N° 4526

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2022 (n° 4482),

 

TOME V

 

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

 

PAR M. Jean François MBAYE

Député

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 Voir le numéro : 4482


 


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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR....... 5

introduction

Première partie : le financement des politiques publiques de l’environnement

I. Les orientations générales de la mission Écologie, développement et mobilité durables

II. l’Évolution des crédits des différents programmes de la mission Écologie, développement et mobilité durables

Deuxième partie thématique :  Les aires marines protégées, un outil efficace au service de la protection des mers et des océans

I. L’Océan, un espace vital mis sous pression par les activités humaines

A. Les bénéfices exceptionnels offerts par le milieu marin

1. Un écosystème indispensable à la survie de l’humanité

2. Un océan en bonne santé, un élément fondamental pour la protection de la planète et l’amélioration du quotidien de tous

B. Les différentes menaces pesant sur les milieux marins

II. Les aires marines protégées, un outil efficace pour la protection des écosystèmes marins

A. Œuvrer pour le développement de véritables aires marines protégées à même d’ASSURER UNE RÉELLE CONSERVATION DE la BIODIVERSITÉ

1. Les aires marines protégées, un instrument permettant d’assurer une régénération des écosystèmes marins aux bénéfices de tous

2. Les aires marines protégées offrent d’importants bénéfices sous réserve de respecter certaines conditions

a. Les critères auxquels doivent répondre les aires marines protégées pour se révéler pleinement efficaces

B. l’exemple de la protection des milieux marins dans le bassin méditerranéen

1. La Méditerranée, une mer exposée à de nombreux périls

2. Un niveau de protection très hétérogène

a. Des aires étendues en surface mais qui offrent un niveau de protection réelle très inégal

b. De multiples stratégies nationales qui obèrent la cohérence et l’efficacité de la protection des écosystèmes marins

III. La nécessaire mobilisation de la communauté internationale en faveur des mers et des océans

A. Le besoin d’une gouvernance multilatérale des mers et des océans, bien commun de l’humanité

1. Les grands rendezvous internationaux sur la question des océans

2. La question de la haute mer

a. La haute mer, une zone maritime internationale subissant d’importantes pressions

b. L’élaboration d’un nouvel instrument juridique pour protéger la haute mer

B. La France, une nation maritime mobilisée qui doit cependant renforcer son engagement en faveur de la protection des ecosystèmes marins

1. La France, une nation maritime qui se mobilise en faveur des océans

2. Les ambitions et les limites de la stratégie française en matière d’aires marines protégées

a. Les singularités de l’ambition française en matière de protection des écosystèmes marins

b. Une croissance en surface des aires marines protégées françaises menée au détriment du renforcement des niveaux de protection

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par LE RAPPORTEUR


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SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR

 

1) Œuvrer en faveur d’un rehaussement général des niveaux de protection des aires marines protégées (AMP) en France. Riche d’un vaste domaine maritime, notre pays doit impérativement donner l’exemple et se mobiliser pour protéger plus efficacement les écosystèmes marins aux échelles nationale, régionale et internationale ;

2) Adopter la classification en fonction des niveaux de protection définie par le Guide des aires marines protégées endossé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) afin de favoriser une meilleure compréhension et un meilleur suivi des résultats obtenus par les AMP pour la biodiversité et le bien‑être humain ;

3) Valoriser auprès du grand public et des usagers de la mer les bénéfices écologiques et socio‑économiques générés par les AMP offrant un haut niveau de protection. Les zones protégées n’ont pas vocation à mettre la nature « sous cloche » mais bien au contraire à préserver les milieux marins pour leur permettre de se régénérer et de continuer à fournir des services écosystémiques au profit du plus grand nombre ;

4) Soutenir le dialogue entre les pays riverains de la Méditerranée concernant la préservation de cette mer fortement menacée par les activités humaines et renforcer la coopération régionale en faveur d’un développement concerté des AMP, d’une harmonisation des législations et d’une coordination des moyens de surveillance ;

5) Appuyer les efforts de la France et de certains de ses partenaires européens pour replacer la question des mers et des océans au cœur des négociations de la prochaine conférence des Parties (COP15) à la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) qui se réunira à Kunming en Chine en avril 2022 ;

6) Soutenir l’adoption d’un traité sur la protection de l’océan au‑delà des juridictions nationales dont les négociations menées sous l’égide des Nations unies devraient très probablement arriver à leur terme au cours de la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022. La France aura alors un rôle clé à jouer en faveur d’une mobilisation politique au plus haut niveau pour permettre à ces discussions cruciales d’aboutir.

 


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   introduction

La commission des affaires étrangères est saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2022. Cette mission comporte neuf programmes : le programme 203 Infrastructures et services de transports, le programme 205 Affaires maritimes, le programme 113 Paysages, eau et biodiversité, le programme 159 Expertise, information géographique et météorologie, le programme 181 Prévention des risques, le programme 174 Énergie, climat et aprèsmines, le programme 345 Service public de l’énergie, le programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement de la mobilité durables, et le programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État.

Votre rapporteur salue une nouvelle fois l’évolution à la hausse des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables qui sont passés pour les autorisations d’engagement (AE) de 21,26 milliards d’euros dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2021 à 21,55 milliards d’euros dans le présent projet de loi de finances pour 2022 (soit une variation de +1,35 %) et pour les crédits de paiement (CP) de 20,73 milliards d’euros en LFI pour 2021 à 21,22 milliards dans le PLF pour 2022 (soit une variation de +2,39 %). Un tel engagement permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement.

Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de pouvoir porter une tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. Votre rapporteur estime que le présent projet de loi de finances pour 2022 lui en donne pleinement les moyens.

L’examen du budget constitue, en outre, pour la commission des affaires étrangères l’occasion d’examiner les instruments, les objectifs et les modalités de la diplomatie environnementale. Par ailleurs, cette année, votre rapporteur a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à la question de la protection des mers et des océans en général et au nécessaire développement des aires marines protégées en particulier. Cet avis vise à donner au Gouvernement les recommandations de la commission des affaires étrangères sur les objectifs que doit porter la France sur la préservation des écosystèmes marins à l’échelle mondiale.


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   Première partie : le financement des politiques publiques de l’environnement

I.   Les orientations générales de la mission Écologie, développement et mobilité durables

Les crédits des programmes qui composent la mission Écologie, développement et mobilités durables sont essentiels pour permettre la mise en œuvre de la transition écologique devant conduire à une amélioration au quotidien de la qualité de vie de nos concitoyens et à la préservation de la biodiversité, substrat indispensable au bien‑être de l’humanité. La mission Écologie, développement et mobilités durables porte ainsi sur les dépenses afférentes aux politiques publiques en faveur de la transition énergétique, du climat, de la biodiversité, de la prévention des risques et des transports. Les crédits de la mission sont complétés par ceux du plan de relance adopté pour faire face aux conséquences économiques inédites provoquées par la pandémie de la covid‑19. Sur les 100 milliards mobilisés pour surmonter cette crise, près du tiers est directement consacré à la transition écologique.

Les détériorations des écosystèmes, auxquels l’humanité appartient et dont nous avons impérativement besoin, imposent une prise de conscience et des actions tant aux échelles locale que nationale, européenne et mondiale. Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations bilatérales ou multilatérales. Ainsi la diplomatie environnementale apparaît comme l’instrument crucial à même de renforcer notre action collective au service de la nature et du vivant.

La préservation de la diversité biologique à l’échelle mondiale et notamment dans les écosystèmes marins auxquels votre rapporteur a choisi de consacrer la partie thématique du présent rapport, constitue un enjeu écologique de premier ordre mais également un impératif d’ordre culturel et socio‑économique.

Les mois qui viennent seront riches en opportunités permettant de faire valoir sur la scène internationale les ambitions de la France en la matière. Le dernier Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui s’est tenu à Marseille en septembre 2021, a fait la preuve de la volonté de mobilisation de notre pays en faveur de la préservation des mers et des océans. La prochaine conférence des Parties (COP15) à la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) qui se réunira, à Kunming, en deux temps en 2021 et 2022, représentera une étape cruciale dans le combat contre l’érosion de la biodiversité mondiale. À cette occasion, la France devra ainsi porter une nouvelle impulsion à même de déboucher sur l’adoption d’un cadre international plus ambitieux et plus opérationnel en faveur de la nature et du vivant. De même, la présidence française du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022 constituera une occasion importante qui permettra à notre pays de porter certaines thématiques, notamment dans le cadre de la finalisation des négociations menées sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies au sujet des zones maritimes au‑delà des juridictions nationales (processus dit BBNJ pour biological diversity in areas beyond national jurisdiction en anglais).

Pour porter efficacement une tel message sur la scène internationale, la France doit nécessairement conduire sur son propre territoire une action écologique ambitieuse et exemplaire afin de favoriser, à l’instar de ce qu’elle a su faire pour le climat, un élan collectif au service de la préservation de la nature et du vivant à l’échelle de la planète.

Ainsi, avec le présent projet de loi de finances pour 2022 le Gouvernement entend pleinement favoriser la mobilité verte et la préservation de l’environnement comme en atteste la hausse significative des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables que votre rapporteur salue. En effet, les crédits enregistrent de notables augmentations en comparaison avec ceux inscrits, en 2021 en loi de finances initiale. Les autorisations d’engagement (AE) pour l’ensemble de la mission s’élevaient ainsi en 2021 à 21 264 millions d’euros et atteignent 21 552 millions d’euros pour 2022. Les crédits de paiements (CP), quant à eux, s’élevaient à 20 729 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2021 contre 21 224 millions dans le présent projet de loi de finances pour 2022. En revanche, les équivalents temps plein travaillé (ETPT) de la mission Écologie, développement et mobilités durables sont en légère baisse par rapport à la loi de finances initiale pour 2021 passant de 36 212 à 35 865 dans le présent projet de loi de finances pour 2022.

II.   l’Évolution des crédits des différents programmes de la mission Écologie, développement et mobilité durables

Programme 203 Infrastructures et services de transport

Le programme 203 voit ses AE diminuer de 125 millions dans le cadre du présent projet de loi de finances. Cette baisse porte ainsi l’ensemble des AE de ce programme à 3 794 millions d’euros. En CP, le programme 203 enregistre en revanche une hausse de 142 millions d’euros, pour une valeur totale de 3 839 millions d’euros.

-         Programme 205 – Affaires maritimes

Le programme 205 connaît une forte hausse de ses AE et de ses CP par rapport aux crédits alloués par la loi de finances initiale pour 2021. Les AE passent ainsi de 155 millions d’euros environ à un peu plus de 192 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances. Les CP quant à eux passent de 159 millions d’euros à 193 millions d’euros.

-         Programme 113 – Paysages, eau et biodiversité

Le programme 113 constitue le cœur de cible de l’action gouvernementale en matière d’écologie. En cohérence avec les annonces gouvernementales, les AE de ce programme passent de 229 millions d’euros en 2021 à 244 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022. Les CP connaissent eux aussi une croissance, portant les crédits à 244 millions d’euros dans le présent projet loi de finances contre 229 millions d’euros lors de l’exercice précédent.

- Programme 159 Expertise, information géographique et météorologie

Le programme 159 connaît une légère baisse de ses AE et de ses CP. Les AE et les CP diminuent tous les deux de 10,8 millions d’euros environ par rapport à l’année 2021, pour atteindre 471 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances.

-         Programme 181 – Prévention des risques

Les AE du programme 181 enregistrent une baisse dans le présent projet de loi de finances, qui porte les crédits à 1 065 millions d’euros environ, contre 1 239 millions l’an passé. Les CP connaissent en revanche une forte progression et augmentent d’environ 83 millions pour atteindre 1 072 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022.

-         Programme 174 – Énergie, climat et après-mines

Le programme 174 s’articule autour de trois objectifs majeurs : mettre en œuvre une politique énergétique intelligente, accompagner la transition énergétique et accompagner la transition économique, sociale et environnementale des territoires. Les AE pour l’année 2022 augmentent de 41,86 % par rapport à 2021, portant ainsi les crédits à 3 620 millions d’euros. Les CP enregistrent pour leur part une augmentation de 29,74 %, passant de 2 464 millions d’euros en 2021 à 3 197 millions d’euros en 2022.

-         Programme 345 – Service public de l’énergie

Le programme 345 enregistre une légère baisse des crédits dans le présent projet de loi de finances pour 2022. Les AE et les CP enregistrent ainsi la même baisse de 700 millions d’euros pour s’établir à 8 449 millions d’euros.

-         Programme 217 – Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable

Le programme 217 qui constitue avant tout un programme de pilotage des politiques publiques menées en matière environnementale connaît, dans le cadre du présent projet de loi de finances, une légère hausse de ses AE et de ses CP, les AE passant ainsi de 2 847 millions d’euros à 2 877 millions d’euros entre 2021 et 2022, les CP passant quant à eux de 2 867 à 2 920 millions d’euros.

-         Programme 355 – Charge de la dette de la SNCF Réseau reprise par l’État

Le programme 355 enregistre pour sa part une augmentation de ses AE et de ses CP qui passent de 692 millions d’euros en 2021 à 836 millions d’euros dans le cadre du présent projet de loi de finances pour 2022.

Votre rapporteur estime la mobilisation de la France en matière environnementale particulièrement importante et pertinente. Il soutient l’évolution générale des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables et invite la commission des affaires étrangères à émettre un avis favorable à leur adoption afin de permettre à notre pays de continuer à œuvrer en faveur de la transition écologique et pour la préservation de la nature et du vivant.


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   Deuxième partie thématique :
Les aires marines protégées, un outil efficace au service de la protection des mers et des océans

I.   L’Océan, un espace vital mis sous pression par les activités humaines

A.   Les bénéfices exceptionnels offerts par le milieu marin

1.   Un écosystème indispensable à la survie de l’humanité

Il apparaît important de considérer l’ensemble des masses océaniques comme une seule et même mer continue constituée seulement de différents bassins. Selon M. Gilles Bœuf, professeur à l’université Pierre‑et‑Marie‑Curie et ancien président du Muséum national d’histoire naturelle « la principale caractéristique de ce gigantesque milieu est sa continuité, donc sa connectivité » ([1]).

Les masses maritimes de l’océan mondial recouvrent 70 % de la surface du globe avec une profondeur moyenne d’environ 3 800 mètres et un volume de l’ordre de 1,37 milliard de kilomètre cube (km3([2]). Elles abritent 90 % de l’habitat naturel de la Terre faisant ainsi de l’océan mondial une des plus grandes réserves de biodiversité dont une grande partie demeure encore inconnue.

l’océan mondial

Les eaux de l’océan mondial fournissent la moitié de l’oxygène que nous respirons et un cinquième des protéines animales que nous consommons chaque année ([3]). Elles offrent également à l’humanité des ressources minérales, énergétiques et médicinales. Par ailleurs, les masses maritimes jouent un rôle primordial en tant que régulateur du climat en captant 60 % des rayons du soleil jouant ainsi le rôle d’une véritable « pompe à chaleur ». Les eaux de l’océan mondial constituent, en outre, d’important puits de carbone, capable de séquestrer près de 30 % du dioxyde de carbone (CO2) émis par les activités humaines ([4]). Les masses maritimes constituent également d’importantes voies de transport pour les échanges mondiaux puisque 90 % des produits que nous consommons passent par la mer. Enfin les mers et les océans du globe possèdent une fonction patrimoniale et culturelle de première importance, 40 % de la population mondiale vivant à moins de 150 kilomètres (km) du littoral. De plus, des centaines de millions d’autres personnes visitent ses rivages, chaque année, dans le cadre d’activités touristiques ([5]).

2.   Un océan en bonne santé, un élément fondamental pour la protection de la planète et l’amélioration du quotidien de tous

En 2015, a été adopté, sous l’égide l’ONU, l’agenda 2030 fixant dix‑sept objectifs de développement durable (ODD) dont l’objectif n° 14 qui vise à « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable » ([6]). S’il devait être pleinement réalisé, cet ODD permettrait de manière concomitante la réalisation de nombreux autres ODD, démontrant par là‑même l’importance du milieu marin pour l’avenir de la planète et de l’espèce humaine.

L’infographie ci‑après présente les effets bénéfiques que pourrait entraîner une réalisation complète de l’ODD n° 14 et de ses différentes cibles sur les seize autres ODD de l’agenda 2030 des Nations unies :

Source : Claudet et al. 2020a – One Earth

B.   Les différentes menaces pesant sur les milieux marins

Le milieu marin – encore largement méconnu – abrite une biodiversité et des écosystèmes indispensables à la survie de l’humanité et participe à la régulation du climat. Deux rapports internationaux aux constats alarmants ont été rendus en 2019 à ce sujet :

– le rapport d’évaluation mondiale de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) qui a établi qu’au cours des cinquante dernières années, environ 66 % du milieu marin a été significativement modifié par les activités humaines en mer ([7]) ;

– le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) relatif à l’océan et la cryosphère dans le cadre du changement climatique ([8]) qui a établi qu’au cours des cinquante dernières années, l’océan n’a eu de cesse de se réchauffer et qu’il a absorbé plus de 90 % de l’excédent de chaleur accumulé dans le système climatique de la Terre, ce qui a entraîné son acidification et une détérioration de sa biodiversité.

Ces deux rapports ont ainsi permis d’établir une cartographie des menaces qui pèsent sur la biodiversité marine et les écosystèmes associés. La communauté scientifique s’accorde à distinguer deux types de pressions directes sur la biodiversité et les écosystèmes marins et côtiers : les activités humaines et les effets du dérèglement climatique.

Parmi les activités humaines, les menaces proviennent principalement de :

-         la surexploitation de l’océan (la surpêche, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, les captures accidentelles d’espèces menacées…) ;

-         des changements d’usage des océans avec une intensification du transport maritime entraînant de fortes perturbations sonores et lumineuses ainsi que des risques de collisions ;

-         de la destruction des habitats (activités extractrices à proximité des côtes et en mer) :

-         et des diverses pollutions (plastiques, métaux lourds, molécules chimiques…).

S’agissant des effets du dérèglement climatique – dont l’origine anthropique a été établie par d’autres travaux du GIEC – les principales menaces sont le réchauffement des températures, l’acidification, la désoxygénation, l’élévation du niveau de la mer, les évènements extrêmes et les intrusions salines.

La dissémination d’espèces exotiques envahissantes (EEE) qui affectent la biodiversité marine endémique s’explique, par ailleurs, par l’intensification des échanges commerciaux (espèces transportées par les eaux de ballast) ainsi que par le réchauffement des eaux qui permet à certaines espèces non indigènes une acclimatation plus aisée. Les données de l’IPBES de 2019 précisent que près de un cinquième de la surface de la Terre se trouve menacé par ce phénomène d’invasion biologique. Le rythme d’introduction de nouvelles espèces est croissant, étant directement associé à une intensification des échanges commerciaux et au développement des populations et des activités humaines. Ces introductions ne sont pas un processus nouveau mais elles n’ont eu de cesse de s’accroître au cours du XXe siècle.

Votre rapporteur a pu observer ce phénomène à l’occasion de son déplacement à Chypre, les eaux de la Méditerranée orientale étant notamment confrontées à une augmentation exponentielle des populations de poissons‑lions. Cette situation s’explique par une élévation des températures dans la zone ainsi que par la proximité du canal de Suez, reliant la mer Méditerranée à la mer Rouge, qui a facilité l’arrivée d’espèces exotiques. La dénomination attribuée à ces espèces envahissantes fait très clairement apparaître le rôle du canal – « espèces lessepsiennes » d’après le nom de Ferdinand de Lesseps, l’ingénieur français ayant supervisé la construction du canal – et par conséquent le rôle et l’impact des activités humaines sur la dégradation des écosystèmes marins. Votre rapporteur insiste pour qu’une mobilisation se mette rapidement en place au sein de l’Union européenne en faveur de programmes de recherches scientifiques dédiés à la problématique des espèces exotiques envahissantes pour mieux comprendre le phénomène et agir pour limiter la prolifération de ces espèces.

Les différentes pressions détériorant les écosystèmes marins sont plus ou moins intenses en fonction des zones géographiques considérées. La carte ci‑après présente de manière globale les impacts sur l’océan des activités humaines.

 

II.   Les aires marines protégées, un outil efficace pour la protection des écosystèmes marins

Les solutions existantes pour limiter les atteintes portées aux écosystèmes marins doivent être menées de concert afin de préserver au mieux les mers et les océans. Selon M. Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (CRIOBE), la gestion des pêches représente, par exemple, un outil qui pourrait être sensiblement amélioré en ne se fondant plus principalement sur les stocks – dont nous avons une très mauvaise connaissance à l’échelle mondiale – mais plutôt sur une gestion par zones. M. Joachim Claudet a, par ailleurs, insisté au cours de son audition par votre rapporteur sur le fait que la surexploitation des océans pourrait être utilement limitée en réduisant la part des subventions distribuées à l’échelle mondiale à des activités de pêche non rentables mais qui portent fortement atteintes à la biodiversité marine. Certaines études scientifiques démontrent ainsi que 54 % des activités de pêche en haute mer ([9]) ne sont pas économiquement viables sans ces aides publiques. Le gel de ces subventions permettrait ainsi d’obtenir un fort impact sur la limitation de la surexploitation des ressources marines.

Les bénéfices de la pêche en haute mer en milliers de dollars avant distribution des subventions

Source : Sala et al. 2018

M. Joachim Claudet, spécialiste des impacts des activités humaines sur l’océan, a également insisté, au cours de son audition, sur l’efficacité des aires marines protégées (AMP) comme instrument de préservation des milieux marins lorsque celles‑ci sont bien conçues et convenablement gérées. Les aires protégées, pour reprendre les termes du rapport la Fondation de recherche pour la biodiversité de 2020, représenteront « sans aucun doute une partie de la solution » même si « elles ne suffiront probablement pas à sauver la biodiversité au XXIe siècle » ([10]).

A.   Œuvrer pour le développement de véritables aires marines protégées à même d’ASSURER UNE RÉELLE CONSERVATION DE la BIODIVERSITÉ

1.   Les aires marines protégées, un instrument permettant d’assurer une régénération des écosystèmes marins aux bénéfices de tous

Pour l’UICN, une aire marine protégée correspond à « un espace géographique clairement défini, reconnu, spécialisé et géré par des moyens légaux ou d’autres moyens efficaces, visant à assurer la conservation à long terme de la nature et des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui y sont associés ». Les aires marines protégées peuvent permettre « une utilisation modérée des ressources naturelles », mais « non industrielle et compatible avec la conservation de la nature » ([11]).

Les aires marines protégées génèrent, par ailleurs, grâce aux effets de débordement qu’elles suscitent, des retombées positives pour les zones avoisinantes dans les domaines aussi bien environnementaux que sociaux, économiques et culturels. Elles se révèlent ainsi in fine bénéfiques pour la nature comme pour les populations riveraines.

Les aires marines protégées ne sont qu’une facette de la protection des océans, et elles doivent impérativement fonctionner de concert avec d’autres leviers tels que l’étude scientifique et la bonne gouvernance pour assurer la meilleure préservation possible des espaces écosystèmes marins. Elles constituent néanmoins pour votre rapporteur la clé de voûte sur laquelle doit nécessairement s’appuyer toute stratégie visant une conservation des mers et des océans. Il faut impérativement, à ses yeux, les promouvoir auprès du grand public et des usagers de la mer ainsi que veiller à rendre leur développement le plus pertinent et le plus efficace possible pour que chacun puisse en tirer de grands bénéfices.

Les aires marines protégées les plus efficaces engendrent une meilleure protection de la biodiversité marine. Ce phénomène se traduit notamment par une reconstitution de la richesse biologique locale et par une augmentation de la population de poissons et de leur taille.

Les bénéfices tirés des AMP pour la biodiversité marine

Les aires marines protégées les plus efficaces engendrent – en trois ou quatre ans seulement – une reconquête de la diversité biologique qui entraîne par un effet de débordement des bénéfices pour les pêcheurs des zones avoisinantes.

Les aires marines protégées ont également une influence positive sur les activités de tourisme durable en générant des revenus et des emplois supplémentaires.

Le graphique ci‑après présente ainsi les revenus et les emplois estimés générés par les services écosystémiques des aires marines protégées en Méditerranée :

ESTIMATION DES revenus et emplois générés par les services écosystémiques des aires marines protégées en Méditerranée

Source : Roncin et al. 2008 – Journal for Nature Conservation

Les aires marines protégées contribuent au renforcement de la résilience des écosystèmes en diminuant le risque de catastrophe naturelle. À titre d’illustration, les zones humides protégées jouent en période d’inondations un rôle d’éponge et un rôle de tampon côtier face à l’élévation du niveau de la mer. En Camargue, le domaine de la Tour du Valat – surface de 2 600 hectares composée en grande partie d’une zone humide – qui figure sur la Liste verte des aires protégées reconnues par l’UICN, joue ainsi un rôle de premier ordre dans l’atténuation des effets du dérèglement climatique. En Méditerranée, les prévisions tablent sur une augmentation de la température de 2,2 °C d’ici à 2040, du niveau de la mer de 52 à 190 centimètres (cm) d’ici à 2100 et du risque d’inondation de 50 % à l’horizon 2100. L’aire protégée de la Tour du Valat, en étant directement reliée au Rhône, permet de stocker l’eau en cas de crues et de restituer la ressource en période de sécheresse ([12]).

Par ailleurs, les aires marines protégées augmentent la capacité de séquestration en CO2 des milieux marins. À titre d’illustration, les posidonies – plantes marines formant de vastes herbiers dans les eaux côtières peu profondes – participent activement à la séquestration du carbone. Ainsi 1 km2 de posidonies permettrait de stocker jusqu’à 83 000 tonnes de CO2 ([13]). Or ces herbiers se trouvent actuellement très fortement menacés par les activités humaines, notamment par le mouillage des navires en Méditerranée. L’interdiction du mouillage des bateaux dans certaines aires marines protégées riches en posidonies permettrait ainsi de préserver cette espèce végétale et donc de renforcer les capacités de séquestration du dioxyde de carbone des milieux marins concernés.

La conservation des milieux naturels favorisée par les aires marines protégées permet de préserver les ressources patrimoniales des populations riveraines. En effet, en interdisant certaines activités extractives et en incluant les populations locales dans leur gouvernance, les zones protégées constituent des outils permettant de maintenir des pratiques traditionnelles. En renforçant la résilience des milieux naturels et notamment la résilience côtière, les aires marines protégées participent à la préservation des monuments naturels et des ouvrages situés le long du littoral. Elles augmentent ainsi de façon durable l’attractivité culturelle du territoire considéré. Ainsi, en œuvrant pour la conservation des écosystèmes marins, les aires marines protégées permettent, dans le même temps, de préserver le patrimoine culturel immatériel et physique des populations locales.

Les aires marines protégées constituent des supports permettant une meilleure compréhension des espaces marins dans leur globalité, améliorant de ce fait les outils de gouvernance des milieux concernés. À titre d’illustration, les travaux sur les aires marines protégées dirigés par M. Steven Gaines, professeur et directeur de l’Institut des sciences marines de l’Université de Californie aux États‑Unis ([14]), ont permis de conclure en 2010 que la taille des aires protégées était généralement bien trop faible pour avoir une réelle incidence sur la population d’une espèce dans sa globalité, c’est‑à‑dire au‑delà des frontières de l’aire marine protégée considérée. Cette étude a conduit à l’élaboration de solutions de conservation alternative, notamment l’organisation des aires marines protégées en réseaux, qui devrait permettre d’obtenir des bénéfices plus larges pour les ressources halieutiques des océans.

2.   Les aires marines protégées offrent d’importants bénéfices sous réserve de respecter certaines conditions

a.   Les critères auxquels doivent répondre les aires marines protégées pour se révéler pleinement efficaces

L’idée de « protection » dans la notion d’aires marines protégées peut revêtir différentes significations. Le concept d’aire marine protégée est ainsi devenu un terme « fourre‑tout » utilisé pour décrire une très vaste gamme de niveaux de protection. Pour votre rapporteur l’usage de termes aux significations différentes selon les pays pose problème car il a pour effet de masquer ce qui se passe réellement en mer.

Selon l’UICN, les aires marines protégées doivent être des zones dont l’objectif principal est la conservation de la nature. Cependant les diverses interprétations de la notion de « protection » peuvent éloigner plus ou moins fortement de cet objectif. De cette situation hétérogène découle un large éventail d’objectifs, d’attentes et de degrés d’efficacité. Certaines aires marines protégées ne permettent aucune extraction, tandis que d’autres autorisent presque tous les types de prélèvement, comme l’exploitation minière ou le chalutage. Certaines aires marines protégées disposent de plans de gestion actifs tandis que d’autres ne sont que déclarées et n’existent par conséquent que sur le papier. Les résultats en matière de conservation seront ainsi très différents d’un pays à l’autre et d’un type d’aires marines protégées à une autre. Au final, une telle incohérence peut conduire à de fausses attentes quant à l’impact que l’on peut attendre d’une aires marines protégées ([15]). Aux yeux de votre rapporteur, l’élan mondial en faveur de la protection des mers et des océans doit nécessairement s’accompagner d’un langage commun et partagé, fondé sur des données scientifiques, permettant de mieux comprendre, suivre et comparer les résultats obtenus pour la biodiversité et le bien‑être humain ([16]).

La classification des aires marines protégées doit être réalisée en fonction des réglementations auxquelles elles sont soumises ([17]) et non fondée sur les seuls objectifs déclarés par les pays ([18]), qui sont bien souvent éloignés des niveaux de protection mise en place et ne permettent donc pas de remplir leur mission de conservation de la biodiversité. Cette classification, qui organise les aires marines protégées en fonction des activités autorisées, a été intégrée au Guide des aires marines protégées endossé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Elle a également été adoptée par le Centre de surveillance et de conservation de la nature (World conservation monitoring centre – WCMC en anglais) et la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN (World commission on protected areas – WCPA en anglais) ([19]).

Les niveaux de protection du Guide des aires marines protégées sont les suivants :

- protection intégrale : aucune activité extractive ou destructive n’est autorisée et tous les impacts émanant d’activités que l’aire marine protégée peut gérer sont minimisés ;

- protection haute : seules les activités extractives légères sont autorisées et les autres impacts émanant d’activités que l’aire marine protégée peut gérer sont minimisés dans la mesure du possible, par exemple en n’autorisant que les activités culturelles ou traditionnelles à faible impact et à faible niveau d’extraction ;

- protection légère : il existe une certaine protection, mais extraction et autres impacts, modérés à importants, sont autorisés ;

- protection minimale : une extraction extensive et d’autres impacts sont autorisés, mais la zone offre tout de même un certain avantage en matière de conservation dans la région, car des activités hautement destructives comme la pêche industrielle sont interdites ([20]).

Il ressort des travaux menés par votre rapporteur que pour être réellement efficaces et engendrer l’ensemble des effets socio‑économiques précédemment évoqués, les aires marines protégées dignes de ce nom doivent impérativement répondre à plusieurs critères cumulatifs. Elles doivent en particulier :

-         être correctement conçues dans des zones à haut intérêt écologique ;

-         comprendre une intégration dans un plan de gestion structurée ;

-         bénéficier d’une protection intégrale en tout ou en partie ;

-         faire l’objet d’une réglementation renforcée et être activement surveillées ;

-         impliquer l’engagement des communautés locales ;

-         disposer de financements durables.

Les bénéfices des aires marines protégées, écologiques comme socio‑économiques, sont directement corrélés aux niveaux de protection. Les scientifiques observent, en effet, un grand écart qualitatif entre les bénéfices des aires marines offrant une haute protection et celles où la protection se révèle moyenne, faible voire inexistante. La communauté scientifique mondiale souligne ainsi l’importance de créer des aires marines protégées à protection haute et à protection intégrale afin d’obtenir une reconquête de la biodiversité marine pour la nature d’une part et de forts bénéfices socio‑économiques pour les populations d’autre part. Pour M. Joachim Claudet, il est important de noter que les véritables aires marines protégées ne peuvent en aucun cas être synonymes de développement durable. Un niveau de protection haut voire intégral exclut de fait la majorité des activités économiques. Une aire marine protégée ne devrait pas, par exemple, autoriser en son sein le chalutage ou toute autre activité industrielle. En revanche, comme nous l’avons déjà vu, une aire protégée efficace produira, par effets de débordement, des bénéfices au‑delà de ses frontières qui profiteront à diverses activités économiques notamment à la pêche en engendrant une augmentation des populations de poissons et de leur taille.

L’infographie, ci‑après, illustre les bénéfices écologiques que peuvent offrir les aires marines protégées en fonction de leur niveau de protection de la plus forte (fully protected ou protection intégrale) à la plus faible (minimally protected ou protection faible).

Les bénéfices des AMP DÉPENDENT des niveaux de protection

Source : Grorud‑Colvert et al. 2021 – Science.

La mise en place d’une aire marine protégée rencontre de manière quasi systématique une résistance de la part des différents usagers de la mer. En général, les communautés locales et les populations autochtones manifestent des inquiétudes. Plus spécifiquement les pêcheurs et les professionnels du tourisme expriment des craintes pour leurs activités économiques. Il paraît essentiel pour votre rapporteur d’insister sur le fait que les aires marines protégées n’ont pas vocation à mettre la nature « sous cloche » mais bien au contraire à préserver les milieux marins de manière planifiée pour leur permettre de continuer à fournir des services écosystémiques au profit du plus grand nombre. Comme indiqué précédemment, les aires marines à protection haute ou intégrale engendrent d’importants effets positifs sur les réserves de pêche, ces bénéfices étant perceptibles au bout de trois ou quatre années seulement. À l’inverse, les aires marines protégées les moins restrictives n’ont que peu de répercussions positives sur la biodiversité et ne produisent in fine que très peu ou pas d’effets socio‑économiques. Ces dernières, qui ne sont parfois que des « aires de papier », n’engendrent aucun bienfait pour la nature mais ont également pour effet négatif de renforcer la défiance des usagers de la mer à l’encontre de la notion d’aires protégées dont elles ne peuvent pas percevoir les avantages. Il paraît nécessaire pour cette raison de mieux communiquer sur les effets positifs des aires marines protégées au niveau de protection les plus fort afin de créer une véritable dynamique en leur faveur auprès des acteurs du monde maritime. Lors de leur audition, les représentants du réseau MedPan, réseau de gestionnaires d’aires marines protégées en Méditerranée, ont mis en avant l’utilité des échanges d’expériences sur les zones protégées entre usagers de la mer aux échelles régionale et internationale. Il paraît primordial de favoriser ce dialogue et ces formations entre acteurs de terrain pour permettre d’apaiser les éventuelles craintes et de convaincre de la pertinence des zones protégées en faveur de tous.  Pour votre rapporteur, cette responsabilité incombe aux représentants politiques qui doivent jouer un rôle d’intermédiaires entre les usagers de la mer et les scientifiques afin de permettre la mise en place d’instruments de conservation pertinents et efficaces aux bénéfices de la nature et du vivant d’une part et du développement des populations locales d’autre part.

B.   l’exemple de la protection des milieux marins dans le bassin méditerranéen

1.   La Méditerranée, une mer exposée à de nombreux périls

La mer Méditerranée, mer semi‑fermée, qui se trouve être au cœur de relations géopolitiques et culturels et lieux d’échanges économiques décisifs est aujourd’hui exposée à de nombreuses menaces.

D’après le rapport du réseau d’experts méditerranéens sur le climat et les changements environnementaux (MedECC), les températures enregistrées en mer Méditerranée sont 1,5 °C plus élevées que les températures préindustrielles. Les projections scientifiques estiment entre 3 °C et 7 °C l’élévation des températures régionales d’ici à 2100 si l’accord de Paris n’est pas respecté. Les conséquences du dérèglement climatique sont déjà perceptibles dans tout le bassin méditerranéen notamment le blanchiment des herbiers de posidonie, écosystème pivot indispensable ou la prolifération d’espèces exotiques envahissantes. Ces conséquences du dérèglement climatique devraient, par ailleurs, s’accentuer au cours des prochaines décennies. Les scénarios les plus inquiétants pourraient conduire à une élévation du niveau de la mer et à une acidification aggravée des eaux hypothéquant gravement la sécurité alimentaire dans la région.

La mer Méditerranée est, par ailleurs, considérée comme l’une des mers les plus polluées au monde ([21]) en raison notamment de la forte densité de population littorale (210 millions d’habitants), du débouché de grands fleuves passant par d’importants centres urbains ainsi que par les nombreuses activités économiques et touristiques se déroulant sur ses côtes (360 millions de touristes par an, 20 % du trafic maritime mondial). Il résulte de l’accumulation de ces facteurs que plus de 8 % des déchets marins se trouvent en Méditerranée selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il faut, en outre, relever une multiplication par dix depuis 1980 de la pollution plastique, un quart des déchets plastiques des pays riverains de la Méditerranée (24 millions de tonnes produites) étant déversé dans la nature chaque année, dont 600 000 tonnes en mer. Outre le fait que cette pollution peut affecter la santé humaine au travers de la chaîne alimentaire, elle menace directement la biodiversité en affectant au moins 267 espèces, dont 86 % des tortues marines, 44 % des oiseaux marins et 43 % des mammifères marins. La pollution plastique compromet, par ailleurs, de nombreux emplois et ressources économiques.

La mer Méditerranée fait l’objet d’une surexploitation inquiétante de ses ressources puisque 75 % des stocks halieutiques évalués scientifiquement sont considérés comme surexploités d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Chaque année, 1,5 million de tonnes de poissons sont extraits des eaux de la Méditerranée selon des données du WWF. Une telle situation menace ainsi directement l’activité des pêcheurs artisanaux qui représentent 80 % des pêcheurs de la région.

2.   Un niveau de protection très hétérogène

a.   Des aires étendues en surface mais qui offrent un niveau de protection réelle très inégal

La mer Méditerranée se caractérise par une protection très disparate de ses écosystèmes marins. Les aires protégées se révèlent nombreuses – 6 % des eaux étant classées sous protection contre 8 % à l’échelle mondiale – mais offrent à y regarder de plus près une protection très inégale voire très faible.

La couverture en aires marines protégées
toutes catégories confondues en Méditerranée


Dans les faits, seule une infime part des eaux de la Méditerranée se trouve être réellement protégée. Une partie des zones protégées ne disposent d’aucun plan de gestion et ne sont donc que de simples zones déclarées (not regulated – non régulée). Elles sont ce que l’on peut qualifier des « aires de papier ». En ne les prenant plus en considération, l’étendue des eaux protégées en Méditerranée se situe alors à 4,54 %.

La couverture en aires marines protégées en MéditerranÉe
exception faite des « aires de papier »

 

 

La très grande majorité des aires marines protégées en Méditerranée se rapportent à des aires de concertation avec les usagers de la mer mais sans réglementation contraignante (unprotected – non protégée). Ces aires disposent de fonds et permettent de sensibiliser le public mais elles n’offrent aucune efficacité écologique et n’engendrent donc pas de bénéfices socio‑économiques. En ne les prenant plus en considération, l’étendue des eaux protégées en Méditerranée chute drastiquement pour se situer à 0,3 %.

La couverture en aires marines protégées en MéditerranÉe
Sans les aires de papier et sans les aires de concertation

Au final, les aires hautement protégées et les aires intégralement protégées ne représentent que 0,23 % de la Méditerranée.

La couverture en aires marines hautement protégées
et intégralement protégees en méditerranée

Enfin, les seules aires intégralement protégées – celles offrant le plus de bénéfices socio‑économiques – ne correspondent qu’à 0,06 % du total des eaux.

La couverture en aires marines intégralement protégees en méditerranée

 

 

b.   De multiples stratégies nationales qui obèrent la cohérence et l’efficacité de la protection des écosystèmes marins

En matière de protection, les pays riverains de la mer Méditerranée ont élaboré des stratégies différentes. Une telle situation conduit parfois à des incohérences qui nuisent à la protection effective des écosystèmes marins du bassin méditerranéen.

L’infographie, ci‑après, présente les différentes stratégies adoptées par les pays riverains de la Méditerranée en insistant d’une part sur les surfaces classées en aires protégées (à gauche) et sur les niveaux de protection (à droite) d’autre part.

Source : Claudet et al. 2020 –One Earth

En surfaces protégées, la France apparaît ainsi comme étant le pays champion de la région puisque 61,54 % de ses eaux territoriales se trouvent être classées. En revanche, seules 0,11 % de ces mêmes eaux bénéficient d’une protection haute ou intégrale. La France a donc fait le choix d’une approche quantitative et non qualitative. Elle est le pays enregistrant le plus grand écart entre la surface des aires marines protégées et le niveau de protection de ces mêmes zones.

Les autres pays riverains de la Méditerranée disposent de surfaces bien plus réduites en aires marines protégées que la France mais ont adopté des mesures plus restrictives dans les zones classées qui sont donc en théorie plus efficaces pour protéger la biodiversité marine et générer des bénéfices socio‑économiques.

En observant la répartition géopolitique des aires marines protégées en mer Méditerranée apparaît, par ailleurs, une différenciation en matière de protection entre ensembles politiques. En effet, la quasi‑totalité des zones protégées – que celles‑ci soient faibles ou fortes – se trouve localisée dans les eaux territoriales de pays appartenant à l’Union européenne. En revanche, les pays n’appartenant pas à l’Union européenne réalisent un effort plus important en faveur des aires hautement protégées ou intégralement protégée comme le montre l’infographie ci‑après. Ce dernier phénomène pourrait s’expliquer par un effet d’apprentissage des pays du deuxième groupe sur ceux du premier groupe, leurs stratégies de protection des écosystèmes marins étant plus récentes.

Source : Claudet et al. 2020 –One Earth

Il faut, par ailleurs, noter un fort déséquilibre en fonction des ensembles écologiques considérés. La Méditerranée nord‑occidentale apparaît ainsi comme la zone du bassin méditerranéen la plus protégée en pourcentage (8,62 % de la surface totale de la Méditerranée) mais avec cependant de faibles niveaux de protection par rapport à d’autres régions comme la mer Égée (1,38 % de la surface totale de la Méditerranée).

Le réseau des aires marines protégées intégrales en Méditerranée apparaît, par ailleurs, non optimal du point de vue scientifique. Nous retrouvons trop d’aires marines protégées intégrales dans certaines zones et pas assez dans d’autres. Lors de son audition, M. Joachim Claudet a ainsi insisté auprès de votre rapporteur à ce propos en indiquant qu’une localisation de ces aires de manière aléatoire aurait même été plus efficace que leur positionnement actuel ([22]). En outre, les aires marines protégées avec un niveau de protection haut ou intégral sont dans le bassin méditerranéen beaucoup trop petites pour être efficaces et pour protéger une proportion assez importante d’espèces marines ([23]).

L’ensemble de ces éléments militent, pour votre rapporteur, pour un renforcement des actions de coopération en mer Méditerranée. Cette Mare nostrum ([24]), comme la dénommaient les Romains, implique nécessairement un dialogue et une coordination entre tous les pays riverains afin de renforcer la cohérence et l’efficacité des stratégies de conservation des écosystèmes marins. Nous devons collectivement travailler en faveur d’un développement concerté des aires marines protégées en Méditerranée, d’une harmonisation des législations pour renforcer la cohérence des réglementations, et d’une coordination des moyens de surveillance dans la région.

Chypre, un carrefour de tous les dangers pour l’environnement en Méditerranée

L’importance des coopérations sur les deux rives de la Méditerranée et la nécessité d’une coordination des stratégies nationales de protection des écosystèmes marins sont apparues comme une évidence à la suite du déplacement à Chypre de votre rapporteur.

Cette île de la Méditerranée orientale abrite une biodiversité exceptionnelle. Elle est notamment le seul pays de l’Union européenne constituant un espace de nidification pour les tortues vertes de Méditerranée. Chypre concentre, par ailleurs, une part importante des défis auxquels cette mer quasi fermée est aujourd’hui exposée : surexploitation des ressources halieutiques, intensification du transport maritime entraînant de fortes perturbations sonores et lumineuses, destruction des habitats en raison d’activités d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures en mer, prolifération d’espèces exotiques envahissantes, pollution plastique, problématique des déchets rejetés à la mer en provenance d’autres pays du bassin levantin.

La situation particulière de Chypre, qui fait depuis 1974 l’objet d’une partition de facto et qui comporte, par ailleurs, deux bases militaires souveraines britanniques illustre toute l’étendue des difficultés que peut engendrer une absence de dialogue et de coordination pour la préservation d’un environnement marin en partage.

Tous les acteurs de terrain rencontrés au cours de cette visite ont insisté sur le besoin de renforcer les actions déployées en faveur de la préservation de l’environnement marin aux échelles locale, nationale, régionale et internationale. Ils ont également souligné la nécessité de renforcer les moyens humains et financiers permettant d’assurer une bonne et efficace gestion des espaces protégés.

Le développement des aires marines protégées à Chypre, qui sont actuellement au nombre de douze dont six comportent des récifs artificiels, a pu engendrer de notables effets positifs pour la biodiversité. La population de phoques, par exemple, ne cesse ainsi d’augmenter dans les zones protégées dans l’ouest de l’île qui ont été judicieusement mises à l’abri des activités humaines en associant les populations locales et les professionnels du tourisme pour que les visiteurs limitent au maximum, voire totalement, les perturbations pouvant toucher les espèces sauvages.

Une mobilisation de l’Union européenne en faveur d’un dialogue avec l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée apparaît depuis Chypre comme une nécessité. De même, l’Union devrait utilement soutenir la recherche scientifique pour mieux comprendre et mieux répondre aux défis auxquels cette mer que nous avons en commun est confrontée. La mise en place d’un groupement scientifique régional sur le même modèle que celui de l’IPBES ou du GIEC pour le bassin méditerranéen pourrait permettre d’inciter les différents pays riverains à coopérer. Ils pourraient ensuite mettre en œuvre de manière conjointe certaines solutions proposées. La future présidence française du Conseil de l’Union européenne pourrait, à ce titre, représenter une occasion idéale pour impulser de telles actions.

S’agissant plus particulièrement de la présence française à Chypre, votre rapporteur tient à souligner le travail exceptionnel réalisé par les équipes de l’ambassade de France sur l’île. Il tient à mettre en évidence l’absolue nécessité de renforcer les moyens humains de « l’équipe France » à Chypre qui ne paraissent pas dimensionnés à la hauteur des enjeux qu’impliquent cette partie du monde pour la France. Il faut impérativement, pour votre rapporteur, adapter les ressources pour permettre à notre diplomatie d’atteindre sur place les objectifs ambitieux que nous lui avons fixés.

III.   La nécessaire mobilisation de la communauté internationale en faveur des mers et des océans

A.   Le besoin d’une gouvernance multilatérale des mers et des océans, bien commun de l’humanité

Les écosystèmes marins ne connaissant pas le concept de frontières, leur préservation implique nécessairement pour obtenir des résultats probants des coopérations régionales et internationales. Pour atteindre l’objectif ambitieux fixé par l’UICN de 30 % des eaux de l’océan mondial classées en aires marines protégées d’ici à 2030, dont un tiers en protection intégrale, la communauté internationale devra nécessairement faire preuve d’audace et de coopération renforcée.

1.   Les grands rendez‑vous internationaux sur la question des océans

Lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui s’est tenu à Marseille en septembre 2021, la biodiversité marine a été portée à un niveau très élevé avec des annonces politiques fortes, l’organisation d’évènements dédiés, et l’adoption de motions en faveur des écosystèmes marins. Lors de la cérémonie d’ouverture, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, a rappelé que pour les océans, il importait principalement de lutter contre les plastiques en prévenant la pollution et en réduisant notre consommation, et de protéger les pôles, véritable bien public mondial, dont les enjeux scientifiques et géopolitiques nécessitent une coopération forte. Dans ce cadre, le chef de l’État a annoncé la tenue d’un sommet One Ocean en France fin 2021‑début 2022. Il a aussi annoncé que 5 % de la Méditerranée devraient faire l’objet d’une protection forte d’ici à 2027, soit 25 fois plus qu’actuellement. En outre, M. Charles Michel, président du Conseil européen, a évoqué la protection des océans, en appelant à l’interdiction des plastiques à usage unique, à augmenter la surface des aires marines protégées notamment aux pôles et à promouvoir le transport durable.

À l’occasion de ce Congrès mondial de la nature, un Plan d’action pour une Méditerranée exemplaire en 2030 (PAMEx) a été officiellement lancé avec l’engagement des parties prenantes autour de quatre axes déclinés en vingt actions. La préservation de la biodiversité marine constitue le premier axe de ce plan et les pays se sont engagés à « promouvoir, lorsque cela est possible et en tenant compte des effets économiques et sociaux sur les communautés côtières et de la participation de tous les acteurs concernés, un objectif de protection de 30 % de la Méditerranée d’ici 2030, dont 10 % en protection forte, dans le cadre d’efforts déployés collectivement par l’ensemble des pays méditerranéens, afin de parvenir à un cadre mondial sur la biodiversité ambitieux pour l’après2020, qui prenne en considération les situations et les capacités nationales ».

Enfin, à travers les motions et le manifeste de Marseille, l’UICN appelle à une protection et une conservation efficace et équitable d’au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones marines et côtières d’ici 2030. L’UICN appelle également à mettre un terme à la pollution des océans par les plastiques ainsi qu’à la surpêche. Par le lien clair établi entre biodiversité et climat, les membres de l’UICN appellent en outre à une neutralité carbone en 2050, à la suppression de tout soutien des États à la production d’énergie à forte intensité carbone et à ce qu’il soit mis fin aux financements internationaux dans les combustibles fossiles, tout en garantissant une transition juste. De telles actions devraient permettre de lutter contre l’acidification et la désoxygénation des océans.

La prochaine conférence des Parties (COP15) à la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) qui se réunira, en deux étapes, sous forme virtuelle en octobre 2021 et en présentiel à Kunming en Chine en avril 2022, doit constituer une étape cruciale dans le combat contre l’érosion de la biodiversité mondiale en général. Lors de cette COP15 la communauté internationale devra ainsi porter une nouvelle impulsion à même de déboucher sur l’adoption d’un cadre international plus ambitieux et plus opérationnel en faveur de la nature et du vivant.

Cependant la version actuelle du cadre mondial de la biodiversité pour l’après‑2020 qui doit être adopté à l’occasion de la COP15 ne mentionne pas expressément l’océan. Il en est de même pour la mission 2030 et les huit jalons prévus pour évaluer les progrès accomplis. À ce stade, seule une cible mentionne des « zones terrestres et marines » et des « écosystèmes naturels d’eau douce, marins et terrestres ». Votre rapporteur soutient ardemment les efforts de la France et de certains de ses partenaires européens qui considèrent que l’océan est actuellement trop faiblement représenté dans le cadre de cette négociation internationale. L’objectif affiché « d’ici à 2030, [de] protéger et conserver, grâce à un système efficace et bien relié de zones protégées et à d’autres mesures efficaces de conservation par zone, au moins 30 % de la planète, l’accent étant mis sur les zones particulièrement importantes pour la biodiversité », englobe implicitement les systèmes terrestres et marins. Mais cela devrait clairement apparaître afin que ces derniers soient pleinement pris en compte. Pour mémoire, les objectifs d’Aichi adoptés en 2010, à l’occasion de la COP10 de Nagoya, abordaient explicitement les questions relatives à la pêche et aux récifs coralliens, ce qui n’est plus le cas désormais. Votre rapporteur insiste pour que la question des océans et de leur protection retrouve sa juste place à l’occasion des discussions de la prochaine COP. Il précise, par ailleurs, qu’une simple mention de l’océan, de ses écosystèmes et de ses espèces n’assurera en aucun cas leur protection si elle n’est pas doublée d’indicateurs précis et d’un cadre de mise en œuvre robuste.

2.   La question de la haute mer

a.   La haute mer, une zone maritime internationale subissant d’importantes pressions

La haute mer, qui représente 64 % de la surface globale des océans, correspond aux eaux situées audelà des zones économiques exclusives (ZEE) placées sous la juridiction des États.

Les zones maritimes au‑delà des juridictions nationales qui représentent d’immenses espaces produisent des effets bénéfiques pour l’environnement (régulation climatique, séquestration du carbone, purification de l’air) et abritent une biodiversité riche et extrêmement importante. Les diverses pressions auxquelles la haute mer est actuellement confrontée (surpêche, pollution, dérèglement climatique, changements d’usage de l’océan, prolifération d’espèces invasives) représentent une dangereuse menace pour cet espace essentiel pour l’avenir de notre planète. Pour cette raison, il apparaît essentiel que la communauté internationale se dote d’un outil juridique capable de réguler les activités humaines dans les eaux internationales afin de protéger ce précieux et fragile écosystème.

La haute mer en bleu clair

La convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) du 10 décembre 1982, dite convention de Montego Bay, constitue le socle actuel du droit maritime international. Celleci est très largement acceptée, tous les grands pays l’ayant ratifiée, à l’exception notable des ÉtatsUnis. La CNUDM divise l’océan en six grandes zones maritimes :

1) la mer territoriale qui constitue une aire maritime d’exercice des compétences souveraines de l’État côtier ;

2) la zone contiguë à la mer territoriale dans laquelle l’État côtier peut intervenir pour prévenir des infractions à sa législation nationale dans les domaines douanier, fiscal, sanitaire et d’immigration ;

3) la zone économique exclusive (ZEE) dans laquelle l’État côtier possède des droits souverains sur les ressources naturelles dans la colonne d’eau; le fond marin et le soussols marins ;

4)  le plateau continental sur lequel l’État riverain possède des droits souverains et exclusifs concernant l’exploitation des ressources naturelles.

Les deux autres grands segments du droit de la mer correspondent aux zones maritimes audelà des juridictions nationales :

6) les fonds marins internationaux qui sont situés audelà du plateau continental des États côtiers et qui ont le statut de « patrimoine commun de l’humanité » et que l’on surnomme « la zone ».

5) la haute mer qui est ouverte à tous.

zones maritimes du droit international de la mer

Ainsi, selon la Convention de Montego Bay, la haute mer est régie par le principe de la liberté. L’article 87 de la CNUDM établit une liste non exclusive des libertés qui s’appliquent dans les eaux internationales : liberté de navigation, liberté de survol, liberté de poser des câbles et des pipelines sous‑marins, liberté de construire des îles artificielles et autres installations autorisées par le droit international, liberté de la pêche, liberté de la recherche scientifique.

Les eaux internationales apparaissent ainsi comme un espace très peu règlementé. Seule la partie XII ([25]) de la convention de Montego Bay s’intéresse à la question de la pollution en haute mer en se focalisant sur la question des pollutions liées aux hydrocarbures. Les marées noires étaient alors, au moment de la signature du traité, le principal sujet de pollution marine. La prise de conscience collective s’agissant des autres atteintes portées à la haute mer a fort heureusement récemment conduit à une mobilisation de la communauté internationale sur cette thématique et à l’élaboration d’un nouvel instrument juridique.

b.   L’élaboration d’un nouvel instrument juridique pour protéger la haute mer

L’Assemblée générale des Nations unies a décidé le 24 décembre 2017, par le vote de la résolution 72/249, la mise en en place d’une conférence intergouvernementale ayant pour mission d’élaborer un nouvel instrument juridique contraignant en vue d’assurer la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine dans les zones ne relevant pas de juridictions nationales (« processus BBNJ »).

Les négociations visant à conclure ce traité sur la protection de l’océan global audelà des juridictions nationales devaient se finaliser en 2021 après plus de quatre années de négociations. Cependant la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie de la covid19 a entraîné plusieurs reports. Ainsi, la dernière session de négociations envisagée à New York en août 2021 a été reportée par décision de l’Assemblée générale des Nations unies au plus tôt en 2022. Cette quatrième session de négociation, que la France, l’Union européenne et de nombreux autres États souhaitent conclusive, devrait très probablement se tenir pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne. La France aura donc un rôle clé à jouer dans les prochains mois en faveur d’une mobilisation au plus haut niveau permettant à ces discussions d’aboutir.

Ce futur traité devrait apporter des réponses opérationnelles dans la gestion et la protection de l’océan au-delà des juridictions nationales notamment par :

 l’établissement de critères pour la création d’aires marines protégées en haute mer ainsi que pour d’autres outils de conservation dans les eaux internationales ;

 l’établissement d’un cadre global pour les études d’impact environnemental sur les activités engagées en haute mer. Un tel mécanisme devrait permettre de disposer de données précises au sujet de l’impact des activités humaines en haute mer et éventuellement d’interdire celles considérées comme nuisibles à la biodiversité marine ;

 l’établissement d’un régime d’accès aux ressources génétiques marines et de partage des avantages issus des produits commercialisés pour assurer une certaine équité entre les pays développés et les pays en développement ;

 le transfert de technologie et le renforcement de capacités vers les pays en développement. La France et l’Union européenne considèrent ce point comme essentiel afin de faire en sorte que tous les pays se sentent concernés par la problématique de la protection de la biodiversité en haute mer. Une telle mobilisation générale passera nécessairement par la formation d’experts et par la fourniture de matériels scientifiques adéquats aux pays en développement.

La France, conformément au souhait du Président de la République, œuvre, par ailleurs, en faveur d’une reconnaissance de l’océan comme « bien commun » dans le préambule du futur traité afin de viser une protection globale et une responsabilité commune des États vis-à-vis de cet espace dans le respect des stipulations de la Convention de Montego Bay.

La France défend également d’autres positions ambitieuses dans le cadre de ces négociations parmi lesquelles :

 l’établissement d’un mécanisme de partage des avantages sur les ressources génétiques marines y compris monétaire, qui bénéficierait à l’humanité entière. La France soutient notamment l’établissement d’un fonds pour la conservation de l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer qui serait alimenté sur une base volontaire ;

 l’établissement d’un mécanisme de coopération efficace en lien avec les organisations internationales et régionales existantes (conventions de mers régionales, organisations régionales de gestion des pêches, organisation maritime internationale…) visant à mettre en place des aires marines protégées en haute mer dotées de plans de gestion opposables et des études d’impacts cumulés tout en respectant les mandats existants ;

 la coopération avec les États côtiers en particulier pour les activités initiées sous leur souveraineté ou leur juridiction qui sont susceptibles d’avoir un impact audelà de leur juridiction nationale.

À ce stade des discussions, plusieurs tendances sont à signaler. Un premier élément positif fait apparaître qu’une majorité d’États souhaite l’adoption d’un traité international ambitieux. En outre, les petits pays insulaires, très présents dans la négociation, restent fortement mobilisés et souhaitent obtenir un statut particulier du fait de leur dépendance plus importante aux ressources marines et en raison de l’impact du dérèglement climatique sur leurs côtes. Pour le G77, la question de la reconnaissance des ressources génétiques marines comme patrimoine commun de l’humanité et le partage des avantages issus de ces ressources, y compris monétaires, restent le cœur de la négociation, ainsi que le transfert de technologie et le partage des résultats de la recherche scientifique marine.

En revanche plusieurs autres éléments suscitent une certaine appréhension. La position de la Chine, par exemple, qui avait été active au début de ces négociations mais qui semble beaucoup moins allante aujourd’hui alors qu’initialement certaines de ses positions se rapprochaient de celles de l’Union européenne et de la France. De même, les ÉtatsUnis et le Japon souhaitent un accord a minima tandis que la Russie, continue à marquer son opposition à un traité dont les dispositions seraient trop précises, craignant une interférence avec les compétences en matière de pêche des organismes régionaux déjà existants.

Par ailleurs, ce projet de traité – dont nous parlons trop peu dans le débat public alors qu’il porte sur un sujet essentiel pour l’avenir de notre planète – est confronté avant même sa mise en place effective à plusieurs limites conséquentes. Les opposants au projet ont ainsi réussi, avant même le début des négociations, à faire prévaloir le principe du « not undermine ». Une telle approche vise concrètement à empêcher que les dispositions du futur traité empiètent sur les mandats existants et sur des compétences aujourd’hui attribuées à d’autres conventions ou instances. Cela signifie que chaque initiative de protection de la biodiversité en haute mer qui dérivera du traité BBNJ devra nécessairement se faire en concertation avec les organisations régionales comme les organisations de gestion des pêches (ORGP) ou sectorielles comme l’Organisation maritime internationale (OMI) et l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Un tel principe ne peut que sérieusement compliquer la mise en place d’aires marines protégées en haute mer. Cependant, sans l’acceptation du principe du « not undermine », de telles négociations sur la haute mer n’auraient jamais pu voir le jour.

En outre, le futur traité ne portera pas sur certains éléments essentiels portant atteintes à la biodiversité marine dans les eaux internationales. En effet, la question de la surpêche relève des ORGP, la question de la pollution liée au trafic maritime de l’OMI, le changement d’usage des fonds marins de l’AIFM et les effets du dérèglement climatique ne pourront être atténués que par une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le respect des stipulations de l’Accord de Paris. Ainsi le futur traité BBNJ vise seulement la mise en place d’outils qui permettront d’élaborer des règlementations pour protéger la biodiversité marine en haute mer.

Compte tenu du temps des négociations – qui ne sont pas encore achevées après quatre années de discussions – puis du temps qui sera nécessaire pour la mise en place des outils ainsi créés, un délai important s’écoulera avant la création éventuelle de zones protégées dans les eaux internationales. Face à ces contraintes nombreuses, votre rapporteur souligne la nécessité d’une volonté politique forte pour permettre la création d’aires marines protégées en haute mer. Sans un tel engagement au plus haut niveau politique, ces différents obstacles se révéleront très difficile à surmonter.

L’ensemble des limites du futur traité BBNJ ne doivent cependant pas faire oublier la portée symbolique forte que ce nouvel instrument représentera pour la protection de la biodiversité marine à l’échelle mondiale. Dans un contexte très difficile pour le multilatéralisme, le traité BBNJ est actuellement le seul projet multilatéral en discussion sous l’égide des Nations unies attestant ainsi d’une prise de conscience collective s’agissant des enjeux touchant à l’océan.

B.   La France, une nation maritime mobilisée qui doit cependant renforcer son engagement en faveur de la protection des ecosystèmes marins

1.   La France, une nation maritime qui se mobilise en faveur des océans

La France dispose du deuxième plus grand domaine maritime mondial après celui des ÉtatsUnis, avec ses 10,2 millions de km² répartis sur tous les océans. Grâce à ses départements d’outremer, à ses collectivités d’outre-mer, et aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la France possède des côtes d’une longueur de trait de 18 450 km dont 5 853 km pour la métropole ([26]). De plus, la France est bordée par près de 22 860 km de frontières maritimes avec trente États, soit plus que tout autre pays au monde ([27]). Forte de ces multiples atouts, la France apparaît indéniablement comme une grande nation maritime. Pour votre rapporteur, ce vaste domaine maritime représente un avantage mais aussi une responsabilité. Notre nation doit impérativement œuvrer pour donner l’exemple et pour protéger plus efficacement les écosystèmes marins aux échelles nationale, régionale et internationale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La France se montre mobilisée sur les questions océaniques comme le prouve son engagement à l’occasion du dernier Congrès mondial de la nature à Marseille en septembre 2021, mais aussi dans le cadre de négociations sur la protection de la haute mer ou encore s’agissant de la création d’aires marines protégées en Antarctique. La France est, en outre, fortement impliquée dans les travaux de plusieurs conventions de mers régionales et promeut la coopération entre nations sur les sujets ayant trait aux écosystèmes marins qui par définition sont transnationaux. La France agit ainsi notamment dans le cadre de la Convention de Barcelone pour la mer Méditerranée, dans le cadre de la Convention de Carthagène pour la mer des Caraïbes, dans le cadre de la Convention de Nairobi pour l’Océan Indien, et dans le cadre de la Convention OSPAR (pour « Oslo‑Paris ») ([28]) pour l’Atlantique Nord‑Est.

2.   Les ambitions et les limites de la stratégie française en matière d’aires marines protégées

a.   Les singularités de l’ambition française en matière de protection des écosystèmes marins

En 2019, après la publication du rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité mondiale, le Président de la République avait annoncé l’extension des aires protégées sous juridiction française à 30 % du territoire d’ici 2022 – repoussée depuis à 2027 – dont un tiers en « pleine naturalité ». Depuis ce dernier terme a été remplacé par la notion spécifiquement française de « protection forte » ([29]) qui correspond pour l’Office français de la biodiversité à des outils réglementaires visant à une suppression ou à une réduction significative des principales pressions engendrées sur les écosystèmes marins par les activités humaines.

Hélas, cette notion ne recoupe pas les critères des catégories de « protection haute » ou de « protection intégrale » élaborées dans le cadre du Guide des aires marines protégées endossé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). De même cette notion spécifiquement française entre en contradiction avec certaines préconisations de l’UICN ([30]) qui, comme nous l’avons vu précédemment, précise qu’une aire marine protégée ne peut pas avoir comme objectif le développement durable ([31]) mais principalement la conservation de la biodiversité. Or un grand nombre de parcs naturels marins français ont comme objectif principal le développement durable ce qui selon les standards de l’UICN ne leur permet pas de prétendre à la qualification d’aire marine protégée.

De même pour l’UICN, une aire au sein de laquelle le chalutage est autorisé ne peut pas être qualifiée d’aire marine protégée ([32]). De la sorte, un grand nombre d’aires marines protégées françaises ne répondent pas sur ce point aux critères de l’UICN.

L’UICN précise, au surplus, qu’une aire marine protégée doit nécessairement comprendre des zones de nonprélèvement offrant une protection intégrale ([33]) pour pourvoir être qualifiée comme telle. De nouveau, de nombreuses aires marines protégées françaises ne répondent pas à ce standard international.

Enfin, l’UICN précise que les aires marines protégées ne sont pas compatibles avec les activités industrielles ([34]). Or certaines aires marines protégées françaises connaissent des activités de ce type.

Une telle approche spécifiquement française et qui souvent entre en contradiction avec les standards internationaux tels que définis par l’UICN ou le Guide des aires marines protégées ne peut que marginaliser la position de la France et in fine décevoir les attentes en matière de bénéfices écologiques et socioéconomiques attendus des aires marines protégées. Pour ces raisons, votre rapporteur insiste pour que la France se conforme aux critères élaborés dans le Guide des aires marines protégées endossé par le Programme des Nations unies pour l’environnement ([35]) et aux préconisations de l’UICN.

b.   Une croissance en surface des aires marines protégées françaises menée au détriment du renforcement des niveaux de protection

La France a connu, ces dernières décennies, une rapide augmentation des surfaces dédiées aux aires marines protégées. Cette extension a enregistré un pic vers 2006 au moment de la création de l’ancienne Agence des aires marines protégées, dont les compétences sont aujourd’hui assurées par l’Office français de la biodiversité. Elle compte désormais 31,8 % de ses eaux classées dans cette catégorie. Théoriquement les objectifs fixés par le Président de la République de 30 % d’aires marines protégées sont ainsi déjà atteints pour la partie française sauf en ce qui concerne le niveau de protection le plus élevée puisque la cible comprend une part de 10 % dédiée à la « protection en pleine naturalité » ou à la « protection forte » (cf. supra). Or selon une étude scientifique ([36]) le niveau de protection des eaux françaises se décompose comme suit :

-         1 % d’aires marines non réglementées (« aires de papier ») ;

-         3,2 % d’aires marines non protégées ;

-         11 % d’aires marines protégées avec protection faible ;

-         15 % d’aires marines protégées avec protection modérée ;

-         0,01 % d’aires marines protégées avec protection haute ;

-         1,6 % d’aires marines protégées avec protection intégrale.

Il ressort ainsi de cette étude que les niveaux les plus élevés de protection sont en France très peu utilisés – respectivement de l’ordre de 0,01 % pour la protection haute et 1,6 % pour la protection intégrale – représentant donc moins de 1,7 % des eaux protégées. La progression en surface des aires marines protégées françaises, qui est réelle et importante, s’est donc faite au détriment du niveau de la protection comme le montre l’infographie ciaprès.

Une croissance des aires marines protégées françaises importante mais qui délaisse protection haute et protection intégrale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Claudet et al. 2021 –Marine Policy

Par ailleurs, on constate une différenciation importante entre le niveau de protection en métropole et celui mis en œuvre en outre‑mer. Bien que le niveau soit plus important en proportion des eaux en métropole (46,3 %) par rapport à l’outre‑mer (31,3 %), nous nous trouvons face à des niveaux de protection quasi inexistant. Les aires marines protégées sont nombreuses mais elles ne protègent pas en métropole (25 % non réglementées, 21 % non protégées, 0,03 % faiblement protégées, 0,04 % modérément protégées, 0,01 % en protection haute et 0,03 % en protection intégrale) contrairement à ce qui prévaut en outre‑mer (0,2 % non réglementées, 3 % non protégées, 11 % faiblement protégées, 16 % modérément protégées, 0,01 % en protection haute et 1,6 % en protection intégrale) ([37]). Dans les faits, 80 % de la protection haute et intégrale est concentrée dans les TAAF et 97,4 % de ces mêmes niveaux de protection sont concentrés dans les TAAF et en Nouvelle‑Calédonie selon les données scientifiques transmises à votre rapporteur au cours de ses travaux.

La carte ci‑après montre l’écart très important qui existe dans les eaux sous juridiction française entre la couverture en aires marines protégées et le niveau effectif de protection mis en place. La plupart des aires marines protégées françaises se révèlent non compatibles avec la conservation et ne seraient pas considérées comme telles selon les standards internationaux.

 

La carte ci‑après fait apparaître les différents niveaux de protection des aires marines protégées françaises en métropole et dans les outre‑mer.

les différents niveaux de protection des aires marines protégées françaises en métropole et dans les Outre‑mer.

La France qui sait faire preuve dans les instances internationales d’un véritable courage en faveur des océans doit nécessairement, pour demeurer crédible et apparaître comme nation chef de file sur ces questions, œuvrer pour un renforcement qualitatif de la protection de ses eaux. Pour votre rapporteur, un rehaussement des niveaux de protection des aires marines protégées, en conformité avec les standards internationaux tels que définis dans le Guide des aires marines protégées endossé par le PNUE et l’UICN devrait constituer la nouvelle ambition de la stratégie française de préservation des mers et des océans.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 27 octobre 2021 matin, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Les crédits pour 2022 de cette mission traduisent la priorité donnée au développement durable et à la diplomatie environnementale par le Gouvernement, puisqu’ils dépassent 21 milliards d’euros et sont ainsi en hausse de 2,39 %.

Notre rapporteur pour avis, Jean-François Mbaye, a décidé d’étudier cette année un des instruments de la préservation de la biodiversité mondiale : les aires marines protégées.

Les aires marines protégées sont une partie de la solution qui permettra de maintenir la biodiversité sur la planète. Comme notre rapporteur l’écrit dans son rapport, elles n’ont pas vocation à mettre la nature sous cloche, mais à préserver les milieux marins et les espèces marines et à favoriser leur régénération. Elles sont aussi bénéfiques pour l’écologie que pour la pêche et les activités économiques et touristiques. Un consensus est donc possible sur leur création et leur extension.

Mais l’efficacité socio-économique et écologique des aires marines protégées dépend du niveau de protection des eaux qui est assuré. Notre rapporteur pour avis dresse un réquisitoire assez terrible sur la politique de protection menée par la France, qui se veut pourtant leader en la matière. Une grande partie de nos aires marines protégées ne répondent pas aux critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Nous avons cherché à créer un maximum de surfaces protégées, sans que cette protection ait un effet écologique satisfaisant. Les chiffres sont sévères, et le signal d’alarme qui est lancé ce matin donne toute son importance au rapport qui va nous être présenté.

Les sujets que nous examinons aujourd’hui sont décidément bien inquiétants : qu’il s’agisse du commerce, des médias ou de la protection de la nature, nous sommes conscients que les choses doivent être sensiblement améliorées.

M. Jean-François Mbaye, rapporteur pour avis. Ces propos sont à la hauteur des enjeux qui sont devant nous. Cela fait trois ans, et j’en remercie la commission, que je suis ces questions de diplomatie environnementale et mes rapports ont déjà pu se montrer alarmants.

La commission des affaires étrangères doit à nouveau se prononcer pour avis sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables. Je tiens à saluer leur augmentation en 2022, qui permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement.

Les écosystèmes ne connaissent pas les frontières, et leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de pouvoir porter un tel message sur la scène internationale, la France doit conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. J’estime que le présent budget lui en donne pleinement les moyens et j’invite dès à présent la commission à émettre, à l’issue de nos échanges, un avis favorable à son adoption.

L’examen du budget constitue par ailleurs l’occasion d’examiner, chaque année, les instruments, objectifs et modalités de la diplomatie environnementale. J’ai choisi cette année de consacrer la partie thématique de mes travaux aux défis de la préservation des écosystèmes marins.

La protection de l’océan mondial est au cœur des travaux de notre commission depuis le début de la législature, comme l’attestent les précédents travaux de mes collègues. Je pense notamment à trois rapports d’information : Mers et océans : quelle stratégie pour la France ? de Jean-Luc Mélenchon et Joachim Son-Forget, La pollution des mers de Ramlati Ali et Nicolas Dupont-Aignan, ou encore La problématique des pôles : Arctique et Antarctique d’Éric Girardin et Meyer Habib.

J’ai souhaité pour ma part focaliser mon avis budgétaire sur un outil en particulier, les aires marines protégées (AMP), et une zone géographique spécifique, la mer Méditerranée.

Les aires marines protégées ne sont qu’une facette de la protection des océans mais constituent, à mes yeux, la clé de voûte de toute stratégie de conservation des écosystèmes marins.

Pour l’UICN, une aire marine protégée correspond à « un espace géographique clairement défini, reconnu, spécialisé et géré par des moyens légaux ou d’autres moyens efficaces, visant à assurer la conservation à long terme de la nature, des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui y sont associés ». Les aires marines protégées peuvent permettre « une utilisation modérée des ressources naturelles », mais « non industrielle et compatible avec la conservation de la nature ».

Les aires marines protégées provoquent bien sûr des effets écologiques positifs, puisqu’elles permettent à la biodiversité marine de se régénérer. Cela se traduit notamment par une reconstitution de la richesse biologique locale et par une augmentation de la population de poissons et de leur taille.

Par ailleurs, grâce aux effets de débordement qu’elles suscitent, les AMP produisent des retombées positives au sein des zones avoisinantes dans des domaines aussi bien sociaux qu’économiques et culturels. Les plus efficaces engendrent, en trois ou quatre ans seulement, une augmentation des stocks halieutiques, au bénéfice des pêcheurs locaux. Elles ont également une influence positive sur les activités de tourisme durable, où se créent revenus et emplois supplémentaires. Du fait d’une meilleure compréhension des espaces marins dans leur globalité, elles permettent aussi d’améliorer les outils de gouvernance dédiés. Elles se révèlent ainsi bénéfiques pour la nature comme pour les populations riveraines.

Mais pour entraîner de tels bénéfices, les AMP doivent répondre à certaines conditions, que toutes ne remplissent pas. En effet, le concept de « protection » des aires marines peut revêtir maintes significations : c’est hélas devenu un terme fourre-tout qui recouvre des niveaux de protection très différents selon les pays, ce qui a par ailleurs pour effet de masquer ce qui se passe réellement en mer.

Ainsi, certaines aires marines protégées ne permettent aucune extraction, tandis que d’autres autorisent presque tous les types de prélèvement, comme l’exploitation minière ou le chalutage. Certaines disposent de plans de gestion actifs tandis que d’autres ne sont que déclarées : elles n’existent que sur le papier. À l’échelle du globe, cette situation peut conduire à de fausses attentes quant à leur efficacité. L’élan mondial en faveur de la protection des mers et des océans doit selon moi s’accompagner d’un langage commun, fondé sur des données scientifiques et permettant de mieux appréhender, de mieux suivre et de mieux comparer les résultats obtenus pour la biodiversité et le bien-être humain.

Pour cette raison, la classification des aires marines protégées doit se fonder sur les réglementations auxquelles elles sont soumises et non, comme c’est souvent le cas, sur leurs seuls objectifs déclarés. Une telle classification, basée sur les activités autorisées, a été intégrée au Guide des aires marines protégées endossé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

Je tiens à souligner que les bénéfices, écologiques comme socio-économiques, des aires marines protégées sont directement corrélés au niveau de protection qu’elles assurent. Les scientifiques observent un grand écart qualitatif entre les aires. C’est pourquoi il apparaît essentiel de les classer en fonction du niveau de protection.

L’instauration d’une aire marine protégée rencontre de manière quasi systématique une résistance de la part des usagers de la mer. De façon générale, les communautés locales et les populations autochtones manifestent des inquiétudes. Plus spécifiquement, les pêcheurs et les professionnels du tourisme expriment des craintes pour leurs activités. J’insiste sur le fait que les aires marines protégées n’ont pas vocation à mettre la nature sous cloche : elles permettent au contraire aux milieux marins de continuer à fournir des services écosystémiques au profit du plus grand nombre.

Les aires marines à protection haute ou intégrale engendrent d’importants effets positifs sur les réserves de pêche. Les moins restrictives ont peu de répercussions positives sur la biodiversité et ne produisent in fine que très peu, ou pas d’effets socio-économiques. Par ailleurs, si elles n’engendrent aucun bienfait pour la nature, elles ont pour effet négatif de renforcer la défiance des usagers de la mer à l’encontre des aires marines protégées, dont ils ne peuvent pas percevoir les avantages.

Il me paraît donc nécessaire de mieux communiquer sur les effets positifs des aires marines les plus protégées, afin de créer une dynamique en leur faveur. Certains acteurs, comme le gestionnaire d’AMP en Méditerranée MedPan, ont organisé, à l’échelle régionale et internationale, des échanges et des retours d’expérience qui sont d’une grande utilité. Il paraît primordial de favoriser ce dialogue entre acteurs de terrain en vue d’apaiser les craintes et de convaincre de la pertinence de ces zones protégées au bénéfice de tous.

De mon point de vue, une telle responsabilité nous incombe. Nous devons jouer un rôle d’intermédiaires entre les usagers de la mer et les scientifiques pour favoriser les instruments de conservation les plus pertinents et efficaces, tant pour la nature et le vivant que pour les populations locales. Le travail qui reste à faire pour mieux préserver l’océan mondial demeure colossal. La situation en mer Méditerranée l’atteste.

La mer Méditerranée, qui est au cœur de relations géopolitiques et culturelles importantes et qui est un lieu d’échanges économiques décisifs, se trouve exposée à de nombreuses menaces : surexploitation des ressources halieutiques, intensification du transport maritime, avec de fortes perturbations sonores et lumineuses, destruction des habitats causée par les activités d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures en mer, prolifération d’espèces exotiques envahissantes, pollution plastique, rejet des déchets… La liste n’est pas exhaustive.

Or la Méditerranée se caractérise par une protection très disparate de ses écosystèmes marins. Les aires protégées sont en théorie nombreuses et représentent environ 6 % des eaux. À première vue, cela paraît très satisfaisant. Mais à y regarder de plus près, ces zones offrent des niveaux de protection très inégaux, et seule une infime part des eaux de la Méditerranée est réellement protégée.

D’abord, une partie des aires déclarées ne connaissent aucun plan de gestion et aucune régulation. Si l’on ne tient pas compte de ces « aires de papier », l’étendue des eaux protégées en Méditerranée s’établit aux environs de 4 %.

Ensuite, la très grande majorité des aires marines protégées en Méditerranée sont des aires de concertation avec les usagers de la mer, sans réglementation contraignante. On en trouve beaucoup sur le littoral français. Ces aires, qui disposent de fonds, permettent de sensibiliser le public, mais elles ne présentent aucune efficacité écologique et n’engendrent aucun bénéfice socio-économique. Si l’on n’en tient plus compte, l’étendue des eaux protégées en Méditerranée chute à 0,3 %.

Les aires hautement ou intégralement protégées ne représentent que 0,23 % de la Méditerranée. Celles intégralement protégées, qui offrent le plus de bénéfices, ne représentent que 0,06 % du total des eaux.

Les pays riverains ont élaboré des stratégies différentes en matière de protection. Une telle situation conduit parfois à des incohérences qui nuisent à la protection effective des écosystèmes marins.

Pour l’ensemble de ces raisons, un renforcement des actions de coopération en mer Méditerranée me paraît indispensable. Il faut un dialogue et une coordination entre tous les pays riverains pour améliorer la cohérence et l’efficacité des stratégies de conservation des écosystèmes de notre mare nostrum. Nous devons travailler au développement concerté des aires marines protégées, à l’harmonisation des réglementations et à la coordination des moyens de surveillance dans la région.

La France a indéniablement un rôle à jouer sur ces questions, puisqu’elle dispose du deuxième domaine maritime mondial après celui des États-Unis, avec 10,2 millions de kilomètres carrés répartis sur tous les océans.

Une telle situation constitue un avantage mais implique aussi une énorme responsabilité. Notre pays doit impérativement donner l’exemple en matière de protection des écosystèmes marins, à l’échelle nationale, régionale et internationale.

La France se montre mobilisée, comme le prouve son engagement à l’occasion du dernier Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui s’est tenu à Marseille en septembre 2021, mais aussi dans le cadre de négociations sur la protection de la haute mer, que j’estime de première importance.

Mais la France peut mieux faire. Elle le doit. Dans le domaine des aires marines protégées, il lui faut notamment renoncer à son approche spécifique en matière de classification, qui l’isole et rend sa stratégie difficilement lisible. Nous devons nous conformer aux critères énoncés par le Guide des aires marines protégées et aux préconisations de l’UICN – bref, adopter le langage scientifique commun que j’évoquais.

Car si la France a voulu, ces dernières décennies, une rapide augmentation de ses aires marines protégées, avec 31,8 % de ses eaux désormais classées, le niveau effectif de protection demeure très insatisfaisant. Moins de 1,7 % des eaux bénéficient d’une protection haute ou intégrale, les seules à offrir de véritables bénéfices écologiques et socio-économiques. Et 97,4 % de ces eaux hautement ou intégralement protégées sont concentrées dans les Terres australes et antarctiques françaises et en Nouvelle-Calédonie.

Nous avons fait le choix de la couverture géographique. Il nous faut maintenant monter en gamme, dans l’optique d’un renforcement qualitatif de la protection des milieux marins. La France, qui sait faire preuve dans les instances internationales de courage en faveur des océans, doit à mes yeux œuvrer dans cette direction afin de demeurer crédible et d’apparaître comme une nation chef de file pour la préservation des mers et des océans.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci pour ce rapport très stimulant. Ce qui devait être dit l’a été avec force.

Mme Nicole Le Peih (LaREM). Le groupe La République en marche salue la hausse des crédits de la mission.

En tant que rapporteure, avec Bernard Deflesselles, de la mission d’information sur la diplomatie et le climat, je suis les travaux de la COP26 et vous en présenterai les résultats prochainement. Le sujet est essentiel, mais je ne partage pas le radicalisme de ceux qui pensent qu’il faut tout arrêter pour tout régler ; il faut agir et travailler pour trouver des solutions opérationnelles. Si l’urgence est indéniable, il me paraît important de souligner la dynamique actuelle, certes encore insuffisante, mais bien réelle. Les initiatives sont nombreuses et tous ceux qui veulent contribuer peuvent y prendre part.

Nous avons auditionné hier Sandrine Bony-Léna, directrice de recherche au CNRS. Cette climatologue, qui s’intéresse au rôle des nuages dans le réchauffement climatique, plaide pour la création d’un CERN (le laboratoire européen pour la physique des particules) des nuages : le niveau d’investissement nécessaire doit conduire à une coopération des grandes puissances.

L’enjeu, pour la France, d’un positionnement en cohérence avec les politiques européennes est fondamental. Les nouvelles orientations sont courageuses et marquent un changement de cap de l’Union. Avec le paquet de mesures pour l’application du Green Deal, baptisé « Fit for 55 », les législations européennes vont être progressivement mises à jour pour coller à l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030. Ce paquet législatif constitue, pour les entreprises comme pour les États, un outil de projection, un horizon de travail et un cadre d’investissement exceptionnel.

La France se positionne comme chef de file sur cette question. Pour maximiser l’impact des investissements réalisés, nous devrons coordonner au mieux nos politiques. Selon vous, les choix budgétaires français sont-ils cohérents avec ceux faits au niveau européen ? Dans quels domaines doit-on renforcer les coopérations ?

M. Nicolas Forissier (LR). Toutes mes félicitations pour votre travail remarquable, monsieur le rapporteur pour avis.

Avec les réductions de crédits – parfois les coups de rabot – imposés depuis quelques années en matière de commerce extérieur et de diplomatie économique mais aussi dans le domaine des médias, la question de l’influence, ou de la stratégie d’influence, de la France est posée. Dans bien des domaines, notre pays est en retard face à ses principaux concurrents.

Dans le cas présent, la majorité et le Gouvernement ont eu la volonté, que je salue, d’aller de l’avant et d’augmenter les crédits. On peut toutefois se demander si cette hausse est suffisante, compte tenu de l’ampleur du domaine maritime français, le deuxième en importance après celui des États-Unis. Même en Méditerranée, nous ne sommes pas à la hauteur du rôle que nous voudrions jouer, celui de chef de file en matière d’environnement. Nous voudrions entraîner le reste du monde, mais l’augmentation des crédits masque mal l’insuffisance de nos moyens face à ce qui est le premier défi mondial.

Monsieur le rapporteur pour avis, avez-vous réfléchi à une prospective budgétaire qui nous permettrait d’atteindre un niveau d’investissements correspondant à nos ambitions ?

Le groupe Les Républicains s’abstiendra lors du vote.

M. Sylvain Waserman (Dem). Tout de même, les moyens sont sans commune mesure avec ce que nous avons connu ! On parle de 21 milliards dans le PLF pour 2022, auxquels il convient d’ajouter les 30 milliards du plan de relance spécifiquement dédiés à la transition écologique. Ce sont des moyens ambitieux, sans précédent.

Le contexte n’est pas le même que celui du dernier PLF. Depuis, le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été publié et les perspectives ont été raccourcies de dix ans. Notre cible n’est plus à vingt ou trente ans, mais à quinze ou vingt ans. Le débat national s’en est d’ailleurs trouvé changé, notamment sur le nucléaire. Notre rétroplanning est très différent de ce qu’on pouvait imaginer il y a encore un an.

Je milite pour que le programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables comprenne des objectifs chiffrés, des indicateurs harmonisés. Je crois à l’écologie de résultats. Un exemple : nous votons à l’Assemblée nationale une programmation pluriannuelle de l’énergie, en fixant un objectif national d’énergies renouvelables, mais la somme des objectifs des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) ne correspond pas.

C’est pareil à l’international : malgré l’accord de Paris, les méthodologies en matière de mesure, de pilotage et de déclinaison des indicateurs ne sont pas cohérentes. La prise de conscience est là, l’objectif est clair, mais il nous reste à nous organiser avec rigueur et méthode. C’est un enjeu majeur sur lequel notre diplomatie doit insister.

M. Alain David (SOC). S’agissant des aires marines protégées, monsieur le rapporteur pour avis, la France doit effectivement prendre le leadership sur le plan international, compte tenu de son vaste domaine maritime. La proposition que vous avez faite va dans le sens d’amendements que notre groupe défendra en séance : ils visent notamment à renforcer les moyens dévolus à l’Office français de la biodiversité (OFB) et à relever le plafond de la dotation affectée au Conservatoire du littoral. Nous espérons vous trouver à nos côtés pour les soutenir. Il convient de conforter les ambitions de la France et son rôle en matière environnementale, reconnu depuis la COP21.

Mme Aina Kuric (Agir ens). Merci pour ce rapport riche et éclairant. Nous saluons ce budget qui confirme que l’accélération de la transition écologique est désormais prioritaire. La préservation de la biodiversité, l’eau et la résilience des territoires sont des enjeux essentiels, ce que traduit la hausse des moyens dédiés aux missions d’intérêt général conduites par l’ONF, l’Office national des forêts, les parcs nationaux et l’OFB, même s’il reste à pérenniser des emplois. Par ailleurs, les moyens des agences de l’eau sont préservés. Nous soutenons également le développement de l’hydrogène vert dans le cadre du plan France 2030 : c’est une nécessité pour réussir la transition énergétique, décarboner l’économie et faire de la France un pays leader dans ce domaine. Le groupe Agir ensemble votera les crédits de cette mission.

La préservation des écosystèmes marins dépend tout autant des moyens qu’on y consacre que des outils qu’on doit mobiliser, et parfois inventer. Il est vrai que, faute de réglementation contraignante, nos actions pourraient rester au stade des bonnes intentions. La coopération avec les pays riverains est essentielle, mais la ratification de certains accords, au niveau régional, peut prendre plusieurs années, ce qui prive la France et ses voisins des outils nécessaires. Les ministères de la transition écologique et des affaires étrangères devraient faire en sorte que ces ratifications soient plus rapides. De même, il faudrait sortir de la logique franco-française pour les aires marines protégées. Quelles pistes pourrait-on explorer au niveau européen mais aussi international ?

M. Jean-Michel Clément (LT). En hausse de 3 %, soit de 1,5 milliard, par rapport à 2021 et de 20 % depuis le début du quinquennat, ce budget, qui atteindra 50 milliards hors plan de relance, a été qualifié d’« historique » par Barbara Pompili. Mais les budgets des ministères n’ont-ils pas été tous conçus comme tels, puisqu’ils sont pour 2022 ? C’est, en tout cas, la conclusion à laquelle je suis parvenu.

Sans vouloir nier les efforts substantiels et indispensables en faveur de l’écologie, je dois rappeler qu’une partie de la hausse est due à un changement de périmètre : le logement, autrefois rattaché à la cohésion des territoires, dépend aujourd’hui du ministère de l’écologie. Il faut savoir lire les documents budgétaires… Je souligne aussi que le ministère subit une perte de 348 emplois, une baisse d’effectifs inquiétante à l’heure où nous devons nous engager résolument dans la transition énergétique. Vous l’avez compris, le groupe Libertés et Territoires ne votera pas les crédits de cette mission.

Depuis longtemps déjà, les océans subissent une pollution massive – je rappelle, non sans effroi, que le vortex de déchets, le « sixième continent », poursuit son développement dans le Pacifique Nord. Le rapporteur a démontré avec brio que la France, qui possède la deuxième plus grande zone économique exclusive, a un rôle fondamental à jouer : la diplomatie française doit faire de cette question une priorité. Il convient notamment de développer des instruments juridiques pour que la haute mer, qui ne dépend pas des juridictions étatiques et se trouve aujourd’hui livrée à tous les pillages, devienne un sanctuaire préservé. Le futur traité mondial de protection des océans est essentiel : j’espère que les discussions se poursuivront à l’occasion de la COP26 et que la diplomatie française profitera de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) pour mettre ce sujet au cœur des négociations.

Mme Mireille Clapot. Je salue aussi l’augmentation des crédits.

Monsieur le rapporteur pour avis, en présentant votre excellent travail, vous avez expliqué que les écosystèmes ne connaissaient pas le concept de frontières mais que leur préservation impliquait des coopérations régionales et internationales. Comme vous nous invitez à nous pencher sur la diplomatie environnementale et à faire des recommandations sur la préservation des écosystèmes marins, je me propose d’évoquer le cas de l’Adriatique.

Cette mer, dont les eaux se mêlent à la Méditerranée, est bordée par des États membres de l’UE – l’Italie, la Slovénie, la Croatie et la Grèce – et par des pays candidats qui bénéficient de la politique européenne de voisinage – la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et l’Albanie. Presque fermée, peu profonde et peu salée, elle est alimentée par un fleuve notoirement pollué, le Pô. Les pays des Balkans, qui ont beaucoup investi dans le tourisme côtier, sont très en retard pour le traitement des déchets et plutôt réceptifs à des projets internationaux lourds, tels les forages pétroliers. L’urbanisation, le déversement des eaux usées, la surpêche et, plus généralement, le changement climatique affectent les fonds marins et modifient la faune et la flore, lesquelles voient des espèces invasives proliférer. L’érosion littorale menace des sites touristiques aussi emblématiques que Venise et Split. Les déchets plastiques et les filets de pêche égarés polluent la mer. La situation n’est pas brillante et pourtant, l’Adriatique compte douze aires marines protégées.

Que peut faire la France dans le cadre de la PFUE ? Comment peut-elle anticiper et s’impliquer dans ces enjeux environnementaux qui rejoignent, s’agissant des pays des Balkans, des enjeux géopolitiques de voisinage ? Nous avons une responsabilité ; comment l’exerçons-nous ?

M. Jean-François Mbaye, rapporteur pour avis. Je remercie tous les collègues qui ont salué la hausse des crédits. Jean-Michel Clément lui-même a évoqué leur augmentation, ce qui justifierait, à tout le moins, son abstention. Il faudra sans doute appeler à poursuivre cette évolution budgétaire afin que la France soit à la hauteur de son ambition internationale.

Je rappelle aussi que nous discutons aujourd’hui de la mission Écologie, développement et mobilité durables, qui n’a rien à voir avec le changement de périmètre du ministère de la transition écologique.

Le niveau de protection des AMP de la mer Adriatique n’est satisfaisant que sur le papier. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il n’y a pas d’efficacité sans contrôle : une AMP ne remplit son rôle que si elle est assortie d’un plan de gestion durable et de moyens de surveillance efficaces. Or dans les Balkans, comme ailleurs, le niveau de protection affiché contraste avec les moyens mis en œuvre. Une grande partie des aires marines protégées de l’Adriatique, où 2,1 % des eaux sont classées, ne sont pas réglementées et n’offrent aucun bénéfice écologique ou socio-économique.

Comment la France peut-elle agir ? En intensifiant les coopérations interrégionales et en appelant l’Union européenne à renforcer ses aides. Prenons l’exemple de Chypre, qui est le seul État membre présent au Moyen-Orient et désire asseoir son leadership sur la question des AMP : depuis 2012, ses eaux sont envahies par le poisson-lion. Pour combattre ce fléau, il faudrait une vraie coopération européenne, dotée de crédits plus importants, en matière de recherche scientifique. Sans doute la France doit-elle mettre cette question à l’agenda de la PFUE. Par ailleurs, je suis convaincu que la clé d’une protection renforcée et d’un développement cohérent des AMP est la coopération à l’échelle européenne.

Au niveau national, la France doit mieux faire, il faut monter en gamme. Nous devons adopter la classification du Guide des aires marines protégées de l’ONU. Je pense aussi qu’il faut désormais user d’une communication plus agressive et s’attacher à souligner les avantages que représente une telle protection pour les usagers de la mer et les populations locales. Enfin, les moyens de financement doivent être adéquats et pérennes. Je ne sais pas si les crédits de cette mission ont atteint un niveau historique ; ils sont en tout cas inédits et ils doivent nous donner la possibilité d’aller plus loin dans la transition écologique. C’est pourquoi je vous appelle à les adopter et à examiner les amendements avec attention en séance publique.

 

Article 20 et état B

Suivant la préconisation du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables non modifiés.

 

 

 


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par LE RAPPORTEUR

   M. Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS et CRIOBE ;

 

   Mmes Purificació Canals, présidente et Marie Romani, secrétaire exécutive de l’association MedPAN réseau de gestionnaires AMP en Méditerranée ;

 

   M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable au sein de la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères accompagné de M. Stéphane Pailler, sous‑directeur en charge de l’environnement et du climat et M. Ghousébasha Gaffar, chef de pôle biodiversité et écosystèmes ;

 

   Mme Catherine Piante, chargée de programme Planification de l’espace maritime et Mme Camille Loth, chargée de programme Initiative Marine Méditerranéenne chez WWF-France ;

 

   M. Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur chargé des pôles et des enjeux maritimes sur la stratégie de la France s’agissant de la préservation des mers et des océans à l’échelle internationale ;

 

   M. Serge Ségura, ambassadeur chargé des négociations sur la protection de la haute mer (processus « BBNJ » mené sous l’égide de l’ONU) 

 

   Contribution écrite de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Déplacement à Chypre

   Mme Salina Grenet-Catalano, ambassadrice de France à Chypre ;

   Mme Virginie Corteval, numéro deux de l’ambassade ;

   M. Emmanuel Mouriez, conseiller de coopération et d’action culturelle.

   M. Kilian Vivien, conseiller politique ;

   Mme Melina Papavassiliou, consule honoraire de France à Limassol.

   Mme Annita Demetriou, présidente de la chambre des représentants ;

   M. Vassilos Demetriades, vice-ministre pour les affaires maritimes ;

   M. Charalambos Theopemptou, président du groupe des Verts à la Chambre des représentants.

   M. Nicolas Jarraud, vice-président du Cyprus Institute ;

   M. Fadi Comair, directeur du programme Énergie, environnement, eau au Cyprus Institute ;

   Mme Melina Marcou, biologiste marine à la direction des pêches et de la recherche marine, division de l'environnement marin.

   M. Vassilis Papadopoulos, représentant la directrice des pêches et de la recherche marine.

   M. Michel Ierides, secrétaire général de la CYMEPA (Cyprus Marine Environment Protection Association) ;

   M. Demetri Kletou, représentant de l’ONG Aquademia et du programme MER (Marine & Environmental Research Lab) ;

   M. Sophocles Sophocleous, président du centre pour le patrimoine naturel et culturel.

 


([1])Agence française de développement, L’océan, régulateur du climat et foyer de la biodiversité, 18 août 2020 https://www.afd.fr/fr/actualites/locean-regulateur-du-climat-et-foyer-de-la-biodiversite (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([2]) Ibid.

([3])  Céline Deluzarche, L’océan a la capacité de fournir six fois plus de nourriture qu’actuellement, Futura planète, 1er décembre 2019, https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/ocean-ocean-capacite-fournir-six-fois-plus-nourriture-quactuellement-78554/ (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([4])  Marie Perez, L’océan, puits de carbone à l’avenir incertain, CNRS, 9 juillet 2021 https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/locean-puits-de-carbone-lavenir-incertain (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([5]) Ocean panel, Des solutions océaniques qui profitent aux personnes, à la nature et à l’économie https://www.oceanpanel.org/ocean-action/files/executive-summary-ocean-solutions-report-fr.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([6]) Nations unies, Objectifs du développement durable https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/oceans/ (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([7])IPBES, Rapport d’évaluation globale sur la biodiversité et les services écosystémiques, mai 2019, https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([8])GIEC, L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, septembre 2019 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([9]) Zones maritimes qui ne sont soumises à l’autorité d’aucun État selon le droit international de la mer.

([10]) FRB, Les aires protégées peuvent-elles sauver la biodiversité au XXIe siècle ?, novembre 2020 https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2020/11/Actes-Journe%CC%81e-FRB-2020.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([11]) UICN, Application des catégories de gestion aux aires protégées : lignes directrices pour les aires marines, 2008 https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/PAG-019-Fr.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([12]) Camille Richir, Aires protégées, leurs retombées insoupçonnées, La Croix, 3 septembre 2021 https://www.la-croix.com/Aires-protegees-retombees-insoupconnees-2021-09-03-1201173577 (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([13]) James W. Fourqurean et al., Seagrass ecosystems as a globally significant carbon stock, Nature geoscience, 20 mai 2012, https://www.nature.com/articles/ngeo1477 (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([14])  Steven D. Gaines et al., Designing marine reserve networks for both conservation and fisheries management, PNAS, 26 octobre 2010, https://www.pnas.org/content/107/43/18286 (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([15]) PNUE, 5 insights from the new MPA Guide that can help improve ocean conservation, 16 septembre 2021, https://www.unep-wcmc.org/news/5-insights-from-the-new-mpa-guide-that-can-help-improve-ocean-conservation (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([16]) An introduction to the MPA guide https://mpa-guide.protectedplanet.net/IntroductiontoTheMPAGuide_English_final.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([17]) Agence nationale de recherche, Un nouveau système de classification des aires marines protégées pour évaluer leurs bénéfices présumés pour la biodiversité : le projet BUFFER, 29 juillet 2019, https://anr.fr/fr/actualites-de-lanr/details/news/un-nouveau-systeme-de-classification-des-aires-marines-protegees-pour-evaluer-leurs-benefices-presum/ (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([18])  Les catégories d’aires protégées de l’UICN délimitent les types d’aires protégées en fonction des objectifs de gestion et de la gouvernance, mais ne les classent pas explicitement par niveau de protection. Le Guide des aires marines protégées propose ainsi une approche complémentaire.

([19]) Agence nationale de recherche, Un nouveau système de classification des aires marines protégées pour évaluer leurs bénéfices présumés pour la biodiversité : le projet BUFFER, 29 juillet 2019, https://anr.fr/fr/actualites-de-lanr/details/news/un-nouveau-systeme-de-classification-des-aires-marines-protegees-pour-evaluer-leurs-benefices-presum/ (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([20]) An introduction to the MPA guide https://mpa-guide.protectedplanet.net/IntroductiontoTheMPAGuide_English_final.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([21]) WWF, Pollution plastique en Méditerranée, sortons du piège !, 2018 https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2018-06/180608_rapport_plastiques_mediterranee.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([22])  Guilhaumonet al. 2015 –Diversity and Distributions

([23])  Di Franco et al. 2018 –Biological Conservation

([24]) «Notre mer » en latin.

([25])Convention de Montego bay, https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([26]) Jean-François Dobelle, La France, une puissance maritime, Vie publique, 9 août 2021 https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/281092-la-france-une-puissance-maritime (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([27]) Ibid

([28]) Convention pour la protection de l’environnement marin de l’Atlantique Nord-Est.

([29]) Stratégie nationale pour les aires protégées 2030, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_Biotope_Ministere_strat-aires-protegees_210111_5_GSA.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([30]) UICN, Application des normes mondiales de conservation de l'UICN aux Aires marines protégées, https://www.iucn.org/sites/dev/files/content/documents/french_applying_mpa_global_standards_030518.pdf (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([31]) « La principale différence entre les AMP et les autres mesures de gestion par zone est que, quelle que soit la forme prise par les AMP, l’objectif principal doit être la conservation de la biodiversité. Les mesures de gestion par zone dont les objectifs principaux sont autres, comme la pêche durable, ne sont pas considérées comme des AMP ».

([32])  « Réglemente les activités de pêche (lorsque celles-ci se produisent) qui ont un faible impact, sont évaluées et gérées selon des normes les plus élevées, et qui n’affectent pas l’intégrité écologique de la zone, les niveaux d’espèces et la structure trophique. Tout engin de pêche utilisé ne devra pas avoir d’impact significatif sur d’autres espèces ou d’autres valeurs écologiques non ciblées ».

([33])  « Individuellement, ou dans le cadre d’un réseau d’AMPs, comprend d’importantes zones de non-prélèvement, et quand elle fait partie d’un réseau, les zones de non-prélèvement sont réparties à travers les AMPs du réseau ».

([34])  « Toute  activité  industrielle  et  tout  développement d’infrastructures (ex. exploitation  minière,  pêche industrielle, extraction  de pétrole et gaz) ne sont pas compatibles avec les AMPs ».

([35]) IISD, UNEP Guide Presents Governance Framework for MPAs, https://sdg.iisd.org/news/unep-guide-presents-governance-framework-for-mpas/ (page consultée en ligne le 22 octobre 2021).

([36]) Claudet et al. 2021 –Marine Policy

([37])  Ibid.