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N° 341

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 273)
de finances pour 2023

TOME II

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

 

PAR Mme Blandine BROCARD

Députée

——

 

 Voir le numéro : 292 – III – 28

 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2022 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 83 % des réponses au questionnaire thématique étaient parvenues à votre rapporteur. Au 11 octobre, 100 % des réponses avaient été transmises. Votre rapporteur pour avis souhaite remercier le Gouvernement, les services de l’État, les associations et toutes les personnes auditionnées pour leur extrême diligence.

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION................................................ 5

I. L’Évolution des crÉdits consacrÉs À l’immigration et À l’intÉgration

A. Le programme 303 « immigration et asile »

1. L’action n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas »

2. L’action n° 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile »

a. Les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA)

b. L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile

c. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides

3. L’action n° 3 « Lutte contre l’immigration irrégulière »

4. L’action n° 4 « Soutien »

B. lE PROGRAMME 104 « IntÉgration et accÈs À LA NATIONALITÉ FRANçAISE »

1. L’action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants »

2. L’action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants »

3. L’action n° 14 « Accès à la nationalité française »

4. L’action n° 15 « Accompagnement des réfugiés »

5. L’action n° 16 « Accompagnement des foyers de travailleurs migrants »

II. la procÉdure d’admission exceptionnelle au sÉjour (AES) via la mise en œuvre de la « circulaire valls » de 2012

A. Faciliter l’accès aux préfectures

1. Les difficultés de prise de rendez-vous en préfecture : un problème aujourd’hui largement documenté, qui concerne l’ensemble des étrangers

2. Un accès aux préfectures plus difficile encore pour les publics de l’AES

3. Perspectives

B. Harmoniser l’application de la « circulaire Valls » sur le territoire

1. Présentation des critères de la « circulaire Valls »

2. Un niveau de norme adapté

3. Des critères qui apparaissent globalement satisfaisants

4. Une application fortement hétérogène sur le territoire

5. Perspectives

C. Moderniser l’AES par la voie du travail

1. Un dispositif juridique paradoxal, mais indispensable

2. Un système complexe et inique

3. Perspectives

EXAMEN EN COMMISSION

personnes entendues et dÉplacements effectuÉs

 

 

 

 

 


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Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de finances pour 2023 poursuit, pour la sixième année consécutive, l’effort engagé depuis 2017 en augmentant les crédits consacrés à la mission « Immigration, asile et intégration ».

Celle-ci porte les crédits (hors dépenses de personnel) de la direction générale des étrangers en France (DGEF) et se structure autour de trois grands axes : la gestion des flux migratoires, l’accueil et l’examen de la situation des demandeurs d’asile et l’intégration des personnes immigrées en situation régulière. Deux opérateurs participent à la mise en œuvre de ces politiques : l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Les crédits de paiement de cette mission s’élèvent désormais à 2 milliards d’euros. Ces crédits permettront notamment de poursuivre l’effort en faveur du développement des capacités des centres de rétention administrative (CRA), et de créer de nouvelles places d’hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile dans les centres d’accueil et d’examen des situations et dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile.

Après avoir présenté les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », votre rapporteur a fait le choix de s’intéresser cette année à l’admission exceptionnelle au séjour et, en conséquence, à l’application, dix ans après son entrée en vigueur, de la circulaire du 28 novembre 2012, dite « circulaire Valls ».

 


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I.   L’Évolution des crÉdits consacrÉs À l’immigration et À l’intÉgration

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023 s’élèvent à 2,67 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 34,18 % en AE et une augmentation de 5,94 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

La mission comporte deux programmes : le programme « Immigration et asile » (n° 303) et le programme « Intégration et accès à la nationalité française » (n° 104).

A.   Le programme 303 « immigration et asile »

Le programme n° 303 « Immigration et asile » comprend l’essentiel des crédits de la mission (73 %). Il finance les politiques publiques relatives à l’entrée, la circulation, le séjour et le travail des étrangers, l’éloignement des personnes en situation irrégulière ainsi que l’exercice du droit d’asile.

Pour 2023, les crédits de ce programme progressent, en AE comme en CP. Ils augmentent en effet de 36,95 % en AE et de 0,44 % en CP par rapport à la loi de finances initiales pour 2022, pour s’établir à respectivement à 2,13 milliards d’euros et à 1,46 milliard d’euros.

ÉVOLUTION DES CRÉdits du programme 303

(en millions d’euros)

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

Numéro et intitulé de l’action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 – Circulation des étrangers et politique des visas

0,52

0,52

0,52

0,52

-

-

02 – Garantie de l’exercice du droit d’asile

1 394,24

1 309,49

1 897,17

1 267,39

+ 36,07 %

- 3,21 %

03 – Lutte contre l’immigration irrégulière

156,08

143,85

205,50

169,50

+ 31,66 %

+ 17,83 %

04 – Soutien

5,68

5,68

28,52

28,52

+ 401,80 %

+ 401,80 %

Total

1 556,52

1 459,54

2 131,71

1 465,93

+ 36,95 %

+ 0,44 %

Source : projet annuel de performances pour 2023.

1.   L’action n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas »

L’action n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas » vise à répondre de manière générale aux besoins de circulation des personnes, mais aussi de privilégier l’attractivité de la France dans ses domaines d’excellence et de faciliter le déplacement des personnes jouant un rôle de premier plan dans le cadre des relations bilatérales que la France entretient avec les pays étrangers.

Pour 2023, la dotation reste stable, à 520 000 euros.

2.   L’action n° 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile »

L’action n° 2, « Garantie de l’exercice du droit d’asile », représente la presque totalité des crédits du programme. Pour 2023, ils s’élèvent à 1,89 milliard d’euros en AE et 1,26 milliard d’euros en CP, soit une augmentation de 36,07 % en AE et une diminution de 3,21 % en CP par rapport à 2022.

a.   Les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA)

À l’action n° 2 figurent également les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), qui est attribuée aux demandeurs d’asile durant toute la durée de la procédure d’instruction de leur demande.

Versée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), son montant varie selon la composition familiale des demandeurs et leur mode d’hébergement.

Pour 2023, la dotation inscrite est de 314,7 millions d’euros, soit en diminution de 36 % par rapport à la loi de finances pour 2022 – qui la fixait à 491 millions d’euros.

La baisse de cette dotation s’appuie sur l’hypothèse d’une poursuite du flux de demandes d’asile observé en 2022, soit une projection de 135 000 demandes introduites à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), à un niveau inférieur à celui escompté en loi de finances pour 2022. Elle repose également sur l’hypothèse d’une amélioration du délai de traitement de la demande d’asile ([1]), qui devrait avoir pour effet une diminution des crédits dépensés au titre de l’ADA.

b.   L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile

L’augmentation des crédits en AE de cette action (+ 36,07 %) s’explique principalement par le renouvellement pour trois ans des conventions pluriannuelles de l’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA).

DÉcomposition de la partie « accueil et hÉbergement d’asile » des dÉpenses d’intervention de l’action n° 2

(en millions d’euros)

 

En AE

(PAP  pour 2023)

En CP

(PAP pour 2023)

En AE

(PAP pour 2022)

En CP

(PAP pour 2022)

Accompagnement social

2,70

2,70

2,71

2,71

Hébergement – CADA

378,30

378,30

354,88

345,88

Hébergement – CAES

202,07

67,29

47,96

45,17

Hébergement – HUDA

889,95

394,95

433,48

351,51

Source : projets annuels de performances pour 2022 et 2023.

● La dotation « accompagnement social » permet de financer les actions en faveur de publics particulièrement vulnérables, notamment les demandeurs d’asile victimes de torture. Elle couvre également certains frais d’interprétariat et de transport pour les demandeurs d’asile entre leur lieu d’hébergement et le pôle régional Dublin (PRD).

● Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) constituent l’hébergement de référence pour les demandeurs d’asile en procédure normale. Ce dispositif d’hébergement pérenne compte plus de 360 centres qui offrent des prestations d’accompagnement social et administratif. Plus de 23 000 places ont été créées depuis 2013. La dotation prévue pour 2023 permettra de financer le parc, qui sera étendu à 49 242 places après la création de 2 500 places supplémentaires, et la transformation de 110 places d’HUDA en CADA dans les Pays-de-la-Loire.

● Les centres d’accueil et d’évaluation des situations (CAES) visent à garantir aux personnes souhaitant engager une démarche d’asile une mise à l’abri permettant une évaluation immédiate de leur situation administrative, afin de les orienter ensuite vers une structure adaptée. La durée maximale de séjour étant fixée à un mois, cette rotation garantit la fluidité de tout le système et évite ainsi la constitution de campements sur la voie publique. En 2023, l’augmentation massive des crédits permettra de financer le parc, qui sera étendu à 6 122 places avec la création de 1 500 places supplémentaires, et la pérennisation des 986 places financées dans le cadre du plan de relance depuis le début de l’année 2021. L’ensemble de ces places bénéficiera de conventions pluriannuelles de 2023 à 2025.

 Le parc d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA) complète le parc de places de CADA. Il s’agit d’un dispositif d’hébergement d’urgence mais une part de ce dispositif offre des prestations et conditions d’accueil similaires à celles en CADA et peut être considérée comme de l’hébergement pérenne.  Ce parc comprend d’abord des places d’hébergement d’urgence gérées au niveau déconcentré par les préfets (le « HUDA local ») et des places du parc d’hébergement d’urgence relevant du programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (PRAHDA). La dotation pour 2023 permettra le financement du parc d’hébergement d’urgence qui sera étendu à 52 950 places après la création de 900 nouvelles places en outre-mer.

c.   L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides

L’action n° 2 prévoit enfin le versement de la subvention de l’État à l’OFPRA mentionnée à l’article L. 722-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elle s’élève à 103,45 millions d’euros en AE et en CP, en hausse de 10,2 % par rapport à 2022. Cette augmentation a pour objet de financer la remise à niveau de certains postes de dépenses qui ont progressé ces dernières années (certains frais d’examens médicaux notamment), des mesures de convergence indemnitaire pour les agents de l’OFPRA, l’impact de la revalorisation du point d’indice de 3,5 % et les conséquences de l’inflation (loyers, interprétariat, etc.).

Le plafond d’emplois de l’Office, qui s’établit à 1 003 ETPT, sera relevé à 1 011 ETPT.

L’enjeu, pour l’Office, est toujours de réduire les délais de traitement des demandes d’asile à deux mois, conformément au plan d’action gouvernemental du 12 juillet 2017 et au contrat d’objectifs et de performance (COP), qui couvre la période 2021-2023. La cible pour 2023 du délai moyen de traitement d’un dossier est fixée à 60 jours, contre 75 jours dans le projet annuel de performances pour 2022 et 261 dans celui pour 2021.

3.   L’action n° 3 « Lutte contre l’immigration irrégulière »

Cette action finance notamment les dépenses liées au maintien en zone d’attente ou en rétention et les procédures d’éloignement, ainsi que l’accompagnement social, juridique et sanitaire des personnes non admises sur le territoire national. Elle inclut également les opérations de réacheminement et d’éloignement du territoire des étrangers qui font l’objet, par exemple, d’une mesure de non-admission ou d’une obligation de quitter le territoire français.

Pour l’année 2023, les crédits demandés sont en hausse : ils s’établissent à 205,50 millions d’euros en AE (+ 31,66 % par rapport à 2022) et à 169,50 millions d’euros en CP (+ 17,83 %).

 61,40 millions d’euros en AE et 52,18 millions d’euros en CP sont destinés au fonctionnement des 26 centres de rétention administrative (CRA), des locaux de rétention administrative (LRA) et de la zone d’attente des personnes en instance (ZAPI) de l’aéroport de Roissy. Ces crédits permettent de couvrir les frais de fonctionnement courant – prestations de restauration, de blanchisserie, entretien immobilier et frais d’interprétariat. L’augmentation des crédits s’explique notamment par un renforcement de la capacité « immobilière » des CRA de 1 859 places en 2022 à 1 961 places en 2023 avec la livraison du CRA d’Olivet (90 places) et l’extension du CRA de Perpignan (12 places), et par la pérennisation des crédits consacrés à l’externalisation des tâches non régaliennes auparavant assurées par des policiers dans les CRA (accueil du public, gestion de la bagagerie, etc.).

 18,36 millions d’euros en AE comme en CP sont consacrés à la prise en charge sanitaire des personnes en CRA. Le coût de cette assistance sanitaire est revu à la hausse pour tenir compte des nouvelles places de rétention et de l’impact des mesures liées au « Ségur de la santé », qui entraîne une revalorisation des salaires des personnels médicaux dans les CRA. 

 44,12 millions d’euros en AE comme en CP, enfin, sont consacrés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, dont la mise en œuvre revient, au sein de la police nationale, à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF). Ces dépenses couvrent notamment les frais de billetterie centrale (avion de ligne commerciale, train ou bateau) et les dépenses locales de déplacement terrestre, maritime, et aérien supportés par les services administratifs et techniques de la police nationale « SATPN » (Mayotte, Guyane, Guadeloupe, la Réunion) et le secrétariat général de l’administration du ministère de l’Intérieur.

4.   L’action n° 4 « Soutien »

L’action n° 4 « Soutien » regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement courant de la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’Intérieur, dont une partie des dépenses de fonctionnement d’investissement et d’intervention relevant du fonctionnement courant des services ainsi que des dépenses liées aux systèmes d’information.

En très importante augmentation, les AE et les CP s’élèvent pour 2023 à 28,51 millions d’euros, contre 5,68 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2022.

Ces crédits ont pour objectif de doter les services de moyens de fonctionnement appropriés et optimisés pour mener à bien les orientations et les projets des programmes 303 et 104 et d’assurer la modernisation des systèmes d’information et les études afférentes. En AE comme en CP, les dépenses d’investissements et les dépenses pour immobilisations corporelles de l’État passent de 3,05 millions d’euros en projet de loi de finances pour 2022 à 20,98 millions d’euros en projet de loi de finances pour 2023. Ces dépenses concernent le développement de nouveaux systèmes d’information et leurs adaptations aux évolutions réglementaires, européennes et nationales.

B.   lE PROGRAMME 104 « IntÉgration et accÈs À LA NATIONALITÉ FRANçAISE »

Le programme n° 104 « Intégration et accès à la nationalité française » comprend quatre actions qui concourent à l’intégration des étrangers en situation régulière. Pour 2023, les crédits du programme s’élèvent à 543 millions d’euros en AE et en CP, soit une hausse de 24,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Cette augmentation des moyens vise à permettre le financement de 1 000 nouvelles places en centres provisoires d’hébergement (CPH) pour les réfugiés et le déploiement progressif du programme d’accompagnement global et individualisé (AGIR) consacré à l’insertion des réfugiés dans la société.

éVOLUTION DES Crédits du programme 104

(en millions d’euros)

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

Numéro et intitulé de l’action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

11 – Accueil des étrangers primo‑arrivants

255,09

255,09

273,32

273,32

+ 7,14 %

+ 7,14 %

12 – Intégration des étrangers primo-arrivants

79,48

79,48

135,44

135,44

+ 70,41 %

+ 70,41 %

14 – Accès à la nationalité française

0,99

1,05

1,06

1,12

+ 7,86 %

+ 6,65 %

15 – Accompagnement des réfugiés

93,21

93,21

121,95

121,95

+ 30,83 %

+ 30,83 %

16 – Accompagnement des foyers de travailleurs migrants

8,13

8,13

11,32

11,32

+ 39,12 %

+ 39,12 %

Total

436,92

436,94

543,11

543,16

+ 24,30 %

+ 24,30 %

Source : projet annuel de performances pour 2023.

1.   L’action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants »

Cette action finance l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), opérateur public qui contribue aux missions de la DGEF, ainsi que ses dépenses d’intervention. L’OFII est notamment en charge de la gestion des flux d’entrées et de sortie dans le nouveau dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile, du pilotage du premier accueil des demandeurs d’asile et du versement de l’ADA. L’OFII est également en charge de l’intégration des étrangers en situation régulière. Cet accueil se matérialise pour l’étranger par la signature d’un contrat d’intégration républicaine (CIR).

Pour 2023, la subvention pour charges de service public versée à l’OFII s’élève à 252,31 millions d’euros, soit une augmentation de 2,64 % par rapport à 2022. Ces crédits ont pour objet de financer la mise en place d’une formation linguistique à visée professionnelle et la généralisation du « rendez-vous santé » ([2])  dont l’expérimentation a débuté en 2022.

Le plafond d’emploi de l’OFII est augmenté de 9 ETPT par rapport à la loi de finances pour 2022 et s’établit à 1 196 ETPT. Cette évolution correspond également à la montée en puissance du dispositif « rendez-vous santé ».

2.   L’action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants »

Cette action vise à faciliter l’intégration des étrangers durant les années qui suivent leur admission à séjourner durablement sur le territoire français. Elle regroupe l’ensemble des crédits destinés à l’intégration des étrangers primo‑arrivants et permet de rendre compte de l’ensemble des efforts consentis en faveur de l’intégration des étrangers, quel que soit le motif de leur admission au séjour.

Après une hausse de 10 % en 2020, de 9 % en 2021, et de 37 % en 2022 ([3]), les crédits consacrés à cette action continuent d’augmenter : ils s’élèveront pour 2023 à 135,4 millions d’euros, soit une hausse de 70,4 % par rapport à 2022. Cette augmentation des crédits vise notamment au financement, pour un coût estimé à 76 millions d’euros, de la poursuite du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé pour l'intégration des réfugiés (AGIR) entre 2022 et 2024, afin de proposer à terme à chaque bénéficiaire de la protection internationale la possibilité de bénéficier d’un accompagnement global et personnalisé, notamment vers le logement et l’emploi. Elle permettra en outre de renforcer les moyens consacrés à la mise en œuvre des actions structurantes au niveau national, tels que les dispositifs favorisant la reconnaissance des acquis professionnels, et assurera une amélioration des formations linguistiques suivies par les étrangers primo‑arrivants.

3.   L’action n° 14 « Accès à la nationalité française »

L’action n° 14 finance le fonctionnement courant de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDNAF) du ministère de l’Intérieur, localisée à Rezé (Loire-Atlantique), notamment l’entretien des locaux et les fournitures documentaires à destination des préfectures en lien avec la procédure de naturalisation (dossiers remis lors des cérémonies d’accueil, livrets de citoyenneté).

Pour 2023, les AE s’élèvent à 1,06 million d’euros et les CP à 1,12 million d’euros, soit une augmentation de respectivement 7,86 et 6,65 % par rapport à la loi de finances 2022.

94 092 personnes sont devenues françaises en 2021, dont 15 961 au titre de leur engagement en première ligne pendant la crise sanitaire, contre 61 371 en 2020.

 

4.   L’action n° 15 « Accompagnement des réfugiés »

Cette action finance les mesures d’accompagnement vers l’intégration, principalement à travers des dispositifs d’hébergement destinés aux bénéficiaires de la protection internationale.

La France s’est engagée auprès du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à accueillir 10 000 réfugiés entre 2020 et 2021. Cet objectif a été ramené à 5 000 en raison du contexte sanitaire.

Le périmètre de cette action a été modifié en 2022 avec le transfert de 21,5 millions d’euros en AE et en CP vers l’action 12 « action d’intégration des primo-arrivants ». Ce transfert a pour objet de regrouper au sein de l’action 12 l’ensemble des crédits destinés à l’intégration des étrangers primo-arrivants, y compris les bénéficiaires d’une protection internationale

La dotation s’élève à 121,9 millions d’euros en AE et en CP. À périmètre constant, le montant est identique à celui prévu en loi de finances initiales pour 2022.

5.   L’action n° 16 « Accompagnement des foyers de travailleurs migrants »

Cette action finance l’accompagnement du plan visant à mettre fin aux habitats hors normes et indignes en permettant aux travailleurs migrants d’accéder à un logement individuel, autonome et conforme aux standards actuels du logement.

Ce plan s’applique à 687 foyers qui accueillent environ 100 000 travailleurs immigrés.

Les AE et les CP s’élèvent, pour 2023, à 11,32 millions d’euros. Le projet de loi de finances prévoit une augmentation significative de ces crédits (+ 39,12 %) afin de mieux concourir à la mise en œuvre du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et l’accompagnement de leurs résidents.

*

*     *

 


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II.   la procÉdure d’admission exceptionnelle au sÉjour (AES) via la mise en œuvre de la « circulaire valls » de 2012

Votre rapporteur a fait le choix, dans le cadre de cet avis budgétaire, de s’intéresser à l’admission exceptionnelle au séjour (AES), et à sa mise en œuvre conformément aux orientations définies par la circulaire du 28 novembre 2012, dite « circulaire Valls ». En effet, la lutte contre l’immigration irrégulière doit être l’une des priorités des politiques publiques en matière d’immigration. Il semble toutefois essentiel que, dans certains cas exceptionnels, les étrangers sans papiers ayant par exemple développé le centre de leurs attaches familiales et privées en France ou faisant état d’une bonne intégration dans la société et dans l’emploi, puissent obtenir un titre de séjour.

Certaines régularisations sont de droit, à l’instar par exemple de celles prévues à :

l’article L. 425-9 du CESEDA ([4]), pour l’étranger résidant habituellement en France et dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ([5]) ;

et à l’article L. 423-23 du même code, pour l’étranger qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus.

Les étrangers sans papiers qui ne remplissent pas les conditions relatives à l’admission au séjour de plein droit peuvent solliciter une AES. Le CESEDA ouvre la possibilité d’accorder une AES dans trois cas :

pour des motifs humanitaires exceptionnels (article L. 435-1) ;

pour une activité au sein d’un organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire (article L. 432-2) ;

pour les mineurs devenus majeurs et confiés à l’aide sociale à l’enfance entre 16 et 18 ans (article L. 435-3).

La loi fixe, pour ces deux derniers cas, des critères de délivrance. L’octroi d’une AES pour motifs humanitaires ou exceptionnels est toutefois laissé à l’appréciation du préfet. Dans ce cadre, la « circulaire Valls » est venue, selon ses propres termes, « préciser les critères permettant d’apprécier une demande d’AES des ressortissants étrangers en situation irrégulière en vue de leur délivrer un titre de séjour portant soit la mention  vie privée et familiale , soit  salarié , soit  travailleur temporaire ». La carte de séjour temporaire ainsi délivrée a une durée de validité d’un an.

La première étape, pour un étranger en situation irrégulière souhaitant solliciter un titre de séjour en application de la procédure d’AES, consiste à accéder à une préfecture. Votre rapporteur a donc centré la première partie de ses travaux sur l’identification et l’analyse des difficultés de prise de rendez‑vous au sein des préfectures.

A.   Faciliter l’accès aux préfectures

Les personnes étrangères, qu’elles soient ou non en situation régulière sur notre territoire, sont des usagers du service public lorsqu’elles entrent en relation avec les services préfectoraux. Le difficile accès de ces personnes aux préfectures, en particulier lorsqu’elles souhaitent prendre rendez-vous, est connu de longue date et largement documenté.

En droit des étrangers, la dématérialisation constitue une évolution structurelle des dernières années. Elle recouvre deux réalités distinctes : le recours à des plateformes numériques afin de prendre des rendez-vous d’une part, et la dématérialisation des procédures de constitution des demandes de titres de séjour d’autre part. Votre rapporteur s’est intéressé, lors de ses auditions et déplacements, à ces deux dimensions. Au regard du cadre contraint de l’exercice de l’avis budgétaire et de son souhait d’évaluer en particulier l’AES ([6]), le choix a été fait de développer à titre principal l’enjeu relatif aux difficultés de prises de rendez‑vous.

 

La dématérialisation de la constitution des dossiers de demandes de titre de séjour via l’administration numérique des étrangers en France (ANEF)

D’abord le fruit d’initiatives ponctuelles et locales, la dématérialisation des démarches d’accès aux titres de séjour prend aujourd’hui la forme du téléservice ANEF.

Depuis 2019, l’ANEF se développe progressivement, par briques successives, avec un déploiement total espéré pour 2023. De nombreuses téléprocédures sont d’ores et déjà disponibles. Elles concernent notamment les études, l’immigration professionnelle qualifiée et la circulation internationale des mineurs. Les demandes relatives aux titres « vie privée et familiale » seront les prochaines à bénéficier de cette procédure, courant 2023. À terme, cette transformation numérique concernera 10 millions d’usagers. La dématérialisation des procédures se double de leur simplification, qui se traduit par une réduction du nombre de pièces justificatives demandées.

Les bénéfices attendus sont nombreux : fin des files d’attente physiques et numériques, limitation du nombre de passages en préfecture et diminution du nombre de documents à fournir grâce au principe du « dites-le nous une fois ». À ce stade, les délais d’instruction des titres ayant déjà basculé dans l’ANEF sont inférieurs à ceux dont les demandes n’ont pas encore fait l’objet d’une dématérialisation (le délai de traitement des premières demandes de passeports talents est par exemple désormais de 25 jours, contre 100 auparavant).

Le déploiement de l’ANEF, sur le terrain, pose néanmoins deux grandes séries de difficultés :

1/  De nombreux « bugs » et dysfonctionnements : tout au long de ses travaux, votre rapporteur a été interpellé par les services préfectoraux et par les associations sur la récurrence des « bugs » et dysfonctionnements de l’ANEF. La Défenseure des droits souligne que certains dysfonctionnements perdurent, malgré la récurrence des signalements ([7]).

Plus préoccupant encore, l’association la Cimade a indiqué à votre rapporteur que ses bénévoles étaient de plus en plus, à mesure qu’est déployée l’ANEF, sollicités par des personnes en attente des titres de séjour mention « étudiant » ou « passeport talent », pour des difficultés techniques diverses (impossibilité de créer leur compte, absence d’informations délivrées sur les délais de dépôts, impossibilité de déposer leur demande pour des raisons techniques non résolues). Cette catégorie de public ne sollicitait jusqu’alors qu’à de très rares occasions la Cimade.

Ces difficultés pénalisent en premier chef les usagers concernés, mais également les services préfectoraux, qui doivent leur porter assistance en plus de leurs missions habituelles.

Votre rapporteur est pleinement conscient de l’immense enjeu technique que constitue le déploiement de l’ANEF pour les services du ministère de l’Intérieur, et formule le vœu que des solutions soient trouvées rapidement. Il insiste également sur la nécessité, pour lutter contre les fraudes et faire perdurer le caractère humain de la procédure, qu’a minima deux passages au guichet des préfectures restent obligatoires ([8]).

2/ Des défis organisationnels pour les services préfectoraux : lors de son déplacement au sein de la préfecture du Rhône en particulier, votre rapporteur a pu constater l’immense enjeu organisationnel et managérial que représente l’ANEF pour les préfectures. En effet, les services doivent être organisés de telle manière qu’ils puissent répondre aux demandes formulées via l’ANEF et aux nombreuses difficultés rencontrées par les usagers en la matière, tout en continuant de traiter également les demandes formulées par voie matérialisée. Le déploiement de l’ANEF réclame de surcroît de l’agilité de la part des services, qui doivent être formés à de nouvelles manières de détecter les fraudes.

Dans sa décision du 3 juin 2022 ([9]), le Conseil d’État s’est exprimé sur la légalité du décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titre de séjour. Il en résulte que le ministère de l’Intérieur doit prévoir les dispositions nécessaires pour que les personnes qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques, ou qui rencontrent des difficultés, bénéficient d’un accompagnement et doit garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution. Comme l’a souligné la Défenseure des droits dans sa contribution écrite à la rédaction du présent avis : « ces obligations n’ont connu aucune concrétisation réglementaire ». Le ministère de l’Intérieur a précisé que ces mesures réglementaires étaient en cours d’adoption. Votre rapporteur se montrera attentif à leur édiction.

Votre rapporteur salue en la matière le travail entrepris par la préfecture de Police de Paris, qui a mis en place une démarche innovante de « création d’un bouquet de services omnicanal » selon ses propres termes. Pour les publics ne sachant pas utiliser Internet, la préfecture de police propose un service d’accompagnement téléphonique et, depuis 2021, un e-kiosque, situé en face de la préfecture. Lors de la visite de celui-ci, votre rapporteur a constaté qu’il permet aux usagers de se faire accompagner dans le cadre de leurs procédures numériques.  

L’intégration, ou non, de la procédure AES dans l’ANEF ne semble pas être tranchée au moment de la rédaction de cet avis. Dans son rapport sur la question migratoire ([10]), le sénateur François-Noël Buffet recommande d’ « achever le déploiement de l’ANEF sur l’ensemble des procédures d’accès au séjour, en particulier l’admission exceptionnelle au séjour », considérant que les créneaux de rendez-vous pour ce motif d’admission sont particulièrement exposés aux risques de captation et de revente. Votre rapporteur juge qu’une telle intégration ne devra être envisagée qu’en prévoyant un accompagnement renforcé pour ces publics, souvent plus vulnérables et éloignés des outils Internet, et après résolution de l’ensemble des dysfonctionnements techniques.

1.   Les difficultés de prise de rendez-vous en préfecture : un problème aujourd’hui largement documenté, qui concerne l’ensemble des étrangers

Avant le début de la crise sanitaire, l’accueil des étrangers variait d’une préfecture à l’autre. Certaines recevaient dans le cadre de guichets ouverts, d’autres demandaient aux étrangers de prendre rendez-vous en amont. À la faveur des confinements successifs à partir de mars 2020, de plus en plus de préfectures ont imposé le recours aux plateformes numériques de prise de rendez-vous. En 2021, 84 préfectures y avaient recours. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, les démarches de demandes de titres de séjour auprès des services de l’immigration des préfectures sont subordonnées à la prise préalable d’un rendez-vous via des plateformes numériques.

Si cette évolution aurait pu constituer un progrès majeur, elle porte en réalité, en raison de ses nombreux dysfonctionnements, souvent atteinte aux droits des usagers. En effet, les files d’attente physiques devant les préfectures ont été remplacées par des files d’attente numériques.

Ces difficultés résultent de l’insuffisance de créneaux de rendezvous proposés sur ces plateformes. En 2016 déjà, la Cimade publiait un rapport thématique sur ce sujet, intitulé À guichets fermés dans lequel elle diffusait les résultats obtenus par un robot informatique chargé de se rendre toutes les heures sur les divers sites de prise de rendez-vous. Ce rapport a largement documenté les pénuries de rendez‑vous. Selon la Cimade, ce robot est actuellement bloqué par les services informatiques du ministère de l’Intérieur et ne permet plus d’obtenir d’indicateurs.

Cette insuffisance découle d’un sous-dimensionnement des effectifs au sein des services préfectoraux de l’immigration. Comme l’a rappelé la Défenseure des droits dans un avis du 28 avril 2021, « la raison la plus fréquemment invoquée pour expliquer le nombre insuffisant de créneaux de rendez-vous est celle du nombre insuffisant d’agents à même d’accueillir les usagers et d’instruire les demandes » ([11]).

Se développent, en conséquence de cette pénurie de rendez-vous, de véritables marchés qui prennent deux formes principales :

des sites internet proposant un service payant de notification en cas de rendez-vous disponible, l’usager doit ensuite se connecter rapidement à l’interface pour prendre le rendez-vous ;

d’autres monnayant le rendez-vous d’ores et déjà pris grâce à des logiciels informatiques. Les sommes demandées peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros pour un rendez‑vous.

À Mayotte, d’après la préfecture, « aujourd’hui, plus de 2/3 des usagers sont vraisemblablement obligés de payer pour obtenir un rendez-vous qui est censé être une prestation gratuite de service public » ([12]).

La Cimade analyse ces phénomènes de vente comme « une conséquence directe de la rareté des rendez-vous disponibles, et non comme une cause de cette rareté » ([13]), comme cela est notamment énoncé par le ministère de l’Intérieur.

Ces difficultés ont parfois des conséquences dramatiques pour les personnes étrangères concernées. N’obtenant pas de rendez-vous malgré de nombreuses tentatives, certains étrangers titulaires d’un titre de séjour basculent dans une situation irrégulière faute d’avoir pu renouveler leur titre à temps. Ceux‑ci tombent alors dans un « vide juridique ». Privés de droit, ils risquent le placement en centre de rétention administrative (CRA) ou la reconduite à la frontière. Ils perdent leur accès à l’emploi, à la formation, aux droits sociaux, etc. D’après l’association Réfugiés Bienvenue, cette situation peut arriver « aussi bien pour un premier titre de séjour temporaire [que] pour des personnes en situation régulière depuis plusieurs années et en bonne insertion professionnelle ».

Une multiplication des « référés mesures utiles » qui sature les juridictions administratives

Prévu à l’article L. 521-3 du code de justice administrative, le référé « mesures utiles » permet de demander au juge d’ordonner à l’administration toutes mesures utiles en cas d’urgence, et donc, de fixer un délai à un service pour recevoir le requérant.

Comme l’a indiqué le rapport du Sénat précité sur la question migratoire, plus de 21 % des affaires enregistrées en contentieux des étrangers au tribunal administratif de Montreuil sont des référés « mesures utiles » en vue d’obtenir un rendez-vous en préfecture.

Un « cercle vicieux » est ainsi à l’œuvre, puisque de plus en plus de préfectures réservent des créneaux à l’exécution de ces référés. Selon la Défenseure des droits, la saisine du juge des référés est devenue, dans certains départements « la seule voie efficace ouverte aux étrangers pour exercer leur droit de voir leur demande examinée dans un délai raisonnable ». Elle est, dans les faits « un préalable presque obligatoire à l’accès au guichet préfectoral » ([14]). Plus préoccupant encore, d’après la même institution et certaines associations entendues par votre rapporteur, les injonctions données par les juges dans le cadre de ces référés « mesures utiles » ne seraient pas systématiquement respectées.

En la matière, la préfecture du Rhône a mis en place une « bonne pratique » qui pourrait être utilement étendue. Les services entretiennent en effet des relations étroites avec le tribunal administratif de Lyon et échangent régulièrement sur les modalités d’organisation des différentes procédures pour s’assurer de leur conformité au droit, notamment celle permettant aux usagers de prendre un rendez‑vous.

2.   Un accès aux préfectures plus difficile encore pour les publics de l’AES

Comme l’a mis en lumière la Défenseure des droits, « les personnes souhaitant déposer une demande de titre de séjour sur le fondement de l’AES ont été parmi les publics les plus affectés par la dématérialisation » ([15]). Peu avant l’entrée en vigueur des mesures de confinement en 2020, il était devenu quasiment impossible d’obtenir un rendez-vous en préfecture pour déposer une demande d’AES à Paris et dans les départements limitrophes. Ce constat était également partagé par le Conseil d’État : « les systèmes d’information d’un grand nombre de préfectures sont saturés et ne parviennent pas à traiter toutes les demandes de rendez-vous, en particulier celles qui émanent d’étrangers sollicitant une admission exceptionnelle au séjour » ([16]).

De nombreuses préfectures, en situation de pénurie de créneaux de rendez‑vous, auraient en effet décidé de réserver les disponibilités aux personnes en situation régulière sollicitant un premier titre de séjour ou un renouvellement. Selon les termes de la Cimade, « il est […] devenu habituel d’entendre des responsables préfectoraux comme ministériels assumer une ‘‘absence de priorité’’ donnée au traitement des demandes de régularisation, ce qui se traduit en pratique par la quasi-absence de rendez-vous disponibles pour de telles démarches » ([17]). Il en résulte que les étrangers souhaitant déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour ne parviennent que difficilement à trouver un rendez‑vous.

propositions de rendez-vous pour les étrangers souhaitant dÉposer une aes dans la préfecture de créteil

Source : À guichets fermés, La Cimade, 2016.

Désormais, dans plusieurs préfectures, les publics de l’AES ne sont plus soumis aux prises de rendez-vous via ces plateformes numériques mais doivent envoyer un dossier par voie postale ou numérique qui, après instruction de celui­‑ci, se voient proposer un rendez-vous.

Les procédures AES dans les préfectures entendues par votre rapporteur

Au sein de la préfecture de police de Paris, un nouveau système de traitement des demandes a été mis en place depuis le 11 avril 2022. Un examen préalable du sérieux de la demande est effectué via les informations communiquées dans un formulaire unique. La préfecture opère ensuite une séparation entre les demandes émanant des étrangers connus des systèmes d’information, et ceux inconnus. Les demandeurs font l’objet d’un enrôlement biométrique systématique.

Au sein de la préfecture de Seine-Saint-Denis, les demandes s’effectuaient jusqu’au 6 juillet 2022 au moyen de la réservation préalable d’un rendez-vous en ligne sur l’application ministérielle IDE/EZ-Booking. La préfecture a mis en œuvre une procédure alternative de dépôt des demandes depuis le 7 juillet 2022 via un outil de démarches simplifiées ([18]), sans que ne soit exclue la transmission par voie postale.

Au sein de la préfecture de la Mayenne, les usagers doivent faire parvenir un dossier par voie postale ou par dépôt physique au guichet.

Dans ces trois cas, les usagers sont ensuite contactés pour prendre un rendez-vous.

Votre rapporteur a pu constater au cours de ses travaux que les délais d’instruction sont particulièrement longs, preuve que l’AES reste traitée de manière secondaire par les services préfectoraux. Par exemple, dans une préfecture entendue par votre rapporteur, plusieurs dossiers déposés en 2017 et de nombreux dossiers de 2019 n’étaient toujours pas traités en septembre 2022 ([19]). La longueur excessive de ces délais d’instruction a été confirmée par les associations entendues par votre rapporteur.

Selon le ministère de l’Intérieur, dans les préfectures ayant maintenu un système de prise de rendez-vous sur internet pour ces publics, ces difficultés persistent seulement dans un nombre « circonscrit » de préfectures. Le discours des associations diffère. La Cimade, par exemple, souligne qu’aujourd’hui encore « les demandes d’admission exceptionnelle au séjour […] sont d’après [leurs] observations plus fréquemment concernées par la saturation complète des plannings de rendez-vous » ([20]).

3.   Perspectives

Les pistes d’évolution proposées par votre rapporteur dans cette sous‑partie portent sur l’ensemble des demandes de titres de séjour, et non sur la seule AES. En effet, par « ruissellement », l’amélioration de la situation générale devrait également bénéficier aux publics de l’AES.

Depuis 2016, l’augmentation des effectifs des services préfectoraux en charge des étrangers est une réalité, en particulier entre 2020 et 2021 (+ 1 849 ETPT ([21])). Celle-ci a eu pour objet de mieux faire face aux demandes de titres de séjour, dans un contexte d’évolution du cadre juridique du droit des étrangers.

nombre d’ETPT consacrÉs au traitement des demandes de titre de sÉjour

Année

Effectif total en ETPT

2017

25 861

2018

25 534

2019

24 752

2020

26 509

2021

28 358

                                 Source : éléments transmis par le ministère de l’Intérieur à votre rapporteur.

Sur la même période, d’après les chiffres transmis par le ministère de l’Intérieur, le nombre de demandes de titres de séjour déposées est resté stable, aux alentours de 1,4 million par an.

Malgré cette augmentation des effectifs, d’après les associations entendues par votre rapporteur, les difficultés de prise de rendez-vous persistent. Faute d’indicateurs publics existant, il est toutefois impossible de mesurer ces dysfonctionnements ([22]). D’après l’association Réfugiés Bienvenue par exemple, « il est aujourd’hui presque impossible de prendre rendez-vous pour des demandes de titres de séjour (1ère demande ou renouvellement) sur le site de certaines préfectures (notamment Antony, Versailles ou Bobigny). Le temps de chargement des sites est incroyablement long et peut parfois durer jusqu’à des dizaines de minutes […]. Dans la majeure partie des cas, aucune plage de rendezvous n’est disponible » ([23]). La Cimade, également, se dit encore aujourd’hui « quotidiennement sollicitée […] par des personnes qui ne parviennent pas à obtenir des rendez-vous, parfois depuis plusieurs semaines, souvent depuis plusieurs mois, régulièrement depuis une année, dix-huit mois ou deux ans » ([24]). Pour GISTI, la situation s’est même « dégradée » ([25]). La Défenseure des droits, enfin, souligne que les difficultés d’accès aux préfectures constituent à l’heure actuelle une « part notable des réclamations reçues par l’institution ».

Le nombre d’ETPT déployés reste ainsi insuffisant. La nécessaire affectation de moyens supplémentaires aux services chargés du séjour au sein des préfectures est d’ailleurs mise en exergue par le rapport de mai 2022 précité, du sénateur François‑Noël Buffet.

La poursuite de l’augmentation des effectifs doit s’accompagner d’une réflexion sur les métiers d’agents au sein des services préfectoraux de l’immigration. En effet, les préfets entendus par votre rapporteur mettent en avant des problématiques d’attractivité pour ces postes et un taux de rotation très élevé. Au sein de la préfecture du Rhône par exemple, les agents des services de l’immigration restent en moyenne trois ans à leur poste, contre cinq ans dans les autres directions. Ces difficultés résultent du caractère stressant de ces postes, et d’un sentiment de « perte de sens » qui trouve son origine dans le déclin du lien avec les usagers et dans le traitement « de masse » des demandes. Au regard de la complexité du droit des étrangers, votre rapporteur estime que le recrutement de nombreux vacataires ne saurait être une solution pérenne et insiste sur la nécessité de renforcer l’attractivité et la fidélisation au sein de ces services.

Enfin, le ministère a déployé, en partenariat avec le ministère de la transformation et de la fonction publiques, des missions d’appui au sein des préfectures rencontrant des difficultés en matière d’organisation de leurs services. Plus de 30 préfectures et sous‑préfectures ont ainsi bénéficié d’un accompagnement renforcé. Votre rapporteur salue cette initiative.

Par une décision du 3 juin 2022 ([26]), le Conseil d’État, saisi pour avis par des tribunaux administratifs dans le cadre de recours pour excès de pouvoir visant des décisions préfectorales instituant le recours à une plateforme numérique de prise de rendez‑vous, a indiqué que les préfets ne pouvaient pas rendre obligatoire le recours à cette procédure.

Votre rapporteur salue en cela la pratique de la préfecture de police de Paris, visitée dans le cadre de ce rapport, et qui permet la prise de rendez-vous par téléphone ([27]). Le préfet de Mayotte a indiqué à votre rapporteur avoir reçu comme demande de la DGEF de prendre en compte la décision du Conseil d’État et de mettre en place une mesure de substitution. Votre rapporteur appelle à la mise en œuvre rapide et généralisée des conclusions de cette décision par les préfectures.

Votre rapporteur considère comme indispensable que les préfectures gardent des guichets ouverts, accessibles sans rendez-vous. La préfecture du Rhône est l’une des rares préfectures à avoir fait ce choix. Votre rapporteur entend les difficultés que ces guichets représentent pour les services. Ils sont en effet particulièrement « gourmands » en effectifs et traitent pour une autre grande partie de simples demandes d’informations. D’après les estimations de la préfecture du Rhône, environ 50 % des demandes sont du type : « où en est mon dossier ? ». Pour autant, et malgré le délai d’attente parfois important qu’elles représentent pour les usagers, ces structures permettent de conserver un contact humain.

Cette recommandation est également portée par la Défenseure des droits, qui estime utile qu’existe « une solution alternative via un accueil physique pour les personnes n’ayant pas accès à internet ou ne maîtrisant pas le Français » ([28]).

Le ministère de l’Intérieur a indiqué à votre rapporteur que des mesures ont été mises en place pour sécuriser la prise de rendezvous, parmi lesquelles : la limitation du nombre de rendez-vous pouvant être pris avec une même adresse électronique et la nécessité de renseigner le numéro AGDREF (numéro à 10 chiffres figurant sur le titre de séjour) pour s’authentifier.

À plus long terme, votre rapporteur suggère une attribution automatique d’un rendez-vous calée sur la date d’expiration du précédent titre plutôt que d’imposer une prise de rendez-vous en ligne ([29]).

En tout état de cause, une uniformisation sur le territoire des modalités de prise de rendez-vous apparaît indispensable ([30]).

La qualité et la régularité des échanges entre les services préfectoraux et les associations qui accompagnent les personnes étrangères, et en particulier celles en situation irrégulière, sont essentielles. La « circulaire Valls » recommande d’ailleurs aux préfets d’attacher « une importance particulière aux contacts réguliers avec les organisations syndicales, les organisations d’employeurs et les associations ou collectifs de défense des étrangers reconnus au plan local ou national ».

Or, sur le terrain, les relations entre les associations et les services préfectoraux semblent parfois être dégradées. D’après le réseau éducation sans frontières (RESF), les recommandations de la « circulaire Valls » ont « fonctionné pratiquement partout », mais « ce n’est plus le cas en 2022, tous les cas de figures se présentent : aucun échange, échanges par mail, rencontres après rapport de force […] » ([31]). La Cimade, également, souligne que « au niveau local, la situation est variable mais globalement marquée par une faible qualité voire une absence de dialogue. Il est devenu plus rare au cours des dernières années que les préfectures donnent suite localement à des demandes de rencontre pour discuter des problèmes d’accès aux droits constatés sur le terrain » ([32]).

Ce constat n’est néanmoins pas unanime, l’association Singa, par exemple, considère que les relations sont « globalement bonnes » avec les administrations.

Votre rapporteur appelle de ses vœux que le dialogue entre les services préfectoraux et les associations venant en aide aux personnes sans papiers se resserre. Comme l’a souligné le directeur général des étrangers en France, M. Éric Jalon, lors de son audition, les associations constituent en effet, et en particulier dans le cadre de l’AES, un partenaire indispensable pour les services de l’État. Disposant d’une fine connaissance de la « circulaire Valls », elles sont susceptibles d’aider les personnes sans papiers, dont elles connaissent particulièrement bien la situation individuelle, à constituer un dossier complet et directement exploitable par les agents de la préfecture.

L’organisation partenariale réussie de la préfecture du Rhône et de plusieurs associations pour l’accueil des déplacés ukrainiens en avril 2022 a démontré de façon exemplaire que les acteurs étatiques et associatifs ont tout à gagner à avancer conjointement, pour les usagers et pour l’efficacité du service public.

B.   Harmoniser l’application de la « circulaire Valls » sur le territoire

L’admission exceptionnelle au séjour d’étrangers en situation irrégulière s’effectue au cas par cas, en fonction de la situation individuelle de l’étranger. Ce pouvoir de régularisation a été codifié aux articles L. 435-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Article L. 435-1 du CESEDA

L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », « travailleur temporaire » ou « vie privée et familiale », sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1 ([33]).

Pour assurer un traitement harmonisé des demandes sur le territoire, la circulaire du 28 novembre 2012 relative à l’admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière, dite « circulaire Valls », a donné des orientations générales aux préfets concernant les éléments susceptibles d’être pris en compte dans l’appréciation des situations individuelles. Ce document constitue désormais le cœur de la procédure d’AES et a été le principal objet de l’évaluation conduite par votre rapporteur.

D’après les chiffres transmis par le ministère de l’Intérieur, la délivrance des titres de séjour dans le cadre de l’AES a augmenté de 4 % entre 2015 et 2018.

Le nombre de délivrance s’est infléchi en 2020 en raison du contexte sanitaire (- 10 %), puis est reparti à la hausse en 2021 avec une progression de plus de 15 %.

  Création Créations de titres relevant de l’admission exceptionnelle au séjour de titres relevant de l’admission exceptionnelle au séjour

 

2017

 

2018

 

2019

2020

(définitif)

2021

(provisoire)

 

Motifs

 

Motifs détaillés

 

Économique

 

Salarié

 

Salarié

6 578

7 282

6 988

6 625

8 281

 

Saisonnier ou temporaire

 

 

Travailleur temporaire (y compris § 2.2 circulaire du 28 novembre 2012)

248

310

395

374

447

 

Total Économique

6 826

7 592

7 383

6 999

8 728

Familial

Membre de famille

Conjoint d'étranger en situation régulière
(§ 2.1.2  circulaire du 28 novembre 2012)

1 565

1 756

1 704

1 542

1 519

Parent d'enfant scolarisé
(§ 2.1.1 circulaire du 28 novembre 2012)

2 759

3 029

3 044

2 563

2 536

Liens personnels et familiaux

Considérations humanitaires / talents et motifs exceptionnels / service rendu à la collectivité (§ 2.1.4 circulaire du 28 novembre 2012)

498

425

404

275

238

Motifs humanitaires ou exceptionnels et résidence 10 ans

2 940

2 932

2 872

2 867

2 787

Mineur devenu majeur
(§ 2.1.3 circulaire du 28 novembre 2012)

663

632

566

445

689

Résident en France depuis 10 ans ou 15 ans pour les étudiants

708

736

688

653

411

 

Vie privée et familiale

12 630

13 370

13 292

11 352

13 764

 

                                       Total Familial

21 763

22 880

22 570

19 697

21 944

Total Étudiant

 

Étudiants/ stagiaires

Mineur devenu étudiant
(§ 2.1.3 circulaire du 28 novembre 2012)

374

477

 

666

 

720

904

 

Total général 

28 963

30  949

30 619

27 416

31 576

Nombre de titres délivrÉs en application de l’AES

Source : éléments transmis par le ministère de l’Intérieur à votre rapporteur.

Entre le dernier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, le ministère de l’Intérieur a enregistré une hausse de 16 % des titres délivrés au titre de l’AES.

La région Île-de-France enregistre environ 45 % des titres délivrés. La part de l’AES dans la demande globale de titres y atteignait 17,7 % au début de l’année 2022, contre moins de 10 % dans les autres régions.

1.   Présentation des critères de la « circulaire Valls »

Dans le cadre de cette sous-partie, les critères relatifs à la régularisation par le travail ne sont pas abordés ; ceux-ci sont détaillés dans la partie suivante du rapport, consacrée singulièrement à la régularisation par le travail. Les conclusions présentée dans la présente sous-partie sur l’application de la « circulaire Valls » concernent toutefois l’ensemble de l’AES, celles relative à la vie privée et familiale, aux étudiants et au travail.

L’AES ne s’applique pas à Mayotte

En application de l’article L. 441-7 du CESEDA, la « circulaire Valls » ne s’applique pas à Mayotte. Le préfet peut néanmoins intervenir en matière de régularisation en prenant en compte l’intensité, l’ancienneté et la stabilité des liens personnels et familiaux tissés par l’étranger.

Votre rapporteur, après avoir auditionné le secrétaire général de la préfecture de Mayotte, considère comme légitime cette exception faite pour ce territoire, au regard de ses spécificités en matière migratoire.

Les parents d’enfants scolarisés peuvent prétendre à une régularisation sous certains critères. La circulaire prévoit qu’une vie familiale établie nécessite en principe que l’un des membres du couple soit en situation régulière mais que « lorsqu’un ou plusieurs de leurs enfants sont scolarisés, la circonstance que les deux parents se trouvent en situation irrégulière peut ne pas faire obstacle à leur admission en séjour ». La vie familiale doit être caractérisée par une installation durable du ou des demandeurs sur le territoire qui ne doit être qu’exceptionnellement inférieure à cinq ans et un au moins des enfants doit être scolarisé depuis au moins trois ans. Lorsque le demandeur est séparé de l’autre parent de l’enfant, il doit démontrer qu’il contribue effectivement à l’entretien et l’éducation de son enfant. La maîtrise de la langue doit aussi être appréciée.

Pour analyser cette voie d’AES, votre rapporteur a jugé indispensable d’entendre des représentants du ministère de l’éducation nationale. À la lumière de ces échanges, il est convaincu du bien-fondé de ce critère de régularisation, tant la scolarisation des enfants constitue un vecteur précieux d’intégration des parents. Il salue à cet égard le dispositif « ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE), qui est une opération conduite en partenariat entre le ministère de l’Intérieur et celui de l’Éducation nationale, et qui vise à l’intégration des parents d’élèves primo‑arrivants, volontaires, en les impliquant dans la scolarité de leurs enfants.

S’agissant des conjoints d’étrangers en situation régulière, la circulaire indique aux préfets que « le droit au respect de la vie privée et familiale de ces personnes doit [les] conduire à apprécier si elles peuvent se prévaloir d’une vie privée et familiale sur le territoire français suffisamment stable, ancienne et intense au point qu’une décision de refus serait de nature à porter à ce droit une atteinte disproportionnée ». Dans ce cas également, la maîtrise de la langue doit être appréciée. D’après M. Manuel Valls, entendu par votre rapporteur à l’occasion d’une audition, la mise en place de ce critère avait pour objet de répondre à l’absence de possibilité légale de régularisation en la matière, qui obligeait absurdement les personnes concernées à retourner dans leur pays d’origine, puis à demander à bénéficier du regroupement familial.

Lorsqu’ils répondent à certains critères, les mineurs devenus majeurs peuvent également prétendre à une AES. En la matière, les dispositions de la « circulaire Valls » coexistent avec celles de l’article L. 435-3 du CESEDA qui dispose :

Article L. 435-3 du CESEDA

À titre exceptionnel, l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance ou du tiers digne de confiance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l’avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l’insertion de cet étranger dans la société française. […]

La « circulaire Valls » vise les publics pouvant justifier d’une part d’au moins deux ans de présence en France à la date de leur dix-huitième anniversaire et d’autre part d’un parcours scolaire assidu et sérieux. Elle suggère aux préfets d’apprécier notamment « la stabilité et l’intensité des liens développés par le jeune majeur sur le sol français, en tenant compte […] du fait que l’essentiel de ses liens privés ou familiaux se trouvent en France et non dans son pays d’origine et qu’il est à la charge effective de la cellule familiale en France ». Sous certaines conditions strictes, la circulaire permet également l’octroi d’une carte de séjour aux mineurs entrés sur le territoire après l’âge de seize ans et l’octroi d’une autorisation provisoire de séjour et le cas échéant d’une autorisation provisoire de travail pour permettre à un étranger qui ne remplit pas ces critères d’achever un cycle de scolarité. Enfin, la circulaire rappelle aux préfets qu’en application de leur pouvoir discrétionnaire, ils peuvent délivrer une carte de séjour temporaire « étudiant » sous réserve de certains critères dès lors que le mineur étranger isolé poursuit des études secondaires ou universitaires avec assiduité et sérieux.

Sauf menace à l’ordre public, les préfets peuvent délivrer une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » aux étrangers en situation irrégulière justifiant soit :

d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité (dans les domaines culturels, sportifs, associatifs, civiques ou économiques) ;

de circonstances humanitaires particulières justifiant la délivrance d’un titre de séjour.

Une attention particulière est également demandée aux préfets s’agissant des victimes de violences conjugales et de la traite des êtres humains ([34]).

La plupart des critères permettant de bénéficier de l’AES au titre de la vie privée et familiale et du travail sont assortis de critères de durée de séjour sur le territoire. En la matière, la « circulaire Valls » précise que « les pièces produites par le demandeur doivent constituer un faisceau d’indices suffisamment fiable et probant de nature à emporter l’intime conviction quant à la réalité de l’ancienneté de la résidence habituelle en France de l’intéressé » et insiste sur la nécessité, pour les préfets, d’exercer leur pouvoir d’appréciation de manière aussi homogène que possible.

apprÉciation des preuves justifiant de l’anciennetÉ de la rÉsidence habituelle en France telle que suggÉrÉe par la « circulaire valls »

Preuves certaines

Preuves ayant une valeur probante réelle

Preuves ayant une valeur probante limitée

Documents émanant d’une administration publique (préfecture, service social et sanitaire, établissement scolaire, juridiction, avis d’imposition, etc.)

Documents remis par une institution privée (bulletins de salaire, relevé bancaire, certificat médical de médecine de ville, etc.)

Documents personnels (enveloppe avec adresse libellée au nom du demandeur du titre de séjour, attestation d’un proche, etc.)

La « circulaire Valls » recommande aux préfets de considérer que deux preuves certaines par an suffisent à attester d’une présence en France, mais que leur « intime conviction sera fondée sur la cohérence du dossier [soumis] ».

2.   Un niveau de norme adapté

Le recours aux circulaires est une pratique de longue date en matière de droit des étrangers en général, et de régularisation plus particulièrement. Ce recours massif aux circulaires peut être expliqué par une volonté d’efficacité et de recherche d’une certaine souplesse.

En ce qui concerne singulièrement la « circulaire Valls », le Conseil d’État précise, dans une décision de 2015 ([35]), que l’étranger en situation irrégulière ne peut pas se prévaloir des lignes directrices contenues dans celle-ci pour contester le refus d’AES devant le juge administratif. Toutefois, la loi n° 2018‑727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance permet, à son article 20, aux administrés de se prévaloir des circulaires qui « comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives » ([36]). Au regard de cette évolution législative, par un arrêt avant dire droit du 31 mars dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon a demandé au Conseil d’État de se prononcer de nouveau sur le caractère opposable de la « circulaire Valls ». Sa décision a été rendue le 14 octobre 2022 et confirme qu’un étranger ne détient aucun droit à l’exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut donc « utilement se prévaloir, sur le fondement de ces dispositions, des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l’intérieur du 28 novembre 2012 » ([37]).

Votre rapporteur s’est interrogé sur l’opportunité d’inscrire les critères de régularisation de manière plus précise dans la loi, et de ne renvoyer à une circulaire que la mention des détails relatifs à l’instruction et à l’appréciation des critères. Sur ce point, deux types de discours se confrontent.

D’aucuns estiment que le recours à une circulaire expose les personnes à des différences de traitement iniques sur le territoire, entraînant une rupture d’égalité devant le droit. Ces mêmes personnes considèrent que l’élévation de ces critères au niveau de la loi supprimerait de façon opportune le pouvoir discrétionnaire du préfet, clarifierait les règles applicables et permettrait aux demandeurs d’invoquer ces dispositions devant le juge administratif. Pour la Cimade, par exemple, « les critères de régularisation doivent de manière générale être définis par des textes législatifs, opposables sans ambiguïté devant les tribunaux administratifs » ([38]).

D’autres, au contraire, jugent que la circulaire constitue le bon étage de la hiérarchie des normes dans la mesure où il convient de laisser au préfet une marge de manœuvre dans l’appréciation des situations qui lui sont soumises. Par exemple, un étranger faisant état d’une très bonne intégration dans la société française ne pourrait pas prétendre à la régularisation si pour une raison ou une autre, il ne remplissait pas l’ensemble des critères énoncés dans la loi – là où aujourd’hui la circulaire laisse une plus grande marge d’appréciation au préfet en fonction des cas d’espèce. Le préfet de la Mayenne, notamment, a indiqué à votre rapporteur user de son pouvoir discrétionnaire pour octroyer des AES aux personnes dont les élus locaux lui ont signalé qu’elles étaient bien intégrées sur leur territoire.

À l’issue de ses travaux, votre rapporteur souscrit à cette seconde analyse et considère que le niveau d’une circulaire constitue bien le niveau idoine d’inscription des critères de régularisation.

3.   Des critères qui apparaissent globalement satisfaisants

Le contenu des critères de la « circulaire Valls » semble faire l’objet d’un certain consensus. Pour M. Paul Chemin, bénévole au sein du réseau éducation sans frontières de Mayenne, par exemple, « la circulaire contient tout ce qu’il faut pour régler de façon favorable bon nombre de dossiers enlisés depuis longtemps » ([39]).

Grâce à la pertinence des critères retenus, la « circulaire Valls » bénéficie ainsi d’une certaine permanence. Elle fêtera, en novembre 2022, son dixième anniversaire. Une telle longévité est rare en droit des étrangers.

Pour autant, à la marge, certaines dispositions mériteraient d’être toilettées. Comme l’a par exemple souligné la Cimade, la « circulaire Valls » traite de certaines situations de régularisation de plein droit. Il conviendrait ainsi certainement de publier une nouvelle circulaire tirant les conséquences des récentes évolutions législatives.

En matière d’AES travail, votre rapporteur suggère des évolutions plus substantielles (cf. infra).

4.   Une application fortement hétérogène sur le territoire

Si le droit apparaît adapté, l’application de ce droit semble trop souvent être insuffisante.

M. Manuel Valls a fait part à votre rapporteur de la volonté d’homogénéisation de la procédure d’AES qui présida la publication de la circulaire qui porte son nom. En effet, avant celle-ci, aucune consigne n’était donnée aux préfets en la matière. Pour autant, la principale critique formulée par les personnes entendues à l’encontre de l’AES demeure celle d’une application fortement hétérogène de la « circulaire Valls » sur le territoire.

L’AES constitue la voie de demande de titre de séjour qui relève le plus du pouvoir d’appréciation discrétionnaire des préfets. S’il est naturel, en raison des simples « orientations générales » que la circulaire propose, que des divergences de traitement des demandes apparaissent sur le territoire, celles-ci semblent dépasser de loin ces écarts acceptables et constituer de véritables ruptures d’égalité devant le droit.

D’après une consultation conduite sur une trentaine de préfectures par le réseau éducation sans frontières (RESF) : en 2022, 11 départements appliquent systématiquement la « circulaire Valls », 12 de manière aléatoire et 8 pas du tout.

Il apparaît que les préfectures de la région parisienne appliqueraient la circulaire de façon plus volontariste que celles de régions.

Au sein même de certaines préfectures, en fonction des agents, une hétérogénéité des réponses données a également été constatée.

La quasi-totalité des acteurs associatifs entendus par votre rapporteur souligne cette forte hétérogénéité.

Plusieurs exemples illustrent ces différences de traitement :

S’agissant de la prise en compte des obligations de quitter le territoire français (OQTF) : les pratiques des préfectures diffèrent sur la manière d’instruire les demandes d’étrangers sollicitant une AES et ayant fait l’objet d’une OQTF. Dans le texte de la circulaire, aucune disposition ne vise explicitement ce point. Certaines préfectures acceptent les OQTF comme moyen de preuve que le critère de durée de séjour est respecté, certaines ne permettent pas le dépôt des dossiers à ces personnes ([40]), et d’autres enfin instruisent ces demandes tout en les considérant comme « non prioritaires ». Comme l’a souligné la Défenseure des droits, dans ces deux derniers cas, « de telles pratiques apparaissent contraires au dispositif même de l’admission exceptionnelle au séjour » ([41]). En tout état de cause, il semble utile que le droit soit précisé en la matière pour mettre un terme à l’hétérogénéité des pratiques ;

S’agissant de l’AES pour les parents d’enfants scolarisés, selon le GISTI : « les régularisations sur ce critère sont plus difficiles depuis 2015, certaines préfectures indiquant parfois que les enfants peuvent poursuivre leur scolarité dans le pays d’origine… ». En Île-de-France, selon la même association, « deux dossiers pourtant très similaires peuvent faire l’objet de réponses complètement différentes ». Votre rapporteur reçoit régulièrement des sollicitations sur ce type de dossier.

De même, le critère de maîtrise de la langue française pourrait faire l’objet d’un contrôle plus poussé, et homogène. La préfecture de Seine‑Saint‑Denis, par exemple, constate qu’il existe « un nombre important de ressortissants qui ne maîtrisent pas du tout la langue française, en particulier pour les nationalités chinoise, sri lankaise, bangladaise et égyptienne. Cette carence linguistique ne manque pas d’interroger la présence en France des demandeurs courant parfois sur une dizaine d’années ». La préfecture de la Mayenne souligne également que la maîtrise de la langue n’est « soumise à aucun niveau en particulier » ([42]).

5.   Perspectives

Le ministère de l’Intérieur a précisé à votre rapporteur qu’est conduite une révision des codes de l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), effective depuis le 1er octobre 2021, afin d’améliorer la fiabilité des données et de disposer d’une connaissance plus fine des motifs d’AES, aux niveaux national et départemental.

De surcroît, en raison des enjeux spécifiques auxquels elles font face, les préfectures franciliennes ont travaillé sur la même période, sous le pilotage de la direction générale des étrangers en France, à une harmonisation organisationnelle du traitement des AES. Ces mesures comportent notamment l’enrôlement biométrique systématique, pour lutter contre le « nomadisme administratif » ([43]), et la mise en place d’un formulaire unique.

Votre rapporteur salue ces initiatives et se montrera attentive à leur déploiement. Il formule le souhait qu’un équilibre soit trouvé entre le traitement nécessairement individuel des demandes et une plus grande harmonisation des réponses apportées sur l’ensemble du territoire.

Pour ce qui a trait à la maîtrise linguistique, votre rapporteur souscrit à la recommandation de la préfecture de Seine-Saint-Denis et de celle de la Mayenne, consistant à instaurer un contrôle réel de la maîtrise de langue via la présentation d’une certification ou d’un diplôme délivré par un établissement scolaire ou universitaire. A minima, une vérification pourrait être réalisée de manière plus objective par les agents de la préfecture grâce à une grille uniformisée transmise par le ministère de l’Intérieur aux préfectures.

D’après le ministère de l’Intérieur, des réflexions seraient en cours pour préciser le référentiel d’appréciation de la maîtrise de la langue.

C.   Moderniser l’AES par la voie du travail

La présence de travailleurs sans papiers sur le territoire est un invariant de tous les pays développés. D’après la Défenseure des droits, entre 200 000 et 400 000 travailleurs seraient aujourd’hui sans papiers en France. Vivant dans des situations de grande précarité, ces personnes sont prêtes à s’adapter à des conditions de travail difficiles, parfois au mépris du respect de leurs droits les plus fondamentaux, pour subvenir à leurs besoins et dans l’espoir d’être un jour régularisées. Particulièrement présentes dans les métiers « en tension » ([44]), elles pourvoient des postes dits « 3-D » : « Dirty, degrading and dangerous » (sales, dégradants et dangereux).

Si d’aucuns considèrent que les étrangers « volent » le travail des Français ou exercent une pression à la baisse sur les salaires, de nombreuses études économiques démontrent que ces raisonnements ne reposent sur aucune réalité statistique. D’après l’OCDE, par exemple, « la probabilité que les immigrés accroissent le chômage est faible à court terme et nulle à long terme » ([45]). D’après la direction générale du Trésor, également, « Globalement, l’immigration a un effet mécanique positif sur l’activité : une hausse homogène de la population augmente le niveau d’emploi productif et donc le PIB, laissant inchangé le niveau de vie des natifs » ([46]).

Des premières campagnes ponctuelles de régularisation par le travail apparaissent à compter des années 1970. En 2007, la situation des travailleurs sans titre de séjour connaît une évolution majeure avec la création par la loi n° 2007‑1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, de la possibilité d’une admission exceptionnelle au séjour par le travail. Cette procédure ne concerne néanmoins que les métiers en tension et ne prend pas en compte le cas des travailleurs sous alias ([47]). La régularisation par le travail prend aujourd’hui la forme de l’AES via l’application des critères relatifs au travail contenus dans la « circulaire Valls » de 2012. Elle permet, en fonction des situations, l’obtention d’un titre de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire ».

nombre d’Étrangers rÉgularisÉs via la « circulaire valls » pour le motif « travail »

Année

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021 (provisoire)

Nombre

4 408

5 224

5 311

6 449

6 826

7 592

7 383

6 999

8 728

Source : éléments transmis par le ministère de l’Intérieur à votre rapporteur.

1.   Un dispositif juridique paradoxal, mais indispensable

Afin d’exercer une activité professionnelle, les ressortissants d’un État tiers à l’Union européenne doivent par principe obtenir une autorisation de travail. L’octroi de cette autorisation est soumis à une exigence de régularité du séjour ([48]). L’autorisation de travail peut prendre la forme soit d’un visa, soit d’un titre de séjour, soit d’un document distinct. Depuis le 1er janvier 2007 et en application de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, les employeurs ont l’obligation de vérifier auprès de l’administration la situation administrative des étrangers candidats à l’embauche.

Il existe en conséquence un dispositif de répression du travail irrégulier, qui comporte à la fois un volet pénal, centré sur la répression des employeurs, et un volet administratif.

Votre rapporteur a fait le choix dans le cadre de cet avis d’évaluer prioritairement l’application de la « circulaire Valls ». L’AES par la voie de l’application de la circulaire « Valls » ne constitue toutefois pas la seule voie de régularisation par le travail. Au niveau législatif par exemple, l’article L. 435-2 du CESEDA ([49]) permet, à titre exceptionnel, aux étrangers accueillis par les organismes mentionnés à l’article L. 265-1 du code de l’action sociale et des familles, en l’occurrence certains organismes assurant l’accueil et l’hébergement ou le logement de personnes en difficulté, et justifiant de trois années d’activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d’intégration, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », « travailleur temporaire » ou « vie privée et familiale ». Comme l’a souligné la secrétaire générale de la préfecture du Rhône à l’occasion de ses échanges avec votre rapporteur, cette coexistence de dispositifs aux sources éparses n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés en matière de lisibilité du droit.

Les critères de l’ « AES travail » posés par la « circulaire Valls »

La « circulaire Valls » invite les préfets à apprécier favorablement les demandes d’AES au titre du travail dès lors que l’étranger justifie :

d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche et de l’engagement de versement de la taxe versée au profit de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ;

d’une ancienneté de travail de huit mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou de 30 mois, consécutifs ou non, sur les cinq dernières années ;

d’une ancienneté de séjour significative, qui ne pourra qu’exceptionnellement être inférieure à cinq ans de présence effective en France. L’ancienneté de trois ans peut être prise en compte dès lors que l’intéressé peut attester d’une activité professionnelle de 24 mois, dont huit, consécutifs ou non, dans les 12 derniers mois.

La circulaire invite également les préfets à traiter favorablement certains cas particuliers :

l’étranger qui atteste d’une durée de présence de l’ordre de sept ans, et du versement effectif de salaires attestant une activité professionnelle égale ou supérieure à 12 mois au cours des 3 dernières années, mais ne présentant ni contrat de travail ni promesse d’embauche : le préfet peut lui délivrer un récépissé de carte de séjour temporaire « salarié » « en vue de lui permettre de rechercher un emploi » et l’autorisation à travailler ;

l’étranger qui atteste d’une durée de présence qui ne peut être qu’exceptionnellement inférieure à cinq ans et qui participe depuis au moins 12 mois aux activités d’économie sociale et solidaire portées par un organisme agréé au niveau national ([50]) ;

l’étranger en situation irrégulière attestant d’une durée de présence qui ne peut être qu’exceptionnellement inférieure à cinq ans et qui fait valoir une activité professionnelle en tant qu’intérimaire (activité d’au moins 910 heures) ([51]) ;

l’étranger présentant un cumul de contrats de faible durée, comme les emplois à domicile, sous réserve de remplir les mêmes conditions de durée de séjour et d’ancienneté que supra.

Lorsque l’étranger dispose d’un contrat de travail d’une durée supérieure ou égale à 12 mois, il peut prétendre à une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ([52]) ; lorsqu’il dispose d’un contrat de travail d’une durée inférieure à 12 mois, il peut se voir octroyer une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ([53]).

Sauf cas exceptionnel, les préfets doivent exiger du demandeur une maîtrise orale élémentaire de la langue française dans toutes les situations susceptibles d’ouvrir une AES par le travail. Ce niveau de maîtrise est en général évalué à l’occasion du rendez-vous en préfecture.

Pour l’application de ces dispositions, il revient à l’étranger de démontrer à la fois la réalité et la durée de son activité professionnelle antérieure et de celle de son séjour (cf. supra pour les preuves relatives à la durée du séjour).

Le système repose ainsi sur un paradoxe juridique. En effet, l’exercice irrégulier d’une activité permet, in fine, de prétendre à l’obtention d’un titre de séjour. Dès lors, pour espérer une régularisation par cette voie, les personnes étrangères sans papiers sont contraintes de travailler illégalement et s’exposent ainsi aux risques, contraintes de l’emploi, et violations des droits du travail.

2.   Un système complexe et inique

Primo, le fait que de nombreux secteurs professionnels, usuellement qualifiés de secteurs « en tension », aient recours de manière pérenne et massive aux travailleurs sans papiers est un « secret de Polichinelle ». Il apparaît ainsi particulièrement inefficace et contradictoire de perpétuer un système juridique dans lequel la régularisation via le travail est un parcours long, complexe et qualifié par la loi d’ « exceptionnel », alors que de nombreux employeurs rencontrent d’importantes difficultés à recruter. Pour l’association Singa, c’est la « dimension politique du sujet » qui « empêche de recourir plus massivement aux régularisations, alors même que de nombreuses corporations […] font face à une pénurie de main-d’œuvre rarement connue lors des dernières décennies » ([54]).

Deuzio, cette procédure requiert la coopération de l’employeur, excluant injustement du dispositif les personnes sans papiers qui ne bénéficient pas d’un tel soutien dans leur démarche. En effet, l’employeur doit fournir aux services préfectoraux plusieurs documents. Comme l’a rappelé Madame Marilyne Poulain, ancienne membre de la direction confédérale et pilote du « collectif immigration » au sein de la Confédération générale du travail (CGT), à l’occasion de son audition, ce pouvoir donné aux employeurs permet en général de régulariser les situations dans lesquelles le droit du travail est respecté et l’employeur proactif, mais ne permet pas de viser les situations d’abus dans lesquelles les employés sont les plus vulnérables – singulièrement dans le BTP, le nettoyage et le tri des déchets. Selon la Cimade, « ces critères donnent une place prépondérante au rôle des employeurs et participent ainsi à entretenir, voire renforcer, les relations de domination entre employeurs et employés » ([55]). L’association souligne également que « s’agissant des employés à domicile confrontés à plusieurs employeurs, les critères sont particulièrement difficiles à remplir et nécessitent le soutien de différents employeurs » ([56]).

Tertio, du côté des préfectures, l’instruction de ces demandes est particulièrement complexe. La préfecture de Seine-Saint-Denis, par exemple, pointe quatre grandes difficultés : un nombre important d’identités d’emprunt, qui complexifie l’analyse des pièces du dossier, des emplois exercés auprès de ressortissants de même origine, voire dans la même famille, par conséquent difficiles à vérifier, une augmentation artificielle de la quotité de travail sur les derniers bulletins de paie pour atteindre le quota requis, ou encore une discordance croissante entre l’identité de l’entreprise figurant sur les bulletins de salaire et celle sur le dossier de demande d’autorisation de travail constitué par l’employeur.

3.   Perspectives

Votre rapporteur recommande en premier lieu de réviser la procédure d’ « AES travail » afin de faire reposer celle-ci sur la seule initiative de l’employé, en supprimant les dispositifs requérant la coopération de l’employeur. Cette recommandation est portée par des nombreuses personnes entendues par votre rapporteur, parmi lesquelles des représentants associatifs et Madame Marilyne Poulain. Votre rapporteur salue à ce titre la prise de parole du ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, le 20 septembre 2022 devant notre commission: « Je ne trouve pas normal que seul l’employeur puisse demander la régularisation d’une personne qui travaille pour lui. Je crains des pressions pour accepter des horaires décalés, ou du harcèlement. » Il formule le vœu que le droit évolue en ce sens.

Parmi les dispositifs à supprimer figure celui qui prévoit que l’employeur doit s’engager lors de la demande de régularisation à verser une taxe à l’Office français de l’immigration et de l’intégration. En effet, votre rapporteur demande la disparition de cette obligation, qui en plus d’être un frein à certaines régularisations, est fiscalement inefficiente, comme l’a démontré en 2013 le rapport Les taxes à faible rendement de l’Inspection générale des finances ([57]). L’employeur peut in fine compenser cette taxe, en dévalorisant le salaire de l’employé.

Exemple de procédure de régularisation à l’initiative des employés : l’opération « Papyrus » en Suisse

Le système à instaurer pourrait être inspiré de l’opération dite « Papyrus » conduite en Suisse entre 2017 et 2018.

Le canton de Genève a en effet mis en place un mécanisme permettant aux employés en situation irrégulière de déclarer aux autorités leur emploi et de prétendre à la régularisation, sans l’autorisation de leur employeur. Une fois le titre de séjour obtenu par les employés, les employeurs ont été contrôlés par les autorités et disposaient de trois semaines pour se mettre en règle.

Environ 2 400 personnes auraient été régularisées en application de cette opération. 

Votre rapporteur appelle également à ce que les critères d’AES soient révisés afin de tenir compte de davantage de situations :

les ressortissants de certains pays faisant l’objet d’un accord bilatéral : la Défenseure des droits a attiré l’attention de votre rapporteur sur le fait que certaines catégories d’étrangers ne peuvent pas se prévoir du dispositif « AES travail » en raison de l’existence d’accords bilatéraux conclus entre la France et ces États. S’agissant des ressortissants algériens et tunisiens, la « circulaire Valls » précise qu’ils peuvent être exceptionnellement admis au séjour en application de ses dispositions, et la jurisprudence s’est prononcée dans le même sens pour les ressortissants burkinabés et marocains. Pour autant, selon les termes de la Défenseure, « des risques de discriminations fondées sur la nationalité dont peuvent être victimes les ressortissants étrangers dont le droit au séjour est exclusivement régi par des accords bilatéraux demeurent » ([58]) ;

les autoentrepreneurs : Comme l’a souligné M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, en commission des Lois lors de l’audition du 20 septembre dernier précédemment mentionnée : « nous introduisons parfois nous-mêmes, dans la législation, des trappes à irrégularisation. Ainsi, pour créer une autoentreprise, il n’est pas nécessaire de montrer que l’on a des papiers. Il arrive que des gens soient embauchés sous le statut d’autoentrepreneur, qu’ils paient des impôts, versent des cotisations […] puis constatent, en venant en préfecture, qu’ils ne sont pas régularisables ». Il propose ensuite de rendre impossible la création d’une entreprise par une personne en situation irrégulière. Votre rapporteur suggère, rejoignant en cela la proposition de Madame Marilyne Poulain, d’ouvrir les voies de l’ « AES travail » à ces publics, particulièrement nombreux par exemple dans le domaine de la livraison des repas à domicile ;

les personnes occupant un temps partiel inférieur à un mitemps mensuel : la circulaire recommande aux préfets de ne pas accepter les demandes de régularisation des personnes qui ne font pas valoir « une activité au moins égale à un mi-temps mensuel ». La Cimade a interpellé votre rapporteur sur le caractère excluant de ce critère pour les femmes migrantes en particulier, qui occupent pour beaucoup d’entre elles un temps partiel dans le secteur des services à la personne. Celles-ci seraient « dans l’impasse : le temps partiel ne permet pas la régularisation et pour autant, la situation irrégulière ne permet pas de trouver un emploi à temps plein » ([59]).

De manière plus générale, la procédure « AES » travail pourrait être simplifiée. Au regard de l’amélioration des conditions de travail que la régularisation apporte aux étrangers concernés et des besoins massifs de recrutement dans les secteurs « en tension », il semble indispensable d’assouplir les critères et la procédure, et pour le bénéfice de tous, employeur et employé.

Comme l’a rappelé Madame Marilyne Poulain lors de son audition, l’ « AES travail » est en effet devenue trop complexe, pour les usagers en raison du nombre important de pièces demandées, comme pour l’administration, car elle induit la mobilisation de nombreux agents. Une modernisation de l’ « AES » travail apparaît donc souhaitable. Pour ce faire, votre rapporteur appelle de ses vœux une large concertation, réunissant le ministère de l’Intérieur, les syndicats et le tissu associatif, en vue d’aboutir à une « AES travail » pragmatique et équilibrée.

Lorsque les personnes en situation irrégulière bénéficient d’une AES et se voient octroyer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », elles peuvent s’engager dans un parcours personnalisé d’intégration républicaine, tel que défini à l’article L 413-2 du CESEDA, et conclure avec l’État un contrat d’intégration républicaine (CIR) ([60]). Ce parcours personnalisé d’intégration comprend notamment une formation linguistique, visant à l’acquisition de la langue française.

Les travaux menés ont montré qu’il était indispensable de renforcer les conditions d’assiduité ([61]) et les objectifs de résultat ([62]). Il serait en outre utile de repenser l’organisation de la formation pour en améliorer l’accès, en augmentant le nombre de places au sein des cours de langue dispensés le week‑end, pour éviter que les formations linguistiques ne soient proposées aux signataires que durant leurs heures de travail.

Il conviendrait également de flécher davantage ces formations vers les métiers des secteurs « en tension ». Votre rapporteur souscrit en cela aux recommandations formulées par la députée Élodie Jacquier‑Laforge dans le cadre de son avis budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2022. Cette dernière appelait en effet à « approfondir le lien entre la composante linguistique et la composante ‘‘intégration professionnelle’’ du CIR » en dispensant des formations spécialisées dans l’apprentissage d’un vocabulaire spécifique à certaines filières professionnelles (hôtellerie, aide à la personne, bâtiment) ([63]).

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Il résulte ainsi des travaux conduits par votre rapporteur que la régularisation au cas par cas constitue une réponse nécessaire à certaines situations humaines. Si son bien-fondé ne peut être remis en cause, il est aujourd’hui impérieux de faire évoluer l’application de la « circulaire Valls » et le traitement des demandes d’AES par les préfectures afin d’assurer un traitement plus uniforme de celles-ci sur le territoire, et d’assouplir et de moderniser la régularisation par le travail.  

Au terme de ses échanges et de manière plus générale, votre rapporteur constate que les principales difficultés en matière de droit des étrangers ne résultent pas du droit en tant que tel mais de son application. Il est indispensable de réduire ce hiatus trop souvent observé entre les principes énoncés dans le droit et leur application sur le terrain. Comment espérer accueillir dignement des étrangers et les intégrer pleinement dans notre société, s’ils constatent un écart entre leurs droits théoriques et leurs droits effectifs dès leurs premières démarches dans notre pays ?

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa première réunion du mardi 18 octobre 2022, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/9cUicT

M. le président Sacha Houlié. Nous abordons l’examen pour avis des missions relevant du ministère de l’intérieur et des outre-mer en présence du ministre Gérald Darmanin. Après qu’il nous aura présenté les grandes lignes de ses budgets, nous engagerons la discussion des missions Sécurités et Immigration, asile et intégration.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Le programme Immigration et asile enregistre une progression de plus de 18 % de ses crédits. Cela couvre la création de 2 200 places supplémentaires en centres de rétention administrative (CRA), un chiffre jamais atteint jusqu’à présent. Le prochain débat sur le projet de loi « immigration » sera l’occasion d’évoquer l’éloignement des étrangers en situation irrégulière pour motif d’ordre public – 3 000 ont déjà été expulsés depuis un an. Nous nous mobilisons pour que la loi qui nous permettra demain d’être plus efficaces soit au rendez-vous budgétaire des années 2023 et 2024. Au passage, je souligne que les services des préfectures ont refusé de délivrer ou renouveler 70 000 titres en un an et demi, en raison d’une inscription au casier judiciaire, ce qui n’était pas le cas avant 2020. Les agents de préfecture, en lien avec la police et la gendarmerie nationale, disposent désormais des moyens qui le leur permettent.

En matière d’accueil des demandeurs d’asile et d’examen de leur situation, les délais de traitement ont pu être améliorés grâce aux efforts budgétaires que vous nous avez consentis au cours des deux dernières années. En 2020, 200 emplois supplémentaires ont ainsi permis de réduire les délais de décision : 170 000 décisions ont été prononcées en 2020 et en 2021, dans le délai d’instruction de deux mois qui avait été fixé par le Gouvernement –  promesse tenue, donc, alors même que les délais de recours devant la justice administrative rendent les choses fort complexes.

Le délai de traitement des demandes d’asile a un impact direct sur le montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), dont l’octroi est un peu automatique, si j’ose dire. Pour 2023, nous avons évalué l’ADA à 321 millions d’euros, ce qui ne me paraît pas un mauvais chiffre puisque, sur les 491 millions inscrits en loi de finances 2022, nous en avons consommé 388.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. L’année 2023 sera la sixième qui verra les crédits de la mission Immigration, asile et intégration augmenter. Ceux-ci s’élèveront à 2 milliards d’euros en crédits de paiement en 2023, soit le double d’il y a cinq ans. Il s’agit d’un effort budgétaire supplémentaire substantiel.

Par rapport à la loi de finances initiale de 2022, les crédits demandés sont en augmentation de 34 % en AP et de près de 6 % en CP.

Le programme 303 Immigration et asile comprend les trois quarts des crédits de la mission. Il finance la politique de l’asile et la lutte contre l’immigration irrégulière.

L’action 02 Garantie de l’exercice du droit d’asile finance notamment l’allocation pour les demandeurs d’asile (ADA). Sa dotation pour 2023 s’élève à 314 millions d’euros, contre 467 millions, soit une diminution – la seule – de 36 % par rapport à la dernière loi de finances. Selon le projet annuel de performance, cette diminution repose sur une projection de 135 000 demandes introduites à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et sur l’hypothèse d’une amélioration des délais de traitement de la demande d’asile, qui devrait mécaniquement réduire les crédits nécessaires à l’ADA. Vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le ministre, et je souhaiterais vous entendre plus longuement sur vos hypothèses en la matière et sur la manière dont celles-ci s’articulent avec l’ADA dont bénéficieront les protégés temporaires d’Ukraine.

Pour ce qui est de l’accueil et de l’hébergement des demandeurs d’asile, les crédits demandés en AE sont en hausse de plus de 36 %. Cette augmentation s’explique principalement par le renouvellement pour trois ans de conventions pluriannuelles de l’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile. La dotation pour 2023 permettra de financer 900 nouvelles places en outre-mer, portant la capacité du parc à près de 53 000 places, 1 500 places en centres d’accueil et d’examen des situations et 2 500 places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, soit 4 900 places, tout confondu.

Les crédits relatifs à la lutte contre l’immigration irrégulière connaîtront, eux aussi, une hausse significative de près de 32 % en AE et de 18 % en CP. Ils financeront la poursuite de l’augmentation des capacités d’accueil des centres de rétention administrative (CRA), de 1 859 places en 2022 à 1 961 places en 2023, avec la livraison de 90 places au CRA d’Olivet et l’extension de celui de Perpignan.

L’action Soutien, qui regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement courant de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), connaîtra également une forte progression, passant de 5,6 millions d’euros en 2022 à 28,5 millions en 2023. Ces crédits sont destinés au développement de nouveaux systèmes d’information. Leur augmentation est telle que nous aimerions en savoir davantage.

Les crédits du programme 104 Intégration et accès à la nationalité française, second de la mission, s’élèvent à 543 millions d’euros en AE et en CP, soit une hausse de 24,3 % par rapport à la loi de finances initiale de 2022.

L’augmentation massive des crédits permettra la poursuite du déploiement du programme d’accompagnement global et individualisé pour les réfugiés (Agir). À terme, son objectif est de proposer à chaque bénéficiaire de la protection internationale un accompagnement, notamment vers le logement et l’emploi.

L’action 16 Accompagnement des foyers de travailleurs migrants connaîtra une augmentation significative de ses crédits, de près de 40 %. Ces moyens supplémentaires permettront de mieux concourir à la mise en œuvre du plan de traitement des foyers et à un meilleur accompagnement de leurs résidents.

Pour ce premier exercice d’avis budgétaire, j’ai choisi de m’intéresser à l’admission exceptionnelle au séjour (AES) et à l’application de la circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls.

Les articles L. 435-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) posent un régime d’admission exceptionnelle au séjour, par lequel des étrangers sans papiers ne remplissant pas les conditions relatives à l’admission au séjour de plein droit peuvent être régularisés. Il permet de répondre à des situations humaines, d’étrangers sans papiers ayant créé des attaches en France ou qui se sont insérés dans le marché du travail. Les critères sont, pour chacun des motifs, nombreux et stricts. Ces régularisations se font au cas par cas, et la circulaire Valls est venue préciser aux préfets les critères permettant d’apprécier les dossiers. Pour mémoire, l’AES concerne environ 30 000 étrangers par an.

Le choix de ce thème a requis que je m’intéresse en premier lieu aux problématiques d’accès aux préfectures. Le public de l’AES fait face à des difficultés en la matière, mais celles‑ci s’inscrivent dans un contexte plus large et concernent l’ensemble des étrangers. J’ai, bien sûr, eu le souci de respecter le périmètre de la mission Immigration, asile et intégration pour ne pas déborder sur celui de la mission Administration générale et territoriale de l’État, mais l’accès aux préfectures, essentiel en matière d’AES, ne pouvait échapper à mes travaux.

Celui-ci est marqué par deux réalités liées à la dématérialisation : la prise de rendez‑vous auprès des services de l’immigration en passant par des plateformes numériques, d’une part, et la constitution des demandes de titres dématérialisées, d’autre part. Si l’AES n’est, à ce jour, pas concernée par cette seconde démarche, j’en dirai toutefois quelques mots, en particulier s’agissant de l’administration numérique des étrangers en France, l’Anef.

J’ai été interpellée à de très nombreuses reprises sur les difficultés qui résultent du déploiement de l’Anef. De nombreux dysfonctionnements pénalisent au premier chef les usagers, mais créent aussi des surcharges de travail pour les préfectures et leurs agents, ainsi que pour les associations. Ce déploiement représente un immense défi organisationnel pour les services préfectoraux, qui doivent s’adapter à cette évolution. J’ai bien conscience qu’il représente aussi un immense défi technique pour votre administration, monsieur le ministre, et je formule le vœu que ces problèmes soient rapidement surmontés, pour les usagers comme pour l’ensemble des personnes concernées.

La problématique des difficultés de prises de rendez-vous est largement connue et documentée. Elle résulte d’un sous-dimensionnement des effectifs au sein des services concernés et touche l’ensemble des étrangers, mais singulièrement le public de l’AES. Dans certaines préfectures, les étrangers sollicitant une AES ne doivent plus prendre un rendez-vous en ligne, mais faire parvenir un dossier. Ils sont ensuite contactés pour la prise de rendez-vous. J’ai pu constater, pour la déplorer, la longueur des délais d’instruction, même s’ils ont été améliorés. Dans l’une des préfectures étudiées, par exemple, de nombreux dossiers déposés en 2019 n’ont toujours pas été instruits.

Sur ce premier sujet, je formule plusieurs propositions qui dépassent le seul champ de l’AES : assurer un dimensionnement plus adapté des effectifs des services préfectoraux en charge des étrangers ; garantir une voie alternative à la prise de rendez-vous en ligne, comme exigé par le Conseil d’État en juin dernier ; maintenir ouverts des guichets, « gourmands » en effectifs mais indispensables,  au sein des préfectures pour les demandes spontanées ; repenser le système d’octroi des rendez-vous pour le sécuriser, l’uniformiser et éventuellement, à terme, réfléchir à des attributions automatiques de rendez-vous calées sur la date d’expiration du précédent titre.

En matière d’AES, les associations qui accompagnent les étrangers jouent un rôle central. La qualité et la régularité des échanges entre les préfectures et ces associations sont essentielles. Je sais que ces relations se sont tendues en plusieurs lieux sur le territoire national et je formule le souhait que des espaces de dialogue s’y recréent.

Comme nombre de mes collègues, je suis régulièrement interpellée par des maires et élus locaux qui accompagnent et soutiennent des familles installées sur leur territoire, qui les connaissent bien, qui savent leur lien avec l’école et la vie locale, et qui sont certainement aptes à évaluer leur intégration dans notre société. J’aimerais qu’une forme de parrainage républicain par ces élus puisse entrer dans les critères d’évaluation d’une demande d’AES.

En second lieu, je me suis intéressée à l’application de la circulaire Valls sur notre territoire. J’indique que le Conseil d’État a précisé, dans une décision de 2015, que l’étranger en situation irrégulière ne pouvait se prévaloir des lignes directrices de cette circulaire devant le juge administratif ; cette analyse a été confirmée vendredi dernier par le Conseil d’État, saisi à nouveau sur ce point.

Les critères de la circulaire Valls, qui entrera bientôt dans sa dixième année, semblent encore faire l’objet d’un certain consensus. C’est dans son application que résident ses limites. Il ressort de mes auditions que la circulaire est très inégalement appliquée sur le territoire. D’après certaines associations, plusieurs préfectures ne l’appliqueraient plus du tout. Parmi celles qui l’appliquent encore, on constate d’importantes différences d’instruction d’une préfecture à l’autre, et parfois même entre agents d’une même préfecture. L’AES relève du pouvoir d’appréciation du préfet et la circulaire contient de simples orientations générales. Il est donc naturel qu’existent des différences de traitement des demandes sur le territoire, mais celles-ci semblent excéder ces écarts acceptables et constituer de véritables inégalités de chance face à la procédure.

Monsieur le ministre, je sais que vos services travaillent à l’identification des pratiques sur le territoire et à leur harmonisation. Je souhaiterais recueillir vos observations et vos intentions sur ce point.

Enfin, mes travaux m’ont conduite à m’appesantir sur la dimension « travail » de l’AES, qui a concerné 7 000 personnes en 2020. Le système est paradoxal, puisque le travail des étrangers en situation irrégulière est interdit, mais que l’exercice de cette activité leur permet in fine, sous certains critères strictement définis, d’obtenir un titre de séjour via l’AES.

Il me semble utile de faire évoluer le dispositif dans deux directions. En premier lieu, le dispositif requiert aujourd’hui que l’employé soit accompagné dans la procédure par son employeur, ce qui exclut injustement du dispositif certains employés ne bénéficiant pas de ce soutien. Monsieur le ministre, vous avez regretté ici même qu’un travailleur sans papiers doive être soutenu par son employeur pour sortir de la clandestinité. « Je pense que c’est un rapport de force qui n’est pas positif pour le salarié », avez-vous dit. Quels sont les projets du Gouvernement en la matière ?

Plus largement, il me semble indispensable de simplifier et de moderniser cette procédure pour embrasser davantage de situations, notamment celles des autoentrepreneurs, pour la rendre plus en phase avec les besoins massifs de main-d’œuvre au sein des secteurs en tension, pour protéger ceux qui seraient susceptibles d’être embauchés par des employeurs peu scrupuleux et abusant de leur situation de vulnérabilité, mais aussi pour protéger les employeurs, très nombreux, qui souhaitent embaucher en toute légalité et rapidement des personnes en attente de titre de séjour.

J’ai remarqué que les amendements déposés ont pour point commun de modifier le seul programme de lutte contre l’immigration irrégulière. À ma gauche, on le déshabille pour créer des places supplémentaires dans les centres provisoires d’hébergement des réfugiés, abonder les actions d’accompagnement, prendre en compte les coûts sociaux de l’inflation ou abonder le budget de l’allocation pour demandeur d’asile. À ma droite, c’est l’exact opposé : on abonde conséquemment ce même programme de lutte contre l’immigration irrégulière, notamment pour augmenter notre parc de CRA.

En me défaisant de toute posture, j’ai mené ma mission avec objectivité et humilité en cherchant l’équilibre, ô combien délicat, insatisfaisant, sinon impossible à trouver, entre l’accueil réel et effectif que nous devons mettre en place pour les femmes, les enfants et les hommes qui arrivent dans notre pays, et la fermeté absolue vis-à-vis de ceux qui, résolument, n’ont aucune intention de s’intégrer dans notre société, dans notre République.

Faire vivre la fraternité de notre devise, d’un côté, protéger notre République et nos valeurs fondamentales, de l’autre, l’un et l’autre ne sont nullement irréconciliables, bien au contraire. Je suis même convaincue que nous pouvons à la fois humaniser encore bien davantage notre politique d’accueil tout en luttant drastiquement contre l’immigration irrégulière. Que ceux que nous accueillons, nous les accueillions vraiment pleinement et que nous agissions avec la même détermination envers ceux que nous refusons.

Un élu me disait hier, à propos de la situation d’une famille étrangère, il faut juste que l’on sache. Le « ni-ni » n’est pas tenable : soit c’est oui, soit c’est non. Au-delà de l’examen des crédits de cette mission, je ne doute pas que la future loi « asile » permettra des avancées.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sabrina Agresti-Roubache (RE). La mission Immigration, asile et intégration porte les crédits de la direction générale des étrangers en France orientés selon trois axes d’action : la gestion des flux migratoires, l’intégration des étrangers en situation régulière, notamment des réfugiés, ainsi que l’accueil et l’examen de la situation des demandeurs d’asile.

Comme l’a rappelé le Président de la République, notre politique est tout à la fois inefficace et inhumaine. Inefficace parce que nous comptons plus d’étrangers en situation irrégulière que nombre de nos voisins. Inhumaine, parce que cette pression fait qu’on les accueille trop souvent mal.

Il nous faut intégrer mieux et plus vite par la langue et par le travail. Parallèlement, nous nous devons d’améliorer l’efficacité des politiques de reconduite à la frontière pour les étrangers en situation illégale. Tel est le sens de ce PLF2023, qui prévoit, en outre-mer, la création de 900 nouvelles places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (Huda), et, sur le territoire métropolitain, la création de 1 500 places de centres d’accueil et d’examen des situations administratives (Caes) et 2 500 places de centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada).

En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, l’effort en faveur du développement des capacités de centres de rétention administrative est poursuivi et certaines tâches non régaliennes, effectuées jusqu’à maintenant dans ces centres par les effectifs de la police aux frontières, sont externalisées.

Des moyens importants sont attribués à la politique d’intégration, dont les crédits progressent de 24 % afin de financer 1 000 nouvelles places de centres provisoires d’hébergement (CPH) pour les réfugiés, ainsi que le déploiement progressif du programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés (Agir) dédié à l’insertion des réfugiés dans notre société.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) traite les recours formés contre les décisions de l’Ofpra en 190 jours à l’automne 2022. Ses délais de traitement sont en relative stagnation contrairement à ceux de l’Office, qui ont été sensiblement réduits. Comment l’expliquez-vous ?

Nous prenons acte de votre volonté de doubler le contenu des formations civiques et linguistiques que l’étranger primo-arrivant reçoit lorsqu’il s’engage dans un parcours d’intégration républicaine par la signature d’un contrat d’intégration républicaine, le CIR. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

M. Timothée Houssin (RN). Monsieur le ministre, lorsque je vous ai interpellé sur les mauvais résultats de votre ministère en matière d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), vous avez préféré nier les chiffres catastrophiques – taux d’exécution de 13 %, hors des années covid – plutôt que d’apporter des solutions. Quant au fait que des centaines de personnes sous OQTF commettent des crimes et des délits sur notre territoire, qu’ils sont supposés avoir quitté, vous l’avez balayé d’un revers de main.

Malheureusement, ce scandale continue. Vendredi, en plein Paris et en pleine journée, Lola, 12 ans, a été violée, torturée, étouffée et son corps abandonné dans une malle. La principale suspecte, qui a partiellement avoué les faits, a été identifiée grâce à une caméra de vidéosurveillance. Il s’agit d’une clandestine algérienne en situation irrégulière depuis trois ans, qui avait déjà été contrôlée par la police – preuve que nos forces de l’ordre font leur travail – et qui faisait l’objet d’une OQTF. Elle aurait dû quitter le territoire avant le 21 septembre, ce qui signifie que, vendredi, elle aurait dû être en Algérie et Lola rentrée chez elle, après sa journée de collège. Je vous repose donc ma question : que comptez-vous faire pour augmenter réellement le taux d’exécution des OQTF ?

Vous avez estimé, ce matin sur RTL, que la procédure d’OQTF s’était déroulée dans les règles. Si la loi avait été correctement appliquée, une clandestine qui a probablement assassiné un enfant se promènerait-elle tranquillement sur notre territoire ?  Ou alors, si la loi a été correctement appliquée, qu’on la change !

Mme Borne, interpellée sur ce même sujet dans l’hémicycle, a évoqué la récupération et le respect pour la famille. Qu’est-ce que la récupération, sinon le devoir qui nous incombe de rappeler à chaque occasion la multiplication des cas de Français victimes de personnes en situation irrégulière sur notre territoire ? Qu’est-ce, sinon notre devoir de rappeler les conséquences de la politique qui est menée et de rappeler ces vérités jusqu’à ce que la politique change ? Qu’est-ce que le respect pour la famille, sinon la nécessité de tirer les leçons de ce drame pour modifier la loi et accorder plus de moyens à la lutte contre l’immigration clandestine, afin que de tels drames ne se reproduisent plus ?

Pour agir, il faut de la volonté et des crédits. Au-delà de cet exemple dramatique, c’est l’ensemble de votre politique en matière d’immigration qui pose problème.

Dès 2022, le rapport de la commission des finances du Sénat sur le bilan des crédits de la mission Immigration, asile et intégration est accablant : « [...] le contexte d’incapacité structurelle à maîtriser les flux migratoires persiste. [...] L’augmentation des crédits destinés à l’éloignement des migrants en situation irrégulière demeure dérisoire et ne devrait pas permettre d’amélioration de la politique de lutte contre l’immigration illégale. [...] Cette évolution est en contradiction majeure avec l’objectif affiché par le Président de la République de rendre effectives les mesures d’éloignement prononcées [...] ».

Malheureusement, pour 2023, votre politique ne change pas. Nous savons où vont les crédits dédiés à la gestion de l’immigration. Faut-il se réjouir qu’ils soient en augmentation quand la part consacrée à l’exercice du droit d’asile continue d’exploser, passant de 1,3 milliard d’euros en 2022 à 1,8 milliard en 2023, et que l’on y consacre désormais 89 % du budget du programme Immigration et asile ?

En face, la lutte contre l’immigration irrégulière n’occupe que 9 % du budget, elle n’augmente que de 50 millions – dix fois moins que les crédits consacrés à l’accueil de l’immigration.

Les chiffres changent mais la politique demeure. C’est une politique de renoncement. L’immigration explose, mais pas les moyens pour la juguler : 90 % des crédits du programme sont utilisés pour faire venir toujours plus d’immigrants, alors qu’ils devraient servir à contrôler l’immigration, à lutter contre l’immigration illégale et à expulser les personnes qui se maintiennent chez nous en situation illégale.

Malheureusement, monsieur le ministre, en voyant ce que vous nous proposez pour 2023, nous savons déjà que la prochaine fois que vous reviendrez devant notre commission, il y aura eu d’autres Lola et que votre Gouvernement ne se sera pas donné les moyens de l’éviter. Dans ce contexte budgétaire, nous prônons que les dépenses liées à l’arrivée de migrants soient réduites et que ces mêmes crédits soient réorientés vers la lutte contre l’immigration illégale.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, la dernière fois que nous vous avons reçu en commission, je vous avais demandé la libération d’un Guinéen séropositif du centre de rétention de Vincennes. Vous aviez produit son fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) sans vous soucier de son état de santé. Il y a deux jours, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a suspendu la décision de placement en centre de rétention. Je vous avais pourtant demandé de vous conformer au droit international et européen, en respectant le droit à la vie privée et familiale et à la dignité humaine, et d’arrêter de faire la courte échelle à l’extrême droite sur l’asile et l’immigration.

Cette mission budgétaire trahit le fond de votre pensée. L’humanisme, ce n’est pas vous ! Votre budget se résume à une hausse record du budget de l’éloignement de 15,3 %, face à une diminution des crédits de la garantie d’exercice du droit d’asile. C’est bien la marque des orientations sécuritaires voulues par votre Gouvernement au détriment de l’accès aux droits et de la solidarité envers les personnes migrantes et les demandeurs d’asile de notre pays. Cela nous donne un avant-goût de votre projet de loi à venir sur l’asile et l’immigration.

Je ne pense pas que cette politique budgétaire évitera à la France les condamnations de la CEDH, les avis alarmants du Comité des droits de l’homme de l’ONU et les saisines de plus en plus fréquentes de la Défenseure des droits. Dans votre politique de l’éloignement, vous consacrez un budget non négligeable à la création de places en centre de rétention administrative, ces lieux qui remplacent la prison et maintiennent le principe de double peine, abolie depuis 1981. Confronté aux problèmes d’insécurité, comme à Nantes, plutôt que de recruter dans la police judiciaire, vous annoncez l’ouverture prochaine d’un centre de rétention. Quel rapport ? A priori, aucun, sauf à faire un amalgame raciste, comme le fait si bien notre collègue du Rassemblement national.

En dehors du contexte pandémique, la France enferme près de 25 000 personnes, dont des enfants. Pourtant, le taux d’éloignement depuis les centres de rétention reste faible au regard du nombre élevé de personnes enfermées – 42,5 % en 2021. Toutes les associations présentes en centre de rétention démontrent, année après année, qu’enfermer plus de personnes, et plus longtemps, ne conduit pas nécessairement à des éloignements effectifs si les placements n’ont pas été réalisés avec discernement. Pourquoi continuer ce qui ne marche pas ?

Nous aurions pu nous réjouir de l’augmentation du programme Intégration et accès à la nationalité française, et notre groupe a salué l’ouverture de l’accès à la nationalité aux ressortissants étrangers ayant été en première ligne pendant la crise sanitaire. Mais le manque de personnel pour traiter les dossiers, la dématérialisation et la disparité des pratiques préfectorales n’ont fait qu’allonger les délais d’attente. Des médecins, des caissières, des infirmiers, des aides à domicile qui se sont mis au service de la nation attendent toujours une réponse. Ces admissions que l’on appelle pudiquement « exceptionnelles au séjour » dépendent de décisions totalement arbitraires, chaque préfecture faisant sa loi. La République est une et indivisible, mais pas ses commissaires…

Au lieu de lancer un plan massif de recrutement et d’uniformisation des pratiques préfectorales, vous engagez des crédits dans une dématérialisation déshumanisante et, donc, dans l’exclusion.

Quant à l’asile, à la suite de l’agression russe, notre pays s’est honoré en accueillant les réfugiés ukrainiens. Cet accueil inédit est sans commune mesure avec tous les autres dispositifs mis en place. Grâce au statut de la protection temporaire, les Ukrainiens ont pu accéder immédiatement à des droits que seuls les nationaux et les réfugiés installés de longue date peuvent obtenir – les autres personnes étrangères doivent attendre le traitement de leur demande de titre de séjour ou d’asile et sont maintenues dans une quarantaine sociale partielle pendant cet examen.  Pour répondre à la volonté politique, les préfectures se sont mobilisées en ouvrant leurs portes, là où d’ordinaire les différents téléservices empêchent tout accès immédiat. De même, l’accès à un hébergement a été quasiment immédiat, alors que les demandeurs d’asile doivent attendre plusieurs jours à plusieurs mois avant d’y accéder, quand ils ne sont pas privés de conditions matérielles d’accueil.

Le contraste est saisissant. Les mêmes droits légitimes dont bénéficient les Ukrainiens réfugiés sur notre territoire devraient être accessibles à tous les réfugiés, quelle que soit leur provenance.

La répartition budgétaire continuera à entretenir cette politique inhumaine. Nous ne voterons pas ce budget.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Ce budget arrive dans un contexte où prévaut le sentiment d’une situation migratoire hors de contrôle.

Rappelons que la première source d’immigration illégale reste l’immigration légale. Avec 400 000 entrées légales par an, peuvent se maintenir sur notre sol les déboutés du droit d’asile qui ne sont pas expulsés, les titulaires d’un premier titre de séjour, dont la délivrance a augmenté d’un tiers depuis 2012, ou encore les détenteurs de visas touristiques.

L’immigration familiale subie est surreprésentée. C’est la première catégorie de titres de séjour délivrés en 2021, avec environ 90 000 premiers titres de séjour. C’est un phénomène inquiétant, en ce qu’il représente 50 % de ces titres de séjour. Il faudra répondre à cette problématique dans le futur, en particulier dans la prochaine loi que vous nous présenterez.

L’immigration du travail est sous‑représentée par rapport à celle des autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en particulier européens. Il faudra probablement l’augmenter : elle représente 13 % de l’immigration en France, contre un tiers en Allemagne. En France, c’est l’immigration familiale qui fait office d’immigration de travail, et 40 % d’immigrés ayant un niveau « brevet » ou inférieur alimentent les trappes à bas salaires.

L’immigration étudiante connaît également une dérive, avec 85 000 titres. Avons-nous besoin d’une immigration étudiante hors de contrôle, dans toutes les filières, y compris celles qui n’offrent pas de travail en France ?

Le détournement de la demande d’asile que j’ai évoqué, qui en fait une voie légale d’immigration, est préoccupant : 140 000 demandeurs d’asile par an ; un tiers est protégé ; seulement 50 % des déboutés reçoivent une OQTF. À terme, il sera nécessaire de délivrer automatiquement une obligation de quitter le territoire français à l’ensemble des personnes déboutées, même s’il faudra la suspendre le temps de l’appel devant la CNDA.

Par ailleurs, pourquoi ne pas remettre des visas aux ressortissants géorgiens et albanais, dont l’augmentation des demandes d’asile a été de l’ordre de 150 % en 2020, ce qui représente près de 10 000 demandeurs d’asile par an ?

Nous saluons, dans ce budget, l’augmentation du nombre de places en centre de rétention administrative. Nous demandons, afin de les garder sous la main, un placement plus important des demandeurs d’asile provenant de pays sûrs, sachant qu’ils seront in fine déboutés. Nous sommes particulièrement inquiets des résultats imputables à l’absence de politique migratoire : 500 000 clandestins, des éloignements lamentables – 13 000 en 2021, 22 vers l’Algérie au début de cette année –, et une aide médicale d’État qui dépasse le milliard d’euros.

Je m’interroge sur la sincérité des documents budgétaires qui nous ont été transmis. La cible à atteindre sur la part des demandeurs d’asile hébergés a été abaissée : elle représentait 90 % dans le PLF pour 2022 ; elle est de 70 % dans le PLF pour 2023. La part des places occupées par les demandeurs d’asile dans le dispositif national d’accueil était de 89 % dans le PLF pour 2022 ; elle est de 84 % dans le PLF pour 2023. S’agit-il d’une baisse d’ambition, d’une baisse des moyens ? Vos propositions antérieures étaient-elles des mensonges présentés à la représentation nationale ?

Sommes-nous sûrs que les chiffres que vous nous présentez aujourd’hui sont les bons ? Je pense en particulier aux délais moyens de traitement d’un dossier par l’Ofpra : dans le PLF pour 2022, ils étaient estimés à 112 jours, mais la réalité était de 261 jours, soit près du double. Se pose donc la question sur la cible 2023 de la loi Collomb, à 60 jours : vous viseriez une division du délai quasiment par cinq, alors que vous ne créez que huit emplois supplémentaires à l’Ofpra et que nous devrons probablement faire face à une augmentation de la demande d’asile.

Le nombre d’éloignements en 2021 était prévu à 3 000 dans le PLF pour 2021 ; vous nous en proposez 7 000 dans le PLF pour 2023. Comment allez-vous doubler ce nombre, alors que le budget dédié aux étrangers en situation irrégulière ne compense, en réalité, que l’augmentation des places de CRA, le kérosène et les achats de billets ? Ce budget ne permettra pas d’augmenter, ni a fortiori de doubler les expulsions.

Je m’interroge donc sur l’adéquation des moyens financiers aux objectifs politiques annoncés, sachant notamment que la dotation pour l’allocation pour demandeurs d’asile est fondée sur 135 000 demandes d’asile introduites à l’Ofpra, soit le chiffre de 2019. Pouvez-vous nous garantir la validité de ce chiffre ? Quelles sont les tendances pour 2022 ?

Dans ma circonscription, le tribunal administratif de Lille vient d’annuler trois arrêtés préfectoraux d’interdiction de distribution des repas à Calais. Quelles seront vos consignes aux préfets ? Leur demanderez-vous de ne plus prendre de tels arrêtés, ou reverrez-vous votre position pour continuer à protéger la population et éviter la création de points de fixation ?

M. Emmanuel Mandon (Dem). Avec une hausse globale de 6 % par rapport au projet de loi de finances pour 2022, les crédits de la mission Immigration, asile et intégration amplifient les efforts engagés en faveur des programmes 303 et 104, en accordant aux pouvoirs publics de nouveaux moyens. La trajectoire budgétaire proposée nous semble préfigurer le projet de loi sur l’immigration annoncé pour le début de l’année 2023, dont l’ambition, sans préjuger l’issue de la concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, devrait consolider les trois axes d’action stratégique de la politique migratoire : la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment à l’égard des profils dangereux ; l’intégration des étrangers en situation régulière ; la garantie du droit d’asile.

Le premier objectif, la lutte contre l’immigration irrégulière et le contrôle des flux, est un sujet de cohésion sociale, à n’en point douter, tout comme l’acceptation d’une immigration légale fondée sur les besoins économiques. C’est un débat ancien et permanent, auquel les gouvernements successifs ont tenté de répondre, notamment par la politique des quotas.

Depuis 2016, une autre voie a été choisie, avec le passeport talent qui vise à attirer la main-d’œuvre qualifiée, mais ne parvient pas à répondre aux besoins en emploi des secteurs en tension. C’est un sujet majeur, indissociable de la conduite d’une politique volontariste et assumée contre l’immigration irrégulière. Nous espérons que le futur projet de loi nous permettra de l’aborder sereinement. Vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur l’implication notre groupe.

Face à des flux migratoires internationaux et européens aussi importants qu’aujourd’hui, une politique efficace contre l’immigration illégale doit plus que jamais être pilotée. Le renforcement des leviers budgétaires y concourt, avec l’arsenal permettant de rendre effectives les décisions d’éloignement. Les outils sont divers, de l’aide au départ volontaire assortie d’une aide juridique et à l’insertion, au retour forcé, en passant par l’expulsion des profils dangereux, car nous savons d’expérience que seules les réponses individualisées sont pertinentes. Le taux de reconduite à la frontière en 2021 n’était que de 43 %. Pour 2023, nous relevons le déploiement en parallèle de nouveaux crédits en AE, à hauteur de 61,40 millions d’euros pour la rétention administrative des clandestins, et de 44,12 millions pour l’exécution des décisions de reconduite à la frontière des irréguliers, tout aussi importante.

En matière de garantie de l’exercice du droit d’asile, la France, comme ses voisins européens, a dû faire face à une forte augmentation des demandes. Les efforts budgétaires consentis ces dernières années ont incontestablement permis de réduire significativement les délais de traitement des demandes et des décisions de naturalisation de l’Ofpra. Nous prenons acte du maintien du haut niveau d’engagement financier pour 2023, tout en insistant sur l’importance de poursuivre l’accélération de l’instruction des dossiers.

Déposer une demande de titre de séjour reste une démarche compliquée pour beaucoup d’étrangers. Si l’Ofpra s’améliore, dans les préfectures, premiers guichets d’enregistrement de la demande d’asile, l’engorgement est d’autant plus fort que le décret du 24 mars 2021 a rendu obligatoires les démarches en ligne. Le ministère de l’intérieur s’est engagé à proposer d’autres modalités de dépôt, pour satisfaire à la décision du Conseil d’État annulant partiellement le décret, mais elles ne sont toujours pas effectives. Nous espérons des informations concrètes.

Le soutien budgétaire à l’accompagnement global et individualisé des demandeurs d’asile va dans le bon sens. Néanmoins, alors que notre pays reste confronté à de forts flux secondaires venus par la Méditerranée, pour que notre politique d’asile soit réellement efficace, la réponse doit être européenne.

Le programme 104 Intégration et accès à la nationalité française, dont les crédits sont en hausse de 24,3 %, est déterminant si nous voulons préserver une approche efficace conciliant une promesse républicaine et une immigration maîtrisée et contrôlée.

Le groupe Démocrate votera les crédits de cette mission.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Notre groupe est soucieux d’une immigration contrôlée, mais sans y trouver prétexte à gesticulation. Pour avoir été magistrat administratif, j’observe que la difficulté de régularisation fait perdre beaucoup de temps aux préfets, aux associations méritantes, aux parlementaires et aux élus, même lorsque les situations, de toute évidence, justifient la régularisation. Nous gagnerions en crédibilité si nous savions gérer ces questions bien plus rapidement.

L’idée d’un parrainage, tel qu’évoqué par Mme la rapporteure, me paraît une piste intéressante. Ce n’est d’ailleurs pas autre chose que nous faisons lorsque nous demandons une régularisation : nous présentons un dossier montrant, preuves à l’appui, l’opportunité de cette intégration pour la personne qui est en France depuis longtemps, et son utilité pour la société, car, très souvent, l’entreprise souhaite l’embaucher.

Sur ce point précis, il nous manque vraiment une circulaire. Nous avons la circulaire Valls, mais nous ne sommes sûrs ni de la réalité de son application, ni de pouvoir nous appuyer dessus. Certes, une circulaire ne peut pas intervenir dans un jugement ; toutefois il est essentiel qu’en matière de régularisation, la position des préfets soit connue et ne diffère pas d’une préfecture à l’autre. Bien évidemment, le juge ensuite est souverain mais, avant d’aller devant lui, concentrons-nous sur la possibilité de régulariser les personnes qui, de toute évidence, le méritent et, de toute évidence, ne retourneront pas dans leur pays.

Au passage, remercions les associations, diocésaines ou autres, qui travaillent sur ces dossiers complexes. Elles participent à l’intégration et évitent bien souvent à ces personnes de dormir dehors.

Dans cette difficulté de régularisation, que peut-on faire avec la circulaire Valls ? Est-elle toujours d’actualité ? Peut-on s’en emparer pour plaider des dossiers qui nous paraissent incontestables ? Actuellement, on sent que la vis se resserre ; la situation devient extrêmement difficile, compliquée pour le corps préfectoral, mais plus encore pour les personnes qui sont à la porte de la France républicaine.

La difficulté de dépôt des dossiers a été dénoncée à maintes reprises. Il n’est pas admissible, en France, d’être dans l’impossibilité de déposer un dossier. En tant que parlementaires, nous recevons des étrangers qui ont demandé un rendez-vous en ligne et à qui on a répondu qu’il n’était pas possible de leur en accorder un. Le service public chargé d’exécuter une politique publique majeure ne fonctionne pas.

Je redoute que nous nous heurtions aux mêmes difficultés avec le dispositif d’accès à la nationalité qui reposera sur le système de dématérialisation d’information Natali. Des personnes qui sont très éloignées du numérique ont la volonté de bien faire, mais n’arrivent pas à déposer leur dossier. Nous sommes prêts à intervenir, car ce n’est pas l’espace France Services qui résoudra le problème, nous le savons déjà.

Enfin, d’après le jaune budgétaire, les cabinets de conseil sont, dans leur grande majorité, retenus par le ministère de l’intérieur. Allez-vous finalement décider de l’internalisation, qui est vraiment souhaitée pour travailler mieux à cet accueil dématérialisé dont la préfecture ou, en tout cas, le ministère de l’intérieur devrait faire son affaire ?

M. Philippe Pradal (HOR). Les crédits de la mission Immigration, asile et intégration s’élèvent pour 2023 à plus de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement. Cela représente des augmentations significatives que le groupe Horizons souhaite souligner : 34,18 % pour les AE, 5,94 % pour les CP.

Financer correctement un accueil et une intégration plus humains toujours aussi nécessaires, sans pour autant renier une politique claire et efficace vis-à-vis de ceux qui entrent irrégulièrement sur notre territoire ou qui s’y maintiennent sans droit ni titre, ainsi pourrait être résumé l’objet de la mission. Pour le groupe Horizons, cette dynamique, évoquée par le Président de la République le 22 septembre dernier, semble se traduire de manière pertinente dans les crédits attribués.

Fort d’une longue tradition d’accueil des demandeurs d’asile, l’État se doit d’être à la hauteur. Notre groupe approuve donc la forte concentration des crédits consacrés à cette action, avec près de 2 milliards en AE et 1,2 milliard en CP. L’objectif de réduction des délais de traitement d’une demande d’asile à l’Ofpra, à 60 jours contre 75 jours en 2022 et plus de 260 jours en 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire, est déterminant. En outre, notre groupe tient à saluer la création de 2 500 places supplémentaires pour les demandeurs d’asile au sein des Huda et des Cada.

L’intégration est également un aspect déterminant de la politique migratoire de la France. Ainsi, le renforcement de plus de 70 % des crédits en faveur de cette action est bienvenu. Nous nous réjouissons que plus des trois quarts de ces crédits soient mis à disposition des préfets de région, compte tenu de la nécessaire territorialisation des politiques d’intégration. Les 273 millions d’euros ainsi consacrés visent notamment à financer l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), mais également les dépenses afférentes au contrat d’intégration républicaine (CIR).

Instauré par la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, ce contrat a pour objet l’appropriation des valeurs de la République, la maîtrise de la langue française et l’insertion professionnelle de l’étranger primo-arrivant. Le CIR matérialise l’engagement de la personne qui veut s’installer en France. Chaque année, quelque 100 000 personnes signent ce contrat. Notre groupe salue l’intégration du volet insertion professionnelle, en partenariat avec Pôle emploi depuis le 1er janvier 2022, car l’insertion professionnelle demeure une clé incontournable de l’intégration des primo-arrivants.

Tout cela doit aller de pair avec la lutte contre l’immigration irrégulière. Cette dernière voit ses moyens renforcés à hauteur de 205 millions d’euros en AE et 169 millions en CP, soit des augmentations respectives de 31,66 % et 17,83 % par rapport à 2022. Ils iront renforcer le contrôle aux frontières, les mesures d’éloignement, la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, et la lutte contre les filières. La création, dès 2023, de 102 places supplémentaires au sein de 26 centres de rétention administrative est à souligner, l’objectif étant d’atteindre 50 % de places supplémentaires d’ici à 2025 par rapport à 2017. Les efforts visant à augmenter le taux d’exécution des OQTF doivent également se poursuivre.

Il importe que l’accent soit mis sur la formation linguistique des signataires du CIR. Si en 2022, 76 % d’entre eux atteignent le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), l’objectif de 80 % pour 2023 et 90 % à l’horizon 2025 nous semble hautement souhaitable. Les documents budgétaires insistent sur le renforcement de l’évaluation initiale du niveau de langue des signataires du CIR, afin d’améliorer l’orientation vers les différentes formations proposées – A1, A2 ou B1.

Je souhaiterais savoir si les signataires du CIR bénéficient majoritairement de formations visant le niveau A1. Le cas échéant, ne serait-il pas pertinent d’élever le niveau d’exigence au niveau A2, voire encore supérieur ? D’autres pays l’ont fait avec, parfois, un certain succès.

En tout état de cause, les crédits attribués à cette mission nous semblent aller dans le bon sens et viser le bon équilibre. Le groupe Horizons votera donc en faveur des crédits alloués à cette mission.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). On ne peut que se réjouir des efforts déployés en faveur des réfugiés ukrainiens et des augmentations budgétaires. Toutefois, des questions restent en suspens.

En prenant le bus ou le tram pour se rendre de Strasbourg, où j’habite, à Kehl, on est frappé par la différence dans l’accueil qui existe entre les deux villes. À Kehl, les personnes ne vivent pas dans des bidonvilles, sous des tentes, dans des conditions indignes ; les conditions d’accueil sont en dur, en toute humanité. On ne peut pas dire que l’Allemagne est le pays le plus à gauche en Europe, ni celui qui compte le plus de députés NUPES. Pourtant, les Allemands arrivent à faire des choses que nous ne faisons pas.

Ce constat m’incite à m’interroger sur l’inégalité de traitement entre les différents territoires en France. Strasbourg doit être la neuvième ville de France, elle compte 300 000 habitants et elle devra rendre 10 % des places d’accueil qui seront supprimées en France, soit 700 sur 7 000, quand l’ensemble du département en perdra 1 000. Un septième des places sera donc supprimé dans ce seul département, qui est loin d’être l’un des plus peuplés de France, et qui, en tout cas, ne représente pas le septième de la France. Pourquoi cette ville et ce département sont-ils ainsi particulièrement touchés ?

Je m’interroge d’autant plus que Strasbourg est une capitale européenne, la ville qui abrite toutes nos institutions européennes : la Cour européenne des droits de l’homme et toutes les institutions des droits humains. C’est donc un territoire qui attire plus que d’autres des flux de personnes qui viennent rechercher le droit et la reconnaissance de ce qu’elles ont subi. Derrière cette inégalité de traitement, n’oublions pas tout cela.

Les suppressions de places d’hébergement mettent surtout en exergue des situations catastrophiques : 42 000 enfants sans abri en France dorment dans la rue. Des collègues ont signé une tribune transpartisane ; certains de votre coalition les ont rejoints, pour rappeler l’urgence à agir.

Dans tout ce qui nous est ici présenté, je relève encore de nombreux questionnements qui me poussent à dire que l’on n’avancera pas. Les moyens financiers sont bien là, mais ils sont déployés, non pour la solidarité, non pour l’accueil, mais pour le renforcement de contrôles qui n’en finissent pas de démontrer leur incapacité à endiguer les flots. Pourquoi donc tout cet argent là où il est inutile, alors qu’il pourrait au moins servir notre devise républicaine ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le budget consacré à l’immigration est certes en hausse, mais pas pour rechercher l’efficacité par l’accueil. C’est un budget qui, depuis quelques années, est déterminé par un agenda politique. On a vu, pas plus tard qu’il y a quelques instants, combien ce thème est instrumentalisé, et à un degré d’écœurement rarement atteint.

Sur la question migratoire, le Gouvernement joue avec le feu. Pourtant, s’il est un défi important à relever pour notre pays et pour de nombreux autres au XXIe siècle, c’est bien celui de l’organisation et de la préparation de l’accueil dans de bonnes conditions. Or ce budget immigration ne s’en soucie pas. Il ne se soucie pas non plus des alertes ou des condamnations prononcées en cas de bafouement des droits humains parfois les plus fondamentaux, comme l’accès à l’eau.

Dans la continuité de la réforme des conditions de rétention portée par le projet de la loi « asile immigration » en 2018, le plan d’investissement dans les centres de rétention prévoit une augmentation du nombre de places et du taux d’occupation. La capacité dite immobilière d’accueil pour l’ensemble des vingt-deux CRA de métropole est de 1 859 places en 2022, contre 1 719 places en 2021. En 2023, elle sera portée à 1 961 places, avec la création du CRA d’Olivet et l’extension de celui de Perpignan.

C’est une rétention qui s’apparente de plus en plus à une détention : on passe désormais directement de la prison au centre de rétention, notamment dans les zones frontalières, comme Menton, où les droits fondamentaux des migrants sont bafoués au quotidien. Une rétention qui continue d’accepter et d’autoriser la présence d’enfants, en dépit des neuf condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que la rétention d’enfants constitue un traitement inhumain et dégradant. Si certains ici n’ont rien à faire de la Cour européenne des droits de l’homme, ce n’est pas mon cas, et je pense que nous devons nous soucier de ses condamnations.

En 2021, quarante et une familles, dont soixante-seize enfants, ont été enfermés en rétention dans l’Hexagone, et bien plus à Mayotte. Des pratiques illégales sont toujours constatées, telles que le rattachement fictif de mineurs à des adultes tiers ou des expulsions expéditives, au mépris du droit à un recours effectif, et parfois en violation de l’interdiction de renvois collectifs. J’ai pu constater moi-même, à Menton, le refoulement de mineurs à la frontière.

Dans le même temps, le Gouvernement prévoit une baisse drastique de l’enveloppe allouée à l’allocation pour demandeurs d’asile, puisque cette dernière sera amputée de 36 %. Cette baisse serait justifiée par l’anticipation de délais d’instruction plus serrés et par un renforcement de la lutte contre les fraudes. « Ça va aller mieux, les délais seront raccourcis », c’est ce qu’on nous répète en permanence. Pareil dans les préfectures : la dématérialisation permettra de gagner du temps, donc on réduit les moyens en amont. En réalité, cela ne fonctionne pas ; les délais s’allongent davantage et l’engorgement gagne. Comment ne pas y voir des économies faites sur le non-respect des droits ? Comment le comprendre en pleine guerre de la Russie contre l’Ukraine, alors que les réfugiés ukrainiens disposent de cette aide ?

Dans ce budget comme dans bien des précédents, l’apprentissage du français langue étrangère est le parent pauvre. La langue, si elle n’est pas maîtrisée, peut constituer un réel facteur d’exclusion pour les personnes étrangères, sur le plan social comme professionnel. C’est un incontournable des démarches administratives : maîtrisée, elle est un formidable outil de partage et d’intégration, et permet également un parcours sans rupture, pour peu qu’on y mette les moyens.

Notre pays se prévaut beaucoup de la francophonie en dehors de ses frontières, mais il n’est vraiment pas à la hauteur sur son territoire, alors même que la connaissance de la langue française y est l’une des conditions d’intégration exigée par l’administration. Au reste, si je ne me trompe pas, monsieur le ministre, vous comptez encore renforcer cette condition dans votre projet de loi. Il ne peut donc s’agir seulement d’une injonction ; il faut mettre les moyens. Ce sera le sens de l’un de mes amendements.

Enfin, ce budget est toujours dans l’hypocrisie par rapport à ces 600 000 à 700 000 personnes sans papiers qui travaillent dans notre pays, qui y paient leurs impôts, qui y scolarisent leurs enfants, y vivent et aspirent à y rester. La circulaire Valls participe de cette hypocrisie et aide beaucoup de patrons à exploiter sans vergogne ces salariés.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions individuelles des députés.

Mme Sarah Tanzilli (RE). La transformation numérique est un enjeu majeur de ces prochaines années, et la nouvelle criminalité impose de se doter d’outils numériques et d’agents des forces de sécurité intérieure formés. Plus spécifiquement, nos services de police judiciaire spécialisés dans la cyberpédocriminalité manquent encore de moyens humains et du matériel nécessaire pour lutter efficacement contre ce phénomène grave et intolérable. Le groupe central des mineurs victimes (GCMV), chargé de la pédocriminalité au sein de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), effectue à Nanterre un travail remarquable, mais ne peut pas intercepter autant d’agresseurs qu’il le faudrait.

En tant que ministre de l’intérieur, vous êtes particulièrement attentif au déploiement d’investissements dans le numérique et la lutte contre la cybercriminalité, ce qui se traduira par la création d’une école cyber et d’un groupe de cyberpatrouilleurs. Comment articuler la lutte contre le la cyberpédocriminalité et l’action de ces derniers ? Le nombre d’enquêteurs au sein du GCMV, chargé de la pédocriminalité sur le volet cyber, sera-t-il augmenté ? 

M. Rémy Rebeyrotte (RE).  Vous aviez envisagé, il y a quelques années, de déconcentrer des services du ministère de l’intérieur dans nos territoires, hypothèse que vous aviez soulevée dans une logique d’aménagement du territoire. Une telle déconcentration est‑elle toujours d’actualité ?

La loi « sécurité globale » prévoyait une adaptation des formations, et surtout de leur durée, pour les policiers municipaux originaires de la police nationale et de la gendarmerie, du fait que leur parcours facilite leur intégration rapide dans nos communes et apporte un confort supplémentaire à la gestion de la sécurité publique dans nos collectivités territoriales. Apparemment, cela ne fonctionne pas tout à fait comme nous avions pu l’imaginer.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Avant les élections, la reconstruction de quatre gendarmeries avait été annoncée dans notre département de Saône-et-Loire. Or l’opérateur fait défaut et annonce qu’au vu des modalités financières, il ne construira pas ces gendarmeries. Il semblerait que se pose un problème d’accompagnement dans le financement de la construction. Je tenais à vous alerter sur cette question.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Tanzilli, je voudrais ici vous annoncer la création d’un office de police judiciaire supplémentaire, en complément de l’OCRVP. Il sera spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux mineurs, puisque les crimes à l’encontre des mineurs sont en progression, dans le cadre d’internet notamment. Cet office sera confié à la police judiciaire et bénéficiera de trente enquêteurs supplémentaires.

Le premier office manque en effet d’enquêteurs. Il s’agit de profils très spécialisés et, lorsque des postes sont ouverts, nous ne trouvons pas toujours de candidats. Cet office lutte contre la pédocriminalité, notamment sur internet. Le second office, qui s’occupera des mineurs, répondra, je pense, à votre souhait. Il me semble qu’est ainsi démontré qu’en créant des offices de police judiciaire, on ne supprime pas de police judiciaire. Peut-être, un jour, arriverai-je à faire entendre cet argument – la preuve du pudding est qu’il se mange !

Monsieur Rebeyrotte, nous déconcentrons 2 500 emplois dans les territoires, comme je l’avais déjà fait lorsque j’étais à Bercy. Je citerai, en autres exemples, l’IGPN au Havre.

S’agissant de la police municipale, je suis plus circonspect. Cette question relève de la fonction publique territoriale et du fonctionnement de l’Association des maires de France. Je les invite à exprimer ce qu’elles souhaitent pour leur police municipale. Par exemple, faut-il des écoles de formation de police municipale ?

En outre, la police municipale n’est pas la même à Nice qu’à Paris, Grenoble ou Tourcoing. Le code général des collectivités territoriales dispose que chaque ville l’organise comme elle le souhaite, par le biais de ses organes délibérants. N’étant pas l’employeur des polices municipales, j’aurais du mal à avoir une position – d’ailleurs, il y a autant de polices municipales que d’employeurs municipaux. La question est intéressante, mais elle relève de l’échelon décentralisé. Je respecte les compétences prévues par l’article 72 de la Constitution. Si vous pensez nécessaire de modifier les choses, je laisse cela à votre sagacité d’élus locaux et de parlementaires.

Dès que l’on parle d’immigration, pas grand monde ne reste calme. J’ai entendu des propos excessifs de part et d’autre.

Je voudrais tout d’abord saluer le travail de Mme la rapporteure, intéressant et parfois critique, notamment sur l’amélioration du service public – le sujet peut en effet susciter des critiques nombreuses. Des choses ont été dites qui vont me pousser à dévoiler des arbitrages de la loi à venir sur l’immigration.

Par exemple, je trouve inacceptable que seul l’employeur puisse demander la régularisation de la personne embauchée sans papiers. Nous proposerons donc, avec Olivier Dussopt, que ce soit l’employé, et non l’employeur, qui demande la régularisation, afin d’éviter cette pression, que l’on pourrait qualifier « d’armée de réserve », de la part de patrons voyous. Nous renforcerons d’ailleurs très fortement les sanctions contre les employeurs qui embauchent des sans-papiers. Ces sanctions sont extrêmement réduites, en tout cas peu appliquées, et cela donne lieu à des calculs sur les économies réalisées entre le moment de l’embauche d’un sans‑papiers et celui de l’intervention des organes de contrôle – personne n’a jamais raisonné ainsi pour un ticket de métro, bien évidemment ! Voilà un exemple de délinquance en col blanc contre laquelle il convient de renforcer les dispositions.

Les files d’attente dans les préfectures, de physiques sont devenues en grande partie numériques. Les raisons en sont multiples. Madame Untermaier, j’ai beaucoup de respect pour votre personne et pour le travail que vous accomplissez. Mais enfin, pas vous et pas ici ! Les suppressions d’emplois dans les préfectures durent depuis quinze ans. Je les ai arrêtées quand j’étais ministre des comptes publics, à la demande du Président de la République. Vous avez supprimé 1 422 emplois dans les préfectures, sous trois majorités qui se sont succédé et singulièrement durant le quinquennat du président Hollande. Vous avez supprimé 56 % des emplois dans les services des étrangers des préfectures et, vous avez raison, en conséquence de cette politique il y a moins d’agents derrière les guichets.

Pour la première fois depuis quinze ans, nous avons cessé de supprimer des emplois dans les préfectures et, dans ce PLF, nous proposons d’en créer un petit peu moins de 400 au cours des cinq prochaines années. Sans doute n’est-ce pas suffisant mais, madame Untermaier, vous pourriez reconnaître avec honnêteté avoir commis une erreur, à une époque, en supprimant des emplois en préfecture. Puisqu’il faut des agents supplémentaires pour réduire le temps d’attente, nous allons recruter des agents de préfecture. Il serait donc intéressant que vous votiez les crédits qui permettent la re-création de ces postes.

Le système ne fonctionne pas bien non plus parce qu’on demande aux étrangers de revenir devant les guichets de préfecture, alors qu’ils ont déjà un titre de séjour. Nous créons nous-mêmes des sans-papiers alors qu’ils ont des papiers, qu’ils travaillent et n’ont aucun problème avec l’ordre public. C’est la raison pour laquelle le chiffre des personnes en situation irrégulière sur le territoire national n’est pas très honnête, dans la mesure où des personnes deviennent sans-papiers parce que nous ne sommes pas capables de leur donner des rendez-vous à temps dans les préfectures.

On leur demande de renouveler leur titre de séjour notamment lorsqu’ils changent d’employeur.  Ce n’est pas normal, cela prend du temps aux agents de préfecture et c’est mal accueillir l’étranger qui travaille et vit normalement sur le territoire de la République. Nous proposerons donc, avec Olivier Dussopt, que la personne qui change simplement d’employeur n’ait pas à demander de nouveaux papiers, et que le titre concerne l’étranger et non pas son employeur et son emploi. Contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, nous voulons être gentils avec les gentils, et méchants avec les personnes qui posent des difficultés à la République.

Par ailleurs, j’ai personnellement été touché, lorsque j’étais maire, par la question des chibanis algériens, qui ont quasiment toujours vécu sur le territoire de la République française, qui sont venus en France au moment où l’Algérie était française et à qui on demande encore, à 80 ans, de se présenter dans les préfectures. Ces personnes ne posent aucun problème d’ordre public, elles sont tout à fait intégrées, voire assimilées. Pour diverses raisons, elles choisissent de ne pas prendre la nationalité française ; c’est leur droit le plus strict. Nous prendrons donc des dispositions afin de ne plus faire l’insulte à ces personnes d’avoir à se présenter, ce qu’elles font aujourd’hui et qui embolise le fonctionnement des préfectures. Je parle des chibanis algériens, mais cela peut être le cas d’autres personnes.

On peut bien ajouter des ETP et des crédits supplémentaires – j’en suis toujours heureux –, mais il y a aussi une question d’organisation de nos services du ministère de l’intérieur.

J’en viens aux questions sur l’ADA. Fin 2022, 125 000 personnes perçoivent l’ADA ; s’ajoutent à cela 80 000 autorisations provisoires de séjour (APS), l’équivalent de l’ADA pour les Ukrainiens – ceux-ci ne sont donc pas pris en compte parmi les allocataires de l’ADA.

Au passage, la comparaison entre le dispositif destiné aux réfugiés ukrainiens et l’ADA n’est pas juste. Si la France insoumise ou Europe Écologie-les Verts souhaitent que le régime de l’asile soit aligné sur le système appliqué aux Ukrainiens, chiche ! Sachez tout de même qu’en contrepartie, les Ukrainiens ont l’obligation de retourner, au bout de trois ans, dans un pays qui ne sera plus en guerre. Si vous souhaitez cette solution, je ne la trouve guère humaniste. Les Syriens et les Afghans ne seraient peut-être pas très heureux d’avoir à repartir dans trois ans dans des pays qui, a priori, ne sont pas chavirés par la démocratie. Heureusement que nous ne retenons pas cette proposition.

Nous diminuons l’ADA parce que, l’année dernière, nous avons inscrit plus de crédits que nous n’en avons consommés. Contrairement à ce que vous avez dit, madame Faucillon, depuis que je suis ministre de l’intérieur, nous avons surévalué les crédits. Sur un peu plus de 400 millions d’euros inscrits, vous constaterez que nous en avons dépensés moins, à hauteur de 380 millions. Nous gagnons désormais du temps avec les demandes d’asile, certes, encore insuffisamment, parce que l’ADA est versée avant que la personne ait ou n’ait pas obtenu le droit d’asile. D’ailleurs, au bout de six mois, elle peut travailler.

Dans le projet de loi que nous présenterons avec Olivier Dussopt, nous nous demandons s’il ne faudrait pas avancer le versement de l’ADA pour certains demandeurs d’asile – ceux qui ne travaillent pas, ceux dont on est certain qu’ils ne pourront pas repartir dans leur pays, comme les personnes qui viennent d’Afghanistan, par exemple.

Il ne faut pas voir autre chose que notre capacité à être plus efficaces à l’Ofpra. Tout le monde le dit et le constate, notamment grâce aux ETP que vous avez votés. Nous sommes moins efficaces sur le plan de la juridiction administrative. Nous statuons désormais en 140 jours. L’Ofpra enregistre à ce jour un stock de 40 000 dossiers, contre 84 000 quand je suis devenu ministre de l’intérieur. Nous aurions donc divisé par deux le stock, alors que nous recevons davantage de demandes d’asile qu’en 2020, en période de covid. Nous sommes plus performants.

En revanche, la CNDA et les tribunaux administratifs ont parfois allongé leurs délais, pour de multiples raisons, notamment liées au covid. Les juges collégiaux de la CNDA ne voulaient pas se réunir autrement que physiquement, ce qui a retardé l’étude des dossiers. Des mouvements sociaux importants ont touché la CNDA, notamment à l’initiative des barreaux d’avocats, pour protester contre la réforme des retraites par points imaginée par l’ancien gouvernement. Bref, l’Ofpra a diminué ses délais, et la juridiction administrative les a soit maintenus, soit allongés.

C’est la raison pour laquelle, dans la réforme que nous proposerons au Parlement, une mesure touche profondément au fonctionnement de la juridiction administrative, notamment de la CNDA, en lien avec le Conseil d’État. Je ne la détaillerai pas ici ; pour résumer, elle passera par la territorialisation en lien avec les Guda, ce qui permettra de gagner un mois avant d’autoriser une entrée ; la possibilité de recourir au juge unique et la possibilité d’accéder à la visio-audience.

Je rappelle à Mme Faucillon et à Mme Brocard que les crédits de l’ADA diminuent de 170 millions, pour se situer à 321 millions d’euros en 2023. Nous pensons que nous resterons dans cette épure. Nous verrons, bien évidemment, ce qu’il en sera l’année prochaine. En tout cas, je pense que l’examen des deux années budgétaires passées suffit à rendre caduque votre démonstration.

La mise en place de l’Anef, vous avez raison, madame la rapporteure, n’est pas simple mais cela ne m’effraie pas outre mesure, puisque je mène d’autres projets informatiques au ministère de l’intérieur, après en avoir mené d’importants au ministère des comptes publics, en particulier celui de l’impôt à la source. Autant, on peut se poser la question du pilotage du dossier par la police nationale, autant dans la préfectorale, on constate une réussite s’agissant des titres dématérialisés des demandeurs d’emploi. Cela mérite d’être souligné, parce que vous nous aviez interrogés l’année dernière sur cette politique de dématérialisation. Nous relevons qu’elle se révèle d’une grande efficacité pour tout le monde, y compris pour les personnes qui attendent bien moins longtemps et qui sont beaucoup plus réactives.

Le projet informatique de l’Anef concerne des systèmes d’information plus complexes, dont la mise en place s’achèvera dans les semaines et mois qui viennent. Mais nous avons d’ores et déjà gagné des délais importants : par exemple, dix-sept jours désormais pour un titre étudiant, treize jours pour un titre talent et un seul passage en préfecture contre trois jusqu’à présent.

Ce n’est pas l’alpha et l’oméga, il faut poursuivre notre effort. Certaines préfectures, comme celle du Nord, par exemple, ont instauré un système de prises de rendez-vous. Au moins, l’étranger sait quel jour il peut se présenter à la préfecture. Ce n’est pas le cas partout. Parfois, les files d’attente numériques ne s’organisent pas pour les prises de rendez-vous, la gestion se fait au fil de l’eau du traitement des mails, posant des problèmes à de nombreuses personnes. Reste toujours une possibilité de rencontre physique, qui se heurte, toutefois, à la suppression des effectifs dans l’administration préfectorale, au télétravail et à la crise du covid que nous avons vécue. L’honnêteté aurait peut-être dû pousser un certain nombre d’entre vous qui contestez la politique du Gouvernement, à droite comme à gauche, à rappeler que nous avons traversé une crise sanitaire. Reconduire les étrangers à la frontière quand les avions ne volent pas, ou quand des tests sanitaires sont demandés en toute occasion, est assurément rendu compliqué ! En période de covid, les touristes ne circulent pas, et on ne renvoie pas non plus les étrangers dans leur pays.

Monsieur le député Houssin, j’ai appris que l’un de vos camarades de campagne d’extrême droite allait réserver le nom de domaine de la jeune fille et récupérer des données pour en faire publicité. Vous pouvez être dépassé dans l’ignominie !

L’OQTF a été émise le 22 août 2022 à l’encontre de la suspecte, qui n’était pas connue des services judiciaires, si ce n’est pour violences conjugales. Si vous aviez travaillé davantage le droit des étrangers, vous auriez su que les étrangers victimes de violences conjugales sont protégés par la loi et par l’action des préfets. Peut-être voudriez-vous changer la loi, mais, pour l’heure, elle s’applique.

Vous dites que l’auteure supposée, en tout cas la suspecte, a reconnu les faits. Je respecte, quant à moi, le secret de l’instruction. La principale suspecte est algérienne. Elle est arrivée légalement sur le territoire national avec un titre d’étudiante ; elle a d’ailleurs passé, me semble-t-il, un CAP. De ce que nous savons aujourd’hui, elle a été victime de violences conjugales. Le préfet et la loi protègent les victimes des violences conjugales, y compris lorsqu’elles n’ont pas de papiers ; il s’agit donc d’une procédure particulière. Fin août, elle a fait l’objet d’un contrôle de police, à l’occasion duquel nous avons constaté que son titre de séjour n’était plus valide. Elle a donc fait immédiatement l’objet d’une OQTF.

Âgée de moins de 25 ans, n’ayant par ailleurs aucun casier judiciaire – je le précise parce que vous avez parlé des multirécidivistes –, étant elle-même apparue comme otage, victime de violences conjugales, nous avons organisé un départ aidé, une procédure qui fonctionne puisque nous en avons enregistré 1 583 depuis le 1er janvier. Fin septembre, elle n’est pas repartie, mais je vous rappelle, monsieur le député, que nous sommes un État de droit et que les gens peuvent présenter des recours. Cette personne, en l’occurrence, n’avait pas épuisé son délai de recours. J’ignore si elle l’a déposé, mais si elle l’a fait, le délai était suspensif.

À un moment, il faut reconnaître l’inexactitude de votre présentation. Au début de votre propos, vous avez déclaré que six Algériens avaient été arrêtés pour le meurtre de cette petite fille. Au bout de quelques heures, la justice en a relâché quatre. On ne vous entend pas formuler de remarques particulières sur le fait que vous avez peut-être été un peu rapide !

Sur la principale suspecte, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que la police a fait son travail et que voilà sept semaines que cette personne avait l’obligation de quitter le territoire. Dans aucun pays du monde, on n’expulse quelqu’un en sept semaines. Si vous connaissez ne serait-ce qu’un pays qui soit plus efficace en matière de reconduite à la frontière que la France, dites-le moi !

Au cours d’une dernière réunion, votre groupe a cité la Grande-Bretagne. On voit bien à quel point ce sont des chimères. Les Britanniques expulsent 4 500 personnes par an ; la France en a expulsé 14 565 depuis le début de l’année. J’ajoute que l’accord avec le Rwanda n’a jamais existé, puisqu’il n’est jamais entré en vigueur. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal expulsent moins de personnes que la France. La France est le pays qui expulse le plus de personnes.

La situation que nous connaissons touche tous les pays occidentaux. On peut toujours discuter du nombre d’étrangers que nous voulons recevoir et du type de migration que nous voulons. Il faut d’abord avoir le courage de dire que plus de la moitié de cette immigration est familiale, rendue automatique par le regroupement familial, mais pas uniquement. La question se posera aux parlementaires. L’immigration de travail représente 9 %, les titres étudiant environ 10 %, et le reste forme les demandes d’asile.

Vous releviez la nécessité de les réguler. Comment voulez-vous réguler la demande d’asile, à moins de changer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution de la Ve République ? Je vous ai découvert très gaulliste dernièrement, aussi, je suis un peu étonné que vous vouliez toucher à la Constitution du Général de Gaulle et au préambule de celle de 1946. On ne peut pas fixer de quotas sur le droit d’asile car, par nature, les personnes qui demandent l’asile sur le territoire national sont pourchassées pour des raisons physiques, sexuelles ou politiques. Mme la rapporteure évoquait une voie d’amélioration, qui passerait par notre rapidité à répondre à ces personnes, plutôt que de fixer des quotas.

Vous avez cité Mme Le Pen pendant la campagne présidentielle. Elle proposait que les personnes demandent le droit d’asile dans des pays en guerre. J’imagine bien un Afghan cherchant le consulat de France à Kaboul : « Ah, bon, il n’y en a plus ? Les agents du consulat sont partis ? Pourtant, cela aurait été bien parce que je demande l’asile, je suis pourchassé dans mon pays. » S’il s’adresse à un policier taliban, il connaîtra quelques problèmes ! Cela n’est pas possible, monsieur le député. Vous avez bien fait, finalement, d’aller sur une triste actualité parce que, sur le fond, votre réflexion n’était pas très construite.

Je me suis exprimé sur la question des CRA. M. Dumont dispose des chiffres de l’année 2021. Dans la mesure où je ne fais pas de name dropping pays par pays, je vais citer le cas du pays qu’il a mentionné. Les reprises d’expulsions sont élevées – plus de 20 % depuis le mois dernier, lui-même en progression de plus de 40 % par rapport à cet été – pour une raison simple : de nombreux pays lèvent leurs restrictions sanitaires, telles que les tests PCR.

Nous nous heurtons à un triple problème. Celui, d’abord, des OQTF émises contre des personnes que nous ne pouvons pas expulser. Que faisons-nous d’un Afghan à qui nous avons refusé un titre de séjour, qui est sous le coup d’une OQTF mais que nous ne voulons pas expulser en Afghanistan ? La question se posera dans le cadre du débat sur l’immigration. On ne pourra pas l’expulser, quels que soient ceux qui gouvernent notre pays, sauf si vous me dites qu’il faut les remettre entre les mains de tel ou tel pays – mais ce n’est pas ce que vous dites. Cela vaut pour l’Afghanistan, la Syrie, le Soudan.

Nous rencontrons ensuite des difficultés avec les laissez-passer consulaires de ces pays. On peut toujours dire que l’on peut être plus performant, mais la question ne se limite pas à des relations de ministre de l’intérieur à ministre de l’intérieur. Se posent des questions d’ordre géopolitique.

Enfin, nous avons le problème des recours trop longs. Sur celui-là, nous pouvons agir. Nous aurons un débat sans doute difficile sur la réduction des recours. Il existe jusqu’à douze procédures pour expulser un étranger ; le projet de loi proposera de les réduire à quatre. Par ailleurs, nous proposerons la suppression de l’interdiction de la double peine et de tous les empêchements d’expulsion. Nous estimons le nombre des personnes que nous pourrions expulser à 4 000 personnes par an, si nous n’avions pas dans notre droit ces règles visant l’arrivée avant 13 ans sur le territoire national ou concernant les personnes mariées à un Français. Le débat dans l’hémicycle sera, je l’imagine, très difficile, mais nous avons là un moyen d’améliorer nos procédures d’expulsion.

Vous semblez vous étonner que nous voulions ouvrir un centre de rétention administrative à Nantes. Mme la maire de Nantes est d’accord avec moi, elle a d’ailleurs assumé courageusement sa position dans le débat public local. Je l’ai reçue et nous avons signé un communiqué de presse commun. Elle-même constate qu’une partie de la délinquance est le fait d’étrangers sur le territoire nantais. Ce n’est pas une chose terrible que de le constater, puisqu’ils représentent plus de 60 % de la délinquance dans le centre-ville de Nantes. Je vous propose de prendre rendez-vous avec la maire de Nantes, car il me semble que votre coalition politique doit encore beaucoup travailler pour se mettre d’accord sur tous ces sujets.

Le tribunal administratif de Lille a annulé trois arrêtés de la préfecture du Pas-de-Calais ; il en a validé d’autres, portant sur le centre-ville de Calais. Ceux que M. Dumont a évoqués ont été cassés cet après-midi. Le préfet a fait appel, l’appel étant suspensif. Si l’appel nous donne tort, nous nous mettrons en règle avec les lois de la République ; s’il nous donne raison, nous continuerons à éviter les fixations, afin de ne pas offrir des opportunités aux passeurs.

Je rappelle que seulement 5 % des immigrés arrivant dans votre région demandent l’asile en France puisqu’ils veulent rallier l’Angleterre. Nous disposons encore de 7 000 places disponibles d’hébergement pour ces personnes, qui méritent d’avoir de l’eau, de l’électricité, du chauffage, de la nourriture, dans des lieux dédiés et non pas dans des jungles reconstituées. C’est là l’essentiel, nous ne pouvons que leur donner.

Madame Untermaier, vous avez évoqué la reconstruction de gendarmeries. Dans la Lopmi, je proposerai l’idée d’une foncière de la gendarmerie et de la police nationale, qui me semble un dispositif plus intelligent pour construire, car les élus ont des difficultés de financement, qui les oblige à contracter des prêts. Parfois, les petites communes ont du mal à porter ces projets.

Madame Faucillon, la rétention des enfants dans les CRA soulève deux difficultés. Qui considérons-nous comme mineur : un jeune âgé de moins de 18 ans ou de moins de 16 ans ? Il est anormal qu’un enfant de moins de 16 ans vive dans un CRA pendant plusieurs jours de suite. Je suis donc favorable à sortir les enfants des centres de rétention administrative. Ils ne sont jamais tout seuls, ils sont toujours avec leur famille, ce qui soulève une seconde question : soit on sépare la famille – le père, la mère et l’enfant ; soit on assigne la famille à résidence. Il faudra que nous en discutions, parce que mettre en assignation à résidence ne doit pas empêcher d’expulser les personnes. Nous aurons peut-être des points de vue politiques différents, mais vous comprenez bien qu’il faudra le faire, dans des conditions humaines et de respect des droits de l’homme. Je suis prêt à changer la loi sur ce point.

À Mayotte, la difficulté c’est que les personnes y restent moins de quarante-huit heures, parfois largement moins de vingt-quatre heures, avant d’être expulsées vers les Comores. Une grande partie des personnes concernées sont accompagnées par des mineurs. Mayotte est donc un cas très à part, dont il faudra discuter. On peut tout à fait imaginer quelque chose qui soit conforme à l’intérêt que l’on porte, tout en considérant que le droit des étrangers n’est pas le même que nous appliquons en métropole, quand nous mettons plusieurs semaines à expulser quelqu’un. Je suis prêt à discuter de ce sujet dans le cadre du projet de loi. Ce n’est pas une disposition que nous introduisons aujourd’hui dans le projet de loi, mais elle peut faire partie du débat parlementaire, bien évidemment.

Madame Regol, j’ai du mal à comprendre que vous vous plaigniez de la restriction du nombre de logements puisque, à Strasbourg même, il n’y a aucune fermeture de places d’accueil et de logements. Des fermetures sont intervenues en 2021 pour des raisons de restrictions liées au covid, comme ce fut le cas partout. Pour l’année 2023, nous créons 4 900 places. J’ai donc du mal à imaginer comment nous pourrions en fermer dans votre département, mais je suis prêt à en discuter avec vous. Nous avons prévu 30 000 places d’hébergement et d’accueil au cours du quinquennat et n’avons décidé d’aucune fermeture d’accueil et de logement à Strasbourg.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je vous montrerai les chiffres.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est en effet à vous de me les montrer, puisque je m’en tiens à ce qui est écrit dans le PLF pour 2023.

M. le président Sacha Houlié. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour l’assouplissement que vous envisagez d’apporter au décret liant le titre de séjour au travail, y compris lorsque la personne change d’emploi. C’était l’objet d’une question écrite que je vous ai adressée la semaine dernière. Je suis d’autant plus satisfait que la disposition étant réglementaire, je n’aurais pas pu la faire la modifier lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration.


 

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Lors de sa deuxième réunion du mardi 18 octobre 2022, la Commission examine les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/IcycMK

Article 27 et état B

Amendement II-CL90 de Mme Julie Lechanteux.

M. Jordan Guitton (RN). L’amendement propose de ramener les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) à 100 millions d’euros, au lieu des 315 millions d’euros prévus dans le PLF.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. L’ADA répond aux besoins élémentaires de subsistance des demandeurs d’asile pendant l’instruction de leur dossier, conformément aux dispositions de la directive « accueil » du 26 juin 2013.

Avec cet amendement, vous portez atteinte au caractère effectif du droit d’asile.

Vous souhaitez que les dossiers des demandeurs d’asile soient instruits dans leur pays d’origine. Croyez-vous sérieusement que des personnes persécutées vont tranquillement attendre un rendez-vous à l’ambassade de France ?

S’il s’agit d’immigration régulière, elle est déjà traitée par les ambassades et les consulats, qui délivrent les visas de travail ou d’étude. Quant à l’immigration irrégulière, un budget lui est destiné et il augmente de 31 %. Avis défavorable.

M. Jordan Guitton (RN). Il s’agit d’instruire les dossiers de demande d’asile dans tous les autres pays du monde, à l’exception de la France.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL89 de Mme Julie Lechanteux.

M. Jordan Guitton (RN). Cet amendement a le même objet que le précédent : tirer les conséquences en termes d’économies du traitement des demandes d’asile en dehors du territoire national.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Traiter les demandes d’asile exclusivement en dehors du territoire français n’est pas conforme à la Convention de Genève. Elle interdit aux États de renvoyer des personnes présentes sur leur territoire ou à leurs frontières vers un pays où celles-ci risqueraient d’être persécutées.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s’oppose d’ailleurs à une telle mesure. Gillian Triggs, Haute commissaire assistante chargée de la protection internationale, expliquait dans un communiqué en 2021 que l’externalisation des demandes d’asile exploiterait à la fois les vulnérabilités des pays en développement et celles des réfugiés.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL92 de Mme Edwige Diaz.

M. Jordan Guitton (RN). Cet amendement propose de réduire de 5,6 millions d’euros les crédits du programme 104 Intégration et accès à la nationalité française.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous souhaitez diminuer les crédits de l’action Accueil des étrangers primo-arrivants en supprimant ceux qui correspondent au contrat d’intégration républicaine (CIR). J’y suis fermement opposée, car cet outil est au cœur du parcours d’intégration, que nous sommes nombreux à vouloir renforcer.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis lors du précédent PLF, avait consacré son avis à l’évaluation du CIR. Elle avait démontré qu’il est utile et évolutif.

Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il faut toujours revenir aux origines de la République. L’article 4 de la Constitution de 1793 prévoyait ainsi : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité - Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. »

La République des origines ne faisait pas le tri des gens en fonction de leur origine. Elle a fondé la France telle qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire une République qui intègre tout le monde et ne regarde qu’une chose : l’adhésion au contrat républicain – qui est résumé par la formule très simple de la devise nationale : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Avec cet amendement, vous trahissez une nouvelle fois les valeurs de la République française. C’est honteux. Nous voterons contre cet amendement et contre tous ceux du même acabit.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL93 de Mme Edwige Diaz.

M. Jordan Guitton (RN). Cet amendement propose de réduire de 100 millions d’euros les crédits de l’action 11 Accueil des étrangers primo-arrivants et de 60 millions d’euros ceux de l’action 15 Accompagnement des réfugiés.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. L’adoption de cet amendement porterait une atteinte considérable à l’accueil des étrangers, et en particulier des réfugiés, auquel nous sommes très attachés. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL71 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti (LR). Cet amendement, ainsi que les amendements II-CL85 et II-CL86 qui suivent, vise à replacer la politique d’éloignement du territoire français au cœur des priorités nationales.

Le tragique assassinat de Lola, qui bouleverse la nation, montre combien la politique d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est défaillante. Ce n’est malheureusement pas le premier drame de ce type. Je pense aux deux jeunes femmes qui avaient été assassinées par un barbare islamiste à la gare Saint-Charles. Dans cette affaire – qui avait eu des conséquences administratives –, l’assassin aurait dû être placé en centre de rétention à Lyon.

Cela pose la question de l’application des OQTF, dont le taux d’exécution est ridiculement faible. Il était à peine de 6 % en 2021, soit deux fois moins qu’en 2017, pour un total de 100 000 OQTF. Cela signifie que quasiment aucune OQTF n’est exécutée.

Le ministre de l’intérieur a lui-même souligné que le taux d’exécution des OQTF concernant les Algériens était de 0,1 % – avec 21 OQTF exécutées pour 7 000 prononcées. Le ministre a été contredit dimanche par le président de la République algérienne, dans des termes très vifs. Si les taux d’exécution sont tellement dérisoires, c’est d’abord par manque de volonté politique. C’est ensuite en raison de la suppression du délit de séjour illégal, qui permettait le placement en garde à vue. Enfin et surtout, cela résulte d’un manque de places dans les centres de rétention administrative (CRA).

Pour être efficace, il faut replacer les CRA au centre de la politique d’expulsions. L’amendement propose donc d’augmenter de 100 millions d’euros les crédits destinés à ces centres, afin de permettre la création de 600 places supplémentaires. Si le PLF 2023 en prévoit 250, on constate cependant que les crédits de paiement affectés aux CRA baissent par rapport à 2022. On ne peut pas dire, comme le fait le ministre de l’intérieur, que l’éloignement constitue une priorité, tout en réduisant les crédits qui lui sont consacrés.

Les amendements II-CL85 et II-CL86 sont des amendements de repli, qui proposent respectivement une augmentation des crédits de 80 millions d’euros et de 60 millions d’euros.

Si l’on veut tirer les leçons de l’actualité tragique et mettre les actes en conformité avec les discours, il faut privilégier la rétention administrative, seule mesure réellement efficace.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Nous ne nous contentons pas de paroles.

Un effort important est consenti par le PLF pour 2023. La capacité des CRA sera portée de 1 859 à 1 961 places, grâce notamment à la livraison du CRA d’Olivet – 90 places – et à l’extension de celui de Perpignan – 12 places supplémentaires.

À l’horizon 2025, le plan d’ouverture de places en CRA devrait permettre une augmentation de 50 % des capacités de rétention en métropole par rapport à 2017. C’est un effort financier important.

Je ne suis pas d’accord avec la baisse des crédits de l’action 11 Accueil des étrangers primo-arrivants que vous proposez. Cette action assure le financement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Lutter contre l’immigration irrégulière au détriment des moyens consacrés à l’intégration des étrangers primo-arrivants n’est pas conforme à nos valeurs.

Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). La course à l’échalote électorale avec l’extrême-droite est ouverte dans le camp des républicains.

On ne peut pas dire que la rétention est une solution efficace quand seulement 42,5 % des personnes placées en CRA sont éloignées.

La durée d’enfermement a été allongée. En 2003, elle était de 32 jours ; en 2011 on est passé à 45 jours ; en 2018, nous en étions à 90 jours. Visiter un CRA permet de constater que ces centres constituent une perte de temps et de moyens, ce que les services reconnaissent eux-mêmes. M. Ciotti n’a pas utilisé son droit de visite de ces lieux de privation de liberté.

La France a été condamnée à huit reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour sa politique en la matière, qu’il s’agisse de la rétention des enfants ou des conditions de rétention.

L’amendement propose de réduire le budget consacré à l’intégration. Une politique humaniste consisterait à éviter ces stratégies d’enfermement absurdes, qui ont prouvé leur inefficacité tout autant aux États-Unis que dans les autres pays européens. Il vaudrait mieux mettre l’accent sur l’intégration.

Notre groupe votera donc résolument contre ces amendements.

M. Éric Ciotti (LR). La disproportion des crédits traduit la hiérarchie des priorités du Gouvernement : 2,1 milliards d’euros pour la mission Immigration, asile et intégraion, dont 170 millions d’euros pour les missions d’éloignement. On ne peut pas tenir un double discours en permanence et ne pas se donner les moyens de sa politique. On en paie le prix, avec 94 % des OQTF qui ne sont pas exécutées. C’est un scandale républicain. Cela a pour conséquence tragique l’assassinat de Lola et d’autres faits extrêmement graves.

Le seul moyen pour améliorer le taux d’exécution des OQTF, c’est la rétention administrative. Comme vous l’avez souligné, le taux d’éloignement atteint presque 50 % pour les personnes placées en CRA, contre 6 % si l’on se contente d’envoyer une lettre demandant aux intéressés d’avoir la gentillesse de bien vouloir quitter le territoire français. Le caractère incitatif d’un tel courrier est aussi relatif que l’efficacité de la politique du Gouvernement.

Il faut changer de politique et se donner les moyens d’exécuter les décisions prises par l’exécutif – ce qui constitue un devoir, pas une option.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure pour avis, elle rejette les amendements II-CL85 et II-CL86 de M. Éric Ciotti.

Amendement II-CL46 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Cet amendement porte sur l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA). Depuis 2017, les prévisions du Gouvernement concernant l’ADA n’ont cessé d’être volontairement irréalistes, ce qu’a dénoncé la Cour des comptes. La dotation en faveur de l’ADA s’élève à 314,7 millions d’euros de crédits de paiement dans le PLF 2023, soit une diminution de 173,3 millions d’euros par rapport à 2022. Cette évolution est contradictoire avec l’hypothèse retenue par le projet annuel de performance, c’est-à-dire une poursuite de la reprise du flux de demandes d’asile observée en 2022.

Il est indispensable de tenir compte de l’inflation, qui touche tout particulièrement la population la plus vulnérable. La diminution affichée est d’autant plus incompréhensible qu’il faut aussi prendre en charge la protection temporaire des réfugiés ukrainiens et que la fin de la guerre en Ukraine ne semble pas prochaine.

Nous regrettons que l’ADA ne soit toujours pas versée à Mayotte, ce qui est particulièrement inéquitable.

La majoration de l’ADA est très insuffisante pour les personnes qui ne bénéficient pas d’un hébergement. Trouver un logement avec 230 euros par mois relève du miracle.

Il est urgent d’inverser la tendance à la sous-budgétisation afin d’accueillir dignement tous les demandeurs d’asile, plutôt que de continuer à mettre l’accent sur les aspects sécuritaires et l’enfermement.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Le budget en faveur de l’asile et de l’immigration diminue en effet, mais il s’agit d’une diminution vertueuse.

L’ADA est versée aux demandeurs d’asile pendant toute la durée d’instruction de leur dossier, et nous regrettons tous que ces délais soient trop longs. Si la prévision de dépenses baisse, c’est précisément parce que le Gouvernement s’est engagé à réduire de manière conséquente la durée d’instruction des demandes d’asile, notamment en augmentant les moyens affectés à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). L’Ofii va également poursuivre le pilotage de l’allocation en intensifiant les contrôles, notamment pour lutter contre les fraudes. L’application plus systématique du règlement Dublin devrait également permettre de maîtriser les dépenses au titre de l’ADA ; le nombre de transferts est en effet en nette progression.

La note d’analyse de l’exécution budgétaire de la Cour des comptes qui porte sur la mission Immigration, asile et intégration pour l’année 2021 montre que, pour la première fois depuis des années, l’exécution a été marquée par une sous-exécution des dépenses au titre de l’ADA, avec 389 millions d’euros consommés sur les 454 millions d’euros prévus.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL47 de M. Andy Kerbrat.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Le projet de budget affiche la création d’un nombre conséquent de places au titre de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA). Cette augmentation doit être relativisée. On constate une grave pénurie des hébergements d’urgence – dénoncée par de nombreuses associations, dont la Cimade –, ce qui condamne de très nombreuses personnes, dont des enfants, à dormir dans la rue. Les associations ou de simples citoyens s’efforcent d’y pallier en offrant des hébergements solidaires. Ils se substituent de fait à la mission de l’État.

En revanche, à travers ce PLF le Gouvernement prévoit de poursuivre son « plan ambitieux d’ouverture de places en centres de rétention administrative » – comme le demande M. Ciotti. Toutes les associations qui interviennent dans les CRA jugent qu’enfermer davantage et plus longtemps ne conduit pas à des éloignements effectifs, car ces placements sont loin d’être faits avec discernement. Faut-il rappeler qu’en mars 2022, et pour la neuvième fois, la CEDH a condamné la France pour traitements inhumains et dégradants concernant l’enfermement des enfants ? Celui-ci a été rendu possible de facto par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

Il faut sortir de cette logique d’enfermement pour passer à une logique conforme aux valeurs de l’humanisme et à la devise républicaine. C’est pourquoi cet amendement propose de consacrer 20 millions d’euros supplémentaires à l’hébergement d’urgence.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous avez raison de vouloir augmenter l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile.

Cet amendement souligne le rôle central joué par l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (Huda). Une partie de ce dispositif offre des prestations similaires à celles des centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), et peut être considérée comme de l’hébergement pérenne. Les structures Huda qui offrent un niveau inférieur de prestations – tels que les dispositifs hôteliers – sont plutôt destinées à un accueil transitoire des demandeurs d’asile. Ces structures sont essentielles.

La dotation prévue par le PLF pour 2023 doit permettre d’étendre le parc pour le porter à près de 53 000 places, avec notamment la création de 900 places outre-mer. Il est prévu de pérenniser le montant additionnel de 13 euros par jour et par place spécialisée dans la prise en charge de femmes victimes de violence ou de traite des êtres humains. Enfin, la dotation tient compte d’une revalorisation de la cible de coût journalier, pour prendre en compte la revalorisation salariale des travailleurs sociaux.

J’entends que de fortes tensions existent dans certaines zones, mais le PLF propose déjà un effort significatif en la matière.

Je remercie les associations, tant à l’échelle locale que nationale, et nos concitoyens pour leur aide très précieuse.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL50 de M. Andy Kerbrat.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Avec cet amendement d’appel, notre groupe dénonce les conséquences dramatiques de la dématérialisation des procédures pour l’accès des étrangers au droit. Il propose de créer un nouveau programme afin d’augmenter les effectifs dans les préfectures et les sous-préfectures.

Il était clairement expliqué dans le projet de budget pour 2022 de la mission Administration générale et territoriale de l’État que « Le programme " administration numérique pour les étrangers en France "(ANEF) a pour objectif la dématérialisation de " bout en bout "des process métier " étranger " : asile, immigration et accès à la nationalité française. » Ce programme a vocation à devenir l’interface unique de dépôt des dossiers des ressortissants étrangers. Il coûtera 141 millions d’euros sur l’ensemble du quinquennat, pour poursuivre la déshumanisation de nos services publics et mettre bon nombre d’étrangers en situation irrégulière – le ministre lui-même l’a reconnu lors de son audition, lorsqu’il a parlé de « créer des sans-papiers ».

Nous ne sommes pas les seuls à souligner le fait que la dématérialisation provoque des situations irrégulières. La Défenseure des droits, le Conseil national des barreaux et des associations comme la Cimade l’ont fait. Lors d’un référé récent, le Conseil d’État a rappelé que l’obligation faite aux étrangers de prendre rendez-vous en préfecture par voie électronique n’était prévue ni par la loi, ni par les décrets pris en application de celle-ci, et que l’administration est tenue de prévoir une alternative à la procédure dématérialisée.

L’amendement propose donc de prélever 20 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement sur l’action 03 Lutte contre l’immigration irrégulière et de les affecter à un nouveau programme, intitulé Pour un meilleur accueil des personnes étrangères dans les préfectures.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je partage un certain nombre de vos inquiétudes et de vos constats en ce qui concerne la dématérialisation, et plus précisément l’ANEF.

En revanche, je vous trouve tout de même assez sévère lorsque vous estimez dans l’exposé sommaire que l’ANEF aurait été créée uniquement pour faire des économies. Ce n’est vraiment pas le cas et je souhaite pour ma part qu’on lui laisse une chance. Les premiers résultats constatés s’agissant des titres étudiant et des passeports talent montrent une véritable réussite. Attendons donc que soient réglés les dysfonctionnements techniques, même si tout ne pourra pas être réglé par la dématérialisation des procédures.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL87 de Mme Julie Lechanteux.

M. Jordan Guitton (RN). L’amendement propose d’augmenter les moyens de l’État pour faire face à l’immigration irrégulière, au lieu de les consacrer à l’accueil des étrangers.

J’ai entendu qu’on utilisait l’expression « politique humaniste ». Pour nous, une politique humaniste consiste à s’occuper des neuf millions de pauvres en France.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je m’oppose à cet amendement qui retire 20 millions d’euros destinés aux étrangers primo-arrivants.

Vous le motivez en faisant état de l’augmentation de l’insécurité. Je ne souscris ni à vos analyses, ni à l’objectif de cet amendement – et j’aurais même plutôt tendance à penser l’inverse. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Le RN est-il au courant du fait que les crédits pour l’intégration des étrangers primo-arrivants concernent l’immigration légale ?

Vous dites en permanence que vous défendez les territoires ruraux. Mais savez-vous que dans de nombreux hôpitaux de ces mêmes territoires, ce sont des médecins étrangers qui exercent ? Si on ne les avait pas, on serait bien dans la mouise.

Vous stigmatisez systématiquement les gens en fonction de leur origine. Que l’immigration soit légale ou illégale, vous n’en avez à peu près rien à faire. La seule chose qui compte pour vous, c’est de savoir si les gens sont français ou étrangers.

Le rayonnement de la France s’explique aussi par sa capacité à intégrer.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement II-CL88 de Mme Julie Lechanteux.

Amendement II-CL7 de Mme Marietta Karamanli.

M. Hervé Saulignac (SOC). Cet amendement propose la création de 1 000 places supplémentaires dans les centres provisoires d’hébergement des réfugiés, afin de répondre aux besoins constatés. Pour cela, il ajoute 10 millions d’euros au programme 104 Intégration et accès à la nationalité française, en prélevant cette somme sur le programme 303 Immigration et asile.

L’amendement II-CL8, qui vient ensuite en discussion, propose quant à lui de renforcer le budget consacré aux actions d’accompagnement des réfugiés, en augmentant le programme 104 du même montant de 10 millions d’euros.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Le budget alloué au programme 104 progresse déjà de 24 %, précisément pour créer 1 000 places en centres d’hébergement provisoire. Je comprends votre souhait de doubler cette augmentation, mais cela s’effectue au détriment des actions de lutte contre l’immigration irrégulière, auxquelles nous sommes également attachés.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement II-CL8 de Mme Marietta Karamanli.

Amendement II-CL49 de M. Andy Kerbrat.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Devons-nous préférer le contrôle de la régularité du séjour ou le sauvetage des vies humaines ?

La politique menée jusqu’à présent par la France, soutenue par le nouveau pacte européen sur les migrations et l’asile présenté en 2020, s’inscrit dans une logique répressive et sécuritaire. Ce choix de l’endiguement et des expulsions se fait au détriment d’un accueil qui garantirait la dignité et les droits fondamentaux. Cette approche accroît les risques sur les routes migratoires et rend inévitable le recours à des passeurs, ce qui fait de nous les complices de leur action.

C’est pourquoi le HCR appelle les États à ne renvoyer vers la Libye aucune des personnes sauvées en mer, mais bien à les débarquer en lieu sûr et à leur accorder une protection internationale – en particulier aux mineurs non accompagnés, ainsi qu’aux personnes qui ont survécu à la traite, aux violences fondées sur le genre, à la torture ou au naufrage.

Pourtant, seulement 16 % des personnes interceptées ou sauvées en mer près de la Libye – le plus souvent par des ONG – ont été débarquées dans un lieu sûr. En 2021, 3 230 personnes sont décédées ou ont disparu en mer. Parmi celles qui ont été sauvées, le nombre des renvois en Libye dépasse celui des accueils en Europe – alors que ce pays connaît une guerre civile et que des groupes armés y pratiquent l’esclavage. Cela ne peut plus durer.

L’amendement propose de transférer 4 millions d’euros depuis l’action 03 Lutte contre l’immigration irrégulière vers un nouveau programme, intitulé Sauvetage des naufragés. Il financerait des moyens maritimes affrétés par l’État français, afin de porter secours aux navires et embarcations de fortune en détresse. Cela constituerait un formidable appui aux actions humanitaires qui sont déjà menées par des associations, car la somme prévue représente le double du budget de SOS Méditerranée.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. On ne peut pas être insensible à un tel amendement et je partage votre préoccupation.

Depuis 2015, 21 000 personnes ont péri ou ont disparu en Méditerranée ou dans l’Atlantique, en tentant de gagner l’Eldorado européen.

Je rappelle néanmoins que l’Union européenne est très active en la matière : sur la même période, environ 541 600 vies ont été sauvées en Méditerranée grâce à trois opérations conduites par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).

L’action déterminée menée à l’échelle européenne sera beaucoup plus efficace.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL91 de Mme Julie Lechanteux.

M. Jordan Guitton (RN). Adopter cet amendement permettrait d’éviter les drames et les noyades en Méditerranée. Une politique comme celle dite « No Way » menée par l’Australie – que nous souhaitons – revient à lutter contre l’immigration irrégulière et contre les passeurs qui s’engraissent sur le dos de pauvres personnes.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je ne comprends pas bien la logique de l’amendement, qui encore une fois prélève des crédits destinés à l’accès à la nationalité. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). À la suite de la crise du covid, la nationalité française a été accordée à bon nombre de personnes qui étaient en première ligne – des infirmières, des aides-soignantes ou des caissières.

Cet amendement est un drame absolu, qui n’a aucun rapport avec les tragédies qui ont lieu en Méditerranée, et votre objectif est de pénaliser encore plus les travailleurs immigrés, qui contribuent pourtant à la vie de ce pays.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL16 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet amendement propose d’ouvrir les cours de français langue étrangère (FLE) à tous les étrangers en situation régulière qui le souhaitent. Actuellement, ces cours sont exclusivement destinés aux étrangers primo-arrivants qui participent au parcours du contrat d’intégration républicain (CIR).

On constate que de nombreuses autres personnes souhaiteraient en bénéficier. Comme elles ne sont plus primo-arrivantes, ce n’est pas possible. C’est tout de même ridicule.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. C’est un bel amendement.

Nous sommes tous très attachés à l’apprentissage et à la maîtrise du français. L’accent a été mis sur les primo-arrivants à travers le CIR, ce qui fonctionne plutôt bien. Mais beaucoup d’autres personnes pourraient bénéficier des cours de FLE. Avis favorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La connaissance de la langue française est l’une des conditions d’intégration exigées par l’administration, notamment dans le cadre d’un parcours de régularisation. Si l’État formule cette injonction, il doit aussi proposer des moyens de s’y conformer.

Cette difficulté concernait il y a quelques années les femmes arrivées dans le cadre du regroupement familial et qui ne travaillaient pas. Elles ne pouvaient pas suivre des cours de FLE, et on leur reprochait de ne pas s’intéresser aux questions touchant à la scolarité de leurs enfants. L’ouverture de ces cours de langue leur a permis, par la suite, de communiquer avec les enseignants et de s’intégrer. C’est donc une mesure extrêmement importante pour sortir les gens de la précarité, mais aussi pour la francophonie.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-CL45 de Mme Elsa Faucillon.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Cet amendement vise à régulariser les travailleurs sans papier.

Ils sont plus de 600 000 et participent à la bonne santé de l’économie française, notamment dans les filières du BTP, de l’hôtellerie, des transports et de la livraison.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous souhaitez une régularisation massive des personnes qui travaillent de manière illicite. Je ne suis pas sûre que le PLF soit le texte qui convienne pour cela.

On doit d’abord lutter contre les filières d’immigration clandestine, qui s’apparentent parfois à une forme d’esclavage. J’ai consacré une partie substantielle de mon avis à la régularisation des personnes qui travaillent dans des secteurs particulièrement en tension, que j’estime souhaitable. Mais une régularisation massive pourrait avoir des effets contraires à ceux que vous espérez. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration modifiés.


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   personnes entendues et dÉplacements effectuÉs

   M. Éric Jalon, directeur général des étrangers en France

   Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du service de l’instruction publique et de l’action pédagogique

   M. Jacques Witkowski, préfet

   M. Xavier Lefort, préfet

   M. Claude Vo-Dinh, sous-préfet, secrétaire général

   M. Didier Leschi, directeur général

   Mme Claire Hédon, défenseure des droits

   Mme Mireille Le Corre, secrétaire générale

   Mme Gaëlle Tainmont, cheffe du pôle droits fondamentaux des étrangers

   Mme France de Saint-Martin, conseillère parlementaire

   Mme Lise Faron, responsable des questions « entrée, séjour et droits sociaux »

   Mme Violaine Carrère, membre de l’association

   M. Sami Cheikh Moussa, responsable du développement, coordinateur

   M. Richard Moyon, cofondateur

   M. Philippe Dussert, animateur Hautes-Pyrénées

   M. Paul Chemin, bénévole en Mayenne

   M. David Robert, directeur général

   Mme Sandrine Aboubadra-Pauly, déléguée générale

   M. Olivier Gaillet, chargé de mission

   Mme Marilyne Poulain, ancienne membre de la direction confédérale, pilote du « collectif immigration »

 

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Déplacements


([1]) L’OFPRA, qui est le principal acteur de l’instruction des demandes, bénéficiera de nouveaux moyens, notamment pour réduire le taux de rotation des officiers de protection chargés d’instruire les demandes.

([2]) Visite de prévention santé à destination des demandeurs d’asile et des signataires du contrat d’intégration républicaine.

([3]) Cette augmentation s’expliquait par l’intégration d’une part des crédits qui étaient jusqu’à 2021 inscrits sur l’action 15, relative à l’accompagnement des réfugiés (21,5 millions d’euros).

([4]) Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

([5])  Et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

([6]) L’AES n’est à ce jour pas concernée par le chantier de dématérialisation des constitutions de dossiers.  

([7]) Notamment, l’impossibilité de téléverser une pièce complémentaire, de réinitialiser son mot de passe et de notifier un changement d’adresse postale.

([8])  Aujourd’hui, 3,7 passages en guichet sont nécessaires, d’après le rapport d’information n° 626 au nom de la commission des Lois du Sénat sur la question migratoire, François-Noël Buffet, session ordinaire de 2021‑2022, 10 mai 2022.

([9]) Décision n° 452798.

([10]) Rapport d’information n° 626 du Sénat précité.

([11]) Avis n° 21-03 du 28 avril 2021.

([12]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.

([13]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.

([14]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([15]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([16]) Étude à la demande du Premier ministre, 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, Conseil d’État, 2020.

([17]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([18])  La plateforme demarches-simplifiees.fr est une application ouverte en mars 2018 et entièrement en ligne qui permet à tous les organismes assurant une mission de service public de créer des démarches en quelques minutes et de gérer les demandes des usagers. Ce service est développé et hébergé par la direction interministérielle du numérique.

([19]) Certaines préfectures, soucieuses de ces graves difficultés, sollicitent leurs cadres sur quelques week-ends entièrement consacrés au traitement de ces dossiers en vue de diminuer les stocks.

([20]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.

([21]) Équivalent temps plein annuel travaillé.

([22]) D’après les éléments communiqués par le ministère de l’Intérieur, le déploiement complet de l’ANEF permettra un suivi statistique des délais de rendez-vous au niveau central.

([23]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([24]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([25]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([26]) Décision n° 452798.

([27]) Pour les demandes de titres de séjours hors AES.

([28]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([29]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur et réflexions avancées par certains préfets.

([30]) Cette recommandation est notamment portée par M. François-Noël Buffet, dans son rapport n° 626 précité.

([31]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([32]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([33]) Cet article dispose que la première délivrance d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l’étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l’article L. 411-1.

([34]) Ces dispositions ont depuis la publication de la circulaire fait l’objet de transpositions législatives.  

([35]) CE, Section du contentieux, n° 383267, 4 février 2015.

([36]) Article L. 312-3 du code des relations entre le public et l’administration.

([37]) CE, n° 462784, 14 octobre 2022.

([38]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([39]) Il complète, dans sa contribution écrite : « encore faut-il que les services préfectoraux acceptent de les mettre en œuvre dans l’esprit que je croyais être celui du texte ».

([40]) Comme l’a souligné GISTI dans sa contribution écrite, des personnes se « heurtent à un refus en raison de l’existence d’une mesure d’éloignement parfois très ancienne ». Les services préfectoraux concernés considèrent le fait d’avoir fait l’objet d’une OQTF comme caractérisant une menace à l’ordre public et s’appuient sur les dispositions de la circulaire qui « excluent [de son] bénéfice les étrangers dont la présence en France constituerait une menace à l’ordre public ».

([41]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([42]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([43]) Il s’agit d’une pratique consistant à solliciter une admission exceptionnelle au séjour dans plusieurs préfectures afin d’augmenter ses chances d’obtenir un titre de séjour.

([44]) Hôtellerie, restauration, entretien et bâtiment essentiellement.

([45]) O. Damette et V. Fromentin, « Migration and labour markets in OECD countries : a panel cointegration approach », Applied Economics, 2013.

([46]) Lettre n° 74 relative à l’ouverture du marché du travail français aux ressortissants des nouveaux États membres de l’Union européenne, Trésor éco, mai 2010.

([47]) Terme faisant référence à l’utilisation par un travailleur d’une autre identité.

([48])  La condition de régularité est nécessaire, mais non suffisante, puisque tout étranger majeur n’est pas en mesure de solliciter une autorisation de travail –  notamment ceux séjournant sous couvert d’un visa de moins de 3 mois pour des motifs touristiques ou familiaux.

([49]) « L’étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 265-1 du code de l’action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. […] »

([50]) La délivrance d’une carte de séjour temporaire « travailleur temporaire » ou « salarié » est alors possible.

([51]) Ibid.

([52]) Cette carte est valable 1 an et est renouvelable.

([53]) La durée de ce titre est égale à la durée restante à courir du contrat de travail. Celui-ci est renouvelable.

([54]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.

([55]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([56]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([57]) Rapport n° 2013-M-095-02.

([58]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur.  

([59]) Contribution écrite aux travaux de votre rapporteur. 

([60]) Les titulaires de la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » en sont dispensés en application de l’article L. 413‑5 du CESEDA.

([61]) Le CIR est considéré comme respecté, s’agissant de la formation linguistique, dès lors que l’étranger a assisté à plus de 80 % du parcours.

([62]) Fixé au niveau A1 en l’état du droit.

([63]) Avis n° 4525 fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi de finances pour 2022, Élodie Jacquier‑Laforge, Assemblée nationale, XVème législature, 7 octobre 2021.