La lutte contre les discours haineux sur Internet ne peut être effective sans responsabiliser les plateformes.

La proposition de loi relative à la lutte contre la haine sur Internet comprend un dispositif complet qui protège les citoyens contre toutes les formes de haine ou de discrimination, notamment en y intégrant la notion « d’atteinte à la dignité de la personne humaine » suite à mon amendement en commission en première lecture.

Cet amendement a été suggéré par l’Association pour la Recherche et l’Archivage de la Mémoire Arménienne (ARAM). Le concept de « dignité de la personne humaine » est un principe à valeur constitutionnelle suite à la décision dite « Bioéthique » du 27 juillet 1994 formulée par le Conseil constitutionnel.

Dans une décision d’octobre 1995, le Conseil d’État rappelle que « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ».

Une insatisfaction demeure : l’expression du négationnisme sur Internet est encore tolérée par le principe constitutionnel de liberté d’expression.

La réalité historique du Génocide des Arméniens de 1915 est régulièrement remise en cause sur Internet par des individus profitant de l’anonymat que procure Internet.

La négation et l’apologie des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité est un combat commun pour nos démocraties. Néanmoins, faut-il encore qu’une juridiction internationale ait acté que des crimes de génocide ont bien été commis à une époque donnée. Ce fut le cas pour la reconnaissance de la Shoah, mais pas pour le Génocide des Arméniens.

Rappelons ce qui a été réalisé par le législateur en France. Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait le principe suivant : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».

Ce principe devenait officiellement une loi de la République avec la loi n° 2001‑70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915.

Or, à l’heure actuelle, il y a une incohérence dans le dispositif juridique français : si la négation de la Shoah est pénalisée, il n’existe aucun moyen pour pénaliser la négation des autres crimes contre l’humanité et des crimes de génocide dont celui des Arméniens.

-Par une loi du 23 janvier 2012 réprimant la contestation de l’existence de tous les génocides reconnus par la loi, le législateur a prévu des sanctions pénales à l’encontre de ceux qui contesteraient ou minimiseraient de façon outrancière l’existence d’un crime de génocide défini par l’article 211‑1 du code pénal et reconnu comme tel par la loi française. Or, le Conseil constitutionnel, par une décision du 28 janvier 2012 a censuré cette loi qui portait selon lui une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication.

-Par une loi du 27 janvier 2017, Egalité et citoyenneté, le législateur a voulu élargir une nouvelle fois l’incrimination du négationnisme. Cette loi permettait d’incriminer la négation du génocide arménien à partir de deux hypothèses :

-d’une part lorsqu’elle a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ;

-d’autre part lorsqu’elle a constitué une incitation à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe défini par référence à la prétendue race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale.

Même si le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur la première hypothèse de négationnisme, il a censuré le texte au motif de la seconde hypothèse.

Rappelons que la qualification de génocide concernant les crimes subis par la population arménienne en 1915 et 1916 dans l’Empire ottoman et qui conduisit près d’1,5 millions de femmes, d’hommes et d’enfants à la mort ne fait l’objet d’aucune discussion par la communauté historique et scientifique.

Et pour cause, Raphaël Lemkin, juriste à l’origine du concept juridique de génocide a rappelé dès 1943 que la nécessité de créer une telle qualification juridique était justifiée pour caractériser les massacres des Arméniens de 1915 à 1923.

L’ouvrage récent de l’historien turc Taner Akçam, Ordres de tuer (CRNS Editions, 2020, 324 p.), établit enfin l’authenticité des ordres des autorités ottomanes pour la déportation et l’annihilation des Arméniens de l’empire dès 1915.