de notre pays a été réduit. Il sera même inférieur à la cible de 3,8 % initialement fixée !

Chers collègues, ces résultats en matière de lutte contre la fraude sont essentiellement le fait de l’action volontariste de notre majorité dans deux domaines : la lutte contre l’évasion fiscale, avec la mise en place de cellules de régularisation issues des échanges d’information entre les autorités nationales, et la lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales, qui s’intensifiera encore à la suite de la dernière initiative de la Commission européenne en la matière. Demain, les efforts en matière de lutte contre la fraude à la TVA seront également intensifiés.

Monsieur le secrétaire d’État, les résultats obtenus témoignent de l’ampleur du défi lancé en 2012 et de sa réussite. Quel bilan faites-vous des chiffres annoncés la semaine dernière par votre ministère ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la députée, le montant des droits et pénalités redressés en 2015 s’élève à 21,2 milliards d’euros, soit 1,9 milliard de plus que l’an dernier, contre une moyenne de 16 milliards d’euros sous la précédente mandature. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pascal Popelin. Eh oui !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Cette amélioration a permis d’encaisser plus de 12 milliards d’euros – 12 milliards d’euros, c’est le montant que le seul ministère de l’intérieur consacre à la sécurité des Français.

Le bilan que j’en tire, madame la députée, est que ces résultats ne sont pas le fruit du hasard. Je veux remercier le Parlement de son soutien dans l’adoption de mesures législatives qui ont permis et qui permettent à notre administration de mieux travailler. C’est une des raisons de ce bon résultat. Je constate ensuite que cette augmentation repose pour l’essentiel sur les gros dossiers des multinationales. Ce n’est pas parce que nous respectons le secret fiscal que nous laissons passer des pratiques d’optimisation abusive de la part de ces entreprises. Les cinq plus gros redressements représentent en 2015, à eux seuls, 3,3 milliards d’euros de droits et pénalités.

Un député du groupe Les Républicains. Mais non !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Avec le développement de l’assistance administrative qui, aujourd’hui, fonctionne à l’international et qui, demain, sera systématique, nous pouvons repérer et imposer quand ils doivent l’être les flux financiers.

Madame la députée, ces bons résultats ne doivent pas affaiblir notre ambition de faire encore mieux. De nouveaux défis s’offrent à nous en matière de lutte contre la fraude à la TVA, vous l’avez dit. Pour tenir compte de l’économie collaborative, quand un bénéfice y est réalisé, il…

M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État.

Centrale nucléaire de Fessenheim

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann, pour le groupe Les Républicains.

M. Éric Straumann. Monsieur le Premier ministre, j’associe à ma question mon collègue Michel Sordi, député du Haut-Rhin.

Depuis le dernier remaniement, vous êtes à la tête d’un gouvernement, qui a, selon l’expression de notre collègue Jean Glavany, un parfum de IVe République. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Les fonctions des trente-neuf membres du Gouvernement ne sont pas bien connues du grand public. Et on constate que certains ministres ne maîtrisent pas mieux le contour de leur propre portefeuille. Les couacs sont, dans ce contexte, inévitables. Sous la Ve République, il appartient au chef du Gouvernement de mettre fin à ces dissonances.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, a annoncé la fermeture de Fessenheim pour 2018. Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement, a déclaré ce week-end que la centrale cessera de fonctionner dès cette année 2016. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)Cette cacophonie pourrait prêter à sourire, monsieur le Premier ministre, s’il ne s’agissait de l’avenir de 2 000 salariés, qui vivent aujourd’hui dans l’angoisse du lendemain.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Éric Straumann. Alors, monsieur le Premier ministre, quelle est la position officielle du Gouvernement sur ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, comme vous le savez, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a adopté la règle qui consiste à articuler les capacités nucléaires françaises, puisqu’elle les a plafonnées à 63,2 gigawatts (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains). Cela suppose que des capacités soient ouvertes pour que d’autres puissent être fermées, et réciproquement.

En vertu de cette loi, en octobre 2015, Mme Ségolène Royal a reçu la demande faite par l’entreprise EDF d’un décalage dans le temps de l’ouverture des capacités liées à Flamanville. Dans le même temps, elle a pris note que l’hypothèse sur laquelle travaillait EDF pour faire face à cette ouverture de nouvelles capacités à Flamanville, c’était la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim.

M. Sylvain Berrios. Cosse, démission !

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est cela que nous savons depuis octobre 2015.

Dans ce contexte, que se passera-t-il en 2016 ? EDF doit faire la demande – c’est dans la main d’EDF aujourd’hui –…

M. Sylvain Berrios. Et le Gouvernement, que fait-il ?

M. Emmanuel Macron, ministre. …et sur la base de cette demande, un décret d’abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim sera pris cette année. C’est donc ce décret qui sera pris en 2016 à la suite de la demande qui sera faite durant l’année par EDF.

À la suite de cette demande – c’est ce qu’a rappelé la ministre hier –, il ne peut pas y avoir d’engagement en termes de mois pour une fermeture effective, du fait qu’une série de décisions techniques, de mises aux normes et de mesures, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, sont nécessaires pour assurer la fermeture des deux réacteurs concernés et de la centrale de Fessenheim. (Mêmes mouvements.)

Aucune garantie ne peut donc être donnée en termes de temps, ce serait même irresponsable que de le faire. En revanche, tout sera fait pour que la suite donnée à la décision qui sera prise en 2016 intervienne en bon ordre, selon un calendrier bien ordonné, sous le contrôle de l’ASN et dans le respect des 2 000 salariés. (Mêmes mouvements.)

M. Philippe Meunier. C’est lamentable !

Fermeture de lignes ferroviaires nocturnes

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Le groupe RRDP s’associe à la douleur des proches de notre amie Sophie Dessus, qui défendait si bien la ruralité et les services de proximité. Elle nous manque déjà.

Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, alors que les syndicats de cheminots seront mobilisés demain pour défendre leurs conditions de travail, qui ne cessent de se dégrader, je voudrais revenir sur l’annonce du désengagement de l’État du financement de la majorité des trains d’équilibre du territoire circulant la nuit. Cette annonce est un coup dur porté aux territoires du Piémont pyrénéen, concernés par la suppression de deux lignes de nuit, dont celle de Paris-Toulouse-Tarbes-Hendaye, qui ne circule déjà que les week-ends et pendant les vacances scolaires.

L’objectif initial des Intercités était de désenclaver les territoires et de garantir un traitement équitable des citoyens. À l’heure où le Président de la République annonce un troisième comité interministériel aux ruralités, nous ne pouvons accepter l’abandon par l’État de ces lignes, qui ont une véritable utilité sociale et assurent la mobilité des habitants. Par ailleurs, le maillage en matière de transports est indispensable pour l’attractivité touristique de nos territoires ruraux et de montagne. Ces suppressions sont d’autant plus injustes que notre région ne bénéficie d’aucune offre de train à grande vitesse.

Cette annonce est l’aboutissement d’un processus qui a consisté, pendant de nombreuses années, à laisser se dégrader la qualité du service public ferroviaire, ce qui conduit aujourd’hui à envisager de supprimer certaines lignes ou de privatiser leur exploitation.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt pour évaluer les propositions susceptibles d’être formulées pour ces lignes, y compris la prise en charge de l’exploitation par une autre collectivité. Pouvez-vous nous préciser les modalités de cet appel à manifestation d’intérêt et nous dire quand il sera lancé ? Si l’appel se révèle infructueux, la décision de l’État est-elle irrémédiable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité. Madame la députée, je vous prie d’excuser Alain Vidalies, qui participe aujourd’hui au sommet franco-italien.

Les trains de nuit sont utilisés par 3 % des voyageurs des trains Intercités, mais représentent 25 % du déficit d’exploitation de ces trains. Leur fréquentation est en baisse de 25 % depuis 2011, ce qui rend leur exploitation financièrement insoutenable. De 210 millions d’euros en 2011, le déficit d’exploitation des trains d’équilibre du territoire – les TET – est passé à 330 millions d’euros en 2014 ; il devrait dépasser 400 millions d’euros cette année. Chaque billet de train de nuit vendu nécessite plus de 100 euros de subventionnement public en moyenne.

Pour donner un nouvel avenir à ces trains, Alain Vidalies a confié à une commission pluraliste, présidée par Philippe Duron, le soin de formuler des recommandations. Ses conclusions, rendues le 26 mai 2015, ont ensuite été présentées aux commissions compétentes du Parlement.

L’analyse de la commission Duron a permis d’identifier des lignes d’aménagement du territoire indispensables en raison de l’absence d’une offre alternative suffisante sur les territoires concernés : les lignes de nuit Paris-Briançon et Paris-Rodez-Latour-de-Carol seront donc maintenues.

Les autres lignes de nuit desservent des territoires bénéficiant d’offres alternatives de mobilité de bon niveau ou qui vont prochainement s’améliorer avec la mise en service des nouvelles lignes à grande vitesse : c’est le cas de la ligne Paris-Hendaye. Alain Vidalies a donc annoncé, le 19 février dernier, que le Gouvernement avait décidé de ne plus financer l’exploitation de ces lignes. Toutefois, il souhaite permettre à tous les opérateurs ferroviaires de proposer, pour leur propre compte, de nouveaux schémas d’exploitation innovants susceptibles de redonner de l’attractivité aux trains de nuit.

Un appel à manifestation d’intérêt sera donc prochainement lancé pour évaluer toutes les propositions susceptibles d’être formulées pour ces autres lignes, y compris la prise en charge de l’exploitation par une autre collectivité. Le résultat de cet appel à manifestation d’intérêt et les décisions prises en conséquence seront annoncés le 1er juillet 2016. D’ici là, l’exploitation de ces lignes de nuit se poursuivra dans les conditions actuelles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Préjudice écologique

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains.

M. Christophe Priou. Monsieur le Premier ministre, la semaine dernière, le Gouvernement a nuitamment introduit en catimini, dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à la biodiversité, un amendement remettant en cause la notion de préjudice écologique, noyé dans un texte de soixante-quatorze articles. Cet amendement a été précipitamment retiré. On peut néanmoins s’interroger sur les intentions premières du Gouvernement.

Ne croyez-vous pas que tenter d’effacer le principe du pollueur-payeur revient à donner un chèque en blanc à tous ceux qui auront peu de scrupules à prévenir le risque de pollution lié à leurs activités ? C’est un coup dur après une bataille de quinze années, suite aux naufrages de l’Erika puis du Prestige. Ce combat juridique avait abouti, en septembre 2012, à une décision de la Cour de cassation reconnaissant le préjudice écologique.

En mai 2013, à l’initiative du sénateur Bruno Retailleau, le Sénat a voté à l’unanimité une proposition de loi visant à inscrire le préjudice écologique et son indemnisation dans le code civil. Mon collègue Alain Leboeuf et moi-même avons déposé en janvier 2013 une proposition de loi similaire, conforme au texte adopté au Sénat – un article unique, trois alinéas. Elle n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour car la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, avait promis début 2013 de présenter un texte relatif à la responsabilité civile environnementale avant la fin de l’année. Christiane Taubira annonçait à nouveau un texte en février 2015. On attend toujours.

C’est un recul environnemental majeur porté par votre gouvernement, monsieur le Premier ministre. Si c’est une erreur, elle est dommageable. Si c’est une stratégie, elle est pitoyable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité. Monsieur le député, je vous prie d’excuser Ségolène Royal, qui participe au sommet franco-italien.

Je vous rassure (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants) : le principe du pollueur-payeur n’est pas en danger. Il a d’ailleurs, je vous le rappelle, une valeur constitutionnelle. De même, les procédures qui existent aujourd’hui pour permettre aux personnes physiques, aux entreprises et aux collectivités de demander réparation des préjudices qu’elles subissent ne sont aucunement remises en cause.

Ce que nous sommes en train de faire, monsieur le député, c’est d’inscrire dans notre législation un nouveau droit. Le préjudice écologique est le droit que nous reconnaissons à la nature de voir réparées ou compensées les conséquences d’atteintes à l’environnement. Il s’agit d’un principe très important introduit dans le projet de loi relatif à la biodiversité à l’initiative d’un sénateur qui a connu, comme vous, monsieur Priou, l’expérience du drame de l’Erika. Le Gouvernement veut garantir dans la loi cette avancée pour l’écologie, qui est aujourd’hui jurisprudentielle. La définition et la portée de la notion de préjudice écologique doivent permettre de compenser réellement d’éventuels préjudices, tout en garantissant aux entreprises un cadre juridique clair.

L’amendement gouvernemental déposé pour préciser la rédaction du Sénat a donné lieu à des interprétations divergentes et suscité des inquiétudes fortes. Ségolène Royal et moi-même n’entendons ni dramatiser, ni ignorer ces inquiétudes. C’est pourquoi l’amendement a été retiré, ainsi que tous les autres amendements parlementaires, afin de lever toute ambiguïté et de prendre le temps de préparer, en lien avec les parlementaires impliqués sur ce sujet, une rédaction qui lève toute ambiguïté et qui sera présentée lors de la discussion du texte en séance publique.

M. Alain Marty. Bravo !

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Nous y parviendrons, dans la sérénité et la concertation. C’est la méthode adoptée par Ségolène Royal depuis la genèse de ce projet de loi, et qui continuera d’être suivie.

M. Jean Glavany. Très bien !

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Il n’est pas question d’amoindrir ce droit, qui sera un droit en plus et qui n’en enlèvera aucun. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Fraude au détachement

M. le président. La parole est à M. Christophe Castaner, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christophe Castaner. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Un grand quotidien du soir évoquait hier un patron polonais en colère, en colère contre la France. Que nous reproche-t-il ? La volonté de la France de réviser la directive sur les travailleurs détachés.

En effet, au moment où je vous interroge, madame la ministre, la Commissaire européenne à l’emploi, Marianne Thyssen, présente à Strasbourg un projet attendu et réclamé par la France.

Ce projet de directive révisée s’inspire très largement des grands principes de la loi française de lutte contre la concurrence sociale déloyale, promulguée le 10 juillet 2014 et dont Gilles Savary, infatigable acteur du combat contre l’exploitation des travailleurs détachés, fut le rapporteur.

Ce projet reprend l’extension à tous les secteurs d’activité du principe du devoir de vigilance du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre, avec les responsabilités et les sanctions qui en découlent, fortement renforcées par la loi Macron du 6 août 2015, ainsi que l’extension de l’obligation de vigilance à toute la chaîne de sous-traitance.

Si les propositions de la Commissaire Thyssen vont bien au-delà de cette transposition à l’envers, d’une loi française dans la législation européenne, et même au-delà de nos espérances quand elles reprennent notre proposition de supprimer le « détachement d’intérim », un premier bilan d’étape s’impose.

Le corps de l’inspection du travail a été réorganisé en fonction de cette nouvelle priorité, et il agit. La quasi-totalité des décrets d’application ont été publiés.

Le 23 février dernier, vous avez signé, madame la ministre, une convention nationale de lutte contre le travail illégal et les fraudes au détachement avec la Fédération nationale du bâtiment et mis en œuvre la carte d’identification professionnelle obligatoire dans ce secteur.

Cet arsenal législatif national est sans équivalent en Europe. Je vous remercie donc, madame la ministre, de bien vouloir nous dresser un état des lieux de la situation sur le terrain. Enfin, pourquoi ne pas envisager, dans le cadre du projet de loi que vous présenterez le 23 mars prochain en conseil des ministres, de renforcer encore les moyens juridiques de la lutte contre le dumping social ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Alain Marty. Et du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. En effet, monsieur le député, la lutte contre les abus du détachement est une priorité pour notre pays. Nous ne remettons pas en cause la libre circulation des travailleurs dans l’espace européen – la France serait du reste mal venue de le faire, dans la mesure où elle occupe la troisième place en matière d’envois de travailleurs détachés dans l’espace européen.

Ce phénomène est lié à l’érosion de notre modèle social, et c’est la dignité des travailleurs européens qui est remise en cause. C’est pourquoi, vous l’avez dit, nous sommes à la pointe en termes d’arsenal législatif, notamment avec la loi de Gilles Savary, dont je tiens à saluer la détermination et le travail efficace, ainsi qu’avec la loi d’Emmanuel Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Vous me demandez, monsieur le député, de dresser un bilan. S’agissant des contrôles, on est passé de 600 contrôles par mois en juin dernier à, en moyenne, 1 500 contrôles depuis septembre. Nous procédons également à des contrôles le week-end, en soirée. C’est particulièrement important et correspond à la demande de la Fédération française du bâtiment et de la CAPEB, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Ces contrôles sont essentiels.

S’agissant des amendes – car il ne suffit pas de contrôler, il faut également sanctionner par des amendes –, au second semestre 2015, 139 amendes ont été notifiées pour un montant cumulé de 675 000 euros. Beaucoup d’enquêtes sont en cours. Le décret que j’ai pris récemment m’a permis de mettre en œuvre une suspension de prestation de service internationale pour non-respect du droit du travail français, notamment en Corse.

Le combat doit continuer. Au niveau européen, la Commissaire Thyssen va réviser la directive, et à cet égard la France maintient sa demande. De plus, dans le cadre de mon projet de loi, nous travaillons à la création d’une contribution de la part des employeurs, en donnant la possibilité à l’administration de suspendre en cas de non-déclaration de détachement…

M. le président. Merci, madame la ministre.

Droit au travail des femmes et égalité salariale

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. À mon tour de rendre hommage à Sophie Dessus, une femme engagée.

Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, je participais ce matin à une réunion de femmes, salariées du commerce. Je veux témoigner de leur soif d’égalité au travail ! Elles n’acceptent ni le chantage au travail de soirée ou du dimanche, ni les écarts de salaire entre les hommes et les femmes, ni le temps partiel imposé : une femme sur deux est concernée dans ce secteur d’activité. Elles récusent le vieux refrain sexiste sur le temps choisi pour s’occuper du foyer ! Car qui dit temps partiel imposé, dit salaire partiel et retraite partielle et, avec votre loi, règlement partiel des heures supplémentaires.

Oui, la surexploitation des femmes du commerce n’est ni supportable ni acceptable. Pour y mettre fin, pour avancer vers une vraie égalité au travail, la loi doit garantir de nouveaux droits à ces salariées. Contrairement à la logique à l’œuvre pour la prochaine loi travail, la modernité n’est pas du côté de la déréglementation.

Toute l’histoire du combat féministe contre la domination patriarcale montre que, quel que soit le domaine de la vie des femmes, c’est la conjugaison de leurs luttes et de la loi qui permet des avancées pérennes.

Ainsi, du chemin a été parcouru depuis la loi Roudy à celle de 2014 grâce aux luttes des femmes. Mais les femmes sont encore loin de l’égalité réelle. Pour y parvenir, on ne peut s’exonérer de traiter, dans la loi, de la question du temps partiel imposé. Car comment penser qu’elle puisse être réglée, centre commercial par centre commercial, employées contre les multinationales de la distribution ?

La loi peut imposer des majorations de cotisations patronales quand le nombre d’emplois à temps partiel est supérieur à 15 %. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous dire, en cette journée internationale des droits des femmes, ce que compte faire le Gouvernement pour le droit au travail des femmes et l’égalité salariale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Alain Marty. Et du chômage !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Pour ma part, j’ai rencontré ce matin l’association Force Femmes, qui accompagne les femmes dans l’emploi et la création d’entreprises. Les parcours de ces femmes, leurs difficultés à trouver des formations, nous les avons partagés. Le plan « 500 000 formations » que nous avons lancé la semaine dernière avec les présidents de région vise justement à renforcer leurs parcours.

Vous m’interrogez sur la question de l’égalité salariale. Je ne peux que partager votre propos et celui de ma collègue Laurence Rossignol. En 1991, la différence de salaires était de 30 %. Elle s’élève aujourd’hui à 20 %. Il faudra sans doute un demi-siècle pour que nos petites-filles connaissent l’égalité salariale avec nos petits-fils. Bien évidemment, il faut continuer à aller beaucoup plus loin en la matière.

Vous m’interrogez enfin sur la loi. Sachez que dans le cadre des différentes lois que nous avons mises en œuvre, nous avons fait en sorte que les entreprises privées, les entreprises publiques puissent respecter la parité au sein des conseils d’administration. S’agissant de la représentation dans le cadre des élections professionnelles, nous avons également avancé.

En outre, j’ai rappelé la semaine dernière à votre collègue Marie-Jo Zimmermann le renforcement de l’information des comités d’entreprise. Avec le projet de loi que je porte, nous voulons aller encore plus loin. J’y réaffirme, s’agissant du temps partiel de vingt-quatre heures, la durée minimale,…

Mme Marie-George Buffet. 60% des salariés à temps partiel sont des femmes !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous avons fixé la durée minimale du temps partiel, et il faut le mettre au crédit de ce Gouvernement, suite à une négociation. Des branches ont négocié ; elles sont suivies, et des amendes sont prévues le cas échéant.

Nous créons également dans cette loi le compte personnel d’activité, qui permettra aux femmes, dont les parcours professionnels ne sont pas toujours linéaires, d’acquérir une formation et de prendre en compte les métiers les plus pénibles. Il permettra d’améliorer…

M. le président. Merci, madame la ministre.

Levée des sanctions contre la Russie

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, pour le groupe Les Républicains.

M. Thierry Mariani. Monsieur le Premier ministre, vous déclariez en novembre 2015 que vous souhaitiez que les sanctions contre la Russie puissent être levées. Un mois plus tard, elles furent reconduites. Aujourd’hui, on assiste à un bal de déclarations de vos ministres – M. Macron déclarait à Moscou, voilà quelques semaines, qu’il souhaitait que ces sanctions qui frappent durement notre agriculture française soient levées et M. Le Foll a, lui aussi, pris position en ce sens –, qui nous disent à chaque fois qu’elles doivent être levées si les accords de Minsk sont respectés.

Regardons la réalité en face : les accords de Minsk ont permis une réduction notable des affrontements militaires, même si les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – OSCE – constatent chaque semaine des violations du cessez-le-feu par chacune des deux parties. Surtout, au bout d’un an, les réformes institutionnelles promises par l’Ukraine n’ont toujours pas été votées – le 23 février dernier, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier ont d’ailleurs appelé l’Ukraine à voter enfin ces réformes prévues par les accords de Minsk.

De toute évidence, il n’y a quasiment aucune chance que ces réformes favorisant l’autonomie de certaines régions soient votées, car le Parlement ukrainien n’a désormais plus aucune majorité. Bref : les accords de Minsk sont dans une impasse. Pendant ce temps, nos agriculteurs souffrent et nos entreprises perdent des marchés.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très juste !

M. Thierry Mariani. Dans trois mois, ces sanctions doivent être renouvelées et elles ne peuvent l’être que s’il y a unanimité des pays européens. Ne vous abritez donc pas derrière les autres, car vous avez la réponse entre les mains.

Monsieur le Premier ministre, ma question est donc simple : dans trois mois, choisirez-vous de défendre les intérêts de nos agriculteurs, les intérêts de nos entreprises, les intérêts de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le député, vous interrogez le Gouvernement sur la situation en Russie, sur notre action diplomatique et sur l’impact économique de cette situation. Nous avons eu à plusieurs reprises la possibilité d’échanger à ce propos, y compris en commission. C’est un sujet important,…

M. Jacques Myard. Arrêtez le baratin !

M. Claude Goasguen. Répondez à la question !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. …qui mérite un peu d’attention. (« La réponse ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, une question a été posée : écoutez donc la réponse !

M. Jacques Myard. Justement !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Sur ce sujet, la France assume totalement son rôle de grande nation diplomatique (« La réponse ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.), de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et de puissance souhaitant garantir la paix aux frontières de l’Europe.

M. Claude Goasguen. On le sait ! Répondez à la question !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Avec l’Allemagne et toutes les parties prenantes, nous sommes engagés dans le processus de Minsk pour que la paix revienne et que toutes les parties mettent pleinement en œuvre ce processus et les accords de Minsk.

Pour ce qui est de l’impact économique de cette situation, je rappelle d’abord que les relations commerciales entre la France et la Russie avaient commencé à baisser bien avant les embargos, qui ont débuté en février 2014 pour l’embargo sanitaire et en août 2014 pour l’embargo politique. (« Ce n’est pas la question ! » et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Depuis 2013, en effet, la demande intérieure russe a baissé de 35 % en raison de l’évolution du prix des hydrocarbures et de la dépréciation du rouble. (Mêmes mouvements.)

Avec Stéphane Le Foll, qui était à Moscou à la fin de l’année dernière, Emmanuel Macron qui y était voici quelques semaines et moi-même qui y serai dans quelques semaines, nous sommes mobilisés pour obtenir à la fois un travail avec la Russie et des débouchés alternatifs pour nos agriculteurs. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Nous avons déjà obtenu de nombreuses ouvertures de marchés. À cet égard, nous continuerons, avec la diplomatie des terroirs, à travailler sur ce sujet pour défendre l’agriculture française et travailler avec la Russie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Huées sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Opposition au démarchage téléphonique

M. le président. La parole est à M. David Comet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. David Comet. Madame la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, qui parmi nous n’a jamais été appelé par une société de démarchage téléphonique tentant de vendre un produit, une assurance ou un contrat ? Qui ne connaît pas de personnes qui ont été abusées ? Ces appels à répétition, parfois agressifs et presque toujours abusifs, ne doivent pas être subis. Chaque Français a le droit de se prémunir contre une intrusion dans son quotidien.

C’est la raison pour laquelle nous avions voté, lors de l’examen de la loi relative à la consommation, des dispositions protégeant les citoyens contre le démarchage téléphonique abusif. Cette loi a obligé les sociétés de démarchage à se présenter nommément, c’est-à-dire à déclarer clairement que leur appel poursuit un but commercial. Les numéros masqués d’opérateurs sont désormais interdits, sous peine d’amende. Enfin, dès le 1er juin prochain, sera créée une liste d’opposition à ces appels, sur laquelle chacun pourra s’inscrire gratuitement. Une plate-forme, accessible à tous par internet et qui pourra également être contactée par courrier, sera chargée de mettre fin au démarchage lorsque le citoyen l’aura demandé.

Le Gouvernement doit garantir la protection effective des consommateurs qui ne souhaitent pas être harcelés par téléphone. Le 28 février dernier, un décret est paru pour désigner l’organisme chargé de mettre en place cette réforme. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes veillera à ce que ces dispositions soient respectées et de lourdes amendes sont prévues pour sanctionner les entreprises qui passeraient outre ces obligations.

Madame la secrétaire d’État, comment cela se traduira-t-il concrètement pour nos concitoyens ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le député, je vous remercie de cette question, qui touche à un sujet d’actualité. On constate en effet ce démarchage abusif auprès d’un grand nombre de nos concitoyens, qui s’en plaignent très fréquemment. J’ai pu le constater au nombre de plaintes déposées – je pense notamment aux personnes les plus fragiles, aux personnes âgées, à celles qui se trouvent chez elles pendant la journée et qui connaissent toutes les difficultés liées à ces appels intempestifs.

Vous avez déjà évoqué plusieurs éléments du dispositif prévu. J’ai en effet désigné une société, Opposetel, qui mettra en place un service à compter du 1er juin. Chaque citoyen pourra s’inscrire sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique. Ce sera un service gratuit, auquel chacun pourra s’inscrire par voie numérique ou par courrier. Ce sera donc un service simple.

Chaque société effectuant ce démarchage téléphonique sera ensuite tenue – et c’est là un droit nouveau pour chaque consommateur – de procéder à une vérification auprès d’Opposetel, l’organisme que j’ai désigné, afin que ce dernier puisse expurger la liste des personnes ne désirant pas recevoir de communications téléphoniques. Si les sociétés ne respectent pas cette obligation, de lourdes amendes pourront leur être infligées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Remplacement d’une députée

M. le président. J’ai reçu, en application des articles L.O. 176 et L.O. 179 du code électoral, une communication de M. le ministre de l’intérieur en date du 7 mars 2016 m’informant du remplacement de notre regrettée collègue, Mme Sophie Dessus, par M. Alain Ballay.

4

Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (nos 3473, 3515, 3510).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de la première lecture, la philosophie de ce projet de loi n’a guère évolué et ses dispositions les plus négatives demeurent.

Dans les débats, nous avons certes souligné les avancées et clarifications apportées sur plusieurs points, comme la consolidation du contrôle des moyens de paiement et de l’organisation de la cellule Tracfin, qui détecte les mouvements financiers suspects, le renforcement de la protection des témoins, l’amélioration du contrôle des armes ou encore le renforcement des garanties et la simplification de la procédure pénale, dont l’une des mesures consiste à introduire une phase contradictoire dans les enquêtes préliminaires conduites par le parquet.

Plusieurs de ces mesures étaient attendues de longue date par le monde judiciaire. Mais là n’est pas le plus important : le projet de loi comprend surtout des dispositions que nous jugeons dangereuses pour les libertés individuelles. Elles marquent en effet un glissement indéniable vers l’intégration de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, un durcissement de notre arsenal juridique et un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire.

Notre rejet du texte se fonde pour l’essentiel sur quatre dispositions majeures. Il s’agit d’abord de l’article 17, qui prévoit l’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité. La liste des infractions permettant de recourir à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages est très largement définie et ne se limite pas aux seuls cas de terrorisme. Ce dispositif, qui n’est pas suffisamment encadré, apparaît ainsi totalement disproportionné.

Ensuite, l’article 18 crée une véritable garde à vue administrative, sans avocat, consécutive à un contrôle d’identité alors même que la personne aurait justifié de son identité. Les forces de l’ordre pourront retenir une personne, pendant quatre heures maximum, pour vérification de sa situation en cas de soupçon de lien avec une activité terroriste alors que, dans ce cas, celle-ci devrait être placée en garde à vue sous le contrôle de l’autorité judiciaire. C’est pourquoi nous jugeons ce régime dérogatoire à la fois inutile et dangereux.

Quant à l’article 19, il prévoit un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les policiers, gendarmes et douaniers. Cette extension n’est ni justifiée, ni nécessaire juridiquement car les dispositifs actuels permettent déjà aux intéressés d’invoquer la légitime défense et l’état de nécessité.

Enfin, l’article 20 autorise le ministre de l’intérieur, sans enquête judiciaire approfondie, à assigner à résidence et à imposer des obligations et interdictions à toute personne soupçonnée de revenir d’un théâtre d’opérations terroristes. Ce dispositif qui substitue un contrôle administratif au contrôle judiciaire n’est pas acceptable en raison de l’autorité qui décide sa mise en oeuvre et du critère légal flou qui permet d’y recourir.

Comme l’a souligné le Défenseur des droits, avec cet article, le Gouvernement inscrit dans notre droit commun une mesure portant atteinte à la liberté d’aller et de venir, largement inspirée de l’assignation à résidence prévue par le régime de l’état d’urgence actuel.

En résumé, ces articles privent l’autorité judiciaire de son rôle de garante des libertés individuelles et introduisent des mesures d’exception dans le droit commun. Ils suscitent à juste titre de multiples et vives critiques émanant notamment de voix parmi les plus autorisées du monde judiciaire. Le Gouvernement ne les a malheureusement pas entendues et aucun infléchissement réel n’a été consenti sur ces différents dispositifs.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. On ne peut pas dire cela !

M. Marc Dolez. Bref, ce projet de loi n’offre pas les garanties nécessaires permettant d’assurer un juste équilibre entre, d’une part, la protection des droits et des libertés et, d’autre part, l’impératif de sécurité publique, de prévention et de répression des infractions pénales. C’est pourquoi les députés du Front de gauche voteront résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. André Chassaigne. Très bonne argumentation !

M. Jean Glavany. Ce n’est pas raisonnable !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur un projet de loi visant à lutter contre le terrorisme et son financement.

Ce texte s’inscrit dans la lignée du travail effectué depuis l’apparition de la menace terroriste en France, en Europe et dans d’autres pays amis. Il vise à adapter notre arsenal pénal dans le respect scrupuleux des libertés fondamentales qui donnent à notre pays sa force, nous permettant ainsi de sortir de l’état d’urgence et de consolider notre droit commun.

Quels sont les principaux outils proposés ? Ce texte étant transversal, je ne pourrai tous les citer. Les moyens de l’enquête sont tout d’abord renforcés mais, bien entendu, sous le contrôle strict du parquet ou du juge des libertés et de la détention.

Cette partie a fait l’objet d’un examen soutenu en commission et dans l’hémicycle. Nous partagions, monsieur le ministre, votre volonté de définir au mieux ces mesures pour nous assurer de leur efficacité mais également pour prévenir tout abus dans leur mise en œuvre. Ainsi ont-elles été limitées au strict nécessaire au regard des capacités actuelles d’enquête et de leur contrôle resserré.

Ce projet de loi propose ainsi des outils de contrôle des personnes dont la situation ne peut être judiciarisée mais laisse présager une grande dangerosité et nécessite donc un temps de vérification.

Fait très attendu, ce texte permet également à l’administration pénitentiaire de recourir aux techniques utilisées par les services de renseignement. C’est une mesure indispensable quand on connaît les problèmes de radicalisation en prison.

Pour les grands événements exposés à un risque exceptionnel de menace terroriste, des mesures de prévention particulières sont également prévues – l’on pense bien sûr à l’Euro 2016 ou au Tour de France. Ce projet de loi organise la vérification préalable de la situation des personnes qui participent à l’organisation ou à la mise en œuvre desdites manifestations.

Le texte vise ensuite à moderniser notre procédure pénale. Le rôle du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention est conforté tout au long de l’enquête : toute mesure de police est placée sous leur direction et leur contrôle ; ils pourront y mettre un terme ou les annuler. Le contradictoire est introduit dans la phase de l’enquête préliminaire : les personnes mises en cause pourront accéder à une partie de leur dossier et formuler des observations. Les associations de victimes du terrorisme pourront se constituer partie civile et les personnes appelées à témoigner dans de telles affaires seront mieux protégées.

Nous réclamions une réforme du Conseil supérieur de la magistrature et une indépendance renforcée du procureur : le garde des sceaux en a fait l’annonce ce matin. C’est un point d’équilibre essentiel annoncé dans ce texte.

Enfin, ce projet de loi intensifie la lutte contre le financement du terrorisme. Il crée une nouvelle infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations terroristes. Il encadre l’utilisation des cartes prépayées et en assure une meilleure traçabilité.

Il permet à Tracfin, organisme de lutte contre le blanchiment d’argent, de signaler aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

Mes chers collègues, je ne peux évoquer toutes les mesures contenues dans ce texte, ni surtout leurs conditions de mise en œuvre. Ces quelques éléments reflètent cependant un travail minutieux, effectué sur chaque article et amendement par la commission des lois, de recherche d’équilibre entre efficacité de l’enquête, sécurité de nos concitoyens et respect des libertés fondamentales.

Ces mots sont ceux que Yves Goasdoué, dans l’incapacité d’être présent aujourd’hui, aurait prononcés en tant que responsable du groupe. Pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, le groupe SRC est appelé à voter ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe Les Républicains.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la France est devenue la cible privilégiée des terroristes islamistes, peut-être la première au monde. Ces barbares, qui n’ont d’égal que les nazis dans leur idéologie destructrice de toutes les valeurs de l’humanité, ont frontalement attaqué en 2015 les valeurs fondamentales de notre République.

Nous savons aujourd’hui que la menace est maximale. Le directeur général de la sécurité intérieure, Patrick Calvar, affirmait il y a quelques jours, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, disposer d’informations faisant état de la présence sur le sol européen de commandos djihadistes dont nous ignorons la localisation et l’objectif. Nul doute, hélas, que la France sera à nouveau frappée. Nous le savons, comme l’a récemment admis le Premier ministre.

C’est dans ce contexte que nous examinons le huitième texte de lutte contre le terrorisme depuis 2012 – le huitième texte ! Ce débat, monsieur le ministre, aurait pu et aurait dû vous offrir l’opportunité, dès votre arrivée – que, personnellement, je salue –, de revoir en profondeur la politique conduite depuis 2012 et qui, à bien des égards, a échoué.

Vous avez refusé, dans ce débat, de revenir sur la politique pénale irresponsable de la précédente garde des sceaux. Vous savez pourtant, monsieur le ministre, que les orientations de votre prédécesseur étaient largement erronées.

M. Jean Glavany. Toujours la même rengaine !

M. Éric Ciotti. Vous avez refusé de redonner du sens à la sanction pénale en modifiant profondément les règles en matière d’aménagement des peines. Vous avez refusé de sanctionner beaucoup plus fermement les fabricants d’outils de télécommunication qui refusent de coopérer avec la justice. Vous avez également refusé d’apporter une réponse solide à la question du retour des djihadistes sur notre territoire.

Ce texte aurait pu et aurait dû être l’occasion d’une grande loi de programmation contre le terrorisme, une loi avec des moyens juridiques mais également avec des moyens humains et budgétaires. Cette loi, nous la réclamons en vain depuis 2012, pour éviter de répondre systématiquement en urgence et en permanence à une actualité tragique.

Ce n’est pas la voie que le Gouvernement a choisie, et nous le regrettons, mais, mes chers collègues, nous abordons ce vote avec l’esprit de responsabilité et d’unité nationale qui nous a conduits à soutenir toute initiative visant à renforcer la sécurité des Français face au terrorisme.

Les dispositions que contient le présent texte vont dans cette direction. Je pense notamment à la possibilité de procéder à des perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation, à la retenue de quatre heures pour vérification d’identité et à l’assignation à résidence au retour du djihad, même si ce n’est que pour huit heures et que cela est nettement imparfait.

Le débat parlementaire a également permis d’améliorer considérablement le texte, à l’initiative du groupe Les Républicains. À cet égard, je salue, monsieur le ministre, l’écoute dont vous avez fait preuve. C’était pour nous inédit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.– Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean Glavany. Ce n’est pas vrai !

M. Éric Ciotti. Le renseignement pénitentiaire a ainsi été inscrit dans le deuxième cercle de la communauté du renseignement, grâce à l’adoption de l’amendement que j’ai défendu avec Guillaume Larrivé et Philippe Goujon.

De même, à l’initiative de notre groupe, la période de sûreté a été portée à trente ans pour les criminels condamnés pour acte de terrorisme, et la juridiction peut décider de la perpétuité dite « incompressible ».

Nous avons réintroduit l’autorisation parentale de sortie du territoire pour les mineurs, qu’un précédent gouvernement de Manuel Valls avait supprimé.

Nous avons surtout évité, mes chers collègues, et c’est un point essentiel car cela était pour nous inacceptable, cette folie juridique qu’est l’aménagement de peines liée à la capacité carcérale.

M. Claude Goasguen. En effet !

M. Éric Ciotti. Au final, les lacunes du texte portent, non pas sur ce qu’il contient, mais bien au contraire sur ce qu’il ne contient pas, car il y a des oublis considérables. Toutefois, conformément à leur esprit d’unité et de responsabilité, les députés du groupe les Républicains soutiendront ce projet de loi, même s’il représente à bien des égards une occasion manquée. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Sur l’ensemble du projet de loi, le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Zumkeller. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi avait initialement pour objet de simplifier la procédure pénale, de la mettre en conformité avec les exigences européennes et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et de donner aux services enquêteurs et aux magistrats de nouveaux moyens d’investigation et de poursuite.

La préparation du texte a été bouleversée par les tragédies qui ont frappé la France en plein cœur en 2015. Nous nous devions de réagir pour adapter une fois encore notre arsenal juridique à ce défi que représente la lutte contre le terrorisme. C’est la raison pour laquelle nous approuvons sans réserve la démarche qui a consisté à insérer dans le texte des mesures de détection et de surveillance de la menace.

Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants l’avait d’ailleurs clairement exprimé lors de la première prorogation de l’état d’urgence : il nous faut anticiper « l’après-état d’urgence » et intégrer de nouvelles mesures dans notre droit commun afin de faire face à une menace dont nous savons tous qu’elle sera durable. C’est pourquoi nous sommes favorables aux mesures contenues dans ce texte qui visent à mieux lutter contre le terrorisme, telles que les perquisitions de nuit, les dispositions relatives à la fouille des bagages ou la procédure de retenue en cas de suspicions sérieuses.

Quant aux dispositions relatives au financement du terrorisme, elles sont primordiales. Nous approuvons les mesures qui visent à le combattre, notamment celles qui concernent les compétences de Tracfin ou celles qui visent à lutter contre le trafic d’armes. Néanmoins, ces mesures doivent être suffisamment proportionnées et encadrées pour respecter un juste et difficile équilibre entre l’exigence de sécurité et celle de liberté. Un certain nombre d’amendements adoptés en séance publique vont dans ce sens ; ils permettent notamment de mieux encadrer la procédure de retenue et le recours à l’IMSI catcher, l’intercepteur de numéro d’identification de carte SIM.

Nous nous félicitons également des deux principales avancées concernant les peines applicables aux terroristes : celle relative à la période de sûreté de trente ans et celle, adoptée à l’initiative de notre groupe, qui étend aux infractions terroristes l’application des dispositions relatives au suivi sociojudiciaire. (Brouhaha.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de regagner vos places dans le silence !

M. Michel Zumkeller. Nous aurions néanmoins souhaité aller plus loin sur certains points.

D’abord, en ce qui concerne le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, le dispositif prévu par le texte se réfère au cas d’un périple meurtrier durant lequel la légitime défense ne pourrait être invoquée, mais qui relèverait de l’état de nécessité. Nous aurions préféré la formulation de « danger imminent » ou de « violences graves ».

En outre, un sujet doit être au cœur de nos préoccupations : il s’agit du retour des djihadistes sur notre territoire. Pour répondre à cette menace, le projet de loi prévoit notamment un contrôle administratif des retours sur le territoire. C’est une mesure de bon sens, puisque les qualifications juridiques existantes imposent d’apporter la preuve que les personnes s’étant rendues en Syrie et en Irak l’ont fait pour rejoindre un groupe terroriste. (Brouhaha persistant.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Michel Zumkeller. Toutefois, nous aurions pu prévoir une interdiction de retour sur le territoire français et nous inspirer des mesures concrètes adoptées par le Sénat à travers la proposition de loi de nos collègues sénateurs Bas, Retailleau, Zocchetto et Mercier tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, en sanctionnant notamment le séjour sur un théâtre d’opérations terroristes par la création d’un nouveau délit.

Enfin, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants se félicite de la suppression de l’article 27 sexies, relatif aux réductions supplémentaires de peine. L’aménagement ou la réduction de peine doivent dépendre des efforts réalisés par le détenu, et ne peuvent en aucun cas résulter de facteurs extérieurs tels que le taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire.

En dépit de quelques réserves, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera pour ce projet de loi qui comporte des dispositions nécessaires à la lutte efficace contre le terrorisme et le crime organisé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme sur lequel nous devons nous prononcer est un projet dense, qui met en place des dispositifs, souvent nouveaux, qui doivent nous permettre de sortir de l’état d’urgence. Ce n’est pas une tâche facile. (Brouhaha incessant.)

M. le président. Chers collègues !

M. Christophe Cavard. La menace terroriste à laquelle nous devons faire face est sérieuse et difficilement prévisible. Nous devons trouver des réponses pour tâcher de l’anticiper, en partant des failles constatées lors des précédents attentats, et en cherchant le bon équilibre entre le renforcement de la sécurité de nos concitoyens et la protection des libertés et droits individuels. Nous voulons continuer de vivre dans une société ouverte, créative et libre, mais nous ne pouvons pas faire comme s’il ne s’était rien passé, comme si rien ne pouvait se passer demain. Nous devons affronter le réel, avec sérénité et responsabilité.

Le présent projet de loi avait fait l’objet d’un examen approfondi en commission des lois, qui l’avait déjà amendé. Un certain nombre de points d’équilibre restaient toutefois à trouver parmi un ensemble de mesures concernant le pouvoir administratif. Celui-ci doit être concentré sur la prévention et la neutralisation du risque d’attentat, et faciliter l’instruction judiciaire qui conduira à déterminer, le cas échéant, les sanctions envers les personnes suspectées à raison ; mais cette volonté de neutraliser un risque d’acte terroriste nous oblige dans le même temps à garantir des droits de recours et la transmission par le pouvoir administratif de décisions motivées. De nombreuses dispositions allant dans ce sens ont été renforcées, dans l’intérêt des services de police comme dans celui des personnes concernées. En effet, comme je l’ai dit lors de ma précédente intervention, les dérapages, aussi peu nombreux soient-ils, nourrissent un sentiment d’injustice susceptible de constituer un terreau favorable pour l’endoctrinement.

En outre, les possibilités d’indemnisation des victimes d’attentats ont été renforcées et simplifiées ; c’était une demande forte.

Il reste que, vu la contrainte temporelle qui nous était impartie, un certain nombre de débats n’ont pu aller jusqu’au bout.

Ces débats ont parfois été vifs. Sur le récépissé lors de contrôles d’identité, sur le déclenchement obligatoire de caméras mobiles, nous savons que nous n’en avons pas terminé et que, pour reprendre les mots du ministre de l’intérieur, « il faudra rapidement envisager l’amélioration des modalités de contrôle une fois qu’elles seront opérationnelles ».

Cette exigence d’évaluation concerne d’autres dispositions du texte. Il en va ainsi des mesures qui traitent des activités économiques ou sociales, qu’il va falloir protéger sans les mettre à mal, comme les grands événements sportifs et culturels. Les parlementaires que nous sommes seront attentifs à leur évaluation.

S’agissant de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, nous avons entendu l’engagement du ministre de la justice de revenir sur ce point lors de l’examen des projets de loi de réforme judiciaire « J21 ». Je souhaite que cet engagement soit tenu.

D’autres débats sont des débats de fond qui ne seront pas tranchés.

Nous avons ainsi eu de longs échanges sur le rôle de la prison. La droite pense que durcir les peines permettrait d’endiguer les actes ; nous estimons que c’est illusoire. La prison doit être un lieu de privation de liberté pour celles et ceux qui sont condamnés, mais aussi un lieu où l’on puisse se reconstruire, se réinsérer, de manière à éviter des aggravations que l’on paye parfois « cash » lorsque les personnes sont libérées. L’amendement adopté sur l’extension des peines de sûreté, dont la durée va passer de vingt-deux à trente ans, est inutile ; nous espérons que la navette parlementaire permettra de revenir à la raison.

De même, si le juge des libertés a été réintroduit dans un certain nombre de dispositions touchant au renforcement du rôle du parquet, il faudra bien un jour se poser la question du statut et de l’indépendance de celui-ci.

Enfin, et c’est un enjeu majeur, certaines dispositions découlant de l’article 20 et visant à la réinsertion et au désendoctrinement de personnes radicalisées devront être assorties d’une obligation de moyens pour les structures chargées d’y procéder.

Le chantier n’est donc pas terminé.

Il est toujours difficile d’être pleinement satisfait sur l’ensemble d’un texte aussi complexe. Nous recherchons ici l’adaptation la plus efficace possible de nos règles administratives et judiciaires. L’Assemblée nationale a joué pleinement son rôle.

Alors, verre à moitié vide ou verre à moitié plein ? Pour ma part, comme un certain nombre de mes collègues écologistes, je penche pour le verre à moitié plein, et je voterai le texte ; d’autres collègues considèrent le verre à moitié vide, et ne le voteront pas. Sur ces questions si difficiles de sécurité, la pluralité de nos expressions et notre engagement dans le débat restent, me semble-t-il, la meilleure des garanties démocratiques.

M. le président. Mes chers collègues, il y a vraiment trop de bruit. Ce n’est pas sympathique pour l’orateur !

M. Sylvain Berrios. En l’occurrence, ce sont les applaudissements qui manquent…

M. le président. Je vous demande donc de faire moins de bruit pour écouter M. Alain Tourret, qui va maintenant prendre la parole pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. (« Ah ! » sur divers bancs.)

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, ce texte va nous permettre de sortir de l’état d’urgence sans le banaliser, en renforçant les moyens de lutte contre le terrorisme.

À l’exigence d’efficacité, il fallait répondre par le respect de la garantie des droits. Votre choix est clair : vous renforcez les pouvoirs du procureur de la République. C’est un choix républicain, à la condition suivante : rappeler que le procureur de la République n’est pas un magistrat indépendant, mais qu’il est, comme nous autres radicaux l’avons toujours souhaité, un organe statutairement dépendant du pouvoir exécutif.

Cette loi est une addition de bonnes mesures et de mesures inquiétantes.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Oh !

M. Alain Tourret. De bonnes mesures, tout d’abord : autoriser les perquisitions de nuit ; assurer la protection des témoins et des repentis, grâce au témoignage sous X et au huis clos partiel ; renforcer la lutte contre le trafic d’armes ; lutter contre la cybercriminalité ; supprimer le trafic des biens culturels et s’attaquer à la contrefaçon ; étendre les pouvoirs de Tracfin. Tout cela, monsieur le ministre, est excellent !

Des mesures inquiétantes, maintenant.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Ah !

M. Alain Tourret. Le texte sur la légitime défense n’a convaincu personne,…

Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. Oh !

M. Alain Tourret. …et certainement pas le Conseil d’État. Je ne suis pas persuadé, et Guillaume Larrivé en a fait une bonne démonstration, que la manière dont il est rédigé ne soit pas susceptible d’être remise en cause dans le futur.

Quant à la retenue administrative de quatre heures, il s’agit, monsieur le ministre, d’une monstruosité juridique ! Même si, sur proposition du rapporteur, il a été prévu d’interdire l’audition des personnes soumises à une telle rétention, nous regrettons de n’avoir pu vous convaincre qu’il fallait s’appuyer sur la garde à vue, car c’est un outil juridique qui a progressé depuis plusieurs décennies. On autorise désormais la présence d’un avocat, d’un médecin, d’un interprète ; tout cela n’existera plus durant la période de rétention.

M. Patrick Devedjian. C’est juste.

M. Alain Tourret. J’ai bien vu les hésitations du ministre de l’intérieur à ce sujet. Je le dis : je suis inquiet quant au devenir de cette mesure, qui, d’après moi, est une mesure de non-droit. (Murmures sur divers bancs.)

Plus globalement, nous en sommes à sept ou huit textes sécuritaires : cet empilement, monsieur le ministre, ne peut que vous inquiéter, vous qui êtes un défenseur des droits !

De petites mesures en petits renoncements, on quitte, sans s’en rendre compte, l’État de droit. Si, à l’avenir, des néo-fascistes – ils sont, ici, deux ou trois – venaient à prendre le pouvoir, ils disposeraient ainsi de terribles armes.

La plupart d’entre nous, monsieur le ministre, vous font totalement confiance. C’est pourquoi, bien évidemment, nous appellerons à voter pour ce texte. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Vous dites que c’est une loi scélérate, et pourtant vous la voterez !

M. Alain Tourret. Mais, monsieur le ministre, ce repli des libertés ne saurait tenir lieu de politique générale, ni de politique pénale, même si la République doit lutter de toutes ses forces contre le terrorisme. Nous disons oui à ce texte, mais c’est la dernière fois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. -Rires et exclamations sur divers bancs.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants538
Nombre de suffrages exprimés506
Majorité absolue254
Pour l’adoption474
contre32

(Le projet de loi est adopté.)

M. Patrick Mennucci. Quel succès !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Liberté, indépendance et pluralisme des médias

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux et Patrick Bloche et plusieurs de leurs collègues visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (nos 3465, 3542).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et rapporteur de ce texte.

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il me soit permis tout d’abord de dédier cette intervention à Sophie Dessus. (Applaudissements sur tous les bancs.)

La commission des affaires culturelles et de l’éducation a adopté, mercredi 2 mars dernier, la proposition de loi que j’ai déposée avec Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

La liberté d’expression, nous le savons, est un combat permanent, tant contre l’intolérance et la haine que contre les risques d’uniformisation des pensées. Cette liberté exige le pluralisme des médias, qui permet à nos concitoyens de se forger une opinion libre dans la diversité des courants de pensée. Mais au-delà du pluralisme, la liberté d’expression requiert aussi que nos compatriotes aient confiance dans l’information qui leur est fournie – c’est-à-dire qu’ils puissent accéder à une présentation des faits honnête et dégagée de l’emprise des intérêts particuliers.

Or cette confiance est particulièrement abîmée dans notre pays. Seuls 39 % des Français disent faire confiance aux médias, soit dix points de moins que nos principaux voisins. Pire, nos concitoyens portent un regard très sévère sur le métier de journaliste : seuls 27 % d’entre eux les estiment indépendants des pressions politiques et de l’argent.

Bien sûr, la révolution technologique, qui impose un rythme effréné à l’information et multiplie les pressions sur les coûts de production, n’a pas contribué à freiner cette dégradation. De plus, des événements récents ont jeté le trouble sur la liberté réelle d’investigation dont disposent les journalistes à l’égard de leurs actionnaires. En France, ce poison du soupçon est d’autant plus foudroyant que les grands médias appartiennent à des grands groupes industriels et financiers, dont le cœur de métier – et parfois les préoccupations – sont éloignées du devoir d’informer en toute indépendance.

Il suffit d’un simple soupçon de censure pour que de nombreux journalistes, aux conditions d’emploi de plus en plus précaires, ainsi que des sociétés de production, soient tentés de s’autocensurer, en évitant précautionneusement toute investigation susceptible de heurter les intérêts protéiformes des actionnaires.

Il est indispensable de restaurer ce lien de confiance, qui est essentiel à la survie même de nos médias. Pour ce faire, la présente proposition de loi emprunte un chemin original qui vise à relever les défis de la concentration actuelle, et dont les maîtres mots sont : indépendance et transparence.

Ce texte le fait, tout d’abord, en renforçant les protections accordées par la loi aux journalistes, qui sont les vrais dépositaires de l’indépendance de l’information. Je crois inutile de vous exposer en détail les indices qui témoignent de la nette dégradation de leur poids dans le rapport de force au sein des médias, qu’illustre par exemple par la baisse spectaculaire de 20 % depuis 2010 du revenu médian des journalistes en CDD.

Certes, les deux grandes protections reconnues par la loi depuis 1935, la clause de cession et la clause de conscience, demeurent précieuses, mais ce sont des armes de dernier recours, lorsque face à de nouveaux actionnaires ou à un changement de ligne éditoriale, les journalistes n’ont le choix que de se soumettre ou de se démettre.

Il faut aller plus loin, donner plus de garanties à ceux qui exercent le métier de journaliste, afin que les intérêts des actionnaires ou des annonceurs ne puissent altérer l’information. À cette fin, l’article 1er propose de généraliser à tous les journalistes le droit d’opposition reconnu depuis 1983, d’abord dans un cadre conventionnel, aux seuls journalistes de l’audiovisuel public. Témoignant de l’importance qu’elle accordait à ce droit, la précédente majorité, à l’initiative de l’opposition d’alors, l’avait même consacré dans la loi de réforme de l’audiovisuel de 2009.

Ce droit d’opposition est très protecteur. Il vise, en effet, des aspects précis de la démarche du journaliste, dont le dévoiement met en cause l’honnêteté de l’information. Surtout, il fournit une protection générale couvrant tous les champs où peuvent surgir les intérêts, en précisant qu’un journaliste ne peut être contraint d’accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle.

Cette notion a été utilement précisée lors de l’examen en commission, et adossée au respect de la charte déontologique de l’entreprise. Et c’est en cohérence que toutes les entreprises de presse et de communication audiovisuelle devront négocier et adopter, avant la fin de cette année, une charte de déontologie, nécessairement inspirée de la charte d’éthique professionnelle des journalistes de 1918, révisée en 1938 et en 2011, ou de la déclaration des droits et des devoirs de Munich de 1971.

Parallèlement, les débats en commission ont permis de confirmer que ce droit d’opposition n’interfère en rien avec la fixation de la ligne éditoriale ou l’autorité du directeur de publication. Les comités d’entreprise débattront au moins une fois par an de l’application de ce droit dont le juge du travail sera le gardien vigilant. Notons enfin que les sociétés qui l’enfreindront verront les aides publiques à la presse dont elles bénéficient suspendues.

La commission a également fait le choix d’adopter une réforme plus protectrice du secret des sources des journalistes, élément décisif pour garantir la qualité et l’indépendance de leur travail d’investigation. Depuis, le Gouvernement a proposé, par voie d’amendement, un dispositif différent : cela permettra un débat en séance, débat d’autant plus nécessaire que le projet de loi de 2013 afférent à cette question n’avait pu aller au-delà de l’examen par les commissions des lois et des affaires culturelles.

Le deuxième grand axe de la proposition de loi concerne les médias audiovisuels que la rareté des fréquences et l’ampleur des audiences ont placés, depuis 1982, dans le champ d’une régulation particulière assurée par une instance désormais pleinement indépendante. L’ambition poursuivie repose, là encore, sur une démarche de confiance et de clarté.

C’est ainsi au nom de la confiance dans les vertus de l’autorégulation qu’il est proposé, à l’article 7, de généraliser l’existence de comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes dans tous les services de télévision et de radio qui diffusent des émissions d’information politique et générale. Ce type d’organisme a spontanément émergé au cours des dernières années, d’abord au Monde puis à France Télévisions, avant que les questions de déontologie soulevées par les terribles attentats de l’année 2015 n’encouragent à leur multiplication au sein des chaînes d’information continue. Mais pour avoir une chance de convaincre nos concitoyens de leur utilité, ces comités doivent respecter des principes fondamentaux, que l’on ne retrouve pas toujours aujourd’hui. Leurs membres doivent en particulier être à l’abri de tout soupçon de collusion avec les éditeurs, les actionnaires et les annonceurs ; d’où des dispositions visant à éviter tout conflit d’intérêts dans les trois – peut-être deux – années qui précèdent leur nomination, ainsi que dans l’année qui la suit.

J’en viens au rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA –, qui est parfois mal interprété. Le texte ne propose aucune révolution : il est naturellement dans les missions de l’autorité de régulation de garantir que l’information dispensée par les médias ne soit pas malhonnête, univoque ou dictée par les intérêts particuliers de leurs propriétaires ou de leurs annonceurs. Toutefois ces missions, d’ores et déjà définies par la loi, sont éparses, et les pouvoirs du CSA, inégaux selon les principes.

Le pluralisme, en particulier, est un critère de délivrance des autorisations d’émission et une disposition obligatoire des conventions, mais il fait aussi l’objet de recommandations générales. Les manquements aux obligations entraînent des mises en demeure et des sanctions dont on a pu constater l’impact lorsque, en octobre dernier, le CSA a pris la décision historique de retirer à la chaîne Numéro 23 l’autorisation d’émettre en juin prochain.

L’honnêteté et l’indépendance de l’information, en revanche, ne figurent que parmi les nombreux critères de délivrance et de reconduction des autorisations d’émission. Les dispositions des conventions qui leur sont consacrées sont, en conséquence, très inégalement protectrices selon les éditeurs. La proposition de loi vise donc à mettre de l’ordre dans ce paysage morcelé en clarifiant les missions du CSA et en lui donnant des moyens efficaces d’agir pour faire respecter ces trois principes. Leur respect serait étendu non seulement à l’information mais aussi aux programmes, tant les frontières entre les deux sont perméables.

En complétant et en renforçant les missions de l’autorité de régulation, l’article 2 lui permettra d’agir comme elle le fait déjà pour ses autres missions, tel le respect de la diversité ou de la parité, avec la possibilité d’émettre, lorsque c’est nécessaire, des recommandations générales. Cependant, pour éviter que l’autorité ne se mue en juge quotidien du droit d’opposition, la commission a précisé que seules les conventions pourront déterminer les engagements pris pour garantir ce droit.

Le CSA pourra, par cohérence, user de tous ses pouvoirs de sanction face aux manquements. La gravité des entorses à ces principes décisifs justifie en outre qu’ils soient intégrés, par l’article 5, parmi les motifs qui empêchent la reconduction automatique des autorisations d’émettre délivrées aux services de télévision et de radio.

Enfin, aux termes de l’article 8, le CSA devra naturellement rendre compte de son action dans le rapport annuel public qu’il remet au Parlement.

Le présent texte parachève un travail, que je sais consensuel, sur la transparence de la presse écrite et en ligne en obligeant les publications à porter à la connaissance de leurs lecteurs toutes les modifications du statut, des dirigeants et des actionnaires, et de publier un état annuel de la composition de leur capital et de leurs organes dirigeants. De ces dispositions aussi la proposition de loi assurera une application concrète, aujourd’hui défaillante, en prévoyant la suspension des aides aux publications qui manqueraient à leurs obligations.

Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les principaux enjeux de ce texte qui, dans la suite logique de la loi de 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, contribuera au renforcement, dans notre pays, de l’expression démocratique des idées et des opinions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi, au début de cette séance, de saluer à mon tour la mémoire de Sophie Dessus, dont la disparition a endeuillé le Parlement et tous ceux, dont j’étais, qui ont eu le plaisir de la connaître.

La liberté d’expression et la liberté de création sont indissociables. Sans Liberté, pas de République ; sans libertés, pas de démocratie. La défense de nos libertés est, dans la durée, le plus sûr moyen de défendre notre sécurité. C’est pourquoi, après les attentats que nous avons connus, il nous faut plus que jamais dire quelles sont nos valeurs, quelle est notre éthique, quelles sont nos convictions.

La défense de la liberté d’expression structure tous les débats qui ont accompagné la vie de la République. En 2015, nous avons reçu des messages de soutien et de solidarité du monde entier, car attaquer Paris, c’est s’attaquer à la patrie des artistes et au refuge des libertés. Voilà qui nous dit qui nous sommes, qui nous voulons être et quels sont nos principes.

Pour faire vivre ces principes le législateur a emprunté, tout au long de l’histoire, des voies différentes. Je veux en rappeler rapidement les différentes étapes et préciser où nous allons. La loi de 1881 est forte, car elle a permis de trouver un point d’équilibre entre la défense de la liberté de la presse et, face aux possibles abus de cette liberté, la défense des droits du citoyen. La loi de 1982, en créant une haute autorité, a quant à elle garanti l’indépendance des médias ; elle fut aussi un moment majeur dans la construction de l’indépendance d’un audiovisuel né dans le giron de l’État.

Depuis 2012, ces libertés ont été résolument renforcées et des reculs réparés. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui poursuit ce chemin ambitieux. Elle fait suite à la loi de novembre 2013, grâce à laquelle les responsables de l’audiovisuel public sont de nouveau nommés par une instance indépendante. Cette loi a aussi renforcé l’indépendance du collège du CSA à travers les conditions de nomination de ses membres.

Le texte dont nous discutons fait également suite à la loi de finances pour 2016 – laquelle a redonné au financement du secteur audiovisuel public sa pleine indépendance par rapport au budget général de l’État – et à la loi votée à l’initiative de Michel Françaix en faveur du pluralisme des médias. Ce dernier texte inclut notamment « l’amendement Charb », qui permet à chaque citoyen d’aider le journal de son choix, et il a créé le statut d’entreprise solidaire de presse, que le journal Charlie Hebdo, en juillet dernier, fut le premier à adopter.

Je pense aussi au projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, que j’ai eu l’honneur de reprendre. Ce texte consacre la liberté de création et de programmation ; il donnera aux artistes et aux salles de spectacle les moyens juridiques les plus robustes contre la censure et le repli, sans permettre une liberté absolue puisque, on le sait, des discours de haine peuvent s’exprimer sous couvert d’être des « spectacles ».

Je ne doute pas que la proposition de loi sur l’indépendance des médias, que Patrick Bloche défend dans un dialogue fécond avec le Gouvernement, constituera une nouvelle pierre de cet édifice législatif protecteur des libertés.

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt, mesdames et messieurs les députés, vos débats en commission, et je me réjouis des points d’accord que vous avez déjà su trouver. La proposition de loi apporte des garanties nouvelles aux journalistes, aux rédactions et aux médias dans leur ensemble. C’est un texte d’une grande cohérence, équilibré, qui vient consacrer et parfaire les réformes que je rappelais.

Je veux en souligner trois points majeurs, à commencer par la protection de la liberté éditoriale des journalistes. L’article 1er permet en effet d’étendre à tous les journalistes, quels que soient les médias dans lesquels ils travaillent, la protection déjà applicable aux journalistes de l’audiovisuel public. Grâce à cette protection, un journaliste peut refuser toute pression qui conduirait à lui faire accepter un « acte contraire à son intime conviction professionnelle », notion que vous avez adossée, lors de l’examen en commission, à une charte déontologique de l’entreprise : ainsi ancrée dans un référentiel collectif partagé, la protection n’en sera que plus efficace.

Deuxième élément fort : la protection des médias vis-à-vis des pressions économiques. De fait, les exemples de pression des annonceurs sur la programmation d’un reportage ou d’un documentaire ne peuvent être ignorés. L’article 2, en confiant au CSA le soin de veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée aux principes d’indépendance et de pluralisme de l’information, répond de façon efficace et pragmatique à ces dangers. Comme l’a précisé Patrick Bloche, ces dispositions ne donnent au CSA aucun pouvoir excédant ses attributions : je veux parler de l’éthique et de la déontologie, qui relèvent du dialogue entre les journalistes, les éditeurs et leurs publics.

J’évoquerai enfin le troisième point fort du texte, la création de « comités relatifs à l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes » qui, sans porter atteinte à la liberté éditoriale des éditeurs, traiteront de façon transparente et concertée les éventuelles menaces portées à leur connaissance s’agissant de l’indépendance du média concerné.

J’en viens aux amendements du Gouvernement, en commençant par l’amélioration des garanties apportées au secret des sources des journalistes. Cet enjeu dépasse largement les journalistes eux-mêmes puisqu’il engage le fonctionnement de la démocratie tout entière. Ce qui est en jeu, en effet, c’est la capacité d’investiguer, d’informer, donc de faire fonctionner une démocratie réelle.

Je connais votre attachement à cette réforme : vous l’avez démontré lors de vos travaux au sein de la commission des affaires culturelles comme de la commission des lois ; vous connaissez également ma détermination à la faire adopter, comme le Président de la République s’y était engagé lors de sa campagne.

Il nous appartient donc, tous ensemble, de trouver le point d’équilibre le plus juste entre la sécurité que nous devons garantir aux journalistes – et, par là même, à la démocratie – et les garanties de sécurité collective que nous devons à tous nos concitoyens.

Votre travail a permis d’apporter de nettes améliorations à la loi du 4 juillet 2010. La commission des affaires culturelles et la commission des lois ont poursuivi ce même objectif, avec des approches parfois différentes. Il nous appartient, là encore, de trouver ensemble le point d’équilibre qui permettra à ce texte tant attendu de voir enfin le jour.

Parmi ces améliorations, je veux citer l’obligation faite aux enquêteurs d’obtenir l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention avant toute action pouvant porter atteinte au secret des sources. Ce contrôle s’effectuait a posteriori dans le cadre de la loi de 2010. Il s’agit donc d’une avancée majeure.

Je citerai également l’extension de la protection du secret des sources à tous les collaborateurs de la rédaction – et non seulement aux journalistes, que visait explicitement la loi de 2010 –, ainsi que l’interdiction de condamner un journaliste pour délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, ou pour une atteinte à la vie privée. Sur tous ces points, nous sommes d’accord : c’est là un premier bénéfice important de notre travail commun.

Il nous paraît aussi nécessaire de mieux définir la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public », qui figure dans le droit actuel. Face aux risques d’interprétation de cette formule trop vague, la définition de ce qui peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, à travers ce qui est « grave », donnera au juge un cadre précis et protecteur. Cette définition correspond à un équilibre raisonnable ; aussi vous la soumettrai-je au nom du Gouvernement lors de la discussion des articles.

Mesdames et messieurs les députés, défendre la culture, protéger la liberté de création, garantir l’indépendance des médias, c’est faire échec à la guerre contre la culture ; c’est dire quel projet de société nous portons, et c’est aussi adresser un message de confiance de notre société envers elle-même, sur sa capacité à être transparente et à construire son avenir avec les yeux grands ouverts. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Franck Riester.

M. Franck Riester. Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et rapporteur, cher Patrick Bloche, mesdames et messieurs les députés, les médias ne sont pas des entreprises comme les autres.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Bravo. (Sourires.)

M. Franck Riester. Les journaux, les sites d’information et les chaînes de télévision permettent d’informer les citoyens, d’alimenter le débat public et de relayer les grands événements qui fédèrent la nation.

Les médias, auxquels les Français ont rappelé en 2015 leur profond attachement, sont porteurs d’un enjeu démocratique : c’est pourquoi le droit à l’information doit faire l’objet d’une attention et d’une protection toutes particulières.

Protéger les journalistes et le droit d’informer, tel est justement l’objectif affiché de cette proposition de loi déposée par le groupe socialiste, républicain et citoyen. Et nous savons, monsieur le président de la commission des affaires culturelles – vous qui en êtes le rapporteur – qu’il s’agit là d’un engagement personnel très sincère, et de longue date, de votre part.

Dans le détail, ce texte dit vouloir renforcer le droit d’opposition des journalistes, tous médias confondus, et consacrer les principes d’honnêteté, d’indépendance, et de pluralisme dans l’audiovisuel, ainsi que la transparence financière du secteur de la presse.

L’objectif de cette proposition de loi semble être d’éviter l’écueil que vous décrivez, monsieur le rapporteur, dans l’introduction de votre rapport : celui de « l’asservissement des discours à des intérêts particuliers, notamment économiques ».

Il s’agit, évidemment, d’une ambition à laquelle nous ne pouvons que souscrire et nous associer. Dans le secteur audiovisuel, cette ambition louable passe, d’après vous, par un renforcement notable des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel dans le champ de la déontologie. Nous nous demandons, néanmoins, si cette nouvelle extension des pouvoirs du CSA est nécessaire ou même souhaitable.

Le texte traduit, en effet, les enjeux auquel le CSA est confronté : alors même que le secteur audiovisuel a considérablement évolué, les compétences du Conseil se sont étendues et complexifiées, au point qu’elles ont perdu en cohérence et que les frontières avec les autres organes de régulation du secteur sont devenues illisibles.

Je souhaite vraiment insister sur un point : si nous partageons avec le groupe socialiste, républicain et citoyen la volonté de protéger au mieux les journalistes, ainsi que le droit de l’information et le secret des sources, ce texte nous semble, malheureusement, passer pour partie à côté de cet objectif.

Il nous semble donc réellement nécessaire de le retravailler en commission afin de mieux définir ce que doivent être les pouvoirs du CSA en matière de pluralisme, d’indépendance et d’honnêteté de l’information dans la communication audiovisuelle, ce qui constitue son objet même.

Nous nous proposons, également, de saisir l’occasion qui nous est donnée pour ouvrir un débat plus général sur les missions du CSA ainsi que sur la régulation du secteur audiovisuel.

Mes chers collègues, je rappelle, tout d’abord, que la mission du CSA n’a pas changé depuis sa création en 1989. Il lui revient toujours de veiller à une allocation de la ressource hertzienne qui permette de concilier la poursuite des objectifs d’intérêt général et les contraintes de la vie des entreprises de médias.

Lors de la naissance du CSA, la notion de communication audiovisuelle était simple, mais les évolutions technologiques des années 1990 et 2000 – la révolution numérique – ont brouillé cette notion. Pour répondre à l’apparition progressive de nouveaux modes de diffusion, de nouveaux services non linéaires, et de nouveaux métiers, le législateur a, progressivement, étendu et adapté ses compétences.

Sa méthode a été d’adopter un texte nouveau, pratiquement pour chaque innovation technologique : en moyenne, la loi de 1986 a été modifiée plus de deux fois par an depuis sa promulgation !

La loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, dont vous vous avez parlé, madame la ministre, a encore élargi les pouvoirs de régulation économique du CSA. Elle lui a également redonné le pouvoir de nommer les présidents des sociétés nationales de programmes.

Ainsi, l’autorité de régulation désigne elle-même les dirigeants d’opérateurs qu’elle doit contrôler : il s’agit d’une situation qui serait inimaginable dans n’importe quel autre secteur régulé, et, s’agissant du secteur audiovisuel, dans n’importe quel autre pays démocratique. Nous dénonçons sans relâche, depuis 2013, ce conflit d’intérêts.

Imaginerait-on, par exemple, que le président de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, nomme le président d’EDF ? Non, bien sûr, parce qu’il s’agirait d’un mélange des genres contraire aux principes même de notre Constitution. Ce pouvoir n’a, d’ailleurs, servi ni le CSA – car il est régulièrement accusé de ne pas être, dans ce domaine, à la hauteur des attentes – ni les sociétés nationales de programmes : il a en effet, notamment, encore obscurci leur gouvernance et aggravé les effets de la crise de Radio France, comme nous l’avons vu au printemps dernier.

Nous assistons donc, mes chers collègues, à un renforcement continu des prérogatives du CSA. Si, à première vue, ce renforcement peut se comprendre, en raison de l’évolution des technologies que je viens d’évoquer ainsi que des modes de diffusion des contenus, on peut néanmoins se demander aujourd’hui où et quand s’arrêtera ce mouvement, car il finit par n’être ni cohérent ni pertinent.

Le plus bel exemple, que je viens de rappeler, en est, évidemment, l’aberration qui consiste à confier au régulateur la nomination des personnalités qu’il régule ! Chers collègues socialistes, même le rapporteur de la loi de 2013, votre collègue Marcel Rogemont, en est venu, dans son rapport d’information sur l’application de cette loi par le CSA, rapport qu’il nous a présenté en commission le 20 janvier dernier, à porter un regard très sévère sur cette évolution. On ne peut que tomber d’accord avec lui.

Par ailleurs, si le champ des compétences du CSA s’est étendu, il ne comprend ni la presse papier ni la presse en ligne, qui relèvent des lois de 1881, ni la communication en ligne au public, qui relève de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite loi LCEN. Or, en pratique, les limites entre ces différents champs de la communication sont très difficiles à tracer.

L’évolution législative donne donc le sentiment d’une complexité croissante de la régulation, alors que la vraie question que nous devrions, tout comme le ministère, nous poser est celle de la cohérence et de la complémentarité des régimes de régulation entre les différents médias.

C’est dans ce contexte d’élargissement continu, depuis plus de vingt-cinq ans, des compétences du CSA que s’inscrit cette nouvelle proposition de loi, qui vise à renforcer ses pouvoirs en matière de déontologie de l’audiovisuel.

Je tiens ici à rappeler que le CSA dispose déjà, en matière de déontologie, de certains pouvoirs : vous l’avez d’ailleurs, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, indiqué. L’objectif de ce texte semble donc être, simplement, de les renforcer.

Cette proposition de loi dit consacrer, au même titre que le pluralisme, l’indépendance et l’honnêteté de l’information au rang des principes dont la protection doit être assurée tant par les recommandations du CSA que par les conventions conclues avec les chaînes.

Ainsi, le CSA sera également garant, à travers ces conventions, de « l’intime conviction professionnelle » des journalistes, notion introduite à l’article 1er de la proposition de loi. Ces conventions permettront de fixer la composition et le fonctionnement des fameux comités d’éthique chargés de veiller, au sein de chaque groupe audiovisuel, au respect de la déontologie.

Mes chers collègues, nous nous interrogeons sur l’opportunité de cette extension des pouvoirs du CSA en matière de déontologie. Ainsi que vous le décrivez parfaitement dans votre rapport, monsieur le rapporteur, le respect des principes de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information figure déjà dans toutes les conventions, celui du respect de l’indépendance dans toutes les conventions, hormis celle de Canal Plus.

Le CSA a-t-il réellement besoin d’une loi pour que le critère d’indépendance figure dans la convention de Canal Plus ? En outre, est-ce vraiment à la représentation nationale de passer autant de temps sur cette question et de s’immiscer dans les relations contractuelles entre le régulateur de l’audiovisuel et les chaînes, alors que tant d’autres sujets, plus urgents et cruciaux pour l’avenir de notre pays, pourraient être abordés en séance aujourd’hui ? Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé, dans la presse ainsi qu’en commission, que ce texte n’était pas « qu’une loi anti-Bolloré » : vous devrez, dans les discussions à venir, nous en convaincre.

En outre, même si le CSA dispose actuellement de pouvoirs en matière de déontologie, nous nous demandons s’il est le mieux placé pour intervenir dans ce domaine.

En effet, le texte aggrave une rupture d’égalité flagrante entre journalistes, qui sont traités différemment selon leur support de publication. En effet, si l’article 1er étend à l’ensemble des journalistes la protection spécifique dont bénéficiaient jusqu’alors les journalistes de l’audiovisuel public – c’est-à-dire le droit de ne pouvoir être contraint à accepter un acte contraire à leur « intime conviction professionnelle » – le texte introduit, dès l’article 2, une différenciation entre journalistes puisqu’il fait du CSA le garant, mais dans le secteur audiovisuel uniquement, de ce droit d’opposition.

Avec les députés du groupe Les Républicains, nous avons, en commission, dénoncé cette notion d’intime conviction professionnelle car elle nous semble faire obstacle au fonctionnement des entreprises de médias et de presse.

M. Michel Herbillon. Absolument.

M. Franck Riester. En effet, elle remet en cause le travail collectif de la rédaction, et, en particulier, le rôle du directeur de rédaction, responsable de la publication devant la justice, que l’on prive des moyens d’exercer cette responsabilité puisque tout journaliste pourra remettre en cause ses décisions.

Qui plus est, cette notion d’intime conviction professionnelle est, bien évidemment, trop floue – même si vous avez, monsieur le rapporteur, accepté en commission certains de nos amendements sur ce point – pour être appréciée, dans l’audiovisuel, par une autorité administrative telle que le CSA : seul le juge peut en être l’arbitre.

M. Michel Herbillon. Et quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup !

M. Franck Riester. D’ailleurs, votre rapport, monsieur le rapporteur, rappelle, à ce titre, que « le juge du droit d’opposition pour chaque journaliste […] ne peut être […] que le juge du travail ». Or, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, l’article 2 permet au CSA de définir, dans les conventions, les dispositions permettant d’assurer l’effectivité de ce droit d’opposition : cela nous semble être une évolution très regrettable.

En outre, ce traitement différencié des journalistes n’est pas seulement injuste : il risque également d’aboutir à des situations grotesques. Aujourd’hui, le CSA n’est par exemple pas compétent pour réguler les sites des chaînes : cela signifie qu’un même journaliste sera traité différemment lorsqu’il publie un article sur le site de la chaîne et lorsque l’un de ses programmes est diffusé à l’antenne !

Parlons à présent des fameux comités d’éthique. Un certain nombre de groupes audiovisuels ont déjà mis en place de telles instances, qui peuvent participer, en interne, à la promotion des bonnes pratiques du secteur. Mais cette proposition de loi impose quant à leur composition des contraintes drastiques qui risquent de rendre difficile leur généralisation.

Et surtout, elle vient les placer sous l’égide du CSA, qui en déterminera, par voie de convention, la composition et les modalités de fonctionnement. Que justifie cette emprise disproportionnée du CSA sur les comités d’éthique ?

Mesdames et messieurs, chers collègues, faisons confiance aux rédactions, aux directeurs de publication, aux entreprises de presse et aux sociétés de journalistes : ils connaissent leur métier ! Laissons-les nommer leurs comités d’éthique, et laissons ces comités fixer eux-mêmes leurs modalités de fonctionnement !

Plus largement, nous devons donc nous poser la question même du rôle du CSA. Doit-il, lui qui est une autorité administrative, devenir un régulateur de la déontologie et doit-il pouvoir porter un jugement sur les contenus publiés par les chaînes ? Ne risque-t-il pas, progressivement, de glisser vers un rôle de censeur des médias ?

M. Rudy Salles. Très bien !

M. Franck Riester. Qui plus est, cette proposition de loi, si elle venait à être adoptée, nous ferait courir un autre risque flagrant : en renforçant le droit de regard du CSA sur les contenus, elle pourrait inciter les rédactions à s’autocensurer en évitant, par crainte de représailles du CSA, de traiter de sujets sensibles.

Cette situation est d’autant plus absurde dans le cas de l’audiovisuel public, car le CSA devra s’y assurer de l’indépendance des rédactions vis-à-vis des présidents de sociétés nationales de programmes qu’il aura lui-même nommés !

M. Michel Herbillon. Très juste !

M. Franck Riester. Monsieur le rapporteur, vous souhaitez – et, encore une fois, nous savons cette volonté sincère – assurer l’indépendance des médias face aux intérêts économiques des actionnaires des chaînes : mais prenez garde à ne pas traduire cette bonne intention par un dispositif limitant, dans les faits, la liberté de la presse et donnant naissance, dans les rédactions, à des dysfonctionnements.

Il me semble qu’une réflexion sur la déontologie ne peut être que multi-supports et passer, par conséquent, par le développement d’organismes d’autorégulation comme il en existe dans d’autres pays d’Europe. Regardons ailleurs ce qui fonctionne plutôt que de vouloir inventer des dispositifs qui, bien souvent, s’avèrent des échecs !

À ce titre, je salue l’initiative de l’Observatoire de la déontologie de l’information, lancé en 2012 : il réunit des représentants des journalistes, des entreprises de presse et des lecteurs et traite de tous les supports d ’information. Enfin, je rappelle qu’en cas de manquements des rédactions à la loi de 1881, c’est au juge d’intervenir : l’audiovisuel ne doit pas faire exception.

Cette interrogation sur le rôle du CSA dépasse le domaine de la déontologie : nous devons ouvrir un véritable débat sur les compétences de cette institution, ainsi que sur l’avenir de la régulation de l’audiovisuel.

Ainsi que je l’ai rappelé, ce texte illustre, à nouveau, à quel point le CSA est en porte-à-faux avec l’audiovisuel public : une réflexion sur ses compétences ne peut donc qu’aboutir – et je sais que vous y êtes sensible, monsieur le président-rapporteur – à la suppression de son pouvoir de nomination des présidents de l’audiovisuel public.

Cette proposition de loi souligne la complexité de la régulation de l’audiovisuel, domaine dans lequel les frontières avec les autres autorités de régulation sont devenues poreuses. À l’heure de la convergence des médias, l’un des principaux défauts de cette proposition de loi est d’accentuer les différences de traitement entre médias, tout comme la tendance à une surrégulation de l’audiovisuel ainsi qu’à une sous-régulation d’internet.

Nous devons au contraire lancer un débat sur le rôle de la régulation pour adapter les médias aux enjeux auxquels ils sont confrontés aujourd’hui avec la révolution numérique et réfléchir à l’articulation entre les instances de régulation concernées. Outre le CSA, il y a les autres autorités indépendantes, l’ARCEP, la CNIL, HADOPI, l’Autorité de la concurrence, ainsi que les établissements publics qui interviennent dans le secteur comme l’ANF ou le CNC.

En conclusion, mesdames, messieurs, si, au groupe Les Républicains, nous partageons l’objectif de protéger l’indépendance des médias qui sous-tend la proposition de loi que nous examinons, il nous semble que le dispositif proposé ne permettra pas de le satisfaire. Il fait au contraire peser un risque tant sur la liberté de la presse que sur le bon fonctionnement des rédactions et des médias.

Le texte, néanmoins, a le mérite de mettre en lumière le nécessaire débat que nous devons mener sur l’évolution des compétences du CSA. Depuis sa création, le Conseil a bien accompli ses missions, mais l’audiovisuel a profondément évolué. Une simplification du paysage institutionnel semble s’imposer afin de rendre plus lisible l’agencement et l’organisation des différents organes de régulation. Malheureusement, la brièveté des travaux menés, le fait que vous ayez décrété l’urgence sur le texte en dépit de toute logique n’ont pas permis d’aborder ces enjeux.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez assuré que cette loi n’était pas une loi de circonstance. Nous ne doutons donc pas que vous accepterez de faire revenir ce texte en commission afin que nous puissions le retravailler et en faire la grande loi sur l’audiovisuel que la majorité nous promet depuis quatre ans et que nous attendons toujours. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Alain Chrétien. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je ne serai pas très long car la discussion générale et l’examen des amendements nous permettront d’aller amplement au fond des choses mais, comme je suis le président de la commission concernée, je souhaite expliquer les raisons qui m’amènent à considérer, après vous avoir écouté avec beaucoup d’attention, monsieur Riester, que les conditions ne sont pas, de mon point de vue, réunies pour renvoyer ce texte en commission.

Tout d’abord et principalement, vous avez présenté, et ce sont vos convictions, que je respecte naturellement, un certain nombre d’éléments que Christian Kert, Michel Herbillon, d’autres députés et vous-même aviez amplement développés en commission, ce qui avait d’ailleurs convaincu votre rapporteur d’adopter certains de vos amendements.

M. Michel Herbillon. Pas assez !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Un petit peu.

M. Michel Herbillon. Un tout petit peu !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Ne minimisez pas votre rôle, ne jouez pas aux faux modestes, au moins au moment où nous discutons du renvoi en commission.

À l’article 1er, qui est tout de même l’article fondateur de la proposition de loi, l’article qui étend à tous les journalistes des dispositions qui ne concernent actuellement que les seuls journalistes de l’audiovisuel public et crée un droit d’opposition interdisant de contraindre un journaliste à accomplir un acte contraire à son intime conviction professionnelle, vous avez souhaité que l’intime conviction professionnelle soit adossée aux chartes d’éthique, allant même jusqu’à exprimer l’intention, et nous vous avons suivis, que ces chartes soient généralisées dans tous les médias de la presse écrite et audiovisuelle avant la fin de cette année.

Ne minimisez donc pas votre apport, qui a permis de dépasser ce qui était, à mon avis, un faux débat et de préciser utilement l’intention du législateur.

Je parle volontairement de chartes d’éthique et je rappelle, s’il le fallait, que cette intime conviction professionnelle a effectivement des fondements déontologiques.

Ce sont des débats qui nous occupent depuis déjà quelques années, monsieur Riester. Les pouvoirs du CSA, dont vous contestez le renforcement, pouvoirs inévitablement ex post, nous l’avons précisé en commission lorsque nous avons réécrit à mon initiative l’article 2, ne s’exercent pas dans le champ de la déontologie. Nous laissons la déontologie, l’éthique à la négociation entre les sociétés de journalistes et les directions ou les rédactions des médias. Le champ de ses pouvoirs est classique. Il a d’ailleurs déjà quelques pouvoirs liés au respect du pluralisme, de l’indépendance et de l’honnêteté de l’information, des pouvoirs assez complets en ce qui concerne le pluralisme mais beaucoup plus limités en ce qui concerne l’indépendance et l’honnêteté de l’information.

Je voulais apporter cette précision pour vous montrer qu’il n’y a aucun intérêt à revenir en commission sur ce point qui m’apparaît assez clair.

Nous n’allons pas refaire le match de novembre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public. Je vous propose de rester sur l’objet même de cette proposition de loi, dont, certes, j’ai contesté qu’on puisse l’appeler aussi abruptement loi anti-Bolloré à partir du moment où la loi s’appliquera à tous les médias de la presse écrite audiovisuelle et en ligne.

Si, je vous le concède, il subsiste une différence entre les journalistes, c’est parce que, historiquement, nous avons deux modes de régulation. Pour la presse écrite et la presse en ligne, il y a des lois et un juge pour les appliquer. En 1982, pour des raisons objectives liées à l’époque à la libéralisation des ondes par François Mitterrand et son ministre de la communication d’alors, Georges Fillioud, a été créée une autorité indépendante de régulation, qui s’appelle aujourd’hui le CSA.

De ce fait, le renvoi en commission ne servirait pas à clarifier utilement nos débats. Je veux bien qu’on regarde ailleurs, mais on ignore alors la particularité française qui subsiste, et qui s’est peut-être même accentuée ces deux dernières années, à savoir que la quasi-totalité des principaux médias appartiennent à des grands groupes industriels et financiers dont ce n’est pas le cœur de métier. Nous n’avons pas, comme dans les pays anglo-saxons, de grands groupes multimédias qui ne se consacrent qu’à cette mission.

Pour toutes ces raisons, parce que le groupe socialiste a été, je pense, généreux en votant des amendements que vous aviez présentés, et nous en avons quelques-uns sous le coude pour la séance, parce que des amendements d’autres groupes que Les Républicains et évidemment du groupe socialiste ont été adoptés en commission, je pense que le renvoi en commission n’est pas justifié et qu’il est plus que jamais urgent d’assurer ici et maintenant une meilleure indépendance et une meilleure transparence des médias dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Stéphane Travert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Stéphane Travert. Sans surprise, nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission parce que cette proposition de loi sera demain la grande loi sur l’audiovisuel que nous attendions. Pourquoi la renvoyer au moment où nous nous pouvons éclairer nos concitoyens et l’ensemble des journalistes, qui attendent beaucoup de ce texte ?

C’est un texte équilibré, qui va protéger le travail des journalistes et de l’ensemble des médias. Protéger l’information, c’est renforcer la démocratie, c’est alimenter le débat public dans toute sa diversité, et nous avons la volonté de discuter avec vous maintenant de ce texte.

Comme l’a souligné M. Bloche, de nombreux amendements présentés par votre groupe et toutes ses composantes ont été adoptés en commission. Nous avons ainsi adopté à l’unanimité la protection des sources.

Nous voulons étendre à l’ensemble des journalistes la protection dont bénéficient aujourd’hui les journalistes de l’audiovisuel public. Nous voulons aussi mettre en place les comités qui permettront de respecter les principes inscrits dans la loi. Nous souhaitons donc entrer maintenant dans le vif du sujet.

En déposant cette motion, vous semblez vouloir esquiver le débat. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Nous nous demandons ce qui peut vous gêner.

Il y a urgence à légiférer dès maintenant et c’est pourquoi les élus socialistes et républicains ne voteront pas cette motion de renvoi en commission. Ne perdons pas de temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Rudy Salles. Nous avons l’habitude de travailler avec vous dans de bonnes conditions, monsieur le président de la commission. Nous demandons simplement à revenir en commission pour retravailler le texte, et j’approuve tout ce qu’a dit excellemment Frank Riester à la tribune.

Le renforcement des pouvoirs du CSA est une question essentielle, préoccupante, nous aurons l’occasion de le souligner dans la discussion générale, si elle a lieu aujourd’hui puisque nous souhaitons que le texte soit renvoyé en commission.

Nous pourrions parler de l’extension du principe d’indépendance rédactionnelle, sujet qui nous préoccupe également, car cette extension à tous les journalistes pourrait remettre en cause l’autorité de l’employeur et la ligne éditoriale de nos journaux.

La protection des sources des journalistes, nous y sommes évidemment très attachés, nous l’avons d’ailleurs défendue depuis fort longtemps, et nous sommes heureux que ce soit inscrit dans le texte, mais, pour bien revoir les contours de cette notion, il serait utile de revenir en commission.

C’est la raison pour laquelle le groupe UDI votera le renvoi en commission. Nous aurons le plaisir de vous y retrouver pour retravailler le texte avec bonheur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon, pour le groupe Les Républicains.

M. Michel Herbillon. Bien évidemment, je veux réaffirmer au nom du groupe Les Républicains la nécessité de revenir en commission, Franck Riester en a excellemment présenté les raisons.

C’est une loi de circonstance, et il faut toujours se méfier des lois de circonstance. Vous avez dit vous-même, monsieur le président et rapporteur, que ce n’était pas qu’une loi anti-Bolloré. Cela signifie que c’est aussi une loi anti-Bolloré.

Il faut également se méfier des lois votées dans l’urgence et la précipitation, ce qui est le cas puisque c’est avec des délais extrêmement courts que le projet a été déposé et discuté en commission. Nous n’avons même pas pu discuter des amendements du Gouvernement que nous avons examinés dans la précipitation lorsque la commission s’est réunie tout à l’heure en application de l’article 88. Bref, ce ne sont pas de bonnes conditions pour légiférer.

Il y a de nombreuses ambiguïtés dans cette loi qui nécessitent que l’on revienne en commission. Vous créez un OVNI juridique qui est l’intime conviction professionnelle. Vu le flou juridique qui entoure une telle notion, nous devons absolument repartir en commission pour en préciser les contours.

Il y a aussi le rôle prédominant que vous accordez au CSA en dépit de nos demandes. Vous dites que vous avez tenu compte des amendements de l’opposition. De très peu en vérité, et nous n’avons pas manqué en commission de vous alerter sur les risques que présentent l’extension des pouvoirs du CSA et le rôle qu’on lui donne en matière de déontologie des journalistes.

Bref, cette proposition de loi nous apparaît à ce stade au mieux inutile, au pire dangereuse. C’est la raison pour laquelle, au nom du groupe Les Républicains, nous demandons instamment de pouvoir retravailler le texte par un nouvel examen en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Gilda Hobert. Le groupe RRDP ne votera évidemment pas en faveur de cette motion de renvoi en commission. Nous pensons en effet qu’il faut que ce texte soit enfin consacré. Je ne partage pas l’idée selon laquelle l’extension des compétences du CSA, telle que définie dans le texte et lors du travail en commission, soit une raison de s’inquiéter, bien au contraire. Réguler et garantir l’honnêteté et l’indépendance de la presse écrite et des médias en général est un rôle que peut et doit jouer le CSA, d’autant qu’il sera tenu à rendre compte de son action chaque année.

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Nous voterons contre le renvoi en commission pour trois raisons. Ce n’est pas une loi de circonstance, ni une loi inutile. Replongeons-nous dans le contexte : les concentrations, l’extension de la précarité des journalistes et la montée des intolérances et du fanatisme. Nous avons besoin de cette loi pour l’indépendance, la liberté et le pluralisme des médias, et en urgence. En outre, nous attendons depuis 2013 que des mesures pour protéger les sources des journalistes soient adoptées.

M. Jacques Alain Bénisti. Nous l’avons déjà fait !

Mme Marie-George Buffet. Nous avons été unanimes lors de la commission des affaires culturelles pour dire qu’il fallait légiférer enfin sur ce sujet qui ne peut pas attendre.

Enfin, vous dites dans l’opposition que très peu d’amendements ont été acceptés. Vous êtes gourmands ! Vous avez tout de même réussi à faire passer un amendement qui vise à adosser l’intime conviction professionnelle au respect de la charte déontologique. Vous avez également réussi à introduire l’idée d’une charte déontologique par entreprise. Je pense que c’est déjà un peu trop ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il nous reste toute la soirée pour améliorer ce texte. Ne le renvoyons pas en commission.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Travert.

M. Stéphane Travert. Monsieur le président, les conditions optimales pour légiférer étant réunies, nous pouvons entrer avec la plus grande joie dans le débat. (Sourires.) Madame la ministre, monsieur le président de la commission et rapporteur, mes chers collègues, le bon fonctionnement de notre démocratie exige des médias libres, indépendants et pluralistes, bénéficiant de la liberté d’informer et d’exprimer des opinions. L’indépendance des médias contribue dans une large mesure à la protection des droits de l’homme et des citoyens. Ainsi, tous ici, nous considérons que garantir l’indépendance des médias, c’est faire vivre et donner tout son sens à la promesse républicaine.

Les médias sont les vecteurs de l’information, y compris les réseaux sociaux qui, eux, ne proposent pas un travail journalistique de recueil, de sélection de l’information ou de vérification des sources. Il faut donc protéger l’information et, par là même, ceux qui la fabriquent : les journalistes. Des mécanismes d’autorégulation au sein des médias aident à promouvoir et à développer des normes professionnelles.

L’école de la République doit aussi porter les gènes de l’indépendance et du pluralisme de l’information. Ainsi, chaque année, les enseignants organisent des « classes presse » ou participent à la semaine des médias et de la presse à la fin du mois de mars. Cette activité d’éducation civique aide les élèves de chaque niveau à comprendre le système médiatique, à former leur jugement critique, à développer leur goût pour l’actualité et à forger leur identité de citoyen.

Aujourd’hui, la question est de savoir où en est l’indépendance de la presse dans notre pays. Pourquoi est-ce un enjeu démocratique ? Comment concilier les conflits d’intérêts qui peuvent survenir, dès lors que votre groupe de presse ou groupe audiovisuel appartient à une structure capitalistique qui gère d’autres intérêts, investissements ou infrastructures sur le territoire ? Les tendances à la concentration auxquelles nous assistons depuis plus de deux ans, la censure ou la sélection de l’information questionnent le pluralisme et l’indépendance.

De tels événements doivent nous conduire à légiférer. C’est pourquoi le texte proposé et porté par Patrick Bloche fixe un cadre législatif clair et précis pour la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Il est le fruit d’un travail approfondi et fécond mené par notre commission la semaine dernière.

L’article 1er de la proposition de loi, qui est central, généralise à tous les journalistes le droit d’opposition, protection dont bénéficiaient jusqu’alors les seuls journalistes de l’audiovisuel public. Cet article a été enrichi en commission. Tout d’abord, le droit d’opposition est étendu aux journalistes qui ne tirent pas de leur activité la moitié ou plus de leurs ressources, comme les journalistes d’investigation. Ensuite, la rédaction exacte du droit d’opposition a été rétablie, en y ajoutant le refus du journaliste à divulguer ses sources.

Enfin, la notion d’intime conviction professionnelle a été encadrée. Aussi la loi ne propose-t-elle pas de court-circuiter la chaîne des responsabilités au sein des rédactions, comme s’en inquiète particulièrement la presse écrite, mais de garantir à tous les journalistes un droit opposable fondé sur leur intime conviction. Pour mieux définir ce que recouvre l’intime conviction professionnelle, nous avons adopté en commission un amendement de M. Kert, sous-amendé par notre rapporteur, qui encadre cette notion, en la fondant sur les principes déontologiques formalisés au sein de la charte de l’entreprise.

Un excellent amendement sera d’ailleurs présenté, lors de cette séance, par notre collègue Émeric Bréhier, au nom du groupe SRC, afin de préciser que la rédaction de cette charte interne devra associer la direction, les représentants du personnel et le comité d’éthique de l’entreprise. Ainsi, la charte encadrant l’intime conviction professionnelle des journalistes sera le fruit du dialogue social au sein de l’entreprise.

Dans ce même esprit de renforcement du dialogue social, un amendement du groupe SRC a été adopté, créant un article 1er bis, lequel prévoit que les comités d’entreprise de presse, de l’internet ou de l’audiovisuel sont consultés chaque année sur le respect de ce droit d’opposition. Enfin, un article 1er ter a été adopté à l’unanimité par notre commission, introduisant la protection du secret des sources des journalistes, ce dont nous nous félicitons.

L’article 2 de la proposition de loi définit le rôle joué par le CSA afin de garantir le triptyque que nous mettons au cœur de cette loi : honnêteté, indépendance et pluralisme de l’information et des programmes. Notre rapporteur a fait adopter par notre commission un amendement visant à préciser le rôle du CSA, afin que le contrôle de l’autorité indépendante ne puisse s’effectuer qu’a posteriori et non pas ex ante.

Ces trois principes seront donc inscrits dans les conventions liant les chaînes de télévision au CSA et leur respect sera vérifié au moment du renouvellement d’une convention ou de la délivrance d’une autorisation d’émettre. En outre, le CSA doit veiller à ce que les intérêts économiques n’y portent pas atteinte.

L’article 7 institue les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, intitulés « comités pour l’indépendance ». Si certaines sociétés ont d’ores et déjà instauré ce type de comité en leur sein, la loi vient définir l’indépendance de leurs membres, tout en leur laissant le loisir de définir leur composition et les modalités de leur fonctionnement dans la convention qui les lie au CSA.

Le groupe SRC a présenté un amendement visant à prolonger d’un an après le mandat l’impossibilité de prendre part aux activités de la société pour une personne qui a été membre de son comité d’éthique. Ce comité veillera à la bonne mise en œuvre du triptyque « honnêteté, indépendance et pluralisme » et pourra s’autosaisir ou être consulté pour avis par un tiers. Il est à préciser que cette consultation par toute personne, qui inquiète nombre de sociétés, n’est pas une saisine et n’engage pas de fait une procédure, puisque le comité d’indépendance sera chargé de se déclarer compétent ou non sur la question qui lui sera soumise.

Permettez-moi également de souligner que cette proposition de loi n’oubliera pas les médiateurs, d’ores et déjà présents dans un certain nombre de radios et de télévisions, qui jouent un rôle essentiel, le plus souvent entre le public et les journalistes de la chaîne ou de la radio. Aussi, je salue l’amendement proposé par notre rapporteur, que nous avons adopté, ouvrant au médiateur, s’il existe, la possibilité de consulter le comité d’éthique.

Je tiens encore à souligner que nous avons adopté à l’unanimité, et à l’initiative de nos collègues du groupe Les Républicains, un amendement instituant des comités d’indépendance dans les deux chaînes parlementaires, LCP et Public Sénat.

Enfin, permettez-moi de m’arrêter sur le titre II de cette proposition, relatif au secteur de la presse. Celui-ci n’est pas visé par les articles précédents, puisqu’il ne dispose pas d’une autorité de régulation. C’est pourquoi je tiens à saluer l’article 11 qui vise à rendre plus transparents aux yeux des lecteurs la composition capitalistique des entreprises de presse, leur modification de statut ou le changement de dirigeant.

En outre, dans ce souci de transparence qui nous caractérise, nous avons introduit en commission, à l’initiative du groupe SRC, un article 11 bis qui inscrit une forme de conditionnalité des aides à la presse. Il dispose que le manquement aux obligations de transparence sur l’actionnariat des entreprises de presse écrite ou en ligne, introduites dans l’article 66 de la loi Warsmann, entraînera la suspension de tout ou partie des aides à la presse directes ou indirectes.

En effet, il est quotidiennement constaté que les entreprises de presse ne détaillent pas dans l’ours de leurs publications les noms des personnes physiques ou morales détenant au moins 10 % de leur capital, alors qu’il s’agit d’une obligation légale depuis 2011. Parallèlement, le non-respect du nouvel article 2-1 de la loi de 1881, c’est-à-dire le droit d’opposition des journalistes, entraînera les mêmes sanctions.

Chers collègues, la liberté d’expression, l’indépendance des médias et le pluralisme constituent le fondement d’une démocratie saine, dont le respect permet de mesurer la vigueur. L’existence de médias libres capables de refléter la diversité des opinions dans un pays est indispensable à la démocratie. Le rôle qui pourrait être joué par des propriétaires de médias pour limiter l’indépendance des journalistes et le pluralisme suscite dans certains pays de vives préoccupations. Nous devons donc nous prémunir contre ce risque et adapter notre législation.

Ce texte vise à faciliter le travail d’investigation des journalistes et à empêcher les entraves mises à sa publicité. Dans ce cadre, la protection du secret des sources des journalistes est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. La République doit porter haut et fort ces valeurs fondamentales. La presse, lieu permanent du débat politique ou sociétal, offre un lien constant avec la politique qui a valu aux médias français une partie de leur succès, dès lors qu’ils contribuent à l’expression des principaux courants d’opinion.

Pour défendre cette ambition d’une presse libre, indépendante et pluraliste, nous aurions deux choix : ne rien faire ou ne rien pouvoir faire. Nous avons choisi une troisième voie : agir en adoptant ce texte.

M. Michel Herbillon. La troisième voie et la deuxième gauche !

M. Stéphane Travert. C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, nous voterons ce texte garant des valeurs de la République et porteur de droits nouveaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président et rapporteur, je vous remercie d’avoir dédié ce débat à notre collègue Sophie Dessus. Son sourire, sa gentillesse et sa présence au sein de notre commission méritaient bien cet hommage.

Madame la ministre, si nous vous accueillons avec bonheur dans vos fonctions, nous aurions souhaité que ce le fût avec un grand texte. (Sourires.) Mais ce n’est pas le cas ! Nous avons tout de même affaire à un ciment commun, puisque nous considérons que l’indépendance et le pluralisme de la presse sont des principes qui nous rassemblent tous et qui font partie du socle de la démocratie. C’est bien à nous, au législateur, de les défendre.

Toutefois, y avait-il vraiment raison de légiférer face à la concentration des médias et à l’évolution économique de ce secteur par une loi – je vais faire de la peine à notre collègue, Marie-George Buffet – de circonstance,…

M. Michel Herbillon. Absolument !

M. Christian Kert. …mais surtout de méfiance vis-à-vis des éditeurs et des équipes dirigeantes ? Quelle sera la réalité des acquis pour les journalistes eux-mêmes, au vu des nombreuses contraintes de ce texte ? En quoi leur indépendance sera-t-elle véritablement renforcée ? Ne pensons-nous pas que l’indépendance est plus un devoir qu’un état de fait ? Ne devrait-on pas laisser aux journalistes l’idéal de leur indépendance et le sentiment de leur devoir ?

Au-delà de ces interrogations, une autre demeure et elle est essentielle : monsieur le rapporteur, pourquoi une telle urgence alors que notre pays, nos concitoyens, attendent des réformes bien plus importantes ? Malgré vos explications en commission, il faut bien constater que nous sommes bien devant une proposition de loi ad nominem, suite à seulement une ou deux informations bien ciblées et mises en avant de façon excessive visant expressément un groupe et son dirigeant. Ne joueriez-vous pas dans cette affaire le rôle de démineur de la contestation actuelle ? Ne vous a-t-on pas demandé de chercher un marqueur un peu plus à gauche que celui de l’avant-projet de loi sur le travail ? Si tel était le cas, ce serait une opération réussie. Vous le savez pourtant : un texte écrit dans l’urgence et issue d’une telle genèse ne peut jamais être bien ficelé. Permettez-moi, madame la ministre, de vous rappeler les propos fort sages tenus ici même par M. Christian Blanc, alors secrétaire d’État, qui évoquait son expérience de membre du Gouvernement : « La vie m’a appris une chose : quand il y a urgence, il faut savoir parfois ne pas se presser ».

Comme je l’ai évoqué lors de nos travaux en commission et alors que l’on rappelle sans cesse la nécessité d’alléger les contraintes qui pèsent sur tous les secteurs d’activité, ce texte va constituer un véritable poids pour la liberté d’information en méconnaissant, tous les professionnels ont dû vous le dire, monsieur le rapporteur, le fonctionnement des rédactions et les responsabilités déjà assumées par les directeurs de la publication.

Ainsi, l’article 2 renforce, une fois encore, les pouvoirs de régulation du CSA puisque celui-ci devra s’assurer que les intérêts économiques des actionnaires ne pèsent pas sur le projet éditorial des chaînes et ne portent pas atteinte aux principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme. Pourquoi une autorité, certes indépendante mais dont le président est nommé par l’exécutif, devrait avoir ce droit de regard ? Dans sa motion de rejet préalable, notre collègue Franck Riester a bien exposé les questions que soulève ce renforcement du pouvoir du CSA, rappelant avec justesse que l’ambiguïté de son rôle a pourtant été parfaitement relevée dans l’excellent récent rapport de notre collègue Marcel Rogemont, rapport dont vous n’avez que très peu tenu compte. Les journalistes eux-mêmes sont opposés au fait que le CSA soit le garant de leur indépendance.

Vous généralisiez déjà par votre article 7 la présence de comités d’éthique à l’ensemble des services de radio et de télévision à vocation nationale, mais leur champ d’action a été extrêmement élargi depuis un amendement adopté en commission qui concerne les radios ou télévisions locales diffusant par voie hertzienne. D’une part, cette opération ne sera pas facile à mettre en œuvre dans tous les cas, et, d’autre part, il faut observer que de nombreux médias disposent déjà aujourd’hui d’un comité d’éthique. Certes, pourquoi ne pas les imposer par la loi ? Mais il s’agit d’une contrainte de plus qui semble, par exemple, poser problème à France Télévisions dont vous connaissez bien le mode de gouvernance, déjà complexe du fait de sa double tutelle. J’ajoute qu’il aurait été étrange que les chaînes parlementaires échappent à ce dispositif et vous avez d’ailleurs accepté un de nos amendements qui prévoit qu’elles seront soumises à cette nouvelle règle.

Mais pourquoi tant de rigueur dans la composition des comités d’éthique, dont nous acceptons tout à fait le principe ? Il faudra aller chercher des gens qui ressembleront à Robinson Crusoé, bloqué en 1659 sur l’île du Désespoir et qui, de par sa solitude, présentait toutes les preuves de son indépendance. Et puis les possibilités de saisine paraissent trop larges et vous auriez dû nous suivre en y apportant des limites pour une meilleure efficacité et afin que ces comités travaillent en bonne intelligence avec la direction de l’entreprise.

Tout texte de loi a normalement une finalité : ici, il s’agit de l’indépendance de la presse, qui passe par celle du journaliste. Mais qu’en est-il réellement ? L’article 1er généralise à l’ensemble des journalistes le statut de protection spécifique dont bénéficient jusqu’à présent seulement les journalistes de l’audiovisuel public, mais vous portez ainsi atteinte à l’équilibre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et vous gommez toute différence entre presse écrite et presse audiovisuelle. Pourtant, vous le savez bien ainsi que certains de nos collègues ici présents, par expérience : leur organisation de travail est encore très différente. Reconnaître le droit pour tout journaliste de refuser toute pression et de pouvoir opposer son intime conviction professionnelle, c’est recourir à une notion particulièrement subjective et difficilement définissable.

J’ai approuvé beaucoup des aspects de votre rapport, mais il y a un passage que je n’ai pas aimé parce qu’il m’a semblé décalé. En effet, s’agissant de la notion d’intime conviction professionnelle, vous vous référez à la Constituante en rappelant cette phrase, terrible d’ailleurs : « Avez-vous une intime conviction ? », demande le juge aux jurés. Or, monsieur le rapporteur, les journalistes ne sont ni des juges ni des jurés, et faire référence à l’adresse aux jurés dans votre texte, c’est très hasardeux.

De plus, une interrogation demeure sur la façon dont s’articule ce droit au refus avec la protection déjà accordée aux journalistes qui bénéficient d’une clause de conscience et d’une clause de cession, et il porte atteinte à la notion de travail salarié – à un moment où elle est pourtant d’actualité – en postulant que l’employeur ne peut donner des ordres. Nous avons donc maintenu notre amendement de suppression de l’article 1er car nous restons convaincus que la création d’un droit individuel de refus pour le journaliste, adossé à son intime conviction professionnelle, est en contradiction avec le droit de la presse.

Je tiens également à rappeler mon soutien à l’article additionnel sur la protection du secret des sources des journalistes voté à l’initiative de notre collègue Marie-George Buffet, qui reprend un texte bloqué depuis plusieurs mois en commission des lois. Ce nouvel article aura, semble-t-il, plus d’impact sur l’indépendance des journalistes que les autres dispositions. Je n’émets qu’une seule réserve : quid de la situation d’un directeur d’entreprise de presse devant lequel un journaliste fera jouer son intime conviction pour refuser d’écrire un article, arguant que ce qu’il avait appris de ses sources le lui interdisait ?

Monsieur le rapporteur, je crains très sincèrement que votre texte n’aboutisse à un résultat contraire à celui recherché. De peur de ne pas être dans la pensée unique, coincées entre le CSA et leur comité d’éthique, les rédactions, pressurées, risqueront de s’autocensurer et de ne plus traiter les sujets les plus sensibles. Ou sera alors le renforcement de l’indépendance et du pluralisme des médias ? Quant à la liberté, je vous rappelle qu’elle n’est rien d’autre qu’une chance de devenir meilleur… Je ne suis pas persuadé, monsieur le rapporteur, madame la ministre, que nous sortions meilleurs de ce débat. Voilà pourquoi je doute que mon groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Rudy Salles.

M. Rudy Salles. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’entamer mon intervention, je tiens moi aussi à avoir une pensée pour Sophie Dessus. C’était une collègue qui a partagé notre vie à la commission des affaires culturelles, avec toujours cet engagement qui nous anime tout en ayant le sourire et le sens de l’humour qu’on lui connaissait. Elle était très attachante et nous manque déjà.

La liberté d’information, l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et le pluralisme sont intrinsèquement liés à la démocratie et indispensables à la vitalité du débat citoyen. Présentée comme une réponse aux récents mouvements de concentration qui agitent le monde des médias, voire explicitement comme « anti Bolloré », force est de constater que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose davantage de questions qu’elle ne résout les problèmes dénoncés. De plus, et chacun le sait sur ces bancs, les textes de circonstance et la précipitation font rarement de bonnes lois. Pire encore, cette proposition témoigne d’une conception désuète de la mission de régulation dans un paysage audiovisuel bouleversé, notamment par le développement de l’économie numérique et électronique.

Si je ne remets pas en cause la volonté de la majorité de renforcer la confiance des citoyens dans les médias, permettez-moi de douter de la méthode utilisée, à savoir confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel un nouveau rôle en lui confiant la mission de garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes ». Depuis longtemps, nous, députés du groupe UDI, émettons de sérieuses réserves sur l’indépendance du CSA en raison notamment des modalités de nomination de ses membres. En effet, aucune exigence ni de compétences, ni de qualité, ni de légitimité ne leur est demandée, ce qui nous fait douter de l’absolue impartialité de cette institution. Les manquements aux règles d’équité et l’absence globale de transparence observés lors de la désignation de la présidente de France Télévisions nous invitent également à la plus grande prudence.

Par ailleurs, nous avons eu l’occasion de constater que le CSA éprouve déjà des difficultés à s’acquitter de ses missions traditionnelles, à savoir veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion. Des distorsions flagrantes et inadmissibles entre les différentes formations politiques existent en matière de temps d’antenne ainsi qu’en témoignent les propres chiffres publiés par le CSA.

Pour ces différentes raisons, vous comprendrez aisément que nous ne puissions souscrire à une proposition de loi qui confère au CSA de nouvelles missions.

En outre, formuler des recommandations au moment de la signature des conventions et définir en amont les dispositions supposées garantir l’impossibilité d’une ingérence future des actionnaires rompt avec la mission de contrôle a posteriori du CSA. De là à craindre une ingérence de sa part dans la construction des programmes et le choix de la ligne éditoriale, il n’y a qu’un pas… Ce n’est pas le rôle du CSA de réguler l’information ex ante, d’autant plus que de nombreuses dispositions législatives existent déjà afin de garantir la liberté de communication et le pluralisme des médias, que ce soit dans notre Constitution ou dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Mises à part de très rares exceptions, sévèrement condamnables, force est de constater que les rédactions françaises travaillent et éditent librement. Les rédactions de Libération, d’I-Télé, de l’Express ou encore du Monde, pour n’en citer que quelques-unes, s’organisent et se sont déjà mobilisées afin que les organes de presse demeurent indépendants de leurs actionnaires respectifs.

Par ailleurs, le temps du monopole de la presse et de l’audiovisuel apparaît aujourd’hui révolu, mais internet et les réseaux sociaux ne jouissent toujours d’aucun contrôle en matière d’indépendance ou de pluralisme alors que c’est principalement sur ces supports que la nouvelle génération s’informe.

Mes chers collègues, cette proposition de loi regorge de bonnes intentions mais ne survit pas à un examen pratique, comme le souligne l’extension à tous les journalistes du principe de l’indépendance rédactionnelle. Il a été rappelé que ce principe existe déjà pour les journalistes de l’audiovisuel public depuis les années 80 et là, se justifie pleinement. Il permet de protéger les journalistes des chaînes nationales face aux pressions émanant des autorités politiques ou des changements de majorité. Pour autant, étendre ce droit à tous les journalistes risque de remettre en cause l’autorité de l’employeur inhérente au lien de subordination qui unit le rédacteur en chef au journaliste.

Aussi, plutôt que de faire référence à l’intime conviction professionnelle, il est préférable de formaliser des principes déontologiques dans une charte, négociée au sein de l’entreprise, comme le précise le texte issu des travaux de la commission. Prévoir qu’un journaliste ne puisse « être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle » poserait de nombreuses difficultés. Loin d’apporter une sécurité supplémentaire, ce nouveau droit pourrait aller jusqu’à remettre en cause l’idée même non seulement de presse d’opinion mais aussi de ligne éditoriale.

Les journalistes disposent déjà d’une protection juridique garantissant leur indépendance contre les abus et les dérives de leurs employeurs. La clause de cession permet au journaliste de démissionner tout en bénéficiant de l’assurance chômage, lorsque l’entreprise pour laquelle il travaille change d’actionnaires. En outre, la clause de conscience applique le même dispositif dans les cas où le journaliste apporte la preuve d’un changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal, même en l’absence de transformation de l’actionnariat. À ce jour, ces clauses apparaissent suffisamment protectrices, sans qu’il soit nécessaire de faire référence à la notion d’intime conviction professionnelle.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette proposition de loi laisse le groupe UDI sceptique à plus d’un titre. Pour autant, nous trouvons un motif de satisfaction dans l’introduction en commission de la protection du secret des sources des journalistes, que nous réclamions depuis longtemps sur tous ces bancs. En effet, bien qu’un projet de loi de 2013 l’ait prévue, la protection du secret des sources des journalistes n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, malgré un accord unanime en commission. Chacun jugera du signal envoyé à la représentation nationale quant à sa souveraineté.

La liberté de la presse est une condition essentielle de la vitalité du débat démocratique. Elle ne saurait toutefois s’exercer véritablement sans de sérieuses garanties données aux journalistes, en particulier celle de la protection de leurs sources, sans laquelle aucun informateur ne saurait parler en confiance. La loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes constituait déjà une avancée indéniable, puisqu’elle a fait de cette protection un principe général, en l’inscrivant dans le cadre hautement symbolique de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Néanmoins, force est de constater qu’aujourd’hui, ce droit doit être amélioré afin d’assurer une prévention suffisamment efficace et prévisible contre les atteintes injustifiées. Aussi, nous saluons l’inscription dans la loi, de manière plus claire et plus limitative, des conditions permettant de porter atteinte à ce secret.

Pour autant, nous devons veiller à ce que protection ne rime pas avec impunité et éviter d’aller trop loin dans la garantie de la protection du secret des sources. Les récents événements nous conduisent à être particulièrement vigilants sur les critères permettant d’attenter au secret des sources, notamment celui de la prévention ou la répression, soit d’un crime, soit d’un délit, constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, voire d’intégrer à ces critères le terrorisme ainsi que le crime organisé.

Mes chers collègues, monsieur le rapporteur, si la consécration du secret des sources, telle que prévue par le texte de la commission, satisfait le groupe UDI, il attendra toutefois l’issue des débats pour faire part de sa décision à l’égard de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur, chers collègues, le groupe socialiste nous présente aujourd’hui une proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Sur le principe, c’est une bonne chose. Nul besoin d’être historien pour savoir que cette préoccupation politique n’est pas une nouveauté. En 1945 déjà, le Conseil national de la Résistance inscrivait dans son programme, Les jours heureux, l’importance d’assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui que l’indépendance des puissances d’argent n’est plus qu’un lointain souvenir pour une très large majorité de la presse.

Petit aparté : deux lignes plus loin, le même programme du Conseil national de la Résistance prévoyait d’assurer l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance. Quand je pense que certains ici voudraient imposer l’accès libre de la police aux téléphones portables, je me dis qu’ils n’ont rien retenu des leçons de l’histoire. Et certains se prétendent même gaullistes !

Reprenons. J’ai entendu, durant les débats en commission, que la soumission des principaux titres de presse à des millionnaires n’était pas grave, puisqu’il n’y aurait pas de danger avéré de monopole. Nous nous inscrivons en faux contre cette affirmation. La situation actuelle de la presse est grave. Il suffit pour s’en convaincre de voir - revoir ? - l’excellent documentaire Les nouveaux chiens de garde, réalisé en 2012 par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, à partir de l’essai de Serge Halimi.

D’après son synopsis, « la grande majorité des journaux, des radios et des chaînes de télévision appartiennent à des groupes industriels ou financiers intimement liés au pouvoir. Au sein d’un périmètre idéologique minuscule se multiplient les informations prémâchées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices et les renvois d’ascenseur. Aujourd’hui, les chiens de garde, ce sont ces journalistes, éditorialistes et experts médiatiques devenus évangélistes du marché et gardiens de l’ordre social. Sur le mode sardonique, Les nouveaux chiens de garde dresse l’état des lieux d’une presse volontiers ignorante des valeurs de pluralisme, d’indépendance journalistique et d’objectivité, qu’elle prétend incarner. Le film pointe la menace croissante d’une information pervertie en marchandise, et dénonce la collusion entre les élites politiques, médiatiques et financières, en prenant pour exemple le Club du Siècle. »

Le Club du Siècle, cela ne vous apprendra peut-être rien, monsieur le rapporteur, est le talon d’Achille de votre proposition de loi. Vous avez soutenu en commission qu’il était très important de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes. Je vous cite, monsieur le rapporteur : « Chaque membre du collège du CSA doit désormais voir sa candidature approuvée à une majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes du Parlement, ce qui suppose un consensus entre la majorité et l’opposition. » Selon vous, l’indépendance du CSA, dont les membres et même le président sont nommés par le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, est garantie par le processus de nomination.

Et pourtant, la liste des membres du Siècle dit exactement le contraire. Dans un même club, éminemment privé, on retrouve, au moins, deux membres du CSA, dont son président, des patrons de presse, notamment Serge Dassault, des directeurs de publication et des journalistes comme Laurent Joffrin et Denis Olivennes, de nombreux députés et, cerise sur le gâteau, l’actuel président de la République, qui a nommé lui-même le président du CSA. Comment pourrions-nous croire un instant à l’indépendance de gens qui se fréquentent, se recrutent, se cooptent à des postes à aussi hautes responsabilités, bref, qui sont en conflit d’intérêts permanent ?

Monsieur le rapporteur, votre croyance mal placée dans l’efficacité de l’autorégulation se retrouve dans vos espoirs quant à l’efficacité des comités d’éthique. Vous proposez de généraliser les comités d’éthique dans les médias, et de contraindre légèrement les dirigeants d’entreprises de presse, en leur interdisant de nommer des personnes qui leur seraient économiquement liées. Il leur restera donc la possibilité de nommer leurs amis, et leur famille, à ces postes si importants de recours interne pour les journalistes. Nous doutons vraiment que cette partie de la loi porte un jour les fruits attendus. Nous en doutons probablement autant que vous-même, monsieur le rapporteur. Vous recommandiez des solutions bien différentes dans votre proposition de loi de 2010 ou dans le projet du Parti socialiste pour l’élection présidentielle en 2011, dont vous avez rédigé la partie sur les médias.

Le problème a un nom : concentration du capital. La solution a aussi un nom : plafonnement de la concentration. Qu’attendons-nous pour limiter la concentration dans le secteur de la presse ? Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de la nécessité de ne pas faire fuir les investisseurs. Admettons. Si j’étais un investisseur intéressé par le secteur des médias, je préférerais investir dans un marché avec de nombreux acteurs indépendants les uns des autres, plutôt que dans un marché où une poignée de milliardaires pèsent plus lourd que tous les autres réunis. La lutte contre la concentration permettrait d’ouvrir le secteur à des investisseurs, au lieu de les faire fuir.

En l’état, le groupe écologiste est favorable à cette proposition de loi. Elle va dans le bon sens, bien qu’elle soit largement insuffisante pour régler les problèmes actuels de la presse. Les journalistes le disent d’ailleurs très bien.

Comme je l’ai déjà rappelé en commission, votre proposition de loi me rappelle fortement la loi anti-Amazon, votée à l’unanimité sur ces bancs. Les librairies de France sont-elles florissantes aujourd’hui ? Non, pas plus qu’hier.

Nous avons heureusement ajouté en commission une meilleure protection des sources des journalistes. Le Gouvernement tente, par voie d’amendement, d’élargir les circonstances qui permettent de contourner cette protection. Nous avons donc déposé de nombreux amendements visant à mieux encadrer ces violations d’un droit fondamental des journalistes. Nous espérons que vous serez attentifs aux conséquences graves que provoquerait une protection insuffisantes des sources des journalistes. Souvenons-nous par exemple que, grâce au travail d’investigation de certains journalistes, plusieurs ministres ont été écartés de fonctions qu’ils ne méritaient pas. Cela n’est possible que si ceux qui ont connaissance de crimes et de délits peuvent les dénoncer à la presse sans craindre pour leur propre sécurité.

Mme Marie-George Buffet. Hé oui !

Mme Isabelle Attard. Stéphane Travert évoquait à l’instant les médias libres : ils ont besoin que nous agissions, que nous allions plus loin. Perdant sans doute patience, et devant l’urgence de leur survie dans le paysage médiatique au sens large, plus de soixante d’entre eux ont créé la Coordination permanente des médias libres. Parmi eux figurent notamment Politis, L’âge de faire, Bastamag, Reporterre, Sideways, RéZonances TV, Acrimed, Fakir. Soutenons-les, c’est primordial, alors qu’il y a un mois, Vincent Bolloré intentait un procès à Bastamag. Ces médias, indépendants de toute organisation politique ou religieuse, ont eu la sagesse de se regrouper. Aurons-nous celle de leur permettre de survivre et d’être un réel contre-pouvoir ?

Nous espérons sincèrement que les débats en séance nous permettront d’aller encore plus loin. Chers collègues, luttons ensemble contre le poids démesuré de l’argent sur le fonctionnement des journaux, censés informer et éclairer tous les citoyens de France. En conclusion, je citerai un autre socialiste, Gérard Filoche : « Dans une démocratie normale, les médias seraient retirés en peu de jours par ordonnance des mains des sept milliardaires [qui les possèdent] et reventilés ». Chers collègues, à défaut de vivre dans une démocratie normale, je vous propose de travailler ensemble à améliorer notre démocratie actuelle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. Avant de commencer cette intervention, permettez-moi d’avoir une pensée émue pour Sophie Dessus, notre pétulante collègue.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est visé par le préambule de la Constitution de 1958 et qui fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, souligne que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». La proposition de loi de Bruno Le Roux et Patrick Bloche s’inscrit dans la continuité de ce principe. Le texte vise en effet à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ». La liberté de la presse et la liberté d’expression ont été consacrées par la loi du 29 juillet 1881, texte fondateur qui s’inspire largement de l’article 11 de la Déclaration de 1789.

Nos collègues se sont opportunément appuyés sur ce texte incontournable de notre législation, de même que sur la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ainsi, l’article 1er de la présente proposition de loi propose d’emblée d’étendre à l’ensemble des journalistes la protection prévue en faveur de ceux de l’audiovisuel public à l’instar de l’article 44 de la loi de 1986. Tous sont donc concernés, qu’ils travaillent pour la presse audiovisuelle, la presse en ligne, la presse écrite, par la totalité des dispositions prévues, qui doivent s’appliquer sur l’ensemble du territoire français – une précision importante.

Le texte doit consacrer par ailleurs fort utilement et fort justement la protection du secret des sources des journalistes, protection applicable aux journalistes permanents et au directeur de publication, ainsi qu’aux collaborateurs occasionnels qui jusqu’alors ne bénéficiaient pas d’une telle protection.

La proposition de loi garantit également, en son article 1er l’indépendance des journalistes par rapport aux médias qui les rétribuent. Cet article dispose qu’un journaliste « ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ». Il précise en outre que les contrats établis entre une entreprise et un journaliste donneront lieu à une charte déontologique rédigée et signée par les deux parties, charte qui sera obligatoire dans toute entreprise de média à compter du 1er juillet 2017.

Cette mesure doit garantir un certain équilibre entre les préoccupations des entreprises de presse et celles des journalistes qu’elles emploient.

Les dispositions de l’article 11, qui impose aux entreprises éditrices d’informer leur public de la composition de leurs équipes dirigeantes et de leur capital, me semblent tout à fait justifiées. Les travaux en commission ont permis l’ajout, à l’initiative de nos collègues du groupe SRC, d’un article 11bis permettant de suspendre « tout ou partie des aides publiques, directes ou indirectes, dont [une entreprise éditrice] bénéficie » en cas de violation par celle-ci du secret des sources ou de la charte de déontologie.

Par ailleurs, le texte envisage d’étendre les prérogatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel afin d’assurer au secteur audiovisuel liberté, indépendance et pluralisme. L’article 2 de la proposition de loi dispose ainsi que le CSA « garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes » et « s’assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes ».

En effet, la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias dépendent en grande partie des enjeux économiques qu’ils représentent. Les trois principes qui guident la présente proposition de loi doivent être préservés de toute influence de leur environnement économique. En cela, l’article 2 pose les jalons d’une règle très claire sur la frontière, qui doit demeurer totalement étanche, entre la ligne éditoriale du média et les préoccupations de ses annonceurs ou de ses actionnaires.

En outre, le CSA voit le champ de ses compétences accru. Cependant, afin de rassurer d’autres organes de déontologie, précisons que cette instance n’a pas vocation à jouer les censeurs. Dorénavant, le CSA aura la possibilité de veiller au respect de l’indépendance, de l’honnêteté et du pluralisme de l’information et des programmes à deux niveaux : celui de la reconduction simplifiée de l’autorisation hors appel à candidature de l’article 28-1 de la loi de 1986 ; celui de la délivrance des autorisations. Le CSA pourra décider de renouveler ou non une autorisation.

L’article 7 de la proposition de loi institue, « auprès de toute société éditrice d’un service de radio ou de télévision à vocation nationale ou locale », un comité d’éthique, composé de personnalités indépendantes. Il aura la faculté de se saisir ou d’ « être consulté pour avis par la direction de la société, par le médiateur lorsqu’il existe ou par toute personne ». En outre, lorsqu’il constatera un fait susceptible de contrevenir à ces principes, il en informera le CSA ainsi que, de façon concomitante, la direction de la société. Enfin, le comité rendra public son bilan annuel.

Les dispositions prévues à l’article 7 s’appliqueront à tous les médias, qu’ils soient privés ou publics – y compris aux chaînes parlementaires, chers collègues.

L’article 10 bis, introduit par un amendement adopté en commission, dispose que des organisations et associations de défense de la liberté de l’information, reconnues d’utilité publique, pourront également saisir le CSA d’éventuels manquements.

Enfin, dans notre société mondialisée, il est essentiel de préserver l’indépendance de nos médias vis-à-vis des capitaux étrangers. Ainsi, l’article 9 dispose que l’autorisation relative à un service audiovisuel assuré en langue française ne pourra pas être accordée à une société dans laquelle plus de 20 % du capital social ou des droits de vote sont détenus, directement ou indirectement, par des personnalités de nationalité étrangère.

Cette proposition de loi représente une étape importante en faveur de l’indépendance des médias, de leur liberté et de leur pluralisme, et il y a lieu de s’en réjouir. Cela ne doit pas masquer pour autant d’autres problématiques, qui demeurent. Je veux parler des difficultés que rencontrent les journalistes dans l’exercice de leur fonction.

Ceux-ci ont vu en effet leurs conditions de travail se dégrader. Ainsi que le relève le rapport de notre excellent collègue Patrick Bloche, la part des journalistes pigistes ne cesse d’augmenter et atteint aujourd’hui 20 %. À cela s’ajoute le recours souvent abusif au contrat à durée déterminée, y compris par les médias publics, qui ne sont pas irréprochables en la matière. Il s’agit là d’un enjeu fondamental car il est paradoxal, quand on veut préserver les entreprises de presse de toute influence des acteurs économiques, de maintenir les journalistes dans une dépendance économique les obligeant à se lancer sur le marché du travail dans un secteur trop souvent obnubilé par la course au scoop ou à l’audimat.

En cette journée du 8 mars, je fonde l’espoir que les femmes aient enfin la possibilité d’accéder aux mêmes postes, aux mêmes responsabilités, aux mêmes salaires que les hommes, comme prévu dans ce texte.

Il reste à espérer que les entreprises de presse, en concertation avec leurs personnels, auront à cœur d’inscrire dans leur charte de déontologie un code de bonne conduite sur l’emploi des journalistes et sur les conditions de leur rémunération. Le législateur fait aujourd’hui sa part du chemin, guidé par l’idée de démocratie : aux entreprises de le suivre de manière juste.

Le groupe RRDP approuve ce texte important et ambitieux, qui se positionne dans une démarche de liberté, de transparence, comme vous l’avez dit, madame la ministre, d’indépendance et de pluralisme de l’ensemble des médias.

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, chers collègues, j’ai à cet instant, comme d’autres collègues, une pensée pour Sophie Dessus, dont la voix nous manque dans ce débat.

Légiférer pour la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias : voilà une ambition à laquelle nous souscrivons pleinement.

Depuis la loi de 1881, l’histoire de la liberté de la presse est profondément liée à l’histoire de la vie démocratique de notre pays. À chaque fois, en effet, que cette liberté s’est trouvée menacée ou entravée, c’est notre République et ses valeurs fondatrices qui ont été attaquées.

La censure ne fait pas bon ménage avec la souveraineté populaire. Je pense bien sûr aux heures noires de l’occupation nazie : c’est l’honneur de nombre de journalistes d’avoir contribué, en faisant leur métier dans la clandestinité, à la résistance au fascisme et à la libération de notre pays.

Je pense également au courage de certains journalistes et certains quotidiens qui, souvent au péril de leur liberté, ont bravé censure et violences pour aider le peuple algérien et d’autres à construire l’indépendance de leurs pays. Et je ne peux m’empêcher de redire dans ce débat combien les assassinats à Charlie Hebdo restent le symbole terrible de l’assassinat de cette liberté d’expression d’une presse indépendante. Agir, agir sans cesse pour développer le droit à l’information et à la réflexion critique de nos compatriotes est une des belles missions que nous pouvons nous donner comme représentants de la Nation.

Ce n’est pas la première fois que nous traitons ici de la presse et des médias. Nous en débattons chaque année lors des discussions budgétaires. En début de législature, nous avons adopté la loi relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, et l’an dernier, nous avons eu de nombreux échanges autour de la proposition de loi tendant à la modernisation du secteur de la presse, dont notre collègue Michel Françaix était le rapporteur.

Mais nous n’avons jamais pu débattre ici, au sein de cet hémicycle, de la protection du secret des sources des journalistes. Pourtant, le Gouvernement avait déposé en 2013 un projet de loi que notre commission des affaires culturelles avait amendé, en décembre de la même année, en donnant toute sa dimension démocratique à ce projet. Cela fera maintenant presque trois ans, trois ans pendant lesquels je me suis, avec d’autres collègues, inlassablement fait l’écho de la volonté de l’intersyndicale des journalistes que ce texte soit enfin débattu en séance publique. Dans cet objectif, j’ai pris l’initiative de déposer une proposition de loi transpartisane reprenant les dispositions issues des travaux de notre commission. Je veux remercier tous les collègues qui se sont joints à cette action. Je me félicite qu’elle ait abouti à la faveur de l’examen de cette proposition de loi par notre commission. L’essentiel de la loi de 2013 est enfin proposé au débat et au vote de notre assemblée.

Je m’étonne cependant, madame la ministre, que le Gouvernement envisage de nous proposer un amendement qui risque d’en amoindrir la portée. J’espère que la discussion des amendements va permettre d’éclairer le sens des modifications que vous avez souhaitées.

Comment en effet développer la liberté et l’indépendance des médias sans donner les moyens à ceux et celles qui produisent l’information de faire leur métier en toute liberté et en toute indépendance ?

On le sait, la loi de 2010 n’a pas empêché le scandale des « fadettes » utilisées contre deux journalistes du Monde. Il était à l’époque reconnu que cette loi, loin de permettre aux rédactions d’opérer de véritables travaux d’investigation dans le but de livrer l’information la plus exacte possible, ouvrait en fait des opportunités à ceux qui voulaient l’encadrer. Lorsqu’il était candidat, le Président de la République avait fait de la protection des sources des journalistes un de ses objectifs.

L’Oscar du meilleur film vient d’être attribué au film Spotlight qui met en lumière tout ce que la liberté des journalistes peut apporter à leur travail et à leur engagement pour faire éclater des vérités et pour aider le monde à se porter un peu mieux. Avec l’ensemble des syndicats concernés, on peut donc se réjouir du contenu de la loi qui nous est soumise sur la protection des sources.

Les dispositions de ce texte doivent permettre à la France de franchir une étape dans la mise en œuvre du principe de la liberté de communication et d’opinion posé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Au-delà de son article 1er, ainsi rédigé, c’est l’ensemble de la loi qui va dans le bon sens, même si je persiste à m’interroger sur le nouveau rôle reconnu au CSA et même si nous souhaitons proposer des améliorations à travers deux amendements.

Patrick Bloche, rapporteur et co-auteur de ce texte, nous a dit en commission que le combat pour la liberté et l’indépendance de la presse et des médias était un combat nécessaire et qu’on devait mener en permanence. Je souscris à cette opinion. Ce combat relève bien sûr de l’action des rédactions et des journalistes, mais il a aussi besoin de l’engagement de la représentation nationale.

Certes, tout combat mené par nos compatriotes a besoin de la loi pour acter ses avancées – je le rappelais lors des questions d’actualité à propos du combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais ce combat pour la liberté, l’indépendance, le pluralisme des médias a besoin de trouver des points d’appui dans l’urgence : urgence face aux phénomènes d’hyper-concentration, ouvrant la porte à des restrictions de fait du pluralisme à travers la remise en cause de l’indépendance des rédactions ; urgence face à l’aggravation de la précarité de cette profession, soumettant toujours un peu plus le contenu du travail des journalistes à l’insécurité de leur situation ; urgence devant l’arrivée au pouvoir de gouvernements qui, comme en Pologne, s’arrogent le droit de reprendre en main propriété et contenus des médias ; urgence enfin devant les regains d’intolérance et de fanatisme à l’œuvre dans le monde, et malheureusement aussi dans notre pays.

Alors oui, il est indispensable de garantir par la loi la liberté de conscience professionnelle des journalistes et d’étendre à l’ensemble des journalistes la protection prévue en faveur des journalistes de l’audiovisuel public par l’article 44 de la loi du 30 septembre 1986.

Nous pourrions rendre encore plus efficace cette protection en l’étendant à l’ensemble de l’équipe rédactionnelle. C’est ce que propose un de nos amendements, qui s’inspire très largement du contenu de la Charte des droits et des devoirs des journalistes adoptée à Munich en 1971. Cette charte constitue la référence des syndicats de journalistes européens et jouit d’une plus grande faveur auprès des journalistes qu’une éventuelle charte déontologique d’entreprise.

« Le monde bouge », entend-on souvent, mais pas toujours dans le bon sens. Aussi la loi doit-elle nous donner les moyens de résister à des retours en arrière. Dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui, le poids de l’argent et l’évolution des médias, qui deviennent de plus en plus sources de profit au détriment de leur contenu informatif et émancipateur, sont sources de dérives. Nous assistons en effet à des concentrations quasi quotidiennes au profit de grands groupes industriels, bancaires, de géants des télécommunications.

La récente affaire Bolloré-Canal est là pour en témoigner, et j’ajouterai que le rapprochement Canal-BeIN en cours n’est pas forcément de bon augure pour le droit de tous et toutes à bénéficier de retransmissions sportives gratuites.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Absolument.

Mme Marie-George Buffet. Cette hyper-concentration joue un rôle dans la perte de confiance de la population à l’égard des médias, que vous relevez dans votre rapport et que rappelait le récent baromètre TNS-Sofres pour le quotidien La Croix le 2 février dernier.

Vous vous donnez l’objectif d’agir sur ces problèmes avec cette proposition de loi, on ne peut que s’en féliciter. Pour y parvenir pleinement, nous estimons indispensable d’acter une vraie indépendance des rédactions à l’égard de leur propriétaire en organisant les droits des rédactions par la loi et en nous donnant de nouveaux moyens pour agir contre l’hyper-concentration dans les médias : non pour brider les investissements nécessaires à la vie et au développement de la presse et des médias, mais pour que dans ce cadre, les conditions de l’existence d’un véritable pluralisme éditorial soit conservées.

C’est la raison pour laquelle nous présenterons un amendement portant sur le code des marchés et le rôle de l’Autorité de la concurrence, afin de ne pas voir le droit à l’information être soumis à la loi du marché.

Nous abordons donc ce débat avec l’espoir de voir encore s’améliorer une loi qui grâce à votre travail, monsieur le rapporteur, à notre travail parlementaire en commission, aborde des questions aussi essentielles que le respect de la conviction professionnelle des journalistes ou la protection du secret de leurs sources.

J’espère que ce texte, mes chers collègues, sera soutenu et voté sur tous les bancs de notre assemblée, car ouvrir des espaces de liberté et donner une plus grande souveraineté à notre peuple est l’un des meilleurs exercices, à mes yeux, pour les parlementaires que nous sommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Julie Sommaruga.

Mme Julie Sommaruga. J’ai, comme vous tous, une pensée émue à cette tribune en pensant à notre collègue Sophie Dessus.

En débattant aujourd’hui de la proposition de loi socialiste visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, nous nous inscrivons dans l’héritage du long combat pour la liberté de la presse.

Indissociable de celui pour la démocratie, le combat pour la liberté de la presse a depuis toujours signifié l’émancipation contre l’oppression et le progrès contre le conservatisme. Ce long chemin vers la liberté nous a livré ses acquis inestimables, qu’il nous faut chaque jour préserver comme des piliers sur lesquels se fonde notre démocratie et prospère notre vivre-ensemble.

Je pense bien sûr à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais également à la loi emblématique du 29 juillet 1881, et bien entendu à la libération des ondes et à la création de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, sous François Mitterrand.

Depuis 2012, le Gouvernement et notre majorité s’inscrivent pleinement dans cet héritage pour garantir encore et toujours la liberté de la presse, ainsi que l’indépendance et le pluralisme des médias. C’est l’enjeu de la loi que nous avons fait adopter en novembre 2013 et qui a redonné au CSA la compétence de nomination des dirigeants des sociétés de l’audiovisuel public – prérogative, il ne faut pas l’oublier, que s’était arrogée l’ancien Président Nicolas Sarkozy.

Aujourd’hui, en débattant de la proposition de loi du groupe SRC, et tout particulièrement du président Patrick Bloche, dont je salue l’engagement et la force de conviction, nous souhaitons aller plus loin pour faire vivre le triptyque « liberté, indépendance et pluralisme » dans un paysage médiatique confronté à de nouveaux enjeux, comme la révolution numérique, le rythme effréné de l’information en continu ou la concentration des médias.

Sans vouloir être exhaustive, je souhaiterais souligner trois avancées majeures.

La première est le renforcement de la protection des journalistes, avec la généralisation à tous les journalistes du droit d’opposition reconnu depuis 1986 à ceux de l’audiovisuel public, ainsi que des dispositions visant à protéger le secret des sources.

La deuxième est l’instauration de comités d’éthique composés de personnalités indépendantes, au sein des radios et des télévisions qui diffusent des émissions d’information politique ou générale.

La troisième est la clarification des missions d’un CSA renforcé, à qui les moyens d’action sont pleinement donnés.

Ces avancées sont autant de garanties pour une information libre, indépendante et pluraliste, condition indispensable pour tisser un lien de confiance entre nos concitoyens et leurs médias – lien trop souvent distendu par le soupçon que peut faire peser la détention de certains médias par de grands groupes industriels et financiers.

Or cette confiance est plus que jamais essentielle pour renforcer la démocratie, au moment où celle-ci doit faire face à la barbarie terroriste – qui s’attaque d’ailleurs à des journalistes et à leur liberté –, comme elle doit faire face à l’asservissement des pensées au profit d’intérêts particuliers faisant le lit du populisme et de l’extrémisme.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous propose de faire résonner dans cet hémicycle les mots de Victor Hugo, qui rappelait, du haut de cette tribune, le 11 septembre 1848, à quel point la liberté de la presse est indispensable.

Certes, dans son discours, il ne s’adressait qu’à des hommes, mais je crois qu’en cette journée du 8 mars qui célèbre le droit des femmes, nous pouvons être fiers que ses paroles, toujours d’actualité, puissent également s’adresser à des femmes députées.

Voilà ce que disait le grand Victor Hugo : « La liberté de la presse, c’est la raison de tous cherchant à guider le pouvoir dans les voies de la justice et de la vérité. Favorisez, messieurs, favorisez cette grande liberté, ne lui faites pas obstacle ; songez que le jour où […] on verrait ce principe sacré, ce principe lumineux, la liberté de la presse, s’amoindrir au milieu de nous, ce serait en France, ce serait en Europe, ce serait dans la civilisation tout entière l’effet d’un flambeau qui s’éteint ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Je voudrais à mon tour, si vous le permettez, évoquer avec émotion la mémoire de Sophie Dessus, qui était une collègue que nous aimions. Il se trouve de surcroît que notre commission, cher Patrick, avait décidé la création d’une mission d’information sur le marché de l’art, que j’ai l’honneur de présider et dont Sophie Dessus était la rapporteure.

Alors même que nous commencions à mettre en place cette mission d’information, Sophie m’avait demandé de reporter les auditions, à un moment où nous ignorions tous qu’elle était si malade. J’ai eu l’occasion, comme le sait notre président, de m’entretenir avec elle au téléphone alors qu’elle était hospitalisée. Nous avons tous, et j’ai particulièrement, beaucoup de peine.

Je pense que la commission et son président autoriseront que les travaux de la mission d’information soient dédiés à la mémoire de notre regrettée collègue Sophie Dessus. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Je voudrais aussi, madame la ministre, si vous le permettez, vous saluer, puisque c’est la première fois que vous siégez au banc du Gouvernement alors qu’on examine un texte relevant de votre ministère. Même si vous faites partie d’un gouvernement que nous ne soutenons pas, je veux saluer votre compétence et votre engagement au service de la culture, de l’audiovisuel, des industries culturelles de notre pays : j’ai eu l’occasion de le mesurer personnellement, lorsque vous étiez au Centre national du cinéma et de l’image animée – CNC – et que j’étais le rapporteur de la loi sur la numérisation des salles de cinéma. Je veux vous dire les vœux que nous formons pour le succès de votre mission au service de la culture dans notre pays.

Cette proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias est l’exemple de ces lois trop nombreuses que nous devrions arrêter de voter, parce qu’elles ne font qu’alourdir notre législation sans pour autant résoudre les problèmes de fond.

Nous sommes, sur tous les bancs de cette Assemblée, pour la liberté de la presse, pour l’indépendance des médias, pour le pluralisme, pour la protection des sources des journalistes : je tiens à le réaffirmer ici.

Mais est-ce qu’aujourd’hui, à l’heure du tout-numérique, d’internet, des réseaux sociaux, cette liberté, cette indépendance et ce pluralisme sont menacés à tel point qu’il faille légiférer dans la précipitation ? À mes yeux, non.

Je ne suis pas là pour nier les problèmes. Je sais bien qu’il peut y en avoir entre les rédactions et les propriétaires de médias, mais je souhaite qu’on arrête de dramatiser la situation et qu’on rappelle une évidence connue de tous : la presse et les médias audiovisuels sont libres en France.

Cette proposition de loi trouve son origine, et vous ne vous en cachez pas, monsieur le rapporteur, après le rachat de Canal Plus par Vincent Bolloré, dans la déprogrammation d’un documentaire sur le Crédit Mutuel.

Vous souhaitez donc régler ce problème, qui est réel mais qui reste isolé, et vous décidez donc de faire une loi. Je ne veux pas ici, monsieur le président et rapporteur, mettre en cause votre sincérité, ni votre travail, mais je veux vous mettre en garde, parce que nous risquons d’arriver, avec cette proposition de loi, à une situation contraire aux objectifs recherchés.

Et c’est bien là le principal écueil de cette loi. Non seulement c’est une loi de circonstance – et il faut toujours se méfier des lois de circonstance – mais en plus, c’est une loi dont l’efficacité est douteuse.

Plus grave, vous introduisez des dispositifs qui au mieux ne serviront à rien, au pire viendront déstabiliser l’organisation et le fonctionnement des rédactions. Résultat, les journalistes eux-mêmes sont très critiques sur ce texte.

Bien qu’ils soient déjà protégés par la clause de cession et la clause de conscience ainsi que par leurs droits moraux et de divulgation, vous élargissez la notion d’intime conviction professionnelle. C’est une notion abstraite juridiquement, un OVNI juridique qui peut se révéler dangereux, car cette notion remet en question le fonctionnement même des rédactions, s’agissant en particulier de la responsabilité éditoriale du directeur de publication, qui est responsable civilement et pénalement des publications.

Enfin, où est la limite avec la ligne éditoriale des journaux, qui impose de faire des choix dans les sujets traités ? Ces lignes diffèrent d’un journal à l’autre et imposent aussi une adhésion aux journalistes.

J’évoquerai aussi la généralisation et l’encadrement des comités d’éthiques dans l’audiovisuel. Nous ne sommes pas contre ces comités, qui peuvent être utiles pour poser des règles ou conduire des réflexions. Mais pourquoi doit-on encore tout codifier, tout prévoir par la loi ?

Il existait déjà plusieurs comités d’éthique sans que la loi ait besoin de s’en mêler, et vous instaurez des règles tellement complexes qu’il sera désormais bien difficile de trouver des personnes pour y siéger. Et quoi que vous fassiez, il y aura toujours des suspicions, quelles que soient les garanties envisagées.

Enfin, confier au CSA, en plus de son rôle de régulateur, une sorte d’autorité morale sur le contenu des rédactions me paraît dangereux, car après tout le CSA n’est pas totalement irréprochable en matière d’indépendance. Nul n’est besoin de rappeler ici qui nomme le président du CSA. Les journalistes eux-mêmes sont très opposés à ce rôle inédit qu’entend confier la loi au CSA, alors que celui-ci dispose déjà de pouvoirs importants en matière de déontologie professionnelle. En renforçant le droit de contrôle du CSA sur les contenus, on prend le risque d’une autocensure des rédactions et des médias.

Mes chers collègues, j’ai l’impression qu’avec cette proposition de loi, nous étudions un texte d’une autre époque, avec cette suspicion de la gauche selon laquelle la liberté et l’indépendance des médias seraient par hypothèse en permanence menacées.

Ne vous en déplaise, les journalistes eux-mêmes n’ont pas attendu cette loi pour s’organiser et veiller à préserver leur indépendance par rapport à leurs actionnaires.

S’il est très facile et même démagogique de fustiger ces actionnaires, n’oublions pas que sans eux, nombre de journaux n’existeraient tout simplement plus aujourd’hui. Vous comprendrez donc que le groupe Les Républicains vote contre cette proposition de loi…

M. Stéphane Travert. Quelle surprise !

M. Michel Herbillon. …qui nous paraît au mieux inutile, au pire dangereuse, et que de surcroît vous avez souhaité faire voter dans la précipitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Hervé Féron. C’est une posture !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de m’incliner respectueusement devant la mémoire de notre collègue décédée.

Qui d’entre nous ne dirait pas : « Vive l’indépendance, la liberté et le pluralisme de la presse ! » ?

Mme Buffet a raison de nous rappeler l’Histoire et de nous faire souvenir qu’en des temps monstrueux, des hommes reclus dans les catacombes de l’écriture essayaient de dire la vérité sur des feuilles souvent ensanglantées, alors que L’Humanité était vendue grâce à l’intervention des autorités d’occupation.

Mais, aujourd’hui, c’est de votre loi qu’il s’agit. Elle est intéressante à bien des égards, et présente des avancées, mais elle me paraît tout de même étrange, en raison d’une seule formulation qu’il faut interpréter d’une manière quasi psychanalytique.

L’article 1er interdit d’exercer des pressions pour inciter un journaliste à signer un article contraire à son intime conviction.

M. Yves Durand. Professionnelle.

M. Gilbert Collard. Je l’ai lu avec le regard du juriste, parce que je préfère être juriste que politique – je me sens mieux, plus libre, beaucoup plus libre.

M. Yves Durand. Personne ne vous oblige à être politique !

Plusieurs députés du groupe SRC. Démissionnez !

M. Gilbert Collard. Je ne pourrais pas me passer de vous ! Comment faire ? Je dois faire preuve d’intelligence ! Vous quitter ? Non !

M. Pascal Terrasse. C’est une question de réciprocité, monsieur Collard. Vous n’êtes pas en train de plaider !

M. le président. Nous écoutons notre collègue !

M. Gilbert Collard. Ils peuvent brailler tant qu’ils veulent, monsieur le président, cela ne me dérange pas.

Votre référence à la notion d’intime conviction est tout de même étonnante. Un orateur l’a dit tout à l’heure : elle s’applique aux jurés de cour d’assises. Cette phrase dit tout de votre texte.

Si vous aviez vraiment voulu l’indépendance de la presse, vous auriez dit : « il est interdit d’inciter un journaliste à écrire un article contraire à la sincérité et à la vérité des informations recueillies. »

En fait, vous voulez pouvoir permettre l’expression d’une idéologie dominante. De quelle intime conviction s’agit-il ? De celle d’un homme de gauche, d’un homme de droite, d’un homme d’extrême gauche, d’un homme d’extrême droite ? C’est quoi, l’intime conviction d’un journaliste ? Ce qui compte, c’est la vérité des faits…

Mme Sylvie Tolmont. Qu’est-ce qu’un fait ?

M. Gilbert Collard. ...et la vérité que l’on peut exposer à partir de ces faits ! Les commentaires sont libres, les faits sont sacrés ! Et vous ne supportez aucune contradiction ! Cela en dit long sur votre idée de la liberté d’expression ! En vérité, que voulez-vous ? Exercer une domination idéologique ! Tout le texte en témoigne, comme lorsque vous donnez des pouvoirs au CSA ! Tant que vous y êtes, pourquoi ne créez-vous pas un conseil supérieur, un Conseil de l’ordre des journalistes ? Reprenez les textes de Mussolini ! Ils vous iraient à merveille, car c’est lui qui a créé le premier conseil de l’Ordre des journalistes !

Vous voulez tout simplement faire en sorte que l’intime conviction c’est-à-dire la conviction politique du journaliste – l’emporte, ce qui est désastreux pour la liberté de la presse.

Lorsque l’on poursuit la lecture de ce texte, on se rend compte que le moyen essentiel d’organiser vraiment la liberté, l’indépendance et le pluralisme de la presse eût été de vous intéresser à l’argent public, à l’argent privé, à la concentration du capital. Il eût fallu exiger des patrons de presse qu’ils soient soumis à la loi sur la transparence, comme nous ! Il faudrait que l’on connaisse leur patrimoine, d’où vient l’argent, qui les enrichit ! De la même manière, il faudrait connaître le montant des deniers publics déversés vers des médias privés via les contrats d’images, d’annonces, de publicités !

Il ne faut pas que, directement ou indirectement, un secrétaire d’État, un ministre, soient propriétaires d’un journal. Voilà ce qui aurait conféré indépendance, pluralisme et liberté à la presse !

Enfin, pour conclure : ne décorez plus les journalistes ! Ne les décorez plus ! Laissez-les libres ! Décorez-les lorsqu’ils n’exercent plus ! Ce serait bien, très bien ! Si je peux me permettre : que le Président de la République lui-même veille à ne pas les décorer, car cela les humilie un peu. Non, certes, parce que c’est le Président de la République – au contraire, c’est un honneur – mais parce que lorsqu’on est journaliste, on ne doit dire merci à personne ! Cela, comme le disait Albert Londres, c’est la grandeur du journaliste !

M. le président. La parole est à M. Hervé Féron.

M. Hervé Féron. Madame la ministre, chers collègues, « Volkswagen, l’entreprise de tous les scandales », « Le monde selon YouTube », « Les placards dorés de la République », « La répression made in France » ou, encore, « Nutella, les tartines de la discorde ». De tous ces titres, on peut se demander quel est le point commun, hormis le fait qu’ils se veulent accrocheurs.

En réalité, ce sont des émissions que vous ne verrez jamais, car elles auraient toutes été refusées par la direction nommée par Vincent Bolloré au dernier comité d’investigation de l’émission vedette de Canal Plus, « Spécial Investigation ».

Si les conflits entre milieux d’affaires et liberté d’expression ont toujours existé, il faut reconnaître que nous assistons depuis quelques années à une vague de concentrations sans précédent dans les médias, le cas de l’homme d’affaires breton n’étant qu’un cas parmi tant d’autres.

À juste titre, le législateur a donc décidé de se saisir – pour mieux les protéger – de ce qui constitue l’un des pans essentiels de notre culture et de notre démocratie, à savoir le droit d’expression et d’information.

En effet, sans journalisme et sans journalistes, il n’y a pas de « conversation nationale », car la mission d’informer est essentielle, au sens où les journalistes participent à la fabrication de l’opinion en passant tous les sujets d’actualité au tamis de l’analyse critique.

Un tel discours renvoie peut-être à une vision idyllique de la réalité, mais cela n’en constitue pas moins le cœur de mission originel des journalistes, qu’il est toujours bon de rappeler.

Leur rôle est primordial dans une société où la communication se trouve au centre de toutes les stratégies et où l’évolution technologique incite à privilégier l’immédiateté plutôt que l’analyse distanciée et mesurée nécessaire à la bonne compréhension du monde.

Pas question, donc, de « demander la permission » pour enquêter, comme Nicolas de Tavernost, patron de M6, l’a laissé entendre l’an dernier, sous prétexte de déplaire aux clients, c’est-à-dire aux financeurs des chaînes de télévision !

À l’heure où un pays comme la Tunisie forme des officiers de la garde nationale au respect et à la protection des journalistes afin de garantir la continuité du processus démocratique, gardons-nous de faire marche arrière en bridant les gardiens de la liberté d’expression de notre pays ! Albert Camus disait bien qu’ « un journal, c’est la conscience d’une nation » !

Je pense en particulier à la nécessité d’assurer la confidentialité des sources d’information des journalistes, enjeu majeur dans une démocratie où le rôle d’information implique la recherche d’éléments susceptibles d’éclairer le public par des canaux plus ou moins officiels, qui constituent ses sources.

Je me réjouis donc que l’amendement porté par mes collègues Michel Pouzol et Marie-George Buffet ait été adopté à l’unanimité en commission des affaires culturelles, et je souhaite que notre vote en séance y soit tout aussi favorable.

Autre avancée sur laquelle j’appelle votre attention : la suspension des aides à la presse pour les entreprises ayant refusé d’informer le public sur l’actionnariat et les organes dirigeants des publications, qui peuvent avoir les incidences que l’on sait sur la ligne éditoriale d’un média et donner lieu à des pressions sur les journalistes.

L’amendement de notre groupe institue une véritable sanction financière, qui amènera indubitablement les groupes privés à réfléchir à deux fois avant de manquer à leurs obligations en termes de transparence.

On peut néanmoins regretter que les « comités d’éthique » prévus à l’article 7 de cette proposition de loi soient exclusivement dédiés aux radios et aux télévisions, ignorant de ce fait la presse écrite et les nouveaux supports électroniques qui transforment radicalement aussi bien les rapports des journalistes avec leurs sources que leurs relations avec leurs lecteurs.

Il n’y a pas de raison non plus que les comités d’éthique ne soient pas élargis aux radios et télévisions locales, mais heureusement, notre groupe a déposé un amendement en ce sens qui a été adopté en commission.

Bien que beaucoup reste à faire et que des voix s’élèvent pour clamer leur insatisfaction, je pense personnellement que cette proposition de loi mérite d’être soutenue, car elle doit être considérée comme un premier pas vers la promesse de François Hollande de mettre en place un véritable encadrement de la concentration en matière de médias.

Ceci pourra notamment passer par la reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle, appelée de leurs vœux par d’importants syndicats de journalistes.

Pour conclure, je citerai Milan Kundera, qui témoigne dans L’Immortalité du rôle vital des journalistes, rappelant pourquoi il est nécessaire de continuer à les protéger : « Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question, mais sur celui d’exiger une réponse ».

Puisqu’il me reste quelques secondes, je voudrais dire à Sophie, qui était une vraie camarade, qu’elle nous manque terriblement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pascal Terrasse. Bravo !

Mme Gilda Hobert. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.

Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le président, en préambule et à l’instar des orateurs précédents, j’exprime une pensée émue pour Sophie Dessus, notre collègue dont l’enthousiasme était si communicatif, qui est décédée subitement jeudi dernier. Les membres de notre commission ont été très peinés à l’annonce de cette nouvelle.

Madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, les médias connaissent une intense mutation depuis quelques décennies : le développement d’internet et du numérique, l’ « explosion » de la communication, la concentration mondiale des entreprises médiatiques bouleversent en profondeur l’espace public.

Nous devons aujourd’hui légiférer pour garantir les nobles missions des rédactions : la collecte d’informations, l’investigation, l’explication et l’analyse.

À cet égard, votre proposition de loi apparaît pleine de bonnes intentions initiales lorsque l’on se fonde sur son titre, très déclaratif. La liberté, l’indépendance, le pluralisme des médias sont évidemment des ambitions et principes que nous partageons tous, de manière consensuelle.

Mais au fil de nos auditions, nous avons bien vite réalisé que ce texte risquait d’aboutir à un résultat déconnecté de la réalité et dangereux pour les médias.

En effet, à vouloir tout généraliser, vous menacez de complexifier considérablement ce secteur et d’entraver son fonctionnement.

C’est le problème que mes collègues des Républicains ont soulevé en commission : nous avons des réserves sur plusieurs articles « phares » du texte initial, qui mettent en péril l’objectif premier du texte.

C’est notamment le cas dès l’article 1er par lequel vous proposez de généraliser à l’ensemble des journalistes le statut de protection spécifique dont bénéficiaient jusqu’ici les journalistes de l’audiovisuel public : le droit pour tout journaliste de « refuser toute pression » et de ne pouvoir être contraint à aller contre « son intime conviction professionnelle ».

On le devine, ces termes sont profondément subjectifs, sans définition ni précision dans le texte. Notre proposition d’amendement visant à encadrer la notion « d’intime conviction professionnelle » en la fondant sur la charte déontologique de l’entreprise a été adoptée, ce dont nous nous réjouissons – c’est un pas en avant vers une législation réfléchie et efficace pour les journalistes.

Cependant, l’extension globalisante proposée par cet article risque d’entraver profondément le fonctionnement des rédactions et de dénaturer la responsabilité éditoriale du directeur de publication.

Ce dernier, vous le savez, est pourtant responsable civilement et pénalement. De plus, des garanties pour les journalistes existent déjà : dans le code du travail, les clauses de cession et de conscience et, dans le code de la propriété intellectuelle, les droits moraux et de divulgation.

Cet article 1er constitue ainsi un véritable désaveu pour les rédactions, les opposant aux journalistes, ces derniers se voyant doter d’un rôle de contre-pouvoir éditorial. Vous niez donc la complémentarité évidente qui pourtant les unit.

En commission, sensibles à nos remarques sur le risque d’un contrôle a priori du CSA, vous êtes aussi revenus par amendements sur l’article 2.

Si vous éloignez ce risque, l’article soulève toujours un problème, puisque votre nouvelle réécriture accroît la possibilité d’ingérence du CSA dans les relations internes de l’entreprise entre journalistes, directeurs de rédaction, actionnaires et annonceurs.

L’article 2 inscrit en effet les principes de pluralisme, d’indépendance et d’honnêteté de l’information et des programmes dans l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 définissant les missions du CSA.

Ces principes se retrouvent au même rang, par exemple, que les objectifs de diversité ou de respect du droit des femmes, alors qu’ils ne sont ni quantifiables ni objectivables.

Monsieur le président-rapporteur, mes collègues l’ont soulevé, l’appréciation de ce « droit d’opposition » est une compétence logique du juge du travail, et non pas du CSA. Déjà juge et partie depuis qu’il nomme les présidents de l’audiovisuel public, ce dernier risque maintenant de devenir un régulateur éthique.

Dans votre rapport, vous reconnaissez vous-même, je cite, que « le juge du droit d’opposition pour chaque journaliste, qu’il travaille dans la presse ou l’audiovisuel, ne peut être que le juge du travail ».

Nous comprenons mal le rôle que vous souhaitez donner au CSA : pourquoi lui confier un rôle de surveillance sur ce droit d’opposition ?

Enfin, l’article 7 achève de rigidifier et complexifier les mesures de cette proposition de loi en généralisant les « comités d’éthique » dans l’audiovisuel. Ces nouveaux « comités Théodule » viennent perturber les hiérarchies dans les rédactions – alors que le directeur de publication doit garder le « final cu» – avec un risque de dérapage évident.

On imagine la lourdeur du nouveau dispositif, avec la possibilité donnée « à toute personne » de consulter le comité d’éthique.

Nos débats en commission, monsieur le président-rapporteur, ont permis d’introduire plusieurs avancées positives que nous saluons, car elles précisent l’orientation et l’application du texte. C’est notamment le cas de l’article 1er bis, relatif à la protection des sources des journalistes, ajouté grâce à l’adoption transpartisane d’amendements. Malheureusement, des points importants font toujours débat aujourd’hui, et nous défendrons plusieurs amendements visant à éclaircir le sens de votre proposition de loi.

Avec ce texte, les chaînes restent en effet menacées par le renforcement des pouvoirs du CSA et par les comités d’éthique en interne, et elles comprennent mal comment continuer à faire du journalisme cohérent et professionnel dans ces conditions. Cette proposition de loi menace finalement ses objectifs initiaux, à savoir la liberté, l’indépendance, et le pluralisme des médias, en confiant aux comités d’éthique et au CSA des possibilités d’ingérence dans les rédactions. On le sait, ces dernières risquent tout simplement de s’autocensurer sur certains sujets trop sensibles. Mes collègues ont parlé en commission d’une loi de circonstance, et je les rejoins totalement sur ce point.

Je citerai en conclusion Patrick Poivre d’Arvor qui, revenant sur l’exercice de son métier, a déclaré : « Le but du journalisme n’est ni de déplaire, ni de complaire. C’est de remuer la plume dans la plaie. La plume, et aujourd’hui le micro et la caméra. » Plutôt que de vouloir encadrer, enfermer, contrôler et tout généraliser pour cette profession, laissons les journalistes l’exercer, et faisons simple, sans nouvelles contraintes internes et externes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Demarthe.

M. Pascal Demarthe. Vous m’autoriserez, en premier lieu, à exprimer à cette tribune une pensée émue pour notre regrettée Sophie Dessus, qui nous inspirait par son investissement et son sourire. Je pense à ses proches.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles, mes chers collègues, je me réjouis de voir arriver aujourd’hui, dans cet hémicycle, la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

À l’heure d’une vague de concentrations sans précédent dans les médias, à l’heure d’une confiance effritée des citoyens à l’égard des médias en raison des pressions économiques que subissent les journalistes, cette loi est nécessaire. Son ambition est de répondre de manière efficace au contexte actuel, en garantissant la liberté des journalistes à l’égard des actionnaires – et je crois qu’elle y parvient.

Elle est un signal positif de notre part, adressé à la fois aux journalistes et aux citoyens, de notre soutien à la liberté de la presse. Garde-fous ou quatrième pouvoir, les journalistes doivent être protégés dans l’exercice libre de leur travail, pour permettre aux citoyens de se former librement leurs opinions dans le pluralisme des idées. À l’heure de la montée en puissance des rumeurs sur les réseaux sociaux, auxquelles un nombre croissant de citoyens perdus et défiants est tenté d’adhérer, garantir la liberté et l’indépendance des médias, c’est aussi lutter contre le développement de l’auditoire de ceux qui, sous couvert de vouloir informer les citoyens librement, en profitent en réalité pour semer les graines de la division au sein de la société.

Pour qu’une démocratie se porte bien, elle a besoin d’une sphère médiatique qui se porte bien, qui soit préservée des pressions économiques et politiques ; elle a besoin, aussi, que cette préservation se fasse en toute transparence. C’est aussi cela, l’ambition de ce texte.

Permettez-moi d’insister particulièrement sur certaines de ses dispositions.

L’article 1er prévoit d’étendre à tous les journalistes le principe selon lequel aucun d’entre eux ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle. Cette protection, qui existait depuis la loi de 1986, ne concernait jusqu’ici que les journalistes de l’audiovisuel public. Ce sont tous les journalistes qui pourront désormais en bénéficier. Ce principe sera également inclus dans les conventions qui lient les chaînes de télévision au CSA.

L’article 7 généralise la création de comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes pour toute société éditrice d’un service de radio ou de télévision, nationale ou locale, dès lors qu’elle diffuse des émissions d’information à caractère politique et général. Ces comités pourront s’autosaisir, mais également être saisis par toute personne, autrement dit par une personne salariée de la société éditrice, comme par n’importe quel citoyen. En outre, cet article prévoit que l’indépendance des personnalités composant ces comités soit garantie par l’absence, durant les trois années précédant sa nomination et l’année suivant la fin de ses fonctions, de tout intérêt commercial avec la société éditrice concernée. Il s’agit, par cette disposition, de ne plus connaître les situations rencontrées ces derniers mois, qui mettent à mal l’image des médias.

De la même manière, je me satisfais de l’obligation qui incombe aux entreprises éditrices de publications de faire connaître aux lecteurs et internautes toutes les informations relatives à la composition de leur capital et de leurs organes dirigeants.

Enfin, je me réjouis de l’introduction de l’article 1er ter, qui assure la protection des sources des journalistes. C’était un combat de mes collègues socialistes, et cet article reprend une proposition de loi que nous avions discutée et adoptée au sein de notre commission des affaires culturelles et de l’éducation. Protéger le secret des sources est une nécessité démocratique ; inscrire cela dans la loi, c’est témoigner de notre attachement au respect du travail d’investigation des journalistes.

À ceux qui nous disent que cette loi n’est pas suffisante, je réponds qu’elle a le mérite de poser des bases saines et efficientes, et qu’elle va très clairement dans le bon sens. Bien sûr, il nous faudra, en tant que législateurs, continuer à œuvrer dans ce sens et nous adapter à l’actualité des problèmes rencontrés par les journalistes, afin de toujours protéger et garantir leur liberté et leur indépendance.

Bien sûr, il ne faut pas oublier certains problèmes, comme l’absence de définition juridique de la censure, qui ôte parfois aux journalistes le moyen de la contester et de saisir la justice quand elle se présente.

Bien sûr, il ne faut pas oublier non plus la relation de prestataire des rédactions externes, dans les sociétés de production notamment, envers les chaînes qui les font travailler ; l’enjeu étant de parvenir à maintenir l’indépendance éditoriale dans un contexte de dépendance économique.

Bien sûr, des choses restent à faire, mais cette proposition de loi est déjà une très belle avancée. À cet égard, M. Olivier Ravanello, président de la Société des journalistes de Canal Plus/iTélé, a lui-même déclaré que : « Cette loi peut être l’occasion de faire évoluer les mentalités et de poser une nouvelle relation entre les rédactions et les actionnaires, mais aussi le public ».

C’est pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter cette proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Audrey Azoulay, ministre. J’aimerais, au nom du Gouvernement, revenir sur certains des points qui ont été abordés au cours de cette discussion générale.

Premièrement, certains d’entre vous se sont demandé s’il était nécessaire de légiférer. Il a été suggéré de faire confiance à l’idéal et au sentiment des journalistes. Je crois au contraire, comme l’un d’entre vous l’a rappelé, que la loi est le socle des libertés qui ont été patiemment construites. Et l’histoire nous l’a suffisamment rappelé pour que nous nous attachions à protéger les libertés dont il s’agit ici par une loi.

Je voudrais par ailleurs revenir sur l’idée selon laquelle cette loi serait de circonstance. Je crois qu’il faut faire une distinction entre une loi de circonstance et une loi qui est ancrée dans la réalité. Des problèmes existent, que l’on ne saurait ignorer : dans un monde qui est de plus en plus dur pour les éditeurs, qui sont confrontés à une compétition mondialisée, des pressions économiques s’exercent. Les prendre en compte est une nécessité, mais cela ne fait pas de cette loi une loi de circonstance.

Deuxièmement, certains ont exprimé la crainte que l’on aboutisse à un dispositif de régulation fragmenté avec, d’un côté, un audiovisuel sur-réglementé et, de l’autre, une presse qui ne serait soumise à aucune régulation et laissée aux libres mains du marché. Il faut bien avoir conscience qu’il y a une spécificité de l’audiovisuel, sur laquelle nous reviendrons au cours de notre débat. L’audiovisuel se déploie sur des fréquences hertziennes, qui sont rares, qui appartiennent au domaine public, et qui justifient une régulation particulière. Par ailleurs, et c’est l’un des intérêts de cette proposition de loi, l’article 1er, qui apporte de nouvelles garanties aux journalistes, a vocation à s’appliquer à l’ensemble des journalistes, quel que soit leur support d’intervention, aux 36 000 hommes et femmes qui détiennent une carte de presse. C’est là un élément important qu’il faut avoir à l’esprit.

Troisièmement, vous avez parfois exprimé une méfiance vis-à-vis du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Or il me semble que la proposition de loi définit précisément son rôle : il ne s’occupe pas de déontologie, mais d’indépendance. Il n’agit pas ex ante, mais vérifie, dans les conventions, les mécanismes à même de garantir cette indépendance. J’ajoute que cette proposition de loi rassemble et met en cohérence des compétences dont l’instance de régulation dispose déjà. En effet, la loi de 1986 et la jurisprudence constitutionnelle lui demandent déjà de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes. Je voudrais enfin rappeler, même si je l’avais déjà indiqué dans mon propos liminaire, que la loi de novembre 2013 a renforcé les garanties d’indépendance du CSA, en modifiant notamment les conditions de nomination de ses membres, à laquelle le Parlement est plus étroitement associé qu’avant, puisque la commission des affaires culturelles des deux assemblées doit donner un avis conforme, à la majorité des trois cinquièmes.

Quatrièmement, certains d’entre vous ont exprimé la crainte d’une loi de circonstance qui produirait des constructions juridiques hâtives, en évoquant notamment l’intime conviction professionnelle. Je rappelle que cette notion existe dans le droit depuis 1983, dans les conventions collectives des journalistes de l’audiovisuel public, et qu’elle est même entrée dans la loi en 2009, sous la précédente majorité.

J’en viens à mon cinquième et dernier point, qui est néanmoins majeur : celui du secret des sources. Ce secret n’était pas suffisamment garanti par la loi de 2010 : je crois que cela a été dit sur tous les bancs de l’assemblée. Pour ma part, j’ai tenu à ce que ce sujet soit abordé dans ce texte, car il me semble être tout à fait cohérent avec l’esprit de cette proposition de loi. Je proposerai un équilibre qui me semble satisfaisant entre la nécessité de mieux garantir la protection des sources des journalistes et les impératifs de sécurité publique que nous devons à nos concitoyens. Je ne doute pas que nous débattrons de ce sujet en profondeur, à l’occasion de la discussion des articles.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. J’apporterai seulement quelques compléments à l’intervention de Mme la ministre. Il arrive souvent, lorsque l’on est amené à répondre à la discussion générale, que l’on évoque davantage ceux qui nous critiquent que ceux qui nous soutiennent. Vous me permettrez donc de remercier Mmes Isabelle Attard, Gilda Hobert, Marie-George Buffet, Julie Sommaruga, ainsi que MM. Stéphane Travert, Hervé Féron et Pascal Demarthe qui, même s’ils souhaitent compléter la proposition de loi, se sont inscrits dans la démarche qui est proposée à notre assemblée aujourd’hui. Je remercie également Mme Virginie Duby-Muller, ainsi que MM. Christian Kert, Rudy Salles et Michel Herbillon de s’être inscrits sereinement dans ce débat, ce qui a permis à notre discussion générale d’aborder des questions de fond.

Ces questions de fond, vous les avez rappelées, madame la ministre, et je n’y reviendrai pas, sinon pour rappeler aux membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qu’ils siègent sur les bancs de l’opposition ou sur ceux de la majorité, que nous avons eu l’occasion de faire des travaux pratiques – si je puis dire – en janvier 2015, lorsque nous avons dû approuver, à la majorité des trois cinquièmes – c’est la grande nouveauté introduite par la loi du 15 novembre 2013 – la nomination de Nathalie Sonnac au collège du CSA, sur une proposition de Claude Bartolone.

Nous avons pu constater, à cette occasion, que ce qui avait pu être critiqué lors de l’examen de la loi du 15 novembre 2013 comme un risque de blocage – certains disant que nous ne pourrions jamais nous mettre d’accord sur un nom à la majorité des trois cinquièmes – avait finalement abouti à un vote à l’unanimité, compte tenu des qualités professionnelles de Nathalie Sonnac qui, comme chacun sait, est universitaire et économiste. Nous sommes parvenus, grâce à ce mode de nomination, à mettre en place un mécanisme de neutralisation politique qui évitera, à l’avenir, d’avoir un CSA monocolore, faute d’alternance. Nous avons ainsi donné à cette instance une indépendance dont je voudrais que chacun ait plus que jamais conscience, compte tenu du rôle que le CSA aura à jouer dans la mise en œuvre de cette loi.

Je dis dans la mise en œuvre de cette loi, parce que si nous invoquons le rôle du CSA, c’est simplement pour que ce texte ne soit pas une pétition de principe, mais s’applique. Comme il n’existe pas de CSA pour la presse écrite, eh bien, grâce à un amendement du groupe socialiste, nous jouerons, en termes de contrainte, sur les aides publiques à la presse, ce texte se voulant avant tout – est-il besoin de le rappeler ? – dissuasif.

S’agissant de l’intime conviction professionnelle, merci, madame la ministre, d’avoir rappelé que cette disposition conventionnelle a été adoptée par la précédente majorité en 2009. Je fais référence dans mon rapport aux conditions historiques dans lesquelles l’intime conviction s’est inscrite dans notre droit sous l’Assemblée constituante, en 1791. Monsieur Kert, ne confondons pas 1791 et 1793 : j’ai presque eu l’impression que, dans votre intervention, vous faisiez l’hypothèse que l’intime conviction professionnelle avait pour objectif de faire tomber des têtes d’actionnaires. Tel n’est pas notre objectif. C’est encore moins notre ambition, laquelle serait du reste difficilement réalisable.

Vous avez évoqué une loi de méfiance ou une loi de circonstance. Nous voudrions tellement, au cours du débat sur les amendements, vous convaincre qu’il s’agit au contraire d’une loi de confiance, c’est-à-dire qui vise à susciter une plus grande confiance chez nos concitoyens à l’égard des médias et de ceux qui font le beau métier de journaliste. C’est également une loi d’urgence : comment nous reprocher de prendre l’initiative d’agir ? Nous serions coupables si nous nous cantonnions dans notre monde clos, sans voir ce qui se passe à l’extérieur. D’ailleurs, la représentation nationale a été directement interpellée sur la nécessité de légiférer en ce domaine.

Il y avait sans doute beaucoup d’autres solutions. Je remercie Isabelle Attard et Marie-George Buffet du petit ton taquin avec lequel elles ont évoqué l’initiative que j’avais prise avec le groupe socialiste lorsque je siégeais dans l’opposition, en 2010. En légiférant alors sur l’indépendance des rédactions, nous n’avions pas voulu traiter directement du cadre économique, qui est celui du développement des médias, puisqu’il existe des seuils anti-concentration, auxquels, évidemment, il est hors de question de toucher.

Qui dit régulation peut dire aussi autorégulation. Il est souvent fait référence à la nécessité de créer une instance indépendante en matière de déontologie de l’information. Cette instance existe d’une certaine manière à travers l’Observatoire de la déontologie de l’information – ODI –, qui réalise un travail de veille. Cet observatoire réunit à la fois des représentants des journalistes, des entreprises et des publics. Cette autorégulation ne doit pas nous priver du devoir de légiférer, lequel, en l’occurrence, est un devoir d’agir.

Cette proposition de loi ne résoudra évidemment pas tous les problèmes qui se posent à la presse. Nous sommes parfaitement lucides sur ce point. J’évoquais ce matin avec Éric Fottorino le très beau choix de sommaire que l’équipe rédactionnelle a fait pour le dernier numéro de l’hebdomadaire Le 1, dont le titre est : « Qui choisit l’info ? » C’est un domaine dans lequel l’intervention du législateur ne saurait résoudre les questions qui se posent aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade, premier orateur inscrit.

Mme Colette Langlade. Trois ans après avoir adopté ensemble des dispositions relatives à l’indépendance de l’audiovisuel public et à la nomination de ses présidents-directeurs généraux, nous sommes de nouveau réunis pour renforcer par la loi l’indépendance des médias et le travail des journalistes.

Je salue le travail de rapporteur mené par le président de la commission des affaires culturelles, Patrick Bloche, qui est à l’initiative de ce texte et qui a rencontré, ces dernières semaines, l’ensemble des acteurs concernés.

L’article 1er du texte représente une grande avancée pour l’ensemble des journalistes, puisqu’il étend la protection prévue pour les journalistes de l’audiovisuel public  par l’article 44 de la loi de 1986 relative à la liberté de communication. L’article 1er réaffirme ainsi le droit pour tous les journalistes de refuser de signer un article, une émission ou un contenu éditorial imposés par un intérêt particulier, au nom de leur conscience professionnelle. C’est une protection salutaire et nécessaire à une époque où nous assistons à la concentration des principaux médias dans les mains de grands groupes industriels.

Cette disposition est aussi une reconnaissance du caractère particulier de la protection de la profession de journaliste, dont le rôle, indispensable dans une démocratie, est d’informer, d’enquêter, de susciter la réflexion des citoyens et de remettre en cause l’ordre quand cela est nécessaire. Il est plus que nécessaire que ce travail, libre par essence, ne puisse être entravé ou orienté par des intérêts économiques et politiques.

L’enjeu de cet article, comme de l’ensemble des dispositions du texte, est de garantir l’accès des citoyens à une information libre et pluraliste. C’est la raison pour laquelle je voterai l’article 1er ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. À mon tour de rendre hommage à l’excellent travail du président Patrick Bloche. L’article 1er représente en effet une immense avancée et une forme de réparation d’une injustice : trente ans après que nous ayons protégé l’indépendance des journalistes de l’audiovisuel public, cette protection s’étend enfin aux très nombreux journalistes qui travaillent pour des groupes privés.

Le paysage médiatique de 1986 était très différent de celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Je le répète, ce n’est que justice d’étendre enfin cette protection, compte tenu des pressions d’actionnaires ou d’annonceurs, dont chaque jour de nouveaux épisodes alimentent la chronique. Qu’il s’agisse de la couverture d’une œuvre cinématographique comme Merci Patron ou d’un scandale comme celui qui a éclaboussé Volkswagen, de nombreuses pressions pèsent sur les journalistes. Je tiens donc à féliciter l’ensemble du groupe, et plus particulièrement l’auteur de cette proposition de loi, de cet article 1er.

J’ai toutefois un léger regret, celui d’y voir figurer la notion d’ « intime conviction professionnelle ». En effet, si nos collègues ont été nombreux à rendre hommage, du haut de cette tribune, aux magnifiques plumes de la Résistance, on ne saurait pour autant oublier qu’il existe aussi des journalistes qui s’appellent Robert Ménard ou Patrick Buisson. Je ne suis pas totalement sûre qu’ils partagent la même « intime conviction professionnelle » que les 36 000 détenteurs d’une carte de presse dans ce pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Martinel.

Mme Martine Martinel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, je tiens à souligner que cette proposition de loi n’est pas de circonstance, et que nous n’avons pas travaillé dans l’urgence, contrairement à ce qu’ont prétendu certains de nos collègues. Nous avons au contraire pris beaucoup de temps pour réfléchir et discuter. En revanche, comme Marie-George Buffet l’a fort bien rappelé, c’est une loi qu’on attendait urgemment : ce n’est en effet que justice d’accorder aux journalistes de la presse écrite les mêmes droits et les mêmes protections que ceux dont bénéficient les journalistes de l’audiovisuel – c’est l’objet de l’article 1er.

D’autant que cet article est enrichi par l’article 1er ter, qui fait consensus, sur la protection urgente et nécessaire du secret des sources.

Ce qui me chagrine, alors que nous sommes tous d’accord sur la nécessité de renforcer la liberté et l’indépendance des médias, c’est que d’aucuns voudraient en creux dessiner une nouvelle loi sur le rôle et les fonctions du CSA. Il ne faudrait pas, me semble-t-il, se tromper de débat. Nous débattons bien ce soir de la liberté et de l’indépendance des médias, ainsi que de la protection des journalistes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Madame la ministre, je suis ému : c’est la première fois que je m’exprime devant vous, et votre aura est si grande et vos premiers pas au Gouvernement si réussis !

Comme tous mes collègues, je suis très intéressé par ce texte, préparé par M. Bloche. Quel travail ! C’est bien de commencer à en parler entre nous, ici, à l’Assemblée nationale, puisque nul n’ignore que, parmi les élites les plus détestées, figurent, aussitôt après les politiques, les médias et la justice.

Je me demande comment notre pays a pu en arriver à un tel tableau : Vivendi et le groupe Canal Plus, Bouygues, Lagardère, Bertelsmann, le groupe Altice, sans oublier de plus petits : la BNP, qui détient tout de même Le Monde, Dassault qui détient Le Figaro, LVMH : on aboutit à 80%. Il reste bien entendu la télévision publique, qui est une télévision d’État : nous nous en rendons compte de plus en plus – nous l’avions déjà vu auparavant.

Certes, nous allons avancer dans la réflexion, mais comment s’attaquer à un problème aussi immense ? Quelqu’un aurait-il pu imaginer qu’un jour, en France, ce que nous avons de plus fort, de plus profond et de plus secret, l’information, soit précisément aux mains des plus grandes puissances financières ? Je connais, comme vous, de nombreux journalistes. Je connais leur intégrité et leur sincérité. Je sais que certains sont capables de tourner Merci Patron ou de refuser de signer tel ou tel texte ou tel ou tel reportage. Mais ils ne peuvent pas le faire plus d’une ou deux fois : ensuite, on leur fera comprendre qu’il ne faut pas insister.

Je trouve, d’eux à nous, une étrange ressemblance avec la volonté qui nous anime, nous, députés, de changer les choses, et ce que nous devenons lorsque nous nous retrouvons au sein de nos partis et de nos groupes. C’est un immense chantier, madame la ministre. Il est heureux que vous ayez envie de beaucoup y travailler. Je vous souhaite bon courage et vais, pour ma part, essayer de vous accompagner.

M. le président. La parole est à M. Jacques Cresta.

M. Jacques Cresta. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, que n’a-t-on entendu sur les dispositions de l’article 1er ! Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, nos collègues de l’UMP-Les Républicains n’ont pas eu de mots assez forts pour démontrer sa prétendue dangerosité – danger pour la ligne éditoriale, danger pour la liberté d’entreprendre –, prétendant que nous mettions en danger la liberté d’informer alors qu’il s’agit de faire le contraire.

Notre président-rapporteur a utilement rappelé, en particulier dans son excellent rapport, l’histoire de cette mesure appliquée à l’audiovisuel public dès 1983. Il a également rappelé que l’intime conviction bénéficie d’une histoire solide dans notre droit, répondant ainsi à des procès hypocrites en imprécision juridique. Je ne vous le cache pas, je suis surpris de l’opposition manifestée par nos collègues à ce sujet. En effet, c’est lors de l’examen de la réforme de l’audiovisuel de 2009, que nous l’avons intégrée dans la loi spécifiquement pour l’audiovisuel public. Et si cette disposition était issue d’un amendement des sénateurs socialistes, vous l’aviez, mesdames et messieurs de l’opposition, adoptée en commission mixte paritaire.

Certes, elle ne concernait alors que l’audiovisuel public. Or j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, pour la commission des affaires culturelles, du budget de l’audiovisuel public pour 2016 : aucun, je dis bien aucun des nombreux responsables que j’ai pu auditionner, ne m’a fait part d’une difficulté depuis l’inscription de cette disposition dans la loi en 2009. Il n’y en aura pas davantage après cet élargissement, n’en doutez pas !

Puis-je croire par ailleurs qu’il y ait deux éthiques journalistiques distinctes, la première pour les journalistes de l’audiovisuel public, la seconde pour tous les autres ? Ce serait d’autant plus absurde que ces journalistes, au cours de leur carrière, peuvent aisément circuler d’un secteur à l’autre. Vous l’avez compris, ce serait, de mon point de vue, l’honneur de la représentation nationale que d’adopter largement cette disposition symboliquement forte en faveur de la liberté d’informer.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Nachury.

Mme Dominique Nachury. L’article 1er étend à tous les journalistes le statut protégé dont les journalistes de l’audiovisuel public étaient les seuls à bénéficier. Je m’interroge d’abord sur les aspects concrets de cette protection.

Je m’interroge surtout sur la notion d’intime conviction, même qualifiée de professionnelle, et même fondée sur une charte déontologique grâce à l’adoption d’un amendement du groupe Les Républicains.

L’intime conviction est une méthode de jugement qui permet de prendre en compte l’acte à juger et la personne dans leur réalité, mais aussi dans leur subjectivité. J’ai relevé quelques phrases applicables aux jurés d’assises, qui figuraient dans notre ancien code d’instruction criminelle : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus ; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve. […] La loi ne leur dit point : "Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins" ; elle ne leur dit pas non plus : "Vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins ou de tant d’indices" […]. » Je répète donc mon interrogation quant à cette référence à l’intime conviction, même précisée comme dans le texte que nous examinons.

M. le président. Nous en venons aux amendements.

La parole est à M. Christian Kert, pour soutenir l’amendement n4, tendant à la suppression de l’article 1er.

M. Christian Kert. Monsieur le rapporteur, cet amendement ne vous étonnera pas : il est au cœur de notre discussion en commission. Comme je vous l’ai expliqué dans la discussion générale, nous avons souhaité le redéposer en séance.

Monsieur Cresta, j’ai bien entendu votre intervention, mais il ne faut pas oublier le but que nous poursuivions dans la loi de 2009 relative à la communication audiovisuelle : il s’agissait de mettre les journalistes de l’audiovisuel à l’abri d’éventuelles pressions de la part de l’exécutif. Un tel risque n’existe pas du tout dans la presse écrite, où les titres sont libres de leur engagement politique. Vous pariez que cela se passera aussi bien pour les journalistes de la presse écrite que pour ceux de l’audiovisuel public, mais vous devez être prudent – M. le rapporteur vous appellera d’ailleurs peut-être à cette prudence. Nous ne savons pas comment les journalistes réagiront.

Nous avons déposé cet amendement de suppression sans nous faire beaucoup d’illusions sur le sort que vous lui réserverez, monsieur le rapporteur. Mais il nous permet de redire notre inquiétude quant à votre volonté de généraliser à l’ensemble du secteur audiovisuel, y compris aux radios locales et à la presse écrite, un statut qui ne nous semble pas viable à l’identique. À notre sens, les dispositions que vous proposez jettent l’opprobre sur les comités de rédaction et sur les instances de gouvernance des entreprises de la presse écrite. Voilà pourquoi, monsieur le rapporteur, madame la ministre, nous vous faisons part de nos réticences à ce sujet.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Elle a donné, je dirais presque « naturellement », un avis défavorable à cet amendement, puisqu’il supprime la disposition socle de cette proposition de loi. Nous souhaitons assurer l’égalité entre tous les journalistes et leur permettre de bénéficier de dispositions dont seuls bénéficient aujourd’hui les journalistes de l’audiovisuel public.

Nous n’allons pas refaire le débat. La notion d’intime conviction professionnelle visée à l’article 1er n’est pas née de mon imagination législative, ni de celle du groupe socialiste, républicain et citoyen, qui a pourtant beaucoup d’imagination en de nombreux domaines ! En l’occurrence, la notion d’intime conviction professionnelle figure déjà dans la loi de 2009, que vous avez votée, chers collègues de l’opposition. Cela a été rappelé à plusieurs reprises. Dès lors que nous avions adopté, en commission, votre amendement adossant cette intime conviction professionnelle à la charte déontologique qui sera mise en place, pour chaque entreprise de presse, d’ici au 1er juillet 2017, je pensais que nous avions éclairé ce que l’on appelle communément la volonté du législateur.

Je le répète avec insistance : l’intime conviction professionnelle ne saurait remettre en cause ni la fixation de la ligne éditoriale d’un journal ou d’un média, ni bien sûr l’autorité du directeur de publication, lequel est responsable devant les tribunaux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Effectivement, cet article est au cœur de la proposition de loi que nous examinons ce soir : je ne peux donc pas être favorable à sa suppression.

Vous craignez, monsieur le député, que ce dispositif n’entraîne la création d’un contre-pouvoir éditorial au sein des rédactions. Je souhaite apporter deux précisions. D’une part, le code du travail comporte déjà un article protecteur sur les clauses de conscience, qui permet de régler les cas de désaccord réel entre la ligne éditoriale et la conviction professionnelle du journaliste. D’autre part, vous avez vous-même précisé, en commission, que cette intime conviction professionnelle devait reposer sur la charte déontologique de l’entreprise. Cela permet de répondre à votre inquiétude de voir une concurrence de pouvoirs éditoriaux se créer au sein des rédactions.

M. le président. La parole est à M. Yves Durand.

M. Yves Durand. Je comprends encore moins qu’en commission la position de nos collègues du groupe Les Républicains. Je ne vois pas pourquoi les journalistes de l’audiovisuel public et ceux qui travaillent pour des rédactions privées n’auraient pas un droit égal à invoquer leur intime conviction professionnelle, avec les verrous que vous avez d’ailleurs vous-mêmes instaurés, mes chers collègues.

Je suis encore plus surpris après avoir entendu l’intervention de Christian Kert. Notre collègue nous a expliqué que l’instauration de ce droit pour les journalistes de l’audiovisuel public visait à les protéger de pressions éventuelles de l’exécutif. Pense-t-il que ces pressions sont plus importantes que celles venant éventuellement de groupes économiques dont notre collègue Jean Lassalle a dressé la liste tout à l’heure ?

Cet amendement de suppression repose, pour le moins, sur une erreur d’appréciation. J’invite donc nos collègues à le retirer.

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Tant le rapporteur que les autres intervenants me paraissent ignorer que les journalistes de la presse écrite bénéficient d’une clause de conscience ou d’une clause de cession. La presse écrite n’est tout de même pas un désert en la matière !

Que vous le vouliez ou non, les méthodes de travail des divers médias sont différentes. Pourquoi vouloir appliquer les règles de l’audiovisuel public, qui ont certes peut-être bien fonctionné dans ce secteur, à la presse écrite, dont les journalistes n’ont pas du tout les mêmes préoccupations ni les mêmes méthodes de travail ? Il ne faut pas l’ignorer ! Vous pouvez nous répondre que vous souhaitez quand même le faire, dans un souci d’harmonisation et de cohérence, mais de grâce, n’évitez pas le débat, qui existe bel et bien !

Je le répète : les méthodes ne sont pas les mêmes. Le fait d’appliquer les mêmes règles à deux mondes de travail différents sera-t-il fructueux ? On peut le souhaiter, à tout le moins. Mais il n’existe tout de même pas d’exemples très flagrants de situations où l’indépendance d’un journaliste de presse écrite aurait été bafouée.

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert, pour soutenir l’amendement n5.

M. Christian Kert. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, on peut comprendre le souci d’indépendance qui s’exprime dans cette proposition de loi. L’alinéa 2 donne à un journaliste le droit de contester « la forme ou le contenu » d’un texte ou d’une émission. Sur le contenu, nous sommes tout à fait d’accord : il s’agit là d’un enjeu touchant à l’indépendance et à la liberté d’expression. Mais vous allez loin, monsieur le rapporteur, lorsque vous prévoyez qu’un directeur de publication ou des secrétaires de rédaction, qui mettent en page les contributions des journalistes, puissent ne pas avoir un droit absolu sur la forme qu’ils souhaitent. Je suis persuadé que les professionnels vous l’ont signalé. Il y a là un véritable problème : oui au droit de contester le contenu d’un article, non au droit de contester la forme quasi éditoriale adoptée par telle ou telle entreprise de presse !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je ne me souviens pas d’avoir été interpellé sur ce point précis lors des auditions, mais visiblement, monsieur le député, vous l’avez été.

Très sincèrement, il est aujourd’hui extrêmement difficile de distinguer la forme du fond. Dans la composition d’un journal, le choix de certaines images peut modifier la perception de l’écrit qu’elles accompagnent.

Même s’il n’y a eu aucun contentieux, depuis trente ans, sur la mise en œuvre de cette intime conviction professionnelle pour les journalistes de l’audiovisuel public – je le répète avec insistance –, je ne voudrais pas que l’on confie au juge du travail, qui sera le juge d’application du droit d’opposition créé par cet article 1er, le soin de départager la forme et le fond. Comment le ferait-il, d’ailleurs ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. J’irai dans le même sens que M. le rapporteur. On voit bien aujourd’hui comment le poids de certaines images, la mise en valeur de certains paragraphes ou le fait de sortir des mots ou des bouts de phrases, comme le font certains journaux, peut modifier pour les lecteurs le sens même de l’information qu’a voulu donner le journaliste. Il faut donc que celui-ci puisse aussi être préservé quant aux modifications de forme.

M. le président. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Je donnerai juste un exemple qui va éclairer nos débats. Dans mon département, un journal que je ne citerai pas est tenu par un sénateur très connu.

M. Yves Durand. Qui vend des avions ?

M. Michel Pouzol. Qui vend des avions, en effet. Cet hebdomadaire local a une particularité : les titres des articles sont écrits en noir, mais certains mots sont surlignés en rouge. Je me souviens de l’avoir ouvert un jour. Sur une double page, les mots qui apparaissaient en rouge étaient : « viol », « agression », « attaque », « main armée », « socialiste ». (Sourires.)

M. Patrick Bloche, rapporteur. Ça alors !

M. Michel Pouzol. L’effet était assez efficace. Croyez-moi : c’était de l’éditorial ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly