Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes              2

–  Information relative à la commission..................20

–  Présences en réunion............................21

 


Jeudi
24 mai 2018

Séance de 9 heures 15

Compte rendu n° 92

session ordinaire de 2017-2018

Coprésidence

de M. Éric Woerth,

Président

 

et

 

de Mme Liliana Tanguy,

Vice-présidente de la commission des affaires européennes

 

 


  1 

La commission entend, en audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes.

M. le président Éric Woerth. Monsieur le commissaire européen, les membres de nos deux commissions des finances et des affaires européennes sont heureux de vous revoir. Depuis votre dernière audition, au mois de décembre dernier, un certain nombre de développements sont intervenus, qui concernent notamment des sujets que nous avions évoqués avec vous : l’examen de la proposition de directive concernant une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACIS) et de la proposition de directive concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) a progressé ; la fiscalité du numérique fait très régulièrement la une de l’actualité, en France comme en Europe ou ailleurs ; les orientations de la politique économique, commerciale et fiscale aux États-Unis affectent directement notre économie et donc nos finances publiques ; la situation italienne, au lendemain des élections, inquiète. Et n’oublions pas les recommandations faites par la Commission européenne aux États membres dans le cadre du semestre européen et la sortie de notre pays de la procédure de déficit excessif. Ce sont là autant de sujets que vous ne manquerez sans doute pas d’aborder lors de votre exposé liminaire ou lors des échanges qui suivront.

Mme Liliana Tanguy, présidente. Je remercie M. Pierre Moscovici d’avoir bien voulu participer à cette audition commune de la commission des finances et de la commission des affaires européennes, à un moment crucial pour l’avenir de l’Union européenne. La proposition formulée par la Commission sur la taxation du numérique a retenu toute notre attention et l’idée d’en faire une ressource propre de l’Union est très intéressante, alors même que les débats sur le prochain cadre financier pluriannuel montrent que de nombreux États membres sont très réticents à l’idée d’une hausse du budget européen. Il serait intéressant, monsieur le commissaire, que vous nous disiez comment vous percevez les débats. La règle de l’unanimité ne risque-t-elle pas de bloquer le processus ?

Quant à la solidité de l’euro et à sa gouvernance, la situation politique et économique italienne provoque de nouvelles inquiétudes. Notre commission vient d’adopter une proposition de résolution européenne sur la gouvernance de la zone euro qui va être prochainement examinée par la commission des finances. Des discussions franco-allemandes ont également cours sur ce sujet. Pensez-vous que le prochain Conseil européen permettra des avancées sur cette question vitale pour l’avenir de la monnaie commune ?

M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes. Je suis  toujours heureux de me retrouver dans cette salle, maintenant dans le cadre d’un dialogue régulier auquel je me prête toujours volontiers, ici même ou à Bruxelles lorsque certains d’entre vous font le déplacement, ou encore dans les territoires, où j’ai toujours plaisir à me rendre.

Je me présente aujourd’hui devant vous avec de bonnes nouvelles pour l’économie européenne, qui a retrouvé la forte progression d’il y a dix ans – 2,4 % en 2017 – et, pour la première fois depuis 2007, tous les États membres, sans la moindre exception, ont enregistré une croissance positive. Les prévisions économiques que j’ai présentées, dites « prévisions de printemps », confirment ce dynamisme de l’économie européenne, qui devrait continuer à croître à un rythme soutenu de 2,3 % cette année et de 2 % en 2019.

Deuxième bonne nouvelle, le taux d’emploi progresse. Le taux de chômage s’établit à 8,5 % dans la zone euro ; bien sûr, c’est encore beaucoup trop élevé, mais il est à son plus bas niveau depuis dix ans. Surtout, les créations d’emplois sont massives, atteignant un niveau inédit dans l’histoire européenne, même s’il faut toujours s’interroger sur la qualité des emplois ainsi créés.

Troisième bonne nouvelle, pour la première fois depuis la création de l’euro – pas simplement depuis 2009 ou 2007 –, tous les pays de la zone ramèneront en 2018 leurs déficits publics sous la barre des 3 %. C’est une étape qu’il faut saluer, car elle marque que les règles dont nous nous sommes dotés au moment de la crise économique et financière sont efficaces, car, contrairement à ce que certains disent, elles ne sont pas punitives. Depuis que je suis à Bruxelles, nous n’avons eu à sanctionner personne mais nous avons incité tout le monde. Ces règles permettent de réduire le déficit sans imposer d’austérité.

Quatrième bonne nouvelle, qui s’inscrit dans le prolongement de la précédente, j’ai annoncé hier la sortie de la France de la procédure de déficit excessif. Cela veut dire que notre pays – je reste Français – est officiellement de retour parmi ceux dont les finances publiques sont saines. Le niveau de déficit public s’établit à 2,6 % du PIB en 2017, il devrait être de 2,3 % en 2018 et de 2,8 % en 2019, ressaut qui s’explique par l’intégration dans nos prévisions de ce que nous appelons un one-off, en l’occurrence la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse pérenne des charges sociales, qui devrait diminuer ensuite. Dans ces conditions, puisque la baisse du déficit apparaît comme durable, nous proposons la sortie de la procédure de déficit excessif. Après neuf ans d’une vraie saga juridique, budgétaire et politique, je pense qu’il était temps, et je veux saluer cet événement, mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Les 3 % n’ont jamais été pour moi une cible, ils ont toujours été une limite et je vous conjure, mesdames et messieurs les députés, d’oublier ce tabou ou ce totem, de ne plus en parler comme d’une ligne Maginot. La vraie perspective, ce ne sont pas les 3 %, c’est la réduction de la dette, c’est la réduction des déficits structurels, c’est l’équilibre budgétaire. Je rappelle que la moyenne des déficits publics dans la zone euro est de 0,7 %. Passons donc ensemble à une autre époque, avec un autre logiciel, qui passe par l’évaluation de la qualité de la dépense publique, par des politiques de transformation de la dépense publique qui privilégient des économies intelligentes au rabot, sans saupoudrage en matière de dépenses publiques. C’est le message que je voulais faire passer ce matin.

L’horizon de la France s’éclaircit. En 2017, la croissance a atteint les 2,2 % du PIB, taux supérieur à ce nous attendions, à ce que l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) lui-même attendait. Le taux de chômage était de 8,9 % de la population active, son plus bas niveau depuis 2009. Certes, il y a eu un rebond au début de l’année mais, pour 2018, je reste confiant dans le potentiel de l’économie française, dont le taux de croissance devrait atteindre 2 %. Dans les prévisions que j’ai présentées il y a quelques jours, je n’ai d’ailleurs pas modifié celles qui concernent la France. Le tassement conjoncturel du début d’année s’explique aussi par une croissance plus forte que prévu. L’acquis de croissance est important et, à ce stade, je vois donc un tassement, non un ralentissement, ni une rupture – et j’exprime là le point de vue de la Commission européenne. Les perspectives d’une croissance robuste demeurent.

Toujours au chapitre des bonnes nouvelles, il y a quelques semaines, j’avais annoncé la sortie de la France de la procédure de déséquilibres macroéconomiques excessifs. C’est un signe que les réformes poursuivies depuis plusieurs années portent leurs fruits. La responsabilité du Gouvernement et celle de votre assemblée est maintenant de faire en sorte que le cap du redressement budgétaire soit maintenu. Il faut conserver à l’esprit que notre dette publique est trop élevée. Alors que celle des autres pays européens a baissé, la nôtre s’élève toujours à 97 % du PIB. Il faut donc accentuer les efforts ou les poursuivre. Ne considérons pas, maintenant que nos déficits sont inférieurs à 3 % du PIB, que tout le travail a été fait. Ce n’est pas du tout le cas, et ce serait un contresens que de le considérer.

Au mois de juin prochain, je devrais annoncer la fin du programme d’assistance à la Grèce. Si je dois vous quitter aujourd’hui vers 10 heures 40, c’est que je dois aller ensuite à l’Eurogroupe où nous devrions, cet après-midi, enregistrer un accord technique sur les réformes faites par la Grèce. Mon message est, encore une fois, très simple : il est temps que ces années douloureuses pour la Grèce et difficiles pour la zone euro touchent à leur fin, il faut que cet été soit conclu le programme grec et que la Grèce sorte de son programme. Dès lors que les Grecs, bon an mal an, ont fait leur part du travail, dès lors que des réformes importantes ont été adoptées et appliquées en Grèce, il faut que les partenaires de celle-ci prennent leur part. Cela passe pour moi notamment par un paquet de mesures qui permette de réduire de manière significative la dette publique en Grèce, ce à quoi l’Eurogroupe va s’atteler, cet après-midi. Je conserve l’espoir qu’il puisse conclure le programme grec le 21 juin. Ce serait un symbole, car nous tournerions définitivement la page de ces dix dernières années.

Voilà pour les bonnes nouvelles et pour les travaux qui restent à faire.

Cependant, malgré ses performances actuelles, l’économie européenne présente toujours des faiblesses persistantes auxquelles il convient de s’attaquer. Je pense aux divergences qui persistent en zone euro et sont principalement l’héritage de ces dix dernières années. Cette situation est source d’inégalités entre les membres de la zone euro et nous devons impérativement y remédier, car elle porte en elle le risque, à moyen terme, d’une fracture irrémédiable de la zone. Il n’est pas possible qu’un grand projet politique comme l’euro soit vécu comme écartant les nations et les pays les uns des autres. Il n’est pas possible que ce soient toujours les mêmes qui soient les gagnants et toujours les mêmes qui se sentent les perdants. Voilà pourquoi le mot d’ordre pour la zone euro, au cours des prochaines années, doit être la convergence. Nous devons impérativement combattre ces inégalités et ces divergences parce que ce sont elles qui minent la confiance dans l’Europe et dans l’euro.

Le cas italien l’illustre parfaitement. Des citoyens se sont prononcés en faveur de partis eurosceptiques parce qu’ils ont eu le sentiment que l’Europe n’avait pas répondu à leurs attentes. Soyons-en conscients.

Il y a deux choses dont je suis conscient, avec un peu d’expérience européenne. La première est qu’il serait vain de nier ce qui a créé ce vote, comme de refuser la légitimité démocratique du nouveau gouvernement. Je travaillerai avec celui-ci, et avec le ministre des finances qui sera désigné, quel qu’il soit, avec l’idée de trouver des solutions européennes ensemble. La seconde chose que je sais, c’est que nous devons garder foi en l’Italie, qui doit, elle, garder foi en l’Europe. L’Italie est un pays fondateur, l’Italie est un pays cœur de la zone euro, et nous devons trouver des solutions ensemble, notamment des solutions au problème de la dette publique italienne.

Pour toutes ces raisons, et au vu de l’incertitude et des risques qui peuvent peser, à moyen terme sur les économies européennes, compte tenu également de l’approche des élections européennes, il faut mener des réformes de la zone euro au plus vite. C’est pourquoi je souhaite ardemment que le sommet européen de la fin du mois de juin, permette de réels progrès dans le renforcement de l’intégration de la zone euro. Nous devons tout mettre en œuvre pour augmenter le potentiel de croissance de la zone euro, pour renforcer sa robustesse en prévision d’un prochain choc qui surviendra fatalement un jour. Il est très important de conserver le même niveau d’ambition politique en vue du sommet du mois de juin prochain, quels que soient les difficultés ou les changements politiques qui peuvent intervenir ici ou là. Vos travaux sur la gouvernance de la zone euro, mesdames et messieurs les députés, vont tout à fait dans ce sens et je vous remercie de votre participation à ce grand débat.

Pour le renforcement de la zone euro, la Commission a pris ses responsabilités. Nous avons identifié trois champs de réformes prioritaires : la stabilité et la convergence ; la finalisation de l’union bancaire ; la démocratie au sein de la zone euro.

Je veux dire quelques mots sur nos propositions. La proposition sur la stabilité, la convergence est incluse dans la proposition pour le budget de l’Union sur la période 2021‑2027, qui comporte deux mesures inédites pour bâtir, sur le long terme, une zone euro plus forte et plus résiliente. Quelles sont-elles ? Premièrement, nous voulons accorder une place spécifique à la zone euro dans le budget européen. Le programme d’appui aux réformes sera doté de 25 milliards d’euros et fournira un soutien financier à l’ensemble des États membres pour des réformes-clefs définies dans le cadre du semestre européen. Bien sûr, ce sera conçu sur une base de volontariat, de manière que les États membres bénéficiaires puissent se l’approprier. Il s’agit non pas d’imposer des réformes depuis Bruxelles, mais de valoriser des réformes, qui remontent depuis les pays membres. Ce mécanisme portera sur un éventail très large de réformes structurelles, notamment dans le domaine de la formation professionnelle et l’éducation parce que ce sont les investissements que nous devons privilégier à l’avenir.

En second lieu, nous proposons de créer le premier outil de solidarité dédié à la zone euro, sous la forme d’un mécanisme européen de stabilisation des investissements, l’esquisse d’un budget de la zone euro ou d’un fonds de stabilisation pour résister aux chocs. Cela consistera d’abord en des prêts garantis par le budget de l’Union européenne à hauteur de 30 milliards d’euros, combinés à une aide financière aux États membres destinée à couvrir le coût des intérêts. L’idée est d’apporter un soutien financier supplémentaire directement aux trésors nationaux, à un moment où les finances publiques peuvent se tendre et où les investissements prioritaires doivent être maintenus, il s’agit là de préserver les niveaux d’investissement en cas de choc asymétrique majeur, en complément bien sûr du rôle de stabilisation joué par les budgets nationaux, qui restent le premier outil contracyclique.

La finalisation de l’Union bancaire est notre deuxième priorité. Beaucoup a été fait pendant la crise pour mettre fin au cercle vicieux entre crise bancaire et dette souveraine, mais la tâche est loin d’être achevée. Les réformes nécessaires sont connues : elles sont sur la table depuis longtemps, nous plaidons pour la création d’un filet de sécurité pour l’Union bancaire, ce qu’on appelle le back-stop pour le fonds de résolution budgétaire, c’est-à-dire une garantie budgétaire au moment où pourraient apparaître des chocs systémiques. Nous plaidons pour la mise en œuvre d’un système européen de garantie des dépôts bancaires qui est le dernier pilier de l’Union bancaire. Je sais que nos amis allemands n’y sont pas favorables, mais, pour moi, c’est « dans la corbeille ». Au départ, nous avons voulu que l’union bancaire comporte trois piliers. Le premier est la supervision, et c’est fait. Le deuxième est la résolution, et ce doit être complété. Reste la garantie des dépôts. C’est la seule chose qui permettra une union bancaire complète. J’ai l’espoir de voir les travaux en matière de réduction des prêts non performants aboutir à la suite de l’annonce de notre dernier paquet de mesures au mois de mars dernier.

Enfin, la dimension démocratique est, pour moi, très importante. Il faut ouvrir les portes de l’Eurogroupe. Tout système fonctionne mieux quand il est contrôlé, notamment par un Parlement. Je crois fondamentalement à l’importance du dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, entre l’exécutif et le législatif. C’est la raison pour laquelle la Commission propose qu’il y ait bien un ministre de l’économie et des finances de la zone euro, qui soit responsable devant le Parlement européen, lequel peut ensuite s’organiser pour que les pays de la zone euro travaillent entre eux.

Voilà les grands chantiers économiques et financiers qui nous attendent.

Je veux répondre en quelques mots à Mme la présidente sur les initiatives de la Commission dans le domaine fiscal. J’ai eu le plaisir de m’entretenir, il y a deux jours, dans cette même enceinte, avec la mission d’information sur l’évasion et l’optimisation fiscales de la commission des finances. Je présenterai rapidement les propositions de la Commission pour une fiscalité plus juste des entreprises du numérique et pour lutter contre les pratiques fiscales agressives. Quel est le constat ? En une vingtaine d’années, je ne vous apprends rien, de nouveaux acteurs et de nouveaux services numériques ont émergé. C’est une très bonne nouvelle. L’économie numérique est une chance pour l’Europe. Aujourd’hui, se tient à Paris un très grand salon, VivaTech, où je me rendrai demain soir en revenant du Conseil « Affaires économiques et financières » (ECOFIN). Nous devons encourager le développement de l’économie numérique, mais il n’est pas acceptable que les profits du numérique, considérables, ne soient pas imposés sur le territoire européen, ou qu’ils ne le soient que très peu. Aujourd’hui, les grandes entreprises du numérique sont imposées à peu près à hauteur de 9 % de leurs bénéfices, alors que les autres sont imposées à 23 %. Cette situation inéquitable n’est pas tolérable. Les grandes entreprises doivent payer leur juste part d’impôts là où elles créent de la valeur et engrangent des profits.

La Commission propose donc deux mesures – j’y insiste, parce que dans le débat public, on ne parle que d’une seule qui n’est pas forcément la principale.

Premièrement, nous devons, à moyen terme, définir ce qu’on appelle la « présence digitale ». Notre imposition des sociétés repose aujourd’hui sur la présence physique. Par exemple, longtemps député de Sochaux, je sais qu’il y a là-bas une petite entreprise, que je connais, qui emploie 10 000 personnes et va produire 500 000 voitures cette année, ce dont je me réjouis. On sait comment taxer les bénéfices de cette entreprise. Pour les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et d’autres, c’est plus compliqué en l’absence de ce qu’on appelle un établissement stable. Nous devons le définir et donc définir la présence digitale.

Deuxièmement, nous voulons aussi, à court terme, une solution temporaire pour éviter une approche patchwork de la fiscalité du numérique, avec des petites solutions nationales, car ce serait le pire scénario, à la fois pour les entreprises numériques et pour l’Union européenne en tant qu’acteur sur la scène internationale. C’est la raison pour laquelle nous avons aussi proposé la création d’une taxe qui prenne en compte les services pour lesquels la participation de l’utilisateur est centrale dans la création de valeur, une taxe à 3 % sur le chiffre d’affaires de certaines activités numériques dans l’Union européenne. Elle s’appliquerait aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel total à l’échelle mondiale s’élève à 750 millions d’euros et dont les recettes dans l’Union européenne s’élèvent à 50 millions d’euros. Il est très important que ces propositions puissent aboutir d’ici à la fin de cette année. Les ministres des finances ont commencé à en discuter pour la première fois à la fin du mois d’avril à Sofia. Ces discussions, qui ne sont pas simples, se poursuivront au mois de juin. J’ai entendu les interrogations de certains mais je note le soutien de beaucoup d’autres – je sais d’ailleurs être ici en terrain ami. Il est très important que les grands États membres, dont la France, qui promeuvent cette solution aux côtés de la Commission y consacrent toute l’énergie politique nécessaire, parce que, si cela aboutissait, ce serait là une « preuve d’Europe » décisive. Au moment où beaucoup de nos concitoyens s’interrogent sur l’Europe, montrons que nous pouvons être le continent, la zone économique qui est capable de traiter cette question de manière courageuse et déterminée. N’attendons pas les accords internationaux auxquels nous travaillons dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20. Je salue au passage le travail de l’OCDE dans le cadre du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting ; en français, érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices).

Le second sujet fiscal que je veux aborder d’un mot est la lutte contre la planification fiscale agressive. Au mois de mars dernier, j’avais identifié sept États membres qui tolèrent à un titre ou un autre, des formes d’optimisation fiscale agressive. Ces tactiques ont engendré un manque à gagner considérable pour les budgets nationaux. Il ne saurait être estimé à 80 milliards d’euros au plan national : ce chiffre que je lis parfois n’est pas réaliste. Pour notre part, nous estimons plutôt qu’il est compris entre 50 et 70 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Europe, ce qui n’est déjà pas négligeable. Essayons donc de récupérer cet argent. Dans le cadre des recommandations par pays, j’ai donc insisté pour que cette dimension soit prise en compte et le dialogue se noue avec les pays concernés.

Que ce soit sur les sujets économiques ou en matière fiscale, il y a donc beaucoup à faire. La Commission européenne est à vos côtés, mais la balle est aussi dans le camp des États membres, qui doivent maintenant concrétiser les avancées. Je compte beaucoup sur l’action sur le pouvoir de conviction de la France pour soutenir les propositions qui sont sur la table. Les négociations, sans surprise, seront très complexes, qu’il s’agisse de la finalisation de la réforme de la zone euro ou de la réforme fiscale, que je crois très nécessaire. À un an, presque jour pour jour, des élections européennes, il est essentiel de démontrer à nos concitoyens la plus-value de l’action européenne dans les grands dossiers. Les prochains mois sont importants, critiques, et j’espère que vos commissions sauront peser dans ces débats. Je suis ravi d’en discuter avec vous et je serai heureux de répondre à vos questions. Je serai toujours très disponible pour participer à vos travaux, car je souhaite que le Parlement, notamment vos commissions, apporte une contribution importante au progrès de la construction européenne. Je sais qu’elle vous tient à cœur à tous, ou presque tous.

M. le président Éric Woerth. Les sujets extrêmement importants de l’Union bancaire, de l’union des marchés de capitaux, les mécanismes d’amortissement des crises et fonds de réserve, offrent plutôt matière à convergences, même au-delà de l’Europe. Ce sont là des questions cruciales pour le bon fonctionnement de l’économie dans le monde que nous connaissons.

Vous avez dit que le critère des 3 %, fondamental au moment des crises, n’était plus pertinent, maintenant que la situation est meilleure et que la moyenne des déficits des pays membres de la zone euro se situe plutôt aux alentours de 0,7 % du PIB. Ce qui compte, c’est la stabilité durable des finances publiques. De ce point de vue, quand on se compare, on ne se rassure pas vraiment. La France est vraiment très au-dessus de la moyenne. Il nous faut utiliser ce temps particulier pour faire baisser la dépense publique. C’est ce que disent la Cour des comptes et la plupart des acteurs économiques et politiques. Quel regard la Commission porte-t-elle sur les programmes de réduction des dépenses structurelles de notre pays ?

Quant au calendrier fiscal, nombreux sont les sujets fiscaux dans l’actualité, notamment la TVA – les États membres devraient avoir plus de flexibilité – et le numérique, qui est l’objet de propositions claires et pertinentes. Les pays d’origine des GAFA sont cependant très réticents. Avec le rapporteur général et nos homologues du Sénat, nous sommes allés quelques jours à Washington la semaine dernière, et nous avons rencontré des représentants du Trésor à plusieurs reprises. Les Américains voient tout cela d’un très mauvais œil, mais il faut évidemment avancer. Et puis, il y a évidemment les directives que j’évoquais tout à l’heure, relatives à l’impôt sur les sociétés.

Quel calendrier la Commission et plus généralement les institutions européennes se fixent-elles ? Quels progrès notables espérer avant la fin du mandat, dans un an ?

M. Joël Giraud, rapporteur général. Merci, monsieur le commissaire, pour avoir apporté quelques bonnes nouvelles, même si nous avons compris que les bonnes nouvelles du royaume ne doivent pas être prêchées dans le monde entier, de façon à éviter des effets collatéraux et une démobilisation sur un certain nombre de sujets – vous me permettez cette petite référence à l’évangile de Matthieu en début de réunion de la commission des finances, cela changera, pour ceux qui me connaissent.

La semaine dernière, aux États-Unis, j’ai remarqué que la Réserve fédérale et le Trésor étaient extrêmement inquiets de l’évolution de la situation, au point d’ailleurs de considérer comme négligeable et appartenant au passé la problématique du Brexit, puisque le Royaume-Uni n’est qu’un marché de 65 millions de personnes, alors que l’Italie, membre fondateur de ce qui allait devenir l’Union européenne, peut déstabiliser l’ensemble de celle-ci. Évidemment, le gouvernement italien sera investi d’une légitimité démocratique mais les propos que tiennent les responsables des partis susceptibles de le former inquiètent fort et risquent d’avoir des conséquences. Accessoirement, beaucoup d’élus rhônalpins sont extrêmement inquiets quant au devenir du Lyon-Turin. Le mouvement NO TAV a quand même très largement inspiré le Mouvement 5 étoiles.

Je vous remercie d’avoir été extrêmement précis sur la fiscalité du numérique, sujet important. Vous avez évoqué tout à l’heure les États dont la législation fiscale a été épinglée par la Commission européenne : Chypre, Malte, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande, le Luxembourg, la Hongrie. Je voudrais savoir quelles recommandations particulières leur ont été faites.

Quant à ACIS et ACCIS, où en sommes-nous ? Le Parlement européen a récemment adopté de très intéressantes résolutions, mais nous avons l’impression que la question en est au point mort au niveau du Conseil. Des blocages sont-ils enfin en passe d’être résolus ? Avez-vous quelque visibilité sur l’adoption, voire le calendrier de l’ensemble de ces mesures ?

Quant à la proposition de directive visant à mettre en place une obligation de déclaration des dispositifs transfrontières à la charge des intermédiaires fiscaux, nous attendons, au-delà de l’accord de principe, son adoption formelle. Compte tenu de la variété des marqueurs, une transposition exhaustive qui ne fasse pas peser une charge disproportionnée sur les personnes concernées est-elle encore possible et selon quel calendrier ?

Je ne dirai qu’un mot des « Américains accidentels », sujet qui nous préoccupe, à tel point qu’il est l’objet d’une mission d’information de notre commission. Le Trésor américain nous a annoncé que la situation s’aggraverait encore avec les dispositions fiscales récemment prises aux États-Unis. Il faut faire la part des choses et distinguer des gens qui ont effectivement « utilisé » leur double nationalité et ceux qui ont presque « découvert » leur double nationalité, qui avaient par exemple quitté les États-Unis à l’âge de cinq mois. Quelle pourrait être la position commune des pays européens ? Je ne pense pas que nous soyons les seuls à compter des « Américains accidentels » sur notre sol – ainsi, l’Irlande et l’Italie sont très concernés.

M. le commissaire européen. Vous m’avez demandé, monsieur le président, comment nous jugions le programme de réduction de dépenses structurelles de la France, mais je vais raisonner de manière un peu différente. Le cap doit maintenant être fixé vers la réduction des déficits structurels. À cet égard, je crois que vous avez voté des engagements pluriannuels. En outre, des règles de finances publiques extrêmement précises s’appliquent aux pays sortis de la procédure de déficit excessifs, dont le « bras préventif » du pacte de stabilité et de croissance. Notre règle commune est que l’effort de réduction des déficits structurels doit être de 0,6 point de PIB par an. Cela peut être étalé sur plusieurs années, et il y a des flexibilités, mais c’est bien la règle.

C’est dans ce cadre que nous dialoguerons le moment venu, comme chaque année, avec les autorités françaises, quand le projet de budget sera présenté au début du mois d’octobre. Nous attendons naturellement un effort qui soit significatif. Je crois savoir qu’une série de réflexions sont menées sur la dépense publique et le périmètre du service public, par des commissions de réflexion, par votre assemblée elle-même. Je ne veux pas me prononcer a priori ou en anticipant sur des programmes que j’attends de connaître mais nous avons un cadre et des objectifs communs, des règles communes, et nous devons maintenant viser la réduction de la dette publique, des déficits publics, et un changement de culture en matière d’évaluation et d’amélioration de la qualité de la dépense publique. Cela me paraît une priorité tout à fait essentielle.

Vous m’avez interrogé l’un et l’autre sur le calendrier de nos initiatives fiscales. Les priorités de la fin de ce mandat sont au nombre de trois : la réforme du régime de TVA, qui comporte toute une série de dispositions législatives ; la fiscalité des grandes entreprises du numérique ; ACIS et ACCIS. Ces trois chantiers progressent en parallèle et l’ACCIS, monsieur le rapporteur général, n’est nullement oubliée. Pour moi, c’est la grande réforme de l’impôt des sociétés pour le XXIe siècle. C’est la seule façon d’avoir une imposition vraiment intelligente et européenne. Notre système, très archaïque, qui date d’il y a un siècle, n’est plus adapté à l’économie.

Le calendrier est dicté, tout simplement, par le cycle politique, assez simple. Les élections européennes ont lieu dans un an. Il est donc illusoire de penser que quoi que ce soit qui serait encore sur la table après la fin de l’année 2018 connaîtrait une solution au cours de cette législature. Après les élections européennes, une nouvelle Commission sera formée et elle s’installera au début du mois de novembre 2019.

Il y a donc une fenêtre de tir, qu’il ne faut pas manquer : maintenant, d’ici à la fin de l’année 2018. C’est pourquoi je consacrerai toute cette partie de mon mandat à faire aboutir ces réformes. Chacune d’entre elles est dans un état d’avancement satisfaisant mais sans que les travaux soient conclus. Il faut donc accélérer dans cette période, c’est ce à quoi je m’emploierai.

Quant à l’Italie, la Commission européenne adopte une attitude de prudence que je crois raisonnable. Nous respectons la légitimité démocratique. Que nous aimions ou pas les partis qui sont au pouvoir dans les pays membres de l’Union européenne, nous respectons le vote des électeurs, nous respectons les rythmes démocratiques, ce qui veut dire que je refuse de me prononcer sur des annonces. J’attends qu’il y ait des actes – un budget, des projets de loi, des réformes. C’est alors que nous pourrons avancer dans le dialogue avec l’Italie, un dialogue qui sera constructif mais qui se tiendra dans le cadre européen que nous partageons, avec ses règles communes, et la préoccupation, pour nous essentielle, de la dette publique.

Pour le bien des Italiens et de l’Italie, cette dette publique doit continuer d’être maîtrisée. Il faudra trouver des réponses crédibles sur ce terrain. Nous allons donc travailler avec le gouvernement italien et nous devrons concilier, comme toujours, deux impératifs qui ne sont pas forcément contradictoires : chaque gouvernement veut agir pour lui-même et pour son pays, c’est naturel, mais il faut respecter ce cadre européen qui nous est commun. L’Italie n’est pas n’importe quel pays, c’est tout de même la troisième économie de la zone euro, ce sera demain la troisième économie de l’Union européenne. Je comprends les préoccupations mais je pense qu’il faut les gérer avec le calme des vieilles troupes et dans le respect de la démocratie. C’est indispensable et, en tout cas, ce sera ma philosophie.

Quant au Lyon-Turin, je quitte une seconde ma casquette de commissaire européen, ayant occupé, dans une autre vie, quelques responsabilités ministérielles dans ce pays – j’ai été ministre des affaires européennes pendant cinq ans, c’était certes un autre siècle, mais aussi ministre des finances, plus récemment. Le Lyon-Turin, c’est un engagement international, ce sont des travaux qui avancent, et l’Union européenne, je le rappelle, est aux côtés des parties signataires pour faire avancer cet ouvrage dont je sais qu’il a plus que son utilité. Le Lyon-Turin doit être envisagé dans le cadre de ce qu’il est : un accord international, soutenu par l’Union européenne.

Sur la planification fiscale agressive, je ne veux pas être trop long et vous renvoie à ce qui a été publié hier, c’est-à-dire aux considérants concernant spécifiquement sept pays. S’il s’agit de considérants et non pas de recommandations à proprement parler, c’est parce que le dialogue s’est noué avec tous, avec certains d’entre eux de manière plus positive qu’avec d’autres, mais je compte bien continuer à le mener de manière tout à fait vigoureuse.

Ne disposant pas d’éléments sur les « Américains accidentels », je vous répondrai un peu plus tard.

Mme Liliana Tanguy, présidente. S’agissant de l’adhésion à la zone euro de nouveaux membres, vous avez déclaré, à l’issue d’une réunion informelle des ministres des finances tenue à Sofia le 27 avril dernier, que la Bulgarie serait très vraisemblablement le vingtième État membre à rejoindre la zone euro.

D’une manière générale, comment envisagez-vous l’adhésion d’autres pays, tels que la Croatie ? Pour elle, vous n’avez pas mentionné de telle possibilité à court terme, alors qu’elle a pourtant fait des efforts de convergences. Pour quelle raison vous être abstenu ?

Mme Amélie de Montchalin. La Commission européenne souhaite boucler et faire voter avant les prochaines élections européennes le calendrier sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Or nous savons tous ici que le processus de négociation d’un tel cadre est long et difficile, avant qu’un accord soit atteint. Ce calendrier devrait donc évoluer dans les faits. Néanmoins, la volonté affichée me laisse assez perplexe sur la capacité de l’Union européenne à présenter et faire valider de manière démocratique les choix qu’elle pose.

Dans le cadre de la première loi de finances du quinquennat, nous avons rendu possibles des choix politiques validés peu auparavant par les élections. Par comparaison, comment interpréter le calendrier proposé par la Commission européenne, et ses intentions ?

Mme Véronique Louwagie. Le mercredi 2 mai, la Commission européenne a proposé de réduire de 5 % le budget de la politique agricole commune (PAC) dans l’Union européenne après 2020. Il s’agit d’une situation nouvelle et inédite. Ce poste de dépenses important représente 37 % du budget européen. Cette annonce a créé beaucoup d’émoi et d’inquiétude en France, chez nos agriculteurs, au moment même où nous travaillons sur un projet de loi agricole. Cette situation est-elle définitive ? Quels seraient les éléments qui nous permettraient de rassurer le monde agricole et la France ?

D’autre part, où en est-on au sujet de la taxe sur les transactions financières ? Nous en parlons régulièrement ici. Chaque année, la question revient lorsque nous examinons le projet de loi de finances. Nous sommes assez nombreux, au sein de cette commission, à faire la promotion de cette taxe, sous la condition qu’elle soit mise en œuvre à un niveau européen. Le 13 décembre dernier, vous nous aviez indiqué qu’un groupe travaillait depuis quatre ans sur ce sujet. A-t-il réalisé des avancées ? Peut-on espérer que la situation soit prochainement résolue ?

M. Mohamed Laqhila. J’aimerais quelques précisions sur l’optimisation fiscale ou la fiscalité agressive. La liberté de circulation des biens et des services, mais aussi celle des personnes, jointe à la liberté d’établissement, permettent aux entreprises de s’installer là où la fiscalité est la meilleure pour elles. D’ailleurs, quelle différence faites-vous entre l’optimisation fiscale et la fraude fiscale ?

J’en viens à l’harmonisation fiscale. Faute de faire avancer cette dernière, l’impôt sur les sociétés tend à baisser dans les pays de l’Union européenne. Ceux qui pratiquent des taux élevés font un effort pour réduire leurs dépenses, aligner leur fiscalité et concurrencer ce faisant d’autres pays où les taux sont beaucoup plus bas. Une harmonisation fiscale de ce type ne me paraît pas le meilleur moyen de réduire la dépense publique.

M. Jean-Louis Bricout. Nous pouvons nous féliciter de la sortie de la procédure pour déficit excessif qui nous visait depuis 2009. C’est une bonne nouvelle pour notre économie. Cela ne s’est pas fait sans douleur, ni sans dissension sur les chiffres. Reconnaissons les efforts accomplis par les Français et remercions-les. Car cette réduction de déficit n’arrive pas par hasard. C’est l’effort fourni par les Français qui a permis un tel résultat. Vous nous demandez de nouveaux efforts, cette fois sur le déficit structurel et sur la dette publique. Mais pensez-vous qu’on puisse demander encore plus aux Français dans la situation sociale qui est la nôtre ?

En France, dans certains territoires, un sentiment de relégation se fait jour ; les agriculteurs expriment également leurs inquiétudes au sujet du budget de la PAC. Rapporté en euros constants et pour une Union à vingt‑sept, le cadre présenté par la Commission européenne accuse une baisse de 17 % du budget de la PAC, la baisse sur le premier pilier en représentant à elle seule 14 %. Cette baisse drastique fait peser un risque sans précédent sur la viabilité des exploitations, en impactant dangereusement les revenus des agriculteurs pour qui les aides directs constituent un filet de sécurité essentiel. Que pensez-vous d’une vraie réforme de la PAC, incluant la problématique d’une production et d’une alimentation saine et équilibrée, respectueuse de l’environnement ?

Enfin, quel est votre agenda pour la mise en place de nouvelles recettes, notamment numériques ? Elles me semblent essentielles pour relever les défis qui nous attendent.

M. Éric Coquerel. La situation de l’Italie me remet en mémoire les propos entendus il y a quelque temps, lorsqu’il était de bon ton d’expliquer que les choses s’y amélioraient vraiment, tandis que la France était le parent pauvre de l’Europe au niveau économique. Manifestement, les peuples ne sont pas de cet avis. Qui pense que leurs choix sont la cause des problèmes européens, loin d’en être l’effet, se trompe lourdement. Cette contestation de l’Europe libérale, dont je me réjouis, est portée, en France, par La France insoumise comme par l’extrême-droite.

Ma première question sera en lien avec ce désaveu des peuples. Mardi dernier, les ministres du commerce de l’Union européenne ont indiqué une nouvelle approche des accords commerciaux, à savoir que leurs dispositions proprement commerciales pourraient ne plus passer par les parlements nationaux pour être approuvées. Que pensez-vous de cet éventuel nouveau contournement de nos parlements ?

S’agissant des paradis fiscaux, on sait que la liste européenne pourrait fusionner avec la liste française. Or cette liste européenne ne comprend que neuf États. On nous dit qu’il suffirait d’un simple engagement d’un État pour qu’il soit retiré de la liste noire. Ne pensez‑vous pas qu’il conviendrait plutôt de ne retirer un pays de cette liste que s’il change effectivement ses pratiques, un simple engagement ne pouvant suffire ?

Pouvez-vous nous confirmer que l’ensemble des pays répertoriés sur la liste grise depuis près de six mois ont bien changé de pratique ? En décembre dernier, vous aviez déclaré qu’il était impératif que leurs engagements soient suivis dans les six mois, le respect des engagements impliquant la sortie de la liste noire, tandis que leur non-respect impose un reclassement dans cette liste. Quels sont éventuellement les pays qui seront réintégrés à la liste noire d’ici au mois prochain ?

À cette même réunion, vous aviez déclaré qu’il n’y avait pas de paradis fiscal au sein de l’Union européenne. Pourtant, certains pays de l’Union européenne sont non coopératifs dans la concurrence fiscale, comme le montre un rapport parlementaire de 2015 sur l’Union européenne et la lutte contre l’optimisation fiscale. On en dénombre au moins trois : Pays-Bas pour les questions de régime mère-fille ou de « sandwich hollandais », Luxembourg pour ses rescrits... Qu’en pensez-vous ?

M. Fabrice Le Vigoureux. Monsieur le commissaire, vous avez mentionné que l’Italie était la troisième économie de la zone euro. Les entreprises françaises y ont beaucoup investi ces dernières années, notamment dans le secteur financier et dans celui des assurances. Le programme commun de la Ligue du Nord et du Mouvement Cinq étoiles est, de manière évidente, un programme d’augmentation assez massive de la dépense publique. Ce programme de relance budgétaire va jusqu’à demander l’annulation d’une partie de la dette détenue par la Banque centrale européenne (BCE) ou, du moins, de ne pas tenir compte d’une partie de cette dette dans le respect des critères de stabilité.

De ce fait, une tension s’observe depuis quelques jours sur les taux d’intérêt. Le coût de l’assurance sur la dette italienne progresse significativement. Cette nouvelle séquence politique fait-elle peser un risque systémique sur les taux ? Quel regard portez-vous sur cette situation particulièrement préoccupante ?

M. Christophe Jerretie. Le cadre financier pluriannuel est fixé à 1,11 % du RNB de l’Union européenne, ce qui me paraît un volume assez sage. Ce choix s’est-il fondé plutôt sur le volet des recettes ou sur celui des dépenses ? Ces dernières seront bientôt présentées ; je parlerai donc plutôt des recettes.

J’en identifie trois : l’ACCIS ; la taxe sur le marché du carbone, aujourd’hui étale ; la taxe sur les plastiques non recyclés. Au niveau de l’Europe, doit-on aller d’une autonomie financière vers une autonomie plus fiscale ?

Aujourd’hui, trois blocs sont bien identifiés : le bloc communal, le bloc départemental et régional, ainsi que le bloc national et européen. L’ouverture de compétences nouvelles au profit de l’Union européenne peut-elle s’accompagner des transferts financiers correspondants par les États européens ?

Enfin, la Commission européenne a formulé deux recommandations macro-économiques sur notre pays. Dans le domaine des finances publiques, elle prône un élargissement de la base d’imposition ; dans le domaine des politiques structurelles, une concurrence accrue dans le domaine des services. Sur ces deux points, avons-nous pris la bonne direction ?

M. Nicolas Forissier. S’agissant de la PAC, la Commission a proposé, pour la période 2021-2027, de passer de 408,3 milliards d’euros pour vingt‑huit États membres à 365 milliards d’euros pour vingt-sept. Cela représente une importante diminution : 5 % en apparence, mais 10 % si on tient compte de l’inflation, soit une baisse très importante du revenu des agriculteurs. Voilà qui est en contradiction avec les ambitions très fortes que nous devrions nourrir pour la PAC, notamment pour faire en sorte que l’Europe soit un acteur majeur face au défi alimentaire mondial, étroitement lié au défi écologique et climatique. Peut-on inverser la tendance prônée par la Commission ?

Sur les ondes, vous avez récemment évoqué la situation en Iran. En matière de commerce extérieur, la Commission pense-t-elle que nous sommes condamnés à subir le retrait américain, c’est-à-dire les sanctions américaines subséquentes ? La France et l’Union européenne peuvent-elles au contraire les contourner et continuer à travailler à une amélioration de leurs relations avec l’Iran ?

Mme Marietta Karamanli. S’agissant de la fiscalité des géants de la « toile », on a vu l’accord passé entre Apple et l’Irlande depuis les années 1990. Il permet à la « firme à la pomme » de ne payer que 50 euros d’impôt pour chaque million d’euros de bénéfices. La Commission propose aujourd’hui une taxe sur les services numériques qui s’appliquerait à tous les opérateurs, européens et non européens, dont le chiffre d’affaires excède les 750 millions d’euros. Voilà qui me semble important.

Le 28 avril dernier, à Sofia, les ministres des finances européens se sont cependant montrés divisés sur ce projet de taxation des géants du numérique. L’Irlande s’y est opposée, en déclarant il y a quelques jours qu’une taxe à la seule échelle européenne ne sera pas efficace. Mais quel est votre sentiment sur le sujet ? Une proposition alternative, soutenue par la France, tend à une harmonisation fiscale accrue. Où en est-on sur ce projet de directive ACCIS ?

M. Ludovic Mendes. On sait que l’Italie est le pays le plus endetté après la Grèce : sa dette publique s’établit à 132 % du PIB. L’euro commence aujourd’hui à baisser face au dollar. Les risques d’augmentation des taux d’intérêt sur les prêts consentis en Italie se font déjà sentir ; on peut craindre une contagion au niveau européen.

Ne doit-on pas réformer rapidement l’Europe afin d’éviter une hémorragie populiste, l’Italie devenant un laboratoire pour le naufrage du projet européen ? Dans le contexte actuel, comment voyez-vous l’avenir de la zone euro, si toutes les mesures annoncées dans le programme de gouvernement italien sont appliquées en l’état et sans discussion possible avec le pays ?

M. Daniel Labaronne. On peut se réjouir que le futur cadre financier pluriannuel permette une réelle montée en puissance des politiques communautaires, en particulier du programme Erasmus. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Ces avancées se font cependant au détriment des politiques traditionnelles, comme la PAC et les fonds de cohésion. Au regard de l’exigence d’unanimité, comment voyez-vous les négociations à venir ? La France s’est en effet déclarée totalement opposée à une diminution du budget de la PAC, tandis que les pays où les régions sont les plus pauvres sont totalement opposés à la diminution des fonds de cohésion, diminution d’ailleurs contradictoire avec la volonté de réduire les divergences au sein de l’Union européenne.

Mme Sarah El Haïry. Que pensez-vous, monsieur le commissaire, de la réduction de 5 % du budget de la PAC et de l’accompagnement nécessaire de la transition énergétique, à l’heure où nous examinons un projet de loi sur l’agriculture ?

S’agissant de la lutte contre les paradis fiscaux, vous avez annoncé que des sanctions étaient nécessaires à l’échelon national. Quelles sont, pour vous, les sanctions possibles et envisageables sans remise en cause de la libre circulation des capitaux ?

M. Michel Castellani. Monsieur le commissaire, nous connaissons vos convictions en faveur de la lutte contre la fraude et contre l’évasion fiscale. Nous venons d’évoquer une initiative supplémentaire : la taxation de l’économie numérique.

Dans votre conférence à l’université McGill, vous avez appelé à une révision globale, un fundamental overhaul, de l’impôt sur les sociétés. Par ailleurs, vous soulignez souvent la politique fiscale agressive d’un certain nombre de pays de l’Union européenne.

Concrètement, quelles mesures sont en cours pour arriver à surmonter les contradictions et parvenir à une convergence fiscale qui serait une mesure de justice et un complément indispensable au fonctionnement de l’Union européenne ?

M. Hervé Pellois. Le 14 février dernier, nous avons entendu des députés européens sur l’harmonisation fiscale. J’étais intervenu sur le dumping fiscal agricole, notamment sur les distorsions de concurrence avec l’Allemagne dans le domaine de l’élevage porcin.

La députée Pervenche Berès vous a relayé cette question. Vous lui avez rapidement répondu, le 27 mars, en reconnaissant que le régime commun forfaitaire des agriculteurs est censé être utilisé uniquement par des agriculteurs susceptibles de connaître des difficultés administratives lorsqu’ils appliquent les règles normales en matière de TVA, mais que l’Allemagne applique le régime forfaitaire par défaut à tous les agriculteurs, y compris les grandes exploitations. En outre, l’Allemagne calcule de manière erronée le pourcentage forfaitaire de compensation, ce qui entraîne des distorsions importantes, proches, dit-on, de 200 millions d’euros par an.

Au regard de ces éléments, l’Allemagne a été mise en demeure, le 9 mars dernier, par la Commission européenne. Le délai de deux mois pendant lequel elle pouvait répondre est désormais expiré. L’Allemagne a-t-elle répondu à cette mise en demeure ? Quelles suites entendez-vous donner à ce dossier ?

M. Jean-Pierre Pont. En sortant de l’Union européenne, le Royaume-Uni va entraîner des modifications de l’organisation du transport de part et d’autre de la Manche. À Boulogne-sur-Mer, il y a eu jusqu’à 4 millions de passagers par an, chiffre tombé à deux millions après l’ouverture du tunnel. Elle a perdu tout son trafic transmanche du fait de la disparition du duty free. La sortie du Royaume-Uni va-t-elle permettre aux compagnies qui opèrent transmanche de réinstaller le duty free ?

M. Joaquim Pueyo. Dans votre intervention, vous avez relevé des points de divergence entre membres de la zone euro. Comme analysez-vous le coup de frein des huit États membres du Nord au sujet de la proposition franco-allemande tendant à faire avancer l’Union économique et monétaire (UEM) ? Dans une lettre, ils rappellent qu’une UEM plus forte nécessite avant tout des actions décisives à l’échelon national et une conformité totale aux règles communes, alors que leur propre situation est plutôt bonne.

Concernant le cadre financier pluriannuel, ne pourrait-on pas revoir la façon dont les ressources sont mobilisées au profit de l’Union européenne ? Faut-il continuer à demander à chaque État de contribuer ou faut-il revoir la méthode ? Les budgets vont être serrés, alors que des dépenses supplémentaires apparaissent : Fonds européen de défense, renforcement d’Erasmus, sécurité... Comment donner une nouvelle dimension à l’Union européenne si son budget n’augmente pas et si nous ne changeons pas les modalités de financement des ressources de l’Union européenne ?

Mme Nicole Le Peih. À la suite de la présentation des propositions de la Commission relatives au cadre financier pluriannuel 2021-2027, j’ai adressé une question au Gouvernement au sujet de la baisse de l’enveloppe allouée à la PAC. Le ministre de l’agriculture m’a répondu fermement : « Nous ne pouvons pas accepter cette baisse drastique du budget de la PAC. Nous ne pouvons pas accepter que lagriculture soit le parent pauvre ou la variable dajustement des politiques européennes. »

Au tour de l’agricultrice que je suis de vous interpeller. Cette baisse d’enveloppe aura des répercussions directes sur le revenu des agriculteurs, mais aussi sur l’ensemble du secteur économique, à travers les emplois induits, puisqu’elle va conduire à une chute des investissements. Comment expliquer cette coupe drastique du budget de la PAC européenne, à l’heure où nous examinons un projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation ?

M. Éric Alauzet. Monsieur le commissaire, je vous remercie pour votre engagement constant en faveur de la lutte contre l’évasion fiscale, même si cette dernière ne nous dispense pas de faire des efforts sur la maîtrise des dépenses.

Quelle est votre appréciation de l’aboutissement et de la bonne fin d’un budget européen de la défense ? Quels enseignements l’Union européenne tire-t-elle du résultat des élections en Italie, notamment quant à sa politique migratoire ? Enfin, s’agissant des accords internationaux, voyez-vous progresser les convergences sur les préférences européennes et, le cas échéant, quel rôle jouent les préférences françaises dans ce processus de convergence ?

M. Philippe Chassaing. Au cours de votre intervention, vous avez évoqué l’importance du respect de la règle des 3 %, et notamment de la maîtrise des dépenses publiques. Une proposition alternative à la règle des 3 %, souvent contestée, consisterait à limiter la progression des dépenses publiques à la croissance économique. Pour éviter que les pays ne se privent de la possibilité de mener des politiques contracycliques lorsqu’ils en auraient besoin, ne pourrait-on par ailleurs doter l’Union d’un budget à la disposition des États pour mener des politiques de relance lorsque c’est nécessaire, c’est-à-dire en cas de chocs asymétriques ?

M. Christophe Lejeune. À la suite des accords sur le nucléaire iranien, de nombreuses entreprises européennes, et en particulier françaises, ont choisi d’investir en Iran. Or, il y a quelques jours, le président Trump a dénoncé cet accord sur le nucléaire iranien. Quels sont alors les risques encourus par certaines entreprises de l’Union européenne, face à certaines lois américaines d’extraterritorialité ? Que fera l’Union européenne pour se mettre aux côtés de ces entreprises ?

M. Xavier Paluszkiewicz. Malgré le Brexit, la Commission européenne a décidé de stabiliser son budget à 1,09 % du revenu national brut (RNB), et non 1,11 %, comme on l’affirme parfois à tort, puisque le Fonds européen de développement est désormais inclus dans le budget général. Par son ordre de grandeur, le budget européen se révèle un budget technique. On pourrait rapprocher ses dimensions des 0,7 % de PIB que les Nations unies recommandent aux États de consacrer à l’aide au développement.

Ce n’est pas la conception de l’Europe que j’ai. J’ai pris note de la création de nouvelles ressources propres, qui iront en déduction de la contribution des États membres. De facto, elles ne contribueront donc pas à une hausse du budget. Il nous faut élargir ces ressources propres, pour conduire des politiques publiques tournées vers des investissements à long terme. Comme le disait Alain Lamassoure, nous ne ferons pas l’Europe avec des pourboires.

Il nous faut sortir de ce corset budgétaire pluriannuel. Comme je l’évoquais la semaine dernière avec M. Arthuis, il faudrait des mesures pluriannuelles en certains domaines, mais, pour le reste, une discussion annuelle. Pourriez-vous nous préciser l’état de votre réflexion sur cette proposition de budget européen ? Faut-il y voir le signe avant-coureur d’une discorde européenne à venir ? Pensez-vous possible une Europe à deux vitesses ?

M. Bruno Gollnisch, député européen. Je ne parlerai pas des sanctions iraniennes que des orateurs ont déjà évoquées.

Monsieur le commissaire, ne pensez-vous pas que, d’un strict point de vue financier, la multiplication des traités de libre-échange auxquels continue de procéder l’Union européenne, que ce soit dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou par le biais d’autres mécanismes, est suicidaire non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan financier ? Ne prive-t-elle pas en effet l’Union d’une de ses ressources essentielles, à savoir les droits de douane ?

M. le commissaire européen. Madame la présidente, le sujet des nouvelles adhésions à la zone euro est un sujet controversé. Permettez-moi de fixer un cadre très clair. D’abord, la zone euro n’est pas un club fermé ; elle a vocation à être un jour l’Europe entière. Voilà ce que disent nos traités, quand ils affirment que l’euro est la monnaie des Européens. À l’exclusion du Danemark, qui a obtenu à son bénéfice une clause de sauvegarde ou opt-out, tous les États membres de l’Union européenne ont vocation à entrer dans la zone euro.

Pour que cela arrive, des critères doivent être respectés, car des règles s’appliquent. C’est pourquoi vous constaterez avec intérêt, madame la présidente, que, dans les documents que nous avons adoptés hier se trouve également un rapport de convergence de la Commission et un autre de la BCE. Il y est dit que nous sommes en mesure de procéder dans le futur à un élargissement de la zone euro et que les candidatures à l’entrée sont légitimes.

Lorsque, à Sofia, je me suis prononcé sur la Bulgarie, qui préside pour ce semestre l’Union européenne, j’ai dit qu’elle était probablement le prochain pays de la zone euro. Mais je n’ai pas dit quand. Pour la Bulgarie, comme pour la Croatie ou pour tous les autres pays, il est important de savoir que, tout en gardant la porte ouverte – car l’Union monétaire est un club ouvert qui a vocation à être ouvert à l’Europe entière – nous tirons les enseignements de la crise, notamment de son déroulement en Grèce. Nous voulons donc éviter la précipitation.

L’élargissement n’est pas une fin en soi. Il faut faire en sorte que cet élargissement ait lieu le moment venu, de façon ordonnée et réussie. Il ne saurait constituer une déstabilisation de la zone euro dans son ensemble, ni un choc pour les pays eux-mêmes concernés. C’est pourquoi j’aborde cette perspective avec l’esprit ouvert, mais aussi avec beaucoup de réalisme et une prudence de bon sens, qu’il s’agisse de la Bulgarie, de la Croatie ou d’autres pays. Car nous nous fixons pour perspective que la zone euro soit prête à accueillir tout le monde en 2025. Cela ne signifie pas que tous les États membres y participeront obligatoirement, l’adhésion étant un processus volontaire. Nous ne forcerons personne à y entrer, mais nous adoptons une perspective délibérément inclusive, celle qui a présidé à la création de la zone euro et qui doit, à mon sens, continuer à l’animer.

J’en viens aux problèmes, ou questions, budgétaires français.

D’abord, s’agissant de la règle des 3 %, je suis conscient de ce que, dans la zone euro, nous devons être capables de répondre à des chocs asymétriques. Nous allons proposer fin mai une fonction de stabilisation à cette fin. Il est indispensable de traiter le problème. Pour autant, je continue de penser que les règles budgétaires du two-pack ou du six-pack, sans être gravées dans le marbre, constituent un cadre assez robuste. Au fond, elles poursuivent en effet une logique, celle de la maîtrise de la dette publique.

En effet, la dette publique est l’ennemie de l’économie. Que vous soyez de gauche ou de droite, voici un facteur commun à vos politiques : un pays qui s’endette est un pays qui s’affaiblit. Quand les taux remontent, quand le cycle s’inverse, quand le service de la dette devient à nouveau un des premiers postes de dépenses de l’État, c’est le reste des services publics qui en pâtit. Voilà la philosophie du pacte de stabilité et de croissance. Il n’est pas intangible : on peut le simplifier, le rendre plus intelligent et plus flexible, comme je m’y suis efforcé, par un effort d’interprétation. Mais il faudra réfléchir à ce que pourrait être un autre cadre avant de renoncer à améliorer celui-ci et à vivre avec lui. Il a en effet sa robustesse et sa pertinence.

Monsieur Bricout, vous m’avez interrogé sur les efforts encore à faire. Je pense que le combat sur les 3 % est un combat d’arrière-garde. À mes yeux, l’effort structurel ne correspond pas à je ne sais quel dommage fait aux services publics, ni à je ne sais quelle politique d’austérité, mais à une meilleure qualité de la dépense publique. Sur ce point, nous avons assurément des marges de manœuvre. Dans un entretien accordé à un quotidien économique français ce matin, j’évoquais ce point. Il faut élever le niveau du débat sur l’évaluation de la qualité de la dépense publique. Le travail que vous faites ici, en lien avec des institutions publiques telles que la Cour des comptes, est tout à fait décisif. Nous devons mener ce débat de manière sereine et non idéologique. Oui, il y a des marges de manœuvre. Mais nous devons procéder de la façon la plus intelligente possible.

En tout cas, le statu quo n’est pas la bonne réponse. On ne saurait considérer qu’une fois passé en dessous de 3 %, les efforts sont finis. Non ! Quand la dette publique s’élève à 97 % du PIB, on doit persévérer. Il faut ainsi réfléchir à une application des règles dans la durée.

D’autres questions portaient sur l’Italie. Je reviendrai devant vous aux étapes cruciales du cycle budgétaire européen. Le prochain rendez-vous aura donc lieu quand seront examinés les avant-projets de budget. Nous pourrons alors reparler de l’Italie. Aujourd’hui, je refuse formellement de spéculer sur les décisions du futur gouvernement. Je refuse totalement de me prononcer sur des annonces. Certes, je peux avoir mes opinions comme citoyen et je ne serais électeur ni de la Ligue du Nord ni du Mouvement Cinq étoiles si j’étais Italien. Comme citoyen, certaines évolutions peuvent m’interroger ; comme responsable, certains chiffrages peuvent m’inquiéter.

Mais, le moment venu, les investisseurs, comme la Commission, se feront un avis sur la base des faits et des actes. Il est important de les attendre. Le projet de loi de finances pour 2019 sera un moment important en Italie. Il devra fatalement s’inscrire dans le cadre de nos règles. Nous mènerons donc aussi une discussion sur ce point à ce moment-là. Mon attention et ma vigilance se concentrent sur la dette publique. Ce n’est pas une obsession. Mais je sais que la crise financière est venue de l’accumulation des dettes. Le désendettement doit donc être une perspective positive pour l’ensemble de nos économies.

J’en viens au projet de budget de l’Union européenne. Il est vrai que nous avons proposé un calendrier rapide. C’était notre responsabilité institutionnelle. On n’aurait pas compris que la Commission actuelle ne propose pas de projet de budget pour l’Union européenne. Cela dit, le rythme des discussions sera décidé de manière démocratique.

À vrai dire, je peux comprendre les deux raisonnements. Dans le premier, le Parlement européen d’aujourd’hui approuverait le projet de budget et le Conseil l’adopterait rapidement. Dans le second, on considère qu’il est préférable d’attendre les prochaines élections européennes. Il ne nous revient pas de trancher entre les deux. Il y a sans doute une logique politique qui incline à penser que le second pourrait l’emporter. Mais les propositions de la Commission sont désormais sur la table.

Mesdames et messieurs les députés, ne les regardez pas de manière caricaturale ! Certains éléments sont discutables, certains autres sont assurément positifs, et vont d’ailleurs dans le sens des orientations françaises : un budget à 1,11 % du PIB européen, et non 1 % comme le souhaitaient certains pays de l’Union européenne, voilà qui n’est pas négatif ; les crédits alloués à Erasmus sont doublés ; une politique de défense européenne dotée de moyens consistants voit le jour, puisque son budget est multiplié par 22 dans nos perspectives ; la politique migratoire met l’accent tant sur l’accueil que sur la sécurité des frontières ; les fonds d’investissement sont développés...

Mais comment concilier des priorités nouvelles dans un cadre forcément restreint, au moment où le Royaume-Uni nous quitte et en respectant les politiques traditionnelles ? Sur la PAC, je suis lié par un devoir de solidarité comme membre du collège des commissaires, même si je suis aussi le commissaire français. Les fondamentaux de la PAC sont préservés, tandis que les objectifs de la PAC restent les mêmes : elle doit garantir un filet de sécurité aux agriculteurs et assurer la souveraineté alimentaire. Chacun sait cependant que le statu quo n’est pas possible.

Cela étant, je peux comprendre qu’il y ait une sensibilité particulière sur ce sujet, dans ce pays et dans d’autres ; je peux entendre certains arguments. Mais le débat ne fait que commencer. Les décisions seront prises au Conseil et au Parlement européen. Les propositions de la Commission ne sont justement que cela, bien qu’elles prennent aussi en compte un impératif de réforme qui ne saurait être négligé.

La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales constitue assurément pour moi une priorité majeure. Permettez-moi de revenir d’abord sur la distinction entre fraude fiscale, évasion fiscale, optimisation fiscale, planification fiscale agressive. Quand j’ai dit qu’il n’y a pas de paradis fiscal au sein de l’Union européenne, c’est parce que c’est en effet le cas au sens des institutions internationales. Mais il y a des pratiques de planification fiscale agressive. Voilà ce à quoi je m’attaque dans les propositions que j’ai présentées hier.

Quant à la taxe sur les transactions financières, elle n’est pas morte. Mais je constate que cela fait cinq ans que la coopération existe, une réunion devant encore avoir lieu ce soir. Si les États membres le veulent, ils peuvent le faire demain.

La taxe sur le secteur numérique et le projet de directive ACCIS constituent pour moi des priorités absolues. Je souhaite que ces dossiers aboutissent avant la fin 2018. La convergence fiscale est un objectif que nous devons poursuivre à travers ces réformes structurelles que sont précisément l’ACCIS et la refonte du régime de TVA.

Quant à la gestion des listes noires, elle constitue à mes yeux un processus dynamique. En effet, je ne peux me contenter d’engagements. Je souhaite que nous vérifiions plutôt s’ils sont respectés. En fonction de ce paramètre, les pays sortiront de toute liste ou bien passeront de la liste grise à la liste noire ou encore de la liste noire à la liste grise. C’est un processus dynamique. J’attends des États membres qu’ils prennent des sanctions, dès lors que l’Union européenne a défini les siennes.

Il est très important que la réforme de l’UEM aille à son terme.

S’agissant de l’Iran, l’Union européenne regrette la décision de Donald Trump. L’accord qu’il a dénoncé est d’abord nécessaire pour la sécurité de la région ; ce n’est pas un accord bilatéral auquel un seul pays pourrait mettre fin unilatéralement. Nous regrettons et nous condamnons les mesures extraterritoriales adoptées par les États-Unis. C’est pourquoi nous avons présenté l’arsenal de réponses dont nous disposons. Nous devons maintenant le mettre en œuvre pour montrer que nous avons nos propres exigences, à savoir le maintien de l’accord et des garanties pour nos entreprises. Mais sera-ce suffisant ?

Plusieurs d’entre vous m’ont posé des questions sur les accords commerciaux. Une discussion est en cours au Conseil à ce sujet. Je ne vois pas d’engagement idéologique en faveur d’accords se renfermant dans le champ de la compétence exclusive de l’Union européenne, ou accords EU-only n’étant pas soumis à l’examen des parlements nationaux.

Au contraire, les parlements nationaux sont de plus en plus concernés par cette discussion. Mais il y a une distinction qui s’opère entre des accords plus légers et d’autres accords plus lourds, adoptés en suivant des filières plus ou moins rapides.

Je continue de penser que le libre-échange est un atout pour nos économies. Mais celui-ci doit être très maîtrisé. Il ne peut y avoir, à l’avenir, d’accords commerciaux ne tenant pas compte des impératifs de préservation de l’agriculture, de la santé, de l’environnement. Un contrôle démocratique doit s’exercer. Voilà dans quel sens nous pouvons continuer d’avancer, en adoptant une approche exigeante et citoyenne – j’y suis personnellement très attaché.

Quant à la défense européenne, son temps est venu. La Commission européenne le prend en compte dans son projet de budget.

Pardon d’avoir été si bref. Mais je dois maintenant me rendre à Bruxelles, où se tient une importante réunion de l’Eurogroupe, où la Commission va rapporter sur la situation de la Grèce. Mais je serai heureux de revenir devant vous au moment où nous pourrons porter sur la trajectoire des finances publiques, sur la qualité de la dépense publique ou encore sur l’Italie une appréciation plus fondée sur des actes.

*

*         *

Information relative à la commission

La commission a désigné Mme Bénédicte Peyrol rapporteure pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (n° 901).

*

*         *


Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 24 mai à 9 heures 15

 

 

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Présents. - M. Éric Alauzet, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bricout, M. Michel Castellani, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Sarah El Haïry, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Stanislas Guerini, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Lise Magnier, Mme Amélie de Montchalin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Jean-Pierre Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Marie-Christine Dalloz, M. Alexandre Holroyd, Mme Valérie Lacroute, M. Marc Le Fur, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Lejeune, M. Jean-Luc Warsmann

 

 

 

Commission des affaires européennes

 

Présents. – Mme Aude Bono-Vandorme, M. Éric Bothorel, M. Vincent Bru, Mme Fannette Charvier, Mme Yolaine de Courson, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Christophe Jerretie, Mme Marietta Karamanli, Mme Nicole Le Peih, M. Ludovic Mendes, M. Thierry Michels, M. Damien Pichereau, M. Jean-Pierre Pont, M. Joaquim Pueyo, Mme Liliana Tanguy

 

Excusés. – Mme Sophie Auconie, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Françoise Dumas, Mme Christine Hennion, Mme Constance Le Grip, Mme Sabine Thillaye

 

Assistait également à la réunion : Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen.