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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 21 mars 2016

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Élection de plusieurs députés

Mme la présidente. Le président de l’Assemblée nationale a reçu aujourd’hui une communication du ministre de l’intérieur l’informant que le 20 mars 2016 ont été élus députés : dans la deuxième circonscription de l’Aisne, M. Julien Dive ; dans la dixième circonscription du Nord, M. Vincent Ledoux ; et dans la deuxième circonscription des Yvelines, M. Pascal Thévenot.

2

Création, architecture et patrimoine

Deuxième lecture

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (nos 3537, 3583 rectifié).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les députés, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen en deuxième lecture en séance publique du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Après une première lecture à l’Assemblée et son examen par le Sénat, nous sommes tous pleinement conscients de ses enjeux.

Cette loi, au-delà des amendements et des dispositions dont nous allons discuter, affirme la spécificité de la culture et ce pourquoi elle requiert la protection du législateur. Le théâtre, le livre, le cinéma, le patrimoine, l’archéologie, l’architecture ou la chanson, toutes ces expressions du génie humain doivent être soustraites aux seules lois du marché ou du laissez-faire. Ce ne sont pas des commodités ni des marchandises.

Parce qu’il nous faut protéger leur diversité, rééquilibrer des rapports de force défavorables, garantir à la création des moyens d’existence, proposer une vision à long terme et prendre en compte la profondeur historique et la diversité de notre territoire, les arts viennent chercher la force de la loi.

Malraux a dit une chose très simple sur l’art : « C’est la seule chose qui résiste à la mort. » Gilles Deleuze a repris cette idée lors d’une conférence, où il disait ainsi : « Réfléchissez… Alors oui, qu’est-ce qui résiste à la mort ? Sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire […] : l’art, c’est ce qui résiste. D’où le rapport si étroit entre l’acte de résistance et l’art, et l’œuvre d’art », avant de conclure : « Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art bien que, d’une certaine manière, elle en soit. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance, et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est. »

Si cette définition de l’acte de création nous concerne aujourd’hui, c’est parce que nous sommes entrés dans une société où l’on constate qu’il est plus difficile de dialoguer, où la création, par nature transgressive, est parfois moins bien accueillie et où il est plus difficile d’être ensemble. Elle est pourtant l’un des derniers espaces où vivre cette relation à l’autre, l’un des derniers espaces légitime et capable de faire vivre ces liens.

Mesdames, messieurs les députés, je voudrais rappeler rapidement les principes de cette loi et son contexte.

Premier principe : protéger la liberté de création, de diffusion et de programmation. Pour autant, cette liberté n’est pas absolue et elle doit être conciliée avec d’autres principes fondamentaux, notamment le refus de l’incitation à la haine. Mais l’artiste, par nature, dérange, parce qu’il voit ce que l’on écarte et qu’il exprime ce qui est refoulé. Voilà pourquoi il faut protéger la liberté de création et de programmation. La défense de cette liberté va de pair avec la réaffirmation d’une politique de service public ambitieuse, notamment à travers des réseaux de structures labellisées par l’État, portées conjointement par celui-ci et les collectivités territoriales.

Second principe : promouvoir la transparence et la concertation dans les industries culturelles. La loi définit pour les industries culturelles les conditions de nouveaux équilibres, rendus nécessaires par de nouveaux usages et de nouveaux modèles économiques, en privilégiant la concertation, celle entre les organisations représentatives des éditeurs et des auteurs pour le livre, entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes pour la musique, mais également en portant attention aux rapports de force et à la nécessité de soutenir toujours l’auteur, le créateur.

Troisième principe : clarification, protection et responsabilité. C’est l’objet du volet sur l’archéologie préventive, le patrimoine et la richesse des métiers dans ce domaine. J’y reviendrai en détail.

Quatrième principe : innovation et expérimentation pour ce qui concerne l’architecture qui façonne notre quotidien.

Cette loi vient devant vous dans un contexte qui lui donne sens : un budget en augmentation pour la deuxième année consécutive, afin de soutenir la création artistique mais aussi l’accès de tous à la culture, notamment celui des enfants ; une attention constante à l’emploi dans ce secteur, avec la renégociation de la convention d’assurance chômage et le fonds pour l’emploi ; enfin, une volonté de mettre en œuvre une politique partenariale avec les collectivités territoriales qui font le choix de la culture.

Je me réjouis que la commission des affaires culturelles et de l’éducation de votre assemblée ait pu améliorer la rédaction de certains articles. Elle a sensiblement enrichi, sans le dénaturer, le texte transmis par le Sénat. L’article 2, issu des propositions du rapporteur, réaffirme le caractère de service public de la politique en faveur de la création artistique. Il valorise l’action culturelle et l’éducation artistique. Il y a là pour nous une responsabilité majeure.

L’article 3 consacre les labels comme un véritable outil de politique du spectacle vivant et renforce le maillage structurant que constitue le réseau issu des scènes de la décentralisation culturelle.

Le rétablissement de l’article 6 bis a permis, conformément au principe de neutralité technologique, de rétablir le régime de rémunération équitable, aujourd’hui applicable aux radios hertziennes, à l’ensemble des radios diffusées sur internet en flux continu. Je m’en réjouis.

S’agissant de la copie privée, le Sénat avait introduit une mesure qui permet d’assujettir à la rémunération pour copie privée les services de copies proposés par les éditeurs et les distributeurs de services de télévision. Il s’agit de leur permettre de moderniser leur modèle à l’heure des magnétoscopes numériques. Le travail en commission a permis de simplifier la réforme, en la ciblant sur le champ des redevables et en prévoyant une disposition conforme à l’esprit de la copie privée. Le dispositif ainsi adopté permet de la moderniser, tout en préservant le droit exclusif qui demeure le socle de la protection du droit d’auteur et des droits voisins.

S’agissant des articles relatifs aux obligations des chaînes de télévision en matière de financement de la création audiovisuelle, je me réjouis que votre commission ait supprimé les dispositifs introduits au Sénat. Tout en appelant notre attention sur le sujet, ils risquaient de faire échec, s’ils perduraient, au processus de renégociation des relations entre diffuseurs et producteurs. Il faut, en la matière, nous permettre de passer de la réglementation à la régulation.

La loi doit fixer les grands principes, tels que celui d’une contribution des chaînes à la production indépendante d’œuvres. Mais toutes les dispositions subséquentes, bien qu’elles prennent une forme réglementaire, doivent être autant que possible le fruit d’accords qui associent l’ensemble des syndicats de producteurs et d’auteurs aux différentes chaînes de télévision et aux autres diffuseurs. Les amendements adoptés en commission ont permis aux négociations en cours de reprendre sereinement, après les accords qui ont déjà été trouvés pour France Télévisions, en décembre 2015 et encore tout récemment pour Arte.

La nouvelle version de l’article 11 ter relatif aux obligations des radios en matière de musique permet de renforcer la diversité musicale. Elle rend les quotas enfin effectifs. En matière culturelle, suivre la demande est une erreur. Il faut développer l’offre et donner à tous les publics la possibilité de découvrir et d’aimer ce qu’ils ne connaissent pas encore.

Le dispositif proposé pénalise les radios qui diffusent un nombre très faible de titres et récompense celles qui, au contraire, prennent des engagements concrets en matière de diversité. Il introduit plus de transparence dans le contrôle et crée un régime adapté aux radios de découverte musicale. Celles-ci devront pour autant augmenter sensiblement leur programmation d’œuvres francophones.

Ce dispositif est à mon sens équilibré. Toutefois, j’ai entendu les interrogations exprimées par certains membres de la commission. Nous avons donc apporté des précisions quant aux modalités de mise en œuvre du mécanisme voté en commission et à son impact sur la diversité.

Les articles 17 et suivants confortent l’organisation des enseignements spécialisés. Ils renforcent les établissements d’enseignement supérieur artistique en bonne concertation avec l’enseignement supérieur général. Par ailleurs, ils confirment la création d’un Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche – CNESER – art et culture, véritable Parlement de nos écoles, dont les spécificités doivent être reconnues, notamment celle, majeure, d’avoir des artistes et des professionnels pour intervenants.

Sur l’archéologie préventive, votre commission a choisi de revenir à l’essentiel du texte de la première lecture – texte qui était issu d’amendements de votre commission et du Gouvernement. L’archéologie préventive nous permet de remonter le fil de notre histoire et d’un patrimoine qui est celui de l’humanité. Vous avez réaffirmé le rôle de l’État dans la maîtrise d’ouvrage scientifique de la politique publique de l’archéologie préventive, qui s’appuie sur des compétences multiples, tout en reconnaissant le rôle des services archéologiques des collectivités territoriales et celui des opérateurs privés d’archéologie préventive.

Ce texte me semble désormais bien équilibré. Il demeure au service de l’archéologie préventive, laquelle doit se construire en lien permanent avec les territoires, les élus et l’ensemble des aménageurs, mais sous le contrôle scientifique vigilant de l’État.

Sur la question des espaces protégés, élément central de la partie patrimoniale du projet de loi, nous touchons au but. Vous avez repris à votre compte le texte issu des travaux du Sénat, qui avait fait l’objet d’un accord du Gouvernement et des sénateurs. La fusion des trois types d’espaces protégés en une seule catégorie est désormais actée. Ce nouvel espace pourra bénéficier de deux niveaux de protection : un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine ou un plan de sauvegarde et de mise en valeur.

Je suis particulièrement heureuse que cet élément important rassemble une majeure partie des députés et des sénateurs. Je vous proposerai une appellation commune de ces espaces, sous la dénomination de « site patrimonial remarquable », après le débat qui a eu lieu en commission sur nos différentes propositions.

S’agissant des articles 26 et suivants, l’architecture doit être replacée au cœur de la construction du quotidien. Nous avons malheureusement trop souvent à déplorer son absence. Elle a trop longtemps été considérée comme superfétatoire. Le Sénat avait revu les articles en faveur de l’architecture d’une façon discutable, à mon sens. Si deux points majeurs ont été conservés – le seuil d’intervention de l’architecte et l’expérimentation –, plusieurs dispositions adoptées par l’Assemblée en première lecture avaient été supprimées. Votre commission les a rétablies. Je m’en réjouis, car nous devons développer la présence de l’architecture pour tout le monde et pour le cadre de vie de tous les jours, au-delà des seuls grands gestes architecturaux que nous apprécions aussi.

Dans le domaine du livre, les articles que nous allons examiner sont la traduction de dispositions souhaitées par les acteurs du secteur. Ils prévoient un rapport devant rendre compte au Parlement de l’avancement de la concertation sur l’amélioration des relations contractuelles entre les auteurs et les éditeurs. Celle-ci a d’ores et déjà bien progressé, sous le contrôle et l’œil vigilant du Gouvernement.

Par ailleurs, dans le prolongement du vote en première lecture, il était nécessaire de créer la possibilité pour l’auteur de résilier son contrat dans le cadre d’une procédure simplifiée ne nécessitant pas le recours au juge en cas de non-paiement de ses droits par l’éditeur.

S’agissant de l’examen général du texte en séance publique, le Gouvernement présentera quelques amendements. Sur la pratique amateur, afin de la valoriser dans le respect de l’emploi professionnel, je présenterai un amendement à l’article 11 A, que la commission a heureusement rétabli dans les termes votés en première lecture, pour préciser encore, s’il en était besoin, son cadre. Je le ferai à la lumière des dernières concertations qui ont été menées et qui permettent, je le crois, de proposer un texte équilibré dont l’application devra ensuite être précisée par décret.

Sur le droit de suite, une disposition a été introduite par le Sénat afin que les fondations puissent bénéficier d’un legs du droit de suite sur les œuvres des artistes. En commission, le Gouvernement a souhaité étendre le bénéfice de ce legs à tout type de personnes, là où le Sénat limitait cette protection à certaines fondations. Le Gouvernement présentera un amendement afin d’améliorer cet article, pour que les personnes qui ont la responsabilité de faire vivre l’œuvre d’un artiste, en veillant à sa diffusion ou à sa conservation par exemple, puissent bénéficier de façon adaptée des ressources qu’offre le legs du droit de suite.

S’agissant des espaces protégés, vous vous êtes prononcés en commission, de façon indicative, sur plusieurs propositions : site patrimonial protégé, site patrimonial remarquable, site remarquable et site patrimonial. Je me réjouis que l’appellation « site patrimonial remarquable » l’ait emporté. J’espère qu’elle vous conviendra ainsi qu’au Sénat. Ce nom rappelle qu’il s’agit d’une politique patrimoniale et non seulement d’un label ; en même temps, c’est un nom parlant, qui peut aussi être un vecteur d’attractivité, notamment touristique. Il conjugue l’esprit de protection avec la notion de site. Enfin, il nomme le patrimoine et le fait que les caractéristiques de celui-ci appellent la protection, et donc parfois aussi des contraintes, qui seront mieux comprises et donc acceptées. Le Gouvernement présentera les nombreux amendements nécessaires pour prendre en compte cette nouvelle appellation.

Mesdames et messieurs les députés, le texte est désormais entre vos mains. Je suis bien évidemment disposée à continuer à l’améliorer au fil du débat, mais je souhaite surtout, au nom du Gouvernement, que ce texte de loi prouve aux artistes, aux professionnels et à nos concitoyens que la représentation nationale porte indéfectiblement une ambition culturelle forte pour le pays. Je souhaite que le législateur s’en empare totalement, que tous les bancs de l’Assemblée montrent qu’ils partagent comme je le crois cette ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il me soit permis, avant tout, de rendre hommage à deux grands parlementaires qui ont tant contribué par leur engagement, souvent militant, à la grande loi pour la culture qui nous mobilise à nouveau aujourd’hui dans cet hémicycle : Jack Ralite et Yves Dauge.

Notre Assemblée est donc saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui a été adopté par le Sénat le 1ermars dernier. L’apport du Sénat à ce projet de loi s’est traduit par l’adoption de trente-sept nouveaux articles, dénotant une volonté réelle d’enrichissement du texte. Loin de s’opposer, sur chaque sujet, au travail réalisé par notre commission puis par notre Assemblée, le Sénat a adopté conformes trente articles, notamment l’article 1er relatif à la liberté de création. Il a apporté des modifications, souvent substantielles, à cinquante-cinq articles adoptés par notre Assemblée, dont certaines ont été conservées par notre commission quand d’autres ont nécessité des ajustements.

S’agissant des articles relatifs à la création artistique, la commission a, en premier lieu, simplifié la rédaction de l’article 1er bis relatif à la liberté de diffusion de la création artistique, sur le modèle de l’article 1er, et réécrit l’article 2 définissant les objectifs de la politique de service public en faveur de la création artistique, afin de retenir les apports déterminants des deux chambres. L’article 3, relatif à la politique de labellisation de structures dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques, a été réécrit par un amendement du Gouvernement consistant très largement en un retour aux équilibres retenus par l’Assemblée nationale en première lecture, tout en reprenant certains apports du Sénat, notamment les précisions relatives au rôle des instances de gouvernance des structures dans le choix de leur dirigeant ou de leur dirigeante.

La commission a par ailleurs rétabli deux articles supprimés par le Sénat – l’article 3 bis et l’article 4 B –, qui prévoyaient la production de rapports, l’un relatif à l’étude du dispositif dit de « 1 % travaux publics », l’autre à la mise en œuvre de l’ordonnance du 12 novembre 2014 sur le contrat d’édition.

En matière musicale, la commission a adopté à l’article 5 un amendement de Mme Isabelle Attard revenant à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture qui permettait d’associer les musiciens d’accompagnement aux résultats des exploitations non prévues et non prévisibles de leurs enregistrements. L’article 6 bis A, relatif à l’Observatoire de l’économie de la musique, a été réécrit à l’initiative du Gouvernement pour tenir compte des engagements pris dans le cadre de la signature du protocole dit « Schwartz ». L’article 6 bis, supprimé par le Sénat, a été réintroduit à l’initiative conjointe du Gouvernement et de Mme Isabelle Attard : il étend, au nom de la neutralité technologique, la licence légale aux radios diffusées en ligne en flux continu – couramment appelées « webradios ». Enfin, la rédaction de l’article 7, instituant un médiateur de la musique, a été modifiée par un amendement que j’ai présenté, sous-amendé par Mme Annie Genevard, afin de revenir aux équilibres du texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, tout en retenant l’articulation avec les compétences des autres instances de conciliation, introduite par le Sénat.

À l’article 8, relatif à l’exploitation des œuvres cinématographiques, cinq amendements du Gouvernement ont été adoptés pour clarifier les obligations du producteur dans la transmission des comptes de production et préciser le contenu des comptes d’exploitation ; des amendements analogues ont été adoptés à l’article 9 quater s’agissant de l’exploitation des œuvres audiovisuelles.

À l’article 16, relatif à l’observation du spectacle vivant, la commission a adopté quatre amendements du Gouvernement revenant à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, tout en introduisant la possibilité pour le ministère de la culture de conclure une convention avec ses établissements publics ou les sociétés de perception et de répartition des droits, SPRD, afin de mettre à leur disposition certaines des données visées par l’article.

En matière de propriété intellectuelle, la commission a adopté un amendement du Gouvernement rétablissant à l’article 7 bis, relatif à la composition de la commission de la copie privée, le « pôle public » que l’Assemblée nationale avait adopté en première lecture, tout en soumettant le président de la commission à l’obligation de communiquer une déclaration d’intérêts, comme l’avait souhaité le Sénat en première lecture. En matière d’études d’usage – article 7 ter –, j’ai souhaité revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.

À l’article 7 bis AA, la commission a adopté un amendement de rédaction globale proposé par M. Marcel Rogemont, encadrant le versement de la rémunération pour copie privée par les services d’enregistrement numérique à distance recourant à l’« informatique dans le nuage ».

À l’article 7 quater, relatif à l’utilisation des 25 % de la rémunération pour copie privée affectés au financement d’actions artistiques et culturelles, la commission a repris le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, tout en retenant l’obligation, introduite par le Sénat, de rendre public le nom des bénéficiaires des aides accordées – comme c’est le cas pour la réserve parlementaire.

La commission a par ailleurs décidé de supprimer, à l’initiative du Gouvernement, de Mme Isabelle Attard et de M. Lionel Tardy, l’article 10 quater qui créait un mécanisme de rémunération des photographes et plasticiens dont les œuvres sont référencées et utilisées, sans autorisation préalable, par les moteurs de recherche sur internet ; consciente de l’importance de légiférer sur ce point, elle n’a néanmoins pas souhaité que demeure dans le présent projet de loi une disposition sur laquelle nous avons convenu devoir retravailler.

En matière d’emploi artistique, la commission a adopté un amendement de Mme Marie-George Buffet à l’article 14, complétant la liste des artistes du spectacle par la profession de réalisateur. Elle a par ailleurs réécrit l’article 14 D afin de définir une qualité de « salariés des métiers d’art » ne remettant pas en cause le caractère indépendant de l’activité des artisans ; je vous proposerai une nouvelle rédaction répondant, je l’espère, plus parfaitement à l’objectif visé. La commission a par ailleurs supprimé, à titre conservatoire, les quatre articles introduits par la commission de la culture du Sénat en matière de production audiovisuelle – articles 10 quinquies à 10 octies – afin de ne pas perturber les négociations en cours entre les acteurs concernés.

S’agissant de l’enseignement artistique spécialisé et de l’enseignement supérieur de la création artistique et de l’architecture, la commission a supprimé le rôle de chef de file de la région sur la question des conservatoires. Son rôle est néanmoins reconnu dans l’organisation et le financement des classes préparatoires. Pour ce qui est des écoles d’architecture, la commission a rétabli plusieurs missions supprimées par le Sénat, dont leur participation aux écoles doctorales. En matière de droits d’auteur à nouveau, le Sénat avait souhaité permettre le legs du droit de suite, aujourd’hui prohibé, aux seuls musées de France et associations et fondations culturelles. Estimant qu’une réécriture était souhaitable au regard de notre Constitution, la commission a adopté un amendement permettant aux auteurs des arts graphiques et plastiques de léguer leur droit de suite à toutes les personnes qu’ils souhaitent. Je remercie également le Gouvernement d’avoir repris dans son amendement ma proposition d’introduire la possibilité que le droit de suite en déshérence puisse alimenter la prise en charge d’une fraction des cotisations dues par les auteurs des arts graphiques et plastiques au titre de la retraite complémentaire.

Dans le domaine du patrimoine culturel, force est de constater que le consensus qui a pu émerger sur d’autres sujets a été rompu à propos de l’archéologie préventive, le Sénat ayant modifié radicalement les dispositions de l’article 20. C’est donc en toute logique qu’à l’initiative de Mme Martine Faure, la commission est revenue, sur plusieurs points, à l’esprit du texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, tout en y apportant des améliorations. Ainsi, des possibilités de dérogation à la spécialité territoriale ont été prévues pour l’habilitation dont bénéficieront les services archéologiques des collectivités territoriales. Le contrôle scientifique et technique de l’État sur la mise en œuvre des opérations de fouilles a été rétabli, moyennant deux évolutions : le contrôle préalable des offres donnera lieu à une évaluation et non plus à une notation, et le recours à la sous-traitance sera soumis à une déclaration préalable et limité aux prestations à caractère scientifique. Enfin, les dépenses engagées au titre de fouilles archéologiques ont de nouveau été exclues du champ d’application du crédit d’impôt recherche.

En ce qui concerne les dispositions relatives au patrimoine bâti, la commission a apporté certaines modifications au texte issu du Sénat, sans en bouleverser les principaux apports. Le serment de Figeac a été respecté, madame la ministre !

En matière d’architecture, la commission a estimé nécessaire de rétablir les articles que notre Assemblée avait adoptés en première lecture, et que le Sénat n’avait pas souhaité faire siens. Elle a ainsi rétabli les articles 26 bis, relatif au dispositif dit de « 1 % artistique » et 26 quaterdecies, sur les marchés de conception-réalisation, exploitation ou maintenance – CREM. Elle a modifié, à l’initiative du Gouvernement, l’article 26 quater, afin de rétablir le recours explicite à l’architecte dans le cadre des demandes de permis d’aménager relatives à des lotissements. La commission a en outre rétabli l’article 26 sexies relatif au concours d’architecture, en y incluant les maîtres d’ouvrage privés et en indiquant explicitement que les maîtres d’ouvrage soumis à la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée – dite loi MOP – devaient recourir à la procédure de concours, dans des conditions fixées par décret. La commission a souhaité rétablir l’article 26 duodecies afin de permettre aux autorités compétentes pour délivrer les permis de construire de déroger aux conditions et délais fixés par un décret en Conseil d’État lorsqu’un architecte a élaboré le projet architectural sans obligation légale.

La commission a par ailleurs rétabli les ordonnances prévues aux articles 28 et 30, dans un champ toutefois restreint pour la seconde. Elle a également jugé opportun de modifier les dispositions de l’article 33 bis A, relatif à l’installation d’éoliennes, afin de substituer à l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France un avis simple de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture ; nous reviendrons sans doute à cette question dans le débat. Enfin, à l’article 40, la commission a adopté un amendement assurant une entrée en vigueur différée des dispositions de l’article 33 du projet de loi relatives à la publicité aux abords des monuments historiques.

Je souhaite remercier nos collègues de la commission pour l’esprit de consensus qui a animé nos réunions la semaine dernière, nous amenant à adopter des amendements venant de tous les groupes politiques. J’espère vivement – et je suis sûr – que le même esprit régnera également sur tous ces bancs durant les trois jours à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Madame la ministre, je ne m’appesantirai pas sur la situation singulière qui nous conduit à examiner, en deuxième lecture, ce texte voulu par une précédente ministre, laissé en déshérence pendant presque deux ans, repris par votre prédécesseure, et que vous aurez la charge un peu ingrate de conduire à son terme. De tous les textes examinés, aucun n’a subi un parcours aussi chaotique : le présent projet de loi en voit sa crédibilité affaiblie, d’autant qu’avec de tels délais, la curiosité et les attentes du monde culturel et politique s’en sont trouvées aiguisées.

Je n’aurai pas la cruauté de rappeler les commentaires peu amènes qui ont été portés sur ce texte, jugé par beaucoup hétéroclite et décevant, nommé par un acronyme peu heureux « LCAP », examiné à chaque lecture dans une urgence incompréhensible au regard de la longueur de sa gestation, malgré le sérieux dont les uns et les autres ont pu faire preuve pour en garantir un examen le plus attentif possible, sous la conduite du président Patrick Bloche qui a endossé, pour la cause culturelle qui nous anime tous ici, le rôle de rapporteur.

Il y a eu peu de textes culturels depuis le début du quinquennat. Ce sera peut-être le dernier : c’est dire s’il porte une lourde responsabilité ! C’est sur la base de ce texte que l’on réclamera au Président Hollande le bilan culturel de son quinquennat. D’aucuns prétendent d’ailleurs, madame la ministre, que votre rôle est précisément de tisser des liens, même tardifs, avec les artistes, un peu oubliés et dont un candidat à la présidentielle ne saurait se passer. Ainsi votre fonction serait-elle plus politique que culturelle. Comme vous ne vous êtes pas vraiment exprimée sur votre conception de la culture et de votre rôle à la tête de ce magnifique ministère, il est difficile de trancher le sujet.

Mais venons-en au texte.

Les premiers articles ont tenté de donner le souffle et la profondeur qui siéent généralement à la noblesse du sujet. Vous l’avez rappelé en commission : ce texte affirme trois libertés, celle de la création, celle de la diffusion et celle de la programmation.

Vous avez motivé la nécessité d’affirmer dans la loi ces trois libertés par le fait qu’elles seraient menacées dans notre pays. N’avez-vous pas un peu grossi le trait, plaçant ainsi le ministre dans le rôle du chevalier blanc au secours d’une cause à laquelle chacun souscrit ici et qui peut néanmoins nourrir un débat qui n’a pas vraiment eu lieu ? La création est-elle vraiment menacée dans notre pays ? Je ne crois pas que la décision stupide de repeindre une sculpture contemporaine sans l’avis de son créateur, à Hayange, ni que la dégradation regrettable de deux œuvres que leurs auteurs ont voulues volontairement provocatrices, installées à Versailles et sur la place Vendôme, puissent nourrir le soupçon que la création courrait un grave danger dans notre pays. J’ajoute qu’elle est à ce point libre que rien ni personne ne semble pouvoir empêcher la violence haineuse contre notre pays dans certaines chansons, violence qui révulse mais dont la condamnation, vite réprimée, attire immédiatement le soupçon d’entrave à la création.

De même, je ne crois pas que la diffusion soit particulièrement menacée dans notre pays. Elle est même particulièrement libre. Savez-vous par exemple, madame la ministre, que certains livres disponibles dans une grande enseigne culturelle vantent les mérites de la guerre sainte ? Pendant que les politiques luttent contre l’islam radical, des livres appelant au djihad sont toujours vendus dans ces magasins. Interpellé, le ministre de l’intérieur expliquait qu’il n’avait pas les moyens juridiques pour interdire de tels ouvrages disponibles, je le répète, dans un lieu dévolu à la culture. Cette enseigne se justifie en disant qu’elle ne peut se substituer aux pouvoirs publics et que l’on ne peut censurer une œuvre, quelle qu’elle soit, sans s’exposer à un procès perdu d’avance. Vous voyez que la question est complexe et qu’à l’impuissance d’empêcher la diffusion de tels messages de l’un répond celle de l’autre.

Sur cette question de la liberté de diffusion et de programmation, certaines de vos déclarations officielles auraient pu être versées au débat lors de nos travaux en commission. Vous avez pris des positions intéressantes sur la réforme de la classification des œuvres cinématographiques.

Votre prédécesseure avait décidé – chose rare ! – de valider l’interdiction aux mineurs du film Salafistes en raison de l’extrême violence de certaines scènes, suivant en cela l’avis de la commission de classification. Vous avez décidé de revoir les prérogatives de ladite commission pour en conforter les choix, parfois très exposés à des recours juridiques. Certes, l’usage abusif du recours doit être réprimé, mais la possibilité de faire recours contre une décision publique n’est-elle pas un des fondements de toute démocratie ? Par ailleurs, le recours contre les conditions d’exploitation d’une œuvre, et non contre l’œuvre elle-même, est-il toujours infondé ? L’annulation du visa d’exploitation de La Vie d’Adèle, conduisant à l’interdiction du film aux spectateurs de moins de 16 ans, est, aux dires du réalisateur Abdellatif Kechiche lui-même, « plutôt saine ». Connaissant votre expertise sur le cinéma, il aurait été intéressant, madame la ministre, de vous entendre sur ces sujets qui touchent très directement à la question de la liberté de diffusion.

Je voudrais, madame la ministre, évoquer un autre sujet qui n’est finalement pas si éloigné du précédent. Il est d’autres dangers qui menacent aujourd’hui assez directement les créateurs et ceux qui diffusent leurs œuvres, qui les exposent, qui les font vivre et exister auprès des publics. Je veux parler de la baisse drastique des dotations aux collectivités.

Nous sommes, en ce moment, occupés à voter nos budgets, et les mauvaises nouvelles en la matière pleuvent tous les jours : baisse de la dotation globale de fonctionnement – jusqu’à 40 % en quatre ans, tout de même ! –, augmentation de la péréquation dans des proportions déraisonnables qui vont essorer les contributeurs, suppression des compensations, augmentation des charges – celle du point d’indice, par exemple, est un coup supplémentaire porté à nos communes alors qu’elle représente un gain ridicule pour les agents.

Bâtir des budgets équilibrés tout en protégeant nos dépenses d’intervention, dont celles de la culture, est un véritable casse-tête. Tout cela va obliger les villes à comprimer leurs dépenses : ici, on annonce que le périscolaire, souvent dédié à l’éducation artistique et culturelle, va devenir payant, tandis que là, on abandonne un festival du livre devenu trop coûteux au regard des compétences socles que le département doit assumer… À droite comme à gauche, on s’interroge et on arbitre des choix douloureux. Le maire d’une ville accueillant un grand festival de théâtre, de votre sensibilité, n’a-t-il pas diminué le budget d’une manifestation pourtant mondialement reconnue ? Vous voulez encourager l’ouverture des médiathèques le dimanche, mais qui paiera, alors que 20 % des petites villes envisagent de réduire leurs crédits consacrés aux médiathèques ? Les baisses d’investissement vont jusqu’à 30 % et concerneront immanquablement aussi la culture. Penser que les créateurs et les diffuseurs de culture n’en seraient pas affectés serait un aveuglement.

Sur ces sujets, vous ne pouvez pas rester silencieuse, madame la ministre. Après avoir injustement stigmatisé les collectivités locales, votre prédécesseure avait fini par reconnaître que, sans elles, nous ne pouvons rien faire. Aussi est-il particulièrement injuste d’avoir rejeté l’un de nos amendements disposant que l’État reconnaît le rôle et la contribution culturels des collectivités. Il ne faut jamais ignorer ceux dont on a besoin. En effet, vous citez les collectivités à l’article 2, mais mention ne vaut pas reconnaissance. Nommer les choses ne suffit pas davantage à leur donner corps. Ainsi en est-il, à l’article 2, de l’équité territoriale et de l’égalité des territoires, qui ne sont d’ailleurs pas des notions exactement équivalentes.

Des failles culturelles existent dans notre pays – les travaux de l’Inspection générale des affaires culturelles, l’IGAC, en attestent –, et pourtant, on ne peut pas dire que ce projet de loi vise à les réduire. Cela aurait pu être une des ambitions de ce texte, une belle ambition. Je dois toutefois à l’honnêteté intellectuelle de me réjouir que le département des études de votre ministère actualise l’enquête nationale sur les dépenses culturelles des collectivités avec une innovation que je salue, pour l’avoir réclamée depuis plusieurs années, à savoir la prise en compte des communes de moins de 10 000 habitants.

La culture s’incarne dans les créateurs et leurs œuvres, bien sûr, mais aussi dans les territoires. Or ils sont cruellement absents de votre texte.

S’agissant de la politique des labels, qui sont « le fondement même » – je vous cite – de l’action de votre ministère, le Sénat a ouvert un débat intéressant que vous avez trop vite refermé, madame la ministre. Vous le savez : des voix s’élèvent pour vous inviter à explorer d’autres dispositifs.

Il ne s’agit pas de supprimer les labels. Ils ont fait leurs preuves lorsqu’il fallait aménager culturellement le territoire. Les structures labellisées sont nombreuses, mais elles absorbent des budgets importants ; en ces temps de difficultés probablement durables, je doute que vos partenaires et vous ayez des opportunités de labelliser beaucoup de nouvelles structures. Le marché est mature, si je puis dire. Il y a aussi des raisons artistiques qui inviteraient à renouveler l’approche de ces questions : le label consacre des disciplines qui ont bien sûr toute leur légitimité, mais la création explore aujourd’hui des expressions artistiques qui croisent les disciplines et les fécondent mutuellement.

Pour ces raisons, et sans renier ce que les établissements labellisés apportent à la politique culturelle de notre pays, la piste du conventionnement ouverte par le Sénat, plus souple et attachée à un projet plus qu’à une structure, paraît mieux à même de soutenir les jeunes talents, les créateurs et les compagnies.

Je voudrais maintenant évoquer l’amendement que vous avez présenté pendant l’examen du texte en commission concernant les quotas de chansons d’expression française. Cela fait partie de l’exception culturelle dont notre pays est légitimement fier. Les quotas sont à la chanson d’expression française ce que le prix unique est au livre – une grande loi que celle du prix unique du livre ! Il n’est pas indifférent que l’une de vos premières décisions revienne sur une politique qui a vingt ans mais qui a surtout fait ses preuves, permettant à la France d’avoir une production locale particulièrement riche et dynamique. De plus, vous nous avez dit que cette négociation avait été conduite quelques heures avant la présentation de l’amendement. Cette précipitation n’est pas de bonne politique, et nous espérons que vous reviendrez sur ce point. C’est l’une des motivations de notre rejet de ce projet de loi.

D’autres points méritent d’être clairement dénoncés : ce sont les dispositions que vous avez prises concernant l’archéologie préventive. Le président-rapporteur a eu l’honnêteté de dire qu’il s’agissait de rétablir au bénéfice de, l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, par toutes sortes de complications imposées aux autres opérateurs, un monopole…

M. Patrick Bloche, rapporteur et plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. C’est faux !

Mme Annie Genevard. Le président-rapporteur a même dit qu’il fallait assumer ce mot.

M. Patrick Bloche, rapporteur. C’est faux ! J’ai parlé d’un monopole pour les recherches sous-marines.

M. Michel Pouzol. Ce n’est pas tout à fait la même chose !

Mme Annie Genevard. De fait, cela conduira à rétablir un monopole dont nous contestons précisément la légitimité, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, les autres opérateurs, publics ou privés, sous le contrôle sourcilleux de l’État, font un bon travail. L’emploi, qui y est conséquent, est menacé par votre projet.

Ensuite, l’INRAP doit améliorer la qualité de sa gestion, comme l’a démontré la Cour des comptes. Lui redonner de fait un monopole nous fait-il prendre le chemin de la vertu gestionnaire ? Nous ne le croyons pas.

Enfin, il y a le volet patrimonial. C’est là un point capital, le plus exposé à la critique, et vous avez en partie fait machine arrière. Nous avons un curieux sentiment de soulagement, parce que certaines dispositions ont été heureusement abandonnées, mais enfin… Tout ça pour ça ! Il demeure des points de fragilité et d’inquiétude. Après le vote de ce projet de loi, le patrimoine sera-t-il plus et mieux protégé ? À l’évidence, non.

Cette loi est-elle la grande loi culturelle du quinquennat ? Nous ne le pensons pas. Certes, elle est large et embrasse de nombreux domaines, mais elle en néglige aussi. Elle revient inutilement sur des dispositifs qui fonctionnaient et ne renouvelle pas ceux qui mériteraient sans doute de l’être. C’est une loi parce qu’il fallait en faire une. Elle satisfera les ennemis des éoliennes et les amateurs de moulins. Elle rassurera ceux qui sont plus soucieux des nobles principes, du reste déjà en vigueur, que de la réalité et des conséquences de leur application. Elle ne résistera sans doute pas à l’épreuve du temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Audrey Azoulay, ministre. Je m’interroge d’abord sur un point : il me semblait que les motions de rejet préalable devaient porter sur des points juridiques touchant à la constitutionnalité du texte. Or, madame Genevard, vous avez simplement effectué un réquisitoire sur l’ensemble de la politique culturelle et sur certaines dispositions du projet de loi. Certes, vous avez tout le loisir de le faire. Mais je ne voudrais pas anticiper sur la discussion des articles.

Je dirai juste quelques mots sur les points essentiels, pour ne pas fatiguer votre assemblée.

Vous estimez qu’il n’y a pas de tensions, pas de menaces sur la liberté de création, de diffusion et de programmation. Je crois que nous devons être lucides et bien voir ce qui se passe dans le pays : il existe des menaces – j’en tiens une liste à votre disposition. C’est d’ailleurs pour cela que cette disposition a été adoptée par la majorité sénatoriale, dont l’analyse était différente de la vôtre. Il faut donc prendre cette question tout à fait au sérieux.

Vous avez aussi évoqué divers éléments qui ne figurent pas dans le texte de loi, mais je vais y revenir.

Tout d’abord, s’agissant de la réforme de la classification, vous avez dit qu’elle visait à supprimer la possibilité de recours. Si tel était le cas, ce serait en effet un argument juridique sérieux à faire valoir. Mais ce n’est absolument pas le sens ce cette réforme : il s’agit de redonner pleinement à la commission de classification des films les moyens juridiques de juger œuvre par œuvre sans être soumise systématiquement à la décision du juge comme c’est actuellement le cas selon les critères actuels. Encore une fois, il ne s’agit pas de priver les personnes concernées de recours mais de donner à cette commission où tous les intérêts sont représentés pleine compétence en ce domaine.

Vous avez évoqué les médiathèques et la volonté du Gouvernement de les aider à pouvoir ouvrir le dimanche, indiquant que les collectivités locales n’en avaient pas les moyens. Mais la réforme mise en place et qui va être opérationnelle dès cette année vise justement à ce que l’État accompagne financièrement celles qui font ce choix. Il s’agit de favoriser, ce dont vous pourriez tous vous féliciter, l’accès à ces lieux de culture, les premiers lieux de proximité et d’égalité des chances, à tous nos concitoyens.

S’agissant du budget de l’État et de celui des collectivités locales dans le domaine culturel, il faut se réjouir que le budget du ministère de la culture soit pour la deuxième année de suite en augmentation et que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République maintienne et réaffirme la compétence partagée des divers niveaux de collectivités ; nous allons voir lors de l’examen du texte comment vont s’articuler leurs compétences à travers les conférences territoriales de l’action publique, leurs commissions thématiques et leur ordre du jour.

Nous allons pouvoir, madame la députée, aborder point par point, dans la suite de la discussion, les sujets que vous avez évoqués tout à fait légitimement.

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Madame Genevard, je n’ai pas bien compris en quoi vos arguments justifiaient une motion de rejet préalable.

M. Éric Woerth. Ce n’est pourtant pas compliqué !

Mme Marie-George Buffet. Vous avez souligné le fait que nous avons longtemps attendu cette loi sur la liberté de création. Raison de plus pour ne pas en retarder encore l’examen ! En première lecture, nous avons énormément travaillé en commission pour améliorer un projet de loi qui était, c’est vrai, très décevant dans sa rédaction initiale par son champ et par son manque d’ambition. Le travail accompli tout au long de ces dernières semaines, et qu’a rappelé notre rapporteur, a de plus permis de donner à ce texte une dimension nouvelle qui répond à l’attente de très nombreux acteurs et actrices du monde de la culture.

Vous avez semblé douter que la question de la liberté de la culture se pose en France tout en évoquant deux œuvres qui ont été endommagées. Et puis des films ont été censurés, et pas loin de chez nous, au sein même de l’Union européenne, un gouvernement se permet de s’en prendre aux médias publics parce qu’ils ne sont pas à sa disposition. On pourrait citer d’autres exemples, mais il n’y a pas de hiérarchie à faire en ce qui concerne les atteintes à la liberté de création. Dans chaque pays, y compris en France, il faut être vigilant. Ce projet de loi a raison d’affirmer que la création est libre. Il est urgent de l’appliquer, il ne faut pas retarder sa mise en marche car quand il sera définitivement voté, on aura ainsi donné non seulement des garanties aux hommes et aux femmes de culture mais à l’ensemble des citoyens et des citoyennes attachés à la démocratie et à la liberté.

J’ajoute que l’article 2 ne consiste pas seulement en des déclarations : il définit le rôle de l’État, de ses services centraux et déconcentrés ainsi que celui des collectivités au regard de la culture. C’est extrêmement nécessaire parce que parfois, à force de réduire les dépenses publiques, qui sont pourtant des investissements humains très importants, on oublie les missions et le rôle dévolus à l’État. Ce texte les réaffirme et les députés du Front de gauche voteront donc contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Michel Pouzol. Mes chers collègues, j’ai moi aussi du mal à trouver des raisons à cette motion de rejet préalable. Selon vous, madame Genevard, la culture, le patrimoine, l’acte même de créer ne seraient pas en danger. Or ils le sont, et partout, pas seulement là où les extrémistes et les obscurantistes se battent. Comment nous serions-nous rassemblés aussi fortement autour de la liberté d’expression et de création aux lendemains des attentats de Charlie si c’était pour trouver aujourd’hui anecdotiques les attaques répétées que les artistes et leurs œuvres ont dû subir ces derniers mois, chez nous comme dans l’ensemble de l’Europe ? Le danger pour la création existe. Il vient entre autres du fait que de plus en plus nombreux sont ceux qui, dans nos territoires, pour faire face aux difficultés, font de la culture un simple facteur d’ajustement budgétaire. C’est une question de choix. Nous en faisons tous en politique. Réduire le budget de la culture quand les choses vont mal, c’est un choix politique fort qui a une portée citoyenne. Plus que jamais, il est de notre devoir de réaffirmer en ce domaine notre vision, pas une vision qui date de cette législature, mais une vision historique, nationale, et qui a conduit de nombreuses nations à reconsidérer, à notre exemple, l’apport de l’art, de la connaissance et de la culture à leur propre identité.

Oui, je pense que ce projet de loi est fondamental et qu’il arrive au bon moment, quand nous en avons le plus besoin collectivement. Ceux qui s’opposent partout dans le monde à la création, à la diversité, à la préservation de nos patrimoines l’ont bien compris : notre diversité culturelle, notre modèle artistique, est une arme, et il faut réaffirmer dans cet hémicycle que nous ne désarmerons pas mais que nous allons au contraire le renforcer.

Nous reviendrons dans nos débats sur ce que vous avez dit sur l’archéologie préventive, mais je vous rappelle qu’il s’agit de mettre en place des outils équilibrés.

De même, nous allons mettre en œuvre un vrai projet pour l’architecture, un vrai projet pour la musique, un vrai projet pour l’ensemble des artistes qui œuvrent dans ce secteur important, non seulement culturellement mais aussi, comme nous le disons depuis plusieurs années, économiquement.

Ce texte de loi est la conclusion de plusieurs travaux que nous avons menés au sein de la commission, qu’il s’agisse de l’intermittence, du droit à la copie privée, des négociations sur les accords Schwartz ; il en est le point d’aboutissement, plus que jamais fondamental. C’est pourquoi notre groupe ne votera bien entendu pas cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical et citoyen. Quel talent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Nachury, pour le groupe Les Républicains. Je rappelle que la durée des explications de vote est de deux minutes et non de trois.

Mme Dominique Nachury. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, Annie Genevard a excellemment démontré les raisons qui fondent cette motion de rejet. Il s’agit notamment de ce qui manque dans le texte, dont le souffle, la ferveur – « Nathanaël, je t’enseignerai la ferveur » –, et puis, plus prosaïquement, de l’aspect financier. Il aurait de surcroît pu être plus précis et plus ambitieux. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce que nous ne pouvons pas suivre, mais la raison essentielle de cette motion de procédure est que nous avons une autre idée de ce que devrait être une grande loi sur la culture. Les députés du groupe Les Républicains voteront donc en faveur de la motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Gilda Hobert. Je n’avais pas prévu de prendre la parole tant il me semblait évident qu’il fallait poursuivre notre travail pour enfin aboutir… Oui, il faut absolument affirmer la liberté de création car nous savons qu’elle est menacée autour de nous et qu’il faut rester vigilants. On a beaucoup avancé lors de nos travaux en commission sur la notion de protection du patrimoine et sur les outils supplémentaires dont disposera l’archéologie préventive. Et puis alors qu’il est question d’une école inclusive, je rappelle que le texte prévoit d’inclure de nouvelles pratiques culturelles à l’école et dans la pratique scolaire. Nous devons défendre et mettre en avant les artistes et le spectacle vivant. Dès lors, évidemment, le groupe RRDP ne votera pas cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maina Sage, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Maina Sage. Même si ce texte manque à notre sens d’ambition et de vision, il traite néanmoins de sujets très attendus par les professionnels de tout le secteur culturel. Nous ne serons donc pas favorables à la motion de rejet. En revanche, pourquoi pas un renvoi en commission pour encore affiner le texte et permettre d’aller au bout des propositions déjà étayées en première lecture puis en commission ?

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et rapporteur, mes chers collègues, face à l’horreur des attentats de 2015, face à la vague de barbarie et de sang qui a éclaboussé notre République, nul d’entre nous sur ces bancs, qu’il soit de gauche ou de droite, ne doute que la première des réponses sera culturelle. La culture est l’antidote à la haine aveugle parce qu’elle nous apprend à respecter l’autre dans sa différence. Tous les artistes de France, musiciens, plasticiens, hommes et femmes de théâtre, cinéastes, écrivains, tous les responsables éducatifs et culturels ont ainsi ressenti une nouvelle responsabilité vis-à-vis de ces jeunes fascinés par une idéologie perverse et sanguinaire.

Dans les premiers mois de son quinquennat, le Président de la République, se rendant au festival d’Avignon, en quête d’un grand projet culturel, déclara : « Je recherche cette grande idée qui devra être partagée, ce n’est pas simplement une volonté présidentielle, cela doit aussi être l’occasion d’un rassemblement large […] qui doit marquer un mandat. » Mais ce grand projet ne devait pas être simplement un grand équipement… Il n’est plus besoin de chercher ni une grande idée partagée, ni comment provoquer de larges rassemblements. Pourtant, des millions de Français sont descendus dans la rue pour témoigner de leur attachement à leurs valeurs communes quand des dessinateurs et des amateurs de musique ont été lâchement assassinés.

Le texte de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture est une occasion ratée. Dans la gravité du moment, elle porte en elle un vice originel : née de la fusion de deux projets de loi, l’un sur la création, l’autre sur le patrimoine, le projet de loi « CAP » est devenu, au fil de trois années d’atermoiements, la loi sans cap, un catalogue disparate, touffu de réponses à des revendications sectorielles. Il fallait un texte de communion nationale ; nous avons un texte sans âme, un texte dont l’extrême complexité, sans égale dans l’histoire du ministère de la culture, aurait nécessité, pour que les députés fassent au mieux leur travail, un temps d’auditions et d’approfondissement important. Hélas, il n’en fut rien. Certes, je tiens à souligner la qualité du travail de notre rapporteur, Patrick Bloche, de son écoute comme de sa connaissance de la palette des actions du ministère, mais nous ne saurions passer sous silence qu’en première lecture, toutes les auditions et l’examen du projet en commission se seront déroulés en période de vacances parlementaires, et qu’en deuxième lecture, alors que le texte a été largement remanié par le Sénat, les temps laissés pour le dépôt des amendements ont été des plus réduits.

Pire encore, plusieurs amendements importants nous ont été carrément présentés en commission. Et surtout, l’absence de toute étude d’impact sur des sujets particulièrement complexes, aux conséquences difficilement prévisibles, constitue une prise de risque réelle que nous regrettons.

Madame la ministre, dans de telles conditions, vous n’avez pas la partie facile. Il m’aurait été agréable, au moment de votre arrivée dans vos fonctions, de vous faire part de notre satisfaction. J’ai en effet la conviction chevillée en moi depuis de longues années –depuis que j’ai présidé la Fédération nationale des élus à la culture, ce bel exemple de groupe de réflexion et d’étude, fondé par Jacques Duhamel et Jack Ralite – que la culture dépasse souvent les frontières des engagements partisans. Je connais également, madame la ministre, votre engagement sincère pour la culture ainsi que la qualité de votre travail au Centre national du cinéma et de l’image animée.

Plusieurs mesures contenues dans ce texte aux mille facettes ont recueilli notre soutien. Nous ne pouvons approuver toutefois ni la confusion générale résultant du projet, ni certaines dispositions dangereuses sur lesquelles nous aimerions vous convaincre de revenir, madame la ministre. C’est pourquoi notre groupe présentera, à l’occasion de cette motion de renvoi en commission, les points qui lui posent particulièrement problème.

Certes, le texte de l’article 1er, « La création artistique est libre », a la sobriété puissante des textes que l’on garde en mémoire. Il répond à un besoin au moment où a pu être mise en cause la liberté de créer. Nous l’approuvons.

Nous sommes en revanche très réservés sur l’article 2. À vouloir définir toutes les missions de l’État, des collectivités locales et de leurs groupements ainsi que des établissements publics, ce texte de plus de deux pages perd la force ramassée, le souffle visionnaire du formidable décret de 1959, écrit de la main d’André Malraux. Nous aurions donc préféré le renvoi de cette énumération à un décret.

L’article 3, qui donne une existence légale aux nombreux labels existant dans le spectacle vivant ou les arts plastiques, répond à un besoin. Si nous en approuvons le principe, nous aurions aimé que celui-ci soit assorti d’une réflexion sur le nombre et la répartition de ces labels sur le territoire national. Le caractère souvent automatique de leur reconduction a également suscité des interrogations au sein de notre groupe. Par ailleurs, les crédits en faveur de la création ont chuté de 40 millions d’euros durant le quinquennat, passant de 788 millions d’euros en 2012 à 746 millions en 2016.

Les chapitres II, III et IV comportent des dispositions techniques sur les garanties dont disposent les artistes. Depuis Beaumarchais, le droit d’auteur est le terreau fécond sur lequel a prospéré la création. Si la France est encore une terre fertile dans les domaines de la littérature, du cinéma, de la musique, mais aussi du patrimoine, c’est en grande partie grâce à notre arsenal législatif.

Bien qu’ayant approuvé la plupart des articles proposés, nous estimons qu’une étude d’impact est indispensable sur deux points essentiels, compte tenu des enjeux. Il s’agit à l’article 7 bis AA de l’assujettissement à la rémunération pour copie privée de certaines pratiques de copie dans le cloud, et, aux articles 10 quinquies et octies, des quotas garantissant la production indépendante. Quant à l’article 11 ter sur les chansons francophones, mieux vaut ne pas céder au chant des sirènes et préserver l’existant.

D’une manière générale, votre gouvernement doit porter une attention toute particulière à ne pas entrer en contradiction avec lui-même. Ainsi, le risque est fort, si vous n’y prenez garde, que certaines dispositions du projet de loi pour une République numérique n’aillent à l’encontre de la protection de nos industries culturelles.

Pour ce qui concerne l’article 17 A, j’ai trop bataillé, durant ces derniers mois, avec Catherine Morin-Desailly, afin que votre majorité renonce à supprimer tous les crédits de l’État aux conservatoires dans le budget 2015, pour ne pas vous savoir gré, madame la ministre, et, avant vous, Fleur Pellerin, d’être en partie revenues, dans le budget 2016, sur ce qui était une faute aux conséquences très graves sur notre tissu culturel, un non-sens par rapport à l’ambition de démocratisation culturelle qui fait depuis ses origines la fierté du ministère de la culture.

Soyons clair, ce n’est qu’un premier pas : les crédits dévolus aux conservatoires sont passés de 30 millions d’euros en 2012 à 13 millions en 2016, alors que le champ des écoles couvertes par les dernières circulaires est élargi. Aussi, au vu de l’adoption, en commission, d’un amendement gouvernemental AC 214 tendant à abroger purement et simplement l’article L. 216-2-1 du code de l’éducation, selon lequel l’État transfère « aux départements et aux régions les concours financiers qu’il accorde aux communes pour le fonctionnement des écoles nationales de musique, de danse et d’art dramatique, et des conservatoires nationaux de région », nous avons le désagréable sentiment d’être pris pour des dupes. Nous regrettons également l’abandon de la disposition adoptée par le Sénat désignant la région comme chef de file.

Comme en première lecture, le titre II de votre projet de loi, consacré au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture, est celui qui suscite les plus fortes réserves dans cette assemblée et au Sénat. La Haute Assemblée a ainsi totalement réécrit l’article 20 relatif à l’archéologie préventive.

Tout le monde connaît la situation. L’Institut national de recherches archéologiques préventives est un établissement public indispensable, comprenant des agents de qualité et passionnés, mais depuis des années, il fait l’objet, de la part de tous les organismes de contrôle de l’État, de nombreuses critiques en raison de sa gestion déficiente. On sait par ailleurs que le personnel de cet établissement a une longue pratique des conflits sociaux, qui n’incite pas à la réforme efficace.

Certes, ses recettes, qui proviennent d’une taxe prélevée sur les chantiers de construction, sont fluctuantes. Vous avez résolu ce problème, madame la ministre, en budgétisant la redevance dans le projet de loi de finances pour 2016, ce qui a eu pour effet de gonfler artificiellement le taux de progression de votre budget. Vous répétez à l’envi que ce taux est de 2,6 %, mais vous savez parfaitement que sans cet artifice comptable, qui représente 110 millions d’euros, la progression n’est en réalité que de 1 %, ce qui est tout de même mieux que les deux premiers budgets culturels catastrophiques de ce quinquennat. Il y a donc de la part de votre majorité un peu de mauvaise foi, voire de l’inconscience, à justifier les modifications apportées à la loi de 2003 en prétendant rétablir une concurrence saine avec les professionnels du secteur privé et les services d’archéologie des collectivités territoriales. Quant aux agents de ces collectivités et aux élus qui ont soutenu, envers et contre tout, la création de services locaux d’archéologie, souvent de très bonne qualité, ils sont écoeurés de se voir ainsi quelque peu mépriser.

En réalité, au lieu de trouver des mesures incitatives pour l’INRAP, vous ne faites que donner l’assurance à cet établissement, au demeurant utile, d’obtenir travaux et chèques sans incitation à se réformer. Ce faisant, vous faites clairement courir le risque d’un retour à la situation antérieure à 2003, avec un allongement de la durée des opérations de fouilles et des tarifs excessifs, sans la garantie de voir la qualité des prestations s’améliorer.

En ce qui concerne l’article 24, face à la fronde de tout le secteur du patrimoine, des associations, des élus de tous bords, vous avez heureusement viré de bord, adoptant les dispositions du Sénat et revenant ainsi à l’esprit des propositions et amendements qu’au nom de notre groupe j’avais déposés, sans succès, en première lecture. L’urgence n’est pas en effet à modifier une législation qui a permis, depuis la loi de 1913, de préserver l’essentiel, mais de redonner à l’État les moyens à la fois d’entretenir son patrimoine, mais aussi d’aider les collectivités et les propriétaires privés à faire de même. Ce qui était attendu, madame la ministre, c’était une loi de programmation. Depuis 2012, en effet, nous assistons à une forte baisse des crédits du programme « Patrimoine » qui, de 860 millions d’euros en 2012, a chuté à 746 millions en 2014, un niveau quasi maintenu en 2016, si on fait abstraction de l’artifice de la rebudgétisation de l’INRAP.

La même inquiétude apparaît pour le petit patrimoine, la Fondation du patrimoine ayant vu en 2016 s’effondrer de 10 millions à 4 millions d’euros la part de ses recettes provenant du budget de l’État via les successions vacantes. Cela est d’autant plus préoccupant que la chaîne historique des métiers du patrimoine se trouve menacée si l’on en brise un des maillons.

Concernant les abords, l’adaptation de la règle des 500 mètres ne constituait pas une priorité ; non seulement cette possibilité existe déjà, mais le régime en vigueur, robuste dans sa simplicité, fait l’objet de très peu de contentieux. La nouvelle disposition, en revanche, va nécessairement générer un grand flou et, comme les architectes des bâtiments de France sont déjà submergés, que tous les maires de France ne sont pas nécessairement des amoureux des vieilles pierres, il est à craindre que le patrimoine n’en pâtisse sérieusement dans certaines communes. C’est du moins ce qu’en pensent les associations du patrimoine.

Il conviendrait au minimum de rétablir une définition plus cohérente des abords, la protection des abords d’un monument touchant à la qualité de son environnement et non, comme le prévoit le nouveau texte, à une cohérence d’ensemble – ce qui ne signifie pas grand-chose.

Avec l’abandon des secteurs sauvegardés et des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager – ZPPAUP – devenus aires de valorisation de l’architecture et du paysage – AVAP –, le Sénat nous propose en réalité de quasiment maintenir les anciens régimes de protection. Le monde du patrimoine respire et les élus sensibles à cette cause, aussi.

Toutefois, sous la bannière désormais commune des « sites patrimoniaux protégés » – nous l’avons entendu de votre bouche, madame la ministre –, la distinction entre secteur sauvegardé et plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine – PVAP – apparaît affaiblie puisque qu’elle ne permet plus de différencier clairement le patrimoine exceptionnel de celui qui, sans être remarquable, est de qualité. Je vous vois sourire, madame la ministre : nous en parlerons plus tard. Ce manque de lisibilité est déjà reproché par les professionnels du patrimoine que j’ai interrogés.

L’introduction d’une réglementation sur les éoliennes est également une demande très forte des associations du patrimoine. Si un champ d’éoliennes en pleine mer semble fortement efficace, l’éolienne, unique, plantée à quelques centaines de mètres d’un monument historique pour satisfaire les intérêts purement financiers du propriétaire du terrain, nuit clairement à l’intérêt général. J’appelle donc votre attention, chers collègues, sur les dangers d’adopter des amendements qui feraient perdre tout intérêt à la nouvelle protection envisagée.

Si j’en crois nos débats en commission, il nous faudra être très vigilants sur ce point au cours des débats. En vous voyant sourire, monsieur le rapporteur, j’anticipe des débats musclés.

Dans le domaine de l’architecture, ce projet de loi présente des avancées réelles. Nous en viendrons à regretter que ces éléments n’aient pas fait l’objet d’un texte spécifique, qui aurait mieux mis en valeur l’importance de la question architecturale et urbaine dans notre société.

À cet égard, j’ai proposé un amendement permettant d’ouvrir le capital des agences d’architecture. En effet, il ne faut pas se leurrer : en dehors de quelques grands noms, l’architecture française s’exporte mal aujourd’hui car elle ne dispose pas d’équipes suffisamment puissantes et diversifiées pour affronter la complexité des grandes compétitions internationales. De la même façon, les jeunes agences prometteuses ne peuvent bénéficier de la dynamique des start-up, qui s’appuient sur des financements extérieurs, leur permettant d’accéder plus rapidement à la notoriété. L’architecture est le seul domaine artistique qui reste fermé à ce type de montage financier, à la différence du monde de la mode par exemple.

Madame la ministre, en touchant à trop de domaines, ce projet de loi fait apparaître, en creux, l’absence de lisibilité de la politique culturelle depuis quatre ans. À mes yeux, il y a même quelque chose d’angoissant dans ce texte touffu, souvent trop technique, parfois sans véritable courage – en ce qui concerne par exemple les quotas sur la musique française, l’INRAP, l’éolien –, catalogue de préoccupations professionnelles, qui répond bien mal à l’angoisse du moment.

Mme la présidente. Il faut conclure !

J’y viens, madame la présidente.

M. François de Mazières. Jacques Duhamel, ce successeur rigoureux et inspiré de Malraux, écrivait : « La culture est la principale réponse au désarroi de l’homme moderne ». Ce texte, que j’avais baptisé en première lecture « la loi Macron de la culture », que j’appelle désormais « la loi sans cap » n’apporte pas de réponse lisible, de réponse enthousiasmante.

Madame la ministre, pour notre groupe, ce projet de loi est, malgré certaines avancées, encore très insatisfaisant, c’est pourquoi nous vous proposons d’en reprendre l’examen en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. J’attendais avec quelque impatience l’intervention de François de Mazières, pour savoir sur quels éléments il fonderait sa motion de renvoi en commission. N’avons-nous pas, cher collègue, passé plusieurs heures à débattre en commission, aussi bien en première qu’en seconde lecture – vous avez été d’ailleurs particulièrement présent – afin de travailler les dispositions de ce texte et de l’amender, d’ailleurs utilement ?

Je me réjouis à ce titre que nous ayons pu adopter certains amendements déposés par vous-même ou par votre groupe. Surtout, comme Marie-George Buffet le rappelait très justement il y a quelques instants, notre travail en commission, en première comme en seconde lecture, a permis de donner une réelle ambition à ce projet de loi. Voilà le plus important.

Le nombre d’articles en donne une illustration quantitative : nous approchons de la centaine, soit le double du texte initial. Plus important encore, le nombre de dispositions que nous avons adoptées, soit parce qu’elles étaient manquantes – je pense à celles relatives aux archives –, soit parce qu’elles étaient insuffisantes – je pense à celles relatives à l’architecture –, a permis de déboucher sur la grande loi culturelle du quinquennat que le Président de la République avait souhaitée et annoncée.

C’est pourquoi me voilà rassuré, cher François de Mazières : finalement, votre motion de renvoi en commission n’en était pas une, mais sa défense fut l’occasion pour vous – et le règlement de l’Assemblée nationale vous est à cet égard profitable – de vous exprimer plus longuement que le rapporteur sur ce texte en deuxième lecture !

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Cela tiendra en quelques mots, car notre président et rapporteur a déjà tout dit.

Monsieur de Mazières, vous avez fait un magnifique plaidoyer, très documenté, pour une loi sur la culture qui serait conforme à vos conceptions. Toutefois, rien dans ce plaidoyer ne justifie un renvoi en commission. Vous avez fait de nombreuses propositions, développé de nombreuses idées. Alors, ne perdons pas de temps : allons-y, engageons le débat. C’est le moment !

Mme la présidente. La parole est à M. Emeric Bréhier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Emeric Bréhier. J’abonderai dans le sens de notre excellent rapporteur et de Mme Buffet : ce que nous vous avons entendu dire, cher collègue de Mazières, nous incite à rejeter la motion que vous présentez puisque, finalement, vous n’avez fait qu’exprimer toutes les raisons qui mériteraient, selon vous, de poursuivre le débat en séance ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Et comme le groupe socialiste, républicain et citoyen souhaite lui aussi poursuivre le débat, nous appelons bien évidemment à rejeter la motion.

Deux remarques toutefois, avant que nous n’en venions au vote. Dans votre intervention, vous avez souligné avec raison l’intérêt du bicamérisme. Nous avons en effet échangé avec nos collègues sénateurs sur un certain nombre de sujets, sur lesquels nous avons pu avancer et trouver des solutions de compromis. Certes, cela n’a pas été le cas sur tous les points, mais c’est somme toute assez normal ; et je vous rappelle qu’il n’est pas indécent que, conformément à la Constitution, le dernier mot revienne à l’Assemblée nationale.

En écoutant nos deux collègues du groupe Les Républicains, je me faisais la réflexion que, dans la mesure où il n’y avait aucun argument juridique véritablement fondé dans la première motion et qu’il n’y avait pas non plus d’argument en faveur d’un renvoi en commission, mais plutôt – et c’est tout à fait légitime – deux visions différentes du travail législatif sur ce texte, nous étions finalement en présence d’un cas assez typique de ce que l’on appelle « flibusterie » parlementaire. Ce n’est pas indécent, mais convenons qu’en deuxième lecture, cela perd de sa pertinence !

Mme Annie Genevard. Donneur de leçons !

M. Emeric Bréhier. Dernière remarque : ma chère collègue Genevard, vous savez quelle affection je vous porte ; alors, permettez-moi de vous rappeler une chose : nous avons été élus pour cinq ans, pas pour quatre ans.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, précisément, pour le groupe Les Républicains.

Mme Annie Genevard. Cher collègue, en matière de flibusterie parlementaire, vous vous y connaissez un peu vous aussi… Nous avons peu parlé de culture durant ce quinquennat. Puisque l’occasion nous en est donnée, souffrez, monsieur, que nous en parlions à notre guise !

M. Yves Durand. C’est pourquoi il faut continuer !

Mme Annie Genevard. Nous souhaitons le renvoi en commission de ce projet de loi « sans cap ».

Comme l’a fort bien dit François de Mazières, c’est un texte bavard. Madame la ministre, j’ai beaucoup aimé la formule que vous avez utilisée au début de votre discours, et je ne résiste pas au plaisir de la rappeler : « Les arts viennent chercher la force de la loi ». C’est une belle formule, mais qui s’accorde mal avec le bavardage de certains articles ; je pense notamment à l’article 2, ou à cet article où l’on évoque la nécessité de conserver son billet de cinéma dans la poche jusqu’à la fin de la séance… De l’intention à la réalité, il y a parfois un pas !

François de Mazières a montré à quel point l’absence d’étude d’impact était préjudiciable, de même que certaines décisions prises, comme l’abandon du chef de filat régional en matière d’enseignement artistique. Il a aussi exprimé nos fortes réserves sur les articles relatifs à l’archéologie préventive, qui prévoient de privilégier l’opérateur public par rapport aux autres.

En ce qui concerne le patrimoine, nos collègues sénateurs ont fait un très bon travail et nous les en remercions. Toutefois, nous ressentons une certaine frustration d’avoir eu raison trop tôt et de ne pas avoir été toujours entendus en première lecture. François de Mazières a rappelé le grand nombre d’amendements que nous avions déposés – lui en particulier – sur les questions relatives à l’architecture et à la protection du patrimoine, amendements qui n’avaient pas été retenus. Mais enfin… On peut se satisfaire du fait qu’ils ont fini par être adoptés, même si des inquiétudes demeurent. La règle des 500 mètres, qui supposait une certaine souplesse dans sa mise en œuvre, était pour les maires un outil formidable. La décision de la supprimer, ou tout au moins de la fragiliser, est quelque chose dont on reparlera sans doute.

Je veux exprimer aussi notre regret qu’il n’y ait pas eu de texte dédié spécifiquement à l’architecture ; certes, une partie du présent projet de loi y est consacrée, mais elle aurait mérité qu’on lui consacre un texte plein.

Pour toutes ces raisons, nous demandons le renvoi du texte en commission.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maina Sage, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Maina Sage. Autant nous étions opposés à un rejet préalable, autant nous sommes favorables à un renvoi en commission, car nous estimons que ce texte n’est pas abouti et qu’un certain nombre de dispositions nécessiteraient un examen plus approfondi. En particulier, certaines d’entre elles, introduites par voie d’amendement, ne font pas l’objet d’une étude d’impact. Pour ces raisons, nous soutenons la motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Gilda Hobert. Bien évidemment, nous ne soutiendrons pas la motion de renvoi en commission. Vous avez évoqué, cher collègue, un « manque d’approfondissement », mais il me semble que nous avons largement approfondi le texte à l’occasion de nos travaux en commission ; d’ailleurs, vous-même y avez largement contribué.

En ce qui me concerne, je me réjouis d’un certain nombre d’avancées. Je ne les citerai pas toutes, mais je pense en particulier aux dispositions relatives aux arts de la marionnette et du cirque, qu’il faut impérativement valoriser. J’y tiens tout particulièrement : c’est presque une prise de position politique de ma part.

Pourquoi retarder l’adoption de ce projet de loi ? Allons-y, avançons !

Je me félicite ainsi de l’avancée réalisée en matière de quotas radiophoniques,…

Mme Annie Genevard. Ah bon ? C’est une avancée ?

Mme Gilda Hobert. …avancée que nous allons poursuivre grâce au tableau que vous nous avez soumis, madame la ministre, conformément à l’engagement que vous aviez pris en commission.

Et puis, bien sûr, je suis ravie que nous soyons revenus sur la décision du Sénat relative au crédit d’impôt recherche dans le secteur de l’archéologie préventive ; sans pour autant vouloir nuire au travail des collectivités territoriales et des entreprises privées, il paraissait injuste pour le service public que celles-ci y aient droit.

Il y aurait encore bien d’autres sujets à évoquer, mais je pense m’être suffisamment exprimée pour le moment.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet, première oratrice inscrite.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine aura connu un parcours marqué de belle façon par le travail des parlementaires, à l’écoute des attentes des hommes et des femmes de culture et de leurs organisations représentatives.

Sur tous les bancs de notre assemblée, nous avons réagi à un projet initial du Gouvernement timide dans son champ d’application et porteur de peu d’ambition. Après les nombreuses interrogations, voire déceptions du monde des arts et de la culture, nous avons pu assurer une meilleure prise en compte des attentes exprimées lors des auditions. Je veux ici saluer tout particulièrement l’apport de notre rapporteur Patrick Bloche et des députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui ont, à l’occasion d’un débat parfois contradictoire et passionné, mais toujours constructif et utile, cherché à répondre à une exigence : affirmer la place de la culture et du patrimoine dans notre combat pour l’émancipation humaine.

Nous ne sommes pas encore au bout du chemin pour parvenir à la grande loi à laquelle aspirent tous les professionnels et tous les citoyens et citoyennes qui ont à cœur la culture et son rayonnement, mais nous n’en sommes pas loin, et je suis certaine, madame la ministre, de votre apport et de votre soutien dans cet effort.

Mais revenons au texte ici en débat.

Ses articles premiers indiquent : « La création artistique est libre ainsi que sa diffusion ». L’inscription de ces droits dans la loi est-elle nécessaire ? Qui peut en douter, alors que de par le monde, on apprend ici qu’un poète est emprisonné, là qu’un film est interdit ou des médias réduits au silence ? Combien d’États bafouent cette liberté essentielle sans que cela nuise à leurs relations commerciales ou les fasse mettre au ban de la communauté internationale ?

Et devons-nous nous exonérer, en France, de nous interroger sur la liberté de création ? Nous avons vu récemment des films interdits sous la pression de groupes intolérants ou boycottés dans les pages culture de quotidiens sous la pression d’actionnaires. Cela n’est pas comparable, diront certains ; bien sûr, mais peut-on hiérarchiser la gravité des atteintes à la liberté de création ? Quel que soit le pays où s’exerce la censure, quelle que soit la violence de celle-ci, c’est à chaque fois la liberté des individus et la démocratie qui sont blessées.

En s’attaquant aux visiteurs du musée du Bardo à Tunis, aux spectateurs du Bataclan à Paris ou au site de Palmyre, le groupe Daech, comme dans d’autres moments sombres de notre histoire, s’attaque à la culture pour assassiner la liberté et asseoir sa domination par la terreur. La culture a en effet le pouvoir fantastique de faire partage, de permettre à l’humanité de s’émanciper en anticipant son futur à l’aune de ses besoins et de ses rêves.

Chers collègues, lors du débat sur la loi relative à l’indépendance des médias, nous avons mis en évidence les risques que faisaient peser sur la liberté d’expression des journalistes le pouvoir de l’argent et les dérives étatiques autoritaires. Nous y avons répondu par des mesures tendant à assurer l’indépendance des rédactions et la protection des sources – je veux saluer le travail de nos collègues Pouzol et Attard sur ce point.

C’est une des questions dont nous devrons débattre aujourd’hui : le poids de l’argent dans un secteur qui devrait en être libéré. Il n’est pas inutile de rappeler à cette occasion la résolution que nous avons adoptée en juin 2013, et qui confirmait à l’Union européenne notre attachement sans faille à l’exception culturelle. La culture n’est pas une marchandise, et ce projet de loi peut être un appui dans l’action nécessaire visant à placer la culture hors d’atteinte de celles et ceux qui voudraient la réduire à une source de rentabilité financière.

Quand nous parlons de culture, nous parlons de création, d’imagination, de réflexion, d’abstraction, d’anticipation, d’échange, que seuls des femmes et des hommes libres et indépendants sont en mesure d’accomplir. L’action de l’État et du service public en faveur de la création artistique et de sa diffusion est essentielle pour garantir les droits de chaque citoyen et citoyenne à l’accès à la culture et permettre aux créateurs et créatrices de disposer des soutiens nécessaires à leur activité. Oui, il est de la responsabilité nationale, donc de celle de l’État, de donner par la loi les moyens à la culture de vivre et de se développer. Les artistes, les créateurs et créatrices ne doivent dépendre ni du fait du prince ni de la seule générosité de mécènes avertis. Ils et elles doivent disposer de droits et moyens leur permettant d’exercer leurs arts et métiers. Si chaque citoyen doit avoir les moyens de bénéficier de son travail, il doit en effet aussi pouvoir accéder à une pratique artistique.

Permettez-moi, pour illustrer mon propos, d’exprimer la fierté de la ville de Stains d’avoir vu, avec Rod Paradot, un de ses jeunes couronné d’un César : cette ville est aussi un territoire d’intense activité culturelle au service du plus grand nombre.

Je me félicite donc du contenu de l’article 2, qui définit le rôle et les objectifs en matière de politique culturelle de l’État, à travers ses services centraux et déconcentrés, et des collectivités territoriales. Les personnels de ces services sont d’ailleurs mobilisés aujourd’hui pour pouvoir exercer ces missions. Les onze alinéas de l’article ne relèvent pas d’une loi bavarde, mais donnent la claire et complète définition des responsabilités de la puissance publique, avec, par exemple, l’inscription du parcours d’éducation artistique et culturel dans le code de l’éducation, la reconnaissance de la diversité de la création et des expressions culturelles, l’exigence d’équité territoriale ou encore le rôle des associations et de l’éducation populaire.

Cet article, qui porte sur les responsabilités de l’État, inclut l’audiovisuel. C’est une reconnaissance, car il s’agit d’un vecteur culturel pour le plus grand nombre et de l’un des outils importants de la création. Il était donc nécessaire de consacrer son rôle et ses missions dans la loi.

Madame la ministre, permettez-moi de revenir sur le contenu du texte s’agissant des professionnels du spectacle. Ils – et elles – restent peu servis par le projet de loi, alors que le Gouvernement s’est engagé auprès de leurs représentants à sécuriser les parcours professionnels des artistes et techniciens des métiers du spectacle. On ne peut complètement dissocier la loi que nous élaborons des actuelles négociations UNEDIC et du risque que fait peser le MEDEF sur les annexes 8 et 10 en disant sa volonté d’économiser 200 millions d’euros sur le régime des intermittents. D’ailleurs, ces derniers seront dans la rue jeudi prochain, à l’appel de leurs syndicats, pour exprimer leurs inquiétudes. Si le régime des intermittents est reconnu dans la loi – ce dont on peut se féliciter –, cela ne saurait suffire à assurer ni sa pérennité, ni les droits et garanties auxquelles devraient avoir droit chaque travailleur et chaque travailleuse.

Contrairement à la philosophie et au contenu de la loi « travail » à venir, ce n’est pas, là encore, de moins de réglementation que les artistes et techniciens du spectacle ont besoin, mais de droits et de garanties dans l’exercice de leurs métiers respectifs. Cela nécessite de légiférer pour faire reculer la précarité. Le spectacle ne peut vivre sans ses artistes et ses techniciens. Aussi je regrette que les amendements que nous avions présentés en première lecture n’aient pas été retenus.

Vous me permettrez enfin, sur ce sujet, d’inviter notre assemblée à aller au bout de la différenciation nécessaire entre les pratiques amateurs et les activités professionnelles des artistes. Le texte de la commission, déjà positif, peut encore être amélioré pour garantir un rôle et une place aux pratiques amateurs comme aux professionnelles. Nous avons présenté un amendement en ce sens ; vous en avez, madame la ministre, annoncé un autre issu de la concertation : nous avons hâte d’en prendre connaissance.

De même, notre commission a réintroduit dans le texte la version adoptée par notre assemblée sur l’archéologie préventive : très bien, mais des amendements gouvernementaux posent quelques problèmes. Aussi défendrons-nous deux amendements relatifs au champ d’intervention des collectivités territoriales et à la maîtrise d’ouvrage.

Enfin je veux saluer l’adoption, par la commission, d’un amendement que j’avais proposé sur le crédit d’impôt recherche – CIR – qui, touché par les sociétés privées d’archéologie préventive, a alimenté une spirale déflationniste des prix de l’archéologie préoccupante pour la viabilité financière du secteur comme pour sa capacité à faire prévaloir durablement, à travers le secteur public, la qualité scientifique des opérations, ainsi que l’avait indiqué notre collègue Martine Faure dans son excellent rapport. J’espère donc que, sur ce point, la position de la commission sera confirmée en séance.

Par ailleurs, madame la ministre, vous nous aviez indiqué que des propositions seraient faites concernant les salariés de l’INRAP à l’occasion de cette deuxième lecture : nous attendons vivement de les connaître.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la culture est au cœur des enjeux de la période tourmentée que nous vivons, car elle est à la source de cet esprit critique et de cette envie de création que les forces du déclin et de l’ignorance veulent nier. Soyons donc mobilisés pour la défendre. Le projet de loi qui nous est soumis peut être un élément de cette mobilisation ; c’est pourquoi les députés du Front de gauche, qui ont travaillé à l’enrichir, le voteront à l’issue de nos travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver à l’occasion de la deuxième lecture de cette grande et belle loi relative à la création, à l’architecture et au patrimoine ; heureux parce que ce texte est, quoi qu’en pensent nos collègues de l’opposition, l’un des actes fondamentaux de la présente mandature. Il est un acte fondamental en ce qu’il inscrira dans la loi un droit lui-même fondamental pour tous : l’accès et la participation à l’acte créatif et à la culture dans son ensemble.

Oui, ce projet de loi fait progresser la participation et l’implication de tous les citoyens dans la vie culturelle, car la liberté de création n’a de sens que si elle bénéficie à tous. Et ne faisons pas semblant de croire que notre pays est à l’abri de ceux qui veulent voir reculer cette liberté.

Si l’art dérange parfois, c’est qu’il remplit pleinement son rôle, agite les idées et rebat nos certitudes. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles ce projet de loi doit nous unir, car il rappelle que c’est tous ensemble que nous faisons la culture et, ce faisant, réinventons au quotidien notre imaginaire, notre histoire et notre démocratie.

Fort de ces valeurs, le législateur, en parfaite cohérence avec le Gouvernement, s’est attaché à faire une place, dans ce texte, à chacun des acteurs de la culture. Professionnels, amateurs, bibliothèques, conservatoires, écoles d’enseignement supérieur, artistes-interprètes, producteurs, éditeurs, distributeurs, structures de spectacle vivant ou d’arts plastiques, marionnettistes, circassiens : tous participent au rayonnement culturel de la France, tous participent à l’enrichissement intellectuel et émotionnel des enfants de la République – ou, en tout cas, devraient avoir la possibilité de le faire.

Je salue les travaux de notre commission, qui se sont à nouveau déroulés de façon très constructive, dans un climat de bonne entente entre tous les groupes, grâce notamment à la bienveillance de notre président et rapporteur Patrick Bloche. Ces travaux studieux nous ont permis d’apporter des améliorations substantielles au texte revenu du Sénat. Je prendrai pour exemple un amendement de notre collègue Isabelle Attard – amendement identique à celui du Gouvernement sur le sujet –, qui nous a permis de rétablir l’extension de la licence légale aux webradios.

Je remercie aussi Marie-George Buffet d’avoir proposé, entre autres avancées, l’ajout de la profession de réalisateur à la liste des professions du spectacle – sujet qui me tient bien entendu personnellement à cœur.

Je citerai aussi les amendements de nos collègues Annie Genevard et François de Mazières relatifs à ces appellations formidables que sont les « PMVAP », « AVAP », « ZPPAUP », « PVAP », « PSMV » et autres réjouissances linguistiques qui font honneur à la francophonie, et qui nous auront au moins permis d’engager une réflexion nouvelle sur la préservation de notre patrimoine.

Si nous avons voté en commission, à titre indicatif, le nouveau nom de notre outil de protection – « site patrimonial remarquable », si nous nous accordons en séance sur ce point –, il nous revient – vous pardonnerez au pilier du XV parlementaire d’utiliser cette image (Sourires) – de transformer, en séance, l’essai marqué collectivement.

Nous avons d’ores et déjà pu rétablir un grand nombre de dispositions qui nous avaient collectivement satisfaits en première lecture : je pense à la reconnaissance des pratiques amateurs, aux archives ou encore au seuil de recours à un architecte, si important pour la préservation de cette activité en difficulté.

Si certains sujets ont fait l’objet d’un assez large consensus, d’autres laissent subsister d’importantes divergences de fond, notamment sur le volet patrimonial, quant aux rôles respectifs de l’État, des collectivités, de l’initiative privée et de la protection des biens et des sites.

Mes chers collègues, j’aurai à cœur, durant ces trois prochains jours, de faire part de certaines préoccupations. Je m’inquiète, par exemple, de l’exploitation des films en salle, bousculée par la concentration des entrées dans les grands circuits, la multidiffusion, la surexposition de certains films au détriment de tous les autres, l’accélération de la rotation, l’augmentation exponentielle des coûts de promotion et les difficultés d’accès des salles d’art et d’essai à certaines œuvres.

Une formidable occasion nous est donnée d’ouvrir le débat sur des règles de fonctionnement réellement équitables en matière d’archéologie préventive, ou encore de protéger la place de Paris sur le marché plus que jamais mondialisé de l’art. J’aurai aussi à cœur de soutenir, avec mon ami Hervé Féron, les acteurs de la filière musicale, au moment où les négociations entre producteurs, éditeurs et artistes interprètes se poursuivent dans la droite ligne de la mission et des accords Schwartz. La rémunération juste et équitable des auteurs-interprètes, la garantie d’exploitation permanente et suivie des œuvres musicales et le renforcement de la transparence des informations transmises aux artistes-interprètes sont autant de sujets fondamentaux pour la filière.

Vous l’aurez compris, les enjeux de ce projet de loi sont multiples et les équilibres fragiles. J’espère qu’ensemble, madame la ministre, nous réussirons à trouver et à renforcer ces points d’équilibre car, nous le savons bien, dans ce secteur plus peut-être que dans d’autres, la fragilité du système est aussi grande que celle de ses acteurs ; et s’il convient de légiférer d’une main légère pour ne rien perdre de cette richesse, la même main doit être guidée par la fermeté que nous confère la certitude d’œuvrer pour le bien commun de nos citoyens et de tous les acteurs qui concourent, depuis toujours, au rayonnement de notre pays et de ses valeurs.

Permettez-moi de conclure en formant le vœu que nos débats, durant ces trois jours, soient à la hauteur de ces enjeux, à la hauteur du rayonnement culturel, artistique et patrimonial de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Nachury.

Mme Dominique Nachury. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur, mes chers collègues, c’est un étrange destin que celui de cette loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Promise avant sa conception comme une grande loi sur la culture, et même comme « la » grande loi attendue par les milieux culturels, elle s’avère dépourvue de cohérence d’ensemble et s’apparente à un catalogue. Certains ont même ironisé en la disant plus large que grande, parce qu’elle ne constitue pas un texte fondamental d’orientation et que, très souvent, les détails en affadissent le sens.

Annoncée comme symbolique du nouveau quinquennat, elle a beaucoup tardé à venir. Enfin présentée à notre assemblée par une deuxième ministre de la culture, elle revient en deuxième lecture avec une troisième ministre, après de profondes modifications au Sénat. Notons d’ailleurs que certaines de ces modifications, acceptées par le Gouvernement au Sénat, reprenaient les termes d’amendements de mon groupe refusés à l’Assemblée.

Je veux dire quelques mots sur l’examen en commission de ce texte largement réécrit. Beaucoup d’amendements du Gouvernement et du rapporteur, découverts tardivement, ne paraissent pas forcément aboutis. Ainsi, à l’article 11 ter, un amendement de dernière minute pose question quant à la clarté de l’évolution proposée. On a même voté des amendements indiquant qu’un travail ultérieur de mise au point serait nécessaire. Il a fallu toute l’expertise et la diplomatie de notre président et rapporteur Patrick Bloche pour contourner ces écueils.

Sur le fond, madame la ministre, nous nous réjouissons avec vous de l’affirmation de la liberté de création comme principe fondamental : vous l’avez dite consacrée, sacralisée, mais avec les limites de toute liberté.

La pratique amateur est également inscrite dans le projet de loi, sans préjudice pour les professionnels. Sont ainsi confortés 12 millions de pratiquants, acteurs de culture individuelle ou collective.

De même, la définition du patrimoine sera complétée, au sein du code du patrimoine, par la notion de « patrimoine immatériel ». De fait, les savoir-faire et les pratiques contribuent à une expression culturelle.

Deux mesures avaient suscité de longs débats et une forte opposition de notre groupe. Avec le médiateur de la musique, en premier lieu, vous entendez créer une nouvelle autorité administrative aux missions extrêmement larges et dont la place mériterait d’être plus claire ; aussi notre groupe a-t-il déposé un amendement pour mieux articuler ses missions avec celles de l’autorité de la concurrence.

Seconde mesure : la protection du patrimoine. En ce domaine, le plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine assurera-t-il un niveau de protection suffisant ? D’autre part, des inquiétudes demeurent en raison du transfert aux intercommunalités de la compétence relative à l’urbanisme.

Vous avez dit, madame la ministre, que cette loi était de clarification et de protection. Cependant la mise en œuvre de plusieurs de ses dispositions reste incertaine, qu’il s’agisse de la défense et du financement du patrimoine, de la diversité des titres francophones diffusés au titre des quotas radio ou de la responsabilité de l’État et des collectivités dans l’enseignement artistique.

Je terminerai par quelques points de réflexion. La juste rémunération des créateurs, à l’heure du numérique, reste difficile à assurer, s’agissant par exemple de l’exploitation des œuvres d’art visuelles. On peut aussi craindre que les dispositions relatives à l’archéologie préventive privilégient l’INRAP au détriment des services territoriaux et des opérateurs privés, alors que notre collègue Martine Faure, dans son rapport, s’engageait pour une politique publique équilibrée – et apaisée, avais-je compris – en ce domaine.

On peut enfin relever des mesures positives sur la qualité architecturale et sur la profession d’architecte ; elles font écho au rapport de la mission d’information sur la création architecturale, mais le travail doit se poursuivre avec tous les acteurs concernés, parmi lesquels les collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage. Madame la présidente, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je précise, en premier lieu, que j’interviens au nom de mon collègue Michel Piron, qui regrette de ne pouvoir être présent avec nous cet après-midi mais qui nous rejoindra ultérieurement.

Alors que nous débutons l’examen en deuxième lecture du tant attendu projet de loi du ministère de la culture, nous sommes incités à réfléchir aux fondements mêmes d’une grande loi consacrée à la culture.

Notre collègue Michel Piron nous interroge : « La culture fait-elle l’homme ou l’homme fait-il la culture ? » Il souhaite, à l’évidence, qu’au-delà de diverses et nouvelles dispositions, nous puissions bâtir un texte ambitieux et visionnaire, mais il regrette que ce projet de loi – qu’il considère, malheureusement, comme décevant – n’atteigne pas cet objectif.

En effet, il ne traite qu’indistinctement de création, de droits d’auteurs, de dialogue social dans le spectacle, d’architecture, de patrimoine, de cinéma, de musique et d’archéologie. Bref, comme cela a été dit précédemment, il forme un catalogue de mesures.

Au sens de notre collègue, comme à celui du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, cette superposition de nouvelles mesures a fait perdre à ce texte une bonne part de son intensité.

À trop vouloir modifier de nombreuses mesures, on en oublie, souvent, l’essentiel. Comme cela a également été dit, la culture ne doit pas être un programme politique ni se résumer à une agrégation de dispositions d’ordre culturel : c’est, finalement, les deux griefs que nous formulons – mais nous pourrions faire de même à l’égard d’autres textes parfois trop longs et qui ne font pas forcément de grandes lois – à l’égard de ce texte.

Mais restons objectifs : dans ce projet de loi figurent quelques avancées qu’il faut souligner, car notre regard doit également être constructif. L’affirmation, à l’article 1er, du principe fondateur de la liberté de création artistique est une mesure symbolique dont la nation a, dans le contexte actuel, besoin. Le pendant de la création artistique qu’est la liberté de la diffusion est, il faut le dire, un ajout heureux du Sénat, car il n’est de liberté de créer sans partage de son art.

Plusieurs mesures ont, également, reçu de notre part un accueil bienveillant : je pense notamment aux dispositifs de soutien à la création, à la recherche d’un compromis sur le partage de la valeur, et, bien sûr, à la création, via l’adoption unanime d’un amendement gouvernemental, de refuges pour les biens culturels étrangers menacés par la guerre, les catastrophes naturelles et par les destructions dues à des actes terroristes.

Mes chers collègues, vous avez pu le constater, tant en première qu’en deuxième lecture, nous avons abordé ce texte dans cet esprit constructif et pragmatique. C’est d’ailleurs à l’initiative du groupe UDI qu’une mesure importante a d’ores et déjà été adoptée conforme : il s’agit de la possibilité pour les associations ayant pour objet la protection du patrimoine culturel de se constituer partie civile. À bien des égards, cette disposition permettra de lutter plus efficacement contre les vols et contre les trafics de biens culturels, en élargissant les possibilités de recourir à la justice.

Néanmoins, certaines mesures et méthodes ne peuvent nous satisfaire. Je souhaiterais tout d’abord évoquer le délicat sujet de l’archéologie préventive : notre groupe aurait souhaité voir dépasser l’opposition, quelque peu archaïque, entre les acteurs publics, qui seraient dotés de toutes les vertus et les acteurs privés agissant, eux, au mépris de la qualité des opérations de fouilles. Il faudrait, lors de cette deuxième lecture, trouver un compromis entre les services d’archéologie préventive des collectivités et l’INRAP.

Nous regrettons, également, que plusieurs dispositions n’aient fait, puisqu’elles ont été introduites par voie d’amendement au cours des débats, l’objet d’aucune étude préalable. C’est le cas par exemple de la question de l’exploitation numérique de la musique, suspendue en première lecture aux conclusions de la mission Schwartz, ou des mesures relatives aux nouvelles pratiques de copie privée. Nous restons également perplexes quant à la disposition relative aux quotas de chanson française à la radio.

En première lecture, déjà, vous aviez fait le choix d’imposer aux radios, sans étude d’impact et sans même attendre les conclusions du CSA, d’une nouvelle disposition en la matière. Si nous ne remettons nullement en cause les règles de diffusion qui s’appliquent aux radios, dans la mesure où nous sommes fortement attachés au rayonnement de la chanson française, nous ne pouvons accepter une telle précipitation à légiférer dans ce domaine.

La deuxième lecture n’a pas plus tempéré les ardeurs que la première puisque nous avons – encore – découvert, au gré des débats en commission, un nouvel amendement réécrivant intégralement l’article 11 ter et remettant en cause l’équilibre trouvé à l’issue de la première lecture.

Outre son incontestable complexité, la disposition en question complique le travail d’un CSA qui, selon certains, peine déjà, visiblement, à remplir ses missions. Pour ces différentes raisons, nous vous inviterons à revenir au texte adopté initialement par notre assemblée.

Je souhaiterais, enfin, évoquer une mesure sur laquelle il nous faudra trouver un accord : le Sénat a en effet introduit une disposition opportune permettant la transmission du droit de suite par legs aux musées, aux associations ainsi qu’aux fondations reconnues d’utilité publique à but culturel.

Aujourd’hui, force est de constater que la législation pénalise les musées ainsi que les fondations d’artistes créées par testament en les excluant de la perception du droit de suite. Si cette disposition rend désormais cette perception possible, il nous faut toutefois régler la question des fondations déjà existantes, sans remettre en cause le principe de rétroactivité. Si j’ai bien suivi votre intervention, madame la ministre, vous avez l’intention de proposer un amendement sur ce point. Nous demeurerons vigilants sur les aménagements susceptibles d’être apportés.

Ainsi, si on peut, certes, apprécier le travail parlementaire accompli ainsi que l’enrichissement du projet de loi par nos deux assemblées, plusieurs interrogations majeures restent en suspens, comme la question du financement du spectacle vivant ou le coût croissant de l’entretien du patrimoine face à la baisse des dotations des collectivités. Certains concluront, rapidement, que nos craintes se focalisent sur les enjeux budgétaires, mais nous leur répondons qu’ils sont cruciaux pour l’avenir de la création et du rayonnement culturel de notre pays.

En conclusion, je rappelle que la France n’est pas qu’européenne, hexagonale et continentale : elle est aussi mondiale, maritime et présente dans les trois océans. J’en tirerai deux remarques relatives aux territoires d’outre-mer.

La première a trait au soutien à la production audiovisuelle, que vous avez évoqué, madame la ministre, dans votre intervention liminaire, en souhaitant laisser aux syndicats le soin de discuter librement avec les chaînes des quotas de production indépendantes.

Sachez que des mesures incitatives au soutien à la production audiovisuelle outre-mer existent : elles comportent des quotas obligatoires d’achat de productions réalisées dans ces territoires. Or ces quotas – de l’ordre de 18 % – ne semblent pas respectés et la répartition desdits achats n’est pas connue. Je profite de cette séance, madame la ministre, pour appeler votre attention sur cette question.

Nos territoires font preuve d’un certain dynamisme économique, mais dans le secteur audiovisuel, il est vrai que les entreprises peinent à être soutenues par le secteur public. Je tenais à le préciser et à vous demander, madame la ministre, s’il serait possible, même si cela relève effectivement du gré à gré et des contrats entre les syndicats et les chaînes, que l’autorité concernée puisse contrôler le respect de cette réglementation, comme des accords qui sont passés.

Ma deuxième remarque a trait à la Cité des outre-mer, projet assez vieux pour qu’on le qualifie de serpent de mer – tous les gouvernements ont évoqué la création de ce grand musée.

S’agissant d’un texte promouvant la liberté de création censé être un grand texte du quinquennat pour la protection du patrimoine, j’ai été personnellement déçue par le fait qu’en définitive les outre-mer y sont très peu abordés.

La Cité des outre-mer constitue, à cet égard, un point majeur. En effet, comme vous le savez, les outre-mer sont victimes de forts préjugés : au mieux nous représentons une carte postale, au pire un chèque.

Sur le plan culturel, il est essentiel que la France du XXIe siècle s’inscrive bien dans une perspective diverse, multi-culturelle, mondiale et maritime, qu’elle n’apparaisse pas, comme je l’ai dit, seulement européenne et continentale.

En effet, la France regorge de territoires répartis sur l’ensemble des océans. Or le patrimoine artistique, littéraire, et culturel de ces territoires d’outre-mer fait aussi partie du patrimoine de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, protéger, tel est le but de ce projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, qui nous réunit pour son examen en deuxième lecture.

Si protéger est l’objectif de toute loi, celle-ci a la particularité d’embrasser des champs culturels divers dont nous pouvons être fiers et qui requièrent une attention pleine d’acuité, ouverte et garante de liberté. Nous devons, ici et maintenant, nous montrer constructifs et efficaces afin de mener à bien, dans un délai proche, l’adoption de ce projet de loi.

Henri-François d’Aguesseau dans ses Mercuriales écrivait : « L’esprit le plus pénétrant a besoin du secours du temps pour s’assurer, par ses secondes pensées, de la justice des premières ». Les travaux conduits par nos deux assemblées nous ont permis ce recul.

Les sénateurs ont, rappelons-le, voté trente articles conformes à ceux adoptés en première lecture. Parmi les dispositions qui y figurent et qui nous rassemblent, citons les précisions relatives aux conditions d’emploi des artistes du spectacle vivant par les collectivités territoriales, la consécration des fonds régionaux d’art contemporain ou encore les mesures relatives aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement.

Nos travaux en commission, dans le cadre de la deuxième lecture par notre assemblée, ont également permis de revenir sur certains articles, de les rétablir ou de les améliorer.

Pour aborder l’ensemble de ce texte, tel qu’il a été adopté par la commission en vue de cette séance – et après, donc, moult consécrations, rectificatifs, remaniements et réintroductions –, je souhaite m’exprimer sur plusieurs points.

En premier lieu, je me réjouis de ce que les articles 1er et 1er bis prévoient que la création artistique, de même que sa diffusion, sont libres. Dans la période troublée que nous traversons, et à l’heure où la liberté en matière culturelle est dramatiquement attaquée, cette affirmation prend tout son sens. Nous sommes un certain nombre à l’avoir dit ici, mais le répéter est nécessaire.

Ces deux principes sont, par ailleurs, renforcés par l’article 2. Celui-ci réaffirme le soutien aux acteurs de la création artistique par une politique de service public sur l’ensemble du territoire et précise, s’agissant de l’accès à la création artistique, la notion d’équité, tant pour nos territoires que pour nos concitoyens.

Il garantit, en outre, la diversité de la création et des expressions culturelles – musique, théâtre, danse, cirque, marionnettes – et affirme la volonté d’accompagner et de soutenir les créateurs et les artistes sur le plan économique. Il précise le rôle et les obligations des établissements supérieurs d’art, en mettant en avant leur engagement en matière de création artistique.

Je m’arrête un instant sur une notion très opportunément réintroduite la semaine dernière par notre commission, alors que nos collègues sénateurs l’avaient quelque peu malmenée : il s’agit de la reconnaissance des activités pratiquées par les artistes amateurs. Amateur : un bien joli mot qui signifie « qui aime ». Il s’agit là d’une reconnaissance fondamentale pour les quelque douze millions de praticiens amateurs que compte notre pays.

Enfin, l’article 2 a marqué une réelle avancée en garantissant la transparence en matière d’attribution des subventions publiques à la création artistique. Autre point positif, l’article 3 bis, rétabli en commission, qui prévoit la mise en place d’un dispositif permettant à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements de consacrer 1 % du coût des opérations de travaux publics au soutien de projets artistiques et culturels dans l’espace public.

Le médiateur de la musique, quant à lui, sera le garant des relations entre les artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes, les producteurs de spectacles et les éditeurs de services de musique en ligne.

Concernant l’instauration des quotas permettant une juste répartition des titres francophones diffusés sur les radios, dans le souci de soutenir les artistes émergents, nous avions déposé en commission plusieurs amendements différents, notamment sur les dérogations. Nous avons décidé d’attendre un amendement consensuel tenant compte des diverses propositions, que le Gouvernement présentera lors de nos débats.

Il convient à présent de souligner l’apport des sénateurs sur plusieurs points.

Le texte a été enrichi en particulier sur la sécurisation juridique de la situation des auteurs, la reconnaissance des salariés des métiers d’art, le subventionnement des petites salles de cinéma par les EPCI. Il en est de même de la protection du patrimoine hydraulique, à savoir les moulins, qui permet la préservation de l’environnement patrimonial pour les installations d’éoliennes. Autant de facteurs qui répondent à des besoins réels exprimés par le monde culturel.

Nos collègues du Sénat ont en outre introduit un article 10 nonies, qui prévoit qu’un auteur peut léguer le droit de suite attaché à son œuvre.

Plusieurs amendements ont été déposés en commission pour permettre aux auteurs ou à leurs ayants droit de léguer leurs œuvres à des fondations ou des musées, disposition qui a été étendue à toute personne pouvant en assurer une préservation attentive.

A été introduit de plus par amendement de notre rapporteur un mécanisme permettant de financer par le droit de suite vacant une partie du régime de retraite complémentaire des auteurs des arts graphiques et plastiques. Je souscris bien entendu à cette précision.

Le volet de l’archéologie préventive, lui, n’a pas suscité, semble-t-il les mêmes interrogations. Nos travaux en commission la semaine dernière ont permis de rétablir les dispositions initialement adoptées en première lecture à l’Assemblée nationale.

Je tiens à ce propos à souligner ici le rôle fondamental de l’INRAP dans l’étude pointue des données scientifiques. Vu ce rôle et eu égard sa qualité de service public, il est nécessaire de lui conserver ses prérogatives.

Dans le même temps, je souhaite saluer la compétence de nos services archéologiques de collectivités territoriales, qui remplissent un rôle pédagogique vertueux dans la diffusion des aboutissements des recherches auprès du public local, je peux en témoigner à Lyon.

Le groupe RRDP est, de manière inconditionnelle, un fervent défenseur du cadre spécifique du crédit d’impôt recherche. Celui-ci doit en effet garder sa vocation et ne pas être utilisé avec opportunité par certains opérateurs comme un subventionnement. Il doit demeurer un soutien aux efforts de recherche et de développement des entreprises.

Dès la première lecture, il nous paraissait essentiel de protéger le travail des opérateurs publics d’archéologie préventive en raison de la mission de service public dont ils sont investis et qui leur impose d’offrir des garanties en matière de qualité scientifique et de diffusion des savoirs.

Aussi, grâce aux amendements identiques du groupe RRDP et des groupes GDR et écologiste, avons-nous réintroduit lors de nos travaux en commission la semaine dernière le non-octroi du crédit d’impôt recherche pour les opérations de fouilles archéologiques, à la faveur d’un avis extrêmement favorable de notre collègue rapporteur, ce dont je me félicite évidemment.

L’article 20 bis du projet de loi rétablit un équilibre financier indispensable entre acteurs publics, qui ne pouvaient en raison de leur statut bénéficier du CIR, et opérateurs privés, à qui le CIR pouvait être attribué.

Grâce à cet équilibre, le choix de l’opérateur et des équipes de recherche archéologiques préventives pourra être fondé sur des critères strictement scientifiques. Il s’agit non pas de déstabiliser les sociétés privées ni de méjuger leurs travaux, mais de ne pas avoir, par un système inégalitaire, un impact les coûts et ainsi fausser le marché.

Dans un contexte économique où le moins-disant financier sort le plus souvent gagnant des appels d’offres, il existait un risque réel de dispersion croissante des données archéologiques récoltées.

Indéniablement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue une véritable avancée pour la création, la diffusion culturelle et le patrimoine.

Enfin, et parce que « l’essentiel est invisible pour les yeux », je voudrais, à l’instar du Petit Prince de Saint-Exupéry, me réjouir de ce qu’ait été préservée au cours de la navette parlementaire la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel.

Le présent projet de loi contient désormais cette notion essentielle qu’est le patrimoine immatériel, c’est-à-dire la reconnaissance de savoir-faire, de traditions orales et de pratiques sociales porteuses d’identités locales ou nationales.

Ce patrimoine, bien qu’immatériel, et parfois non physiquement figuré, est vivant, intégré à notre vie quotidienne, passée, présente et à venir. Il y a par ailleurs des enjeux économiques, touristiques ou environnementaux.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, monsieur le rapporteur, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste n’a qu’un seul objectif, œuvrer pour enrichir un texte déjà fort, porteur d’espoir pour une culture libre, partagée, diverse, égalitaire pour nos concitoyens et protégée pour le rayonnement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, une fois de plus, nous avons travaillé dans l’urgence : deux jours pour boucler nos amendements pour cet ultime débat, et des amendements du Gouvernement découverts il y a deux heures à peine. Difficile d’expliquer à nos concitoyens que nos méthodes de travail sont dignes de notre démocratie.

Chers collègues, alors que ce projet de loi entre dans la dernière étape, je ne dirai pas maintenant ce que vous entendrez plus tard lorsque je défendrai mes amendements, mais je m’interroge. J’en reviens aux fondements de notre travail : à quoi est censée servir l’action du ministère de la culture ?

La meilleure réponse, je l’ai trouvée sous la plume de Franck Lepage, ancien directeur des programmes à la fédération française des maisons des jeunes et de la culture. Permettez-moi de vous en lire des extraits.

« Il y a cinquante ans, le général de Gaulle présidait à la création du ministère des affaires culturelles. La naissance de cette institution a précipité le déclin d’un autre projet, à présent méconnu : l’éducation politique des jeunes adultes, conçue dans l’immédiat après-guerre comme un outil d’émancipation humaine. »

« En France, quand on prononce le mot "culture ", chacun comprend " art " et, plus précisément, " art contemporain ". Le mot Culture, avec son singulier et sa majuscule, suscite une religiosité appuyée sur ce nouveau sacré, l’art, essence supérieure incarnée par quelques individus eux-mêmes touchés par une grâce, – les " vrais " artistes. La population, elle, est invitée à contempler le mystère.

« Entamée dès les années 1960 sous l’égide du ministère des affaires culturelles, la réduction de la culture à l’art représente une catastrophe intellectuelle pour tout homme ou toute femme de progrès. Si " culture" ne veut plus dire qu’ "art ", alors ni l’action syndicale, ni les luttes des minorités, ni le féminisme, ni l’histoire, ni les métiers, ni la paysannerie, ni l’explication économique, etc. ne font plus partie de la culture. Entre cette dernière et la politique s’instaure un rapport d’exclusion. Et la gauche a un problème. Tel n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps – pas si éloigné – où un petit groupe de militants nichés au cœur des institutions françaises tentait de faire rimer culture – populaire – et politique.

« En 1944, un paquebot fait route tous feux éteints vers la France. À son bord, une jeune femme. Cinquante ans plus tard, elle se rappelle : " Ma prise de conscience date de 1942 et de la promulgation des lois antijuives par l’État français. J’étais alors professeure de lettres au lycée de jeunes filles d’Oran, en Algérie. J’ai été totalement choquée par la tranquillité avec laquelle ces lois antisémites ont été acceptées et mises en œuvre par mes collègues. " La vénérable dame de 86 ans qui nous livre ses souvenirs » « se nomme Christiane Faure. Elle repose désormais au cimetière de Lourmarin à côté de sa sœur et de son beau-frère, Albert Camus.

« Elle raconte comment les noms juifs sont rayés à l’encre rouge ; comment ses élèves quittent l’établissement, leur blouse sous le bras. Mlle Faure organise alors des cours clandestins de préparation au baccalauréat. L’affaire s’ébruite ; on la menace ; elle persiste. Après le débarquement d’Algérie en novembre 1942, l’enseignante intègre le Gouvernement provisoire d’Alger dans le " service des colonies ", dirigé par René Capitant, ministre de l’éducation nationale. Ce dernier est chargé de remettre les textes officiels sur leurs pieds républicains. En 1944, Mlle Faure regagne la France avec le Gouvernement provisoire. »

« À la Libération, les horreurs de la Seconde guerre mondiale ont remis au goût du jour cette idée simple : la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et s’enseigne. Pour être durable, elle doit être choisie ; il faut donc que chacun puisse y réfléchir. L’instruction scolaire des enfants n’y suffit pas. Les années 1930 en Allemagne et la collaboration en France ont démontré que l’on pouvait être parfaitement instruit et parfaitement nazi. Le ministère de l’éducation nationale convient donc qu’il incombe à la République d’ajouter un volet à l’instruction publique : une éducation politique des jeunes adultes.

« Les conventionnels de 1792 l’avaient déjà compris : se contenter d’instruire des enfants créerait une société dans laquelle les inégalités seraient fondées sur les savoirs. " Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées ", tonne le marquis de Condorcet à la tribune de l’Assemblée nationale, le 20 avril 1792. " Le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. " « Le député de l’Aisne propose de poursuivre l’instruction des citoyens " pendant toute la durée de la vie ". Mais cela ne saurait suffire. Quand Condorcet évoque (déjà !) cette " partie de l’espèce humaine " astreinte dans les " manufactures " à " un travail purement mécanique " et pointe la nécessité pour ces individus de " s’élever ", de " connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ", il s’agit non plus seulement d’instruction mais d’éducation politique. 

« En 1944 naît au sein de l’éducation nationale une direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse, vite rebaptisée direction de l’éducation populaire et des mouvements de jeunesse. " Jeunesse " ne signifie pas encore " adolescence ". Un " jeune " en 1945 est un adulte de 21 ans. Parallèlement, est instituée une direction des arts et lettres. » « Une distinction appelée à s’effacer. 

« La petite administration de l’éducation populaire durera moins de quatre ans. Après le début de la guerre froide, la lutte entre gaullistes et communistes s’envenime. L’éducation des jeunes adultes constitue vraisemblablement un enjeu tel qu’aucun des deux protagonistes ne veut risquer que l’autre la contrôle. En 1948, on s’accorde sur sa fusion, " pour mesure d’économie publique ", avec la direction de l’éducation physique et des activités sportives dans une impayable " direction générale de la jeunesse et des sports ", matrice du ministère souvent confié depuis à de non moins impayables sportifs » – M. Bernard Laporte –, « généralement ignorants des questions d’éducation populaire. En d’autres termes : il n’y aura pas de service public d’éducation démocratique, critique ou politique des jeunes adultes en France. Ils feront plutôt du kayak ! »

« Pourtant, une impulsion a été donnée. Dès les années 1950, les instructeurs d’éducation populaire recrutés par Mlle Faure rêvent de quitter le sport, dont ils n’ont que faire, et imaginent la création de leur propre ministère. Leur sous-directeur, Robert Brichet, esquissera même en 1956 le projet d’un " ministère des arts ". Pour cela, il faut acclimater le concept de " ministère de la culture ", expérimenté par des pays totalitaires, pour en faire un ministère de la culture démocratique. Un ministère de l’éducation populaire en somme.

« L’histoire en décidera autrement. Parvenu au pouvoir, le général de Gaulle veut récompenser la fidélité d’André Malraux. Débute alors une sorte de roulette russe institutionnelle dont l’éducation populaire sortira perdante. En 1959, Malraux demande un grand ministère de la jeunesse, domaine encore très sensible après Vichy ; on le lui refuse. Il réclame la recherche sans plus de succès. Puis il demande la télévision et essuie un troisième refus. Se souvenant du projet de " ministère des arts ", Debré lui propose en désespoir de cause un ministère des affaires culturelles. Malraux accepte. On y rassemble le cinéma, les arts et lettres, l’éducation populaire et ses instructeurs nationaux.

« Contrairement à une idée reçue, l’auteur de La Condition humaine n’a pas " créé " ce ministère, qu’il n’a au demeurant pas réclamé. Son administration est bâtie par des fonctionnaires rapatriés de l’outre-mer qui, après la décolonisation, sont affectés aux affaires culturelles. Efficaces mais idéologiquement marqués par leur expérience précédente, ils influencent la doctrine du ministère. Lequel aura vocation à irradier à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières le feu de la grandeur nationale. Puissance de la France à l’international et pouvoir symbolique de l’État dans les régions ; apologie de l’élite et du génie français. Un ministère profondément antipopulaire.

« Les instructeurs d’éducation populaire qui pensaient avoir obtenu leur ministère ont perdu la partie. D’abord rattachée à Malraux en même temps que la direction des beaux-arts, la sous-direction de l’éducation populaire retourne définitivement à la jeunesse et aux sports. La coupure sera désormais établie entre culturel et socioculturel, entre " vraie " et " fausse " culture que seul l’État sera fondé à départager. Beaucoup attendaient que la gauche arrivant au pouvoir abolisse cette césure. Il n’en fut rien.

Cette histoire-là est plus connue : loin de rompre avec la vision élitiste et de reformuler la question culturelle sur des bases progressistes, la gauche des années 1980 propulse la figure de l’artiste à des hauteurs jusque-là inconnues. »

Mme Annie Genevard. C’est vrai.

Mme Isabelle Attard. « Après le tournant libéral de 1983, la Culture majuscule réduite aux beaux-arts devient l’étendard d’un Parti socialiste qui, sur le plan économique, ne se distingue plus guère dès lors qu’il se résigne à faire le « sale boulot » de la droite.

« Ce type de " culture " a remplacé la politique parce que la fonction du " culturel " est précisément de tuer le politique. Dépolitisée, réduite à l’esthétique, une culture n’est ni meilleure ni pire qu’une autre culture : elle est " différente ". Le politique est l’affirmation d’un jugement de valeur. Le " culturel " est son anéantissement et la mise en équivalence généralisée sous l’empire du signe. La condamnation des violences faites aux femmes – l’excision, par exemple – est un geste politique : elle affirme qu’une société qui décrète l’égalité des hommes et des femmes est une société meilleure qu’une société qui ne la décrète pas. La tolérance de l’excision est en revanche " culturelle " : elle revendique la reconnaissance d’une culture, qu’une autre culture ne peut juger de l’" extérieur ".

« Il y a désormais en France une culture officielle, une esthétique certifiée conforme, celle des scènes nationales de théâtre, par exemple, aux mises en scène interchangeables. Elle vise paradoxalement à manifester en tous lieux la liberté d’expression, pour peu que celle-ci ne désigne aucun rapport social réel, n’entraîne aucune conséquence fâcheuse et soit littéralement sans objet.

« En même temps qu’il dépolitise, l’entretien du culte de la " culture " contribue à domestiquer les classes moyennes cultivées en réaffirmant la frontière qui les sépare des classes populaires.

« En 2002, l’association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens – Attac –, fondée quatre ans plus tôt, obtenait son agrément en tant qu’association nationale de jeunesse et d’éducation populaire. Et, soudain, un contraste apparaissait : si Attac fait de l’éducation populaire en informant sur l’économie, en expliquant les inégalités et en proposant des moyens d’y remédier, alors que font les autres ? »

Chers collègues, je ne suis pas étonnée, à la lumière de ce brillant rappel par Franck Lepage de l’histoire du ministère de la culture, qu’on en arrive à des aberrations telles que l’article relatif à l’implantation des éoliennes : on invoque un prétexte culturel pour empêcher la nécessaire transition énergétique. En l’état, ce projet de loi remet en cause 99 % des projets éoliens de France, alors même que ce Gouvernement s’auto-félicitait des résultats de la COP21, et prenait des engagements solennels en faveur des énergies renouvelables. Chers collègues, il n’est pas possible de voter une telle régression. J’espère que nous saurons ouvrir les yeux avant qu’il ne soit trop tard. À lui seul, et malgré les nombreuses et nécessaires avancées dues au travail parlementaire, ce point remet en question le vote final du groupe écologiste.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Faure.

Mme Martine Faure. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, j’insisterai, à l’occasion de cette deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, sur le régime juridique des biens archéologiques et les instruments de la politique scientifique archéologique.

Je redirai avec force et conviction que l’objectif de l’article 20 de ce projet de loi est bien de rassembler tous les acteurs de l’archéologie autour de valeurs communes, d’une éthique commune, d’un projet commun, et non, comme nous l’entendons trop souvent, privilégier les uns au détriment des autres.

La diversité de ces acteurs est une force pour l’archéologie préventive et doit permettre à cette discipline scientifique de retrouver tout son sens au service de notre mémoire collective.

Nous devons affirmer ensemble l’ancrage économique et social de l’archéologie préventive qui, comme l’archéologie programmée, joue un rôle fondamental dans la construction du vivre ensemble et l’enrichissement culturel de tous.

La loi de 2003 avait ouvert le domaine des fouilles au secteur privé et accordé la maîtrise d’ouvrage aux aménageurs, sans en mesurer les conséquences en termes de concurrence – peut-être aucune étude d’impact n’avait-elle été réalisée.

Nous devons aujourd’hui rétablir un équilibre, pacifier des relations tendues et gommer les dysfonctionnements provoqués par cette loi.

Nous avions, en première lecture, amendé l’article 20 de ce texte pour mettre en place un certain nombre de dispositifs susceptibles de préserver cette grande politique publique scientifique et patrimoniale ainsi que ses acteurs.

Le Sénat a écarté un certain nombre de nos propositions que nous avons reprises en commission.

Il nous paraît essentiel de redéfinir les missions et l’implication de chacun des acteurs, notamment celui de l’État, qui est primordial. Le ministère de la culture et les organes scientifiques de contrôle doivent être placés au cœur du dispositif. L’État doit conserver la maîtrise d’ouvrage scientifique afin de garantir la qualité scientifique et technique des opérations. L’État doit d’ailleurs avoir les mêmes exigences pour tous les opérateurs, aussi bien en matière scientifique, politique, et sociale qu’en termes de gestion ou de financement.

Nous ne pouvons pas perdre de temps en polémique stérile. Il n’est pas question d’avantager l’Institut national de recherches archéologiques préventives – INRAP – au détriment des collectivités territoriales ou des opérateurs privés. Nous avons le devoir de briser ces idées toutes faites. L’article 20 propose des solutions qui permettront de retrouver confiance et sérénité. Exiger n’est pas complexifier. L’exigence est la garantie de la bonne marche de la chaîne archéologique.

Je me réjouis que la loi reconnaisse l’implication forte des collectivités territoriales et je ne comprends absolument pas que l’on puisse parler de « mépris à l’égard des collectivités territoriales ».

Mme Annie Genevard. Faites un budget, vous comprendrez !

Mme Martine Faure. Je salue également la rebudgétisation de la redevance archéologique. Je souhaite, par souci de cohérence, que nous confiions la pleine responsabilité – et non le monopole – des opérations sous-marines et subaquatiques à l’INRAP.

Nous sommes d’accord avec nos collègues sénateurs pour que la loi reconnaisse les missions du Conseil national de la recherche archéologique. Nous proposons que les commissions interrégionales d’archéologie soient renommées commissions territoriales de l’archéologie afin de tenir compte de la réforme territoriale.

J’insisterai enfin sur la nécessité de créer des passerelles professionnelles entre les différents univers de l’archéologie. Je sais que les différences de statuts sont autant de verrous mais des dispositifs facilitateurs pourraient apaiser de nombreuses craintes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la culture a été maltraitée durant ce quinquennat. Elle mérite mieux qu’un petit texte fourre-tout. D’ailleurs, je ne crois pas que la culture manque de liberté dans notre pays mais c’est votre choix.

Cela étant, je souhaite aborder un sujet qui l’est peu en dépit de son importance, et que votre texte néglige : la réforme des relations très compliquées entre les producteurs et les diffuseurs en matière audiovisuelle.

Nous sommes là au cœur de la création française d’œuvres audiovisuelles dans un contexte de mondialisation accrue de la consommation audiovisuelle.

Alors qu’il faudrait favoriser l’émergence d’une filière de production forte, nous avons le sentiment que tout est mis en œuvre pour maintenir son atomisation excessive et affaiblir cet ensemble diffuseurs-producteurs.

Par ailleurs, au morcellement de la production correspond un système déséquilibré et coûteux pour nos finances publiques. Les diffuseurs dépensent 830 millions d’euros – dont plus de 50 % par le groupe France Télévisions – tandis que 1,5 milliard d’euros sont injectés dans le système, ce qui représente un effort sans précédent en Europe. L’effort public est important mais la production faiblit. Il est donc urgent de réformer pour développer la création française et l’inscrire dans la compétitivité mondiale, tout en respectant sa diversité et l’indépendance des producteurs.

À cette fin, il convient de réformer le récent décret du 27 avril 2015 afin de permettre la détention de parts de coproduction à partir d’un financement à hauteur de 50 %.

Il faut développer la maîtrise des mandats de commercialisation par les diffuseurs et favoriser la mise en concurrence entre diffuseurs et producteurs.

Nous vous proposerons plusieurs amendements afin d’assouplir les obligations aujourd’hui drastiques qui ont été posées pour favoriser la production indépendante, en faisant passer de 95 à 70 % l’obligation de diffuser des productions indépendantes chez France Télévisions, voire de 65 ou 60 % pour les diffuseurs privés.

Il est enfin indispensable de reconsidérer la définition de la production indépendante en élevant le seuil de 15 à 50 % de prise de capital. C’est tout simplement le droit commun.

Nous souhaitons tous consolider nos acteurs publics de l’audiovisuel. Un service de l’audiovisuel public ne s’explique que s’il est fort et différent de l’offre privée. Aujourd’hui, rien n’est plus incertain que son financement. La disparition définitive de la publicité, le développement important des ressources commerciales et le regroupement des différents acteurs publics sont des pistes incontournables.

Il existe d’ailleurs, dans ce domaine, un modèle de réussite, celui de la BBC. Soyons suffisamment audacieux pour nous en inspirer.

Ce texte passe à côté d’un acteur majeur de la créativité, l’audiovisuel. Nous devons réformer en profondeur notre système. Nous ne devons pas négliger la productivité des producteurs indépendants, bien évidemment, mais nous devons favoriser l’émergence de groupes de taille européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Féron, dernier orateur inscrit.

M. Hervé Féron. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, « La culture », disait André Malraux en 1966 est un « enjeu de civilisation ». Il disait aussi que « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». À un moment où les obscurantistes s’attaquent à nos valeurs et saccagent les œuvres d’art, ces mots résonnent plus que jamais dans l’actualité, rendant ce projet de loi nécessaire et essentiel.

Ce texte érige en grand principe la création artistique, qu’il s’agisse du théâtre, de la danse, de la musique, de la littérature, de l’art contemporain jusqu’à l’art floral. Or, la création est indispensable à l’acceptation de soi et des autres, à la construction d’une réflexion permettant de nous interroger sur nos certitudes et de nous bousculer dans nos conventions, à l’acquisition d’une distance critique nécessaire pour déconstruire les discours simplificateurs et caricaturaux.

C’est encore André Malraux, qui disait : « La Culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur la terre. »

Ce texte tend à « sanctuariser la liberté de création », mais pas seulement. De l’art plastique à l’architecture, en passant par l’archéologie ou les quotas à la radio, nous avons abordé de nombreux sujets au fil de ses quarante-six articles.

Vous savez, madame la ministre, que le groupe socialiste s’est fortement engagé pour favoriser l’accès à une offre culturelle diverse, ce qui suppose une diffusion suffisamment variée à la radio, en mettant l’accent sur la francophonie et les nouveaux talents. Nous avons bien compris votre argumentation autour des quotas, l’article 11 ter ayant été modifié en commission sur proposition du Gouvernement afin de prévoir un allégement de 5 % en contrepartie d’engagements sur la diversité. Nous avons néanmoins pensé nécessaire de préciser que la diffusion d’œuvres francophones devra se faire à des heures de grande écoute afin d’éviter que certaines radios commerciales ne contournent leurs obligations légales en diffusant les nouveaux talents à des heures tardives, les privant ainsi de rencontrer leur public. Nous vous présenterons un amendement dans ce sens au cours de la discussion.

Un autre sujet que vous connaissez bien est celui de la gestion collective des droits des artistes-interprètes. Demande de longue date des sociétés représentant majoritairement les artistes-interprètes – SPEDIDAM et ADAMI –, la gestion collective des droits tirés du « streaming musical » apparaît comme une nécessité. À ce jour en effet, la quasi-totalité des artistes-interprètes ne reçoit aucune rémunération pour ces exploitations, contraints de céder leurs droits aux producteurs pour une rémunération forfaitaire et définitive ou, pour une petite minorité d’entre eux – les artistes les plus populaires –, en contrepartie du paiement de « royalties » reçues des producteurs sans garantie d’équité ou de transparence. J’espère que cette deuxième lecture nous permettra d’aborder ce sujet.

Permettez-moi aussi une petite digression, qui se trouve toutefois en lien avec l’objet du texte dont nous discutons aujourd’hui. Vous avez déclaré il y a deux jours à peine vouloir veiller à ce que les conditions d’emploi et de protection sociale soient garanties pour les artistes et les techniciens du spectacle. Bien que ce ne soit pas l’objet direct du présent projet de loi, je me réjouis de ces annonces concernant le régime des intermittents du spectacle. Ceux-ci sont en effet, comme vous le dites, « la clé de voûte de notre modèle de création ». Nous attendons avec grand intérêt que vous nous en disiez plus, et je puis vous assurer du soutien des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen sur ce point essentiel.

Madame la ministre, nous sommes fiers de poursuivre le combat pour la culture après les événements terribles que nous avons connus en 2015, à l’heure où il nous faut retrouver des solidarités pour répondre à la crise multiple et internationale que nous traversons. Au-delà du buzz, la présence de l’artiste chinois Ai Weiwei et de l’acteur britannique Jude Law en soutien aux migrants à Calais en est l’une des preuves les plus récentes : art et engagement ne sont pas incompatibles. Au contraire des partisans de l’« art pour l’art » au XIXe siècle, je suis même persuadé qu’ils s’irriguent l’un l’autre. Ce projet de loi et toutes les dernières actualités sont de formidables occasions de le rappeler.

Enfin, au-delà des grands principes, l’action ne peut exister pleinement qu’avec des moyens dignes de ce nom. Si nous nous réjouissons que le budget du ministère de la culture ait été augmenté cette année encore, il faudra continuer de s’assurer qu’il soit suffisant pour permettre la mise en œuvre réussie de nos politiques culturelles. C’est à ce prix, ainsi qu’en ravivant le lien État-collectivités qui nous permet de faire vivre la culture sur nos territoires, que nous préserverons la force de notre modèle unique dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Audrey Azoulay, ministre. Comme un des orateurs l’a dit, il ne faut pas, dans la situation actuelle, nous désarmer, et la culture est une des réponses – probablement la plus sûre sur le long terme – à cette situation. Ce principe prend corps dans les différents sujets abordés. Nous aurons l’occasion de les approfondir lors de l’examen des articles, mais je souhaite d’ores et déjà dire quelques mots des points particuliers sur lesquels on nous a interpellés.

Après les motions de procédure, les orateurs de tous bords sont revenus au point cardinal de ce texte, à savoir la liberté de création, de diffusion et de programmation, et ont souligné son importance.

Si l’archéologie préventive fait en effet l’objet de deux visions différentes, la visée du texte, comme l’a dit Mme Faure, est de nous rassembler autour d’une éthique commune, avec une pluralité de moyens d’intervention mais un contrôle scientifique commun et un objectif partagé par les différents intervenants de la chaîne. Nous ne nions pas la diversité de ces derniers, mais ils doivent tendre vers un même objectif.

S’agissant des quotas de diffusion de chanson francophone à la radio, l’objectif de la mesure proposée est de les rendre effectifs, en sorte qu’ils aient enfin une véritable incidence sur la programmation des radios. Alors que le système actuel, qui peut être ambitieux dans sa lettre, ne trouve pas de traduction réelle dans la programmation, le dispositif que nous présentons vise, je le répète, à rendre les quotas effectifs, et je retiens la suggestion formulée par M. Féron de préciser certaines plages horaires afin qu’ils soient réellement appliqués.

Pour ce qui est du droit des artistes-interprètes, l’équilibre ménagé par le texte est issu, on l’a dit, de la médiation et de l’accord dits « Schwartz ». Cet accord ne met pas un point final à l’importante question de la rémunération des artistes dans la nouvelle économie : c’est au contraire le point de départ de négociations qui vont s’ouvrir en commissions mixtes paritaires, selon un calendrier préétabli et sous l’œil vigilant du Gouvernement. Le sujet est majeur, puisqu’il s’agit de la rémunération des personnes qui sont à l’origine et au cœur de la création.

Madame Sage, vous avez évoqué la cité des outre-mer. Mon ministère a été consulté sur ce projet dans le cadre d’un rapport du département ministériel chargé de l’outre-mer et il a émis des propositions. Par ailleurs, je viens de parapher un texte visant à créer une direction des affaires culturelles de plein exercice à Mayotte. Le ministère est également mobilisé dans le cadre de projets culturels en Polynésie française. J’y porte bien évidemment une attention toute particulière.

Autre sujet évoqué, celui des intermittents du spectacle. La négociation sur leur régime se tient, non pas ici, mais entre les partenaires sociaux. Le Gouvernement a fait des efforts comme nul autre auparavant pour qu’elle se déroule dans un cadre serein, avec une inscription dans la loi des annexes 8 et 10 de manière à faire disparaître la menace permanente qu’entraînait ce régime et avec des mesures de prise en charge par l’État du différé d’indemnisation qui touchait les plus précaires et qui constituait le point le plus difficile de l’accord précédent. En outre, ce sont les partenaires sociaux directement chargés du sujet qui négocieront l’évolution du régime dans le cadre du cadrage salarial qu’établiront les confédérations. Enfin, nous étudions la mise en œuvre d’un fonds pour l’emploi destiné à soutenir l’emploi des artistes et des techniciens dans le monde du spectacle.

J’en viens pour conclure à la production audiovisuelle et aux rapports entre producteurs, diffuseurs et auteurs. L’objectif du Gouvernement est de favoriser le plus possible la négociation entre ces différents acteurs, dans un cadre général fixé par la loi mais sans que le pouvoir réglementaire ou législatif prétende entrer dans le détail des discussions professionnelles. Celles-ci, qui doivent rester souples pour s’adapter aux réalités et, surtout, pour trouver des convergences entre producteurs, diffuseurs et auteurs afin de regarder plus loin. Car le vrai sujet n’est pas le marché français, c’est la qualité de notre production, seul avenir possible pour ce secteur. À trop se déchirer en interne, le risque est de perdre de vue que, dans un univers mondialisé comme celui de l’audiovisuel, la seule solution est l’originalité de la création française. Au regard de cet objectif, producteurs, diffuseurs et auteurs ont en réalité les mêmes intérêts.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je remercie tous les intervenants, dont la plupart se sont investis dès la première lecture dans l’examen de ce projet de loi et dont la passion pour la culture et pour les enjeux dont nous débattons n’est plus à prouver. Sans répondre sur l’ensemble des sujets, puisque l’examen des amendements sera l’occasion de les aborder de manière plus fouillée, je voudrais reprendre quelques points.

Comme plusieurs autres orateurs, Mme Gilda Hobert a souligné notre attachement à la liberté de création, dont l’affirmation à l’article 1er – « La création artistique est libre » – a réuni une majorité non seulement à l’Assemblée nationale en première lecture, mais également au Sénat, dépassant donc les clivages politiques habituels. L’adoption conforme dans les deux assemblées fait que nous n’aurons pas à rediscuter de cet article. Nous avons néanmoins souhaité prendre en compte, en deuxième lecture, la contribution du Sénat, qui affirme à l’article 1er bis la liberté de diffusion de la création artistique, et je remercie Mme Hobert d’y avoir insisté avec beaucoup de pertinence.

On retrouve dans les sujets évoqués les passions qui animent certains de nos collègues. Je pense à Michel Pouzol, à ses propos sur le cinéma et à son hommage à Marie-George Buffet, grâce à qui les réalisateurs trouvent toute leur place à l’article 14 – le Sénat ayant déjà ajouté à liste les chorégraphes. Je salue également l’investissement d’Hervé Féron pour les enjeux du secteur musical, qu’il s’agisse de la manière de rémunérer tous les acteurs de la manière la plus équilibrée et la plus juste possible ou de la question des quotas de diffusion, qu’il portera de nouveau lors de cette deuxième lecture.

Dans son intervention très détaillée, Martine Faure établit un diagnostic sans appel : tous les acteurs de l’archéologie préventive sont concernés, de façon équilibrée, par les dispositions que la commission a rétablies en deuxième lecture. Je l’en remercie. Pour m’être opposé ici même en 2003, avec d’autres, au texte qui modifiait la loi relative à l’archéologie préventive en ouvrant les fouilles à la concurrence, donc aux opérateurs privés, je veux dire à mes collègues de l’opposition que nous aurions pu souhaiter revenir à la situation antérieure. Or nous ne l’avons pas fait. Nous n’avons pas mis fin à la concurrence en matière de fouilles. Convenez, dès lors, que nous avons voulu trouver un nouvel équilibre entre opérateurs privés et opérateur publics ! Parmi ces opérateurs, je pense évidemment à cette grande institution qu’est l’INRAP, mais aussi – je veux ici rassurer nombre d’intervenants – les services archéologiques des collectivités territoriales, qui ont évidemment toute leur place dans l’article 20 tel que nous avons souhaité le réécrire. Et si j’ai parlé de « monopole » au sujet de l’INRAP, madame Genevard, c’est uniquement en matière de recherches archéologiques subaquatiques.

Tous ces sujets, qu’il s’agisse de cinéma, de musique ou encore, pour reprendre le thème combien de fois débattu de l’intervention d’Éric Woerth, des relations entre producteurs indépendants et diffuseurs, nous nous en saisissons régulièrement. La régulation y est considérable. Ils font tous l’objet de négociations et d’un investissement tout particulier du ministère de la culture et de la communication. Si nous avons inscrit certaines dispositions dans la loi et pas d’autres, c’est que nous considérons que dans bien des domaines où, très légitimement, des intérêts contradictoires s’expriment, le législateur ne doit pas être utilisé comme facteur de déséquilibre.

M. Éric Woerth. Pourquoi légiférer, alors ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. En d’autres termes, il ne faut pas utiliser le législateur pour pousser dans tel ou tel sens, au mépris, parfois, de négociations en cours. En l’occurrence, monsieur Woerth, le législateur est intervenu, à l’initiative de nos collègues sénateurs, par la loi du 15 novembre 2013, laquelle a donné naissance au décret de 2015 que vous avez cité. Les producteurs indépendants ont négocié avec France Télévisions et abouti à un accord à la fin de 2015. Ils mènent aujourd’hui une négociation essentielle avec TF1. En maintenant les quotas fixés à l’initiative de Jean-Pierre Leleux au Sénat ou en établissant d’autres quotas, le législateur aurait une influence très négative sur l’aboutissement de la négociation en cours.

Permettez à la majorité, sur certains sujets, de préférer la négociation à l’intervention brutale du législateur, qui risquerait de déséquilibrer les discussions en cours.

Je remercie Dominique Nachury d’avoir fait référence à nombre de sujets, en particulier à celui qui lui est cher autant qu’il nous est cher, je veux parler de l’architecture.

Vous avez beaucoup contribué, chère collègue, à travers la mission d’information sur la création architecturale – création désirée et libérée –, à ce que nombre de propositions que nous avons portées ensemble se retrouvent aujourd’hui inscrites dans la loi, et cette deuxième lecture nous donne l’occasion d’aller encore plus loin.

Je vous remercie, Mme Sage, pour votre intervention. En tant que députée de la première circonscription de la Polynésie française, vous nous avez rappelé une chose que nous ne saurions oublier, à savoir l’importance des cultures ultramarines. Vous avez évoqué un certain nombre de sujets auxquels la ministre a répondu en partie. Je me sens, pour ma part, interpellé par votre question relative au respect des quotas dans le domaine de la production audiovisuelle indépendante ultramarine. Sachez que si ces quotas ne sont pas respectés, nous serons amenés à nous en occuper.

Je voudrais pour terminer dire à quel point ce projet de loi, dans la situation particulière que connaît notre pays, revêt un sens important. Notre commission étant celle des affaires culturelles et de l’éducation, nous savons à quel point le lien entre éducation et culture est déterminant, au-delà du message que nous adressons à nos concitoyennes et nos concitoyens. Il faut faciliter l’accès de la culture à ceux qui en sont les plus éloignés afin que tous les modes d’expression artistique leur soient plus accessibles.

Madame Buffet, cette grande loi pour la culture est aussi un message adressé à tous les acteurs culturels, les artistes comme les auteurs. Vous avez eu raison de rappeler vos préoccupations, qui sont aussi les nôtres, concernant l’emploi artistique, qu’il s’agisse du statut d’intermittent ou de celui, parfois plus précaire encore, d’artiste indépendant. C’est un sujet sur lequel nous ne sommes pas amenés à légiférer aujourd’hui mais qui nous préoccupe au plus haut point.

Ce texte nous permet enfin de rendre hommage, avec votre permission, madame la ministre, à tous les fonctionnaires de la culture, qu’ils exercent dans la fonction publique d’État ou dans les collectivités territoriales. Ils ont une haute idée du service public de la culture et remplissent leur mission avec talent et compétence. Il est vrai qu’être fonctionnaire au service de la culture est souvent une vocation. Qu’ils en soient remerciés.

Je terminerai mon propos en revenant sur l’évocation historique à laquelle s’est livrée Isabelle Attard de ce grand ministère de la culture et de la communication. Néanmoins notre collègue a oublié un nom – mais peut-être ai-je été inattentif – le nom de celui qui est sans doute à l’origine de tout ce que nous évoquons aujourd’hui, je veux parler de Jean Zay.

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’engager l’examen des articles encore en discussion, nous allons suspendre la séance quelques minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant dans le texte de la commission les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er bis

(L’article 1er bis est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. Sur cet article, plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à Mme Marie-Odile Bouillé.

Mme Marie-Odile Bouillé. J’ai la conviction que l’article 2 est tout à fait essentiel dans le texte de ce projet de loi car il a de nombreuses vertus, notamment celle d’expliciter le rôle et la responsabilité de chacune des collectivités publiques en matière de création artistique.

Alors même que la mode est à la critique du rôle central de l’État, des compétences enchevêtrées des collectivités locales, de la prétendue dilution des responsabilités dans l’indigeste mille-feuilles territorial, cet article rappelle à chacun les principes fondamentaux qu’il doit respecter dans la définition et la mise en œuvre des politiques qu’il mène en faveur de la création artistique.

Notre assemblée et le Sénat ont enrichi successivement cet article dans l’objectif de lui donner une portée plus universelle et dans un souci de cohérence et d’efficacité de l’action publique.

Plusieurs ajouts me semblent essentiels. Ayant été moi-même élue locale en charge des politiques culturelles, je mesure l’importance de leur donner force de loi. Il s’agit notamment du respect de l’équité territoriale, de l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore de la valorisation des initiatives prises par le secteur associatif, dont l’apport culturel dans nos territoires est souvent mésestimé, voire négligé.

J’ajouterai un objectif, celui du développement de l’éducation artistique et culturelle qui, selon moi, joue un rôle primordial dans l’émancipation des individus, en particulier les plus jeunes, qui permet de développer la sensibilité à l’art, de rencontrer des artistes et de comprendre les œuvres en découvrant les lieux de création et de diffusion. Cette éducation ne doit exclure aucun public.

Les collectivités ont, selon moi, le devoir de s’adresser aux publics les plus éloignés de la culture qui, souvent, sont nos concitoyens les plus fragiles. Je reste persuadée que la création artistique est un outil de démocratisation de la culture, d’émancipation et d’égalité républicaine entre les citoyens, et que la mixité culturelle est un facteur de cohésion sociale dont personne ne peut faire l’économie.

Si vous êtes, comme moi, mes chers collègues, persuadés de l’importance de ces objectifs, il vous faut soutenir la réintroduction à l’article 2 de la notion de service public pour qualifier la politique menée en faveur de la création. Le Sénat a retiré cette notion du texte alors même qu’elle donne aux collectivités publiques une légitimité plus forte pour veiller au respect essentiel de la liberté de programmation artistique.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que l’intervention des orateurs sur un article ne doit pas excéder deux minutes.

La parole est à M. Hervé Féron, que j’invite à respecter cette consigne.

M. Hervé Féron. Après l’article 1er du projet de loi, qui résonne comme une magnifique consécration de la liberté de création artistique, l’article 2 décline les objectifs de la politique culturelle permettant de mettre en pratique cette liberté de principe.

Comme le dit la chanson de Hugo F. sur les obscurantistes,

« Quand ils auront fermé les dernières écoles,

Qu’ils auront censuré le geste et la parole,

Quand ils auront brûlé les maisons de la culture,

Qu’ils auront abattu la dernière sculpture,

Le dernier qui sortira éteindra les lumières. »

L’article 2 est particulièrement important puisqu’il fixe la politique publique en matière culturelle, à tel point que l’on comprend que députés et sénateurs aient été tentés de l’amender de toute part, en fonction de la conception que chacun se fait de la politique culturelle.

Il est appréciable que le rapporteur l’ait réorganisé afin d’en proposer une rédaction globale, qui mentionne clairement les points importants, comme l’existence de droits culturels, l’égalité entre hommes et femmes, ainsi que la coresponsabilité de l’État et des collectivités territoriales dans la conduite de la politique en faveur de la création artistique. En effet, comme chacun sait, il faut s’efforcer de combattre le travers dans lequel on tombe si facilement dans nos assemblées : celui qui consiste à faire une loi bavarde.

L’adoption d’un amendement du rapporteur a permis de rétablir l’expression « une politique de service public en faveur de la création artistique », supprimée par le Sénat.

Je suis persuadé que c’est en définissant de manière juste et précise le service public de la culture que nous réaffirmerons la place centrale de la culture et de ses acteurs dans le pacte républicain.

Loin d’être secondaire, la notion du « service public de la culture » est centrale, alors même que la pression du marché est forte, et pourrait donner lieu à un rétrécissement de la création. La défense de la diversité culturelle impose que les pouvoirs publics garantissent l’existence et le développement d’expressions artistiques et culturelles non rentables.

Mon intervention a duré exactement deux minutes, madame la présidente.

Mme la présidente. En effet ! La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. J’ai eu l’occasion de dire devant la commission que l’article 2 n’a pas été considérablement récrit. M. Féron a insisté sur la réintroduction de la notion de service public, mais l’État, les collectivités territoriales ne mettent-elles en œuvre, par définition, une politique de service public ? Dès lors, la précision me semble introduire une forme de redondance.

Cette remarque ne constitue cependant pas l’essentiel de mon intervention.

Madame la ministre, l’alinéa 10 rappelle que l’un des objectifs poursuivi est de « favoriser le dynamisme de la création artistique sur les plans local, national et international, ainsi que le rayonnement de la France à l’étranger ».

Je veux justement vous interroger sur un sujet d’actualité qui concerne le festival lyrique le plus populaire de France : les chorégies d’Orange. Depuis la démission de son président Thierry Mariani et de son directeur Raymond Duffaut, et depuis l’annonce de la menace de supprimer les subventions de l’État, qui représentent tout de même 6 % à 7 % du budget des chorégies, où en est ce dossier sensible ?

Je ne me lancerai pas dans l’historique de la situation qui nous a conduits là où nous en sommes. Ce n’est pas mon propos. Je veux seulement savoir si on peut espérer, pour ce grand festival lyrique, une sortie de crise à même de satisfaire un public qui s’inquiète légitimement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Tolmont.

Mme Sylvie Tolmont. Symbole d’ouverture et de curiosité, appel à l’éveil, à l’émancipation des êtres et des sociétés, garant du vivre-ensemble et de la cohésion sociale dans le partage des émotions et la transmission d’un patrimoine commun, la culture est un formidable terrain d’expression de toutes les richesses, qui contribue fortement à bâtir notre projet républicain. Puisant sa raison d’être dans la mise en lumière de toutes ces richesses et dans leur diffusion auprès du plus grand nombre, la culture est une force majeure au service de la démocratisation et de l’éducation populaires.

Pourtant, au sortir des élections municipales de 2014, nous avons observé avec consternation et effroi que certaines municipalités avaient immédiatement procédé à des coupes drastiques dans les budgets dédiés à la culture, au prétexte que d’autres secteurs seraient prioritaires.

Cet argument n’est pas recevable. La culture, au nom de toutes les missions d’humanité et de citoyenneté qu’elle remplit, mérite un engagement sans faille de l’État, une attention exemplaire des pouvoirs publics, un soutien plein des collectivités. Les difficultés économiques ne peuvent justifier l’appauvrissement de notre culture, qui forge le socle de nos valeurs fondamentales, et qui écrit notre histoire collective.

Les mots de Churchill répondant, alors qu’on lui suggérait de couper dans le budget des arts pour soutenir l’effort de guerre, « Alors pourquoi nous battons-nous ? », ont à ce sujet une résonance éternelle. À ce titre, je me félicite des ambitions défendues par notre gouvernement dans ce projet de loi, particulièrement à travers l’article 2, qui réaffirme l’engagement de l’État et des collectivités territoriales en faveur de la création artistique.

En rappelant la responsabilité de l’ensemble des collectivités publiques dans l’exercice de leurs compétences en matière de respect de la liberté de programmation artistique, cet article envoie un message de soutien très fort à toutes les villes de France pour accompagner la mise en œuvre et le rayonnement de programmations culturelles libres, nombreuses, ouvertes et riches.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Je rappellerai d’un mot, pour ouvrir l’examen de l’article 2, un point déjà évoqué lors de la motion de renvoi en commission. À quoi sert cette liste qui n’en finit plus ? En soi, elle ne contient rien de mauvais, mais je trouve qu’elle perd toute force.

L’article 1er est pugnace, il dit les choses, alors que le suivant se présente comme une litanie de choses plus ou moins importantes, et c’est précisément parce qu’il n’affirme rien qu’il perd toute force.

De plus, quand on fait une très longue énumération, le grand danger vient des omissions. Or il manquera toujours quelque chose dans un cas comme celui-ci, car la politique culturelle est une forme de liberté, d’improvisation et de créativité. Bientôt, je le sais déjà, on découvrira qu’on a oublié quelque chose.

Il aurait mieux valu adopter une rédaction dense, ramassée, comme celle de l’article 1er, que ce texte, qui semble cacher un vide profond. Il aurait mieux valu une vraie volonté et une vraie capacité d’imagination.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement n104.

Mme Annie Genevard. L’amendement a été cosigné par de nombreux maires qui s’interrogent sur le sens de la mention des « droits culturels ». Je rappelle que cette notion figure déjà dans la loi NOTRe, que nous avons adoptée il n’y a pas si longtemps. Faut-il que vous la répétiez, alors que vous êtes à la recherche d’une certaine pureté d’expression ?

Une autre raison de ne pas le faire est que ces droits sont cités dans un texte auquel vous vous référez et que j’ai sous les yeux : la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, élaborée sous l’égide de l’Unesco. Dans ce texte, les droits culturels sont relatifs à la diversité culturelle, mentionnée à plusieurs reprises.

La mention de « droits culturels » inquiète également l’Association des maires de France au sens où elle sous-tend peut-être que la compétence que les collectivités territoriales partagent avec d’autres, et que – je l’ai dit en soutenant la motion de rejet préalable – elles ont bien des difficultés à l’exercer, deviendra obligatoire.

L’Association des maires de France craint enfin que l’énonciation de droits culturels ne puisse servir de prétexte à la défense d’intérêts communautaristes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Avis défavorable. J’avoue avoir été étonné du dépôt de ces trois amendements identiques, nos 28, 67 et 104, dont un seul a été soutenu.

Madame Genevard, vous nous invitez à relire la convention de l’Unesco d’octobre 2005. Peut-être n’avez-vous pas oublié que j’ai été nommé rapporteur par notre commission pour effectuer des auditions, qui m’ont amené à rédiger un rapport soulignant toute l’importance de ce texte et célébrant, en un sens, le dixième anniversaire de sa signature.

La convention, signée dès 2005 par l’Union européenne, et qui l’est aujourd’hui par 179 pays, fait référence à la notion de droits culturels, laquelle, vous l’avez rappelé, a été introduite dans la loi NOTRe à l’initiative de nos collègues sénateurs. Dans ces conditions, il est bien naturel que, dans l’article 2 du projet de loi, on retrouve, à l’initiative des sénateurs, qui l’ont introduite en première lecture, une référence explicite à cette notion, ainsi qu’à la convention de l’Unesco.

En élaborant la nouvelle rédaction, votre rapporteur n’a pas poursuivi d’autre but que celui de vous offrir un article lisible, cohérent et non répétitif sur les objectifs du service public de la culture, qu’il s’agisse de celui de l’État, des collectivités territoriales, des groupements ou des établissements publics.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Avis défavorable.

Je commence par remercier le rapporteur, comme je l’ai fait devant la commission, pour sa rédaction de l’article, laquelle apporte une vision globale tout en soulignant les aspects stratégiques les plus importants, ce qui était nécessaire.

S’agissant de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ratifiée par la France, et dont nous célébrons le dixième anniversaire, vous avez rappelé, cher Patrick Bloche, le rapport que vous avez rédigé au nom de la commission.

Cette convention est d’un apport majeur pour notre politique culturelle, particulièrement quand nous devons la défendre dans les enceintes internationales, ce qui a souvent été le cas, notamment en 2013, quand nous avons défendu l’exception culturelle, alors que la Commission européenne négociait le traité Transatlantique.

Un des rares déplacements que le Président de la République a maintenu au lendemain des attentats de novembre 2015 est celui qu’il a effectué à l’Unesco, pour célébrer les dix ans de la Convention, et présenter un rapport rédigé par la France pour la protection du patrimoine culturel en danger dans les zones de guerre.

Madame Genevard, je ne partage par vos craintes en ce qui concerne la portée obligatoire de la formulation « dans le respect de ». Il me semble utile, au contraire, de conserver la rédaction du Sénat.

Enfin, je veux dire un mot de la situation des Chorégies d’Orange, sur laquelle vous m’avez interrogée.

Il s’agit d’un des festivals les plus anciens de France, d’un festival majeur en ce qui concerne l’art lyrique et la présence d’orchestres symphoniques. On a évoqué tout à l’heure le risque d’atteintes à la liberté de création, de diffusion, de programmation. De fait, il y avait à Orange une volonté d’accaparement de l’organisation du festival par la municipalité, à la suite de péripéties sur lesquelles je ne reviendrai pas.

L’État s’est compté en garant, comme il le doit. Il n’a pas accepté l’état de fait, justement pour préserver la pérennité du festival et de son excellence. L’association faisait en effet intervenir, comme cela se produit très souvent, de multiples partenaires : l’État, les collectivités, ainsi que des professionnels.

L’État a joué son rôle en refusant une prise de pouvoir de fait, qui n’était conforme ni au droit ni à la légitimité en matière de politique culturelle. La ville a réagi en indiquant qu’à la demande de l’État, elle allait convoquer prochainement le conseil d’administration afin que soit désigné, comme il se doit, un président, conformément aux bonnes règles de gouvernance.

Mme la présidente. L’amendement est-il maintenu, madame Genevard ?

Mme Annie Genevard. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n104 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement n215.

M. François de Mazières. L’amendement a pour objet de renvoyer cette longue liste à un décret en Conseil d’État. Comme je l’ai dit et redit, je considère, à l’instar de mes collègues, qu’il est dommage que le texte ne soit pas plus fort.

Depuis 1959, personne n’avait osé toucher au décret écrit de la main de Malraux, texte exceptionnel de densité, qui définit toute la politique culturelle. Permettez-moi de le citer : « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. » Tout est dit, et de merveilleuse façon.

Lorsque j’ai évoqué cette question dans notre commission, Patrick Bloche a insisté sur le rôle des collectivités territoriales. Pour être maire et président d’une intercommunalité, je partage naturellement sa préoccupation, mais, pour ma part, j’aurais simplement précisé que les dispositions en vigueur s’appliquent également aux collectivités territoriales. Cette rédaction aurait été parfaite. Mais on est ici en présence d’un texte tellement long et ennuyeux que l’on peut se demander qui va le retenir, l’apprendre par cœur, alors que l’on mémorise aisément l’article 1er du décret de 1959.

Je me félicite que l’on ait conservé en l’état l’article 1er, qui est, effectivement, un article fort, au regard de ce que nous vivons, ensemble, dans notre pays. Mais s’agissant de l’article 2, il suffit de renvoyer cette disposition à un décret, ce qui permettra de surcroît, par la suite, de le modifier, de le faire évoluer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Cet amendement aurait pu être présenté par Mme la ministre, puisqu’il renvoie à un décret en Conseil d’État. Précisément, le Gouvernement a voulu que le législateur, c’est-à-dire les députés que nous sommes, ici présents, pour examiner ce texte en deuxième lecture, puisse effectivement écrire, inscrire, graver dans le marbre de la loi les grands objectifs du service public de la culture. Ce faisant, d’ailleurs, on répond très précisément, en cet article, aux revendications portées depuis des années par nombre d’acteurs culturels, notamment ceux du spectacle vivant, pour qu’il y ait une loi d’orientation sur la culture. C’est bien en cet article 2 que les orientations sont données.

À partir du moment où on les inscrit dans la loi, il ne s’agit pas d’une pétition de principe. Vous verrez que les acteurs culturels, nos concitoyennes et nos concitoyens feront vivre utilement cette loi. Vous nous avez rappelé à plusieurs reprises le décret de Malraux de 1959 ; vous venez d’en lire l’article 1er, dont la rédaction est, de fait, très condensée. Mais, entre 1959 et 2016, cinquante-sept ans se sont écoulés, beaucoup d’événements sont survenus. En particulier, comme je l’ai rappelé, nous avons connu trente ans de décentralisation institutionnelle, notamment dans le milieu culturel, qui avait précédé la décentralisation théâtrale des années 1970.

Mon travail de rerédaction en deuxième lecture n’a visé qu’à retenir tous les ajouts, opérés tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat. Les députés de l’opposition n’ont d’ailleurs pas été les derniers, en première lecture, à amender cet article ; je les en remercie puisque nous avons conservé les dispositions qu’ils avaient fait voter par amendement. Pour toutes ces raisons, monsieur de Mazières, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Tout a été dit. Il est important que ce soit le législateur qui consacre ce pacte entre les collectivités locales pour la politique culturelle. Cela traduit la réalité de cette politique. On vient d’en parler au sujet des Chorégies d’Orange : personne ne mène cette politique séparément. Il est donc important que ce soit le législateur, auquel je faisais appel dans mon propos liminaire – je me tourne ici vers Mme Genevard – qui vienne consacrer ce pacte. Donc avis défavorable du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Madame la ministre, on ne peut qu’être sensible à l’hommage que vous rendez au Parlement en lui demandant d’approuver cette déclinaison de l’article 2. Pour ma part, je le reconnais, j’ai été quelque peu sévère, voire trop sévère, en commission, car je n’ai pas tenu compte de la délicatesse de la rerédaction de notre rapporteur. Cela étant, je maintiens mon interrogation. L’article 1er bis est très bien rédigé ; il a été repris, il est parfait. Il relève bien du domaine de la loi : il s’agit du thème, pour employer un terme musical.

L’article 2, pour demeurer dans le registre musical, est une suite de variations qui sera nécessairement incomplète, comme cela vient d’être dit. Je mets en garde à nouveau les parlementaires contre la tentation – car c’est bien de cela qu’il s’agit – qui leur est offerte d’écrire eux-mêmes, dans tous les détails, tous les objectifs de toute sorte et en tout genre. On sait ce qui se passera en pareil cas : ce qui n’est pas dit manquera dans six mois, un an ou deux ans, et on nous dira à ce moment-là que l’on n’y peut rien, qu’il faut repasser par la loi pour la modifier. De fait, ne l’oublions pas, ce que nous votons en ce moment sur un projet de loi aussi vaste ne pourra être modifié que par une autre loi. En revanche, lorsque l’on se trouve dans le champ réglementaire, il suffit que des gouvernants éclairés comme vous l’êtes prennent la décision, par décret, de modifier un décret précédent. Cela permet d’échapper à la contrainte très lourde du calendrier parlementaire. Pour cette simple raison technique, on aurait pu faire preuve d’un peu plus de prudence et, peut-être, en rester au thème, en laissant libre cours aux variations, à travers le travail sérieux que pouvait accomplir le Conseil d’État, sur la proposition du Gouvernement. De ce point de vue, je trouve la proposition de M. de Mazières assez forte, presque beethovénienne, ce qui ne me déplaît pas.

(L’amendement n215 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l’amendement n132.

M. Marcel Rogemont. Cet amendement porte sur l’alinéa 19 de l’article 2. Bien sûr, l’ajout des mots « notamment au sein de l’Europe » à la suite des termes « favoriser les échanges » peut sans doute apparaître quelque peu accessoire. Pourtant, il est bon de rappeler que nous sommes au sein de l’Europe et que, mieux encore, nous faisons partie des membres fondateurs de l’Europe. On pourrait ajouter que nous sommes le moteur de l’Union, notamment grâce au couple que nous formons avec l’Allemagne. L’article 2 comporte une vingtaine d’alinéas mais ne fait nulle part allusion à l’Europe, ce qui est dommage. C’est dommage parce que nous essayons, par l’ensemble de nos politiques, de faire partager l’esprit européen par nos concitoyens. Quelle serait l’efficacité d’une loi qui oublierait que l’Europe fait partie de notre destin ?

Je voudrais insister sur un sujet qui me paraît extrêmement important. Madame la ministre, je sais que vous connaissez parfaitement, à l’instar de certaines des personnes qui vous entourent, les programmes européens Prospero. Qu’en est-il aujourd’hui de ces programmes ? Trop peu d’acteurs culturels de notre pays se saisissent de cette dimension européenne. Il me paraît dès lors certain, madame la ministre, que, notamment grâce à cet ajout, auquel il ne fait guère de doute que vous donnerez un avis favorable, vous allez inciter nos acteurs culturels à emprunter ce chemin que trop peu d’acteurs culturels empruntent. Je pense notamment au Théâtre national de Bretagne. Quant à vous, monsieur le rapporteur, vous m’aviez invité, à la suite de la remarque que j’avais faite à ce sujet lors du débat en commission, à présenter un amendement en séance. L’amendement n132 a précisément pour objet de vous contenter, monsieur le rapporteur, et d’appeler Mme la ministre à cette ouverture sur l’Europe.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Monsieur Rogemont, je me souviens parfaitement de notre échange en commission. Du fait de l’emploi de l’adverbe « notamment », que l’on essaie de ne pas employer en tant que tel,…

M. Michel Piron. Très bien !

M. Patrick Bloche, rapporteur. …et en raison de la place que vous assignez à ces mots, à l’alinéa 19, alors qu’ils auraient eu davantage de force à l’alinéa 10, autrement dit moins pour des raisons de fond que pour des raisons de forme, la commission a donné un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Cher Marcel Rogemont, je partage évidemment votre objectif. Faire vivre la création européenne au sein de nos lieux de culture participe au projet européen. Je dirais même plus : dans les temps actuels, on sait bien que c’est uniquement par les valeurs et par la culture que l’on pourra construire l’Europe, que d’autres, par ailleurs, essaient de défaire. Vous avez cité le programme Prospero, pour lequel le Théâtre national de Bretagne a été le partenaire français et même, me semble-t-il, l’initiateur. On peut citer d’autres initiatives, par exemple le fait que la chaîne franco-allemande Arte dispose à présent de multiples traductions et sous-titrages, dont la mise en place a été aidée par la Commission européenne, ou l’acquisition, conjointement avec les Pays-Bas, de deux Rembrandt, que vous pouvez admirer au Louvre, et que je reverrai demain avec le vice-président de la Commission européenne.

De multiples projets européens existent en matière de culture mais, comme cela vient d’être rappelé par votre rapporteur, il me semble qu’un bon équilibre a été trouvé dans la rédaction. L’alinéa 19 de l’article 2 mentionne l’objectif de « favoriser les échanges et les interactions entre les cultures, notamment par la coopération internationale artistique » ; certes, il ne fait pas explicitement référence à l’Europe, mais la dimension européenne est bel et bien présente. Il me semble donc que votre attente est déjà satisfaite. Le Gouvernement souhaite donc s’en tenir à la rédaction actuelle et je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Je voudrais soutenir les propos de notre rapporteur. Si l’on veut vraiment insérer le terme d’ « Europe », l’alinéa 10 s’y prêterait mieux. De fait, l’alinéa 19 a trait à la coopération internationale artistique, à la circulation des œuvres, à la mobilité des artistes. L’ajout des termes « notamment au sein de l’Europe » conduirait, dans une certaine mesure, à placer au second plan tout ce qui relève de cette coopération, de ces échanges artistiques, avec, en particulier, des pays situés sur la rive sud de la Méditerranée. Aussi, à mes yeux, cet amendement, placé là, entraîne une fermeture plutôt qu’il ne met l’accent sur le besoin de coopération et d’échanges.

Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. Madame Buffet, je tiens à vous remercier de votre intervention qui m’a, en quelque sorte, converti. Je retire mon amendement. Si, d’aventure, nous avions une troisième lecture, ce que je ne crois pas, je placerais l’amendement à l’alinéa 10.

(L’amendement n132 est retiré.)

(L’article 2 est adopté.)

Article 2 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron, pour soutenir l’amendement n248.

M. Michel Piron. Je répéterai ce qui a été dit en commission, monsieur le rapporteur. Cet article a trait rien de moins qu’au fonctionnement des collectivités territoriales. Rappelons que, telle qu’elle est prévue, la conférence territoriale de l’action publique comprend au moins une thématique dédiée à la culture. Pour le reste, les collectivités territoriales organisent librement leur ordre du jour et leurs débats. Le fait d’ajouter, d’imposer un débat annuel sur le sujet empiète très largement sur la capacité d’initiative des élus. Je le répète puisque, de toute façon, la question culturelle est obligatoirement traitée à l’intérieur même de cette conférence territoriale. On pourrait même interpréter cette rédaction comme une sorte de marque de défiance vis-à-vis des collectivités territoriales, qui ne s’intéresseraient pas assez au sujet et ne seraient pas capables d’en discuter sans cette injonction de la loi. Cette rédaction me paraît quelque peu comminatoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Le premier inconvénient de cet amendement qui vise à supprimer les alinéas 4 et 5, monsieur Piron, c’est qu’il tend à conserver l’apport du Sénat mais à supprimer celui de l’Assemblée nationale. Je m’attendais plutôt à ce que vous proposiez de supprimer les alinéas 2 et 3, issus du Sénat, puisque vous semblez considérer que la barque est trop chargée.

Dans un souci de rapprochement des positions de l’Assemblée nationale et du Sénat, et pour faire une bonne manière au Sénat, qui a choisi non pas de supprimer notre disposition, mais d’en ajouter une autre, c’est-à-dire de cumuler, je vous propose d’approuver le cumul sénatorial et vous demande par conséquent de retirer votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Ma rédaction n’étant manifestement pas satisfaisante, je me range à l’avis du rapporteur et retire cet amendement.

(L’amendement n248 est retiré.)

(L’article 2 bis est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont, inscrit sur l’article.

M. Marcel Rogemont. Que l’article 3 traite de la labellisation me paraît être une bonne chose. Il existe un certain nombre de labels, qui couvrent une grande variété de formes de création artistique avec des exigences variables. Pouvoir disposer d’une carte des labels conforme aux budgets disponibles serait utile, madame la ministre. Les questions sous-jacentes sont un peu épineuses : jusqu’où l’État doit-il pousser sa présence dans les différents territoires, alors que, de plus en plus, les collectivités territoriales – les régions, les départements, les EPCI – sont elles-mêmes présentes ? Après tout, un conseil régional peut tout à fait prendre en charge une partie des interventions culturelles actuellement financées par l’État.

J’ai l’impression qu’en voulant toucher tous les territoires, on perd l’intensité de la structuration même du paysage culturel de notre pays ; c’est là tout le sens de mon propos.

Mme Annie Genevard. Ne négligez pas les territoires !

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Le fait d’intégrer la labellisation dans la loi est une bonne chose, qui était attendue depuis longtemps. C’est l’occasion de se réinterroger sur cette politique. La labellisation intervient en effet au gré du talent d’une personne qui, dans une région, dans une ville, va créer un nouvel établissement, et, par son talent, convaincre. Lorsqu’on regarde la carte des labels aujourd’hui, on constate qu’elle est très hétéroclite. Une réflexion doit être menée sur le sujet. Comment faire évoluer la politique des labels et faire en sorte que certains d’entre eux puissent être remis en cause régulièrement ? Comment assurer une vraie diffusion sur l’ensemble du territoire national ? Il aurait été souhaitable d’insister davantage dans cet article sur une politique de révision régulière des labels.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n12.

Mme Isabelle Attard. Il s’agit presque d’un amendement de cohérence avec ce qui figure dans la loi NOTRe d’août 2015. La responsabilité en matière culturelle est réputée être exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels. Ne mentionner que l’État pour l’attribution des labels nous semble anachronique et incohérent avec la loi NOTRe. Nous préférerions ajouter les termes « en collaboration avec les collectivités territoriales ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. L’article 3, cela vient d’être rappelé, vise à sécuriser sur le plan juridique la politique de labellisation par l’État des établissements et structures culturels par l’inscription de cette labellisation dans la loi. Bien entendu, cette politique de labellisation se fait en concertation étroite avec les collectivités territoriales.

Mme Annie Genevard. Il faut le dire, dans ce cas !

M. Patrick Bloche, rapporteur. D’ailleurs, c’est une des conditions essentielles de l’attribution d’un label. De ce fait, la commission a donné un avis défavorable à votre amendement, madame Attard ; votre préoccupation est déjà satisfaite. D’ailleurs, vous connaissant et compte tenu de ce à quoi vous faites référence dans nombre de vos interventions, il me semble que le terme « collaboration », que vous retenez dans votre rédaction, ne vous correspond pas.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Madame la députée, vous proposez l’attribution d’un label conjoint de l’État et des collectivités locales.

Dans les propos liminaires sur cet article ont été évoquées la diversité des labels et la question de leur diffusion sur l’ensemble du territoire. En matière de création artistique, on compte aujourd’hui une petite douzaine de catégories de labels qui s’appliquent à près de 400 structures. Pour un nombre important de structures, il existe donc un nombre limité de labels. J’ai été interrogée sur l’évaluation de ces labels, qui est une préoccupation légitime ; nous aurons l’occasion d’y revenir à l’amendement qui suit.

S’agissant de la politique d’attribution, qui est une politique nationale menée sur l’ensemble des labels, il me semble important que l’État en conserve les moyens ; l’attribution d’un label est d’ailleurs toujours décidée après concertation avec les collectivités concernées. L’avis est donc défavorable.

(L’amendement n12 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement n148.

Mme Annie Genevard. Cet amendement vise à prévoir à l’alinéa 4, conjointement à l’attribution du label, le cas échéant, la possibilité de sa suspension ou de son retrait. Il y a dans la labellisation l’affirmation d’une exigence de la part de l’État qui doit être régulièrement réinterrogée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je vous remercie d’avoir formalisé par cet amendement un échange constructif que nous avions eu en commission, madame Genevard. Par un parallélisme des formes, pour utiliser une expression juridique, une politique d’attribution de labels doit prévoir la possibilité d’une suspension ou d’un retrait de ces derniers. C’est la raison pour laquelle, en vous remerciant de votre initiative, la commission a donné un avis favorable à votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Nous avions eu l’occasion de discuter de ce sujet en commission. Vous le savez, le Gouvernement partage votre préoccupation, madame la députée. Dans le texte réglementaire d’application de cette disposition, qui est d’ores et déjà en préparation, une section tout entière sera consacrée à l’évaluation de ces structures. L’avis du Gouvernement est donc également favorable sur cet amendement.

(L’amendement n148 est adopté à l’unanimité.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Articles 3 bis et 4 B

(Les articles 3 bis et 4 B sont successivement adoptés.)

Article 5

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol, inscrit sur l’article.

M. Michel Pouzol. Je souhaite m’exprimer sur l’article 5 parce que j’ai déposé plusieurs amendements. Je vous présenterai tout d’abord la philosophie de ces derniers, avant de vous expliquer ce qui m’amènera à les retirer. Cela permettra d’ouvrir le débat.

En première lecture, nous avons beaucoup parlé de la mission de concertation confiée à M. Schwartz, et nous étions alors à un moment charnière, car les négociations étaient en cours sur ce sujet très important pour la profession. Un protocole d’accord a désormais été signé. Tout n’est pas réglé, mais l’article 5 a été voté quasiment conforme par le Sénat. Un équilibre fragile a été trouvé entre les intérêts des producteurs et des artistes-interprètes qui ne peut pas être facilement détricoté. Les sociétés d’auteurs et d’artistes, telles que l’ADAMI – société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes –, la SPEDIDAM – Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes – ou la GAM – Guilde des artistes de la musique –, insistent sur quelques points qui leur sont chers et qui seront au cœur des négociations des accords collectifs prévus par le protocole issu de la mission de médiation Schwartz.

Les amendements que j’ai déposés tendent à transposer certaines des dispositions du code de la propriété intellectuelle applicables aux contrats d’édition aux contrats visés à l’article 5. Un premier amendement fait référence à l’intérêt commun des parties, un second à une rémunération fixée de manière juste et équitable pour les artistes-interprètes. La garantie d’exploitation permanente et suivie d’un phonogramme fait l’objet d’un troisième amendement ; ce sujet, que nous avons évoqué pour le monde du cinéma, est également très important qui mérite qu’on y porte beaucoup d’attention.

Je retirerai ces amendements, car je ne veux pas détricoter ce que nous sommes parvenus à tricoter avec le Sénat et le Gouvernement de manière assez fine. Je souhaitais néanmoins les évoquer ici car la GAM, association signataire des accords Schwartz, négociera sur ces sujets avec les autres signataires. Il est important que nous ayons connaissance de ces débats, qui sont importants. Une première avancée a déjà été consentie ; nous aurons peut-être l’occasion de revenir, le cas échéant au cours d’une commission mixte paritaire, sur ce qui aura progressé dans le cadre des négociations collectives découlant de l’accord Schwartz.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement n393.

Mme Audrey Azoulay, ministre. Afin d’assurer le financement d’un enregistrement, les producteurs de phonogrammes octroient souvent à l’artiste-interprète une avance, qui est remboursable. Jusqu’en 2008, ce remboursement était réalisé uniquement par les recettes provenant de l’exploitation des phonogrammes pour les droits cédés par contrat. Une évolution s’est opérée ces dernières années : les artistes se sont vu proposer, au moment de la signature de ce contrat, la mise en œuvre d’une cession de créance, qui avait cours dans d’autres secteurs. Ces cessions permettent aux producteurs de disques d’obtenir le versement direct, pour se rembourser des avances consenties, des sommes dues aux artistes-interprètes au titre de la rémunération pour copie privée et de la rémunération équitable.

Ce mécanisme est contestable à plusieurs titres. Premièrement, il permet à un producteur que lui soit versée la part de la rémunération pour copie privée et de la rémunération équitable due aux artistes aux fins de rembourser une avance, ce qui, d’une certaine manière, compromet l’objectif de la gestion collective de leurs droits. Deuxièmement, il existe un risque que les producteurs se fassent verser des rémunérations allant au-delà de ce qui est nécessaire pour recouvrer l’intégralité de l’avance consentie ; or, les procédures permettant de rétablir l’équilibre et de récupérer les sommes indûment versées sont complexes. Troisièmement, il est rare que les artistes-interprètes puissent refuser une telle demande de la part de leur producteur. Ainsi, il relève de la responsabilité de l’État et du législateur de protéger le plus faible dans la négociation.

Il paraît donc aujourd’hui nécessaire de conforter la protection que la loi de 1985 a entendu consacrer au profit des artistes en interdisant ces cessions de créance portant sur la rémunération pour copie privée et la rémunération équitable. Tel est l’objet de l’amendement qui vous est proposé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Puisque nous commençons la discussion de l’article 5, j’aimerais faire le point sur les dispositions que nous allons vous proposer d’adopter.

Cet article nous avait amenés en première lecture à prendre en compte l’accord qui avait été signé à l’arraché à l’issue de la mission Schwartz. De ce fait, j’avais été contraint de retirer un amendement que j’avais déposé et qui visait à instituer une gestion collective des droits.

Cette gestion collective, nous en reparlerons à la fin de l’examen de l’article 5, à l’occasion de la présentation de l’amendement n194. Elle n’a pas été retenue car nous avons jugé qu’il nous incombe de prendre en compte le résultat de négociations longues mais fructueuses sans que le législateur n’intervienne directement. Je remercie également Michel Pouzol d’avoir annoncé le retrait des cinq amendements à l’article 5 qu’il a déposés.

Enfin, je félicite le Gouvernement de l’excellente initiative que constituent les deux amendements qu’il a déposés, en particulier l’amendement n393 qui vise à exclure du champ de la cession de créance de l’artiste-interprète les sommes issues de la rémunération équitable et de la rémunération pour copie privée. Cette disposition protège les droits des artistes-interprètes. Elle était vivement souhaitée par l’ADAMI et la SPEDIDAM. Je suis pour ma part très favorable à ce geste qui était attendu. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis favorable à l’amendement n393.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Cet amendement présenté par le Gouvernement remet en cause les conditions de cession de créance que peuvent consentir les artistes-interprètes. Ce dispositif semble toutefois fonctionner sans difficulté en matière de relations entre les auteurs et les éditeurs. La SACEM, par exemple, y a recours depuis longtemps. L’exposé des motifs de l’amendement, que j’ai lu attentivement, laisse entendre l’existence de pratiques qui s’apparentent à de la malhonnêteté. On y lit : « Il existe un risque que la société de perception et de répartition des droits continue de verser la rémunération au producteur alors même que le remboursement de l’intégralité de l’avance consentie aurait été effectué ». Voilà qui est à la limite de la malhonnêteté ! Il y a là des propos qui vont loin !

Sur ce sujet, le Gouvernement a adopté des positions variables. Déjà, lors de la première lecture, les amendements déposés à ce propos ont fait l’objet d’un avis défavorable, si ma mémoire ne me trahit pas. Nous sommes soucieux comme vous, madame la ministre, de la protection des artistes mais avons un peu de peine à comprendre ce changement de pied malgré les explications de notre rapporteur.

(L’amendement n393 est adopté.)

Mme la présidente. Confirmez-vous le retrait des amendements nos 266, 267 et 268, monsieur Pouzol ?

M. Michel Pouzol. Oui, madame la présidente.

(Les amendements nos 266, 267 et 268 sont retirés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement n392 rectifié.

Mme Audrey Azoulay, ministre. Il s’agit d’un amendement de précision, mais cette précision a son importance. Elle fait suite à l’accord dont nous venons de parler et à sa transcription dans la loi. À propos de la garantie de rémunération minimale des diffusions en flux, l’accord Schwartz comporte un consensus entre les acteurs afin que les discussions se déroulent dans le cadre d’un accord collectif, ce qui ouvre une autre négociation. Le moyen envisagé par la mission Schwartz est la réouverture de la convention collective nationale de l’édition phonographique du 30 juin 2008, qui est une convention collective au sens du droit du travail.

Cet amendement a pour objectif de préciser que l’accord collectif envisagé dans l’article L. 212-13-1 du code la propriété intellectuelle est un accord collectif au sens du droit du travail, comme l’est la convention du 30 juin 2008. Je précise par ailleurs qu’une présidente de commission vient d’être désignée en la personne de Mme Maylis Roque, ce qui permet d’entamer les travaux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Cet amendement est davantage qu’un amendement de précision et s’inscrit dans la suite logique de l’accord Schwartz. Il vise en effet à préciser qu’un accord collectif au sens du droit du travail fixera et les modalités et le niveau de la rémunération minimale des artistes-interprètes dans le cadre des accords conclus entre artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes. Il constitue une garantie en matière de streaming et fait donc l’objet d’un avis favorable de la commission.

(L’amendement n392 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. Confirmez-vous le retrait des amendements nos 265 et 270, monsieur Pouzol ?

M. Michel Pouzol. Oui, madame la présidente.

(Les amendements nos 265 et 270 sont retirés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Demarthe, pour soutenir l’amendement n194.

M. Pascal Demarthe. Le présent amendement tend à introduire un droit à rémunération garantie aux artistes-interprètes pour la mise à la disposition du public des phonogrammes incorporant leur prestation, payée par les plateformes de streaming et de téléchargement, et à soumettre ce droit à un mécanisme de gestion collective par une société de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes agréée par le ministre chargé de la culture. À ce jour, dans leur grande majorité, les artistes-interprètes ne reçoivent aucune rémunération pour ces exploitations et sont contraints de céder les droits correspondants aux producteurs pour une rémunération forfaitaire et définitive ou, pour une petite minorité d’entre eux, en contrepartie du paiement de royalties reçues des producteurs sans garantie d’équité ou de transparence.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je confirme l’avis logiquement défavorable de la commission pour toutes les raisons que j’ai exposées tout à l’heure et suggère le retrait de l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Même avis. Le Gouvernement a pris ses responsabilités en nommant un médiateur et en faisant en sorte que les organisations professionnelles négocient sur le sujet majeur de la rémunération des artistes-interprètes dont la diffusion des œuvres connaît une révolution des usages et des modèles économiques. L’accord constitue une solution qui ne règle pas tous les problèmes mais donne un cadre permettant de les traiter sereinement dans un délai délimité. Je vous demande donc de retirer votre amendement, monsieur le député.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Demarthe.

Oui, madame la présidente.

Oui, madame la présidente.

Je retire l’amendement.

(L’amendement n194 est retiré.)

(L’article 5, amendé, est adopté.)

Article 6 bis A

(L’article 6 bis A est adopté.)

Article 6 bis

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement n149.

Mme Annie Genevard. Il s’agit d’un sujet qui nous a occupés en commission. Cet amendement vise à contredire l’extension du régime dérogatoire de la licence légale aux webradios. Vous m’avez opposé en commission, madame la ministre, l’argument de la neutralité technologique. En creusant le sujet, j’ai constaté qu’il n’existe pas de neutralité technologique, ni d’équivalence de fonctionnalité entre les radios hertziennes et le webcasting. J’invalide donc cet argument. Le second, peut-être plus prégnant encore, repose sur l’effet de cette disposition sur la rémunération des artistes. En effet, l’extension de la licence légale diminuera objectivement la rémunération des artistes, ainsi privés de leurs droits exclusifs, qui en serait inférieure à l’actuelle de quatre à vingt fois tout de même ! Ce point mérite donc qu’on s’y arrête. Je regrette qu’il n’ait fait l’objet d’aucune étude d’impact sérieuse évaluant les effets de l’extension du régime dérogatoire de la licence légale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement de suppression de l’article 6 bis. Nous avons rétabli en commission ce que le Sénat a supprimé, c’est-à-dire l’extension du champ de la licence globale aux webradios au nom d’un principe simple, celui de la neutralité technologique.

Mme Annie Genevard. La neutralité technologique n’existe pas !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Dès lors que le régime de la licence globale s’applique aux radios hertziennes, ce qui n’est pas nouveau, nous trouvons assez logique qu’il s’applique non seulement aux radiodiffusions en simultané sur internet, le simulcasting, mais aussi au webcasting non interactif.

M. Michel Piron. C.Q.F.D. !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Telle est la raison d’être de cet article. Nous savons que les artistes-interprètes sont très attachés à cette disposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Deux notions importantes ont été évoquées, la neutralité technologique et les radios non interactives. La neutralité technologique trouve à s’appliquer car le champ de cette disposition est bien circonscrit aux services de radio sur le web non interactive. C’est pourquoi il existe une réalité d’équivalence dans les fonctions avec les radios classiques, seuls les modes de diffusion étant distincts. Quant à la rémunération des artistes, la commission administrative pourra en adapter le taux de sorte qu’elle soit juste et proportionnée, car telle est sa fonction. Nous ne faisons que moderniser le droit applicable à des situations similaires. Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Je ne résiste pas à la tentation de rendre un hommage appuyé à notre rapporteur et à Mme la ministre qui viennent de tout dire en matière de loi et de règlement. Cette disposition est inscrite dans la loi au nom d’un principe très simple, celui de la neutralité technologique dont l’affirmation relève de la loi. Tout le reste relève du champ réglementaire. La démonstration est parfaite !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. À propos de l’interactivité, je citerai votre prédécesseure, madame la ministre, qui reconnaissait devant notre commission en septembre dernier les difficultés juridiques que pose la définition même de la webradio. Je la cite : « […] il existe une importante difficulté juridique pour définir la notion d’interactivité : qu’est-ce qu’une webradio, à quel moment l’auditeur est-il placé dans une position d’interactivité suffisante pour que l’on puisse considérer que ce n’est plus une radio ? » Il s’agit tout de même d’un sujet sensible qui aurait justifié selon moi le renvoi du texte en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je ne veux pas rallonger nos débats mais tiens tout de même à répondre à Michel Piron et Annie Genevard. L’application du régime de la licence légale aux radios classiques a jadis été inscrite dans la loi. L’étendre aux webradios suppose de passer par la loi. Un texte relevant du règlement ne saurait étendre ce qu’une loi a institué. C’est la raison pour laquelle nous passons par la loi. J’apporte cette précision à Michel Piron.

Je réponds par ailleurs à Annie Genevard que nous avons voté cette disposition en septembre dernier. Il ne s’agit donc pas d’un sujet nouveau mais d’un sujet dont nous avons longuement discuté. D’ailleurs, le principe de neutralité technologique a assez largement convaincu notre assemblée. Le Sénat l’a supprimé, nous le rétablissons. On ne peut pas dire que ce sujet nous tombe dessus soudainement. Il a été mûri et discuté depuis déjà un certain temps, je peux en témoigner.

(L’amendement n149 n’est pas adopté.)

(L’article 6 bis est adopté.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly