Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 26 janvier 2017

SOMMAIRE

Présidence de M. David Habib

1. Ratification d’un traité international et approbation d’un accord international

Traité France-République tchèque relatif à la coopération dans le domaine de l’espace extra-atmosphérique

Accord France-Secrétariat sur les pêches dans le sud de l’océan Indien

2. Ratification de deux ordonnances relatives à la consommation

Présentation

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission mixte paritaire

Rappel au règlement

M. Marc Le Fur

Présentation (suite)

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics

Discussion générale

M. Jean-Marie Tétart

M. Arnaud Richard

Mme Jacqueline Maquet

Vote sur l’ensemble

3. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Présentation

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Michel Issindou

M. Arnaud Viala

M. Arnaud Richard

Vote sur l’ensemble

4. Agence nationale de santé publique

Présentation

M. Alain Ballay, rapporteur de la commission mixte paritaire

Rappel au règlement

M. Dominique Tian

Présentation (suite)

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Michel Issindou

M. Gilles Lurton

M. Arnaud Richard

M. André Vallini, secrétaire d’État

M. Arnaud Richard

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

5. Extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse

Présentation

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes

Mme Catherine Coutelle, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Motion de rejet préalable

M. Christian Kert

Mme Laurence Rossignol, ministre

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

M. Frédéric Reiss

Mme Sonia Lagarde

M. Alain Tourret

M. Gabriel Serville

Mme Annie Le Houerou

Discussion générale

M. Gilles Lurton

Mme Sonia Lagarde

M. Alain Tourret

M. Gabriel Serville

M. Alain Ballay

M. Philippe Gosselin

Mme Chantal Guittet

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Pierre Lellouche

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Ratification d’un traité international

et approbation d’un accord international

Procédure d’examen simplifiée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, en application de l’article 103 du règlement, de deux projets de loi autorisant l’approbation de traités et accords internationaux (nos 3906, 4407 ; nos 4246 et 4397).

Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je vais mettre aux voix chacun d’entre eux, en application de l’article 106 du règlement.

Traité France-République tchèque relatif à la

coopération dans le domaine de l’espace extra-atmosphérique

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord France-Secrétariat sur les pêches

dans le sud de l’océan Indien

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

2

Ratification de deux ordonnances relatives à la consommation

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi ratifiant les ordonnances n2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services (n4378).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission mixte paritaire.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, nous sommes saisis, ce matin, des conclusions de la commission mixte paritaire – CMP – chargée d’examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant deux ordonnances relatives au code de la consommation. Ces conclusions ont été adoptées à l’unanimité des membres de la commission mixte paritaire, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.

Le projet de loi de ratification était à l’origine essentiellement technique, puisqu’il visait à parachever le grand œuvre de réécriture du code de la consommation, projet entamé il y a de nombreuses années et qui, après quelques vicissitudes, avait abouti à la publication de l’ordonnance du 14 mars 2016. Il s’agissait également de ratifier l’ordonnance de mars 2016 qui appliquait une directive relative aux crédits immobiliers adoptée après la crise des subprimes aux États-Unis.

Je ne m’étendrai pas longuement sur la ratification de ces deux ordonnances, nécessaire pour achever le travail considérable de réécriture et de clarification du code de la consommation, ni sur les modifications apportées par le Sénat, toutes pertinentes et validées sans difficulté par la commission mixte paritaire.

Le texte dont nous sommes saisis a toutefois pris une autre dimension après la décision du Conseil constitutionnel de censurer, dans la loi « Sapin 2 », un certain nombre de dispositions relatives au code de la consommation, et ce pour des motifs de procédure. Le Sénat, en première lecture, a décidé d’utiliser le présent véhicule législatif pour réintroduire ces dispositions, dans la mesure où elles ont un lien direct avec les questions de consommation.

Le Sénat a ainsi réintroduit les articles relatifs à la vente de métaux précieux et au contrôle de la DGCCRF – Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – sur les taxes aéroportuaires qui avaient, à l’époque, été défendues par l’Assemblée nationale. Nous avons donc tout lieu de nous féliciter de l’insertion de ces mesures par la Haute Assemblée.

Reste l’enjeu principal du texte, la disposition relative à l’assurance emprunteur, nouvelle étape d’un long feuilleton qui a occupé toute la législature, puisqu’il avait commencé avec la loi bancaire, s’était poursuivi avec la loi consommation et aurait dû s’achever avec la loi Sapin 2 si le Conseil constitutionnel, pour des raisons de procédure, donc, n’en avait décidé autrement.

L’Assemblée avait décidé d’offrir à tout emprunteur la possibilité de résilier le contrat d’assurance souscrit dans le cadre d’un crédit immobilier, et ce à tout moment, donc pas seulement au cours des douze mois qui suivent la signature du contrat de prêt. Nous estimions que cette disposition devait s’appliquer à l’ensemble des contrats de prêt immobilier, les contrats déjà souscrits comme ceux qui le seront, et nous pensions que le Sénat réintégrerait, en ces termes, cette disposition comme il l’a fait pour les autres ; or il a limité le droit de substitution aux futurs contrats.

Cette décision, déjà bienvenue, montre que le Sénat partage avec nous l’idée qu’une concurrence accrue entre les acteurs de l’assurance est de nature à faire baisser les tarifs pour le consommateur ; mais il n’a pas complètement franchi le pas, comme l’avait fait l’Assemblée en étendant le droit de substitution aux contrats en cours, car une telle extension risquait, selon lui, de « jeter le bébé avec l’eau du bain », autrement dit de fragiliser la disposition applicable aux futurs contrats.

Après en avoir longuement discuté, la commission mixte paritaire a adopté, à l’unanimité, un amendement que j’ai déposé avec mon collègue Martial Bourquin, pour intégrer, comme l’avait fait l’Assemblée, les contrats en cours dans le dispositif, moyennant une entrée en vigueur différée au 1er janvier 2018. Les membres de la commission mixte paritaire ont considéré que le risque constitutionnel était, avec cet amendement, extrêmement limité.

En quoi résidait ce risque ? Tout d’abord, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la disposition n’a rien de rétroactif : il ne s’agit pas, en effet, de rendre recevables d’anciennes demandes de substitution, mais d’appliquer le droit de substitution aux contrats en cours, comme cela se fait souvent dans le droit du logement ou de l’urbanisme. S’agissant de l’application d’une loi nouvelle à des contrats en cours, le Conseil constitutionnel, évidemment soucieux de la liberté contractuelle, a énoncé une double exigence. La première est que cette application soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ; la seconde, qu’elle soit proportionnée à cet objectif.

En l’espèce, nous pensons que le motif d’intérêt général est bien réel, et, de surcroît, double. Il s’agit d’abord, en effet, d’améliorer le fonctionnement d’un marché dont chacun s’accorde à dire qu’il est déficient. Ainsi, le coût des sinistres couverts par l’assurance emprunteur représente aujourd’hui moins de 50 % de la prime payée par les emprunteurs, alors que les commissions perçues par les distributeurs – banquiers et assureurs, donc – représentent, elles, jusqu’à 44 % de cette même prime.

D’autre part, l’assurance emprunteur représente près de 20 % des doléances enregistrées par le médiateur de la Fédération française des sociétés d’assurance, alors même que le nombre de contrats d’assurance souscrits dans le cadre d’un prêt immobilier est évidemment beaucoup moins élevé que le nombre de contrats souscrits, par exemple, pour des crédits automobile.

Améliorer le fonctionnement de ce marché est à nos yeux un motif d’intérêt général. La baisse des tarifs générée par la concurrence, donc le gain de pouvoir d’achat, en est un autre puisque les estimations montrent que les économies pourraient se monter, pour les intéressés – particuliers et parfois professionnels –, à quelques centaines de millions d’euros.

Nous estimons par ailleurs que, si le risque de « démutualisation » – autrement dit de moindre couverture assurantielle – n’existe pas pour les nouveaux contrats, il n’y a pas de raison qu’il existe pour les contrats en cours.

Le motif d’intérêt général est donc bel et bien réel à nos yeux. La nature particulière des contrats de prêt immobilier, qui courent souvent sur quinze ou vingt ans, justifie aussi, selon nous, que la mesure puisse s’appliquer sur toute leur durée et non qu’il faille, pour cela, attendre leur terme, après une longue période d’inertie.

La seconde exigence posée par le Conseil constitutionnel est que la mesure soit proportionnée à l’objectif poursuivi. C’est précisément ce qui justifie la légère modification apportée au dispositif de la loi Sapin 2, je veux parler du report au 1er janvier 2018. Cette échéance permettra aux banques de se préparer, s’il en est besoin, à l’application de la mesure – donc de se préparer au fait que certains de leurs clients pourraient opter pour une autre assurance –, mais aussi, au fond, de mettre sur un pied d’égalité les nouveaux contrats et les contrats existants : les premiers, souscrits en 2017, peuvent déjà, en vertu des dispositions de la loi relative à la consommation, être substitués dans les douze premiers mois ; si bien que le report d’un an du droit de substitution les soumettra au même régime que les contrats souscrits à partir de 2018.

Cette possibilité offerte à tout emprunteur de résilier l’assurance de prêt immobilier – importante puisqu’elle couvre contre les « pépins » de la vie – souscrite, par exemple, dans sa banque, au profit d’une autre, proposée par un organisme différent et moins onéreuse tout en étant aussi protectrice – selon le dispositif voté par la représentation nationale avec la loi Sapin 2 –, est un geste politique fort, qui honore les deux assemblées, majorité et opposition réunies, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.

Le fonctionnement du marché, trop déséquilibré au détriment du consommateur, s’en trouvera amélioré, et nous redonnerons aussi aux Français une liberté de choisir et, surtout, du pouvoir d’achat, ce dont ils ont bien besoin. La France peut être fière de parfaire, avec ce texte, un système de crédit immobilier qui, en Europe et dans le monde, a déjà montré sa capacité de résistance aux crises financières tout en ouvrant l’accession à la propriété aux classes moyennes et modestes, pour lesquelles il reste aussi très protecteur. Aussi j’espère pouvoir compter sur vous, mes chers collègues, pour suivre l’avis de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Rappel au règlement, en effet, sur le fondement de l’article 58-1.

Comme l’a fort bien expliqué Mme la rapporteure de la commission mixte paritaire, il s’agit d’introduire dans notre droit une disposition rétroactive qui permettra de remettre en cause d’autres dispositions touchant à l’assurance emprunteur actuelle ; en d’autres termes, ce n’est pas seulement le flux, mais aussi le stock qui est visé.

Cela pose deux problèmes. Le premier regarde le droit parlementaire, puisque cette disposition n’a pas été débattue en première lecture au sein de la commission saisie au fond par notre assemblée. D’autre part, le Sénat, après en avoir débattu, l’a rejetée.

Le second problème est celui du risque d’inconstitutionnalité : ce n’est pas moi qui le dis, monsieur le secrétaire d’État, mais votre collègue Mme Pinville, qui avait alerté les sénateurs à ce sujet. Un texte de loi peut comporter des dispositions rétroactives, mais à condition qu’un intérêt général suffisant le justifie. Des questions prioritaires de constitutionnalité – QPC – ne manqueront donc pas d’être soulevées, et ce dès 2018.

Le texte en lui-même est très bon,…

M. Michel Issindou. Absolument !

M. Marc Le Fur. …mais je crains qu’il ne soit mis à mal ou contesté pour les raisons que je viens d’exposer : une fois encore, ce n’est pas moi qui le dis, mais votre collègue du Gouvernement, qui s’est exprimée en ce sens lors des débats au Sénat.

Monsieur Le Fur, votre intervention, qui n’était pas tout à fait un rappel au règlement, visait à anticiper la discussion sur le projet de loi. Comme il se doit, je prends néanmoins acte de vos remarques, qui figureront au compte rendu de la séance.

Présentation (suite)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure de la commission mixte paritaire, mesdames et messieurs les députés, le renforcement des droits et de la confiance des consommateurs a été une priorité de l’action du Gouvernement depuis 2012. Chaque jour restant de cette législature doit être un jour utile : ce jour le sera, incontestablement.

Martine Pinville vous prie tout d’abord d’excuser son absence, en raison d’un engagement hors de Paris. Je remercie pour ma part l’ensemble des parlementaires, en particulier Mme la rapporteure, qui, avec ses collègues sénateurs, a réalisé un travail considérable, dans une commission mixte paritaire complexe.

Cette priorité accordée au renforcement des droits et de la confiance des consommateurs, nous en avons fait un levier essentiel de la relance de la croissance française – avec succès, comme le montrent les derniers résultats économiques.

Pour y parvenir, il a d’abord fallu apporter des garanties supplémentaires et de nouveaux droits aux consommateurs. C’était chose faite, dès 2014, avec la loi consommation, qui est venue renforcer les droits de consommateurs déjà existants mais trop souvent malmenés.

Je voudrais vous citer quelques exemples concrets de situations nouvelles issues de cette loi : les élèves des auto-écoles ne sont plus obligés de payer des frais à la restitution de leur dossier ; les achats de lunettes de vue sur internet sont encadrés ; les comparateurs de prix en ligne se voient obligés de proposer une information claire, transparente et loyale.

La loi consommation est même allée plus loin en créant de nouveaux droits. Je pense notamment au droit de s’opposer au démarchage téléphonique abusif avec le dispositif Bloctel auquel plus de 2,7 millions de Français ont déjà adhéré. Je pense aussi au droit de résilier à tout moment son assurance automobile ou multirisque habitation, après un an de contrat. Je pense enfin au droit d’obtenir réparation des dommages matériels subis lors d’un acte de consommation, avec le dispositif de l’action de groupe.

Aujourd’hui, après le renforcement de ces fondamentaux et l’instauration de nouveaux droits, nous achevons le toit de ce que nous pouvons appeler la grande maison des droits du consommateur. Mesdames et messieurs les députés, vous l’aurez compris, ce toit c’est la recodification du code de la consommation, soumise à votre ratification à travers l’ordonnance du 14 mars 2016 relative à la partie législative du nouveau code de la consommation. Ce nouveau code de la consommation nous fait avancer vers une émancipation des consommateurs.

La loi consommation a permis des avancées en matière de droit du consommateur. Pourtant, je regrette de constater que les consommateurs ignorent encore trop souvent leurs droits, qu’ils soient nouveaux ou plus anciens, ce qui les empêche d’en bénéficier pleinement.

Je ne vous apprendrai pas qu’un droit ou une liberté ne vaut que si l’on peut en jouir pleinement. Sinon, ils ne restent que de beaux principes, connus d’une poignée d’experts, mais trop souvent ignorés du reste de la population.

Or, vous en conviendrez, mesdames et messieurs les députés, l’accès à l’information, c’est-à-dire la lisibilité du code de la consommation, était une véritable chasse aux trésors pour ceux qui trouvaient la patience de s’y plonger afin de s’informer de leurs droits. Certains d’entre vous savent de quoi je parle : il y a les erreurs rédactionnelles, le manque d’harmonisation, en matière de sanction notamment, voire des oublis. Vous l’aurez compris, une refonte de ce code était nécessaire.

La recodification du code de la consommation, entrée en vigueur le 1er juillet dernier, vient apporter une simplification dans les dispositions et une clarté aux utilisateurs, c’est-à-dire aux consommateurs, aux professionnels, mais aussi à l’administration, s’agissant des règles et des droits en matière de consommation.

C’est le fruit d’une dizaine d’années de travaux par les services de l’État, et je me réjouis que les consommateurs aient enfin accès à une plus grande lisibilité sur leurs droits et, donc, à une garantie supplémentaire de leur efficacité.

La recodification du code de la consommation permet non seulement de renforcer la confiance avec les professionnels, mais aussi de protéger le pouvoir d’achat des ménages, en informant mieux nos concitoyens. Quant aux entreprises, elles peuvent d’ores et déjà profiter de cette nouvelle organisation pour dénicher de bonnes pratiques commerciales et obtenir une plus forte sécurité juridique.

Enfin, les services de l’État disposeront de procédures et de pouvoirs d’enquête simplifiés, sécurisés et regroupés dans un livre spécifique. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en particulier, peut jouir d’un nouveau dispositif de sanctions administratives et de nouveaux pouvoirs, pour conduire encore plus efficacement ses enquêtes, de façon masquée, ou en sollicitant des agents externes.

Le second volet de ce projet de loi concerne la ratification de l’ordonnance du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation.

Notre action pour protéger les consommateurs français ne s’arrête pas là. Tout au long de ce mandat, nous avons été contraints par un contexte de crise économique dépassant largement nos frontières, la crise des subprimes, venue d’outre-Atlantique, affectant directement la distribution du crédit immobilier en France.

Avec la directive européenne du 4 février 2014, nous avons mis en place un cadre juridique harmonisé du crédit hypothécaire à l’échelle européenne et nous avons facilité l’avènement d’un marché intérieur du crédit immobilier, qui soit responsable et protège le consommateur. De nouvelles obligations ont ainsi été introduites dans le droit français, à destination des établissements de crédit et des intermédiaires de crédit. Je pense par exemple à la remise d’une fiche d’information standardisée, à l’évaluation de solvabilité, aux règles de conduite et de rémunération ou encore aux règles de compétence.

Bien entendu, compte tenu de l’encadrement juridique robuste d’ores et déjà applicable au crédit immobilier en France, certaines dispositions ne nécessiteront qu’une simple adaptation du droit français aux exigences posées par la directive.

Je souhaiterais souligner là que l’élaboration de cette ordonnance a donné lieu à une abondante concertation non seulement avec les organisations professionnelles, mais aussi avec les associations de consommateurs. Je me réjouis de cette démarche constructive, dans l’intérêt de tous.

Le Sénat a introduit en première lecture un droit de substitution annuelle des contrats d’assurance emprunteur. Comme cela a été rappelé, ce droit fait suite à la censure, pour des raisons de forme, de dispositions similaires dans le projet de loi dit Sapin 2 par le Conseil constitutionnel.

Ces dispositions permettent de résilier annuellement un contrat d’assurance emprunteur, au-delà de la période de douze mois après la signature de l’offre de prêt. Elles permettent aussi d’ouvrir la possibilité de substitution des contrats d’assurance emprunteur, pendant toute la durée de vie du prêt. Au cours de la discussion parlementaire, le Gouvernement avait émis des réserves sur ce dispositif, qui étaient de deux ordres.

Sur le fond, l’instauration d’un droit de substitution annuelle tout au long de la vie du contrat est risquée. En effet, comme l’a rappelé l’Inspection générale des finances dans son rapport de 2013, les contrats alternatifs présentent une segmentation plus importante en fonction de critères variés, tels que l’âge, la catégorie socio-professionnelle ou l’état de santé. Un alignement du marché de l’assurance emprunteur sur la segmentation pratiquée par les assureurs alternatifs pourrait se faire au détriment des plus âgés et des moins aisés, ou des personnes présentant un risque de santé.

M. Pierre-Alain Muet. C’est l’argument des banques, mais c’est faux !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Le Gouvernement a cependant entendu les objectifs recherchés par le législateur, qui sont des objectifs de protection des consommateurs, considérés en quelque sorte comme captifs de leur contrat d’assurance, et d’ouverture du secteur de l’assurance emprunteur à la concurrence. Sur cette appréciation, le Gouvernement s’en est remis la sagesse du Parlement.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. Il a bien fait !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Sur la proportionnalité du dispositif, le législateur a choisi, contre l’avis initial du Sénat, d’appliquer cette mesure aux situations contractuelles en cours au 1er  janvier 2018. Cette décision présente quelques risques de fragilité d’un point de vue juridique. La possibilité nouvelle offerte par la loi risque de ne concerner qu’une partie des assurés, ceux présentant les profils de risque les plus favorables, qui auront un intérêt financier à demander la résiliation de leur contrat. Une telle mesure, qui porte atteinte à de nombreux contrats, aurait été davantage justifiée si l’objectif d’intérêt général, c’est-à-dire le bénéfice pour l’ensemble de la communauté des assurés, avait été constitué avec une plus grande certitude.

Sur toutes ces questions, je souhaite néanmoins saluer la qualité des échanges avec les parlementaires. J’ai la certitude que l’ensemble des points de vue ont été exprimés. Cet article a été adopté à l’issu d’un débat nourri, qui a permis d’aborder toutes ces questions.

Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi a aussi fait l’objet d’améliorations rédactionnelles à l’occasion de son examen à l’Assemblée nationale. Ces quelques ajustements ont permis d’aboutir au texte qui vous est soumis aujourd’hui, lequel apportera à nos concitoyens, à nos entreprises et aux services de l’État un cadre juridique modernisé, au service de la protection des consommateurs et, in fine, du renforcement de l’économie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie Tétart.

M. Jean-Marie Tétart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, mon intervention sera brève, car l’enjeu du texte que nous examinons aujourd’hui est consensuel. En effet, la commission mixte paritaire a abouti. J’en étais membre et j’ai voté le texte qu’elle a élaboré. Par conséquent, nous voterons naturellement le projet de loi en séance publique aujourd’hui.

Ce projet de loi est tout d’abord une formalité, puisqu’il vise à ratifier deux ordonnances qui, par définition, s’appliquent déjà. La première, du 14 mars 2016, est relative à la partie législative du code de la consommation, afin de la recodifier, pour en aménager le plan. Il s’agit d’une mesure de simplification, puisque l’accessibilité de la loi a été améliorée pour les consommateurs et les professionnels. L’administration de contrôle dispose désormais de procédures et de pouvoirs d’enquête simplifiés et sécurisés, regroupés dans un livre dédié.

La seconde, celle du 25 mars 2016, porte sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation, et simplifie le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services. Elle transpose la directive du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel, laquelle institue un cadre juridique harmonisé à l’échelle européenne pour la distribution du crédit immobilier et du crédit hypothécaire. Elle édicte notamment des règles de bonne conduite et de compétence professionnelle pour les prêteurs et les intermédiaires. Elle crée, par ailleurs, un statut européen pour les intermédiaires en crédit immobilier.

Les autres articles du projet de loi apportent des rectifications d’erreurs matérielles dans le code de la consommation, ainsi que des adaptations textuelles dans plusieurs codes. Lors de l’examen parlementaire, des amendements ont enrichi ce texte : l’Assemblée nationale a par exemple clarifié la définition du non-professionnel dans le code de la consommation ; en outre, le Sénat a apporté des réponses très concrètes à des sujets de vie quotidienne pour nos concitoyens. Ainsi, le délai de rétractation en cas de vente de métaux précieux est augmenté, passant de quarante-huit heures à vingt-quatre heures.

Les règles en matière de remboursement de taxes aéroportuaires lorsque le détenteur du billet n’a pas voyagé ont également été ajustées. J’approuve ces ajustements, ayant déposé une proposition de loi visant à prévoir l’automaticité du remboursement, dès lors qu’un moyen de paiement le permet, et à renforcer l’information du consommateur sur ce remboursement et sur la composition du prix. Ce texte, examiné le 16 juin, n’avait malheureusement pas été soutenu par la majorité. Je reconnais cependant que la ministre a tenu ses engagements, en entamant des discussions pour parvenir à des résultats similaires.

Enfin, le Sénat a repris un article de la loi Sapin 2, censuré par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Il s’agit de la mise en place pour les assurances emprunteur de ce droit de substitution annuel que nous venons d’évoquer.

Actuellement, l’emprunteur peut choisir une assurance au moment de la signature du prêt, puis la remplacer par une autre dans les douze mois qui suivent. L’article 4 bis propose que ce droit de substitution s’applique sans limitation de temps. En CMP, nous avons discuté de manière approfondie et modifié la rédaction de l’article afin de faire une distinction pour le stock des contrats en cours. Le droit de substitution annuel serait donc applicable dès la publication de la loi pour les nouveaux contrats et à compter du 1er janvier 2018 pour les contrats en cours.

Notre discussion a montré que l’intérêt général était évident, que le pouvoir d’achat des emprunteurs serait amélioré, sans dommage important, apparemment, pour ceux qui gèrent les assurances. En distinguant flux et stock, nous avions conscience de prendre un risque – calculé –, mais nous avons pensé que cela valait la peine, car notre belle unanimité politique autour d’un enjeu d’intérêt général montrait, tant au Conseil constitutionnel qu’à la profession bancaire, que nous y tenions et que cela ne remettait pas en cause le principal. C’est donc bien volontiers que je me satisfais, pour ma part, de cette rédaction.

Face à ces avancées, nous n’aurons aucune raison de nous opposer à ce texte, et nous le voterons.

Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Très bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Même M. Le Fur ?

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons s’inscrit dans un long processus de codification et de simplification entamé il y a presque une dizaine d’années et mené par plusieurs majorités, plusieurs gouvernements et donc plusieurs ministres chargés de la consommation.

Nous ratifions deux ordonnances relatives au droit de la consommation, prises sur le fondement de dispositions relevant de deux lois distinctes, la loi Hamon – ce n’est pas une page de publicité (Sourires) –, fruit de la loi Chatel, et la loi du 30 décembre 2014 relative à diverses dispositions d’adaptation de la législation du droit européen en matière économique et financière.

Chacun de nous a bien en tête que nul n’est censé ignorer la loi. Or l’architecture de notre code de la consommation était devenue totalement inadaptée et peu accessible pour nos concitoyens. En dépit d’une recodification récente, les nombreuses réformes intervenues l’ont rendu illisible. Pourtant, comme l’a souligné M. Tétart, cela concerne le quotidien de nos concitoyens.

Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants accueille donc avec bienveillance ce projet de loi. Adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale et au Sénat, il répond à une logique de rationalisation et redonne de la lisibilité à des normes existantes.

La procédure de ratification d’ordonnances est éminemment importante. Elle montre que le Parlement est capable de ne pas être d’accord avec le Conseil constitutionnel ou avec le Gouvernement. Elle permet de consolider l’ordonnancement juridique de notre droit et évite toute remise en cause de normes intervenues dans le domaine législatif.

Sur le fond, le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer n’appelle pas de commentaire politique. C’est un projet de loi purement technique sur la forme, mais une transposition en droit interne n’est pas neutre et nous ne pouvons que soutenir cette initiative.

La première ordonnance vise à recodifier la partie législative du code de la consommation. Elle rendra les choses beaucoup plus lisibles, que ce soit pour les consommateurs ou pour les professionnels qui ont à mettre en œuvre ces obligations et ces règles.

La seconde ordonnance a pour objet de transposer une directive européenne sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation. C’est un sujet beaucoup plus lourd, qui traîne dans le droit européen depuis de nombreuses années. Elle comporte des dispositions applicables en matière de publicité, d’information précontractuelle et contractuelle ou de défaut de paiement. Elle permettra d’éviter certains risques potentiels et de mieux encadrer ce marché.

Les travaux en commission mixte paritaire, en l’absence du Gouvernement, ont permis de déboucher sur un texte de consensus. Le seul point de divergence était la date d’application du droit substitutionnel annuel du contrat d’assurance emprunteur. Proposé par le Sénat, un accord a été trouvé pour la retarder au 1er janvier 2018 pour les contrats d’assurance en cours d’exécution à cette date, ce qui n’est pas neutre.

Sur la résiliation annuelle, souffrez, monsieur le secrétaire d’État, que le législateur n’ait pas eu un regard d’actuaire, qui a été un peu le vôtre. C’est une disposition très favorable à nos concitoyens. J’entends vos inquiétudes mais, ne le prenez pas comme une critique, c’est un regard d’actuaire et j’espère que le marché n’évoluera pas dans ce sens.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Ce n’est pas une insulte !

M. Arnaud Richard. Non, c’est un très beau métier.

Ce projet de loi va dans le bon sens et, ce qui est somme toute le plus important, il est dans l’intérêt des consommateurs et leur permettra d’avoir une information pleine, entière et lisible. Pour toutes ces raisons, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants le votera.

Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Maquet.

Mme Jacqueline Maquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui, portant sur la ratification des ordonnances relatives au code de la consommation et, plus spécifiquement, sur les crédits aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers, est très important.

Le code de la consommation est complexe, mais a de grandes conséquences sur la vie quotidienne de nos compatriotes. C’est pourquoi sa simplification était indispensable. Elle a eu lieu, et à droit constant. Elle concernait le périmètre d’application de la possibilité donnée aux détenteurs d’un contrat d’assurance emprunteur d’en substituer un autre tous les ans. C’est un enjeu d’autant plus important que les ordonnances ramènent à des lois de 2014. Il était temps de clore ce débat.

L’Assemblée nationale avait décidé, par voie d’amendement, de conférer un droit de substitution annuel au contrat d’emprunteur aux signataires de nouveaux contrats. Le Sénat s’était opposé à cette disposition, qui, pourtant, avait été votée dans le cadre de la loi Sapin 2, avant d’être censurée pour cause de cavalier législatif.

La commission mixte paritaire du mardi 17 janvier courant s’est donc réunie pour examiner ce point et est parvenue à un accord dont la portée est considérable – ce qui prouve que la discussion parlementaire n’est pas vaine.

Nos collègues, Audrey Linkenheld pour l’Assemblée nationale et Martial Bourquin pour le Sénat, ont rappelé que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour appliquer une loi nouvelle à des contrats en cours, il fallait deux conditions cumulatives : un motif d’intérêt général et le fait que l’atteinte portée à la liberté contractuelle soit proportionnée à l’objectif poursuivi.

En l’espèce, les conditions étant réunies, la commission mixte paritaire a voté, à l’unanimité, pour revenir au texte souhaité par l’Assemblée nationale. Plus encore, elle a décidé d’étendre cette disposition à tous les contrats existants.

Cette mesure était importante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si, en vertu des règles de droit, il n’y a pas de rétroactivité, elle s’appliquera aux dossiers en cours de traitement, et un grand nombre de situations seront ainsi concernées. Cependant, afin de ne pas pénaliser les établissements financiers qui seront touchés par cette disposition, la commission mixte paritaire a souhaité leur laisser un délai courant jusqu’au 1er janvier 2018 avant son application effective.

Cette disposition montre bien quel aura été le cap tenu pendant tout le quinquennat. De la loi bancaire à la loi Sapin 2, en passant par la loi relative à la consommation, l’objectif de cette majorité aura été de sécuriser les droits des consommateurs et de leur faire gagner du pouvoir d’achat, en créant une concurrence favorable à une baisse des tarifs. Ce n’est pas négligeable et les effets sont visibles.

Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter de l’issue de ce projet de loi, qui sera bénéfique aux Français et qui démontre que, lorsque leur intérêt est en jeu, le Parlement sait faire preuve de responsabilité.

Bien entendu, conformément à ce qui s’est passé en CMP, le groupe socialiste, écologiste et républicain votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

3

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, des dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé (n4380).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Touraine, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous voici réunis pour la dernière étape du parcours législatif du projet de loi de ratification de l’ordonnance n2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La commission mixte paritaire réunie le 17 janvier dernier pour examiner ce projet de loi a adopté un texte commun aux deux assemblées parlementaires, trouvant sans difficulté une rédaction satisfaisante pour les trois articles qui restaient en discussion.

Lors de son dépôt, le projet de loi comptait trois articles. En première lecture, le Sénat a adopté deux articles supplémentaires à l’initiative du Gouvernement. L’article 3 est le principal dispositif du texte, puisqu’il propose la transposition d’une directive européenne relative à la qualité et à la sécurité des tissus et des cellules importées en provenance de pays tiers à l’Union européenne.

L’Assemblée nationale a été invitée à adopter conforme ce texte, le délai de transposition étant dépassé au moment où le texte lui a été transmis.

Notre assemblée a décidé de ne pas répondre à cette invitation pour des raisons de fond. Elle a en effet choisi de modifier substantiellement l’article 2, dont le dispositif a été débattu tant en commission qu’en séance publique. Constatant que le texte ferait de toute façon l’objet d’une navette et souhaitant parfaire son travail, elle a estimé également légitime d’en améliorer la qualité en adoptant des amendements de portée rédactionnelle.

L’article 1er proposait la ratification d’une ordonnance. Cet article n’appelant pas de remarques particulières, il a été adopté conforme par nos deux assemblées.

L’article 2, qui met en place une expérimentation visant à lutter contre les ruptures d’approvisionnement de certains médicaments, a suscité davantage de débats sur nos bancs. Initialement, le projet de loi limitait le champ d’expérimentation aux seuls grossistes répartiteurs. L’Assemblée nationale a fait le choix d’étendre cette règle à tous les maillons de la chaîne du médicament, de la production jusqu’à l’approvisionnement. L’expérimentation concerne donc désormais les laboratoires pharmaceutiques, les titulaires d’une autorisation de mise sur le marché ainsi que les distributeurs en gros à l’exportation. Tous ces acteurs devront déclarer à un tiers de confiance les quantités de médicaments qu’ils exportent.

La communication de ces informations par tous les acteurs de la chaîne du médicament doit permettre de comprendre l’origine des ruptures d’approvisionnement et de réaliser l’objectif de service public qu’est la fourniture adéquate de produits de santé sur tout le territoire.

À mon initiative, la commission des affaires sociales avait souhaité préciser que les obligations déclaratives doivent respecter des exigences de confidentialité explicites afin d’éviter toute entorse aux relations de confiance qui doivent structurer l’expérimentation. La commission mixte paritaire a approuvé cette nouvelle mouture du texte.

L’article 3, ensuite, était à l’origine la motivation principale de ce projet de loi. Il s’agissait de transposer dans notre droit la directive européenne relative à la qualité et à la sécurité des tissus et des cellules importés, en provenance de pays tiers à l’Union européenne. L’Assemblée nationale ainsi que la commission mixte paritaire ont adopté des amendements de précision et de coordination.

Les articles 4 et 5, enfin, n’appelaient pas de modification particulière : l’article 4 propose de transposer la compétence vaccinale à la Haute Autorité de santé, HAS ; l’article 5, adopté conforme par les deux chambres, proroge d’un an le délai d’habilitation donné au Gouvernement pour prendre des mesures par ordonnance, prévu à l’article 225 de la loi de modernisation de notre système de santé.

Je me réjouis de l’accord auquel nos deux assemblées sont parvenues, dans la mesure où le texte de la commission mixte paritaire reprend l’ensemble des avancées proposées par notre assemblée, notamment celles inscrites à l’article 2.

Cet accord permettra également de nous mettre rapidement en conformité avec la directive européenne relative à la qualité et à la sécurité des tissus et des cellules importés en provenance de pays tiers à l’Union européenne.

Je vous invite donc, chers collègues, à adopter ce texte qui apportera davantage de justice, de sécurité et de sérénité, aussi bien aux malades qu’à tous les professionnels du secteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous examinons ce matin deux projets de loi de ratification d’ordonnances issues de la loi de modernisation de notre système de santé.

Lors de la réunion du 17 janvier dernier, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, aussi bien sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, que sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique, que nous examinerons tout à l’heure.

Pour ce qui est du projet de loi de ratification de l’ordonnance portant simplification des procédures mises en œuvre par l’ANSM, le Gouvernement se félicite que le texte adopté par la CMP reprenne la totalité des amendements adoptés par l’Assemblée nationale en première lecture.

Le texte soumis à votre approbation représente donc une version améliorée, qui fait l’objet d’un consensus. Je remercie le rapporteur de ce projet de loi, M. Jean-Louis Touraine, ainsi que la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Catherine Lemorton, d’avoir permis, à travers leurs amendements, de lever certaines inquiétudes et incompréhensions, notamment sur l’article 2.

Au-delà de ses aspects techniques, ce projet de loi a pour objectif de moderniser nos procédures de sécurité sanitaire, de mieux prévenir les ruptures d’approvisionnement de médicaments et d’améliorer la gouvernance de la politique vaccinale.

L’ANSM est aujourd’hui une agence reconnue en France et à l’international comme une référence en matière d’évaluation et d’expertise relatives aux médicaments et aux produits de santé. En ratifiant l’ordonnance du 15 juillet 2016, l’article 1er du projet de loi simplifie le fonctionnement de l’agence, puisqu’il supprime certaines procédures techniques et administratives devenues obsolètes.

L’article 2 permet d’expérimenter, pour les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques comme pour les industries pharmaceutiques, la déclaration des quantités de médicaments produits ou acquis, non consommés au sein du système de santé français, et exportés. Cet article a fait l’objet de débats importants lors de son examen dans votre assemblée. La rédaction adoptée permet de rassurer les grossistes répartiteurs qui avaient pu se sentir injustement ciblés par cette expérimentation, de rendre celle-ci plus cohérente en l’étendant à l’ensemble de la chaîne de distribution du médicament, de garantir la confidentialité des données et enfin de prendre des engagements précis quant à la nature du tiers de confiance chargé de recueillir les données, qui sera désigné en concertation avec les acteurs concernés.

L’article 2 complète aussi les mesures relatives à la lutte contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments, en renforçant la transparence et en donnant aux pouvoirs publics une meilleure visibilité sur les niveaux et contenus des stocks.

L’article 3 de ce projet de loi renforce l’action de l’ANSM en matière de contrôle des importations de tissus et de cellules en provenance des pays tiers à l’Union européenne, en transposant la directive relative aux procédures de vérification des normes de qualité et de sécurité des tissus et des cellules importés.

Enfin, la discussion parlementaire a permis d’enrichir ce texte de deux articles additionnels.

L’article 4, relatif à la vaccination, permet le transfert du Comité technique des vaccinations, CTV, antérieurement rattaché au Haut Conseil de la santé publique, à la HAS.

Ensuite, l’article 5 permet de prolonger l’habilitation donnée au Gouvernement de légiférer par ordonnance pour assurer la cohérence des textes au regard de la loi adoptée. Cette ordonnance permettra de corriger les erreurs de référence ou de renvoi d’articles dans le code de la santé publique.

Mesdames et messieurs les députés, dans la droite ligne de la loi de modernisation de notre système de santé, ce projet de loi permet d’accompagner l’évolution de l’ANSM et de moderniser l’agence tout en garantissant à nos concitoyens un haut niveau de sécurité et de confiance dans les produits de santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Alain Tourret. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux que nous soyons parvenus, en commission mixte paritaire, à un accord sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Sans revenir sur les questions de fond et de procédure qu’a présentées le rapporteur, je souhaite évoquer quelques points importants de l’article 2.

L’Assemblée nationale a modifié cet article, dont le dispositif visant à lutter contre les ruptures d’approvisionnement a été débattu tant en commission qu’en séance publique. Dans la droite ligne des recommandations du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, IGAS, de mars 2014 consacré à la distribution en gros du médicament en ville, l’article 2 prévoit la mise en place d’une expérimentation visant à lutter contre les ruptures d’approvisionnement de certains médicaments.

Initialement, le projet de loi limitait le champ d’expérimentation aux seuls grossistes répartiteurs. L’Assemblée nationale a décidé de l’étendre à tous les maillons de la chaîne du médicament, de la production jusqu’à l’approvisionnement. L’expérimentation concerne désormais les laboratoires pharmaceutiques, les titulaires d’une autorisation de mise sur le marché ainsi que les distributeurs en gros à l’exportation. Tous ces acteurs devront déclarer à un tiers de confiance les quantités de médicaments qu’ils exportent. La communication de ces informations par tous les acteurs de la chaîne du médicament doit permettre de comprendre l’origine des ruptures d’approvisionnement afin de fournir de façon adéquate les produits de santé sur tout le territoire.

En commission des affaires sociales, nous avons par ailleurs souhaité réaffirmer l’exigence de confidentialité dans la communication de ces éléments. Cet article 2 parachève ainsi les mesures contenues dans la loi de modernisation de notre système de santé que nous avons adoptée en janvier 2016.

Je suis heureux que, sur un sujet de santé publique aussi important, nous parvenions à dépasser nos clivages. J’invite les députés du groupe socialiste, écologiste et républicain et tous nos collègues à voter ce texte issu de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 17 janvier dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je commencerai en évoquant quelques éléments de contexte.

Dans le cadre de la loi dite Bertrand de 2011 sur le médicament, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement d’Yves Bur et Arnaud Robinet qui prévoyait l’obligation, pour les distributeurs qui recourent à des exportations parallèles, de déclarer leur activité. Les conditions d’application devaient faire l’objet d’une convention qui n’a jamais vu le jour.

Les exportations parallèles sont légales et protégées par le droit de la concurrence tant national qu’européen. Les grossistes répartiteurs sont propriétaires de leur stock et peuvent donc en disposer librement dès lors qu’ils ont rempli leurs obligations de service public. C’est la raison pour laquelle la mise en œuvre de la mesure introduite en 2011 s’est avérée complexe voire impossible, car elle poursuivait un double objectif.

Ce projet de loi est essentiellement technique et a été adopté en procédure simplifiée. L’article 1er, qui ne faisait pas l’objet de discussion en CMP, répond au besoin de simplification des charges et des missions de l’ANSM.

C’est l’article 2 qui a fait débat, à la fois à l’Assemblée et entre les deux chambres. Il s’inscrit dans une longue suite de mesures destinées à réguler les exportations parallèles de médicaments pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement dans les pharmacies. L’article vise donc à donner une meilleure visibilité sur la concurrence que font les grossistes répartiteurs – qui ont pour mission d’approvisionner les pharmacies en médicaments, dans des délais contraints – aux laboratoires quand ils vendent des médicaments à l’étranger. Ce que l’on appelle « exportations parallèles de médicaments » est le fait de distributeurs qui vendent leurs stocks à l’étranger et peuvent donc parfois tirer parti d’un prix fabricant – réglementé en France – inférieur à celui pratiqué dans certains pays étrangers. Afin de les limiter, les laboratoires imposent aux distributeurs des quotas qui peuvent avoir pour effet d’entraîner des difficultés d’approvisionnement des officines. L’article 2 prévoit la mise en place, de manière expérimentale, pour trois ans, d’une obligation de déclaration, pour les grossistes répartiteurs, des quantités de médicaments qu’ils exportent.

En commission des affaires sociales, le rapporteur et la présidente de la commission n’étaient pas tout à fait d’accord sur l’article 2, et l’amendement de suppression de l’article déposé par Mme Lemorton a été rejeté de justesse. Elle a annoncé qu’elle le redéposerait pour la séance. Finalement un accord a été trouvé entre le Gouvernement et Mme Lemorton, et un amendement a été adopté. Il prévoit de ne pas inscrire l’obligation expérimentale de déclaration des exportations, imposées aux grossistes répartiteurs, dans le code de la santé, pour en souligner le caractère provisoire, et précise que les données transmises au tiers de confiance resteront bien confidentielles. Un sous-amendement de Mme Lemorton inclut les laboratoires pharmaceutiques dans la liste des acteurs soumis à l’obligation de déclaration.

Devant ces difficultés, le Gouvernement propose un système expérimental dont la mise en œuvre, comme ont pu le constater certains sénateurs, risque d’être complexe. Il souhaite néanmoins que ce dispositif permette de mener des analyses sur les exportations parallèles et leur lien éventuel avec les ruptures d’approvisionnement. La déclaration obligatoire se fera à un tiers de confiance qui n’est pas défini dans le texte et qui pourrait être, selon l’étude d’impact, soit la Caisse des dépôts, soit la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Les grossistes répartiteurs souhaiteraient que cette mission soit confiée à l’ANSM.

L’article 3, qui n’a pas fait l’objet de discussions en commission mixte paritaire, transpose la directive de la Commission du 8 avril 2015 relative aux procédures de vérification des normes de qualité et de sécurité des tissus et des cellules importés à des fins thérapeutiques. Cette directive encadre les conditions de l’importation par les États membres de l’Union européenne de tissus et de cellules en provenance des pays tiers.

Enfin l’article 4 transfère des compétences du comité technique des vaccinations à la HAS.

Nous avons suivi avec attention tous les débats, tant à l’Assemblée que, le 17 janvier dernier, dans le cadre d’une commission mixte paritaire à laquelle nous avons apporté notre soutien. Les députés du groupe Les Républicains voteront donc ce texte aujourd’hui.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Très bien !

M. Michel Issindou. Parfait ! Nous nous en réjouissons !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, il y a quelques semaines, l’ANSM a engagé une procédure de suspension de la commercialisation de l’Uvestérol D, après le décès malheureux d’un nourrisson. Cet événement dramatique a rappelé à chacun l’importance de la pharmacovigilance, à laquelle nous sommes tous très attachés et dont la réforme dans le droit européen a été suivie de près. D’ailleurs, près du tiers des médicaments commercialisés font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière de la part des autorités françaises. Le projet de loi de ratification que nous examinons ce matin s’attaque ainsi à un sujet important de santé publique, et c’est l’on ne peut en effet que se réjouir que nos deux assemblées soient parvenues à un accord lors de la commission mixte paritaire.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est une instance reconnue tant en France qu’à l’échelon international. Pourtant, malgré sa stature, elle est régulièrement ébranlée par des scandales sanitaires tels que celui du Mediator ou, plus récemment, celui des essais cliniques conduits par le laboratoire Biotrial.

L’agence est également affaiblie en interne par des crises de gouvernance, comme avant l’été 2016 où de nombreux postes vacants ont laissé craindre une absence de visibilité de la politique publique du médicament, tant en matière de sécurité que de contrôle des médicaments disponibles. Depuis une trentaine d’années, la politique publique du médicament en France a soulevé de nombreux émois – c’est peu de le dire !

En raison de l’importance des missions confiées à l’ANSM, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants sont attachés, comme chacun sur ces bancs, au bon fonctionnement de cet établissement et favorables à l’ordonnance qui prévoit de simplifier son activité, en supprimant certaines procédures administratives devenues obsolètes.

Néanmoins, au regard des enjeux de sécurité sanitaire, il convient d’être particulièrement vigilant sur le degré de responsabilité qui pèsera in fine sur le directeur général de l’ANSM.

S’agissant de l’article 2 du projet de loi, nous avions émis de fortes réserves à son encontre et sommes satisfaits du compromis trouvé en commission mixte paritaire. En 2015, 391 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ont été signalés à l’Agence en raison d’une rupture d’approvisionnement, et la tendance devrait être identique en 2016. Ces chiffres alarmants indiquent que nous sommes là face à un véritable problème de santé publique qui porte atteinte à la sécurité des patients. Aussi, nous espérons que l’extension de l’expérimentation prévue à l’article 2 permettra de comprendre l’origine de ces ruptures d’approvisionnement.

Il est essentiel que l’expérience porte sur les laboratoires pharmaceutiques comme sur les titulaires d’une autorisation de mise sur le marché et les distributeurs en gros à l’exportation, car les grossistes répartiteurs ne sont pas les seuls responsables de ces ruptures d’approvisionnement. Pour que l’expérimentation soit complète, il faut impérativement que tous les acteurs de la chaîne du médicament, de la production à la distribution, soient soumis à la même règle et déclarent tous à un tiers de confiance les quantités de médicaments qu’ils exportent. On voit bien que ce texte soulève la problématique de la traçabilité, c’est-à-dire de la sécurité et de la confiance, en matière de médicaments, mais aussi d’alimentation et de tabac à l’avenir.

Enfin, s’agissant de l’article 3, nous sommes toujours favorables au regroupement dans une même instance de la structure d’expertise qui émet les recommandations vaccinales et de celle qui évalue le service médical rendu ainsi que l’amélioration de celui-ci, des médicaments et des vaccins. Tandis que la politique vaccinale est mise à mal, il importe de regrouper le comité technique des vaccinations et la Haute Autorité de santé. J’ai d’ailleurs eu, la semaine dernière en commission, l’occasion d’interroger Agnès Buzyn sur ce sujet sensible et difficile. La HAS semble décidée à faire de la pédagogie auprès des professionnels de premier recours comme des patients, ce dont on ne peut que se réjouir.

Vous aurez compris d’après ces remarques que le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est favorable à l’adoption de ce projet de loi.

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

4

Agence nationale de santé publique

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi ratifiant l’ordonnance n2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (n4381).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Alain Ballay, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Alain Ballay, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la commission mixte paritaire réunie le 17 janvier dernier pour examiner le projet de loi de ratification de l’ordonnance n2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique – ANSP – et modifiant l’article 166 de la loi n2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a adopté un texte commun aux deux assemblées parlementaires.

Trois articles composent ce projet de loi. L’article 1er en constitue le cœur, qui ratifie l’ordonnance portant création de l’Agence nationale de santé publique, en application de l’habilitation prévue par la loi de modernisation de notre système de santé. Au sein de cette nouvelle agence, les compétences auparavant éclatées entre trois agences sanitaires, l’INVS – Institut national de veille sanitaire –, l’INPES – Institut national de prévention et d’éducation pour la santé – et l’EPRUS – Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires – sont désormais clarifiées et mutualisées.

Ces missions recouvrent un champ d’action très large : la prévention, l’éducation à la santé, la surveillance et l’observation permanentes de l’état de santé de la population ou encore la gestion de la réserve sanitaire. L’Agence nationale de santé publique constituera donc un centre de référence et d’excellence scientifique garant de la protection sanitaire de la population.

L’article 1er bis a été introduit en première lecture à mon initiative avec le soutien de notre collègue Gérard Bapt. Il vise à modifier la composition du conseil d’administration de l’Agence nationale de santé publique en prévoyant la présence de deux députés et de deux sénateurs. Ces deux articles ont été adoptés conformes par le Sénat dès la première lecture, ce qui montre combien la création de l’Agence nationale de santé publique fait consensus.

Un seul article du projet de loi a donc été discuté en commission mixte paritaire, l’article 2 visant à inclure l’Agence nationale de santé publique dans le champ de deux habilitations prévues à l’article 166 du projet de loi de modernisation de notre système de santé. Lors de l’examen du texte en première lecture, le Sénat a voté contre la modification du champ de l’habilitation autorisant le Gouvernement à prendre toutes les dispositions nécessaires à la mutualisation des fonctions support de certaines agences sanitaires placées sous sa tutelle, arguant que l’Agence nationale de santé publique a déjà fait l’objet de mutualisations dans le cadre du regroupement de l’EPRUS, de l’INPES et de l’INVS. Le Sénat a également supprimé l’habilitation concernée.

L’Agence nationale de santé publique ayant déjà fait l’objet de mutualisations dans le cadre du regroupement des trois agences qu’elle regroupe, l’extension de l’habilitation prévue par la loi de modernisation de notre système de santé pouvait à juste titre sembler superfétatoire ou du moins redondante. Par souci de consensus et pour ne pas retarder davantage la ratification de l’ordonnance portant création de l’Agence nationale de santé publique, la commission mixte paritaire a donc retenu la rédaction du Sénat à l’article 2. Pour ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour un rappel au règlement.

M. Dominique Tian. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 58-1. Le conseil des ministres a adopté hier une ordonnance relative à la Haute Autorité de santé sur le fondement de l’article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé. Il s’agit d’une ordonnance importante visant à conforter la HAS dans son rôle d’expertise au service de la régulation du système de santé. Ce rappel au règlement a pour objet de poser la question suivante : comment le Gouvernement entend-il procéder à la ratification de cette ordonnance avant la fin de la législature ? Les deux textes que nous examinons en ce moment même constituent le véhicule idéal pour cette ratification, à laquelle il serait donc utile de procéder dès ce matin.

M. Michel Issindou. C’est ce que vous appelez un rappel au règlement, monsieur Tian ?

M. Arnaud Richard. Oui ! Le sujet est important !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. le président. Merci, monsieur Tian. Je prends acte de votre rappel au règlement.

Présentation (suite)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je répondrai d’abord d’un mot à M. Tian. L’ordonnance adoptée hier suivra son cours normal. Rien ne garantit en effet qu’elle soit ratifiée avant la fin de la législature, mais la vie ne s’arrête pas deux ou trois mois avant les élections présidentielle et législatives ! La vie continue et je ne doute pas que le prochain gouvernement, quel qu’il soit – a fortiori si, comme je le souhaite, il s’inscrit dans la continuité de celui-ci –, saura donner la suite qui s’impose à l’ordonnance adoptée hier en conseil des ministres.

M. Guy-Michel Chauveau. Très bien !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, comme je l’ai dit lors de l’examen du texte précédent, la commission mixte paritaire réunie le 17 janvier dernier est également parvenue à un accord sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance portant création de l’Agence nationale de santé publique sur la base du texte adopté par le Sénat en première lecture. Le Gouvernement se félicite du consensus qui a caractérisé la création et la mise en place de l’Agence nationale de santé publique dont témoigne le vote du texte à l’unanimité en première lecture par votre assemblée.

Le Gouvernement salue le travail attentif de votre rapporteur, Alain Ballay, sur ce projet de loi. L’Agence nationale de santé publique réunit dans une même structure l’Institut de veille sanitaire, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires.

L’Agence nationale de santé publique a désormais vocation à intervenir dans l’ensemble du champ de la santé publique, tant la production de connaissances que la prévention ou la gestion des crises sanitaires. Elle a aussi vocation à élaborer des réponses efficaces en matière de promotion de la santé et de prévention.

L’épidémie de grippe que notre pays connaît depuis quelques semaines démontre toute l’utilité d’un opérateur de l’État chargé de surveiller la dynamique de l’épidémie, de fournir des données relatives aux populations ou aux territoires les plus touchés et de proposer au Gouvernement, en cohérence avec ce qui précède, des mesures d’information destinées aux professionnels et de communication destinées à la population.

L’ordonnance que nous vous proposons de ratifier, mesdames et messieurs les députés, organise la création de l’ANSP en tant qu’établissement public administratif. Elle définit ses missions, ses compétences, ses moyens d’intervention, son champ d’action et ses modalités de fonctionnement. Elle arrête également les dispositions transitoires accompagnant sa mise en place.

L’article 1er bis, introduit à l’initiative de votre rapporteur et de M. Gérard Bapt, permettra à deux représentants de l’Assemblée nationale et à deux représentants du Sénat de siéger au conseil d’administration de l’ANSP. Le Gouvernement a soutenu cette disposition qui associe plus étroitement la représentation nationale à la définition de notre politique de santé publique.

Cependant, il regrette que la commission mixte paritaire ait retenu la version de l’article 2 adoptée par le Sénat, dont l’objectif initial était de rétablir la référence à l’ANSP dans deux habilitations prévues par l’article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé. Lors de son examen, votre assemblée a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de un an à compter de la promulgation de la loi, toutes mesures législatives visant à favoriser la mutualisation des fonctions transversales d’appui et de soutien entres les agences relevant des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Cette habilitation ayant été supprimée, il appartiendra désormais à la représentation nationale de ratifier, ou non, l’ordonnance prise sur le fondement de cette habilitation.

Nos agences sanitaires sont des maillons essentiels de la politique de santé de notre pays et l’adoption de ce projet de loi permettra incontestablement d’accompagner leur développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission mixte paritaire s’est accordée sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique, comme vient de le rappeler M. le rapporteur.

Nous approuvons tous la fusion des trois agences sanitaires, votée dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, qui a permis de créer une grande agence de santé publique, appelée Santé publique France, sur le modèle des agences de santé publique anglaises. Cette nouvelle agence exercera des compétences clarifiées et mutualisées regroupant la prévention, l’éducation à la santé, la surveillance et l’observation permanentes de l’état de santé de la population ou encore la gestion de la réserve sanitaire. L’Agence nationale de santé publique constituera donc un centre de référence et d’excellence scientifique, garant de la protection sanitaire de la population.

Je ne reviendrai pas sur la procédure ni sur les détails techniques de l’accord conclu avec le Sénat qu’a déjà clairement exposés M. le rapporteur. Par souci de consensus et pour ne pas retarder la mise en application de l’ordonnance portant création de l’Agence nationale de santé publique, la commission mixte paritaire a adopté la rédaction du Sénat. J’invite les députés du groupe socialiste, écologiste et républicain et ceux des autres groupes à adopter le texte présenté, issu de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 17 janvier dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la CMP, réunie le 17 janvier dernier pour examiner le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique, a abouti à un accord. Je veux d’emblée saluer le travail de nos deux chambres. Il est vrai cependant que, dès le départ – je l’avais dit en première lecture –, ce texte ne soulevait aucune opposition de la part du groupe Les républicains, ce qui était loin d’être le cas pour le reste de la loi de modernisation de notre système de santé, à laquelle nous demeurons opposés pour de multiples raisons.

La création de l’Agence nationale de santé publique, par l’article 166 de la loi du 26 janvier 2016, répond très largement à un souci de simplification et de rationalisation de nos politiques publiques. En effet, elle fusionne trois agences, l’Institut de veille sanitaire, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, pour former l’agence Santé publique France.

Lui sont dévolues des missions de surveillance, de prévention et d’alerte épidémiologique – nous en vivons actuellement un exemple avec l’épidémie de grippe. L’Agence doit aussi répondre aux urgences sanitaires.

J’ai apprécié la relation établie par notre commission des affaires sociales, à l’initiative de notre présidente, avec Santé publique France. Ce type de rencontre et cette meilleure connaissance que vous nous avez permis d’avoir avec l’équipe de direction nous ont montré à quel point l’Agence est orientée vers la modernisation de nos pratiques en matière de prévention et de veille sanitaire, en s’appuyant de façon plus lisible et plus visible sur les réseaux sociaux et sur le développement du numérique à des coûts accessibles à tous.

Je renouvelle ici le soutien que le groupe Les Républicains apporte au choix d’orienter les politiques de l’Agence vers la prévention. Nous apprécions également que l’ANSP soit tournée vers la population, ce qui fait sa spécificité par rapport aux autorités chargées des produits, des risques ou des pratiques.

L’existence de Santé publique France est effective depuis le 1er  mai 2016. Je formule à nouveau le vœu, en ce début d’année, que le regroupement des trois agences qui la composent sur le même site de Saint-Maurice soit, dans les années à venir, générateur d’économies.

Mais je souhaite revenir sur un point que le Sénat a relevé à l’article 2 et qui a également fait débat en commission mixte paritaire : il s’agit des habilitations prévues au 1° du V de l’article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé. En effet, cet article habilite le Gouvernement à prendre de nombreuses décisions, lui permettant entre autres « d’adapter, aux fins de favoriser ou de permettre la mutualisation des fonctions transversales d’appui et de soutien, les dispositions législatives relatives aux missions et au fonctionnement » de plusieurs organismes sanitaires.

Cette disposition donne une compétence illimitée au pouvoir réglementaire, ce qui n’est pas conforme au champ de l’habilitation et ne respecte pas la volonté du législateur. Santé publique France était donc incluse, avant la lecture par le Sénat puis par la CMP, dans le champ de cette habilitation, et nous pouvons légitimement nous demander vers quel autre type de projet de mutualisation le Gouvernement aurait souhaité orienter cette agence en dehors de la mutualisation des trois susmentionnées. Il n’existe à ma connaissance aucun autre projet de mutualisation. En tout cas, il n’y a pas eu de réponse quand la question a été posée au Gouvernement, ce qui est plutôt rassurant, car ce projet de loi n’a pas pour objet de procéder à d’autres mutualisations. Le Sénat a supprimé cette partie de l’habilitation et la CMP a retenu cette suppression, ce que nous approuvons.

Vous l’aurez donc compris, rien ne s’oppose à ce que le groupe Les Républicains approuve ce projet de loi de ratification. Nous en partageons tous les objectifs et voterons en conséquence pour.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales et M. Alain Ballay, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, grippe saisonnière, vague de froid, maladie de Lyme, on constate, ces dernières semaines, que les recommandations de Santé publique France sont au cœur de l’actualité.

L’installation de cette agence répond à un souci de cohérence de la parole publique, et c’est pourquoi, bien qu’opposés au projet de loi de modernisation de notre système de santé, dit « grande loi de santé publique » – de bien grands mots –, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants avait salué le regroupement au sein d’une seule et même entité des compétences concernant la veille, la surveillance, la prévention et la promotion de la santé, ainsi que les réponses aux urgences sanitaires, par la fusion de l’INVS, de l’INPES et de l’EPRUS.

La création de l’Agence nationale de santé publique était attendue, et l’article 1er du projet de loi de ratification répond en tout point à l’habilitation accordée par le Parlement. Cette création assure dès à présent une clarification de l’organisation des opérateurs sanitaires de l’État et leur garantit une plus grande visibilité. Autre avantage – et non des moindres –, cette fusion offre une continuité dans la réponse des pouvoirs publics aux enjeux de santé publique.

Si nous avons une grande confiance dans le directeur général de la nouvelle agence, nous suivrons avec attention les premiers pas de Santé publique France. On sait qu’il n’est jamais évident – ni très simple pour le personnel – de fusionner différentes structures au sein d’une même entité, chacune ayant une histoire et une organisation propres, des statuts différents. Il ne faudrait pas que la nouvelle agence fonctionne sur le modèle des trois agences précédentes, en silo.

Nous serons également vigilants sur les moyens alloués à la nouvelle agence, car si, au moment de son installation, en mai dernier, la ministre de la santé avait voulu se montrer rassurante pour les années à venir, notre groupe a noté, lors de l’examen de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2017, que le Gouvernement a prévu et déjà engagé une diminution des crédits de près de 7 %. Or, ces dernières années, suite à la baisse substantielle des moyens alloués aux trois précédentes agences, les budgets de l’INPES et de l’INVS avaient déjà été déficitaires. La question des moyens apparaît primordiale, surtout quand on connaît le rôle que l’ANSP sera amenée à jouer dans les prochaines années.

S’agissant de l’article 2, nous émettons nous aussi quelques réserves. Comme le rapporteur du Sénat, nous ne sommes pas opposés à la mutualisation des fonctions support entre l’Établissement français du sang, le Haut Conseil de la santé publique, l’Agence de biomédecine ou l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, mais l’inclusion de l’ANSP dans le champ de cette nouvelle ordonnance nous semblait bien précipitée. Il est préférable que la fusion de l’INVS, de l’INPES et de l’EPRUS soit bien engagée avant de lancer une nouvelle mutualisation. Monsieur le rapporteur, la position trouvée en CMP, consistant à ne pas intégrer l’ANSP à cette mutualisation, est, selon nous, une position sage qui permet en outre au législateur de garder toute sa compétence.

Je profite de ce texte pour interroger le Gouvernement sur les suites de la loi santé car, à moins que le site Legifrance ne soit pas à jour – ce dont je doute –, j’ai constaté qu’il reste soixante-cinq décrets d’application à prendre. Je pense notamment, parce que la Fashion Week vient de s’achever, à celui, qui a soulevé beaucoup d’émotion dans cet hémicycle, relatif à la profession de mannequin : depuis le 1er janvier 2017, une disposition oblige en principe les professionnels à indiquer si une photographie a été retouchée. Le décret d’application n’est toujours pas sorti, alors qu’ils ont été consultés en octobre dernier. Comment, monsieur le secrétaire d’État, expliquez-vous ce retard ?

Ces remarques formulées, vous aurez compris que le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est favorable à l’adoption du projet de loi.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales et M. Alain Ballay, rapporteur. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. André Vallini, secrétaire d’État. Je voudrais d’abord répondre à la question que vient de poser M. Richard. Sachez, monsieur le député, que je suis chargé par le Premier ministre d’un travail très contraignant concernant la parution des décrets d’application. Ce n’est en effet guère agréable, car, dans les semaines qui restent avant la fin de la législature, je dois harceler mes collègues du Gouvernement…

M. Alain Tourret. Il le faut !

M. André Vallini, secrétaire d’État. …pour que les décrets d’application qui restent en suspens – le retard est plus important pour certaines lois que pour d’autres – soient pris avant la fin de la législature. Le Président de la République a dit en conseil des ministres à quel point il tenait à ce que la maison soit en ordre et que tous les textes définitivement adoptés aient reçu tous leurs décrets d’application à la fin du quinquennat. Tous les quinze jours, je fais le point en conseil des ministres, devant tous mes collègues, plus ou moins bons élèves.

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Cela ne plaît pas forcément à tout le monde, notamment aux moins bons élèves, qui expliquent à raison que leur administration est surchargée de travail, que des décrets sont plus longs à rédiger que d’autres, que des lois, de par leur longueur, en nécessitent davantage. Mais les choses avancent.

De même, je disais mardi matin à mes amis du groupe socialiste, écologiste et républicain – et, comme cela concerne tous les parlementaires, je le répète ici pour l’ensemble de la représentation nationale –, que je veille à ce que toutes les questions écrites posées depuis le début de la législature reçoivent une réponse.

M. Gilles Lurton. Il y a du travail !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Des questions écrites posées il y a deux ou trois ans n’ont pas encore reçu de réponse. Le Président de la République et le Premier ministre trouvent cela « honteux », selon le propre mot de ce dernier.

Je fais un travail de fourmi, quelque peu invisible et ingrat, mais je m’y attelle. Et la loi santé que vous avez évoquée fait partie des textes dont il faut maintenant publier tous les décrets d’application.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État pour ses propos. Je crois que c’est à l’un de ses prédécesseurs, Patrick Ollier, qu’avait été confiée pour la première fois cette responsabilité, que, traditionnellement, le ministre chargé des relations avec le Parlement n’a pas. Il faudrait l’institutionnaliser, car il est insupportable de voter des dispositions qui, un an, deux ans, voire trois ans plus tard, ne sont toujours pas applicables.

Je me souviens d’avoir reçu un courriel extrêmement désagréable de quelqu’un qui me demandait pourquoi nous avions voté l’obligation de placer un éthylotest dans les voitures. J’ai fait des recherches à la bibliothèque de l’Assemblée, où j’ai découvert que cette disposition avait été votée en 1969 et que M. Mazeaud était le rapporteur du texte. Je n’étais même pas né ! Fort heureusement, le décret n’est jamais sorti, ce qui prouve bien qu’il est toujours possible de se sortir de toutes les situations par une pirouette. Mais il faut alors que le Gouvernement soit capable d’expliquer pourquoi telle ou telle disposition ne paraît plus appropriée. L’Assemblée peut trouver cela insupportable, mais il faut l’entendre, et nettoyer les textes des décrets auxquels ils renvoient et qui n’ont toujours pas été pris au bout de quarante ans ou cinquante ans.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur Richard, depuis le mois de septembre, vous avez un trouble obsessionnel compulsif à propos des décrets d’application de la loi de modernisation de notre système de santé.

M. Arnaud Richard. Il en reste soixante-cinq à prendre !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Pour éclairer la représentation nationale et tous ceux qui nous écoutent ou qui nous liront, je rappelle que cette loi comporte 227 articles… Un exemple : l’article 144, qui portait sur le sport adapté à la pathologie en ville, a nécessité au préalable des semaines de concertation avec les masseurs kinésithérapeutes et les éducateurs sportifs.

Au demeurant, quand vous étiez au pouvoir, en 2009, on attendait une vraie loi de santé publique, qui n’est jamais venue. Il nous a donc fallu rattraper quelque dix ans de retard pour aboutir à une loi de santé publique qui tienne la route. Pour chaque article, les décrets d’application doivent être pris en concertation avec les acteurs concernés, dans le calme et dans le respect des volontés de chacun. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Arnaud Richard. Très bien !

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures et cinq minutes.)

M. le président. La séance est reprise.

5

Extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (nos 4290, 4400).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, madame la rapporteure de la proposition de loi, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui pour une nouvelle lecture de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Le mois dernier, à cette même tribune, j’avais affirmé que le droit à l’avortement n’était pas l’objet du débat que nous allions avoir sur ce texte. J’étais en effet convaincue que, comme le dit Simone Veil, « l’avortement ne représente plus un enjeu politique en France ». À l’issue des débats en première lecture, je ne sais pas si le redirais, compte tenu des débats qui ont eu lieu, que ce soit dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, dans certaines colonnes de la presse ou dans la société française.

Bien sûr, dans leur immense majorité, les Françaises et les Français sont favorables à la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse qui a dépénalisé l’avortement.

Bien sûr, malgré cette adhésion, les adversaires du contrôle des naissances n’ont jamais vraiment désarmé, les plus virulents d’entre eux continuant d’opposer de multiples résistances à la reconnaissance pleine et entière du droit des femmes à disposer de leur corps.

Bien sûr, ce droit fondamental à choisir le moment de sa maternité par la contraception ou le recours à l’avortement a toujours été menacé dans son effectivité. Les lobbies anti-IVG n’ont d’ailleurs jamais manqué d’imagination pour empêcher les femmes d’exercer leur droit à l’IVG: actions commando dans les centres d’orthogénie, prières de rue, propagande faite d’intimidations et de culpabilisation des femmes, rien de tout cela n’est nouveau.

Mais il est vrai que nous assistons aujourd’hui à une évolution préoccupante : il faut bien reconnaître que la voix de celles et ceux qui contestent le principe même du droit à interrompre une grossesse non désirée se fait de plus en plus forte.

La campagne présidentielle offre à l’évidence une formidable caisse de résonance à leurs discours rétrogrades. Les militants anti-choix ont certainement dû se sentir pousser des ailes en entendant le candidat Les Républicains à l’élection présidentielle déclarer que, à titre personnel et en raison de ses convictions religieuses, il ne pouvait être favorable à l’avortement.

M. Dominique Tian. Ah, ça y est, ça recommence ! C’est un procès d’intention !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Ils espèrent probablement pouvoir bientôt disposer de relais au sein même de cet hémicycle, puisque ce même candidat, probablement au nom de ses convictions personnelles, a soutenu l’investiture par Les Républicains, dans plusieurs circonscriptions, en vue des prochaines élections législatives, de membres de Sens Commun, co-organisateurs de la manifestation qui a eu lieu dimanche dernier contre l’IVG.

M. Dominique Tian. C’est faux et scandaleux !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Il s’agit d’une situation inédite, en tout cas, dans un contexte international de montée des conservatismes et des extrémismes religieux qui veulent organiser le contrôle des femmes, de leur corps et de leur sexualité.

En France, en Europe et partout dans le monde, on voit monter cette vague réactionnaire qui menace d’emporter les droits conquis de si haute lutte par les femmes au cours du siècle dernier.

Il y a trois ans, les conservateurs espagnols envisageaient de réduire drastiquement l’accès à l’IVG. Il y a quelques mois, en Pologne, les femmes et les progressistes ont dû se mobiliser en masse pour conserver ce droit, déjà très encadré.

M. Dominique Tian. On n’est pas à l’ONU !

M. le président. Monsieur Tian, laissez Mme la ministre s’exprimer.

Elle ne fait qu’énoncer des faits !

M. Alain Tourret. Tout ce qu’elle dit est excellent !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Et il y a quelques jours, ce n’est pas un hasard si le nouveau président de la première puissance mondiale, tout juste investi, engageait la suppression de l’Obamacare et rayait d’un trait de plume, misogyne et rageur, les dispositions permettant de financer les organisations non-gouvernementales qui pratiquent l’IVG ou qui en font la promotion. Les femmes sont à la fois les premières cibles et les premières victimes.

Oui, partout dans le monde, il souffle un vent mauvais sur les droits et les libertés des femmes. Pour toutes et sur tous les continents, la menace d’un retour en arrière n’a jamais été aussi forte.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure de la commission des affaires sociales. Absolument.

Mme Laurence Rossignol, ministre. La proposition de loi que vous examinez ce matin a pour but de défendre ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps contre tout ce qui peut porter atteinte à son libre exercice, c’est-à-dire les informations mensongères distillées sciemment pour dissuader les femmes d’avorter.

Toutes les grandes modifications législatives apportées à la loi Veil ont été l’expression de cette exigence. Permettez-moi, à nouveau, de les rappeler, car chacune a constitué une avancée essentielle dans la consolidation de notre arsenal juridique : en 1979, la pérennisation des dispositions de la loi de 1975 dépénalisant l’avortement ; en 1982, la couverture des frais médicaux afférents à l’IVG ; en 1993, la création d’un délit d’entrave à l’IVG ; et, enfin, en 2001, l’allongement du délai légal de dix à douze semaines de grossesse et l’assouplissement des conditions d’accès à la contraception et à l’avortement pour les mineures.

Dans le droit fil de cette histoire, le Gouvernement a, depuis 2012, pris plusieurs mesures fortes afin de faciliter les démarches des femmes qui choisissent d’interrompre leur grossesse. Je dis bien « faciliter », et je l’assume, car nous avons la responsabilité de lever tous les obstacles qui peuvent restreindre ou empêcher l’exercice d’un droit qui est reconnu à toutes les femmes, quelle que soit leur situation sociale ou géographique.

Qu’on en juge : depuis 2012, nous avons supprimé la notion de détresse ainsi que le délai de réflexion d’une semaine préalable à l’intervention, organisé la prise en charge à 100 % des frais du parcours de l’IVG et développé, grâce à la possibilité donnée aux sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses et aux centres de santé de réaliser des IVG instrumentales, l’offre de proximité.

Nous avons, en outre, créé un délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG dans la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a renforcé les dispositions prévues par la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, dite loi Neiertz.

Conformément aux recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, nous nous sommes, grâce à la création de nouveaux outils, attachés à faciliter l’accès des femmes à cette information essentielle.

Tout d’abord, un site internet – ivg.gouv.fr –, a été mis en ligne à l’automne 2013. Il est régulièrement enrichi de nouveaux contenus et offre aujourd’hui l’information la plus complète, la plus précise et la plus objective possible sur l’avortement. Nous veillons à ce qu’il soit directement et très facilement accessible via les moteurs de recherche à partir des différents mots-clés régulièrement utilisés.

Un numéro national d’information – 0 800 08 11 11 –, anonyme et gratuit, est par ailleurs accessible six jours sur sept. Depuis son ouverture, il reçoit environ 2 000 appels par mois.

Enfin, une grande campagne d’information sur l’avortement – « IVG, mon corps, mon choix, mon droit » – a été lancée en 2016 et largement relayée. Toutes ces mesures ont permis de sécuriser l’exercice du droit des femmes à disposer de leur corps. Mais, on le voit bien, nous ne sommes pas pour autant au bout du chemin. Les nouveaux modes de communication à l’ère numérique sont autant de brèches, dans lesquelles la désinformation s’insinue au nom du droit à l’information. Si nous n’agissons pas, ces brèches vont devenir des failles.

Je remercie par conséquent Bruno Le Roux, à l’époque président du groupe socialiste, écologiste et républicain, Catherine Coutelle, Catherine Lemorton, Maud Olivier et leurs collègues d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG, déjà existant, à internet.

Je l’ai dit et je le redis aujourd’hui, puisque la pédagogie est l’art de la répétition : il n’y pas d’autre enjeu, ici, que de garantir la fiabilité et la qualité des informations qui y sont délivrées.

Cette exigence constitue une urgence, à l’heure où plus de la moitié des femmes entre quinze et trente ans utilisent la toile pour s’informer sur les questions de santé, et où 80 % des jeunes jugent crédibles les renseignements qu’ils y recueillent. Il n’est donc pas acceptable ni tolérable de laisser plus longtemps des groupuscules anti-IVG y mener leur propagande, en trompant délibérément les jeunes filles et les femmes en diffusant de fausses d’informations.

Je tiens à le répéter, une fois encore : ces activistes ont parfaitement le droit d’être hostiles à l’avortement, de le dire, de l’écrire, de le revendiquer sur internet, dans la rue ou ailleurs. Cela relève de la liberté d’opinion et d’expression, qu’il n’est pas question de restreindre, contrairement à ce que certains essaient de faire croire. Ce texte n’y porte d’ailleurs nullement atteinte.

C’est bien à la désinformation orchestrée sur l’internet par les lobbies anti-choix que cette proposition de loi entend s’attaquer. C’est bien le mensonge et la manipulation des esprits organisés sur ces plateformes et ces lignes d’écoute qu’elle vise à sanctionner.

Les débats que nous avons eus ici et au Sénat le mois dernier ont donné un coup de projecteur salutaire sur les méthodes nouvelles développées pour décourager les femmes d’avoir recours à l’avortement. Les opérations de testing menées par des journalistes, et même par une élue Les Républicains, se sont multipliées au cours des dernières semaines. Elles ont parfaitement montré comment ces activistes instrumentalisent la vulnérabilité de certaines femmes, confrontées à une grossesse non désirée, pour les convaincre de renoncer à y mettre un terme.

Sur ces plateformes et les numéros verts auxquels elles renvoient, tout est pensé pour détourner les jeunes filles et les femmes des outils objectifs et officiels de communication,…

M. Yannick Moreau. Non : pour informer sur les alternatives à l’IVG. Ce que l’État ne fait pas !

Mme Laurence Rossignol, ministre. …grâce auxquels elles peuvent pourtant disposer des informations nécessaires pour engager un parcours sécurisé : les espaces d’écoute et de conseil, les structures où peut être pratiquée l’IVG, les délais dans lesquels elle peut être réalisée et, bien sûr, les méthodes entre lesquelles chaque femme doit pouvoir choisir.

Ce sont ces informations, neutres, objectives et fiables, dont elles ont besoin pour faire un choix éclairé. Il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique, et non pas de prosélytisme idéologique. Soyons honnêtes et lucides : si prosélytisme il y a aujourd’hui, il est plutôt du côté des groupuscules qui diffusent des données orientées ou erronées avec la volonté de tromper les femmes qui les consultent ; si prosélytisme il y a, il est résolument le fait des activistes qui se cachent derrière ces plateformes, faux nez de l’idéologie qu’ils défendent, pour induire les femmes en erreur, instiller le doute et les amener à poursuivre une grossesse qu’elles n’ont pas désirée. C’est cette duplicité qui constitue clairement une entrave au droit qu’a chaque femme de disposer d’éléments objectifs et fiables pour prendre une décision en toute sérénité. C’est donc à cette supercherie que nous nous attaquons aujourd’hui, en vous proposant d’adapter nos outils juridiques aux évolutions de la communication sur l’internet et sur les réseaux sociaux.

Que les lobbies anti-choix se rassurent : si cette proposition de loi est adoptée, ils pourront continuer, en toute légalité, à dire tout le mal qu’ils pensent de l’IVG et des femmes qui la pratiquent,…

M. Frédéric Reiss. Ce n’est pas le sujet !

Mme Laurence Rossignol, ministre. …à condition de dire clairement qui ils sont, ce qu’ils font et ce qu’ils veulent. J’entends souvent parler des « alternatives » à l’IVG. Soyons précis : l’alternative à l’IVG, c’est une grossesse non désirée menée à son terme, avec – mais peut-être est-ce l’objectif ? – ce que cela implique d’abandons d’enfants à la fin de ladite grossesse. L’alternative à l’IVG libre et légale, c’est le retour des avortements clandestins, des septicémies, des stérilités et de la mort des femmes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dominique Tian. Cela n’a rien à voir !

M. Gérard Sebaoun. Si, c’est vrai !

M. Xavier Breton. Idéologie réductrice ! C’est vous les anti-choix !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Celles et ceux qui militent pour ce genre d’alternatives ont d’ailleurs parfaitement pu jouir de leur liberté d’expression et défendre la conception très particulière du progrès qui est la leur en défilant dans les rues dimanche dernier. Qu’ils sachent néanmoins qu’ils trouveront toujours sur leur chemin celles et ceux qui continueront d’agir pour que l’avortement soit reconnu partout comme un droit fondamental et universel. La « Marche des femmes », qui a rassemblé des millions d’Américaines et d’Américains aux États-Unis la veille de leur manifestation parisienne, en est une preuve éclatante. Qu’ils se rappellent aussi que la France, nation des Lumières et de l’universalisme laïc, a toujours été un puissant soutien pour celles et ceux qui mènent le combat de l’émancipation, et tout particulièrement pour les femmes qui, sur toute la planète, se battent contre l’obscurantisme et l’oppression. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yannick Moreau. Rien que ça !

M. Dominique Tian. C’est excessif !

M. Yannick Moreau. Excessif et insignifiant !

Mme Laurence Rossignol, ministre. N’en déplaise aux anti-choix, la France se tiendra aux côtés des femmes qui combattent, aussi longtemps qu’il le faudra, pour défendre leurs droits et leurs libertés.

Les femmes comptent sur nous. Aujourd’hui encore, soyons collectivement à la hauteur de cette attente, de nos valeurs et de notre histoire. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Alain Tourret. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, rapporteure de la commission des affaires sociales.

M. Dominique Tian. Ah ! Un peu de modération !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure de la commission des affaires sociales. En regardant le groupe Les Républicains, je pensais à ce que Simone Veil avait dit à cette tribune : « Je m’exprime devant une assemblée presque exclusivement composée d’hommes – à l’époque, il n’y avait que 5 % de femmes parmi les députés –, sur un sujet qui, hélas, ne vous concerne pas directement, mais sur lequel vous vous exprimez. » Je constate qu’aujourd’hui, le groupe Les Républicains est entièrement masculin… (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Dominique Tian. Le vôtre aussi ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Chantal Guittet, Mme Joëlle Huillier et Mme Annie Le Houerou. Ah bon ?

M. Alain Ballay. Chez nous, c’est l’exacte parité !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, l’Assemblée nationale est saisie en nouvelle lecture de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG que le groupe socialiste, écologiste et républicain a déposée le 12 octobre dernier. Après l’examen du texte par le Sénat, la commission mixte paritaire, qui s’est réunie mardi soir, n’a pas réussi à aboutir à un compromis. Je regrette cet échec et salue une nouvelle fois le travail de très bonne qualité mené par nos collègues sénateurs et sénatrices – ce qui n’est pas toujours le cas dans notre assemblée –, en remerciant particulièrement la rapporteure, Mme Riocreux. Je tiens à dire que, malgré les désaccords qui n’ont pu être surmontés, ce travail n’a pas été inutile, bien au contraire, puisque le texte qui vous est soumis aujourd’hui intègre, à mon initiative, un amendement de rédaction globale de l’article unique qui retient certaines clarifications apportées par le Sénat. Toutefois, le texte reprend les dispositions indispensables déjà approuvées par notre assemblée.

Pourquoi ce rétablissement ?

M. Frédéric Reiss. Pour avoir le dernier mot ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Pour trois raisons essentielles.

Premièrement, parce que l’objet initial de la proposition de loi était de permettre que le délit d’entrave s’applique aux nouveaux outils numériques qui se sont développés au cours des vingt dernières années, et non de créer un nouveau délit d’entrave, comme le prétendent ses détracteurs. Pour cela, il est indispensable que le texte mentionne expressément ces outils, ce qui n’est pas le cas dans la rédaction proposée par le Sénat. Le texte adopté par la commission reprend donc bien la notion d’entrave « par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne ».

Deuxièmement, ces nouveaux outils ne consistent pas seulement à exercer des « pressions morales et psychologiques » – expression qui figure dans la loi depuis 1993, et à laquelle personne n’avait trouvé à redire jusqu’à présent. En effet, en diffusant des informations, en particulier de fausses adresses, ils perturbent directement l’accès aux établissements pratiquant l’IVG. Le texte doit donc couvrir l’ensemble de l’article de loi, et pas seulement son dernier alinéa, qui concerne les « pressions morales et psychologiques ». C’est pour cette raison que nous modifions aussi le « chapeau ».

Enfin, et c’est sans doute la raison essentielle de l’absence d’accord sur le texte, le Sénat avait supprimé la référence à la nature des informations mises en cause par le délit d’entrave numérique. Or ces éléments avaient été introduits par l’Assemblée afin de protéger le dispositif contre le supposé risque juridique d’atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’opinion, qui a tant nourri nos débats en première lecture. En effet, ce que le juge pourra demain décider de sanctionner, c’est la diffusion d’informations contre l’IVG si et seulement si elle est de nature intentionnellement dissuasive et destinée à induire la personne en erreur.

Voilà, sur le fond, les explications qui rendent compte de la rédaction proposée aujourd’hui.

Avant d’en venir au texte proprement dit, je souhaiterais rappeler quelques éléments fondamentaux.

Je n’ai cessé de le répéter et je continuerai à le faire tant que ce sera nécessaire : la présente proposition de loi ne servira ni à faire fermer des sites internet, ni à pénaliser les opinions contre l’avortement. Elle ne crée pas un nouveau délit d’entrave, elle se greffe sur le délit qui existe depuis plus de vingt ans, sans que personne n’ait jamais estimé qu’il était contraire à la liberté d’expression. Je rappelle qu’aux termes de l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » – dit autrement : personne n’a le droit de s’ériger en censeur des autres au nom de ses convictions personnelles, aussi respectables soient-elles.

M. Gérard Sebaoun. Très bien !

Mme Chantal Guittet. Bravo !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Je rappelle aussi que dans le champ pénal, la Cour de cassation a jugé en 1996 que la liberté d’opinion et de manifester ses convictions, consacrée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, et qui peut s’exprimer autant en public qu’en privé, « peut être restreinte par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui ».

Depuis l’adoption du délit d’entrave en 1993, les moyens techniques se sont développés, l’internet et les réseaux sociaux permettant aux militants anti-choix d’agir en ligne. Je l’ai déjà dit et je le répète : ces propos que nous pouvons lire en ligne nous heurtent et nous les combattrons sur le terrain des idées – Mme la ministre l’a rappelé. Dans ce combat, je le dis à ceux et celles qui nous regardent aujourd’hui, il ne faudra rien lâcher aux marches qui se disent « pour la vie » et qui considèrent pourtant que les femmes ne sont pas aptes à choisir leur vie, ces marches qui sont, disons-le clairement, favorables à une suppression pure et simple de la loi de Simone Veil, dont tant saluent le combat. Tandis que d’autres sont allés dimanche gonfler les rangs des manifestants, aux côtés des associations les plus réactionnaires, nous, nous refusons que le droit à l’avortement soit encore un sujet de débat. C’est un droit fondamental, chèrement acquis. Le seul et unique objet de ce texte est de garantir l’accès à ce droit.

Il se trouve que cet accès pourrait être restreint – il l’est déjà – si nous n’agissons pas contre ceux qui, en ligne, avancent masqués. Ces sites internet n’annoncent pas leur choix, ou plutôt leur « anti-choix ». Ils ne cherchent pas à partager leur opinion sur l’avortement.

M. Xavier Breton. Vous non plus !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Ils cherchent, très concrètement, très clairement, à cibler des jeunes filles, à les isoler, à les détourner de leurs droits. Sous prétexte de donner des informations ou de prodiguer un accompagnement, ces sites proposent un numéro vert qui n’en est pas un, harcèlent les femmes par l’envoi de courriels et de textos – j’en ai des preuves, notamment des copies d’écran –, ou par des appels téléphoniques incessants, jusqu’à ce qu’elles reportent leur rendez-vous et finissent par renoncer. Surtout, et cela est extrêmement choquant, ces sites, ces correspondants téléphoniques demandent aux mineures de ne surtout pas en parler à leurs parents. Belle éducation !

M. Jean-Frédéric Poisson. Comme la contraception dans les collèges ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. J’en ai des preuves ; je pourrai vous les montrer.

Comment qualifier ces agissements si ce n’est de « pression morale et psychologique » ? Ces pratiques sont irresponsables et insupportables. La présente proposition de loi permettra d’ouvrir demain des poursuites, alors que la loi actuelle n’est pas suffisamment armée.

S’agissant du texte même de la proposition de loi, les quelques amendements que je vous soumettrai aujourd’hui sont des amendements rédactionnels. J’espère que nous pourrons l’adopter après des débats qui pourraient, pour une fois, faire honneur à notre Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure Catherine Coutelle, mes chers collègues, à la suite de la ministre, je veux exprimer mon indignation à l’annonce que le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, a signé un décret interdisant le financement d’organisations non gouvernementales internationales qui soutiendraient l’avortement.

M. Dominique Tian. Quel rapport ?

M. Yannick Moreau. Nous ne sommes pas aux États-Unis !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. La veille, près de deux millions de femmes avaient participé à la « Marche des femmes » aux États-Unis.

Ce texte s’inscrit dans ce cadre : il assure la continuité du combat en faveur de la liberté des femmes à disposer de leur corps.

Je ne reviendrai pas sur les avancées obtenues depuis l’adoption en 1975 de la loi de Mme Veil. Ce droit a progressé, et des droits nouveaux sont apparus pour le sécuriser.

En première lecture, j’avais cependant souligné que l’acquis était illusoire. Cela a été prouvé dimanche dernier : 10 000, 20 000 ou 30 000 personnes – dans les manifestations, on ne sait jamais exactement quel est le nombre de participants – se sont opposées à la présente proposition de loi, en clamant : « IVG, dire la vérité, c’est dissuader », ou encore : « Protéger le faible, ça, c’est fort ! ».

Protéger le faible, ce n’est pas culpabiliser ; protéger le faible, ce n’est pas tromper ; protéger le faible, ce n’est pas empêcher. La vérité, mes chers collègues, c’est précisément ce que nous recherchons : la vérité d’une information claire et précise. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Je tiens à saluer le travail de Mme Catherine Coutelle, tout le travail qu’elle a effectué à la tête de la Délégation aux droits des femmes, les combats qu’elle a menés et tout ce qu’elle a obtenu depuis bientôt cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Michel Issindou. Vous avez raison : elle le mérite !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je n’oublie pas Mme Maud Olivier.

Je n’entrerai pas dans le détail du texte : tout a été dit. En revanche, j’ai éprouvé récemment quelques contrariétés, voire des colères retenues, dont je voudrais vous faire part. Ainsi, un de nos collègues de l’opposition a comparé, au micro d’une radio de grande écoute, les informations délivrées sur internet aux femmes voulant accéder à l’avortement à une notice de médicament contenant du paracétamol. Tout de même ! C’est honteux !

Mme Chantal Guittet. Honteux !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. C’est qu’il n’y connaît rien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Il était assis sur ces bancs il y a deux minutes. Je pense qu’il reviendra.

On ne va pas faire une IVG comme on prend un comprimé de paracétamol pour soulager une douleur ! Bien sûr que l’IVG comporte, comme tout acte médical, des risques, et il est de la responsabilité du professionnel de santé, que ce soit une sage-femme ou un médecin, de tenir à chaque femme un discours personnalisé. Comment peut-on comparer une IVG à la notice d’un médicament qui relève souvent de l’automédication ? Je veux bien entendre tous les arguments, mais pas celui-là !

M. Dominique Tian. On ne sait même pas de quoi ni de qui vous parlez !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je ne dirai pas son nom. On ne fait pas de délation ici, monsieur Tian : on n’est pas sous Vichy !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Il était là il y a deux minutes, il vient de sortir.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ensuite, nous aussi, nous aimons les enfants, autant que vous. Cependant, qui n’a pas entendu, dans son entourage, des gens dire qu’ils ne voulaient pas du dernier ou que c’était un « accident » ? Cela ne signifie pas pour autant que les parents n’aiment pas l’enfant en question. Bien sûr, qu’ils l’aiment ! Dire cela autour de la table, autour d’un apéritif dans le salon familial peut paraître drôle pour des adultes, mais croyez-vous que cela soit agréable à entendre pour l’enfant de deux ans, trois ans ou quatre ans considéré comme « un accident » ?

M. Dominique Tian. On est assez d’accord !

M. Xavier Breton. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il aurait mieux valu qu’il ne soit pas là ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Vous êtes d’accord, et je m’en félicite.

M. Dominique Tian. C’est un dérapage terrible !

M. Xavier Breton. C’est hallucinant !

M. le président. Mes chers collègues, seule Mme la présidente de la commission a la parole. Vous aurez l’occasion tout à l’heure de vous exprimer, et je suis certain que vous serez les premiers à me demander que le silence soit fait dans l’hémicycle. Veuillez poursuivre, madame la présidente.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. J’ai reçu plusieurs courriers électroniques à la suite des propos que j’ai tenus en première lecture sur les enfants nés sous X. Ces enfants seront bien sûr adoptés par des parents qui attendaient de pouvoir les accueillir, parfois avant même leur conception, car ils étaient dans l’impossibilité de procréer « comme tout le monde », entre guillemets. Ils seront évidemment accueillis dans l’amour, accompagnés, élevés, éduqués. Peut-on dire pour autant que leur parcours est simple ? Tous les praticiens de la pédopsychiatrie – pédiatres, psychologues – affirment qu’il faut dire la vérité ; nous sommes dans le siècle des lumières, si je puis dire…

M. Xavier Breton. On en est sorti voilà bien longtemps !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …nous sommes sortis du siècle où on cachait les choses, les secrets de famille. Le parcours d’un enfant né sous X est donc un petit peu plus compliqué à assimiler qu’un parcours dit naturel ou traditionnel.

M. Xavier Breton. Les petits derniers apprécieront !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. On ne peut pas ignorer la souffrance de la femme qui accouche en abandonnant son enfant. Elle ne le fait pas de bon gré. Un enfant adopté, aimé, auquel on dit la vérité doit assimiler cette information et vivre avec.

M. Dominique Tian. Le mieux, c’est de ne pas le lui dire !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Et je respecte, j’admire les parents qui adoptent ; ce n’est pas le sujet ! Mes propos ont été déformés, et je ne l’accepte pas.

Mes chers collègues, si vous brandissez aujourd’hui l’atteinte à la liberté d’expression,…

M. Yannick Moreau. Oui, tout à fait !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …c’est certainement pour cacher les autres motivations qui vous feront voter contre ce texte.

M. Gilles Lurton. Mais pas du tout !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Car cette proposition de loi n’a pas pour objet d’empêcher des gens d’être contre l’IVG ; c’est une opinion, et on a le droit de l’exprimer. Ce que nous dénonçons dans ce texte, c’est que ces sites, ces nouveaux moyens de communication puissent empêcher des femmes d’accéder à un tel droit. Il s’agit de les aider en leur permettant de se retourner contre ces derniers. Tel est le propos de cette proposition de loi. Il n’y a absolument pas de délit d’opinion.

M. Xavier Breton. Mais si !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Non, pas du tout, monsieur Breton ! Et je pourrais décrire le comportement que vous avez eu en commission mixte paritaire, car vous avez été absolument désagréable.

M. Dominique Tian. Le Sénat le dit ! Lisez le rapport du Sénat !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Et ce que dit le Sénat, c’est le droit ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je rappellerai en conclusion que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Ceux qui conseillent la femme, qui la dissuadent dans le mensonge, dans la contre-vérité et aux fins de la culpabiliser ne seront pas les payeurs. Et ils ne seront pas là quand la femme, après sa grossesse, aura donné naissance à un enfant qu’elle ne voulait peut-être pas au départ. Bien sûr, elle pourra l’aimer, apprendra à l’aimer…

M. Dominique Tian. Eh bien voilà !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …mais certains enfants ne seront pas acceptés de la même manière que d’autres. Et notre objectif est donc de donner aux femmes la possibilité de se retourner contre les sites qui les auront empêchées d’accéder à ce droit.

Alors mes chers collègues, vous avez le droit d’être contre l’IVG, mais n’utilisez pas de faux arguments. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Madame la ministre, je crois que vous auriez tort de vouloir politiser le débat sur ce texte. Vous auriez tort de vouloir créer une confusion entre notre position et un combat contre l’avortement. Notre position porte sur le droit à l’expression, le droit de choisir, le droit de penser individuellement, et rien de plus.

En réalité, le texte rejeté par la commission mixte paritaire veut interdire des sites internet qui proposent des solutions alternatives à l’avortement. Comme j’ai eu l’occasion de le faire en première lecture, je vous confirme le plus solennellement possible l’attachement que nous avons au droit à l’avortement, considéré par la plupart d’entre nous comme un droit fondamental.

M. Michel Issindou. Je n’en ai pas l’impression !

M. Christian Kert. Cette liberté existe depuis plus de quarante ans, et a été acquise après des débats parlementaires d’une grande qualité, d’une grande intensité, d’une grande humanité. Et contrairement à ce que certaines d’entre vous voudraient laisser penser, cette liberté ne sera pas remise en cause lorsque la majorité parlementaire aura enfin changé.

M. Alain Tourret. Ce n’est pas demain la veille !

M. Christian Kert. Quarante ans après ces moments parlementaires d’exception, la présente proposition de loi va à contresens du mouvement des libertés en attaquant à la fois la liberté d’expression et la liberté de pensée.

J’ai donc quelques reproches à vous faire, madame la ministre. Le premier est de saboter le sujet de la vie, qui plus est la vie lovée au creux du corps.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Nous y voilà ! Ce n’est donc pas de la liberté d’expression qu’il s’agit !

M. Christian Kert. Vous auriez pu proposer un beau texte sur les aides à la décision. Vous nous proposez au contraire un texte qui veut raconter l’arrêt du processus de vie comme s’il s’agissait de l’unique possibilité. Pouvons-nous imaginer ensemble – et je le crois – ce que peut être l’esprit de celle qui va devoir trancher le fil de la vie ? Pouvons-nous la condamner de vouloir chercher l’élément qui fera sa décision ? Vous disiez ne vouloir parler que d’IVG, mais c’est la vie qui fait irruption dans ce débat.

Je vous fais aussi le reproche de saboter cette belle idée en conférant à l’examen de ce texte un caractère d’urgence qui aboutit à créer une grande confusion dans le travail parlementaire. Vous imposez l’urgence à la fin d’une législature compliquée, ce que je prends pour un indicateur de la gêne de votre majorité sur un tel sujet. Madame la présidente de la commission, un examen « à la va vite » sur un texte dont la constitutionnalité est plus que douteuse et qui touche à la liberté d’expression,…

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Ce n’est pas vrai, et vous le savez bien !

M. Christian Kert. …vous en conviendrez, cela donne un goût amer à nos travaux.

J’ai un autre reproche à vous formuler : vous avez perdu la boussole de vos valeurs.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Pas vous, en tout cas !

M. Christian Kert. Il est vrai que sur ces bancs nous combattons la gauche, mais nous vous reconnaissons des valeurs universelles, chers collègues, et la France des Lumières que vous invoquez si souvent, madame la ministre, nous l’avons en partage. Cependant, votre texte trahit vos valeurs : depuis quand estimez-vous que l’on ne peut aimer et penser librement ? Souvenez-vous de quelques-uns de nos grands penseurs : « Quand la vérité n’est pas libre la liberté n’est pas vraie […] ». Ou encore : « Se faire sa propre opinion, c’est déjà sortir de l’esclavage de la pensée unique. ». Madame la ministre, où allez-vous avec des textes de cette nature, qui sous couvert de protéger l’individu veulent en réalité faire taire sa propre pensée ? Avez-vous oublié, chers collègues de gauche, que la liberté c’est d’abord l’indépendance de la pensée ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Rendez-vous sur ces sites et vous verrez si c’est la liberté de pensée !

M. Christian Kert. En fait, aujourd’hui, avec ce texte, vous voulez nous donner des leçons de liberté en écrasant les opinions qui vous dérangent.

Lorsqu’on connaît les véritables préoccupations de nos concitoyens – l’emploi, la sécurité, les migrants –, on peut observer que l’avortement n’en fait pas partie. Ce droit est d’ailleurs particulièrement bien préservé en France. Les 200 000 avortements qui sont pratiqués chaque année dans notre pays le prouvent. Et ce chiffre est constant depuis quelques années, alors qu’il est en nette diminution chez nos voisins – les statistiques parlent – grâce à une politique en faveur d’une contraception maîtrisée, notamment à destination des jeunes filles de 20 à 24 ans, qui sont statistiquement les plus concernées.

Quoi qu’on en dise, l’avortement reste un échec, parfois même un drame, et sur ce point nous sommes d’accord. Il existe donc un risque de ne plus pouvoir dire cela sur internet,…

Mme Chantal Guittet. C’est faux !

M. Christian Kert. …car avec ce texte, il ne fait guère de doute que nous sommes face à une véritable atteinte à la liberté d’expression, ce que nous ne pouvons cautionner. Madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, il s’agit d’un droit fondamental reconnu par la Constitution…

Mme Chantal Guittet. Les droits des femmes aussi le sont !

M. Christian Kert. …et cette liberté doit rester une et indivisible.

Pourquoi voulez-vous ouvrir une faille avec l’IVG ? À nos yeux, c’est prendre un risque terrible. Vous commencez aujourd’hui sur ce thème et vous-mêmes ou d’autres s’empareront de cette première atteinte pour continuer dans cette voie, qui apparaît antidémocratique.

Vous le savez, cette liberté d’opinion est particulièrement bien définie par le Conseil constitutionnel, qui s’appuie sur l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » La seule limite possible à la liberté d’opinion et à son expression est donc le trouble à l’ordre public. La Convention européenne des droits de l’homme assure une protection supplémentaire de la liberté d’expression. Selon ce texte, il n’existe pas de vérité d’État et c’est à celui-ci de garantir la liberté de toutes les opinions. Avec cette proposition de loi, nous sommes à l’opposé de ces deux textes fondamentaux, et le risque d’inconstitutionnalité est donc particulièrement fondé.

À ce premier motif s’ajoute celui du principe d’intelligibilité de la loi. Ce n’est pas moi qui l’affirme, madame la présidente de la commission des affaires sociales, c’est la sénatrice Stéphanie Riocreux, rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat, qui appartient au même groupe politique que vous. Selon ses propres mots, la caractérisation du délit est « particulièrement large et imprécise ». La rédaction votée en première lecture ici, et que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a reprise, revient à considérer que les pressions psychologiques peuvent constituer une entrave physique, ce qui nuit à l’intelligibilité de la disposition. L’honnêteté intellectuelle et surtout juridique oblige à reconnaître qu’il existe une grande différence de nature entre le fait d’entraver les femmes qui ont choisi d’avoir recours à l’IVG, comme le faisaient, vous vous en souvenez, les commandos qui s’enchaînaient aux hôpitaux, par exemple, et le fait de mettre à disposition sur internet une information différente de celle des sites officiels pour celles et ceux qui cherchent à s’informer et choisissent d’aller les consulter, y compris s’ils proposent la mise à disposition de numéros verts dits d’écoute.

À ce propos, l’infraction d’abus de situation d’ignorance ou de faiblesse d’une personne en état de grossesse pourrait être caractérisée dans cette situation. Notre arsenal législatif semble donc suffisant en l’état.

J’ai un nouveau reproche à vous formuler sur la liberté d’expression, madame la ministre : comment avez-vous pu oublier à ce point le message d’un Paul Éluard, qui n’est pas suspect d’être l’un de nos penseurs ? Paul Éluard vous faisait une confidence : « J’espère / Ce qui m’est interdit. » Vous savez, madame la ministre, demain, dans dix ans peut-être encore, des dizaines de milliers de femmes connaîtront l’angoisse et l’espérance du bonheur posées sur les plateaux d’une balance. Elles voudront choisir. Ce choix devant lequel elles seront placées sera le fait de difficultés, et non pas de la vie. Vous nous dites que vous voulez des citoyens libres mais, vous le savez, l’exercice de la liberté à laquelle les hommes et les femmes aspirent nécessite que ces derniers s’accoutument aux vertus qu’elle réclame. Avez-vous conscience qu’avec ce texte vous avez imaginé, inventé le délit d’entrave à la liberté ?

M. Michel Issindou. Bravo ! Quelle trouvaille !

M. Christian Kert. Sur l’un des sites que j’ai visités, et que vous avez sans doute vu vous aussi, j’ai relevé deux phrases qui ne peuvent que vous faire mal, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chères collègues.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. De quel site s’agit-il ? Pouvez-vous en donner le nom ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Sur quel site ?

M. Christian Kert. Une première femme fait part de sa terrible hésitation : « Elles sont très noires, les pensées de mes nuits blanches. » Une autre renchérit : « Chaque jour de mon incertitude est aussi lourd que toute ma vie jusqu’à maintenant. » Ces phrases-là font mal.

Mme Chantal Guittet. Et alors ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. C’est un sujet sérieux !

M. Christian Kert. Au vu de ces témoignages publiés sur des sites ouverts, on peut s’étonner, madame la ministre, et je vous l’avais dit en première lecture, du ton très militant du site officiel de votre ministère. J’avais évoqué, lors de mon intervention, le ton que je qualifierais d’un peu badin utilisé par un gynécologue pour qualifier le moment de l’IVG : « […] c’est sûr, ce n’est pas un moment très agréable à passer. » On s’en doute.

Et comment doit-on interpréter les affirmations de ce même site, selon lesquelles l’IVG n’a aucune conséquence médicale, alors qu’il existe – nous le savons bien – des études qui précisent, par exemple, que le fait d’avoir subi plusieurs IVG multiplie les risques de naissance prématurée ? Pourquoi cet élément n’est-il pas expressément mentionné sur ce site ?

Par ce texte, vous voulez atteindre les sites qui cherchent à dissuader de pratiquer une IVG. Que dire, alors, de ceux qui vont dans le sens contraire, et qui balaient de façon peu informative les suites possibles d’une IVG, et même y incitent !

M. Pierre Lellouche. Bien sûr !

M. Christian Kert. On le voit bien : il est difficile de tracer la frontière entre l’entrave et l’affirmation d’une opinion. De plus, cette information qui, à l’évidence, vous déplaît tant, il faut aller la chercher ! Elle n’est imposée à personne ! Où est, dans ces conditions, le trouble à l’ordre public que vous évoquez afin de justifier la nécessité de restreindre ainsi la liberté d’expression ?

D’un point de vue pratique, comment le juge pourra-t-il vérifier si les assertions en cause sont une « indication de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG » ? Selon quels critères l’intention malveillante sera-t-elle définie ? Le juge constitutionnel a constamment affirmé que le législateur doit définir pleinement les infractions, sans laisser au juge la liberté de le faire. Nous en sommes loin : l’infraction que vous défendez n’est pas réellement caractérisable.

J’ai un ultime reproche à vous faire, madame la ministre : votre texte est anticonstitutionnel. Nous le ferons valoir, si besoin est, par un recours.

M. Jacques Myard. Absolument !

M. Christian Kert. Il est inutilement liberticide et tourne le dos aux valeurs que vous prétendez incarner. Il cherche à défendre la liberté d’avortement, mais c’est inutile, car elle n’est ici nullement menacée.

M. Jacques Myard. Ce texte n’a qu’une visée polémique !

M. Christian Kert. Surtout, madame la ministre, vous oubliez que dans l’existence, il y a ce que l’on vit et ce que l’on rêve. Vous oubliez que la liberté de penser, elle est absolue ou elle n’est pas ! Nous refuserons donc ce texte qui nie la responsabilité, la capacité de choisir et de penser, ce texte qui porte la marque terrible de la certitude arrogante.

Pour tous ces motifs, je vous recommande, chers collègues, d’adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Monsieur le député, je salue vos efforts pour tenter de convaincre l’Assemblée que votre intervention ne portait que sur la liberté d’expression, et que vous n’avez aucun problème vis-à-vis de l’IVG. Je m’étonne de plusieurs choses ; d’abord, de trouver dans cet hémicycle, du côté du groupe Les Républicains, douze hommes pour parler des droits des femmes ! (« Félicitations ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Et alors ?

M. René Dosière. Où sont les femmes ?

M. Pierre Lellouche. Vous pensez que c’est un argument ?

Mme Laurence Rossignol, ministre. Douze hommes, pour parler de l’IVG ! Où sont les femmes du groupe Les Républicains ? Je sais bien que vous ne respectez pas les lois sur la parité, et que peu de femmes présentées par votre parti ont été élues en 2012. Mais quand même, où sont-elles ? (Exclamations persistantes sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lellouche. C’est scandaleux !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Je vous ai écoutés ; écoutez-moi !

M. le président. S’il vous plaît, monsieur Lellouche, vous aurez la parole tout à l’heure.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Je note que vous avez rassemblé douze hommes pour parler de l’utérus des femmes, des grossesses des femmes, et des IVG des femmes. Je note aussi que ceux qui sont ici présents sont tous, à quelques exceptions près peut-être, les mêmes que nous retrouvons dans tous les débats de ce type.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Nous avons bien le droit de participer aux débats de l’Assemblée !

M. Dominique Tian. C’est pas interdit !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous n’avez voté aucune des lois qui ont permis d’élargir l’IVG : vous n’avez pas voté la suppression de la condition de détresse, vous n’avez pas voté la suppression des délais. Beaucoup d’entre vous n’ont pas voté la résolution sur le droit fondamental à l’IVG – à part, peut-être, M. Lurton. Tous les autres, vous représentez le groupe de l’entente parlementaire pour la famille.

M. Jacques Myard. Et alors ? Vous êtes à bout d’arguments !

Mme Laurence Rossignol, ministre. C’est vous qui avez mené la guerre contre le mariage pour tous. Ce que vous représentez ici, ce n’est pas la défense de la liberté d’expression !

M. Dominique Tian. Ah, Mme de La Raudière nous rejoint !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Je relèverai deux expressions que vous avez employées dans votre discours : vous avez défini l’IVG comme « l’arrêt du processus de vie », et avez désigné une femme qui avorte comme « celle qui va devoir trancher le fil de la vie ».

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien cela !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous pensez qu’un avortement met un terme à une vie.

M. Jean-Frédéric Poisson. Quoi d’autre ?

Mme Laurence Rossignol, ministre. C’est là notre divergence profonde : pour vous, une femme qui avorte, c’est une femme qui interrompt une vie. Ce discours culpabilisant et dissuasif à l’égard des femmes, nous ne voulons pas qu’il soit dissimulé sous des informations faussement scientifiques, à destination des femmes qui veulent recourir à une IVG. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. C’est scandaleux !

M. Jacques Myard. Totalitarisme intellectuel !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Comment doit-on appeler une personne qui interrompt une vie ? Allez au bout de vos arguments, ce serait intéressant ! (Protestations persistantes sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Xavier Breton et M. Pierre Lellouche. Arrêtez ces procès d’intention !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Eh bien moi, je crois qu’une femme qui avorte n’est pas une femme qui interrompt une vie. Ce que vous faites là, c’est révéler le fond de votre pensée : vous êtes profondément hostiles à la liberté d’accès des femmes à l’IVG. Votre préoccupation, ce n’est pas la liberté d’expression mais l’IVG ! J’appelle donc, bien entendu, les membres de cette assemblée à repousser cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jacques Myard. Vous êtes vraiment à bout d’argument. C’est du terrorisme intellectuel gauchiste !

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Juste une précision à l’intention de M. Kert, et d’autres députés siégeant dans cet hémicycle. Dans beaucoup de discours, on entend parler de la République « une et indivisible » ; mais la VRépublique a abandonné l’adjectif « une ». Aux termes de l’article 1er de notre Constitution, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

M. Jean-Frédéric Poisson. « Une », « indivisible », c’est exactement la même chose.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je tenais à le dire, car beaucoup d’élus, tant locaux que nationaux, utilisent cette formule erronée dans leurs discours. Pourquoi la France n’est-elle plus « une » ?

M. Pierre Lellouche. Nous sommes disqualifiés en raison de notre sexe ! C’est incroyable !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas la peine de vociférer, monsieur Lellouche ! C’est moi qui ai la parole !

La République n’est plus « une », précisément, parce que son organisation est décentralisée. Voilà ce que je voulais ajouter.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Quel est l’intérêt de cette remarque ?

M. le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Au titre des explications de vote, la parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe Les Républicains.

M. Frédéric Reiss. M. Kert a exposé de manière très posées et très convaincante nos arguments et nos valeurs, contrairement à vous, madame la ministre ! Je vous ferai remarquer qu’il y a aussi des femmes dans le groupe Les Républicains. Elles sont présentes aujourd’hui, vous l’aurez noté.

Mme Laure de La Raudière. Et on peut s’exprimer !

M. Frédéric Reiss. Christian Kert a posé les vraies questions en matière d’IVG. Pourquoi la majorité s’acharne-t-elle donc à faire passer en urgence ce texte qui porte indéniablement atteinte à la liberté d’expression ? Nous ne comprenons pas pourquoi le fait de mettre à la disposition du public des informations sur l’IVG serait répréhensible. L’IVG n’est pas un moyen de contraception banal ; lorsqu’une femme envisage d’y recourir, elle doit pouvoir le faire en connaissance de cause.

Informer sur les conséquences éventuellement lourdes d’une IVG, ce n’est pas de la désinformation, ni de la haine, ni de la diffamation ! Nous n’y voyons aucune atteinte à la loi Veil, car les femmes sont capables de se forger leur propre opinion en prenant de la distance vis-à-vis du contenu de tel ou tel site internet.

M. Jacques Myard. Bien sûr ! Elles n’ont pas besoin des gauchistes pour exercer leur raison !

M. Frédéric Reiss. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Sonia Lagarde. Cela déplaira peut-être à certains dans cet hémicycle, mais je voudrais redire que le droit de ne pas poursuivre leur grossesse appartient aux femmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Personne ne le conteste !

Mme Sonia Lagarde. Notre rôle de législateurs est de garantir l’accès à ce droit, qui reste malheureusement contesté – nous le voyons bien aujourd’hui. L’objectif de ce texte est de sanctionner des sites internet qui, sous couvert d’une présentation neutre et objective, sont en réalité les paravents de groupes anti-IVG qui veulent dissuader les femmes de recourir à l’IVG. Je rappelle, à ceux qui en doutent encore, que la liberté d’expression, ce n’est pas la liberté de tromper des personnes en quête de réponses, ni de les manipuler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jacques Myard. C’est une autocritique ?

Mme Sonia Lagarde. Parce que nous nous devons de protéger les femmes, et d’assurer le respect de leurs droits, la majorité des députés UDI s’opposera à la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Je voudrais dire à mes collègues qu’ils avaient une belle occasion de terminer cette législature par un texte de progrès. Ils ont préféré, finalement, l’obscurantisme à la philosophie des Lumières ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Vous vous faites les défenseurs de l’obscurantisme, puisque vous qualifiez ce texte de liberticide, ce qui ne veut absolument rien dire.

Mme Laure de La Raudière. C’est le Sénat qui l’a dit !

M. Alain Tourret. Je constate que, dans toutes les grandes rencontres de la France avec le droit des femmes, systématiquement, nos collègues conservateurs s’y sont opposés. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Cela a été le cas pour le divorce, pour le PACS, pour le mariage pour tous, pour la séparation de biens, pour la suppression du délit d’adultère pour les femmes, et enfin pour l’IVG. Ils ont eu bien de la chance d’avoir Simone Veil, une très grande dame derrière laquelle ils se cachent et qu’ils ne méritent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Laure de La Raudière. Justement, elle est contre cette proposition de loi !

M. Pierre Lellouche. C’est incroyable, enfin ! Qui a autorisé l’IVG ? Qui a fait toutes ces lois ?

M. Alain Tourret. Et naturellement, ils se sont opposés au remboursement de l’IVG. Tout cela prend place, aujourd’hui, dans un vaste mouvement, non pas simplement national, mais international. Aux États-Unis et en Europe, on voit se rassembler tout ce qu’il y a de plus conservateur, tout ce qu’il y a de plus réactionnaire, contre les femmes. Pour toutes ces raisons, nous refuserons de nous rallier à cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gabriel Serville. J’ai passé cinq très belles années au sein de cet hémicycle. J’ai parfois tenté de comprendre les prises de position de certains de mes collègues du groupe Les Républicains. Aujourd’hui, je voudrais insister sur la forme davantage que sur le fond : vous devez comprendre, chers collègues, la surprise que je ressens à entendre vos réactions à un texte aussi important, qui remet les droits des femmes à leur juste place.

Mme Laure de La Raudière. Mais non, justement !

M. Gabriel Serville. Je suis surpris de voir que, dans un contexte ô combien important à mes yeux, vous vous permettez de chahuter une ministre. Cela me rappelle étrangement les hurlements, les cris, les moqueries qu’ont subis, avant elle, d’autres ministres – je pense à Cécile Duflot et à Christiane Taubira (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), qui dans d’autres circonstances ont défendu des textes visant à faire évoluer notre société et se sont fait copieusement huer et siffler par nos collègues masculins, du côté droit de cet hémicycle.

M. Jacques Myard. Oh, arrêtez !

Mme Arlette Grosskost. Ça suffit, à la fin ! C’est contreproductif pour les femmes, tout cela !

M. Gabriel Serville. Je vous le dis sincèrement : cela ne nous grandit pas. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Cela ne grandit pas la représentation nationale ; et ce n’est pas en hurlant de cette manière que vous arriverez à faire passer votre message. Vous avez su démontrer, à d’autres moments, votre capacité à débattre, à convaincre ; il serait préférable, aujourd’hui, de vous calmer et de dire les choses franchement.

M. Pierre Lellouche. N’importe quoi ! Vous nous disqualifiez par principe, sur ces questions, parce que nous sommes des hommes ! Ce n’est pas cela, la République ! Vos arguments sont minables !

M. le président. Monsieur Lellouche, s’il vous plaît !

M. Gabriel Serville. Je tenais à dire cela dès maintenant ; nous aurons l’occasion, tout à l’heure, de débattre du fond. Quoi qu’il en soit, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je considère qu’il ne faut pas voter en faveur de cette motion de rejet préalable.

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Annie Le Houerou. Pourquoi cette motion de rejet préalable ? La question a été largement discutée, et ce que nous constatons, c’est qu’il y a une vraie divergence de fond sur la question de l’IVG. La droite cherche tous les alibis pour que l’on ne vote pas ce texte, qui tend simplement à compléter la législation en vigueur. Le délit d’entrave existe déjà ; ce texte vise à l’adapter aux nouvelles technologies de communication et d’information. Arrêtons de tergiverser, et repoussons cette motion de rejet préalable.

Les choses sont très claires : c’est un texte de progrès. Je le répète : repoussons cette motion de rejet préalable, qui n’a aucun sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants41
Nombre de suffrages exprimés41
Majorité absolue21
Pour l’adoption17
contre24

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilles Lurton.

Chers collègues, au regard de l’heure, je serai extrêmement attentif au respect des temps de parole.

M. Gilles Lurton. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, vous nous avez affublés, lors de la première lecture de ce texte, du qualificatif de « députés les plus réactionnaires de cet hémicycle ». Je ne sais pas si c’est vrai, mais pour ce qui me concerne, l’interruption volontaire de grossesse est un droit, une liberté de la femme depuis le vote de la loi Veil promulguée le 17 janvier 1975.

Parce que je suis attaché à la préservation de ce droit, j’ai voté la proposition de résolution de Mme Coutelle, le 26 novembre 2014, visant à réaffirmer le droit à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe.

En revanche, je me suis toujours opposé aux dispositions que vous avez souvent fait voter à la sauvette au détour d’un amendement sans rapport avec les textes en examen et qui ont porté de sérieux coups à la loi Veil – suppression de la mention de situation de détresse, suppression du délai de réflexion de sept jours, et j’en passe.

Mais aujourd’hui, la seule question que nous devons nous poser à la lecture de ce texte est celle de la liberté d’expression. Mes chers collègues, je veux vous convaincre de la sincérité de mes propos. Je ne me suis jamais défaussé devant un débat difficile. J’ai sans doute commis des erreurs, mais j’ai toujours exprimé mes convictions. En l’espèce, sur ce texte, elles ne sont en aucun cas une façon déguisée d’exprimer une position anti-IVG.

La rédaction initiale du délit d’entrave avait pour objet de sanctionner les actes physiques empêchant la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse. Mais, vous le savez, la définition de ce délit a été étendue par la jurisprudence.

Le rapport pour avis du sénateur Michel Mercier a identifié deux catégories de risques d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité. Je les crois particulièrement fondés.

Tout d’abord, le principe constitutionnel de légalité, qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, impose au législateur « la nécessité de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale », mais aussi de définir « les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » ainsi que « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ».

Or, le fait d’étendre l’infraction aux « allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif » introduit un élément d’incertitude dans la définition du délit.

Les termes ne sont pas suffisamment clairs et précis et pourraient exposer ce texte à une censure constitutionnelle. C’est le sens des articles 34 de la Constitution et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Les dispositions de la proposition de loi pourraient également être contestées au regard du principe constitutionnel de nécessité des peines, fondé sur les articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, en France, les peines prononcées sont proportionnelles à la gravité du délit ou du crime. Sont déjà punies par une peine comprise entre 12 000 euros d’amende et un an de prison et 45 000 euros d’amende, l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine ou la contestation de crime contre l’Humanité. Dès lors, une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende est susceptible d’être jugée disproportionnée pour un délit résultant du seul exercice de la liberté d’expression.

Sur le plan conventionnel, la liberté d’expression et la liberté d’opinion permettent à quiconque de partager ses opinions, même hostiles à certains comportements, sans être tenus à une obligation d’impartialité. La liberté d’expression inclut le droit d’essayer de persuader autrui du bien-fondé de ses convictions, dans le respect de l’ordre public. De plus, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales garantit une liberté d’expression qui peut « heurter, choquer ou inquiéter ».

Cette proposition de loi semble, en plus, ignorer le fonctionnement d’internet. Le fait que la visibilité des contenus que vous souhaitez condamner soit excessive ne sera jamais corrigé par la création d’un délit. Quand une opinion est dominante sur internet, elle relève d’une mobilisation très forte et communément partagée. Exprimer son opinion sans être traçable, de manière anonyme et presque invisible est devenu si facile, qu’il rendra chimérique l’application de cette proposition de loi.

Mes chers collègues, qu’on ne se méprenne pas sur mes propos. Je sais combien les propos que l’on trouve sur internet sont insupportables. Je ne défends pas leur contenu, que je condamne d’ailleurs à titre personnel. Mais la liberté d’expression ne doit pas concerner les seules personnes avec qui nous sommes d’accord, sinon nous sombrons dans l’arbitraire.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Gilles Lurton. Où est la limite ? Voilà la véritable interrogation.

À quel moment sera-t-il considéré qu’une femme a été induite en erreur ? L’extension de cette nouvelle incrimination est à craindre. Je m’arrêterai là car vous ne me laisserez pas le temps de finir.

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, beaucoup a été dit sur ce texte. Aussi, avant de commencer mon propos, souhaiterais-je apporter une clarification.

Nous ne poursuivons qu’un seul objectif : garantir aux femmes l’accès à un droit fondamental, celui de la liberté qui leur a été donnée depuis plus de quarante ans maintenant, de décider, de manière responsable, de poursuivre ou non leur grossesse.

Ce débat n’est pas celui de la liberté d’expression et nous ne devons en aucun cas entraver la liberté de parole, pas plus que nous ne devons imposer à quiconque une opinion.

Je regrette que la rédaction issue des travaux du Sénat n’ait pas permis d’effacer les craintes sur ce sujet car nous aurions pu espérer qu’elle permette de dégager une majorité, en évitant que la politique politicienne ne perturbe le bon déroulement de ce débat.

Ce texte, n’en déplaise à certains, est avant tout une affaire qui concerne les femmes et qui s’inscrit dans le respect de leur liberté de choisir.

La commission mixte paritaire ayant échoué, cette proposition de loi est à nouveau débattue dans notre hémicycle et ces aléas nous rappellent combien le sujet de l’avortement est sensible, combien le combat pour reconnaître et garantir ce droit reste long, difficile et permanent.

Long, car il a accompagné tout le XXsiècle et continue de s’écrire aujourd’hui.

Difficile car, après avoir été nié puis limité, il est encore contesté par certains.

Permanent, hélas, car il nous suffit d’observer l’Amérique de ces derniers jours, et son nouveau président dont la première action fut de signer une mesure anti-avortement.

Ce combat a été conduit ici même par une femme au courage exemplaire dont j’ai l’honneur de partager l’identité politique. En 1974, c’est bien face à la cruauté des avortements clandestins que Simone Veil, ministre de la Santé, a conduit le Parlement à légiférer.

L’enjeu d’alors n’était pas d’encourager le recours à cette voie, ce que Simone Veil avait bien compris : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame… ».

Mes chers collègues, depuis 1974, la législation s’est adaptée au consensus social et à la situation de fait.

En 1993, c’est bien face à de nombreuses actions physiques violentes des commandos anti-IVG, que le législateur a créé un délit pénal spécifique d’entrave à l’avortement. Si d’importants progrès ont été accomplis ces dernières années pour améliorer l’accès à l’IVG, ce droit doit encore être conforté, comme en témoigne le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, rendu public il y a quelques jours à peine.

Aujourd’hui, l’obstacle à l’interruption volontaire de grossesse ne se fait plus dans la rue, enchaînés à des grilles pour empêcher d’accéder à des centres de santé, ou en distribuant des tracts. L’entrave à l’avortement s’adapte aux évolutions de la société et il s’organise désormais principalement derrière un ordinateur, sur internet, où des femmes, souvent seules perdues, cherchent des réponses à leurs légitimes questions.

M. René Dosière. Très bien.

Mme Sonia Lagarde. Nous ne condamnons pas ces sites parce qu’ils expriment une opinion divergente. Nous les condamnons parce qu’ils dissimulent sournoisement cette opinion en reprenant tous les codes des sites officiels. Du bandeau bleu-blanc-rouge au renvoi vers un numéro vert, ils délivrent insidieusement une opinion orientée sous couvert de délivrer une information neutre.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Très bien.

Mme Sonia Lagarde. En première lecture, les opposants à cette proposition de loi ont soulevé l’argument de la liberté d’expression, mais il ne s’agit pas de cela.

Et quand bien même la liberté d’expression serait fragilisée, la Cour de cassation a précisé dès 1996 que la liberté d’opinion et la liberté de manifester ses convictions peuvent « être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui ».

L’objectif que nous défendons est simple : les femmes qui se posent des questions, ou qui ont déjà fait leur choix, doivent pouvoir disposer d’une information la plus juste possible car s’il existe des positions différentes, elles méritent chacune d’être respectées.

Cette proposition de loi n’encourage nullement le recours à l’avortement. Elle vise simplement à sanctionner les pratiques de dissimulation opérées par certains sites internet.

L’article unique complète le délit d’entrave tel que nous le connaissons et le code de la santé publique le définit déjà à l’article L. 2223-2.

Nous l’avons dit en première lecture, l’équilibre est ténu entre la liberté d’expression et le droit d’interrompre sa grossesse. Sur ce point, le travail de nos collègues sénateurs aurait permis de rassurer les plus sceptiques quant aux éventuels risques d’inconstitutionnalité.

La rédaction issue du Sénat ne changeait pas la définition du délit en ce qui concerne les motivations des auteurs de l’infraction – « empêcher ou tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une IVG » – mais elle condamnait tous les moyens par lesquels peuvent s’exercer les pressions morales et psychologiques.

Mes chers collègues, je le redis avec gravité, ce texte nous rappelle que ce droit donné aux femmes est toujours contesté.

Il est contesté en Europe, en Pologne, en Espagne, mais aussi en France où, dimanche dernier, des milliers de militants hostiles à l’avortement se sont rassemblés. Le combat, commencé dès les années 1960, se poursuit encore.

Alors que ce droit ne semble pas essentiel pour certains, nous ne devons jamais oublier que le combat a d’abord été mené par les femmes, pour les femmes.

Enfin, rappelons qu’au-delà de la conservation de ce droit acquis, il est essentiel de poursuivre les actions de prévention, notamment auprès du jeune public, pour que l’interruption volontaire de grossesse ne soit pas le seul ultime recours.

Aujourd’hui, la France se caractérise par l’importance des échecs contraceptifs, du fait notamment d’un défaut d’observance. En 2009, 72 % des IVG étaient pratiquées sur des femmes sous contraception.

On le sait, le recours à la contraception de rattrapage ou pilule du lendemain reste trop faible. Chez les femmes de 18-24 ans, près de la moitié des grossesses sont des grossesses non désirées, aussi est-il nécessaire d’intensifier encore les campagnes de prévention.

Il est tout aussi indispensable de repenser la formation du personnel médical, pour qu’elle évolue et permette de mieux préparer les médecins généralistes et les sages-femmes au rôle qu’ils sont appelés à jouer en matière de prévention et d’accompagnement.

Mes chers collègues, sur un sujet de cette nature, qui touche à l’intime et aux convictions de chacun, je peux comprendre que des divergences puissent apparaître, mais dans leur grande majorité, les députés du groupe UDI sont favorables à ce texte.

À titre plus personnel, je sais tout le travail qui reste malheureusement à faire pour arriver, ne serait-ce que dans cet hémicycle, à une égalité parfaite, mais aussi à l’égalité salariale, à diplôme égal, à une égalité tout simplement naturelle entre les femmes et les hommes. Bien des comportements doivent évoluer et puisque les acquis restent fragiles, il revient à nous, législateurs, de les conforter, de les préserver sans cesse.

Je dédie mon vote favorable aux femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. René Dosière. Merci pour la Nouvelle-Calédonie !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, je voudrais tout d’abord féliciter notre excellente collègue Sonia Lagarde. Il est rare ici que nous félicitions un membre d’un autre groupe, mais notre collègue a trouvé des mots justes et sincères et ces mots justes et sincères m’ont particulièrement ému. Cela montre qu’il est possible de nous retrouver, républicains des deux rives, lorsque nous abordons des problèmes fondamentaux et des questions philosophiques.

C’est d’autant plus important que nous examinons ce texte en fin de législature. Il n’est pas inutile de souligner l’importance qu’il y a à traiter de ces nouveaux droits, car ce sont de nouveaux droits, qui seront revendiqués par les femmes.

Ces nouveaux droits sont d’autant plus importants que le droit à l’IVG n’est pas enraciné comme il devrait l’être. Il continue d’être contesté à travers un jeu de billard à trois bandes. Certes, nous avons entendu M. Lurton, mais nous avons aussi entendu ceux qui siègent à côté de lui et qui, bien évidemment, rejettent globalement la notion même d’IVG, comme ils rejettent globalement le remboursement des frais liés à l’IVG. Ils n’arrivent pas à comprendre que l’interruption volontaire de grossesse est un drame subi par une femme et ne veulent y voir que ce qu’ils appellent la suppression de la vie, ce qui, au regard de la philosophie même de cet acte, est absolument faux.

Il fallait intervenir par le biais d’une nouvelle loi. Le 24 janvier dernier, la commission mixte paritaire chargée de dégager un texte commun aux deux assemblées parlementaires sur la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse s’est conclue par un échec.

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le rapport de notre excellente présidente de la Délégation des droits des femmes, Mme Coutelle, qui souligne le désaccord profond entre les deux assemblées – un désaccord historique. En effet, qui s’est toujours opposé au vote de textes sur le droit des femmes ? C’est le Sénat !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. C’est certain !

M. Alain Tourret. On retrouve ce désaccord, cinquante ans plus tard, ici même. Rappelez-vous : le texte sur le droit des femmes a été voté par les députés à l’unanimité, pour être ensuite rejeté par le Sénat. Il y a au sein de la Haute assemblée, curieusement, une volonté toujours réaffirmée de remettre en cause le droit des femmes.

Le désaccord profond entre nos deux assemblées sur la définition même du délit d’entrave numérique et la caractérisation de ses moyens n’a donc pu être surmonté, ouvrant ainsi la voie à un nouvel examen du texte par notre assemblée.

Ce texte du Sénat comporte trois lacunes principales. Je vous renvoie au rapport de Mme Coutelle s’agissant des deux premiers ; ce qui m’intéresse, c’est de noter que le texte adopté par le Sénat gomme toute référence explicite au délit d’entrave numérique.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Absolument !

M. Alain Tourret. Il gomme ce qui est l’objet initial et fondamental de la proposition de loi et sa substance même. Si l’on rejoint le Sénat, il n’y a plus de texte. La suppression de ces éléments conduit non seulement à perdre la finalité du texte mais à supprimer le texte lui-même.

Heureusement, saisie du texte du Sénat, la commission a adopté en nouvelle lecture un amendement de rédaction globale de la rapporteure, que je félicite, visant à réintroduire les dispositions votées par l’Assemblée nationale en première lecture, corrigeant ainsi les trois lacunes relevées dans la rédaction du Sénat.

Estimant excellentes les modifications qui ont été apportées à la fin de la navette, nous voterons bien évidemment le texte qui nous est ainsi proposé, en ayant de sentiment de participer à un mouvement de liberté, inspiré de la philosophie des Lumières, qui m’est tellement cher. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Merci !

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, suite à l’échec de la commission mixte paritaire, nous examinons en nouvelle lecture la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Pour les membres de mon groupe, le droit à l’avortement est un droit fondamental, inaliénable, fruit d’un long combat mené par les femmes. Député de la région française qui connaît le plus fort taux de grossesses précoces, souvent dues à un manque d’information quant aux méthodes de contraception ou à un accès difficile à l’IVG, je suis moi-même particulièrement sensible à ce sujet.

Pourtant ce droit chèrement acquis pour les femmes reste fragile et a dû, au cours des années, être protégé et renforcé, notamment à la suite des actions de commandos anti-IVG. Ce droit doit être préservé et garanti : c’est tout l’objet de ce texte que nous soutenons.

Depuis la reconnaissance du droit à l’avortement avec la loi Veil, votée le 17 janvier 1975, d’indéniables progrès ont été réalisés et plusieurs textes sont intervenus pour renforcer ce droit et assurer son plein exercice.

Le délit spécifique d’entrave à l’IVG, qui nous occupe aujourd’hui, a été institué dès la loi du 27 janvier 1993. Il sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements où elle est pratiquée ou en exerçant des menaces sur le personnel ou les femmes concernées. Ce délit est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Nous savons toutes et tous que la violence peut s’exercer physiquement, mais aussi moralement. La loi du 4 juillet 2001 a renforcé ce délit d’entrave à l’IVG en ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques afin, d’une part, de sanctionner les menaces et les actes d’intimidation, et d’autre part d’alourdir les peines prévues.

Ce quinquennat a également été marqué par plusieurs avancées concernant le droit à l’avortement.

En novembre 2014, notre groupe a cosigné une résolution proposée par le groupe socialiste visant à reconnaître le droit à l’avortement comme un droit fondamental. Elle a été adoptée à la quasi-unanimité.

Nous avons également voté la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui élargit le champ du délit d’entrave en permettant de sanctionner les actions qui viseraient à empêcher l’accès à l’information au sein des structures pratiquant des IVG.

De même, dans la loi de modernisation de la santé, nous avons soutenu la suppression du délai de réflexion, qui est une véritable avancée pour les droits des femmes.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui prend en compte les nouveaux moyens de communication, en l’occurrence internet et les réseaux sociaux, pour étendre le délit d’entrave au domaine numérique, eu égard à l’existence de sites qui n’ont en réalité d’autre but que de dissuader des femmes enceintes de recourir à une IVG. Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif.

Ces sites internet, sous couvert d’aspect officiel, prétendent apporter une information neutre sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, alors qu’en fait ils font tout pour décourager les femmes de pratiquer un avortement.

Outre le fait de constituer une entrave au droit à l’avortement, ces sites sont extrêmement dangereux car ils brouillent les messages des pouvoirs publics sur internet en matière de santé. Or, nous savons qu’internet constitue le premier lieu d’information, notamment pour les jeunes.

De surcroît, les femmes qui se tournent vers internet, pour la rapidité de la réponse et la facilité de l’accès, le font aussi pour préserver leur anonymat.

En donnant à croire que les informations qu’ils délivrent sont objectives, ces sites commettent un abus de confiance. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes l’avait d’ailleurs souligné dès 2013.

Le combat des commandos anti-IVG ayant changé de terrain, il est indispensable d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société.

Cette proposition de loi permettra de combler le vide juridique qui empêche aujourd’hui le juge de sanctionner les pressions psychologiques organisées sur ces sites.

Nous sommes conscients que légiférer sur les échanges internet n’est pas chose facile. Un juste équilibre est requis pour préserver aussi bien la liberté d’information que la liberté d’expression. Le débat contradictoire est évidemment nécessaire et rien ne doit interdire qu’il se poursuive.

De ce point de vue, si la version initiale du texte contenait certaines ambiguïtés, la nouvelle rédaction proposée à l’issue du travail en commission offre un équilibre satisfaisant entre ces différentes exigences.

Elle permettra d’identifier pleinement le délit de pression psychologique et moral exercé sur les femmes cherchant des informations sur l’IVG à travers internet ou sur les personnels médicaux, tout en laissant la place au débat.

Il appartiendra ensuite au juge, garant des libertés individuelles, de placer au mieux le curseur entre la légitime répression du délit d’entrave et le respect de la liberté d’expression.

Outre le renforcement de notre législation, tout doit être mis en œuvre pour garantir aux femmes un accès effectif au droit à l’avortement.

Or je crois nécessaire d’alerter sur le fait que ce droit est également menacé par les coupes budgétaires de ces dernières années dans les politiques de santé, auxquelles s’ajoute la fermeture de nombreux hôpitaux de proximité et de centres de planning familial. Garantir le droit à l’avortement implique des textes législatifs certes, mais aussi de donner les moyens financiers nécessaires aux établissements de santé qui pratiquent les IVG.

En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de rester vigilants, car même les droits les plus fondamentaux ne sont pas toujours acquis.

Notre pays n’est pas le seul où l’interruption volontaire de grossesse est un droit régulièrement attaqué – je pense à l’Espagne et plus récemment à la Pologne, pour ne citer que des pays européens. Aux États-Unis, le Président Trump vient d’annoncer le rétablissement du Global Gag Rule, la règle du bâillon mondial, qui entraînera la suppression de subventions américaines pour les ONG évoquant de près ou de loin le droit à l’avortement. Cette mesure se traduira concrètement par un accès plus difficile aux services de planification familiale dans le monde.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. C’est vrai !

M. Gabriel Serville. Aussi il est très important de faire évoluer la loi pour garantir plus et mieux ce droit en faveur des femmes.

Cette proposition de loi participe du combat mené tous les jours pour que le droit à l’interruption volontaire de grossesse soit plein et entier. C’est pourquoi les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine la voteront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Alain Ballay.

M. Alain Ballay. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, je commencerai avec les mots prononcés par une célèbre actrice lors de la Women’s March à Washington qui ont résonné en moi ce week-end : « Mais d’abord, je demande que vous me souteniez. Que vous souteniez ma sœur, que vous souteniez ma mère, souteniez ma meilleure amie, et toutes nos amies. […] Que vous souteniez ma fille, qui pourrait […] grandir dans un pays qui régresse au lieu d’aller de l’avant, et qui pourrait potentiellement ne pas avoir le droit de faire des choix pour son corps et son futur… »

Étrange climat ce week-end, un climat trouble et une atmosphère polluée.

Climat trouble, et ce n’est pas de la pollution atmosphérique dont je veux parler, mais plutôt du climat social : trouble, inquiétant et pour le moins alarmant.

Le week-end a commencé samedi matin avec près de 500 000 hommes et femmes défilant à Washington pour les droits des femmes. La Women’s March s’est propagée dans le monde entier, de la France à l’Antarctique, signe clair que les forces conservatrices qui remettent en cause les droits des femmes partout dans le monde ne peuvent nous laisser de marbre.

Et le brouillard a continué dimanche. Il s’est même épaissit. En effet, une manifestation réunissait sur le pavé parisien les anti-IVG autour de M. de Villiers, Mme Boutin et Sens Commun…

M. Yannick Moreau. C’est courageux !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Qui vient de dire cela ?

M. Alain Ballay. Toujours dans le brouillard, j’entends ces propos qui me glacent, contre une loi « scélérate ». « Nous sommes désormais des délinquants, des entraveurs du crime, des empêcheurs de tuer en rond »… Voilà ce qu’on entendait dans ces rangs. Je ne commenterai pas plus ce bruit néfaste qui n’est qu’un brouillard minoritaire, mais je ne peux m’empêcher de m’alarmer.

En effet, dans notre contexte politique et social, on ne peut pas rester insensible à ces manifestations. Quarante-deux ans après la loi Veil, la question de l’IVG suscite encore et encore des polémiques. C’est bien la preuve que le combat du Manifeste des 343 est donc toujours bien actuel, car, malgré les progrès, il faut rester très vigilant.

J’en appelle aujourd’hui à votre vigilance, mes chers collègues, pour que le futur que l’on va offrir à nos enfants soit un futur où une femme est libre de choisir si elle veut un enfant ou non.

M. Yannick Moreau. C’est de moins en moins le cas !

M. Alain Ballay. Je ne reviens pas sur le fait établi que chacun est libre d’être pour ou contre l’IVG. Chacun en France est libre de penser et de soutenir ses idées. En revanche, ce que je ne veux pas, c’est que l’on puisse, en 2017, revenir sur un droit qui a libéré les femmes. Le droit à l’avortement est un droit fondamental. Nous le répétons déjà depuis longtemps et nous le répéterons jusqu’à ce qu’il ne soit plus remis en cause. Nous l’avons voté en 2014 à la quasi-unanimité des députés.

Alors, aujourd’hui, de quoi parle-t-on ? Nous défendons le droit de choisir, et donc la liberté. Nous défendons le droit d’être informés, et donc le libre arbitre. Nous défendons la femme, tout simplement. La femme est libre en France, et le recours à l’avortement est son droit plein et entier.

Chaque année, il concerne 200 000 femmes. Celles-ci ont fait un choix qui doit être respecté. Elles ont le droit avec elles. Depuis 2012, la gauche s’est engagée à renforcer les droits des femmes en faisant voter des lois en leur faveur, pour leur garantir la liberté renforcée de disposer de leur corps, notamment en faisant rembourser totalement l’IVG par l’assurance maladie, et en instituant le délit d’entrave à l’accès à l’information.

Dernièrement, la loi Santé a permis la suppression du délai de réflexion obligatoire dans le cadre des demandes d’avortement, disposition d’ailleurs proposée par notre rapporteure et reprise par le Gouvernement.

En 2014, nous avons voté la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui prévoit l’élargissement du champ du délit d’entrave permettant de sanctionner les actions qui visent à empêcher l’accès à l’information sur l’IVG.

Aujourd’hui, nous examinons la proposition de loi qui étend ce délit d’entrave à la diffusion d’informations en ligne…

M. Yannick Moreau. Pas seulement en ligne !

M. Alain Ballay. …induisant en erreur sur l’IVG dans un but dissuasif.

Pourquoi cet élargissement est-il nécessaire ? D’abord parce qu’il faut être clair et affirmer qu’une entrave à l’IVG est un délit, où que ce soit. Donc l’entrave vaut aussi pour internet. Les anti-IVG ont changé de méthode. Leur méthode aujourd’hui, c’est le discours biaisé, trouble, insidieusement faussé.

M. Yannick Moreau. Voilà qui relève du délit d’opinion !

M. Alain Ballay. C’est aussi l’usage habile du numérique et le lobbying actif. Et ces pratiques sont inadmissibles à notre époque. Car quelle est leur finalité ? C’est simplement d’exercer des pressions psychologiques et morales sur les femmes enceintes.

C’est pourquoi nous devons voter la proposition de loi, car nous refusons l’information qui induit en erreur sur un sujet aussi important.

Nous refusons tout simplement un site internet anti-IVG qui ne se déclare pas comme tel. Ces sites prennent l’apparence de la neutralité, celle de sites institutionnels. Le problème n’est donc pas leur existence, puisque nous sommes dans un pays de liberté d’expression ; c’est que leur objectif soit totalement pernicieux…

M. Yannick Moreau. C’est la liberté constitutionnelle d’expression qui est en cause !

M. Alain Ballay. …puisqu’il s’agit, sous couvert d’information neutre, de dissuader les femmes de recourir à l’IVG. Ces sites avancent masqués. Nous sommes donc dans la manipulation. Rien de moins. Et les conséquences, nous les connaissons, elles relèvent du droit humain.

C’est pourquoi, face aux réactions de la société, ce week-end encore, face à ces discours biaisés et mensongers, nous autres parlementaires, nous avons le choix : d’un côté, réagir, tant qu’il est temps ; de l’autre, camper sur une posture politique.

Certains osent invoquer l’argument de la liberté d’expression. Mais alors, je le leur demande, comment appelle-t-on le fait de vouloir influencer les femmes à partir de mensonges ? Comment appelle-t-on le fait de désinformer les femmes en quête de réponse ? Comment appelle-t-on cette crispation qui apparaît dès lors que l’on tente de réaffirmer un droit fondamental ?

Moi, j’appelle cela de l’obscurantisme. La loi ne saurait être dictée par des considérations religieuses. Nous sommes dans un État laïc. Chacun est libre de penser, et l’État est le garant de cette liberté, comme il est garant du respect du droit.

Je veux rappeler qu’il ne s’agit dans cette proposition de loi ni de sanctionner le délit d’opinion sur internet, ni de restreindre la liberté d’expression, ni de censurer une pensée. Il s’agit de sanctionner les auteurs de pressions psychologiques et morales qui visent les femmes voulant avorter.

Il s’agit seulement de protéger les femmes et leur liberté, car il s’agit bien de liberté : la femme est libre de choisir. Mais pour pouvoir choisir, elle doit être informée.

M. Philippe Gosselin. En effet, et totalement informée !

M. Alain Ballay. C’est-à-dire qu’elle doit avoir accès sur internet à des informations véridiques, non à des discours de manipulation totalement biaisés.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Laurence Rossignol, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’échec prévisible de la commission mixte paritaire, nous examinons donc en nouvelle lecture la proposition de loi du groupe socialiste relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG.

Le Gouvernement avait tenté en vain, en octobre dernier, devant le Sénat, de créer un délit d’entrave numérique à l’IVG. Il est revenu en deuxième semaine, et en procédure accélérée, par l’intermédiaire de son groupe majoritaire.

Il y a urgence, vous avez raison : dans quatre semaines, nos travaux seront suspendus. Vous y mettez de l’ardeur !

Mme Laurence Rossignol, ministre. Oui !

M. Philippe Gosselin. Il est vrai que, sur le sujet, mesdames et messieurs les députés de la majorité, depuis quatre ans et demi, vous n’avez pas chômé !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Merci !

M. Philippe Gosselin. Suppression du délai de réflexion de sept jours fixé dans la loi Veil ; suppression de la notion de détresse ; intégration aux contrats d’objectifs des établissements sanitaires...

Mme Laurence Rossignol, ministre. Avons-nous bien fait ?

M. Philippe Gosselin. Vous souhaitez maintenant « encadrer », entre guillemets, ceux qui s’exprimeraient sur les conséquences, les difficultés d’une interruption volontaire de grossesse, en punissant de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende les personnes délivrant par tout moyen – je reviendrai sur cette expression – une information préventive sur les risques et conséquences, justement, de l’IVG. Comme vous y allez ! Vous avez la main lourde !

Tout d’abord, cette peine est clairement disproportionnée.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. C’est celle de l’entrave !

M. Philippe Gosselin. Elle est supérieure même aux sanctions pour incitation à la haine. C’est dire.

Mais, au-delà de la peine, vous visez tout moyen d’expression. C’est extrêmement large, le plus large possible. J’y vois même une interdiction globale et absolue, pourtant prohibée par notre droit, une interdiction que je qualifie évidemment de liberticide, parce que, bien au-delà de la question de l’IVG – nous n’avons cessé de le rappeler ces dernières semaines –, c’est la question de la liberté d’expression qui est posée. Vous créez par ce texte un véritable délit d’opinion, une forme de vérité d’État sur l’IVG.

M. Marc Le Fur. Exactement !

M. Philippe Gosselin. Nous considérons, je considère que c’est une atteinte inacceptable à la liberté d’expression, à la liberté de conscience et aux valeurs essentielles de la République. Je vous rappelle qu’elles sont pourtant garanties – en général, vous y êtes sensibles – par la Constitution, par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pourrait-on souffrir que toutes ces références, tous ces grands textes soient à géométrie variable ? Évidemment non !

Nous le répétons : il n’est nullement question pour nous de remettre en cause l’IVG et la loi Veil de 1974.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Oh ! Ça…

M. Philippe Gosselin. Ce que la loi a reconnu aux femmes, personne n’entend ici aujourd’hui le leur reprendre. Personne n’entend ici juger, stigmatiser, pointer du doigt celles des femmes qui font le choix de l’avortement. C’est un choix intime.

Tout cela est bien loin de l’image réactionnaire ou misogyne que vous cherchez à donner à l’opposition et à nos propos, en nous cornérisant, si je puis reprendre cette expression du franglais. Mais, je n’en doute pas, nous sommes tous également attachés à la liberté d’expression, au débat, à la contradiction, qui est le socle de la vérité. Donc nous allons nous retrouver.

Arrêtons donc de caricaturer le débat et laissons derrière nous les dogmatismes pour revenir à l’esprit de la loi de 1974. Simone Veil, à cette tribune, dans cette enceinte, affirmait elle-même, il y a quarante-trois ans, que « l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. »

M. Pierre Lellouche. Absolument !

M. Philippe Gosselin. L’avortement n’est pas un acte anodin, comme peuvent le laisser penser certains sites officiels.

Mme Laurence Rossignol, ministre. C’est faux !

M. Philippe Gosselin. C’est vrai, madame la ministre. Je vous l’assure.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. M. Poisson l’a comparé au Doliprane !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je répondrai !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est honteux !

M. Philippe Gosselin. Les questionnements sont nombreux, les traumatismes parfois réels pour les femmes qui y ont recours. Ce n’est pas un acte sans conséquence ni pour la mère ni pour le couple ni pour la famille et les autres enfants.

De nombreuses études scientifiques sérieuses, pondérées, le disent. Il ne s’agit pas d’opinions, mais d’études ! Citer de telles sources ne saurait, dans notre société, être considéré comme un délit ni comme une pression psychologique.

L’information doit être la plus complète, la plus sincère et la plus objective possible, incluant donc les conséquences, y compris négatives, de l’IVG. En ce sens, bien évidemment, la désinformation ne peut être tolérée. Induire intentionnellement en erreur ne peut être accepté. Nous sommes d’accord sur ce point, parfaitement d’accord, madame la ministre, mais cessons de considérer toute information préventive comme de la désinformation – sauf à considérer, une fois de plus, qu’il existe une vérité d’État.

Plutôt que d’être les victimes d’une telle caricature du débat, les femmes, les couples aussi parfois, doivent être accompagnés. Ils doivent pouvoir bénéficier d’une écoute attentive.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

M. Philippe Gosselin. Le choix final, intime, leur appartient, bien évidemment, mais ce choix doit pouvoir être effectué en toute liberté, sans souffrir de pressions extérieures, incitatives comme dissuasives. Sur ce point, nous nous retrouvons.

Les pressions incitatives à l’IVG existent, en effet. Combien de jeunes femmes enceintes peuvent faire malgré elles le choix de l’avortement sous la pression de leur famille ? C’est une vraie question. Combien de femmes peuvent faire malgré elles, d’une certaine façon, le choix de l’IVG, sous la pression de leur conjoint ?

Accompagnons. Accompagnons dûment celles qui font le choix de l’avortement, mais protégeons largement celles qui souhaiteraient poursuivre leur grossesse.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Bien sûr !

M. Philippe Gosselin. La prévention est possible. Promouvoir les alternatives ne revient pas, comme l’a laissé entendre Laurence Rossignol dans de récentes interviews, à combattre la loi Veil.

Mme Martine Lignières-Cassou. Si !

M. Philippe Gosselin. D’autres pays ont fait mieux que nous. Ils ont encouragé ces alternatives. Je pense à l’Italie. Je pense aussi à l’Allemagne. Ces choix ont été suivis d’effets, vous le savez, avec une vraie, une forte diminution du nombre d’avortements. Dans ce cas, les femmes qui poursuivent ainsi leur grossesse sont mieux prises en charge, c’est vrai, mieux accompagnées. C’est un choix de société.

Plutôt que de les abandonner – je pense que c’est ce qu’on fait en ce moment –, écoutons-les. Plutôt que de banaliser un acte qui n’est pas et ne sera jamais anodin, soyons à leurs côtés. Plutôt que de museler les contradicteurs, protégeons l’objectivité de l’information et garantissons la liberté d’expression.

Il est encore temps de se ressaisir et de ne pas voter cette proposition qui est tout simplement liberticide, non conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, tel qu’il a été dégagé par le Conseil constitutionnel. Il est important de rappeler ces bases de jurisprudence…

M. le président. Il faut conclure, monsieur Gosselin.

M. Alain Ballay. Il n’était censé s’exprimer que pour cinq minutes !

M. Philippe Gosselin. …parce qu’en réalité, au-delà de l’IVG, c’est bien une responsabilité individuelle et la liberté d’expression qui sont en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous nous retrouvons une nouvelle fois pour défendre un droit fondamental, celui de toute femme à disposer de son corps.

Cela devient usant ! Je me demande d’ailleurs s’il existe des lois, en dehors de celles qui concernent le droit des femmes, qui soient sujettes à autant d’attaques.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vous qui avez eu l’initiative de ce texte.

Mme Chantal Guittet. Voilà tout juste quarante-trois ans, vous l’avez rappelé, que Mme Simone Veil, ministre de la santé, défendait courageusement…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas nous qui fixons l’ordre du jour !

Mme Chantal Guittet. Écoutez-moi cinq minutes ! Vous êtes pénible d’intervenir tout le temps ! En démocratie, on s’écoute !

M. Jean-Frédéric Poisson. On n’est pas à l’école !

Mme Chantal Guittet. On n’est pas à l’école ; on est à l’Assemblée nationale, donc écoutez !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je sais ! J’y suis depuis plus longtemps que vous !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Et alors ?

Mme Chantal Guittet. Vous y êtes peut-être depuis trop longtemps, monsieur le député !

M. Jean-Frédéric Poisson. Allez-y, continuez !

Mme Chantal Guittet. Mme Veil a défendu courageusement la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Ce droit, qui devrait être une évidence au XXIsiècle, reste toujours fragile. La rappporteure l’a rappelé : il est régulièrement attaqué, pas seulement en France mais en Espagne et, plus récemment, en Pologne.

Aussi est-il très important de faire évoluer la loi pour garantir plus et mieux ce droit fondamental des femmes. C’est ce que nous avons fait régulièrement.

Je ne vais pas répéter les différentes lois.

M. Yannick Moreau. Merci ! C’est gentil.

Mme Chantal Guittet. D’autres l’ont fait. En 1993 a été créé le délit spécifique d’entrave à l’IVG, que nous avons renforcé en 2001, en y ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques. En 2014, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a encore élargi le champ du délit d’entrave. Malheureusement, on constate que ceux qui sont contre l’avortement ne baissent jamais les bras.

À présent, ils utilisent de nouveaux moyens de communication, en l’occurrence internet, pour étendre ces entraves au domaine numérique. Eu égard à l’existence de ces sites, qui, en réalité, ont pour but non d’informer – ceux dont le but est l’information, je suis d’accord pour qu’ils existent – mais de dissuader les femmes enceintes de recourir à une IVG.

Aujourd’hui, les femmes qui viennent s’informer sur l’IVG dans les centres d’information ou les établissements de santé sont juridiquement protégées contre l’entrave, notamment contre les pressions psychologiques et morales, parce que le délit d’entrave s’applique dans ces lieux, où l’on trouve des informations objectives. En revanche, celles qui recherchent des informations en ligne ne sont en rien protégées contre les pressions psychologiques et morales, les menaces et les actes d’intimidation.

C’est ainsi que le délit d’entrave se répand sur internet : des sites diffusent des informations volontairement tronquées ou mettent les femmes qui recherchent des informations en relation téléphonique avec des personnes qui, sous couvert de les informer, vont exercer sur elles des pressions psychologiques très insistantes. Ces pressions visent à contraindre et peuvent donc constituer une entrave au sens du code de la santé publique.

Les témoignages rendus publics au cours des dernières semaines le montrent, il existe un réel problème d’entrave par pressions psychologiques et morales, parfois même de harcèlement via des sites et numéros d’appel.

M. Yannick Moreau. Le danger, c’est la banalisation de l’avortement !

Mme Chantal Guittet. Je ne suis pas juriste, mais il me semble que le mensonge existe en droit civil : c’est ce que l’on appelle le dol. En matière pénale, c’est l’escroquerie. Et lorsque le mensonge vise notamment les jeunes femmes les plus démunies, les moins bien informées, qui ne savent à qui s’adresser et qui veulent rester anonymes parce qu’elles subissent les pressions de leur entourage, cela s’apparente à de l’abus de faiblesse.

Désinformer, mentir, tromper pour imposer une grossesse à une femme qui n’en veut pas car cela ne s’inscrit pas dans son projet de vie, c’est une violence que nous devons combattre.

Aux dires de certains, le texte que nous examinons remettrait en cause la liberté d’expression.

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui.

Mme Chantal Guittet. Chacun a le droit d’être contre l’IVG ; toute femme a le droit de poursuivre sa grossesse si elle le souhaite. Mais ce n’est pas parce qu’on a le droit d’être contre l’IVG que l’on peut impunément tromper, mentir, exercer des pressions.

Sous prétexte de liberté d’expression, vous voulez institutionnaliser le droit au mensonge. Ce n’est pas mon opinion.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas non plus la nôtre.

Mme Chantal Guittet. Avant de conclure, je voudrais insister sur le fait que si nous voulons sécuriser le droit à l’avortement, il est urgent de donner des moyens aux centres de contraception et d’interruption volontaire de grossesse. Si je suis bien informée, un grand nombre d’entre eux ont fermé en dix ans.

Ne laissons pas réduire les subventions aux associations qui se battent sur le terrain : cela oblige bon nombre d’entre elles à mettre la clef sous la porte.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Voyez les nouvelles régions !

Mme Chantal Guittet. Les pouvoirs publics doivent poursuivre leurs efforts pour garantir une égalité d’accès à l’information en matière de santé et l’accès à l’information sur l’IVG.

Cela étant souligné, face à l’offensive de désinformation qui se joue sur internet, et parce que je considère, comme tous les socialistes, que l’avortement est un droit fondamental et inaliénable, je voterai cette proposition de loi, en rappelant les mots de Benoîte Groult, qui font malheureusement écho aux inscriptions vues dans une manifestation dimanche dernier, à laquelle s’est mêlée la droite conservatrice : non, « le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Quand je vous écoute, de ce côté-ci de l’hémicycle, je repense à l’adage : qui vit de combattre un ennemi a tout intérêt à le laisser en vie. Pour justifier vos lubies, vous maintenez sous respiration artificielle des combats gagnés depuis longtemps déjà ; vous agitez des menaces qui n’existent pas, des adversaires fantômes. La vérité est que personne aujourd’hui, dans le spectre politique, ne menace la légalité de l’avortement ou son libre accès.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. C’est vous qui le dites !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. C’est vous qui régulièrement, trop régulièrement, réactivez les débats sociétaux, sans doute pour masquer vos lamentables échecs sur le plan économique, et en particulier la situation précaire de beaucoup de femmes et de mamans seules.

M. Gérard Sebaoun. N’enrobez pas le fond de votre pensée !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. La réalité, c’est que vous êtes des féministes ringardes, les dinosaures politiques d’un temps soixante-huitard révolu. Aujourd’hui, et c’est heureux, il serait temps de vous en rendre compte, les femmes peuvent voter, travailler ou non, se marier, divorcer, prendre des contraceptifs et avorter si elles le souhaitent.

Ce qui est moins heureux, en revanche, c’est que beaucoup de femmes avortent pour des raisons économiques – 47 % selon un sondage IFOP de 2010. Un choix subi auquel vous n’apportez aucune solution – vous n’en parlez même pas, d’ailleurs. Non, madame le ministre, l’alternative à l’IVG, ce n’est pas uniquement, je vous cite, « une grossesse non désirée menée à son terme ». Cela peut aussi être une femme qui a le bonheur de pouvoir garder un enfant en évitant un avortement subi parce qu’elle a su trouver l’accompagnement et l’encadrement nécessaires. Je vous le dis, et je le pense sincèrement, vous êtes la honte du combat des femmes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain),

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Cela vous va bien !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …obsédée par la couleur du cartable, le sexisme de la grammaire, le jouet rose des Kinder, la répartition du temps de vaisselle dans le couple. Complètement à côté de la plaque, complètement à côté des vraies menaces qui planent aujourd’hui sur la liberté des femmes !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Heureusement que nous avons mené nos combats pour que vous puissiez être là !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je note votre silence coupable sur les 1 200 femmes agressées sexuellement en Allemagne à la Saint-Sylvestre par des migrants ; je pense à votre silence sur la charia, la loi islamique qui s’applique aujourd’hui dans certains quartiers de France et qui interdit aux femmes les libertés les plus élémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Gérard Sebaoun. Allons-y avec les amalgames !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je comprends que cela vous gêne, puisque votre grand champion, Benoît Hamon, voit dans ce grignotage islamiste « la continuation du machisme franchouillard des ouvriers ». Quel aveuglement coupable, pour ne pas dire complice, ou peut-être même électoral…

M. Gérard Sebaoun. Oui, vous êtes facho ! Bien sûr, vous êtes facho ! Évidemment, vous êtes facho !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Votre aversion pour le patriarcat incarné par le mâle hétérosexuel blanc a conduit beaucoup d’entre vous à la collusion avec toutes les minorités qui partageaient cette aversion, sacrifiant ainsi toute cohérence sur les idées et les combats. Féministes, islamistes, LGBT, même combat ! Et c’est ainsi que celles qui se présentent aujourd’hui comme les garantes du droit des femmes à disposer de leur corps sont les mêmes à défendre leur soumission par le voile et leur marchandisation par les mères porteuses.

M. Pierre Lellouche. Très juste !

M. Gérard Sebaoun. C’est une insulte au Parlement ! C’est scandaleux ! C’est ignoble ! C’est indigne !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. N’est-ce pas, madame Lemorton, par exemple ? À ce sujet, serait-il possible de m’éclairer, madame la présidente de la commission ? Quand vous expliquez qu’un enfant souffre que des parents puissent parler de lui comme d’un « accident »,…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Oui, il me semble.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …que suggérez-vous ? Qu’il eût mieux valu qu’il soit avorté ? Je ne comprends pas : il va falloir m’expliquer !

Car ne vous en déplaise, et je me permets cette impudeur car elle est de notoriété publique, vous avez devant vous un « accident » qui se vit bien…

M. Gérard Sebaoun. Vous êtes une porteuse de mensonges !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …et qui préfère aujourd’hui être devant vous, à vous dire vos vérités, plutôt que d’avoir été avorté.

Alors, puisque vous en faites le reproche aux hommes élus sur ces bancs, je suis une femme…

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. On ne vous voit pas souvent !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …mais je vous le dis, ce texte contre les femmes et contre la liberté d’expression, ce ne sera pas en mon nom !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Montrez-vous donc, on vous voit peu !

M. Gérard Sebaoun. Vous nous aurez contre vous bien longtemps, n’en doutez pas ! Cinq minutes fascistes suffisent ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ces propos sont scandaleux !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche. Je lèverai la séance à l’issue de son intervention.

M. Pierre Lellouche. En découvrant votre proposition de loi, madame la ministre, la fameuse sentence de Montesquieu m’est revenue à l’esprit…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est une proposition de loi, c’est la nôtre !

M. Pierre Lellouche. Je pense qu’elle est partagée par le Gouvernement ; pardonnez-moi donc cet amalgame. « Les lois inutiles, disait donc Montesquieu, affaiblissent les lois nécessaires ».

J’ai fait le compte : sous cette législature, pas moins de quatre lois successives auront été discutées et votées ici concernant le droit de l’avortement.

M. Alain Ballay. Nous en sommes fiers !

M. Pierre Lellouche. Celle du 31 mars 2013 sur la prise en charge de l’IVG à 100 % (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), celle du 4 août 2014 supprimant la notion de détresse (Mêmes mouvements), la loi santé de 2016, qui a supprimé le délai de réflexion de sept jours, donné aux sages-femmes le droit de pratiquer les IVG médicamenteuses et introduit le tiers payant. (Mêmes mouvements.)

Ce quatrième texte vient modifier une autre loi, adoptée également sous un gouvernement socialiste finissant, le 27 janvier 1993, qui avait introduit le délit d’entrave, qu’il s’agit aujourd’hui d’élargir à « l’entrave électronique », si j’ose dire. Vous voulez réprimer toute information, toute opinion sur internet, qui ne serait pas dans la ligne du discours gouvernemental sur l’IVG.

Pourquoi pareille frénésie législative ? Est-ce pour faire diversion suite à l’impuissance patente de vos gouvernements face à la crise, au chômage de masse, à la désindustrialisation, à l’immigration non contrôlée ou aux menaces nouvelles sur la sécurité des Français ?

M. Philippe Gosselin. C’est peut-être un élément !

M. Pierre Lellouche. Est-ce pour instruire un faux procès – car nous n’avons fait que cela aujourd’hui – à trois mois des élections présidentielles, pour présenter la droite comme dangereuse et l’accuser de remettre en permanence en cause l’IVG ?

M. Alain Ballay. C’est vous qui le présentez comme ça !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Vous n’avez rien voté !

M. Pierre Lellouche. Mais qui, sur ces bancs, remet en cause ce droit ? Certainement pas moi, mes chers collègues, certainement pas mes collègues du groupe Les Républicains !

S’agit-il alors d’une énième tentative de captation d’héritage, pour faire oublier que ce sont deux grands responsables politiques de droite qui, en 1967 et en 1975, ont introduit dans notre pays la contraception et l’IVG ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Sans votre vote !

Mme Martine Lignières-Cassou. Grâce à nous !

M. Pierre Lellouche. Ou bien s’agit-il, madame la ministre, vous qui êtes férue d’histoire, d’enterrer définitivement le Président du Conseil socialiste Alexandre Millerand, qui fit voter le 31 juillet 1920 la fameuse loi criminalisant l’avortement ?

Cent ans plus tard, ironiquement, la boucle est bouclée, par les mêmes socialistes : ce que Millerand considérait comme « un délit contre la Nation », l’avortement et l’incitation à l’avortement, au nom de l’urgence nataliste au lendemain de la Première guerre mondiale, est vu sous Hollande, tout au contraire, comme une « liberté fondamentale ». Une liberté qui ne doit dès lors souffrir aucune entrave physique – sur ce point, tout le monde est d’accord –, mais même aucune discussion d’aucune sorte, d’où l’idée parfaitement liberticide défendue par votre texte de sanctionner a priori toute prise de position sur internet qui pourrait inciter à la réflexion, à une information autre que celle de l’État.

Une telle dérive soulève cependant au moins deux problèmes. Le premier est celui de la liberté d’expression. Que je sache, la République permet d’être soit pour, soit contre, soit réservé sur tous les sujets, de l’immigration, par exemple, jusqu’à l’avortement.

Si demain, je dénonce sur internet les insuffisances des accords de Schengen face aux vagues migratoires, serais-je alors accusé de racisme, voire d’exercice d’une pression morale insupportable sur les éventuels lecteurs, et donc condamné ?

Mme Marylise Lebranchu. Cela n’a rien à voir !

M. Pierre Lellouche. Pourtant, il existe bien un droit fondamental, le droit d’asile, reconnu par notre Constitution, par les textes européens et par la jurisprudence de la CEDH.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exact.

M. Pierre Lellouche. Supposons maintenant que j’écrive ceci sur internet : « personne n’a jamais contesté, et le ministre de la santé moins que quiconque, que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame… »

Mme Laurence Rossignol, ministre. Un échec de quoi ?

M. Pierre Lellouche. « Tout en évitant d’instituer une procédure qui puisse détourner [la femme] d’y avoir recours, le projet prévoit donc diverses consultations qui doivent conduire à mesurer toute la gravité de la décision qu’elle se propose de prendre ».

Savez-vous, mes chers collègues, madame la ministre, qui a écrit ces mots, qui les a prononcés ici même le 26 novembre 1974 ? C’est Mme Simone Veil. Votre loi interdirait aujourd’hui à Mme Simone Veil d’écrire cela !

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Absolument pas !

M. Pierre Lellouche. Vous rendez-vous compte ? Au nom de quelle police de la pensée, de quelle dictature de la bien-pensance, le fait de consacrer le droit à l’IVG interdirait-il d’en débattre ?

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Il n’interdit pas d’en débattre !

M. Alain Ballay. Allez voir les sites ! Vous n’avez pas été les voir !

M. Pierre Lellouche. Et au nom de quel droit de la République avez-vous interdit ce matin à des hommes, madame la ministre, de se prononcer sur cette question ? Il faudrait donc être femme pour parler de l’IVG, immigré pour parler de l’immigration, militaire pour parler du budget de la défense ? Mais de quoi parlez-vous, madame la ministre ?

Mme Chantal Guittet. Du respect de la parité chez Les Républicains !

M. Pierre Lellouche. J’en arrive au deuxième problème.

M. le président. Et à votre conclusion, cher collègue.

M. Pierre Lellouche. Il y a quarante ans, les modes de contraception venaient à peine d’être introduits dans notre pays ; l’information n’était nullement aussi complète qu’aujourd’hui. Les préservatifs et pilules du lendemain, par exemple, n’existaient pas.

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Savez-vous ce que disent ces sites de la pilule du lendemain ?

M. Pierre Lellouche. Ils sont aujourd’hui disponibles dans les collèges et les lycées. Il existe même une pilule abortive de 48 heures, disponible en pharmacie. Or, alors que tous ces moyens sont disponibles, le nombre des avortements en France reste considérable : autour de 200 000 par an, à comparer à 800 000 naissances, ce qui est insuffisant pour assurer le renouvellement des générations. D’où cette question, madame la ministre : le fait de reconnaître absolument le droit à l’IVG, ce qui est notre cas…

Mme Catherine Coutelle, rapporteure. Malheureusement non !

M. Pierre Lellouche. …le fait de refuser toute entrave, ce qui est aussi notre cas, ne nous interdit pas de poser ce problème. Il ne faut pas que l’IVG dérive vers une forme de contraception…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas une forme de contraception ! Quelle honte !

M. Pierre Lellouche. …au moment même où la contraception est diffusée dans notre pays. La souffrance est considérable,…

M. le président. Merci, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. …et je vous demande de comprendre que notre attitude est dictée par ce simple souci de…

M. le président. Merci. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la nouvelle lecture de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly