Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I. Audition de Mme Cecilia Wikström, rapporteure au Parlement européen sur le projet de Règlement dit « Dublin IV » (paquet Asile)              3


mardi
26 juin 2018

17 heures

Compte rendu n° 48

Présidence de Mme Sabine Thillaye
Présidente


 

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 26 juin 2018.

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

 

La séance est ouverte à 17 h  10.

 

I.                  Audition de Mme Cecilia Wikström, rapporteure au Parlement européen sur le projet de Règlement dit « Dublin IV » (paquet Asile)

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Mes chers collègues, je suis heureuse d’accueillir aujourd’hui Mme Cecilia Wikström, députée européenne et rapporteure du règlement Dublin IV, qui est sans aucun doute le texte le plus controversé de la réforme européenne du droit d’asile en cours. Madame Wikström, vous êtes eurodéputée suédoise, vous avez été élue en 2009 et vous êtes membre du groupe ADLE. Vous êtes spécialiste des questions migratoires et vous avez travaillé sur de nombreux dossiers relatifs au droit d’asile : vous avez à ce titre été rapporteure du texte portant révision du Règlement Dublin II, en 2013.

Nous sommes très intéressés de vous entendre sur la réforme du Règlement de Dublin, tant il se trouve au cœur de l’actualité. La règle qui impose au pays de première entrée d’instruire les demandes d’asile fait en effet peser un fardeau inéquitable sur certains États, comme la Grèce ou l’Italie. Les mécanismes de relocalisation se heurtent pour leur part au refus de certains États membres d’accueillir des demandeurs d’asile. L’actualité récente montre que la question migratoire divise profondément l’Union européenne, plusieurs États membres souhaitant revenir à des solutions nationales de contrôles de leurs frontières. Certains, dont la France, proposent de créer des centres fermés pour examiner les demandes sans accorder le droit au séjour, d’autres proposent de créer des centres à l’extérieur de l’Union.

Le Conseil des ministres franco-allemand du 19 juin dernier qui s’est tenu à Meseberg a défendu la nécessité d’une approche globale passant par un renforcement de Frontex, un soutien accru aux pays d’origine et de transit, ainsi que la mise en place d’un système européen commun d’asile. La réunion préparatoire au Conseil européen des 28 et 29 juin, convoquée par le Président de la Commission européenne, et qui s’est tenue dimanche 24 juin à Bruxelles, a souligné l’ampleur des divisions entre États membres. L’hostilité des pays du groupe de Višegrad à tout mécanisme de relocalisation s’est manifestée par leur refus de participer à cette rencontre. L’Allemagne est confrontée à des divisions politiques majeures sur cette question. L’Italie quant à elle ferme ses ports en se prévalant du résultat des dernières élections. Dans ce contexte, il est urgent de trouver des moyens de soutenir les pays européens les plus exposés aux arrivées de migrants. La réforme de l’asile, et plus spécifiquement du Règlement de Dublin, constitue l’une des réponses que l’Union européenne doit apporter à la crise migratoire.

Pouvez-vous nous expliquer quels sont les points majeurs de divergence entre les États membres et le Parlement sur la refonte du Règlement de Dublin ? Quels sont les enjeux de la création d’une agence pour l’Asile ? Quelles sont vos préconisations pour que cette réforme, initiée en 2016, puisse aboutir ?

Mme Cecilia Wikström, rapporteure du projet de règlement « Dublin  IV ». C’est un honneur pour moi de pouvoir échanger sur un enjeu aussi important pour l’avenir de l’Union européenne : les institutions européennes et les États-vont-ils être capables de s’accorder sur un régime européen d’asile qui soit efficace, juste, responsable et solidaire ? Les derniers mois n’en ont malheureusement pas apporté la preuve.  

Je suis députée européenne depuis de nombreuses années et j’ai été rapporteure de la précédente réforme du régime européen d’asile, qui a abouti au règlement dit « Dublin III ». Pour bien poser le contexte, il faut savoir que la réforme actuelle a été proposée par la Commission européenne en juillet 2016, en réponse à la crise migratoire de 2015 qui avait mis en lumière les insuffisances criantes du régime actuel. Elle a donc proposé sept textes sur lesquels le Conseil et le Parlement européen sont co-législateurs et doivent trouver un accord. Nous en sommes proches pour cinq d’entre eux mais restent les plus problématiques : le règlement de Dublin lui-même et celui sur les règles procédurales.

En ma qualité de Rapporteure du Parlement européen, je confirme que le futur règlement Dublin IV est le texte le plus du controversé du projet de réforme européenne du droit d’asile. Le règlement de Dublin a été adopté sous la Présidence finlandaise en 1999, il y a vingt ans. Ce règlement est lié au système de l’espace Schengen qui a supprimé les frontières intérieures au sein de l’Union européenne. Il s’est rapidement révélé être inadapté à la gestion des flux migratoires dès lors que les personnes ont cessé d’arriver en Europe par voie aérienne pour y entrer par les mers. Dès le début s’est posée la question de l’État membre responsable de l’accueil des personnes entrant dans l’Union européenne. Parmi les différents critères prévus pour déterminer cette responsabilité, le seul qui a été utilisé est celui du pays d’entrée dans l’Union européenne. Du fait des points d’entrée les plus fréquemment constatés, les pays du Sud sont seuls tenus responsables de l’enregistrement des individus dans la base Eurodac et de la gestion des frontières extérieures de l’Union. Le règlement de Dublin III fait peser pour l’heure un poids trop important aux pays de premier accueil.

Le système a été totalement submergé par la crise migratoire, avec notamment le pic de 2015, si bien que personne n’a été enregistré cette année-là. Cinq des 28 États membres ont été particulièrement sollicités, en particulier l’Italie et la Grèce. Avec un million de personnes, ce dernier pays a subi une énorme pression migratoire en 2015. Après avoir transité par la Grèce ou l’Italie où ils n’avaient pas été enregistrés, les migrants ont échappé à tout contrôle et se sont librement dispersés dans divers États de l’Union. C’est ainsi que nombre d’entre eux sont arrivés en Suède et encore davantage en Allemagne qui en a accueillis 800 000 en 2015. À la suite de cette crise migratoire, personne ne s’est plus conformé aux règles du système de Dublin. Les États ont rétabli des contrôles nationaux à leurs frontières, comme par exemple entre la Suède et le Danemark ou entre ce pays et l’Allemagne. La Suède a adopté une règlementation moins favorable aux demandes d’asile pour rendre le pays moins attractif et décourager les candidats, chaque État membre étant tenté de durcir de la même manière sa politique d’asile. En l’absence de mise en œuvre de l’outil de gestion des demandeurs d’asile, le bon fonctionnement du système de Schengen était compromis.

Le Parlement européen a montré sa capacité à proposer des solutions de compromis alors que les États membres apparaissent profondément divisés. Le principe de solidarité envers les pays en première ligne pour l’accueil des réfugiés doit être mis en œuvre. Au terme d’un an et demi de discussion, de centaines de réunions, de vingt-deux tours de négociation, cinq groupes parlementaires, le PPE, les S&D, l’ADLE, les Verts/ALE et la Gauche unitaire, soit les deux tiers des membres du Parlement européen, représentant 118 partis politiques européens, ont accompli l’exploit historique d’aboutir à une position commune, alors que, lors du dernier Conseil, 28 ministres n’ont pas su se mettre d’accord sur un texte.

L’accord trouvé fait preuve d’un grand pragmatisme. Le texte a été amélioré par rapport à la version proposée par la Commission européenne. Il prévoit de déterminer la responsabilité de l’État membre chargé de l’examen d’une demande de protection internationale en fonction de plusieurs critères et de réformer le mécanisme de relocalisation. La relocalisation tiendrait compte notamment du PIB et de la démographie de l’État concerné, de l’intérêt ou du lien du demandeur avec cet État. En contrepartie, il convient de remettre en ordre le système d’enregistrement dans l’État membre de première entrée dans l’Union : des contrôles de sécurité seraient ainsi rendus obligatoires. Rappelons à cet égard que 20 000 enfants ont malheureusement disparu des radars depuis 2015 et qu’ils sont peut-être exploités dans la plus grande impunité sur le marché du travail. En outre, pour pouvoir bénéficier du statut de demandeur d’asile, les demandeurs devraient demeurer dans l’État membre responsable de l’examen de leur demande de protection internationale. Ceux des migrants qui n’ont pas la possibilité d’obtenir le statut de demandeur d’asile seraient renvoyés vers leur pays d’origine.

Grâce à une amélioration de la fourniture d’informations, de l’aide juridique et du soutien aux demandeurs d’une protection internationale qui demeurent dans le pays d’entrée, les migrants seraient encouragés à rester dans le système officiel. De solides garanties seraient prévues pour les mineurs, qu’ils soient accompagnés ou non ainsi que pour les personnes vulnérables. De manière générale, les demandes d’asile seraient examinées avec la plus grande impartialité quel que soit l’État considéré.

Les personnes bénéficiant d’une aide juridique font  moins appel aux tribunaux. Il faut créer des incitations à rester à l’intérieur du système. Est-ce qu’on crée un véritable système européen ou laisse-t-on le soin à chaque État membre de trouver sa propre solution ? Nous avons reçu des textes du Conseil, nous avons travaillé à ce sujet, nous avons un mandat important du Parlement européen. Mais j’ai besoin d’un partenaire avec qui travailler, et pour l’instant, ce n’est pas le cas. Ce printemps, la présidence bulgare a émis une proposition qui diffère du texte du Parlement européen et qui ne recherche aucun compromis. La directive relative aux migrants n’a jamais été appliquée, même à l’époque de l’afflux massif de 2015, faute de consensus au Conseil. Nous n’aurons jamais ce consensus, c’est pourquoi il faut aller de l’avant avec une position commune à ce sujet.

Il y a trois groupes de pays :

- cinq États de l’Europe méditerranéenne, qui s’inquiètent de la mise en œuvre des directives ; ils craignent de se retrouver seuls à gérer des camps de migrants ;

- un second groupe d’États membres qui voudrait une forme de solidarité européenne, à partir du Règlement de Dublin ; ce groupe comprend la France, l’Allemagne, la Suède ;

- les quatre pays de Višegrad et l’Autriche ne veulent aucune solidarité européenne sur ce dossier.

Pour ce qui est des chances que ces pays arrivent à s’entendre à Bruxelles cette semaine, les perspectives sont plutôt sombres. Le Conseil doit prendre une décision à la suite d’un vote à la majorité qualifiée, toutes les voix doivent donc être écoutées. Aujourd’hui, certains États membres n’ont pas encore montré leurs cartes. La situation est bien pire qu’il y a six mois. Bien sûr, il faut voir sur quoi les États membres peuvent se mettre d’accord au Conseil, sur des sujets tels que le contrôle, le retour, le renforcement de la sécurité. Il nous faut un système d’asile commun en Europe.

Les développements des dernières semaines ont fait émerger l’idée d’immenses camps à l’extérieur de l’Union européenne. Cette solution des « plateformes » est mauvaise et très contestable juridiquement. C’est une idée qui date des années 1990, rejetée pour des raisons morales, juridiques et pratiques. L’Union européenne n’a pas compétence au Maroc, en Tunisie ou en Lybie : il n’y a pas de base juridique pour cela. Lorsqu’on essaie d’externaliser la responsabilité européenne, cela pourrait nous faire perdre la dynamique de ces dernières années en faveur d’une solution durable. La seule solution envisageable consiste en l’établissement d’un système d’asile commun.

En mai 2017, un Eurobaromètre a posé la question de savoir dans quel domaine l’Union européenne devait changer : 70 % des personnes interrogées ont répondu qu’elles voulaient plus de sécurité, de lutte contre le terrorisme, que l’Europe soir le fer de lance en matière de changement climatique et qu’on mette en place un système commun d’asile. Nous avons agi dans les deux premiers domaines, mais nous sommes bredouilles sur la question de l’asile. Comment pouvons-nous arriver bredouilles aux prochaines élections européennes ? C’est un défi de taille, faute de quoi nous verrons la réapparition de frontières intérieures et nous aurons laissé tomber les citoyens. Il n’y a pas de solution magique en la matière : les demandeurs d’asile frapperont toujours à notre porte. L’Union européenne a déjà franchi des obstacles plus difficiles que cela. L’heure est à l’action.

Mme la présidente, Sabine Thillaye. Il est surprenant que le Parlement européen arrive au consensus que vous décrivez et que le Conseil soit incapable de prendre les décisions dont on a besoin. Mes collègues le confirmeront, les questions de migrations préoccupent beaucoup nos concitoyens dans nos circonscriptions. Sans réponse sur ce sujet, nous aurons de mauvaises surprises aux prochaines élections.

M. Ludovic Mendes. Un grand travail a été fait par la Commission LIBE, on ne peut que vous féliciter pour vos efforts et la majorité politique que vous avez su dégager au Parlement européen Comme j’ai eu récemment l’occasion de le dire en tant que rapporteur  d’information sur la réforme du système européen du droit d’asile, la stabilité de l’Union européenne est menacée du fait de son impuissance à gérer les phénomènes migratoires. Le pic de la crise a été atteint en 2016. Nous sommes face au défi de l’adoption de solutions urgentes pour organiser les flux migratoires, tout en développant une stratégie à long terme. Avec la montée des populismes et des nationalismes, les États membres sont tétanisés et certains gouvernements, pour rassurer leur opinion publique, ne font qu’adopter des mesures nationales de repli sur soi. Il faut combattre l’idée que l’Union européenne est impuissante. Certes, tous les pays européens n’ont pas la même culture d’accueil des populations étrangères et certains sont plus exposés que d’autres du fait de leur situation géographique, mais il est illusoire de croire que certains États puissent faire face seuls à ce défi. Les populistes se plaisent à caricaturer l’inaction de l’Union européenne, mais il me semble vital de montrer, au contraire, que l’Europe ne part pas de rien. Elle dispose d’une agence Frontex, capable de devenir à terme une véritable police des frontières. L’Union a été également capable de négocier les cinq textes qui constituent aujourd’hui le « paquet Asile ».

Il reste aujourd’hui à se mettre d’accord sur un mécanisme de solidarité permettant aux États membres en première ligne de ne pas supporter seuls le poids des demandes d’asile et de l’intégration des réfugiés. Il faut mesurer le chemin parcouru et ne pas se focaliser uniquement sur les points de divergence. Sur sept textes en discussion, cinq ont fait l’objet d’un accord en trilogue. Les États de Višegrad rejettent actuellement tout mécanisme automatique de relocalisation : ne pourrait-on pas conditionner l’attribution du fonds européen à l’acceptation par les États des relocalisations en les majorant en fonction du nombre de personnes accueillies ? Pour éviter de bloquer l’ensemble du paquet Asile, pensez-vous qu’une coopération renforcée soit possible, notamment pour les questions relatives au traitement des demandes d’Asile, dans le cadre du Règlement Dublin IV ? C’est ce qui est proposé par la Chancelière Merkel, le Président Macron et le premier ministre Sanchez. Pour sortir de cette marchandisation humanitaire par la politique, faut-il que certains États membres prennent une décision seuls et oublient une partie de l’Union européenne ?

Mme Marietta Karamanli. Je vous remercie pour votre intérêt de longue date sur ces questions. Je suis corapporteure avec Ludovic Mendes sur la politique européenne de l’asile. Avez-vous une évaluation de ce qui a été fait sur l’application des directives existantes ? Quel est le bilan des hotspots, mis en place dans les pays de première entrée ? S’il existe des différences dans le mode d’accueil en Italie et en Grèce, faut‑il une présence plus massive de Frontex dans les hotspots ? Comment aider les pays en première ligne ? On a parfois le sentiment que les peuples sont abandonnés. Quelle est la politique de l’Union européenne en direction des États tiers d’origine et de transit ? Enfin, pour terminer, j’aimerais savoir s’il existe un bilan de l’accord avec la Turquie ? La question est toujours d’actualité. Comment appréciez‑vous le renforcement de l’homogénéité des règles d’asile entre les États membres, qui entraînent des obligations supplémentaires pour les demandeurs d’asile ?

Mme Liliana Tanguy. À la veille du Conseil européen, on ne peut que constater les divergences des États membres au sujet des mesures à adopter pour parvenir à maîtriser les flux de demandeurs d’asile et de migrants. Certains préconisent des centres fermés sur le territoire de l’Union européenne pour procéder à l’enregistrement des personnes qui arrivent et déterminer si elles sont éligibles au droit d’asile, tandis que d’autres proposent la création de « plateformes de débarquement » qui se situeraient hors du territoire de l’Union européenne et qui auraient la même fonction de sélection. Ces profondes divergences risquent de conduire à l’échec du prochain Conseil européen. Pensez-vous qu’il soit possible de surmonter ces oppositions pour trouver un compromis acceptable par tous ?

Mme Cecilia Wikström, rapporteure au Parlement européen. Pour répondre à la question de M. Ludovic Mendes sur la possibilité de trouver un compromis avec les pays du groupe Višegrad en mettant en œuvre un mécanisme de solidarité consistant à majorer la participation financière des États qui refusent l’accueil de demandeurs d’asile, je dirai sans hésitation que cette solution n’est pas envisageable. J’attire votre attention sur le fait que ces pays réfractaires à toute forme de solidarité concrète sont largement bénéficiaires des fonds européens. Nous disposons d’un levier pour faire pression sur ces États et leur expliquer qu’ils ne peuvent pas s’exonérer unilatéralement d’obligations qui ont été décidées par le Conseil européen. Lorsque j’ai proposé au cours de la négociation sur le Paquet asile de prévoir des sanctions financières pour les États qui ne respecteraient pas le mécanisme de solidarité, j’ai été sévèrement critiquée, mais aujourd’hui plusieurs ministres ont fait la même proposition. Il faut conserver une forme de réciprocité au sein de l’Union européenne : les États qui bénéficient de la solidarité financière européenne ne peuvent pas refuser toute participation à une politique commune.

Tout ne peut pas se résoudre par une majoration des aides financières au bénéfice des États en première ligne pour l’accueil des réfugiés. La Grèce ne dispose pas des moyens matériels et humains pour instruire un million de demandes d’asile et ce n’est pas en augmentant les subsides versés à la Grèce que la situation pourrait s’améliorer. Pour prendre un autre exemple, en 2016, la Suède a instruit 163 000 demandes d’asile, alors qu’avec le mécanisme de solidarité proposé dans le cadre de la réforme du Règlement de Dublin, ce quota aurait dû être de 40 000 ; les autres demandeurs ayant été orientés vers d’autres pays moins sollicités. Ce mécanisme de solidarité, dont l’importance varie selon la population du pays et sa richesse nationale, a été conçu pour permettre d’améliorer les conditions d’intégration de ces réfugiés, alors que les pays en première ligne ont une charge beaucoup trop lourde pour offrir un accueil de qualité à ces personnes.

Madame Karamanli m’a demandé ce que je pensais de la mise en place des hotspots et s’il fallait harmoniser leur mode d’organisation. Je voudrais souligner que les hotspots ont été imaginés comme une solution d’urgence lors de l’afflux de migrants en 2015. Il a fallu créer des structures d’accueil ex nihilo, là où les secours maritimes venaient débarquer des populations qui avaient failli périr en mer. Au début ces centres d’accueil ont été assez chaotiques, car il n’y avait aucune procédure d’enregistrement, ni procédure pour les transférer vers les pays où ils voulaient déposer une demande d’asile. De gros progrès ont été faits au cours de l’année 2016, grâce à l’intervention des agences européennes et à la solidarité de certains États membres qui ont détaché des personnels qualifiés pour étudier la situation juridique de ces demandeurs d’asile. Certains hotspots connaissent encore des situations difficiles comme à Lesbos en Grèce, car certaines personnes n’ont aucune perspective de voir leur demande d’asile instruite dans des délais acceptables. Les hotspots doivent rester des lieux de transit après un premier accueil. Certains ont critiqué la première procédure de relocalisation décidée en 2015 et qui a permis à près de 33 000 personnes d’être effectivement transférées de Grèce ou d’Italie vers un autre pays européen moins exposé. Cette procédure a été longue à devenir opérationnelle, mais elle a permis de soulager les pays méditerranéens de première entrée. À l’avenir, il faut que la future Agence de l’Asile joue un rôle majeur pour organiser ce mécanisme de solidarité et ce sont des fonds européens qui doivent financer les coûts de transfert des réfugiés entre leur pays d’arrivée à celui où ils déposeront leur demande d’asile.

Je suis très consciente qu’il faut impérativement que l’Union européenne améliore sa coopération avec les pays tiers où transitent les migrants et qu’elle cherche à prévenir certaines formes de migrations économiques. Mais elle ne doit pas se décharger sur d’autres États particulièrement vulnérables, notamment en Afrique, et se défausser de ses responsabilités.

Vous m’avez interrogée sur l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie en mars 2016 pour me demander si je disposais d’une évaluation de ce dispositif. Je voudrais surtout souligner qu’il ne s’agit pas d’un accord légalement négocié car, si tel avait été le cas, le Parlement européen aurait dû se prononcer sur ce texte. C’est délibérément que la Commission européenne a négocié une sorte de compromis d’urgence avec la Turquie pour réduire le nombre d’arrivées de migrants dans les îles grecques. Je dirai donc que cette déclaration entre la Turquie et l’Union européenne n’est qu’un pis-aller qui ne présente aucune garantie de contrôle démocratique.

Je me suis récemment rendue en Tunisie et les responsables tunisiens m’ont fait remarquer qu’ils n’avaient jamais été consultés sur le projet d’installer sur leur sol des centres d’accueil où seraient amenés les réfugiés naufragés, afin de déterminer si ces personnes étaient bien susceptibles de déposer une demande d’asile. Ces procédures sont très longues et rien ne semble avoir été prévu pour ceux qui sont considérés comme des migrants économiques. Qui se chargera de les reconduire dans leur pays d’origine ?

Quant à la question de savoir s’il faut mettre en place des centres de premier accueil fermés pour les candidats à l’Asile sur le territoire européen, je ne me prononcerai pas sans connaître le détail de ces propositions. Pour l’instant ce sont de simples pistes de réflexion.

Je crois que la véritable urgence se situe au niveau du Conseil européen. Les États membres doivent prendre leur responsabilité, dire clairement à quoi ils s’engagent et voter sur les options qui restent en discussion. La recherche du consensus et de l’unanimité conduit à l’immobilisme, à différer des prises de décisions pourtant cruciales. Le Parlement européen a largement assumé ses responsabilités et a réussi à trouver un compromis sur la refonte du Règlement de Dublin. Le Conseil européen doit sortir de cette culture du secret et assumer ses choix. L’essentiel est d’arriver à définir un régime européen commun du droit d’asile.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je crois que le débat en cours est focalisé sur des problèmes de procédure, avec la question du pays de premier accueil, la question d’un contrôle à l'intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne ou encore celle de la répartition des migrants entre les différents pays au moyen de quotas. Nous avons le sentiment que nous avons, hélas, franchi une étape sur la voie de la divergence au sein de l’Union sur ces questions, avec des approches profondément différentes. Si difficile qu’il soit de trouver des solutions de fond, il est devenu impossible de traiter les problèmes administratifs sans poser les questions de fond et sans avoir une doctrine commune sur l'évolution de la demande d'asile ou une approche commune de l'immigration économique.

Personnellement, je suis très favorable à ce que nous honorions de façon très pointilleuse nos engagements au titre des conventions de Genève. Je suis plus réservé sur la compensation des faiblesses démographiques des pays du Nord de l’Europe par les populations du Sud dans un but économique. À cela s’ajoute la problématique nouvelle de la migration climatique. Or, si ces problèmes sont en partie nouveaux, ils restent très insuffisamment discutés.

Je voudrais vous demander si on ne doit pas selon vous traiter le problème au fond, quitte à concevoir une organisation avec un petit nombre d'États, puisqu'il y a maintenant de trop grandes divergences au sein de l’Union. Ce constat ne me réjouit pas, car j’ai été Président de la commission des Libertés au Parlement européen, où nous avons longuement cherché à défendre une doctrine commune, mais force est de constater que cela s’avère très difficile. Aujourd’hui, les problèmes fondamentaux ne peuvent plus être éludés.

Ma seconde question est d'ordre plus procédural : que pensez-vous de la nécessité d'investir des sommes plus importantes dans le cadre financier pluriannuel, comme l'a suggéré le Président Macron dans son discours devant le Parlement européen à Strasbourg, en faveur des communes qui réalisent des efforts d'intégration. Cela me semble une bonne manière d’aider les populations à se réconcilier avec cette idée d'intégration, tout en restant équitable entre le Nord et le Sud.

M. Joaquim Pueyo. Je tenais à vous remercier de votre exposé. Selon moi, le système de Dublin est dépassé et ne peut être maintenu en l'état. Ainsi, dans ma région nous avons accueilli des Afghans, qui sont en droit de demander l’asile, et l’on constate de grandes différences entre ceux qui sont « dublinés » et d’autres qui ne le sont pas. Ceux qui ne le sont pas peuvent travailler et s'intègrent, ceux qui le sont ne le peuvent tout simplement pas. Il faut être raisonnable et gérer de manière urgente ce problème actuel.

Le second sujet concerne Frontex et les garde-côtes, vous y avez répondu, cela demande des milliers de personnes, et donc un budget bien plus important.

D’un point de vue géopolitique, quand il s'agit de l'immigration qui vient des pays de l'Est, les pays n'ont pas du tout la même attitude. C'est quand l'immigration vient du Sud que les réactions sont tout à fait différentes.

Ne pensez-vous pas qu'il faut revoir complètement le budget de l'Union européenne, avec un volet pour l'immigration économique et climatique ? Car si nous ne faisons rien, c'est 150 millions d'immigrés en 2050. On voit très bien que ce sujet dépasse l'Europe, avec par exemple des Sud-américains qui veulent aller aux USA pour des raisons climatiques ou économiques.

M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen. Si je suis monsieur Pueyo, les migrants qui se sont soumis à la procédure européenne recevraient ainsi un traitement moins favorable que ceux qui ne s’y conforment pas. Je trouve cela incroyable !

Je suis d'accord avec M. Jean-Louis Bourlanges, car je trouve qu'en dépit de vos efforts remarquables, Madame la Rapporteure, vos constats pèchent par l'idée que ces flux sont un fait sur lequel on ne pourrait agir. Ne peut-on pas intervenir sur les causes de l'immigration ? Nous sommes pourtant intervenus en Libye pour détruire ce qu'il restait de l'État libyen avec les résultats dramatiques que nous connaissons. En Tunisie, au Maroc, en Algérie, nous avons des accords de coopération. Je suis très étonné que ces problèmes ne soient pas évoqués par la France qui dispose d’un siège de membre au Conseil de sécurité aux Nations Unies, ou même devant l’Assemblée générale. Nous savons qu’une grande partie des immigrés qui viennent en France viennent de l'Érythrée ou du Soudan, car ces pays connaissant des situations de guerre civile, et les civils des obligations de service militaire extrêmement contraignantes. Nous savons que ces migrants peuvent franchir près de huit pays avant d’arriver sur nos côtes. Ne peut-on pas mettre en place des points d'accueil dans tous les pays franchis par les migrants avant qu’ils ne s’échouent en mer ?

De plus, si j'ai bien compris, vous voulez revenir à plus d'exigence pour le respect de l'examen par le premier pays d'accueil. Cela signifie que si l'étranger s'exonère de cet examen, il ne pourra prétendre à une régularisation. Mais n'est-ce pas maintenir le fardeau sur des pays tels que l'Italie, la Grèce ou Malte ? Car ils devront maintenir pour la durée de la procédure la prise en charge de ces populations.

Enfin, et cela sera ma dernière question, nous avons parlé d’examen de la procédure d'asile. Mais cela suppose que l'on puisse échouer, sinon il ne s’agit pas d’un examen. Dès lors, que se passe-t-il en cas d'échec ? Où les migrants ayant échoué à cet examen sont-ils reconduits ? Quels sont les moyens pour ces rapatriements ? Il faudrait des moyens militaires. Car si une personne refuse d'embarquer, que prévoit-on pour les déboutés si ceux-ci ne sont pas reconduits chez eux ? Vous savez bien que lorsqu’une personne refuse d’embarquer et fait du tumulte dans un avion, généralement, les commandants de bord refusent l’embarquement. Que prévoit-on pour les déboutés de droit d’asile ? N’est-il pas très hypocrite de parler de déboutés si ces déboutés ne sont pas reconduits chez eux ?

Mme Cecilia Wikström, rapporteure au Parlement européen. Monsieur Bourlanges, vous avez été une source d’inspiration pour ce texte que j’ai rédigé. Je vous remercie pour votre rapport. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée que nous devons respecter des valeurs communes européennes, de même que nous déployons des politiques communes au sein des États membres. En ce qui concerne cette coopération renforcée en matière d’asile que vous avez évoquée, je crois, qu’en définitive, il se pourrait que nous ayons à l’envisager, mais je préférerais que nous établissions un système d’asile commun à toute l’Union européenne.

Nous avons renforcé, par exemple, la coopération pour les brevets européens. Bien que l’Italie et l’Espagne l’aient dans un premier temps refusée, nous avons été de l’avant sans ces deux pays qui maintenant vont se rallier à nous ces prochains jours. Je crois, à ce stade, qu’on peut proposer une coopération renforcée européenne, en rendant le système obligatoire. On peut établir un lien entre l’appartenance à la zone Schengen et le fait d’assumer ses responsabilités. Ces deux éléments sont liés. Je continue d’espérer qu’on n’ait pas de coopération au cas par cas.

S’agissant de l’aide financière, je l’avais préconisée et les pays qui ne font pas leur travail ne devraient pas la percevoir. Dans la préparation du cadre financier pluriannuel dont je préside l’un des 24 comités, notre travail en faveur d’une position commune au Parlement occupe une place majeure dans les négociations. J’y porte une attention toute particulière, encore plus qu’à la poursuite des échanges sur le dispositif de Dublin, car lorsqu’il est question d’argent, tout le monde fait preuve de raison. Il est beaucoup plus difficile d’évoquer des valeurs et des principes. Croyez-moi, je l’ai expérimenté. En Europe, nous avons réussi à établir des politiques dans les domaines de l’eau potable, la pollution, les produits chimiques, la sécurité alimentaire, les médicaments, les fraises, les concombres et que sais-je encore, la liste est longue, mais aujourd’hui, alors que le socle de l’Union européenne est construit sur des valeurs et les principes, nous n’avons toujours pas réussi à mettre au point une politique commune pour aider d’autres êtres humains qui tentent d’échapper à la persécution et aux guerres. C’est un signe manifeste d’échec.

Nous devrions trouver l’occasion de discuter de cette question des principes et des valeurs qui relève de la philosophie. Il y a un profond changement à opérer dans la perception par les États européens du concept de solidarité. La solidarité dans les pays d’Europe centrale et de l’Est et dans ceux d’Europe occidentale n’est pas perçue de la même façon. Il est clair que la solidarité européenne pour la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et d’autre États membres correspond à l’idée de versement de fonds des pays riches vers les moins riches, pour leur permettre d’atteindre le même niveau et pouvoir appliquer les mêmes règles. Pour nous, pays occidentaux, que ce soit en France, en Allemagne, en Belgique, au Pays‑Bas, au Danemark, la solidarité implique que chacun assume sa juste part de responsabilité, autrement dit assume le fardeau conjointement. Les discussions peuvent vite devenir épineuses sur ce point. Ce n’est pas le cas lorsqu’on parle d’argent, on aborde la question de manière concrète.

En plus des règles, il faut opérer un changement de mentalités pour parvenir à ce qu’on appelle des politiques communes. En 2016, au 1er sommet des Nations Unies sur les migrations, j’ai souligné dans ce qui est devenu la « Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants » que la société civile, le monde des affaires, des universitaires, des ONG devraient prendre part au processus d’intégration.

En ce qui concerne l’aide financière et l’intégration que vous avez évoquées, le partage est équitable et le fardeau est gérable. Nous en avons le contrôle. Il ne doit pas nous échapper, au risque de voir les citoyens douter des capacités de nos institutions à réagir et trouver des solutions européennes. C’est ainsi que nous pouvons dissiper bien des craintes. Il faut veiller à mettre fin au cercle vicieux en matière de restrictions au droit d’asile. Je dois reconnaître que c’est la Suède qui a durci la première sa politique d’asile en mettant en œuvre le niveau d’intégration le plus bas possible. Il faut favoriser la confiance et des conditions humanitaires raisonnables dans tous les pays.

Je suis opposée à l’existence de camps hors de l’Europe comme en Libye. Je suis favorable à des solutions sur le territoire européen, à l’établissement d’un système commun en Europe pour ne pas avoir recours à des mesures d’urgence comme la mise en place de ces camps. Pour cela, il nous faut effectivement un budget européen moderne, plus souple et renforcé. Le cadre financier pluriannuel en est l’illustration. Il prévoit des aides financières accrues pour la gestion des migrations.

Monsieur Gollnisch, pour répondre à votre question, je vous invite à prendre connaissance du projet de Règlement dit « Dublin IV » avant d’en discuter ensuite. Il faut distinguer deux sujets : les demandes d’asile et la migration, qu’elle soit légale ou illégale. Nous abordons aujourd’hui la question de l’asile. Nous veillons à ce que les demandeurs d’asile soient traités équitablement dans le respect des conventions internationales signées dont la Convention de Genève et le protocole de 1969. Nous le faisons parce que les mouvements migratoires dépassent le cadre de la politique européenne. Nous devons également nous pencher sur les questions de migration légale comme vous l’avez mentionné. J’ai un exemple à vous donner. Des hommes d’affaires suédois m’ont appris qu’il serait possible de recruter en Suède 10 000 chefs de cuisine, non pas dans les restaurants gastronomiques, mais dans la restauration collective ou rapide. Des candidats à l’émigration depuis la Libye, la Tunisie ou le Maroc pourraient être intéressés par ce type de poste et être recrutés légalement. Or ce n’est pas encore possible. Nous devons réfléchir au système d’asile à mettre en place. On connaît l’existence de la carte verte aux États-Unis. Combien de personnes savent qu’il existe la carte bleue européenne ? Personne. Le dispositif est si lourd à déployer administrativement que seule l’Allemagne l’a véritablement mise en place. C’est un système à simplifier, à rendre plus attractif afin qu’il serve vraiment à favoriser l’embauche d’étrangers. C’est une question à traiter mais en dehors du sujet de l’asile.

Vous avez fait également référence aux causes de la migration. On les connaît pour les ressortissants africains : pauvreté, absence de démocratie, absence de droits fondamentaux. Le Haut Commissariat pour les Réfugiés a indiqué la semaine dernière, dans ses dernières statistiques, que 68,5 millions de personnes sont considérées réfugiées, un chiffre record, supérieur à celui mesuré juste après la seconde guerre mondiale. Trois millions d’entre elles se trouvent en Ouganda, pays très pauvre, et ne viendront jamais en Europe. Seule une petite fraction de réfugiés viendra en Europe trouver de meilleures conditions de vie. On ne peut pas construire de murs. Il faut construire des ponts, des passerelles et non des murs. Pour déterminer si les personnes répondent aux conditions pour bénéficier de la protection de l’asile, on peut faire appel à l’expertise du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) basée à La Valette. Je considère qu’on devrait confier des missions plus importantes à cette agence européenne, afin qu’elle puisse organiser les transferts, les retours et même gérer les hotspots. En attendant, je vous invite à mobiliser tous vos collègues parlementaires pour agir et changer la réalité d’aujourd’hui de manière pragmatique, décente, moderne et européenne.

M Xavier Paluszkiewicz. Le très conservateur Horst Seehofer, ministre de l'Intérieur, mais d’abord président de la CSU bavaroise, a prévenu qu’il était prêt en juillet à refouler immédiatement les migrants aux frontières allemandes en provenance d’un autre pays européen, si la Chancelière Angela Merkel ne parvenait pas à trouver une solution. Pour les Européens que nous sommes, ce discours de rejet de l’Union européenne propre aux populistes est insupportable. Les populistes cherchent un point commun sur lequel faire front. Le seul point commun possible entre la Hongrie, qui ne veut pas entendre parler de ces migrants, et les Italiens, qui ne veulent pas les garder, est leur volonté de renvoyer ces migrants ou ces réfugiés, de fermer l’Europe pour en faire une Europe forteresse. Vous comprenez que je m’y refuse. Cet état d’esprit, contraire à celui des Pères fondateurs de l’Europe, marque le début d’une construction idéologique dangereuse où tous ces populistes, qui ont des différences puisqu’ils sont nationalistes, se cherchent un ennemi commun pour conserver une réalité à leur alliance. Leur premier ennemi, ce sont les migrants dont ils ne veulent pas. Leur deuxième ennemi, ce sont Bruxelles et l’Europe, ceci dans le seul but de connaître un succès aux élections européennes du 26 mai 2019 et dans l’espoir de faire tomber les institutions européennes en juin. Dans ce contexte, quelle est votre réflexion sur la politique migratoire qui pourrait influencer ces élections européennes en 2019 ? Quelle pourrait être une solution européenne attendue pour la fin du mois ? J’ai beaucoup d’espoir dans le Conseil européen crucial des 28 et 29 juin qui doit apporter une réponse claire, comme sur la question des migrants, dans la continuité de la réunion de travail entre le Président de la République et le Président du Conseil italien du 15 juin dernier. Je vous remercie ou comme on dirait en suédois « tack så mycket ».

M. Ludovic Mendes Je me permets d’intervenir à nouveau pour vous demander quelle est votre appréciation sur les chances de trouver un compromis sur la réforme européenne du droit d’Asile lors du Prochain Conseil Européen des 28 et 29 juin.

Dans de nombreuses parties du monde, aux États‑Unis, en Amérique du Sud, on observe des mouvements d’opinion hostiles aux migrants. Même l’Algérie qui est une terre d’émigration depuis très longtemps, connaît des campagnes de presse très hostiles aux migrants économiques africains qui cherchent à transiter par l’Algérie pour ensuite rejoindre l’Europe. Sa politique est aujourd’hui clairement répressive et elle n’a pas hésité à refouler dans des zones désertiques des migrants illégaux qui venaient de la zone du Sahel avant d’arriver en Algérie. Partout, on instrumentalise la peur des migrants et des étrangers.

Comment l’Union européenne peut‑elle répondre aux craintes exprimées par les populistes ? Comment expliquer que pour gérer les flux migratoires, seule l’échelle européenne est pertinente, car nous serons plus efficaces ensemble que repliés sur nos États nationaux. Il faut aussi répondre à la crainte de la perte d’identité. Lorsque les Polonais ou d’autres pays de l’Est accueillent des migrants venant d’Ukraine ou de Moldavie, ils le font bien plus volontiers que lorsqu’il s’agit d’accueillir des Africains, car ces immigrés leur paraissent proches culturellement. Une des faiblesses de l’Union européenne est de n’avoir pas compris l’importance de forger une véritable identité européenne, qui aurait rendu les actes de solidarité entre États membres beaucoup plus naturels. Comment inciter les États membres à ne pas se replier sur eux‑mêmes, mais à chercher à définir une politique commune de l’asile, qui réponde à des valeurs véritablement partagées ?

Mme Cecilia Wikström, rapporteure au Parlement européen. L’Europe traverse actuellement une crise politique mais elle a déjà réussi à surmonter des tensions bien plus graves. Il est illusoire de vouloir se replier sur les frontières nationales alors que nous avons besoin d’un monde ouvert aussi bien pour les échanges économiques que pour répondre aux aspirations des citoyens européens qui aiment voyager et échanger avec d’autres cultures. Ceci dit, il ne faut pas non plus ignorer les craintes suscitées par la mondialisation et le souci de préserver une identité nationale. Ces considérations sociologiques ne doivent pas nous conduire à oublier des principes juridiques importants comme celui du non refoulement à la frontière de personnes en situation de vulnérabilité et qui doivent recevoir une protection internationale conformément à la Convention de Genève.

La situation politique dans plusieurs pays membres est paradoxale : le ministre de l’intérieur allemand exerce une sorte de chantage sur Angela Merkel, qui est seule responsable devant le Bundestag de la politique menée par son Gouvernement en matière migratoire. La Chancelière est ainsi sommée d’aboutir à un accord acceptable au prochain Conseil européen alors que la possibilité d’aboutir à un compromis dépend de facteurs complexes. De même en Italie, le ministre de l’intérieur Salvini paraît occuper seul l’espace médiatique pour une politique ouvertement anti-étrangers, alors que c’est le Président du Conseil italien qui devrait définir la stratégie migratoire de son pays.

Pour répondre à M. Mendes sur les chances d’aboutir à un accord au prochain conseil européen, je crains surtout que l’on aboutisse à une solution de façade, pour ne pas perdre la face, mais qui n’apportera aucune vraie solution pour mieux organiser les flux migratoires et soulager les souffrances de toutes ces personnes en errance depuis des mois.

L’Europe doit être lucide sur les défis qu’elle doit relever, les choix sont difficiles mais elle joue son identité et ses valeurs dans la manière dont elle gère cette réforme du droit d’Asile. L’Union européenne a trop longtemps privilégié les intérêts économiques avec le marché unique et la libre circulation et elle a oublié ce qui faisait le ciment entre les citoyens européens. À la question sur l’identité européenne, j’aurais envie de répondre, comme j’ai fait récemment à des jeunes : « L’Europe : c’est 507 millions de citoyens, unis dans la diversité. Ce n’est pas simplement un slogan. ». J’ai la conviction que dans un monde globalisé, il vaut mieux parler d’une seule voix au nom de plus de 500 millions de personnes, plutôt que de chercher à faire entendre vingt-huit voix nationales focalisées sur leurs spécificités.

Lors du prochain Conseil Européen, le Président Macron aura un rôle majeur pour affirmer haut et fort que l’Europe est la solution en matière migratoire et que nous devons, dans un sursaut, trouver les moyens d’avancer concrètement sur une réforme européenne du droit d’asile. Je regrette que les rapporteurs des sept textes du Paquet Asile n’aient jamais été conviés à des discussions lors des réunions du Conseil européen, alors que nous sommes des colégislateurs. Au sein du Parlement européen, nous avons élaboré des compromis difficiles, mais nous avions la volonté d’aboutir. Il faudrait retrouver cette même détermination au sein du Conseil européen.

Mme la présidente Sabine Thillaye. Je voudrais vous interroger sur la manière dont vous voyez les possibilités de mieux associer les parlements nationaux aux prises de décisions du Parlement européen.

Mme Cecilia Wikström, rapporteure au Parlement européen. Je crois que les contacts informels entre les parlements nationaux sont très utiles et aussi entre notre Commission au Parlement européen et les commissions des affaires européennes des différents parlements. Il semble important d’expliquer les justifications des réformes menées au niveau européen, car bien souvent la mise en œuvre de ces réformes dans les législations nationales suscite des difficultés,  le terrain n’étant pas assez préparé en amont.

Il est dommage qu’il n’existe pas de procédures formalisées pour associer les parlements nationaux aux travaux du Parlement européen. Tout repose sur des initiatives personnelles. Pour ma part, j’ai été proactive et j’ai organisé de ma propre initiative des rencontres avec des ministres, des parlementaires nationaux, des ONG pour expliquer la refonte du Règlement de Dublin, mais j’ai parfois senti que ma démarche n’était pas comprise. J’ai persévéré car l’enjeu me semblait majeur pour l’avenir de la construction européenne et en raison de la proximité des élections européennes. Il faut croire avec détermination qu’une démarche européenne commune sera toujours préférable à une coopération limitée à quelques États volontaires.

Mme la présidente Sabine Thillaye. Je vous remercie pour cet échange très intéressant et nous vous apportons notre entier soutien. Oui, l’Europe c’est la solution et non le problème !

 

 

 

 

La séance est levée à 18 h 45.

 


Membres présents ou excusés

 

 

Présents. Mme Aude Bono‑Vandorme, M. Éric Bothorel, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Françoise Dumas, Mme Christine Hennion, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Claude Leclabart, M. Ludovic Mendes, M. Thierry Michels, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Joaquim Pueyo, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - M. Bernard Deflesselles, M. Alexandre Freschi, M. Michel Herbillon, M. Alexandre Holroyd

Assistait également à la réunion. - M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen.