La protection des lanceurs d’alerte est un enjeu moderne qui se pose à nos sociétés démocratiques. En effet, sans eux, de nombreux défis ne trouverons pas de solutions : la lutte contre la grande corruption et le blanchiment d’argent mais aussi les atteintes aux libertés individuelles, à l’environnement ou à la santé publique. Ces personnes essentielles et prêtent à sacrifier leur vie personnelle doivent être protégés efficacement face aux représailles de toutes sortes. Cette protection constitue un véritable “marqueur” démocratique.
 
Pour cela nous avons besoin d'une protection renforcée et facilitatrice des signalements sur la base de la loi Sapin II qui est très bonne en la matière mais doit être complétée à l'occasion de la transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019. La proposition de loi que le groupe la France Insoumise porte, si elle a le mérite de mettre le sujet sur la table en amont de la date limite de transposition (décembre 2021), elle n’est cependant pas suffisamment avancée pour répondre aux besoins qui ont été constatés sur ce sujet.
 
J’ai été rapporteur pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe d’un rapport, adopté à une très large majorité, sur la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe. Pour alimenter ce rapport il y a eu de nombreuses auditions, un questionnaire a été adressé à tous les États membres du Conseil de l’Europe (27 retours) et un événement (« 48h Chrono Lanceurs d'alerte » 130 participants dont Edward Snowden) a été organisé permettant de croiser les regards de juristes, de politiques, d'organisations non gouvernementales et d'universitaires sur le sujet. 13 propositions ont été formulées à la suite de ces travaux.
 
Parmi ces propositions le besoin d’une co-construction avec la société civile pour une protection réellement efficace des lanceurs d’alerte a été clairement identifié. Cependant dans le cadre de cette proposition de loi ce travail n’a pas été fait, qu’il s’agisse d’étendre la protection aux personnes morales, d’appliquer certaines obligations aux entreprises de moins de 50 salariés ou encore de créer un canal externe crédible permettant de recueillir les alertes et de les traiter. Sur ces sujets c’est donc un travail de fond qu’il faut engager avec le Défenseur des droits, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement, les partenaires sociaux, la Maison des lanceurs d’alerte, etc.
 
Lors de la transposition plusieurs mesures devraient être envisagées afin de renforcer la protection contre les discriminations et les sanctions visant des lanceurs d’alerte et envisager dans certaines situations graves une protection équivalente à celle des repentis. Il est également important de réfléchir sur les modalités de la prise en charge par le Défenseur des droits du canal externe de signalement (à la place de l’Inspection proposée par la proposition de loi organique de la France Insoumise) ainsi qu’à ses compétences notamment la possibilité de délivrer un statut protecteur permettant un meilleur accompagnement pour les auteurs de signalement en amont d’une qualification de lanceur d’alerte par la justice.
D’autres points d’évolution du droit français actuel nécessitent une analyse approfondie notamment l’exclusion radicale de trois secrets du régime de l’alerte (secret de l’avocat, secret médical, secret de la défense nationale au regard des principes dits « De Tschwane »). Il y a enfin un véritable enjeu à se questionner une application spécifique du droit d’asile concernant les lanceurs d’alerte.
 
De ce fait à l’exception de quelques articles transposant la directive, cette proposition de loi n’est pas, à elle seule, suffisante ni simplement amendable ; elle appelle, comme le fait aussi la transposition de la directive européenne, à un véritable travail de fond pour que nous soyons à la hauteur des enjeux de la protection des lanceurs d’alerte.