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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 16 juin 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Marc Le Fur

1. Avenir du système de soins

Présentation

M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Discussion générale

M. Arnaud Robinet

M. Yannick Favennec

M. Jérôme Lambert

Mme Jacqueline Fraysse

M. Michel Liebgott

M. Jean Leonetti

Mme Véronique Massonneau

M. Jean Lassalle

Mme Valérie Boyer

M. Gérard Sebaoun

M. Christophe Sirugue

M. Gilles Lurton

M. Gérard Bapt

Présidence de M. François de Rugy

M. Jean-Louis Touraine

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Motion de rejet préalable

Mme Bernadette Laclais

Rappel au règlement

M. Jean Leonetti

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire

Motion de rejet préalable (suite)

M. Philippe Vitel

M. Yannick Favennec

M. Christophe Sirugue

2. Carte de famille de blessé de guerre

Présentation

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire

Discussion générale

M. Philippe Vitel

M. Yannick Favennec

M. Jérôme Lambert

M. Christophe Premat

M. Jacques Bompard

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État

Discussion des articles

Article unique

Amendement no 3 rectifié

Après l’article unique

Amendement no 1

Vote sur l’ensemble

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Avenir du système de soins

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Pierre Door et plusieurs de ses collègues pour l’avenir de notre système de soins (nos 3710, 3806).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales et de la santé, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je souhaite le rappeler en préambule, la préservation de la santé est sans doute, pour chacun de nos concitoyens, l’un des biens les plus précieux. Dès lors, notre responsabilité, en tant que législateur, est de garantir à chacun l’application des trois principes sur lesquels repose la Sécurité sociale depuis 1945 : l’égalité d’accès aux soins, la qualité des soins et la solidarité. C’est dans cette optique qu’avec mes collègues Arnaud Robinet, Jean Leonetti et Bernard Accoyer, nous avons souhaité déposer une proposition de loi pour affirmer notre conception de la médecine et du parcours de soins, et pour défendre les professionnels de santé que la loi de modernisation de notre système de santé a profondément malmenés.

La médecine que nous souhaitons défendre est une médecine qui n’oppose pas le secteur privé au secteur public, l’hôpital aux cliniques. Une médecine dont la dimension libérale et ambulatoire constitue un pilier. Une médecine qui valorise ses praticiens plutôt que de les enfermer dans la logique bureaucratique ou dans le carcan que constituent les innombrables contraintes et tâches administratives qui empiètent chaque jour un peu plus sur leur exercice médical. Une médecine qui sort de l’hôpital et d’une certaine forme d’hospitalocentrisme pour accompagner les patients au cœur de leur territoire. Une médecine pour tous, qui fait des patients les véritables acteurs de leur santé tout en valorisant la vocation des médecins et des professionnels de santé, qui sont le cœur de la médecine. Une médecine qui, sans remettre en cause le rôle de l’État, préfère quand celui-ci est stratège plutôt qu’administrateur, et quand il accorde au patient le bénéfice de la liberté, dans le choix des praticiens et des établissements de santé comme dans ses relations avec eux.

Or cette conception des choses s’oppose à l’idéal étatiste de la majorité actuelle, qui est en train de cadenasser la médecine. Notre conception de la médecine est totalement à rebours de celle qui a présidé à l’élaboration de la loi adoptée le 26 janvier dernier, laquelle a remis en cause plusieurs fondements majeurs de notre système et cristallisé l’incompréhension, la déception voire la colère d’une très grande majorité du monde médical. Ses représentants n’ont d’ailleurs pas hésité à descendre dans la rue – il faut s’en souvenir – le 15 mars 2015 ; cette manifestation avait montré de manière criante la profondeur du fossé entre le Gouvernement et les professions de santé.

La proposition de loi que nous examinons ce matin invite donc à adopter une série d’aménagements pour revenir à court terme sur les dispositions les plus néfastes de votre loi, madame la ministre. Néanmoins, ce texte n’a pas la prétention de couvrir toutes les questions que pose l’avenir de notre système de soins. Le cadre de la niche parlementaire limite en effet le nombre d’articles que nous pouvons examiner et donc le champ des domaines abordés.

Cela étant, nous souhaitons aller au-delà du simple exercice de contre-propositions et porter une vision différente de l’exercice de la médecine, en rappelant, par la même occasion, les grands principes auxquels sont attachés les députés du groupe Les Républicains concernant l’organisation des soins. Ce texte est le fruit d’un travail de plusieurs mois entrepris dès la promulgation de la loi de modernisation du système de santé. Ce travail nous a amenés, avec les collègues de mon groupe, à auditionner un large éventail de spécialistes et de professionnels ; nous avons rencontré et écouté les acteurs institutionnels, l’Ordre national des médecins, la Mutualité française, la Fédération hospitalière de France – FHF – et la Fédération de l’hospitalisation privée – FHP –, mais aussi les syndicats de jeunes médecins, des étudiants en médecine, les entreprises du secteur médical, ou encore des économistes de la santé.

Notre texte comprend douze articles. En préambule, l’article 1er réaffirme de manière presque philosophique l’attachement de notre famille politique au principe de liberté et de libre choix du patient dans sa relation avec les médecins et les établissements de santé, et ce, en l’inscrivant de manière explicite dans le code de la santé publique. Il rejette donc catégoriquement l’article 1er de la loi santé – que nous avions combattu – aux termes duquel « La politique de santé relève de la responsabilité de l’État. ».

Il comprend ensuite, à l’article 2, une mesure essentielle et urgente : la suppression du caractère obligatoire du tiers payant. De fait, la généralisation du tiers payant suscite le désarroi des médecins. Je crois d’ailleurs savoir que la quasi-totalité des syndicats de médecins représentatifs ont refusé de siéger au comité de pilotage du tiers payant, installé hier. C’est une réforme inutile, puisque les personnes les plus fragiles bénéficient déjà du tiers payant.

M. Jean Leonetti. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. La couverture maladie universelle – la CMU –, la CMU complémentaire, l’aide médicale de l’État – l’AME –, l’aide pour une complémentaire santé – l’ACS – le régime des affections de longue durée – ALD – permettent d’appliquer le tiers payant intégral et d’assurer le libre choix. C’est une réforme inutile, puisqu’elle n’améliorera pas l’accès aux soins : vous le savez, c’est surtout pour les dépenses de lunetterie, de prothèses dentaires et d’audioprothèses que le reste à charge est important et conduit les patients à hésiter à s’équiper et, parfois, à y renoncer, ce qui revient d’une certaine façon à renoncer aux soins. Mais le tiers payant n’aura aucune incidence dans ces situations.

M. Alain Chrétien. Rien n’est gratuit !

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Surtout, c’est une réforme dangereuse, puisqu’en généralisant le tiers payant, vous déconnectez définitivement les patients du coût de leurs soins et vous achevez de fonctionnariser totalement les professionnels médicaux. Nous proposons donc de conserver le système actuel et de laisser aux praticiens la liberté d’appliquer ou non le tiers payant.

Le deuxième objectif de cette proposition de loi est de sortir de la logique hospitalo-centrée, qui dicte depuis trop longtemps l’organisation de notre système de santé, et de sanctuariser la médecine libérale et ambulatoire. Nous voulons revenir sur le monopole de l’hôpital public que vous érigez en dogme. Pour cela, nous proposons de conférer aux établissements privés la possibilité d’assurer, dans certaines conditions, et s’ils le souhaitent, des missions de service public, ce que la loi santé leur interdit désormais. C’est l’objet de l’article 3.

L’article 4 a pour objet de mettre en place une expérimentation pour offrir aux établissements publics qui le souhaitent un cadre moins rigide, davantage de marges de manœuvre, en somme une certaine autonomie fondée sur le modèle des établissements de santé privés d’intérêt collectif, les ESPIC. Parmi ceux qui ont adopté ce principe, on peut citer, entre autres, l’Institut mutualiste Montsouris, le Centre chirurgical Marie-Lannelongue ou l’hôpital Foch.

Nous vous invitons également à inscrire dans la loi le fait que la durée des autorisations obligatoirement accordées par les agences régionales de santé ne peut être différente pour les établissements publics et les établissements privés. Telle est la finalité de l’article 5.

Notre système de santé repose sur deux piliers indispensables et complémentaires : le public et le privé. Ces deux piliers, il faut les défendre de manière égale pour délivrer des soins à tous avec la meilleure efficience et consolider ainsi notre système de santé.

La troisième ambition du texte est de lutter contre la désertification médicale. Nous sommes tous en rangs serrés, me semble-t-il, pour parvenir à cette fin, qui exige notamment la déshospitalisation de la formation des médecins et la création d’outils territoriaux aux modalités d’organisation plus souples, pour un exercice libéral regroupé. On observe, en effet, un inquiétant recul de la médecine générale dans notre pays : selon les chiffres publiés la semaine dernière par le Conseil national de l’ordre, le nombre de médecins généralistes a diminué de 8,4 % entre 2007 et 2016. Nous sommes persuadés que les professionnels de santé, en particulier ceux appartenant aux nouvelles générations, attendent de nouveaux modes d’organisation et d’exercice permettant plus de souplesse et d’efficacité. C’est de la réussite de ces nouveaux modes d’organisation que dépendra l’issue de notre lutte contre les déserts médicaux.

Certaines dispositions, il est vrai, existent déjà, mais nous voulons mettre l’accent sur l’orientation des étudiants en médecine vers la médecine générale. Face aux nombreuses contraintes administratives – que vous voulez encore alourdir –, aux difficultés financières et à la charge de travail liées à la médecine libérale, les jeunes sont de moins en moins tentés d’emprunter cette voie. Au cours de nos auditions, les jeunes ou futurs médecins nous ont tous dit qu’ils se sentaient enfermés dans l’hôpital et qu’ils ne connaissaient pas la médecine de terrain et de proximité. Les stages ne sont pas toujours effectifs et on nous a même dit que certains d’entre eux, pourtant obligatoires, n’étaient effectués qu’à 40 ou 50 %.

C’est pour répondre à ces attentes que nous voulons permettre la création de plateformes territoriales d’appui à la médecine libérale, objet de l’article 6. Ces plateformes doivent permettre de sortir de l’« hospitalocentrisme » du système de santé actuel en évitant les hospitalisations inutiles ou évitables et les ruptures dans les parcours de santé complexes. Nous proposons également de créer, à l’article 9, des centres ambulatoires universitaires pour les enseignements publics médicaux et post-universitaires à destination des futurs médecins généralistes et spécialistes en soins primaires ambulatoires. Ces centres de santé ambulatoires universitaires donneraient la possibilité de faire de l’enseignement dans des maisons médicales, au sein de plateformes territoriales ou dans toute autre forme que les médecins libéraux voudront s’approprier pour faire de l’exercice regroupé.

Notre texte propose également deux autres avancées nécessaires. Il s’agit, en premier lieu, de la régionalisation des épreuves classantes nationales. En effet, la nationalisation des épreuves classantes ou du concours de l’internat n’est plus le bon choix, dans un contexte de régionalisation marqué par l’apparition de nouvelles grandes régions. Il convient de faire éclater le principe de nationalisation pour permettre aux étudiants de choisir des centres hospitaliers dans ces régions, au lieu d’être noyés sur tout le territoire.

En second lieu, par l’article 11, qui prévoit la remise d’un rapport au Parlement, la proposition de loi fait un premier pas vers la mise en place d’un parcours de prévention en matière de santé tout au long de la vie. Par ce dispositif, qui s’inspire des systèmes canadien et scandinave et qui a pour objectif de permettre un vieillissement en bonne santé, un assuré social signerait avec ses organismes payeurs un contrat de prévention personnalisé qui le suivrait tout au long de sa vie, lui permettant ainsi de devenir un acteur de sa santé.

En commission des affaires sociales, le groupe majoritaire a choisi de supprimer, un à un, les douze articles du texte, ce que, bien entendu, je déplore. Plutôt que de les balayer d’un revers de main, en éliminant systématiquement toutes les dispositions de ce texte, comme le souhaite Mme la ministre, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi, qui est attendue par le monde médical. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, c’est toujours un plaisir que de me retrouver devant vous pour évoquer les enjeux de santé.

M. Denis Jacquat. C’est un plaisir partagé !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je le sais : nous allons donc passer un moment agréable et, sans nul doute, constructif, en tout cas, je l’espère, intéressant, puisqu’il n’y a pas si longtemps encore, nous déjà étions rassemblés pour débattre de l’avenir et de la modernisation de notre système de santé. Vous le savez, je suis très attachée à l’échange, au débat parlementaire et, avec Jean-Pierre Door, nous y sommes rompus depuis un certain temps. Il est toujours utile et intéressant d’échanger nos points de vue.

Cela étant, je dois vous dire mon étonnement. En effet, si je vous ai rappelé qu’assez récemment, nous étions rassemblés sur ces bancs pour débattre du projet de loi de modernisation de notre système de santé, c’est que j’ai encore à l’esprit les critiques qui fusaient de vos rangs, les contestations, les votes que vous avez effectués. Pas une disposition de ce texte de loi ne trouvait alors grâce à vos yeux. Pas un sujet qui ne méritât que vous montiez au créneau, comme si l’avenir du pays en dépendait. Je m’attendais donc – et au fond, je dois vous le dire, je m’en réjouissais, tant les propositions constructives de votre part avaient été peu nombreuses à l’époque – à voir surgir dans le débat un texte fort, ferme, marquant non seulement une ambition pour notre système de santé, mais aussi une orientation radicalement différente de celle du texte que nous avons débattu, que vous avez combattu et que vous avez refusé de voter.

Je vous avoue ma déception, d’autant plus que de grandes déclarations politiques ont été faites ici, mais aussi en dehors de cet hémicycle. Alors qu’Alain Juppé, François Fillon et Nicolas Sarkozy – vous le voyez, je suis œcuménique (Sourires), et sans doute pourrai-je trouver de semblables déclarations chez d’autres candidats à votre primaire (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) – se sont engagés à abroger purement et simplement ce texte, alors que, monsieur le rapporteur, vous avez indiqué, en déposant votre proposition de loi, vouloir écrire « une nouvelle loi santé », quelle surprise de découvrir l’absence de propositions et votre ralliement en catimini à la quasi-totalité du texte !

Je ne critique pas, d’ailleurs, la faible ampleur quantitative de votre proposition de loi – onze petits articles –,…

M. Denis Jacquat. Douze articles, madame la ministre !

Mme Marisol Touraine, ministre. …mais examinons plutôt son contenu.

M. Denis Jacquat. C’est l’esprit de synthèse !

M. Alain Chrétien. Quel mépris !

Mme Marisol Touraine, ministre. Où est l’abrogation du paquet de cigarettes neutre que vous nous aviez annoncée, vous qui aviez déployé une opposition colossale dans cet hémicycle contre cette mesure ? Pourquoi ne pas revenir sur les salles de consommation à moindre risque, cet article que vous avez présenté comme devant faire l’objet d’une des batailles centrales du débat sur ce texte et que vous avez caricaturé à l’infini comme une menace pour les Français ?

M. Alain Chrétien. Quelle matinée agréable !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je comprends donc, mesdames, messieurs les députés de l’opposition, que cette mesure sera finalement conservée.

Vous nous aviez annoncé la suppression de l’action de groupe en matière de santé ; il n’en est plus question ici. J’ai encore en mémoire les débats sur la suppression du délai de réflexion pour l’IVG, au sujet de laquelle vous souhaitiez revenir en arrière. Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les députés de l’opposition, avaient tenu des propos qui ne pouvaient être qu’insupportables pour les femmes. Or vous ne revenez finalement pas sur cette avancée.

Vous ne proposez pas non plus la suppression du médecin traitant de l’enfant, du logo nutritionnel clair sur les aliments ; vous ne proposez pas la suppression de la délivrance de contraception en milieu scolaire. Vous aviez pourtant clamé systématiquement vouloir supprimer ces dispositions.

M. Jean Leonetti. On ne peut pas tout faire dans une proposition de loi !

M. Alain Chrétien. C’est un début ! Attendez 2017 pour la suite !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous annonciez, mesdames, messieurs les députés de l’opposition, une grande proposition de loi marquant l’orientation de ce que serait le système de santé ces cinq prochaines années si vous arriviez aux responsabilités,…

M. Jean Leonetti. Cela va venir !

Mme Marisol Touraine, ministre. …mais je constate que vous affirmez conserver l’essentiel de ce qui figure dans la loi de modernisation de notre système de santé.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Cette proposition est discutée dans le cadre d’une niche parlementaire !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il en va ainsi, notamment, du numéro de téléphone unique, des communautés professionnelles de territoire, dont vous dites que vous allez les constituer, mais qui figurent dans la loi, des groupements hospitaliers de territoire, de la mise en œuvre des parcours de prise en charge pour les patients… La liste est longue, car la loi compte 227 articles, une longueur notamment imputable au débat parlementaire.

M. Jean Leonetti. On ne peut pas inscrire 227 articles dans une proposition de loi !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il eût suffi d’indiquer que vous abrogiez la loi, vous ne le faites pas. Il fallait que cela soit clairement dit.

J’interromprai ici l’énumération de ce qui est source d’étonnement à mes yeux pour en venir aux points sur lesquels, incontestablement, vous marquez une différence. Ce sont ces divergences qu’il est intéressant et toujours utile de mettre en avant pour montrer comment nous passons des postures – je viens de les indiquer –…

M. Jean Leonetti. Vous êtes spécialiste des postures !

Mme Marisol Touraine, ministre. …aux affrontements de positions, à des engagements qui marquent une conception différente de notre système de santé.

Ce qui me frappe à la lecture de cette proposition de loi et à l’écoute de votre propos, monsieur le rapporteur, c’est non seulement l’immobilisme et la frilosité de vos propositions, mais aussi le caractère régressif d’un certain nombre d’orientations que vous tracez.

Je commencerai par le relevé du titre même de votre proposition de loi, relative à « l’avenir de notre système de soins ». Voilà un certain temps déjà – des années pour dire la vérité – que l’on s’accorde sur le fait de considérer les enjeux de santé dans leur ensemble, et non pas seulement ceux qui sont relatifs au système de soins. De manière logique, puisque vous ne parlez que du système curatif, pas un mot sur la prévention ne figure dans ce texte, à l’exception d’une proposition, sur laquelle je reviendrai dans un instant.

Mettre en avant les enjeux de prévention, ce qui a été fait dans la loi du Gouvernement, c’est considérer comme prioritaire l’objectif de réduction des inégalités de santé, et pas uniquement des inégalités de soins. Les enfants n’ont pas tous les mêmes chances de devenir obèses selon qu’il s’agit des nôtres ou de ceux qui sont assis sur les bancs des écoles de vos circonscriptions ; nous n’avons pas tous les mêmes risques d’être atteints de maladies cardiovasculaires ou d’être touchés par la perte d’autonomie en vieillissant. Nous devons faire de la prévention une priorité, vous l’écartez complètement.

Votre seule proposition en la matière est de demander au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur un parcours de prévention pris en charge par l’assurance maladie, par les financeurs, avez-vous ajouté. J’ose espérer – mais cela ne manque pas de m’inquiéter – que derrière cette unique proposition ne se cache pas l’idée de conditionner la prise en charge par les financeurs, assurance maladie et complémentaires santé, à ce que l’on pourrait appeler des « bons comportements », ce qui se fait dans un certain nombre de pays que vous avez cités, et qui a toujours été refusé en France pour notre système de santé.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il y a là une menace majeure pour les principes mêmes de notre système de santé et de prise en charge. Et je ne vois pas comment on peut faire une telle proposition quand on répète à longueur de débat, à longueur de discours que le Gouvernement aurait confié la santé aux organismes de complémentaire santé, aurait livré la médecine libérale, et avec elle les patients, pieds et poings liés, aux complémentaires, ce qui, d’ailleurs, est rigoureusement faux lorsqu’on regarde les chiffres de la prise en charge ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

M. Jean Leonetti. Et ça, ce n’est pas caricatural ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Cette proposition trouve écho dans une autre, préoccupante, qui témoigne selon moi d’une vision libérale passéiste de la politique de santé. Vous proposez d’inscrire dans le code de la santé publique : « La politique de santé est fondée – et j’insiste sur ce mot – sur la recherche de l’efficience et sur une concurrence […] entre les offreurs de services de santé […]. » Monsieur le rapporteur, les mots que vous avez écrits dépassent sans aucun doute votre pensée, (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) tant je sais votre attachement à la solidarité et à l’excellence du système de soins. Je ne sais donc pas qui a influencé qui,…

M. Denis Jacquat. Nous, nous ne nous laissons pas influencer !

Mme Marisol Touraine, ministre. …ni qui a débordé sur qui, mais affirmer que c’est l’efficience qui est le fondement du système de santé alors qu’un tel raisonnement nous conduirait à écarter, pour des raisons économiques, un certain nombre de patients de l’accès aux soins, voilà qui est préoccupant.

L’efficience est une exigence, elle est une responsabilité politique.

M. Jean Leonetti. Il faudrait redéfinir le terme « efficience », dans ce cas !

Mme Marisol Touraine, ministre. Sur ce point, monsieur le député, je n’ai pas de leçon à recevoir, et le Gouvernement non plus, de la part de ceux qui ont passé cinq ans à creuser les déficits de la Sécurité sociale tout en réduisant l’accès aux soins par la multiplication des franchises,…

M. Alain Chrétien. Toujours la même rengaine !

Mme Marisol Touraine, ministre. …alors que depuis 2012 l’objectif national des dépenses d’assurance maladie – l’ONDAM – est tenu chaque année – vous ne pouvez pas le nier – et que les déficits de la Sécurité sociale ont diminué considérablement.

M. Christophe Sirugue. Eh oui !

M. Denis Jacquat. Reprenez-vous, madame la ministre !

M. Jean Leonetti. Ce n’est pas bon pour la santé de s’énerver !

Mme Marisol Touraine, ministre. Concernant la « concurrence » entre les acteurs, il s’agit sans doute pour vous d’opposer les cliniques aux hôpitaux. C’est un reproche que vous m’avez fait, mais je vous le retourne, car au fond, au lieu de défendre comme je le fais une vision équilibrée du système de soins entre le public et le privé, vous voulez revenir en arrière en réintroduisant la convergence tarifaire,…

M. Bernard Accoyer. C’est une urgence !

Mme Marisol Touraine, ministre. …qui est un danger pour le financement des hôpitaux publics. Vous dites que je défends le monopole de l’hôpital public,…

M. Bernard Accoyer. C’est vrai !

Mme Marisol Touraine, ministre. …mais c’est une contrevérité au regard des chiffres, puisque 35 % de l’offre de soins des établissements de santé relève de l’hospitalisation privée.

M. Denis Jacquat. Alors pourquoi augmenter les tarifs de l’hospitalisation privée ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Permettez-moi de vous indiquer, monsieur le rapporteur, que dans le droit en vigueur il n’y a pas de différence de durée d’autorisation entre établissements publics et privés, celle-ci étant de cinq ans dans tous les cas. Voilà à nouveau un article qui n’a pas lieu d’être.

Je ne reviens pas sur les engagements que la majorité gouvernementale a pris pour l’hôpital public et qui consistent à reconnaître la spécificité des obligations qui pèsent sur le service public, car chaque personne faisant preuve d’un peu de bonne foi en conviendra.

Une autre différence incontestable entre vous et nous, outre les principes et la relation à l’hôpital public, est l’enjeu de l’accès aux soins. Pour ma part, mesdames, messieurs les députés, j’assume le fait que l’un des fils conducteurs de l’action que je mène depuis 2012 a été de garantir et de renforcer l’accès aux soins. J’assume de dire que j’ai supprimé les franchises médicales pour les plus modestes.

M. Christophe Sirugue. Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre. J’assume de mettre en avant la diminution du reste à charge pour les patients chaque année depuis quatre ans.

M. Gérard Sebaoun et M. Christophe Sirugue. Bravo !

Mme Marisol Touraine, ministre. J’assume d’avoir permis que la part des dépenses prises en charge par l’assurance maladie a augmenté tandis que la part des dépenses remboursées par les complémentaires santé a diminué. Et j’assume de dire que le tiers payant généralisé est une réponse à ce que vivent des millions de Français dans notre pays, et pas seulement les pauvres.

M. Bernard Accoyer. C’est faux ! C’est du dogmatisme à l’état pur ! C’est de l’idéologie pure !

M. Jean Leonetti. Vous avez perdu le contact avec la réalité !

M. Bernard Accoyer. C’est une mise à mort du système de santé !

M. le président. Chers collègues, veuillez écouter Mme la ministre !

Mme Marisol Touraine, ministre. Cette mesure rencontre le soutien de 70 % de nos concitoyens. Vous pouvez donc tempêter sur les bancs de l’opposition autant que vous voudrez, vous pouvez éructer,…

M. Jean Leonetti. Calmez-vous !

Mme Marisol Touraine, ministre. …vous pouvez contester et critiquer : la réalité est qu’il y a dans ce pays des hommes et des femmes des classes moyennes qui renoncent à aller voir un médecin, qu’il soit généraliste ou spécialiste, ou espacent les consultations.

M. Bernard Accoyer. C’est totalement faux !

M. Christophe Sirugue. C’est la réalité !

Mme Marisol Touraine, ministre. J’en ai rencontré, et j’ai rencontré des médecins, dont certains ne souhaitent pas la généralisation du tiers payant mais me disent que la facturation de plusieurs consultations en urgence à domicile peut poser problème à certaines familles.

Ce sont donc aux classes moyennes que s’adressent les dispositions relatives au tiers payant, qui bénéficieront à 15 millions de Français dès le 1er juillet prochain. Vous pouvez toujours contester le fait que les personnes atteintes d’affection de longue durée ou les femmes enceintes, prises en charge à 100 %, puissent bénéficier du tiers payant, il s’agit néanmoins d’une mesure de justice, et elle entrera en vigueur dans quelques jours.

Je terminerai en concluant que ce texte n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous avons besoin d’ambition, d’innovation et d’imagination.

M. Jean Leonetti. C’est pour cela que nous allons arriver au pouvoir !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il faut poursuivre sur la voie que nous avons tracée.

L’innovation passe en particulier par trois orientations : la territorialisation de notre système de santé, l’innovation en matière de santé et le soutien aux innovateurs, les droits des patients.

Nous avons mis en place un système de santé territorialisé pour renforcer l’accès aux soins de proximité. J’ai écouté avec intérêt votre évocation des déserts médicaux, monsieur le rapporteur, car il n’y a pas un mot sur ce sujet dans la proposition de loi. En outre, les propositions que vous avez avancées sont d’ores et déjà mises en œuvre. Permettez-moi de vous rappeler que les maisons de santé pluriprofessionnelles, qui étaient quasi inexistantes en 2012, sont aujourd’hui plus de 800 et seront plus de 1 000 l’année prochaine.

Je voudrais vous rappeler, car vous semblez l’ignorer, que ce que vous appelez les « centres de santé ambulatoires universitaires » existe. Ce sont les maisons de santé labellisées « universitaires » ; il y en aura une par département d’ici à l’année prochaine.

Je voudrais vous rappeler que les plates-formes territoriales d’appui dont vous proposez la création ont été votées par votre assemblée à l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de notre système de santé. De même, vous jugez les communautés professionnelles territoriales de santé « aptes à répondre […] aux besoins de prise en charge de la population » ; je vous remercie de votre clairvoyance. Cela va donc dans le bon sens.

La territorialisation doit être approfondie, et c’est ce que nous faisons au travers des groupements hospitaliers de territoire et des communautés professionnelles territoriales de santé, dont je note qu’elles ne sont pas contestées.

Le deuxième facteur d’anticipation et de modernisation, c’est l’innovation. Ce matin encore, nous nous réjouissions de l’annonce par un hôpital de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris – l’AP-HP – d’un essai de traitement innovant permettant d’améliorer la prise en charge des tumeurs cérébrales.

Soigner les maladies qui ne pouvaient l’être hier et, parfois même, les guérir, c’est évidemment une formidable promesse pour l’avenir. C’est pour cela que j’ai fait le choix de soutenir l’innovation en santé en y accordant des financements nouveaux et en simplifiant les démarches administratives pour les essais cliniques.

M. Jean Leonetti. Est-ce suffisant ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Et cela fonctionne : il y a aujourd’hui plus de start-up de la santé à Paris qu’à Londres. Les premières mondiales se succèdent presque chaque mois dans les centres hospitalo-universitaires français. Je regrette que votre proposition de loi ne porte pas sur ce débat absolument majeur.

Enfin, le texte semble très éloigné des enjeux liés aux patients eux-mêmes. Il en résulte un décalage avec les attentes des Français qui veulent être davantage associés à l’élaboration des politiques publiques, dont les politiques de santé. C’est pourquoi j’ai renforcé le rôle des associations d’usagers, désormais représentées dans les agences sanitaires nationales, créé l’action de groupe en matière de santé et renforcé la transparence entre professionnels de santé et acteurs industriels. C’est pourquoi le droit à l’oubli, longtemps attendu et jamais mis en place avant cette loi, est désormais une réalité.

Au fond, nous savons bien, mesdames et messieurs les députés, que les enjeux de santé doivent viser des objectifs que nous partageons et qu’évoque le texte : comment améliorer la prise en charge du vieillissement de la population et des maladies chroniques ? Comment faire face à la moindre présence médicale dans certains territoires ? Comment résorber les inégalités de santé ? Ces questions, nous n’y répondons pas à l’identique. Je discerne dans votre texte une volonté de revenir vers le passé qui ne peut qu’être porteuse de régression pour les patients et les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici donc à nouveau réunis pour débattre de l’avenir de notre système de santé. C’est probablement la dernière fois que nous sommes réunis dans cet hémicycle pour aborder globalement le modèle français d’accès aux soins. Dans quelques mois, ce débat ne sera plus réservé aux parlementaires et aux experts, aux colloques et aux congrès professionnels : il se tiendra devant les Français et s’inscrira au cœur du débat public national. Votre majorité, madame la ministre, rendra compte devant nos compatriotes de l’évolution du système au cours de ce quinquennat.

Quant à l’opposition, elle fera des propositions aux Français dont les inquiétudes concernent le plus souvent et à juste titre la pérennité financière, politique et morale de l’assurance maladie. À votre bilan s’opposera notre projet ! À l’occasion des élections présidentielle et législatives de 2017, la santé, dont les sondages montrent régulièrement qu’elle est la troisième préoccupation des Français, sera au cœur des débats entre les candidats et leurs formations. C’est du moins le vœu que je forme et que je crois partagé par-delà les bancs des Républicains et des centristes, notamment au regard du peu d’intérêt et d’attention consacrés à ce sujet lors de la campagne de 2012.

M. Gérard Bapt. Il faut l’espérer, en effet !

M. Arnaud Robinet. Comme nous souhaitons, au sein du groupe des Républicains, le placer en tête de nos priorités, nous avons décidé d’orienter les travaux de cette journée de niche parlementaire vers la santé, sur la base du rapport de notre collègue Jean-Pierre Door, en lien avec le président Accoyer, Jean Leonetti et l’ensemble des députés de notre groupe membres de la commission des affaires sociales. Nous avons décidé d’agir dans deux directions : d’une part, corriger les erreurs à caractère idéologique et technocratique qui caractérisent la loi dite de « modernisation » du système de santé, d’autre part esquisser des perspectives précisant l’esprit et l’orientation de la politique que nous aurons à mener si nous retrouvons la conduite du pays l’an prochain.

Commençons par les erreurs et les contresens que nous comptons bel et bien supprimer. Il s’agit avant tout, comme l’a très bien dit Jean-Pierre Door, de la généralisation du tiers payant. Nous devons en effet revenir sur cette disposition car elle n’est ni réclamée ni souhaitable. Elle n’est pas réclamée, comme l’a montré la campagne de 2012.

M. Philippe Vitel. Elle est même rejetée !

M. Bernard Accoyer. Elle est idéologique !

M. Arnaud Robinet. Ce que veulent les Français, surtout ceux des classes moyennes appauvries par le fameux choc de fiscalité de 2012, c’est la réduction des restes à charge des soins optiques et dentaires. Ce que veulent les Français les plus modestes, c’est tout simplement le maintien de la CMU complémentaire et de l’aide à la complémentaire santé qui fonctionnent suffisamment bien pour que nous les maintenions en 2017 si nous gagnons les élections. Non, madame la ministre, la généralisation du tiers payant n’était pas réclamée ! Cette promesse du candidat Hollande vient probablement des couloirs d’administrations centrales en mal d’interventionnisme ou de ces clubs de réflexion un peu trop parisiens dont Mme la ministre et ses amis du Gouvernement ont le secret !

M. Bernard Accoyer. Comme toutes les autres ! Des promesses et des mensonges, c’est facile !

M. Arnaud Robinet. En tout cas, cette idée ne vient pas du cœur de notre pays et encore moins des catégories les plus défavorisées. Bien sûr, vous me rétorquerez que les sondages montrent que les Français y sont très favorables. Mais comment ne pas répondre par l’affirmative à la question : « Voulez-vous aller chez le médecin sans sortir votre portefeuille ? » ?

M. Bernard Accoyer. Cela s’appelle de la démagogie !

M. Christophe Sirugue. Vous en savez quelque chose !

M. Arnaud Robinet. En adoptant ce dispositif, le Gouvernement a fait preuve avant tout de démagogie alors qu’il faut au contraire, en matière de soins médicaux, insérer davantage de responsabilité. Lorsqu’on sait que 28 millions de consultations ne sont pas honorées chaque année et que les délais de prise de rendez-vous constituent le premier problème en matière d’accès aux médecins, lorsqu’on connaît la rémunération outrageusement basse de la consultation en France,…

M. Gérard Sebaoun. De combien comptez-vous l’augmenter ?

M. Arnaud Robinet. …on comprend bien que la généralisation du tiers payant n’avait rien d’une priorité ! Enfin, permettez-moi, madame la ministre, de réitérer mes doutes sur l’applicabilité technique du dispositif. La généralisation du tiers payant n’entrera en vigueur que fin 2017, c’est-à-dire après les élections, lorsque vous n’aurez probablement pas à rendre compte de l’inefficacité de cette usine à gaz !

M. Gérard Bapt. C’est votre pronostic !

M. Arnaud Robinet. Vous vous montrez d’ailleurs tellement rassurante que vous avez prévu d’infliger des pénalités à l’assurance maladie si les médecins ne sont pas payés rapidement après les consultations ! Contrairement à ce que laisse entendre l’opération d’enfumage du Gouvernement, la généralisation du tiers payant risque donc d’aboutir à un coût supplémentaire. Alors même que cette mesure n’était guère attendue, son coût sera supporté par les cotisations voire par les impôts des Français ! Vous l’aurez compris, la première mesure de correction que nous proposons, c’est l’abandon de cette généralisation rigide et brutale imposée à tous les médecins !

Mais il en faudra davantage pour remettre la voiture en marche avant et stopper son recul, notamment en termes d’excellence. À cette fin, nous prônons une véritable réhabilitation des cliniques et du secteur privé en tant qu’acteur du service public hospitalier. La guerre entre hôpitaux et cliniques peut et doit cesser et leurs dirigeants y sont d’ailleurs tous disposés. Dans ma ville de Reims, nos concitoyens bénéficieront bientôt d’une offre de santé complémentaire, équitable et performante, associant la plus grande clinique de France d’une part et l’un des CHU les plus dynamiques d’autre part. En tant que président du conseil de surveillance du centre hospitalier universitaire mais plus encore en tant que maire, mon rôle est de relier ces deux structures en facilitant les synergies et non les rivalités ou les incompréhensions.

M. Gérard Sebaoun. C’est ce qui est écrit dans la loi !

M. Arnaud Robinet. Mon rôle est d’autant plus efficace que les professionnels entendent bien partager leurs agendas, mais encore faut-il que les responsables politiques y mettent un peu du leur ! Or vous faites exactement l’inverse à l’échelle nationale, madame la ministre. Vous donnez raison à cette élite hors-sol et pétrie d’idéologie qui place les dépassements d’honoraires et la rentabilité uniquement du côté des cliniques et l’accès aux soins pour tous uniquement du côté des hôpitaux publics. Ces élites en sont restées aux hôpitaux cathédrales qui s’imposent aveuglément et verticalement dans un territoire donné et sont les pièces d’un système ultra-centralisé ! Ne nous y trompons pas, cette vision est complètement dépassée !

Il est regrettable que nous ayons perdu quatre ans en matière de modernisation et d’efficience de la carte hospitalière. Il faut donc donner la possibilité aux établissements privés de participer pleinement au service public hospitalier, assouplir et harmoniser les règles des secteurs public et privé en matière de durée des autorisations accordées par l’agence régionale de santé et de changement de statut en ESPIC et favoriser leur relation. Certains dispositifs le permettent, notamment les groupements hospitaliers de territoire qui sont à mes yeux des outils de coopération indispensables au service de la modernisation des hôpitaux.

M. Gérard Sebaoun. Très bien !

M. Arnaud Robinet. Revenir sur la généralisation imposée du tiers payant et rompre avec le cloisonnement entre cliniques et hôpitaux que votre récente loi a aggravé, telles sont les deux principales voies de correction que nous proposons aux Français. Mais cette proposition de loi n’a pas seulement vocation à dire non et à s’opposer à des choix idéologiques. Comme je l’ai dit en introduisant mon propos, notre groupe entend bien tracer des perspectives. Il propose notamment d’explorer enfin deux domaines trop longtemps mis à l’écart, la réorganisation du parcours de soins et la prévention. Comment ne pas voir en effet que le parcours de soins a profondément évolué ? Comment ne pas s’attendre à de nouvelles transformations à l’aune du numérique et de la santé connectée ?

Le temps du tout-curatif assuré par le médecin de famille, des ordonnances à rallonge, des séjours hospitaliers et de l’absence de dialogue entre patients et médecins spécialistes et hospitaliers est révolu. Dans ces conditions, le rôle du législateur consiste à faire travailler ensemble autour du patient des professionnels de santé connectés qui connaissent leur mission et dont la rémunération tient plus à leur conseil qu’à la longueur des ordonnances qu’ils rédigent et à rendre les patients plus responsables et davantage acteurs de leur propre santé. C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour des plateformes territoriales d’appui à la médecine libérale afin d’éviter les ruptures dans le parcours de soins et d’assurer un meilleur maillage territorial de la médecine.

La mission de conseil au patient du médecin doit être renforcée. Le pharmacien ne peut plus se contenter d’être un débitant de produits de santé déconnecté du médecin généraliste. Le chirurgien ne peut plus opérer un patient sans mieux connaître les praticiens qui assurent sa rééducation et les soins de suite. En assurant ce lien entre acteurs du parcours de santé, nous traitons du fameux virage ambulatoire dont la Cour des comptes attend des économies de 5 milliards d’euros. Sans forcément atteindre ou dépasser ce chiffre, il est essentiel de placer la réorganisation et le renforcement de la cohésion de la chaîne curative au cœur des priorités du Gouvernement. En la matière, les mesures que vous avez prises depuis le début du quinquennat se sont révélées lapidaires et très insuffisantes, madame la ministre.

À l’évidence, vous auriez dû encourager le développement de la filière de la santé numérique et de l’open data en introduisant une dose de souplesse dans le fonctionnement du système de santé, au lieu de quoi la loi que vous venez de faire adopter fera stagner et même reculer la libération des données et leur partage entre professionnels. Il en résultera une fuite à l’étranger des entreprises innovantes, comme le rappelle d’ailleurs la Cour des comptes qui déplore que l’assurance maladie se comporte en propriétaire des données de santé et non en support technique.

La deuxième voie que nous comptons explorer est celle de la prévention. En France, moins de 6 % des dépenses de santé sont consacrées à la prévention des pathologies. Après avoir trop souvent mis le patient à l’écart de la chaîne de soins, après l’avoir plus souvent traité en malade ignorant qu’en patient impliqué et après en avoir payé le prix par des scandales sanitaires retentissants, notre système se doit de renforcer la culture de la prévention en matière de santé. Une vraie stratégie de prévention nécessite mieux que les bavardages du titre I de votre loi et suppose d’agir de concert avec les assurances complémentaires qui seront selon moi amenées à prendre le relais de l’assurance obligatoire dans les étapes précédant la réponse médicale.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Philippe Vitel. C’est une évidence !

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Arnaud Robinet. Tel est tout le sens des propositions du groupe des Républicains. Je sais bien ce que dit la majorité de cette proposition de loi, mais s’il faut supprimer les dispositions les plus idéologiques, nous le ferons !

M. Bernard Accoyer. Parce qu’elles sont dangereuses et irresponsables !

M. Arnaud Robinet. Notre objectif est de proposer aux Français un système de santé plus performant, plus efficient, permettant l’accès aux soins de l’ensemble de nos concitoyens et surtout…

M. le président. C’est votre conclusion, cher collègue.

M. Christophe Sirugue. La concision est une qualité !

M. Arnaud Robinet. …garantissant l’égalité entre le privé et le public qui fait la richesse du système de santé français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, du Médecin de campagne, de Balzac, au docteur Rieux, dans La Peste, de Camus, notre imaginaire collectif est bercé par ces figures symboliques de praticiens.

Encore aujourd’hui, les professionnels de santé appartiennent à notre quotidien. C’est d’abord la sage-femme, qui accompagne les premiers instants de la vie, puis le pédiatre, qui veille sur notre enfance, puis le médecin de ville ou de campagne, à l’écoute des maux de chacun et le pharmacien, qui nous prodigue les bons remèdes. Dans les moments de fragilité comme dans les moments plus heureux, c’est vers ces hommes et ces femmes que nous nous tournons.

Parce qu’ils accomplissent un travail incommensurable au service de la société, la représentation nationale ne doit jamais rater une occasion de leur rendre hommage. Malheureusement, au-delà d’une reconnaissance sincère, les professionnels de santé ont été traités d’une bien mauvaise manière par cette majorité depuis 2012. Et si l’agitation qui a précédé l’adoption de la loi de modernisation de santé est quelque peu retombée, la colère des praticiens reste vive sur nos territoires.

Ce texte aura été, à bien des égards, une immense déception tant pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants que pour l’ensemble de la communauté médicale. Attendu depuis le début du quinquennat, il devait pourtant apporter une réponse aux carences de notre système de soins. Or, près de six mois après son adoption, force est de constater que, malheureusement, cela n’a pas été le cas.

Témoignant de l’absence de courage du Gouvernement, des questions essentielles ont été passées sous silence, malgré près de quinze mois d’examen. Je pense notamment au rapprochement entre public et privé, à la carte hospitalière, à la répartition territoriale des établissements de santé et à leur modernisation, au financement durable, pérenne de l’accès aux soins, ou encore au reste à charge.

Pire, en imposant cette loi contre les premiers concernés, la majorité a oublié que ce sont eux les artisans et les garants de l’excellence de notre système de soins et qu’ils sont en première ligne face aux défis qu’il doit relever. Les professionnels de santé, et plus particulièrement les nouvelles générations, attendent de nouveaux modes d’organisation et d’exercice, permettant plus de souplesse et d’efficacité. Il faut en priorité s’atteler aux problèmes de structures, de moyens techniques et administratifs, favoriser la mobilité des médecins et expérimenter de nouvelles formes de rémunération.

Aujourd’hui, la proposition de loi de nos collègues Les Républicains – je salue le travail du rapporteur Jean-Pierre Door – est un premier pas pour moderniser notre système de soins et réconcilier les médecins et le politique. La première qualité de ce texte est d’apporter des mesures permettant un rééquilibrage entre le public et le privé. Au groupe UDI, nous soutenons un système public fort et un secteur privé performant, et nous restons persuadés que ces deux structures doivent travailler ensemble, non en opposition, pour une meilleure prise en charge du patient.

La loi de modernisation de notre système de santé a fait tout l’inverse en mettant dos à dos un système privé de santé et un système public, en excluant les établissements privés des missions du service public hospitalier.

M. Gérard Sebaoun. C’est faux !

M. Yannick Favennec. Depuis près de quatre ans, cette majorité a divisé l’hôpital public et les cliniques privés, alors que nous avons plus que jamais besoin de leur complémentarité.

Nous soutenons également sans réserve l’abrogation de la généralisation du tiers payant à l’article 2. Chacun s’en souvient, nous nous étions vivement opposés à cette mesure lors des débats à l’Assemblée. Cette généralisation constituait à nos yeux une triple erreur puisqu’elle prive le médecin de sa liberté, déresponsabilise les patients et dévalorise in fine les actes médicaux.

M. Christophe Sirugue. C’est faux !

M. Yannick Favennec. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi ce gouvernement a voulu à tout prix alourdir les démarches administratives et généraliser ce dispositif, alors que depuis de nombreuses années, des médecins appliquent, de manière spontanée, et quotidiennement, le tiers payant pour leurs patients, en fonction de leur situation personnelle.

Mme Jacqueline Fraysse. Il n’y avait donc pas de problème !

M. Yannick Favennec. La réforme des épreuves classantes nationales prévue à l’article 8 est également une mesure attendue et une revendication ancienne du groupe UDI. Depuis plusieurs années, nous demandons que soit substitué à l’examen national classant un internat régional, ce qui permettrait de mieux évaluer les besoins à l’échelle du territoire. Alors que 80 % des jeunes médecins s’établissent dans la région dans laquelle ils ont été formés, le concours de l’internat national favorise le déracinement d’étudiants de leur région de formation. Ce système entretient et aggrave la fracture médicale et les inégalités d’accès aux soins quand, en parallèle, les professionnels de santé restent peu enclins – et on peut les comprendre – à contribuer de leur fait au rééquilibrage de la démographie médicale.

Nous partageons avec nos collègues Les Républicains l’objectif de garantir l’égal accès aux soins pour tous. Il s’agit d’un acquis social essentiel, que l’on ne saurait remettre en cause et qu’il nous faut soutenir. Malheureusement, les débats en commission ont témoigné d’une méconnaissance des attentes du milieu médical de la part de la majorité. On ne peut que le regretter, le dogmatisme dont fait preuve une partie de la gauche empêche les débats. En déposant ce matin une motion, la majorité empêche une nouvelle fois que nous ayons un dialogue serein dans l’hémicycle sur ces enjeux, enjeux clés, pourtant, pour chacun de nos concitoyens.

Madame la ministre, permettez-moi de rappeler que mon département, la Mayenne, fait partie de ceux qui ont la plus faible densité médicale de France, avec l’Eure et l’Ain. Comment justifier qu’il faille compter 246 jours avant de pouvoir changer de lunettes – quand les ophtalmologues ne refusent pas, tout bonnement, de prendre de nouveaux patients ! – Le tiers payant devait permettre d’améliorer l’accès aux soins des plus fragiles, mais que proposez-vous aux Français qui ne peuvent plus se soigner faute de médecins ?

Le virage ambulatoire dont on parle tant semble n’être resté qu’un vœu pieu… La proposition novatrice de créer des centres ambulatoires universitaires est enfin une mesure concrète.

Nous en sommes bien conscients, cette proposition ne permettra pas de régler tous les maux de notre système de soins. Ce texte ne réglera pas le problème du financement et du coût de la santé. De même, plusieurs sujets comme l’innovation et la recherche ne sont pas abordés. Pour autant, il s’agit bien d’une première étape pour améliorer la performance de notre système de santé et redonner confiance en l’avenir. Aussi, le groupe UDI apporte un soutien convaincu et enthousiaste à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, notre assemblée examine ce matin la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Door et le groupe Les Républicains, portant sur l’avenir de notre système de soins. Ce texte, qui a vu ses douze articles supprimés lors de l’examen en commission, est une charge lourde contre des points clés de la loi santé du 26 janvier 2016.

Ce texte vise à redonner « toute sa place » à la médecine de ville, en revenant sur le tiers payant généralisé ou encore sur le rôle que l’Agence régionale de santé – ARS – tient dans la problématique concernant les communautés professionnelles de santé.

L’article 1er vise à compléter la définition des objectifs de la politique de santé en confiant à l’État un rôle de régulation de la concurrence entre les offreurs de santé et en rappelant le principe fondamental du libre choix. Il prévoit d’inscrire dans l’article L. 1411-1 du code de la santé publique, modifié par la loi Santé de 2016, le fait que l’État respecte le droit du citoyen au libre choix de son professionnel de santé et de son établissement de santé et, pour cela, garantit une mise en concurrence régulée entre les offreurs de soins, en ville comme à l’hôpital. Or l’article L. 1110-8 du code de la santé publique garantit déjà ce libre choix du patient.

L’article 2 revient sur la généralisation du tiers payant. Lors des discussions sur la loi Santé, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, par la voix de Dominique Orliac, l’a répété à maintes reprises : nous n’étions pas opposés au tiers payant généralisé mais nous en contestions la façon de le mettre en place. Effectivement, certains professionnels de santé se sont opposés à cette mesure et l’ont fait savoir lors de plusieurs jours de grève et de manifestations, avec les journées « santé morte ». Mais ce tiers payant est désormais une réalité, et si nous en contestions la méthode, nous le soutenons. Revenir en arrière n’aurait pas de sens. Vous comprendrez donc, chers collègues, que nous rejetterons les dispositions de l’article 2.

L’article 3 propose de revenir sur les modifications des conditions d’exercice des missions de service public hospitalier par les établissements de santé privés. Alors que vous dénoncez les rigidités que la loi Santé leur impose, notre groupe estime normal que les établissements privés qui exercent des missions de service public hospitalier en acceptent les règles et les contraintes.

Prévue à l’article 4, l’expérimentation sur cinq ans maximum de la transformation du statut juridique des établissements publics de santé en un statut d’association ou de fondation ne nous semble pas opportune.

L’article 5 porte sur la durée des autorisations accordées par les ARS aux établissements de soins. Vous souhaitez que cette durée soit la même pour tous les établissements, quel que soit leur statut. Comme l’a rappelé Bernadette Laclais en commission, cette mesure est superflue car l’article L. 6122-8 du code de la santé publique ne prévoit pas de différences de traitement selon le statut de l’établissement. Certes, il s’agit selon vous d’assurer une « meilleure sécurité juridique », mais un tel alourdissement législatif ne nous semble pas opportun.

Avec l’article 6, vous créez un nouvel outil, les « plateformes territoriales d’appui de la médecine libérale », en étendant à la médecine libérale les plateformes territoriales d’appui – PTA –, créées par l’article 74 de la loi Santé. Monsieur le rapporteur, vous avez déclaré en commission que les professionnels de santé – les médecins et les autres – seraient écartés de ces PTA. Pourtant, le décret d’application de l’article 74 fait actuellement l’objet d’une concertation. Laissons du temps au temps ; chacun doit prendre ses responsabilités et participer au débat, afin de défendre ses intérêts.

Avec l’article 7, votre objectif est de supprimer des décisions prises par les ARS en renforçant les communautés professionnelles territoriales de santé qui devraient être issues uniquement de projets venant du terrain et de la volonté des professionnels de santé, et non des ARS.

L’article 8 propose une régionalisation des épreuves classantes nationales en les remplaçant par des épreuves interrégionales, organisées en Île-de-France, dans le Nord-Ouest, le Sud-Ouest, le Sud-Est et le Nord-Est. Les places seraient définies pour chaque spécialité en fonction des besoins démographiques de la région.

Diverses dispositions portent encore sur la création de centres ambulatoires universitaire – article 9 –, ou encore sur l’autorisation, pour les pharmaciens qui délivrent des médicaments, d’accéder à l’historique de remboursement de médicaments d’un patient – article 10. Notons que le pharmacien dispose déjà du dossier pharmaceutique qui retrace l’historique de la délivrance des médicaments ; cette disposition est donc inutile.

Nous comprenons votre intérêt pour la remise d’un rapport gouvernemental au Parlement, prévue à l’article 11. Toutefois, cet article, qui concerne les conditions de mise en place d’un parcours de prévention en matière de santé tout au long de la vie donnant lieu à la signature d’un contrat conclu entre l’organisme compétent et l’assuré s’engageant à être acteur de son maintien en bonne santé, peut soulever des questions.

Cette mesure me fait penser à une question qui s’était posée en Suisse il y a cinq ans. Santésuisse, l’association regroupant les organismes de complémentaires santé prônait alors un système d’assurance « bonus-malus » : les personnes ne fumant pas, exerçant une activité physique et mangeant sainement devaient payer leur affiliation à leur mutuelle moins cher que celles mettant leur santé en péril. Cette responsabilité, en surface, peut sembler intéressante. Mais force est de constater que la politique de notre voisin helvétique est plus axée sur la prévention que le traitement. Dès lors, il nous semble plus intéressant de mettre en avant des mécanismes permettant le développement du plan « prévention » au sein du système de santé français.

Vous l’aurez compris, bien que le groupe RRDP se soit trouvé partagé sur la loi Santé, il ne soutiendra pas cette proposition de loi, tant sur la forme que sur le fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi pour l’avenir de notre système de soins, portée par le groupe Les Républicains, et dont l’ensemble du contenu a été supprimé par la commission des affaires sociales.

Je voudrais profiter de cette discussion générale pour revenir sur les dispositions que tente d’introduire ce texte et qui représentent de graves régressions. Nous partageons votre constat de l’urgence à moderniser notre système de santé qui ne répond aujourd’hui que très imparfaitement, et de moins en moins bien, aux besoins des populations. Je pense bien évidemment aux inégalités territoriales et à la désertification médicale, que votre rapport mentionne, mais également à une autre réalité que vous négligez alors qu’elle ne cesse de s’accentuer, celle du renoncement aux soins pour des raisons financières par près d’un de nos concitoyens sur quatre.

Par ailleurs, de nouveaux enjeux en santé publique apparaissent, comme le vieillissement et l’explosion des maladies chroniques, auxquels notre pays devra faire face et qui sont de taille.

Dans ce contexte, proposer de renforcer la libéralisation de l’offre de soins au détriment de l’offre publique de santé ne nous semble pas la bonne réponse pour adapter notre système de soins aux besoins actuels et futurs des populations.

La lecture en détail de l’ensemble des dispositions de votre proposition de loi révèle l’ampleur de cette logique, bien résumée dans son article 1er, et la remise en cause des quelques avancées de la loi Santé du 26 janvier 2016.

C’est ainsi le cas à l’article 2, qui supprime le tiers payant généralisé, mesure que nous soutenons si tant est que le Gouvernement veille à ce qu’elle ne pénalise pas financièrement les médecins et ne représente pas une surcharge de travail administratif au détriment du temps consacré aux patients.

M. Jean Leonetti. Et voilà !

Mme Jacqueline Fraysse. Nous la soutenons, même si nous craignons qu’une telle mesure ne renforce la place des complémentaires privées au détriment d’une prise en charge par l’assurance maladie, qui risque de s’amenuiser.

Je pense également à l’article 6 qui détourne de sa vocation initiale la création de plateformes territoriales d’appui. Conçues à l’origine pour coordonner de manière polyvalente et sur l’ensemble du territoire les différents acteurs de santé, elles seraient, selon votre texte, essentiellement centrées sur les besoins de la médecine libérale, ce qui ne me semble pas très cohérent, même dans votre logique puisque vous évoquez la complémentarité.

Dans la même perspective, les articles 3, 4 et 5 témoignent de votre volonté de soumettre au même fonctionnement les secteurs public et privé de santé, alors qu’ils n’ont pas les mêmes missions. Vous le savez parfaitement. Le secteur public, contrairement aux établissements privés, a notamment le devoir d’accueillir tous les citoyens, quels que soient leurs pathologies et leurs moyens financiers.

Enfin, les articles 8, 9 et 10 avancent des mesures concernant la formation des professionnels de santé pour inciter les futurs médecins à se former aux soins ambulatoires et régionaliser les choix d’affectation des étudiants. Le renforcement des soins ambulatoires est l’une des dispositions de la dernière loi de santé qui s’applique à l’ensemble des établissements. Si l’objectif de développer la chirurgie ambulatoire qui représente une médecine d’avenir, est louable, il ne peut être atteint sans le renforcement des moyens financiers et humains de nos hôpitaux publics, au moins pendant la phase de transition.

Ainsi, sous couvert d’une plus grande efficacité et d’une légitime recherche de proximité dans le traitement des patients, les orientations politiques que vous préconisez servent surtout à justifier le désengagement de l’État dans le financement des politiques publiques de santé.

Nous connaissons pourtant bien les conséquences, sur notre territoire, de cette politique du pilotage par les coûts, dont les agences régionales de santé sont les garantes. En 2009, lors de l’adoption de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé, et aux territoires – HPST –, si nous n’avons pas contesté l’objectif de territorialisation, nous avions d’emblée vu l’écueil et dénoncé les pouvoirs exorbitants des agences régionales de santé, véritables instruments autoritaires de réduction des moyens imposés aux territoires. C’est une situation dont se plaignent tant les médecins et les personnels des hôpitaux que bon nombre d’élus locaux. Les conséquences sanitaires de cette logique d’austérité sont désastreuses dans les territoires, comme je peux le constater dans ma circonscription, où l’ARS a pris la décision unilatérale, passant outre les règles administratives en vigueur et dans le déni le plus absolu de la démocratie sanitaire et sociale, de fermer d’ici l’été prochain la chirurgie conventionnelle et la chirurgie ambulatoire de l’hôpital de Nanterre, qui dispose d’ailleurs pour le moment d’une autorisation jusqu’en 2018.

M. Jean Lassalle. Que fait la ministre ?

Mme Jacqueline Fraysse. J’insiste sur cet autoritarisme car l’exemple de Nanterre est significatif : une ville en pleine expansion, située dans un bassin de vie dont la population souffre plus qu’ailleurs des inégalités sociales et territoriales, où la mortalité prématurée est significativement plus élevée que dans l’ensemble du département des Hauts-de-Seine, où l’accès à la prévention est extrêmement difficile, où le nombre de généralistes et de spécialistes libéraux est deux fois moins important que dans le reste du territoire.

Proposer, comme seule solution, d’étendre la médecine libérale et de faire reculer la place des établissements publics, ne peut constituer une réponse adaptée aux maux d’une ville comme Nanterre.

Notre démarche est diamétralement opposée à la vôtre.

M. Jean Lassalle. On ne dirait pas, avec Mme Touraine !

Mme Jacqueline Fraysse. Nous considérons au contraire qu’il faut rompre définitivement avec la logique de la loi HPST afin de donner à nos hôpitaux publics les moyens de se moderniser et de faire en sorte que les programmes de prévention soient concrètement mis en œuvre.

Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche voteront contre cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, nous examinons ce matin un texte concernant l’amélioration du système de soins. La vraie question, de mon point de vue, est de savoir si les malades seront mieux soignés après l’adoption éventuelle de cette proposition de loi. Je ne le pense pas vraiment.

L’égalité des soins passe par un service public hospitalier qui intègre à la fois l’hôpital public et l’hôpital privé. La réduction des dépassements d’honoraires et la garantie des permanences d’accueil sont autant de mesures susceptibles d’assurer l’égalité devant les soins pour l’ensemble de nos concitoyens.

Puisqu’Arnaud Robinet voulait tout à l’heure comparer bilan et projet, je serais tenté de mettre les bilans au pluriel : celui de la droite pendant dix ans, et celui de ce Gouvernement au bout de quatre ans. De ce point de vue, la comparaison est assez évocatrice. Vous voulez privatiser encore davantage le système alors que les résultats n’ont jamais été positifs. Sous vos bons auspices, l’inégalité d’accès aux soins n’a cessé de s’aggraver. À l’époque, 15 % de la population avait renoncé à se soigner pour des raisons financières et une personne sur seize n’avait pas de complémentaire santé, alors que la dette des hôpitaux passait, entre 2007 et 2014, de 15,9 milliards à 24 milliards d’euros.

M. Gérard Bapt. C’est bien de le rappeler !

M. Michel Liebgott. En moyenne, vous fermiez six maternités chaque année. En pleine crise, vous avez gelé les prestations sociales, déremboursé des médicaments, et créé ou augmenté les taxes sur la santé. Vous avez instauré des franchises médicales et le forfait hospitalier a augmenté de 6 % en 2010. C’est sans compter les dettes dont nous avons hérité, et que nous avons déjà, pour une large partie, épongées.

En effet, depuis 2012, le Gouvernement s’est attelé à réduire la facture mais aussi les fractures dans notre système de soins. Il a diminué de 70 % le déficit de la Sécurité sociale, dont il a hérité, sans déremboursement, sans franchise, avec une meilleure prise en charge des patients. Selon le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, récemment publié, le déficit de la branche maladie poursuit sa baisse et l’ONDAM ne devrait progresser que de 1,8 %, soit le taux le plus bas depuis 1998, période à laquelle nous étions au pouvoir.

Ce Gouvernement a régulé les abus dans l’offre de soins. Les dépassements d’honoraires, y compris à l’hôpital, ont été encadrés, dans l’intérêt des malades. La tarification à l’activité à l’hôpital a été supprimée car elle avantageait outrageusement une offre privée qui s’arrogeait des activités rentables et se débarrassait, cela va de soi, des lourdes contraintes d’accueil et de prise en charge, reléguées au service public, qui devait tout assumer.

M. Charles de La Verpillière. Quelle horreur !

M. Michel Liebgott. La lutte contre les déserts médicaux et l’accès aux soins est devenue une priorité de ce gouvernement. La généralisation du tiers payant, pourtant plébiscitée par la population, est un symbole que vous voulez abattre.

La prévention, la territorialisation, la coopération s’inscrivent également au cœur de la loi de modernisation de notre système de santé que nous avons adopté ici en décembre dernier. Le parcours de soins centré autour du médecin traitant est territorialisé et laisse encore plus d’initiative aux professionnels pour définir le projet de santé et travailler en équipe. Je m’en félicite. Les retours, sur le terrain, sont positifs. Il a été ainsi créé, dans mon département de Moselle, un groupement hospitalier de territoire dans l’esprit du service public hospitalier, y compris dans des secteurs où la coexistence d’hôpitaux d’origines diverses, privées, publiques mais également dépendants du secteur minier, compliquait la tâche. Nous avons réussi à travailler en partenariat avec la droite. Les élus, au niveau des départements, réussissent parfois à dépasser les querelles idéologiques et à s’entendre, dans l’intérêt du malade. De même, nous avons réussi, dans ma circonscription de Moselle, à sauver des hôpitaux dont votre majorité avait programmé la disparition. Il en a ainsi été de l’hôpital de Hayange, que nous avons intégré au centre hospitalier régional de Metz-Thionville, alors qu’il était un établissement privé à but non lucratif, et surtout en faillite !

M. Jean Leonetti. Nous n’avons jamais supprimé un seul hôpital !

M. Michel Liebgott. C’est dire si nous pouvons nous féliciter de l’orientation que nous avons prise, dont témoignent les réussites concrètes au sein de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de toute évidence, nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais, si nous ne partageons pas exactement la stratégie thérapeutique, nous pouvons au moins partager le diagnostic.

Convenons tout d’abord que nos concitoyens sont conscients qu’ils bénéficient en France d’un haut niveau de qualité de soins. Cependant, nous savons tous également que les inégalités territoriales et sociales persistent, que notre système de santé est assez mal coordonné entre le public et le privé et que le parcours de soins est souvent opaque pour nos concitoyens et pour les patients. Enfin, le déficit de l’assurance maladie reste lourd.

Les professions de santé connaissent un profond malaise. D’abord, les médecins ont le sentiment de ne pas faire le métier pour lequel ils ont été formés. Ils constatent que 30 à 40 % de leur temps est du temps administratif qui ampute le temps médical.

M. Guillaume Chevrollier et M. Jean Lassalle. Tout à fait !

M. Jean Leonetti. Les pathologies ont évolué. On est passé de maladies aiguës que l’on traitait par un acte à des maladies chroniques qu’il faut suivre sur des périodes plus longues, grâce à l’évolution de la science et de la médecine, qui a permis de sauver des patients sans totalement les guérir toutefois. Il faut donc une nouvelle organisation des soins au plus près de la vie de nos concitoyens, et comment le faire autrement que via le médecin traitant, dont je rappelle à la gauche qu’il est aussi désigné par l’horrible épithète de « libéral » ?

Le Gouvernement a depuis longtemps fait le choix de la méfiance vis-à-vis de l’ensemble des professions de santé. Il a fait le choix d’alourdir les tâches administratives. Il fait le choix du contrôle technocratique par les ARS. Il a fait le choix de la mauvaise loi.

M. Patrick Ollier. Sans aucun doute !

M. Jean Leonetti. C’est pour ces raisons que nous avons déposé cette proposition de loi.

Une nouvelle donne en santé est nécessaire. Il ne s’agit pas de faire la énième réforme de la santé, il ne s’agit pas non plus d’élaguer les propositions auxquelles nous nous sommes opposées lorsque vous avez défendu votre projet de loi : il s’agit de tirer des conclusions et de tracer des grands axes.

D’abord, peut-être pouvons-nous faire de la médecine le moteur d’une nouvelle croissance, d’une nouvelle forme d’innovation, d’une nouvelle façon de traiter et d’accompagner les patients. Vous avez choisi d’essayer de le faire contre les professionnels de santé…

M. Gérard Bapt. Mais non !

M. Jean Leonetti. …alors que, de toute évidence, rien ne se fera contre et rien ne se fera sans l’ensemble des professions de santé. C’est pourquoi nous sommes opposés au caractère contraignant de la mise en œuvre du tiers payant, méthode qui alourdit les tâches administratives et qui traduit une forme de méfiance à l’égard du corps médicale, lequel sait faire la part des choses devant le social.

En même temps, vous n’avez jamais mis en place les outils d’une véritable politique de prévention et de santé publique, en incluant par exemple les politiques environnementales.

M. Gérard Bapt. Manifestement, vous n’avez pas lu la loi santé.

M. Jean Leonetti. Il faut partir du service de proximité du médecin traitant, du médecin libéral, qui doit être mieux reconnu, mieux formé, et dont le travail doit être revalorisé. Et qu’on n’aille pas l’accuser de l’existence de déserts médicaux ! Nous sommes pour la liberté d’installation, et les déserts médicaux sont déjà des déserts tout court, des territoires oubliés de la République dans lesquels il n’y a plus aucune activité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean Lassalle. Très juste !

M. Jean Leonetti. Comment pourrait-on imposer à des médecins de s’installer là où il n’y a plus personne ?

M. Gérard Bapt. Là, M. Robinet ne va pas être d’accord !

M. Jean Leonetti. Le système hospitalier doit poursuivre – à condition que cela soit sur la base d’un véritable projet médical et non d’une contrainte des ARS – la stratégie de groupe. Cette stratégie, vous vous l’attribuez aujourd’hui, madame la ministre, et vous feignez de vous étonner que nous l’approuvions tout en nous opposant à la loi santé. Est-ce à dire que la stratégie de groupe ne figurait pas dans la loi HPST ? Rappelez-vous les propos que vous teniez alors sur les bancs du groupe socialiste : vous n’en vouliez à aucun prix ! Malheureusement, par dogmatisme, par amateurisme ou par incompétence, vous avez choisi d’exclure des pans entiers du secteur privé. Comment, par exemple, mener une politique régionale de lutte contre le cancer en excluant le système privé constitué par les centres anticancéreux ?

M. Sauveur Gandolfi-Scheit. Eh oui !

M. Jean Leonetti. Il faut inclure le secteur privé dans les missions de service public, à condition, bien sûr, que l’on exige de lui les mêmes contraintes que celles du service public hospitalier. C’est dans ce cadre que l’on pourra obtenir une meilleure coordination et non une concurrence stérile.

La France devrait également être à la pointe de l’innovation et se saisir de la chance que lui offre son savoir-faire de numérique et d’e-santé sous toutes ses formes.

Le financement et l’activité de l’hôpital doivent être assouplis. Oui, nous voulons plus de liberté. Nous voulons par exemple que les médecins hospitaliers en début de carrière soient mieux rémunérés. Et, puisque nous sommes favorables à une tarification à l’activité non pas dogmatique, mais qui reflète vraiment l’activité de l’hôpital, pourquoi ne pas intéresser les médecins à cette activité dont ils sont les principaux promoteurs ? Pourquoi des médecins se voient-ils proposer, après un ou deux ans d’exercice, des rémunérations deux fois supérieures à celles du public, et avec des contraintes moindres ?

Oui, c’est défendre l’hôpital public que de dire qu’il faut revaloriser la rémunération des médecins en début de carrière ! Oui, c’est défendre l’hôpital public que de dire qu’il doit être coordonné avec le secteur privé moyennant des contraintes égales ! Oui, c’est défendre l’hôpital public que de lui donner plus de souplesse et de liberté vis-à-vis de contraintes administrative dont la charge, sous la pression des ARS, est particulièrement importante dans la période actuelle !

Plus encore que des mesures, il s’agit d’un état d’esprit. Si vous n’avez pas voulu ou pas su réaliser la véritable modernisation du système de santé, c’est parce que vous pensez qu’il faut réformer dans la contrainte. Nous pensons, nous, qu’il faut moderniser dans la confiance. C’est là que se situe la vraie différence. Nous faisons confiance au système de santé et nous voulons lui donner plus de liberté et plus d’efficacité, alors vous pensez, vous, que la voie de l’efficacité est toujours celle de la contrainte. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons la proposition de loi de Jean-Pierre Door. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Bompard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers amis, nous discutions aujourd’hui de la proposition de notre collègue Jean-Pierre Door, qui se veut préparer l’avenir de notre système de soins.

La santé est aujourd’hui au cœur de notre pacte républicain. L’assurance maladie, mise en place en 1945, est l’un des piliers de notre démocratie sociale et les Français expriment fréquemment leur attachement à un système solidaire, égalitaire et de qualité.

Le rapport au monde de la santé a connu des modifications profondes à mesure que les patients, autrefois passifs face à la maladie, se sont progressivement métamorphosés en usagers et acteurs de leur parcours de soins. Cette modification historique nécessite, et en cela je suis d’accord avec l’analyse de Jean-Pierre Door, que notre système de santé soit capable de se moderniser chaque jour pour répondre aux évolutions de la demande de soins et aux progrès médicaux.

Vous faites le constat, monsieur le rapporteur, que notre système n’est pas à la hauteur des enjeux de demain, qu’il n’est pas prêt à relever et à affronter les défis qui se présentent à lui. Vous défendez à ce titre votre proposition de loi pour remédier à ces prétendues carences. Vous mettez en avant l’argument selon lequel la loi Santé défendue par Marisol Touraine s’est attachée à démanteler de manière minutieuse les fondements historiques de l’organisation du système de santé, tout en omettant de traiter les principaux dysfonctionnements. Sévère constat pour une loi qui se veut moderniser le système actuel !

Et pourtant, oui, notre système de santé a de l’avenir ! Oui, notre système de santé est prêt à relever les défis de demain ! Oui, notre système de santé est en mesure de répondre aux attentes des patients et à celles des professionnels du secteur !

Mais l’avenir, monsieur le député, ce n’est pas la suppression de la généralisation du tiers payant ! L’avenir, ce n’est pas la déconstruction point par point de ce que nous avons réalisé durant ce quinquennat ! L’avenir, ce n’est pas non plus, comme le proposent les multiples candidats à la primaire de la droite, la suppression de postes de fonctionnaires, suppression qui atteindrait en premier lieu le secteur de la santé !

La gravité et l’importance de la question de la santé exigent de notre part la recherche du consensus. Le cadre de ce débat doit être posé sereinement pour que l’intérêt général puisse transcender les intérêts particuliers. La santé est, nous en avons un nouvel exemple aujourd’hui, un point de clivage entre gauche et droite et constitue une vraie différence entre nos deux visions de la société.

Pour compenser la réduction des déficits, vous proposez le recours aux franchises médicales et le déremboursement, tandis que nous accomplissons la généralisation du tiers payant. Vous souhaitez remettre en cause les conditions de participation des établissements de santé privés au service public hospitalier, tandis que nous proposons une universalisation des règles de service public incluant les établissements privés de manière à garantir à tous le même niveau de soins en termes de qualité et de coût.

Pour synthétiser, vous proposez que les plus aisés bénéficient d’un accès privilégié à notre système de santé et vous laissez aux plus fragiles l’éventualité, s’ils en ont les moyens, de se soigner comme ils le peuvent, ajoutant ipso facto de la misère sanitaire à la misère sociale.

Vous l’aurez donc compris, si je partage avec le député Jean-Pierre Door la conviction que notre système de santé se doit d’être efficace et en mesure d’accompagner les évolutions de notre société, je suis en revanche en total désaccord avec les solutions mais également avec la méthode proposées.

Avec les solutions, car je considère que le seul axe qui doit guider notre action est la volonté de réduire les inégalités en matière d’accès aux soins. Ce n’est pas, selon moi, la philosophie de cette proposition de loi.

Avec la méthode, car le débat est trop important pour réduire la question, comme M. Door le fait dans la première partie de son rapport, à des mesures et des postures de principe qui ont pour seul objectif d’instrumentaliser l’opposition entre la gauche et la droite.

L’enjeu, pour la femme de gauche que je suis, est double : réduire les inégalités et permettre à chacun, aisé comme plus modeste, de se soigner dignement et avec le même niveau de qualité. À vos considérations financières, je préfère donc des exigences sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux tout d’abord rendre un hommage tout personnel mais très sincère à Jean Leonetti, qui s’est exprimé il y a quelques minutes, pour le travail extraordinaire qu’il accomplit sur la fin de vie et pour le formidable courage qui l’anime. Je crois qu’il fait honneur à la grande maison que nous avons nous aussi, toutes sensibilités confondues, l’honneur d’occuper pour quelque temps au nom de notre peuple.

C’est une semaine riche que nous bouclons aujourd’hui, une semaine telle que je ne pensais jamais en vivre à l’Assemblée. Nous avons commencé par renoncer à évaluer les bénéfices des multinationales les plus puissantes du monde, ce qui leur évite de payer en France plus d’impôt qu’elles n’en payaient jusqu’à présent – c’est-à-dire très peu. Quelques heures après, nous avons renoncé à mettre un peu d’ordre dans les très hauts salaires des nouveaux puissants de France, à savoir les très grands patrons. Il faut le comprendre : nous ne pouvions pas le faire au niveau mondial car nous risquions de mettre nos entreprises en difficulté ; nous ne pouvions pas le faire au niveau européen parce qu’une directive était en préparation ; nous ne pouvions pas le faire en France parce que nous encourrions, une fois de plus, les foudres du Conseil constitutionnel ; bref, nous n’avons pu le faire nulle part !

Cela ne nous a pas empêchés, vingt-quatre heures après, de décréter martialement que la pauvreté était hors la loi. La pauvreté, c’est 8,5 millions de personnes en France. Mais nous avons aussi décrété la pauvreté hors la loi à travers le monde. Le seul problème, c’est qu’il n’y a pas le moindre début de centime d’euro de recettes à mettre en face !

À peine étions nous remis de cet effort que nous avons décrété que l’accès à l’eau était absolument indispensable à tout être humain sur la surface du globale – surtout, hélas, aux centaines de millions d’êtres qui en sont privés de par le monde et à ceux qui en sont encore privés en France, ce qui est regrettable. Mais là encore, à part peut-être une petite reprise sur la mise en bouteille des eaux – à laquelle il a fallu renoncer car des petites sociétés auraient pu en souffrir –, nous n’avons pas pu mettre un centime en face.

Heureusement, nous avons érigé un plan sans précédent pour nos territoires ultramarins en pleine souffrance. Toujours sans mettre un euro en face !

S’agissant du texte dont nous sommes invités à débattre, je remercie le groupe Les Républicains d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour tant nous avons l’impression qu’il est abandonné par le Gouvernement. Pourtant, madame la ministre, si vous saviez combien j’ai cru en vous lorsque, à l’époque de l’examen de la terrible loi Bachelot, vous avez pris la parole au nom du groupe socialiste – j’ai retrouvé l’enregistrement intégral de vos propos – pour dire que le regroupement des hôpitaux sous l’égide des centres hospitaliers territoriaux était une erreur absolue.

M. Patrick Ollier. C’est vrai !

M. Jean Lassalle. Je croyais qu’une fois nommée au ministère de la santé, vous mettriez en œuvre ce que vous avez dit ce jour-là.

M. Patrick Ollier. Autre temps, autre position !

M. Jean Lassalle. Vous ayant entendu parler à maintes reprises du numerus clausus et du scandale qu’il constituait, je me suis dit : voilà enfin la ministre qui va nous permettre de sortir de cette mauvaise passe, nous qui avons tant innové, en France et à travers le monde. Sur ce point aussi, j’ai dû déchanter.

Je vous vois aussi à l’œuvre au Centre hospitalier d’Oloron. Certes, vous auriez pu agir plus mal, mais vous avez fait votre devoir, rien de plus.

Avec un art consommé, vous rappelez que c’est la faute de tous les gouvernements précédents si vous ne pouvez pas, aujourd’hui, mettre une politique de santé en place. Le problème est que nous y laissons beaucoup d’argent… Je n’aurais jamais imaginé qu’un gouvernement de gauche laisserait autant de millions d’euros dans les poches des plus puissants et nous disqualifie totalement sur ce que nous avons de plus sacré, après que nous avons gagné vingt ans d’espérance de vie. La santé est notre futur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Bompard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, depuis 1945, l’égalité d’accès aux soins, la qualité des soins et la solidarité sont les trois piliers sur lesquels repose notre système de santé, l’un des biens les plus précieux que les Français ont en partage. En tant que législateurs, nous avons pour mission de garantir ces droits fondamentaux à chacun de nos concitoyens.

Afin d’assurer la pérennité de notre système de santé, il est indispensable de le moderniser pour l’adapter, entre autres, aux évolutions de la demande de soins, aux progrès médicaux et aux évolutions de la science. Il est aussi indispensable de le faire reposer sur une organisation efficiente afin de permettre à chacun d’accéder à des traitements efficaces, même s’ils sont souvent très coûteux.

Or les réformes engagées à l’heure actuelle ne sont pas à la hauteur des enjeux de santé publique du XXIsiècle.

L’initiative récente de Mme Touraine de faire adopter une loi dite « de modernisation de notre système de santé » a été prise sans vraiment consulter les professionnels de santé – on ne peut pas dire que la concertation ait été au cœur du dispositif – ni prendre en considération leurs attentes. Cette loi a en outre davantage complexifié et alourdi un système qui grince, sans pour autant répondre à aucune des grandes problématiques auxquelles est confronté notre dispositif de santé. Ces défis, la proposition de loi du groupe Les Républicains, élaborée en totale concertation avec les acteurs concernés, s’attache au contraire à les relever.

Nous pouvons reprocher au système actuel d’être trop structuré autour de l’hôpital public – on peut aller jusqu’à parler d’hospitalocentrisme. Je suis, pour ma part, favorable à un système formé d’un secteur public fort et d’un secteur privé performant qui permette de répondre aux besoins de nos concitoyens et de prendre en compte la diversité des territoires.

C’est pourquoi nous proposons de mener une politique de santé adaptée aux besoins de chaque territoire, en fonction de sa population, de son histoire, de sa géographie, mais aussi de la structure de santé déjà existante. Les dispositifs législatifs doivent épouser la diversité des situations particulières, assurer l’équité entre les hôpitaux publics et privés, sortir de cet hospitalocentrisme et redynamiser la médecine de ville en incitant les jeunes médecins à exercer la fonction libérale, le tout en privilégiant la prévention durant le parcours de soins.

La proposition de loi que nous vous présentons vise à réaffirmer le principe du libre choix par le patient de son professionnel de santé. Elle revient sur la généralisation du tiers-payant afin de remédier à la complexité administrative et d’améliorer la performance du système. Laissons aux médecins la liberté de recourir au tiers payant lorsque c’est nécessaire ! Les populations qui en ont besoin n’en ont jamais été privées. Ces chicayas administratives ne grandissent pas notre système et mettent mal à l’aise les médecins.

C’est vrai, les médecins sont mal à l’aise. Ils n’exercent pas toujours le métier pour lequel ils ont été formés,…

M. Jean Leonetti. Très juste !

Mme Valérie Boyer. …les tâches administratives prenant souvent beaucoup de place dans leur activité quotidienne. Nous voulons faire confiance aux médecins, les libérer, les délivrer des multiples contraintes administratives dans lesquelles ils sont empêtrés – dont la gestion de plus de 600 mutuelles – afin de les replacer là où ils doivent être : au chevet des malades, à leur écoute !

La proposition de loi a pour ambition de rompre la logique consistant à écarter les cliniques et les hôpitaux privés de l’exercice des missions de service public. Nous souhaitons tous l’équité entre les secteurs public et privé, ces deux piliers de l’accès aux soins dont nous avons souvent vanté la complémentarité. D’ailleurs, pour des raisons historiques, le privé est parfois mieux représenté que le public dans certains territoires – par exemple en chirurgie, notamment ambulatoire –, en nombre d’établissements comme en termes d’offre de soins.

L’important est donc de conserver cette complémentarité. Après tout, tous les établissements fonctionnent avec le même argent, accomplissent la même mission.

M. Jean Leonetti. Et surtout, ils s’adressent aux mêmes malades !

Mme Valérie Boyer. En effet. Le système de santé que les Français ont choisi est quasi régalien et comporte deux piliers : le public et le privé. Pourquoi les opposer sans cesse ? Pourquoi avoir abandonné la convergence qui permettait à chacun d’exercer son activité en ayant le sentiment d’être au service du même public ? Lorsqu’ils choisissent un établissement, nos concitoyens se préoccupent peu de savoir quel est son statut. Ce qui leur importe, c’est d’être bien soignés.

Mme Jacqueline Fraysse. Et à un prix accessible, ne l’oublions pas !

Mme Valérie Boyer. Effectivement, chère collègue, mais le secteur privé le permet aussi.

M. Christophe Sirugue. Bien sûr !

Mme Valérie Boyer. Autre axe majeur, le virage ambulatoire. Longtemps évoqué, un peu comme une promesse lointaine, il doit être mis en pratique à travers la revalorisation des soins ambulatoires et l’extension des prérogatives accordées aux centres spécialisés.

Si la vision ambulatoire est absolument nécessaire, elle ne doit pas, toutefois, constituer un dogme. Le système ambulatoire n’est en effet pas adapté à certains publics tels que les personnes très âgées, qui nécessitent une prise en charge plus longue.

M. Jean Leonetti. Bien sûr !

Mme Valérie Boyer. Songeons également aux dérives auxquelles nous avons pu assister dans le domaine de la maternité : certaines parturientes ne passaient pas suffisamment de temps à la clinique ou à l’hôpital.

Néanmoins, l’effort ambulatoire doit être poursuivi.

J’en viens à cet autre axe important qu’est la médecine libérale de ville, dont la réorganisation est indispensable et doit être soutenue. Les médecins libéraux doivent pouvoir collaborer entre eux, se concerter et s’organiser en réseaux selon les besoins de leur territoire – je parle de réseaux constitués par les médecins eux-mêmes, non de ceux que pourraient imposer les mutuelles. La plateforme territoriale d’appui permettrait à cet égard d’assurer la prise en charge globale des patients.

Je voudrais pour conclure évoquer les maladies chroniques. Les malades au long cours nous obligent à repenser notre système de soins. De ce point de vue, le dossier médical peut jouer un rôle majeur en adossant le système de soins sur un suivi performant du malade.

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !

Mme Valérie Boyer. Un dernier mot, monsieur le président, sur la désertification médicale. Je souscris tout à fait aux propos de Jean Leonetti : si ces territoires sont désertés par les médecins, c’est parce que plus personne n’y vit !

M. Christophe Sirugue. C’est faux ! Ce que vous dites est absurde, regardez dans les quartiers !

Mme Valérie Boyer. Ce n’est donc pas en imposant à certains médecins de s’installer que nous réglerons le problème mais plutôt en permettant à des médecins d’exercer en fonction des besoins et en concertation avec les structures de soins déjà présentes sur le territoire.

Notre position novatrice consiste à soutenir les centres ambulatoires.

M. le président. Merci. Nous reviendrons sur ce point, ma chère collègue !

M. Gérard Sebaoun. Plus de sept minutes d’intervention !

Mme Valérie Boyer. Je voudrais enfin saluer le travail des pharmaciens, notamment en ce qui concerne le dossier médical. Ces actions dynamiques, ces professionnels de santé méritent eux aussi notre soutien. C’est ce que nous proposons dans ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y un plus d’un an, nous débattions déjà du projet de loi de modernisation du système de santé – et non du système de soins. L’opposition avait alors un fil rouge, la dénonciation tous azimuts du projet. Nos collègues du groupe Les Républicains, c’est leur droit, nous invitent à jouer les prolongations avec cette proposition de loi. J’y voyais un effet de l’Euro 2016 mais, après avoir écouté attentivement Arnaud Robinet, ce serait plutôt un regard très appuyé vers 2017.

Faut-il louer leur constance et leurs convictions, ou plutôt y voir une démarche opportuniste ? Je rappelle que nos débats, en première comme en seconde lecture, ont été longs, argumentés, parfois houleux, et que le Parlement a pleinement joué son rôle en contribuant à l’amélioration du texte. La majorité l’a voté parce qu’elle en partage et la philosophie et les réelles avancées, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les projets de loi.

Monsieur le rapporteur, vous plantiez le décor dès les premières lignes de votre projet de rapport, jugeant que notre système de santé était « à bout de souffle » et qu’il conviendrait d’assurer une concurrence équilibrée entre les différents offreurs de soins. Nous divergeons sur au moins trois points que j’aborderai succinctement.

Le premier concerne votre réaction presque pavlovienne contre le service public hospitalier – dont vous doutez manifestement, ce qui m’étonne – quand le privé est au contraire l’objet de toutes vos attentions. Dénonçant un système « hospitalocentré » qui exclue la plupart des cliniques privées, vous nous proposez avec l’article 3 une solution radicale, la suppression du service public hospitalier, pour en revenir à la loi HPST de 2009.

Le deuxième est votre critique du rôle des agences régionales de santé – que pourtant vous avez contribué à créer –, dont vous contestez l’intervention en dernier recours en l’absence de communauté professionnelle territoriale. N’est-ce pas, là encore, un propos de circonstance qui sert simplement à nourrir l’idée d’une administration toujours plus rigide et inefficace ?

Le troisième point, sur lequel je vais m’attarder, est votre vision à mon sens dépassée de l’exercice de la médecine libérale. Vous faites mine de voir dans la loi Santé un bouleversement des principes de l’exercice libéral, alors que ces derniers ne sont nullement concernés.

Ainsi, le premier principe, celui du libre choix du médecin par le patient, n’est pas du tout remis en question, sauf à épouser les faux arguments de ceux qui mènent un combat idéologique.

Le deuxième principe, la liberté de prescription, n’est pas davantage concerné. Qui peut être opposé, par exemple, au développement de l’aide à la prescription, qui est devenue indispensable ? Comme la professeure Agnès Buzyn, présidente de la Haute autorité de santé, nous l’a utilement rappelé hier, l’article 143 de la loi santé prévoit l’établissement de listes préférentielles de médicaments au regard des recommandations de bonne pratique. Ces listes, qui sont en cours d’élaboration, ne seront pas opposables, mais les médecins seront évidemment incités à les suivre. C’est un progrès.

Le troisième principe est celui de la liberté tarifaire, mais celle-ci a depuis très longtemps laissé place à la négociation conventionnelle, laquelle est d’ailleurs en cours ; quant aux honoraires libres, nous avons contribué à mieux les encadrer.

Enfin, le quatrième principe, le paiement à l’acte, n’est nullement menacé et n’a, répétons-le une nouvelle fois, rien à voir avec la généralisation progressive du tiers payant, sauf à tenter de créer à tout prix de la confusion, et c’est ce que vous faites.

Je reviens pour terminer sur les propos tenus par la présidente du Syndicat national des jeunes médecins généralistes au début de l’année 2016, dans lesquels elle insiste sur la nécessaire revalorisation de la médecine générale et une meilleure protection sociale des médecins. J’y souscris. Elle indique que « Les Jeunes médecins ne souhaitent pas forcément du tout-paiement à l’acte, mais veulent une diversification des modes de rémunération ». On ne peut qu’être d’accord.

Elle relève en outre le succès du praticien territorial de médecine générale et ajoute que « Les jeunes médecins ne sont pas fainéants, ils ne refusent pas de travailler mais ils veulent le faire différemment et sans prendre des risques pour eux-mêmes ou pour leur famille ». Et elle poursuit : « Nous avons conscience que le paiement à l’acte est à bout de souffle ». « Cela deviendrait insupportable si la contrainte était trop forte. J’irais alors vers le salariat ». Ces propos lucides doivent nous amener à nous poser des questions.

La loi de modernisation de notre système de santé a posé un cadre et nous a dotés de nouveaux outils avec, entre autres, la volonté d’améliorer l’accès aux soins au plus près des territoires, d’améliorer la prévention et d’organiser une meilleure prise en charge des patients grâce à une coordination ville-hôpital, devenue indispensable.

Nous devons rester vigilants à son application, mais pour cela, chers collègues de l’opposition, il faut d’ores et déjà lever le nez du guidon électoral. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, plusieurs d’entre vous ayant déjà évoqué en commission ou dans cet hémicycle ce qu’on peut retenir de la proposition de loi, j’orienterai mon propos vers les interrogations que me suggère le texte, que je considère comme un véritable acte manqué.

Étant donné que chacun connaît l’engagement de notre rapporteur sur ces questions, qui appelle le respect, et que personne n’oublie ses prises de position extrêmement fortes lors de l’examen du projet de loi de modernisation du système de santé, je ne peux m’empêcher d’essayer de comprendre les messages que ce texte nous envoie.

Même si, quand la ministre s’exprimait, j’entendais sur les bancs de droite « 2017 ! 2017 ! 2017 ! », il n’en demeure pas moins que nos collègues ont déposé une proposition de loi. Par ce geste, on peut imaginer qu’ils ont voulu envoyer des messages.

Ceux-ci sont pour le moins inquiétants.

Le titre, compte tenu de la compétence du rapporteur, n’est pas anodin : « Pour l’avenir de notre système de soins ». Il ne s’agit donc pas du système de santé. Pour tous ceux qui connaissent un peu ces questions, les mots ont un sens.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Christophe Sirugue. Ce qui se cache derrière cette formulation, c’est le renoncement annoncé aux politiques de prévention.

Voilà pourquoi, chers collègues, vous ne mettez pas en avant, dans la proposition de loi, la suppression de mesures que vous avez combattues sur l’IVG, les salles de consommation à moindre risque ou le paquet neutre. Mais nous l’avons bien compris : en 2017, si vous obteniez la majorité, vous les dévitaliseriez, vous les assécheriez, comme vous l’avez fait dans les régions que vous avez conquises récemment, où, sans le dire, au moment des échéances, vous avez participé à la disparition de politiques de prévention essentielles.

Tout aussi inquiétant est le message que vous envoyez sur le rejet de la généralisation du tiers payant. Par aveuglement, j’insiste : par aveuglement, vous refusez de voir que nombre de nos concitoyens freinent leur accès aux soins en raison du coût. Je ne parle pas que des plus pauvres. Nous le savons : tous ceux qui rencontrent des difficultés diffèrent leur accès aux soins. Or toute action de ce type renforce inévitablement le coût de la prise en charge. Ignorer cet élément, réduire la généralisation du tiers payant à une question idéologique me paraît une erreur fondamentale quant à la politique de santé que nous devons développer.

J’entends un troisième message inquiétant. Lors des interventions, nous entendions sur les bancs de droite le mot : « Étatisation ! Étatisation ! ». Mais ceux qui le prononçaient sont ceux qui, le mardi ou le mercredi, interpellent la ministre en s’inquiétant de la diminution des moyens de l’État tantôt pour un hôpital, tantôt pour un centre de soins, tantôt pour une politique publique particulière.

Oui, ceux qui prétendent qu’il ne faut pas étatiser sont ceux-là même qui, du haut de cette tribune ou depuis leurs bancs, interpellent l’État sur la diminution des moyens !

En réalité, je crois à la nécessité d’une cohérence entre les règles du service public, qui s’appliquent à tous ceux qui relèvent de sa définition, qu’ils soient dans le secteur public ou privé. Par ailleurs, il faut poser, en ces termes, la question des politiques privées lucratives, qui méritent à l’évidence d’être distinguées, car l’amalgame entre lucratif et non-lucratif, qui a été fait tout à l’heure, me paraît particulièrement préjudiciable.

Vous envoyez enfin un quatrième message. À cet égard, je me réjouis de la position nouvelle de notre collègue Jean Leonetti, qui vient d’annoncer à la tribune – le procès-verbal en attestera – qu’il faut aller jusqu’à imposer l’implantation des médecins.

Sur cette question toutefois, il serait prudent de ne pas adopter une vision trop alpes-maritimes que ! Affirmer que le problème ne se pose que là où il n’y a pas d’habitants, c’est ignorer que dans les quartiers – j’en suis témoin – et dans les villes, nous rencontrons une difficulté pour implanter des médecins,…

Mme Jacqueline Fraysse. Tout à fait !

M. Christophe Sirugue. …une difficulté de démographie médicale.

L’approche suggérée par M. Leonetti est extrêmement centrée. Peut-être est-ce là encore un acte manqué.

En tout état de cause, nous le voyons : ces messages qui nous sont adressés sont partiels et partiaux. Ils sont préoccupants pour l’avenir de notre système de santé.

Parce que nous avons l’ambition d’un système de santé fort, la majorité a présenté et voté une loi. Le moment n’est pas venu de la détricoter.

Bien évidemment, chers collègues, je vous invite à ne pas voter la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, puisque Mme la ministre des affaires sociales et de la santé n’est plus là,…

M. Gérard Bapt. Le secrétaire d’État représente le Gouvernement !

M. Gilles Lurton. …madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue, Jean-Pierre Door, rapporteur de cette proposition de loi « Pour l’Avenir de notre système de soins », ainsi que tous mes collègues qui ont participé à son élaboration.

Nous vous proposons aujourd’hui un texte de bon sens centré sur la liberté de choix des patients en matière de santé, un texte qui responsabilise les patients et les place au cœur de notre dispositif de santé, un texte qui privilégie la prévention au traitement de la maladie, un texte qui est le fruit de nombreuses auditions et d’une concertation avec toutes les professions de santé. Nous avons voulu par cette concertation briser la fracture que vous avez créée avec l’ensemble de ces professionnels et les réconcilier avec notre système de santé, alors que la loi de modernisation de notre système de santé a constitué pour eux une véritable défiance.

Ce texte revient dans son article 2 sur la généralisation du tiers payant. Jean-Pierre Door a rappelé toutes les raisons justifiant la suppression immédiate de cette mesure, qui continue d’opposer les professions médicales à votre Gouvernement. Je me souviens très bien avoir cité, le 17 décembre dernier, lors de l’adoption définitive de la loi, l’article L. 162-2 du code de la Sécurité sociale, qui dispose que le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré, notamment, conformément aux principes déontologiques fondamentaux, par le paiement direct de l’acte par le malade.

En commission des affaires sociales, le mardi 7 juin 2016, votre majorité a cru bon de déposer un amendement tendant à supprimer l’article 2 de la proposition de loi. Pourtant, des aménagements au tiers payant auraient pu être envisagés. Nous aurions souhaité en discuter.

Le texte traite aussi de problèmes essentiels auxquels, depuis quatre ans, vous n’avez pas apporté de solutions. Je pense plus particulièrement aux déserts médicaux, de plus en plus nombreux dans notre pays. Oui, contrairement à ce qu’a affirmé la ministre il y a quelques instants, la proposition de loi parle bien des déserts médicaux. C’est d’ailleurs tout le sens de mon intervention, axée sur des articles 6, 8 et 9.

Nous le savons tous : depuis des décennies, les études de médecine sont quasi exclusivement orientées vers l’hôpital et n’incitent pas les étudiants à s’intéresser à ce qu’est réellement la médecine libérale. Les conséquences en sont aujourd’hui évidentes. Le nombre de médecins généralistes a diminué de 8,4 % entre 2015 et 2016, et la situation risque de ne pas s’améliorer.

L’article 8 propose pourtant une solution innovante : faire basculer les épreuves de l’internat, qui clôturent le second cycle des études de médecine, vers des épreuves interrégionales où le nombre de place pour chaque spécialité varierait en fonction des besoins démographiques de cinq grandes interrégions : Île-de-France, Nord-Ouest, Sud-Ouest, Sud-Est et Nord-Est.

Cette répartition devra tenir compte des besoins de la population, de la nécessité de remédier aux inégalités géographiques ainsi qu’aux capacités de formation des établissements concernés. L’article 9 complète cette proposition en créant des centres ambulatoires universitaires.

Oui, cher Jean-Pierre Door, je partage votre sentiment que les étudiants en médecine sont enfermés au sein de l’hôpital. Nous devons leur permettre de compléter leur formation par une pratique dans les maisons médicales, sur les plates-formes territoriales ou auprès des médecins généralistes.

De même, nous devons consacrer plus de moyens à la formation et à la recherche en soins ambulatoires, domaine dans lequel nous accusons d’importants retards. Au reste, je pense, comme Valérie Boyer, que les soins ambulatoires ne sont pas forcément adaptés à tous.

Ces deux mesures s’associent parfaitement à l’article 6 qui propose la création de plates-formes territoriales d’appui à la médecine libérale. Ces plates-formes ont pour objectif de simplifier l’organisation territoriale des soins grâce à une gouvernance partagée entre acteurs et usagers. Elles sont un outil très souple qui s’adapte aux situations complexes nécessitant, selon les cas, l’intervention de plusieurs catégories de professionnels de santé.

Laissez la liberté d’organisation aux signataires des conventions et vous placerez les médecins au cœur du dispositif.

Le texte offre des solutions intelligentes à la problématique des déserts médicaux et fait du médecin de ville un rouage essentiel et stratégique de l’orientation du parcours de santé de ses patients. Je ne comprends toujours pas vos amendements de suppression, alors que nous vous apportons une solution à un problème que personne n’a résolu jusqu’à présent. Au moins, discutons-en !

Hier après-midi, j’ai eu l’occasion, avec quelques-uns de mes collègues de la commission des affaires sociales, de visiter l’Agence nationale de santé publique créée par la loi de modernisation de notre système de santé et fusionnant trois agences : l’Institut de veille sanitaire ou InVS, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ou INPES, et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ou EPRUS.

Nous avons abordé la politique de prévention et la politique curative. Le directeur de l’Agence a insisté sur la nécessité d’abandonner progressivement le curatif et de s’orienter plutôt vers une politique préventive. C’est ce que vous propose ce texte dans son article 11, et je soutiens totalement cette démarche.

Je ne connais qu’un seul moyen de mettre en place une politique préventive en matière de santé : faire de chaque français l’acteur de son parcours de prévention tout au long de sa vie.

La proposition de loi contient donc plusieurs avancées susceptibles de redonner confiance dans notre système de santé. Elle est cohérente dans son ensemble et facilitatrice dans beaucoup de situations.

En conséquence, mes chers collègues, je vous incite fortement à la voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, qui représentez le Gouvernement, mes chers collègues, vous nous conviez aujourd’hui, monsieur le rapporteur, à un exercice de style.

Mme la ministre nous l’a bien expliqué : sans oser aller jusqu’au bout de votre contestation de la loi de modernisation de notre système de santé, que nous avons votée récemment, vous essayez d’enfoncer quelques coins. Nous ne doutons pas que la perspective électorale prochaine soit votre principal moteur.

Néanmoins, la formulation de l’article 1er : « La politique de santé est fondée sur la recherche de l’efficience et sur la concurrence », même « régulée par l’État entre les offreurs de services de santé » nous amène à nous interroger.

Soit on considère que notre service de santé est déjà divers, et en quelque sorte fondé sur la concurrence par le libre choix du patient, soit vous avez retenu votre plume et vous voulez véritablement mettre en concurrence tous les offreurs de systèmes de santé, jusqu’aux organismes d’assurance maladie de base, comme cela se pratique dans certains pays libéraux et comme l’ont proposé certains économistes libéraux, qui vont jusqu’à mettre en concurrence, entre elles, les caisses primaires d’assurance maladie. Cet article 1er suffirait à motiver notre opposition.

L’article 2 paraît superfétatoire. Il essaie de ranimer, à la veille d’une échéance électorale, des craintes qu’ont suscitées chez les médecins libéraux, déjà chargés de tâches administratives certainement trop lourdes, la mise en œuvre du tiers payant généralisé.

Mais un tiers payant généralisé n’est pas un tiers payant obligatoire, monsieur le rapporteur : supprimer l’obligation ne supprime pas la possibilité pour le médecin libéral d’offrir la dispense d’avance de frais. Mme la ministre l’a rappelé, les catégories les plus populaires, les plus pauvres, sont prises en charge intégralement et ont donc obligatoirement accès au tiers payant. Prochainement, les bénéficiaires de l’aide à une complémentaire santé en bénéficieront aussi, de même que pour les soins liés à la maternité ou les mineures s’agissant de l’accès à la contraception. Au-delà, il s’agit plus d’une ardente exigence pour un certain nombre de catégories de population qui sont confrontées à une incontestable difficulté financière dès qu’ils consultent un spécialiste ou qu’il y a nécessité d’un acte technique, dont le coût dépasse aisément la centaine d’euros.

Il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une ardente exigence. Après tout, la sanction sera imposée par les patients eux-mêmes, qui pourront choisir en fonction de la générosité avec laquelle le médecin libéral mettra en pratique cette ardente exigence.

Il est incompréhensible, monsieur le rapporteur, que vous proposiez des plateformes territoriales d’appui du monde libéral, alors que le principal problème que nous rencontrons dans l’organisation de notre système de santé est celui du cloisonnement et des concurrences inutiles. Pourquoi dire que les médecins libéraux seront a priori exclus de l’organisation des plateformes d’appui territoriales ?

M. Philippe Vitel. C’est la loi qui le dit !

M. Gérard Bapt. Pourquoi considérer qu’il ne sera pas fait appel à des médecins, à des spécialistes, et que les agences régionales de santé excluront a priori la médecine libérale du service rendu dans les cas complexes ou, par exemple, les maladies rares ? Les doublons aggravent inutilement les cloisonnements et les coûts.

Enfin, il est regrettable que vous n’abordiez l’accès à la prévention et à la préservation du capital santé qu’à travers l’article 11, avec les contrats de prévention. Un contrat engage ses deux signataires, monsieur le rapporteur. On comprend que l’organisme d’assurance maladie s’engage sur un certain nombre de prestations, qui peuvent aller de la petite enfance jusqu’à la fin de vie. Mais pour l’assuré, soit le contrat est simplement un carnet de santé ou un dossier médical personnel enrichi, qui tient notamment compte de l’exposum, notion de santé environnementale introduite dans le titre I de la loi de modernisation de notre système de santé, soit il pourra conduire à des sanctions s’il n’est pas respecté. Cela existe déjà dans certains pays, notamment de l’est : si le poids du patient n’évolue pas dans le bon sens ou que sa glycémie n’est pas fixe, si certains examens ne sont pas satisfaisants, le remboursement est compromis.

Voilà pourquoi nous exprimons de fortes craintes quant à cet article 11. Ce ne sont pas les sanctions, mais l’éducation à la santé et la promotion de la santé qu’il faut développer dans le cadre d’une politique de santé qui ne se limite pas, comme le fait votre proposition de loi, au système de soins. Le groupe socialiste, écologiste et républicain rejettera donc ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

(M. François de Rugy remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. François de Rugy

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi concernant l’avenir de notre système de soins présentée par l’opposition. Cette proposition de loi intervient à peine cinq mois après l’adoption de la loi de modernisation de notre système de santé qui, je le rappelle, répond à des défis essentiels auxquels notre système de santé doit faire face : le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques et les difficultés d’accès aux soins.

La réforme que nous avons adoptée est structurante et se décline autour de trois axes forts : la prévention, l’innovation et l’égalité d’accès de tous à des soins de qualité. Les chiffres récents des comptes de la Sécurité sociale démontrent que les choix de la ministre en termes de santé publique produisent des résultats. Ainsi a été réduit de près de 70 % le déficit que nous avait légué la majorité de droite. Ces économies ont été faites sans que les droits des malades ne soient remis en cause, sans déremboursement et sans que le reste à charge des patients n’augmente – il a même diminué, évitant que des Français ne récusent des soins pour des raisons de ressources insuffisantes.

Contrairement à ce que proposent les candidats à la primaire de la droite, nous rééquilibrons les comptes sans remettre en cause les fondements de notre système de santé, notamment son caractère solidaire. Nous confirmons notre attachement à la liberté laissée au malade comme à celle du médecin. Nous n’envisageons nullement la réduction des effectifs des personnels soignants dans nos hôpitaux.

Alors que les dépenses d’assurance maladie progressaient de près de 6% il y a une dizaine d’années, nous avons ramené cette progression à 2 % en supprimant les actes inutiles, en améliorant la définition de la pertinence des actes et des soins, en renforçant la prévention, en accélérant la transition vers l’ambulatoire et en mutualisant les moyens, par exemple grâce à la création des groupements hospitaliers de territoire.

Ce que nous présentent dans cette proposition de loi M. Door et ses collègues n’est ni plus ni moins qu’une succession de mesures qui ne s’inscrivent pas dans une vision d’ensemble de notre système de soins, et encore moins de notre système de santé. Si l’on peut se féliciter qu’elle ne revienne sur aucune des mesures de prévention que nous avons soutenues, tels le paquet neutre, les salles de consommation à moindre risque ou encore la lutte contre l’obésité, elle ne propose pas de progrès de la politique de prévention. Surtout, elle souhaite revenir sur des mesures emblématiques de la loi du 26 janvier 2016 : le tiers payant généralisé et le service public hospitalier.

Je veux rappeler ici toute l’importance de ces dispositions. Depuis 2012, l’amélioration d’un accès plus égalitaire aux soins de tous les Français est une priorité. De nouvelles mesures allant dans ce sens ont été prises, comme l’encadrement des dépassements d’honoraires, le relèvement des plafonds de l’ACS et de la CMU-C, la suppression des franchises médicales pour les plus modestes ou encore la mise en place progressive d’un accès universel au traitement de l’hépatite C. Le tiers-payant généralisé s’inscrit pleinement dans cette volonté et constitue une avancée sociale majeure. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Permettre aux Français de ne plus avancer de frais, c’est mettre un terme au renoncement aux soins pour des raisons purement financières. C’est aussi répondre à leur légitime souhait et les mettre au diapason de très nombreux autres Européens.

Les médecins libéraux ont exprimé des inquiétudes, souvent légitimes, et celles-ci ont été entendues. Des garde-fous sont venus compléter le dispositif et une mise en œuvre plus progressive de celui-ci a été adoptée.

Vouloir supprimer cette mesure n’a pas beaucoup de sens et relève, selon moi, d’une volonté purement idéologique et électoraliste, sans réelle prise en compte de l’objectif premier qui doit guider toute politique de santé : permettre à tous de se soigner. Vous imaginez, par la suppression du tiers payant et un retour en arrière, responsabiliser les malades. Mais celui qui sait si un examen clinique, si des examens complémentaires et des traitements sont nécessaires n’est pas le malade : c’est le médecin. Vous n’obtiendriez donc qu’un seul résultat, écarter de la possibilité de soins les jeunes et les populations de la frange inférieure des classes moyennes.

La deuxième mesure phare sur laquelle souhaitent revenir nos collègues est le service public hospitalier, notion qu’ils avaient déjà supprimée en 2009 au grand dam de la communauté des professionnels de santé de l’hôpital public. La ministre a fait le choix de réintégrer cette notion tout en l’accompagnant d’un bloc d’obligations. Comment accepter que certains établissements revendiquent ce label tout en n’honorant pas les principes d’absence de dépassements d’honoraires, de la permanence de l’accueil ou encore de l’égalité d’accès de tous les patients aux soins ? Se réclamer du service public, c’est avant tout respecter un certain nombre de valeurs et d’obligations, et beaucoup d’établissements de santé privés le font et travaillent en bonne intelligence avec les établissements publics.

M. Door souhaite également régionaliser les épreuves classantes. Puisque lutter contre les inégalités territoriales est un objectif partagé, nous ne pouvons soutenir une mesure qui reviendrait à créer une rupture d’égalité entre les régions.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Jean-Louis Touraine. À une régionalisation des épreuves classantes, nous préférons la modulation du numerus clausus en fonction des besoins de santé de chaque territoire. Cette disposition sera mise en place dès cette année, en relation avec les acteurs locaux.

Pour terminer, je souhaite adresser un message à nos collègues de l’opposition. Il serait bon, dans un contexte de crise de la représentation politique…

M. Alain Chrétien. Crise de la gauche !

M. Jean-Louis Touraine. …qu’ils cessent d’être dans une stratégie de démolition permanente de tout ce que fait la majorité et qu’ils soutiennent, de manière constructive et responsable, les mesures mises en place pour lutter contre les inégalités, quitte à en proposer de nouvelles ayant le même objectif, plutôt que d’envisager un retour en arrière vers davantage d’inégalités. Cela sera bénéfique non seulement pour les soins, mais aussi pour la santé de nos concitoyens, un objectif que, j’en suis sûr, nous partageons tous.

M. le président. Merci de conclure.

M. Alain Chrétien. Crise du chronomètre, aussi !

M. Jean-Louis Touraine. M. Robinet a parlé deux minutes et demie de plus. Je n’en suis pas encore là !

M. Christophe Sirugue. Certes, puisqu’il a parlé huit minutes !

M. Alain Chrétien. Là, nous sommes à sept !

M. Jean-Louis Touraine. Cela sera également favorable à l’amélioration de l’image de l’action publique.

M. le président. Il est temps de conclure. Vous avez en effet dépassé votre temps de parole, cher collègue.

M. Jean-Louis Touraine. Dans sa présentation actuelle, cette proposition de loi ne peut être acceptée, et je souscris par avance à la motion de rejet préalable que défendra dans un instant Mme Laclais. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. J’invite chacune et chacun à respecter son temps de parole, afin que nous puissions examiner correctement l’ensemble des propositions de loi dans le temps qui nous est imparti.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme le disait M. Sirugue, les mots ont un sens, et parler d’un système de soins n’est pas tout à fait parler d’un système de santé.

Je me félicite que nous ayons pu aller visiter à quelques-uns, M. Lurton l’a rappelé, la nouvelle agence de santé publique, Santé Publique France, qui sera un bel outil de prévention. Notre pays est en retard, même si beaucoup a été fait, notamment depuis 2012 et dans la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016.

Au regard de ce manque de prévention, je suis étonnée qu’aucun des orateurs n’ait fait référence au rapport de la Cour des comptes sur les défaillances de l’État vis-à-vis de la politique menée contre l’alcoolisation de nos concitoyens. Ce rapport est sorti cette semaine. Je vous invite à le lire : il est édifiant.

Permettez-moi maintenant d’adresser un message à l’opposition. Je respecte le rapporteur et son travail. Nous avons conduit un travail commun sur la permanence des soins, et notre rapport a été voté à l’unanimité par la commission. Même si nous avons parfois des divergences, je ne vous reprocherai donc pas de ne pas vous investir dans la santé de nos concitoyens, monsieur Door. Néanmoins, j’appelle l’opposition à clarifier ses positions vis-à-vis des médecins et de leur installation.

Deux propositions de loi ont été déposées par l’opposition depuis 2012. La première, défendue par M. Philippe Vigier à l’automne 2012…

M. Gérard Sebaoun. On s’en souvient !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …réclamait de la coercition et non de l’incitation. La seconde a été déposée le 18 février 2015, et nous n’avons pas eu l’occasion d’en débattre. Elle est signée de MM. Élie Aboud et Jean-Louis Costes, Mme Bérengère Poletti, M. Francis Vercamer, tous membres de la commission des affaires sociales, qui proposent de passer de l’incitation à l’obligation. Une campagne électorale va s’ouvrir d’ici un an. Je demande, au nom des médecins libéraux, que vous clarifiiez vos positions, chers collègues de l’opposition !

M. Gérard Sebaoun. Très bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je m’interroge par ailleurs sur la signature, en janvier 2016, d’une convention qui devrait inquiéter toute la représentation nationale et dont nous n’avons pas parlé. Je veux parler de la convention de revitalisation signée entre un grand laboratoire pharmaceutique mondial et la Fédération française des maisons et pôles de santé. Il est pour le moins étonnant qu’à l’heure où, depuis la loi Bertrand, relayée par la nouvelle majorité, nous faisons en sorte d’établir la transparence sur les éventuels liens d’intérêts entre les professionnels de santé et les grands laboratoires pharmaceutiques, une telle convention ait pu être signée sans qu’aucun de nous ne réagisse. Nous devons savoir ce qu’il en est : il ne s’agit pas que les laboratoires pharmaceutiques s’emparent des maisons de santé et suscitent des conflits d’intérêts alors que nous faisons tout pour lutter contre ce phénomène. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

La commission a bien entendu rejeté cette proposition de loi. Je le regrette, mais c’est ainsi, monsieur Door ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Philippe Vitel. C’est bien triste !

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, écologiste et républicain une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 10, du règlement.

La parole est à Mme Bernadette Laclais.

Mme Bernadette Laclais. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, initiée par notre collègue Jean-Pierre Door, s’intitule « pour l’avenir de notre système de soins » et a pour objectif de « proposer les aménagements qui apparaissent indispensables pour améliorer à court terme les capacités d’adaptation du système et sa performance au service de nos concitoyens. » Elle propose donc de rééquilibrer le système en le « déshospitalisant » et en redonnant toute sa place à la médecine de ville.

Elle est d’ores et déjà présentée par certains – acteurs de la santé ou politiques –, qui en sont peut-être les inspirateurs, comme une contre-réforme à la loi santé de Marisol Touraine. Pourtant, et on peut le noter à la lecture du titre que vous avez choisi pour cette proposition de loi, vous ne vous inscrivez pas, comme on aurait pu le penser, dans une remise en cause de la loi dite de « modernisation de notre système de santé » portée par Marisol Touraine et promulguée il y a seulement quelques semaines, le 26 janvier 2016.

Votre proposition de loi ne comporte en effet aucun article visant à amender la loi dans son titre Ier relatif à la prévention, et je m’en réjouis. Ni les articles concernant le paquet neutre, qui se met en place ces jours-ci, ni les articles relatifs aux salles de consommation à moindre risque, qui ont pourtant mobilisé notre hémicycle à votre initiative, chers collègues Les Républicains, de nombreuses heures, ne sont évoqués dans cette proposition de loi, pas plus d’ailleurs que la lutte contre l’alcoolisme, l’obésité ou les maladies chroniques.

Nous nous réjouissons que vous ayez fait vôtre ce titre Ier relatif à la prévention et qui préfigure bien, à nos yeux, ce que doit être un système de soins à l’avenir : un système qui sait anticiper et prévenir dès le plus jeune âge et protéger le plus possible des maladies que nous pouvons éviter.

D’ailleurs, en en faisant le titre Ier de sa loi, la ministre entendait bien faire de la prévention un axe prioritaire du système de santé, dans l’objectif de combattre les inégalités dans ce domaine, mais aussi de préserver notre Sécurité sociale, car il est toujours plus coûteux de guérir que de prévenir.

De fait, les efforts faits depuis 2012 nous permettent d’enregistrer des évolutions positives des comptes de la Sécurité sociale, sans procéder à des déremboursements et en prenant néanmoins en charge les innovations thérapeutiques, comme nous avons pu le constater avec satisfaction pour l’hépatite C.

Du reste, la note récente sur les évolutions de l’ONDAM – objectif national des dépenses d’assurance maladie – pour 2016 est très rassurante et confirme, s’il en était besoin, que nous tenons le cap difficile de garantir dans la durée un retour à l’équilibre tout en garantissant un égal accès aux soins et à l’innovation.

Le déficit escompté de la Sécurité sociale pour 2016 est même en retrait de 600 millions d’euros par rapport aux prévisions initiales de l’année ; depuis 2012, celui-ci est en réduction de 70 %. Qui pourrait contester ces données chiffrées, qui sont le gage même de la pérennité d’un système de santé efficient ?

Dans ce contexte, vous centrez votre proposition de loi sur des sujets que nous connaissons bien car ils constituent pour vous des totems, que vous brandissez comme des arguments pour inquiéter nos concitoyens ou pour donner des gages à votre électorat.

Au fond, vous en conviendrez, votre proposition de loi ne contient que peu ou pas de propositions nouvelles, pas de sens, pas de cap, pas de directions nouvelles, simplement une suite d’articles qui amputent sur quelques points, certes emblématiques, la loi de janvier 2016. De plus, vous n’hésitez pas à proposer des mesures déjà existantes ou à rappeler des points figurant dans le code même de la santé, suggérant ainsi qu’ils pourraient avoir disparu avec la loi santé.

Ainsi en est-il de l’article 1er, qui pourrait laisser penser à un lecteur non averti que la loi de janvier 2016 reviendrait sur le libre choix du patient, alors même que l’article L. 1110-8, premier alinéa, du code de santé publique précise que « le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé (…) est un principe fondamental de la législation sanitaire. »

La loi du 26 janvier 2016 a au contraire renforcé, à la grande satisfaction des associations de patients mais aussi des médecins concernés, le choix des patients en matière de prise en charge ambulatoire ou à domicile, en particulier lorsqu’ils relèvent de soins palliatifs.

De la même manière, la loi du 26 janvier 2016 n’a pas remis en cause la liberté d’installation des médecins, comme nous l’avons parfois entendu ici ou là. Nous notons d’ailleurs avec satisfaction que votre proposition de loi ne revient pas sur la notion de communauté professionnelle de territoire de santé et son corollaire, le contrat territorial de santé, même si votre article 7, sous le prétexte de souplesse, vise ni plus ni moins à supprimer l’initiative que pourraient prendre les agences régionales de santé, dites ARS, en cas de défaut d’initiative des professionnels.

Permettez-moi, comme je l’ai fait lors des débats dans l’hémicycle lors de l’examen de la loi de janvier 2016, ou la semaine dernière en commission, de vous dire notre profond désaccord mais surtout notre perplexité devant votre proposition.

Au fond, vous proposez, ni plus ni moins, de créer des inégalités territoriales et des inégalités entre nos concitoyens. Nous savons tous très bien qu’il y a aujourd’hui des communautés qui peuvent fonctionner, et des territoires où les professionnels sont insuffisants ou peu organisés entre eux. Faut-il accepter cet état de fait et considérer que l’ARS n’aurait pas, dans ces territoires, à encourager, à initier, à rechercher les moyens de créer la synergie ? Non, bien sûr, et la rédaction de cet article, reprise en concertation avec les acteurs concernés, a permis de rassurer sur les intentions : l’ARS n’interviendra qu’à défaut d’initiative des professionnels et en concertation avec les unions régionales et les représentants des centres de santé.

Vous nous avez dit en commission que certaines ARS ne valideraient pas les projets proposés par les communautés professionnelles. Permettez-moi de souligner, monsieur le rapporteur, qu’en aucune manière votre proposition ne permettrait de résoudre ce problème ! Vous proposez en réalité de supprimer toute capacité d’initiative aux ARS en cas de carence ou de difficulté à se fédérer des professionnels ! Supprimer cet alinéa serait un mauvais coup porté aux territoires les moins dynamiques, et nous ne saurions le cautionner.

M. Gérard Sebaoun. Absolument !

Mme Bernadette Laclais. Deux articles de votre proposition de loi portent sur l’hôpital. L’article 3 vise à rétablir le modèle de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, et à supprimer la notion de service public hospitalier tel que défini par l’article 99 de la loi de modernisation de notre système de santé, qui réaffirme solennellement l’existence du service public hospitalier autour d’un bloc d’obligations comme l’absence de dépassement d’honoraires, la permanence de l’accueil et l’égalité d’accès aux soins.

S’il respecte ce cadre, un établissement privé à but lucratif peut participer au service public hospitalier tel que le prévoit l’article L. 6112-3 du code de santé publique. Il nous semble normal que l’on puisse se réclamer du service public si l’on en respecte les valeurs, les obligations et les contraintes qu’elles impliquent.

Si nous avons là une divergence que, pas plus aujourd’hui qu’hier, nous ne saurions lever, nous constatons avec satisfaction que votre proposition de loi ne remet pas en cause les articles relatifs aux groupements hospitaliers de territoires qui se mettent en place après concertation et parution des décrets d’application.

Quelques mots sur l’article 4 : celui-ci ne nous semble pas aujourd’hui répondre aux attentes de simplification de réglementation des centres hospitaliers universitaires qui, par ailleurs, bénéficient déjà d’une autonomie administrative et financière.

Mais, et c’est bien l’essentiel pour votre groupe, cette proposition de loi vise sans doute à revenir, par son article 2, sur la généralisation du tiers payant prévue par l’article 83 de la loi du 26 janvier 2016. À quelques mois d’échéances importantes, on voit bien la finalité de votre proposition !

Je voudrais m’arrêter quelques instants sur l’enjeu : améliorer l’accès aux soins des Français, de tous les Français. Si vous avez raison de souligner que les plus fragiles ont déjà le tiers payant, vous passez complètement sous silence la situation de ceux qui sont au-dessus des plafonds de la couverture maladie universelle complémentaire, dite CMU-C, et de l’aide au paiement d’une complémentaire santé, dite ACS – je rappelle que ces plafonds sont aux alentours de 700 et de 900 euros : ils sont donc extrêmement bas –, pour lesquels l’avance des frais peut être rédhibitoire dans le choix de soins.

Depuis quatre ans, l’amélioration de l’accès aux soins est une priorité du Gouvernement et de la majorité : encadrement des dépassements d’honoraires, arrêts des mesures de désengagement de l’assurance maladie, relèvement des plafonds de CMU-C et de l’ACS et, surtout, suppression des franchises médicales pour les bénéficiaires de l’ACS.

En trois ans, les restes à charge des Français ont baissé, comme le montrent des études récentes. Ainsi, une étude de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques, la DREES, parue il y a seulement quelques mois, en septembre 2015, révèle que la part des dépenses de santé qui reste à la charge des ménages s’établit à 8,5 % en 2014, soit une baisse de 0,2 % – baisse confirmée sur trois années consécutives, alors même que ce reste à charge a notablement augmenté entre 2006 et 2011, s’établissant pour l’année 2011 à 9,2 %. Voilà quelques chiffres qu’il me semble bon de rappeler !

C’est dans ce cadre d’un accès aux soins amélioré pour tous les Français que s’inscrit la mesure de généralisation du tiers payant, qui se mettra en place progressivement pour la partie prise en charge par l’assurance maladie obligatoire. Les professionnels de santé pourront, en outre, proposer le tiers payant pour la partie remboursée par les complémentaires santé.

S’agissant de la désertification et du manque d’attractivité de la médecine en libéral dans beaucoup de nos territoires, que pourtant vous considérez comme prioritaire, vous ne faites aucune proposition ou suggestion. Vous passez sous silence les aspirations des jeunes médecins qui, à 90 %, veulent être salariés. Vous passez également sous silence l’effort sans précédent fait avec le pacte territoire santé et la mise en place des maisons de santé, qui répondent aux attentes des médecins généralistes de rompre avec l’isolement, qui est une des causes de la non-installation dans nos territoires ruraux et de montagne de jeunes professionnels.

Préférant la position souvent théorique, pour ne pas dire dogmatique,…

M. Patrick Hetzel. Et c’est une experte qui parle !

Mme Bernadette Laclais. …à la vraie prise en compte des difficultés et des attentes des professionnels de santé ainsi qu’à la recherche de solutions nouvelles et innovantes, comme Mme la ministre a accepté de le faire pour les médecins des stations de sport d’hiver ou pour l’expérimentation de solutions pour les frais de déplacements des professionnels infirmiers intervenant en zone de montagne – je profite d’ailleurs de cette tribune pour remercier le Gouvernement de cette ouverture.

Permettez-moi de reprendre la remarque de notre collègue Gérard Bapt en commission concernant l’article 11, lequel résume à lui seul votre projet de société en matière de santé : vous prévoyez un parcours de prévention donnant lieu à la signature d’un contrat de prévention conclu entre l’organisme compétent et l’assuré s’engageant à être acteur de son maintien en bonne santé.

On peut, en lisant entre les lignes, comprendre que ces contrats incluront des sanctions et, ainsi, mettront le patient à la merci d’un payeur. Le risque nous semble très grand de s’engager dans cette voie ! Décidément, nous n’avons pas la même appréciation de ce que doit être un système de santé moderne et attentif à toutes les situations, particulièrement à celles des plus fragiles.

Enfin, permettez-moi de réagir aux propos tenus par notre collègue député Leonetti, pour lequel j’ai beaucoup de respect mais qui, pour le coup, a défendu à la tribune une position qu’il faut clarifier : certains d’entre vous sont pour la coercition dans l’installation des médecins tandis que d’autres sont pour la liberté d’installation des médecins.

M. Gérard Sebaoun. Ils sont pour une liberté coercitive !

Mme Bernadette Laclais. Chacun pourra donner acte à la majorité qui s’est exprimée ce matin de sa cohérence dans ce domaine. Nous sommes pour l’accompagnement, pour le soutien, mais jamais pour la contrainte : l’incitation plutôt que la contrainte !

M. Gérard Sebaoun. Très bien !

Mme Bernadette Laclais. Pour toutes ces raisons, nous demandons le rejet de cette proposition de loi. Non seulement celle-ci revient sur des dispositions à nos yeux fondamentales de la loi de modernisation de notre système de santé, adoptée par notre assemblée le 18 décembre, mais elle ne propose de surcroît qu’une vision très partielle de la problématique, alors même que notre système de santé a besoin aujourd’hui d’ambitions, de caps clairs et de décisions fortes, celles-là mêmes que nous avons entérinées par notre vote le 18 décembre.

Je vous invite donc, chers collègues, à voter la motion de rejet que vous propose notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour un rappel au règlement.

M. Jean Leonetti. Je constate simplement, avec tout le respect que je dois au secrétaire d’État chargé des anciens combattants, que la ministre des affaires sociales et de la santé n’a pas daigné répondre à la fin de la discussion générale.

Je l’ai entendu dire, tout à l’heure, qu’elle était très heureuse de débattre et que ce débat avec l’opposition pouvait être constructif. Je n’ai pas eu l’impression qu’il y avait, dans les propos qui ont été tenus par l’opposition, une violence particulière. Je dirais même que la violence, nous l’avons subie d’emblée en entendant que tout ce que nous proposions était démagogique ou existait déjà.

Aujourd’hui, cette forme de mépris à l’encontre de la représentation nationale et en particulier de l’opposition est inadmissible. Je m’oppose avec force à l’idée qu’un ministre puisse venir, parler puis partir, en considérant qu’une proposition de loi, parce qu’elle émane de l’opposition, est nulle et non avenue, et ne mérite même pas la discussion.

J’invite l’ensemble de la majorité à réfléchir à cette situation, qui un jour pourrait s’inverser, et demande le respect, nécessaire dans une démocratie moderne et apaisée, d’une opposition qui cherche à être constructive. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.

M. Charles de La Verpillière. Un spécialiste de la santé publique !

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire. Je ne relèverai pas les remarques désobligeantes.

M. Charles de La Verpillière. Je n’ai rien dit de désobligeant : c’est un constat.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. Je ne parlais pas de vous, mais de ce que j’ai entendu à l’instant : vous n’êtes pas visé.

Monsieur Leonetti, je comprends votre rappel au règlement mais, reconnaissez-le, votre proposition de loi tend à déconstruire celle qui a été adoptée il y a quelques mois, en janvier. Le débat a eu lieu. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) La ministre avait des obligations. (Mêmes mouvements.)

Vous essayez de créer un incident là où il n’y en a pas. La ministre a participé à la discussion générale. Vous voulez déconstruire la loi qui vient d’être adoptée par la majorité… (Mêmes mouvements.)

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État a seul la parole.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. Ce n’est donc pas un mépris du Parlement qui peut être reproché à la ministre des affaires sociales.

M. Charles de La Verpillière. Mais si !

Mme Valérie Boyer. Pitoyable !

Motion de rejet préalable (suite)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Philippe Vitel, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Vitel. Chers collègues de la majorité, Mme Laclais vous a invités à voter cette motion de rejet préalable. Moi, je vous demanderai de bien réfléchir avant de voter, parce que vous avez peut-être la dernière occasion de vous réhabiliter auprès des 800 000 professionnels de santé que compte notre pays. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. C’est vrai !

M. Philippe Vitel. Notre proposition de loi apporte la garantie d’une politique de santé véritablement pragmatique, guidée par l’exigence d’équilibre et reposant sur l’idée que le malade est au centre du système : cela, je crois que vous l’avez totalement oublié.

Équilibre entre soins et prévention, entre activité libérale et activité hospitalière, entre généralistes et spécialistes, entre les différentes filières médicales et paramédicales, entre hospitalisation publique et hospitalisation privée, entre professionnels de santé et acteurs médico-sociaux, équilibre enfin entre les différents territoires : notre approche pragmatique est à l’opposé de votre approche dogmatique qui vous a conduits, dans la loi santé, à des dérives étatiques, administratives, bureaucratiques, vers un désengagement de l’assurance maladie, vers une vision hospitalo-centrée qui suscite des clivages entre tous les acteurs.

Soyez bien conscients que personne dans notre pays ne veut de votre vision : ni les professionnels ni les patients.

Je vous invite à voter contre cette motion, à laisser vivre notre texte. C’est le dernier joker qui vous reste aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Yannick Favennec. Je rejoins, au nom de mon groupe, mon collègue Jean Leonetti : je regrette moi aussi le départ de la ministre et cette forme de mépris pour l’opposition.

Mme Bernadette Laclais et M. Christophe Sirugue. Et l’absence du rapporteur ?

M. Yannick Favennec. Le groupe UDI votera contre cette motion, parce que cette proposition de loi est un texte responsable qui rassemble le privé et le public afin de rééquilibrer l’offre de soins sur l’ensemble du territoire.

C’est également un geste fort en direction des jeunes générations qui attendent depuis des années une réforme des épreuves classantes nationales.

Loin des dispositions dogmatiques adoptées dans la loi santé, ce texte apporte aussi des réponses concrètes aux attentes des patients et des professionnels de santé.

Enfin, en revenant sur la généralisation du tiers payant, nos collègues du groupe Les Républicains redonnent à la médecine et aux médecins leurs véritables missions : soigner, guérir, écouter, loin des démarches administratives qui leur sont imposées. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Un mot d’abord sur la forme, si vous le permettez, monsieur le président : je voudrais dire à M. Leonetti que nous n’avons pas, nous, considéré qu’il était nécessaire de mentionner que le rapporteur était lui-même absent, sans doute pour des raisons tout à fait acceptables. À partir du moment où le Gouvernement est représenté au banc, votre intervention est sans objet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Deuxième point, toujours sur la forme : je voudrais rappeler à M. Leonetti que sous la précédente législature, à chaque fois que nous siégions pour l’un de ces ordres du jour réservés à l’opposition, le Gouvernement non seulement ne répondait pas, mais renvoyait le vote sur l’ensemble au mardi suivant : s’il vous plaît, pas de leçons sur la manière dont se déroulent ces journées ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je comprends que cela vous embarrasse, monsieur Leonetti.

Je reviens maintenant au fond du texte. M. le secrétaire d’État l’a dit et je l’en remercie, il y a eu des heures et des heures de débats ici, il y a quelques semaines, sur la volonté du Gouvernement de garantir l’avenir de notre système de santé.

Vous avez voulu, à travers cette proposition de loi, résumer le sujet au système de soins, c’est-à-dire faire le choix d’expliquer que les politiques de prévention n’avaient pas d’importance pour vous. Et vous avez surtout utilisé cette proposition pour envoyer des messages aux électeurs en prévision de 2017 : vous n’avez cessé de le crier sur ces bancs tout au long de la matinée !

M. Philippe Vitel. Et nous allons continuer !

M. Christophe Sirugue. Nous, nous menons une politique responsable, qui porte à la fois sur l’offre de soins et sur l’offre de santé, qui porte sur les politiques de prévention, qui renforce la cohérence des interventions et qui dit le rôle de l’État. Car les mêmes qui contestent « l’étatisation », puisque c’est le terme que vous avez utilisé, sont ceux qui ne cessent d’interroger le Gouvernement sur les moyens qui manqueraient, ici pour un hôpital, là pour un centre de soins.

M. Jean Leonetti. Quel amalgame ! Heureusement que les hôpitaux sont encore financés par l’État !

M. Christophe Sirugue. À un moment, il faut faire preuve de cohérence. Nous avons examiné un projet cohérent que le Gouvernement a soutenu : nous n’avons donc pas envie de le détricoter au profit de votre proposition de loi que nous repousserons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.)

M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

2

Carte de famille de blessé de guerre

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Olivier Audibert Troin, Julien Aubert, Patrick Balkany et plusieurs de leurs collègues instituant une carte de famille de blessé de guerre (nos 3606, 3801).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Olivier Audibert Troin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le Président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui une proposition de loi tendant à instituer une carte de famille de blessé de guerre.

J’ai été, en 2014, avec notre ancienne collègue Émilienne Poumirol, pour qui j’ai une pensée amicale aujourd’hui et que je tiens à associer à nos travaux, l’auteur d’un rapport d’information sur la prise en charge des blessés qui était le premier sur ce thème. Au cours des travaux préparatoires, nous avons recueilli de nombreux témoignages poignants et je ne suis pas sorti indemne de la confrontation à cette douleur, toujours exprimée avec dignité, mais bien présente chez les militaires comme dans leur famille.

Car les hommes et les femmes auxquels nous confions la si lourde et noble mission de combattre pour notre pays ainsi que de défendre notre liberté et nos valeurs acceptent une hypothèque sur leur vie et leur intégrité dont la Nation tout entière est comptable.

S’il arrive qu’ils soient blessés, nous leur devons à ce titre l’évacuation la plus rapide, les meilleurs soins et la meilleure prise en charge dans la durée. J’ai pu constater, au cours de l’élaboration du rapport sur les blessés, non seulement que cela était bien le cas mais que beaucoup d’efforts étaient faits pour améliorer encore ce qui était perfectible.

Mais les blessés, qui voient leurs besoins matériels couverts de façon satisfaisante, ont, comme chacun d’entre nous, soif de ces bienfaits immatériels indispensables que sont la considération et la reconnaissance.

Pour les militaires, la considération et la reconnaissance se manifestent symboliquement par la remise d’une décoration : l’insigne des blessés de guerre dans le cas qui nous occupe. En conformité avec l’article 6.1 du rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, les modalités du port de cet insigne, qui ont fait l’objet de tant d’incompréhensibles difficultés, devaient être clarifiées grâce à un décret pris après avis du Conseil d’État. Ce décret est toujours attendu, bien qu’il semblerait qu’il y ait quelques évolutions ; j’appelle sa parution de mes vœux afin qu’elle vienne enfin mettre un terme à cette situation ubuesque. C’est le moins que nous devions à nos blessés. Les armées l’ont bien compris, monsieur le secrétaire d’État, qui remettent l’insigne des blessés aux militaires qui en font la demande.

Ce que la Nation doit aux blessés, elle le doit également à leur famille qui souffre pour ainsi dire du second impact de la blessure. J’ai entendu comme vous des récits terribles de familles qui ne reconnaissaient plus l’homme ou la femme qui leur était rendu ; de projets de vie anéantis ; de lien qui ne se faisait plus ou dans une douleur telle que la famille se désintégrait. Or, tous les interlocuteurs entendus au titre de la mission ont souligné le rôle central des familles dans le rétablissement du blessé. De beaux récits existent aussi.

Les familles ne sont pourtant pas oubliées dans le dispositif de soutien mis en place par le ministère. Des guides sont destinés aux familles, des réunions d’information collectives sont organisées préalablement au départ en opérations extérieures. En cas de blessure, la famille peut compter sur le soutien immédiat des cellules d’aide aux blessés de chaque armée, qui procurent un soutien moral et, le cas échéant, une aide concrète, financière et administrative. Une maison du blessé a été inaugurée à l’hôpital Percy en avril 2015 – nous y étions, autour de Jean-Yves Le Drian – et propose aux blessés en soins de suite et aux familles des studios et des appartements. Un hébergement hôtelier est pris en charge pendant 21 jours pour permettre à deux membres de la famille de rester auprès du blessé hospitalisé avant que des associations ne prennent le relais en cas de nécessité.

Différentes prestations sont disponibles ainsi que le recours à des aides sociales personnalisées gérées par l’action sociale ou l’office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC, au cas par cas.

Si, mes chers collègues, ce soutien matériel est bien évidemment fondamental, il est loin de suffire. Le dispositif Écoute défense répond au besoin de parole grâce à un numéro vert accessible en permanence qui offre une mise en relation avec des psychologues du Service de santé des armées pouvant orienter vers un suivi de proximité.

Mais le besoin de reconnaissance, dont la vocation thérapeutique n’est démentie par personne, est bien celui dont on m’a le plus souvent entretenu au cours des travaux préparatoires au rapport sur les blessés – il semble aussi le moins bien satisfait.

En effet, la douleur des familles et les sacrifices qu’elles consentent sont peu audibles alors qu’elles jouent – je l’ai dit – un rôle central et essentiel dans le rétablissement du blessé sans que leurs efforts soient reconnus pour autant. C’est du moins le sentiment dont elles font état alors qu’elles aspirent légitimement à la reconnaissance de la Nation.

Or cette considération, cette reconnaissance, ne peuvent être muettes. C’est pourquoi je propose, pour combler cette lacune, une mesure de portée purement symbolique, certes, mais permettant de matérialiser et d’écrire cette reconnaissance en instituant en lien – je le répète – avec l’homologation de la blessure de guerre, une carte de famille de blessé de guerre.

Ma proposition est concise et ce n’est pas par facilité que je n’entre pas dans le détail des modalités d’application mais bien pour laisser toute latitude au ministère, monsieur le secrétaire d’État, afin de mettre en place le dispositif le plus léger possible.

Je tiens toutefois, si vous le permettez, à formuler quelques recommandations qui tiennent compte des consultations que nous avons menées et des observations de mes collègues de la commission de la défense – que je tiens à remercier particulièrement aujourd’hui pour leur apport à ces travaux.

En fonction du statut du militaire, les cartes devraient être délivrées par la structure chargée de l’homologation de la blessure de guerre afin que le lien avec la carte soit établi de façon indubitable.

Il convient, et c’est très important, de ne pas remettre la carte de façon systématique une fois la blessure de guerre homologuée. Certains blessés ne demandent jamais l’homologation de leur blessure et d’autres, si le dispositif est adopté, ne demanderont jamais la carte pour leur famille.

M. Yannick Moreau. Bien sûr. Il a raison.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. Ils ne se considèrent plus comme blessés ou ne veulent pas s’afficher comme tels – notamment dans le cas des blessures invisibles – ou encore, malheureusement, certains rejettent l’institution. La délivrance systématique et automatique d’une carte irait alors à l’encontre du but poursuivi. C’est pourquoi la proposition de loi précise que cette carte sera attribuée sur demande. Au-delà, celle-ci devrait être formulée par le blessé lui-même et en aucun cas par un membre de la famille. Un amendement, faisant d’ailleurs suite au riche débat en commission de la défense, a été déposé par mes soins en ce sens.

Enfin, pour accroître encore la valeur symbolique de cette carte porteuse de la reconnaissance de la Nation, je recommande – avec le soutien de la cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre, la CABAT – de la remettre à la famille en même temps que l’insigne au blessé lors d’une cérémonie. Cela permettrait d’associer pleinement la famille en lui témoignant avec solennité la considération qu’elle mérite. Le choix, encore une fois, serait laissé au blessé.

En conclusion, mes chers collègues, les avis obtenus dans le cadre de l’élaboration de cette proposition de loi, les messages reçus – nombreux – me conduisent à penser qu’elle est accueillie favorablement par les personnes en charge des blessés et qu’elle correspond à un besoin auquel une réponse est apportée – symbolique certes, mais dans la période si troublée que traversent aujourd’hui notre société, notre pays, à l’heure où nos forces de sécurité, nos forces armées sont durablement attaquées, plus que jamais la reconnaissance de la Nation doit s’exprimer avec force.

Les moyens matériels et financiers dus à nos armées sont bien sûr prioritaires pour accompagner nos forces dans leur mission et je n’inverse pas le rôle de ces priorités mais, dans cette période si trouble où l’emploi de nos soldats, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, entraîne fatigue, usure et quelquefois lassitude, savoir accompagner ces femmes et ces hommes qui font la fierté de notre pays, leur dire, monsieur le secrétaire d’État, que la reconnaissance à laquelle ils ont droit leur est acquise,…

M. Yannick Moreau. Tout à fait.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. …que cette reconnaissance est due à leur famille, soutien affectif, moral et financier quotidien, c’est tout simplement répondre au devoir qui est le nôtre, qui est celui de la Nation tout entière : le devoir de reconnaissance, dût-il passer par la force du symbole. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Radical républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens d’abord à saluer le travail effectué par M. le rapporteur. Vous l’avez dit, avec votre collègue Emilienne Poumirol, vous avez été en 2014 les auteurs d’un remarquable rapport d’information sur la prise en charge des blessés exposant avec précision l’ensemble de la chaîne de prise en charge, depuis la prévention de la blessure jusqu’à la réinsertion ou la reconversion du blessé, qu’il soit meurtri dans sa chair ou dans son esprit, que la blessure ait eu lieu à l’entraînement ou en opérations. Vous avez fait là œuvre de précurseurs puisqu’il s’agissait du premier rapport parlementaire sur ce thème. Je tiens d’ailleurs à signaler qu’à l’époque, la plupart de vos recommandations avait immédiatement été prises en compte par les armées et les services du ministère de la défense.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. C’est juste.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. La proposition de loi que vous défendez et dont nous débattons aujourd’hui s’inscrit donc dans le prolongement d’un labeur de plusieurs années. On ne sort pas indemne de la lecture de votre travail, je tiens à vous le dire, partagé que nous sommes entre l’admiration à l’égard de ceux qui se dévouent pour nos blessés – de la médicalisation de l’avant aux hôpitaux militaires, de la prévention au travail de réinsertion – et l’émotion à la lecture des témoignages de ceux qui sont marqués à jamais par cette épreuve – les blessés, bien sûr, mais aussi leurs familles.

Je tiens à vous remercier chaleureusement pour cet engagement : c’est le signe incontestable que la France ne les oublie pas, dans un moment où nos forces connaissent un niveau d’engagement exceptionnel. Cette attention au risque du métier de soldat joue un rôle fondamental dans leur moral et dans la confiance qu’il porte à l’institution. Elle participe donc aussi de l’efficacité opérationnelle de nos forces.

Vous me permettrez donc, mesdames et messieurs les députés, de commencer par situer cette proposition de loi dans le cadre de l’action que le ministère de la défense mène depuis quatre ans pour la prise en charge des blessés. Vous le savez, il s’agit là d’une préoccupation personnelle du ministre depuis sa prise de fonction. J’en viendrai ensuite à ce qui nous rassemble aujourd’hui : l’accompagnement et la reconnaissance de leurs familles.

Je tiens d’abord à rendre hommage aux cellules d’aide aux blessés des trois armées, à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre ainsi qu’au Service de santé des armées pour leur engagement exceptionnel.

Pour soutenir nos blessés et leurs familles, la communauté de défense dans son ensemble se mobilise en une cohésion où s’éprouve la force du lien entre les armées et la Nation – je pense bien sûr à tous les services du ministère qui concourent à cette tâche mais, aussi, à l’engagement exemplaire du monde associatif : Solidarité Défense, Terre Fraternité, l’Œuvre nationale du Bleuet de France, l’Association nationale des femmes de militaires, l’Association pour le développement des œuvres d’entraide dans l’armée, la Fondation des œuvres sociales de l’Air. Toutes ces associations et bien d’autres, à un titre ou à un autre, ont à cœur de faire en sorte que la reconnaissance de la Nation soit à la hauteur du dévouement de nos soldats et des épreuves que traversent leurs familles.

Le ministre, depuis quatre ans, cherche à répondre à la question de l’amélioration du soutien et de l’accompagnement de nos militaires blessés et de leurs familles. Nous avons engagé depuis 2012 un effort considérable pour améliorer les modalités de mise en œuvre du droit à réparation, pour renforcer l’accompagnement des blessés et des familles et pour que la reconnaissance de la Nation soit à la hauteur de l’engagement et des sacrifices consentis par les femmes et les hommes de nos armées.

Mais la dimension financière n’est qu’une composante de l’action du ministère. Parallèlement, de nombreux dispositifs ont été mis en œuvre pour renforcer l’accompagnement dans la durée des blessés et de leurs familles.

Je tiens d’ailleurs à mentionner l’institution d’un parcours global de soins pour les militaires blessés défini dans le nouveau guide du parcours du soldat blessé : il s’agit d’un parcours individualisé qui comporte une offre importante d’accompagnement dans les différents domaines touchant à la réinsertion : médical, administratif, social, professionnel ou, encore, sportif, avec le retour à l’emploi comme étape ultime de ce parcours.

Nous sommes conscients que des progrès restent à accomplir. Notre action se poursuit donc, guidée par cette exigence.

À la suite de votre rapport de 2014 et après un long travail d’expertise, une nouvelle impulsion a été donnée au plus haut niveau du ministère. Le 10 novembre 2015, un plan d’action ministériel relatif à l’amélioration de la prise en charge du soldat blessé a ainsi été approuvé. Il est structuré en cinq objectifs et a été lancé sous l’autorité du cabinet du ministre de la défense au mois de janvier 2016. Un comité de pilotage assure le suivi des actions, qui doivent toutes avoir été mises en œuvre avant la fin de l’année 2016.

Il s’agit d’abord d’organiser les états généraux de l’accompagnement du syndrome post-traumatique. Une première session s’est tenue au début du mois de mai et la prochaine sera organisée après l’été. Il faut aussi réduire les délais de traitement des demandes de pensions militaires d’invalidité et améliorer l’efficacité des dispositifs de reconversion des militaires blessés. Nous expertisons en ce moment les conditions et modalités de création d’une maison interarmées du blessé à l’hôtel national des Invalides. Enfin, l’amélioration du système d’information relatif aux blessés a été confiée au Service de santé des armées.

Comme vous pouvez le constater, nous sommes déterminés à agir et vous pouvez être assurés de l’implication personnelle du ministre sur ces sujets.

J’aborde à présent la question de l’accompagnement des familles, sujet de votre proposition de loi.

Je rappelle les aides matérielles que nous avons instaurées telles que la prise en charge des frais de transport, d’hébergement et de restauration pendant 21 jours pour que les proches parents puissent se rendre au chevet des convalescents, ou la carte de circulation SNCF temporaire accordée aux familles pendant la durée d’hospitalisation du militaire blessé en opération extérieure.

Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, les familles peuvent désormais également bénéficier de l’accès aux appartements de la maison des familles et des blessés de l’hôpital d’instruction des armées de Percy, que le ministre a en effet inaugurée le 7 avril 2015 – vous étiez d’ailleurs présent à la pose de la première pierre quelques mois plus tôt. À cela s’ajoute une semaine de séjour gratuit dans un centre de loisirs de l’Institution de gestion sociale des Armées.

Aboutissement d’un projet au long cours, la maison des blessés de Percy permet de garantir la meilleure prise en charge possible aux blessés qui sont en suivi de soins et aux familles qui accompagnent leurs proches dans ces moments difficiles.

C’est bien pour répondre à l’enjeu fondamental de l’accompagnement des familles qui viennent au chevet de leur proche – bien souvent dès les premiers jours après la survenue de l’accident – que cette maison a été pensée. Nous savons tous combien le lien familial est fondamental dans toutes les étapes de la prise en charge, notamment les plus aiguës. Un pas de plus a ainsi été franchi dans l’accompagnement des familles. Outre le fait de ne plus avoir à se préoccuper des prix et des problèmes de transports liés à l’hébergement en région parisienne, une telle structure leur permet d’être pleinement intégrées au projet de réadaptation de leur proche et d’être soutenues par l’aide des assistantes sociales, des psychologues ou des juristes présents à leurs côtés. C’est pourquoi cette maison est autant celle des blessés que de leurs familles. Les uns ne peuvent se relever de cette épreuve partagée sans les autres.

Nous apportons aussi d’autres formes de soutien aux proches en les informant notamment de leurs droits et des démarches à accomplir mais, surtout, depuis l’année dernière, les familles des blessés peuvent bénéficier des services des psychologues du Service de santé des armées via des entretiens téléphoniques ou des consultations médicales.

Le ministère de la défense ne peut donc que saluer l’idée d’instituer une carte de famille des blessés de guerre, symbole de la reconnaissance de la Nation pour le rôle primordial que joue la famille dans la reconstruction du blessé.

Une telle carte viendrait utilement renforcer les mesures déjà mises en œuvre pour le soutien aux familles. Nous sommes convaincus, comme vous le rapportiez dans votre travail de 2014, que les familles de militaires ont autant besoin de reconnaissance que les soldats eux-mêmes. Or elles ne sont naturellement pas décorées. Vous aviez reçu le témoignage, à ce propos, de la présidente de l’Association nationale des femmes de militaires, qui considérait que ce qui faisait le plus défaut aux femmes de militaires blessés, c’était justement la reconnaissance.

Toutefois, en cohérence avec le code des pensions militaires d’invalidité, et pour éviter qu’un lointain parent ne puisse prétendre à l’obtention de la carte, alors même qu’il n’a pas contribué au soutien du blessé, le ministère de la défense souhaite restreindre le périmètre de la notion de « famille » de votre proposition de loi aux ascendants, au conjoint et aux enfants. Mais il est vrai que nous avons pu en plusieurs circonstances, et au cas par cas, reconnaître d’autres membres ayant joué un rôle éminent dans l’accompagnement ou la guérison du militaire blessé – un frère ou un oncle, par exemple. Le dispositif nouveau que constitue la carte de famille des blessés de guerre devrait donc également permettre de prendre en compte, d’une façon ou d’une autre, ces exceptions.

Par ailleurs, au sein du ministère de la défense, nous partageons l’idée que cette carte de famille de blessés de guerre marque, d’abord et avant tout, une reconnaissance de la Nation. Elle a une portée symbolique forte et doit donc être détachée de l’attribution de droits. Cependant, elle pourrait également être un vecteur de renforcement du lien entre les armées et la Nation, en permettant notamment aux élus locaux de mieux connaître ces familles et, pourquoi pas, de leur accorder quelques facilités matérielles, déjà reconnues à d’autres catégories de personnes. En la matière, les services départementaux de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONACVG, pourront jouer un rôle éminent pour créer le lien entre ces familles et les élus locaux.

Je constate que les remises les plus récentes de l’insigne des blessés de guerre, aux anciens du Drakkar ou aux blessés psychiques de l’armée de terre des OPEX, ont eu lieu en présence des familles, qui ont été mises en avant au même titre que le militaire blessé.

Nous pensons donc que la carte de famille de blessé de guerre serait une institution utile, si le militaire blessé en fait la demande, en même temps que l’insigne des blessés de guerre lui est remis. Cependant, tant que les modalités d’application – notamment les contours exacts de la « famille » – ainsi que les modalités d’octroi et de remise de la carte de famille de blessés ne seront pas définies précisément, le Gouvernement s’en remettra, sur l’ensemble de cette proposition de loi, à la sagesse de votre assemblée. Il propose par ailleurs qu’un groupe de travail, auquel participerait l’ONACVG, en définisse les modalités d’application. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Vitel. Bravo !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Vitel.

M. Philippe Vitel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, monsieur le rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui, en première lecture à l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi visant à instituer une carte spécifique aux familles des blessés de guerre.

Le Groupe les Républicains a choisi de mettre ce texte symbolique à l’ordre du jour et j’en suis personnellement très heureux, car je crois sincèrement que, dans notre société meurtrie chaque jour par tant de crispation, de haine et de violence – y compris, malheureusement, envers nos forces de défense et de sécurité – nous avons besoin, plus que jamais, de marqueurs et de symboles.

La reconnaissance de la Nation envers nos soldats blessés et leurs familles est un symbole très fort, car la reconnaissance réchauffe les cœurs et aide à panser les blessures. De retour d’opération, nos soldats doivent se reconstruire, aussi bien physiquement que mentalement. Parfois, ils peuvent être saisis d’une forme de rejet de l’institution militaire, due à l’absence de reconnaissance, ce qui les plonge dans l’isolement et la dépression la plus profonde.

Un soldat blessé de guerre, s’il est bien entouré, connaît un rétablissement plus efficace et plus rapide. La famille joue donc un rôle essentiel dans la reconstruction de nos blessés, et elle mérite par conséquent notre attention et notre soutien. Les familles confrontées à ce type de situation sont plongées dans une grande souffrance, qui demeure souvent muette. Toute cette souffrance, tous ces sacrifices consentis doivent être entendus et reconnus par la Nation.

Il est vrai que notre législation permet à nos blessés de guerre, et à leurs familles, de bénéficier de soins, d’aides et du soutien matériel et moral nécessaires à leur réinsertion dans la société civile. Bien sûr, il existe déjà des structures spécialisées au service des blessés et de leurs familles, comme les cellules d’aide aux blessés et la sous-direction de l’action sociale de la défense. J’en profite pour saluer les nombreuses actions de ces structures, ainsi que celles du monde associatif, qui jouent un rôle actif et primordial dans la réinsertion des blessés de guerre dans notre société et dans le soutien aux familles.

La proposition de loi de mon collègue Olivier Audibert-Troin a pour objet de créer une carte de famille de blessé de guerre, délivrée par le ministère de la défense aux familles de victimes d’une blessure de guerre homologuée par ce même ministère. Cette carte constituerait la matérialisation symbolique de leur contribution à la défense de notre pays. Elle est une affirmation de l’appartenance de ces familles à la communauté de défense.

D’autres mesures symboliques ont déjà été votées par notre assemblée. Par exemple, l’insigne de blessé de guerre, attribué à nos héros de guerre, a été créé en 1916 et formalise la reconnaissance de la Nation, sans y attacher aucun droit. C’est la même logique que nous poursuivons avec l’introduction de cette carte, destinée, quant à elle, à leurs familles. Pas plus que l’insigne de blessé de guerre, cette carte ne vise l’octroi d’un avantage matériel – d’autres dispositifs y pourvoient – mais bien la manifestation de la reconnaissance qui, elle, n’a pas de prix. Rien ne s’opposera à ce que des initiatives publiques ou privées conditionnent certains avantages non matériels à la possession de cette carte. Ceux-ci devront toujours être en lien étroit avec la communauté de défense – je songe par exemple à la participation à des commémorations patriotiques ou à la possibilité de témoigner.

Le présent texte insiste sur le fait que cette carte ne peut ni être attribuée de façon systématique, ni être sollicitée directement par la famille – certains blessés ne souhaitant pas s’afficher en tant que blessé. De même, l’homologation de la blessure de guerre par le ministère de la défense relève d’une démarche purement volontaire. Quant aux modalités d’application de cette proposition, leur définition est volontairement laissée au ministère de la défense, mieux à même de les imaginer. Elles doivent être les plus simples possibles.

Certaines pistes sont d’ailleurs envisagées par notre rapporteur, comme celle de lier à l’homologation de la blessure de guerre un formulaire d’attribution de la carte pour les familles, ou celle de remettre l’insigne de blessé de guerre, en même temps que cette carte, au cours d’une cérémonie solennelle, ce qui serait particulièrement apprécié des familles et, plus généralement, des Françaises et des Français.

Le retour d’un mari, d’une femme, d’un père ou d’une mère, d’un frère ou d’une sœur blessé est une épreuve souvent invisible, que doivent endurer les familles. Elles méritent toute notre reconnaissance et ce geste, certes symbolique, est la moindre des choses que nous puissions faire. Je ne doute pas que nous serons tous prêts, sur l’ensemble de ces bancs, à faire un tel geste.

Le groupe Les Républicains vous invite donc à voter unanimement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Lambert. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, monsieur le rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, de saluer le courage et le professionnalisme de tous nos soldats, déployés en opérations extérieures, mais également sur le territoire national. J’y ajoute bien sûr une pensée toute particulière pour l’ensemble de nos forces de l’ordre.

Nous rendons tout particulièrement hommage aux hommes tombés pour la France, ainsi qu’à tous les soldats blessés, dans leur âme et dans leur chair, parce qu’ils se battaient pour notre pays. Cet engagement de nos troupes, c’est avant tout l’engagement de la France pour la liberté et contre le terrorisme. À ce titre, la Nation doit à ces hommes et à ces femmes toute sa gratitude. C’est pourquoi nous devons tout mettre en œuvre afin que leur sacrifice et leurs souffrances soient pleinement reconnus.

Les blessés de guerre bénéficient actuellement d’une solide prise en charge, dès leur blessure sur le terrain, puis durant tout leur parcours de soins. Ils sont également accompagnés dans leur processus de reconstruction, sur le plan physique et psychologique. À ce titre, nous souhaitons saluer l’engagement des cellules d’aide aux blessés, qui font un travail de suivi remarquable et permettent bien souvent à ces soldats blessés de garder un lien avec l’institution militaire.

Le droit à réparation permet ensuite de matérialiser la gratitude de la Nation envers les soldats qui ont souffert pour elle, à travers des dispositifs concrets, tels que la pension militaire d’invalidité et les indemnisations complémentaires. À ce titre, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants regrette la très faible augmentation de la valeur du point de la pension militaire d’invalidité, qui n’est passé, entre le 1er février 2005 et le 1er janvier 2015, que de 12,95 à 14 euros. Cette augmentation, de moins de 8 %, ne permet malheureusement pas une revalorisation suffisante de la pension militaire d’invalidité et demeure bien inférieure à l’inflation, qui a progressé, quant à elle, de 14,80 % au cours de la même période.

C’est pourquoi les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont, à plusieurs reprises, demandé au Gouvernement d’augmenter la valeur du point de la pension militaire d’invalidité pour le porter à 20 euros, niveau qui devrait être le sien si le rapport constant avait été respecté. Nous continuerons de formuler cette demande, qui est à nos yeux essentielle, tant pour les soldats blessés que pour les anciens combattants. En effet, la valeur du point de la pension militaire d’invalidité conditionne également le niveau de la retraite du combattant qui, après avoir connu une forte augmentation entre 2005 et 2012, est demeurée bloquée depuis le début du quinquennat, ce que nous ne pouvons que déplorer.

Au-delà de ce droit à réparation, la reconnaissance se manifeste également par des mesures symboliques, comme l’attribution de décorations, telles que la médaille militaire, la médaille de la Défense nationale, échelon or, ou encore l’insigne des blessés militaires, qui demeure la décoration emblématique. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants souhaite d’ailleurs saluer l’évolution positive qu’a connue la remise de cet insigne qui, après avoir fait l’objet pendant des années de réticences et de pratiques divergentes, est aujourd’hui décerné sans hésitation par les armées à leurs blessés.

Il n’est pas à démontrer que la reconnaissance est en effet une étape essentielle du processus de reconstruction du blessé, mais également de son entourage. C’est pourquoi il est nécessaire que des mesures symboliques de reconnaissance s’adressent directement aux familles des soldats blessés. En effet, la blessure des soldats n’affecte pas uniquement le blessé. Elle a également des conséquences majeures sur sa famille, que celle-ci reste unie autour du blessé, ou qu’elle ne parvienne pas à faire face au choc. La famille est toujours violemment touchée, puisqu’elle voit nécessairement son mode de fonctionnement brutalement modifié, et ses projets de vie remis en cause.

Les chiffres disponibles sont actuellement très parcellaires, mais les personnes touchées sont potentiellement très nombreuses. En effet, ce sont près de 60 000 soldats qui sont passés en Afghanistan à partir de 2001. Et, après 2007, 4 000 y ont été déployés en permanence, dans des combats durs et des situations de stress qui n’avaient pas été observées depuis très longtemps. Actuellement, près de 10 000 soldats sont déployés sur vingt-cinq théâtres d’opération, que ce soit au Sahel, en Irak et Syrie, au Liban, ou encore en République centrafricaine. En outre, près de 13 000 soldats sont mobilisés en permanence sur notre sol, dans le cadre des opérations Vigipirate et Sentinelle.

Notre rapporteur, que je salue pour son excellent travail, a montré, à partir du cas de 2 000 soldats blessés, qu’en se limitant aux ascendants directs, conjoints et enfants, le nombre de parents directement touchés par la blessure de ces militaires s’élèverait à plus de 9 000. En réalité, il est évident que l’impact est encore plus important. En effet, des études ont mesuré une proportion de 7 % de soldats atteints de blessures psychiques à leur retour d’opérations extérieures – et, dans certaines unités combattantes, cette proportion peut même atteindre 100 %.

La prise en compte de plusieurs milliers d’anciens combattants, parmi lesquels se trouveront malheureusement de nombreux blessés – sinon physiquement, du moins psychologiquement – et de leur famille, s’annonce donc comme un redoutable défi social pour les années à venir, auquel notre armée se devra de répondre de la manière la plus complète et humaine possible, sous peine de susciter frustration et incompréhension.

La mesure symbolique que représente l’attribution d’une carte de famille de blessés de guerre poursuit cet objectif. C’est pourquoi le groupe de l’Union des démocrates et indépendants apporte son soutien plein et entier à la proposition de loi portée par nos collègues du groupe Les Républicains, dont nous nous félicitions de l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.

Les familles, qui souffrent véritablement d’un second impact de la blessure, méritent bien entendu la reconnaissance de la Nation, au-delà du soutien matériel et psychologique qui leur est apporté. En outre, les médecins semblent unanimes pour dire qu’un blessé bien entouré se rétablit mieux et plus rapidement. Il est donc indispensable, dans l’intérêt du blessé, de sa famille, de nos armées et, au-delà, de la société tout entière, qu’une aide soit apportée à la famille pour que, d’une part, le blessé guérisse plus vite et que, d’autre part, la blessure initiale fasse le moins possible de victimes collatérales.

Nous considérons que l’attribution d’une carte de famille de blessé de guerre est un premier pas indispensable vers une matérialisation de la reconnaissance de la nation envers les familles des blessés, elles qui ont soutenu le blessé, qui ont consenti des sacrifices et qui ont souffert par et avec lui. Une telle carte serait également une affirmation de l’appartenance des familles de blessés à la communauté de défense et de la considération qui leur est due. Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera résolument pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en opération comme à l’entraînement, la blessure est un risque inhérent au métier militaire. Nos soldats mettent leur vie en jeu pour préserver celle de nos concitoyens et certains en subissent des séquelles parfois graves. Pleinement consciente des sacrifices consentis par celles et ceux qui se sont engagés pour la défendre quelles que soient les circonstances – aujourd’hui les occasions ne manquent pas –, la nation a le devoir d’accompagner ceux d’entre eux qui ont été blessés, tout au long de leur parcours de réadaptation, puis de réinsertion sociale et professionnelle.

Ainsi, un dispositif global de soutien et de suivi des soldats et de leurs familles, y compris des familles de militaires décédés en opération, à commencer par les acteurs institutionnels que sont les cellules d’aide aux familles de chaque armée, l’état-major et l’action sociale des armées. Cette dernière, présente tant à l’échelon central qu’au sein des unités, est dotée d’outils et de moyens d’action spécifiques lui permettant de s’adapter aux besoins de chaque famille et d’améliorer le nombre et la qualité de ses prestations.

Ce sont d’abord les assistants de service social affectés au sein des hôpitaux d’instruction des armées qui assurent un soutien aux blessés pendant la durée de leur séjour. Ils veillent, avec les services compétents, à la mise en œuvre des procédures administratives liées à la blessure et participent à l’organisation du retour à domicile du blessé. En outre, ils interviennent dans la prise en charge des frais d’hébergement et de transport des familles sur place. En effet, l’action sociale finance pendant plusieurs semaines un hébergement hôtelier permettant à des membres de la famille de rester auprès du blessé à l’hôpital.

Ce dispositif s’est vu renforcé, depuis 2015, par l’ouverture de la Maison des blessés et des familles de l’hôpital Percy à Clamart. Par ailleurs, la direction des ressources humaines du ministère et les fonds de prévoyance militaire et aéronautique interviennent, pour leur part, dans le cadre de l’ouverture et du versement des droits compensatoires, des pensions de réversion et d’invalidité, et des indemnités pour préjudice moral versées aux membres élargis de la famille. Les organismes mutualistes ou de prévoyance, quant à eux, offrent une couverture des risques spécifiques sur la base de contrats individuels.

Cette action est renforcée par la participation de nombreux acteurs issus du secteur privé et du monde associatif. Ainsi, depuis 2010, un protocole a été signé avec l’Institution de gestion sociale des armées pour offrir aux familles des militaires blessés ou décédés des prestations particulières. Acteurs solidaires du dispositif institutionnel, elles complètent l’action publique par un renfort moral ou financier à destination des militaires blessés et des familles endeuillées. La coordination ministérielle de leurs actions permet de garantir l’utilisation appropriée des fonds récoltés.

La mobilisation conjuguée de ces trois familles d’acteurs, traduisant la solidarité publique, permet aux militaires et à leurs proches de bénéficier de prestations médicales, financières et sociales de qualité, concourant ainsi au soutien moral que la nation leur doit au regard de leurs missions et de leurs conséquences.

Cependant, comme le soulignait, en 2014, le rapport de la mission d’information sur la prise en charge des blessés : « Les familles des militaires ont autant besoin de reconnaissance que les soldats eux-mêmes. Elles ne sont pas décorées et leurs souffrances et leurs conséquences, loin d’être valorisées, se résument souvent pour l’opinion à un coût social. » En effet, après la guerre, c’est la famille qui est en première ligne. Elle retrouve parfois un être différent de celui qui est parti et doit s’adapter à cette nouvelle situation. Outre les blessures physiques et le handicap, des troubles psychologiques graves tels que le syndrome de stress post-traumatique ou le syndrome post-guerre peuvent aussi apparaître, parfois des années plus tard. Même s’il est rentré du champ de bataille, le soldat continue à être perturbé et cela peut se manifester par un isolement, une agressivité et une dépression, autant de comportements difficiles à vivre et à comprendre pour l’entourage, qui peut s’en trouver fragilisé.

Malgré tout, en plus des soins, le rôle de la famille est alors fondamental tant elle participe à l’accompagnement et la réadaptation du blessé. À ce titre, l’attribution d’une carte de famille de blessé, même si elle n’est que symbolique, revêt une grande importance : celle de la reconnaissance de la nation à l’égard de ceux et celles qui souffrent avec le militaire et l’accompagnent. Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient la proposition de loi instituant une carte de famille de blessé de guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par notre collègue M. Audibert Troin visant à instituer une carte de famille de blessé de guerre. Notre collègue a travaillé depuis un certain temps sur cette question, mené des auditions et recueilli des témoignages tout à fait intéressants, travail que je tiens à saluer. Si cette question délicate a fait l’objet d’un rapport sérieux, il apparaît néanmoins nécessaire d’en débattre pour comprendre ce qui motive cette proposition de loi et examiner si elle s’avère la plus optimale des solutions.

Sur le fond, ce qui est en jeu est la reconnaissance symbolique de l’impact des blessures d’un ancien combattant sur sa famille. Un blessé de guerre, ce n’est pas uniquement une personne amputée ou handicapée, c’est aussi et surtout une famille en douleur, une famille protégeant ce blessé et s’en occupant. L’appropriation collective de ce phénomène est un enjeu important, comme en ont témoigné les discussions en commission. La reconnaissance symbolique de la nation est évidemment essentielle. Comment ne pas souscrire à ce constat, au moment même où nous célébrons les commémorations du centenaire de la Grande Guerre ? Le philosophe allemand Axel Honneth évoquait la nécessité de la reconnaissance sociale. Les hommes luttent pour cette reconnaissance, ils attendent des autres des signes allant dans ce sens. Si cette reconnaissance est légitime d’un point de vue philosophique, faut-il se contenter d’une mesure symbolique supplémentaire ? En tant que législateur, devons-nous réparer les injustices par des symboles ?

Cette transaction n’est pas anodine au regard de l’horizon de vie des personnes concernées. Il y a des symboles qui n’impliquent pas la délivrance d’une carte mais qui se traduisent par des gestes comme l’inclusion systématique de ces familles aux manifestations républicaines de notre pays. Le débat peut avoir lieu sur cet aspect et la création, à l’initiative du secrétaire d’État, d’un groupe de travail sur le sujet doit être saluée. Nous devons prendre garde à ce que les symboles n’alimentent pas de faux espoirs ; la reconnaissance doit être juste et comprise par ceux qui la reçoivent comme par ceux qui l’expriment. À trop tourner autour des symboles, nous risquons de nous limiter à la fonction de ministère de la parole et de renforcer un sentiment de frustration dans les familles de blessés.

Ce gouvernement a réussi à inscrire la culture mémorielle militaire dans un projet d’avenir, qui invite nos compatriotes à se ressaisir de symboles délaissés et parfois vidés de leur sens. Ainsi l’année 2016 a-t-elle été déclarée « année de la Marseillaise ». Comprendre le contexte de ce chant, son écriture et son utilisation pour protéger la Révolution française est essentiel pour connaître la spécificité historique de notre nation. Ceux qui ont combattu pour notre pays et pour la préservation de nos idéaux méritent une reconnaissance indiscutable se traduisant par des gestes républicains. En ce sens, je suis sûr que le Gouvernement veille et veillera à l’inclusion des familles des blessés de guerre pour témoigner de l’hommage de la nation. Tout ce qui ressort de la reconnaissance s’incarne dans un régime d’empathie républicaine.

Rappelons également que la plupart des recommandations du rapport parlementaire de décembre 2014 sur la prise en charge des soldats blessés ont fait l’objet d’un long travail d’expertise par le ministère de la défense et ont été immédiatement prises en compte par les armées et par les services. Le plan d’action relatif à l’amélioration de la prise en charge du soldat blessé, approuvé en novembre dernier par le ministre de la défense, a été lancé au mois de janvier et les mesures seront déployées avant la fin de l’année 2016. Le Gouvernement a simplifié en 2013 les formulaires de demande de pension pour invalidité, notamment pour les orphelins et les descendants.

Créer une carte, même symbolique, n’irait pas dans le sens d’une simplification réelle. Comment définir la famille ou les ayants droit dans ce cadre ? J’entends l’argument selon lequel un blessé ayant une infirmité permanente est une charge pour la famille, mais la société prévoit également des dispositions pour la prise en charge du handicap. Il faudrait pouvoir améliorer la prise en charge de ces grands blessés. Sur ce point précis, soulignons que le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2014-2019 a prévu un effort particulier de reconnaissance à l’égard des militaires blessés en situation de guerre ou en opérations extérieures et la simplification des textes relatifs à l’insigne des blessés de guerre par décret en Conseil d’État. Le ministère présentera au Conseil d’État un décret autorisant l’extension du port de l’insigne pour les blessés psychologiques, ce qui permettra de reconnaître les états de stress post-traumatiques développés par les militaires à la suite d’opérations extérieures.

Le code des pensions et des invalidités est suffisamment précis pour la qualification et l’appréciation des blessures. Une carte supplémentaire ne risque-t-elle pas de créer de la confusion ? Nous faisons la loi pour clarifier la vie pratique de nos concitoyens ou pour introduire de nouveaux droits. Dans le cas présent, je pense que l’administration des anciens combattants sera sujette à un flux de demandes, peut-être parce que les familles des blessés espéreront obtenir des aides supplémentaires, en vain. N’oubliez pas que la carte d’invalidité donne accès à des avantages dans les transports, que ce soit dans le train ou sur les lignes intérieures. Il faudra expliquer aux personnes concernées que cette carte famille blessés n’octroie aucun avantage particulier. À quoi bon une carte lorsque nous disposons d’un répertoire de récompenses et de distinctions républicaines ? L’examen de cette proposition est en revanche l’occasion de rendre hommage à toutes les forces soignantes, à toutes celles et à tous ceux qui soignent ces blessés, et cela dépasse bien évidemment le cadre familial. L’administration des anciens combattants a été réformée sous votre majorité avec l’institution d’un guichet unique ; votre mesure n’irait absolument pas dans ce sens.

En définitive, je ne suis pas sûr que cette carte soit le véhicule approprié pour cette reconnaissance et qu’elle apporte satisfaction ; je crains même qu’elle n’augmente les frustrations. Partant de ce constat, pourquoi ne pas favoriser la création de grandes fondations comme il en existe ailleurs ? Je pense en particulier au wounded warrior project américain, qui permet à ces familles de bénéficier d’une assistance continue. Ce wounded warrior project a également inclus des possibilités de protection pour les forces de l’ordre intervenant contre les actes terroristes perçus comme des actes de guerre. Il faut peut-être travailler davantage le champ de la médiation pour affirmer cette reconnaissance et lui donner une dimension concrète.

En ma qualité de représentant des Français de l’étranger, j’ai un lien privilégié avec les associations de combattants de ma circonscription. Je pense avec émotion aux cérémonies du 11 novembre qui se tiennent à Londres et au cours de laquelle l’ambassadeur remet régulièrement les insignes de la Légion d’honneur aux vétérans de la Seconde guerre mondiale. Cette cérémonie est également l’occasion de renforcer l’amitié franco-britannique au-delà des deux guerres mondiales. La Fédération nationale des anciens combattants résidant hors de France réunit l’ensemble des associations d’anciens combattants à l’étranger afin que le suivi de leur situation soit le plus efficace possible. Les familles, parfois binationales, de grands blessés sont aussi concernées par cette tragédie. Ce qui compte le plus, c’est de simplifier l’existence de ces familles, de les orienter vers la meilleure aide pour la prise en charge du blessé.

En effet, l’accompagnement des blessés de guerre est peut-être la toile de fond de cette proposition de loi. Comment utiliser les moyens classiques de prise en charge du handicap ? Comment aider aux mieux ces familles unies dans l’épreuve de la blessure et parfois du choc traumatique ? Depuis quelques mois, un secrétariat d’État aux victimes a été créé pour travailler sur la question des familles des victimes des chocs traumatiques, sujet éminemment complexe et qui dépasse largement le cadre militaire ; les études des génocides montrent même que ces chocs se transmettent de génération en génération. Vous voyez qu’une carte peut sembler dérisoire face à cette réalité tragique. Il serait préférable d’assurer les conditions de transmission d’une mémoire vivante, ce que j’appelle une culture mémorielle, au service de notre grand récit collectif.

Pour terminer, j’aimerais me référer à la fresque présentant une galerie de portraits de mutilés, que l’on peut voir dans le grand film de François Dupeyron datant de 2001, La Chambre des officiers. Oui, la guerre a un prix en nombre de morts, en familles endeuillées mais aussi en mutilations, en blessures profondes. Dans ses Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, le philosophe Jan Patocka évoque ce qu’il appelle cette « solidarité des ébranlés », ceux qui ont une conscience spirituelle du caractère fragile et éphémère de nos constructions sociales, ceux qui ne peuvent plus avoir la même perception des réalités après l’épreuve du conflit. Il écrit : « L’humanité n’atteindra pas le terrain de la paix en se laissant prendre aux leurres de la quotidienneté, en se mesurant à l’aune du jour. Celui qui trahit cette solidarité devra se rendre compte qu’il nourrit la guerre, que c’est lui, l’embusqué à l’étape qui vit du sang des autres. Cette conscience trouve un soutien puissant dans les sacrifices du front des ébranlés. Amener tous ceux qui sont capables de comprendre à éprouver intérieurement l’incommodité de leur situation commode, voilà le sens qu’on peut atteindre au-delà du sommet humain qu’est la résistance à la Force, le dépassement de la force ».

Vous voyez que cette solidarité des ébranlés dépasse largement l’émission d’une carte, et qu’elle doit être reconsidérée. C’est ce à quoi nous assistons à l’occasion des commémorations du centenaire de la Grande Guerre, qui dépassent ce que Johann Michel nommait la « gouvernance mémorielle », nous placent devant les défis de l’Histoire et sonnent comme un appel permanent à la raison. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, c’est au nom de cette « solidarité des ébranlés » que j’aimerais, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, vous suivre en émettant un avis de sagesse sur l’institution de cette carte. Elle nous semble inadéquate et source de confusion, même si l’intention reste louable. Par conséquent, nous laissons à l’Assemblée le soin de se prononcer sur cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Depuis la fin de la guerre d’Algérie, plus de 600 Français sont tombés au combat. En 2015 plus de 7 000 militaires français étaient déployés en OPEX. Notre engagement au Mali notamment a été coûteux en vie humaines. La nation toute entière rend régulièrement hommage à cette jeunesse de France qui accepte de se sacrifier pour sa patrie, au milieu de politiques internationales parfois incompréhensibles. Leur sacrifice, comme celui de nos aînés à Verdun et ailleurs, nous rappelle que nos bisbilles parlementaires valent bien peu devant l’honneur et la vertu de nos soldats.

Les blessés de guerre, selon l’évaluation du rapporteur, touchent 9 000 personnes dans le cadre familial, sans compter, je crois, les conséquences pour les ascendants, nos soldats étant souvent très jeunes. Ces milliers de personnes méritent le plus grand respect de la nation tout entière. Pour expliquer les pertes des premières années de la guerre de 14, le général de Castelnau disait : « Nous avons péché par infatuation » et, aujourd’hui, beaucoup dans les rangs ne supportent plus l’infatuation d’un certain héritage de mai 68 qui, après les avoir brocardées, a trop souvent oublié les souffrances, qui, elles, persistaient dans la plus pure et la plus honorable tradition de la Grande Muette.

On peut d’ailleurs saluer le travail extraordinaire de l’hôpital militaire de Percy et de l’institution des Invalides. Aux blessés d’Afghanistan, du Mali, de Centrafrique et de tant d’autres théâtres d’opérations, ils savent fournir l’attention et l’assistance nécessaires pour panser ce qui peut l’être. On pense notamment au choc sourd des difficultés post-traumatiques qui enferment le soldat et sa famille dans une marge délicate de la société. Face à un monde qui ne comprend pas son engagement, voire qui, comme lors des manifestations de la CGT, tente d’attaquer l’institution des Invalides, le soldat meurtri a besoin de la sollicitude et du professionnalisme dont font preuve tant de médecins.

Le rapport de mon collègue Olivier Audibert Troin le souligne d’ailleurs avec précision : « Dans le cas particulier des victimes de stress post-traumatique, le caractère invisible de la blessure est, pour la famille, une difficulté majeure. Le délai de latence est également déstabilisant, la maladie pouvant se déclarer des mois, voire des années après la survenue de la blessure restée cachée jusque-là. Le mutisme, l’isolement, l’hyperactivité, l’irritabilité, les phobies, les addictions, les cauchemars sont autant de comportements difficiles à supporter et à admettre par le conjoint et les enfants qui doivent les endurer. » J’espère que l’engagement du Gouvernement ira dans une prise en compte très pointue de ce sujet !

La carte de la famille de blessé de guerre est une excellente initiative. Je tiens dès à présent à vous en féliciter. Tout une série d’initiatives doivent d’ailleurs s’y retrouver : le pacte Défense PME pourrait intégrer des recrutements facilités pour les familles de blessés, la DRHAT – Direction des ressources humaines de l’armée de Terre – pourrait développer un pôle spécifique, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerres pourrait faire bénéficier les familles concernées de son réseau extraordinaire, tant d’autres projets étant possibles ! C’est pourquoi j’aurais aimé que la création de cette carte par le ministère de la défense intègre celle d’un processus dédié dans l’ensemble des ministères français.

Je pose aussi la question de la place accordée à la gendarmerie dans ce modèle. On connaît la décision néfaste qui a consisté à faire passer la gendarmerie nationale sous le contrôle du ministère de l’intérieur. On sait également que nos gendarmes n’ont jamais admis cette volonté. Et ils ont bien raison. Mais sortir les gendarmes du dispositif de la carte de familles de blessés de guerre alors qu’ils assurent des missions de prévôté et de protection d’ambassades, notamment à Bagdad et à Kaboul, serait contraire au bon sens. Aux côtés de nos soldats, des gendarmes risquent leur vie au cours de missions extérieures : leurs familles doivent bénéficier de ce lien fort qui existe avec le ministère de la défense. Il serait inacceptable que les familles de gendarmes ne bénéficient pas de cette initiative, monsieur le secrétaire d’État !

Je vous adresse donc, monsieur le rapporteur, toutes mes félicitations pour ce texte qui, je l’espère, sera complété par cette modeste mesure au profit des gendarmes – un complément qui ne sera pas majeur au plan financier mais sera essentiel au plan symbolique.

Enfin, quelle est la place dans le texte des blessés des attentats terroristes ? Ils sont les victimes de la pire des guerres, celle qui annihile tous les droits de l’homme, de la femme et des enfants. Ils devraient être concernés car ils ont également droit à notre sollicitude.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. Je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble des orateurs pour leurs propos. Ils ont tous tenu à souligner le travail qui a été effectué et auquel, je le répète, j’associe notre ancienne collègue Émilienne Poumirol.

Chacun des orateurs a rappelé l’importance de la reconnaissance de la nation ainsi que le rôle primordial des familles dans la reconstruction des blessés. Tous les médecins rencontrés l’ont souligné : un soutien familial fort permet d’accélérer la guérison. Ce soutien est donc bénéfique également pour nos armées.

Monsieur Premat, cette carte de famille ne saurait être source de confusion, comme vous en avez exprimé la crainte à la fin de votre propos. Elle n’est pas destinée à ajouter de la complexité à la complexité. Cette proposition de loi répond à ce qui fait l’essentiel du travail d’un parlementaire : être à l’écoute. Elle est à l’écoute des blessés, de leurs familles et des membres de la commission de la défense, au sein de laquelle nous avons travaillé ces derniers jours sur le sujet. Ce texte n’est donc que l’expression de leur volonté, particulièrement de celle des familles. Le mot « reconnaissance » est revenu dans votre propos comme dans celui de l’ensemble des orateurs. Or, parler de reconnaissance et de symbole, c’est écarter la confusion.

Ce texte est concis et laisse toute latitude au ministère de la défense pour en déterminer les ayants droit. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à ajouter à la suite de votre intervention que, si nous avons choisi le mot « famille », c’est parce que c’est le mot qui apparaît régulièrement dans les textes qui concernent le soldat, qu’il s’agisse du Guide de l’armée de terre, qui mentionne « l’accompagnement des familles de militaires partant en OPEX », ou du quatrième alinéa de l’article L. 4111-1 du code de la défense. Nous avons donc volontairement repris ce mot, afin que notre texte corresponde à tous ceux qui accompagnent le blessé.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. Chaque intervenant a souligné l’importance du rôle de la famille dans la reconstruction du blessé : ce point fait ici l’unanimité.

Si j’ai annoncé que le Gouvernement s’en remet, sur cette proposition de loi, à la sagesse de l’Assemblée, c’est parce qu’elle ne borne pas suffisamment le périmètre des ayants droit. La famille comprend les ascendants et les descendants : il convient de le préciser. Il convient également de fixer les modalités d’application du texte.

C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas défavorable au texte mais, comme je l’ai dit, s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

Article unique

M. le président. La parole est à M. Olivier Audibert Troin, pour soutenir l’amendement n3 rectifié.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. À la suite de ses travaux, la commission a souhaité ajouter, en vue de préciser la définition de ce que pourrait être la famille ou les ayants droit, que la carte sera délivrée « par le ministre de la défense sur demande expresse du blessé » ou, si le blessé n’a pas la capacité de faire la demande lui-même, « de son curateur ou de son tuteur ».

En effectuant sa demande, le blessé pourra ainsi déterminer les membres de la famille pouvant être titulaires de la carte. Il s’agit d’un amendement de précision.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. Favorable, à l’unanimité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. Cet amendement précise les modalités d’octroi de la carte : ce n’est pas la famille qui en fera la demande mais le militaire blessé ou son tuteur, ce qui permettra d’éviter des demandes qui ne seraient pas souhaitées et de faciliter le travail du service instructeur, qui n’aura affaire qu’à un seul demandeur.

Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement.

(L’amendement n3 rectifié est adopté.)

(L’article unique, amendé, est adopté à l’unanimité.)

Après l’article unique

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, pour soutenir l’amendement n1.

M. Jacques Bompard. J’ai déjà présenté la teneur de cet amendement au cours de mon intervention dans la discussion générale.

Comme pour des missions de prévôté ou pour des missions de protection de nombreux gendarmes interviennent sur des théâtres d’opérations ou dans des pays marqués par des conflits violents, la tradition militaire de la gendarmerie nationale me semble justifier leur éligibilité à ce dispositif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, non pas pour être désagréable à son auteur, mais parce que l’amendement est déjà satisfait. Les gendarmes sont des militaires qui, lorsqu’ils agissent en opérations extérieures, sont sous l’autorité du ministre de la défense. Ils sont ainsi éligibles aux mesures applicables aux blessés de guerre et le seront donc à cette carte si le texte est adopté.

Je tiens à rappeler qu’à l’heure actuelle trente-six gendarmes blessés en OPEX sont autorisés à porter l’insigne de blessés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. Le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre précise que les blessures de guerre sont reconnues pour les militaires : les gendarmes étant des militaires, ils relèvent donc de ce texte initial.

C’est pourquoi je demande le retrait de l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Je retire l’amendement, monsieur le président.

(L’amendement n1 est retiré.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée à l’unanimité.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à rendre constitutionnel le principe d’indisponibilité du corps humain ;

Discussion de la proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse ;

Discussion de la proposition de résolution visant à proposer une homologation d’une année scolaire passée à l’étranger ;

Discussion de la proposition de loi relative au remboursement des taxes d’aéroport.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures quinze.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly