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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 06 juin 2016

SOMMAIRE

Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - Protection des lanceurs d’alerte

Discussion générale commune (suite)

Mme Véronique Louwagie

M. Éric Alauzet

M. Jean-François Mancel

M. Pascal Cherki

Mme Annick Le Loch

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Discussion des articles (Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique)

Article 1er

M. Yannick Favennec

M. Patrice Carvalho

M. Charles de Courson

Mme Véronique Louwagie

Mme Marie-Christine Dalloz

Amendement no 795

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Amendement no 794

Article 2

Amendements nos 769 , 76 , 351 , 1292 , 720 , 1016 rectifié , 1263 , 1293 , 1474 , 1168 , 431

Article 3

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

Amendements nos 1435 rectifié , 77 , 78 , 79 , 739 , 459 , 1017 , 81 , 80 , 747 , 461 , 755 , 1419 , 753 , 1491 (sous-amendement) , 1225 , 968 , 1169

Article 4

Amendements nos 1391 rectifié , 1147 rectifié , 1300 rectifié , 773 , 772

Article 5

Article 5 bis

Amendement no 1423

Après l’article 5 bis

Amendements nos 474, 473

Avant l’article 6 A

Amendement no 394

Article 6 A

M. Yann Galut

Amendements nos 1018 rectifié , 1488, 1485, 1486, 1487, 1489, 1490 (sous-amendements) , 1492 (sous-amendement) , 1019 rectifié , 1324 , 528 , 1424

Suspension et reprise de la séance

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique

-

Protection des lanceurs d’alerte

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (nos 3623, 3785, 3756, 3778) et de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte (nos 3770, 3786).

Discussion générale commune (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale commune, que nous poursuivons ce soir.

La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Madame la présidente, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le rapporteur de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est attendu.

Aussi est-ce dans un état d’esprit constructif que nous l’abordons, ayant noté, monsieur le ministre, votre volonté que le Parlement soit étroitement associé à sa construction. Ce projet de loi vise notamment à renforcer la confiance de nos concitoyens dans notre système politique et économique.

Il s’agit de la loi dite « Sapin 2 », car vous avez déjà, en 1993, dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy, porté une première loi de prévention de la corruption.

Ce projet de loi porte l’ambition de renforcer la régulation financière française, ce qui contribuera d’une part à la stabilité financière, d’autre part à la compétitivité de la place financière de Paris. Outre un renforcement des pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, il prévoit des règles, des droits et des institutions nouveaux.

En effet, notre pays est régulièrement mentionné par l’organisation non gouvernementale Transparency International ainsi que par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, comme étant défectueux en matière de lutte contre la corruption.

Certes, aux dires des observateurs, ce projet de loi comporte des avancées. Les efforts en matière de transparence doivent être permanents : contrairement à la formule selon laquelle trop d’impôts tue l’impôt, on pourrait affirmer que trop de transparence ne nuit pas à la transparence.

M. Éric Alauzet. Bravo !

Mme Véronique Louwagie. Suite aux préconisations concernant les groupes de pression du rapport du magistrat Jean-Louis Nadal sur la transparence de la vie publique, il est donc prévu un répertoire numérique des lobbyistes.

Le projet de loi innove également en créant, sur le modèle américain, une agence nationale de détection et de prévention de la corruption destinée à remplacer le Service central de prévention de la corruption __ le SCPC __ et qui ne disposera pas de pouvoir d’enquête mais centralisera et exploitera des informations permettant d’appréhender ce phénomène.

Il convient, néanmoins, de s’assurer que toute nouvelle création d’agence soit effectuée dans une logique d’efficacité et de pragmatisme et d’éviter tout doublon ou concurrence.

Si chacun ici, sur nos bancs, est désireux de renforcer la lutte contre la corruption, cela implique, impérativement et nécessairement, des moyens – tant humains que financiers – supplémentaires.

Aussi la réforme des sanctions des abus de marché passe par un renforcement du rôle de l’AMF pour sanctionner les infractions boursières.

S’agissant du reporting, vous préconisez, à l’article 45 bis, une méthode publique, pays par pays et applicable aux entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros.

Outre les questions de confidentialité et de divulgation d’informations stratégiques, qui posent la question de la compétitivité, il aurait été souhaitable de retenir un dispositif communautaire et d’attendre que la directive imposant cette mesure, actuellement en discussion à Bruxelles, ait abouti.

Enfin, ce dispositif risque d’être censuré par le Conseil constitutionnel. En décembre 2015, il avait en effet validé le reporting pays par pays dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2015, mais à condition qu’il ne soit pas rendu public.

Je rappelle ici les propos tenus en décembre dernier par M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget : « Nous pensons qu’il y a quelques risques en matière de compétitivité de nos entreprises ». Il avait également indiqué que 8 000 sociétés étaient concernées.

Ce qui était vrai il y a quelques mois l’est toujours. En outre, nous nous interrogeons quant à l’abaissement de 750 millions d’euros à 50 millions d’euros du seuil pour le reporting entre administrations fiscales.

Par ailleurs, l’article 28 prévoit un dispositif de protection des particuliers victimes d’escroqueries en ligne via des publicités leur promettant des gains financiers rapides et importants. Le fait que les auteurs de ces escroqueries opèrent le plus souvent depuis l’étranger complexifie d’autant les recours judiciaires.

Toutefois, le dispositif proposé soulève certaines difficultés qui peuvent compromettre l’objectif visé : assainir le marché des services d’investissement.

En effet, en interdisant la publicité par voie électronique, ce dispositif porte atteinte à l’activité des opérateurs légaux qui respectent, eux, leurs obligations de transparence et d’information en application tant de la législation existante que du règlement général de l’AMF.

J’ai déposé un amendement visant à imposer aux opérateurs un mécanisme de régulation et à encadrer, de manière stricte, le régime des communications à caractère promotionnel, et ce, au-delà des seules communications par voie électronique.

Si le dispositif prévu par le projet de loi était adopté en l’état, il aurait en effet pour conséquence de compromettre les objectifs qu’il vise : lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. Des opérateurs légaux peu scrupuleux, y compris ceux qui sont basés en Europe, ainsi que des acteurs illégaux domiciliés dans des pays tiers ne feraient en effet que peu de cas d’une interdiction de publicité.

Au contraire, ils tireraient avantage de cette même interdiction qui ne s’appliquerait qu’aux opérateurs exerçant dans un cadre légal, au titre de leur passeport européen, ce qui faciliterait ainsi l’évasion fiscale, voire le financement d’activités illicites.

Enfin, on peut s’interroger sur la solidité juridique de ce dispositif, tant au niveau français qu’européen, au regard de la proportionnalité d’une telle interdiction visant la publicité en ligne, alors qu’internet est au cœur du modèle économique des prestataires de services d’investissement légaux.

Afin de lever ces difficultés tout en poursuivant l’objectif d’assainissement du marché et de protection des particuliers, je proposerai par cet amendement d’une part d’imposer un mécanisme de régulation aux opérateurs, d’autre part, d’encadrer de manière stricte le régime des communications à caractère promotionnel, et ce, au-delà des seules communications par voie électronique.

Les articles 37 et 39 du projet de loi visent à apporter une certaine souplesse au statut des autoentrepreneurs. Je suis ravie qu’en commission des finances, les arguments militant en défaveur de l’assouplissement, avec un mécanisme de lissage, aient été entendus. Ainsi, le dispositif du lissage pendant deux ans a été exclu du texte qui nous est ici soumis.

Il faut à mon sens garantir un peu de stabilité au régime des autoentrepreneurs. Un certain nombre de dispositifs le concernant ne s’appliquent que depuis peu : je pense à la fusion du régime avec celui du micro-entrepreneur, à l’immatriculation au répertoire des métiers et au registre du commerce, à la généralisation du paiement de la cotisation foncière des entreprises ainsi qu’à l’ouverture obligatoire d’un compte bancaire réservé à l’activité.

Or l’article 39 prévoit la suppression de l’obligation pour les micro-entrepreneurs de détenir un compte bancaire dédié à leur activité professionnelle, alors que cette disposition n’a été adoptée qu’il y a deux ans – via l’article 94 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 – et qu’elle n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2015 !

Un mot de l’exigence de qualification : elle ne constitue aucunement un frein au développement des activités artisanales, mais plutôt une garantie de qualité et de savoir-faire.

Aussi l’article 43 nous inquiète-t-il, tout comme le monde de l’artisanat, car il remet en cause les obligations de qualifications professionnelles applicables aux activités artisanales.

Actuellement, ces qualifications professionnelles sont déterminées en fonction du risque pour la santé et la sécurité des personnes ainsi que de la complexité des métiers.

La réforme proposée peut être préjudiciable tant pour les activités artisanales que pour les consommateurs, d’autant plus que la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, les TPE, dite loi Pinel, avait permis de trouver un équilibre globalement satisfaisant s’agissant de ce dispositif. Pourquoi donc remettre aujourd’hui en cause ce qui fonctionne ?

Quant aux relations entre nos agriculteurs et la grande distribution, dont la place est une exception française, il convient de saisir l’occasion qui nous est donnée pour apporter des solutions concrètes et pragmatiques à l’épineuse et récurrente question des marges.

La contractualisation des produits agricoles vise à inclure dans les contrats une référence à des indicateurs publics de coûts de production en agriculture ainsi qu’à des indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires.

Ce dispositif est finalement proche de celui figurant à l’article 1er de la proposition de loi déposée par notre groupe en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, qui a été adoptée par le Sénat. Nous l’avions inscrite dans notre journée d’initiative parlementaire du 4 février dernier. Or, rappelons-le, elle a été rejetée par la majorité.

J’ai noté l’amendement du rapporteur de la commission des affaires économiques demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’opportunité de favoriser des contrats tripartites et pluriannuels entre les agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Excellent !

Mme Véronique Louwagie. En conclusion, monsieur le ministre, vous avez déclaré : « Le commerce prospère là où la corruption recule. Il existe une relation entre l’indice de perception de la corruption d’un pays et le niveau d’investissement. Ce projet de loi aura un effet macroéconomique vertueux. » Si nous pouvons vous rejoindre sur ce constat, nous pourrions vous enjoindre de prendre les mesures nécessaires afin de rendre notre économie vertueuse et fructueuse !

Effectivement, nos performances économiques en 2015 et celles enregistrées depuis le début de cette année sont largement inférieures à celles de nos voisins, avec une dégradation tendancielle de l’ensemble de la balance commerciale. La compétitivité de nos entreprises n’est toujours pas au rendez-vous et la modernisation de l’outil de production fait – ce qui est très préoccupant – défaut.

Il serait souhaitable que la modernisation de l’économie apporte un plus à nos entreprises : nous veillerons, je veillerai, lors des débats, au respect de ce principe, et nos interventions – soyez-en assurés – viseront toujours à faire respecter cette orientation.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Quelle popularité ! (Sourires.)

M. Éric Alauzet. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « transparence », tel est le mot que nous pourrions inscrire au fronton de ce texte relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Nous l’attendions depuis longtemps, et je tiens à saluer ici l’action du Gouvernement.

La transparence est mère de toutes les batailles : elle se situe en effet aux antipodes de l’opacité et du secret – je pense évidemment à la directive relative européenne relative au secret des affaires ainsi qu’aux dérives qu’elle pourrait entraîner.

Cette transparence est d’ailleurs, depuis le début de ce mandat, constamment au cœur de mon combat, comme du vôtre, monsieur le ministre. La transparence constitue le passage obligé de la démocratie. Elle est le fondement de l’État de droit : sans transparence, il est impossible de maintenir des institutions publiques stables.

C’est dans cet objectif de transparence que s’inscrit la nécessaire régulation du lobbying. Les intérêts particuliers peuvent trouver leur légitimité s’ils sont confrontés en toute transparence les uns aux autres : à cette condition, ils nourrissent le débat public dont les élus sont les garants.

La transparence permet également de lutter contre la corruption, fléau mondial qui affaiblit les États en freinant le développement socio-économique, en couvrant les violations des droits de l’homme et en exacerbant les inégalités ainsi que la concurrence déloyale.

La France accuse un retard : selon le classement de Transparency International relatif à la perception de la corruption dans le monde pour 2015, elle ne se classe qu’au vingt-troisième rang.

Enfin, la transparence est le pilier de la modernisation économique. La crise de 2008 nous l’a prouvé : l’opacité économique et financière est l’ennemi de la stabilité et de la prospérité.

À ce titre, les entreprises françaises que j’ai pu auditionner en vue de l’examen ce projet de loi ont été les premières à réclamer un cadre juridique fort, tant elles se trouvent parfois exposées aux réglementations des États-Unis et du Royaume-Uni.

Ce projet de loi que vous portez, monsieur le ministre, et que nous portons, représente également la dernière occasion de la législature de porter un coup décisif à la fraude ainsi qu’à l’optimisation fiscale agressive. Elle nous permettra d’en sortir avec le sentiment du devoir accompli.

Nous aurons ainsi fait notre devoir pour réguler la finance, dans la droite ligne du discours du Bourget. Cette loi doit être notre fierté. Voilà pourquoi elle constitue notre exigence : une exigence d’éthique, de justice et donc de démocratie si notre ambition est de rendre improbable l’arrivée au pouvoir de gouvernements d’extrême droite.

Ainsi, le texte du Gouvernement a ouvert la voie à un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte alors que 39 % des salariés gardent le silence par peur de représailles. Ils sont autant à rester incrédules quant aux conséquences de leurs signalements éventuels.

L’efficacité de la loi passe notamment par un statut global des lanceurs d’alerte, par une définition large, une protection contre les représailles éventuelles ainsi que des dispositions leur assurant réparation.

Après les avancées de la commission, parachevons le travail dans l’hémicycle. Avec mon collègue Yann Galut, nous serons d’ailleurs très actifs sur le sujet.

Après l’affaire Panama Papers et la perte de 230 milliards de dollars pour les sociétés implantées dans les paradis fiscaux, ce texte ne pouvait pas passer à côté de dispositifs permettant de lutter contre l’opacité et les sociétés écran, derrière lesquelles se cachent des fraudeurs et des milliards.

J’avais engagé ce débat en 2013 lors de l’examen de la loi contre la fraude et la grande délinquance financière…

M. Pascal Cherki. C’est vrai !

M. Éric Alauzet. …afin que soit instauré un registre public des bénéficiaires effectifs des trusts, et je remercie Romain Colas d’avoir pris le problème à bras-le-corps.

A la suite de l’affaire Panama Papers, vous avez décidé, monsieur le ministre, d’accélérer la publication du décret qui décline ce texte alors qu’il n’était prévu que pour la fin de l’année, signifiant ainsi qu’il n’y a pas plus efficace qu’un scandale pour accélérer le changement et qu’en conséquence ce sont bien les lanceurs d’alerte qui nous font avancer, preuve supplémentaire de l’impérieuse nécessité de leur permettre d’agir.

Enfin, dans la même logique, la question du reporting public des informations financières des entreprises sera sans aucun doute le sujet le plus observé et le plus sensible du texte au regard des mésaventures qui ont entouré ce sujet lors de séances précédentes et de la référence au reporting bancaire public généralisé adopté en 2013 grâce à un amendement que j’ai eu l’honneur de porter.

La perspective d’une directive européenne, dont la probabilité qu’elle soit adoptée est élevée, conduit à regarder ce débat avec une nouvelle approche, notamment pour ce qui concerne la question de la publicité des informations.

Ainsi, le Conseil constitutionnel ne peut pas ignorer que le décret européen prévoit la publicité des informations comme il ne peut pas considérer que la publicité des résultats des entreprises pour l’ensemble des pays serait plus inconstitutionnelle qu’à l’échelle de l’Union européenne et d’une liste noire.

Monsieur le ministre, je suis certain que nous sommes tous prêts et déterminés à faire aboutir un texte efficace, grâce à une écoute mutuelle, bienveillante, comme disait l’un de mes collègues, un texte sur la transparence. La transparence s’impose donc pour nos arguments. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Mancel.

M. Jean-François Mancel. Je vais vous parler, monsieur le ministre, d’un sujet qui n’est pas dans le texte mais qui aurait pu y être : le rapprochement entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations.

C’est un sujet qui préoccupe un grand nombre d’élus sur tous les bancs de cet hémicycle puisqu’il concerne l’aide publique au développement. Celle-ci, comme vous le savez, a hélas beaucoup diminué depuis 2012 et a été stabilisée dans la loi de finances de 2016 grâce à un amendement déposé par des députés de tous les groupes politiques.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. Jean-François Mancel. Le Président de la République a fait de nombreuses promesses dans ce domaine. Il a notamment annoncé, lors de la conférence des ambassadeurs à la fin du mois d’août de l’année dernière, une grande avancée qui consisterait en un rapprochement entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations. C’était selon lui la façon de mobiliser de beaucoup plus importants moyens au profit de l’Agence française de développement pour la lutte contre le sous-développement.

Cette avancée, intéressante pour le moins, a été confirmée par un rapport du secrétaire général adjoint du Quai d’Orsay, M. Rioux, rapport déposé dans les délais, c’est-à-dire juste avant Noël. Vous-même, si je m’en souviens bien, avez confirmé cette orientation au tout début de l’année 2016, et le Président de la République en a de nouveau parlé lors du bicentenaire de la Caisse des dépôts et consignations.

Depuis, c’est hélas le silence total, notamment dans le texte dont nous débattons ce soir, alors que les dispositions concernant cet éventuel rapprochement qui devaient passer devant le Parlement étaient censées figurer dans votre projet de loi.

J’aimerais donc savoir si le projet engagé par le Président de la République l’année dernière est toujours d’actualité et si un rapprochement entre la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement est réalisable...

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Oui !

M. Jean-François Mancel. …et, dans ce cas, dans quel délai. S’il ne l’était pas, mais vous semblez dire qu’il le sera, quelle solution trouver pour permettre à l’Agence française de développement d’accroître ses prêts, en respectant les règles internationales, notamment en matière de fonds propres ?

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques questions que je voulais vous poser ce soir parce que, comme vous le savez, c’est un sujet très important pour de nombreux députés siégeant sur tous les bancs. C’est vraiment l’honneur de la France de jouer un grand rôle en matière d’aide au développement. (Applaudissements sur divers bancs.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement se présente devant la représentation nationale avec l’ambition de franchir un pas supplémentaire dans la lutte contre la fraude fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale.

Ce n’est pas le premier texte de cette législature. Beaucoup a été fait depuis quatre ans, mais beaucoup reste encore à faire tant la lutte contre ce fléau du capitalisme financiarisé et transnational ne saurait connaître aucun répit.

Monsieur le ministre, il y a le texte, mais, un grand nombre de mes collègues l’ont souligné avec raison, il y a également le contexte.

Le contexte, nous le connaissons. Il a pour nom LuxLeaks, Panama Papers, il a pour nom l’insatiable appétit des très riches et de certaines firmes internationales pour des solutions leur permettant d’échapper par tous les interstices du droit, par tous les moyens légaux ou illégaux, le plus souvent discrets, voire secrets, à la juste et nécessaire participation à l’impôt. Or, cet impôt constitue le prélèvement nécessaire sur la richesse créée ou accumulée, sans lequel il ne saurait y avoir d’avenir pour nos services publics, nos systèmes de protection sociale dans nos sociétés, sans lequel il ne saurait y avoir non plus de financement durable de l’aide au développement ou de lutte contre les conséquences du réchauffement climatique, bref, sans lequel il ne saurait y avoir de construction d’un monde civilisé et durable.

Une prise de conscience planétaire a émergé ces dernières années. Les États, en parole du moins, ont, semble-t-il, enfin pris la mesure des défis à relever. L’OCDE et, à sa suite, les gouvernements ont décidé de traduire dans leur droit des mesures indispensables permettant une approche globale et simultanée de la lutte contre l’évasion fiscale.

Nous ne pouvons que nous en féliciter et qu’appuyer ce mouvement de modification de nos lois, que traduit, entre autres, le projet que vous nous présentez.

Des réticences demeurent cependant, parce que les contradictions d’intérêts entre les États et au sein des États n’ont pas disparu. C’est pour cela qu’une vigilance et qu’un contrôle citoyen sont plus que jamais nécessaires et que la loi doit forger les outils de ce contrôle citoyen.

C’est parce que des citoyens, des ONG et la presse ont révélé certains scandales récents que les gouvernements ont pu trouver l’énergie pour agir. C’est la raison pour laquelle il faut avancer et avancer encore dans cette voie.

Même si vous trouvez cela injuste au regard de la totalité des propositions que contient votre projet de loi, monsieur le ministre, votre crédibilité dépendra, au bout du compte, du sort que vous réserverez à la proposition de reporting public qui vous est présentée par de nombreux députés.

Vous ne pourrez pas vous abriter derrière des arguties juridiques, ni derrière un projet de directive européenne fort décevant tant il est incomplet et au fond inefficace.

Vous ne pourrez pas vous abriter non plus derrière la prétendue défense de la compétitivité de nos entreprises, l’argument qui nous fut servi à chaque étape de la loi bancaire ou de la transcription de la directive sur les activités extractives par celles et ceux qui refusaient toute avancée dans cette direction.

Cet argument a un nom, la complainte indécente des lobbys qui prétendent, par-dessus les citoyens, dicter leur loi, en forçant au besoin la main des gouvernements et de la représentation nationale.

Aussi, un pays comme la France, deuxième puissance économique de l’Union européenne, se doit d’être à la hauteur.

Aussi, un pays comme la France, qui siège au Conseil de sécurité des Nations unies se doit d’être à la hauteur.

Aussi, un pays comme la France, dirigée par un gouvernement qui se réclame de la gauche, se doit d’être à la hauteur.

Nous pouvons faire beaucoup en matière de reporting public des entreprises, mais nous ne pourrons pas faire moins que ce que nous avons déjà fait dans la loi bancaire de 2013 à l’encontre des banques, qu’il s’agisse des seuils, du périmètre géographique ou des critères.

Si telle est votre volonté, vous nous trouverez à vos côtés. Pour l’instant, au moment où le débat s’engage, je n’ai qu’une chose à vous dire : cessez de tergiverser, agissez !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Le Loch.

Mme Annick Le Loch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la mondialisation a été source de développement et de prospérité, comme en atteste la première place de l’Union européenne dans le commerce mondial, elle a pu aussi accroître les inégalités, menacer les régulations économiques nationales et créer un dumping fiscal et social. À ce titre, nos concitoyens nous alertent de plus en plus sur les capacités de nos États à défendre leur souveraineté dans le cadre du TAFTA ou du CETA.

L’affaire Panama Papers est aussi symptomatique de l’impunité de multinationales ou de particuliers, impunité que nos concitoyens ne supportent plus. Ils exigent, à juste raison, plus d’éthique et de transparence dans notre économie.

C’est bien là l’esprit du projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, en protégeant mieux les lanceurs d’alerte, en créant l’agence nationale contre la corruption et en exigeant une plus grande transparence fiscale de la part des sociétés multinationales.

Ce projet de loi comporte également deux articles sur la transparence dans les filières agricoles et alimentaires, et pour cause, car notre économie agricole, en première ligne des dérégulations économiques mondiales, est menacée dans son modèle.

Pendant de nombreuses années, elle a été préservée par une politique agricole commune protectrice, mais elle est aujourd’hui poussée, de force parfois, vers un modèle intensif, vers le regroupement des parcelles et des exploitations, et fait l’objet de diverses spéculations.

Dans le secteur laitier, notamment, la suppression des quotas a soumis les producteurs à la volatilité des prix fixés par le marché au niveau européen, voire mondial. En raison d’une crise de surproduction et d’une incapacité de l’Europe à réguler les volumes, le prix payé au producteur, actuellement de 27 centimes par litre en moyenne, ne couvre plus les coûts de production. Cette situation n’est pas durable et met à mal nos capacités productives.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

Mme Annick Le Loch. C’est un constat inquiétant que nous avons fait avec Thierry Benoit dans notre rapport sur l’avenir des filières d’élevage. Nous avons vu également que l’organisation des filières pouvait parfois être défaillante et que les relations commerciales, avec la transformation quelquefois mais, surtout, avec la grande distribution, étaient agressives, peu transparentes et alimentaient une guerre des prix néfaste pour notre économie.

M. Thierry Benoit. C’est vrai !

Mme Annick Le Loch. Le 27 février dernier, le Président de la République lui-même a appelé de ses vœux une modification de la loi de modernisation de l’économie pour enrayer la spirale des prix bas.

Le Gouvernement n’a pas manqué à l’appel du Président de la République en proposant des mesures bienvenues : l’interdiction de la cession de contrats laitiers à titre onéreux, le renforcement des sanctions pour les sociétés ne publiant pas leurs comptes et, enfin, la possibilité d’établir des contrats pluriannuels faisant référence au prix payé au producteur.

Dès l’examen en commission, nous avons adopté plusieurs amendements et la séance nous offre l’occasion d’aller encore plus loin. Ainsi, je proposerai la publication systématique des sanctions pour pratiques déloyales de concurrence, la mise à disposition au public de la carte Icode sur le maillage commercial, ou encore la réglementation des déballages sauvages de fruits et légumes frais.

Plus spécifiquement sur la question laitière, comme nous l’avions proposé dans notre rapport, le groupe socialiste défendra un amendement majeur renforçant le rôle des organisations de producteurs dans la gestion des volumes. Je demanderai également que le prix d’achat tienne compte de la valorisation du lait en bout de chaîne de transformation.

Enfin, nous constatons que la LME, la loi de modernisation de l’économie, a exacerbé les tensions chaque année lors de la clôture des négociations commerciales à la fin du mois de février. Je proposerai un amendement réduisant le temps de négociation commerciale à deux mois, c’est-à-dire du 30 novembre au 31 janvier.

Nous avons bien compris, monsieur le ministre, que le « grand soir » de la LME n’était pas pour tout de suite. Il est vrai que tous les acteurs économiques réclament de la stabilité, ce que nous comprenons bien. Ce qui est souvent reproché aujourd’hui, et que nous devons corriger à mon sens, c’est la non application des lois et la faiblesse des moyens alloués à la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, pour exercer des missions de contrôle de plus en plus nombreuses. Nous plaidons, monsieur le ministre, vous l’avez bien compris, pour un renforcement de ses moyens humains. Toutefois, les parlementaires attendent le rapport de la mission commandée à trois économistes par le ministère de l’économie sur le sujet, qui sera rendu à la fin de l’année, voire avant. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles sont à ce stade les réflexions du Gouvernement quant à une modification de la LME ?

Au dogme du prix le plus bas, nous devons raisonner en termes de coopération et de loyauté sur l’ensemble d’une filière, d’une meilleure répartition des marges et d’une plus grande valorisation des produits. Chacun, du producteur au consommateur, doit prendre ses responsabilités pour défendre notre modèle agricole et agroalimentaire, sans quoi notre pays ne pourra transmettre à ses jeunes générations son savoir-faire et ses outils de production. Il y va de notre souveraineté alimentaire, de la qualité de l’aménagement de notre territoire et de la prospérité de notre économie agroalimentaire. À nous d’agir avant qu’il ne soit trop tard ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Thierry Benoit. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Avant de répondre en quelques mots à un certain nombre d’interventions, je voudrais tous vous remercier de l’esprit dans lequel cette discussion commence. Monsieur de Courson, vous ne vous opposerez pas au projet, ce qui, pour un membre de l’opposition, est déjà très positif. Monsieur Carvalho, vous réservez au texte un accueil favorable. Madame la présidente, vous vous inscrivez dans un esprit constructif, tout comme Mme Louwagie.

Monsieur Marleix, peut-être est-ce ce début de débat qui vous a imposé une position un peu plus catégorique et critique ? Vous connaissant, je suis persuadé que votre esprit constructif affleurait déjà et qu’il s’exprimera pleinement au cours de l’examen du texte. Je veux également souligner les interventions extrêmement argumentées et positives de Mme Mazetier ou de M. Castaner et de tous ceux qui se sont exprimés au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain.

Si le texte a été accueilli dans un esprit constructif, je souhaite que le débat se poursuive de même. Nulle démagogie à votre égard : je suis persuadé que les débats dans un Parlement comme le nôtre, éclairé et expérimenté, peuvent permettre d’apporter de réelles améliorations et, éventuellement, des précisions, des approfondissements ou des extensions qui permettront, in fine, d’écrire une loi de qualité, d’autant qu’il conviendra de dialoguer avec le Sénat.

Cela étant, je n’ai que deux éléments de réponse à vous apporter : sur ce qui n’est pas dans le texte et sur ce qui aurait pu y être. S’agissant de ce dernier point, monsieur Mancel, vous avez témoigné de votre intérêt pour la réforme annoncée par le Président de la République, laquelle est en cours, d’un rapprochement de la Caisse des dépôts et consignation et de l’Agence française du développement. Vous vous êtes même posé la question de savoir comment l’AFD pourrait disposer de moyens supplémentaires pour lui permettre d’intervenir.

Je voudrais vous rassurer. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de disposition législative qu’il n’y a pas de réforme. Comme vous le savez, il est possible, dans notre droit, de mettre en œuvre des réformes importantes sans passer pour autant par la loi. La question s’est posée, mais un tel biais a semblé inutile. Il y aura donc une réforme interne à l’AFD qui augmentera ses capitaux propres, afin de lui permettre de lever plus de fonds et d’intervenir plus massivement qu’aujourd’hui, et un rapprochement opérationnel avec la Caisse des dépôts et consignation, pour éviter un doublon et garantir un bon partage de l’expertise et des présences sur le terrain des uns et des autres, en vue de la plus grande efficacité.

La réforme, dont vous aviez apprécié l’annonce, est en cours de réalisation. C’est lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2017 que nous aurons à débattre et à voter la disposition qui transforme un certain nombre de prêts de l’État en capitaux propres de l’Agence, afin d’accroître sa capacité d’intervention.

Par ailleurs, beaucoup d’entre vous – je pense notamment à vous, madame Mazetier – avez approuvé les dispositions législatives, tout en s’inquiétant sur un éventuel manque de moyens. Qu’il s’agisse de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, de l’Agence française anticorruption ou d’autres services qui travaillent avec pertinence et efficacité – pensons aux opérations très spectaculaires, qui ne sont pas seulement cela, concernant de grandes entreprises du numérique –, tous bénéficieront de moyens supplémentaires.

Il n’y aura donc pas de réforme sans moyens ! Ce ne serait qu’une façade, une manière de se faire plaisir dans cet hémicycle, sans être aucunement efficace sur le terrain. Soyez certaines et certains que le Gouvernement, y compris dans le cadre des discussions budgétaires pour 2017, sur lesquelles j’ai l’avantage de disposer d’un peu d’influence, fera en sorte que les moyens soient au rendez-vous d’une réforme que je souhaite, comme la plupart, si ce n’est la totalité, d’entre vous, de qualité, d’ampleur, d’efficacité et conforme à nos valeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Discussion des articles (Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique)

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Yannick Favennec. Monsieur le ministre, même si l’essentiel des dispositions de ce projet de loi va dans le bon sens, je regrette malgré tout son manque général de cohérence. Les huit grands titres recouvrent chacun des sujets pour le moins divers : « De la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics », « Du renforcement de la régulation financière », « De la protection et des droits des consommateurs en matière financière », « De l’amélioration du parcours de croissance pour les entreprises » ou encore « De l’amélioration de la situation financière des entreprises agricoles et du financement des entreprises ».

Nous avons fait le choix, à l’UDI, de déposer de nombreux amendements pour tenter de faire évoluer utilement ce texte. Ils portaient principalement sur l’agriculture et l’artisanat, car ces sujets, essentiels pour la vie économique de notre pays, ne sont malheureusement pas traités dans ce texte de manière suffisamment approfondie. Hormis les articles 30 et 31, aucune mesure n’est prévue pour les agriculteurs, qui sont pourtant dans une situation très critique.

Alors que ce projet aurait dû prévoir des mesures visant à revoir les relations commerciales, rien n’est prévu dans ce sens. C’est pourquoi nous avons déposé en commission de nombreux amendements sur ce sujet. Malheureusement, de manière générale, le rapporteur est resté sourd à nos demandes, alors même qu’il partageait notre constat.

Un autre point a également retenu mon attention : celui concernant le renforcement de la réglementation sur les délais de paiement, en particulier l’augmentation du niveau des amendes à 2 millions d’euros. La réduction des délais de paiement est un axe d’amélioration de la compétitivité des entreprises. Cependant, porter le plafond des sanctions à 2 millions d’euros les conduira-t-il à respecter la réglementation en matière de délai de paiement ?

Pour celles qui paient délibérément tous leurs fournisseurs en retard pour préserver leur trésorerie, cette hausse du montant de la sanction sera peut-être dissuasive. Mais il faut avoir à l’esprit que les causes de retard sont multiples. C’est pourquoi il me semble important de faire le distinguo entre le retard systématique et intentionnel et celui qui résulte d’une simple méconnaissance de la loi. Dès lors, le montant maximal ne devrait s’appliquer qu’en cas de manquement délibéré correspondant à un calcul financier de la part de l’entreprise débitrice.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.

M. Patrice Carvalho. L’article 1er de ce projet de loi vise à créer l’Agence française anticorruption qui aura pour mission d’être le maillon fort, le bras armé de la politique publique de notre pays en matière de lutte contre la corruption. Comme je l’ai dit lors la discussion générale, nous accueillons cette création avec intérêt. Toutefois, il est prévu de placer cette agence auprès du ministre du budget et du ministre de la justice. Or, en matière de lutte contre la corruption, l’exigence minimale serait de garantir l’indépendance effective de cette agence, afin de la protéger de toute ingérence potentielle du pouvoir politique.

En l’état du texte, cette garantie n’est pas complètement satisfaite. C’est pourquoi nous avions déposé un amendement visant à rendre cette agence réellement indépendante, en lui accordant le statut d’autorité d’administrative indépendante. Mais les règles encadrant nos débats sont telles que, notre assemblée ne pouvant amender le texte en ce sens, il a été déclaré irrecevable. Nous ne pouvons que déplorer l’impossibilité de toute modification parlementaire du statut de cette agence.

À cet égard, je tiens à rappeler que l’alinéa 4 de l’article 6 de la Convention des Nations unies contre la corruption, signée et ratifiée par la France, dispose que : « Chaque État partie accorde à l’organe ou aux organes visés au paragraphe 1 du présent article l’indépendance nécessaire, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, pour leur permettre d’exercer efficacement leurs fonctions à l’abri de toute influence indue. » En l’état, la garantie d’indépendance, pourtant essentielle, ne nous apparaît pas pleinement satisfaite, alors qu’elle l’aurait été grâce au statut d’autorité administrative indépendante, lequel permettrait à l’agence d’exercer en toute liberté et toute indépendance ses nouvelles prérogatives.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le groupe UDI était favorable à l’idée d’accorder le statut d’autorité administrative indépendante à l’Agence anticorruption. Hélas, on nous a opposé une interprétation de l’article 40, qui a exclu notre amendement du débat en séance. Monsieur le ministre, pourquoi avez-vous refusé le statut d’autorité administrative indépendante ? Ce « service », ainsi qualifié dans l’article 1er du projet de loi, est un peu comme le Canada Dry : il a toutes les apparences d’une autorité administrative indépendante, sans en avoir la qualité.

Qu’est-ce en effet qu’un service qui est sous l’autorité d’un ministre qui, une fois nommé, ne peut lui donner d’instruction ? C’est bizarre ! Cela s’appelle une autorité administrative indépendante. Pourquoi lui avoir refusé ce statut ? Êtes-vous ouvert, puisque vous êtes le seul, monsieur le ministre, à pouvoir déposer l’amendement, à le lui donner ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. La création de l’Agence française anticorruption suscite une véritable attente. Il ne faudra pas s’arrêter au nom, mais bien imposer une volonté. Le service central de prévention de la corruption – SCPC –, créé en 1993, n’est pas satisfaisant. Une nouvelle agence est proposée, dotée de compétences élargies. Si le statut de service à compétence nationale est garant d’une relative autonomie de gestion, la question de doter l’Agence du statut d’autorité administrative indépendante n’a pas été retenue. Le fait de l’avoir refusé au motif de l’article 40 nous interroge. Cela revient en effet à refuser de lui accorder des moyens financiers. Aussi, voulez-vous réellement lui donner tous les moyens afin d’accroître son rôle et de lui permettre de fonctionner au mieux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le ministre, sur le fond, quand vous proposez de supprimer le SCPC et de créer une agence française anticorruption, nous pouvons largement vous rejoindre. Quant à la forme, il s’agirait de passer d’un service placé sous l’autorité du garde des sceaux à une agence qui aura une double tutelle, celle du ministre de la justice et celle du ministre des finances, ce qui peut se concevoir. Toutefois, comme le rappelaient Charles de Courson ou Véronique Louwagie, une autorité administrative indépendante, c’est une garantie réelle d’indépendance dans son intervention.

L’autorité administrative indépendante est rattachée financièrement au budget du Premier ministre, ce qui peut poser question – pour réaliser chaque année un rapport sur ces autorités, je connais un peu le sujet. Le choix que vous avez fait est un peu étonnant. Il serait assez judicieux de nous éclairer dessus, car je ne doute pas qu’il ne soit motivé.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n795.

M. Charles de Courson. Cet amendement permettra au ministre de répondre aux interventions de nombreux collègues. Expliquez-nous pourquoi vous ne voulez pas d’une autorité administrative indépendante ? S’il ne s’agit pas d’une AAI, mais d’un simple service, cela ne relève pas de la loi. En effet, ce n’est pas la loi qui prévoit l’organisation des services d’une administration ! Si vous nous donnez satisfaction, vous ne prenez pas grand risque du point de vue constitutionnel.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. D’abord, votre amendement propose la rédaction d’un rapport pour réfléchir à la constitution d’une AAI. Vous connaissez pourtant la jurisprudence Urvoas de la commission des lois : par principe, nous refusons les rapports car nous pensons qu’ils sont inutiles, l’Assemblée nationale pouvant se saisir de ces questions ultérieurement.

M. Charles de Courson. On peut vous retourner l’argument !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Sur le fond, je comprends cette position car moi-même, dès le départ et tout au long des auditions, je me suis posé les mêmes questions. Pourquoi je crois aujourd’hui qu’on peut se satisfaire du degré d’indépendance de l’agence française anticorruption ? Pourquoi je trouve le choix du Gouvernement en faveur d’un service à compétence nationale justifié ?

D’abord, le mouvement n’est pas à la création d’AAI. Dans cette enceinte, il y a quelques semaines à peine, au Sénat ensuite, nous avons plutôt épousé le mouvement inverse de suppression d’AAI. Cela ne répond toujours pas à votre question sur le fond, mais j’y viens. Pour ce qui est des garanties d’indépendance, certes, l’agence ne possède pas une indépendance organique puisqu’elle est soumise à la double tutelle du ministre des finances et du garde des sceaux. Mais toute une série d’éléments en garantissent l’indépendance fonctionnelle : magistrats hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, inamovibilité, absence d’instructions, l’impossibilité pour le directeur de siéger à la commission des sanctions… Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Pour ce qui est de l’intérêt d’un service à compétence nationale, je pense que nous pouvons légitimement assumer que l’État déploie lui-même une stratégie nationale de lutte contre la corruption. Il n’est pas illégitime que l’exécutif bénéficie d’un tel service. S’agissant de la double tutelle, nous nous sommes demandé, lors des auditions, s’il ne fallait pas rattacher l’agence au Premier ministre, afin d’en renforcer l’indépendance. Mais l’utilité de la double tutelle, c’est l’attractivité de la structure. Nous voulons doter la France d’une agence porteuse de la meilleure expertise possible, forte de soixante-dix agents. Le double rattachement est attractif par la dynamique et la mobilité qu’il peut conférer aux carrières. Pouvoir disposer d’un vivier au ministère des finances et à la chancellerie, c’est se doter de la meilleure expertise possible.

Voilà les raisons qui ont présidé au choix du Gouvernement, auquel, après la série d’auditions conduites sur le sujet, nous souscrivons totalement. On peut créer un service à compétence nationale et le doter des garanties d’indépendance fonctionnelle les plus fortes. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Le rapporteur vient de livrer les principaux arguments, que je présenterai également à ma manière. Ce service, qui en remplace un autre, reprend les compétences qui appartiennent au Gouvernement en vertu de l’article 20 de la Constitution. Il devra impulser les politiques, conseiller l’exécutif et le représenter, y compris auprès des organismes internationaux de lutte contre la corruption. Cette partie des compétences ne peut pas être exercée par une AAI ; c’est la raison principale pour laquelle nous n’avons pas souhaité en créer une nouvelle, dans un contexte où, par ailleurs, pour des raisons de simplification, nous cherchons – avec le concours actif des parlementaires, y compris siégeant à droite – à en réduire le nombre.

Mais nous vous proposons de confier à cette agence des compétences nouvelles, qui lui permettent de contrôler les entreprises et même de « punir » celles d’entre elles qui ne mettraient pas en œuvre les plans de prévention de la corruption. Pour cette partie de ses compétences, nous avons proposé et vous avez encore renforcé les dispositions qui garantissent l’indépendance absolue de ses acteurs. Il faut bien comprendre que cet organisme a deux visages : une série de missions qui ne peuvent être exercées que dans le cadre de l’article 20, et qui ne peuvent pas être déléguées à une AAI ; et une autre série de missions qui nécessitent l’indépendance, que nous lui accordons et que vous avez même renforcée par plusieurs dispositions dont nous allons débattre dans quelques instants.

Voilà les raisons – parfaitement rationnelles et raisonnables – pour lesquelles nous avons choisi d’en rester au statut de service à compétence nationale, tout en renforçant considérablement, pour certaines de ses compétences, le caractère indépendant de cette agence. Nous faisons plus que renforcer son indépendance : nous la lui accordons totalement et complètement dans la mise en œuvre de ses compétences nouvelles.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Franchement, monsieur le ministre, je ne comprends ni vos arguments ni ceux du rapporteur.

M. Christophe Castaner. Cela arrive souvent, mais cela se soigne…

M. Charles de Courson. Votre argument consiste à dire qu’il faut que le Gouvernement puisse mener une politique de lutte contre la corruption. C’est une thèse qui se défend ; mais dans ce cas, expliquez-moi pourquoi dans l’article 2, alinéa 2, vous dites que le magistrat qui dirige le service « ne reçoit et ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice des missions du service visées aux 1° et 3° de l’article 3 ».

M. Michel Sapin, ministre. Et voilà ! Vous venez de décrire ce que j’ai décrit.

M. Charles de Courson. Mais, monsieur le ministre, vous avez créé un être difforme, bizarre, puisqu’il y a deux hommes – ou deux femmes – en lui.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il y a un Janus au pied de cette tribune…

M. Charles de Courson. On ne va pas faire des chansons populaires, mais d’un côté il y a un magistrat indépendant qui ne peut pas recevoir d’instructions du Gouvernement, et de l’autre, un magistrat qui le peut. Mais qu’est-ce que c’est que ce monstre, cet être baroque ?

Quant à l’argument de M. le rapporteur – en l’occurrence, le seul –, qui consiste à dire que ne pas donner à cet organisme le statut d’AAI serait plus attractif pour le recrutement du personnel, c’est tout l’inverse. L’attractivité d’un poste est avant tout fonction de l’intérêt du travail car il reste encore des gens qui aiment travailler à des choses intéressantes. Elle est ensuite fonction de la rémunération. Mais qu’il s’agisse d’une AAI ou d’un service, c’est le ministre et non l’organisme lui-même qui fixera la rémunération et le régime des primes. Si donc vous souhaitez le rendre non attractif parce que vous ne voulez pas qu’il fonctionne – c’est bien ce qui est arrivé pendant des années ! –, le ministre peut très bien y arriver en lui conservant le statut d’AAI. Votre argument est donc nul et non avenu, et n’a rien à voir avec notre débat.

(L’amendement n795 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n794.

M. Charles de Courson. C’est un argument pour que le Gouvernement nous donne des explications. Puisqu’il n’y a pas eu de majorité pour pousser dans le sens d’une AAI, nous avons un service, et son organisation dépend des deux ministres auxquels il est rattaché. Je propose donc qu’un décret en Conseil d’État – il manque les mots « d’État » – fixe les modalités de fonctionnement de cette agence, que cela permettra de sécuriser. Allez jusqu’au bout de votre logique, même si je la conteste ! En effet, le service étant sous l’autorité de deux ministres, ces derniers peuvent dire : « Non, je ne veux pas de cette organisation : il y a trois bureaux, je n’en veux que deux, etc. » Quant aux moyens, permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que puisqu’il s’agit d’un service, c’est vous qui les donnerez. Certes, le Parlement votera, mais il ne peut pas augmenter les moyens, il ne peut que les redéployer. Expliquez-nous donc comment vous allez faire et qui va définir les modalités de fonctionnement de l’agence !

M. Michel Sapin, ministre. L’amendement est déjà satisfait.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Si ce service est créé par la loi, c’est parce que le Conseil d’État lui-même nous l’a demandé.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Est-ce le Conseil d’État qui fait la loi ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’était nécessaire au regard d’un certain nombre de ses compétences, notamment de celles relatives à la détermination des peines ou à la procédure pénale, comme le suivi des peines de mise en conformité, prévu à l’article 9, ou de compétences qui concernent les garanties accordées pour l’exercice des libertés publiques. C’est pour des raisons juridiques que le Conseil d’État nous a invités à procéder par la loi, comme d’ailleurs le ministre l’avait fait en 1993.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je conteste formellement puisque M. le ministre lui-même reconnaît non le caractère bicéphale…

M. Sébastien Denaja. Le caractère sui generis !

M. Charles de Courson. …mais la double nature de cette agence. Vous ne pouvez défendre cet argument, monsieur le rapporteur, que pour la partie sanctions, et non pour le reste ; c’est-à-dire du 1° au 3° et non pour la suite. Vous voyez donc bien que l’être hybride que vous avez créé pose les problèmes de tous les êtres hybrides.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Mais l’hybridité est parfois très fertile !

M. Charles de Courson. Non, beaucoup d’hybrides ne sont pas fertiles, cela dépend… En l’occurrence, ce ne sera pas le cas.

Mme la présidente. On ne va peut-être pas ouvrir ce débat-là…

M. Charles de Courson. Mais si, c’est un problème de semencier ! Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas défendre votre thèse pour les deux parties de cet être hybride.

(L’amendement n794 n’est pas adopté.)

(L’article 1er est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le ministre, la France accuse un sérieux retard en matière de lutte contre la corruption, en comparaison avec les autres grands pays, tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni. Ce retard est pointé du doigt par plusieurs organismes internationaux, notamment l’OCDE. Il est donc aujourd’hui plus qu’urgent de nous doter d’outils juridiques et politiques efficaces et spécialisés dans la lutte contre la corruption. À cet égard, votre proposition de création et de renforcement d’une agence française anticorruption est une bonne chose. Mais encore faut-il que cette agence soit dotée de réels pouvoirs et de moyens d’action.

M. Yannick Favennec. Il a raison !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Tout d’abord, je souhaiterais que le Gouvernement nous détaille, dès à présent, les moyens financiers alloués à cette agence ou service – car on ne sait pas très bien de quoi il s’agit. Ensuite, pour ce qui est de son fonctionnement, il est important d’assurer l’impartialité et l’indépendance de l’agence en plaçant à sa tête un magistrat hors hiérarchie ; cela a été décidé. Il est également nécessaire de lui assurer une forte légitimité en procédant par exemple, en amont de la nomination du magistrat par le Président de la République, à son audition par la représentation nationale – il ne s’agirait pas d’un avis – et plus précisément par les commissions parlementaires concernées.

M. Yannick Favennec. Très bien !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Dans le même esprit, il est souhaitable de donner une réelle assise et une représentativité à l’agence en prévoyant que siègent à la commission des sanctions des personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux chambres.

En résumé, si nous soutenons le principe de la création d’une agence française anticorruption, nous pensons que les règles de fonctionnement proposées à l’article 2 ne sont pas suffisantes.

M. Yannick Favennec. Extraordinairement bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Monsieur le ministre, vous m’appeliez à être constructif ; voici quelques éléments qui vont dans ce sens. Nous avons vraiment besoin que la composition de cette agence reflète la double tutelle que vous lui assignez et la double mission que vous lui confiez – qui me convient personnellement très bien. En effet, l’agence aura un visage juridictionnel, le plus abouti possible : il s’agit notamment de garantir aux instances des autres pays déjà dotés de telles agences de lutte anticorruption qu’on a bien affaire à un organisme qui présente des qualités juridictionnelles. De ce point de vue, la présence d’un magistrat à sa tête va sans doute dans le bon sens, tout comme celle des six magistrats qui composent la commission des sanctions.

Mais il ne faut pas perdre de vue l’autre objectif : cette agence n’agit pas à l’aveugle – on a rappelé, dans la discussion générale, le contexte de guerre économique dans lequel nous évoluons. L’agence doit aussi appliquer une politique, celle de l’exécutif. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, il n’est pas illégitime qu’un exécutif mène une politique de lutte contre la corruption. Nous serons donc très attentifs, lors du débat sur les amendements, à ce que ce double visage soit parfaitement équilibré. Si nous en restions exclusivement à une procédure juridictionnelle, nous n’apporterions pas grand-chose, passant à côté d’une grande partie de l’objectif.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n769.

Mme Eva Sas. Cet amendement fait partie d’une série d’amendements visant à garantir l’indépendance de l’agence française anticorruption. L’examen de ce texte en commission a permis d’améliorer en partie l’article 2, concernant la non-révocabilité du magistrat placé à la tête de l’agence, tout en rappelant que la durée de son mandat est de six ans, et non renouvelable. Ces garanties sont importantes pour l’indépendance du directeur de cette agence.

Toutefois l’article 2 prévoit toujours que ce magistrat, placé hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, sera nommé par décret du Président de la République. Cette disposition ne nous semble pas garantir suffisamment l’indépendance de ce nouveau service à compétence nationale. La nomination par le Président de la République, sans aucun avis consultatif, pourrait donner lieu à des soupçons de complaisance. Cet amendement propose d’y remédier par la création d’un conseil stratégique à la composition plurielle, sur le modèle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, dont le rôle serait notamment d’élire le magistrat dirigeant le service anticorruption.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il me semble difficile, sur le plan constitutionnel, de ne pas confier la nomination du directeur d’un service à compétence nationale au pouvoir exécutif. Comme vous l’avez rappelé, il sera nommé par décret du Président de la République : cela témoigne de l’importance qu’accorde l’exécutif à cette fonction.

Pour le reste, les dispositions que vous proposez devraient figurer dans un décret. Le Conseil d’État avait précisément disjoint de l’avant-projet de loi les propositions qui prévoyaient l’institution de ce conseil stratégique. M. le ministre précisera certainement ce qu’il en est de cette instance, car il y a de fortes attentes à ce sujet. La société civile, relayée par certaines associations, y est attentive. Quoi qu’il en soit, votre amendement relève pour l’essentiel du domaine réglementaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Avant de répondre aux questions soulevées par Mme Sas, je tiens à dire qu’en effet, la question des moyens de cette agence est très importante. Nous travaillons actuellement à un format de l’ordre de 70 emplois équivalent temps plein – ce n’est pas un petit chiffre. Cela représente une augmentation considérable par rapport aux services actuels de lutte contre la corruption. Nous allons commencer par là ; ensuite nous constaterons, j’en suis sûr, que l’agence fonctionnera avec une très grande efficacité. C’est un effort important ; certes les moyens humains ne font pas tout, mais ils seront tout de même décisifs, dans une matière comme celle-ci.

Madame Sas, indépendamment des considérations d’ordre constitutionnel, la nomination du magistrat dirigeant l’agence par le conseil stratégique ne me paraît pas convenir à l’organisation que nous voulons créer. Celle-ci a en effet, peut-être pas deux visages, mais en tout cas deux grands types de compétences ; or une partie de ces compétences sera exercée par délégation, en quelque sorte, de l’exécutif. Mais le plus important est évidemment de garantir son indépendance dans l’exercice de ses fonctions ; c’est pour cela que les modifications apportées en commission sont bienvenues. Celles-ci consistent d’abord dans l’inamovibilité du magistrat, ensuite dans le caractère non renouvelable du mandat. Ce système permet d’éviter que le magistrat prenne en considération tel ou tel élément dans l’optique d’être de nouveau nommé dans son mandat.

Il me semble, dès lors, que les garanties d’indépendance de la direction de cet organisme sont suffisantes. C’est votre assemblée qui l’a permis ; c’est le fruit d’un travail parlementaire, qui a permis de répondre à l’une de vos préoccupations. Le Gouvernement a accepté volontiers ces modifications, car elles vont également dans le sens de ses préoccupations. Nous sommes donc arrivés à un dispositif équilibré et efficace.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. J’ai bien pris note des réponses de M. le rapporteur et de M. le ministre. Je comprends que les dispositions de cet amendement relèvent du domaine réglementaire : je vais donc le retirer. J’aimerais néanmoins obtenir des éléments quant à la création du conseil stratégique qui a été évoqué.

(L’amendement n769 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour soutenir l’amendement n76.

Mme Marie-Christine Dalloz. Par cet amendement, je propose de procéder à une harmonisation. En effet, au premier alinéa de cet article, vous prévoyez que cette agence sera dirigée par un directeur général, choisi parmi les magistrats de l’ordre judiciaire, et que la durée de son mandat sera de six ans. Or à l’alinéa 8 du même article, vous précisez que les membres de la commission des sanctions, ainsi que leurs suppléants en nombre identique, sont nommés par décret pour une durée de cinq ans renouvelable une fois.

Ne pourrions-nous pas simplifier cela en fixant la même durée pour les mandats du directeur, d’une part, et des membres de la commission, d’autre part – que cette durée soit de cinq ou de six ans ? Cela améliorerait la cohérence de ce texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il y a deux avantages à une durée de mandat de six ans pour la personne qui dirigera l’agence. Premièrement, cela permettra d’assurer la continuité du fonctionnement de l’agence, en évitant l’hypothèse d’un double renouvellement du directeur de l’agence et du président de la commission des sanctions. Deuxièmement, il est assez classique, pour assurer l’indépendance des institutions de ce type, de déconnecter la durée des mandats du calendrier électoral. Pour préserver ces deux avantages, il convient de rejeter cet amendement.

(L’amendement n76, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n1418 du Gouvernement a été retiré avant la séance.

La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n351.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il s’agit simplement de porter la durée du mandat des membres de la commission des sanctions à trois ans, renouvelable une fois.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment. Je vous engage à souscrire plutôt à la solution retenue par notre collègue Nicolas Sansu dans son amendement n1292. Son intention est proche de la vôtre : il propose en effet un mandat de cinq ans non renouvelable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je retire cet amendement.

(L’amendement n351 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n1292.

M. Patrice Carvalho. Chacun admettra qu’il est souhaitable que les membres de la commission des sanctions de l’agence française anticorruption jouissent d’une indépendance maximale. Nous proposons donc que le mandat des membres de cette commission ne soit pas renouvelable, afin de ne pas les exposer au jugement de ceux qui les nomment. Les modalités retenues pour le mandat du magistrat qui dirigera l’agence doivent être étendues aux mandats des membres de la commission des sanctions pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement dans lequel elle voit une garantie supplémentaire d’indépendance. Cela va dans le sens des préoccupations partagées sur tous les bancs de cet hémicycle.

(L’amendement n1292, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n720.

M. Joël Giraud. Cet amendement vise simplement à préciser que les membres du Conseil d’État et de la Cour de cassation qui seront nommés à l’agence française anticorruption devront avoir des compétences en matière financière. Vous savez qu’il y a plusieurs chambres dans ces deux institutions ; certaines ne sont pas vraiment liées à la matière financière. Il me semblerait utile que les magistrats, eux, le soient, afin de renforcer la crédibilité de cette agence.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Monsieur Giraud, pardonnez-moi, mais cet amendement est certainement dû à votre caractère facétieux, car je crois qu’on peut faire confiance au vice-président du Conseil d’État, au président de la Cour de cassation, au président de la Cour des comptes pour choisir des hommes et des femmes compétents pour exercer leurs fonctions dans l’agence française anticorruption. Je vous suggère donc de retirer cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je trouve votre logique assez paradoxale : j’ai besoin d’explications. Vous vous êtes prononcé favorablement, monsieur le rapporteur, à l’amendement n1292 de M. Sansu, présenté par M. Carvalho, aux termes duquel le mandat du président de la commission est renouvelable une seule fois.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Non, justement, nous avons supprimé le caractère renouvelable.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est bien ce que notre assemblée a voté !

Parallèlement, l’amendement n1418 du Gouvernement, qui a été retiré, visait à supprimer l’inamovibilité du directeur de l’agence. Cela signifie que, d’une part, vous avez décidé de laisser le directeur de l’agence inamovible à vie – ou presque, puisqu’il n’y a pas de délai – tandis que le mandat du président de la commission des sanctions ne pourra être renouvelé qu’une seule fois. J’aimerais comprendre quelle logique prévaut ici !

Le retrait de l’amendement du Gouvernement rend le texte moins lisible : tous les responsables de cette agence devraient être traités de la même manière. Il y avait donc une cohérence à supprimer l’inamovibilité du directeur de l’agence, puisque le président de la commission des sanctions n’a droit qu’à un mandat renouvelable.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, mais peut-être n’allons-nous pas débattre trop longuement d’un amendement qui a été retiré…

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je souhaite qu’au cours de la navette parlementaire, ce que nous avons fait en commission soit précisé. J’ai accepté l’inamovibilité, sous réserve d’empêchement ou de démission. Je pense qu’il serait utile d’ajouter une troisième exception, en cas de manquement grave. Cela donnerait une certaine latitude au Gouvernement, car il n’y a pas de raison que le directeur de l’agence soit totalement hors de contrôle, notamment pour ce qui touche à ses pouvoirs régaliens, notamment la conduite de la politique internationale de la France en la matière.

Concernant le caractère renouvelable ou non des mandats, je pense, madame Dalloz, que vous avez mal compris le sens de l’amendement n1292 de M. Sansu. Par son adoption, nous avons supprimé la possibilité de renouveler le mandat des membres de la commission des sanctions. Leur mandat est donc de cinq ans, et c’est tout ! La cohérence est donc rétablie.

(L’amendement n720 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n1016 rectifié.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.

(L’amendement n1016 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n1263.

M. Patrice Carvalho. Les membres de la commission des sanctions ainsi que le magistrat dirigeant l’agence française anticorruption doivent apparaître comme des modèles en matière de lutte contre la corruption. À ce titre, ils doivent être exemplaires. Il y va de leur crédibilité, et de celle de l’action de l’agence dans son ensemble. Par cet amendement, nous proposons de soumettre les membres de la commission des sanctions et le dirigeant de l’agence à l’obligation de déclaration d’intérêts et de patrimoine, comme c’est le cas pour les ministres et les parlementaires.

M. Olivier Marleix. Il faut contrôler les contrôleurs !

M. Patrice Carvalho. Ces deux déclarations seraient transmises à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, et accessibles au grand public. L’amendement prévoit un délai de deux mois entre la prise de fonctions et l’obligation de remettre ces déclarations. Une telle disposition permettrait, nous semble-t-il, de prévenir tout conflit d’intérêts, et assurerait la crédibilité de cette institution.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, car ce serait aller bien au-delà de l’équilibre de la loi du 11 octobre 2013. Pour ma part, je comprends tout à fait votre démarche ; mais l’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Sagesse.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. De très nombreuses autorités, dans notre pays, sont désormais soumises à la déclaration de patrimoine : c’est le cas de tous les membres du Gouvernement, des parlementaires, des députés européens, des membres des exécutifs locaux.

M. Charles de Courson. Et des membres des cabinets ministériels !

M. Olivier Marleix. Je crois qu’il serait incompréhensible que les contrôleurs, en quelque sorte, ne soient jamais contrôlés par personne. D’ailleurs, certaines dispositions de ce projet de loi visent à étendre l’obligation de déclaration aux membres des autorités administratives indépendantes. Nous ne comprendrions pas que l’on fasse une exception pour les membres de cette agence de lutte contre la corruption. Imaginez le scandale qu’il y aurait si l’on découvrait que l’un d’eux ne faisait pas preuve de la probité qu’il est censé faire régner !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Du temps de la République romaine – pas de la Rome décadente, mais de la grande République romaine – on disait : la femme de César doit être au-dessus de tout soupçon.

M. Michel Sapin, ministre. Quelle vision machiste !

M. Charles de Courson. Je voterai donc pour l’amendement présenté par notre collègue Patrice Carvalho. On ne peut pas charger ces sept personnes de la lutte contre la corruption, sans leur imposer au moins les mêmes contraintes que celles qui pèsent non seulement sur les élus, mais aussi sur les directeurs d’administration centrale, et d’autres encore.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Sans me référer à la grande république romaine, je précise que si la commission a émis un avis défavorable, c’est par prudence, pour ne pas remettre en cause les grands équilibres de la loi du 11 octobre 1993, et aussi parce qu’il s’agira, pour la direction, d’un haut magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, et, en outre, respectivement de deux membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de deux membres et de la Cour des comptes, soit des personnalités auxquelles s’appliquent déjà un certain nombre d’exigences déontologiques. Mais si on veut aller plus loin encore, je n’y vois pas d’inconvénient à titre personnel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il y a confusion : les magistrats ne sont pas aujourd’hui soumis à une déclaration de leur patrimoine auprès de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ils vont l’être en vertu de l’article 21 du projet de loi organique portant statut des magistrats que nous avons voté !

Mme Marie-Christine Dalloz. Je pense vraiment que les membres de cette nouvelle agence devraient se soumettre, comme tout parlementaire ou toute personne garante du respect d’une certaine autorité en termes de gestion des fonds publics, à une déclaration de patrimoine. Cela me semble la moindre des choses. Vous et les vôtres qui avez été les grands défenseurs de la transparence...

M. Olivier Marleix. En effet !

Mme Marie-Christine Dalloz. …je pense que vous pourriez comme nous aller dans le sens de cet amendement en affirmant qu’il est logique que la Haute Autorité ait bien évidemment un droit de regard sur le patrimoine de ces personnes pour garantir l’absence totale de conflits d’intérêts.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le texte pour la modernisation de la justice du XXIe siècle, dit « J21 », que nous avons voté à une très large majorité, comporte déjà des dispositions qui placent les hauts magistrats dans le cadre de l’obligation de déclaration patrimoniale sous le contrôle de la Haute Autorité. Je le rappelle pour souligner que la réflexion de la commission des lois visait à ne pas prévoir de limites à cette transparence, y soumettre tous les intéressés conduisant à édifier ce qu’évoquait à l’instant notre collègue Charles de Courson. Nous avions, par souci d’équilibre du texte, rejeté cet amendement, mais on serait en totale conformité avec la finalité du dispositif J21 en l’adoptant.

M. Charles de Courson. Très bien !

M. Olivier Marleix. On pourrait aussi prévoir une obligation de déclaration d’intérêts !

Mme la présidente. Monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. J’ai longtemps appartenu à l’un trois corps concernés et je peux vous dire que, dans tout corps, il y a quelques brebis galeuses… Hélas !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, puis nous passons au vote, mes chers collègues.

Mme Sandrine Mazetier. L’adoption de ce cet amendement aboutirait, comme vient de le rappeler M. Le Bouillonnec, à prévoir ceinture et bretelles, mais, pour enlever toute ambiguïté, le groupe socialiste, écologiste et républicain ne voit pas d’obstacle à ce qu’il le soit.

M. Charles de Courson et M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très bien !

(L’amendement n1263 est adopté à l’unanimité.)

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour soutenir l’amendement n1293.

M. Nicolas Sansu. Cet amendement de précision vise à inscrire dans la loi le principe d’incompatibilité entre le mandat de membre de la commission des sanctions de l’AFA avec toute autre fonction qui pourrait se révéler telle.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Elle comprend tout à fait la démarche mais a émis un avis défavorable parce qu’elle considère que cette précision serait en pratique inutile. En effet, le volume réel d’activité de la commission des sanctions se résumera à une ou deux décisions par an. Par conséquent, aller aussi loin que vous le souhaitez dans l’extension du champ des incompatibilités, mon cher collègue, apparaît quelque peu excessif.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

(L’amendement n1293 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n1474.

M. Michel Sapin, ministre. Il s’agit de supprimer la mention de l’absence d’instruction d’autres autorités administratives ou gouvernementales applicable aux agents affectés au sein de l’agence car, comme tous les agents de l’administration, ils seront soumis au principe hiérarchique, et la question des instructions externes n’a pas de sens les concernant.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission et son rapporteur se rendent de bonne grâce aux arguments du Gouvernement. Nous pensons que l’interdiction des instructions provenant de l’extérieur adressées au directeur s’applique aussi aux agents.

M. Michel Sapin, ministre. Par effet hiérarchique.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Tout à fait, monsieur le ministre.

(L’amendement n1474 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1168.

M. Joël Giraud. L’amendement propose que dans le délai d’un an après promulgation de la loi soit remis « au Parlement un rapport sur les avantages et les inconvénients de l’autonomie de l’Agence française anticorruption » car une telle autonomie pourrait amener à se poser la question de lui conférer, le cas échéant, le statut d’autorité administrative indépendante.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je trouve cet amendement pas si mal. De surcroît, il reprend l’exposé sommaire de l’amendement n1418 du Gouvernement que celui-ci a retiré avant la séance. Je vous lis ce dernier : « Cet amendement vise à supprimer l’inamovibilité du directeur de l’agence. En effet, s’agissant d’un service administratif, l’existence d’une telle garantie est susceptible d’être regardée comme contraire à la Constitution. » Monsieur le ministre, vous l’avez retiré pour des raisons politiques : vous avez peut-être politiquement raison, mais juridiquement tort.

M. Michel Sapin, ministre. Oh là ! là ! On connaît l’auteur de ces mots ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. C’était en l’occurrence l’inverse, mais, hélas, ils viennent bien de l’un des vôtres, qui ne s’en est pas grandi. Le problème que vous souleviez par cet amendement est réel : est-ce que ce que nous sommes en train de rédiger est conforme à la Constitution ?

M. Michel Sapin, ministre. La réponse est oui !

M. Charles de Courson. Alors que nous conférons à une nouvelle institution une double nature, un caractère hybride. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce point ?

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. J’ai été beaucoup éclairé par l’avis du Conseil d’État, dont le but premier en la matière est d’éclairer le Gouvernement lui-même sur la constitutionnalité d’un avant-projet de loi.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le Conseil d’État ne fait pas la loi !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il faut faire l’effort de relire, comme moi encore récemment, l’avis du Conseil d’État sur ce texte parce qu’il est tout à fait riche d’enseignements.

De plus, l’amendement proposant un rapport, Jean-Yves Le Bouillonnec est bien placé pour connaître la « jurisprudence » Urvoas, du nom de l’ancien président de notre commission, à laquelle nous vous renvoyons mon collègue : nous refusons demande de rapport parce que le Parlement dispose déjà d’un pouvoir d’évaluation en vertu de l’article 24 de la Constitution. Nul besoin donc de se fixer à nous-mêmes un rendez-vous pour exercer une compétence que nous tirons directement de la loi fondamentale.

Mme Sandrine Mazetier. Très juste !

(L’amendement n1168 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n431.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il s’agit de prévoir dans le fonctionnement de la commission des sanctions le respect des deux principes fondamentaux que sont droits de la défense et du contradictoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Défavorable parce que inutile : cela va de soi.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ce n’est pas évident !

Mme la présidente. En d’autres termes, cela signifie qu’elle le considère comme satisfait.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Il est satisfait par le respect de plusieurs des principes de la République. Sinon, nous nous retrouverions dans une situation parfaitement contradictoire avec ceux-ci, y compris des dispositions constitutionnelles. Je ne reviendrai pas sur la question constitutionnelle, elle a été parfaitement éclairée par l’éclairage de l’éclairant Conseil d’État dans son avis sur le sujet. Il s’est prononcé sans ambiguïtés et j’y renvoie M. le député.

M. Charles de Courson. Le Conseil d’État n’est pas le Conseil constitutionnel !

M. Michel Sapin, ministre. Par ailleurs, quant à la question de savoir de qui serait composé le comité stratégique qui sera créé par décret, cela relève par conséquent du domaine réglementaire, mais il est parfaitement légitime d’éclairer la représentation nationale sur ce point. Ce comité émettra des avis, proposera des orientations, à l’Agence et surtout à son directeur. Sa composition devra être d’une grande diversité, comprenant des représentants syndicaux et patronaux, des représentants des ONG… Bref, une diversité qui lui permettra de conseiller dans les meilleures conditions, sans que ses avis n’aient force contraignante, l’ensemble des acteurs de cette agence.

(L’amendement n431 n’est pas adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, inscrit sur l’article.

Monsieur le ministre, je ferai trois remarques sur cet article : premièrement, en imposant que le Premier ministre s’adresse à l’Agence pour que celle-ci se prononce sur toute information susceptible d’être demandée suite à une transaction pénale à l’étranger, on met incontestablement d’inutiles bâtons dans les roues au dispositif de la transaction pénale ; deuxièmement, nous devons voir plus grand, avoir plus d’ambition pour cette agence, ce qui suppose, d’une part, d’élargir son champ de compétences en y incluant notamment certaines associations qui dépendent étroitement des financements publics, mais également de permettre une saisine plus large, par exemple par les AAI ; troisièmement, il est impératif de rendre toutes ses décisions publiques car ce ne se sera qu’à ce prix que l’Agence française anticorruption bénéficiera d’une réelle assise et d’une autorité incontestable.

La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1435 rectifié.

M. Joël Giraud. Il est proposé de spécialiser ces deux organismes chargés de la probité : d’une part, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique exercerait les missions relatives au conseil et au contrôle des personnes publiques, et, d’autre part, la nouvelle Agence anticorruption se verrait confier les recommandations destinées au secteur privé afin de permettre aux entreprises de se conformer à l’obligation prévue à l’article 8 du projet de loi. Cela permettrait une plus grande clarté du dispositif global. Un amendement de cohérence, portant article additionnel après l’article 13, a été déposé concernant les missions de la Haute autorité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je comprends tout à fait votre démarche, monsieur Giraud, ayant même envisagé de soutenir un amendement allant dans le même sens, mais je l’ai finalement retiré en commission. Une logique de spécialisation entre, d’un côté, le secteur public relevant de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, de l’autre, le secteur privé relevant de l’Agence française anticorruption. Mais ce qui compte, c’est moins la cohérence institutionnelle que la possibilité pour cette dernière de mener à bien l’intégralité de ses missions de prévention et de détection de la corruption. C’est ce qui m’a convaincu d’infléchir mon raisonnement initial et ce à quoi je vous invite en retirant votre amendement. En tout cas, la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Giraud ?…

M. Joël Giraud. Je le retire, madame la présidente.

(L’amendement n1435 rectifié est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n77.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Défendu.

(L’amendement n77, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n78.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Défendu.

(L’amendement n78, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n79.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Défendu.

(L’amendement n79, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n739.

M. Joël Giraud. À la lecture du texte, il semble que les recommandations de l’Agence française anticorruption soient quelque peu figées dans le temps. Or il y a une évolution des pratiques de corruption ; chacun sait que l’inventivité dans la malignité peut aller très loin. Il serait donc utile de préciser que ses recommandations sont régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques en matière de corruption.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission a trouvé votre proposition judicieuse, cher collègue, et a donc émis un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Comptant m’en remettre au départ à la sagesse de l’Assemblée,… je pense que j’y suis finalement favorable.

Mme la présidente. Avec un brin d’enthousiasme… (Sourires.)

(L’amendement n739 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n459.

M. Olivier Marleix. Cet amendement soulève la question de l’ambition que l’on compte assigner à cette agence de lutte contre la corruption alors que sa priorité, nous nous rejoignons tous là-dessus, sera la corruption transnationale de grande envergure. Je ne sais pas les moyens dont elle disposera – on a évoqué soixante-dix ETP, et ce serait déjà formidable –, mais elle perdrait son temps si elle devait aussi se consacrer à la mise en œuvre des règles concernant les collectivités locales. Je citais tout à l’heure Argenton-sur-Creuse, qui ne me semble pas une cible prioritaire, alors que le vrai sujet…

M. Michel Sapin, ministre. C’est même un modèle !

M. Olivier Marleix. On pourrait, si c’est le cas, d’autant plus dispenser ce type de collectivités de ces contrôles. La cible, je le répète, c’est la corruption transnationale et pas nos collectivités locales. On risque, en se dispersant, de passer totalement à côté, ce qui serait vraiment regrettable. Ayons plus d’ambition pour cette agence.

M. Joël Giraud. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. En l’occurrence, notre désaccord est total. Exclure les collectivités territoriales du champ de compétence de l’Agence française anticorruption après trente ans de décentralisation, compte tenu de l’importance des missions qu’elles exercent, du fait qu’elles réalisent plus de 70 % de l’investissement public en France et qu’elles constituent donc une cible pour les corrupteurs, ce serait manquer à l’objectif que nous nous assignons tous.

Je ne veux pas que l’on soit obsédé par Argenton-sur-Creuse…

M. Michel Sapin, ministre. Ou Anet, aussi ! (Sourires)

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …même si tout le monde a envie de s’y rendre. Anet aussi, oui ! Chacun pourrait citer le nom d’une commune qui lui est chère.

Je tiens à préciser que le texte prévoit évidemment une adaptation à la taille des collectivités concernées.

Lors de son audition, l’actuelle chef de service du SCPC – lequel se transformera donc en AFAC – m’a cité notamment les très nombreuses demandes d’avis de la part de collectivités territoriales, en particulier de maires de très petites communes, concernant des pressions que de grandes entreprises – dans le secteur des énergies renouvelables notamment – peuvent exercer sur l’ensemble du territoire national. Il est donc fondamental de ne pas supprimer la référence aux collectivités territoriales.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. J’invite M. Marleix à retirer son amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Nous ne sommes pas favorables à l’adoption de l’amendement de notre collègue Marleix même s’il soulève un vrai problème : quel type d’adaptation le texte prévoit-il pour les petites communes ? M. le ministre pourrait-il nous éclairer sur les intentions du Gouvernement en la matière ?

Où notre collègue Marleix a raison, c’est qu’il convient de concentrer les moyens sur les gros poissons et l’on n’en trouve guère dans des communes comme Argenton-sur-Creuse.

M. Michel Sapin, ministre. Il y a des poissons parce que le niveau de la rivière est élevé (Sourires).

M. Charles de Courson. M. le ministre peut-il nous éclairer ? Il aurait été possible d’aller plus loin, comme ce fut le cas dans d’autres textes, en définissant un seuil. L’adaptation pourrait-elle donc aller jusque-là – entre zéro et mille habitants, par exemple ? Où en êtes-vous de vos réflexions à ce sujet, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Un petit mot à ce propos. Un amendement de M. Marleix concernant l’adaptation sera discuté plus tard et j’émettrai un avis favorable à son adoption. Il s’agira, plus précisément, de porter le seuil de 3 500 à 10 000 habitants. Il est certes possible de réfléchir encore afin d’affiner le dispositif mais nous partageons le souci de M. Marleix : une adaptation est nécessaire. La cible de l’Agence française anticorruption, en effet, ce n’est pas la commune de 3 500 habitants.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Pour répondre à l’observation précédente de M. le rapporteur : si la chef du service du SCPC passe son temps à répondre à des demandes de maires ruraux, je comprends mieux pourquoi depuis quinze ans la France n’a pas mené jusqu’à son terme une seule affaire de lutte contre la corruption puisqu’il n’y a pas eu une seule condamnation. Nous ne parlons pas de la même chose et nous n’avons pas les mêmes objectifs.

Néanmoins, compte tenu de la réponse anticipée de M. le rapporteur à mon amendement à venir, je retire l’amendement n459.

(L’amendement n459 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1017.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Amendement rédactionnel.

(L’amendement n1017, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n81.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il s’agit d’élargir la possibilité de saisine du service national chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption aux présidents des autorités administratives indépendantes – autorité des marchés financiers, autorité de la concurrence, commission nationale de l’informatique et des libertés, haute autorité de santé notamment.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avis défavorable. Il revient aux AAI de saisir le procureur territorialement compétent en cas de difficulté.

(L’amendement n81, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n80.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il s’agit cette fois d’ouvrir une telle possibilité aux directeurs généraux des agences régionales de santé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est au représentant de l’État de saisir l’Agence spécialisée.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Au préfet.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. En effet, puisque comme vous le savez, monsieur le député, il préside le conseil de surveillance des ARS.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. J’ai le sentiment qu’il existe des confusions quant au rôle et à l’ensemble des prérogatives de l’Agence française anticorruption.

L’Agence a une mission de prévention : dès l’origine, ce point est central dans le dispositif proposé par le projet de loi. Plutôt que de songer à la saisir, il faut s’inspirer de sa culture, des bonnes pratiques et des recommandations qu’elle édictera.

Je comprends les préoccupations de M. Marleix sur la taille des communes notamment mais, en même temps, la prévention de la corruption concerne tout le monde, tout type de structures et d’acteurs publics ou privés.

J’espère que M. Morel-A-L’Huissier retirera son amendement, sinon, nous voterons contre son adoption, comme nous avons voté contre le précédent.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Un élargissement de la compétence ne me semble pas contraire aux objectifs du texte mais je retire mon amendement.

(L’amendement n80 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n747.

M. Joël Giraud. Cet amendement vise à faire en sorte que la société civile puisse également saisir l’Agence française anticorruption via des associations préalablement agréées. Il me semble que la société civile est assez absente de ce texte…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous vous trompez.

M. Joël Giraud. …et que ces associations agréées pourraient permettre de l’y introduire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je comprends votre souhait de collaboration et d’articulation entre l’Agence française anticorruption et la société civile mais, en l’occurrence, c’est l’articulation de votre amendement avec le texte qui pose problème.

Il s’agirait en effet de pouvoir saisir l’AFAC pour diligenter un contrôle. Or, il me semble vraiment difficile de mettre sur le même plan la société civile et le Premier ministre, par exemple, et il est tout à fait excessif d’ouvrir à la société civile le droit de diligenter un contrôle qui appartient à la puissance publique – tel serait le cas en insérant cette disposition à cet endroit.

J’ajoute que nous aurons l’occasion de constater que l’articulation entre l’Agence française anticorruption et la société civile est tout à fait possible – mais, de mon point de vue, pas jusqu’à pouvoir diligenter un contrôle.

Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Exactement le même. Peut-être M. Giraud pourrait-il retirer son amendement ?

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Une telle disposition existe dans de nombreux pays d’Europe du nord, culturellement réformistes. Je maintiens donc l’amendement.

(L’amendement n747 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n461.

M. Olivier Marleix. Je m’inquiète pour la santé mentale du futur enfant dont nous sommes en train d’accoucher, monsieur le ministre, et je crains vraiment qu’il ne soit schizophrène.

Vous lui confiez en effet deux objectifs assez différents : d’une part, la lutte contre la corruption – c’est l’objet de l’ensemble du texte – d’autre part, une manière de pilotage de cette « loi de blocage » de 1968, dont l’esprit est tout à fait différent puisque sa finalité est de défendre la souveraineté nationale en interdisant à ce titre la transmission d’informations permettant de mettre à jour des faits de corruption à des autorités étrangères – eussent-elles pour objectif de lutter contre la corruption – dès lors que cela pourrait porter atteinte à des enjeux liés à la souveraineté nationale.

Je crains donc que vous rendiez l’Agence schizophrène en lui faisant assumer deux objectifs totalement contradictoires, dont les finalités diffèrent complètement.

Si tel n’est pas le cas, monsieur le ministre, j’ai besoin de nombreuses explications – si elles sont claires pour vous désormais – sur ce que signifie la phrase suivante : l’Agence « veille, à la demande du Premier ministre, au respect de la loi n68-678 du 26 juillet de 1968. »

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Le ministre, qui est sans doute plus compétent que moi sur ces sujets, vous répondra plus longuement. Depuis les réunions en commission, je me suis néanmoins un peu documenté sur la « loi de blocage », laquelle suscitait manifestement d’âpres débats la semaine dernière encore.

Il existe quelques confusions.

D’abord, sur le principe, cessons de dire que la dualité fonctionnelle d’une institution condamne à la schizophrénie, sinon, le Conseil d’État serait lui-même schizophrène depuis bientôt plus de deux siècles. Une institution peut avoir une double fonction sans que cela soulève des problèmes irrémédiables de conciliation.

Quelques précisions sur la « loi de blocage ». Nous l’avons dit en commission notamment : pour veiller à ce qu’elle soit respectée, le Premier ministre lui-même a dû désigner le SCPC en tant qu’institution habilitée à éclairer le Gouvernement sur ce sujet. En toute logique, finalement, nous reprenons cet exemple-là : le SCPC devenant l’AFAC, cette compétence lui sera dorénavant dévolue par la loi. Autrement, qui veillerait au respect de la « loi de blocage » ?

M. Olivier Marleix. Le ministre, l’exécutif. Cela relève de la souveraineté nationale, pas des magistrats.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. C’est pourquoi, monsieur Marleix, il s’agit d’un service national pour l’exercice de cette part-là de leur compétence.

Le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cet amendement. Nous voulons simplifier et faire en sorte que l’ensemble des actions dans ce domaine-là soit coordonné. Il est donc tout à fait logique que l’Agence soit aussi responsable de la mise en œuvre de ce que l’on appelle la « loi de blocage » pour connaître et comprendre un certain nombre de mécanismes afin, éventuellement, de discuter avec les organismes de pays étrangers qui, si je puis, dire, sont « sur le coup ». Cela l’aidera beaucoup.

Je n’entrerai pas dans les détails mais j’ai pris beaucoup de contacts, j’ai rencontré énormément de monde aux États-Unis, en Grande-Bretagne. Aux États-Unis, par exemple, le premier reproche qui nous a été fait est de ne rien demander, de ne pas échanger : si des échanges avaient lieu, c’est nous qui pourrions lancer des poursuites et, accessoirement, toucher les sommes liées aux condamnations !

M. Charles de Courson. En effet.

M. Michel Sapin, ministre. Pour être efficace, il est indispensable que l’Agence puisse bien comprendre tous les aspects du problème, y compris à travers des échanges internationaux.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je souhaite que le ministre précise qu’en aucun cas l’exécutif ne sera dessaisi de la mise en œuvre de la loi de 1968 : c’est bien le Gouvernement qui décide quand l’information peut ou ne peut pas être transmise à une autorité étrangère…

M. Michel Sapin, ministre. Nous sommes d’accord.

M. Olivier Marleix. …et évidemment pas cette Agence qui, si je comprends bien, assure une mission de coordination. Ce n’est pas le magistrat inamovible qui décide de ce qui relève de la souveraineté nationale.

M. Charles de Courson. C’est un conseil, un avis qui est émis.

(L’amendement n461 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n755.

M. Joël Giraud. A défaut d’avoir pu obtenir que la société civile puisse saisir l’Agence française anticorruption, il me semble utile que les associations agréées puissent être consultées quant à l’élaboration de la stratégie nationale anticorruption.

Je ferais volontiers le parallèle avec les associations de consommateurs : envisageriez-vous la définition d’une stratégie nationale dans ce domaine sans consulter préalablement les grandes associations agréées ?

Faute de pouvoir saisi l’AFAC, une participation consultative – il ne s’agit pas de lier qui que ce soit, notamment l’AFAC, à leur avis – me semble utile car cela permettrait de bénéficier des compétences d’associations agréées qui, me semble-t-il, ont déjà fait leur preuve dans la lutte contre la corruption.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Mon cher collègue, si je ne me contente pas de vous répondre en émettant un avis défavorable à l’adoption de votre amendement, c’est parce qu’il existe en effet des attentes en la matière et que je comprends tout à fait vos préoccupations.

S’agissant de la saisine, la loi n’a pas à préciser qu’une association – agréée ou pas, d’ailleurs – ou tout citoyen peuvent porter à la connaissance de l’Agence française anticorruption des faits susceptibles de l’intéresser et qu’elle devrait connaître. La loi n’a pas à le préciser car cela va de soi.

Ce à quoi nous nous sommes opposés, ce à quoi la commission était réticente, c’est à la reconnaissance d’un droit de saisine pour que l’Agence française anticorruption diligente ensuite un contrôle.

Nous procédons en l’occurrence un peu de la même manière : il serait un peu incongru que la société civile participe elle-même à la définition de la politique nationale en la matière.

Une fois définie, cette politique donnera lieu à des publications, à des expressions multiples de la part du Gouvernement et de l’Agence elle-même. C’est à ce moment-là que la société civile jouera sans doute tout son rôle, notamment critique, publiquement exprimé, sur des sujets qui intéressent l’ensemble de la communauté nationale.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. J’avoue ne pas comprendre l’avis défavorable du rapporteur et du ministre sur cet amendement. J’entends l’argument qui consiste à dire que ce n’est pas le rôle des associations de participer à la définition d’une politique – encore que… Mais vous faites comme s’il était proposé que l’avis des associations lie la compétence de l’agence. Or il n’est pas question ici d’imposer un avis conforme des associations. Il s’agit seulement de les consulter, et il paraît normal que, dans l’élaboration d’une stratégie nationale anticorruption, on recueille l’avis des associations agréées. C’est ce que l’on appelle la concertation !

On sait très bien que tout un pan de la lutte anticorruption dans ce pays – je ne parle pas des moyens juridiques, mais de l’alerte, de la connaissance des faits et des mécanismes de la corruption – n’aurait jamais pu émerger sans le travail des associations et de la presse. Cela ne me choque donc pas du tout, et je trouve même que c’est une bonne chose, que des associations agréées puissent être consultées. Il reviendra ensuite à l’agence de déterminer la politique qu’elle entendra mener, laquelle suscitera des critiques ou des marques d’approbation. Mais je pense qu’elle obtiendra d’autant plus facilement l’approbation de ces associations et de la société civile, qu’elles auront été consultées auparavant, et que certaines des idées qu’elles émettent auront été retenues dans la stratégie nationale anticorruption.

J’entends les préventions qui sont exprimées, mais je crains que le message que nous lancerions en rejetant cet amendement ne nous revienne comme un boomerang.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cher collègue, ce qui me gêne dans cet amendement, c’est d’abord sa rigidité. Imposer à l’agence la consultation systématique d’associations agréées pour élaborer une politique nationale, recueillir leur avis préalable : un tel dispositif serait pour ainsi dire inédit…

M. Michel Sapin, ministre. Ce serait étrange !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Mais il va de soi que cela n’empêchera en rien la future agence de procéder à une large concertation.

Du reste, votre amendement peut aussi sembler restrictif : pourquoi se limiter aux seules associations agréées ? L’Agence française anticorruption, pour définir sa stratégie, consultera des universitaires, des experts, des associations, agréées ou non…

Je comprends tout à fait votre démarche, mais nous débattons ici d’un amendement dont la rédaction pose des difficultés, et qui n’est pas inséré à la bonne place. Je peux néanmoins vous assurer que nous partageons votre volonté que l’Agence française anticorruption soit en prise avec les revendications de la société civile, et notamment avec les prises de position des associations agréées. Il n’y a pas d’exclusion, pas de mise à distance de notre part de la société civile, mais une inclusion plus souple que la procédure formalisée et rigide que vous proposez. Si la commission a repoussé cette proposition, ce n’est pas parce qu’elle y était hostile sur le fond, mais du fait de sa rigidité, qui risquait de nuire à la souplesse dont l’agence a besoin pour fonctionner.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’amendement de Joël Giraud soulève un vrai problème. L’alinéa 10 dispose que l’agence « participe à la coordination administrative et élabore la stratégie nationale ». Qu’est-ce que cela signifie ? Mes chers collègues, ce dispositif est-il cohérent avec celui qui a fait l’objet de nombreux débats, à savoir l’alinéa 2 de l’article 2, qui dispose quant à lui que « le magistrat qui dirige l’agence ne reçoit et ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice des missions mentionnées aux 1° et 3° de l’article 3. » ? Nous ne débattons pas ici des 1° et 3° de l’article 3, mais du 5° !

En d’autres termes, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment vont s’articuler le travail de l’agence, d’une part, et la politique des gouvernements successifs, d’autre part, en matière de stratégie nationale de lutte contre la corruption ? Si l’alinéa 10 de l’article 3 disposait que l’Agence « participe à l’élaboration » de la stratégie nationale, il serait cohérent avec l’alinéa 2 de l’article 2. Mais, tel qu’il est rédigé, il n’est plus cohérent. Je ne sais pas quel est votre sentiment là-dessus, monsieur le ministre, mais, en l’état actuel du texte, ce ne sont pas les ministres concernés qui vont élaborer la stratégie nationale. Pourriez-vous nous éclairer sur l’articulation entre l’action gouvernementale et le rôle de l’agence, avant que nous ne nous prononcions sur l’amendement de Joël Giraud ?

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je reconnais qu’il serait peut-être judicieux d’apporter une petite modification rédactionnelle au cours de la navette parlementaire, et la rédaction du texte va gagner en sophistication grâce à vous, monsieur de Courson. Je suggère donc, à l’intention de nos collègues sénateurs, la rédaction suivante pour l’alinéa 10 : « participe à la coordination administrative et à l’élaboration de la stratégie nationale anticorruption. » Nous vous remercions d’avoir suggéré l’introduction de cette nuance, que nos collègues sénateurs adopteront peut-être au cours de la navette parlementaire.

(L’amendement n755 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n1419.

M. Michel Sapin, ministre. La commission a procédé à nombre d’ajouts bienvenus, mais l’alinéa 13 risque d’introduire une confusion entre autorité judiciaire et autorité administrative. Afin de clarifier les compétences de l’agence, je préférerais donc que l’on supprimât cette disposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’avis de la commission n’est sans doute pas le même que celui des services de la Chancellerie…

D’abord, c’est l’article 1er de la loi du 29 janvier 1993 qui a ouvert au Service central de prévention de la corruption la possibilité de formuler des avis et expertises sur demande des magistrats. Nous avons seulement voulu ressusciter les dispositions initiales de la loi de 1993 : si celui qui les avait portées à l’époque les avait jugées utiles, j’imagine qu’il les trouve toujours utiles aujourd’hui. (Sourires.)

M. Olivier Marleix. On s’assagit en vieillissant ! (Mêmes mouvements.)

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ensuite, s’il est vrai que ses avis ont été très peu sollicités en pratique, cela s’explique d’abord par le fait que le SCPC était très peu connu, et qu’il avait été réduit par certains gouvernements, que je ne nommerai pas, comme une peau de chagrin – à titre d’exemple, il ne comptait que 4,75 équivalents temps plein en 2010. Cela ne facilitait pas la connaissance, dans le milieu judiciaire, de ce service pourtant fort utile.

Il me semble tout à fait opportun, au moment où l’on va donner une véritable ossature à l’Agence française anticorruption, que, fort d’une expertise nouvelle et de 70 agents ultra-compétents, elle puisse être utile aux magistrats – puisqu’elle donne un avis sur leur demande. Je pense qu’il n’y a pas de confusion possible entre l’autorité judiciaire et ce service.

Permettez-moi enfin de vous dire que j’ai posé la question aux magistrats que j’ai auditionnés – il y en avait un certain nombre parmi les 121 personnes que j’ai entendues ; à Mme le procureur national financier ; à des magistrats, dont certains ont été juges pendant vingt-cinq ou trente ans au Pôle financier. Ils m’ont dit que cela pouvait tout à fait être utile, même si, en pratique, on n’en est pas totalement sûr.

Mme la présidente. L’amendement est-il retiré, monsieur le ministre ?

M. Michel Sapin, ministre. Je suis convaincu et je retire cet amendement.

(L’amendement n1419 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n753 qui fait l’objet d’un sous-amendement n1491.

La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement.

M. Joël Giraud. Nous proposons, par cet amendement, que l’Agence française anticorruption assume, comme toutes les agences du même type existant dans d’autres pays d’Europe, des missions de formation et de sensibilisation, de façon à prévenir la corruption.

Il serait tout à fait utile que cette mission particulière lui soit assignée.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement et soutenir le sous-amendement n1491.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je suis favorable à l’amendement de Joël Giraud, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, qui est rédactionnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

(Le sous-amendement n1491 est adopté.)

(L’amendement n753, sous-amendé, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1225.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Par cet amendement, je vous propose de prévoir un dispositif complémentaire de signalement de l’Agence française anticorruption au parquet national financier.

Lorsque l’agence met au jour des faits susceptibles de constituer des atteintes à la probité, elle doit saisir le procureur de la République territorialement compétent. Cette procédure pourrait selon nous être complétée par un signalement au parquet national financier, lorsque les infractions relèvent des matières dans lesquelles celui-ci dispose de compétences concurrentes à celles des parquets locaux.

Cette modification ne préjugerait en rien de l’attribution finale du dossier – je sais que ce sujet suscite des réserves – mais elle contribuerait à une meilleure fluidité et à une plus grande efficacité des échanges entre ces deux nouvelles entités très spécialisées.

Il me semble que cela ne posera pas de difficulté majeure pour les autorités judiciaires concernées, dans la mesure où l’Agence française anticorruption va être dirigée par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire. Quant à la commission des sanctions, elle sera composée de six magistrats : deux conseillers d’État, deux conseillers à la Cour de cassation et deux conseillers de la Cour des comptes. Il me semble donc que l’agence, avec des magistrats de ce niveau-là, aura des compétences juridiques suffisantes pour apprécier s’il faut plutôt s’adresser au procureur de la République territorialement compétent ou, parce qu’un dossier présenterait une ampleur particulière, par sa dimension internationale ou sa complexité technologique, par exemple, au procureur national financier.

Cela étant, la commission est tout à fait prête à entendre des arguments contraires, susceptibles d’émaner des services de la Chancellerie.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Nous sommes face à un cas de figure – et il en existe beaucoup d’autres – où deux organismes ont une compétence concurrente. La bonne administration de la justice veut, me semble-t-il, que lorsqu’il existe une compétence concurrente, il revienne au garde des sceaux, qui a un pouvoir d’instruction dans le cadre de sa politique pénale, de bien déterminer comment sont réparties ces compétences. Cela peut tenir à l’importance de l’affaire, à sa complexité, ou à d’autres critères. Il me semble d’ailleurs que le garde des sceaux a déjà émis, sur des sujets connexes, une circulaire exposant la marche à suivre.

Si vous en êtes d’accord, monsieur le rapporteur, et compte tenu des arguments que je viens d’avancer, je vous invite donc à retirer cet amendement.

Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, l’amendement est-il maintenu ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Pour mettre fin à ce suspense absolument insoutenable, je me rangerai évidemment aux arguments de la Chancellerie, exprimés par la voix de M. le ministre, représentant de l’ensemble du Gouvernement sur ce banc.

Il me semble néanmoins que l’argumentation présente une toute petite faille : s’il est vrai que le garde des sceaux peut tout à fait élaborer une circulaire de politique pénale, en revanche, ce n’est pas à lui de décider si un dossier doit être orienté vers un procureur territorialement compétent ou le procureur national financier…

M. Michel Sapin, ministre. Il est évident qu’il n’oriente pas les dossiers !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …puisque nous avons nous-même voté, du moins de ce côté de l’hémicycle, une loi qui consacre l’indépendance du parquet. Je peux en témoigner, puisque j’étais le responsable du texte pour la majorité.

Je retire cet amendement, le débat est clos, mais vous pourrez dire, monsieur le ministre, aux services de la Chancellerie concernés, que nous doutons de la pertinence de leur argumentation.

M. Michel Sapin, ministre. Ils vous écoutent !

(L’amendement n1225 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n968.

M. Éric Alauzet. Cet amendement propose d’instituer, sous l’égide de la nouvelle Agence française anticorruption, la possibilité d’établir des partenariats avec des universités ou des centres de recherche en autorisant les chercheurs, contre engagement de confidentialité et soumission au secret professionnel, à accéder aux données fondamentales, notamment aux dossiers relatifs aux procédures en cours d’enquête ou d’instruction.

Ces partenariats auraient d’abord le mérite d’améliorer nos connaissances générales et académiques sur l’état, l’évolution, les manifestations et les conséquences économiques et sociales du phénomène de corruption. D’autre part, et surtout, cela permettrait à l’autorité judiciaire de disposer d’analyses de haut niveau sur des affaires particulièrement complexes, qui pourraient éventuellement être versées au dossier de procédure.

L’accès des chercheurs aux informations couvertes par le secret de l’enquête et de l’instruction est d’ores et déjà possible, avec l’accord des chefs de juridiction. Cependant, du fait de la sensibilité des affaires de corruption, il apparaît opportun d’apporter un cadre légal à cet accès aux informations et données de base.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Vous proposez que la nouvelle Agence française anticorruption noue des partenariats et soutienne la recherche académique, ce à quoi, en tant qu’universitaire, je souscris totalement, d’autant que l’on constate la faiblesse, non pas qualitative, mais quantitative, des travaux sur le sujet.

Faut-il pour autant que la loi prévoie une compétence expresse de l’Agence française anticorruption pour encourager cette recherche académique ? Je ne sais pas, mais je suggérerais plutôt le retrait de cet amendement, car je suis certain que le ministre nous éclairera utilement sur les partenariats qui pourraient être noués entre l’agence et le monde universitaire.

La commission, parce qu’elle n’est pas certaine qu’il faille inscrire cela expressément dans la loi, a préféré, à ce stade, émettre un avis défavorable sur l’ amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je partage l’avis du rapporteur. Je comprends tout à fait ce que peut apporter la recherche universitaire sur de tels sujets – des comparaisons internationales ou une approche historique, par exemple, qui peuvent être extrêmement utiles. Mais ce que vous proposez ici, c’est d’ouvrir un accès à des procédures en cours, qui sont elles-mêmes soumises à un certain nombre de protections. On ne peut pas y être favorable.

Je vous demande d’avoir la gentillesse de retirer votre amendement mais, rassurez-vous, j’inciterai cette agence à nouer des partenariats avec des chercheurs car cela peut être utile pour fixer des orientations, comprendre certaines situations, permettre à ceux-ci d’approfondir leurs travaux.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je retire l’amendement mais je précise qu’il existe déjà des partenariats dans le cadre de procédures en cours, avec l’accord des chefs de juridiction. Il s’agit simplement de les sécuriser juridiquement.

(L’amendement n968 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1169.

M. Joël Giraud. Les missions de l’Agence française anticorruption sont de nature tellement différentes qu’il semble utile de garantir le respect du principe de séparation fonctionnelle. À défaut, le cumul des fonctions de conseil, de sanction, de contrôle et de l’établissement de recommandations risque de conduire à une confusion des genres, voire à une confusion des sentiments ou à une schizophrénie administrative.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La précision ne me semble pas très utile. La séparation fonctionnelle va tellement de soi qu’on a même parlé de « schizophrénie », de « dualité » ou de « double visage ». Le texte garantit clairement la séparation fonctionnelle, dont les modalités concrètes seront précisées par des mesures réglementaires. C’est la raison pour laquelle je vous demande de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

M. Joël Giraud. Je le retire.

(L’amendement n1169 est retiré.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements, nos 1391 rectifié, 1147 rectifié, 1300 rectifié et 773, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1391 rectifié.

Mme Sandrine Mazetier. L’article 4 porte sur les compétences des agents de l’Agence française anticorruption, qui sont très étendues puisqu’ils peuvent effectuer des missions de prévention au sein des entreprises ou même y corriger les dispositifs de lutte contre la corruption. D’une certaine manière, nous ouvrons, au sein des entreprises et des institutions, un grand marché de l’expertise en matière de dispositifs anticorruption. Il est d’ailleurs souhaitable de diffuser au sein de nos entreprises, en France comme à l’étranger, une véritable culture de la prévention contre la corruption.

Néanmoins, les experts doivent eux-mêmes être au-dessus de tout soupçon et ne pas être en situation de conflits d’intérêts, car ils auront à connaître de l’organisation de l’entreprise et, par exemple, de ses modalités de déploiement à l’international. L’objet de cet amendement est de garantir que les experts et leur conjoint n’ont détenu, au cours des années précédentes, aucun intérêt dans les entreprises au sein desquelles ils interviennent. À défaut, il y aurait confusion des genres, voire conflits d’intérêts.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1147 rectifié.

M. Joël Giraud. Il est quasiment identique au précédent, à quelques nuances près. Il est utile, dans un texte de loi comme celui-là, d’énoncer les principes déontologiques destinés à éviter les conflits d’intérêts. C’est d’ailleurs ce que la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – recommande sans détour dans un avis rendu le 16 mai 2016. De telles règles figurent déjà dans le code monétaire et financier s’agissant de l’Autorité des marchés financiers ou la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ; il conviendrait de s’en inspirer. A minima, pour plus de transparence, le nom des experts recrutés devra être rendu public.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n1300 rectifié.

M. Patrice Carvalho. Nous sommes nombreux à avoir déposé des amendements similaires, preuve qu’il existe une lacune importante dans la rédaction actuelle du projet de loi. Il convient en effet d’encadrer de façon stricte les conditions dans lesquelles les experts pourront intervenir pour le compte de l’AFA en vue de prévenir tout conflit d’intérêts potentiel. De même, doit être rendu public le nom des experts recrutés, mais aussi d’autres informations telles que les intérêts ou mandat qu’ils détiennent ou ont détenus, et les fonctions qu’ils exercent ou ont exercées. La communication de ces informations est une exigence essentielle si nous voulons garantir l’exemplarité et la crédibilité de la nouvelle agence. Notons que les dispositions proposées s’inspirent de règles existantes, comme les bonnes pratiques de l’AMF ou de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n773.

Mme Eva Sas. Comme les amendements précédents, celui-ci vise à prévenir les conflits d’intérêts en créant, pour les experts, personnes ou autorités qualifiées recrutés par l’agence, un régime de déclaration des intérêts, mandats et fonctions. Ces dispositions sont calquées sur les règles en vigueur pour le recrutement des agents de l’AMF, qui ont démontré leur efficacité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements en discussion commune ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je partage entièrement ces préoccupations, qui sont d’ailleurs très vite apparues au cours des auditions. Mme Mazetier le sait, elle qui a assisté à l’intégralité de ces réunions, qui ont duré plus de cinquante heures et au cours desquelles 121 personnes – dont la liste occupe huit pages du rapport – ont été entendues.

Il est vrai que s’ouvre ici une sorte de marché du monitoring, dont les experts devront se soumettre à un certain nombre d’exigences déontologiques. Dans cette optique, la commission a adopté un amendement prévoyant qu’un décret en Conseil d’État fixe les conditions dans lesquelles ces agents seront habilités. Pourquoi un tel laconisme ? Parce que ces dispositions ne nous semblent pas relever du domaine de la loi. Je vous suggère donc de retirer ces amendements, puisque le simple fait d’en avoir débattu permet au Gouvernement de connaître l’intention du législateur.

On parle souvent de « loi bavarde ». Même si je ne qualifierai pas ainsi les amendements dont nous discutons, dans la mesure où ils ont utilement soulevé un certain nombre de problèmes, il convient de respecter le partage entre la loi, qui pose les principes – ici, la soumission des experts à certaines exigences déontologiques –, et le décret, destiné à en préciser les modalités, et pour la rédaction duquel nous nous en remettons en toute confiance au ministre.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je soutiens le rapporteur, avec l’autorité de celui auquel reviendra le soin de rédiger ces décrets. En effet, ces dispositions relèvent du domaine réglementaire, non du domaine législatif. Certes, on peut citer, en la matière, des lois plus précises que le présent projet mais ce ne sont que des exemples, parmi de nombreux autres – malheureusement – de dispositions à caractère réglementaire introduites dans la loi. En l’espèce, tâchons de respecter la répartition des compétences entre le pouvoir réglementaire et le pouvoir législatif.

Il reste que vous avez parfaitement le droit d’être éclairés sur le contenu des futures dispositions réglementaires. Le décret que nous prendrons – très rapidement, car il est indispensable – sera en tout point conforme à vos exigences, qui sont légitimes, et même incontournables si nous voulons garantir l’indépendance des experts en question. Elles prendront également en compte, outre vos remarques, les questions techniques susceptibles d’être soulevées par le ministère de la justice ou celui des finances. Aussi, je vous invite à retirer vos amendements.

Mme la présidente. Monsieur Giraud, retirez-vous votre amendement ?

M. Joël Giraud. Si nous avons l’assurance que les auteurs de ces quatre amendements seront associés à la rédaction de ce décret,…

M. Michel Sapin, ministre. Certainement.

M. Joël Giraud. …je le retire, bien évidemment.

(L’amendement n1147 rectifié est retiré.)

Mme la présidente. Madame Mazetier, retirez-vous également votre amendement ?

Mme Sandrine Mazetier. Je tiens à souligner que mon amendement, s’il s’inspire, comme les autres, de la proposition d’une association – Anticor, si ma mémoire est bonne –, présente également certaines différences. J’ai ainsi souhaité allonger à cinq ans la période prise en compte pour la déclaration des intérêts, mandats et fonction, sur le modèle de ce qui nous est imposé en tant qu’élus. De même, j’ai voulu porter une attention particulière aux mandats et aux intérêts non seulement de la personne en question, mais également de ceux de son conjoint et de ses descendants.

En tant que députée, je trouve normal que, dans nos déclarations d’intérêts et d’activités, les fonctions occupées par nos conjoints soient mentionnées, même quand les liens qui nous lient, en l’absence de mariage ou de PACS, n’ont aucune existence au regard de la société. C’est l’un des acquis des lois de 2013 et c’est une règle qu’il convient de généraliser.

Cela étant, je retire mon amendement, tout en appelant l’exécutif à se montrer très attentif aux préoccupations que nous avons exprimées.

(L’amendement n1391 rectifié est retiré.)

Mme la présidente. M. Carvalho, retirez-vous votre amendement ?

M. Patrice Carvalho. Non, je le maintiens.

Mme la présidente. Et vous, madame Sas ?

Mme Eva Sas. Je le retire au profit de celui de M. Carvalho.

(L’amendement n773 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Nous partageons tous les préoccupations exprimées, qui sont également celles d’Anticor et de nombreuses autres ONG. Je suggère donc au Gouvernement de nous communiquer le texte du futur décret au cours de la navette parlementaire.

M. Michel Sapin, ministre. Très bien !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Si nécessaire, le Parlement reviendra sur le sujet, quitte à exercer des compétences plus étendues que celles prévues par la Constitution...

M. Michel Sapin, ministre. Quelle pression !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je regrette la position du Gouvernement sur ce sujet important. Il n’a pourtant pas hésité à insérer, à l’article 13, un véritable code de déontologie, comprenant une liste très précise des obligations auxquelles les représentants d’intérêts devront se soumettre. De la même façon, la moindre des choses serait que les règles s’appliquant aux experts auxquels aura recours l’AFAC trouvent leur place dans la loi. Il s’agit de sujets très graves. Le recours aux experts par la justice est souvent mis en débat, parce que le code des marchés publics n’est pas appliqué ou qu’ils sont choisis de manière aléatoire et peu transparente par les magistrats. C’est pourquoi il me paraît essentiel, dans des affaires pouvant donner lieu à des amendes très importantes et mettant en jeu des sujets aussi graves que le secret des affaires, de s’assurer que la déontologie sera respectée et la transparence garantie. Or un tel dispositif me semble avoir sa place dans la loi.

(L’amendement n1300 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas, pour soutenir l’amendement n772.

Mme Eva Sas. Cet amendement vise à garantir l’efficacité et la probité des agents de l’Agence française anticorruption en matière de conflits d’intérêt : c’est pourquoi il propose d’aligner ce service sur les règles régissant le recrutement des agents de l’AMF.

Tout membre devra déclarer les intérêts détenus, les fonctions exercées dans une activité économique ou financière et le mandat détenu au sein d’une personne morale, au cours des deux années précédant l’entrée en fonction.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Si je comprends l’intention de l’amendement, toutefois sa rédaction va trop loin. S’il était adopté, même un agent de l’AFAC chargé de simples tâches de secrétariat devrait déclarer son patrimoine et ses intérêts. Les mailles du filet sont trop serrées. Convient-il d’aller aussi loin pour les personnels de l’agence ? Je laisse au ministre le soin de donner sa réponse. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Je ne comprends pas pourquoi la loi n’aurait pas les mêmes exigences déontologiques vis-à-vis des agents que des experts. Certes, la mesure ne devrait pas concerner tout le personnel mais au moins une partie de celui-ci devrait être soumise à des obligations déontologiques.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il me semble possible de dissocier l’expert, qui diligentera les opérations de mise en conformité, d’un agent chargé de fonctions d’exécution, comme la saisie de données. De plus, ces agents seront pour l’essentiel des fonctionnaires en position de détachement : ils sont donc déjà soumis, en tant que tels, au statut de la fonction publique, dont les règles déontologiques relèvent de la loi. Ces règles s’appliquent également par extension aux agents contractuels, qui sont soumis aux mêmes obligations que les agents titulaires.

En pratique, votre souhait sera satisfait.

(L’amendement n772 n’est pas adopté.)

(L’article 4 est adopté.)

Article 5

(L’article 5 est adopté.)

Article 5 bis

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n1423, qui vise à supprimer l’article.

M. Michel Sapin, ministre. En premier lieu, cet article additionnel dépasse largement le cadre de ce projet de loi relatif à la lutte contre la corruption, puisque l’obligation de signalement prévue à l’article 40 du code de procédure pénale concerne l’ensemble des crimes et délits, comme, par exemple, les signalements de l’éducation nationale concernant des cas de maltraitance.

En second lieu, l’article 30 du même code prévoit déjà, depuis la loi du 25 juillet 2013, la publication annuelle par le garde des sceaux d’un rapport global sur l’application de la politique pénale. Des dispositions plus larges existant déjà, cet article paraît superfétatoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. À titre personnel, je suis favorable à la démarche de Mme Mazetier. C’est la raison pour laquelle j’ai moi-même voté en commission son amendement portant article additionnel. Je ne me déjugerai donc pas une semaine plus tard.

En revanche, comme, au titre de l’article 88, les avis doivent être favorables ou défavorables, je n’ai pas pu émettre un avis de sagesse sur l’amendement du Gouvernement. C’est pourquoi, tout en demeurant favorable à titre personnel à la démarche de Mme Mazetier, et dans l’impossibilité où j’ai été, je le répète, d’échapper à cette contrainte binaire, j’émets, au nom de la commission, un avis favorable à l’amendement de suppression du Gouvernement.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous avez une capacité à jongler extraordinaire.

M. Charles de Courson. C’est une vraie brasse coulée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement du Gouvernement vise à supprimer un article additionnel adopté en commission, dont le rapport avec le projet de loi est évident puisqu’il vise l’article 40 du code de procédure pénale, qui fait obligation à tout fonctionnaire ou tout officier public, témoin, dans l’exercice de ses fonctions, d’un crime ou d’un délit, de le signaler « sans délai » au procureur de la République. Dans le cadre de la préparation de ce texte, nous avons eu connaissance d’une étude très intéressante et très claire du Conseil d’État sur l’alerte éthique, dont je conseille la lecture à tous mes collègues. Nous avons du reste eu un échange très intéressant avec Mme Maryvonne de Saint-Pulgent sur l’article 40.

Il faut savoir que si cet article était appliqué par tous les agents et sans délai, il y aurait certainement moins besoin de lanceurs d’alerte. Dans son étude, le Conseil d’État prend clairement position sur le caractère non obligatoire de l’article 40 et sur le fait qu’on ne peut pas sanctionner un fonctionnaire qui n’aurait pas fait de signalement : je pense qu’il convient de continuer à ne pas sanctionner les fonctionnaires qui n’ont pas fait de signalement au procureur de la République. L’article additionnel a donc bien rapport avec l’objet du texte.

D’autant que le rapport annuel que l’exposé sommaire de votre amendement de suppression évoque, monsieur le ministre, est si vaste qu’il ne donne aucune indication sur les domaines dans lesquels les fonctionnaires, témoins de crimes ou de délits, saisissent le procureur de la République, ou ne le saisissent pas. Connaître ces domaines permettrait peut-être de diffuser les bonnes pratiques. Je suis très surprise de cet amendement de suppression : il est en effet étrange que le Gouvernement considère comme hors sujet une disposition qui, au contraire, vise le cœur du texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je ne présidais pas la commission au moment où cet article additionnel a été adopté, mais j’ai signalé au rapporteur mon étonnement. C’est pourquoi je partage la position du Gouvernement.

L’article 40 ne prévoit que le signalement d’un crime ou d’un délit par une personne dépositaire de l’autorité publique au procureur de la République. C’est tout. Le reste, c’est l’action publique, qui ne relève que de la compétence du procureur de la République, selon les articles 30 et suivants du code de procédure pénale. C’est pourquoi une disposition visant à demander au garde des sceaux, qui n’en peut mais sur les décisions du procureur, de dresser un état des signalements reçus au titre de l’article 40, ne pourrait en aucun cas être appliquée.

Certes, la loi de 2013, relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, texte dont j’ai été le rapporteur, dispose que la politique pénale est déterminée par le Gouvernement au titre de l’article 20 de la Constitution et que le garde des sceaux publie, chaque année, une circulaire de politique pénale – M. Urvoas a publié la sienne il y a quelques jours. Celle-ci est mise en œuvre par les procureurs généraux, qui ont la capacité de donner des instructions à leurs procureurs, lesquels doivent, à la fin de l’année, leur transmettre le compte rendu de leur application de la politique pénale. Les procureurs généraux doivent à leur tour, avec les compétences d’adaptation qui leur sont attachées, adresser au garde des sceaux un rapport annuel de politique pénale sur l’application des instructions générales. Le garde des sceaux présente enfin un rapport annuel sur l’application de la politique pénale. Il est toutefois impossible de faire un rapport dressant l’état de tous les signalements : l’acte judiciaire, en effet, ce n’est pas le signalement, c’est la mise en œuvre de l’action publique qui, elle, est quantifiable.

Je regrette de n’avoir pas été présent pour aborder ce sujet au sein de la commission – je ne présidais plus la séance à ce moment-là. Il est, me semble-t-il, incongru de demander au garde des sceaux de présenter un rapport de ce qui relève exclusivement de la compétence des procureurs et du parquet. Il est, de plus, impossible de dresser un état de tous les signalements faits par toutes les autorités au procureur. Je le répète : cet article additionnel est impossible à appliquer, d’autant qu’il n’est pas suffisamment affiné en termes de compétences. C’est pourquoi il doit être supprimé.

(L’amendement n1423 est adopté et l’article 5 bis est supprimé.)

Après l’article 5 bis

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 474 et 473, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Olivier Marleix, pour les soutenir.

M. Olivier Marleix. L’objet de ces deux amendements est de mieux protéger le secret professionnel au sein de l’Agence française anticorruption. La confidentialité des informations est primordiale pour mener à bien les procédures et protéger les lanceurs d’alerte qui auront transmis les informations à l’agence.

Le secret professionnel n’est pas une mince affaire. Or, pour le droit commun, le code pénal ne prévoit, à l’article 226-13, qu’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende en cas de révélation d’une information à caractère secret. C’est pourquoi ces deux amendements proposent de créer une peine spécifique pour la violation du secret professionnel par les membres et agents de l’Agence française anticorruption, compte tenu de la gravité des faits en cause, en vue de garantir la protection des lanceurs d’alerte. L’amendement n474 prévoit trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, et l’amendement de repli n473 deux ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende, peine du reste prévue au III de l’article 4 pour quiconque refuse de déférer aux demandes d’information de l’agence.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’article 226-13 du code pénal dispose déjà : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Il n’y a pas lieu, selon moi, de prévoir une infraction spécifique. Vos arguments ne m’ont pas convaincu. Pourquoi en effet faudrait-il créer une infraction spécifique avec un quantum de peine dérogatoire au droit commun pour le secret dont sont effectivement dépositaires les agents de l’Agence française anticorruption ? Le droit commun s’appliquera tout naturellement. Il n’y a pas lieu de s’en écarter.

Avis défavorable aux deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. En prévoyant une peine de deux ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende, nous mettions en évidence, de manière symbolique, le fait que le secret professionnel, quand il s’agit de la protection d’un lanceur d’alerte, est un sujet sérieux. Il faut être cohérent. Cette agence sera nourrie dans son travail par des lanceurs d’alerte sur des questions très graves. Nous avons tous encore à l’esprit les témoignages des lanceurs d’alerte que nous avons entendus – je pense notamment à Mme Sophie Gibaud, qui s’est exprimée à plusieurs reprises devant des membres de notre assemblée. Le lanceur d’alerte s’expose parfois à des situations très graves et c’est le premier devoir de l’agence que d’assurer la protection de son secret.

Regardez ce que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a fait du secret, auquel elle est astreinte. Elle ne lui a pas accordé un crédit très important. Quand c’est la protection des lanceurs d’alerte qui est en jeu, nous devons envoyer le message que le secret est une chose sérieuse qui doit être mieux protégée.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. S’agissant du lanceur d’alerte, la punition de la divulgation vient plus tard dans l’examen du texte. Des dispositions spécifiques sont prévues à l’article 6 D. Ici, le secret n’étant pas d’une nature très différente des autres secrets visés par l’article 226-13 du code pénal, il n’y a pas lieu de déroger au droit commun.

En vous écoutant, monsieur Marleix, je me demande même si l’adoption de vos amendements ne viendrait pas fragiliser le texte sur le plan constitutionnel. Ne pouvant justifier objectivement la différence de nature du secret, il y aurait sans doute quelque difficulté à justifier la différence de sanction réprimant sa violation !

(Les amendements nos 474 et 473, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Avant l’article 6 A

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n394.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je reprends à mon compte cet amendement de notre collègue Delphine Batho, qui est absente ce soir, peut-être parce que nos débats avancent plus rapidement qu’on ne pouvait l’imaginer. Très intéressée par la question des lanceurs d’alerte, Mme Batho propose de modifier l’intitulé du chapitre II du titre Ier, en remplaçant les mots « Mesures relatives aux lanceurs d’alerte » par des mots plus seyants et plus harmonieux avec les autres intitulés du projet de loi : « De la protection des lanceurs d’alerte ».

(L’amendement n394, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Article 6 A

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut, inscrit sur l’article 6 A.

M. Yann Galut. Même si l’heure commence à être tardive, nous allons aborder la question essentielle des lanceurs d’alerte. Ayant travaillé depuis plus d’un an et demi sur ce sujet, je sais que vous vous y intéressez, monsieur le ministre, et que vous avez été un fervent défenseur de la protection des lanceurs d’alerte. D’ailleurs, vous avez insisté à plusieurs reprises, avant l’affaire des Panama Papers, pour que cette question soit intégrée à votre projet de loi.

Aujourd’hui, grâce au travail du rapporteur Sébastien Denaja, que je veux saluer, mais aussi de Sandrine Mazetier et d’autres collègues, la commission des lois a pu fixer un cadre général. Je l’ai dit à plusieurs reprises, notamment en commission : notre objectif est d’adopter une loi globale, qui permet une protection efficace des lanceurs d’alerte. Cette protection doit être confiée à une institution. Nous avions pensé à une agence nationale, mais le choix s’est finalement porté sur le Défenseur des droits – peu importe le véhicule, l’essentiel est que cette institution soit indépendante de tout pouvoir, ce qui est bien le cas du Défenseur des droits. Nous avons avancé, et nous allons continuer de le faire.

Nous allons donc maintenant débattre des lanceurs d’alerte. Je souhaite appeler votre attention sur un point : il est très important de définir le lanceur d’alerte. J’y reviendrai au cours de notre débat. Même si je salue le travail de Sébastien Denaja, je tiens d’ores et déjà à signaler que la définition proposée à l’article 6 A me paraît trop restrictive. Si nous voulons protéger les lanceurs d’alerte, nous devons introduire la notion d’intérêt général dans leur définition.

M. Pascal Cherki. Très juste !

M. Yann Galut. Nous le devons à ces femmes et ces hommes qui, depuis de nombreuses années, au péril de leur vie professionnelle, ont pris des risques quant à leur propre existence. Je ne pourrai terminer mon intervention qu’en saluant ces femmes et ces hommes qui, à un moment donné, se sont levés, dans leur entreprise ou ailleurs, pour dénoncer des agissements qu’ils ne pouvaient pas couvrir. Permettez-moi donc de rendre hommage ici à Nicole Marie Meyer, Antoine Deltour, Irène Frachon, Stéphanie Gibaud, Nicolas Forissier, Hervé Falciani, et d’autres, qui ont eu le courage de se lever.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est grâce à la volonté du Gouvernement, grâce aux parlementaires ici présents, quelle que soit leur sensibilité politique, mais aussi grâce à de nombreuses ONG qui mènent ce combat depuis de nombreuses années – je pense à Transparency International, à Sherpa, à Anticor et à d’autres encore. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Sergio Coronado et Mme Eva Sas. Bravo !

Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements, nos 1018 rectifié, 1019 rectifié, 1324, 528 et 1424, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 1018 rectifié et 1019 rectifié sont identiques.

L’amendement n1018 rectifié fait l’objet de plusieurs sous-amendements.

La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir cet amendement.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Qu’il me soit permis à mon tour de vous féliciter et de vous remercier, monsieur Galut. Vous avez fait œuvre utile en défrichant ce sujet depuis de longs mois, en effectuant un travail approfondi, notamment avec les organisations non gouvernementales. Nous vous devons beaucoup : c’est grâce à vous que nous avons pu, dans des délais assez contraints, essayer d’avancer sur ce sujet que vous avez porté, comme vous venez de le faire à l’instant en rendant hommage aux lanceurs d’alerte eux-mêmes. Cet hommage a été mérité : il a d’ailleurs été salué par des applaudissements sur l’ensemble des bancs de la gauche. Permettez-moi donc de vous remercier à nouveau pour votre travail, pour votre collaboration, et pour les réflexions dont vous allez continuer à nous faire profiter, encore ce soir, au cours de nos débats.

À ma décharge, l’exercice de définition auquel je me suis livré à l’article 6 A est un exercice de synthèse assez difficile. Peut-être aurais-je dû prendre quelques renseignements supplémentaires sur l’autre rive de la Seine… En tout cas, je me suis efforcé de faire la synthèse entre la proposition décrite par le Conseil d’État dans son étude, celle formulée par M. Galut dans sa proposition de loi, et les définitions existantes, notamment au niveau européen. J’ai nourri ces éléments des échanges que nous avons pu avoir. Même si nous adoptons cette définition ce soir, elle n’est, de toute façon, pas totalement figée : le jeu de la navette permettra de la préciser et de l’enrichir.

Sur cette question, je souhaite tenir quelques propos liminaires : aussi, madame la présidente, j’aimerais que vous me permettiez d’excéder les deux minutes qui me sont accordées, afin que je puisse faire le point sur ce qui est proposé à ce stade.

Comme je l’ai indiqué avant la discussion générale, la commission des lois a adopté sept nouveaux articles. Ainsi, elle est allée au-delà du projet de loi initial. Je rends hommage au ministre, qui avait souhaité lui-même que les parlementaires puissent enrichir le dispositif imaginé à l’origine, qui créait le statut de lanceur d’alerte pour le secteur financier – c’était déjà une avancée tout à fait notable et utile, mais le Gouvernement était prêt à créer un socle général de droits et de protections pour les lanceurs d’alerte. Les articles insérés par la commission, numérotés de 6 A à 6 G, forment ce socle commun de droits des lanceurs d’alerte, destiné à se substituer aux textes épars adoptés ces dernières années.

La commission a également adopté, après l’avoir modifiée, une proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte, dont nous examinerons les articles lorsque nous aurons achevé la discussion du projet de loi ordinaire.

L’article 6 A donne une définition des lanceurs d’alerte. Comme je l’ai dit, il réalise une synthèse délicate, forcément jamais parfaite, entre les préconisations du Conseil d’État, la définition du Conseil de l’Europe et un certain nombre de suggestions émises, notamment, par la Commission nationale consultative des droits de l’homme ou par des ONG. Il met l’accent sur le critère de bonne foi – sur ce point, monsieur Galut, je crois que nous nous rejoignons –, condition sine qua non pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte.

Cet article prévoit néanmoins deux limites. Premièrement, le lanceur d’alerte ne peut être rémunéré. Là encore, je crois que tout le monde est d’accord sur ces bancs : en France, nous ne voulons pas du système américain de rémunération des lanceurs d’alerte, qui ne sont pas des chasseurs de primes, mais des hommes et des femmes qui agissent dans l’intérêt général, librement et en conscience.

M. Dominique Lefebvre. Très bien !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Deuxièmement, il ne doit pas chercher à nuire ou à diffamer autrui. Je sais que nous avons une divergence sur ce sujet, monsieur Galut.

Quelle est l’utilité de ces précisions ? Elles sont un peu différentes de la notion de bonne foi, malgré la connexité des termes. Il faut bien dissocier, d’une part, le lanceur d’alerte qui agirait de bonne foi mais pourrait se tromper, et d’autre part, celui qui aurait la volonté de nuire ou qui serait instrumentalisé pour porter atteinte à une entreprise, par exemple – nous rejoignons évidemment ici la notion de diffamation ou de dénonciation calomnieuse.

Par rapport à la version de l’article 6 A adoptée par la commission des lois, je propose, dans mon amendement n1018 rectifié, deux modifications. Je le dis en toute transparence : cette proposition est le fruit de discussions avec le Gouvernement. En effet, un certain nombre de services gouvernementaux ont fait remonter des difficultés portant sur l’imprécision ou le flou de la définition adoptée par la commission.

La première modification est motivée par un souci de clarification. Il s’agit de bien dissocier le premier alinéa de l’article 6 A, qui définit le lanceur d’alerte, et le second, qui affirme le caractère facultatif de l’alerte. L’alerte n’est pas une obligation, mais une liberté, un droit qui peut être exercé ou non par la personne ayant connaissance de manquements graves à la loi ou de risques graves pour l’intérêt général.

La deuxième modification a également été préparée en lien avec le Gouvernement : nous avons souhaité que les motifs de signalement soient explicités, en précisant que les faits dénoncés devaient relever « d’un crime ou d’un délit, de manquements graves à la loi ou au règlement », ou de certains risques.

Je veux encore insister sur un point. Avec cette définition volontairement large, notre ambition est que le statut du lanceur d’alerte ne soit pas limité à une relation de travail. C’est très important ! C’est justement l’écueil de votre définition, monsieur Galut : vous reprochez à la nôtre d’être trop restrictive, mais la vôtre, que je comprends néanmoins, se limite à la relation de travail. La définition que nous proposons, pour notre part, ne se borne pas au cadre professionnel et à la relation stricte de travail, puisque le lanceur d’alerte peut éventuellement être dans une position d’extériorité. Je le répète : la définition que je propose est plus large que la vôtre, telle qu’elle est rédigée dans votre amendement n1424. Je n’y vois pas une contradiction majeure, mais j’essaie de voir comment toutes ces définitions peuvent se compléter et s’enrichir pour aboutir à la synthèse qui satisfera l’ensemble des députés présents ce soir et leur donnera envie de voter ce texte la semaine prochaine.

Mme la présidente. Je suis saisie de six sous-amendements, nos 1488, 1485, 1486, 1487, 1489 et 1490, à l’amendement n1018 rectifié. Voulez-vous en faire une présentation groupée, monsieur Coronado ?

M. Sergio Coronado. Si vous me le demandez aussi gentiment, madame la présidente, je le ferai volontiers, à condition que vous m’accordiez un peu plus de temps que les deux minutes octroyées pour la défense d’un seul sous-amendement.

Nous partageons pleinement les propos de notre collègue Galut, que ce soit dans l’hommage rendu aux lanceurs d’alerte ou dans l’importance qu’il accorde à la notion d’intérêt général, qui ne nous paraît pas figurer tout à fait dans la proposition de définition de notre rapporteur.

Je rappelle que la rédaction de la commission ne précise pas la nature du risque que peut révéler un lanceur d’alerte. Celles proposées par les amendements du rapporteur et du groupe majoritaire ne me paraissent pas plus ambitieuses, contrairement à ce que je viens d’entendre : je les trouve même assez restrictives, puisqu’elles limitent l’alerte aux risques sur la santé, l’environnement et la sécurité publique. L’actualité et l’expérience doivent nous permettre d’affiner la définition du lanceur d’alerte.

En commission, nous nous sommes demandé si ce texte permettait de protéger les lanceurs d’alerte qui ont été fortement médiatisés et dont les noms sont aujourd’hui bien connus de l’opinion publique. Je pense à Irène Frachon, à Edward Snowden et à Antoine Deltour. Seule la première serait protégée aujourd’hui si votre texte était adopté dans son état actuel, monsieur le rapporteur.

Le sous-amendement n1485 vise à compléter la notion de « risque grave » par celle de « préjudice grave ». En effet, la notion de risque ne recouvre qu’une action préventive : elle ne permet pas de protéger des lanceurs d’alerte qui dénonceraient une infraction passée. Ainsi, Antoine Deltour a alerté sur un préjudice, et non sur un risque.

Au-delà des infractions et des faits présentant des risques graves pour l’environnement, la santé ou la sécurité publique, il nous semble également nécessaire de protéger les alertes sur les risques portant sur les finances publiques et les libertés publiques. Les sous-amendements nos 1487 et 1486 permettraient d’inclure directement les situations d’Antoine Deltour et d’Edward Snowden dans la définition.

La rédaction du rapporteur ne prend pas non plus en compte la question des conflits d’intérêts. Nous avons déjà eu ce débat en commission. Deux articles de loi protègent actuellement ceux qui révéleraient de tels conflits, dont on sait à quel point ils peuvent être dangereux ; or ces articles sont supprimés par l’article 6 G, sans qu’aucune protection équivalente ne soit prévue à l’article 6 A.

Je pense également qu’il faudrait protéger les alertes sur des risques graves pour « l’ordre public », comme le propose le sous-amendement n1489, plutôt que pour « la sécurité publique ». Comme vous le savez, le maintien de l’ordre public est un objectif de valeur constitutionnelle, plus large que la sauvegarde de la sécurité publique puisqu’il concerne aussi la salubrité et la tranquillité publiques.

Enfin, le sous-amendement n1490 supprime la précision selon laquelle le lanceur d’alerte doit agir « sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui ». Ces notions me paraissent effectivement trop larges et trop floues, d’autant que les motivations des lanceurs d’alerte ne sont jamais uniques. Un lanceur d’alerte en conflit avec sa direction mais porteur d’informations précieuses doit être protégé.

M. Pascal Cherki. Tout à fait !

M. Sergio Coronado. C’est pourquoi il est proposé de se limiter à la notion de bonne foi, suffisante pour distinguer les lanceurs d’alerte crédibles de ceux qui utiliseraient ce statut comme un moyen de diffamation ou de chantage.

M. Pascal Cherki et Mme Eva Sas. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir le sous-amendement n1492.

M. Michel Sapin, ministre. Au moment où nous abordons l’examen des dispositions concernant les lanceurs d’alerte et leur protection, le Gouvernement veut dire par ma voix combien il apprécie le travail effectué par le Parlement. Vous avez tous – certains depuis longtemps comme M. Galut – réalisé un travail considérable, extrêmement précis et efficace, même si je serai peut-être conduit à en préciser le résultat par souci de conformité avec la Constitution et pour protéger des secrets qui doivent l’être. En tout état de cause, je tiens à vous en remercier.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le Gouvernement souhaitait laisser au Parlement la possibilité de jouer ce rôle, non pas pour se défausser de sa propre responsabilité, mais parce qu’au moment de l’élaboration du projet de loi, nous n’avions pas connaissance d’un rapport du Conseil d’État qui était alors en cours d’élaboration.

Nous avions souhaité créer le statut de lanceur d’alerte et prévoir sa protection dans le cas où des faits de corruption seraient révélés. Mais aujourd’hui, vous voulez couvrir un champ plus large et élargir la protection à d’autres types d’alerte. Je vous remercie à nouveau pour ce travail. Beaucoup d’entre vous ont rendu hommage à ces personnes qui ont pris des risques au nom de l’intérêt général et en paient parfois le prix dans leur vie quotidienne. Ils nous ont permis d’avancer dans la mise en œuvre de procédures permettant d’éviter l’utilisation soit délictueuse, soit abusive de certaines dispositions.

Le sous-amendement du Gouvernement vise à préciser que l’alerte ne saurait révéler quelque élément que ce soit relevant du secret de la défense nationale, du secret médical ou du secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1019 rectifié, identique à celui du rapporteur.

Mme Sandrine Mazetier. Pour ce qui nous concerne, nous ne souhaitions pas trop restreindre le champ de la protection des lanceurs d’alerte. C’est cette intention qui a guidé notre plume, ainsi que le souci de rester fidèle au rapport du Conseil d’État, d’autant que ce dernier a associé la société civile à son travail. Mais je veux indiquer que certains sous-amendements présentés par M. Coronado auraient légitimement leur place dans la définition que nous tentons d’élaborer. En revanche, nous ne saurions être d’accord avec sa proposition de rendre possible une rémunération, sous une forme ou sous une autre, car cela n’entre pas dans la définition du lanceur d’alerte telle que nous la concevons.

Par ailleurs, je suis quelque peu troublée par le sous-amendement du Gouvernement qui vise à introduire des restrictions très importantes en matière de secret médical ou professionnel. Un avocat a certes des obligations de confidentialité vis-à-vis de son client, mais il a aussi un rôle à jouer en matière de justice même s’il n’est en aucun cas un auxiliaire de la Chancellerie. En tout cas, cela mérite une discussion.

S’agissant du secret médical, on a vu un homme poursuivre une sage-femme ayant révélé qu’une parturiente était victime de violences conjugales. Je me demande si l’adoption du sous-amendement du Gouvernement n’aurait pas pour effet de laisser de tels délits impunis.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement n1324.

M. Patrice Carvalho. Nous abordons ici un débat essentiel de ce projet de loi puisqu’il est question des lanceurs d’alerte et de la protection que la loi peut leur garantir. Le procès d’Antoine Deltour est venu rappeler à quel point il est essentiel que notre cadre légal puisse apporter aux lanceurs d’alerte une protection à la hauteur de l’importance que revêtent leurs révélations pour notre démocratie.

À cet égard, le droit actuel n’est clairement pas satisfaisant. La protection des lanceurs d’alerte est éparpillée dans sept textes de loi distincts, qui rendent l’ensemble incohérent et trop peu protecteur.

Le projet de loi initial était également très lacunaire. Les travaux en commission auront permis des avancées, c’est incontestable. Mais nous estimons qu’il faut encore aller plus loin, et ce pour plusieurs raisons.

La principale est que ni la définition du lanceur d’alerte adoptée à l’article 6A par la commission, ni celle proposée par le rapporteur ne nous paraissent satisfaisantes, comme plusieurs interventions sont d’ailleurs venues le démontrer.

À l’instar de plusieurs collègues sur ces bancs, nous proposons d’étendre le statut de lanceur d’alerte « aux personnes signalant une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général » – un élément absent de la définition retenue par le rapporteur.

Pourquoi une telle extension est-elle fondamentale ? Tout simplement parce qu’elle permettrait d’inclure dans la définition de lanceur d’alerte, et in fine dans la protection dévolue à ce statut, des cas très concrets comme celui d’Antoine Deltour. Disons-le clairement, les définitions que vous nous proposez n’auraient pas ce résultat.

Or, il ne serait pas acceptable que la définition retenue par notre Assemblée ne puisse pas couvrir de tels cas, qui bénéficient d’un soutien populaire et sont incontestablement utiles pour l’intérêt général. Il nous faut donc, aujourd’hui, retenir une définition large du lanceur d’alerte. Prenons nos responsabilités.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n528.

M. Éric Alauzet. Sans doute sommes-nous ce soir en mesure d’aller relativement loin sur ce sujet. Vous-même, monsieur le ministre, avez ouvert le débat, que la commission a bien fait avancer en présentant un certain nombre d’amendements. Il y a encore quelques mois, a fortiori quelques années, nous n’aurions pas imaginé pouvoir franchir un tel pas. Et si nous en sommes là, c’est sans doute aux lanceurs d’alerte eux-mêmes que nous le devons,…

M. Yann Galut. Oui.

M. Éric Alauzet. …parce qu’ils ont osé « se mouiller ». Les scandales qui ont éclaté les uns après les autres, jusqu’au plus récent, la révélation des Panama Papers, ont conduit à faire évoluer la situation rapidement. Vous-même, monsieur le ministre, avez contribué à cette accélération s’agissant de la transparence des trusts. La pression médiatique, nationale et européenne, ainsi que la directive européenne à venir ont également participé à ce mouvement.

À cet égard, je souhaite, chers collègues, monsieur le ministre, appeler votre attention sur le risque que fait planer la directive européenne relative au secret des affaires sur l’application du statut des lanceurs d’alerte tel que nous tentons aujourd’hui de le définir. Le jugement d’Antoine Deltour aura d’ailleurs une incidence très lourde : une peine, même symbolique, serait extrêmement pénalisante car elle contribuerait à dissuader nombre de nos concitoyens « d’aller au charbon », y compris avec le texte que nous allons voter ce soir.

Mon amendement va dans le sens de celui du rapporteur en proposant une définition ouverte et large. En particulier, il ne cantonne pas la mission du lanceur d’alerte au « contexte de la relation de travail » même si une telle option peut comporter des risques d’abus, ce qui nécessite de bien encadrer les choses. D’ailleurs, si l’association Anticor y est favorable, ce n’est pas nécessairement le cas de Transparency international. Le débat est donc délicat.

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut, pour soutenir l’amendement n1424.

M. Yann Galut. Nous sommes au cœur du débat. Monsieur le ministre, si nous voulons réussir à légiférer sur les lanceurs d’alerte, nous devons compléter la définition proposée par le rapporteur, car elle est insuffisante en l’état, son champ n’étant pas assez large.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur que je travaillais sur ces sujets depuis des années, et vous connaissez mon désir de me montrer constructif. Mais je ne peux pas voter en faveur d’une définition aussi restrictive ! Il y manque la notion de préjudice pour l’intérêt général, à défaut de laquelle nombre de lanceurs d’alerte ne pourraient pas être concernés. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui le dis, ni même les ONG concernées.

Pour nos amendements, nous avons repris la définition de Transparency internationalFrance datant de 2009 selon laquelle un lanceur d’alerte est « tout employé qui signale un fait illégal, illicite ou dangereux pour autrui touchant l’intérêt général… ». De même, le Conseil de l’Europe, en 2014, définissait les lanceurs d’alerte comme « toutes les personnes qui font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général,… ». De son côté, l’ONU a adopté, en 2015, à l’initiative de son rapporteur spécial, une définition également large : « Une personne qui dévoile des informations qu’elle a des motifs raisonnables de croire véridiques au moment où elle procède à leur divulgation et qui portent sur des faits dont elle juge qu’ils constituent une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. » Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on ne peut pas se contenter d’une définition qui n’intègre pas cette notion d’intérêt général.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, mon amendement fait référence au « contexte d’une relation de travail », ce qui inclut les salariés, les stagiaires, les cocontractants, les fournisseurs, les prestataires, etc. On peut certes supprimer ce critère – pourquoi pas –, mais cela reviendrait à étendre le dispositif à toutes les situations possibles. Ce faisant, on s’écarterait du cadre de protection des lanceurs d’alerte défini par d’autres législations ou par des institutions telles que l’ONU ou le Conseil de l’Europe. Aucune autre législation au monde n’a adopté une telle définition, car c’est ce contexte d’une relation de travail qui différencie généralement le lanceur d’alerte du particulier exerçant son devoir de citoyen. Cela étant, je le répète, je pourrais vous suivre sur ce point. Mais l’essentiel, à mes yeux, est d’introduire la notion d’intérêt général dans la définition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des sous-amendements ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. S’agissant du sous-amendement n1488, nous ne souhaitons pas faire mention des conflits d’intérêts qui, dès lors qu’ils constituent des manquements graves à la loi, sont nécessairement inclus dans la définition. Nous ne devons pas craindre de trop embrasser avec cette définition générale ; au contraire, l’application d’un texte législatif souffre souvent d’une précision excessive. Il n’est pas nécessaire de viser les conflits d’intérêts parce que ceux-ci constituent un manquement à la loi et sont donc couverts par la définition que je propose. Avis défavorable, donc.

Quant au sous-amendement n1485, si la commission l’a rejeté, c’est parce qu’elle a estimé que la faute ou le risque précédait la réalisation d’un préjudice. En quelque sorte, le risque inclut le risque d’un préjudice. Votre préoccupation me paraît donc satisfaite. Pour autant, je ne vois pas d’inconvénient à faire figurer la notion de préjudice si cette précision vous paraît utile. L’avis de la commission est formellement défavorable, mais à titre personnel, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

La commission est également défavorable au sous-amendement n1486, car la mention qu’il propose d’ajouter est trop floue et n’apporterait rien à la définition que nous proposons.

De même, la précision du sous-amendement n1487 nuirait à l’efficacité même de la loi. Il est évident que la fraude fiscale, à laquelle vous pensez sans doute, est un manquement à la loi et est donc couverte par la définition. Avis défavorable.

Avis également défavorable au sous-amendement n1489.

La question soulevée par le sous-amendement n1490 est cruciale. En supprimant l’alinéa 3, on renoncerait au fait que l’alerte doit conserver un caractère désintéressé, ce à quoi nous sommes strictement opposés – il m’a semblé que cette idée faisait l’objet d’un consensus et que celui-ci était encore partagé ce soir sur ces bancs.

Sur le sous-amendement n1492 du Gouvernement, la commission a émis un avis favorable. À titre personnel, je partage la position de Mme Mazetier et je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

L’amendement n1019 rectifié de Mme Mazetier est identique au mien. Mon avis est par ailleurs défavorable sur les amendements nos 1324, 721, 528 et 1424.

Je tiens toutefois à répondre brièvement sur le fond à M. Galut, qui a proposé la seule définition substantielle que l’on pourrait éventuellement imaginer de substituer au texte de la commission. Selon le texte de son amendement, « un lanceur d’alerte est une personne » – c’est important : il s’agit d’une personne physique ou morale – « qui signale ou révèle » – mon amendement n1018 rectifié porte : « qui révèle » – « de bonne foi » – nous le disons ensemble – « une information relative à un crime, un délit, un manquement au droit en vigueur » – le texte de mon amendement indique : « un crime, un délit, un manquement grave à la loi ou au règlement » : jusqu’à ce point, mon amendement dit donc exactement la même chose que le vôtre, dans des termes à peine plus généraux et il me semble que, jusque-là, nous adoptons des logiques parfaitement identiques.

Vous évoquez ensuite « une menace ou un préjudice grave ». Comme je l’ai déjà dit, si notre assemblée juge utile d’ajouter la notion de préjudice à celle de risque, je n’y suis personnellement pas opposé, même si la commission a émis un avis défavorable à ce propos.

Nous n’avons pas utilisé la notion d’intérêt général, car elle est trop floue en droit français. Nous avons hésité, Monsieur Galut, car nous souhaitons que cette définition permette une opérationnalité et une effectivité de la protection qui sera mise en œuvre. Les autorités qui auront à établir le fait qu’une personne a bien le statut de lanceur d’alerte devront le faire dans des conditions d’appréciation et d’intelligibilité appuyées sur un texte aussi clair que possible. La notion d’intérêt général nous a semblé trop imprécise – elle donne matière à des thèses entières –, alors qu’il nous faut pouvoir disposer d’un texte juridique effectif.

J’assume par ailleurs ma divergence et notre désaccord de fond sur le fait que le statut de lanceur d’alerte serait lié à des faits dont la personne concernée « a connaissance dans le contexte d’une relation de travail », car ce contexte est trop restrictif. La définition proposée par le texte de la commission est en effet bien plus large, car le lanceur d’alerte n’est pas, si j’ose dire, « prisonnier » d’une relation de travail ou d’une relation professionnelle, que ce soit dans le privé ou dans le public.

De fait, l’enjeu n’est en effet pas seulement la protection du lanceur d’alerte, même si elle est essentielle : il est aussi très important, comme le rappelle l’avis du Conseil d’État, de traiter l’alerte. En tant que citoyen, il m’importe que ces alertes lancées dans l’intérêt général, qu’elles émanent ou non d’une personne inscrite dans une relation de travail, soient traitées. J’assume donc un désaccord de fond avec vous sur ce point – c’est finalement le seul, de telle sorte que, pour atteindre l’objectif que vous poursuivez, il faut plutôt voter pour mon amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’ensemble de ces amendements et sous-amendements ?

M. Michel Sapin, ministre. Je suis favorable à l’amendement n1018 rectifié du rapporteur, et donc également à l’amendement n1019 rectifié de Mme Mazetier. Je ne reviendrai pas sur le sous-amendement n1492 que j’ai présenté et que je souhaite voir adopter comme une précision indispensable à ces deux amendements.

Pour le reste, comme cela a déjà été dit, si nous voulons être efficaces – car beaucoup travaillent ici avec à la fois une conviction chevillée au corps et avec une volonté d’efficacité – et si nous voulons éviter que ces dispositions – qui donneront lieu à des contentieux – soient source d’insécurité juridique, il nous faut respecter deux principes : la définition ne doit être ni trop large, ni trop précise. Si elle est trop large, on ne protégera rien. Si elle est trop précise, cette précision exclura certains cas dans lesquels on veut protéger. Le travail réalisé par les commissions permet d’éviter la critique du « trop large » comme celle du « trop précis ». Or, plusieurs sous-amendements de M. Duflot et de M. Coronado sont, par leur trop grande précision, défavorables aux lanceurs d’alerte, du moins en cas de contestation.

Avis favorable, comme je viens de le dire, sur les deux amendements identiques. Avis défavorable au sous-amendement n1488, sagesse pour l’amendement n1485, avis défavorable aux sous-amendements nos 1486, 1487 et 1489. Le sous-amendement n1490 soulève quant à lui un vrai problème, car il faut réellement protéger la notion de désintéressement, qui est l’un des éléments décisifs de la définition du lanceur d’alerte – je pensais que nous étions d’accord sur ce point.

Si ces amendements et sous-amendement sont adoptés, les autres tomberont et je n’exprimerai donc pas d’autres avis à leur propos.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Monsieur le ministre, pour ce qui concerne les lanceurs d’alerte, nous étions partisans d’une définition assez stricte et d’une protection forte. Or, vous allez faire à peu près l’inverse, avec une définition floue et une protection molle.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faut expliquer pourquoi !

M. Michel Sapin, ministre. Il n’a pas d’arguments !

M. Olivier Marleix. La définition floue, c’est notamment celle de l’amendement de M. Galut, qui évoque des menaces pour l’intérêt général. Peut-être une telle définition pourrait-elle être pertinente dans une conception onusienne du droit, avec des dispositifs juridiques qui sont, dans certains pays, beaucoup moins complets que les nôtres. Dans notre législation, cependant, la liste des récriminations et des infractions est assez étendue pour que nous n’ayons pas besoin de recourir à cette notion très floue de menaces pour l’intérêt général.

La protection molle, sujet important que nous n’aurons pas réglé aujourd’hui, tient au fait que votre dispositif ne protège pas le secret professionnel révélé par les lanceurs d’alerte. C’est une vraie faille, car ces personnes prennent un gros risque et leur secret n’est pas protégé.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez évacué toute réflexion sur la rémunération des lanceurs d’alerte,…

M. Michel Sapin, ministre. C’est autre chose !

M. Olivier Marleix. …qui s’exposent pourtant au scandale. Même s’ils ne lancent pas l’alerte dans la perspective d’un intérêt financier, la situation dans laquelle ils se trouvent et le discrédit orchestré parfois dans la presse les condamnent parfois à l’inemployabilité.

Il aurait été de notre devoir d’imaginer un dispositif approprié – l’exemple des aviseurs de la douane montre que ce sujet n’est pas étranger à notre droit. On aurait eu pu imaginer que l’agence de lutte contre la corruption puisse s’adjoindre, au cas par cas, les services de ces lanceurs d’alerte en qualité de collaborateurs pour avancer sur certains dossiers. Les cas évoqués sont ceux de personnes ayant agi d’une manière purement bénévole et l’article 40 de la Constitution nous interdit malheureusement de formuler des propositions en ce sens.

En un mot, sur ces deux points que sont la protection du secret et la rémunération, c’est en grande partie une occasion ratée.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement est opposé à l’amendement de M. Galut. J’admets qu’on puisse être très intelligent, mais qu’on puisse l’être plus que le Conseil de l’Europe dans sa recommandation du Comité des ministres aux États, plus que l’ONU, que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, voire plus intelligent que le Conseil d’État, me paraît être un exploit à inscrire dans les annales de l’Assemblée nationale. La position de notre collègue Galut est frappée au coin du bon sens et l’intérêt général n’est pas une notion floue en droit – le Conseil d’État l’a du reste définie dans un rapport de 1999.

Il y aura en effet un doute dans l’esprit de celles et ceux qui se battent depuis des années sur la définition des lanceurs d’alerte, qui se demanderont pourquoi, au lieu du dispositif proposé par M. Galut et cinquante-deux autres députés, et qui relaie le travail d’un certain nombre d’associations, le Gouvernement se cabre et refuse, nous proposant à la place un ersatz de définition des lanceurs d’alerte. On nous demandera alors quel est le loup et ce que cachent ces réticences.

Or, étant donné que, selon moi, il n’y a pas forcément de réticences de la part du Gouvernement et que celui-ci n’entre pas à reculons dans ce débat – c’est du moins ce que je pensais jusqu’ici –,…

M. Michel Sapin, ministre. C’est insupportable !

M. Pascal Cherki. …l’amendement de M. Galut doit être adopté.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Définir un lanceur d’alerte n’est pas simple – d’autres s’y sont usés dans d’autres instances.

Personne ne parle plus du texte adopté par la commission. Or celui-ci, tel qu’il est rédigé, ne crée pas un devoir, mais une simple possibilité.

M. Michel Sapin, ministre. Heureusement !

M. Charles de Courson. C’est la raison pour laquelle j’avais rédigé un amendement tendant à préciser qu’il s’agissait d’un devoir. Quand on prend connaissance de faits susceptibles d’être qualifiés, c’en est un, en effet, que de les porter à la connaissance de cette instance.

Puisqu’il semble qu’on s’oriente plutôt vers le texte de l’amendement n1018 rectifié du rapporteur, je formulerai quelques remarques. Sur le plan rédactionnel, il ne faut pas dire qu’on révèle un crime ou un délit, car on ne peut révéler que des faits susceptibles d’être qualifiés de tels – ce n’est pas tout à fait la même chose. Un lanceur d’alerte peut considérer que certains faits sont susceptibles d’être un délit, mais ce n’est pas lui qui les qualifie comme tels. Mieux vaudrait alors parler de « faits susceptibles d’être qualifiés ».

L’amendement n1018 rectifié évoque certes aussi « un manquement grave à la loi ou au règlement ou des faits présentant des risques graves », mais pourquoi, cher collègue, réserver ces faits à l’environnement, à la santé ou la sécurité publique ? De nombreux autres domaines sont en effet concernés – il pourrait s’agir du principe d’égalité, des libertés publiques ou de la fraude fiscale. Cette définition restreint beaucoup trop le champ.

Une remarque, enfin, à l’intention de ceux qui ont un peu vécu : si l’on peut comprendre que l’amendement demande que ceux qui viennent apporter des informations soient de bonne foi, il faut aussi souligner, face à l’exigence selon laquelle le lanceur d’alerte doit exercer son droit d’alerte sans espoir d’avantages propres ni volonté de nuire à autrui, que l’âme humaine est très complexe. Ces avantages propres peuvent être une satisfaction spirituelle, matérielle ou autre. Il en va de même pour la notion de « nuire à autrui » : chacun sait en effet que de nombreuses dénonciations ne sont pas entièrement dénuées d’arrière-pensées, mais qu’elles répondent parfois aussi un sentiment de vengeance et à bien d’autres sentiments.

La mention de la « bonne foi » ayant été remontée à l’alinéa 1er, ce dernier alinéa de l’amendement n1018 rectifié devrait donc être purement et simplement supprimé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Madame la présidente, je demande une suspension de séance.

Mme la présidente. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le mardi 7 juin 2016 à zéro heure quarante-cinq, est reprise à zéro heure cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ces débats montrent la difficulté qu’il y a à établir une définition du lanceur d’alerte, même si nous pouvons y parvenir par la discussion.

Nos échanges ont permis de faire émerger un consensus sur la notion de préjudice. Cette notion sur laquelle M. Coronado a appelé notre attention doit trouver sa place dans la définition générale du lanceur d’alerte.

Il y a également consensus pour que la notion d’intérêt général figure elle aussi dans la définition. Je rejoins sur ce point les propos de M. Galut, à tel point que j’avais moi-même fait figurer cette suggestion dans le texte de la commission dont nous débattons ce soir – la notion d’intérêt général est en effet bien présente dans le texte adopté en commission.

Ces deux éléments sont essentiels. Nous intégrerons la notion de préjudice si nous adoptons le sous-amendement proposé par Mme Duflot et M. Coronado.

Mme la présidente. Précisons qu’il s’agit du sous-amendement n1085, qui a reçu un avis de sagesse tant du Gouvernement que du rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Exactement, madame la présidente.

Par ailleurs, je souhaite faire oralement une deuxième rectification à l’amendement n1018, dont voici la nouvelle rédaction : « Un lanceur d’alerte est une personne qui révèle, dans l’intérêt général et de bonne foi,… », la suite étant inchangée.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette proposition ?

M. Michel Sapin, ministre. Avis favorable.

Mme la présidente. Je demanderai donc à l’Assemblée de s’exprimer sur les différents sous-amendements avant de voter sur les amendements ainsi rectifiés.

(Le sous-amendement n1488 n’est pas adopté.)

(Le sous-amendement n1485 est adopté.)

(Les sous-amendements nos 1486, 1487, 1489 et 1490, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(Le sous-amendement n1492 est adopté.)

(Les amendements identiques nos 1018 rectifié et 1019 rectifié, sous-amendés, tels qu’ils viennent d’être rectifiés, sont adoptés,  les amendements nos 1324, 528, 1424, 791, 906, 666, 907, 792, 255 et 914 tombent et l’article 6 A est ainsi rédigé.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;

Suite de la discussion de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 7 juin 2016, à zéro heure cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly