N° 337

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

TOME V

 

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

 

 

PAR Mme SABRINA SEBAIHI

Députée

——

 

 Voir le numéro : 273


 


SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. LE FINANCEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’ENVIRONNEMENT

A. LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

B. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DES PROGRAMMES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES POUR 2023 : UNE HAUSSE INSUFFISANTE AU REGARD DES ENJEUX

II. LES GRANDS FONDS MARINS, UN NOUVEL ELDORADO ?

A. Les GRANDS FONDS MARINS, DES ESPACES STRATÉGIQUES SOURCES DE CONVOITISES

1. Des espaces encore méconnus au riche potentiel

a. Des espaces représentant un intérêt scientifique majeur

b. Des espaces stratégiques aux ressources minérales abondantes

2. Des espaces en cours d’exploration dont l’exploitation pourrait avoir des effets particulièrement néfastes

a. Des espaces investis par la recherche et des campagnes exploratoires

b. Des espaces menacés par l’exploitation de leurs ressources

B. FACE AUX VELLÉITÉS pressantes d’EXPLOITER LES GRANDS FONDS, IL EST NÉCESSAIRE DE POURSUIVRE UNE POLITIQUE DE PROTECTION PROACTIVE ET ASSUMÉE DE CES ESPACES

1. L’exploitation des grands fonds : une perspective à court terme

a. À l’échelle nationale, une politique ambiguë n’excluant pas l’exploitation

b. À l’échelle internationale, un objectif à court terme sur le point d’être atteint

2. La nécessité de définir une politique résolument protectrice à l’égard des grands fonds marins

a. Promouvoir l’application du principe de précaution environnementale

b. Repenser la gouvernance des grands fonds marins

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE POUR AVIS

annexe  2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES  PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS


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   introduction

L’année 2022 a rappelé, une nouvelle fois, l’urgence d’agir contre le changement climatique : l’été a été le plus chaud jamais observé en Europe, marqué par des feux de forêts massifs, des canicules à répétition, des sécheresses record et des phénomènes orageux violents. Le dérèglement climatique est d’ores et déjà une réalité tangible qui impose d’intervenir. La guerre en Ukraine et l’aggravation de la crise énergétique qui en résulte ont, en outre, révélé la dépendance de la France et de l’Europe aux énergies fossiles, exacerbant les difficultés sociales d’un grand nombre de Français confrontés à une nette augmentation des prix de l’énergie. Face à ces enjeux, la France doit impérativement conduire une politique écologique et environnementale exemplaire aux échelles nationale, européenne et mondiale.

Les mois à venir seront riches en opportunités permettant à notre pays de faire valoir ses ambitions en matière écologique et environnementale sur la scène internationale. La 27ème Conférence des Parties (COP27) de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui se déroulera à Charm el Cheikh, en Égypte, en novembre 2022, constituera une occasion exceptionnelle pour mobiliser les chefs d’État et de gouvernement, la communauté scientifique mondiale, ainsi que l’opinion publique internationale sur ces thématiques environnementales. De même, la prochaine Conférence des Parties (COP15) à la convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB), qui se réunira, à Montréal, au Canada, en décembre 2022, après plusieurs reports dus au contexte sanitaire, représentera une étape cruciale dans le combat contre le recul de la biodiversité mondiale. À cette occasion, la France devra porter une nouvelle impulsion à même de déboucher sur l’adoption d’un cadre international plus exigeant et plus opérationnel en faveur de la nature et du vivant.

Dans ce contexte, la commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis, afin de se prononcer sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2023. Ces crédits sont essentiels pour permettre la mise en œuvre de la transition écologique devant conduire à une amélioration, au quotidien, de la qualité de vie de nos concitoyens et à la préservation de la biodiversité.

La rapporteure pour avis constate une augmentation des crédits de la mission, dotée d’un budget de 28,496 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 27,386 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) dans le projet de loi de finances pour 2023. Elle regrette toutefois que cette augmentation et la ventilation des crédits concernés ne soient pas à la hauteur des enjeux environnementaux actuels et ne permettent donc pas à la France de mener une politique écologique et environnementale ambitieuse et cohérente.

Par ailleurs, l’examen du budget offre à la commission des affaires étrangères la possibilité d’analyser les instruments, les objectifs et les modalités de l’action internationale de la France en matière environnementale. Cette année, la rapporteure pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de son rapport aux grands fonds marins, dont la préservation apparaît plus que jamais nécessaire au regard des velléités d’exploiter leurs ressources, au risque de bouleverser durablement des écosystèmes fragiles et de provoquer une nouvelle catastrophe écologique.

Dans cet esprit, la rapporteure formule neuf propositions, afin de mieux protéger les grands fonds sans compromettre la connaissance et la compréhension de ces espaces fascinants.

 


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I.   LE FINANCEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’ENVIRONNEMENT

A.   LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

La mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2023 retrace les dépenses afférentes aux politiques publiques en faveur de la transition énergétique, du climat, de la biodiversité, de la prévention des risques et des transports, ainsi qu’aux emplois des ministères chargés de l’écologie et de la transition énergétique. Elle comporte dix programmes : le programme 203, Infrastructures et services de transports, le programme 205, Affaires maritimes, pêche et aquaculture, le programme 113, Paysages, eau et biodiversité, le programme 159, Expertise, information géographique et météorologie, le programme 181, Prévention des risques, le programme 174, Énergie, climat et après-mines, le programme 345, Service public de l’énergie, le programme 217, Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement de la mobilité durables, le programme 355, Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État et un nouveau programme 380, Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires.

Dans un contexte de forte hausse des prix du marché de l’énergie, le Gouvernement a mis en place des boucliers tarifaires visant à limiter les augmentations de factures des consommateurs de gaz et d’électricité. Parmi les principales orientations du budget 2023, le Gouvernement souhaite également investir dans la rénovation énergétique à travers la poursuite du dispositif « MaPrimeRénov’ », lancé en 2020, et la mise en place d’aides à l’acquisition de véhicules moins émetteurs de gaz à effet de serre, afin d’accélérer la conversion du parc automobile. Il fait de la lutte contre l’érosion de la biodiversité l’une de ses priorités avec l’objectif de placer 10 % de son territoire en zone de « protection forte ». La mission poursuit l’engagement pour le renouvellement des transports publics, en particulier dans le secteur ferroviaire, conformément aux objectifs fixés par la loi  20191428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités. Le Gouvernement propose enfin un fonds d’accompagnement de la transition écologique doté de 1,5 milliard d’euros d’autorisations d’engagement en 2023 et destiné aux collectivités territoriales pour favoriser la performance environnementale, l’adaptation des territoires au changement climatique et l’amélioration du cadre de vie des Français.

Ces orientations doivent s’accompagner du respect par la France de ses engagements chiffrés en faveur de la neutralité carbone à l’horizon 2050 et de la cible européenne de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990.

Pour y parvenir, la mission Écologie, développement et mobilité durables est pourvue d’un budget, hors fonds de concours, de 28,496 milliards d’euros en AE pour 2023, contre 21,625 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2022, soit une hausse d’environ 32 %. Les CP connaissent également une augmentation passant de 21,297 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2022 à 27,386 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2023, soit une augmentation d’environ 29 %.

Cette hausse doit néanmoins être nuancée. Le périmètre de la mission évolue en effet avec l’apparition d’un nouveau programme 380, Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, doté d’un budget de 1,5 milliard d’euros en AE et 375 millions d’euros en CP. À périmètre constant, l’augmentation des AE est donc de 25 % et celle des CP de 27 %.

Cette revalorisation des crédits est, en réalité, très en deçà des enjeux actuels et en trompe-l’œil. En effet, une part non négligeable de ces crédits doit permettre de financer des mesures non écologiques visant principalement au soutien du pouvoir d’achat des Français. Tel est le cas des boucliers tarifaires, dont le coût total est estimé à 45 milliards d’euros (18,96 milliards d’euros pour la seule année 2023), répartis en 6,24 milliards d’euros pour le gaz et 12,72 milliards d’euros pour l’électricité. Si le contexte économique justifie la mise en place d’aides destinées aux consommateurs, il est regrettable que ces dispositifs ne soient pas davantage ciblés sur les ménages les plus modestes, ne jouent pas d’effet désincitatif sur la consommation de sources d’énergie polluante et ne s’accompagnent pas d’un investissement massif dans les énergies renouvelables.

De surcroît, ces éléments doivent être mis en parallèle avec la baisse de 8,6 milliards d’euros des crédits dédiés à la mission Plan de relance, qui affecte de manière significative son programme 362 Écologie, dont les AE diminuent de 100 %, passant de 139 millions d’euros à un solde nul, et les CP de 37,6 % environ, passant de 5,67 milliards à 3,56 milliards d’euros. Cette diminution des CP devrait d’ailleurs se poursuivre les prochaines années : elle est estimée à 37,8 % en 2024 et à 80,1 % en 2025.

Ainsi, en 2023, les dépenses de la mission Écologie, développement et mobilité durables, hors programme 345, stagnent : la hausse proposée ne fait que compenser la baisse des crédits du programme Écologie du plan de relance. Le projet de loi de programmation de finances publiques pour les années 2023 à 2027 prévoit d’ailleurs une évolution à la baisse du budget consacré à cette mission au cours du quinquennat, avec une cible de CP à 24,6 milliards d’euros en 2024 et 2025.

 

B.   L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DES PROGRAMMES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES POUR 2023 : UNE HAUSSE INSUFFISANTE AU REGARD DES ENJEUX

Ce programme voit ses AE croître de 47 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances. Cette augmentation porte ainsi l’ensemble des AE de ce programme à 3 841 millions d’euros. En CP, il enregistre une hausse de 234 millions d’euros, pour une valeur totale de 4 073 millions d’euros.

Ce programme connaît une hausse de ses AE et de ses CP par rapport aux crédits alloués par la loi de finances initiale pour 2022. Les AE passent ainsi de 192 millions d’euros à 247 millions d’euros dans le projet de loi de finances. Les CP augmentent également de 193 millions d’euros à 241 millions d’euros.

Il est à noter qu’en 2023, un volume de crédits identique à celui de 2022 est maintenu pour soutenir le secrétariat d’État chargé de la mer. Il peut être regretté qu’un investissement supplémentaire n’ait pas été consenti par le Gouvernement au regard des multiples enjeux environnementaux qui traversent les espaces maritimes.

Les AE du programme 113 passent de 244 millions d’euros en 2022 à 275 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2023. Les CP connaissent eux aussi une croissance, à 275 millions d’euros pour 2023 contre 244 millions d’euros lors de l’exercice précédent.


Ce programme connaît une hausse de ses AE et de ses CP de 27 millions d’euros environ par rapport à l’année 2022, pour atteindre 498 millions d’euros en 2023.

Les AE du programme 181 enregistrent une hausse dans le projet de loi de finances, à 1 142 millions d’euros environ contre 1 065 millions d’euros l’an passé. Les CP connaissent également une progression d’environ 71 millions d’euros pour atteindre 1 143 millions d’euros en 2023.

Le programme 174 finance ainsi, avec le programme 345, la majeure partie des dispositifs de lutte contre les effets de la crise énergétique, ce qui explique la forte hausse de ses dotations dans le projet de loi de finances pour 2023, sans que cette hausse ne corresponde à un investissement substantiel dans la lutte contre le changement climatique. Les AE pour l’année 2023 augmentent de 40,61 % par rapport à 2022, pour atteindre 5 090 millions d’euros. Les CP enregistrent, pour leur part, une augmentation de 52,05 %, passant de 3 197 millions d’euros en 2022 à 4 861 millions d’euros en 2023.

En revanche, le budget consacré à de véritables mesures écologiques, par exemple dans le domaine de la rénovation thermique, est très insuffisant. À titre d’exemple, « MaPrimeRénov’ » n’est dotée que de 2,5 milliards d’euros en AE en 2023, alors que le rapport d’Olivier Sichel sur la réhabilitation des logements privés, remis en mars 2021, évalue les besoins à environ 10 milliards d’euros par an ([1]).

Il enregistre une hausse significative de ses crédits dans le projet de loi de finances pour 2023. Ses AE et les CP voient, en effet, leurs montants augmenter de 3 551 millions d’euros pour atteindre 12 milliards d’euros contre 8,5 milliards d’euros en 2022.

Cette hausse des crédits résulte de la création d’une nouvelle action Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs destinée à financer la compensation aux opérateurs de gaz et d’électricité du plafonnement des tarifs pour les consommateurs. Les crédits ouverts pour cette seule action s’élèvent à 8 922 millions d’euros.

L’étude des différentes actions du programme 345 démontre ainsi que la hausse globale de ses crédits résulte exclusivement de mesures de soutien au pouvoir d’achat ou de compensation des hausses des prix de l’énergie, et non de mesures visant à financer une politique énergétique plus respectueuse de l’environnement.

Ce programme connaît, dans le cadre du projet de loi de finances, une légère hausse de ses AE et de ses CP, passant respectivement de 2 877 millions à 3 004 millions d’euros et de 2 920 millions à 3 022 millions d’euros entre 2022 et 2023.

Après plusieurs années de réduction des effectifs du pôle ministériel, d’environ 2 % par an, il peut être regretté que le Gouvernement propose, une fois encore, de diminuer le nombre d’équivalents temps plein (ETP), qui passerait de 35 669 en 2022 à 35 619 en 2023. Le Gouvernement peut certes se prévaloir d’une augmentation des ETP pour les opérateurs (+ 258 ETP en 2023 par rapport à 2022), qui renforcerait notamment les effectifs de l’Observatoire français de la biodiversité. Toutefois, l’effet pervers d’une telle dynamique d’emploi n’est pas négligeable, puisque le ministère de la transition écologique est aussi celui qui recourt le plus aux prestations intellectuelles délivrées par des conseils extérieurs. Au premier semestre 2022, ses engagements en la matière atteignent plus de 44 millions d’euros contre environ 24 millions d’euros pour le ministère de l’intérieur.

Le programme 355 connaît ainsi une hausse de ses AE et de ses CP, passant de 836 millions d’euros en 2022 à 900 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023.

Si la création de ce fonds envoie a priori un message positif en faveur de la transition écologique, il demeure de nombreuses incertitudes sur la manière dont les projets seront sélectionnés et les crédits alloués aux collectivités territoriales, faisant peser un doute sur la capacité de l’État à décaisser effectivement l’ensemble des crédits budgétés.


Au regard de cette analyse, la rapporteure pour avis estime que la mobilisation de la France dans le domaine environnemental n’est pas à la hauteur de ses ambitions, qu’il s’agisse du montant des crédits dédiés à la mission Écologie, développement et mobilité durables et de leur utilisation. Elle invite donc la commission des affaires étrangères à émettre un avis défavorable à leur adoption.

II.   LES GRANDS FONDS MARINS, UN NOUVEL ELDORADO ?

« La mer est tout ! Elle couvre les sept dixièmes du globe terrestre. Son souffle est pur et sain. C’est l’immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. » Avec ces quelques mots prêtés au capitaine Nemo dans son roman Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne résume la fascination qu’exercent sur l’homme les océans, ces immensités encore largement inexplorées. Parfois présentés comme la « dernière frontière » ([2]) à conquérir par l’homme, les grands fonds océaniques constituent sans doute l’exemple paradigmatique de ces espaces mystérieux qui ont toujours nourri l’imagination et la curiosité humaines.

Toutefois, concevoir ces espaces sous le seul prisme de l’imaginaire et de la littérature n’est pas suffisant, tant ils suscitent aujourd’hui une attention croissante de la part des scientifiques et chercheurs, des États et compagnies privées, désireux de mieux connaître, comprendre, et – pour certains – exploiter leurs ressources, au risque de détruire de manière irréversible ces territoires aussi prometteurs que vulnérables.

Dans ce contexte, la mobilisation en faveur de la protection des grands fonds s’est amplifiée. En septembre 2021, lors du Congrès mondial de la nature qui s’est tenu à Marseille, plus de 60 % des États et agences étatiques présents ont voté en faveur d’un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins.

En tant que nation maritime disposant de la plus vaste surface de grands fonds océaniques au monde, la France doit assumer une responsabilité particulière sur ce sujet. Pourtant, la politique gouvernementale française se caractérise par une certaine ambiguïté sur la question de la protection et de l’exploitation de ces espaces. Après s’être abstenue lors du vote relatif à l’instauration du moratoire sur l’exploitation minière de septembre 2021, la France, par la voix de son président de la République, Emmanuel Macron, a appelé de ses vœux « un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer » et s’est prononcée contre le développement « de nouvelles activités qui mettraient en danger les écosystèmes [océaniques] », lors de la deuxième édition de la Conférence des Nations Unies sur l’océan, en juin 2022.

Dès lors, il apparaît nécessaire que la France élabore une politique claire à l’égard des grands fonds océaniques et promeuve, sur la scène internationale, un message cohérent en faveur de leur protection et de la définition d’un cadre juridique adapté aux enjeux écologiques qu’ils recouvrent. L’élaboration d’une telle stratégie ne peut rester un débat d’experts mais doit engager l’ensemble de la société civile et de ses représentants.

A.   Les GRANDS FONDS MARINS, DES ESPACES STRATÉGIQUES SOURCES DE CONVOITISES

1.   Des espaces encore méconnus au riche potentiel

a.   Des espaces représentant un intérêt scientifique majeur

Désignant une zone débutant à 1 000 mètres de profondeur, seuil en deçà duquel l’environnement change de manière significative, les grands fonds marins représentent 88 % du plancher océanique, soit une immense surface estimée à 320 millions de km2.

La France est particulièrement concernée par la question de l’océan profond : selon un récent rapport de la fondation de la mer ([3]), elle occuperait la première place mondiale en termes de superficie de ses grands fonds, devant les États-Unis. Ainsi, 93 % de sa zone économique exclusive (ZEE) se situerait sous les 1 000 mètres de profondeur, pour une superficie totale de 9,5 millions de km2. Ces grands fonds se trouvent principalement en outre-mer, lesquels représentent 97 % de la ZEE française, tout particulièrement en Polynésie (44 % de la ZEE) et autour des terres australes et antarctiques (20 % de la ZEE).

Or, l’océan profond demeure encore en grande partie inconnu. Selon les estimations, seuls 5 % à 10 % au plus de ces espaces ont pu être étudiés ([4]). Et encore ces estimations ne concernent-elles que les données topographiques ou de bathymétrie ([5]) donnant une vision très parcellaire de ces espaces. À l’échelle de la planète, moins de 3 % des grands fonds ont été explorés à des résolutions infradécamétriques ou avec des prises d’échantillon ([6]). Les grands fonds marins les mieux connus sont ceux des dorsales médio-océaniques, oasis de vie qui fascinent les scientifiques, et ceux des plaines abyssales riches en nodules polymétalliques de la zone de Clarion‑Clipperton, située dans le Nord-Est du Pacifique, du fait de leur potentiel économique.

Il n’est guère surprenant que les abysses, peuplés dans l’imaginaire collectif de créatures monstrueuses, aient longtemps suscité l’effroi. Les grands fonds marins constituent a priori un environnement hostile, peu favorable au développement de la vie biologique. Ils se caractérisent, en effet, par une obscurité totale – on parle de zone aphotique – du fait de l’absorption de la lumière solaire dont la pénétration est minimale au-delà de 200 mètres de profondeur, une forte pression, des eaux froides à la température variant entre 0,5 °C et 4 °C – ou extrêmement élevée autour des sources hydrothermales – et une quasi-absence d’oxygène.

Pourtant, loin d’être des espaces vides, les grands fonds recèlent des écosystèmes riches et uniques qui se sont développés dans ces conditions extrêmes et dont l’étude est particulièrement féconde pour la recherche scientifique. Ainsi que le retrace le rapport précité de la fondation de la mer, la découverte de la chimiosynthèse comme alternative à la photosynthèse a révolutionné la pensée sur le fonctionnement de l’océan profond. Les espèces présentes en zone aphotique se développent grâce à l’énergie chimique qui remplace l’énergie solaire. Des bactéries chimiotrophes, capables de créer de l’énergie à partir de l’oxydation de sulfures, ont permis l’apparition de différentes espèces (vers, mollusques, crevettes, crabes), particulièrement abondantes autour des sources hydrothermales, objets de nouvelles découvertes. Une étude parue en mars 2019 dans The Zoological Journal of The Linnean Society ([7]) recense, par exemple, la découverte de quatre nouveaux genres et de dix-sept nouvelles espèces de vers polychètes dans la zone de fracture de Clarion‑Clipperton, entre 4 000 et 5 000 mètres de profondeur.

Nouvelle espèce de ver marin découverte en 2018, Abyssarya acus – Source : IFREMER (2018).


En tout, plus de 500 espèces animales ont déjà été décrites, dont 75 % sont endémiques à leur milieu ([8]) et le World Register of Marine Species recense l’existence de 250 000 espèces issues de l’océan profond. Il ne s’agit toutefois là que d’une infime partie des écosystèmes des grands fonds. Il resterait entre un à dix millions d’espèces à découvrir, bien que cette estimation doive être prise avec précaution ([9]).

Outre l’intérêt environnemental évident de ces écosystèmes, certaines espèces ont développé des stratégies d’adaptation à des conditions de vie difficiles, qui pourraient trouver des applications dans les domaines médical, industriel et cosmétique. Environ 10 % des tests PCR (Polymerase Chain Reaction) sont, par exemple, constitués de molécules marines provenant des grands fonds, tandis que l’étude des espèces de poissons dits ultra‑noirs, absorbant 99,5 % de la lumière qu’ils reçoivent, pourrait permettre de développer un pigment ultra-noir artificiel, qui couvrirait l’intérieur des télescopes, rendant l’image plus nette, ou améliorerait l’absorption de la lumière par les panneaux solaires ([10]). L’industrie pharmaceutique allemande dispose déjà de nombreux brevets sur les ressources génétiques marines, qui pourraient trouver des applications dans l’élaboration d’anticancéreux, d’antidouleurs, d’antibiotiques et d’antioxydants. Les molécules marines apparaissent ainsi particulièrement prometteuses, plus encore que les molécules terrestres ([11]).

b.   Des espaces stratégiques aux ressources minérales abondantes

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([12]), l’économie de la mer pourrait représenter jusqu’à 3 000 milliards de dollars d’ici à 2030, doublant sa contribution à la valeur ajoutée brute mondiale, qui s’élevait à 2,5 % en 2010. Cette économie concerne plusieurs activités en rapport avec les grands fonds marins. En effet, si les fonds océaniques présentent des écosystèmes variés, ils abritent également différentes ressources qui en font des espaces convoités. Dans un contexte de raréfaction des gisements terrestres et d’apparition de nouveaux besoins liés à la transition écologique et numérique – par exemple, pour la fabrication des batteries de voitures électriques, d’éoliennes, de panneaux solaires, de téléphones « intelligents » et autres équipements informatiques –, la recherche de sources d’approvisionnement alternatives devient un enjeu majeur.

Trois principales catégories de ressources minérales non énergétiques ont été identifiées à ce jour dans le plancher océanique :              

les nodules polymétalliques sont dispersés dans les plaines abyssales à des profondeurs variant entre 4 000 et 6 000 mètres. Ils sont constitués de manganèse, de fer et d’autres métaux valorisables, tels que le nickel, le cuivre et le cobalt ;

les encroûtements cobaltifères se retrouvent dans les volcans anciens et les atolls immergés entre 400 et 4 000 mètres de profondeur. Ils peuvent couvrir des surfaces allant jusqu’à plusieurs milliers de km2 et contiennent essentiellement du manganèse, de l’oxyde de fer et du cobalt. Ils peuvent également présenter des teneurs significatives en métaux précieux (platine) et métaux rares (yttrium, lanthane, cérium) ;

les sulfures polymétalliques, ou sulfures hydrothermaux, liés à une activité hydrothermale, sont présents dans les zones volcaniques et tectoniques actives. Les sites hydrothermaux qui en favorisent la formation sont situés à des profondeurs variables, allant de 1 000 à 5 000 mètres. Contrairement aux nodules, ces sulfures sont très localisés et couvrent des surfaces réduites de quelques dizaines à quelques centaines de m2. Ils sont riches en cuivre et en zinc et peuvent présenter de fortes teneurs en métaux précieux (or et argent) et en métaux rares (indium, sélénium, germanium).

Les trois structures géologiques favorables aux ressources minérales – Source : ESCO (2014).

Aux côtés de ces ressources, les grands fonds marins disposent de terres rares, dont la demande devrait croître de 6 % par an et être multipliée par vingt à quarante d’ici à 2050 pour certaines d’entre elles, et d’hydrocarbures, principale ressource non biologique exploitée dans ces espaces. Si 30 % des réserves d’hydrocarbures identifiées se situent dans les fonds marins, presque 10 % de ces réserves sont localisées en domaine profond, au-delà de 200 mètres, en particulier dans les eaux du Brésil, du Mexique, des États-Unis et des pays d’Afrique de l’Ouest (Nigéria, Congo, Angola) ([13]). De surcroît, à l’heure où la France et l’Union européenne sont fortement dépendantes d’autres pays pour s’approvisionner en terres rares et hydrocarbures, l’exploitation des ressources des grands fonds s’impose comme un enjeu de souveraineté économique et stratégique.


 

 


Au-delà des ressources économiques présentes dans l’océan profond, la dimension stratégique des grands fonds marins recouvre donc également des enjeux de souveraineté. À l’heure où 90 % du commerce mondial s’effectue par voie maritime, dont 75 % du commerce de l’Union européenne, la maîtrise des grands fonds et leur appropriation éventuelle pourraient soulever des menaces en termes de respect de la liberté en haute mer. La protection de la liberté d’action des forces navales de chaque État dépend précisément du respect du droit international.

Les grands fonds marins abritent enfin des réseaux d’infrastructures qu’il convient de protéger, à l’instar des câbles sous-marins de communication et de transport d’énergie. Au nombre de 500 environ ([14]) – dont une vingtaine de câbles desservent l’Hexagone et vingt-six sont actifs en outre‑mer ([15]) – ces câbles assurent 97 % du trafic mondial des communications électroniques et représentent donc une importance stratégique pour l’activité économique et la souveraineté numérique. Si le principal risque est celui d’une atteinte à l’intégrité des infrastructures, du fait d’un incident ou d’un acte malveillant, la surveillance des câbles sous-marins pourrait aussi servir à des fins d’écoute et de piratage des données.

Le ministère français des armées s’est ainsi doté, en février 2022, d’une stratégie visant à élargir les capacités d’anticipation et d’action de la marine nationale jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. Les fonds marins sont aujourd’hui considérés par la doctrine militaire comme un « nouveau champ de conflictualité », tout comme l’espace exo-atmosphérique, le cyberespace et la sphère informationnelle. Le concept de seabed warfare, ou maîtrise des fonds marins, a progressivement émergé face à l’accroissement de la compétition stratégique dans ces espaces.

2.   Des espaces en cours d’exploration dont l’exploitation pourrait avoir des effets particulièrement néfastes

a.   Des espaces investis par la recherche et des campagnes exploratoires

S’il est désormais établi que les grands fonds constituent des écosystèmes particulièrement riches, leur rôle dans le fonctionnement global des océans, leur biodiversité et les ressources qu’ils recèlent sont encore largement à découvrir. Les grands fonds marins suscitent ainsi une attention renouvelée et font l’objet de multiples recherches et campagnes d’exploration.

La France est l’un des premiers États à avoir mené de telles campagnes, et ce, dès les années 1960. Elle dispose, pour ce faire, d’un réseau de chercheurs structuré et reconnu à l’échelle mondiale bénéficiant d’outils particulièrement performants, qu’il s’agisse de navires, de submersibles ou d’infrastructures de recherche dédiées. Plusieurs instituts publics ont créé des unités spécialisées dans les grands fonds, parmi lesquels, et de manière non exhaustive :

– l’Institut français de la recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), lequel s’est doté d’un département consacré à l’étude des ressources physiques et des écosystèmes de fond de mer ;

L’IFREMER : un acteur majeur de l’exploration des grands fonds marins

L’IFREMER est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous la tutelle des ministères de la transition écologique, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, ainsi que de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Il s’agit du principal opérateur français de recherche scientifique sur les grands fonds marins.

Sa stratégie s’articule autour de trois piliers : la connaissance des interactions entre l’océan et la lithosphère, la compréhension de la dynamique et des fonctions des écosystèmes des grands fonds et le développement de progrès technologiques permettant de disposer d’outils efficaces pour la recherche et de tisser des liens avec le monde économique. Il détient, pour le compte de l’État, les deux permis d’exploration délivrés à la France par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Les travaux de l’IFREMER portent aujourd’hui sur différentes zones, notamment :

- la dorsale médio-océanique au large des Açores, où l’Institut a installé un observatoire profond, et l’Atlantique central, pour lequel il dispose d’un contrat d’exploration délivré par l’AIFM. Il y étudie les interactions physico-chimiques entre l’océan et l’écorce terrestre, la manière dont la vie peut se développer au-delà de 2000 mètres de fonds au contact de sources hydrothermales et cartographie les éventuelles ressources minérales qui s’y trouvent ;

- la zone de Fani Maore, entre 1 500 et 3 500 mètres de fond. L’Institut y étudie un volcan sous-marin apparu en 2019, afin d’informer les populations locales sur son activité et d’aider les autorités locales à dimensionner leur dispositif dit ORSEC ([16]) relatif aux risques volcaniques ;

- le rebord du plateau continental au large du golfe de Gascogne. L’Institut a mis en place un nouvel observatoire, afin d’étudier l’écologie des coraux d’eau froide par 800 mètres de fond dans une zone Natura 2000. Son objectif est de proposer des mesures de conservation pour ces habitats fragiles et mal connus ;

- la zone de Clarion-Clipperton dans le Pacifique, dans laquelle les travaux de l’Institut visent à comprendre les mécanismes de formation des nodules polymétalliques, à estimer leur potentiel économique et à étudier la dynamique des écosystèmes profonds associés.

L’IFREMER dispose de moyens techniques très avancés, indispensables pour mener des recherches dans les grands fonds. Il est l’opérateur de la flotte océanographique française (FOF) et assure ainsi la gestion et l’exploitation de quatre navires hauturiers, qui lui permettent de se projeter dans tous les océans, hors zones polaires. Il peut également s’appuyer, jusqu’à 2 500 mètres de fond, sur un robot téléopéré, Ariane, embarquant sa propre énergie et, jusqu’à 3 000 mètres de profondeur, sur les drones AsterX et IdefX. Il accède aux fonds marins au-delà de 6 000 mètres de profondeur grâce au sous-marin habité Nautile, unique en Europe. Il s’appuie enfin sur un robot téléopéré, Victor 6000, et développe un nouveau prototype, ROV

– le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui compte 2 000 scientifiques travaillant sur le monde marin. Le CNRS a noué plusieurs partenariats avec différents instituts de recherche. Il pilote, par exemple, avec l’IFREMER, le programme prioritaire de recherche « Océan et climat », lancé le 8 juin 2021 et doté d’un budget de 40 millions d’euros sur une période de six ans, dont le quatrième des sept défis concerne l’exploitation des grands fonds marins et de leurs réserves en ressources minérales ;

– le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), qui joue un rôle majeur dans le domaine de la cartographie bathymétrique des fonds marins ;

– le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), impliqué dans l’acquisition de connaissances sur les grands fonds océaniques. Il travaille, entre autres, sur l’évolution de leurs ressources minérales, en partenariat avec l’IFREMER, et participe, plus généralement, à des expertises scientifiques collectives sur la question des grands fonds.

Peu de pays possèdent des outils similaires à l’exception des États-Unis, du Japon, de la Chine, de la Norvège et de l’Allemagne. Pour plusieurs pays, en particulier la Norvège, l’Allemagne, la Chine, le Japon et le Royaume-Uni, l’exploration des ressources minérales a motivé un effort de financement particulier dans ce domaine au cours de la dernière décennie. À l’échelle du continent européen, l’Allemagne, la Norvège et la Belgique sont les pays les plus avancés dans l’exploration des grands fonds océaniques ([17]).

La délivrance de contrats d’exploration repose sur deux régimes juridiques distincts selon la localisation des grands fonds marins.

Chaque État côtier dispose, en sus de la mer territoriale adjacente à sa côte – soit douze milles marins –, d’une ZEE pouvant aller jusqu’à 200 milles marins. Il exerce dans ces deux zones une pleine juridiction s’agissant de la protection de l’environnement et du droit d’exploitation des ressources du sous-sol et des eaux sus-jacentes. Conformément à l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM, plus connue sous l’appellation de convention de Montego Bay), un État côtier peut également prolonger le plateau continental sous sa juridiction jusqu’à 350 milles au plus. Cette possibilité d’extension concerne toutefois le seul plateau continental, à savoir le sol et le sous-sol marins dans le prolongement naturel des terres émergées, les eaux relevant quant à elles – et contrairement au droit applicable dans la ZEE – du domaine international. L’État côtier dispose, dans la zone du plateau continental, de droits souverains en matière d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles du sol et du sous‑sol.

Dans les eaux internationales dites de la « zone internationale », les fonds marins appartiennent en revanche au « patrimoine commun de l’humanité », conformément à l’article 136 de la convention de Montego Bay. Les activités relatives aux grands fonds sont contrôlées par l’AIFM, créée en 1994 à la suite de la signature de la convention de Montego Bay et de l’accord du 28 juillet 1994 relatif à l’application de la Partie XI de cette même convention.

L’AIFM est chargée de la délivrance, du suivi et du renouvellement des permis, ainsi que la définition des règles juridiques encadrant l’exploration et l’exploitation des trois principales ressources minérales présentes dans les fonds marins de la zone internationale. Concrètement, tout État ou société souhaitant explorer les fonds marins doit être patronné par un État lié par la convention de Montego Bay et signer un contrat avec l’AIFM, lequel confère des droits exclusifs d’exploration pour une catégorie de ressource et pour un secteur géographique définis. Chaque État patronnant et chaque entreprise titulaire d’un contrat sont tenus de transmettre un rapport sur leurs activités à la commission juridique et technique de l’organisation ([18]).

Il est à noter que les États‑Unis n’ayant pas ratifié la convention de Montego Bay, ils ne sont pas membres de l’AIFM et ne peuvent prétendre à la signature d’un contrat reconnu par l’organisation. Toutefois, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (National Oceanic and Atmospheric Administration – NOAA) administre, dans le cadre du Deep sea bed Hard mineral resources Act américain, deux licences d’exploration situées dans la zone de Clarion‑Clipperton.

Au niveau mondial, trente-et-un permis d’exploration ont été délivrés par l’AIFM depuis 2001 : dix-neuf pour les nodules, sept pour les sulfures et cinq pour les encroûtements cobaltifères, pour une surface maximale attribuée à chaque contractant de respectivement 75 000 km2, 10 000 km2 et 3 000 km2 ([19]).

La France détient, à travers l’IFREMER, deux contrats d’exploration : l’un concernant les nodules situés dans la zone de fracture de Clarion-Clipperton et l’autre relatif aux sulfures polymétalliques de la médiane atlantique. La Chine dispose du plus grand nombre de permis accordés (au nombre de cinq), suivie de la Russie (quatre contrats), de la Corée (trois contrats), du Japon, de l’Inde, de l’Allemagne et du Royaume-Uni (deux contrats pour chacun de ces pays).

Certaines entreprises détiennent également des permis d’exploration. C’est le cas de l’entreprise canadienne The Metals Company, qui détient trois contrats d’exploration des nodules parrainés par Nauru, le Royaume du Tonga et les Kiribati, ainsi que de l’entreprise Lockheed Martin, qui détient deux contrats d’exploration, à travers sa filiale UK Seabed Resources.

 Principaux espaces d’exploration dans les eaux de la Zone – Source : AIFM.

b.   Des espaces menacés par l’exploitation de leurs ressources

Les conséquences environnementales de l’exploitation des ressources sous‑marines sur l’océan profond sont encore peu documentées, à l’instar des grands fonds eux-mêmes. Toutefois, la communauté scientifique s’accorde sur le fait que les activités minières auront un impact négatif sur les écosystèmes présents dans les fonds marins. Certains écosystèmes pourraient ainsi disparaître, sans qu’il soit encore possible d’évaluer avec certitude quelles seraient les conséquences concrètes de leur disparition ([20]).

En revanche, la manière dont l’exploitation des ressources minérales pourrait troubler les écosystèmes marins est bien renseignée. Trois principaux risques sont ainsi identifiés :

– la collecte et le concassage des minerais peuvent engendrer la formation de panaches susceptibles de se diffuser sur une longue distance et d’affecter les écosystèmes ;

– le rejet de déchets miniers peut modifier la turbidité, l’acidité et la température de l’eau, tandis que la diffusion de nutriments et métaux lourds peut dégager des éléments toxiques pour certaines espèces ;

– les émissions acoustiques et électromagnétiques peuvent perturber la faune tout comme la présence de navires générant des vibrations et du bruit, sans compter les risques liés à l’introduction d’espèces invasives ou la survenue d’accidents.

Il est à noter que des techniques d’exploitation envisagées dans les années 1970, tel que le ramassage des nodules polymétalliques par dragues ou godets, ont déjà été abandonnées en raison de leurs conséquences néfastes sur l’environnement.

L’ampleur de ces phénomènes, bien que très localisés – la surface totale des contrats d’exploration délivrés représente aujourd’hui 0,8 % de la surface de la zone internationale et 0,4 % de la surface totale des mers et océans ([21]) – pourrait être accrue du fait des spécificités des écosystèmes des grands fonds, lesquels se caractérisent par leur inertie et leur faible résilience. Leur temporalité n’est pas celle de la terre ou du reste de l’océan. Le temps y est lent, tout comme la restauration de la biodiversité soumise à des atteintes. L’IFREMER a, par exemple, découvert que le dragage dans une zone riche en nodules explorée dans les années 1980 y avait laissé des traces encore observables trente-sept ans plus tard.

Les risques de destruction irréversible des écosystèmes des abysses sont d’autant plus grands que ces espaces se caractérisent par leur connectivité : la modification d’un écosystème sur un territoire défini peut avoir des conséquences sur de multiples autres territoires.

De surcroît, les écosystèmes des grands fonds marins se distinguent des écosystèmes terrestres par la faible diversité spécifique et la forte diversité fonctionnelle de leurs espèces. Autrement dit, il existerait un nombre limité d’espèces différentes, mais chacune remplirait un nombre élevé de fonctions au sein de son écosystème. Dès lors, la disparition d’une seule espèce pourrait remettre en cause l’équilibre de tout un écosystème.

Enfin, les scientifiques estiment que les grands fonds marins participent à la régulation climatique de la planète. L’océan absorberait 30 % du CO2 émis dans l’atmosphère, lequel est ensuite stocké dans les fonds marins qui agissent tels des puits de carbone naturels. Dès lors, la perturbation des écosystèmes des grands fonds pourrait compromettre leur fonction de stockage du carbone et avoir des effets en cascade sur la biodiversité à l’échelle mondiale.

Au demeurant, de telles atteintes seraient d’autant plus dommageables que la rentabilité économique des ressources des grands fonds et, par conséquent, la constitution de réserves minérales éventuelles, n’est pas assurée ([22]). Pourtant, loin d’être fictive ou écartée, l’exploitation des grands fonds est une menace bien réelle qu’il convient de contrer.

B.   FACE AUX VELLÉITÉS pressantes d’EXPLOITER LES GRANDS FONDS, IL EST NÉCESSAIRE DE POURSUIVRE UNE POLITIQUE DE PROTECTION PROACTIVE ET ASSUMÉE DE CES ESPACES

1.   L’exploitation des grands fonds : une perspective à court terme

a.   À l’échelle nationale, une politique ambiguë n’excluant pas l’exploitation

La politique française des grands fonds, structurée autour d’une double stratégie minière et militaire et la définition d’un plan d’investissement, s’attache à mieux connaître et protéger ces milieux et, à terme, à envisager la valorisation de leurs ressources biologiques et minérales.

Elle a connu une nouvelle impulsion par la définition d’une stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales des grands fonds lors du comité interministériel de la mer (CIMer) de janvier 2021, complétée par la circulaire n° 6266/SG du 5 mai 2021. Elle a été suivie de l’annonce par le président de la République, en octobre 2021, d’un plan d’investissement, France 2030, dont l’objectif n° 10, doté d’un budget de 300 millions d’euros, consiste à « investir dans le champ marin ». Elle a enfin été précisée par le CIMer du 17 mars 2022, lequel a défini quatre missions principales pour mieux connaître les grands fonds.

La nouvelle stratégie minière de la France fait intervenir sept ministères ([23]) et repose sur la définition de cinq objectifs incarnés dans huit projets, qui bénéficient sur une période de dix ans (20212031) d’un budget de 310 millions d’euros. Cette stratégie insiste en particulier sur la nécessité :

d’acquérir davantage de connaissances sur les écosystèmes et les ressources minérales des grands fonds ;

d’amplifier et de partager les efforts de protection des fonds marins dans le cadre d’une ambition de sauvegarde de ces écosystèmes ;

de poursuivre un objectif d’exploration et d’exploitation durable de leurs ressources ;

de valoriser ces ressources en lien avec le potentiel industriel français ;

de renforcer le partenariat avec les collectivités d’outre-mer, notamment dans le Pacifique ;

d’engager une démarche multipartenaires aux niveaux européen et mondial ;

de travailler à de meilleures information et association des populations locales.

Certaines collectivités territoriales sont également compétentes en matière minière. C’est le cas de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, sauf pour les métaux dits stratégiques et nécessaires aux activités nucléaires.

Si l’exploitation des ressources des grands fonds n’est pas définie comme une priorité de la stratégie française, d’abord tournée vers la connaissance et la maîtrise des fonds marins, elle n’en reste pas moins un objectif éventuel à court et moyen termes.

L’ambiguïté de la position française s’est trouvée renforcée par la déclaration du président de la République à l’Oceanarium de Lisbonne, en juin 2022, en marge de la conférence des Nations Unies sur les océans, lorsqu’il s’est prononcé contre l’exploitation minière des fonds en haute mer alors même que la France s’était abstenue, le 8 septembre 2021, sur le vote d’une motion en faveur d’un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins proposée lors du congrès mondial de la nature, à Marseille, par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

La multiplication des acteurs institutionnels mobilisés par le déploiement de la politique française à l’égard des grands fonds s’ajoute à l’ambiguïté doctrinale de la stratégie du Gouvernement, nuisant encore un peu plus à sa cohérence et à sa lisibilité.

b.   À l’échelle internationale, un objectif à court terme sur le point d’être atteint

Si la plupart des États reconnaissent la nécessité de préserver les écosystèmes marins, certains s’engagent néanmoins sur le chemin d’une exploitation future possible des ressources des grands fonds. Une compétition stratégique est ainsi née entre les États pionniers quant à l’exploration des soussols océaniques, transformant l’exploration en une phase de prospection, en vue de se positionner à la pointe d’un nouveau marché potentiellement rentable, si l’exploitation de ces espaces devait devenir une réalité.

Parmi les États les plus actifs pour préparer l’exploitation des ressources des grands fonds, peuvent être cités la Chine, Nauru et la Norvège, qui envisagent l’ouverture d’une partie de leurs plateaux continentaux aux activités minières respectivement dès 2023 et 2024, l’Allemagne, qui a déjà expérimenté le ramassage de nodules en 2021, ainsi que la Belgique, qui s’est également livrée à des tests de ramassage de nodules et envisage leur exploitation vers 2029 ([24]).

 

Position actuelle des pays en matière d’exploitation des ressources – Source : fondation de Mer (2022).

C’est dans les eaux placées sous juridictions nationales que les risques d’exploitation des ressources sont les plus importants, leur bénéfice revenant entièrement aux États concernés. Dans les eaux internationales, en revanche, et conformément à la convention de Montego Bay dont l’article 136 identifie la zone internationale et ses ressources au « patrimoine commun de l’humanité », les bénéfices tirés de l’exploitation des ressources des grands fonds marins doivent faire l’objet d’un partage selon des règles restant à définir lors de négociations internationales sur le sujet.

Toutefois, le mandat de l’AIFM et son rôle éventuel dans l’exploitation des ressources des grands fonds font également l’objet d’inquiétudes et de critiques, notamment de la part d’organisations non gouvernementales (ONG) environnementales.

L’AIFM dispose certes d’un mandat en matière de protection de l’environnement marin, conformément à l’article 145 de la convention de Montego Bay, qui lui confère une mission de prévention, de réduction et de maîtrise de la pollution du milieu marin, de protection et de conservation des ressources naturelles de la zone internationale ainsi que de prévention des dommages à la flore et à la faune marines. Toutefois, la protection des fonds marins n’est pas le cœur de son action et n’a d’ailleurs été introduite dans son mandat que tardivement, notamment à travers l’Objectif de développement durable n° 14 des Nations Unies ([25]). Si l’organisation indique que tous les contrats d’exploration doivent satisfaire à des règles strictes de protection de l’environnement, il reste difficile de mesurer concrètement l’efficacité de ces normes, la recherche étant encore lacunaire sur les conséquences environnementales de l’exploitation des ressources des grands fonds. Il est ainsi éclairant de noter que les trois piliers du régime juridique adopté par l’AIFM, à savoir le code de prospection et d’exploration des nodules polymétalliques (adopté en 2000 et révisé en 2013), le code des sulfures polymétalliques (adopté en 2010) et celui des encroûtements cobaltifères (adopté en 2012), ont tous trait aux ressources minérales présentes dans les grands fonds.

Il est également significatif de noter que l’AIFM s’est engagée dans la rédaction d’un règlement d’exploitation des ressources minérales dans les eaux internationales qui devrait aboutir en 2023 ou, au plus tard, en 2025. Le conseil de l’organisation a ainsi créé en 2020 quatre groupes de travail informels, afin que les États et les ONG puissent examiner en détail le projet et éventuellement l’amender. Sans doute la rédaction d’un tel règlement a-t-elle une pertinence pour encadrer l’ouverture imminente de l’exploitation des ressources sous-marines de certains États, en particulier de Nauru, qui a notifié dès juillet 2021 son intention d’autoriser dans un délai de deux ans – dit « clause Nauru » – l’exploitation des ressources sous-marines. Toutefois, il avalise aussi la possibilité d’une telle exploitation, par ailleurs juridiquement permise par l’article 150 de la convention de Montego Bay, relatif à la « mise en valeur » des ressources de la zone internationale, renforçant la crainte de voir bientôt l’AIFM délivrer des permis d’exploitation. Les ONG environnementales considèrent que l’autorisation de réaliser des tests de ramassage de nodules polymétalliques dans la zone de Clarion‑Clipperton délivrée, en octobre 2022, aux entreprises The Metals Company et Allseas, sous patronage de Nauru, dans des conditions jugées peu transparentes, constitue un prélude à la conclusion de tels contrats.

Cette position est d’ailleurs confirmée par les représentants du ministère de l’Europe et des affaires étrangères auditionnés, pour qui la préparation et l’encadrement de l’exploitation future des ressources des grands fonds océaniques constituent sans ambiguïté le deuxième volet du mandat de l’AIFM, aux côtés de la protection de l’environnement marin ([26]). Ils indiquent que, selon eux, les États membres de l’organisation seraient majoritairement favorables, avec des nuances, à une exploitation des ressources des grands fonds, à l’exception du Costa Rica, très engagé pour la défense de l’environnement, et du Chili, désireux d’écarter toute concurrence potentielle à l’exploitation de ses mines terrestres, qui représentent 20 % de son produit intérieur brut (PIB). Tous souhaiteraient également limiter les conséquences environnementales néfastes d’une telle exploitation et soutiennent donc l’édiction d’un code minier au volet environnemental particulièrement exigeant.

2.   La nécessité de définir une politique résolument protectrice à l’égard des grands fonds marins

a.   Promouvoir l’application du principe de précaution environnementale

Au regard des risques avérés que ferait peser l’exploitation des grands fonds marins sur l’avenir de ces espaces, il paraît nécessaire d’empêcher une telle exploitation le plus rapidement possible. Il ne s’agit nullement de mettre les grands fonds océaniques sous cloches, en excluant toute recherche scientifique ou campagne d’exploration, qui peuvent être utiles à leur connaissance, mais de faire primer un principe de précaution environnementale sur toute considération économique.

La rapporteure pour avis ne méconnaît pas l’importance stratégique des négociations en cours sur la rédaction d’un code minier venant encadrer l’exploitation future des ressources des grands fonds marins. Ce code a incontestablement le mérite d’établir des règles, et donc de poser des limites, à une telle exploitation. Aussi soutient-elle toute initiative, en particulier française, visant à s’assurer que le code minier, s’il venait à aboutir, posera des exigences environnementales très strictes dont la méconnaissance permettra de refuser la délivrance de permis d’exploitation. Elle a également conscience que l’opportunité d’édicter un tel code fait consensus au sein des États membres de l’AIFM. Toutefois, cette orientation s’inscrit dans un horizon paradigmatique qu’il est possible de questionner, celui de l’inéluctabilité de l’exploitation des ressources des grands fonds, d’une part, et de l’efficacité des règles environnementales encadrant leur exploitation, d’autre part. Il s’agit là d’une solution a minima, sans doute pragmatique, mais qui ne semble pas pleinement satisfaisante. La rapporteure souhaite, par ailleurs, souligner les risques de conflit d’intérêts existants, dès lors que l’AIFM serait à la fois l’instance sous l’égide de laquelle seraient négociés ce code et l’institution chargée d’en appliquer les dispositions, pour la délivrance de contrats d’exploitation. Elle rappelle également la difficulté que soulèverait l’absence de code minier, si celui-ci devait ne pas aboutir ou aboutir avec retard, dans le cas où l’AIFM serait saisie d’une demande de contrat d’exploitation pour laquelle ses statuts prévoient qu’elle doit se prononcer dans un délai de deux ans : elle pourrait ainsi donner droit à une telle demande sans qu’aucune règle n’encadre l’exploitation, faisant peser une incertitude juridique quant aux conditions dans lesquelles elle pourrait avoir lieu.

Pour cette raison, la rapporteure souhaite aller plus loin et prône l’instauration d’un moratoire sur l’exploitation des ressources des grands fonds marins. Cette proposition s’inscrit non seulement en cohérence avec les déclarations du président de la République à Lisbonne, en juin 2022, mais aussi avec les récentes prises de position des institutions européennes sur le sujet. Le Parlement européen a, en effet, manifesté son souhait, à travers deux résolutions du 9 juin 2021 ([27]) et du 3 mai 2022 ([28]), que soit interdit l’ensemble des activités industrielles d’extraction néfastes pour l’environnement dans les fonds marins, telles que l’exploitation minière et l’extraction de combustibles, et il a invité la Commission européenne et les États membres à soutenir un moratoire international sur l’exploration minière de ces espaces. La Commission européenne a également pris position en ce sens, et ce, dès mai 2020, en déclarant que « l’Union devrait défendre la position selon laquelle les ressources minérales situées dans la zone internationale des fonds marins ne peuvent pas être exploitées avant que les effets de l’exploitation minière en eaux profondes sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines n’aient fait l’objet de recherches suffisantes. » ([29])

L’instauration de ce moratoire mettrait de facto fin aux travaux de rédaction du code minier entrepris par cette organisation. Or, l’un des arguments avancés contre la définition d’un tel moratoire tient à l’application de la clause dite de Nauru, qui contraindrait l’AIFM à finaliser les règles encadrant l’exploitation des ressources des grands fonds dès 2023, date à laquelle cet État insulaire du Pacifique souhaite ouvrir ses eaux à l’exploitation et bénéficier, par conséquent, de contrats d’exploitation. Toutefois, les acteurs institutionnels auditionnés ont fortement nuancé ce point. La France, en particulier, a fait valoir une position claire lors de la réunion du conseil de l’AIFM de juillet 2022 : elle considère qu’il est nécessaire de prendre en considération la volonté exprimée par Nauru d’exploiter ses ressources ; en revanche, l’organisation n’est pas tenue de donner droit à cette demande ([30]). Aussi, le respect de cette clause n’est pas un obstacle irréfragable et l’AIFM peut, si ses membres le décident, renoncer à l’édiction du code minier.

La France a un rôle majeur à jouer dans l’impulsion et le soutien à un tel projet. Elle jouit, en effet, d’une position reconnue au sein de l’organisation, à la fois comme nation maritime de premier plan disposant de la plus vaste surface de grands fonds au monde dans sa ZEE – et de la première ZEE au monde au sein de cette institution, en l’absence des États-Unis – et comme pays précurseur dans l’exploration des grands fonds océaniques. Elle dispose d’un représentant permanent auprès de l’organisation depuis sa création, est l’un de ses principaux contributeurs financiers et s’est vue octroyer deux des huit contrats d’exploitation accordés aux pays de l’Union européenne. Elle s’est ainsi imposée comme l’un des pays les plus actifs au sein de l’AIFM. Dans ces conditions, la France est en mesure de peser de toute son influence au sein de l’organisation pour mobiliser les autres États sur la nécessité d’adopter un moratoire, ce qui nécessite une clarification de sa doctrine en la matière.

Proposition n° 1 : Réaffirmer l’opposition de la France à l’exploitation des ressources des grands fonds et soutenir l’instauration d’un moratoire sur cette exploitation à l’échelle internationale.

Dans cette perspective, la France pourrait soutenir activement la montée en puissance au sein de l’AIFM du rôle de l’Union européenne (UE), qui dispose d’un statut de membre observateur de son conseil et de membre à part entière de son assemblée. Alors même que la France et l’UE partagent une même inquiétude face aux dangers potentiels résultant de l’exploitation des grands fonds, le relatif retrait de l’UE au sein de l’organisation internationale prive notre pays d’un allié potentiel pour la défense d’exigences environnementales accrues. Une telle politique, qui serait pleinement conforme au souhait de la Commission européenne de voir l’UE jouer un rôle plus central à l’AIFM, accompagnée d’un réel effort pour promouvoir davantage de dialogue et de coopération entre États membres de l’UE, permettrait de favoriser l’harmonisation de leurs stratégies nationales respectives et de renforcer l’influence des partisans de l’application d’un principe de précaution environnementale à l’échelle internationale.

Proposition n° 2 : Mener une politique active visant à renforcer l’influence de l’Union européenne au sein de l’AIFM et à travailler à l’émergence de coopérations renforcées entre États membres sur la question des grands fonds marins.

Afin de rendre pleinement effective l’application de ce moratoire, il est nécessaire de concevoir, dans le cadre de négociations menées sous l’égide de l’AIFM, un ensemble de sanctions, éventuellement graduées, qui s’appliqueraient aux États et acteurs contrevenant à l’interdiction d’exploiter les ressources des grands fonds ou cherchant à acquérir, sur le marché mondial, des ressources issues de ces fonds.

Proposition n° 3 : Négocier au sein de l’AIFM un régime de sanctions, éventuellement graduées, applicables à tout pays ou acteur contrevenant à l’interdiction d’exploiter les ressources des grands fonds ou cherchant à acquérir, sur le marché mondial, des ressources issues de ces fonds.

Il convient toutefois de noter que l’effectivité d’un tel moratoire ne peut être assurée sans mener une réflexion plus générale sur la question de la justice environnementale, elle-même étroitement liée à celle de la justice sociale – sans laquelle il sera difficile de convaincre des États en développement de renoncer à la possible manne financière que représente l’exploitation de nouvelles ressources –, ainsi que sur l’opportunité d’accorder des droits aux systèmes naturels et, partant, aux grands fonds marins.

Proposition n° 4 : Ouvrir une réflexion plus poussée sur l’application d’une véritable justice environnementale à l’échelle internationale et sur l’opportunité de conférer des droits aux grands fonds marins.

 

b.   Repenser la gouvernance des grands fonds marins

À l’échelle nationale, la multiplication et l’imbrication des acteurs associés à la définition et au suivi de la politique des grands fonds marins nuit à la lisibilité de cette dernière. Une clarification et une restructuration du rôle de chacun des acteurs mobilisés dans ce cadre, qui pourraient être mieux hiérarchisés et placés, pour ce qui concerne les acteurs impliqués dans la définition d’une telle stratégie, auprès d’une instance pilote unique bien identifiée, par exemple un ministère de la mer aux moyens renforcés, assureraient une plus grande cohérence de la stratégie française sur les grands fonds océaniques, de même que la recherche de davantage de synergies.

Proposition n° 5 : Repenser la structuration des différents acteurs impliqués dans la définition et le suivi de la stratégie nationale des grands fonds marins tout en favorisant leurs synergies.

 

Paradoxalement, alors même que la politique relative aux grands fonds mobilise de multiples acteurs, la société civile est tenue éloignée des instances de concertation et de décision sur ce sujet, renforçant la défiance des populations locales, parfois très dépendantes de la mer et de ses ressources, à l’égard de décisions émanant d’experts ou de responsables politiques jugés éloignés de leurs préoccupations et inquiétudes. Afin de favoriser l’acceptabilité de la stratégie nationale sur les grands fonds et de l’enrichir du point de vue de représentants de la société civile, il est nécessaire de créer des instances de concertation auxquelles cette dernière pourrait être associée. Un Grenelle des fonds marins, qui réunirait l’ensemble des acteurs concernés par les enjeux liés aux fonds océaniques, en particulier scientifiques, représentants de la marine nationale, du secteur industriel, de la société civile et notamment des collectivités d’outre-mer, et ONG environnementales, pourrait être organisé et servir de support à la définition des prochains objectifs de la politique française relative à ces espaces.

Proposition n° 6 : Mieux associer la société civile et l’ensemble des parties prenantes à la définition de la politique nationale sur les grands fonds en organisant un Grenelle sur cette question.

À l’échelle internationale, la rapporteure pour avis est convaincue de l’utilité de l’AIFM en tant qu’instance de dialogue et de concertation entre États sur les grands fonds marins, d’une part, et de contrôle des initiatives d’exploration et d’exploitation de ces espaces, d’autre part. Elle considère néanmoins qu’il est nécessaire de répondre aux critiques dont l’institution fait l’objet de manière à renforcer sa légitimité. La France peut arguer de son investissement de long terme en son sein pour accompagner de manière constructive et exigeante sa réforme.

Le mode de financement à moyen et long termes de l’organisation doit être repensé. Afin de trouver de nouvelles recettes, son secrétaire général a présenté, en 2021, un plan de financement prévoyant une hausse du budget de l’institution, qui devrait atteindre 30 millions de dollars en 2030, cette hausse prévisionnelle étant entièrement financée par les recettes tirées de l’exploitation des ressources des grands fonds. Un tel plan de financement tendrait à favoriser la délivrance de permis d’exploitation et la maximisation des quantités de minerais et hydrocarbures extraits au détriment de la préservation des fonds océaniques. Le financement de l’organisation doit au contraire continuer à reposer sur les contributions financières des États, dont le montant peut être réévalué en fonction des besoins.

Proposition n° 7 : Réformer les statuts de l’AIFM, afin de s’assurer que son financement ne peut dépendre des recettes tirées de l’exploitation des ressources des grands fonds.

Par ailleurs, la France doit promouvoir le renforcement de la transparence et de l’ouverture à la société civile et scientifique de l’AIFM. En effet, les ONG auditionnées par la rapporteure pour avis ont souligné le manque d’informations disponibles sur le processus décisionnel tendant à la délivrance des permis d’exploration, ainsi que sur les données recueillies lors des campagnes d’exploration. Il serait souhaitable que la France encourage l’AIFM à s’engager à publier, de manière systématique, l’ensemble des données à caractère scientifique récoltées lors de ces campagnes et, a minima, les contrats d’exploration ainsi que les rapports annuels rendus par les bénéficiaires de ces contrats évaluant entre autres le respect de leurs clauses.

Proposition n° 8 : Renforcer la transparence des travaux de l’AIFM par la publication systématique des contrats d’exploration conclus par l’organisation, des rapports annuels rendus par les bénéficiaires de ces contrats et de l’ensemble des données récoltées lors des campagnes d’exploration, afin d’en assurer le contrôle par la communauté internationale.

La protection des grands fonds marins, pour être pleinement efficace, doit également relever d’une politique intégrée de l’océan. En effet, la gouvernance des océans est aujourd’hui fragmentée selon les espaces et les types d’activités réglementées considérés, ce qui nuit à sa cohérence, au détriment de la promotion de règles de protection harmonisées à l’échelle de la planète. Si les fonds marins de la zone internationale sont soumis à la convention de Montego Bay, la conservation et l’utilisation de la biodiversité marine font l’objet d’un cadre juridique distinct, en cours de négociations dans les instances onusiennes (traité BBNJ – Biological Diversity of Areas Beyond National Jurisdiction). La pêche en haute mer est encadrée par différentes réglementations et instances, dont les organisations régionales de gestion de pêche, tandis que la navigation et la prévention des pollutions marines par les navires relèvent du contrôle de l’Organisation maritime internationale. Cette fragmentation paraît d’autant moins pertinente que les écosystèmes marins se caractérisent par une grande connectivité.

Aussi, la création d’aires marines protégées (AMP) est considérée par les scientifiques et les ONG comme un outil efficace pour préserver la biodiversité marine et unifier la gouvernance d’un espace maritime donné, à condition que ces aires marines soient suffisamment protectrices. En effet, l’appellation AMP recouvre des niveaux de protection très divers, certains excluant toute extraction, d’autres autorisant l’exploitation minière et le chalutage.

Dès lors, il apparaît indispensable que la France soutienne, dans les négociations internationales, une meilleure coordination entre les aires marines protégées et la sanctuarisation des grands fonds marins, afin que la protection des ressources de la colonne d’eau coïncide avec celle des grands fonds et assure ainsi une préservation optimale des écosystèmes de ces espaces.

Par ailleurs, à l’échelle nationale ; la France doit redéfinir les critères de ses AMP, notamment celles classées « haute protection », afin de les faire coïncider avec les critères définis par le Programme des Nations Unies pour l’environnement dans le guide des aires marines protégées, et ainsi s’assurer qu’elles excluent effectivement toute activité néfaste pour l’environnement, à l’instar de la surpêche.

Proposition 9 : Renforcer la préservation des océans par la création de nouvelles aires marines protégées placées sous protection forte en s’assurant qu’elles excluent effectivement toute activité néfaste pour l’environnement.

 

Plus généralement, la rapporteure est convaincue que la protection pérenne des océans, dont ses grands fonds marins, nécessiterait que leur soit accordé le statut de personnalité juridique. Tel est le vœu qu’elle formule pour l’avenir.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

 

Au cours de sa réunion du mercredi 26 octobre 2022, la commission examine le présent avis budgétaire.

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le premier des avis budgétaires que nous sommes appelés à examiner porte sur la mission Écologie, développement et mobilité durables, sur le rapport de Mme Sabrina Sebaihi. Notre rapporteure pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à la protection des grands fonds marins, qui se situent au-delà 3 000 mètres de profondeur et peuvent aller jusqu’à 11 000 mètres. Pour mémoire, la France dispose du deuxième plus grand espace maritime au monde, soit 11 millions de kilomètres carrés, donc de vastes zones de grands fonds.

Du 27 juin au 1er juillet dernier, au cours de la deuxième conférence des Nations Unies sur l’océan, qui s’est tenue à Lisbonne, des milliers de représentants de gouvernements, d’entreprises, d’institutions scientifiques et d’organisations non gouvernementales se sont réunis pour trouver des solutions à la pollution marine, à la destruction des écosystèmes, au réchauffement et à l’acidification de l’océan et pour se mobiliser pour l’interdiction des subventions aux pêches non durables ou illégales, le développement d’aires marines protégées ou encore pour le partage des technologies et des connaissances scientifiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure pour avis. Les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables ne sont pas à la hauteur des enjeux écologiques et environnementaux actuels. Contrairement aux effets d’annonce du Gouvernement, le budget consacré à cette mission est en stagnation. En effet, la revalorisation affichée de ces crédits est en grande partie imputable à la mise en place de mesures exceptionnelles de soutien au pouvoir d’achat et de compensation des hausses des prix de l’énergie, dans le cadre du programme 345, et non à un investissement réel dans une véritable politique environnementale et de transition écologique. Amputé des crédits de ce programme, le budget de la mission Écologie, développement et mobilité durables ne fait que compenser la baisse significative des crédits par ailleurs dédiés au programme Écologie du plan de relance.

À l’heure où la crise énergétique mondiale et la multiplication des aléas climatiques rappellent, jour après jour, l’urgence d’agir en faveur de la transition écologique et de la protection de l’environnement, il est dommageable que la France ne prenne pas ses responsabilités en la matière. Quelle crédibilité notre pays aura-t-il sur la scène mondiale, alors que de grands évènements internationaux, tels que la COP27, se préparent, s’il est incapable de mener, sur son propre territoire, une politique environnementale exemplaire ? C’est oublier que les écosystèmes ne connaissent pas de frontières et que leur préservation, comme la lutte contre le changement climatique, passe nécessairement par un effort collectif, c’est-à-dire de chacun. Malheureusement, le projet de loi de finances pour 2023 ne prend pas la mesure de cette exigence et constitue, en ce sens, un rendez-vous manqué. Pour cette raison, mes chers collègues, j’invite la commission des affaires étrangères à émettre un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables pour 2023.

L’examen du budget offre également à la commission des affaires étrangères la possibilité d’analyser les instruments, les objectifs et les modalités de l’action internationale de la France en matière environnementale. Cette année, j’ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport aux grands fonds marins et aux enjeux qu’ils soulèvent à l’échelle mondiale.

Les grands fonds océaniques désignent une zone de l’océan débutant à 1 000 mètres de profondeur. Ils se caractérisent par leur étendue, puisqu’ils représentent 88 % du plancher océanique, soit l’équivalent d’une immense surface de 320 millions de kilomètres carrés. La France est particulièrement concernée par la question de l’océan profond : elle dispose de la plus vaste surface au monde de grands fonds, grâce à l’importance de sa zone économique exclusive (ZEE). Ceux-ci se situent principalement en outre-mer, notamment autour de la Polynésie et de ses terres australes et antarctiques.

Les grands fonds constituent un environnement fascinant qui a nourri, depuis l’Antiquité, l’imagination et la curiosité humaines. Et pourtant, ces espaces captivants nous sont encore largement méconnus : la surface de la Lune présente désormais moins de secrets pour l’homme que les grands fonds. Seuls 5 à 10 % au plus de ces territoires ont pu être cartographiés et moins de 3 % ont été explorés à des résolutions fines ou avec des prises d’échantillon. Tout reste donc à découvrir, ou presque. Or les résultats des premières campagnes d’exploration sont extrêmement prometteurs. Ils ont révélé que, contrairement à l’idée répandue selon laquelle les grands fonds marins seraient des espaces vides, dénués de vie, ils abritent, au contraire, des écosystèmes riches et uniques, qui ont su s’adapter à des conditions de vie extrêmes. Les scientifiques y ont déjà recensé 250 000 espèces, mais il resterait encore un à dix millions de nouvelles espèces à découvrir.

Ces espaces intéressent la science, du fait des stratégies d’adaptation qu’ont dû développer leurs écosystèmes pour survivre dans un environnement hostile. Les chercheurs sont persuadés que de telles stratégies pourraient trouver des applications très concrètes dans les domaines médical, industriel et cosmétique à court terme. Aujourd’hui, 10 % des tests PCR utilisés contre la Covid-19 sont constitués de molécules marines provenant des grands fonds. Demain, ce seront peut-être des anticancéreux, des antidouleurs et des antibiotiques qui seront fabriqués grâce aux molécules et aux organismes des fonds marins.

Au-delà de leur intérêt environnemental et scientifique, les grands fonds suscitent une attention croissante en raison de leur fort potentiel économique et géostratégique. En effet, ils ne manquent pas d’atouts, à commencer par des ressources minérales. Ils sont riches en nodules polymétalliques, en encroûtements cobaltifères et en sulfures hydrothermaux. Ils disposent aussi de nombreuses terres rares et de gisements en hydrocarbures. S’il est encore trop tôt pour évaluer le potentiel économique précis de ces ressources, ces dernières attisent déjà l’intérêt des États et des compagnies privées, dans un contexte de raréfaction des gisements terrestres et d’apparition de nouveaux besoins liés à la transition écologique et numérique. La recherche de sources d’approvisionnement alternatives fait ainsi des fonds marins un enjeu stratégique et de souveraineté économique majeur.

Mais les enjeux de souveraineté ne se limitent pas à l’appropriation de ces ressources. À une époque où 90 % du commerce mondial s’effectue par voie maritime –  et 75 % du commerce de l’Union européenne –, la maîtrise des grands fonds pourrait menacer, à l’avenir, le respect de la liberté en haute mer, y compris la liberté de circulation des forces navales de chaque État.

Rappelons enfin que les grands fonds abritent d’importants réseaux d’infrastructures, tels que les câbles sous-marins de transport d’énergie et de communication, qui assurent à eux seuls 97 % du trafic mondial des communications électroniques. Le Gouvernement français ne s’y est d’ailleurs pas trompé : le ministère des armées s’est doté, en février 2022, d’une stratégie visant à élargir les capacités d’anticipation et d’action de la marine nationale jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. Les fonds marins sont désormais considérés par la doctrine militaire comme un « nouveau champ de conflictualité ».

Vous le voyez, mes chers collègues, les grands fonds sont traversés par de multiples enjeux, qui méritent toute notre attention, et ils s’imposeront sans doute comme des espaces stratégiques de premier plan dans un avenir proche. Et pourtant, leur futur est incertain, menacé par les risques inhérents à la possible exploitation de leurs ressources. Si la communauté scientifique n’est pas encore capable d’évaluer avec précision quelle sera l’ampleur des destructions de leurs écosystèmes en cas d’exploitation, elle est en revanche unanime pour affirmer qu’elle troublera durablement ces espaces. Comment imaginer que la formation de panaches liés au ramassage et au concassage des minerais, que la diffusion de nutriments et de métaux lourds ou que les émissions acoustiques produites par ces interventions ne perturberont pas ces milieux, sans même parler du risque d’accident ou d’introduction d’espèces invasives ?

L’ampleur des atteintes redoutées pourrait être d’autant plus catastrophique que ces espaces sont particulièrement fragiles et interconnectés. Plus généralement, la perturbation des grands fonds pourrait compromettre leur participation à la régulation climatique de notre planète. N’oublions pas que ce sont eux qui stockent les 30 % de CO2 émis dans l’atmosphère et absorbés par l’océan. Sans ces puits naturels de carbone, c’est toute la biodiversité mondiale qui sera menacée.

Au regard des conséquences désastreuses qu’elle pourrait susciter, il serait logique de penser que l’exploitation des grands fonds est aujourd’hui écartée, d’autant que sa rentabilité n’est pas assurée. Il n’en est pourtant rien. Les grands fonds sont menacés aussi bien dans les zones économiques exclusives et les plateaux continentaux des États, placés sous leurs juridictions, que dans les eaux de la zone internationale, qui relèvent du contrôle de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Plusieurs États se sont déjà engagés sur la route de l’exploitation. C’est le cas de la Chine, de Nauru et de la Norvège, qui envisagent l’ouverture d’une partie de leurs plateaux continentaux aux activités minières, en 2023 et 2024. C’est aussi le cas de l’Allemagne, qui a expérimenté le ramassage de nodules en 2021, et de la Belgique, qui envisage leur exploitation vers 2029. Si la France ne fait pas de l’exploitation l’une de ses priorités, privilégiant la connaissance et la maîtrise des grands fonds, elle ne l’exclut toutefois pas. Sa stratégie minière, qui a connu une nouvelle impulsion en 2021, définit comme l’un de ses objectifs la poursuite de l’exploration et de l’exploitation durable des grands fonds, à court et moyen termes.

À l’échelle internationale, les perspectives ne sont guère plus rassurantes. L’AIFM s’est engagée dans la rédaction d’un règlement d’exploitation des ressources minérales dans les eaux internationales, qui devrait aboutir en 2025 au plus tard et permettre la délivrance de contrats d’exploitation. On peut certes voir dans cette initiative une tentative pragmatique d’encadrer l’exploitation des grands fonds, mais c’est aussi le signe qu’elle renonce à s’opposer à des aspirations prédatrices, qui font peu de cas de la destruction, sans doute irrémédiable, d’écosystèmes fragiles.

Il ne s’agit ni de faire le procès d’une institution, ni de sous-estimer la difficulté d’agir sur une thématique qui engage la responsabilité de tous les États, dont la sensibilité aux enjeux environnementaux et la situation économique diffèrent sensiblement. Mais je suis persuadée qu’il est possible de donner plus de visibilité à cette problématique et que la France a un rôle à jouer sur la scène internationale pour sensibiliser et mobiliser ses partenaires en faveur d’une politique assumée de protection des grands fonds marins. Une telle initiative serait en pleine adéquation avec l’agenda international de la France qui, après avoir accueilli le One Ocean Summit à Brest, en février 2022, a proposé d’organiser, avec le Costa Rica, la prochaine conférence des Nations Unies sur l’océan, en 2024.

Deux objectifs me semblent prioritaires.

Le premier, c’est de faire primer le principe de précaution environnementale sur toute considération économique. Concrètement, cela signifie l’instauration, à l’échelle internationale, d’un moratoire sur l’exploitation des ressources des grands fonds. Il ne s’agit pas de mettre ces espaces sous cloche : la recherche et les campagnes d’exploration resteraient autorisées pour faire progresser la connaissance et la compréhension de ces milieux. En revanche, toute activité minière et extractive serait suspendue et le non-respect de l’interdiction d’exploitation, sanctionné.

Je ne néglige pas la complexité d’obtenir un accord sur cette question mais je suis convaincue qu’un geste fort en faveur de la protection de l’environnement aurait un effet d’entraînement et pourrait convaincre de nombreux pays, à condition que soit engagée, en parallèle, une réflexion plus poussée sur les notions de justice environnementale et de droits des systèmes naturels. La France pourrait œuvrer activement à la promotion d’un tel moratoire et tenter de mobiliser davantage l’Union européenne, qui est encore trop timide sur cette question. Cela nécessite toutefois que notre pays clarifie sa position et confirme, dans le prolongement des propos du président de la République en juin dernier, son opposition au développement d’activités qui menaceraient les écosystèmes marins.

Le second objectif serait de réformer la gouvernance des grands fonds à toutes les échelles. Au niveau national, la France gagnerait à clarifier et à mieux articuler le rôle de chacun des acteurs impliqués dans la mise en œuvre de sa politique des grands fonds. Elle doit aussi renforcer la protection des fonds océaniques dans sa ZEE et son plateau continental en mobilisant davantage son réseau d’aires marines protégées, dont les critères, notamment celui de « protection forte », devraient être réformés pour s’aligner sur les standards internationaux. Au niveau mondial, la France doit user de son influence au sein de l’AIFM pour encourager la réforme de cette institution. Il n’est pas envisageable que ses ressources puissent dépendre d’autres recettes que de celles tirées des contributions des États membres. De même, l’AIFM doit prendre en compte les critiques formulées contre son mode de fonctionnement opaque et accepter de rendre plus transparents ses travaux et ses prises de décision.

Enfin, quelle que soit l’échelle envisagée, il est nécessaire de mieux impliquer la société civile, encore trop souvent écartée des lieux de dialogue et de décision concernant l’environnement marin.

Vous le constatez, mes chers collègues, les chantiers sont nombreux pour assurer une protection effective des grands fonds marins. La France a l’occasion, sur ce sujet, de montrer qu’elle souhaite renouer avec une politique écologique et environnementale ambitieuse. Pour assurer une protection pérenne des océans et des grands fonds marins, elle pourrait soutenir l’initiative consistant à leur accorder le statut de personnalité juridique.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez abordé toutes les questions – économiques, écologiques, stratégiques – que posent les fonds marins. Vous avez évoqué le problème que soulève leur statut et souligné la nécessité, pour la communauté internationale, de gérer ce sujet de la façon la plus satisfaisante. Le but doit-il être d’exploiter ces grands fonds de façon contrôlée ou de les laisser tranquilles ? Cette question cruciale s’avère très difficile.

Nous passons aux interventions des représentants des groupes.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Les effets du changement climatique sont de plus en plus évidents, puisqu’on assiste à la multiplication des événements climatiques extrêmes. Nombre de nos concitoyens, particulièrement les agriculteurs, ont subi cet été des sécheresses, des incendies ou des orages violents qui ont eu un impact considérable sur la biodiversité. Ces événements ont prouvé, si c’était encore nécessaire, qu’il est urgent d’accentuer nos efforts en matière de transition écologique. C’est le choix fait par la majorité, en dépit d’un contexte économique et international complexe, doublé d’une crise de l’énergie.

Avec 28,496 milliards en autorisations d’engagement et 27,386 milliards en crédits de paiement pour la mission Écologie, développement et mobilité durables, le projet de loi de finances pour 2023 augmente considérablement les moyens dévolus à cette politique publique de première importance pour notre environnement et le bien-être de nos concitoyens. Avec une hausse respective de 32 % en autorisations d’engagement et de 29 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances 2022, c’est un effort budgétaire qu’il convient de saluer.

La création d’un nouveau programme 380, Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, doté de 1,5 milliard d’euros et destiné à accompagner les collectivités territoriales, est un autre symbole de cette ambition écologique pour notre pays. Je tiens également à saluer la hausse des crédits du programme 113 Paysages, eau et biodiversité, à l’approche de la COP15, qui doit élaborer un nouveau cadre mondial pour la biodiversité. Notre groupe défendra d’ailleurs en novembre une proposition de résolution pour réaffirmer les engagements de la France dans ce domaine. Rappelons que notre pays a pour ambition de protéger 30 % du territoire national et de placer 10 % de celui-ci en zone de protection forte.

Face à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique qui en découle, il importe que le budget de notre politique écologique sache combiner protection du pouvoir d’achat des Français et respect de notre ambition écologique. Je pense notamment à l’objectif européen de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, ainsi qu’à l’objectif de neutralité carbone de l’Europe en 2050. C’est bien ce que fait ce budget : notre groupe votera donc en faveur de l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

M. Jérôme Buisson (RN). La France connaît l’une des pires crises énergétiques de son histoire. La mission Écologie, développement et mobilité durables revêt cette année une importance d’autant plus forte que la France se trouve à la croisée des chemins. Les arbitrages budgétaires et les stratégies énergétiques d’aujourd’hui auront de lourdes conséquences demain. À ce titre, le Rassemblement national déplore que notre politique énergétique soit uniquement dirigée vers les énergies renouvelables. Pour marcher, nous avons besoin de nos deux jambes : l’électrification, qui est indispensable pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, ne pourra se faire qu’avec le développement de notre parc nucléaire. C’est un enjeu d’indépendance nationale. Or, après les effets d’annonce du président de la République, on ne note toujours rien sur ce plan.

Bien qu’indispensable, la politique du Gouvernement pour soutenir les consommateurs est mal calibrée. Cette politique en échec est inflationniste. Nous proposons, au Rassemblement national, une baisse pérenne des taxes sur l’énergie, que nous considérons comme un bien de première nécessité, avec un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 %. Le prix de gros de l’électricité atteint des sommets ; nos entreprises sont menacées de ne pas pouvoir continuer leurs activités ; la compétitivité de notre pays, et même de l’Europe, s’effondre. La seule solution est de sortir, au moins temporairement, comme l’Espagne et le Portugal, du marché commun de l’électricité. Il est intolérable que la France annule l’avantage comparatif que lui confère son parc nucléaire en produisant de l’électricité à bon marché au profit de l’Allemagne, qui tourne au gaz et au charbon.

Dans cette mission budgétaire, nous notons aussi la faiblesse de l’investissement dans le ferroviaire. C’est pourtant la seule solution qui nous permettra de diminuer l’usage de la voiture. Nous prônons, à cet égard, une politique d’incitation qui passe par l’amélioration des liaisons ferroviaires, alors que le Gouvernement mène une politique coercitive. À l’horizon 2024, les zones à faibles émissions (ZFE) excluront des centres-villes une grande partie de nos compatriotes, surtout ceux qui ont les revenus les plus faibles. Ce Gouvernement, qui revendique son progressisme, est en train de rétablir l’octroi, qui vient tout droit du Moyen-Âge.

Enfin, la mission Écologie, développement et mobilité durables est celle qui recourt le plus aux cabinets de conseil, à hauteur de 100 millions l’année dernière. Même si c’est plus anecdotique sur le plan budgétaire, cela a une forte dimension symbolique pour nos compatriotes, qui se demandent à juste titre où va leur argent. Il est paradoxal de recourir à des cabinets de conseil, alors que de nombreux organismes publics ou parapublics pourraient remplir les mêmes missions.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national ne votera pas les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). Il faut trouver une voie moyenne entre l’autosatisfaction permanente et l’attitude qui consiste à faire semblant de découvrir les problèmes. Nous avons connu cette année de grandes inondations au Pakistan et au Bangladesh ; des millions de personnes se sont retrouvées sans logement, sans électricité, voire sans accès à l’eau potable, et ce n’est que le début d’une crise d’ampleur mondiale. Ces bouleversements n’ont pas lieu qu’à l’autre bout de la planète. En France, cet été, 62 000 hectares de forêt sont partis en fumée sur une zone qui représente six fois la superficie de Paris. Mais notre pays ne tient toujours pas ses promesses, alors que l’État a été condamné plusieurs fois par le Conseil d’État pour inaction climatique.

Dans ce contexte, que propose le Gouvernement ? Une augmentation de 6 milliards d’euros seulement, sur un budget total de 480 milliards. Si l’on retire les crédits destinés à financer le bouclier tarifaire sur l’énergie et le plan de verdissement de la flotte automobile, il ne reste qu’un petit milliard, soit une goutte d’eau pour éteindre un brasier, au moment où l’humanité est confrontée au plus grand des défis. Ce budget n’est pas à la hauteur.

Nous avions un appareil d’État qui disposait des meilleurs instruments et de la meilleure expertise mais les gouvernements néolibéraux successifs ont préféré le démanteler. Alors que nous disposions de l’un des réseaux ferrés les plus développés au monde, on a préféré le démanteler en s’attaquant à la société nationale des chemins de fer (SNCF). Nous aurions pu nous appuyer sur notre outil industriel pour engager la bifurcation écologique mais notre absence de stratégie a entraîné des délocalisations et nous a fait perdre notre souveraineté. Enfin, on a négligé l’enseignement professionnel, alors que c’est lui qui pourrait former les acteurs de cette transition.

À la veille de la COP27, il est temps de rompre avec le dogmatisme et d’arrêter de naviguer à vue. Il faut partir de nos besoins et définir une vraie planification écologique, ambitieuse et solidaire.

Mme Maud Gatel (DEM). Notre groupe salue l’augmentation de 32 % des autorisations d’engagement (AE) et celle de 29 % des crédits de paiement (CP) prévues par le PLF pour la mission Écologie, développement et mobilités durables. Ces moyens historiquement élevés sont destinés à accompagner l’ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

La rapporteure pour avis a critiqué le fait que ces moyens stagneraient si l’on prend en considération le plan de relance. Pour ma part, je me réjouis de la pérennisation des dotations de cette mission. C’est la raison pour laquelle le groupe Démocrate (MoDem et Indépendants) votera en faveur des crédits proposés.

Notre groupe soutient également une politique énergétique ambitieuse, ce qui passe par la défense de la souveraineté énergétique au niveau européen, avec un investissement massif dans les énergies décarbonées. Ce budget le permet, tout en protégeant le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Les filets de sécurité sont essentiels dans le contexte de crise actuelle. Le budget contribue aussi aux efforts en faveur de la transition écologique. En matière de rénovation thermique des bâtiments, il est nécessaire de développer une politique de soutien à long terme pour accroître les dispositifs d’incitation, notamment dans les zones tendues, comme Paris – où, faute de rénovation, les deux-tiers du parc locatif ne pourraient plus être mis en location en 2034. Nous saluons le budget de 2,5 milliards d’euros prévu en faveur de la rénovation thermique des bâtiments, ainsi que le fonds d’accélération de la transition écologique, doté de plus de 1,5 milliard d’euros pour soutenir l’action des collectivités territoriales.

Le rapport pour avis évoque la nécessité de défendre nos fonds marins. C’est un enjeu majeur qui comprend plusieurs aspects : protection des ressources rares et convoitées ; liberté de circulation ; protection des réseaux et des infrastructures ; recherche et exploration des grands fonds. La France doit faire valoir sa position, avec ses partenaires européens, afin de préserver la biodiversité des fonds marins. Lors de la conférence des Nations Unies sur les océans qui s’est tenue à Lisbonne, le président Emmanuel Macron a appelé de ses vœux un traité international contre l’exploitation minière des fonds marins en haute mer. Il est en effet nécessaire de travailler à une solution de long terme, en préparant un cadre juridique qui protège les grands fonds sans compromettre la connaissance et la compréhension de ces espaces. Nous soutenons donc la mise en place d’un moratoire international conditionné sur l’exploitation des fonds marins.

M. Alain David (SOC). L’éclairage apporté par la rapporteure pour avis sur les fonds marins rejoint les alertes formulées par l’association BLOOM, fondée par Claire Nouvian. Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, nous prenons note des neuf recommandations formulées, pleines de bon sens.

Une part significative de l’influence française repose sur la crédibilité internationale en matière de développement durable, sur le choix des projets soutenus par l’Agence française de développement (AFD) et sur le leadership exercé depuis la COP21. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être en retrait. Or le rapport pour avis souligne que l’effort budgétaire reste malheureusement en deçà des enjeux.

Les crédits proposés ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées et des discours grandiloquents. Une grande partie de la progression des dotations de la mission résulte du financement des mesures d’urgence liées à la crise énergétique, telles que le bouclier tarifaire, le soutien aux effacements de consommation énergétique et MaPrimeRénov’. Le projet de budget ne comporte ainsi aucune réforme structurelle permettant de financer l’accélération de la transition écologique.

Je suis tout de même moins sévère que la rapporteure pour avis en ce qui concerne le fond d’accélération de la transition écologique. En effet, les collectivités territoriales sont souvent extrêmement innovantes et ambitieuses en la matière.

En raison des insuffisances trop nombreuses de ce projet de budget, notre groupe suivra l’avis de la rapporteure pour avis et votera contre les crédits de la mission.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). La France dispose de la deuxième zone économique exclusive dans le monde. La gestion et la protection des fonds marins revêtent une importance singulière au sein de la mission Écologie développement et mobilité durables. Votre rapport pour avis préconise notamment de renforcer la synergie des acteurs de la protection de ces fonds. J’ajouterai que la sensibilisation, l’éducation à l’écologie et la formation des futurs marins et utilisateurs de ces milieux sont fondamentales.

Je souhaite appeler votre attention sur le programme 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture, dont l’un des objectifs est de promouvoir la flotte de commerce et l’emploi maritime. L’économie maritime représente plus de 300 000 emplois – soit 1,5 % de la population active française – et on compte 40 000 marins. Cependant, ce secteur connaît une crise des vocations. Or les marins permettent d’acheminer les ressources nécessaires à la transition énergétique, participent aux échanges internationaux et bénéficient d’une formation de qualité. Ils seront des vigies pour préserver les fonds marins. Leur rôle est essentiel pour la défense de nos intérêts, qu’ils soient écologiques, économiques ou commerciaux. Il convient d’inscrire dans la durée la nouvelle dynamique qui a été amorcée, en lui donnant des moyens adaptés.

Enfin, et de manière plus générale, cette mission protège en reconduisant le bouclier tarifaire. Elle accompagne les ménages avec le bonus écologique et le chèque énergie. Elle soutient les collectivités territoriales avec le fonds d’accélération de la transition écologique. Elle renforce également la prévention en finançant le Commissariat général au développement durable (CGDD), le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et Météo-France.

C’est pourquoi le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de ces crédits.

M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). Sabrina Sebaihi a parlé d’un rendez-vous manqué. Le budget de la mission Écologie développement et mobilité durables augmente mais lorsqu’on regarde dans le détail on voit que c’est un trompe-l’œil. Se prononcer sur le budget destiné à l’écologie implique de considérer l’ensemble du PLF. Lorsque l’on constate les baisses d’impôts sans contreparties environnementales et la hausse des subventions à la consommation d’énergies fossiles, on peut dire à la manière d’Alternatives économiques qu’on a certes un peu plus de vert, mais surtout beaucoup plus de gris.

Consacrer le rapport pour avis au grands fonds marins est un bon choix. Alors que ces fonds ont une importance stratégique et économique, la science en sait davantage sur la Lune. La recherche scientifique doit être encouragée car le potentiel minier des fonds marins est considérable, mais le principe de précaution doit être affirmé.

J’ai relevé la proposition qui consiste à accorder la personnalité juridique aux fonds marins, comme certains pays ont pu le faire pour des éléments de la nature – sujet sur lequel j’ai commencé à travailler. Dans ma circonscription, certains militent pour donner la personnalité juridique au fleuve Rhône. L’Équateur a intégré les droits de la nature dans sa Constitution. La Nouvelle-Zélande a reconnu le fleuve Whanganui comme une entité vivante en 2017. Des éléments de la nature ont été reconnus juridiquement par la province des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie. Pourriez-vous nous en dire davantage sur votre proposition ? D’autant que certains économistes – y compris des proches de l’écologie politique, comme Gaël Giraud – n’y sont pas favorables. Certains d’entre eux estiment que la nature a déjà les moyens de se protéger avec l’arsenal juridique français. Lui reconnaître la personnalité juridique risquerait surtout d’engraisser des cabinets d’avocats. En tout cas, le sujet est intéressant et pourra être étudié par la représentation nationale.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je ne donnerai pas d’avis sur cette mission budgétaire. Cela ne sert à rien – comme notre président lui-même l’a dit – puisqu’au bout du compte la deuxième partie du PLF risque de faire l’objet de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Mon groupe a exprimé son avis sur ce projet de budget lors de son examen par la commission des finances.

En revanche, il est indispensable que la commission des affaires étrangères étudie cette mission à travers son prisme particulier. D’une certaine manière, c’est même l’ensemble du PLF qu’il faudrait passer en revue.

Notre commission devrait œuvrer en faveur de la création d’un poste d’attaché spécialisé dans les questions écologiques dans chacune de nos ambassades. On a bien créé des postes d’attaché économique lorsque l’on a considéré que l’économie et les exportations étaient vitales. Alors que nous constatons que la croissance des flux de marchandises est nocive pour le climat et que la réindustrialisation est à l’ordre du jour, il faut peut-être remplacer les attachés économiques par des attachés écologiques.

L’écologie allant souvent de pair avec les droits de l’Homme, disposer dans les ambassades d’un attaché qui s’occupe des deux sujets pourrait avoir du sens. La France pourrait avancer cette proposition dans le cadre des conférences des parties (COP).

Il est nécessaire de débattre de la sanctuarisation des grands fonds marins. Le travail a été fait pour les pôles – et l’on voit qu’il faut rester vigilant malgré tout. La même question se pose pour la Lune et les corps célestes. Laissera-t-on les multinationales les exploiter sans contrôle politique et juridique international ? Nous devons empêcher cela. Certains pensent, comme Édouard Philippe, qu’il faut laisser faire le marché. J’avais démontré en 2009, avec Martine Billard, qu’il importe de s’engager dans une planification écologique de l’économie. Treize ans plus tard, on commence à se poser cette question. Mieux vaut tard que jamais.

M. Bertrand Pancher (LIOT). Je voudrais rappeler trois grands principes auxquels nous sommes tous très attachés.

Il s’agit tout d’abord de la déclaration des principes juridiques régissant les utilisations du fonds des mers et de ses ressources, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. Elle affirme que les fonds marins doivent être utilisés à des fins exclusivement pacifiques. Si ce principe était bien défendu par tous, cela constituerait déjà une grande avancée pour éviter les conflits.

Il faut être très vigilant en ce qui concerne la compatibilité du développement du potentiel économique des fonds marins avec l’objectif de protection de la biodiversité. Dans tous les domaines, il faut savoir trouver un équilibre. L’autorité internationale des fonds marins a approuvé, à ce jour, vingt-huit contrats d’exploration, pour une superficie supérieure à 1,3 million de kilomètres carrés. Nous pouvons nous féliciter du statut d’investisseur pionnier dont bénéficie la France. Cependant, si l’exploitation des nodules polymétalliques et autres gisements minéraux marins est riche de promesses, elle menace également les équilibres écologiques des fonds marins. Il est regrettable que la cartographie et l’étude des fonds marins, patrimoine commun de l’humanité, ne soit rendue possible que par une activité qui menace les écosystèmes ; c’est un peu incongru. La France ne doit pas sacrifier les fonds marins à la compétition économique. Au contraire, l’État doit renforcer et développer les aires marines protégées. Il faut aussi faire preuve d’exemplarité, notamment en protégeant les terres australes et antarctiques françaises (TAAF). La France doit s’engager en faveur de la réforme de la gouvernance internationale des fonds marins, afin d’accroître la transparence et les pouvoirs de sanction de l’AIFM.

Enfin, il faut s’assurer de la juste répartition des bénéfices de l’exploitation des fonds marins entre les États. L’activité minière dans le domaine sous-marin est autorisée par l’AIFM en contrepartie du versement d’une taxe. Il est vital qu’une part de ces revenus alimente un fonds multilatéral pour le développement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des autres députés. 

Mme Mireille Clapot. Le rapport pour avis est très riche et très ambitieux – peut-être un peu trop ambitieux.

Vous saluez l’augmentation notable des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables tout en critiquant son manque d’ambition. C’est incohérent, même si c’est légitime quand on est dans l’opposition.

Le sujet des fonds marins est essentiel. Je salue vos propositions, qui mettent cependant en évidence une question sous-jacente : faut-il agir ou bien ne rien faire ? Lors de la conférence des Nations Unies sur les océans, le président de la République a demandé le 30 juin dernier d’encadrer l’exploitation des fonds marins et d’investir dans la science, pour mieux comprendre et mieux protéger ces fonds.

Vous évoquez brièvement les câbles sous-marins dans le rapport pour avis. Ces infrastructures garantissent la circulation des données et, d’une certaine façon, notre souveraineté en matière numérique – voire notre souveraineté tout court. Plusieurs câbles ont été sectionnés ces derniers jours, à la fois en mer du Nord et sur terre, très près de la Méditerranée. Comment éviter que la protection écologique des fonds marins – que nous soutenons tous – serve de prétexte pour permettre à des puissances hostiles d’agir en toute opacité contre ces infrastructures stratégiques ?

M. Carlos Martens Bilongo. Je salue le travail de la rapporteure pour avis et le groupe LFI-NUPES suivra sa recommandation en votant contre les crédits de cette mission.

Le programme 203 Infrastructures et services de transports ne comprend pas de hausse significative des crédits en faveur du transport ferroviaire. Pourtant la stratégie nationale bas-carbone prévoit un développement de plus de 27 % en la matière d’ici à 2030, et de plus 79 % d’ici à 2050. Pour planifier, il faut investir. Un rapport de l’association Réseau Action Climat met en évidence un besoin d’investissements annuels de près de 3 milliards d’euros supplémentaires jusqu’en 2030 pour atteindre l’objectif.

Pourquoi ne pas s’inspirer de nos voisins européens afin de mener une politique à la hauteur des enjeux environnementaux ? L’Espagne a pu financer la gratuité des trains pendant quatre mois grâce à la taxation des superprofits. L’Allemagne a mis en place un tarif unique modique qui donne accès à tous les transports collectifs.

Nous avons perdu la moitié de nos lignes ferroviaires depuis 1950. Le réseau est vétuste, avec des lignes dont l’âge moyen est de plus de vingt-neuf ans – contre dix-sept ans en Allemagne et quinze ans en Suisse –, des caténaires de quarante ans et des appareils de signalisation de vingt-six ans. Les petites lignes sont particulièrement touchées, avec une moyenne d’âge de trente-six ans. Selon le Réseau Action Climat, plus de 100 gares et haltes ferroviaires ont été fermées depuis 2017. Le fret ferroviaire ne représente que 9 % du transport de marchandises – contre 89 % pour la route. La France est bien en-deçà de la moyenne européenne, qui est de 18 %.

Mme Laetitia Saint-Paul. Comment notre commission va-t-elle suivre les nombreux engagements pris lors du One Ocean Summit en matière de biodiversité et de pollution par les plastiques ? Dans quelle mesure pourrait-elle participer au One Planet Summit pour les îles qui se tiendra en 2023 ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous étudierons comment il est possible d’intégrer ce sujet dans le cadre de nos travaux. Quant aux déplacements, nous ne pouvons pas trop les multiplier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure pour avis. Le projet de budget est en trompe‑l’œil dans la mesure où la majeure partie des crédits est consacrée aux mesures d’urgence pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, et non à des investissements en faveur la transition écologique. Les événements de cet été, avec les incendies et la sécheresse, montrent qu’il est nécessaire d’investir massivement dans la planification de la transition écologique. Or ce projet de budget n’est pas à la hauteur des enjeux.

La question climatique n’a pas de frontière. Il est donc très important que notre commission s’empare de ces sujets car c’est bien à l’échelle mondiale qu’il faudra y répondre, grâce à des investissements massifs.

Madame Gatel a évoqué le plan de relance. Le PLF prévoit à ce titre une diminution de 8,6 milliards d’euros, avec une baisse de 100 % des AE et de 38 % des CP. Ces derniers diminueront encore de 38 % en 2024, puis de 80 % en 2025. On ne peut donc pas parler d’une pérennisation. L’impression d’augmentation du montant de la mission résulte des mesures liées à la crise de l’énergie.

Sur les grands fonds marins, on assiste aujourd’hui à une accélération de leur exploitation. Des entreprises ont demandé des permis d’exploitation à l’AIFM. Celle-ci est dans l’obligation d’instruire les demandes. Dans le même temps, on engage une procédure de modification du code minier, avec l’idée de protéger au mieux les fonds marins tout en les ouvrant davantage à l’exploitation économique. Or les scientifiques que nous avons entendus indiquent que quel que soit le mode d’exploitation, les conséquences environnementales seront dramatiques. La situation actuelle est figée mais la modification du code minier va permettre de délivrer des permis d’exploiter à des compagnies ou à des États. Il faut adopter une position ferme sur ce sujet car tout se joue maintenant.

Il faut aussi modifier la gouvernance des fonds marins, des océans et de la haute mer car l’empilement des structures et des compétences rend les choses très complexes. En outre, l’AIFM, actuellement financée par les contributions des États, a vocation à devenir financièrement autonome grâce aux recettes issues de l’exploitation des fonds marins. Vous voyez le paradoxe : l’instance chargée de délivrer les permis en vivra directement. C’est encore contrôlé mais cela va évoluer. La France doit donc avoir une position très ferme d’autant qu’elle est un acteur majeur au sein de l’AIFM. Elle doit aussi inciter l’Union européenne, trop timide, à s’impliquer davantage.

Les fonds consacrés au secteur maritime sont beaucoup moins élevés que ceux qui bénéficient au secteur aérospatial. Le plan France 2030 prévoit ainsi, pour ce dernier, 1,5 milliard d’euros, auquel il faut ajouter 5 milliards d’euros inscrits dans la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Le PLF 2023 prévoit quant à lui 247 millions d’euros en AE et 241 millions d’euros en CP pour le secteur maritime, tandis que le plan France 2030 lui attribue 300 millions d’euros par an sur la question spécifique des grands fonds. L’échelle des budgets est très différente. Et on connaît donc mieux aujourd’hui la lune que les fonds marins…

Oui, il est nécessaire de protéger les câbles sous-marins, qui sont hautement stratégiques. Cela étant, je ne vois pas de contradiction entre la préservation des fonds marins et la protection de ces câbles. Préserver les fonds marins implique précisément de mieux contrôler ce qui s’y passe, ce qui suppose plus de règles et plus de contrôle de l’action des États dans ces espaces. Aujourd’hui, il est possible de couper des câbles du fait de l’insuffisance des moyens de contrôle.

S’agissant de la notion de personnalité juridique, je sais, cher Hubert Julien-Laferrière, qu’une initiative a été lancée pour la préservation du Rhône, durement touché par la pollution de ses eaux, l’exploitation intensive dont il fait l’objet pour la production d’électricité et l’aménagement artificiel. Mais la France ne reconnaît pas, pour l’instant, de personnalité juridique à un élément naturel. Vous avez néanmoins cité trois exemples de progrès à cet égard dans le monde. En tout état de cause, la reconnaissance par la France de la personnalité juridique pour les grands fonds marins ne serait qu’une première étape vers sa reconnaissance internationale car, à terme, il y faudrait une résolution de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Voir la France, premier pays au monde par la superficie de ses grands fonds avec 93 % de sa zone économique exclusive, soit 9,5 millions de kilomètres carrés, à une profondeur supérieure à 1 000 mètres, prendre les devants en la matière donnerait assurément une impulsion positive en ce sens.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-AE12 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Dans sa volonté de lutter pour le climat, le Gouvernement, soucieux de bien agir, propose des solutions parfois contre-productives. Si des dispositifs tels que la prime à la conversion sont louables, en ce que cette prime vise à inciter les citoyens à acheter des véhicules électriques ou hybrides, les résultats obtenus sont parfois anti-écologiques. En effet, pour bénéficier de ce dispositif, il est par exemple nécessaire de mettre son ancienne voiture thermique au rebut, ce qui peut inciter les citoyens à mettre au rebut une voiture encore en état de fonctionner. Or le véhicule le plus écologique est celui que l’on garde le plus longtemps.

L’amendement s’inscrit dans une volonté plus générale de lutter contre le gaspillage et l’obsolescence programmée ou encouragée. Il vise également à lutter contre le phénomène d’hyperconsommation, responsable chaque année de centaines de milliers de tonnes de déchets. Il ne s’agit pas de retirer l’intégralité des crédits alloués à de tels dispositifs mais de les restreindre pour en faire bénéficier les seuls citoyens dont la voiture thermique arrive réellement en fin de vie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Le dispositif de la prime à la conversion est en effet un outil essentiel pour permettre à la France d’atteindre ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre et de neutralité carbone en 2050, ainsi que pour lutter contre la pollution de l’air, cause de 48 000 décès prématurés chaque année dans notre pays. La surconsommation ne peut être opposée à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la lutte contre la pollution en laissant dans le parc automobile des véhicules polluants mais elle doit être traitée en favorisant l’économie circulaire et la réutilisation des pièces détachées. De plus, la prime à la conversion pour les ménages anticipe utilement la décision de l’Union européenne d’interdire la vente de voitures thermiques à compter de 2035. Il s’agirait donc plutôt d’augmenter le budget consacré à la prime à la reconversion que de le réduire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE15 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson. La mission Écologie, développement et mobilité durables est la plus consommatrice de prestations de cabinets de conseil. Pour le seul premier semestre, les dépenses de cette nature étaient presque équivalentes à celles de toute l’année 2021, soit, annualisées, près de 100 millions d’euros en 2022. Alors que le Gouvernement s’est engagé devant la commission d’enquête sénatoriale de mars 2022 à réduire de 10 % ses dépenses de prestations de cabinets de conseil, celles afférentes à la mission que nous examinons ont augmenté de près de 60 % entre 2021 et 2022. L’incompréhension de nos compatriotes est d’autant plus grande que le Gouvernement crée sans cesse des comités Théodule et des agences en tout genre, surtout dans le domaine de l’écologie, faisant apparaître l’État, aux yeux de certains, comme une machine kafkaïenne. De plus, ces cabinets de conseil sont une menace pour notre souveraineté et prêtent le flanc aux influences étrangères – je rappelle à cet égard que McKinsey emploie des anciens agents de la Central Intelligence Agency (CIA) américaine. Pourquoi donc de tels recours ?

Cet amendement a pour objet de contraindre le Gouvernement à tenir ses promesses et, ainsi, de supprimer les dépenses de prestations prévues au titre de cette mission, tout en préservant les prestations prodiguées par des acteurs publics, tels que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure pour avis. Comme je l’ai souligné dans mon rapport, je partage pleinement votre inquiétude quant au recours excessif aux cabinets de conseil, qui concerne tout particulièrement la mission Écologie, développement et mobilité durables, laquelle se place en effet à la première place en termes de dépenses de ce type, selon le jaune budgétaire présenté par le Gouvernement. La solution que vous proposez est cependant inadaptée.

Tout d’abord, en effet, l’amendement tend à retirer 22 millions d’euros hors titre 2 à l’action 7 Pilotage, support, audit et évaluation du programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables, alors même que la sous-section 2, qui porte les crédits destinés aux études externes, n’est dotée que de 1,8 million d’euros. En second lieu, la solution que vous proposez est, en l’état, contre-productive, car la baisse des crédits aurait pour effet, sans création concomitante de nouveaux emplois dans le pôle ministériel du programme 217, de réduire purement et simplement les moyens alloués à l’écologie.

Si l’on peut regretter que l’État ne dispose pas en interne des compétences nécessaires pour mener de telles études, l’urgence de la transition écologique ne nous permet pas de diminuer sans contrepartie les moyens alloués à ces missions. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE16 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson. Notre pays souffre de prix de l’énergie qui atteignent des sommets, en raison, pour partie, du contexte géopolitique, mais surtout de la politique énergétique erratique du Gouvernement. D’abord antinucléaire, puis hésitant, il souhaite désormais relancer le développement de notre parc nucléaire, à en croire du moins les annonces du président de la République, qui n’ont, pour l’heure, pas eu de suites.

Pour joindre les actes à la parole, cet amendement propose la création d’un plan d’investissement pour la construction de vingt réacteurs à eau pressurisée (EPR) d’ici à 2050, pour 6,4 milliards d’euros par an sur vingt-sept ans, soit un programme de 172 milliards d’euros. Cette estimation très haute se fonde sur un rapport remis par le Gouvernement en février 2022, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028.

Un programme nucléaire ne pourra évidemment être lancé par un simple amendement, mais cet amendement est un appel, ou plutôt un rappel à vos engagements. Le temps presse. L’indépendance nationale ne saurait attendre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure pour avis. L’investissement dans l’énergie nucléaire n’est pas la solution pour assurer la transition écologique et la souveraineté énergétique. Il est en effet illusoire de penser que le nucléaire est une réponse plus efficace à la crise énergétique que l’investissement dans les énergies renouvelables. La construction d’un EPR prend en moyenne une quinzaine d’années, sans compter les retards fréquents dont celui de Flamanville est un parfait exemple, avec un retard d’une dizaine d’années et un coût estimé par la Cour des comptes à 20 milliards d’euros au lieu d’un chiffrage initial de 3 milliards d’euros. À titre de comparaison, il faut moins de dix ans pour la construction de parcs éoliens terrestres et onze ans pour une implantation en mer.

L’énergie nucléaire est donc une énergie chère et, de surcroît, loin d’être propre, la gestion des déchets nucléaires demeurant très problématique sur le plan écologique et en termes d’acceptabilité sociale. En outre, il est faux de penser que le nucléaire est une garantie pour l’indépendance énergétique de notre pays car la France importe, depuis le début des années 2000, l’intégralité de l’uranium utilisé pour ses centrales nucléaires, qui vient du Niger, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, ce qui rend la production nucléaire française dépendante de la situation géopolitique de ces pays. Enfin, les centrales nucléaires sont des infrastructures particulièrement vulnérables aux risques d’accidents, ainsi qu’aux aléas climatiques ou aux attaques hybrides.

Pour toutes ces raisons, avis défavorable à l’adoption de cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis, elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables non modifiés.


   annexe N° 1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE POUR AVIS

1) Réaffirmer l’opposition de la France à l’exploitation des ressources des grands fonds et soutenir l’instauration d’un moratoire sur cette exploitation à l’échelle internationale.

2) Mener une politique active visant à renforcer l’influence de l’Union européenne au sein de l’AIFM et travailler à l’émergence de coopérations renforcées entre États membres sur la question des grands fonds marins.

3) Négocier au sein de l’AIFM un régime de sanctions, éventuellement graduées, applicables à tout pays ou acteur contrevenant à l’interdiction d’exploiter les ressources des grands fonds ou cherchant à acquérir, sur le marché mondial, des ressources issues de ces fonds.

4) Ouvrir une réflexion plus poussée sur l’application d’une véritable justice environnementale à l’échelle internationale et sur l’opportunité de conférer des droits aux grands fonds marins.

5) Repenser la structuration des différents acteurs impliqués dans la définition et le suivi de la stratégie nationale française des grands fonds marins tout en favorisant leurs synergies.

6) Mieux associer la société civile et l’ensemble des parties prenantes à la définition de la politique nationale sur les grands fonds océaniques en organisant un Grenelle sur cette question.

7) Réformer les statuts de l’AIFM, afin de s’assurer que son financement ne peut dépendre des recettes tirées de l’exploitation des ressources des grands fonds.

8) Renforcer la transparence des travaux de l’AIFM par la publication systématique des contrats d’exploration conclus par l’organisation, des rapports annuels rendus par les bénéficiaires de ces contrats et de l’ensemble des données récoltées lors des campagnes d’exploration, afin d’en assurer le contrôle par la communauté internationale.

9) Renforcer la préservation des océans par la création de nouvelles aires marines protégées placées sous protection forte en s’assurant qu’elles excluent effectivement toute activité néfaste pour l’environnement.

 


   annexe N° 2 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

 

     M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque, représentant permanent auprès de l’Autorité internationale des fonds marins ;

     Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles ;

     M. Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes ;

 

        M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique ;

        M. Didier Lahondère, adjoint au directeur des géoressources ;

 

     M. Joachim Claudet, directeur de recherche au « centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement », spécialiste socioécologique liée à l'interface terre-mer ;

     Mme Mathilde Cannat, mandatée par le CNRS comme pilote dans la feuille de route « Grands Fonds » dans le cadre de France 2030 ;

 

  M. Jean-Marc Daniel, directeur du département ressources physiques et écosystèmes de fond de mer ;

 

        M. François Chartier, chargé de campagne « océan et pétrole » ;

 

        M. Ludovic Frère Escoffier, responsable du programme « vie des océans ».


 ([1]) M. Olivier Sichel, Rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés, mars 2021.

([2]) Rapport d’information n° 724 de MM. Michel Canévet et Teva Rohfritsh, « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? », 21 juin 2022 (session 2021-2022, XVe législature).

(1) Fondation de la mer, « Les Grands fonds marins : quels choix stratégiques pour l’avenir de l’humanité ? », juin 2022.

(2) 6,2 % des fonds et 3,6 % des ZEE ont été cartographiés à l’échelle mondiale. Audition de MM Christophe Poinssot et Didier Lahondière, directeur général délégué et adjoint au directeur des géoressources du BRGM.

(3) La bathymétrie (du grec ancien « bathys », qui signifie « profond ») consiste à cartographier le fond des océans.

(4) Audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l’IFREMER.

([7]) MM. Paulo Bonifácio et Lénaïck Menot « New genera and species from the Equatorial Pacific provide phylogenetic insights into deep-sea Polynoidae (Annelida) », The Zoological Journal of the Linnean Society, Volume 185, Issue 3, March 2019.

([8]) Sénat, rapport cité précédemment.

([9]) Audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département ressources physiques et écosystèmes de fond de mer.

([10]) Fondation de la mer, rapport cité précédemment.

([11]) Audition de M. Joachim Claudet, directeur de recherche au centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement », spécialiste socioécologique liée à l’interface terre-mer au Centre national de la recherche scientifique.

([12]) « L’économie de la mer en 2030 », OCDE, 18 mai 2017.

([13]) Rapport d’information n° 2042 de MM. Jean-Luc Mélenchon et Joachim Son-Forget, « Mers et océans : quelle stratégie pour la France ? », 19 juin 2019 (session 2018-2019, XVe législature).

([14]) Assemblée nationale, rapport cité précédemment.

([15]) Sénat, rapport cité précédemment.

([16]) Le dispositif « ORSEC » (organisation de la réponse de sécurité civile) est un programme d’organisation des secours à l’échelon départemental, en cas de catastrophe. Il permet la mise en œuvre rapide de tous les moyens nécessaires sous l’autorité du préfet.

([17]) Audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l’IFREMER.

([18]) M. Élie Jarmache, « La législation internationale encadrant l’accès aux ressources minérales marines », Annales des Mines - Responsabilité et environnement, 2 017/1 (N° 85), p. 55-61.

([19]) Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent de la France auprès de l’AIFM.

([20]) Audition de M. Joachim Claudet, directeur de recherche au centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement, spécialiste socioécologique liée à l’interface terre-mer au Centre national de la recherche scientifique.

([21]) Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent de la France auprès de l’AIFM.

([22]) Audition de MM Christophe Poinssot et Didier Lahondière, directeur général délégué et adjoint au directeur des géoressources du BRGM.

([23]) À savoir les ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère chargé de l’industrie, ministère chargé des outre-mer, secrétariat d’État en charge de la mer et ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

([24]) Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent de la France auprès de l’AIFM.

([25]) Fondation de la mer, rapport cité précédemment.

([26]) Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent de la France auprès de l’AIFM, et de Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

([27]) Résolution du Parlement européen du 9 juin 2021 sur la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 : « Ramener la nature dans nos vies » (2020/2273 (INI).

([28]) Résolution du Parlement européen du 3 mai 2022 : « Vers une économie bleue durable au sein de l’Union : le rôle des secteurs de la pêche et de l’aquaculture » (2021/2188(INI).

([29]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, « Ramener la nature dans nos vies », 20 mai 2020.

([30]) Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent de la France auprès de l’AIFM et de Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.