RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE TOULON

· Ressort :
-
34 communes, 1 300 km2, 460 000 habitants (1990),
-34 400 personnes physiques ou morales inscrites au registre du commerce, dont 15 200 sociétés et 11 800 commerçants personnes physiques.

· Composition : -président : M. Flasseur (depuis décembre 1997 ; au tribunal depuis 1982).
-un vice-président, neuf présidents de chambre, vingt juges (31 postes pourvus sur un effectif théorique de 34 magistrats).

· Recrutement : en concertation avec l'Union patronale du Var qui suscite et reçoit les candidatures.

· Age des magistrats : entre 40 et 77 ans.

· Personnel - une secrétaire du président rémunérée par le greffe (un seul greffier depuis 1998), un appariteur mis à disposition par le conseil général du Var, absence regrettée d'autre personnel, notamment pour effectuer des recherches de jurisprudence, suivre les procédures collectives et les procédures de prévention.

· Auxiliaires de justice - deux administrateurs judiciaires (montant moyen des honoraires depuis 1994 : 52 400 F par affaire), cinq mandataires liquidateurs (montant moyen des honoraires depuis 1994 : 18 500 F par affaire).

· Une activité contentieuse en baisse sensible

 

1994

1997

· Affaires entrées

37 518

36 982

· Décisions rendues

39 728

35 702

     

A. Contentieux général :

- affaires entrées

- décisions rendues

- ordonnances de référé

1 831

2 139

788

1 339

1 345

466

B. Procédures collectives :

- ouvertures de redressement judiciaire

- ouvertures de liquidation judiciaire

soit

- conversions en liquidation judiciaire

- plans de continuation

- plan de cession

- ordonnance de juge commissaire

657

196

23 %

433

120

21

5 357

493

223

31,1 %

357

116

28

11 678

· Délai moyen de jugement environ 2 mois et demi à compter du délibéré.

Source : réponses du président au questionnaire adressé par la commission d'enquête

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de M. FLASSEUR, Président, de M. CANANZI, Mme FABRE , MM. BIDOT, LAMBERT, MACARIO, MICHEL, Mmes SENECHAL, SINELLE, TRAMINI et de M. WOZELKA, magistrats du tribunal de commerce de Toulon, en présence de M. CASTELLANA, représentant la Conférence générale des tribunaux de commerce et de Mme LORENZONI, collaboratrice du greffier (12 mai 1998)

_ Audition de M. ABRAN, ancien président du tribunal de commerce de Toulon assisté de M. CASTELLANA, représentant la Conférence générale des tribunaux de commerce (12 mai à Toulon)

_ Audition de M. Henri BOR, Mme Nicole GROSSETTI et M. Jean-Pierre GROSSETTI, Mmes Mireille MASSIANI et Christine ROUX, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, et de MM. Pierre-Louis EZAVIN et Henri NESPOULOUS, administrateurs judiciaires (12 mai 1998 à Toulon)

_ Audition de M. VIANGALLI, procureur de la République et de M. RAFFIN, procureur-adjoint près le tribunal de grande instance de Toulon (12 mai 1998 à Toulon)

Audition de M. FLASSEUR, président et de M. CANANZI, Mme FABRE, MM. BIDOT, LAMBERT, MACARIO, MICHEL, Mmes SENECHAL, SINELLE, TRAMINI et de M. WOZELKA magistrats du tribunal de commerce de Toulon, en présence de M. CASTELLANA, représentant la conférence générale des tribunaux de commerce et de Mme LORENZONI, collaboratrice du greffier.

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Flasseur, président, MM. Bidot, Cananzi, Mme Fabre, MM. Lambert, Macario, Michel, Mmes Senechal, Sinelle, Tramini et M. Wozelka sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Flasseur, président, MM. Bidot, Cananzi, Mme Fabre, MM. Lambert, Macario, Michel, Mmes Senechal, Sinelle, Tramini et M. Wozelka prêtent serment.

M. le Rapporteur : Mesdames, messieurs, la commission d'enquête ne voulait pas rester dans le huis clos des conversations parisiennes. D'abord, nous avons entendu les porte-parole de chacune des professions concernées, la conférence générale des tribunaux de commerce, les représentants des mandataires de justice, des greffiers.

Nous avons pu mesurer l'ensemble des problèmes des professions concernées sur lesquels des éléments de réforme pouvaient être pris en compte par les travaux de cette commission d'enquête.

Les décisions sont difficiles à prendre. Pour ne pas nous tromper, car on dit que les représentants politiques sont éloignés des réalités, nous avons souhaité vérifier ce qui se passe tous les jours dans les juridictions consulaires. Un débat public agite cette institution multi-séculaire. Nous ne voulions pas rester éloignés de la réalité. Nous sommes allés à Saint-Brieuc, petit tribunal de préfecture, à Auxerre, autre petit tribunal de préfecture de profil tout à fait différent par le tissu économique et la façon dont ont été administrés les litiges et les faillites.

Nous sommes ici dans un grand tribunal qui s'est fait remarquer, car la commission d'enquête reçoit des centaines de lettres, parfois des dossiers, d'avocats, de justiciables, de plaignants, de gens mécontents, comme à chaque fois qu'un débat public entoure le fonctionnement d'une institution. Nous avons choisi Toulon en raison de sa taille et de certains événements judiciaires qui ont concerné votre tribunal.

Notre méthode est concrète, avec les moyens et le temps dont nous disposons. Nous avons pu, avec mes collègues Robert Gaia et M. Darne, députés du Var et du Rhône, accompagnés des fonctionnaires de la commission d'enquête, procéder à certaines analyses rapides et superficielles qui ont besoin d'être accompagnées de vos commentaires.

N'hésitez pas. Un regard critique s'arrête toujours sur les trains qui arrivent en retard, mais parlez-nous aussi des trains qui arrivent à l'heure, afin que nous sachions comment fonctionne le tribunal de commerce de Toulon et que nous puissions équilibrer notre opinion.

Nous avons pris pour habitude d'examiner les questions de recrutement, de formation, de financement du tribunal de commerce, du rôle joué par le greffe, s'il prend à sa charge un certain nombre de frais.

La Cour des comptes s'est préoccupée de la façon dont fonctionne le tribunal de commerce de Toulon ; nous cherchons à connaître la façon dont les décisions se prennent dans les dossiers où le sort de salariés est en cause, en liaison avec les partenaires de votre juridiction, à savoir les mandataires de justice.

Nous avons pris beaucoup de retard dans l'analyse des dossiers car nous avons eu du mal à aller vite.

M. Jacky DARNE : Notre objectif est d'abord de comprendre le fonctionnement du tribunal. Nous nous interrogeons en premier lieu sur l'origine et le mode d'élection des juges.

M. le président nous a fait parvenir une note indiquant les modalités de recrutement des magistrats consulaires, où il indique: « La principale difficulté rencontrée dans le recrutement des magistrats consulaires concerne la faiblesse des demandes ayant pour corollaire un choix restreint ». Cependant, vous estimez le recrutement satisfaisant.

Par ailleurs, vous nous avez fourni un état indiquant les dates d'entrée en fonction des uns et des autres, les secteurs d'activité auxquels ils appartiennent, les niveaux d'études et le temps passé au tribunal de commerce.

Ma question comporte deux aspects, le premier étant celui de l'élection. Dans votre note, monsieur le président, vous utilisez le mot « recrutement ». Il s'agit pourtant d'une élection. Ce mot que vous utilisez n'est-il pas le signe d'un problème ? Comment, à votre avis, aujourd'hui, les électeurs ont-ils réellement le choix et ce mode de désignation des juges vous parait-il en conséquence opportun ? Vous évoquez dans votre note « les relations avec les organisations locales, du type chambres de commerce ou patronale ». Pourriez-vous décrire ce type de relations et nous expliquer, en conséquence, si vous estimez que les juges ainsi pressentis, puis élus, sont indépendants par rapport à l'organisation dont ils sont issus ou si, au contraire cela induit des relations plus étroites. Que pensez-vous de ce mode d'élection qui vous conduit à parler de « recrutement » et quelles conséquences cela a-t-il en termes d'indépendance ?

Quant au deuxième aspect de ma question, un certain nombre de juges consacrent un temps important au tribunal de commerce puisque, pour certains, cela représente vingt heures ou plus. Ce sont des fonctions bénévoles. L'exercice d'une telle fonction, sans être indemnisé, ne pose-t-il pas des problèmes importants ? Comment les juges assurent-ils le financement de leur vie personnelle ? Gardent-ils les mêmes fonctions dans leur entreprise d'origine ? Et dans ce cas-là, y a-t-il un gage d'indépendance ?

Le fait d'assurer une fonction bénévole ne crée-t-il pas une situation difficile qui peut se traduire pour tel ou tel par un manque de disponibilité, et pour tel ou tel autre par une dépendance vis-à-vis de l'entreprise qui l'emploie, que l'on possède ou que l'on gère ?

Voilà les deux aspects de ma question : l'un sur le recrutement, l'autre sur les conditions de l'exercice. On pourrait ajouter accessoirement des questions sur la formation. Sur l'année 1997, quels ont été, pour les divers juges, les temps passés en formation externe et en formation interne, de façon à savoir si, en termes de suivi de l'évolution de la législation ou de confrontation d'expérience, on peut considérer que la formation continue est réelle.

M. FLASSEUR : Vaste question puisque j'en ai identifié trois. Pour la première question concernant le mode de recrutement - terme employé dans le questionnaire des magistrats - j'ai signalé dans la réponse que cela s'était effectué en concertation avec l'Union patronale du Var, et que cela n'a été qu'une concertation. L'Union suscite et reçoit les candidatures. Certaines autres candidatures sont amenées par des juges qui ont des relations et qui demandent à des personnes ayant la capacité à être juges de prendre contact avec l'Union patronale pour s'inscrire sur ces listes. Mais ensuite la sélection est effectuée par le tribunal. L'Union patronale ne donne qu'un avis.

Pour expliquer les choses, une liste de l'Union patronale se présente de même que, de temps en temps, quelques candidats isolés en dehors de la liste de l'Union patronale. Lors de la dernière élection, ce candidat n'a pas été retenu. C'est le problème des modes d'élection. S'agissant de cette sélection, nous opérons selon des critères précis qui sont la motivation des candidats. Comme vous venez de le rappeler et comme je l'avais rappelé moi-même, consacrer quinze à vingt heures par semaine au service public de la justice, cela gratuitement, nécessite une sérieuse motivation. Il faut aussi avoir de la disponibilité. C'est le corollaire de ces 15 - 20 heures.

Troisième critère : il faut avoir des compétences. Enfin, dernier critère, propre aux tribunaux de commerce : l'appartenance à des secteurs professionnels différents. Il ne serait pas bon par exemple que nous n'ayons que des sociétés de services représentées au tribunal. En outre, quand on sélectionne les candidats, on fait attention que certaines professions ne soient pas trop représentées par rapport à d'autres et qu'elles soient représentatives du tissu socio-économique de la région.

M. le Rapporteur : Que faites-vous personnellement ?

M. FLASSEUR : Expert-comptable.

M. CANANZI :Entrepreneur de bâtiments.

M. BIDOT : Je gère une société, un parc de loisirs.

Mme FABRE : Je dirige le département juridique d'un cabinet d'expertise comptable.

Mme SENECHAL : Je suis dans la grande distribution.

M. le Rapporteur : Combien de temps consacrez-vous par semaine à votre activité juridictionnelle ?

Mme FABRE : Une fois tous les quinze jours, le lundi, puisque l'on siège ce jour-là, et une quinzaine d'heures par semaine environ.

Mme SENECHAL : J'assure la même chambre que madame, un lundi sur deux, le mardi après-midi, plus les jugements.

M. Jacky DARNE : Etes-vous salariée du cabinet d'expertise comptable?

Mme FABRE : Oui.

M. Jacky DARNE : Donc votre rémunération est-elle réduite en fonction du temps que vous passez ici ou est-elle maintenue ? Comment gérez-vous cela ?

Mme FABRE : C'est une question personnelle.

M. FLASSEUR : Si vous le permettez, je peux vous apporter une réponse. Nous sommes avant tout des chefs d'entreprise. En tant que tels, les 35 heures pour nous sont très loin. Nous n'avons pas de problème pour assurer 65 heures par semaine. On emporte les jugements chez nous. On en discute collégialement. On se réunit en dehors du tribunal pour prendre nos décisions. Ces temps-là s'ajoutent à notre temps de travail. On ne réduit pas notre temps de travail dans l'entreprise, mais nous nous occupons du tribunal en plus de notre travail. Si vous demandez aux juges présents combien de temps ils passent entre leur travail dans l'entreprise et la juridiction, vous verrez le temps de travail totalisé.

M. CASTELLANA : Monsieur le Rapporteur, votre question est intéressante. Le cas de Toulon doit être replacé dans le contexte régional. L'année dernière, nous avons analysé les tendances régionales dans la troisième région, en vue de la préparation du congrès et de nos assises nationales. Le profil des magistrats consulaires en province est différent de celui de Paris. A Paris, ils cherchent des petits commerçants ; ils ont beaucoup de cadres de société. Pour nous, c'est l'inverse. Notre structure socio-professionnelle est un peu différente.

Nous nous sommes posés ces questions. La première était : quelles devaient être les qualités qu'un magistrat consulaire doit développer ? Je tiens à votre disposition les tableaux faits à cette occasion. Ils démontrent que la première qualité est la probité pour 64 %, la deuxième, la compétence juridique, la troisième, la formation juridique, la quatrième, la disponibilité et, la cinquième, la bonne santé financière de l'entreprise. Voici déjà des éléments. Cela me paraît important car peu importe d'où nous venons. Il est clair que nous sommes tous issus d'un milieu patronal et il est clair que nous sommes élus.

M. le Rapporteur : Mais vous êtes des salariés.

M. CASTELLANA : J'appelle cela du monde patronal. Nous sommes des cadres dirigeants, des mandataires sociaux ou des chefs d'entreprise en nom personnel. Le rapport du CNPF le disait et citait l'exemple des Bouches-du-Rhône et des Alpes-Maritimes où le mode de sélection était intéressant.

Les unions patronales sont des fédérations de syndicats. Que fait l'Union patronale ? Elle se tourne vers les syndicats et demande quels sont ses meilleurs militants. On va nous présenter, comme candidats potentiels à la fonction de juge, les meilleurs militants syndicaux, et pas forcément ceux qui ont le meilleur profil en ce qui nous concerne. Puisque l'on procède aux élections. Nous avons aussi fait des analyses pour connaître le niveau d'étude ...

M. le Rapporteur : Je vous arrête. Je connais. Nous l'avons déjà entendu.

Nous rendons visite au tribunal de commerce de Toulon...

M. CASTELLANA : Je vous donne le point de vue de la province.

M. le Rapporteur : Le point de vue de la province ne veut rien dire. Ce qui nous intéresse, c'est le point de vue de Toulon. Nous ne sommes allés qu'en province pour l'instant. Si nous sommes venus à Toulon, ce n'est pas pour entendre la conférence générale des tribunaux de commerce, mais pour entendre des magistrats toulonnais qui peuvent nous dire ce vous nous dites. Comme nous avons peu de temps, je voudrais interroger en priorité les magistrats toulonnais.

La question de la cooptation, posée par M. Darne, est revenue. Ce fait a été reconnu par certains de vos collègues dans d'autres ressorts. Beaucoup de vos collègues expliquent qu'on se choisit, ce qui n'est pas forcément condamnable, en raison de l'absence de candidatures, en raison du fait que les professions patronales sont extrêmement structurées. C'est d'ailleurs la position du CNPF qui estime qu'il y a cooptation.

Je voudrais savoir si c'est le cas. Comment êtes-vous devenus magistrats consulaires ? Est-on venu vous chercher ou avez-vous pensé un jour à être candidat ?

M. MICHEL : Je suis retraité. Quand j'ai arrêté mon activité professionnelle, je suis venu au tribunal rencontrer le président. Je lui ai dit que cela m'intéresserait d'être magistrat consulaire. J'ai ensuite été élu. Je n'ai été présenté par personne.

Mme TRAMINI : Moi de même. Je ne suis pas à la retraite mais je suis allée voir le président à l'époque, M. Abran, pour lui demander les démarches à entreprendre. On n'est pas venu me chercher.

M. le Rapporteur : Dans quelle branche d'activité exercez-vous ?

Mme TRAMINI : La formation professionnelle.

M. le Rapporteur : A quelle occasion aviez-vous rencontré le président ?

Mme TRAMINI : A une réunion.

M. le Rapporteur : Et cela vous avait séduit ?

Mme TRAMINI : J'ai beaucoup d'amis avocats ; j'ai une formation en sciences économiques et j'ai fait pas mal de droit. J'étais plutôt attirée par ce type d'activité bénévole.

M. le Rapporteur : Faut-il maintenir le fait de ne pas être payé ?

Plusieurs personnes : Bien sûr, il faut le maintenir.

M. le Rapporteur : Indemnisé. Je vais être provocateur pour vous faire réagir.

M. CASTELLANA : Pensez-vous que si nous le faisions pour de l'argent, nous le ferions mieux ?

M. le Rapporteur : Je ne sais pas. Nous avons entendu M. Verny, président de la commission juridique du CNPF qui considère que le CNPF représente les usagers du service public de la justice consulaire. Il nous a dit être inquiet que les magistrats consulaires soient considérés comme des collaborateurs d'un service public, sans avoir les contreparties réglementaires de cette collaboration. Il estimait que cela provoquait parfois des « impuretés » - je me souviens de ce mot qu'il a employé - comme la recherche de contreparties différées ou symboliques, pouvant amener à des écarts.

Je voudrais que vous réagissiez à cette position assez forte du CNPF, qui nous avait d'ailleurs surpris et a provoqué de nombreuses réactions. Je voudrais entendre les magistrats toulonnais.

M. FLASSEUR : Je suis tout à fait contre la rémunération de juges élus qui ont une profession par ailleurs. Je ne pense pas que la rémunération qu'ils percevraient serait le gage d'une meilleure probité. Aucun des juges du tribunal de commerce de Toulon, en tout cas, et de la France entière, n'entre au tribunal de commerce pour en tirer un avantage personnel pécuniaire. Il y a peut-être d'autres motivations, mais certainement pas celle-là.

M. le Rapporteur : Lesquelles à votre avis ?

M. FLASSEUR : L'envie de remplir une fonction reconnue, la volonté d'être au service de la justice.

La capacité de décision que l'on a sur les affaires du pays ou de la région intéresse le chef d'entreprise. Il est dommage d'ailleurs que les chefs d'entreprise ne s'intéressent pas plus à la vie économique et politique du pays. On peut le faire dans notre coin. Personnellement, c'est pourquoi je le fais. Si vous faites un tour de table, je suis à peu près certain que vous aurez des réponses similaires.

M. LAMBERT : J'ai écouté, il y a longtemps, un président du CNPF qui avait dit: «Si chaque chef d'entreprise voulait bien consacrer un dixième de son temps de travail pour aider ses collègues, je suis certain que des entreprises se porteraient mieux. »

J'ai trouvé cela très bien. C'est ainsi que je suis entré aux prud'hommes où j'ai passé quinze ans. J'y ai été dix fois président et, ensuite pour changer, je suis venu au tribunal de commerce.

Il faut avoir la foi et avoir envie de se consacrer à l'intérêt commun. Sinon je ne vois pas ce que l'on ferait ici. Ce n'est pas le fait d'être payé ou non qui peut jouer un rôle.

M. Jacky DARNE : Nous avons enregistré vos réponses sur les deux premières questions que j'avais posées. J'ai entendu vos points de vue. Vous avez décrit de façon intéressante le mode d'élection. Vous n'avez pas encore répondu à ma troisième question sur l'aspect formation.

M. FLASSEUR : En dehors des séminaires de Tours que vous connaissez tous où l'on allait peu souvent parce qu'ils sont relativement éloignés, cette année, nous avons une formation plus proche, à Marseille. Un certain nombre de juges du tribunal y sont allés. En dehors de cela, le tribunal se réunit une fois par mois pour une formation, soit sur la procédure collective, soit le contentieux général, avec des sujets préparés généralement par un juge volontaire sur lesquels on débat.

Au cours de cette réunion, on examine les arrêts de la cour d'appel qui confirment ou infirment nos jugements, de manière à en tirer des enseignements. D'autre part, je profite des mardis après-midi pour parler de nouveautés ou de difficultés intervenues. C'est ainsi que l'on assume la formation. Chaque mois, nous avons une formation de 8 à 11 heures environ.

M. Jacky DARNE : Vous n'utilisez donc pas le centre de formation de Tours.

M. FLASSEUR : Quelques personnes sont allées à Tours, mais c'est relativement ancien. Le centre de Marseille a été créé cette année et cinq ou six juges y sont allés, notamment les nouveaux juges, en fonction depuis le ler janvier.

M. Jacky DARNE : Madame, vous avez dit que votre activité était la grande distribution. Où avez-vous fait votre formation de base en tant que juge ?

Mme SENECHAL : Je suis entrée au tribunal en 1993. J'ai suivi tous les stages de formation. Nous avons, tous les mois, une formation de juge. Quand nous rencontrons des petits problèmes, nous consultons le président qui nous explique les nouvelles lois, les nouveaux textes.

Dernièrement, je suis allée à Marseille et Tours. Je crois avoir suivi toutes les formations nécessaires.

M. CASTELLANA : Si je peux intervenir, c'est à mon initiative, en tant que président de région, président du tribunal de Marseille, que nous avons mis en place un centre de formation régionale à Marseille depuis l'année dernière, qui vient en complément de celui de Tours et par lequel sont passés près de 2 000 magistrats consulaires en France, et qui est lui aussi bénévole.

Vous y faisiez allusion tout à l'heure. Il semble anormal que nous n'ayons pas les moyens de fonctionner ; en particulier, le bénévolat ne peut pas suffire. Les magistrats vont au centre de formation à leurs frais. Le centre de formation de Marseille fonctionne grâce au volontariat des présidents des différents tribunaux. Il a été organisé avec la volonté des chambres de commerce. Cela fait beaucoup de travail et d'énergie dépensés pour la formation des magistrats.

Il n'est ni logique ni normal que cela soit bénévole et que l'État - je m'adresse à vous législateurs - ne prenne pas en charge la formation des magistrats. Nous le sommes à part entière. Quand le premier président de la Cour de cassation s'adresse à nous, il nous dit « cher collègue », et non « vous êtes la moitié d'un collègue, un demi-magistrat, un succédané de magistrat ». Je suis magistrat consulaire, au même titre qu'un magistrat professionnel.

Même si j'exerce ma fonction à mi-temps, je l'exerce pleinement. Il me paraît anormal de continuer ce bénévolat pour se former, alors que l'État se désengage totalement. On aura peut-être l'occasion d'y revenir. Cela justifie sans doute les fonds de concours, les associations de financement des tribunaux de commerce

M. Jacky DARNE : Passons des problèmes du statut aux conditions de fonctionnement du tribunal de commerce. Un tribunal, ce sont des juges et d'autres professionnels : des mandataires, des liquidateurs ; ce sont des greffiers avec des collaborateurs dépendant du greffe et qui sont, pour partie, mis à disposition du président du tribunal de commerce. L'un d'entre eux est présent ici.

Comment pensez-vous, dans ce tribunal, que sont gérées aujourd'hui les relations avec l'ensemble des partenaires, avec le greffe ? Comment se fait le partage des fonctions, des moyens financiers, des moyens matériels entre le greffe et le tribunal ? Y a-t-il des conventions ? Les relations sont-elles transparentes ?

Nous reviendrons cet après-midi, avec le précédent président, sur un aspect de ces questions.

En prolongement de votre observation finale, cela vous paraît-il satisfaisant ? Quelle est l'évolution à envisager en la matière ?

De la même façon, pensez-vous que les juges soient dans une situation qui leur permet de maîtriser suffisamment les dossiers par rapport aux professionnels, liquidateurs, mandataires, experts, ou autres, qui assurent un suivi peut-être plus constant ? Dans une procédure collective de redressement, l'administrateur n'est-il pas dans une position dominante par rapport au juge-commissaire, par exemple ? Quel est le système de contrôle que vous estimez exercer ?

M. FLASSEUR : S'agissant de nos relations avec le greffe, je l'ai écrit dans ma réponse au questionnaire. Le secrétariat du président est assuré par le greffe depuis cette année.

M. Robert GAIA : Par qui était-il assuré, avant votre arrivée ?

M. FLASSEUR : Avant mon arrivée l'année dernière, je pense que le greffe collaborait déjà avec le président Abran. Une personne lui était adjointe.

En tout cas, depuis que je suis arrivé, le greffe a même mis à ma disposition principalement Mme Lorenzoni, ici présente. Il y a d'autres personnes avec lesquelles je travaille ici, mais c'est elle qui assure mon secrétariat personnel en tant que président. Nous entretenons de parfaites relations avec le greffe qui met à notre disposition l'ensemble des éléments dont nous avons besoin jusqu'à présent. La seule réserve consiste à dire que si l'on pouvait utiliser un peu plus les moyens informatiques du greffe, ce serait une très bonne chose.

Sur nos rapports avec les mandataires et les experts, je vous donne ma position : nous entretenons de bonnes relations. Cela ne veut pas dire que nous leur sommes inféodés. Ce sont les juges qui prennent les décisions dans les affaires.

C'est vrai que ce sont les mandataires qui sont le plus souvent en rapport avec les entreprises en difficulté. Encore que nous les convoquions régulièrement et que nous rencontrions les administrés ou les dirigeants malchanceux. Nous discutons de leurs difficultés. Mais toutes les décisions sont rendues par ordonnances ou par des décisions de chambre du conseil, donc des jugements. Ce sont par conséquent les juges qui prennent les décisions dans les affaires. Il est vrai que les mandataires donnent leur opinion. Il faut qu'ils nous tiennent au courant de leurs démarches et de la procédure, et nous prenons nos décisions en leur posant les questions nécessaires. Voilà quelles sont nos relations.

Les experts sont désignés très normalement dans le cadre du tribunal de commerce. Il est vrai que nous avons tendance à désigner les experts que nous estimons les plus efficaces, qui rendent leurs rapports d'expertise le plus rapidement possible, ou dont nous avons reconnu les compétences. Mais nous n'avons pas d'experts privilégiés. Pour les affectations de dossier par mandataire, c'est la même chose.

M. le Rapporteur : Nous nous posons une question sur les relations avec les mandataires de justice, question soulevée par la chancellerie, à savoir l'accumulation d'un nombre considérable de mandats toujours sur les mêmes têtes, au détriment du pluralisme dans la distribution des mandats de justice.

À travers les multiples dossiers que nous avons survolés ce matin ou examinés en profondeur, ce sont toujours les mêmes noms qui apparaissent. J'ai l'impression que le tribunal a effectivement des relations de confiance avec certains mandataires. Je vais interroger mesdames et messieurs les juges-commissaires.

M. FLASSEUR : Auparavant, je voudrais dire quelques mots sur le problème des mandataires. Jusqu'en novembre, il n'y avait que quatre mandataires. Obligatoirement, vous les retrouverez toujours.

M. Robert GAIA : Cela vous pose-t-il problème qu'il n'y ait que quatre mandataires ? En êtes-vous satisfaits ? Un certain nombre de juges consulaires soulèvent ce problème, en disant : « Nous n'avons dans notre ressort qu'un nombre limité de mandataires ».

M. FLASSEUR : Cela ne me dérange pas. (Assentiment des personnes présentes). J'ai un cabinet d'expertise comptable relativement important. Pour prendre cet exemple, nous pouvons assumer un certain nombre de clients. Pour un mandataire, la désignation dans un dossier représente un client. On peut le traiter à condition d'avoir une organisation adaptée. À mon avis, ce n'est pas le nombre de mandataires qui importe le plus, mais la structure des études. Si les études sont bien organisées, cela ne pose aucun problème.

M. Jacky DARNE : Le sont-elles, monsieur le président ?

M. le Rapporteur : Nous allons demander à Mme Sinelle, puisqu'elle semblait vouloir intervenir.

Mme SINELLE : Quelles sont nos relations avec les mandataires ? D'abord, nous sommes nommés juges-commissaires ; les dossiers nous sont distribués une fois par semaine. Je n'ai jamais eu de difficultés avec les mandataires. Ils sont organisés pour le travail qu'on leur demande. Ils ne sont pas en retard pour nous établir ou nous présenter les documents nécessaires, et sont disponibles lorsque nous avons des questions à leur poser. Nous possédons leurs lignes privées pour les interroger par téléphone si nous travaillons à domicile.

M. Jacky DARNE : Je poserai une question à partir d'un dossier, pour être plus concret. Je ne prétends pas avoir eu le temps d'examiner en profondeur les dossiers. Nous en avons survolé quelques-uns, parmi lesquels le dossier « Mobazur », fabricant de meubles. Ce qui nous a alertés sur ce dossier est que le parquet écrivait à Me Grossetti en lui demandant où en était ce dossier. Il lui disait : « Je vous ai écrit à plusieurs reprises, je n'ai pas de réponse et cela me pose un problème majeur ».

C'était une liquidation dont le passif était de l'ordre de 11 millions, somme non négligeable, avec une dette envers l'administration fiscale relativement élevée.

Quand on examine ce dossier - si je me trompe, nous pouvons le reprendre - l'ouverture de la procédure remonte au 12 octobre 1983. Un juge-commissaire est nommé, puis un syndic : Me Grossetti. On constate un certain nombre d'actes. Très rapidement, le premier juge-commissaire est remplacé par M. Boisson. Des opérations diverses, des opérations en comblement de passif sont annulées. Je passe sur le détail. Le syndic estime qu'il faut poursuivre l'activité . Le tribunal de commerce considère qu'il n'y a pas lieu. Puis on retourne au tribunal, mais le dossier n'est pas complet. Il manque des éléments, et l'on ne peut reconstituer chronologiquement le détail de la procédure . J'imagine que Me Grossetti serait en mesure de le faire.

L'état des créances date du 25 mai 1984 et les actions en comblement de passif de 1985 à 1987. Le dernier jugement date du 22 janvier 1987. À ce moment-là, M. Boisson est remplacé comme juge-commissaire par M. Sauvage, qui n'est plus en fonction.

La dernière pièce que j'ai pu voir dans ce dossier date du 27 mai 1987. L'on y trouve seulement une dette de 11 millions et une action en comblement de passif, qui se traduit par un jugement noté dans une publication par lequel 50.000 francs vont à quelques personnes. Peu importe le montant des mouvements, il ne m'appartient pas de porter une appréciation là-dessus.

Visiblement le dossier est « mort » jusqu'au 7 février 1995. Or, la lettre du procureur date du 8 février 1994, relancée le 2 février 1995, encore relancée le 25 avril 1995. La nouvelle apparition de documents date du 7 février 1995, et je trouve enfin une facture d'honoraires du 7 octobre 1997. L'ordonnance est signée par M. Wozelka, ici présent. Il a apparemment repris le dossier. Ce dossier est donc ouvert en 1983, inactif pendant sept ans, avant qu'apparaisse, il y a six ou huit mois, une dernière pièce.

Ma question est la suivante et s'adresse au président et à vous-même : si Me Grossetti a été défaillant, c'est possible - c'est ce que l'on peut conclure du défaut de réponse au courrier du parquet - le juge-commissaire, s'il avait la possibilité de suivre ses dossiers, n'aurait-il pas dû l'alerter pour que cette liquidation soit close ?

Accordez-moi que quinze ans de 1983 à 1998 avec huit ans sans vie du dossier, pour des montants de plusieurs millions de francs, cela pose quand même problème !

M. WOZELKA : Je suis juge-commissaire dans cette affaire. Il y a effectivement un problème réel, celui de la transmission des dossiers de juge-commissaire à juge-commissaire, surtout sur des périodes relativement longues comme ici. Je reconnais que j'aurais dû recevoir la responsabilité de ce dossier, le prendre en charge complètement, c'est-à-dire en remonter aux origines.

M. Jacky DARNE : Quand en avez-vous hérité ? Je n'ai pas trouvé l'ordonnance qui vous l'a confié.

M. WOZELKA : Vous le dire de mémoire est difficile. Au moment du départ du président Sauvage, il y a environ un an et demi. J'aurais dû m'inquiéter de l'origine du dossier, de ses tenants et aboutissants. Si je ne l'ai pas fait, c'est peut-être par manque de temps.

M. FLASSEUR : Je ne connais pas du tout le dossier. Le problème est qu'il y avait un comblement de passif intervenu en 1987. Certaines démarches ont dû être faites depuis 1987 pour essayer de recouvrer le montant de la créance.

M. Jacky DARNE : Non.

M. FLASSEUR : Quand il y a comblement de passif, il est difficile de clore le dossier tant que l'action en comblement de passif et de recouvrement des sommes dues n'est pas intervenue.

M. WOZELKA : Le juge-commissaire est responsable de la bonne marche de la procédure, c'est tout. Ce n'était pas au procureur d'écrire, c'est moi qui aurais dû le faire. Je fais mon mea culpa. Au moment où j'ai eu le dossier, je n'ai pas pris la peine d'aller en faire l'historique.

M. Jacky DARNE : Je n'ai pas à apprécier votre comportement ou votre diligence professionnelle. Je dirais que ce sont principalement vos prédécesseurs. Vous avez hérité d'un dossier inactif.

Ce qui me choque le plus, c'est la longue période de silence de l'action en comblement de 1987 à 1995. On ne voit aucune trace de relance sur toutes les actions de comblement.

M. WOZELKA : En tant que juge-commissaire, j'ai environ trois cents dossiers à suivre, ce qui est relativement important, par rapport à mon activité professionnelle. J'ai mis personnellement en place un programme informatique où j'inscris toutes les étapes de la procédure. J'essaie de suivre afin qu'il n'y ait pas de lacunes, de lenteur, de problèmes qui s'installent.

M. Jacky DARNE : Monsieur le juge, permettez-moi de souligner l'importance de ce chiffre. Vous dites que vous suivez trois cents dossiers de procédure collective.

Plusieurs personnes : Comme tout le monde !

M. Jacky DARNE : C'est vous qui l'évoquez ; je constate que c'est pareil pour tout le monde. Chacun d'entre vous suit trois cents procédures collectives « en vie ». Ce n'est qu'une partie de votre activité, puisqu'il y a tout le contentieux général qui naturellement, occupe un certain temps.

Comment répartissez-vous votre activité entre la partie procédures collectives et les autres affaires ?

M. WOZELKA : Je réserve mes dimanches après-midi aux contentieux pour la rédaction des jugements. Je réserve le mardi aux procédures collectives, puisque les juges se réunissent au tribunal, que les ordonnances sont vues et qu'on fait les admissions.... Ensuite, en rentrant chez nous, on fait le point.

M. Jacky DARNE : Monsieur, qui est expert-comptable, a des collaborateurs pour traiter trois cents dossiers. Mais même avec un programme informatique, pensez-vous avoir la capacité de suivre trois cents dossiers en plus de vos travaux du dimanche après-midi et du contentieux général ? Est-ce raisonnable ?

M. WOZELKA : Ce n'est peut-être pas raisonnable, mais nous le faisons et relativement bien. On peut peut-être trouver un dossier qui a été mal traité ou qui présente quelques erreurs. Encore cela demande-t-il à être confirmé, mais il faut le situer par rapport à la masse des dossiers traités qui sont correctement suivis. Je ne pense pas que cela soit une surcharge.

M. le Rapporteur : La question que nous posons concerne ce que nous avons constaté, au travers de nos diagnostics par sondage : l'effondrement - je n'ai pas d'autre mot, c'est un mot sévère - du contrôle de la juridiction sur le travail des mandataires.

Madame le juge-commissaire disait que les relations de confiance existaient, que la disponibilité des mandataires était acquise et totale, et que tout cela fonctionnait normalement. Nous avons, nous, à nous interroger sur cette relation qui semble avoir été pervertie en raison de l'indisponibilité des juges. Trois cents dossiers quand vous faites autre chose par ailleurs.. ! Un avocat - j'ai été avocat - a deux cents dossiers à suivre à plein temps. Vous êtes juges, vous en avez trois cents et vous ne le faites pas à plein temps. Les proportions sont différentes. La surveillance, la vigilance sur le travail des mandataires est forcément relâchée. Je prendrai quelques exemples dans les autres dossiers. Ce n'est pas un reproche que nous faisons personnellement à tel ou tel juge-commissaire. Nous réfléchissons sur un système qui ne fonctionne plus.

Partout où nous allons, nous voyons la compétence des mandataires de justice, et l'impossibilité à les contrôler dans laquelle se trouvent les juges, moins formés que les auxiliaires professionnels de la justice, moins formés forcément que ceux qui font cela depuis de longues années. Me Grossetti est au service du tribunal depuis 1983. Cela représente quinze ans de collaboration et de confiance. Nous avons à nous interroger sur cette question. Madame le juge-commissaire disait que Me Grossetti est disponible, il répond au doigt et à l'oeil, et c'est normal.

Mme SINELLE : Je n'ai peut-être pas poussé aussi loin ! Je n'ai pas dit qu'il obéissait au doigt et à l'oeil !

M. le Rapporteur : Je vous flatte, madame. Ce n'est pas dévalorisant.

Mme SINELLE : Je n'ai pas dit qu'il était à mon service.

M. le Rapporteur : Il est au service de la justice consulaire. C'est tout à fait normal. En revanche, je vais vous soumettre le dossier Cofradis. Le procureur a écrit une lettre urgente de juillet 1995 à Me Grossetti, mandataire judiciaire, pour lui demander des explications. En décembre 1995, il écrit à nouveau à Me Grossetti : « J'ai l'honneur de vous rappeler ma transmission du 7 juillet 1995 qualifiée « urgent » se rapportant à la liquidation visée en objet ». Le 21 mars 1996, il écrit : « J'ai l'honneur de vous rappeler, pour la dernière fois, les contenus de mon courrier qui accompagnait une doléance de M. X et de mon courrier de premier rappel daté du 7 décembre 1995. Ces interrogations sont, sauf erreur, restées sans réponse. Vous n'êtes pas sans savoir que vous êtes tenu de m'apporter une réponse que je souhaite recevoir sous les plus brefs délais. A défaut, j'en référerai à qui de droit ». Les menaces commencent.

J'en arrive un an plus tard à la réponse de Me Grossetti. Vous avez beaucoup plus de chance que monsieur le procureur à l'égard de ce mandataire-liquidateur. Comment expliquez-vous cela ?

Mme SINELLE : Nous n'avons pas le même souci. Le dossier est géré par le mandataire, beaucoup plus que par nous. Que nous le suivions, je suis d'accord avec vous. Vu le nombre dont nous sommes chargés, si l'un reste sans activité, nous n'en sommes pas fâchés. Le temps nous manque.

M. le Rapporteur : Madame le juge-commissaire, ce que je veux vous dire, c'est que si le procureur met un an pour obtenir l'explication, vous avez, vous, la chance de l'avoir sous la main. Comment expliquez-vous cette bizarrerie ? Ou y a-t-il une particularité dans les relations entre Me Grossetti et M. Raffin, procureur-adjoint ?

Mme SINELLE : Je suis en train de vous parler des relations sur les trois cents dossiers actifs, ceux sur lesquels on va nous présenter une ordonnance, ceux pour lesquels nous avons reçu les administrés. Nous avons alors des questions à poser auxquelles le mandataire répond.

Je ne vous dirai pas que c'est aussi facile pour des dossiers fermés huit ans ! M. Raffin, c'est normal qu'il ait ces problèmes. Le juge-commissaire en place aujourd'hui n'est pas celui d'il y a cinq ou huit ans, parce que les juges changent. Il nous est pratiquement impossible de tenir compte de dossiers aussi anciens.

Comme le soulignait M. Wozelka, quand on nous attribue des dossiers de juges partis, de M. Sauvage, par exemple, qui avait cinq cents dossiers car il était très disponible, nous n'allons pas chez le mandataire pour lui demander où en est chaque dossier. Nous attendons que le dossier redevienne actif. Je vous ai principalement parlé des dossiers actifs sur lesquels nous avons la possibilité de les interroger.

M. WOZELKA : N'y a-t-il pas une procédure en cours, un appel, quelque chose qui a paralysé le dossier dans cette affaire ? Le problème est qu'il faudrait examiner le dossier de façon contradictoire. Il faudrait entendre Me Grossetti.

M. Jacky DARNE : Les dossiers sont ici. Vous pouvez examiner les pièces, tourner toutes les pages; vous pouvez le faire comme moi et vous verrez l'état du dossier.

M. le Rapporteur : D'autant que ce sont les vôtres.

M. FLASSEUR : Monsieur le député, je voudrais quand même apporter un correctif à ce qui a été dit. Quand on dit qu'un juge-commissaire a trois cents dossiers, ce ne sont pas du tout trois cents dossiers actifs. Un certain nombre sont en attente de décisions, d'appel, même d'arrêts en Cour de cassation. Ce sont des dossiers qui ne vivent plus.

Personnellement, j'ai demandé que l'on puisse éventuellement avoir accès à l'informatique du greffe - et le greffier s'y prêtera volontiers je pense - pour pouvoir consulter facilement tous ces dossiers et s'interroger régulièrement à leur sujet. Nous avons besoin d'informatique, vu le nombre de dossiers. En dehors de cela, les dossiers actifs sont de l'ordre de cinquante ou quatre-vingts, pas plus.

M. le Rapporteur : Je voudrais poser une ultime question avant d'y revenir avec les mandataires eux-mêmes. Me Grossetti a été mis en examen. C'est la presse locale qui nous l'apprend, Nice Matin ou Var Matin.

M. LAMBERT : Si la presse le dit, c'est que c'est vrai.

M. le Rapporteur : Vous allez nous donner votre opinion. Je l'apprends par la presse. Je pose la question au président et aux juges-commissaires. Cela a-t-il entamé la confiance qui avait été placée dans Me Grossetti ou pas ?

M. FLASSEUR : En tant que président, quelqu'un qui est mis en examen, jusqu'à preuve de sa culpabilité, est présumé innocent. J'attends donc les suites judiciaires de l'affaire.

(Même réponse sur tous les bancs.)

Mme LORENZONI : Ce n'est pas une question de confiance. Ils font leur travail. Il y aurait beaucoup de monde à juger avant. Si on condamne les gens mis en examen avant qu'ils ne soient jugés définitivement, on aurait beaucoup de travail à faire.

M. le Rapporteur : C'est vrai qu'ils sont tellement nombreux !

Mme LORENZONI : Il n'y a pas qu'à Toulon !

M. CASTELLANA : Je voudrais intervenir sur le fait que la méthode d'investigation pour laquelle vous avez opté, qui a une valeur incontestable, fait que vous prenez au hasard cinq ou huit ou dix dossiers. Ceux-ci représentent une infime partie des dossiers et vous « interrogez » les juges en leur demandant de se justifier sans qu'ils aient la possibilité de répondre. Ce n'est pas tant cela qui me choque. J'ai peur que cet arbre ne cache la forêt et qu'en mettant l'éclairage sur un dossier ou un dysfonctionnement éventuel, on ne mette dans l'ombre l'importance, la qualité et l'énormité du travail réalisé par ailleurs. J'insiste sur le fait que vous parlez de relations avec les mandataires judiciaires, ce qui est une infime partie du travail du juge consulaire.

Sachez que le contentieux des procédures collectives représente 25 % de notre activité. 75 % est représenté par du contentieux général. Vous avez dit à la presse qu'il y avait des dysfonctionnements graves que vous mettiez en lumière. Je ne voudrais pas, parce que la presse est là, que sous prétexte d'entrer dans un dossier et de faire un sondage, l'on atténue l'importance du travail fait par ailleurs. Au demeurant, vous aviez demandé des dossiers dans lesquels vous saviez qu'il y avait un problème.

Ma proposition est la suivante. Il y a des moyens. Le président Flasseur est un jeune président mais un bon président. Nous avons les états trimestriels que nous adressent les mandataires. Ces documents importants ne sont pas connus, mais permettent de mettre en place des systèmes de contrôle pour voir l'évolution du dossier.

Si tous les six mois, nous faisons une réunion avec les juges-commissaires et les mandataires-liquidateurs, grâce à cet état trimestriel - qui est fourni car c'est une obligation légale qui nous permet de faire le point de l'évolution d'un dossier - nous avons à la fois, au sein du tribunal de commerce, un moyen de contrôle et la possibilité d'éviter qu'un dossier ne s'endorme un peu trop.

Sur la question de la confiance aux mandataires-liquidateurs, je suis aussi président d'un tribunal de commerce, et quand je suis arrivé, la Chancellerie m'a dit qu'il fallait faire tourner tous les mandataires, sans faire d'exclusive. J'ai trouvé que c'était un bon principe.

Toutefois, je me suis aperçu que tourner de façon égalitaire n'est pas concevable. Certains mandataires-liquidateurs ont des qualités, des structures de cabinet, des sensibilités telles que certains dossiers leur vont mieux qu'à d'autres. Par ailleurs, si je tournais, je n'étais pas forcément très bien servi. On a donc tourné avec un plus petit nombre de mandataires, en fonction du service rendu.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous répondre en deux mots. Que vous soyez choqué...

M. CASTELLANA : Je l'ai dit gentiment.

M. le Rapporteur : ... peu importe que vous l'ayez dit gentiment ou non. Ce n'est pas la question. La commission d'enquête parlementaire agit souverainement et choisit la méthode qui est la sienne. C'est le premier point.

La deuxième chose est que je constate que la presse locale titre sur la façon dont ce tribunal fonctionne, que le précédent président a démissionné dans des conditions assez voyantes, que des procédures concernent des juges consulaires dont certains sont dans la salle, et que deux mandataires de justice sont mis en examen.

Je veux bien qu'en effet, il y ait des éléments positifs. Je vous ai dit tout à l'heure qu'il vous appartient de les mettre en valeur. Il est nécessaire que l'on examine les choses sans a priori. Le parquet joue son rôle et nous a signalé un certain nombre de choses. Il y a aussi des procédures qui concernent l'année 1998. Nous nous sommes fait une opinion.

Il est de notre liberté et de notre devoir de poser même les questions les plus désagréables.

M. CASTELLANA : Tout à fait. Vous avez entièrement raison. C'est d'ailleurs le rôle du parquet de contrôler le travail.

M. le Rapporteur : Je voudrais, monsieur le président, que les magistrats toulonnais que nous sommes venus interroger, puissent répondre et qu'on ne réponde pas à leur place.

M. CASTELLANA : J'ai essayé simplement de donner un éclairage à vos propos.

M. Jacky DARNE : Je travaille dans cette commission sans a priori. Si la question des tribunaux de commerce a été posée en France, ce n'est pas le fait des députés. Ils ont été saisis par un ensemble de données, d'informations et de prises de position, y compris au sein de la conférence des présidents des tribunaux de commerce.

Lors de leur réunion d'octobre, le président Nougein a exposé des évolutions nécessaires. Les organisations patronales comme d'autres posent la question de l'aptitude de cette institution à rendre la justice dans de bonnes conditions. La question existe. Il ne faut pas dire que c'est nous qui la posons.

Une fois la question posée, la commission d'enquête a ensuite pour fonction de porter un diagnostic sur le fonctionnement de l'institution. Pour cela, nous avons entendu plusieurs dizaines de personnes ; à ce jour - cela a dépassé la centaine -, vu des tribunaux de commerce localement pour entendre les protagonistes. Les premières questions posées avaient pour objet le fonctionnement, la formation, le temps passé, le nombre et le suivi des dossiers.

L'objectif est de permettre de faire évoluer une institution qui pose problème. Dans cette institution, il est vrai que la fonction d'administrateur ou de liquidateur est une de celles qui est évoquée le plus fréquemment, tant par les entreprises qui estiment qu'il y a difficulté que par les salariés. Beaucoup se posent des questions sur l'effectif, les compétences, le nombre de dossiers, le suivi, les connivences qui peuvent exister, le respect de l'impartialité.

La société évolue ainsi. L'objet de ce travail est de dire comment nous percevons ce fonctionnement. Comme dans d'autres phénomènes de la vie, on comprend plus facilement le dysfonctionnement en soulevant des dossiers qui posent problème que ceux qui vont très bien. Ce n'est par parce que certains d'entre nous sont arrivés en retard à cause du train que nous en concluons que tous les trains sont en retard. Pourtant, à la radio, on parle des trains en retard, même si une majorité arrive à l'heure. L'un n'empêche pas l'autre. Pour faire évoluer les choses, de même que la SNCF prend des contrats d'engagement pour améliorer sa qualité, il est logique que nous parlions de cette qualité.

Quand je parle des relations avec le greffe, avec les administrateurs, nous sommes naturellement au coeur des questions. J'ai regardé les dossiers de 1998 sans aucun a priori. Quand je vois que la requête de l'administrateur ou du liquidateur est frappée sur un ordinateur et que, dans le même temps, l'ordinateur du liquidateur frappe l'ordonnance signée par le juge. C'est la même machine, la même frappe, le même document. C'est-à-dire que le liquidateur et l'administrateur donnent, dans le même temps, la requête et l'ordonnance. Il suffit au juge de mettre son nom et sa signature.

Un intervenant : Cela facilite le travail !

M. Jacky DARNE : Je vous accorde que cela facilite le travail, mais cela est-il bien ? (Protestations)

M. CANANZI : Donnez-nous un secrétariat !

M. Jacky DARNE : Je n'ai pas dit qu'il ne faut pas donner de secrétariat. Nous sommes législateurs. Si j'ai posé la question de la rémunération ou de la formation, c'est parce que je pense en effet qu'il y a des modalités à trouver. Ce sera l'objet du rapport de donner des commentaires et des orientations.

M. BIDOT : Quand nous recevons des requêtes avec l'ordonnance, nous disons souvent non. Nous refusons ou nous modifions.

M. WOZELKA : Ou nous faisons refaire pour que ce ne soit pas retouché manuellement.

M. Jacky DARNE : Je n'ai pas dit que vous ne barriez pas ou que vous signiez toutes les ordonnances. J'ai dit que, dans l'organisation du travail, il y a un arbitrage paradoxal dans la fonction administrative. Imaginez que vos clients tapent vos factures, vous, chefs d'entreprise. Cela peut arriver dans un certain nombre de métiers comme le bâtiment où il y peut y avoir des relevés de prix chez le client, qui sont validés après. Mais en général, on assure la maîtrise et la frappe.

Ce n'est pas une critique sur ce que vous faites, mais un constat sur la marche d'une institution.

M. FLASSEUR : Est-ce important de savoir qui assure la frappe matérielle ?

M. Jacky DARNE : Qu'en pensez-vous ? Je serai plus direct encore. Vous faites votre métier, monsieur le président. Vous vous occupez des procédures. Vous êtes expert-comptable. En dehors de ma fonction de député, c'est également mon cas.

Comparons ce dossier à ceux que, professionnellement, nous allons vérifier, ne serait-ce que dans son contenu et sa présentation. Franchement, il n'y a aucune fiche de suivi, aucun sous-dossier, aucun classement. Il n'y a rien, rien que d'un point de vue formel, vous puissiez accepter, en tant que commissaire aux comptes. Il y a en principe un dossier permanent et un dossier diligent. Ces dossiers n'ont rien de comparable. Ce n'est pas une critique car vos moyens sont insuffisants. Le résultat est quand même que ce ne sont pas des dossiers.

M. FLASSEUR : Nous avons des barèmes de temps dans les commissariats aux comptes. De tels dossiers mériteraient parfois 200 heures de travail, ne serait-ce que par la formalisation du dossier. Dans le cadre des tribunaux, on n'en est pas là, qu'il s'agisse d'un tribunal de commerce ou d'une autre juridiction. On ne peut comparer nos professions avec les juridictions.

M. Jacky DARNE : Monsieur le président, en termes de normes de qualité ou de diligence, franchement, ne pensez-vous pas qu'on peut s'inspirer de notre profession pour améliorer la qualité de ce qui se fait ici ?

M. CANANZI : Nous sommes favorables à ce que l'on nous désigne des assistants de justice. On réclame des moyens, des assistants de justice.

M. Jacky DARNE : On ne peut se contenter de cela. Pour moi, ce n'est pas de la justice.

M. CANANZI : Cela démontre au moins que c'est tenu par les juges consulaires.

M. Jacky DARNE : Je le répète : nous nous informons. Nous ne portons pas, au fond, d'appréciation pour dire que vous avez bien ou mal jugé. Nous n'avons pas la capacité de dire cela, mais nous pouvons regarder les apparences, nous demander comment sont ces dossiers, comment ils sont gérés, quels sont les délais, quelle est l'organisation, quelles sont les relations. On ne peut manquer de dire qu'il y a du progrès à faire. Ce n'est pas être agressif. Vous diriez de même à ma place.

M. Robert GAIA : Je voudrais poser une question et formuler une remarque d'ambiance. À propos de l'ambiance, j'aurais aimé entendre des propositions. Or, je vous sens tous sur la défensive quand nous demandons ce qui ne fonctionne pas et si les rapports avec les liquidateurs et les administrateurs vous satisfont. Il nous faut savoir si vous avez des observations à formuler sur une profession qui fait l'objet de critiques de la part de tous les acteurs de la justice consulaire. On dirait, à vous entendre, que Toulon est sur une île. Permettez que l'on ouvre les dossiers.

Ma question porte sur vos rapports avec le parquet. Sont-ils corrects ? Comment verriez-vous une réforme possible ? Que pensez-vous de l'échevinage ?

Ce sont des questions comme celles-ci qui alimentent la réflexion des acteurs des tribunaux de commerce et que je ne trouve pas ici.

M. BIDOT : Tout à l'heure, M. le Rapporteur a évoqué les lettres envoyées par le parquet aux mandataires. Si le parquet m'écrivait une lettre, comme de temps en temps je lui en écris moi-même, disant : « Monsieur le procureur, je relève ceci et ceci dans tel dossier », j'en assurerais le suivi. Quand on a des dossiers dès l'ouverture, on s'en occupe. Mais quand on reprend des dossiers qui ont été tenus depuis quelques années, on ne les connaît pas toujours. On est obligé de se fier à ce que nous dit le mandataire. Si les justiciables nous écrivent, je peux vous dire qu'à chaque fois, je réponds. Je n'ai pas de secrétariat, mais j'écris des lettres et je demande des explications.

J'ai plusieurs fois demandé des explications au mandataire parce que j'avais des éléments insuffisants.

M. Robert GAIA : Et vous les laissez dans le dossier ?

M. BIDOT : Non, je les ai chez moi. Il y a des lettres que j'ai chez moi.

M. WOZELKA : Lorsque le parquet intervient dans un dossier, il devrait normalement informer le commissaire de son intervention. Je trouve anormal que le parquet écrive aux représentants des créanciers sans donner copie au juge-commissaire.

M. FLASSEUR : Nous ne sommes pas sur la défensive. Mais, comme des questions précises étaient posées, on répondait de façon relativement précise. Comme elles étaient parfois accusatoires, nous étions peut-être un peu sur la défensive. Nous sommes là pour collaborer.

Le point d'achoppement semble être la question des relations réelles que nous avons avec les mandataires. Pour ma part, je ne peux pas répondre pour l'ensemble des juges, mais je commence à connaître l'institution, y étant depuis 1982. Je puis assurer que nous entretenons des relations courtoises avec les mandataires, mais ce n'est pas pour autant que nous n'assurons pas le contrôle de ce que nous signons. Ce n'est pas une précaution de président, c'est la réalité.

M. Robert GAIA : Aucun juge ne se trouve dans une SNC, une SCI avec des mandataires ? (Protestations.) Je peux poser cette question. Cela s'est trouvé dans d'autres tribunaux.

M. LAMBERT : J'entends en arrivant le Rapporteur de la commission dire qu'il y a de graves dysfonctionnements, et ensuite un autre dire qu'il y a peut-être des juges... Vous voudriez qu'on ne soit pas sur la défensive !

M. Robert GAIA : Ne trouvez-vous pas qu'il y a de graves dysfonctionnements dans la justice consulaire ?

M. LAMBERT : Il y a des dysfonctionnements, peut-être. Mais citez-moi quelque chose de parfait !

Mme LORENZONI : Je vais poser une question en tant que collaboratrice de Me Doucède. Je suis au greffe du tribunal de commerce depuis 1959. On parle de dysfonctionnements dans les tribunaux de commerce. Ne croyez-vous pas, monsieur le député ou je ne sais quoi, qu'il y en a ailleurs beaucoup plus peut-être et qu'on les monte moins en épingle ? On est sur la défensive. Forcément. On nous attaque !

M. le Rapporteur : Pour l'instant, Madame, vous n'êtes pas concernée par les questions.

Mme LORENZONI : J'essaie de comprendre.

M. FLASSEUR : Pour revenir sur le problème des mandataires, nous entretenons des relations courtoises avec eux. Parfois certains ont des relations d'amitié avec les mandataires. Mais je pense que le délit d'amitié n'existe pas. Nous avons une assez haute idée de notre fonction pour savoir que, quand on doit prendre une décision, il n'y a plus d'amis. Il y a le juge qui rend sa décision. Si un juge n'est pas capable d'assumer cela, il vaut mieux qu'il ne vienne pas au tribunal de commerce. Mais on ne peut pas nous empêcher d'avoir des amis.

Au parquet, les magistrats tournent. Au bout d'un certain temps, ils vont ailleurs. C'est vrai que nous sommes dans un milieu socioprofessionnel où on se connaît tous. Mais il n'empêche que, derrière ces amitiés, ces relations, quand nous rendons nos décisions, nous faisons fi de nos relations... Nous sommes des juges à part entière.

M. le Rapporteur : J'ai une question précise et complémentaire à celle de M. Gaia. Vous est-il arrivé personnellement, dans vos fonctions de juge-commissaire, de rejeter ou de critiquer des demandes d'honoraires présentées par des mandataires-liquidateurs ?

Plusieurs intervenants : Oui.

M. le Rapporteur : Quand, dans quelles circonstances et sur quel niveau d'honoraires ?

M. FLASSEUR : Le problème des honoraires est un problème particulier. Ce n'est pas nous qui avons fixé les tarifs, c'est un décret. Tant que nous sommes dans le cadre du décret, sauf au-delà de 450.000 francs où le décret prévoit que l'on doit arbitrer, le juge assure un certain nombre de vérifications. En dehors de cela, on ne peut pas refuser puisqu'il s'agit de l'application d'un barème.

La réponse est relativement claire. Le jour où changera le barème, notamment les 5 % qui sont iniques (article 15 du décret) les choses changeront peut-être.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu des cas de refus qui ont été contestés par la cour d'appel, comme cela arrive dans d'autres tribunaux de commerce ?

M. FLASSEUR : Je n'en ai pas eu connaissance, sauf pour un dossier qui n'était pas de procédure collective.

M. le Rapporteur : Il n'y a jamais eu de contestation ou de refus d'un juge-commissaire d'accorder des honoraires ?

M. FLASSEUR : Personnellement, je n'en ai pas connaissance.

M. le Rapporteur : J'entendais à l'instant chacun dire en choeur: oui, moi, moi...

M. WOZELKA : Le juge-commissaire donne un avis sur les honoraires, mais c'est le président du tribunal de commerce qui signe.

M. le Rapporteur : Vous avez donc donné des avis défavorables ?

Mme TRAMINI : Il m'est arrivé de refuser momentanément des honoraires parce que je n'avais pas suffisamment d'éléments.

M. le Rapporteur : Momentanément, cela veut-il dire que vous avez finalement repris votre décision ?

Mme TRAMINI : Quand j'ai eu l'ensemble des éléments dont j'avais besoin, j'ai pris ma décision.

M. CASTELLANA : Le barème nous est imposé. En termes de progression, nous sommes pour...

M. le Rapporteur : Je connais la position de la conférence générale des tribunaux de commerce, mais je voulais connaître la pratique des magistrats toulonnais. Je voudrais savoir comment cela se passe ici. On semble dire que tout va bien dans tous les tribunaux de commerce, mais, dans ceux où nous sommes allés, nous n'avons pas été très contents de ce que nous avons vu.

Je réserve ma position, et mes collègues, leurs propres positions. Heureusement, nous avons le droit d'émettre des opinions en qualité de parlementaires. Nous ne sommes pas des juges, nous ne sommes pas un tribunal ; nous sommes des parlementaires. Nous ferons notre opinion avec vous.

Je dois vous dire qu'il est intéressant de voir, dans certains tribunaux de commerce, des juges mener le combat contre les honoraires des mandataires, quelles que soient d'ailleurs les dispositions du tarif. Dans certains ressorts, il y a une bataille permanente avec les mandataires qu'ils vont faire trancher devant la cour d'appel. Il y a parfois des négociations à la baisse au détriment des honoraires des mandataires.

Je note qu'ici, cela ne s'est jamais vu, et je le comprends, puisqu'il s'agit d'amis, puisque vous-mêmes les qualifiez d'amis.

M. FLASSEUR : Je ne peux pas vous laisser dire cela. Je vous ai fourni les statistiques.

M. le Rapporteur : J'entends ce que l'on me dit et je ne vais pas au-delà, même si M. Lambert semble en rire. Vous dites que ce sont des amis. Je pose une question, à savoir s'il y a eu contestations d'honoraires. Tout le monde dit oui. Finalement, on s'aperçoit qu'en vérité, il n'y a jamais eu de contestations. J'entends ce que l'on me dit et je mets les éléments bout à bout.

M. FLASSEUR : J'ai fourni, dans les statistiques, le montant des honoraires moyens par dossier perçus par les mandataires : 18.000 francs. Voilà ce que perçoivent les mandataires tous dossiers confondus, en moyenne.

M. le Rapporteur : Sur tous les dossiers?

M. FLASSEUR : Oui.

M. le Rapporteur : Combien y en a-t-il par an ?

M. FLASSEUR : Neuf cent quatre dossiers en 1997.

M. FLASSEUR : Si les mandataires mettent en place les moyens nécessaires pour traiter les dossiers, j'estime personnellement que ce ne sont pas des honoraires exorbitants. Au tribunal de commerce de Toulon, on a très peu de grosses affaires, et donc très peu de dossiers avec de très gros honoraires.

M. WOZELKA : Quand j'ai répondu tout à l'heure affirmativement à votre question sur la contestation des honoraires, j'entendais que l'on vérifiait les honoraires présentés par les mandataires. Nous leur demandons des explications et nous émettons un avis sur ces honoraires. Au besoin, nous différons la signature, comme l'a fait Mme Tramini en attendant d'avoir les explications nécessaires. Ensuite, nous transmettons au président pour acceptation.

M. Robert GAIA : Quelles sont vos relations avec le parquet et vos propositions de réforme ?

M. WOZELKA : Je connais deux juges qui étaient amis avec le procureur.

M. le Rapporteur : Qui sont-ils ? Quels procureurs ?

M. WOZELKA : Il s'agit du procureur actuellement en place. C'est pour répondre à votre question sur l'amitié.

M. le Rapporteur : Cela nous intéresse. Cela fait partie des problèmes ou des motifs de satisfaction.

M. FLASSEUR : Personnellement, je n'en ai pas connaissance. J'entretiens des relations très courtoises avec le procureur, qui est présent à toutes nos audiences de chambre du conseil du lundi après-midi et du mardi matin. Le vendredi, il ne peut être présent. Il avait souhaité que les audiences du vendredi se tiennent le jeudi pour lui permettre d'y assister. Un problème a fait que les audiences des chambres du conseil ont été maintenues le vendredi. Or, il est en correctionnelle à ce moment-là. En dehors de cela, il est toujours présent.

Quand il ne l'est pas, notamment aux audiences du vendredi, les dossiers lui étant communiqués à l'avance, il fait passer des notes au juge qui assure la présidence. Mme Tramini par exemple assure la présidence de la chambre du conseil le vendredi.

Personnellement, nous souhaitons la présence du parquet. Nous avons la chance de l'avoir actuellement à Toulon. Cela n'a pas toujours été vrai. Mais en ce moment, nous avons une présence certaine du parquet. Non seulement il est présent, mais il s'intéresse de très près à nos affaires.

Mme SINELLE : Je passe mes journées du mardi avec le procureur. Nos relations sont parfaitement normales avec lui. Nous sommes ravis de l'avoir.

M. le Rapporteur : Je prolonge la question posée par M. Gaia. Vous est-il arrivé d'avoir un conflit avec le parquet sur un dossier quelconque, sur une analyse présentée par le parquet qui serait divergente de celle adoptée par le tribunal, notamment à l'occasion d'un plan de cession, qui est le moment clef du sauvetage ou de la destruction d'une entreprise en difficulté ?

J'en parle parce que le contentieux général relève d'autres critiques ou d'autres analyses. Le problème des procédures collectives est au coeur des débats car il concerne l'emploi, l'outil de travail et la richesse économique. C'est pourquoi nous parlons d'abord, non pas des litiges qui pourraient être résolus par les tribunaux de commerce, mais des procédures collectives où des arbitrages sont si difficiles à rendre.

Croyez bien que la commission a bien conscience de la difficulté à prendre des positions incontestables dans les procédures collectives. Je vous pose la question : y a-t-il eu des exemples de divergences entre le parquet et le tribunal de commerce et pour quelles raisons ?

M. FLASSEUR : Je peux répondre en tant que président de chambre du conseil du lundi après-midi et du mardi. Jusqu'à présent, je n'ai pas rencontré de difficultés avec le procureur. Nous avons les mêmes points de vue sur les procédures.

M. Robert GAIA : N'y a-t-il jamais eu de requête contraire ?

M. FLASSEUR : Non. Il faudrait demander aux autres présidents.

M. Robert GAIA : Il n'y a jamais eu appel du parquet ?

M. FLASSEUR : Les juges qui tenaient les chambres du conseil jusqu'à fin octobre ne sont plus là. J'ai donc un problème pour répondre concernant le passé. Je peux vous assurer que, depuis que je suis ici, je n'ai pas eu de difficultés majeures. Il y a eu dossier sur une ordonnance d'un juge-commissaire où le parquet a fait, je crois ...

M. Robert GAIA : Je vous en donne un exemple récent et intéressant. Par deux fois, le parquet a fait appel sur l'affaire Play Act Café, une fois sur le plan de redressement proposé, une seconde fois sur la liquidation, avec des arguments très sévères. Cela date du 9 juillet 1997.

M. FLASSEUR : C'était avant ma présidence.

M. Robert GAIA : Mme Sinelle peut nous en parler puisqu'elle était juge sur cette affaire.

Mme SINELLE : J'ai terminé le dossier. Mais M. Abran assumait toutes les précédentes chambres de conseil. Ce dossier est passé plusieurs fois devant M. Abran en chambre de conseil.

Ce n'est que lorsqu'il est arrivé devant moi, huit jours après ma prise d'intérim à la présidence, que j'ai clos le dossier en mettant en liquidation judiciaire. J'étais en parfait accord avec le procureur. C'est précédemment qu'il y a eu des appels du procureur.

M. Robert GAIA : Sur le redressement, il y a eu appel du procureur, mais aussi sur la liquidation. En ce qui concerne l'attribution, une lettre du parquet indiquait notamment « En contradiction avec les termes de la première ordonnance du 13 mai, un rejet d'une offre de vente de gré à gré de 1,4 million de francs  ». On la passe ensuite à 800 000 francs. « ce qui laisse croire que cette seconde offre de vente aux enchères, pour laquelle a été demandée curieusement par le liquidateur une signification à un ancien candidat acquéreur de gré à gré évincé - dont je ne citerai pas le nom -, a peut-être été établie au profit d'une personne déterminée et non à l'encan ». C'est bien le parquet qui s'exprime sur ce dossier.

(Vives protestations sur de nombreux bancs.)

M. CASTELLANA : Nous sommes dans une juridiction du premier degré. Au-dessus, il y a une cour d'appel.

M. le Rapporteur : Laissez Mme Sinelle répondre.

M. CASTELLANA : Attention à la séparation des pouvoirs !

Mme SINELLE : Quelle question me posez-vous ?

M. MACARIO : Je peux répondre. Vous avez lu, monsieur le député, les arguments du procureur de la République qui s'opposait à une deuxième ordonnance qui avait été rendue par un juge-commissaire. Mais avez-vous lu le jugement rendu par le tribunal, qui a été frappé d'appel par le parquet ? L'avez-vous lu ? Là, vous lisez les arguments d'une partie. Il y avait trois parties : le parquet, le débiteur et le repreneur.

M. Robert GAIA : Je lis les documents dont je dispose. sur le dernier dossier, vous me dites que la procédure est terminée. Je ne sais pas à qui a été attribué la cession.

M. le Rapporteur : Monsieur le juge, votre président a dit : « C'est une chance que nous ayons le parquet. » Je note que vous le considérez comme une partie, rien qu'une partie et que ce sont des arguments bien relatifs.

M. MACARIO : En l'espèce.

M. le Rapporteur : En l'espèce, je le note. C'est une chance d'avoir le parquet comme partie. Je note que les divergences existent. M. Gaia en a relevé une. Il y a aussi l'affaire CJT-SARL qui vous concerne, Madame Sinelle, puisque vous étiez juge-commissaire. C'est l'affaire du tennis du Camping la Valériane, situé à Bandol.

Là, le parquet avait une divergence très importante, pas seulement avec le juge-commissaire. Il y a d'abord eu une opposition du parquet sur votre ordonnance, puis le tribunal vous a donné raison. Le parquet a alors décidé de se battre contre la décision du tribunal en allant devant la cour d'appel.

Plusieurs intervenants : Et alors ?

M. WOZELKA : C'est le fonctionnement normal de l'institution judiciaire, monsieur le député ! Je ne vois pas en quoi vous pouvez trouver quelque chose à critiquer.

M. le Rapporteur : Je n'en étais pas encore à mes conclusions. Je vous sens un peu... Est-ce que cela heurte des principes ?

M. CASTELLANA : Cela heurte des principes. On a le secret du délibéré.

M. le Rapporteur : Vous êtes un très bon avocat...

M. CASTELLANA : Et nul ne plaide par procureur.

M. le Rapporteur : Vous êtes un très bon avocat, mais je voudrais entendre vos clients.

M. CASTELLANA : Cela heurte des principes de séparation des pouvoirs. Vous êtes une commission d'enquête...

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui heurte la séparation des pouvoirs ?

M. CASTELLANA : Vous demandez éventuellement les motivations du magistrat.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui heurte la séparation des pouvoirs ? Je n'ai pas bien compris.

M. CASTELLANA : Le fait que vous demandiez des justifications à des magistrats sur leur comportement. Pourquoi ont-ils pris telle décision et pourquoi le parquet en a-t-il pris une autre ?

Je vous renvoie aux textes. Regardez le jugement, les motivations du tribunal, les motivations du parquet et sa cause d'appel. Je vous répète que les tribunaux de commerce sont des juridictions du premier degré. Le système juridique français est à trois niveaux. Il y a une cour d'appel pour sanctionner éventuellement et au-dessus, il y a une Cour de cassation.

J'ai connu des parquets qui faisaient des réquisitions dans un sens à l'audience et qui ensuite faisaient appel. Cela peut aussi être surprenant. Quoi qu'il en soit, le parquet prend des réquisitions, fait appel d'une décision. Ce n'est pas pour autant que le parquet a raison et que le tribunal a tort.

M. le Rapporteur : Je ne saisis pas votre allusion sur la violation de la séparation des pouvoirs.

M. CASTELLANA : Je voudrais qu'on ne demande pas aux magistrats de s'expliquer sur leurs motivations profondes. C'est l'imperium du tribunal. Il vous suffit de lire la décision qu'ils ont rendue. Si elle est claire, vous devez comprendre pourquoi elle a été rendue.

M. le Rapporteur : Il y a deux problèmes. Notre seule limite, dans le cadre des commissions d'enquête - nous tenons l'ensemble des textes régissant les commissions d'enquêtes parlementaires à votre disposition - est le secret de l'instruction en cours. Même dans une enquête préliminaire, nous sommes fondés à aller poser des questions au parquet ou à la police. Tout document du service public, quel qu'il soit, et toute audition sont possibles.

M. WOZELKA : Nous n'avons pas de compte à rendre sur le secret de notre délibéré. Le délibéré du tribunal reste un secret que nous avons prêté serment de préserver.

M. le Rapporteur : Je n'en étais pas encore à poser des questions sur vos délibérés. D'autant qu'en l'espèce, le délibéré en question était une ordonnance prise par un juge qui a médité seul avec sa conscience, à savoir Mme Sinelle, et qui a rendu seul une décision qui, malgré la chance que vous avez d'avoir le parquet à votre chevet, ne semble pas avoir influencé la décision de Mme Sinelle. Le parquet s'est violemment opposé dans une affaire - j'en venais à cela lorsque j'ai été interrompu, car on me pose des questions plutôt que de me les laisser poser - dans laquelle, curieusement, j'ai noté que l'un des justiciables qui avait fait une offre était un commissaire de police. Cela a attiré notre attention.

C'était d'ailleurs l'un des arguments de l'une des parties, argument qui semble avoir été repris par le parquet. Quelle est votre position, Madame le juge-commissaire ?

Mme SINELLE : Il faut que je me remémore. Vous répondre ainsi...

M. le Rapporteur : Si vous le souhaitez, je vous donne le dossier et nous nous revoyons cet après-midi.

M. FLASSEUR : Monsieur le député, il faudrait nous indiquer la liste des personnes qui ne doivent pas faire offre. Je ne vois pas en quoi un commissaire de police ne pourrait pas ...

M. le Rapporteur : Vous avez raison, tout est possible. Surtout quand le parquet s'étonne qu'un commissaire de police soit associé dans une affaire et fasse une offre, quand le juge-commissaire lui donne la préférence et quand le parquet fait opposition contre la décision du juge-commissaire, quand le tribunal écarte les arguments du parquet qui est obligé de faire appel devant la cour d'appel pour faire entendre son point de vue !

M. FLASSEUR : La décision de la cour d'appel est-elle pendante ?

M. le Rapporteur : Elle est pendante.

M. FLASSEUR : Alors, attendez la suite de la procédure !

M. le Rapporteur : Vous trouvez cela normal ? Je n'ai pas l'impression que vous collaboriez avec le parquet, malgré toute la chance dont vous vous prévalez qu'il soit à vos côtés. Voilà ma question.

M. FLASSEUR : Vous verrez les représentants du parquet cet après-midi. Je ne pense pas que le parquet puisse dire qu'en ce moment, on n'ait pas de bonnes relations avec lui. C'est vrai qu'il prend des réquisitions. C'est vrai que c'est l'une des parties du procès, mais nous sommes contents de l'avoir à nos côtés. Il a des éléments d'information que nous n'avons pas dans nos dossiers.

M. le Rapporteur : Alors, écoutez-le quand il vous dit quelque chose !

Un intervenant : On n'est pas obligé !

M. le Rapporteur : Vous n'êtes pas obligé.

M. CASTELLANA : Attendez, on motive. Il faut lire comment la décision est faite. Plutôt que de « bavasser », il vaut mieux lire la décision et les motivations du tribunal.

M. le Rapporteur : La commission ne « bavasse » pas et nous avons lu la décision !

M. FLASSEUR : Monsieur le député, il est quand même logique qu'à un certain moment, on puisse avoir un avis différent du parquet compte tenu même des informations qu'il nous a données. Autrement, il vaut mieux qu'il n'y ait plus de tribunal et que le parquet décide de tout.

M. Jacky DARNE : J'aimerais revenir sur un dossier et sur la question des honoraires. J'ai vu un dossier « rue Fossalotti », le juge-commissaire étant M. Garnier.

Plusieurs intervenants : Il n'est plus là.

M. Jacky DARNE : C'est un jugement du 12 février 1996. Me Grossetti était désigné comme liquidateur. Il s'agissait d'un bar. Notre interrogation rejoint la vôtre, d'après ce que vous avez dit tout à l'heure, sur les honoraires. Ce dossier montre que cette affaire est minuscule. On n'a rien trouvé dans l'actif, si ce n'est la vente des éléments incorporels. L'opération de liquidation a consisté à vendre les éléments incorporels pour 100. 000 francs.

L'actif en cause est de 100. 000 francs. Il y a eu une dispense de certification de créances. Les créanciers chirographaires et privilégiés n'ont pas demandé de travail de vérification. L'avocat pour le débiteur était, au départ, Me Rosio. Sur une telle affaire, les honoraires se sont élevés pour le liquidateur à 26.950 francs. C'est une note du 10 novembre 1996 qui n'a entraîné aucun commentaire. Il faut rapporter l'importance de ce montant à un nombre d'opérations qui, je vous assure, est modeste. C'est le problème de la tarification sans doute, mais aussi peut-être de la vérification qui est en cause. Le coût de la procédure est très important : 26.000 francs pour un actif de 100.000 francs.

Comme point secondaire, j'ai trouvé deux ou trois demandes d'honoraires par ordonnances de Me Grossetti, validées par le juge-commissaire: l'une de Me Grossetti, l'une d'un avoué et l'autre de validation d'une note d'honoraires au profit de Me Rosio.

Voyez mon étonnement sur un dossier banal- il y en a quantité et ils sont la majorité - on s'aperçoit que l'avocat du débiteur devient ensuite l'avocat du liquidateur. C'est difficile à comprendre ! Comment le tribunal peut-il donner l'autorisation à Me Grossetti sur sa requête de payer 2.412 francs à l'avocat qui était au départ celui du débiteur ?

D'un point de vue déontologique, cela pose question. Ce n'est pas très heureux, pour le moins. Ces factures d'honoraires sont signées par le juge-commissaire, mais leur contenu est absolument anodin.

Ni la requête ni l'ordonnance ou le libellé de la facture ne permettent de savoir de quoi il s'agit.

La requête est ainsi rédigée : « À l'honneur de vous exposer que Me Rosio vous fait parvenir sa note de frais d'honoraires d'un montant de 2.412 francs suite à ses interventions dans le dossier ». De quelles interventions s'agit-il ? On n'en sait rien du tout. L'ordonnance figure en quatre lignes: « Nous, Jean Abran, président du tribunal, vu la requête du (...) vu la note de frais, ordonnons à Me Jean-Pierre Grossetti es qualité de procéder à son règlement pour le montant demandé ».

Des dossiers comme ceux-ci, conduisent à conclure que les outils de contrôle et d'appréciation du juge-commissaire semblent légers. Peut-être y a-t-il des communications téléphoniques ou des échanges, mais pour des sommes de ce montant, ce n'est pas sûr. Compte tenu du nombre d'affaires, le plus probable est que cela se traduit par une validation. Là, ce sont 2.000 francs qui étaient demandés.

Les procédures de contrôle vous paraissent-elles fonctionner ? Cela vous paraît-il normal d'avoir le même avocat, de ne pas avoir de motivation des factures ? Est-ce même conforme à la législation commerciale actuelle ? Peut-on valider ces pratiques ? C'est une question posée à propos d'un dossier, sans esprit de polémique.

M. FLASSEUR : Vous avez fait allusion à un avoué. Il y a donc eu appel. C'est sans doute pourquoi Me Rosio apparaît avant et après, car la procédure était engagée avant. C'est la continuation d'une procédure.

M. Jacky DARNE : Est-ce normal qu'il soit le débiteur ?

M. FLASSEUR : Cela ne me choque pas, parce qu'il a la connaissance du dossier. C'est la continuation du dossier qu'il a introduit. Je ne vois pas où est la difficulté en l'occurrence.

M. Jacky DARNE : J'ai l'impression qu'une des difficultés d'interprétation est la suivante : l'unicité du dossier ne me paraît pas exister. Cela n'a rien d'accusatoire. On a un dossier qui est le dossier du tribunal, du greffe en l'occurrence.

J'ai l'impression, et vous l'évoquiez tout à l'heure, que des éléments du dossier sont gérés par vous parce qu'il y a des notes manuscrites, des échanges téléphoniques, des documents qui sont votre propre réflexion. Ce sont des éléments de dossier personnel qui ne sont pas joints au dossier.

Enfin, il y a le dossier du liquidateur ou de l'administrateur qui est un autre sous-ensemble et dont il ne transmet pas forcément la totalité des documents. Il est difficile d'avoir une vision globale de la procédure.

M. LAMBERT : Il faudrait aussi ajouter le dossier de la cour d'appel.

M. Jacky DARNE : Je le mets de côté. En droit français, il est normal que le dossier d'appel soit géré par la cour d'appel.

Mais la procédure a-t-elle une unicité chez vous. ?

M. WOZELKA : Il est incontestable que le dossier le plus complet est celui du représentant des créanciers. Il est impliqué dans la procédure depuis l'origine jusqu'à la fin et il a tous les éléments.

M. FLASSEUR : Pour parler du fonctionnement du tribunal, il faut savoir qu'on signe ces ordonnances en principe le mardi après-midi, en présence du représentant des créanciers. À ce moment-là, il nous apporte toutes les réponses aux questions qu'on lui pose.

M. Jacky DARNE : On aurait peut-être intérêt, du point de vue formel, à avoir un objet sur une facture. Imaginez que vous envoyiez de telles factures à vos clients. Ils vous les renverraient.

M. WOZELKA : Nous avons quelquefois une pile d'ordonnances le mardi après-midi. Nous appelons le représentant des créanciers pour lui demander à quoi correspond telle facture d'honoraires. Il nous répond que cela correspond à telle procédure devant la cour d'appel. Le document n'est pas retapé ; nous le signons en nous étant assurés de son bien-fondé.

M. le Rapporteur : Merci de votre patience et de votre tolérance.

M. CASTELLANA : Un mot pour faire amende honorable. J'espère ne pas avoir contribué à envenimer les relations.

M. Robert GAIA : Un petit peu.

M. CASTELLANA : Je m'explique. Les magistrats consulaires passent beaucoup de temps à l'exercice de fonctions bénévoles. Ils ont l'impression - c'est peut-être l'aspect formel - d'être aujourd'hui obligés de donner des justifications devant des journalistes. Cela leur fait quelque chose. C'est en tout cas mon point de vue.

Admis à prendre connaissance du compte-rendu de son audition, conformément à l'article 142 du Règlement de l'Assemblée nationale, M. Flasseur a présenté les observations suivantes :

Observations sur la méthode d'investigation de la commission d'enquête

Bien que j'aie complètement conscience que la Commission d'Enquête Parlementaire a toutes facultés, en application de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et des lois du 19 juillet 1977 et du 20 juillet 1991, pour conduire souverainement ses travaux en procédant notamment aux auditions qu'elle juge nécessaires et en organisant la publicité de ces auditions selon les moyens de son choix, il n'en reste pas moins que ces auditions ne doivent avoir, dans le cas présent, qu'un objectif, celui de s'informer sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce.

Or, la méthode d'investigation de la Commission consistant à sortir moins d'une dizaine de dossiers sur lesquels l'attention de la Commission d'Enquête a été au préalable attirée pour essayer de démontrer, en présence de la presse, sans respecter le contradictoire puisque nous n'avions pas accès à ces dossiers, les dysfonctionnements de notre institution consulaire, nous paraît être une démarche ni objective, ni scientifique, pour se rendre compte de « l'état des lieux », mais s'apparente beaucoup plus à une instruction inquisitoriale.

Du reste, dès le début de notre réunion, lors de son interview à la presse, M. Arnaud Montebourg, avant même de nous avoir entendus, a situé les débats sur le mode accusatoire : aussi, la Commission d'Enquête ne doit-elle pas s'étonner d'avoir eu en face d'elle des magistrats sur la défensive.

J'aurais, pour ma part, souhaité une réunion constructive où les vrais problèmes auraient été abordés, alors que nous avons eu l'impression de n'être là que pour justifier aux yeux de la presse, par nos réponses nécessairement évasives compte tenu que nous n'avions pas accès aux dossiers, de la méconnaissance que nous en avions et par delà, apporter la fausse démonstration souhaitée par Monsieur le Rapporteur, du faible contrôle que nous exercions sur les mandataires de justice, qui sont selon lui, les véritables « patrons » des procédures.

Audition de M. Jean ABRAN, ancien président du tribunal de commerce de Toulon assisté de M. CASTELLANA, représentant la Conférence générale des tribunaux de commerce.

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai à Toulon)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Abran est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Abran prête serment.

M. le Rapporteur : Nous avons entendu, ce matin, les magistrats qui avaient le plus de responsabilités dans le travail juridictionnel du tribunal de commerce de Toulon. Nous avons soulevé un certain nombre de problèmes.

Nous avons eu une séance fort instructive sur les conditions dans lesquelles les magistrats exercent au quotidien leur mission en liaison avec le parquet et les partenaires de la justice, c'est-à-dire essentiellement les mandataires de justice. Nous avons plusieurs questions à vous poser puisque vous avez été, pendant des années, l'âme, le pilier du tribunal de commerce de Toulon. Je crois que vous êtes resté plus de dix ans président, n'est-ce pas ?

M. Jean ABRAN : Douze ans.

M. le Rapporteur : Votre nom a été évoqué par certains de vos collègues qui ont fait allusion à votre conception du travail juridictionnel. Nous avons plusieurs questions à vous poser.

M. Jacky DARNE : Monsieur Abran, on ne peut pas omettre ce qui s'est passé il y a peu de temps vous concernant et en particulier, la décision de la Cour des comptes, sur la gestion de fait des deniers de l'État qui vous a été reprochée et pour laquelle vous avez été sanctionné.

M. Jean ABRAN : Je n'ai pas été sanctionné. J'ai refusé simplement la gestion de fait. J'ai donné, à la Cour des comptes, toute la comptabilité que j'avais.

M. Jacky DARNE : J'aimerais revenir sur ce point, pour deux raisons. La première concerne les conséquences que peuvent avoir ou qu'ont eues les modes de financement des tribunaux de commerce sur l'indépendance des magistrats ? Y a-t-il ou non des incidences ?

Je lis le premier attendu de la Cour des comptes : « attendu en premier lieu qu'il résulte de l'instruction que, postérieurement au transfert des charges des juridictions judiciaires à l'État par la loi du 7 janvier 1983 entrée en vigueur le 1er janvier 1987, des concours financiers ont été versés par la chambre de commerce et d'industrie du Var et par des collectivités territoriales du ressort du tribunal de commerce de Toulon et par d'autres organismes, sur un compte bancaire ouvert au nom du président de ce tribunal au Crédit municipal de Toulon. »

Le fait qu'un tribunal fonctionne avec des financements, émanant en particulier de la chambre de commerce, - cela a peut-être moins de conséquences lorsqu'ils proviennent des collectivités locales bien que l'on puisse s'interroger sur ce point - et par d'autres organismes qui ne sont pas indiqués ici (il serait intéressant de savoir ce que cela recouvrait et quels sont ces autres organismes) ne conduit-il pas certains à penser que le tribunal, de ce fait, peut être amené à ne pas juger en toute indépendance ? On ne peut pas dire que celui qui paye a un pouvoir naturellement, mais il a toujours le pouvoir d'arrêter son financement. On peut donc considérer qu'il y a un lien de dépendance.

Quant à ma seconde question, elle tend à ce que vous nous expliquiez ce qui vous a conduit à la création d'une association et à cette gestion parapublique du fonctionnement du tribunal de commerce par une association loi 1901 ? Les sommes financées ainsi étaient très supérieures au financement budgétaire. Il est important de comprendre le mécanisme pour en tirer, non pas un enseignement général, mais pour comprendre les difficultés et les modalités de fonctionnement de la justice commerciale.

L'objet de notre commission est de faire un rapport qui peut conduire à une évolution législative. Nous l'espérons. C'est pourquoi il est important de savoir les forces et les faiblesses de ce qui existe aujourd'hui ou de ce qui a existé récemment.

M. Jean ABRAN : Les financements ont commencé à partir de 1986, après 88 en réalité. J'ai été président à partir du 1er janvier 1986 jusqu'en novembre 1997. Le financement était fait par la chambre de commerce et le conseil général. Il n'y a eu aucun autre versement que ceux de la chambre de commerce et du conseil général. La Cour des comptes a cette comptabilité. Il est vrai qu'avant, je ne sais pas d'où provenaient les fonds. Quand mon prédécesseur est parti, on m'a dit : voilà, il y a un chéquier du président. C'est tout ce que je sais.

Par la suite, j'ai demandé des fonds aux deux organismes, le conseil général et la chambre de commerce, qui ont accepté de nous aider.

Le président avait le droit de bénéficier, pour les voyages qu'il faisait à Paris ou ailleurs, d'un remboursement de ses frais. C'est tout. Je ne vois pas... Aucun organisme ne m'a.., ne nous a donné de l'argent.

M. Jacky DARNE : Comment se passaient les négociations avec la chambre de commerce ? Le montant était-il révisé annuellement ? Faisait-il l'objet d'une discussion ?

M. Jean ABRAN : Ils nous réunissaient de temps en temps à la chambre de commerce pour connaître nos provisions pour l'année. C'était toujours le même processus. Je vais à Paris trois fois par an, dix fois à Marseille, etc. On faisait ainsi, de même qu'avec le conseil général. Quoique le conseil général ne nous réunissait pas et nous demandait simplement un bilan.

M. Jacky DARNE : Comment fonctionnait l'association ? Qui la composait ? Comment approuvait-elle les comptes ? Qui assumait la responsabilité de président, de trésorier et comment se tenait l'assemblée générale ? Quel était le fonctionnement ?

M. Jean ABRAN : L'association n'était pas gérée comme elle aurait dû l'être. Elle n'avait pas respecté les formes. Je l'ai d'ailleurs fait tout seul.

L'association a été créée par mon secrétaire de l'époque qui était Maître Doucède. Nous avons fait ensemble l'association. Toutes les années, on faisait un petit compte rendu. Un secrétaire était désigné et un trésorier. En réunion, je leur disais que nous avions telle somme d'argent. On ne me demandait pas de comptes.

M. Jacky DARNE : Pour un président de tribunal de commerce, averti de la gestion et du droit, cela ne vous a-t-il pas posé de problème de devoir faire fonctionner le tribunal par ces financements.. ? Quand vous parlez des déplacements et des frais, les sommes indiquées dans le document de la Cour des comptes sont trois fois supérieures au montant géré.

M. Jean ABRAN : Il y a eu des erreurs de la Cour des comptes. Mais nous en parlerons plus tard car nous allons sûrement aller devant le tribunal administratif. C'est à voir.

M. Jacky DARNE : Ce que vous financiez avec l'association, était-ce essentiellement les frais de déplacement ?

M. Jean ABRAN : Les frais de déplacement, les invitations des membres du parquet et du TGI que je faisais.

M. Jacky DARNE : À combien estimiez-vous le budget annuel ?

M. Jean ABRAN : Je ne m'en souviens plus. Vous m'en demandez trop. Vous savez que j'ai quitté le tribunal en raison d'un cancer de la prostate. Aujourd'hui, cela va mieux ; touchons du bois. Peut-être le stress, peut-être l'époque, mais en attendant, cela va mieux. Autrement, je ne me souviens pas des chiffres ; j'ai tout envoyé.

M. Robert GAÏA : Monsieur le président, je ne mets pas en cause votre bonne foi. Avez-vous eu connaissance d'une circulaire de la Chancellerie du 26 mai 1993, soulevant le problème de ces associations ? Elle a été envoyée à tous les présidents de tribunal de commerce et présidents de cour d'appel.

M. Jean ABRAN : On ne l'a pas eu en 1993. Je ne me souviens pas de la date mais effectivement, moi, je l'ai su en mars 1996.

M. Robert GAIA : Cette circulaire avait été adressée à tous les présidents de tribunal de commerce. En avez-vous eu connaissance ?

M. Jean ABRAN : J'en ai pris connaissance en 1996...

M. Robert GAIA : Au moment où il y a eu...

M. Jean ABRAN : ...où on nous avait réunis à Paris et où le directeur adjoint, M. Lemaire, nous avait expliqué comment il fallait faire.

M. Robert GAIA : En 1993, vous n'avez donc pas reçu la circulaire de la Chancellerie qui vous était adressée et la cour d'appel ne vous a rien envoyé ?

M. Jean ABRAN : Et jamais personne ne nous a dit comment il fallait faire, même la cour d'appel ! Lors de la dernière réunion que nous avons eue avec la cour d'appel, en mars ou avril 1997, elle ne savait pas comment faire pour le fonds de concours. La preuve en est que je me suis disputé avec le président de la cour d'appel en lui disant qu'il m'avait volé le fonds de concours. Effectivement, il nous avait volé 80.000 francs. Cela fait partie d'un fonds de concours. C'était pour nous aider.

M. Robert GAIA : Le trésorier de l'association était le greffier du tribunal ?

M. Jean ABRAN : Non, jusqu'en 1992 ou 1993, cela a été lui. Il s'occupait de tout. En 1994, -les dates, je ne m'en souviens pas- il y avait un juge comme secrétaire et un autre juge comme trésorier.

M. Robert GAIA : C'était donc avant M. Doucède.

M. Jean ABRAN : Moi, j'ai commencé avec M. Doucède.

M. Jacky DARNE : Merci pour vos réponses à cette première partie de notre entretien. J'aimerais revenir sur un sujet que nous avons déjà évoqué ce matin avec le président actuel et les juges, celui des relations entretenues par le président et les juges du tribunal avec les partenaires de la justice, en particulier les mandataires, et, à la lumière de votre longue expérience, j'aimerais avoir votre opinion sur ces relations, la capacité de maîtriser notamment le déroulement des procédures collectives, la façon dont se passent ces procédures et les contrôles.

J'ai examiné rapidement et sommairement quelques dossiers. Je ne sais pas si vous vous souvenez de celui-ci. C'est une petite affaire qui m'a paru intéressante. Vous étiez président et non pas juge-commissaire. Il s'agit d'un dossier concernant Mme Tamaro Martine. C'est un bar qu'on appelait aussi « Chez Nicole ».

M. Jean ABRAN : Non, je ne m'en souviens pas.

M. Jacky DARNE : Dans ce dossier comme dans d'autres, sans l'évoquer précisément, il apparaît dans certains cas que des décisions sont prises par les liquidateurs ou mandataires sans qu'on ait l'impression, à la lecture du dossier, que le juge-commissaire ait assuré le suivi effectif du dossier. Mon impression en parcourant les dossiers est que le juge-commissaire intervient lorsque le liquidateur ou l'administrateur sollicite le juge-commissaire par une requête : le juge prend alors une ordonnance. Mais dans les autres cas, j'ai l'impression que, si le mandataire ou le liquidateur ne se manifeste pas, il y a plutôt une relative absence du juge-commissaire qui ne relance pas l'affaire.

Dans l'affaire précitée -il s'agit d'une cession de licence- l'intervention du liquidateur, apparaît ; mais pour le juge-commissaire... À cette époque, c'était M. Michel.

M. Jean ABRAN : Il est toujours en fonction. Il est président de chambre.

M. Jacky DARNE : D'une façon générale, pouvez-vous nous dire comment vous voyez ces relations ? En quoi les relations de cordialité avec les administrateurs ou liquidateurs favorisent une issue favorable des procédures et n'influent-elles pas sur les décisions ou les arbitrages ? Comment gériez-vous cela pendant l'attribution des affaires ? Nous avons appris ce matin qu'avant cette année, il y avait seulement quatre mandataires. Comment les affaires étaient-elles attribuées à ces mandataires ? Y avait-il un tour de rôle ?

M. Jean ABRAN : J'avais un planning avec les noms de tous les mandataires. Peut être est-il là encore ; je ne me souviens pas. Chaque fois que je donnais une affaire que, par ailleurs, je ne connaissais pas, je pouvais la donner à n'importe qui ; je ne pouvais pas la donner à un étranger au Var, c'est vrai. Ils étaient quatre dans le Var. C'était la moindre des choses de la donner à l'un des quatre. Je mentionnais chaque fois le nom d'un mandataire. Comme pour le juge-commissaire, je ne choisissais pas un juge, je choisissais au fur et à mesure de mon planning.

M. Robert GAIA : Quelle que soit la nature des affaires ? Il n'y avait pas de spécialisation ?

M. Jean ABRAN : Je ne connaissais pas l'affaire. Je ne savais pas si elle était rentable ou pas pour le mandataire, s'il y avait de l'argent ou pas. Je cochais simplement et je donnais au juge en suivant l'ordre.

M. Robert GAIA : Par exemple, il y a des mandataires plus spécialisés dans les brasseries, d'autres dans l'industriel, etc.

M. Jean ABRAN : Il n'y a pas de spécialité. Nous sommes un petit tribunal. A Marseille, oui, il y a beaucoup de spécialités.

M. Robert GAIA : Et beaucoup d'affaires.

M. Jean ABRAN : Il y a 180 000 personnes à Toulon. On se connaît tous. On se connaissait avant. Certains, même, étaient sur les mêmes bancs d'école. Chacun ensuite est allé de son côté, a pris sa direction. Les mandataires ont été mandataires. L'immobilier, le comptable, chacun a pris sa direction. Après, tout le monde se connaissait.

Vous vendez des chemises ou des cacahuètes, vous avez un ami qui arrive. Faut-il vendre à cet ami ou pas ? Je ne sais pas. C'est moi ensuite qui ait choisi les administrateurs. On n'en avait pas. Je les ai fait venir. J'ai fait venir de Marseille Maître Nespoulous et ensuite Maître Ezavin de Nice. Comment fallait-il faire ? Je me suis aperçu qu'avec un administrateur, les choses étaient mieux faites qu'avec un mandataire, c'est vrai.

M. Robert GAIA : Pourquoi ?

M. Jean ABRAN : Parce que l'administrateur s'y attache davantage. Je ne parle pas des questions d'argent. Pour les affaires, les administrateurs sont très bien. Il faudrait les nommer plus souvent ; je le reconnais.

M. le Rapporteur : Dans la vingtaine de dossiers que nous avons consultés -ce n'était pas seulement sous votre mandature- nous avons vu que les administrateurs étaient rarement sollicités.

Cela donne un rôle très important au liquidateur même lorsqu'il y a redressement. Le liquidateur représentant des créanciers est l'interlocuteur qui fait le lien entre débiteur, créanciers et tribunal.

Ma première observation porte sur le constat que nous faisons : l'administrateur est peu utilisé alors qu'il est le chef d'entreprise de secours, la prothèse. Lorsqu'on décide de redresser une affaire, même si elle a peu de salariés, il est parfois nécessaire d'assister le débiteur.

Ma deuxième observation est liée à la remarque que vous faisiez en disant : « La moindre des choses est de donner aux quatre du Var ». Pour quelles raisons ? Vous auriez pu choisir d'autres mandataires ?

M. Jean ABRAN : Je n'allais pas en faire venir d'autres. Il y en avait assez avec quatre dans le Var. La seule raison était là. Pourquoi ne désignait-on pas d'administrateurs ? Les affaires étaient parfois tellement petites qu'il n'était pas nécessaire de désigner un administrateur. Quant au mandataire de justice, il était liquidateur. Je ne peux pas demander à un administrateur d'être liquidateur.

M. le Rapporteur :  C'est vrai. Cependant, n'avez-vous pas l'impression de parfois désigner le mandataire plus que nécessaire notamment pour des opérations de cession, qui sont une forme de continuation d'activité puisque les cessions reprennent les contrats de travail. On est un peu surpris qu'on ne fasse pas assez appel à l'administrateur qui pourrait servir de catalyseur. Finalement, c'est le mandataire-liquidateur dont le métier est de liquider qui s'occupe bien souvent de liquider.

M. Jean ABRAN : C'est son rôle d'ailleurs, quand il n'y a pas moyen de redresser la barre. Dieu sait si aujourd'hui encore, je rencontre des personnes, des chefs d'entreprise en difficulté, sur le boulevard. Ils traversent la rue pour venir me serrer la main en me remerciant. L'un d'entre eux m'a même embrassé la main !

On a fait le maximum pour sauver les entreprises.

Par exemple, quand il y avait un règlement amiable, seul le président le savait. Je ne le disais à personne. Je convoquais etc... Je donnais cette tâche à un mandataire de justice. Il est vrai que j'aurais pu la donner à un administrateur. Mais on avait peur des frais supplémentaires etc. Je leur disais simplement : si vous ne réussissez pas dans le règlement amiable, par la suite, vous n'aurez pas cette affaire. Cela ne s'est donc jamais trouvé. Vous pouvez me reprocher tout ce que vous voulez ou ce que vous pouvez, mais pas cela.

M. Jacky DARNE : Je souhaite revenir sur la dernière partie de votre intervention. Vous avez dit : « Notre souhait est le redressement des entreprises » et vous avez parlé du règlement amiable. Il me semble qu'un des points faibles du fonctionnement des tribunaux de commerce est justement la prévention. S'agissant du règlement amiable, j'ai demandé, ce matin, au greffier combien il y avait eu de procédures de règlement amiable en 1997. Vous étiez donc encore en partie en place.

M. Jean ABRAN : Jusqu'au 1er novembre.

M. Jacky DARNE : Cela pouvait concerner les années précédentes. Il m'a dit qu'il n'y avait presque pas de règlements amiables et m'a cité le chiffre de quatre ou cinq. La deuxième série de procédures existant en matière de prévention est celle du droit d'alerte. Qu'il soit diligenté par le commissaire aux comptes, par les salariés ou vous-même, ce sont des procédures qui existent.

J'aimerais que vous me disiez, pour les dernières années, comment vous agissiez en la matière et quels sont les freins à une augmentation de ces procédures amiables.

Pour être complet, vous avez dit que vous vous connaissiez tous parce que vous étiez sur les mêmes bancs de l'école, ce que je conçois fort bien ; cela ne rend-il pas plus difficiles les interventions au stade de la prévention ? En effet, prendre l'initiative quand on est président, de dire à une entreprise qu'elle soit petite, moyenne ou grosse, qu'il y a difficulté et qu'il faudrait venir en parler car l'entreprise est en péril, est une action qui, sans être offensante, peut être très mal jugée par la personne que vous connaissez et à qui vous vous adressez.

Quelle était votre pratique ? Quel est votre jugement sur les procédures existantes et sur les dysfonctionnements que vous constatez dans les procédures du droit d'alerte et du règlement amiable ? Enfin le mode même de fonctionnement des tribunaux de commerce, l'origine des juges, n'est-il pas un frein au développement des procédures de prévention ?

M. Jean ABRAN : Votre question est longue. Je vais essayer d'y répondre. Pour les procédures d'alerte, ce sont surtout les commissaires aux comptes qui nous prévenaient.

M. Jacky DARNE : Combien ont été signalées par des commissaires aux comptes au cours des trois dernières années de votre activité ?

M. Jean ABRAN : Une dizaine à peu près. Dans ce cas-là, on demandait aux commissaires aux comptes de nous montrer la comptabilité d'une entreprise. Parfois cela s'arrangeait en cours d'année car le chef d'entreprise vendait un de ses biens. Il arrivait alors à s'en sortir. On en était heureux pour l'entreprise, pour l'emploi.

Si on avait voulu le faire, à Toulon, on aurait pu matraquer toutes les entreprises, et tout le monde serait au chômage. Il n'y aurait plus un commerce. On a fait le maximum pour l'éviter.

M. Jacky DARNE : En dehors des commissaires aux comptes, avez-vous pris l'initiative du droit d'alerte, qui est ouvert au président, une fois au cours de vos fonctions ?

M. Jean ABRAN : Non, jamais.

M. Jacky DARNE : Vous ne l'avez jamais fait. Vous deviez pourtant connaître des entreprises qui n'allaient pas très bien ?

M. Jean ABRAN : Très peu. J'ai eu une entreprise et quand je l'ai quittée, on était 80. Avant on était 115. En 1982-83, on faisait 40 millions de francs de chiffre d'affaires. On travaillait en France et à l'étranger. C'est pourquoi je n'ai pas accepté de présidence avant. Quand j'ai accepté d'être président, j'ai vendu l'affaire. J'ai pris la décision. Comme on m'avait demandé d'être président, je ne voulais plus courir et faire 70 000 kilomètres par an en voiture pour rencontrer la clientèle et les représentants. Je ne pouvais pas faire les deux. En tant que président, j'étais cinq jours par semaine au palais.

M. Jacky DARNE : Comment gagniez-vous votre vie ?

M. Jean ABRAN : J'étais retraité. J'ai 76 ans.

M. Jacky DARNE : Toujours à propos du droit d'alerte, des comités d'entreprises ou d'autres tiers vous ont-ils envoyé des courriers en attirant votre attention sur les difficultés de certaines entreprises ?

M. Jean ABRAN : Non. Aucun salarié.

M. Jacky DARNE : S'agissant du droit d'alerte, il y avait donc peu de cas, pas d'initiative de votre part ou des tiers, seulement des commissaires aux comptes...

M. Jean ABRAN : C'est arrivé que ce soit le chef d'entreprise lui-même.

M. Jacky DARNE : Combien de fois ?

M. Jean ABRAN : Quelquefois ; deux ou trois sur les dix cas en trois ans que j'ai évoqués. Cependant, ceux qui venaient me demander conseil étaient plus nombreux, au moins cinq ou six par semaine. Je téléphonai à la Banque de France, au directeur que je connaissais bien. On n'était pas sur les mêmes bancs de l'école, c'est vrai, mais enfin, on se connaissait bien tout de même.

M. Jacky DARNE : Il y avait des conseils informels. Les procédures de prévention, par rapport au nombre de liquidations étaient en nombre infime. Cela montre une certaine inefficacité de la procédure.

S'agissant du règlement amiable, combien y en avait-il ? Comment se passaient-ils ? Désigniez-vous des conciliateurs ?

M. Jean ABRAN : Les comptabilités ne permettant pas de connaître la situation réelle, je désignais souvent un comptable.

M. Jacky DARNE : Preniez-vous n'importe quel comptable ou un expert sur la liste ?

M. Jean ABRAN : N'importe quel comptable. En principe, un expert sur la liste ! N'importe lequel ; il me faisait un rapport pour savoir si on pouvait sauver ou pas l'entreprise. Car on ne me disait pas la vérité. Souvent, on s'aperçoit quand on gratte bien, qu'on ne dit jamais la vérité.

M. Jacky DARNE : Sauf vous, président, vous avez juré tout à l'heure.

M. Jean ABRAN : Moi, je dis la vérité. Je dis ce que je pense.

M. le Rapporteur : Tous ceux qui étaient là ce matin n'ont pas dit la vérité ? C'est une boutade !

M. Jacky DARNE : Combien de règlements amiables avez-vous eus au cours des trois dernières années ?

M. Jean ABRAN : Trois ou quatre par an.

M. Jacky DARNE : Chaque fois, vous avez dû nommer un expert extérieur pour vous faire un rapport. Estimez-vous que la procédure a été utile ? Cela a-t-il permis d'éviter les procédures collectives dommageables à l'entreprise ou cela n'a-t-il servi à rien parce que les entreprises étaient déjà de fait en liquidation ?

M. Jean ABRAN : Les quelques affaires que nous avons eues ont toujours réussi, sauf peut-être une sur la quantité et encore ! Je dois dire qu'avant de désigner un expert-comptable, je demandais la somme que l'entreprise devait payer. Pour 8.000 francs, j'acceptais. Pour plus, non.

M. Robert GAIA : Ce matin, votre successeur, M. Flasseur, a dit qu'il n'avait plus qu'une personne assurant son secrétariat, mise à sa disposition par le greffe. Il semblerait que vous aviez un secrétariat plus étoffé. Par qui était-il financé ? Par l'association ?

M. Jean ABRAN : Oui. Il l'était un peu par l'association. Je regrette de le dire mais les greffiers à l'époque -je ne sais pas aujourd'hui ce qu'il en est, peut-être s'est-il étoffé depuis- n'avaient personne. Nous avons été obligés de prendre une secrétaire et une documentaliste pour la jurisprudence, la législation. Les juges ne le faisaient pas. Je n'avais pas le temps de le faire. De plus, je ne suis pas assez féru sur le sujet.

M. Robert GAIA : Jusqu'à l'an dernier, l'aide du greffe était symbolique.

M. Jean ABRAN : Maintenant, le greffe s'en occupe. Auparavant, il ne s'en occupait pas. J'ai renvoyé les deux personnes quand j'ai reçu le décret en mars ou avril 1997.

M. Robert GAIA : Vous n'étiez pas assez aidé par le greffe...

M. Jean ABRAN : Au début, j'ai été secondé par le père de M. Philippe Doucède. L'importance du tribunal a fait que le fils n'a pas voulu poursuivre ce que faisait son père. Par conséquent, j'ai été obligé de m'organiser...

M. Robert GAIA : Pourtant c'est une belle affaire, ce greffe de Toulon. Vu son prix d'achat.

M. Jean ABRAN : Je ne connais pas l'affaire du greffe.

M. Robert GAIA : On va parler des mandataires. Je voudrais connaître vos relations avec le parquet, les moyens de les améliorer...

M. Jean ABRAN : Quand l'adjoint du parquet, M. Raffin, est arrivé, il m'a dit : « Maintenant je serai avec vous, chaque fois, dans les redressements, dépôts de bilan... Vous faites votre jugement et après je fais appel, si je ne suis pas d'accord ».

M. Robert GAIA : Il n'y avait pas d'interventions préalables du parquet vous disant...

M. Jean ABRAN : Non. Je n'ai jamais d'ailleurs demandé l'autorisation au parquet de faire ceci ou cela. Je suppose qu'il n'aurait pas accepté. Je n'avais pas besoin de le demander. J'ai jugé en mon âme et conscience.

M. le Rapporteur : Combien de juges ont-ils démissionné dans les douze années de votre présidence, en dehors de vous ?

M. Jean ABRAN : Très peu. Un juge a démissionné, M. Flasseur, et il est revenu ensuite.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison ?

M. Jacky DARNE : Il avait exercé pendant quatorze ans ?

M. Jean ABRAN : Oui. C'est exact. Un autre a démissionné depuis que je suis parti parce qu'il a déposé le bilan.

M. le Rapporteur : Combien y en a-t-il eu ?

M. Jean ABRAN : Très peu.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas de souvenirs précis ?

M. Jean ABRAN : Pas du tout. Il faudrait que je revoie la liste des noms.

M. le Rapporteur : Il ne faut pas vous en demander trop. Vous n'êtes plus dans la maison depuis quelques mois. On ne peut donc pas trop vous solliciter.

M. Jean ABRAN : Vous pouvez ; j'ai juré de faire...

M. le Rapporteur : Vous ne pouvez jurer que ce dont vous êtes sûr. Le juge Sébastiat est-il encore au tribunal aujourd'hui ?

M. Jean ABRAN : Non. Il l'a quitté en 1996.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison ?

M. Jean ABRAN : Je ne sais pas.

M. le Rapporteur : Il ne s'est pas représenté. Etait-ce la fin de son mandat ou était-ce une démission ?

M. Jean ABRAN : Il ne s'est pas représenté. Je crois que ses responsabilités professionnels ont augmenté ; au lieu de s'occuper du Var et de Toulon, il a en charge toute la région PACA. Je crois.

M. le Rapporteur : Le juge Sonegou ?

M. Jean ABRAN : Le juge Sonegou avait un problème dans son cabinet d'assurances. Je crois qu'il y a eu le feu. Sa secrétaire avait fait une attestation. À ce moment-là, il a été mis en examen une journée. De rage, il a quitté le tribunal. M. Raffin est au courant d'ailleurs.

M. le Rapporteur :  Oui, il sait beaucoup de choses, M. Raffin...

M. Jean ABRAN : Oui. oh là là ! Peut-être, il dit même des choses qu'il croit savoir.

M. le Rapporteur : On va interroger M. Raffin. On ne va pas abuser de votre temps.

M. Jean ABRAN : Vous savez que j'ai été menacé par les gens du Comité de défense des artisans et commerçants parce que je les ai mis en redressement judiciaire. Je ne peux vous pas dire tout ce qu'ils ont dit à mon répondeur : On va te le mettre, on va faire ceci à ta femme, on va te pendre, etc.. C'est là que j'ai changé mon numéro de téléphone.

M. le Rapporteur : Ils n'ont rien tenté contre vous ?

M. Jean ABRAN : Pas encore. Ils s'imaginaient... C'est le parquet qui m'a dit : que faites-vous de ces affaires sous le coude ? Ce sont des artisans. Que voulez-vous qu'ils fassent ?

M. Jacky DARNE : Il s'agissait d'artisans. Pensez-vous que les juges tels qu'ils sont aujourd'hui, sont représentatifs des toutes petites entreprises ? Les juges des tribunaux de commerce ont-ils la même sensibilité pour les toutes petites entreprises artisanales qui n'ont pas de salariés et pour les entreprises un peu plus importantes, puisque, pour les élections, les artisans ne sont ni électeurs ni éligibles ? N'est-ce pas un inconvénient important ?

M. Jean ABRAN : Non, pas du tout. Nous avons des relations à la chambre des métiers qui nous informe. On essaie de les sauver. J'ai essayé de sauver les trois dont j'ai parlé. En réalité, ils étaient quatre. Par la suite, deux ont déposé le bilan et deux s'en sont sortis. Il n'y a donc pas de problème. L'artisan ne pourrait pas faire le juge. Il manquerait à son travail. Un artisan travaille seul. Il ne peut s'absenter du chantier ou de son commerce.

M. CASTELLANA : À la décharge de M. Abran, concernant les fonds de concours et les associations, je voudrais faire un petit historique...

M. le Rapporteur : Tout l'historique est déjà dans les débats de la commission d'enquête. Il a été fait au plus haut niveau.

M. CASTELLANA : Quant au rapport de la Cour des comptes concernant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le tribunal de Toulon n'est pas seul concerné.

M. le Rapporteur :  Il n'y a pas Menton.

M. CASTELLANA : Ce n'est pas le problème. Incontestablement, le problème de fond a pour origine le fait que les tribunaux n'ayant pas de moyens de fonctionner, se sont constitués en associations. La conférence générale, très tardivement, a donné des instructions, pour indiquer en quoi l'association ne pouvait contribuer à faire fonctionner le tribunal. Cela a été fait très tardivement et le fonds de concours est une technique tout juste rodée. Il y a eu une difficulté pour soumettre les présidents des associations aux règles de la comptabilité publique auxquelles nous sommes assujettis.

M. Robert GAIA : A quelle époque avez-vous commencé à conseiller cela ?

M. CASTELLANA : La conférence a commencé à dire de créer des associations parce que rien n'existait. Vous aviez des comptes ouverts au nom du tribunal. Mais ce n'est pas pour autant que la comptabilité publique nous autorisait à faire fonctionner les tribunaux par ces associations.

Audition de M. Henri BOR, Mme Nicole GROSSETTI et M. Jean-Pierre GROSSETTI, Mmes Mireille MASSIANI et Christine ROUX, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, et de MM. Pierre-Louis EZAVIN et Henri NESPOULOUS, administrateurs judiciaires

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai 1998 à Toulon)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Bor, Mme et M. Grossetti, Mmes  Massiani et Rioux, MM.  Nespoulous et Ezavin sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Bor, Mme et M. Grossetti, Mme Massiani, Mme Rioux, M. Nespoulous et M. Ezavin prêtent serment.

M. le Rapporteur : Nous avons entendu les porte-parole autorisés de chacune des professions concernées qui nous ont dressé un tableau assez équilibré des problèmes professionnels.

Nous avions le désir d'aller sur le terrain. On se plaint beaucoup de vous. Je le dis avec franchise et liberté.

Les questions que nous nous posons relèvent de plusieurs ordres.

La première concerne les relations que vous pouvez entretenir avec le tribunal et les magistrats consulaires et les conflits d'intérêts qui peuvent en résulter.

Une autre question porte sur le niveau de vos revenus dégagés par les procédures et prélevés sur les entreprises en difficulté.

C'est un sujet sur lequel nous devons rappeler que la commission a le sens des nuances. Elle est capable de faire la différence entre les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs. Nous ne mélangerons pas - je le dis aux administrateurs présents - les deux rôles qui nous paraissent différents, même si vous êtes organisés dans une profession unifiée dans un Conseil national, ainsi que par les règles de discipline et les règles de tarification de vos émoluments.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous vous présenter vos fonctions respectives et le ressort dans lequel vous exercez vos mandats.

M. Henri NESPOULOUS : Je suis administrateur judiciaire, essentiellement à Marseille où j'exerce depuis le 1er janvier 1970. Depuis deux ans, j'ai créé un petit cabinet sur Toulon.

M. Henri BOR : Je suis mandataire à Toulon et à Brignoles.

M. le Rapporteur : Deux tribunaux du Var. Exercez-vous dans d'autres tribunaux ? A Draguignan ?

M. Henri BOR : Pour quelques dossiers, mais rarement.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Je suis administrateur judiciaire dans les Alpes-Maritimes et le Var depuis 1980.

Mme Mireille MASSIANI : Je suis mandataire judiciaire à Toulon, Draguignan et Saint-Tropez.

Mme Christine RIOUX : Je suis mandataire judiciaire à Toulon depuis avril 1998.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Je suis mandataire judiciaire à Toulon et à Aix-en-Provence.

Mme Nicole GROSSETTI : Je suis mandataire judiciaire à Toulon depuis 1986.

M. Jacky DARNE : L'une des questions qui intéresse la commission porte sur les moyens dont vous disposez pour exercer votre profession : niveau de qualification, effectifs, adéquation des moyens aux tâches à effectuer. Pouvez-vous en premier lieu nous indiquer combien de dossiers vous avez en charge, que ce soit auprès du tribunal de commerce de Toulon ou globalement auprès de toutes les juridictions qui vous donnent des affaires ? Quelle est la structure de vos cabinets, les compétences dont vous disposez et le niveau de formation du personnel ?

Mme Nicole GROSSETTI : J'ai 580 dossiers à l'heure actuelle, plus deux dossiers au tribunal de commerce de Draguignan. J'emploie dix personnes. S'agissant de leurs qualifications, j'ai Maître Rioux, désignée en qualité de mandataire judiciaire et qui a son examen d'aptitude pour cette fonction. Elle a été auparavant ma stagiaire pendant sept ans. J'ai ensuite, comme stagiaire, un expert-comptable commissaire aux comptes, diplômé depuis l'an dernier, une avocate depuis plus de huit ans qui a démissionné de sa fonction d'avocat pour être stagiaire à mon étude.

J'emploie huit autres personnes, salariées réparties dans divers services : les réalisations d'actifs, la procédure. Toutes ces personnes sont qualifiées, ont des DEUG de comptabilité ou un niveau DEUG en droit. Une seule personne qui a suivi une formation par ailleurs, a son baccalauréat. Ma plus ancienne collaboratrice a démarré avec moi. Elle a dix ans de pratique. Elle a un niveau DEUG de droit.

M. Jacky DARNE : Quel suivi personnel faites-vous des dossiers, compte tenu de leur nombre ? Comment décririez-vous votre fonction ? Est-ce essentiellement une fonction de coordination des activités de votre cabinet ? Sélectionnez-vous les gros dossiers que vous suivez personnellement ? Comment fonctionnez-vous ?

Mme Nicole GROSSETTI : On voit tous les dossiers.

M. Jacky DARNE : Sur les 580 dossiers dont vous parliez, combien sont effectivement vivants ?

Mme Nicole GROSSETTI : À peu près la moitié. On les suit au fur et à mesure et nous les rappelons.

M. le Rapporteur : Maître Grossetti, êtes-vous associé avec votre épouse ?

Mme Nicole GROSSETTI : Pas du tout.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Pas du tout. Nous ne sommes pas associés.

M. le Rapporteur : Vous êtes concurrents ?

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Même pas. Nous n'avons pas de clientèle. Le tribunal nous donne des dossiers. Il peut choisir de les donner à ma femme ou à moi sans que j'aie rien à dire. Pour ma part, j'ai 970 dossiers en cours, ouverts sous le régime de la loi de 1985 et encore quelques dossiers relevant de la loi de 1967 qui perdurent parce que des litiges sont pendants, soit devant la cour d'appel, soit devant la Cour de cassation.

Mon personnel est composé d'un stagiaire qui participe à l'étude de Toulon car j'ai subi divers incidents cardiaques. J'ai subi un triple pontage le 20 janvier.

Outre ce collaborateur qui a un DEA en droit et qui présente l'examen professionnel à la fin de l'année, j'emploie trois diplômés[Bac + 5], c'est-à-dire titulaires d'un DEA ou d'un DESS. Les autres sont des collaborateurs dont le niveau minimum est deux années après le baccalauréat, sauf la standardiste qui a son baccalauréat. L'effectif total est de vingt-deux personnes.

S'agissant de ma fonction, j'exerce dans deux juridictions, à Aix-en-Provence et à Toulon. A Aix-en-Provence, j'ai pris la suite de deux mandataires de justice décédés. J'ai trouvé une étude qui avait près de 800 dossiers et qui était pratiquement en déshérence, comme je l'ai écrit à la chancellerie lors de mon entrée en fonction. Je n'ai pas conservé le personnel en place.

Je n'ai pas pu le faire car le niveau de qualification n'était pas suffisant. J'emploie, comme collaboratrice immédiate, une avocate stagiaire. Elle continue son stage d'avocat chez moi, mais était, il y a cinq ans, ma collaboratrice dans cette étude et l'a quittée pour terminer ses études. Elle a passé depuis un DEA de droit des affaires. Elle est en seconde année de stage d'avocat.

J'emploie aussi deux diplômés de l'enseignement supérieur, titulaires d'un DEA de droit privé. Les autres collaborateurs ont deux années de spécialisation.

M. Jacky DARNE : Je retiens de votre intervention qu'à l'occasion de la reprise du cabinet du liquidateur d'Aix-en-Provence, vous portez un jugement sévère sur la façon dont ont été gérés ces 800 dossiers.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Non. Pas du tout. Du fait que l'un était décédé rapidement et l'autre d'une longue maladie, ces dossiers n'avaient pas toujours été traités avec les possibilités matérielles qu'il y avait. J'ai dû les reprendre.

M. Jacky DARNE : Nous n'avez pu conserver aucune des personnes. Vous constatez que dans un certain nombre de cas, il y a un problème de qualification et de suivi des dossiers. En l'occurrence, il s'agissait de 800 dossiers.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : 600 dossiers. Ce n'est pas une accusation à l'encontre de mon prédécesseur décédé. Il a fait ce qu'il a pu avec les moyens qu'il avait. Il est évident que, suivant la rentabilité des dossiers, une étude démarrant ne pouvait pas employer des collaborateurs d'un haut niveau de qualification. J'ai pu faire mieux parce que j'étais installé depuis quinze ans dans la profession, que j'avais déjà un cabinet qui marchait à Toulon et qui a pu m'apporter une assistance dans le redémarrage de cette étude d'Aix grâce à une trésorerie qui m'a permis d'avancer des sommes pour l'emploi de personnes plus qualifiées.

Pour indiquer un élément à la commission, dans notre métier le fonds de roulement est très important. Nous ne sommes pas des restaurateurs qui achetons le matin au marché pour revendre dans la journée. Nous mettons parfois jusqu'à trois ans pour encaisser nos honoraires.

S'agissant de l'étude d'Aix-en-Provence, j'avais chiffré, à l'époque de la reprise, le fonds de roulement à 800 000 francs, qu'il fallait avancer sur un délai de trois mois. Il a donc fallu que j'autofinance. Il y a des contingences financières dans les études tenant à la longueur des procédures et à l'impossibilité d'en maîtriser le sort qui conditionnent notre activité sur le plan financier.

M. Jacky DARNE : Etiez-vous plusieurs candidats à cette reprise du cabinet d'Aix ? Dans quelles conditions financières s'est faite cette reprise ?

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Me demandez-vous si j'ai acheté le fonds ? Non, je ne l'ai pas acheté. J'ai versé une avance sur honoraires de 300 000 francs à la succession de mon prédécesseur qui ont fait l'objet d'une facture. Je les ai versés immédiatement d'ailleurs, sans savoir quelle était l'avance à laquelle la succession avait droit, car la famille avait besoin de liquidités à l'époque.

Mme Mireille MASSIANI : Je suis organisée en trois études : une sur Toulon où j'ai un premier clerc titulaire d'une maîtrise de droit, qui travaille avec moi depuis quatorze ans et qui n'a jamais voulu s'installer. Il supervise l'étude avec moi. Je dispose d'une personne pour la procédure, deux personnes pour la vérification des passifs, une personne s'occupe des salariés, une personne qui assure la réception et répond au téléphone, une autre personne qui s'occupe du courrier.

M. le Rapporteur : Combien de mandats avez-vous ?

Mme Mireille MASSIANI : J'ai 2 000 dossiers en cours.

M. Jacky DARNE : Vous n'aviez pas terminé à propos des effectifs.

Mme Mireille MASSIANI : J'ai une personne qui s'occupe des répartitions, des convocations et des clôtures, et une personne qui s'occupe de revoir les dossiers en permanence.

M. Jacky DARNE : Cela représente donc une dizaine de personnes.

Mme Mireille MASSIANI : Sur Toulon, une dizaine de personnes. Draguignan est organisé de la même façon. Il y a moins de dossiers, environ 600 en cours. C'est la même organisation avec un premier clerc, une licenciée en droit qui s'occupe des convocations et des procès, une personne s'occupe de la procédure, une autre des salariés et de la vérification de passif, donc une seule personne à la vérification de passif, une personne au standard. Il y a beaucoup moins de courrier. Je tiens à préciser que je tiens à voir mon courrier tous les jours. J'ai une comptable. J'ai aussi une comptable à Toulon. J'ai une autre personne qui s'occupe des inventaires.

M. le Rapporteur : Au regard de ces chiffres qui sont importants, tant du point de vue des mandats que du personnel, à partir de quand - puisque votre confrère parlait de fonds de roulement, utilisant un vocabulaire d'un autre registre - estimez-vous qu'une affaire est rentable ou pas ?

Mme Mireille MASSIANI : Je regrette que cette réunion se passe ici. Il aurait été plus intéressant que cette réunion se passe dans nos études. Vous auriez pu voir l'état des dossiers.

J'ai commencé sur une toute petite étude à Saint-Tropez. Quand j'ai commencé, j'avais 20 dossiers. Je vous montrerai les dossiers de mon prédécesseur. Plus l'étude est importante, plus elle peut s'organiser avec un personnel spécialisé et plus elle est performante.

M. le Rapporteur : Vous ne répondez pas à la question de la rentabilité économique. Je vous pose cette question car la chancellerie s'étonne de l'accumulation d'un nombre de mandats important sur la tête de quelques mandataires. La question est revenue dans nos débats.

Mme Mireille MASSIANI : Tout le monde a été mis devant le fait accompli. Les affaires ont été multipliées par six en l'espace de quelques années et nous ne sommes certainement pas la cause de cette multiplication. Il faudrait se poser la question de savoir pourquoi tous ces dépôts de bilan, pourquoi cette crise économique...

M. le Rapporteur : Je vais poser la question autrement. Pourquoi la profession n'a-t-elle pas multiplié le nombre de ses membres ?

Mme Mireille MASSIANI : Je suis d'accord avec vous. On est les premiers à le regretter. Il est certain qu'on a vu ces dernières années que seulement un ou deux candidats étaient reçus à l'examen. J'ai été la première à m'insurger contre cette situation. J'ai trois stagiaires et j'espère qu'ils auront l'examen.

M. le Rapporteur : Voulez-vous dire que l'examen est trop sévère ?

Mme Mireille MASSIANI : Oui. La profession m'a répondu que c'étaient les non-professionnels qui étaient les plus sévères. Parmi ceux qui font passer l'examen, il y a des professionnels qu'on a sévèrement attaqués. Ils nous ont répondu que ce sont les non-professionnels, parmi les membres du jury, qui sont les plus sévères.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Ce n'est pas une politique malthusienne de la profession.

M. le Rapporteur : On en a le sentiment de l'extérieur.

Mme Mireille MASSIANI : Je trouve cela aberrant. Quand j'ai vu le projet de décret qui prévoit l'ouverture de la profession, je leur ai dit : Vous avez gagné. C'est tout ce qu'il restait à faire. Je l'ai fait remarquer. Je l'ai d'ailleurs dit à mon procureur lors d'une réunion qui a eu lieu ici même. On cumule les dossiers, c'est possible mais il faut faire avec. Il y a des dossiers, des dépôts de bilan. Il faut les traiter.

M. Jacky DARNE : Le nombre de 2 000 dossiers représente le total des dossiers de vos trois études ?

Mme Mireille MASSIANI : C'est dommage que vous ne soyez pas venus à l'étude. Je vous aurais montré qu'un dossier est traité dans l'année. Après, on suit un procès ; on attend une décision. Il n'y a plus rien à faire.

M. Henri BOR : Dans les 2 000 dossiers, il y a des doubles emplois pour certains dossiers. Nous sommes commissaires à l'exécution du plan et, en même temps, mandataires-liquidateurs, représentants des créanciers. Nous poursuivons une mission qui est la vérification du passif qui peut durer de six mois à deux ans. Nous avons cette mission de commissaire à l'exécution du plan qui va durer dans le temps. Nous ne faisons que surveiller l'exécution d'un plan. Cela représente un dossier. Tous les dossiers ne sont pas de même nature.

Mme Mireille MASSIANI : Une fois que le dossier est traité, si chacun faisait son travail, nous n'aurions plus rien à faire. On est obligé de relancer l'avocat parce qu'on n'a pas de nouvelles. On est obligé d'attendre que le tribunal prenne sa décision. On est obligé de relancer le notaire qui ne passe pas l'acte. On est obligé de relancer l'huissier qui n'a pas vendu.. Si vous regardez nos dossiers, dans notre procédure, on a beaucoup de travail au départ et, ensuite, on attend que cela se passe. On passe notre temps à relancer. Je tiens mes dossiers à votre disposition.

M. le Rapporteur : Nous nous sommes étonnés auprès du tribunal que les administrateurs judiciaires soient bien peu désignés. Le président Abran l'a reconnu. Messieurs les administrateurs, cet étonnement est-il légitime de notre part ?

M. Pierre-Louis EZAVIN : Certains tribunaux ont une politique très restrictive de désignation de l'administrateur judiciaire pour des raisons d'économie. Nous en subissons les conséquences. Or nous devons être très structurés. J'ai environ seize personnes dans mon étude, dont six collaborateurs et un expert-comptable. Tous ont un DEA de droit public ou privé, un DEA de gestion, il y a trois comptables spécialisés dans l'analyse financière, cinq secrétaires. Nous sommes obligés d'avoir une structure très importante parce que nous devons analyser la situation de l'emploi de l'entreprise et rechercher des solutions très rapidement. On doit faire face à une pénurie de dossiers qui s'est aggravée dans la période actuelle.

Je suis obligé de dépendre de plusieurs tribunaux : Menton, Nice, Antibes, Grasse, et dans le Var, Saint-Tropez, Draguignan et Toulon. Pour ce dernier, l'étude a été créée à la demande du procureur de la République.

M. le Rapporteur : Pas assez de dossiers pour seize collaborateurs ? Donc vous, vous êtes dans le rouge par rapport à vos confrères ?

M. Pierre-Louis EZAVIN : Tout à fait. Nous avons une compétence nationale mais Paris ne m'a jamais désigné. Si on nous oublie, si on est trop loin du tribunal, si le tribunal ne nous voit pas aux audiences, il ne prend pas l'habitude de désigner un administrateur judiciaire. Or l'administrateur judiciaire économise souvent des coûts à l'entreprise.

M. le Rapporteur : Lesquels, pourquoi et comment ?

M. Pierre-Louis EZAVIN : L'administrateur fait le plan et ce plan est un ouvrage spécifique que ni l'expert-comptable ni l'avocat ne peuvent réaliser seuls. Cela demande une multitude d'informations que nous pouvons recueillir et synthétiser. Le suivi de l'exploitation demande rigueur et indépendance, ce qui n'entre pas dans le statut du conseil de l'entreprise.

Mme Mireille MASSIANI : Il faut préciser au passage que les mandataires ne gagnent rien de plus quand il n'y a pas d'administrateur. Soyons clairs.

M. le Rapporteur : Maître Massiani, nous allons y venir et vous aurez la parole. Laissez parler votre confrère, ou alors on fait une audition séparée pour les administrateurs et les mandataires.

M. Pierre-Louis EZAVIN : L'entreprise est assistée au quotidien par l'administrateur. Nous signons les chèques ; nous assurons la gestion courante. Nous établissons les documents financiers. Nous surveillons l'exploitation. Nous essayons d'éviter la création de nouveaux passifs. Seul quelqu'un ayant une mission d'auxiliaire de justice peut le faire. Ce n'est pas le conseil de l'entreprise qui peut le faire. Les tribunaux pensent qu'il convient d'économiser le maximum de frais et de coûts aux entreprises et se contentent souvent du représentant des créanciers qui dépasse son rôle pour aider le chef d'entreprise perdu dans un maquis de textes à présenter un plan. C'est pourquoi l'administrateur judiciaire a un rôle de tout premier plan.

M. le Rapporteur : Nous avons en effet noté que les mandataires-liquidateurs, dans tous les dossiers du tribunal, jouent un rôle considérable.

Mme Mireille MASSIANI : Merci. Mais je précise pour le même tarif.

M. le Rapporteur : Vous aurez la parole, maître Massiani. Ils ont un rôle considérable parce qu'ils jouent un rôle d'intermédiaire, parfois point de passage obligé de l'information qui ne fonctionne pas toujours, avec le parquet, le débiteur, le juge-commissaire et le tribunal.

Nous avons affaire là à un simple représentant des créanciers qui est chargé de faire votre travail, messieurs les administrateurs. Nous avons aussi noté que le mandataire-liquidateur est intéressé à la liquidation.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Pas dans la première phase de la procédure, durant laquelle il est représentant de l'intérêt collectif des créanciers mais doit aussi conduire l'entreprise vers un but, c'est-à-dire obtenir un plan. Quand le plan n'est pas possible...

M. le Rapporteur : Son but serait davantage de désintéresser les créanciers. C'est son travail.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Il y a plusieurs aspects dans sa mission. Le représentant des créanciers doit s'assurer, lorsqu'il n'y a pas d'administrateur judiciaire, que l'entreprise ne dérive pas et dans ce cas le signaler au tribunal. Dans les textes, le représentant des créanciers seul peut demander la liquidation judiciaire à tout moment, en vertu de l'article 36. Mais comment peut-il appréhender la réalité économique de l'entreprise alors que, quelquefois, l'administrateur lui-même est souvent trompé par le chef d'entreprise qui se trompe lui-même. Souvent les gens ont le souci de sauver leur entreprise à tout prix et il faut vérifier la réalité des informations que nous recevons, seraient-elles transmises par des professionnels. Je me mets à la place du représentant des créanciers. Il faut aller à la recherche des informations. Il faut dépasser son rôle.

Depuis ces dernières années, nous sommes tous amenés à en faire plus qu'avant. Les parquets se sont rendus compte que nous existions, il y a environ un an. La circulaire adoptée dont on a finalement eu connaissance, nous a permis de découvrir les interrogations sur la façon dont on pouvait contrôler cette profession. On avance au coup par coup dans ces procédures. Elles sont réformées tous les dix ans. Il faut nous apprêter, tous les dix ans, à changer de profession. C'est sans précédent. En 1985, il a fallu totalement changer. Pour les anciens syndics, c'était une modification ontologique. On s'apprête aujourd'hui à changer encore.

Par exemple, vous vous préoccupez d'un certain nombre de choses, comme l'indépendance de la juridiction. Pour ma part, je me demande même comment la question peut être posée, même au delà des dérives actuelles. La deuxième question concerne les honoraires. Mais il y a bien d'autres problèmes ! Je me pose, par exemple, la question du fonctionnement institutionnel de la profession qui a été révélé par le sinistre Sauvan Goulletquer, alors que le commissaire du Gouvernement siège au conseil d'administration de la Caisse de garantie pour décider des cotisations et du régime de l'assurance...

M. le Rapporteur : Nous connaissons tout cela par coeur. Je voudrais que Mme Massiani réagisse. Quand, tout à l'heure, votre confrère disait que les mandataires-liquidateurs sortent de leur rôle, cela m'a rappelé la phrase du président de la commission juridique du CNPF qui disait de mémoire : « Nous les créanciers, nous payons des gens pour nous trahir ». Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre-Louis EZAVIN : C'est une trahison permanente pour celui qui n'est pas initié au droit de la faillite. C'est un droit d'initié. Le droit de la faillite pour un client...

Mme Mireille MASSIANI : Cela vient de notre appellation qui est malvenue. Avec l'appellation représentant des créanciers, ceux-ci s'imaginent qu'on les représente chacun en particulier. Quand on représente des créanciers, on représente un ensemble de créanciers contre chaque créancier en particulier. On est là pour essayer de faire en sorte que le passif soit le moins important possible et pour que l'actif soit réparti entre les créanciers.

M. Pierre-Louis EZAVIN : L'intérêt collectif n'est pas la somme des intérêts individuels. Chaque créancier dans la faillite a la volonté de privilégier son intérêt.

Mme Mireille MASSIANI : On aurait dû être appelés « représentants de la vérification du passif ». Cela aurait été plus juste.

M. le Rapporteur : Qu'en pensez-vous, mon cher maître ?

M. Henri BOR : Je voudrais revenir en arrière, sur le sujet des administrateurs judiciaires. Pour nommer un administrateur judiciaire, il faut que..

M. le Rapporteur : Dites-nous d'abord un mot de votre activité, de votre structure.

M. Henri BOR : J'emploie seize personnes dont quatre à temps partiel ; deux d'entre eux ont un niveau bac plus cinq, six ont un BTS, un possède un DEUG . J'ai 1 500 dossiers en cours. Je suis mandataire.

M. Pierre-Louis EZAVIN : J'ai 145 dossiers.

M. Henri BOR : Au sujet des administrateurs judiciaires, ils ne peuvent être nommés que dans la mesure où il y a de la matière, c'est-à-dire où les entreprises sont susceptibles d'être suffisamment importantes pour nécessiter leur nomination.

Si vous avez un petit commerce ou une petite entreprise, l'administrateur judiciaire ne peut pas faire grand'chose. Le tissu économique local est essentiellement de cette nature. C'est bien qu'il y ait un administrateur judiciaire dans les grands dossiers, mais dans les petits dossiers, je ne vois pas ce qu'il peut faire. D'autant que dans les petits dossiers, on essaie de ne pas abandonner les gens devant les problèmes qui se posent à eux.

M. Henri NESPOULOUS : Je suis administrateur judiciaire, j'exerce essentiellement sur Marseille. Je suis une bête curieuse. Je vous la décris très rapidement. Il est évident que j'ai moi-même, plus que quiconque, totalement changé de métier. J'étais l'un des rares administrateurs judiciaires, en 1970, lorsque j'ai prêté serment. Nous étions une quinzaine en France... Il y en avait sept à Paris, quatre à Marseille et d'autres disséminés dans quelques grandes villes de France. Nous ne traitions que des affaires qualifiées d'in bonis et non du droit de la faillite. Il nous arrivait parfois de déposer des bilans, mais nous traitions des dossiers parfaitement sains économiquement et financièrement, mais qui étaient difficiles car nous remplacions le chef d'entreprise à la suite de procès entre cousins, frères et autres.

À l'époque, ils avaient la possibilité de se faire des procès. Il y a eu une raréfaction totale de ces dossiers. Grâce à la loi de 1985, les anciens administrateurs tels que moi-même sommes devenus des administrateurs judiciaires nouvelle formule, traitant des dossiers dits de redressement judiciaire. Ces dossiers de redressement judiciaire ont totalement remplacé les dossiers dits d'arbitrage. Cela a permis à nos études de bien vivre et de se fortifier en personnel. Cela a été mon cas.

Aujourd'hui, je viens de licencier trois collaborateurs : une secrétaire de direction, un assistant juridique, et une secrétaire spécialisée dans les licenciements. J'emploie actuellement six personnes : cinq à Marseille, une demie à Toulon, plus ma fille à mi-temps qui aide ma chef-comptable. Voilà Nespoulous actuellement. C'est quelqu'un aujourd'hui - je ne suis pas le plus mal placé des trois administrateurs de Marseille - qui a de graves difficultés car nous recevons chacun environ trente dossiers par an sur Marseille.

Sur ces dossiers, on peut dire qu'un, de temps en temps, est un véritable dossier. Les autres sont des dossiers qui mériteraient peut-être le qualificatif du titre I qui mériteraient la désignation d'un administrateur judiciaire dans le centre du titre II.

Mme Mireille MASSIANI : J'ai oublié de vous dire que j'ai vingt-quatre personnes dont quatre personnes, diplômées, dans mon cabinet.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Actuellement, nous vivons une très grosse baisse des affaires depuis environ six mois. J'ai vécu le mois de mars sans un seul dossier nouveau, ce qui, compte tenu de la structure de mon étude, pose des problèmes.

Il ne faut pas borner votre analyse de la profession à son aspect le plus noble, c'est-à-dire l'aspect parisien car il ne m'est jamais arrivé d'avoir un dossier très important, du style de ceux dont on a pu parler dans la presse et qui intéressent beaucoup les commissions. Ce ne sont pas des dossiers que nous avons l'habitude d'avoir.

M. le Rapporteur : La commission ne s'est pas encore intéressée à ces dossiers.

M. Henri NESPOULOUS : Nos stagiaires de province, quand ils sont en contact avec les parisiens, se font beaucoup de souci.

M. Pierre-Louis EZAVIN : La compétence nationale ne joue pas.

M. Jacky DARNE : Nous n'examinons pas le fonctionnement des tribunaux de commerce et des professions qui l'environnent à partir de Paris. Nous n'avons visité, pour l'instant, aucun tribunal de la région parisienne. Les auditions ont été très larges. Les trois tribunaux visités par la commission étaient situés en province. Les trois députés qui sont ici sont tous les trois des provinciaux. La déformation parisienne n'existe pas, si pour autant il en existe une. À l'inverse, le nombre de dossiers parisiens mérite notre attention. Ce que l'on cherche à examiner est le fonctionnement des tribunaux de commerce en France et l'interrogation n'est pas centrée uniquement sur la profession d'administrateur ou de liquidateur, mais sur le fonctionnement des tribunaux de commerce et sur la façon dont ils gèrent les procédures qu'ils ont en charge, en particulier les procédures collectives.

Plus généralement, les questions relatives à l'existence des tribunaux, à leur fonctionnement, à leur nombre, à la qualification et à l'origine des juges font partie de nos préoccupations, de même que la place très importante qu'occupent les administrateurs et les liquidateurs. L'effectif que vous annoncez dans vos études et l'activité qui est la vôtre, montrent que votre volume de travail est tout à fait comparable à ce que fait le tribunal de commerce à lui tout seul. Il est donc normal que l'on s'intéresse aux relations qui existent entre le tribunal et vous.

On ne peut manquer de penser qu'il y a déséquilibre en votre faveur. C'est-à-dire que le juge-commissaire, censé suivre les affaires et contrôler la procédure, ne peut qu'être désavantagé par rapport à vous qui avez la maîtrise du dossier et que votre poids est décisif, y compris dans la façon dont est menée la procédure.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Il faut bien connaître la procédure de la faillite pour en parler.

M. Jacky DARNE : Sur ce point, je suis en désaccord avec vous. On peut en parler. Je ne pense pas que la loi 1985 soit une loi de rupture. Je considère que c'est la loi de 1967 qui a créé une rupture épistémologique par rapport à la loi de 1955 qui elle, était plus conservatrice. Ne faisons pas un cours de comparaisons sur l'évolution législative. Je considère que l'idée de séparation du patrimoine de l'entreprise et de la personnalité des dirigeants date de 1967 et non de 1985. Donc, la logique est celle-ci et non celle que vous avez indiquée tout à l'heure.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Je n'ai pas dit cela tout à l'heure. Je parlais tout à fait d'autre chose. Vous compariez le rôle d'un juge et le temps qu'il passe par rapport à celui du mandataire pour en tirer des conclusions nécessairement fausses puisqu'on ne peut pas comparer, dans le droit de la faillite, le rôle du juge-commissaire et celui du mandataire de justice. Le juge est là pour surveiller la procédure et rendre des décisions de justice après avoir entendu les plaideurs. Ce n'est pas du tout le travail que nous sommes amenés à faire et vous ne pouvez pas comparer le nombre d'heures et de collaborateurs avec celui du personnel judiciaire. S'agissant de la séparation de l'homme et de l'entreprise, je connais l'histoire de la faillite comme vous et l'histoire n'écoute pas toujours ce que l'on lui raconte.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : S'agissant de la structure des études, on a oublié de parler de l'informatique. La profession a fait un gros effort en ce domaine. Je voudrais donner un exemple. Je suis dans la profession depuis vingt ans. À cette époque, mon maître de stage à Nice vivait avec soixante dossiers. Il avait un appartement à lui et une résidence secondaire. Maintenant, pour vivre, il nous faut six cents à huit cents dossiers car la baisse du rapport d'un dossier est patente. Je vous propose une courte note sur la marche de mon cabinet de Toulon que je vous remettrai en fin de séance.

La seconde chose est qu'il n'y a pas d'opposition entre le juge-commissaire et le mandataire. Le mandataire n'est pas forcément le vautour à l'affût du dossier qui va lui rapporter. L'image du vautour à propos des mandataires est totalement fausse. Le vautour est l'animal le plus paresseux du monde puisqu'il ne sait pas battre des ailes. Le vautour ne sait que se servir du courant qui le fait monter. Or, le mandataire doit vraiment combattre. Le mandataire est là pour renseigner le tribunal. À voir le travail que nous faisons, à voir le nombre de projets d'ordonnances, de projets de jugements que l'on nous demande et que nous faisons, on peut penser que nous sommes indispensables pour le tribunal - sans doute et c'est pour cela qu'on nous conserve - mais nous ne travaillons pas en opposition avec le tribunal ou pour tromper les juges.

Nous faisons des projets de requêtes comme nous faisons des projets d'ordonnances devant les juges fonctionnaires qui nous demandent le même travail. Nous discutons de ces projets d'ordonnances avec les juges et ils nous les retournent.

M. Jacky DARNE : Faut-il me rappeler ce qu'est un juge-commissaire et un mandataire ou un administrateur, il me semblait l'avoir perçu ! En effet, le juge-commissaire assure le suivi de la procédure. Je disais tout à l'heure et je le maintiens, que lorsque vous proposez, par requête, une ordonnance d'ailleurs tapée sur votre propre ordinateur...

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Un projet.

M. Jacky DARNE : ... et que vous avez la maîtrise et la connaissance des éléments du dossier, on ne peut pas dire que le juge-commissaire puisse être à égalité avec vous dans l'analyse des dossiers. Il y a naturellement inégalité de connaissances entre celui qui assume la gestion d'un dossier comme c'est votre responsabilité - que ce soit dans une fonction d'administrateur ou de liquidateur - et celui qui assure un suivi, le juge-commissaire désigné par le tribunal.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Quelle différence faites-vous entre un mandataire de justice et un auxiliaire de justice ? Le mandat de justice suppose la confiance du juge parce qu'elle est de son essence. L'auxiliaire de justice n'a de comptes à rendre qu'à son client et à sa déontologie. Il n'est pas anormal, ni immoral, que le juge fasse confiance au mandataire qu'il a désigné avec l'arme absolue de la non-désignation.

M. le Rapporteur : Nous n'avons croisé votre nom que dans un seul dossier. Nous n'arrivons pas à interroger vos confrères qui, eux, sont dans tous les dossiers, à l'exception de vos confrères qui sont à Marseille.

M. Pierre-Louis EZAVIN : C'est ce qui me donne plus de liberté pour vous répondre. Je ne savais pas qu'il s'agissait d'une interrogation sur des dossiers. Je pensais qu'elle portait sur le fonctionnement général de nos professions.

M. le Rapporteur : C'est sur tout et sur ce qu'il plaira à la commission d'enquête. Est-il possible que M. Darne termine sa phrase ?

M. Pierre-Louis EZAVIN : En tant que citoyen, j'ai le droit de m'exprimer devant mes représentants nationaux.

M. le Rapporteur : Est-il possible que nous terminions la question ? Vous répondrez !

M. Pierre-Louis EZAVIN : Je réponds que je suis condamné au silence.

M. le Rapporteur : Non, vous répondrez. Vous avez d'ailleurs déjà beaucoup parlé.

M. Jacky DARNE : J'aimerais prendre des exemples précis pour éviter de rester sur des généralités. Vous avez indiqué que vous suiviez, que vous connaissiez tous les dossiers et que tout se passait bien. J'ai vu ce matin quelques dossiers superficiellement, parmi ceux déposés au greffe. À partir de quelques dossiers du tribunal, je souhaite vous poser quelques questions.

J'ai un dossier concernant Mme Martine Tammaro, restaurant appelé « Chez Nicole ».

Mme Nicole Grossetti a été désignée comme représentante des créanciers, le juge-commissaire étant M. Michel. C'est un jugement du 4 septembre 1995, qui est donc récent, donc vous pouvez avoir le souvenir. C'est une petite affaire. Selon le dossier du tribunal, Mme Tammaro n'a envoyé aucun courrier ou n'a jamais été présente dans quelque audience que ce soit. Elle a été absente en permanence. Le dossier du tribunal contient peu de pièces, pas de pièces comptables, fort peu d'éléments. Il apparaît que le seul élément d'actif était une licence que vous avez fait mettre en vente. Un acheteur est apparu, la société Yacht Club de Hyères. Or, il est apparu qu'il s'agissait d'une location-gérance. De deux choses l'une, ou la licence était la propriété de Mme Tammaro, auquel cas vous aviez bien fait de la mettre en vente et les réclamations présentées par la suite sont incompréhensibles, ou bien Mme Tammaro n'était pas propriétaire puisque la location-gérance figurait dans un certain nombre de documents. Dans ce cas, on n'aurait pas dû vendre cette licence.

Or, sur ce dossier, vous avez proposé un certain nombre d'ordonnances au juge. Ma question est la suivante : à votre avis, les diligences normales ont-elles été faites par vous d'une part et par le juge-commissaire d'autre part ?

Mme Nicole GROSSETTI : Pour ce qui me concerne, j'ai fait les diligences qui étaient nécessaires. J'ai donc écrit à la direction des douanes. Je ne possédais pas l'original de la licence de quatrième catégorie. Je m'en suis inquiétée auprès d'eux.

M. Jacky DARNE : Après la vente.

Mme Nicole GROSSETTI : Non, avant.

M. Jacky DARNE : Comment avez-vous pu mettre en vente une licence...

Mme Nicole GROSSETTI : Nous avons eu une déclaration et un écrit de la direction des douanes qui nous a indiqué qu'il y avait une licence de quatrième catégorie exploitée dans ce fonds de commerce. J'ai donc écrit à Mme Tammaro de se présenter. Elle n'est jamais venue. Nous avons demandé à la mairie de Hyères où nous pouvions récupérer cette licence. Nous nous sommes adressés au procureur de la République qui nous avait dit de faire appel à lui, chaque fois que nous avions une difficulté dans ce domaine. Au moment où j'ai pu avoir la connaissance de la licence, elle appartenait au fonds et non point à la location-gérance, ce qui aurait pu être le cas, puisque c'est un bien détachable du fonds de commerce. Nous avons essayé de stopper la vente. Elle venait d'être effectuée.

M. Jacky DARNE : Avez-vous la preuve que la location-gérance existait ? Dans le dossier et la note du parquet, l'interrogation demeure entière.

Mme Nicole GROSSETTI : Il y a eu, à l'époque, une opposition à mon ordonnance de vente et les documents que j'ai eus en ma possession, aux termes desquels il y avait bien location-gérance ont été fournis. Cela devait dater de la mise en sommeil de la société.

M. Jacky DARNE : La location-gérance est indiquée dans le contrat du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1991.

Mme Nicole GROSSETTI : Mais elle a été renouvelée, monsieur.

M. Jacky DARNE : Le renouvellement semble faire partie de la zone d'ombre de cette affaire.

Mme Nicole GROSSETTI : Elle a été renouvelée. Quand je suis entrée en fonction, il est exact qu'elle n'y était pas. Il n'y avait pas de location-gérance.

M. Jacky DARNE : Comment, il n'y avait pas de location-gérance ? Elle était de 1991. Vous êtes entrée en fonction en 1995.

Mme Nicole GROSSETTI : Oui. Elle était terminée. La société était en sommeil.

M. Jacky DARNE : La fin de la location-gérance date de 1994. Exact ?

Mme Nicole GROSSETTI : La fin de la location-gérance était de 1994.

M. Jacky DARNE : Il y avait les extraits du registre du commerce à cet égard. La question de la propriété de la licence pouvait...

Mme Nicole GROSSETTI : Elle n'était pas susceptible de se poser dans les termes où elle se pose maintenant.

M. Jacky DARNE : Le 25 juin 1996, la vente fait l'objet d'une ordonnance d'annulation. Dans le dossier du tribunal, il n'y a plus aucune pièce à partir du 25 juin 1996. Ma question est celle-ci : depuis le 25 juin 1996 jusqu'à aujourd'hui, comment cette affaire a-t-elle évolué ?

Mme Nicole GROSSETTI : Les fonds séquestrés ont été restitués à hauteur de 140 000 francs. Ils ont été restitués par les commissaires-priseurs. J'ai moi-même restitué, suite à l'annulation, les frais qui avaient été avancés par les commissaires-priseurs. Il y a eu un procès en 1996 ; il m'a été demandé une indemnité pour la perte de jouissance de la part du repreneur à la licence. Ma responsabilité n'a pas été reconnue. Le tribunal de grande instance n'a pas conclu au versement de dommages et intérêts. Ce jugement date de juin ou juillet 1997.

M. Jacky DARNE : Dans le dossier lui-même, depuis juin 1996, il n'y a rien. On ne sait pas si l'opération est terminée. De quoi est informé le juge-commissaire depuis le 25 juin 1996 ?

Mme Nicole GROSSETTI : Il n'a pas à être informé, pour l'instant, d'une procédure de clôture puisque j'attendais que le TGI rende une décision sur la demande de dommages et intérêts. Puisqu'il n'y a pas eu d'appel, nous entrons dans le cadre d'une procédure de clôture pour insuffisance d'actifs.

M. Jacky DARNE : Le dialogue entre vous et le juge apparaît extrêmement restreint. Est-ce essentiellement oral ?

Mme Nicole GROSSETTI : Ah non ! Dans mon dossier, si vous venez dans mon cabinet, il y a une communication au juge-commissaire, au procureur. À l'époque, le président en a été informé. Mais ce n'est pas déposé au greffe.

M. Jacky DARNE : Votre facture d'honoraires est du 27 décembre 1995 pour le montant forfaitaire minimum de 15 000 francs. Quelles sont les pratiques de facturation en la matière ? A quel moment de la procédure y a-t-il des systèmes d'acompte ? Est-ce en fin de procédure ? Cette affaire n'est pas terminée. La totalité des honoraires est facturée au 27 décembre 1995. Pouvez-vous me dire quelle est la pratique professionnelle ?

Mme Nicole GROSSETTI : Il s'agit de notre droit fixe qui nous a été supprimé par un arrêt de la Cour de cassation et par le parquet général d'Aix-en-Provence. En vertu de l'article 12 du décret n° 85-1390 du 27 décembre 1985, nous présentons une facture au juge-commissaire et au président. Nous pouvons encaisser les fonds, sans délai, à l'ouverture des dossiers. Mais il n'est pas évident qu'elle soit présentée à chaque ouverture. En pratique, elle est présentée à l'ouverture du dossier, selon le texte.

M. Jacky DARNE : Quand j'ai posé la question sur le fonds de roulement nécessaire à votre activité...

M. Pierre-Louis EZAVIN : Je ne prends jamais de droits fixes avant la fin de la procédure. Les honoraires sont toujours pris après reddition des comptes.

M. Henri BOR : Ce n'est pas parce qu'on présente une note d'honoraires que nous sommes obligatoirement honorés. Nous ouvrons un dossier...

M. le Rapporteur : J'ai une question à Maître Grossetti qui l'attend depuis longtemps. Quel rapport avez-vous avec le parquet ? Cela a l'air compliqué. Je parle des années 1995-1996...

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Si vous le dites, c'est que vous avez un élément pour le penser.

M. le Rapporteur : Je ne fais pas allusion à des événements récents qui vous concernent. Je fais allusion au passé.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Je ne comprends pas votre question.

M. le Rapporteur : Vous entendez-vous bien avec le parquet de Toulon ? Avez-vous des relations normales ?

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Le parquet de Toulon est chargé de la tutelle des mandataires judiciaires. Je n'ai ni mauvaise entente, ni bonne entente. J'ai des relations de mandataire judiciaire, participant à un service public de la justice avec l'autorité qui représente son ministère. Je ne crois pas que mes relations soient mauvaises. Elles n'ont pas à être bonnes ou mauvaises.

M. le Rapporteur : Je vous pose la question parce que le parquet dans une affaire Cofradis, vous a relancé à trois reprises, semble-t-il, pour avoir des informations. Il a même menacé d'en référer à qui de droit s'il n'obtenait pas réponse. J'ai noté qu'il avait fallu un an pour qu'il obtienne réponse. Comment expliquez-vous cela ?

M. Jean-Pierre GROSSETTI : C'est vrai. Cofradis est une ancienne affaire qui doit remonter à une dizaine d'années. J'ai mis en vente avec un retard d'un mois.

Dans cette affaire, le propriétaire des locaux, bien qu'il ait eu la clef du local dans lequel était resté ce matériel, a tenu à ce que je lui paie le loyer. J'ai finalement payé les loyers sur ma caisse, parce que je ne pouvais pas faire autrement, étant tenu pour responsable de ce mois de retard de loyer.

Comment peut-on laisser trois lettres du parquet sans réponse ? Eh bien, c'est un accident de classement. Mais je crois que c'est l'un des rares exemples, sinon le seul, en quinze ans de présence à Toulon, à moins que le parquet ne vous ait fourni d'autres lettres. Pendant l'année où j'ai traîné d'hôpitaux en rééducation, j'ai tenu à voir les réponses à faire au parquet et à les faire. Je n'étais pas en congé de maladie, même si j'étais dans une clinique. Il faut le savoir. Les mandataires sont toujours tenus, même malades. Il peut arriver qu'ils aient un oubli et c'est le cas. Je ne le nie pas !

M. Jacky DARNE : J'ai un autre cas, avec des rappels du parquet qui sont du même type. Il s'agit du dossier Mobazur pour lequel le parquet a écrit le 8 février 1994, puis le 2 février 1995, et le 25 avril 1995, pour savoir où en était le dossier.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : J'ai fait une réponse.

M. Jacky DARNE : La réponse a été faite après la troisième relance. La procédure a été ouverte le 12 octobre 1983 et n'est toujours pas close à ce jour. Différentes actions ont eu lieu en 1983 et jusqu'en 1987. De 1987 à 1995, c'est-à-dire peu de temps après la relance du parquet, aucune pièce n'apparaît dans le dossier qui est ici.

C'est un dossier qui représentait environ 11 millions de francs de passif. Ce n'était donc pas un dossier de second ordre. J'ai posé la question du suivi qu'il avait fait de ce dossier de 1987 à 1995, ce matin au juge-commissaire. Puisque vous êtes là, je vous pose la question. Que s'est-il passé pour un dossier ouvert en 1983. Nous sommes en 1998. On ne voit rien de 1987 à 1995.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Pourquoi continue-t-il toujours, allez-vous me dire ? Pourquoi n'est-il pas encore clôturé ? C'est la question essentielle. Sur la non-réponse au parquet, je ne sais pas. Je ne peux pas vous répondre. Enfin, si, je peux vous répondre qu'il y a eu certainement une négligence. Et c'est la deuxième ; je ne savais pas qu'il y en avait eu deux. J'en ajoute donc une à la première. S'il dure toujours, c'est qu'il y avait une procédure engagée contre les dirigeants et que j'ai eu beaucoup de difficultés à retrouver leur patrimoine.

Cette action a conduit à ce qu'ils payent et prennent en charge une partie du passif qu'ils continuent à régler, mois par mois, car ils n'ont pas le moyen de faire autrement. Voilà pourquoi ce dossier a traîné autant de temps.

M. Jacky DARNE : La procédure en comblement de passif a été engagée d'une façon très contradictoire. Vous avez demandé, le 21 octobre 1985, cette procédure en comblement de passif et vous n'avez pas été suivi par le tribunal, qui considérait la demande irrecevable. Le dossier ne fait pas apparaître par quel type de procédure. Ensuite, il y a eu condamnation de deux dirigeants à 50 000 francs et de trois autres à 20 000 francs chacun. Par rapport au passif de 11 millions de francs, cela représentait une somme d'environ 160 000 francs. Ces jugements datent de 1987. Les diligences effectuées sur ce dossier, compte tenu de l'ampleur du passif et d'une action en comblement de passif, finalement dérisoire par rapport au passif, et qui ne s'est apparemment pas traduite par des sanctions envers les dirigeants, semblent assez minces, d'après les pièces que j'ai pu voir dans votre courrier...

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Pas à Toulon.

M. Jacky DARNE : Vous paraissent-elles normales ?

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Vous me demandez de répondre sur ma présumée négligence - parce que vous me présumez négligent - sans avoir revu le dossier. Permettez-moi de ressortir le dossier et de vous faire une note avec les pièces jointes.

M. le Rapporteur : Volontiers.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Nous sommes habitués aux bons vieux principes dont celui du contradictoire, lequel gouverne aussi la justice consulaire.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Dans notre profession, que sommes-nous ? Vous avez laissé penser que nous dominions le tribunal. Pour ma part, j'estime que nous faisons le maximum de choses avec nos moyens techniques et intellectuels et que ne nous les faisons pas automatiquement malhonnêtement ou en ne regardant que notre intérêt. En tout cas ici, et pour moi, et pour mon épouse. Que sommes-nous en fait ? Nous vivons essentiellement de notes d'honoraires que nous prélevons dans des dossiers où nous sommes brimés par le super privilège de l'AGS, des salariés. Si demain l'AGS décide de retirer sa grâce, son autorisation pour nous de survivre, nous pouvons fermer nos études. C'est essentiel. Nous faisons un travail sans aucun avenir et en ayant toujours la corde au cou.

M. Robert GAIA : Maître Massiani, je voudrais évoquer une affaire récente dans laquelle il n'y a pas de salariés ni de créances du Trésor, celle de la SNC Bar Le Besagne. Les propriétaires vendent. Cela transite par un avocat qui part avec la caisse. La SNC est mise en liquidation. La CARSAT mandate la somme au titre de la prévoyance. La main levée faite par Mme Massiani date de 1997, alors que les faits remontent à 1993. Entre-temps, les intérêts continuent. Pourquoi ce délai ?

Mme Mireille MASSIANI : Vous dites que le Trésor n'est pas impliqué. C'est faux. Je vous remettrai moi aussi une communication...

M. Robert GAÏA : Dans le dossier, il y a « néant ».

Mme Mireille MASSIANI : Il y avait un problème humain sérieux dans ce dossier. Je suis à même de prouver que, dès que j'ai eu la production définitive du Trésor public, nous avons fait un état de précolocation ce qui n'est pas du tout prévu par la loi. Je ne suis pas forcée d'en faire une. Je suis tenue de répartir à la clôture du dossier. Or, il est loin d'être clôturable car il y a un tout petit actif immobilier, en indivision, difficile à vendre. Il ne rapportera quasiment rien à la liquidation. Cela pose un tel problème humain que j'envisageais, dans ce dossier, de demander au parquet et au juge-commissaire l'autorisation de ne pas le vendre, bien que j'ai expliqué à tous que tous les copropriétaires étaient caution, - c'est un petit appartement où habite la mère.

M. Robert GAÏA : La durée de la gestion du dossier - 4 ans - a permis, à partir d'une indélicatesse d'un avocat, remboursée par la CARSAT, de mettre en péril le dossier à cause des intérêts.

Mme Mireille MASSIANI : Pas du tout.

M. Robert GAÏA : La somme de la CARSAT, quand l'avez-vous touchée ?

Mme Mireille MASSIANI : C'est la détermination de la créance du Trésor public qui a bloqué le dossier. Et nous avions un énorme problème jusque là avec le Trésor public.

M. Robert GAÏA : Qui s'élevait à 60 000 francs !

Mme Mireille MASSIANI : Je ne peux pas vous dire cela de tête.

M. Robert GAÏA : Sur un dossier de 1,2 million, il y avait 60 000 francs de créances du Trésor public qui ont conduit à un doublement de la somme au titre des intérêts et ont mis en péril tout le patrimoine de la SNC !

Mme Mireille MASSIANI : De tête, je ne peux pas vous dire. La créance était importante. Je peux vous prouver, dans ce dossier, que, dès que nous avons eu la créance du Trésor public, nous avons fait notre état de précolocation. Il était impossible de le faire avant. Je signale, au passage, un intérêt de la réforme de 1994. Le législateur en a pris conscience et a fixé un délai pour produire les créances ce qui accélère les dossiers. Beaucoup de dossiers étaient bloqués par le Trésor public, qui prenait tout son temps pour calculer sa production définitive. C'était le cas dans ce dossier. Il y a un deuxième point qui va faire avancer les procédures, c'est le paiement provisionnel que j'utilise largement et qui ne pouvait pas être utilisé dans ce dossier. Il s'agissait d'un dossier de 1993, antérieur à la réforme de 1994. Dans ce dossier, je n'ai pas pu faire autrement que ce que j'ai fait. Lorsque j'ai réparti - j'insiste - je n'avais pas à le faire, car ma procédure n'était pas terminée.

M. le Rapporteur : Vous nous transmettrez l'ensemble des justificatifs avec les pièces.

Mme Mireille MASSIANI : C'est un dossier qui - je suppose - vous a été signalé par M. Raffin qui dispose d'un dossier complet. Il aurait dû vous le donner.

M. le Rapporteur : Nous avons le dossier du tribunal. C'est tout. Nous avons donc tout, puisque tout est au tribunal.

Mme Mireille MASSIANI : Je vous transmettrai un dossier complet. Je n'aurai qu'à vous faire la copie de ce que j'avais fait pour monsieur le procureur.

M. Robert GAÏA : Il n'y a trace d'aucune intervention du parquet dans ce dossier.

Mme Mireille MASSIANI : Une plainte a été déposée au parquet à qui j'ai répondu longuement.

M. Robert GAÏA : En revanche, dans une autre affaire récente, l'affaire Béranger, il y a eu intervention du parquet. Il s'agit d'un entrepreneur qui avait cinq salariés. On n'en mentionne que deux. Le parquet s'adresse à la personne mise en liquidation en ces termes: « S'agissant de l'invitation de recourir par vous-même aux prestations inhérentes à une société de recouvrement, j'estime que cette pratique n'est pas conforme aux règles déontologiques (...) des mandataires-liquidateurs. J'en informe Maître Mireille Massiani spécialement ». Est-ce souvent demandé ?

Mme Mireille MASSIANI : Je travaille avec un organisme très efficace dans le recouvrement des créances et très structuré, notamment pour récupérer les retenues de garantie et faire le point sur les éventuelles malfaçons soulevées.

M. Robert GAIA : C'est votre choix. Vous ne pouvez pas imposer le recours à cet intervenant puisque c'est vous qui gérez le dossier.

Mme Mireille MASSIANI : Je soumets cette décision aux juges. Jusqu'à maintenant, ils ont été d'accord parce que c'était justifié.

M. le Rapporteur : Le parquet estime que ce n'est pas conforme à la déontologie.

Mme Mireille MASSIANI : Je regrette ; c'est prévu par les textes. On peut se faire assister... Je n'impose pas. Je demande aux juges pour qu'ils m'autorisent à recourir à un des experts si c'est justifié. C'est notifié au débiteur. S'il n'est pas d'accord, il peut faire opposition. À chaque fois que j'ai fait appel à cette maison de recouvrement, j'ai plutôt reçu des lettres de félicitations de mes débiteurs. Je suis en mesure de vous en fournir.

M. le Rapporteur : Je voudrais aborder avec Maître Bor ce délicat dossier du tennis club de la Valériane, superbe affaire qui pose un grand nombre de questions. Nous en avons posé un certain nombre au tribunal tout à l'heure ; à l'évidence, il y a une différence d'analyse entre le parquet et le tribunal.

M. Henri BOR : C'est un terrain de tennis avec six ou sept courts en terre battue. S'il pleut et qu'on ne les utilise pas, ils sont morts. J'ai essayé de vendre ces tennis rapidement. J'ai fait de la publicité dans la presse. J'ai eu deux acheteurs. L'un était un ancien industriel fortuné associé à un commissaire de police ; l'autre était un escroc, qui est actuellement dans une maison d'arrêt, d'ailleurs, et se servait d'un prête-nom appelé Girerd ou Girard.

M. le Rapporteur : On avait le choix entre la police et un escroc ?

M. Henri BOR : On avait le choix entre un capitaliste associé à un policier et un escroc dans le cadre d'un plan de cession. Ils m'ont fait des propositions sans tenir compte de l'article 93 de la loi du 25 janvier 1985 et de la reprise d'un certain nombre de crédits en cours. Je n'ai pas pu donner suite. Nous sommes allés en liquidation judiciaire et j'ai soumis les deux propositions au tribunal. Le commissaire de police qui est près de la retraite, est président de l'association qui joue sur le cours de tennis. L'affaire est passée en appel hier ou avant hier. Cela a fait rigoler tout le monde. Je ne sais pas ce qui va en sortir mais sur appel du procureur...

M. Pierre-Louis EZAVIN : L'appel du parquet révèle quand même le caractère sain du fonctionnement de la juridiction car le procureur est présent à l'audience mais pas aux délibérés. Il a la possibilité de faire appel. Il arrive que le parquet affirme sa doctrine à l'occasion d'un recours contre une décision de justice. Il aurait été heureux, plutôt que d'écrire à Maître Massiani, qu'il exerce un recours sur l'ordonnance pour avoir par une décision de justice, confirmation de l'opinion du ministère public, sur la notion de recours à un technicien dont nous ne sommes pas des habitués ici dans le Midi. Je tiens à vous le dire car c'est une pratique qui est très exceptionnelle.

M. le Rapporteur : Nous transmettrons vos recommandations au parquet tout à l'heure.

Je posais la question à Maître Bor pour savoir qu'elle était sa position à lui. Il nous l'a donnée en filigrane : il préférait le commissaire de police, ce qui est assez sain, à l'escroc qui est incarcéré. Cependant, je m'étonne - c'est une question que nous avons posée au tribunal et cela a donné lieu à des échanges assez vifs - que lorsque le parquet voit d'un mauvais oeil l'arrivée d'un commissaire de police, allié à un industriel, dans une affaire de tennis en terre battue, Maître Bor, chargé de la liquidation de cette affaire, n'expose pas dans les documents qu'il fournit à l'appréciation du tribunal la moindre réflexion ou réticence.

M. Henri BOR : Considérez-vous qu'un commissaire de police ne peut pas acheter un fonds tel qu'un court de tennis ?

M. Robert GAÏA : Dans l'absolu, non.

M. Henri BOR : C'est un citoyen comme les autres !

M. le Rapporteur : Je vous remercie de ces remarques. J'ai noté que cela ne posait aucune difficulté.

M. Robert GAÏA : Dans le Var, ils investissent beaucoup !

M. le Rapporteur : La police a de l'argent dans le Var.

Mme Mireille MASSIANI : Est-ce qu'ils ont le droit ?

M. le Rapporteur : Ils ont tous les droits en effet, au tribunal de commerce de Toulon !

M. Robert GAÏA : Le parquet s'en est ému.

Mme Mireille MASSIANI : Je ne connais pas le dossier. J'en entends parler pour la première fois.

M. le Rapporteur : C'est la raison pour laquelle je vais passer à une autre question. Je voudrais vous interroger sur vos revenus. Là, je m'adresse essentiellement aux mandataires-liquidateurs. C'est une question qui est revenue de façon lancinante, au cours de nos travaux ; elle a été posée par le CNPF que nous avons longuement entendu, par la Chancellerie qui a des projets de réforme du tarif, par des justiciables dans des lettres récurrentes, expliquant que le mandataire-liquidateur, parfois, dans certains cas qui ne sont pas si extraordinaires que cela, contribue à l'alourdissement du passif. Je voudrais que vous nous disiez ce que vous pensez d'une réforme du tarif, au vu de la rentabilité de vos études et du chiffre d'affaires qui est le vôtre.

Mme Mireille MASSIANI : On vous a donné la moyenne des honoraires par dossier. Si vous parlez des honoraires de mandataire en vous basant sur le dossier du mandataire qui a eu la Cinq à Paris !

M. le Rapporteur : Nous ne parlons pas de Paris. Nous parlons de Toulon.

Mme Mireille MASSIANI : Parlons de la moyenne par dossier. J'ai été ravie d'apprendre que vous étiez avocat. Nous percevons une moyenne de 20 000 francs par dossier. Dans ces dossiers, on reçoit le débiteur ; on fait des recherches ; on fait des rapports au parquet ; on réalise l'actif ; on va à la recherche de l'actif ; on vérifie le passif ; on répond à tous les créanciers, plutôt deux fois qu'une car ils ne comprennent jamais rien ; on fait des clôtures ; on reçoit à plusieurs reprises les débiteurs. Il faut savoir que, personnellement, depuis 10 ans, j'ai plutôt l'impression d'être assistante sociale que mandataire de justice. Tout cela pour 20 000 francs par dossier ! Mon cher maître, est-ce que vous trouvez que c'est excessif ?

M. Robert GAÏA : Quel est votre chiffre d'affaires global ?

Mme Mireille MASSIANI : Il est de 8 millions TTC. Je donne 2 millions de TVA à l'État. Il me reste 6 millions sur lesquels je dois rémunérer le personnel.

M. Robert GAÏA : Quel est le montant de vos impôts sur le revenu de cette année ?

Mme Mireille MASSIANI : Si je vous dis combien j'ai payé, vous allez sourire. 54 000 francs d'impôts cette année. Parce que je défiscalise un peu aussi, je le reconnais. Si je ne devais payer que 54 000 francs d'impôts, j'arrêterais immédiatement ce métier. Avec les responsabilités que l'on supporte, le fait qu'on peut être ruiné complètement du jour au lendemain, - vous avez quand même conscience que si, demain, j'oublie de faire une déclaration de sinistre de 10 millions, je vais les payer de ma poche. C'est une menace permanente - si je ne dégageais que 100 000 francs de revenus, je m'arrêterais immédiatement.

M. Jacky DARNE : Vous décrivez l'importance de votre action. Je n'en doute pas mais j'ai pris quelques dossiers ordinaires. J'ai un dossier de Maître Grossetti, je ne sais pas lequel car il n'y a pas le prénom, Philippe Rulfo et Sylvie Salotti.

C'est un dossier du 12 février 1996. Le chiffre d'affaires de l'entreprise était de 171 000 francs d'après les documents partiels figurant au dossier. Le seul élément d'actif était un fonds de commerce que vous avez fait réaliser et qui a rapporté 100 000 francs.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : J'ai quelques idées sur le dossier mais il n'est pas très précis dans mon esprit.

M. Jacky DARNE : Je comprends que cela ne soit pas très précis car c'est un tout petit dossier : 100 000 francs.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : C'est un dossier qui a marqué mon esprit sur un point.

M. Jacky DARNE : Il y a eu dispense de vérifications des créances puisque le passif était tel que cela ne le méritait pas. Dans ce dossier vos honoraires s'élèvent à 26 950 francs pour un actif de 100 000 francs.

Vous comprenez bien qu'il y a une interrogation sociale, sur le coût de l'intervention de certains professionnels par rapport à l'entreprise. Il y a une interrogation sur les professions, sur la façon dont on tarifie, sur la façon dont on mesure, sur la façon dont on travaille. Elle est légitime. Je ressens dans cet entretien de cet après-midi une relative opposition de votre part à être interrogé sur la façon dont la profession s'exerce. Le redressement des entreprises et les liquidations ne fonctionnent pas bien. Les démarches amiables sont parfaitement insuffisantes. Les règlements amiables ou les procédures d'alerte sont dérisoires, en particulier en nombre. Dans le déroulement des procédures, le choix entre continuation et cession est toujours difficile. La lenteur des liquidations et le partage de l'argent qui reste, créent des difficultés. Les procédures sont longues et il n'y a répartition qu'in fine. Ce n'est donc pas satisfaisant.

Tout cela n'est pas à mettre à votre charge. Nous constatons des choses qu'il convient d'améliorer et de reprendre.

Comprenez qu'une telle affaire dans laquelle l'on vend un fonds 100 000 francs et où le mandataire coûte 26 950 francs pose un problème de fond.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Il y a, à l'inverse, des procédures impécunieuses.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : À vous entendre, j'ai l'impression d'être l'âne de la fable. Si, si si ! Celui par lequel arrivait tout le mal. Ce pelé, ce galeux, ce tondu, etc. De plus, nous, nous ne serions pas tondus, nous serions au contraire très gras et nous prendrions 20 000 francs d'honoraires sur un actif de 100 000 francs réalisés. Et puis, nous aurions fait quoi ? Nous trouvons un acquéreur, présentons une requête à un juge-commissaire et encaissons l'argent. C'est aussi simple. N'est-ce pas ? Hé bien, non. C'est un peu plus compliqué. Je vous disais que je ne me rappelais pas des détails de ce dossier mais je me rappelle d'une chose. Il s'agit d'un agent immobilier qui lui aussi est en prison actuellement et à propos duquel vous évoquiez non mes rapports passés avec le procureur mais mes rapports présents. Vous faisiez allusion à cette affaire qui me vaut d'être mis en examen.

Cet agent immobilier avait acheté l'immeuble et voulait nous expulser. Nous avons dû faire l'avance des frais de procès, continuer la procédure, conserver le fonds, le réaliser, vérifier le passif, faire des contestations de créances. Et pour tout cela, nous avons touché 26 950 francs. Si j'avais été agent immobilier, si on m'avait donné un fonds de commerce à réaliser, j'aurais pris 15 % d'honoraires. Alors, 15 % sur 150 000 francs, cela fait combien ?

M. Jacky DARNE : Ce que vous nous dites, c'est que le système actuel est parfaitement adapté et correspond aux besoins économiques. Il n'y a pas besoin de faire des réformes.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Non, je ne dis pas cela. Vous êtes une commission parlementaire, mais quand vous me parlez, j'ai l'impression que vous instruisez mon procès à charge.

M. le Rapporteur : On veut simplement savoir ce que vous pensez et c'est très difficile.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Ce que je pense, je vous le dis ouvertement ! Je vais le répéter de façon plus courte. Si j'avais été agent immobilier et si je n'avais pas eu à faire tous ces procès, ces vérifications de passifs, cette assistance au juge-commissaire en lui faisant des rapports, cette assistance au tribunal, à plaider ces affaires moi-même pour maintenir un acquis qui aurait disparu sans cela, j'aurais gagné autant d'argent. J'ai donc l'impression, dans ces affaires, de gagner mon pain honnêtement.

M. le Rapporteur : Très bien ! Ce n'est pas une question de malhonnêteté. J'ai une question encore à poser à M. Bor. Quel est votre chiffre d'affaires en ce qui vous concerne ? Vous avez 1 500 dossiers.

M. Henri BOR : Sur Toulon ?

M. le Rapporteur : Sur la totalité !

M. Henri BOR : Cette année, je vais arriver à 9 millions de francs.

M. le Rapporteur : Nous avons interrogé Maître Jean-Yves Aubert qui fait partie du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises. Il nous donnait un chiffre équivalent. Lui, il n'avait pas l'astuce de défiscaliser. Il nous annonçait 3 à 4 millions d'impôt à payer par an.

Mme Mireille MASSIANI : Sur 9 millions de chiffre d'affaires ! C'est impossible !

M. le Rapporteur : Pour l'ensemble de ses études, ces 9 millions ne concernant que l'une d'entre elles.

Qu'en est-il pour vous Maître Bor ?

M. Henri BOR : Je vais vous répondre loyalement. Sur 9 millions de chiffre d'affaires, je paie 2,1 millions d'impôts.

Mme Mireille MASSIANI : J'ai fait 9,3 millions de chiffre d'affaires et j'ai 1,5 million de revenus.

M. le Rapporteur : Maître Grossetti, êtes-vous dans les mêmes locaux que votre épouse ?

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Je vais vous dire la vérité. Nous avons deux appartements séparés et nous avons une porte de communication. Pourquoi avons-nous cette porte de communication ?

M. le Rapporteur : Parce que vous êtes époux. Tout simplement !

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Non seulement parce que nous sommes époux, mais encore parce que, s'il y a un incident avec des salariés ou quelqu'un d'autre chez ma femme, je veux qu'on puisse l'aider. Pourquoi cela suscite-t-il votre rire, monsieur le Rapporteur ?

M. le Rapporteur : Parce que vous donnez l'impression d'être assiégé. Vous êtes dans la fièvre obsidionale : d'abord, une commission d'enquête qui pose des questions indiscrètes...

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Vous faites de l'ironie !

M. le Rapporteur : ..et de surcroît, les salariés qui vous pourchassent !

M. Jean-Pierre GROSSETTI : Cela nous est arrivé. Il y a eu un incident devant chez elle et c'est à partir de ce moment-là qu'on a ouvert cette porte de communication. Et si elle avait été estropiée ?

M. le Rapporteur : Rassurez-vous, les parlementaires sont parfois pourchassés par les agriculteurs. Nous avons tous des inconvénients.

Mme Nicole GROSSETTI : Pour le dossier Tana je voudrais pouvoir vous adresser toutes les lettres qui ont été communiquées tant à monsieur le procureur qu'à monsieur le juge-commissaire en son temps.

M. Pierre-Louis EZAVIN : Vous constatez quelque chose que nous savons depuis longtemps, - c'est bien que vous le constatiez - à savoir il n'y a aucune relation économique entre l'importance du travail d'un dossier et la rentabilité de ce dossier dans le cadre d'une procédure collective. Les actifs peuvent être vendus à des prix très faibles, et le montant des honoraires, en raison d'importantes procédures, être d'un montant très élevé. Nous ne sommes pas payés à l'heure, à la rentabilité. Il est très difficile d'établir une proportionnalité entre les coûts de l'intervention du mandataire et l'actif de l'entreprise.

De même, quand un tribunal ouvre une procédure collective, il ne connaît pas la rentabilité de cette procédure. Le tribunal pourra ne pas désigner un administrateur judiciaire alors que l'entreprise en mériterait un. On ne sait pas ce que va produire une procédure collective. Aujourd'hui, personne ne peut dire ce qui va se passer dans une procédure collective ; tout le monde est étranger à la procédure collective.

C'est un problème que vous soulevez tout au long de vos questions et dont la presse s'est fait l'écho. On se rend compte de l'opacité des procédures collectives.

Vous avez par ville, par ressort de tribunal de grande instance, quelques cabinets d'avocats spécialisés dans les procédures collectives. C'est partout pareil. Ce n'est pas parce que ces types « profitent de la bête », comme vous avez pu le dire - j'ai lu votre déclaration à ce sujet - mais parce que ces procédures nécessitent une implication totale. Il faut ne faire que cela.

On s'aperçoit que seuls ceux qui connaissent, ceux qui savent, sont capables d'appliquer ce genre de procédure. Si vous allez à Nantes pour acheter un fonds de commerce, je vous conseille de passer par un cabinet spécialisé qui connaît la procédure collective. Non pas parce qu'il aurait des relations particulières et coupables avec un magistrat, mais parce qu'il saura ce qu'il faut faire dans le cadre de la loi de 1985, véritable mosaïque. Chacun applique la procédure de 1985 selon sa propre conception. Un administrateur judiciaire a une pratique très différente d'un autre administrateur de la même manière qu'un mandataire de justice.

C'est une procédure ésotérique. Une procédure collective touche un très grand nombre de gens, et chacun se sent de plus en plus étranger à la solution de la procédure. C'est voulu par les textes. Dans certaines affaires de plans de cession il y a 15 repreneurs potentiels, et personne ne peut dire ce qui va se passer.

M. le Rapporteur : Nous devons conclure. Si vous voulez nous faire parvenir toute note, toute déclaration par écrit, la commission s'en saisira.

M. Jean-Pierre GROSSETTI : 20 000 francs d'honoraires dans un dossier, c'est trop. Mais pour 40 % des dossiers, je n'ai rien touché, qu'en dites-vous ?

M. Jacky DARNE : Il faut faire comme n'importe quel expert et facturer au temps passé !

Audition de M. VIANGALLI, procureur de la République

et de M. RAFFIN, procureur adjoint près le tribunal de grande instance de Toulon

(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM.Viangalli et Raffin sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM.Viangalli et Raffin prêtent serment.

M. le Rapporteur : Nous avons le sentiment que le parquet est un peu écarté du fonctionnement quotidien du tribunal malgré vos efforts, qui sont apparents. Nous avons vu d'autres tribunaux de commerce où le parquet a baissé les bras, faute de moyens, peut-être faute de caractère, ou faute de soutien de la hiérarchie, qui ne donne ni les moyens, ni le sentiment d'entretenir cette vigilance liée au respect de l'ordre public.

A Toulon, nous avons vu un tribunal qui se considère affranchi du respect de la règle. Voilà notre sentiment. Il voit dans le parquet un empêcheur de juger à sa manière, et d'avoir des amis. « On est entre amis et il y en a un qui n'est pas notre ami, c'est le parquet. »

M. VIANGALLI : Dommage que l'on soit là, évidemment !

M. le Rapporteur : Nous aimerions que vous nous éclairiez sur les relations, l'évolution de ces relations entre le tribunal, les juges et le parquet, et puis les mandataires et le parquet.

M. VIANGALLI : Vous voyez aujourd'hui une situation qui a déjà fortement changé par rapport à ce qu'elle était, il y a grosso modo trois ans. Pourquoi ? Parce qu'il y a trois ans, un procureur adjoint a été chargé de surveiller le tribunal et de participer aux audiences.

À partir de là, les choses, évidemment, ont commencé à évoluer. À l'époque, la présidence était assurée par M. Abran que vous avez sans doute rencontré. De nombreuses anomalies ont été constatées, mais la tâche était telle qu'il fallait s'inscrire dans la durée. C'est ce qui a été fait.

Cela n'a pas été et ce n'est toujours pas sans conséquences sur le fonctionnement du parquet. C'est en chef du parquet que je le dis. C'est une réalité : on ne se prive pas d'un procureur adjoint dans un tribunal de la dimension comme Toulon, pour le mettre presque en permanence dans un tribunal de commerce sans que cela ait des conséquences sur le fonctionnement général du service.

C'est un choix qui a été fait par mon prédécesseur. Je l'ai maintenu, bien sûr, et je le maintiendrai. Si je pouvais mettre quelqu'un de plus, je le ferais bien volontiers mais l'état de mes effectifs ne me le permet pas.

L'un des éléments importants de cette évolution se situe, à mon avis, lorsqu'il y a quelques mois de cela, le président Abran a été amené à comprendre qu'il était désormais de trop dans ce tribunal de commerce, et qu'il fallait qu'il démissionne.

M. RAFFIN : Il a présenté sa démission comme étant une démission pour cause de santé.

M. VIANGALLI : Tout à fait ! C'est la version officielle. Ce qu'il ne vous a sans doute pas dit, et je peux vous le dire car je n'ai strictement rien à vous cacher, c'est qu'au moment où M. Abran a présenté sa démission, j'ai eu avec lui une explication dans ce bureau. J'avais, à ce moment-là, avec moi, une dépêche du garde des Sceaux, transmise par ma hiérarchie indiquant, que compte tenu de la position prise par la Chambre régionale des comptes et de son comportement dans le cadre d'une affaire qui avait son importance et qui l'a toujours puisque le contentieux n'est pas fini, - l'association de magistrats consulaires où il est déclaré comptable de fait - le Garde avait décidé de saisir la commission nationale de discipline.

J'étais chargé, en tant que chef de parquet ayant ma place au tribunal de commerce, de le lui faire connaître la dernière phrase de la dépêche : « Sauf si le président décide spontanément de présenter sa démission ». Je crois que c'est ce qu'il a fait ; c'était le seul choix utile qu'il pouvait faire. En l'occurrence, je ne vous révélerai pas de secrets puisque tout cela est déjà sorti dans des journaux, notamment dans « Libération » à l'époque.

M. RAFFIN : C'était une démission provoquée.

M. Robert GAIA : Monsieur le procureur, pourquoi n'êtes vous pas allé en procédure disciplinaire ?

M. VIANGALLI : Parce qu'il y a eu démission.

M. Robert GAIA : Mais une fois la démission déposée, cela éteint l'action.

M. le Rapporteur :C'est un choix de la Chancellerie.

M. VIANGALLI : C'est un choix de la Chancellerie parce que le pouvoir disciplinaire sur un magistrat consulaire appartient en propre au garde des Sceaux.

M. le Rapporteur : J'ajoute que, par ailleurs, dans la mesure où il s'agissait d'une déclaration de gestion de fait, l'État reconnaît s'être désengagé du financement des tribunaux de commerce.

Depuis que la circulaire est intervenue et que la chancellerie a commencé à se préoccuper de ces problèmes, c'est à dire depuis quelques mois, j'ai l'impression qu'il y a des cas différents où des poursuites pénales ont été engagées.

M. VIANGALLI : Parce que ce sont des situations où ont pu être mis en évidence, à mon avis, des cas d'enrichissement personnel.

Le départ de M. Abran n'était qu'un premier épisode, important, dans la vie de ce tribunal de commerce. Il y avait également un réseau d'amitiés, de relations et de connaissances qui s'était créé depuis des années.

La présidence de M. Abran a duré, sauf erreur de ma part, 11 ans, sans compter le temps qu'il a passé en tant que juge consulaire. Je crois qu'une situation comme celle-là ne se fait pas sans constitution d'un tissu relationnel.

Cela dit, je ferme la parenthèse, c'était la première étape ; elle a été franchie. La deuxième est un peu accessoire. Normalement, vous savez qu'un magistrat consulaire, quand il quitte ses fonctions, a automatiquement l'honorariat, ce qui lui permet d'avoir encore ses entrées dans un tribunal consulaire. Le deuxième épisode a été franchi, là encore, par une décision de Mme Guigou qui a pris position en disant qu'il fallait demander à M. Abran s'il renonçait ou pas à l'honorariat. L a question a été posée à peu près dans les mêmes termes que sa démission. Il a donc renoncé à l'honorariat.

Restait la question du choix de son successeur.

Ce fut un épisode beaucoup plus difficile à gérer, parce que le départ d'un président comme Abran, pouvait entraîner l'arrivée de quelqu'un qui aurait été tout à fait dans sa ligne. Je n'apprendrai rien à M. Gaia en disant qu'il y avait un risque sérieux, notamment sur certains noms.

Cela n'a pas été simple : le parquet n'avait pas beaucoup de pouvoir. C'est une élection au sein du tribunal de commerce, le parquet n'a donc pas à intervenir, si ce n'est pour faire jouer ce que l'on pourrait appeler des recommandations, des bons conseils. Je ne m'en suis pas privé par l'intermédiaire en particulier du président de la conférence des présidents des tribunaux de commerce, M. Cohade. Cet homme, ancien président du tribunal de commerce de Marseille, que je connaissais donc depuis longtemps, a beaucoup oeuvré dans ce sens. Il a été, me semble-t-il, assez efficace pour que les noms qui semblaient être quelque peu redoutables, ne sortent pas.

Le préfet du Var, M. Fournier, a également fait tout ce qu'il a pu pour faire comprendre quel était le souhait de l'État républicain.

A donc été élu M. Flasseur. Je l'ai vu à deux reprises. Une fois, il est venu se présenter lorsque son élection a été acquise. Je lui ai fait comprendre assez vite ce que le parquet attendait d'un président de tribunal de commerce, c'est-à-dire une situation assainie, et une image rétablie.

Je l'ai vu pour la deuxième fois quand il a présidé la dernière audience solennelle de rentrée. Je crois que c'est à peu près les deux fois où j'ai rencontré cet homme. Je ne l'ai pas revu depuis. Il n'a pas recherché à me voir, mais je sais qu'il rencontre très régulièrement M. Raffin.

À cet égard, je dirai donc que le fait qu'il ne vienne pas forcément vers moi n'est pas un problème. Voilà, tout ce que je sais sur lui.

Reste le problème des mandataires. Je les ai réunis récemment. Ils ont le discours classique que l'on peut avoir avec eux dans ces cas là, c'est-à-dire un discours essentiellement technique. Pour autant, les pratiques que l'on voit ici ou là à travers des dossiers me laissent rêveur.

Ainsi cette affaire que connaît sans doute aussi monsieur le député, celle de l'auberge de l'Almanar.

M. Robert GAIA : Tout le monde la connaît ; c'est celle du commissaire !

M. VIANGALLI : Si vous la connaissez, je n'en dis pas plus.

M. le Rapporteur : Allez-y, Monsieur le procureur, cela nous intéresse.

M. VIANGALLI : Je vais essayer d'être court. J'apprends un jour assez récent qu'un garçon, de 27 ou 30 ans s'est défenestré à l'auberge de l'Almanare, au moment d'une opération d'expulsion par voie d'huissier assortie de la force publique.

Je fais faire des vérifications et j'apprends que l'auberge est en faillite depuis 1990. Mme Mille assure un commerce de restauration, qui fonctionne surtout l'été, sur une plage privée où il y a beaucoup de monde. Elle assume ce commerce depuis que son mari l'a quittée, parce qu'ils sont en instance de divorce.

Le rez-de-chaussée est réservé au commerce et l'étage est réservé à l'habitation. C'est dans cette habitation que continuait à loger le fils a tenté de se suicider. Ce commerce a été mis en redressement judiciaire, puis en liquidation ; le mandataire est Me Bor; toute la procédure a été faite contre le mari, parce que lui seul est inscrit au registre du commerce et donc a la qualité de commerçant.

Pourtant, le mari était parti depuis longtemps et le commerce était uniquement assuré par Madame Mille, y compris au moment où la procédure collective est prononcée. C'est déjà une première bizarrerie puisque toute la procédure est dirigée contre quelqu'un qui est absent et ne répond jamais aux actions de justice.

Parallèlement, je m'aperçois que le tribunal, dans le cadre de la procédure de divorce, et ensuite la cour d'Aix, dans le cadre du contentieux d'appel, a donné le domicile conjugal à la femme, c'est à dire l'étage.

Aussi, pourquoi n'est-elle pas dans la procédure commerciale pour défendre ses intérêts ? Parce qu'à deux reprises, elle a tenté d'y rentrer et qu'à deux reprises, on lui a dit : « Non, Madame » pour des raisons de délai....

M. RAFFIN : C'est vrai.

M. VIANGALLI : À travers ces décisions, le tribunal a fait en sorte que Mme Mille qui était sur place et qui assurait le fonctionnement du commerce se trouve complètement écartée de la procédure collective. Cette procédure a abouti à la liquidation et une vente au profit d'une société qui s'appelait la S.C.I...

M. RAFFIN : Montréal.

M. VIANGALLI : Dont on ne savait rien. C'était la S.C.I. qui avait obtenu dans un délai record, pratiquement deux mois, le concours de la force publique pour obtenir l'expulsion. Cette expulsion d'une femme seule avec son fils et un chien a nécessité l'intervention de la brigade canine, de 17 policiers et l'adjoint en personne du commissaire chef de la circonscription de Hyères, et l'huissier bien sûr...

Quand on sait que la S.C.I. Montréal, bénéficiaire, est une société qui a été créée par la femme du commissaire, chef de la circonscription de Hyères, et d'autres personnes qui sont des prête-noms, je pense que vous êtes en train de vous dire que quelque chose ne fonctionne pas du côté du mandataire, ni du côté du tribunal de commerce.

Qu'a fait le parquet ? Nous avons pris l'affaire sur le plan pénal. La première démarche a été de saisir l'I.G.P.N. pour vérifier si les conditions d'expulsion ont formellement été respectées. Le texte a été respecté.

Nous sommes en train de vérifier toute la procédure commerciale, une information est ouverte. Il faut noter le départ précipité du commissaire Montaye en direction de Bordeaux, bénéficiaire en fait de cette auberge qu'il convoitait depuis longtemps.

M. le Rapporteur : Vous avez ouvert sur quel chef ?

M. VIANGALLI : Prise illégale d'intérêt et blanchiment.

M. le Rapporteur : Blanchiment ?

Le revendeur, est passé par des entités italiennes.

M. VIANGALLI : Oui, un avocat italien avec une petite annonce de mise en vente, non pas dans un journal français, mais dans le Corriere della Sera, ainsi qu'un avocat suisse, représentant d'une société suisse.

Le commissaire Montaye, lorsqu'il est venu me faire la visite traditionnelle de départ en me disant : « Au revoir, je m'en vais à Bordeaux », m'a expliqué : « Monsieur le procureur, je suis catastrophé, à Bordeaux, j'avais trouvé un logement. Puis est paru un article dans « Le Monde » avec mon nom, avec cette histoire, et voilà que mon propriétaire futur ne veut plus me loger...

Voilà donc, ce qui est arrivé au commissaire Montaye. J'imagine que depuis, il a pu se loger. Je ne veux pas donner d'autres exemples ; ce n'est pas la peine.

M. Robert GAIA : Monsieur le procureur, il y a aussi l'affaire de la Valériane qui est une spécificité de la région.

M. VIANGALLI : Sur La Valériane, je laisserai la parole à M. Raffin.

M. le Rapporteur : Les commissaires de police semblent être des habitués du tribunal de commerce !

M. RAFFIN : Pour l'affaire de la Valériane, il y a une première offre de cession sous redressement judiciaire par un professeur de tennis. Il y a eu un contrat entre le représentant des créanciers et le commissaire de police pour, si possible, emporter une cession, mais sur valeur liquidative.

Donc, le représentant des créanciers a quasiment « invité » le candidat au plan de cession à ne pas déposer un plan, et surtout, il ne l'a pas fait audiencer. Il a déposé rapidement une requête en liquidation, ce qu'il a obtenu.

Très souvent à Toulon comme ailleurs, c'est le mandataire de justice qui dirige les juges-commissaires. Il y avait des différences de prix favorables au professeur de tennis qui mettait dans les premières enveloppes déposées au greffe un prix supérieur à MM. Chagny et Vernière.

Il y a eu renvoi de la procédure pour les offres de liquidation pour que M. Vernière devienne le plus offrant et emporte l'autorisation de cession. L'avocat du professeur de tennis est alors venu tout nous raconter.

Le directeur départemental de la sécurité publique, questionné à cet effet, nous a dit : « Non, il n'y a aucun problème, c'est conforme au statut des policiers et de la police d'État. »

M. le Rapporteur : Le tribunal a pris la défense du mandataire dans cette affaire, comme dans d'autres. Le tribunal, pour couvrir le mandataire-liquidateur, est donc entré en lutte contre le parquet. Celui-ci a dû faire appel. En pratique, l'affaire est pendante. Les réponses ont été : « Nous sommes en famille ». Cette phrase figure au procès-verbal.

M. Robert GAIA : Monsieur le procureur adjoint, monsieur le procureur, avez-vous connaissance de liens qu'il peut y avoir à travers des S.C.I., S.N.C. ou autres entre des juges consulaires et des mandataires ?

M. RAFFIN : J'ai fait dresser par les renseignements généraux, et j'ai moi-même dressé une liste, après trois heures de recherche sur les serveurs informatiques nationaux.

M. Robert GAIA : Y a-t-il des juges consulaires et des mandataires que l'on retrouve dans les mêmes sociétés ?

M. RAFFIN : Mandataires et magistrats consulaires associés, non ! Mais cela ne veut pas dire que cela n'existe pas.

M. le Rapporteur : Monsieur le procureur adjoint, qu'avez-vous détecté à ce stade de vos investigations ?

M. RAFFIN : Des intérêts patrimoniaux dans des S.N.C., des S.C.I., des S.A.R.L. et des S.A, es qualité de juge consulaire ou es qualité de mandataire...

M. Robert GAIA : Les deux ensemble ?

M. RAFFIN : Les deux ensemble, non. Je n'en ai pas vu.

M. VIANGALLI : Cela ne voudrait pas dire encore une fois qu'il n'y en ait pas. Il faudrait que cela se fasse en dehors des déclarations et des immatriculations obligatoires au registre du commerce.

M. VIANGALLI : Le parquet peut faire plus. Il peut exercer un contrôle plus pressant encore sur le tribunal de commerce, mais il lui faut des moyens. On souhaite obtenir une liaison informatique car c'est une manière de s'informer de l'ensemble des procédures sans avoir à chercher pendant des heures.

Rien que cela crée un obstacle insurmontable du côté du greffier et du tribunal de commerce.

M. RAFFIN : L'état des dossiers au greffe est catastrophique. Aucun courrier n'est enregistré par exemple.

M. VIANGALLI : On nous dit : « demandez à Info greffe comme tout le monde ! » C'est-à-dire qu'il faut faire payer par l'État sa dîme pour avoir accès...

M. Robert GAIA : Aux procédures.

M. VIANGALLI : Oui.

M. Robert GAIA : Mais les dossiers de procédure sont un capharnaüm..! Il n'y a pas tout !

M. RAFFIN : Les dossiers de procédure ne sont pas aux audiences de la chambre du conseil. Le président qui préside la chambre du conseil n'a que la « dernière requête » en jeu dans la procédure et non le dossier du greffe. Je le réclame depuis quatre ans, sans succès.

M. le Rapporteur : Nous vous souhaitons bien du courage. Nous notons que le problème que vous soulevez est rencontré dans les autres ressorts. Les moyens sont insuffisants et toute cette partie de la justice a été abandonnée à elle-même pendant de nombreuses années ; nous en payons aujourd'hui les conséquences.

M. RAFFIN : Le parquet n'a des informations que sur 4 ou 5 dossiers à l'initiative de plaintes d'avocats.

Cinq dossiers par an sur 900 à 1 000 faillites !

M. VIANGALLI : En 1997, 906.

M. le Rapporteur : Quelles sont vos propositions de réforme ? Que pensez-vous de l'échevinage ?

M. RAFFIN : La garantie du professionnalisme nécessite au minimum l'échevinage, la présidence d'un magistrat qui aura été formé pour faire respecter la procédure et qui prendra les dispositions dites d'ordre public.

M. le Rapporteur : Vous avez dit : « au minimum ». Quel est le maximum. ?

M. RAFFIN : Le maximum, c'est la collégialité de professionnels. J'ai siégé, effectivement, dans une juridiction où le TGI avait compétence commerciale. C'est le jour et la nuit.

M. le Rapporteur : Où étiez-vous ?

M. RAFFIN : A Saint-Denis de La Réunion.

M. VIANGALLI : L'échevinage pourrait être l'une des solutions possibles s'il n'y avait cette levée de boucliers des juges consulaires chaque fois que l'on en parle. Les juges consulaires ont fait une obstruction lorsque, il y a une quinzaine d'années la question a été posée.

M. Robert GAIA : Qui connaît les dossiers : les juges consulaires ou les mandataires ?

M. VIANGALLI : Au quotidien, ce sont les mandataires. Si le président ne veille pas, tout est consommé. Avec une présidence qui change vite, un parquet présent, je crois qu'on pourrait éviter beaucoup des dérives actuellement à craindre.

Le parquet a également le droit d'appel. Le taux d'appel, sauf erreur de ma part, sur le plan national, doit être de l'ordre de 5.5% en matière de procédures collectives. On peut faire baisser ce taux assez sensiblement si on arrive à l'assainissement des pratiques dans toutes les juridictions.

Lorsque j'étais chef de la section financière du parquet de Marseille, j'ai constaté le caractère douteux de certaines pratiques du président du tribunal de commerce qui est parti.

M. le Rapporteur : Quand avez-vous quitté Marseille, Monsieur le procureur ?

M. VIANGALLI : J'ai quitté Marseille en 1983 et le problème Vicara avait commencé à cette époque là. J'en ai connu la fin aux environs de 1985-1986. Il y a même eu une intervention personnelle de Gaston Deferre, à l'époque maire de Marseille, qui s'était fortement ému d'une situation qui devenait vraiment embarrassante.

Marseille est un grand tribunal de commerce ! Je ne sais pas si, à Paris ou ailleurs, il y a des précédents semblables.

M. le Rapporteur : Monsieur le procureur adjoint avez-vous d'autres réflexions ?

M. RAFFIN : Il me semble que les candidatures des juges consulaires devraient être filtrées par des enquêtes de moralité et qu'il faudrait créer une sorte de droit de regard, sinon de droit de veto, du parquet dans la candidature.

M. VIANGALLI : Aujourd'hui, une période importante s'ouvre avec l'arrestation, depuis quelques semaines des frères Carretto. Je pense que cela risque de changer beaucoup de choses à Toulon, dans le Var, et peut-être même d'une manière générale en région PACA.

M. le Rapporteur : Messieurs du parquet, vous avez les encouragements du législateur, son amitié et sa sympathie.



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