La proposition de loi sur la lutte contre les contenus haineux sur internet constitue un cas d’école de ce que le législateur se doit d’éviter quand il accomplit sa mission.

C’est en effet l’exemple même d’un projet aux intentions louables, dont il ne viendrait à personne l’idée de contester la finalité, mais dont la mise en œuvre contient en germe un certain nombre d’effets pervers qui, non seulement rendront le dispositif inefficace, mais en plus risquent de porter atteinte à nos libertés fondamentales, et en particulier à celle d’expression.

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s’est déroulé le travail parlementaire participent d’un déséquilibre malheureusement récurrent entre l’exécutif et le législatif, au détriment évident de ce dernier.

Mes objections porteront à la fois sur le fond et la forme.

Sur le fond tout d’abord :

Ce dispositif confie à des organismes privés étrangers, les GAFA, une mission de « gendarmes de l’internet ». Alors que par ailleurs, le législateur manifeste sa volonté de limiter l’hégémonie des grands réseaux sociaux, il est ici donné à ces derniers le moyen de renforcer leur pouvoir économique, a contrario de nos intérêts nationaux et européens, et de décider seuls, en l’absence du juge, de ce qui peut ou non se dire sur Internet.  

Le montant des amendes que les GAFA encourent, en cas de défaillances dans leur activité de contrôle, les encourage à une modération excessive, entraînant un risque de sur-censure, notamment de ce que l’on appelle les contenus gris, plus difficiles à caractériser. Le recours à des algorithmes, mis en place afin de permettre une modération plus rapide et moins coûteuse, ne fera qu’accentuer ce risque.

Sur la forme ensuite :

Cette PPL prend appui sur un rapport mais n’a été étayée par aucune étude d’impact. Alors que ce dispositif a, dès le départ, suscité une levée de boucliers de la part de parlementaires très au fait des sujets numériques, d’associations du numérique, du CNB, de la CNIL, du Conseil national du Numérique, de l’Union européenne…, le gouvernement est resté sourd à des arguments pourtant convergents.

Les tâtonnements se sont succédé : sur le harcèlement sexuel par exemple, d’abord taxé de cavalier législatif par le gouvernement puis réintégré à la faveur d’un sous-amendement de la rapporteure, contrairement à l’avis de l’Union européenne, ou sur le harcèlement scolaire, autant de difficultés pour délimiter le champ couvert par le dispositif.  Les réécritures successives aussi, preuves, s’il en était, que la rédaction n’avait pas été mûrement travaillée en amont.

Pire encore, le recours à la procédure d’urgence a limité de façon drastique le temps et le débat parlementaires sur un sujet pourtant particulièrement complexe.

Enfin, que dire du dépôt, en catastrophe et en seconde et définitive lecture, d’un amendement du gouvernement, non discuté en commission, portant sur le terrorisme et la pédo-criminalité. S’il est un sujet dont il aurait fallu débattre pendant des mois, en multipliant les auditions, pour prétendre respecter nos principes démocratiques, c’est bien celui du terrorisme. Il avait été abordé lors des discussions au Sénat. Pourquoi attendre le dernier jour pour faire voter un tel amendement, à la sauvette. Amateurisme ou mise de côté délibérée du parlement ? La question mérite d’être posée.

Pour ces nombreuses raisons, et dans un souci de cohérence avec mes convictions profondes, je ne voterai pas cette proposition de loi. Considérant les débats suscités à l’intérieur et à l’extérieur des deux Chambres, je demande au gouvernement de déférer la loi sur la lutte contre les contenus haineux sur Internet au Conseil constitutionnel, afin que ce dernier puisse en évaluer la constitutionnalité.