Compte rendu

Commission
des affaires sociales

  – Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale              2

  – Présences en réunion.................................33

 

 

 


Mercredi
10 octobre 2018

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 5

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente,

 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 10 octobre 2018

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

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  La commission procède à l’audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur le Premier président, votre audition est d’autant plus attendue, cette année, que la parution du rapport de la Cour des comptes a été décalée par rapport aux exercices précédents, et que nous devons au report du conseil des ministres la possibilité de vous entendre sur l'application des lois de financement avant la présentation, ce soir, du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je suis heureux de vous présenter aujourd’hui l’édition 2018 de notre rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d’assistance de la Cour des comptes au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui a été présenté aujourd’hui en conseil des ministres et sera examiné prochainement par votre commission.

J’ai auprès de moi, pour vous présenter ce rapport, M. Denis Morin, président de la 6e chambre, chargé de sa préparation, M. Roch-Olivier Maistre, président de chambre et rapporteur général de la Cour des comptes, ainsi que M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître et rapporteur général de ce rapport.

Institution-clé sur laquelle reposent la solidarité et la cohésion nationales, la sécurité sociale connaît depuis de trop longtemps une situation financière fragilisée. Les travaux que nous publions nous conduisent, année après année, à analyser la trajectoire des comptes sociaux et à formuler des recommandations pour parvenir à un équilibre durable de la sécurité sociale. C’est à cet exercice que nous nous sommes livrés cette année encore.

Le rapport que nous vous présentons formule trois constats.

Tout d’abord, la sécurité sociale renoue – ou va renouer – avec l’équilibre financier, mais sa trajectoire financière doit être pilotée fermement afin d’inscrire cet équilibre fragile dans la durée.

Ensuite, pour que cet équilibre soit durable, il convient de mobiliser bien plus activement les marges d’efficience que recèle notre système de santé. Notre rapport fournit à cet égard plusieurs illustrations que je détaillerai brièvement.

Enfin, l’organisation et le fonctionnement de la sécurité sociale comportent en eux‑mêmes d’importantes marges de progrès. La Cour des comptes en a, cette année encore, identifié quelques-unes, que je vous restituerai à grands traits.

Au travers de ces trois constats, la Cour des comptes exprime un message simple : pour que le retour à l’équilibre financier de la sécurité sociale soit durable, il est nécessaire de remédier aux fragilités qui perdurent dans notre système de protection sociale.

Je vous propose de détailler à présent chacun de ces trois constats, en commençant par l’appréciation que porte la Cour des comptes sur la situation financière de la sécurité sociale.

S’agissant du déficit de la sécurité sociale, la France revient de loin. Depuis les années 1990, la sécurité sociale a accumulé plus de 280 milliards d’euros de déficit. En 2010, au plus fort de la récession économique, le déficit de la sécurité sociale a atteint près de 30 milliards d’euros. Depuis 2011, il connaît une réduction continue. L’année 2017 confirme cette tendance. Le déficit agrégé de l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est ainsi établi à 4,8 milliards d’euros, contre 7 milliards d’euros en 2016.

La Cour des comptes salue cette évolution bienvenue. Elle met toutefois en lumière quatre points d’attention moins favorables.

Tout d’abord, si le déficit de la sécurité sociale se réduit, sa résorption est très progressive.

Ensuite, le déficit 2017 du régime général et du FSV, s’il est globalement conforme à la prévision actualisée de la loi de financement pour 2018, a dépassé de 1 milliard d’euros la prévision initiale de la loi de financement pour 2017.

Par ailleurs, il existe des écarts significatifs entre branches. Cette année encore, l’assurance maladie et les retraites ont enregistré des déficits, à hauteur de 4,9 milliards d’euros pour l’assurance maladie et de 1,1 milliard d’euros pour la branche vieillesse et le FSV.

Dernière préoccupation, et non des moindres, la baisse du déficit de la sécurité sociale en 2017 est essentiellement attribuable aux effets d’une conjoncture économique favorable sur les recettes.

Par conséquent, le déficit de la sécurité sociale pour 2017 conserve une part structurelle élevée, que la Cour des comptes évalue entre 3 et 4 milliards d’euros. Or, tant que la sécurité sociale n’aura pas atteint un équilibre à caractère structurel, elle ne connaîtra pas d’équilibre pérenne sur la durée des cycles économiques, dans lequel les déficits de certaines années provoqués par une dégradation de la conjoncture sont compensés par les excédents des années où la conjoncture est plus faste. Seul le rétablissement d’un équilibre structurel permettra d'éviter que se constitue ou se reconstitue une dette sociale durable.

C’est précisément ce que la France n’est pas parvenue à faire dans les années 2000. Les déficits structurels se sont accumulés en période de croissance et les prélèvements ont été accrus à la suite de la récession de 2009, pesant d’autant sur la reprise de l’activité. En raison des déficits, la dette sociale a augmenté de façon ininterrompue jusqu’en 2014. En 2017, nos concitoyens ont acquitté plus de 15 milliards d’euros de prélèvements sociaux pour rembourser la dette sociale et en payer les intérêts.

J’en viens à 2018. Selon le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, présenté ce matin en conseil des ministres et dont les grandes lignes ont été annoncées le 25 septembre dernier, le déficit de la sécurité sociale atteindrait 1 milliard d’euros en 2018, soit une baisse de 1,2 milliard d’euros par rapport à la prévision de la loi de financement pour 2018.

Cette nouvelle prévision prend en compte une accélération des dépenses sociales de 2,4 %, et se fonde sur l’hypothèse d’une masse salariale aussi dynamique en 2018 qu’en 2017, en croissance de 3,5 %, malgré le ralentissement de la croissance économique.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit par ailleurs un retour à l’équilibre de la sécurité sociale cette même année, avec un léger excédent de 700 millions d’euros pour le régime général et le FSV.

Chacun ne peut, bien sûr, que se réjouir de cette embellie inédite depuis 2001. Toutefois, elle doit être nuancée. L’assurance maladie conserverait en effet un déficit, certes ramené de 4,9 milliards d’euros en 2017 à 500 millions d’euros. Pour sa part, le déficit des retraites, FSV compris, se maintiendrait à 1,1 milliard d’euros.

Pour 2019 et les années suivantes, le Gouvernement indique vouloir atteindre trois objectifs financiers concomitants : maintenir la sécurité sociale à l’équilibre, rééquilibrer les relations de la sécurité sociale avec l’État en faveur de ce dernier, et enfin éteindre la dette sociale maintenue à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

Ces objectifs appellent deux remarques.

S’agissant des relations financières entre l’État et la sécurité sociale tout d’abord, et comme la Cour des comptes l’a relevé l’an dernier, le redressement financier de la sécurité sociale a été principalement assuré par des hausses de prélèvements de l’ordre de 27 milliards d’euros entre 2011 et 2016, ainsi que par la surcompensation par l’État du coût des allègements généraux de cotisations, à hauteur de 3 milliards d’euros fin 2016.

Selon le projet de loi de financement pour 2019, cette situation évoluerait. Ainsi, les nouvelles baisses de prélèvements, pour ceux qui sont affectés à la sécurité sociale, seraient supportées par celle-ci. En outre, le coût de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allégements généraux de cotisations serait partagé entre l’État et la sécurité sociale.

S’agissant de la dette sociale ensuite, la Cour des comptes ne peut que souscrire à l’objectif d’une extinction complète. Cette dette s’est accumulée du fait des déficits enregistrés depuis les années 1990. Depuis 2015, la réduction continue du déficit de la sécurité sociale et les excédents croissants de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) conduisent à réduire chaque année davantage cette dette sociale, de près de 9 milliards d’euros en 2017.

Selon les prévisions, la CADES achèvera en 2024 de rembourser les 260,5 milliards d’euros de dette sociale qui lui ont été transférés depuis 1996.

Au-delà, le projet de loi de financement pour 2019 engage le remboursement des 23,4 milliards d’euros de dette financés par l’ACOSS par des emprunts à court terme exposés au risque d’une remontée des taux d’intérêt. La Cour des comptes a toujours attiré l'attention sur les risques d'une remontée des taux d'intérêt et d'une somme très importante supportée par l'ACOSS. Le projet prévoit ainsi de réaffecter 5 milliards d’euros de recettes de contribution sociale généralisée (CSG) à la CADES entre 2020 et 2022, afin de lui permettre de reprendre au plus 15 milliards d’euros de dette. Les 8 milliards d’euros restants seraient amortis par les excédents du régime général et du FSV. Les transferts financiers vers la CADES et l’État viendraient contenir ces mêmes excédents aux alentours de 1 milliard d’euros à partir de 2020.

Vous l’aurez compris, la réalisation simultanée des trois objectifs annoncés par le Gouvernement est fortement tributaire de l’évolution de la conjoncture économique. Elle nécessitera un pilotage ferme de la trajectoire financière de la sécurité sociale et des efforts de maîtrise des dépenses dans la durée.

J’en viens au second message formulé par la Cour des comptes : pour que le retour de la sécurité sociale à l’équilibre soit durable, il convient d’agir sur la situation dégradée de l’assurance maladie.

Pour la huitième année consécutive, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) a été respecté en 2017. Les dépenses ont progressé de 2,3 %. Comme en 2015 et 2016, nous observons toutefois un dépassement de l’enveloppe prévisionnelle de soins de ville, qui a atteint 600 millions d’euros.

À la différence des années précédentes, ce dépassement a été pour partie compensé par un fort ralentissement de l’activité hospitalière. Cette moindre activité, qui n’avait pas été anticipée, a contribué au respect de l’ONDAM. Elle a cependant un revers. En effet, les tarifs hospitaliers ont été fixés en fonction d’une prévision d’augmentation du volume d’activité des établissements de santé. Le fait que cette hausse ne se soit que partiellement produite a conduit à porter le déficit des hôpitaux publics de 439 millions d’euros en 2016 à 835 millions d’euros en 2017 pour leur budget principal.

Malgré son desserrement à 2,3 % en 2018 puis à 2,5 % en 2019, afin d’accompagner le plan « Ma santé 2022 », l’ONDAM sera difficile à tenir. En effet, le cumul des augmentations de rémunérations accordées aux acteurs du système de santé – professionnels libéraux, établissements, fonctionnaires hospitaliers, fabricants de produits de santé – pèsera sur l’évolution tendancielle des dépenses financées par l’assurance maladie.

Il résulte de cette analyse qu’il est indispensable d’établir de manière plus rigoureuse les prévisions d’évolution tendancielle des dépenses, mais aussi les prévisions nécessaires à la réalisation de l’objectif de dépenses. En cours d’année, il est nécessaire de mettre à contribution l’ensemble des secteurs de soins pour assurer la tenue de cet objectif, y compris les soins de ville qui en ont été exemptés à ce jour. La Cour des comptes préconise ainsi d’instaurer une réserve prudentielle pour les dépenses de soins de ville, comme c’est déjà le cas pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux.

Au-delà du cadrage annuel des dépenses d’assurance maladie, c’est sur la structure même de notre système de santé qu’il faut agir. À cet égard, la Cour des comptes s’est livrée à un exercice particulièrement riche de comparaison des évolutions récentes des systèmes de santé et de prise en charge des dépenses qui sont intervenues dans huit pays européens.

Plusieurs de ces pays, tout particulièrement ceux qui sont affectés par la crise des dettes souveraines, ont été contraints de réduire la prise en charge publique des dépenses de santé. Malgré une conjoncture dégradée, la France ne s’est pas engagée dans cette voie. Ainsi, la part des dépenses de santé socialisée par l’assurance maladie équivaut aujourd’hui globalement à celle de 2008.

Un aspect a retenu notre attention : nos voisins ont réformé bien plus en profondeur l’organisation des soins que nous ne l’avons fait. Ils régulent plus fortement la médecine de ville à l’aune d’objectifs de santé publique. Les médecins y prescrivent beaucoup plus souvent des médicaments génériques qu’en France. Souvent, le secteur hospitalier y a été restructuré plus profondément, qu’il s’agisse du nombre de lits ou de la hiérarchisation des missions des hôpitaux à l’échelle des territoires. Enfin, les données numériques de santé y sont souvent utilisées à grande échelle. En France, à l’inverse, la prescription électronique par les médecins en est encore à un stade expérimental, et la généralisation du dossier médical partagé (DMP) s’engage à peine.

Ces comparaisons soulignent la nécessité d’améliorer l’efficience de notre système de santé afin d’assurer sa soutenabilité sur le long terme. Pour cela, plusieurs leviers doivent être activement mobilisés. J’en illustrerai quatre.

À l’évidence, la prévention est le tout premier levier d’efficience de notre système de santé. Notre rapport développe ainsi le cas des maladies cardio-neurovasculaires. Ces pathologies s’étendent : l’on recense 4,5 millions de malades chroniques aujourd’hui, et ils représenteront 8 % de la population française en 2020. Pourtant, cette situation n’a rien d’inéluctable, puisqu’il est possible d’agir sur les principaux déterminants de ces maladies que sont la consommation de tabac et d’alcool, la mauvaise alimentation et la sédentarité.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a programmé une forte augmentation du prix du tabac, portant de 6,80 euros à 10 euros le prix moyen du paquet de cigarettes entre 2017 et 2020. La première augmentation d’un euro, intervenue en mars 2018, a entraîné une nette baisse de la consommation de tabac. Il importe de poursuivre ces hausses de prix et d’agir avec la même détermination sur les autres habitudes de vie qui favorisent les maladies cardio-neurovasculaires. À cette fin, la Cour préconise notamment un relèvement des impôts sur les alcools et les boissons sucrées.

Le deuxième levier qu’il convient d’actionner est celui de la qualité et de la sécurité des soins. Il s’agit de privilégier le mode de prise en charge le plus adapté à la situation des patients. À cet égard, le mode ambulatoire, quand il est médicalement justifié, a des bénéfices démontrés. Pourtant, le virage ambulatoire de notre système de santé est inégalement engagé. À l’hôpital, les prises en charge de jour, sans nuitées, ont beaucoup progressé en chirurgie – il faut le saluer –, tout en conservant un important potentiel de développement. Faute d’incitations tarifaires en ce sens, elles stagnent en revanche en médecine. Par ailleurs, les conséquences du virage ambulatoire sur les capacités hospitalières en lits tardent à être tirées.

Quant au basculement des prises en charge de l’hôpital vers la ville, il achoppe sur l’atomisation des professionnels libéraux de santé. La hausse continue du recours aux urgences – elles recensaient plus de 21 millions de passages en 2016 et croissent de 4 % environ chaque année – témoigne de l’ampleur de l’effort d’organisation des soins de ville à accomplir.

Comme le montre le cas des maladies cardio-neurovasculaires, améliorer la qualité des prises en charge à l’hôpital, c’est aussi remédier à la fragmentation de l’offre de soins. La Cour des comptes recommande à ce titre d’unifier le régime des autorisations sanitaires, aujourd’hui dispersées, de fixer des seuils d’activité pour les nombreuses activités qui n’en disposent pas encore, de relever les seuils quand ils sont trop bas, ainsi que d’appliquer effectivement les autorisations et seuils fixés.

Le troisième levier d’évolution de notre système de santé réside dans une structuration mieux assurée du premier recours aux soins.

Le rapport examine ainsi la situation de plus en plus problématique que présentent les soins visuels. La répartition inégale des ophtalmologues sur le territoire empêche nombre de nos concitoyens d’obtenir une consultation dans un délai raisonnable. À organisation inchangée, ces difficultés d’accès aux soins s’accentueront.

Du fait des décisions de resserrement du numerus clausus et du nombre de places à l’internat qui ont été prises de la fin des années 1980 à 2010, le nombre d’ophtalmologues diminuera fortement jusqu’en 2030. Avec l’augmentation de la population, la densité d’ophtalmologues baissera encore davantage, de l’ordre de 20 % en moyenne. Le temps médical disponible par patient chutera plus encore.

Les réponses apportées à ce jour à cette pénurie croissante sont insuffisantes. La Cour des comptes préconise qu’à l’instar d’autres pays, comme le Royaume-Uni, les orthoptistes et les opticiens, dont la démographie est dynamique, prennent davantage en charge une partie des tâches qui sont aujourd’hui assumées par les ophtalmologues.

Les orthoptistes pourraient ainsi assurer en toute autonomie les soins de premier recours, notamment les bilans visuels et les prescriptions d’équipements d’optique médicale. Les opticiens lunetiers pourraient quant à eux prescrire des équipements d’optique en première intention, et non pas uniquement au titre de renouvellements comme aujourd’hui.

Ces évolutions supposent bien entendu des garanties et des encadrements, notamment un approfondissement de la formation des professionnels concernés. Elles sont cependant capitales.

Le quatrième et dernier levier de modernisation de l’assurance maladie que présente notre rapport concerne la tarification de certains actes et biens de santé.

Pour s’en tenir aux soins visuels, la Cour relève un ensemble de surcoûts à remettre en cause, par exemple le niveau de prix des médicaments utilisés pour le traitement d’une pathologie répandue, la dégénérescence maculaire liée à l’âge humide. Il est non moins impératif de réviser rapidement la nomenclature médicale des actes d’ophtalmologie pour prendre en compte les gains de productivité permis par le progrès des techniques.

Avant d’aborder la troisième et dernière partie de mon propos, je me permettrai une remarque supplémentaire s’agissant de l’avenir de notre système de santé. La plupart des orientations du plan « Ma santé 2022 », annoncé par la ministre des solidarités et de la santé, madame Agnès Buzyn, rejoignent des recommandations que la Cour des comptes a formulées dans de précédentes publications ou dans le présent rapport.

De manière générale, les faiblesses de notre système de santé et les évolutions qui permettraient d’y remédier font l’objet d’analyses souvent convergentes. Vous les avez, pour beaucoup d’entre elles, également formulées dans vos travaux parlementaires. Pourtant, les actes tardent depuis trop longtemps à venir. La Cour des comptes suivra donc avec attention la mise en œuvre du plan « Ma santé 2022 ».

Dans ses travaux, la Cour des comptes souhaite exprimer une conviction forte : avant qu’il ne soit question de moyens supplémentaires, c’est d’une refonte en profondeur de son organisation que notre système de santé a besoin, au bénéfice de la prévention des accidents et des pathologies de santé et au bénéfice de la qualité des prises en charge.

J’achèverai mon propos sur un troisième et dernier constat, celui des marges de progrès qui demeurent dans l’organisation et le fonctionnement mêmes de la sécurité sociale.

J’évoquerai successivement trois leviers présentés dans ce rapport : la réforme de la tarification des risques professionnels, l’utilisation de l’ensemble des apports de la déclaration sociale nominative (DSN), et enfin la réorganisation des missions des caisses de sécurité sociale de trois départements d’outre-mer.

S’agissant de l’amélioration de la santé au travail, la Cour a souhaité apporter sa contribution à la réflexion engagée par le Gouvernement et par le Parlement. Je fais ici référence au rapport élaboré par M. le député Pierre Dharréville, au nom de la commission d’enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie, ainsi qu’au rapport sur la santé au travail remis par Mme la députée Charlotte Lecocq au Premier ministre.

Dans son rapport, la Cour des comptes s’est penchée sur la tarification des risques professionnels, c’est-à-dire la fixation annuelle des taux de cotisation d’accidents du travail et de maladies professionnelles que doivent appliquer les employeurs. Les règles juridiques qui président à la fixation de ces taux de cotisation sont très complexes. Les processus de gestion qui concourent à les calculer et à les appliquer sont particulièrement lourds. Pour autant, le mode de calcul des taux mutualise trop le financement des prestations imputables à des accidents du travail et à des maladies professionnelles, au détriment de leur prévention.

La Cour des comptes invite par conséquent les pouvoirs publics à s’affranchir du statu quo et à fixer un cap clair en faveur de la prévention. Entre autres recommandations, nous préconisons de relever fortement les taux de cotisation des entreprises dont la sinistralité est anormalement élevée au regard de leur secteur d’activité, de mutualiser le financement des maladies professionnelles différées au niveau des domaines d’activité concernés – et non plus dans le cadre interprofessionnel national – et de mettre fin à quelques avantages particuliers dont bénéficient certains secteurs.

Autre voie de progrès identifiée dans le cadre de ce rapport : la déclaration sociale nominative.

La conception technique de cette déclaration mensuelle extraite des fichiers de la paie, et sa généralisation à l’ensemble des entreprises entre 2015 et 2017, ont été réalisées avec succès. Nous devons nous en réjouir. Néanmoins, cet outil n’a pas encore tenu toutes ses promesses. La Cour des comptes appelle à donner une nouvelle impulsion à ce chantier essentiel de modernisation. Il s’agit tout d’abord de rendre la DSN universelle, en lui intégrant les trois fonctions publiques ainsi que les déclarations qui en sont pour le moment restées à l’écart : déclarations sociales bien entendu, mais aussi fiscales, comme celle de la taxe sur les salaires. Il s’agit aussi d’utiliser à grande échelle les données nominatives déclarées chaque mois par les employeurs afin d’améliorer le recours aux droits, d’assurer le paiement à bon droit des prestations et de lutter contre la fraude aux prélèvements et aux prestations.

J’aborderai en dernier lieu l’exercice de leurs missions par les caisses de sécurité sociale dans trois départements d’outre-mer (DOM) : la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique.

Nous sommes conscients que le contexte économique et social exigeant de ces trois départements pèse indéniablement sur les conditions d’exercice de leurs missions par les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) spécifiques aux départements d’outre-mer, et par les caisses d’allocations familiales.

Toutefois, au-delà de ce contexte, nous avons constaté que les résultats de gestion n’étaient pas au rendez-vous dans trois domaines-clés : le recouvrement des prélèvements sociaux, la conformité des prestations versées aux règles de droit et, pour certaines caisses, les délais de paiement des prestations.

La Cour des comptes préconise non seulement la mise en œuvre urgente de mesures de redressement, mais encore une redéfinition des missions mêmes des caisses : recentrage des CGSS sur la gestion de prestations, création d’une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) interrégionale, mutualisation d’activités entre caisses, y compris avec les caisses métropolitaines. À l’évidence, une rationalisation des organisations internes s’impose également.

Voilà les principaux points délivrés par ce rapport. Je conclurai sur un dernier message.

Un retour prochain à l’équilibre financier de la sécurité sociale, pour la première fois depuis 2001, est désormais possible. Cependant, ce redressement reste fragile et dépendant de la conjoncture économique. Les incertitudes sont relativement fortes sur 2019. Elles sont plus fortes, en tout cas, cette année que les années précédentes. Ce redressement doit être un accélérateur de réformes, et non l’inverse. Parvenir à un équilibre structurel et donc pérenne des finances sociales est non seulement indispensable pour éviter que se reconstitue une dette sociale au détriment des générations futures, mais encore possible. Les rapports successifs de la Cour des comptes s'efforcent de le démontrer. Les termes en sont connus. Il ne reste qu’à mener une action durable et déterminée.

Derrière l’aridité apparente des chiffres se cache en effet un enjeu essentiel dont vous êtes les garants : sauvegarder la fonction centrale de solidarité que remplissent les dépenses de sécurité sociale pour nos concitoyens.

M. Olivier Véran, rapporteur général. Le projet de financement de la sécurité sociale prévoit un changement assez important dans les relations entre l’État et la sécurité sociale. Cette année en effet, pour la première fois, le principe de compensation des exonérations ne sera pas appliqué. C’est notamment le cas pour la suppression du forfait social. Quel est le sentiment de la Cour des comptes à ce sujet ?

À un horizon de deux ou quatre ans, il semble que ce qui aurait pu relever d’excédents pour la sécurité sociale ne sera pas considéré comme tel. En effet, ces excédents seront transférés pour partie à la CADES, afin de mieux rembourser la dette sociale – en récupérant, ce faisant, la dette aujourd'hui portée par l’ACOSS – et pour partie à l’État au titre de la réduction des déficits publics et de la dette. Que pense la Cour des comptes de ce virage ? Il est vrai que, la sécurité sociale n’ayant pas atteint l’équilibre depuis vingt ans, cette question ne s’est pas posée depuis deux décennies.

En contrepartie du transfert entre la sécurité sociale et l’État, serait-il possible d’instaurer des garanties visant à s’assurer que ces fonds, dûment transférés à l’État, serviront, de façon directe ou indirecte, à opérer des dépenses dans le champ sanitaire et social ? Il est parfaitement envisageable de servir la cause sanitaire par des dépenses qui ne relèvent pas directement de la santé. L’amélioration des transports, des conditions environnementales ou encore de l’éducation peut ainsi avoir un impact sanitaire important. Peut-être serait-ce une solution « élégante » pour compenser le transfert entre la sécurité sociale et l’État. Elle n’a jamais été mise en œuvre jusqu'à présent, mais sans doute la question est-elle inédite. Monsieur le Premier président, quel est votre avis sur cette question ?

Dans le cadre du débat sur la réforme constitutionnelle, un amendement a été adopté en commission et en séance, en première lecture, visant à étendre le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale à l’ensemble des questions liées à la protection sociale, pour y intégrer en priorité la question de la dépendance – grand chantier du présent quinquennat – voire, à terme, les retraites complémentaires ou l’assurance chômage – bien que ceci ne soit pas la volonté du Gouvernement. Quel regard portez-vous sur cette extension du périmètre des lois de financement ?

Le Gouvernement a décidé de supprimer le fonds de financement pour l’innovation pharmaceutique, qui était très critiqué par la Cour des comptes. Il procède à une réduction substantielle des réserves sur la certification des comptes sociaux. Il reprend la majorité de la dette de l’ACOSS par la CADES, et modifie peu le périmètre de l’ONDAM. Au-delà de la question des soldes, comment appréciez-vous la détermination du Gouvernement et de sa majorité à présenter les comptes les plus fiables possible, suivant ce faisant de nombreuses recommandations de la Cour des comptes ?

Le rapport de la Cour propose, une fois encore, de mettre en place des mécanismes de régulation infra-annuels de l’enveloppe de médecine de ville. À la différence de l’ONDAM hospitalier, l’ONDAM de ville n’est pas fermé. Nous assistons chaque année à des dépassements des enveloppes de ville, au détriment d’autres enveloppes dans le champ de la sécurité sociale. Monsieur le Premier président, quel pourrait être ce mécanisme de régulation infra-annuel ? Chacun se souviendra de l’impasse politique dans laquelle le pays a été plongé dans les années 1990, quand, en application du plan de réforme de la sécurité sociale présenté par Alain Juppé, des ordonnances avaient prôné un mécanisme de régulation par retour sur enveloppe via des lettres-clés flottantes. Monsieur le Premier président, identifiez-vous d’autres mécanismes ? Nous incitez-vous, au contraire, à tenter cette expérience, vingt-cinq ans plus tard ?

La ligne globale de la Cour des comptes sur le système de soins rejoint à de nombreux égards la stratégie fixée par le plan « Ma santé 2022 » annoncé récemment par le Président de la République, avec une volonté affirmée de renforcer une offre qui soit mieux balisée et mieux répartie entre ville et hôpital. Confirmez-vous cette lecture ?

Un chantier a été amorcé par la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, afin d’étudier les besoins des personnes âgées dépendantes et la meilleure façon d’y répondre. Sur cette base, monsieur le Premier président, avez-vous des recommandations à émettre sur les modalités de financement de la dépendance ? Serait-il envisageable, par exemple, de reporter le tableau d’amortissement du remboursement de la CADES de 12 ou 18 mois, afin de tenter d’extraire quelques milliards d’euros et d’opérer une montée en gamme ? La dette sociale serait alors remboursée à l’horizon non pas de 2024, mais de 2025. À l’inverse, préconisez-vous plutôt des mesures semblables à la journée de solidarité envers les personnes âgées, ou d’autres modalités de financement ?

Enfin, le rapport de la Cour de comptes propose d’augmenter la fiscalité sur les boissons sucrées et l’alcool. La taxe dite « soda » que nous avons votée à l’unanimité dans le précédent PLFSS a un impact sur les industriels, qui ont reformulé leurs boissons en en réduisant de 30 % à 70 % les taux de sucre. Cependant, comme j’ai pu le constater dans des supérettes parisiennes, il peut être plus coûteux d’acheter une bouteille d’eau qu’une bouteille de soda sucré, voire qu’une bouteille d’alcool. Pensez-vous, monsieur le Premier président, que nous devions être plus incisifs sur cette question ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Pour répondre à cette dernière question, nous pensons qu’il est possible d’être plus incisif à l’égard de la taxation des alcools et des boissons sucrées, afin d’accentuer la prévention de certaines pathologies. Dans un certain nombre de pays, le « signal prix », cette dissuasion à l’achat par un relèvement du coût des denrées, a montré des effets bénéfiques. Tel est le sens de notre recommandation sur la taxation de ces produits. Nous vous encourageons, malgré les difficultés, à poursuivre cette démarche au regard du tabac.

Monsieur le rapporteur général, vous m’avez soumis, en ouverture de votre propos, une question extrêmement sensible et politique : l’État doit-il compenser systématiquement auprès de la Sécurité sociale les conséquences des décisions qu’il prend ? Quel est le réglage optimal ? Manifestement, les gouvernements précédents ont privilégié le redressement des comptes de la sécurité sociale au redressement des comptes de l’État. Ceci explique que la plupart des prélèvements obligatoires qui ont été augmentés entre 2011 et 2016 aient été destinés à la sécurité sociale. C’est ainsi que 27 milliards d’euros ont été affectés à cette dernière. L’État a même surcompensé certaines décisions qu’il avait pu prendre pour réduire les cotisations sociales, jusqu'à 3 milliards d’euros. C’est là une somme considérable, qui aurait pu être utile aux comptes de l’État.

Dès lors que la sécurité sociale revient à l’équilibre, il peut se concevoir que l’État opère des arbitrages différents. Il y va de sa responsabilité politique. En effet, les engagements pris par la France – que vous avez votés – concernent l’ensemble des administrations publiques, qu’elles relèvent de l’État, de la sécurité sociale ou des collectivités territoriales. Il incombe à l’État de proposer un réglage fin avec la sécurité sociale, voire avec les collectivités territoriales. En d’autres termes, c’est à vous qu’il revient de répondre à cette question. Dans tous les cas, la Cour des comptes appelle à poursuivre l’effort de maîtrise des dépenses de sécurité sociale tant que le redressement des finances publiques n’est pas parvenu à son terme. Nous préconisons que tout excédent soit préservé en vue de contribuer à la réduction des déficits de l’ensemble des administrations publiques ainsi qu’au désendettement complet de la sécurité sociale. Le retour des comptes à l’équilibre ne doit pas conduire à relâcher les efforts de maîtrise de la dépense ni, surtout, de réorganisation de notre système de santé.

J’en viens à l’importante question du traitement des variations conjoncturelles des recettes. Si, en 2019, la conjoncture évoluait plus négativement que ne l’ont anticipé les pouvoirs publics – en ligne, du reste, avec le consensus des économistes, à 0,1 % ou 0,2 point de produit intérieur brut (PIB) près –, il faudrait pouvoir adapter les mesures. Nous avons évoqué deux approches possibles.

D’une part, l’État peut assurer le lissage des variations conjoncturelles des recettes sociales en modulant les transferts financiers à la sécurité sociale, à la hausse en période de bas de cycle, ou à la baisse en période de haut de cycle.

D’autre part, il est possible de mettre en place des fonds internes à la sécurité sociale pour opérer ce lissage en accumulant en leur sein les excédents conjoncturels des périodes de haut de cycle, puis en comblant les déficits conjoncturels en périodes de bas de cycle. Le rapport de la Cour des comptes de l’année dernière signale que le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pourrait préfigurer un tel fonds, s’agissant du lissage des variations conjoncturelles des recettes des régimes de retraite.

La Cour des comptes appelle de ses vœux une extension du champ des lois de financement de la sécurité sociale. Nous pensons utile que soit organisée au Parlement une discussion générale unique sur l’ensemble des recettes – État et sécurité sociale –, suivie naturellement d’un examen des volets respectifs des deux textes pour les recettes et les dépenses. Une telle discussion générale unique sur l’ensemble des prélèvements pourrait être opportune pour apprécier la cohérence des mesures présentées.

Nous constatons que les biais affectant la présentation des dépenses qui entrent dans le champ de l’ONDAM ont eu en 2017 une portée plus limitée qu’en 2016. Une fois ces biais neutralisés, il apparaît que les dépenses ont augmenté de 2,3 %, pour un taux affiché de 2,2 %. Sous réserve de son adoption, la suppression du fonds de financement de l’innovation pharmaceutique mettra fin à l’un des principaux biais identifiés par la Cour des comptes dans la présentation des dépenses relevant de l’ONDAM.

En ce qui concerne les comptes sociaux, un certain nombre de désaccords peuvent affecter de manière récurrente le traitement comptable des incidences financières des réaffectations de recettes, en faveur ou au détriment de la sécurité sociale. Des progrès ont néanmoins été accomplis, même si certaines dispositions pourraient encore être mises en œuvre au regard de l’ONDAM. Toutes les décisions qui ont été prises récemment dans ce cadre nous semblent favorables.

Je laisserai au président Morin le soin répondre à votre question, monsieur le rapporteur général, sur les mécanismes de régulation infra-annuels des dépenses de ville.

Le financement de la dépendance ne fait pas l’objet de développements dans le présent rapport. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à votre question sur ce sujet, monsieur le rapporteur général. À brûle-pourpoint, il me semblerait peu raisonnable de reporter encore les échéances de remboursement de la CADES. Il faut savoir respecter ses engagements, d’autant que des reports ont déjà été effectués. En soi, une dette sociale se justifie peu. L’on peut considérer qu’il est légitime qu’un État emprunte pour financer des dépenses et des investissements d’avenir. C’est en revanche moins légitime s’agissant de dépenses courantes de sécurité sociale. Pourquoi faire financer par les générations futures des dépenses qui concernent les générations présentes ? Nous pensons que des dépenses supplémentaires peuvent être couvertes par des économies, sans remettre en cause l’accès aux soins ni la qualité de ceux-ci. Tous les rapports de la Cour des comptes s’emploient à démontrer que notre système de santé et de soins présente des marges d’efficacité et d’efficience.

M. Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. Nous avons constaté en 2017 une forte dégradation de la situation des établissements hospitaliers. Aussi considérons-nous inopportun de continuer à réguler l’ONDAM en termes infra-annuels, exclusivement par des gels des dotations budgétaires destinées à l’hôpital – en particulier dans un contexte où ceci se traduit par un doublement du déficit des établissements hospitaliers, ainsi que par d’évidentes tensions. Se pose par conséquent la question de l’internalisation dans d’autres sous-objectifs de l’ONDAM de mécanismes de régulation. Cette interrogation s’est déjà présentée par le passé. Néanmoins, des progrès ont été accomplis depuis la réforme de la sécurité sociale de 1996. Aujourd'hui par exemple, sur 70 milliards d’euros de dépenses prescrites, 20 milliards d’euros sont régulés par des accords prix-volumes. Il en est ainsi pour les médicaments et la biologie, en particulier. Ce dispositif fonctionne plutôt efficacement. Une solution de cette nature pourrait être étendue. En revanche, il reste à progresser sur les indemnités journalières, les transports sanitaires et un certain nombre d’autres dépenses prescrites.

Notre rapport propose de nicher dans le sous-objectif des soins de ville une sorte de provision, pouvant être débloquée si les objectifs sont respectés en cours d’année, ou maintenue bloquée en cas de dépassement. Les dotations hospitalières sont déjà gérées de cette façon. Ceci ne concerne d’ailleurs pas seulement les dotations budgétaires à l’hôpital, mais aussi les règles de fixation des tarifs. En effet, les tarifs sont arrêtés à l’aune de coefficients prudentiels depuis cinq ans. Une partie de la masse tarifaire est donc gelée ab initio, puis dégelée ou non selon les circonstances.

L’année 2017 s’est caractérisée par un ralentissement net – et largement inexpliqué – de la croissance tendancielle de l’activité hospitalière, laquelle se situait jusqu'alors à quelque 2,5 % ou 3 % en volume. Il a été nécessaire que le ministère des solidarités et de la santé dégèle des dotations complémentaires in extremis, dans les tout derniers jours précédant la clôture des comptes, pour éviter un creusement trop lourd des déficits hospitaliers. Il semble donc que nous nous atteignions les limites de ce mode de pilotage. Peut-être devrions-nous nous inspirer d’autres pays qui parviennent à réguler la médecine de ville. Gardons-nous de considérer que, par nature, ces dépenses ne peuvent pas être régulées.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous poser des questions, en commençant par les représentants des groupes.

Mme Audrey Dufeu Schubert. La situation des comptes de la sécurité sociale s’avère non seulement meilleure qu’attendu en 2018, mais encore, et surtout, proche de la prévision de la commission des comptes de la sécurité sociale. Il est important de souligner la volonté manifestée par le Gouvernement en faveur de la sincérité des comptes, qui permet d’engager une gestion juste, éclairée et pertinente de notre système.

Pour la première fois depuis dix-huit ans, les comptes de la sécurité sociale sont à l’équilibre. Cette situation nous permettra de porter des mesures ambitieuses, et surtout des mesures de pertinence des soins, pour garantir la préservation de cet équilibre à l’avenir.

Les priorités du PLFSS à venir font écho au rapport de la Cour des comptes, notamment sur la nécessité d’amplifier la coordination des territoires au bénéfice des usagers. Cependant, une coordination ne saurait s’orchestrer sans outil. Je pense en particulier au numérique, piste d’amélioration régulièrement évoquée dans ce rapport, et à la nécessité de déployer des outils interopérables.

Je ne peux m’empêcher de relier ces avancées numériques aux bénéfices qu’emportera la généralisation tant attendue du dossier médical partagé (DMP). Son déploiement, à la fin de l’année, devrait être une source d’efficience et ouvrir des pistes d’économies considérables de dépenses de santé.

Monsieur le Premier président, votre rapport insiste sur l’effort qu’il est nécessaire de consacrer aux filières ambulatoires, mais aussi plus particulièrement aux spécialités médicales qui, contrairement à la chirurgie ambulatoire, accusent un retard. Cela doit nous questionner sur l’opportunité de différencier les pratiques en fonction des statuts public et privé, ou encore des disparités territoriales. Nous pensons que la pertinence des soins doit être un fondement de notre système de santé. La ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, y est très sensible. Les démarches de qualité, au service du juste soin, doivent intégrer les pratiques du quotidien. Nous interrogerons la ministre sur cette thématique au regard du budget à venir. La mission d’expertise des comptes de la sécurité sociale prévoit d’ailleurs, dès le début de l’année 2019, un rapport d’évaluation sur les soins et les filières ambulatoires.

J’en terminerai par la question de la prévention, pierre angulaire essentielle non seulement pour optimiser nos dépenses de santé, mais encore pour permettre à chacun d’accéder à un niveau de santé optimal, au-delà des disparités sociales.

Dans votre rapport, monsieur le Premier président, vous ciblez les pathologies chroniques, en particulier les maladies cardiovasculaires, que vous mettez en lien direct avec les politiques de prévention, notamment sur la consommation d’alcool, qui est à l’origine de nombreuses affections médicales. J’aimerais vous questionner sur le coût global que l’alcool engendre sur les plans médical, social et judiciaire. Je vous en remercie, monsieur le Premier président. Soyez assuré de la volonté de notre majorité de préserver notre système de santé et sa soutenabilité.

M. Jean-Carles Grelier. Je ne résisterai pas, monsieur le Premier président, à la tentation de vous poser une question quelque peu iconoclaste. Par-delà la nécessaire responsabilité de la bonne administration des deniers publics, les parlementaires que nous sommes entendent presque quotidiennement l’inquiétude de leurs concitoyens sur le fonctionnement de la médecine de ville et de la médecine hospitalière. Nous constatons la quasi-absence de politiques efficaces en matière de prévention – politiques qui ne sont, aujourd'hui, ni gouvernées, ni évaluées. Nous entendons le cri d’alarme des professionnels de santé, qu’ils travaillent en libéral, à l’hôpital ou dans l’hospitalisation privée. Nous déplorons la perte d’indépendance de notre pays en matière d’approvisionnement en molécules essentielles, ainsi que l’inquiétude qui pèse aujourd'hui sur le monde du médicament. Au moment où le Président de la République, à juste raison, nous invite à changer de paradigme et de regard sur la santé, ne vous semble-t-il pas, monsieur le Premier président, que notre regard sur le financement du système de santé doive également évoluer ? Ne craignez-vous pas qu’à force de vouloir faire entrer notre système de santé dans l’entonnoir de l’orthodoxie budgétaire, qu’à force de coups de rabot successifs depuis des années, le malade finisse par mourir en bonne santé ?

M. Cyrille Isaac-Sibille. Monsieur le Premier président, notre groupe tient à vous remercier pour la qualité de votre exposé et pour le travail fourni par la Cour des comptes. Ce document est extrêmement utile aux parlementaires pour mesurer l’impact des décisions qu’ils prennent ici même, ainsi que pour dégager des pistes de travail et des perspectives concrètes pour leurs futurs travaux.

Tout comme vous, monsieur le Premier président, nous saluons la très belle embellie des comptes de la sécurité sociale, inédite depuis dix-huit ans. Je suis fier d’appartenir à une majorité qui a voté un budget ayant permis ce retour à l’équilibre. Toutefois, cela ne suffit pas. Il nous faut poursuivre les efforts entrepris depuis plusieurs années pour que ces résultats s’inscrivent dans le temps. Plusieurs chantiers sont à l’ordre du jour : de meilleures coordination et fluidification des soins de ville, une refonte plus que nécessaire de notre système de santé – nous nous réjouissons de l’effort consenti dans le PLFSS pour assurer cet investissement en 2019 –, le développement de la télémédecine, ou encore le déploiement de plateformes de données de santé numérisées, devant nous permettre d’instaurer une meilleure circulation de l’information, source d’efficacité, de qualité des soins et d’économies.

À l’instar de ma collègue Audrey Dufeu Schubert, je souhaiterais revenir sur la question de la prévention. Nous savons que le coût des maladies chroniques pèse toujours plus lourdement sur les comptes de l’assurance maladie. C’est pourquoi il est nécessaire de développer la prévention primaire et l’éducation à la santé. Comment doit s’opérer, selon vous, la répartition entre l’État et l’assurance maladie dans ce domaine ? Aujourd'hui, l’État finance la prévention au travers des fonds d’intervention régionaux (FIR), tandis que l’assurance maladie intervient très peu en la matière. Pensez-vous que l’assurance maladie doive élargir son rôle pour s’occuper du financement de la prévention ?

M. Francis Vercamer. Monsieur le Premier président, votre rapport met l’accent, à juste titre, sur la nécessité de mener des réformes de structure pour pérenniser le retour à l’équilibre des comptes. Il convient incontestablement de prendre des mesures fortes et courageuses, notamment en ce qui concerne l’organisation de l’offre de soins dans les territoires et la carte hospitalière. L’enjeu est de trouver un équilibre entre la soutenabilité des dépenses sur le long terme et l’accès garanti aux soins – soins certes réorganisés, déployant des méthodes innovantes et, surtout, suffisants dans tous les territoires et présentant un reste à charge acceptable pour les patients.

L’avenir de notre protection sociale ne peut s’envisager au seul prisme de la règle à calcul. De ce point de vue, depuis les vingt ou trente dernières années, toutes les approches ont raisonné en termes de réduction de l’offre de soins et du nombre de professionnels. C’était faire le pari que diminuer l’offre ferait baisser la dépense. Or, nous constatons aujourd'hui l’effet inverse. Les dépenses de santé croissent. Des territoires entiers, ruraux et urbains, sont confrontés à une raréfaction des professionnels de santé, entraînant des coûts excessifs – les patients étant contraints de se tourner vers l’hôpital. Nous pouvons nous étonner que, dans un rapport précédent, la Cour des comptes ait considéré que les officines de pharmacie étaient trop nombreuses. Dans certains déserts médicaux en effet, le pharmacien reste le dernier point d’accès aux soins identifié par nos concitoyens.

C’est donc bien sur une organisation globale de l’offre de soins qu’il est nécessaire de se fonder, jouant de l’articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, ainsi que de la complémentarité entre les professions de santé.

J’en viens à quelques questions, monsieur le Premier président. Le coût de la maintenance des équipements techniques des hôpitaux est inflationniste. Sur quels critères pourrait-on apprécier le juste coût de ces opérations de maintenance ? Les mécanismes de la commande publique sont-ils aptes à garantir le juste prix de ces prestations ?

Outre les observations formulées par la Cour des comptes dans son rapport, deux questions se posent sur la pertinence de l’ONDAM. Ne vaut-il pas mieux prévenir que soigner ? Comment réduire les inégalités de santé entre les territoires ? Monsieur le Premier président, la création d’un sous-objectif de l’ONDAM dédié à la prévention en santé ne permettrait-elle pas de mieux cibler les dépenses de prévention sur objectifs, et de mieux évaluer l’effort annuel des dépenses accomplies dans ce but ?

En novembre 2017, la Cour des comptes évoquait la possibilité de déterminer des objectifs régionaux de dépense, avec une offre d’accès aux soins suffisante là où les besoins sont les plus forts. Il pourrait notamment s’agir, en l’occurrence, de la région des Hauts-de-France, dont l’Académie de médecine s’est alarmée de la situation sanitaire catastrophique. Cette région accuse un réel retard par rapport à la moyenne nationale, retard qui, de surcroît, s’accentue. Monsieur le Premier président, êtes-vous toujours favorable à la mise en œuvre d’objectifs régionaux de dépenses d’assurance maladie (ORDAM) ?

M. Pierre Dharréville. Les décisions que nous nous apprêtons à prendre doivent avoir pour seule boussole la réponse aux besoins. Au vu du tableau que dépeint le rapport de la Cour des comptes, nous pouvons nous demander quel a été le coût de la réduction de la dette, et qui l’a supporté. Il reste également beaucoup à faire pour que notre système de santé se tourne vers des mesures de prévention. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le coût du renoncement aux soins, s’il est chiffrable. À cet égard, monsieur le Premier président, ne serait-il pas nécessaire d’étendre le champ de la mutualisation plutôt que de le réduire, comme cela semble être le cas depuis quelques années ?

Parallèlement à la maîtrise des dépenses que vous invoquez, nous devons actionner le levier des recettes, afin de faire face aux besoins de santé. Aux économies que vous préconisez, je pourrais opposer un certain nombre d’investissements nécessaires, au profit de lieux qui sont aujourd'hui en forte souffrance.

J’évoquerais brièvement les risques liés à la non-compensation des mesures qui impactent le budget de la sécurité sociale, réintroduite et amplifiée dans le PLFSS, aux mécanismes de « pompage » des excédents par la TVA, et enfin à la fongibilité qui se profile entre le budget de l’État et celui de la sécurité sociale, mettant en cause l’autonomie de cette dernière.

Vous avez évoqué le prix des médicaments. Cela me semble être une piste à approfondir. Nous pourrions aussi parler de divers consommables, tels que le gel hydroalcoolique, qui sont commandés en masse dans notre pays mais dont l’utilité peut être questionnée.

S’agissant du virage de l'ambulatoire, j’aimerais vous interroger, monsieur le Premier président, sur le taux de réhospitalisation.

Enfin, vu la grande difficulté dans laquelle se trouvent nombre d’hôpitaux, nous pouvons nous demander s’il n’y a pas quelque hypocrisie dans la manière d’organiser la dette de ces établissements. Cette dette pèse sur la capacité des hôpitaux à faire face à un certain nombre d’enjeux. Nous pourrions également parler du coût des externalisations de services.

Enfin, monsieur le Premier président, je vous remercie d’avoir cité les travaux effectués par notre commission d’enquête. Je partage l’esprit de votre propos concernant les cotisations pour accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), et notamment sur l’opportunité de lier les taux de cotisation à la sinistralité des entreprises.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Une fois encore, nous nous réjouissons de l’équilibre prochain des comptes de la sécurité sociale. Cependant, nous avons aussi pour mission d’attirer votre attention sur les points de fragilité qui persistent, et de rappeler que le déficit structurel reste élevé.

Le déficit s’est certes contracté de façon lente et continue, mais il faut être conscient que cette réduction a été favorisée par une conjoncture économique plus favorable qu’elle ne l’avait été précédemment.

Nous avons salué les efforts de limitation des biais qui pouvaient affecter la sincérité des comptes. Ces efforts doivent être poursuivis.

Les interventions de plusieurs d’entre vous m’obligent à préciser que les dépenses de santé n’ont pas diminué ces dernières années. Elles ont au contraire augmenté. En 2019, des dépenses supplémentaires sont prévues dans le PLFSS à hauteur de 4,5 milliards d’euros. De même, nous n’avons aucunement assisté à une réduction de l’offre. Il est vrai, toutefois, que celle-ci est mal répartie sur le territoire, et que les difficultés d’accès aux soins ont plutôt tendu à s’accentuer en certains endroits. S’agissant du nombre d’officines, nos observations ont été quelque peu caricaturées. Nous ne pointons leur surnombre que dans les grandes villes, et déplorons leur relative absence dans d’autres territoires.

Le but des quelques réformes de structure pouvant être engagées n’est évidemment pas que le patient « meure guéri », pour reprendre l’expression de M. Grelier, mais que d’améliorer encore les résultats et les performances de nos systèmes de soins et de santé.

Au-delà des chiffres, la Cour des comptes est parfaitement consciente de la situation que vivent les professionnels de santé et les patients au regard de l’accès aux soins et de l’hôpital. Des réformes de structure sont nécessaires pour traiter ces sujets, afin que les professionnels de santé puissent s’épanouir davantage et que les patients puissent tirer tout le bénéfice d’un système de santé plus performant.

M. Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. Madame Dufeu Schubert, vous nous interrogez sur le coût global induit par la consommation d’alcool sur les plans médical, social et judiciaire. Dans le rapport qu’elle a consacré à cette question en 2007, la Cour des comptes note combien il est difficile d’évaluer ce coût. La seule étude disponible sur le sujet, datant de 2010, avance un coût global de l’alcool – incluant jusqu'aux pertes de productivité pour l’économie – de 120 milliards d’euros.

Monsieur Vercamer, vous nous interrogez sur l’ORDAM. En la matière, il ne suffit pas de dégager une enveloppe au niveau régional, qui serait à la main des agences régionales de santé. Encore faut-il disposer d’instruments de régulation qui vaillent également à l’échelle régionale. Pour l’heure, la plupart de ces instruments de régulation sont nationaux, à commencer par le principal d’entre eux pour ce qui est de la médecine de ville : la négociation conventionnelle. Il n’est pas prévu que cette dernière soit régionalisée. Peut-être est-il possible d’instiller dans la négociation nationale des éléments de souplesse appliqués à l’échelon régional, mais nous n’en sommes pas encore là. Toute la difficulté est donc d’atteindre un positionnement adapté de l’enveloppe et de mettre en place le niveau de régulation correspondant.

La question des relations entre l’État et la sécurité sociale se pose depuis trente ans au moins, avant même la réforme de la sécurité sociale de 1996. À titre d’exemple, les années 1990 ont été traversées par un débat sur ce que devait financer l’État dans la part relevant de la solidarité des dépenses de la sécurité sociale. Nous retrouvons aujourd'hui ces sujets sous d’autres vecteurs, avec notamment la coexistence de deux lois financières et la délicate délimitation de la frontière qui les sépare. Le Premier président s’est exprimé sur l’extension du champ de la loi de financement de la sécurité sociale. Le sujet se pose peut-être sous un jour différent pour ce qui est des retraites et du chômage. En effet, le sujet des retraites devrait être traité dans le cadre du régime unique qui est envisagé.

Monsieur Dharréville, nous n’avons pas identifié d’accroissement des réhospitalisations dans le cadre des prises en charge ambulatoires, au contraire. De toute évidence, ces prises en charge doivent être encouragées. Voilà des économies qui résultent d’améliorations de la qualité de la prise en charge et d’un meilleur fonctionnement de l’hôpital, et non d’une réduction des droits, d’un déremboursement ou de restrictions budgétaires. Aujourd'hui, pour un certain nombre d’actes, mieux vaut rester une demi-journée à l’hôpital que trois jours. L’hôpital public doit encore faire des progrès à cet égard, même si une dynamique est maintenant lancée en matière de chirurgie ambulatoire, en particulier dans les centres hospitaliers.

M. Thomas Mesnier. Monsieur le Premier président, je vous remercie pour la qualité de votre rapport et pour l’éclairage qu’il nous apporte dans la construction du budget de la sécurité sociale.

L’article 43 du PLFSS pour 2019 tend à favoriser le recours aux médicaments génériques et biosimilaires, d’abord parce qu’ils sont tout aussi efficaces que les autres, ensuite parce qu’ils sont moins onéreux – le médicament générique coûtant, dans la majorité des cas, moins cher que le princeps – et enfin dans l’objectif de développer plusieurs sources d’approvisionnement d’un même principe actif afin de renforcer la sécurité d’approvisionnement.

Selon le rapport de la Cour, l’utilisation des médicaments génériques est limitée en raison d’une prescription insuffisante par les médecins. L’article 43 du PLFSS pour 2019 vise à encourager la substitution par le pharmacien de médicaments génériques à des médicaments non génériques, en faisant reposer la justification d’une mention « non substituable » sur des critères médicaux objectifs. Nombre de syndicats, tant de médecins libéraux que de pharmaciens, pointent l’inefficacité d’un tel système et les conséquences négatives que ce mécanisme pourrait avoir sur le développement du médicament générique en France. Le médecin ne prescrirait pas moins en non substituable, empêchant le pharmacien d’exercer sa capacité de substitution. Monsieur le Premier président, que pensez-vous de l’impact de cette mesure sur la prescription des médicaments génériques ? De façon générale, comment aller plus loin dans la prescription de médicaments génériques en France ?

Mme Justine Benin. Je tiens à saluer votre travail, monsieur le Premier président, et l’excellent rapport de la Cour des comptes. Vous affirmez qu’un retour à l’équilibre est possible, mais que cette embellie reste cependant très fragile. Par conséquent, nous devons poursuivre nos efforts.

S’agissant des caisses d’outre-mer, vous déclinez ce propos avec clarté et précision. Je partage les analyses et les constats dressés par la Cour des comptes sur la très grande complexité de pilotage des caisses en Guadeloupe, à la Martinique et à la Guyane. Vous relevez à juste titre, monsieur le Premier président, que les missions et objectifs ne sont pas suffisamment atteints. Dans le même temps, vous reconnaissez la grande complexité de pilotage et de gestion, ainsi que le manque criant de moyens et d’outils dont sont victimes ces caisses, dans un contexte local – social, économique et sanitaire – relativement fragile et marqué par une certaine précarité.

Le décloisonnement préconisé dans votre rapport doit être le début d’une nouvelle ère pour les caisses générales de sécurité sociale (CGSS), au service d’une stratégie qui redonnera du sens aux missions de nos caisses.

Les mesures d’urgence susceptibles de redresser les aspects les plus critiques peuvent et doivent être entendues en Guadeloupe, où les professionnels et les usagers de ces organismes aspirent tous à un service de qualité, et sont résolument engagés dans une logique constructive pour atteindre cet objectif. Aussi, monsieur le Premier président, je souhaiterais savoir s’il serait opportun de pousser plus avant le décloisonnement, et de parvenir à un contrat pluriannuel de gestion multibranche et multirégime. La caisse de prévoyance sociale de Saint-Barthélemy est à ce titre un exemple réussi. Parmi les différents scénarios que nous devons appréhender, peut-on imaginer un budget unique, un contrat pluriannuel de gestion générale, une maîtrise des risques intégrée, une comptabilité analytique, ou encore une tenue combinée des comptes, facilitant la validation des comptes des CGSS ?

Par ailleurs, monsieur le Premier président, le système d’information du régime agricole instauré à Saint-Barthélemy ne peut-il pas constituer une réponse pour les CGSS des Antilles et de la Guyane ? En effet, ces organismes doivent gagner en efficience et parvenir à une bonne gestion.

Enfin, monsieur le Premier président, une telle solution ne pourrait-elle pas contribuer à gommer une très grande majorité des dysfonctionnements et des faiblesses observés dans la gestion de nos caisses, tout en maintenant l’entité juridique des CGSS des Antilles et de la Guyane ?

Mme Fadila Khattabi. Dans le constat qu’il dresse de la situation financière de la sécurité sociale, le rapport de la Cour des comptes observe que celle-ci est sur le point de revenir à l’équilibre. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Cependant, cet équilibre reste fragile, et nous devons l’inscrire dans la durée. Pour ce faire, un certain nombre de mesures sont nécessaires, particulièrement en matière de prévention. Pour illustrer mes propos, je citerai un phénomène majeur que pointe le rapport, la recrudescence des maladies cardio-neurovasculaires chez les femmes, notamment de moins de 65 ans. Ces maladies constituent désormais la première cause de mortalité féminine. Au vu de l’état actuel des comptes de la sécurité sociale, et à la lumière de cet exemple frappant, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le Premier président, quelles marges de manœuvre financières nous pourrions – ou plutôt, devrions – mobiliser afin de soutenir une politique globale de prévention des risques sanitaires ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. La Cour des comptes examine régulièrement le sujet des médicaments génériques. Notre rapport émet des observations et des propositions à leur sujet. Nous constatons que la France a beaucoup moins recours à ces médicaments que d’autre pays, et que ceux qui obtiennent des résultats sollicitent les prescripteurs eux-mêmes. Au contraire, la France contourne le plus souvent cette difficulté, en passant par l’entremise des pharmaciens et en prévoyant des contreparties. Notre dispositif est par conséquent coûteux. D’autres pays mettent en œuvre des mesures de régulation tout en accordant des contreparties aux médecins prescripteurs. Les médecins français arguent souvent qu’ils sont moins bien rémunérés que nombre de leurs confrères de pays étrangers. C’est exact, mais pour la simple et bonne raison que dans ces pays, les médecins acceptent des contreparties que toléreraient plus difficilement nos praticiens.

Madame Benin, vous m’interrogez sur les CGSS de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane. Le statu quo présente un risque avéré. Certes, une réforme comporte elle aussi des risques. Toutefois, les contre-performances dont nous faisons le constat sont véritablement pénalisantes pour les habitants de ces trois territoires, ainsi que pour la collectivité nationale. De toute évidence, l’organisation actuelle est inadaptée et porte une part de responsabilité dans les dysfonctionnements que nous observons. Notre rapport émet des propositions pour y remédier, que le président Morin pourra détailler.

Quant à la prévention, elle est notoirement insuffisante dans notre pays. Nous aurions intérêt à investir davantage dans ce domaine, y compris au niveau de l’assurance maladie – la prévention faisant partie des missions de cette dernière. L’accentuation des efforts de prévention peut en effet avoir des répercussions favorables sur les dépenses de santé.

M. Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. S’agissant des médicaments génériques, la Cour des comptes recommande la solution de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), permettant de dépasser un simple pouvoir de substitution des pharmaciens encouragé par une amélioration de la marge. L’instrument existe, et il doit être actionné.

Pour ce qui est des trois caisses de sécurité sociale que nous avons contrôlées, nous sommes parvenus à la conclusion que le schéma institutionnel propre à l’outre-mer n’était plus viable. Aussi avons-nous proposé une réforme a minima, consistant à extraire et à déporter au niveau interrégional la dimension de recouvrement de ces caisses. Celles-ci pourraient alors se concentrer sur leur mission de liquidation des prestations, sujet déjà complexe sachant que dans certaines de ces caisses, une pension de retraite sur trois est frappée d’inexactitude, à l’avantage ou au désavantage des intéressés.

Ces trois caisses représentent en effet 0,9 % des prélèvements sociaux nationaux, 11,3 % des impayés de l’année et 14 % du stock de créances à recouvrer. Il nous a semblé que, dans un tel contexte, l’effort d’amélioration impliquait un changement institutionnel. Peut-être celui-ci comporte-t-il des risques. Je ne crois d’ailleurs pas que les administrations souhaitent s’en saisir avant la fin de la présente génération de convention d’objectifs et de gestion, ce qui renvoie le sujet à 2022. Cependant, le statu quo présente lui aussi des risques, au vu notamment des retards de paiement des prestations et des erreurs de liquidation.

Madame Khattabi, je ne suis pas certain que la prévention relève principalement d’une question de moyens. Les moyens propres de la prévention représentent quelques centaines de millions d’euros, à comparer aux 190 milliards d’euros de l’ONDAM. La disproportion est manifeste. Toutefois, ces 190 milliards d’euros recouvrent aussi probablement des dépenses de prévention. Si nous voulions impulser une politique de prévention plus dynamique, nous devrions l’inscrire dans une démarche de structuration du premier recours. En effet, grâce à la proximité qu’il entretient avec ses patients, le médecin généraliste est théoriquement en charge de cette dimension majeure qu’est la prévention. De ce point de vue, le plan « Ma Santé 2022 » comporte des annonces significatives et véritablement nouvelles, même si elles reposent sur des principes d’action assez traditionnels. De nombreux rapports font ainsi référence à la gradation des soins et à la nécessité de structurer le premier recours. Nous pourrions y trouver des éléments de solution au problème lancinant de la prévention.

Pour le reste, la Cour des comptes est convaincue de l’efficacité du « signal prix » dans la lutte contre le tabagisme. Nos récents rapports sur la sécurité sociale ne cessent de recommander d’augmenter fortement le prix du paquet de cigarettes afin de réduire la consommation de tabac. Les dernières données prouvent que cette approche est juste en termes de santé publique, au regard des 70 000 morts provoquées annuellement par le tabac. Nous plaidons également pour un « signal prix » beaucoup plus ferme à l’égard des boissons alcoolisées et des boissons sucrées, dont chacun connaît l’impact négatif sur la santé publique.

J’en finirai par une dimension majeure qu’esquisse notre rapport, et dans laquelle nous constatons une certaine régression, la prévention et l’éducation à la santé à l’école. Dans notre chapitre consacré aux soins visuels, nous notons un recul important de la prévention en milieu scolaire, le dépistage des troubles visuels n’étant plus guère pratiqué auprès des élèves. Nous devons être capables de remettre en place une telle prévention. En la matière, le levier ne tient pas tant à des moyens financiers qu’à des choix politiques.

Mme Annie Vidal. Monsieur le Premier président, vous affirmez au chapitre 6 de votre rapport qu’en matière de lutte contre les malades cardio-neurovasculaires, une priorité doit être donnée à la prévention et à la qualité des soins. Vous indiquez que la prise en charge des risques de mort subite pourrait être améliorée par un effort accru de formation aux premiers secours et par un plus large déploiement des défibrillateurs automatisés externes.

En France, 27 % de la population est formée aux premiers secours, contre 80 % en Autriche et 95 % en Norvège. Concernant les défibrillateurs automatisés externes, il convient avant tout d’optimiser leur utilisation. Deux systèmes d’alerte de volontaires formés aux premiers secours, avec référencement et géolocalisation des appareils, se développent en France. Ils devraient contribuer à accélérer notablement les interventions sur les arrêts cardiaques extrahospitaliers. Ils permettent au régulateur d’alerter les volontaires les plus proches d’un défibrillateur et de la personne à secourir, afin qu’ils interviennent dans un délai court, en attendant l’arrivée du service d'aide médicale urgente (SAMU) ou des pompiers.

L’un de ces systèmes est développé par le SAMU, essentiellement pour son propre usage. L’autre est développé par une entreprise privée qui inscrit son action dans une démarche solidaire et responsable. Il est essentiellement utilisé par les pompiers et la protection civile. À ma connaissance, aucun des deux n’a de vocation commerciale. Ils sont d’ailleurs gratuits. Certains professionnels de santé préconisent que l’État intervienne pour réunir les différents acteurs impliqués et évaluer l’efficacité et le coût des deux systèmes, afin de mettre en œuvre rapidement un seul d’entre eux à l’échelle du territoire français. La coordination des interventions en serait plus efficiente. Monsieur le Premier président, la Cour des comptes serait-elle prête à se saisir de ce sujet afin d’évaluer le rapport coût-efficacité d’une telle mesure, et d’émettre des recommandations en la matière ?

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le Premier président, jugez-vous positifs les progrès qui ont été accomplis dans la quantification des économies réalisées sur les dépenses d’assurance maladie ? Année après année, vos rapports sur la sécurité sociale soulignent en effet une incertitude sur la mesure des effets de la maîtrise médicalisée des dépenses, ou encore des gains de productivité liés aux évolutions de l’organisation des activités hospitalières. Nous pouvons donc nous interroger sur la réserve prudentielle que vous avez évoquée, en la mettant en regard avec celle qui existe dans les hôpitaux. A quel niveau pourrait-on évaluer cette réserve prudentielle ?

A la page 54 de votre rapport, le tableau 21, intitulé « Impact sur le régime général et le FSV en 2018 des mesures de prélèvements obligatoires et de transferts avec l’État » signale qu'après augmentation de 1,7 point, le produit de la CSG progresse 22,6 milliards d’euros. En bas de tableau pourtant, après moult lignes budgétaires, le bilan net pour le régime général et le FSV affiche un déficit de 1,2 milliard d’euros. Ce tableau est quelque peu sibyllin et mériterait de plus amples explications.

Enfin, monsieur le Premier président, je souhaite attirer votre attention sur la loi du 28 décembre 1979 portant diverses mesures de financement de la sécurité sociale. Cette loi a instauré une cotisation de 1 % sur les retraites complémentaires des Français, à une époque où les pensions de l’Association générale des institutions de retraite complémentaire (AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) n’étaient pas encore soumises aux cotisations d’assurance maladie. L’enjeu était alors de limiter l’augmentation des déficits de l’assurance maladie. Quarante ans après, cette cotisation perdure. Elle figure toujours sur les feuilles de pension des retraités des salariés du secteur privé. Aujourd'hui, tandis que les Français sont globalement soumis à un taux de CSG de 8,3 %, les retraités en question supportent une taxation de 9,3 %. Monsieur le Premier président, n’y a-t-il pas là une rupture d’égalité ?

Mme Claire Pitollat. Monsieur le Premier président, votre rapport pointe un insuffisant virage ambulatoire, en particulier en médecine. Il souligne que faute d’incitation financière, et compte tenu de tarifs insuffisants, l’ambulatoire ne connaît pas la même dynamique en médecine qu’en chirurgie. Surtout, et de manière plus globale, vous estimez que les mécanismes de régulation des dépenses à l’hôpital et en soins de ville ne sont pas de nature à permettre un déploiement optimal du virage ambulatoire. Ce déploiement nécessite un décloisonnement total et souple de l’offre de soins, pour permettre un accès indifférencié à l’ensemble des structures – qu’elles soient hospitalières ou de ville. En ce sens, et au-delà des préconisations que vous formulez sur la nomenclature des actes, il est essentiel de prendre en compte les besoins des populations et les coûts spécifiques des structures de soin dans les mécanismes budgétaires actuels.

Monsieur le Premier président, que proposez-vous en matière d’innovation et d’harmonisation des modes de financement pour rendre effectif le décloisonnement entre ville et hôpital, et pour faire en sorte que l’on se détermine sur la base des besoins, et non du volume d’actes effectués ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Madame Vidal, vous soulevez la question des maladies neuro-cardiovasculaires et des défibrillateurs. Il revient à votre commission d’apprécier s’il peut être pertinent que la Cour des comptes prolonge le travail qu’elle a engagé sur ces sujets. Peut-être la question peut-elle aussi être posée au Gouvernement.

Si nous constatons des progrès dans la maîtrise et la réduction du déficit, nous précisons néanmoins que l’amélioration de la situation économique tient une grande part dans l’amélioration des comptes de la sécurité sociale. La part de déficit structurel reste importante dans ces comptes, à hauteur de 3 à 4 milliards d’euros en 2017. Par conséquent, il nous paraît nécessaire que soient menées des réformes de structure, afin que l’équilibre des comptes de la sécurité sociale soit durable.

La part respective de la ville et de l’hôpital est un sujet majeur. Le bon fonctionnement de notre système de santé passe par une complémentarité efficace entre la médecine de ville et l’hôpital.

M. Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. Madame Pitollat, vous soulevez un sujet fondamental, dont la réforme du financement accentue d’ailleurs l’actualité. Dans ses rapports passés, la Cour des comptes a pointé les limites de la tarification à l’activité (T2A), à l’hôpital comme en ville. Nous avons toujours encouragé le principe d’une tarification au parcours, dans le cadre de la mise en place d’une médecine de parcours. Nous avons encouragé l’idée d’une tarification au forfait, en particulier pour l’insuffisance rénale chronique. Cette mesure figure d’ailleurs dans les annonces récentes du Gouvernement. Nous ne pouvons que souscrire à cette excellente initiative.

Plus largement, l’idée d’une convergence entre les structures de financement des différents segments de notre système de santé – ville et hôpital –, telle qu’elle figure dans l’annonce du plan « Ma santé 2022 », me paraît pertinente. Il s’agirait d’instaurer, à l’hôpital comme en ville, une part à l’activité ou à l’acte de l’ordre de 50 %, ainsi qu’une part au forfait sur des objectifs de santé publique, également de l’ordre de 50 %. L’incitation à la prévention ne peut passer que par la mobilisation de forfaits de rémunération, y compris en médecine de ville. Cette convergence dans la structure des financements est aussi un moyen de lutter contre le cloisonnement de notre système de santé.

Sur la construction de l’ONDAM, il est juste de signaler les progrès accomplis ces dernières années. Traditionnellement, les gouvernements s’attachent d’abord à définir une évolution tendancielle de la dépense pour l’année suivante, avant d’élaborer un programme d’économies plus ou moins précis. Nos rapports des années précédentes ont souvent pointé la faiblesse de l’approche tendancielle de la dépense, et le caractère quelque peu générique d’un certain nombre d’économies avancées. La projection tendancielle des dépenses est pourtant indispensable. Pour atteindre un objectif, il faut être capable d’évaluer l’évolution spontanée de la dépense, afin de mettre en œuvre les programmes d’économies correspondants. Il nous semble que depuis plusieurs années, des progrès ont été accomplis dans ces deux volets. Nous constatons une construction plus rigoureuse – bien qu’encore perfectible – de l’ONDAM tendanciel, qui permet de suivre plus précisément la réalité des économies programmées chaque année par le gouvernement. Cette amélioration doit se poursuivre. Il reste en particulier à progresser dans la compréhension de l’évolution tendancielle de la dépense à l’hôpital – et singulièrement de la masse salariale, qui représente 70 % des dépenses hospitalières.

Monsieur Jean-Pierre Door, le tableau de la page 54 était une tentative de clarification de notre part, dont je constate qu’elle a relativement échoué. Il nous paraissait important de retracer les nombreux transferts qui étaient en jeu, à savoir une hausse de la CSG, une baisse des cotisations salariales – emportant un effet dès 2018, et plus encore en 2019 – et un ajustement des transferts financiers entre l’État et la sécurité sociale. Ce tableau a pour seul objectif de signaler qu’au total, d’après nos investigations, le solde est négatif de 1,2 milliard d’euros pour la sécurité sociale dans le champ du régime général et du FSV.

M. Marc Delatte. Monsieur le Premier président, je vous remercie pour votre éclairage quant à la nécessité de maintenir l’objectif d’extinction de la dette sociale. Vous préconisez pour cela de nombreuses pistes rejoignant l’une des priorités de notre ministre : la prévention. Les années de vie en bonne santé et l’espérance de vie sans incapacité sont des indicateurs importants de la santé de nos populations.

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC), s’ils sont la première cause de décès chez la femme et la troisième chez l’homme, sont aussi la première cause de handicaps acquis et la deuxième cause de démence dans la population générale, cette fréquence augmentant avec l’âge. À cet égard, je salue le rattrapage des dotations d’appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébraux sur notre territoire – bien que l’un de vos rapports préconise de réduire le délai entre la date d’octroi de l’autorisation et la date d’installation effective des équipements par le biais des schémas régionaux de santé. Il convient également de préciser que peu de nos hôpitaux intègrent une unité neurovasculaires, et qu’ils ne sont que 40 % à posséder un service de neurologie. Cette situation témoigne d’une inégalité de prise en charge sur nos territoires.

Outre l’arrêt du tabac, une activité physique régulière et un poids normalisé, la prévention des accidents ischémiques transitoires et des AVC passe par un bon équilibre tensionnel. Or l’hypertension est la cause de 35 % à 40 % des AVC. On estime à 15 millions le nombre de personnes hypertendues, dont seules 11 millions sont dépistées. Parmi ces dernières, 30 % à 40 % ne sont pas équilibrées. Monsieur le Premier président, comment améliorer les prises en charge en amont et en aval, sans grever pour autant les dépenses de soins ?

Mme Ericka Bareigts. Monsieur le Premier président, vos rapports font régulièrement et très précisément référence à la situation de la santé en outre-mer, parfois en soulignant des prévalences alarmantes. Dans votre présent rapport, vous relevez une mortalité prématurée par maladies cardiovasculaires de plus de 82 % à La Réunion – taux, hélas, record. Pourtant, vous signalez la carence de chiffres disponibles. Nul doute que cette absence de données et de suivi épidémiologique contribue à la dégradation de notre santé.

Je vous adresserai une question simple mais également compliquée, tant nous semblons peiner à avancer sur ce sujet : comment obtenir ces données chiffrées ? Il nous est souvent rétorqué que ces éléments auraient un coût ou sont indisponibles. Pourtant, en investissant dans ce domaine, nous pourrions réaliser des progrès considérables dans l’amélioration de la santé de nos concitoyens.

Votre rapport aborde également la mutualisation des moyens. Vous préconisez en particulier un site URSSAF interrégional caribéen. Qu’en est-il pour La Réunion et Mayotte ? Le conseil d’administration de la sécurité sociale de La Réunion a accepté un transfert vers des caisses hexagonales, alors, me semble-t-il, que la qualité du service public est au rendez-vous. La démarche de mutualisation interroge sur la continuité d’accès aux prestations pour des citoyens situés à 10 000 kilomètres desdites caisses, soumis à un décalage horaire et présentant une singularité de prestations. Monsieur le Premier président, pourrait-on envisager de dresser un bilan intermédiaire de ces démarches, ne serait-ce que pour La Réunion ? Ceci permettrait, le cas échéant, de réorienter certaines décisions afin d’améliorer encore la qualité du service public rendu à nos concitoyens, et d’assurer une continuité d’accès aux prestations.

M. Bernard Perrut. J’aimerais attirer votre attention, monsieur le Premier président, sur le virage numérique qui se produit dans le domaine de la santé, avec le développement de l'e-santé et, notamment, de la télémédecine. Entrée depuis 2018 dans le droit commun des pratiques médicales selon le code de la santé publique, la télémédecine est enfin reconnue comme une solution d’avenir. Cette reconnaissance tardive, et encore ciblée, témoigne du retard français en la matière. Vous êtes-vous intéressés à cette évolution ? Quelles sont les préconisations de la Cour des comptes dans ce domaine ? Grâce au développement de l’intelligence artificielle, l’e-santé peut en effet offrir des gains de temps, une prise en charge plus rapide et un suivi amélioré des patients – autant d’évolutions majeures. Comment l'« e-santé » peut-elle nous aider à inventer de nouveaux modèles de soins ? Comment favoriser son déploiement ? Comment accompagner financièrement et opérationnellement le développement de nouvelles technologies au service des patients ?

Depuis plusieurs années, la Cour des comptes plaide pour un examen conjoint des recettes de l’État et de la sécurité sociale. L’autonomie relative des finances sociales à raison de la nature des recettes – cotisations – ou des dépenses – prestations – a-t-elle encore, selon vous, une justification ? Comment faire évoluer cette discussion commune ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Ce dernier sujet, monsieur Perrut, se pose de longue date, et nous pouvons nous étonner qu’il n’ait pas trouvé de réponse, tant il paraît pertinent de mener une discussion commune sur l’ensemble des recettes qui remontent à l’État et à la sécurité sociale. Peut-être cette évolution pourrait-elle s’inscrire dans la réflexion qui est engagée sur la possibilité d’une révision de la Constitution ou de certains textes. Il y a là, manifestement, des marges de progrès susceptibles de rendre plus pertinent le débat budgétaire, tant en ce qui concerne l’État que la sécurité sociale.

Je souscris également à votre analyse, monsieur Perrut, sur les progrès considérables que peut favoriser l’ « e-santé ». Il est évident que cette pratique doit conduire à aborder d’une façon différente un certain nombre de sujets.

Madame Bareigts, nous partageons votre constat d’une carence de données chiffrées sur l’outre-mer. C’est une limite à nos travaux, comme à ceux d’autres institutions. Nous devons étudier comment il serait possible d’améliorer la publication de telles données par un certain nombre d’organismes.

M. Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. La Cour n’a pas travaillé spécifiquement sur La Réunion dans son rapport. En revanche, des travaux en cours pourront donner lieu à des publications ultérieures à ce sujet. Des contrôles se déroulent actuellement, pilotés par la Cour des comptes et par la chambre régionale des comptes sur un certain nombre d’opérateurs de santé de l’île de La Réunion.

Monsieur Perrut, le rapport souligne que nombre de nos voisins ont pris le virage du numérique en matière de santé. À titre d’exemple, les ordonnances dématérialisées sont d’usage courant en Italie. En comparaison, le directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) nous a informés qu’une expérimentation venait de débuter en la matière. Le test majeur du virage numérique dans les mois à venir sera le déploiement du DMP, cent fois annoncé, cent fois reporté. Le transfert du pilotage de ce dossier à la CNAMTS permettra probablement d’en accélérer la mise en œuvre. Au moins le DMP sera-t-il renseigné des données dont la CNAMTS a connaissance, en particulier à travers le système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (SNIIRAM). Toutefois, cela ne suffit pas. Il reste à savoir quel usage réel sera fait du DMP, notamment par les professionnels de santé. Là encore, cette question peut trouver une solution, si nécessaire, à travers la mobilisation de la rémunération sur objectifs de santé publique. Il en va de même pour la prescription des médicaments génériques, les pratiques en maisons de santé pluriprofessionnelles ou la participation à des communautés professionnelles territoriales de santé – autant de sujets ayant fait l’objet d’annonces récentes.

Monsieur Marc Delatte, nous constatons que la prise en charge de l’AVC a considérablement progressé en France depuis 2009, en particulier grâce à la mise en place des unités neurovasculaires. Nous avons le sentiment que ces unités sont aujourd'hui en nombre suffisant, et qu’il n'y a pas lieu d’en instituer de nouvelles. Le risque serait en effet de créer des structures qui n’aient pas les moyens de garantir la sécurité des soins.

À l’instar de sa prise en charge, le dépistage de l’AVC a connu une très nette amélioration. Des messages de santé publique très pertinents ont été diffusés en ce sens. Par ailleurs, l’accès aux centres de rééducation post-AVC est aujourd'hui plus simple.

En revanche, nous soulignons le nombre excessif de centres de cardiologie interventionnelle et de centres de chirurgie cardiaque. En comparaison avec d’autres pays européens, nous pointons la faiblesse des files actives dans un certain nombre de centres. Nous martelons que des structures trop petites, où les praticiens effectuent trop peu d’actes, ne présentent pas de garanties suffisantes en termes de sécurité de la prise en charge. Ceci ne résout pas, naturellement, le sujet des inégalités d’accès aux soins.

Mme Martine Wonner. Monsieur le Premier président, je m’associe aux remarques de mes collègues sur la qualité de votre rapport. Je souhaitais vous interroger sur un point ayant trait à la prospective. J’ai été particulièrement intéressée par votre travail de comparaison entre la France et ses voisins. Vous démontrez que la France a effectué des réformes beaucoup plus limitées que ces autres pays, suivant un chemin singulier. Certes, notre pays a su sauvegarder le niveau de prise en charge publique des dépenses de santé, le niveau des investissements hospitaliers et l’accès aux nouveaux médicaments. Je m’en félicite, et m’enorgueillis que nous ayons la meilleure médecine solidaire au monde.

Le plan de transformation « Ma santé 2022 », avec ses nombreuses mesures – en particulier le financement forfaitaire des pathologies chroniques –, vous semble-t-il apte à accroître l’efficience de notre système de santé et à le hausser au niveau qui caractérise nos voisins européens ?

M. Paul Christophe. Monsieur le Premier président, comme vous l’avez souligné, la sécurité sociale connaît depuis des années une situation comptable fragilisée. Nous comprenons votre invitation à renforcer l’équilibre structurel des comptes, même s’il peut parfois paraître difficile de conjuguer conjoncture, besoins et offre. Dans vos commentaires, vous soulignez que le respect global de l’ONDAM cache en réalité un important dépassement de l’enveloppe prévisionnelle des soins de ville, compensé par un ralentissement de l’activité hospitalière. Nous connaissons l’impact de la ponction de l’enveloppe de dépenses des hôpitaux, pour compenser les dérapages des soins de ville – le déficit des hôpitaux publics atteignait 835 millions d’euros en 2017. Vous considérez que le problème n’a pas été résolu, mais plutôt déplacé.

Aussi souhaiterais-je bénéficier de vos éclairages sur l’analyse du PLFSS 2019 en matière de pilotage des dépenses de soins de ville, entre projections et préconisations. J’aimerais aussi connaître votre avis sur la méthode employée aujourd'hui pour « construire » le prix du médicament. Je pense en particulier aux médicaments innovants dont le délai de mise sur le marché après autorisation européenne dépasse régulièrement 500 jours, alors que les préconisations sont de quelque 150 jours.

Enfin, la Cour des comptes relève l’excédent de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) affiché en 2017. Là encore, plutôt que d’opérer des transferts vers la branche assurance maladie, il y aurait lieu de l’orienter ces montants vers la prévention des risques professionnels et l’amélioration des conditions de travail. Quels mécanismes de ce type peuvent, selon vous, être mis en place pour développer le financement de la prévention des risques professionnels ?

M. Joël Aviragnet. J’aimerais revenir, monsieur le Premier président, sur la question de la non-compensation par l’État des mesures qui affectent le budget de la sécurité sociale. Vous estimez que l’équilibre est fragile et que le déficit structurel reste élevé. Néanmoins, cette non-compensation ne semblait pas poser problème pour le moment. À ce sujet, ne croyez-vous pas qu’il serait important de prévoir dès à présent, dans les textes, les préconisations que vous souhaitez, notamment le mécanisme de modulation qui permettra d’opérer un lissage rapidement, ou encore la création de fonds internes ?

Je voudrais également aborder la question de la fraude aux cotisations sociales. Votre rapport signale que les progrès constatés dans la mise à niveau des moyens juridiques pour combattre la fraude restent insuffisants. Comment préconisez-vous de renforcer ces moyens ?

M. Julien Borowczyk. Monsieur le Premier président, vous estimez que le levier de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) est susceptible de faire vivre le dossier médical partagé. Cette idée mérite d’être développée. En effet, seul un DMP vivant et effectivement utilisé permettra aux professionnels de santé d’assurer un suivi régulier des pathologies.

Vous avez par ailleurs souligné, monsieur le président, que les soins ambulatoires permettaient certes des économies, mais aussi, et surtout, des soins de meilleure qualité pour les patients. À cet égard, j’aimerais obtenir une précision : comment est calculé le taux de réhospitalisation ? Dans la pratique quotidienne, il s’avère en effet que certains patients souffrent d’une carence d’accompagnement lors de leur retour à domicile. Ils ont alors une plus forte probabilité de se retourner vers leur médecin traitant, voire vers les urgences. Ceci est-il comptabilisé comme une réhospitalisation faisant suite à des soins ambulatoires ?

Mme Mireille Robert. La filière visuelle est confrontée à d’importantes difficultés d’accès aux soins. Les délais d’attente varient entre 60 et 111 jours selon les régions. Cette crise est liée à la baisse du nombre d'ophtalmologues, au vieillissement de la population, à l'augmentation de certaines pathologies chroniques et à la transformation en profondeur d'une spécialité médico-chirurgicale. Dans votre rapport, monsieur le Premier président, vous préconisez la réorganisation de la filière visuelle, représentée par trois professions : les ophtalmologues, les orthoptistes et les opticiens. À la différence d’autres pays, les ophtalmologues constituent en France le premier recours. Du fait de leur inégale répartition sur le territoire, les besoins des patients sont inégalement couverts. L’une des mesures consisterait à autoriser les orthoptistes à effectuer en toute autonomie des consultations de premier recours. Ces derniers disposent des compétences légales, réglementées par décret, pour déterminer la réfraction des patients. Ils sont installés sur l'ensemble du territoire, et présentent une nomenclature compétitive.

Comment encadrer la primo-prescription afin d'assurer aux patients une prise en charge sécurisée ? Ne faudrait-il pas seulement leur permettre de renouveler et d'adapter les prescriptions de dispositifs médicaux d’orthoptie dans les mêmes conditions que les opticiens lunetiers ? Ne faudrait-il pas, sinon, limiter la primo prescription aux seules populations qui ne sont pas à risque ?

M. Gilles Lurton. L’intervention de M. Isaac-Sibille appelle de ma part une interrogation liminaire. Comment peut-on parler de retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, lorsqu’on sait que le déficit des hôpitaux publics a dépassé 1 milliard d’euros en 2017 ?

J’en viens à ma question, monsieur le Premier président. Lors de la présentation à la presse du PFLSS pour 2018, la ministre des solidarités et de la santé avait annoncé que les établissements de santé percevraient le produit de l’augmentation de 2 euros du forfait journalier hospitalier. Pourtant, la circulaire du 4 mai 2018, relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2018 des établissements de santé, précise que pour les établissements de psychiatrie, de soins de suite et de réadaptation, le bénéfice lié à l’augmentation du forfait journalier se traduit par une baisse à due concurrence de leurs dotations. Cela me paraît pour le moins paradoxal, et j’aurais souhaité connaître votre avis sur ce sujet.

Ma deuxième question porte sur les orthoptistes. Je reconnais que notre pays souffre d’un déficit d’ophtalmologues, qui devrait même s’aggraver dans les années à venir. Malgré tout, je me demande si la meilleure solution ne consisterait pas à faire travailler les orthoptistes avec les ophtalmologues, pour assurer la santé de nos concitoyens dans une logique de continuité. Certains problèmes de santé sont en effet davantage susceptibles d’être décelés par les ophtalmologues que par les orthoptistes.

Enfin, monsieur le Premier président, je voudrais vous interroger sur la partie du PLFSS relative à la politique familiale. Bien que le budget de la branche famille soit parfaitement excédentaire, le Gouvernement continue de donner des coups de rabots à la politique familiale. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Jean-Philippe Nilor. Je tiens tout d’abord à saluer le remarquable travail effectué par la Cour des comptes. Monsieur le Premier président, vous pointez à juste titre les difficultés des caisses de sécurité sociale à la Martinique et en Guadeloupe, et vous proposez des solutions. Pourriez-vous en dire davantage sur ces dernières ? Sachez que votre rapport a provoqué un vif émoi dans nos territoires, dans un contexte où les centres hospitaliers universitaires sont agonisants, où les hôpitaux de proximité sont en grande souffrance, et où la médecine de ville est en déshydratation, à la suite d’une désertification. Dans ce contexte particulier, nous avons le toupet, dans nos territoires, d’ambitionner un fonctionnement différent. Les usagers, comme les professionnels, ont la volonté de travailler ensemble à la réduction des déficits mais aussi à l’élaboration de projets ambitieux. Je citerai à titre d’exemple le remboursement de la prescription d’une pratique sportive, notamment pour les personnes atteintes d’un cancer ou d’affections de longue durée.

M. Pierre Cordier. Les statistiques dont vous avez connaissance vous conduisent à affirmer, monsieur le Premier président, que la hausse du prix du paquet de cigarettes a entraîné un recul de la consommation de tabac. En tant qu’élu d’un département frontalier, je peux pourtant témoigner d’une recrudescence du trafic du tabac, qui échappe aux statistiques de l’État. Les habitants de mon territoire se rendent fréquemment en Belgique ou au Luxembourg pour acheter des cigarettes.

J’aimerais par ailleurs obtenir un éclaircissement de votre part, monsieur le Premier président, sur la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) mise en place il y a quelques années pour « boucher le trou » de la sécurité sociale, comme le disent familièrement nos compatriotes. Dans quelle mesure la CRDS a-t-elle contribué au rétablissement des comptes de la sécurité sociale ? Ce dispositif a-t-il été efficace pour réduire le déficit chronique de ces comptes ?

Enfin, monsieur le Premier président, je prends bonne note de votre remarque selon laquelle le retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale – dont je me réjouis bien évidemment – s’explique essentiellement par un phénomène conjoncturel.

M. Stéphane Viry. À l’instar de mon collègue Pierre Cordier, je relève que l’équilibre des comptes sociaux est très largement corrélé au niveau économique du pays, et que des décisions fortes et structurelles restent à prendre pour conforter cette tendance.

À cet égard, la Gouvernement propose, dans le cadre du PLFSS pour 2019, une mesure de nature conjoncturelle consistant à sous-indexer un certain nombre de pensions de retraite et d’allocations familiales. Cela permet au Gouvernement de faire des économies. Monsieur le Premier président, la Cour des comptes a-t-elle chiffré les conséquences de ces sous-indexations ? A-t-elle estimé le nombre de personnes qui sortiraient du dispositif du fait de la sous-indexation et d’un effet de seuil ? À défaut de disposer d’éléments concrets sur le tableau des économies, nous ne pouvons que prendre acte de la volonté du Gouvernement de réaliser 3,8 milliards d’euros d’économies, sans pouvoir l’étayer.

M. Belkhir Belhaddad. La Cour des comptes a constaté des améliorations inégales et fragiles dans la maîtrise des risques liés à la dette des établissements publics de santé depuis la présentation de son rapport d'avril 2014. Cette dette s’établissait alors à 30,8 milliards d’euros. Depuis, elle a connu une légère inflexion, pour atteindre 29,8 milliards d’euros en 2016. Toutefois, 319 établissements publics de santé – soit le quart du parc hospitalier – sont  toujours dans une situation d'endettement excessif.

Le fonds de soutien hospitalier prend en charge à hauteur de 75 % les indemnités de remboursement anticipé des établissements les plus touchés, mais dans un périmètre restreint ne concernant que les hôpitaux dont le budget de fonctionnement représente moins de 100 millions d'euros par an. Cette mesure exclut de fait les centres hospitaliers universitaires, dont un certain nombre sont au bord de la faillite. Cette réponse avait été jugée coûteuse et limitée par la Cour des comptes, qui a analysé les 60 opérations de désensibilisation des encours à risque. La Cour estime que ces encours continueront à peser lourdement sur la situation financière de certains établissements.

Monsieur le Premier président, je souhaiterais connaître votre appréciation sur cette situation. Nous savons qu'un certain nombre d'actions ont été menées : virage ambulatoire, organisation des soins, hospitalisation à domicile, généralisation du dossier médical partagé… D’autres pistes ne pourraient-elles pas être envisagées, comme la rénovation énergétique des établissements, en particulier des plus importants, à travers les contrats de performance énergétique et avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ? Cette dernière dispose à cet effet d’une enveloppe de 500 millions d’euros qui est très peu utilisée, faute de projets soumis par les collectivités territoriales et les établissements publics. Monsieur le Premier président, vous avez expliqué quelle part occupait la conjoncture dans le rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale. Or, nous le savons, la conjoncture climatique est fort défavorable. J’aimerais par conséquent connaître votre appréciation sur la piste que je viens de dessiner.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Un certain nombre de propositions formulées dans le cadre du plan « Ma santé 2022 » répondent à des constats et à des recommandations formulés par la Cour des comptes, mais aussi par le Haut Conseil sur l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM). Cependant, des précisions devront être apportées, notamment sur le champ d’application et la portée de certaines de ces propositions. En effet, les orientations annoncées dans ce plan comportent souvent une latitude importante. À titre d’exemple, le plan souligne l’intérêt des délégations d’actes de médecins aux infirmiers dans le cadre de pratiques avancées, ainsi que l’intérêt du recours à des aides-soignants afin de dégager de temps médical. Or ce sujet concerne diverses spécialités de médecine, comme les soins visuels. Il est par conséquent nécessaire que nous puissions préciser et élargir le périmètre de certaines propositions. De même, tout en désignant explicitement certaines activités – en particulier les urgences, les maternités, les services de réanimation, d’imagerie ou de chirurgie –, le plan « Ma santé 2022 » ménage une marge d’appréciation quant au périmètre des domaines qui seront régis par des seuils d’activité. Il est prévu que de tels seuils soient instaurés lorsque cela s’avérera pertinent au regard des enjeux de qualité et de sécurité des soins. Là encore, ceci mérite d’être précisé. La Cour des comptes aura donc à suivre l’exécution des propositions formulées dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ».

Monsieur Lurton, la Cour des comptes a pointé la dégradation sensible du déficit des hôpitaux, alors même que l’ONDAM était respecté. Cela pose évidemment problème, y compris au regard de la tarification de l’activité des hôpitaux – cette activité ayant été moins importante qu’anticipé.

La non-compensation par l’État est une question d’ordre politique à laquelle il vous revient de répondre. Le sujet est certes délicat. J’ai souligné les efforts qui avaient été faits pour contribuer au redressement des comptes de la sécurité sociale, en termes d’augmentation des prélèvements obligatoires et de surcompensations. Pour autant, le déficit du budget de l’État reste élevé et comporte une importante part structurelle. Au regard des règles européennes, il incombe à l’État d’assurer un pilotage et de procéder aux arbitrages nécessaires vis-à-vis de la sécurité sociale.

Soyez par ailleurs assurés qu’outre les dépenses, la Cour des comptes s’intéresse aux recettes. Nous invitons depuis plusieurs années les pouvoirs publics à revisiter un certain nombre de niches fiscales ou sociales, dont les effets d’aubaine peuvent être mesurés. Il est utile d’évaluer la pertinence de ces niches. Nous avons en outre mené des travaux sur la lutte contre la fraude aux cotisations comme aux prestations. Nous poursuivrons ces analyses.

M. Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. Monsieur Christophe, nous suggérons de ne pas réduire l’excédent croissant de la branche AT-MP. Il est normal qu’il soit procédé à un transfert de fonds vers la branche maladie, compte tenu de la sous-déclaration des accidents. Ce transfert atteint 1 milliard d’euros. En revanche, la constitution d’excédents dans cette branche est un moyen intéressant de faire face à d’éventuelles dégradations de la conjoncture. Nous pourrions d’ailleurs nous en inspirer pour l’ensemble de la sécurité sociale. Pour autant, nous contestons l’écart trop important qui prévaut entre les taux de cotisation brut et taux net, et déplorons la complexité du dispositif. Ainsi, deux millions de taux sont notifiés chaque année. Cette construction d’une redoutable complexité nuit à l’efficacité du « signal prix ». La tendance à la réduction des accidents du travail dans notre pays connaît actuellement une stagnation, voire s’inverse dans certains secteurs comme le médico-social. En conséquence, nous recommandons une moindre mutualisation du risque, de façon à adresser « un signal prix » plus pertinent et à inciter davantage les entreprises à faire de la prévention. Nous proposons d’ailleurs de relever l’échelon de calcul du taux, le faisant passer de l’établissement ou de la section d’établissement à l’entreprise. C’est en effet à l’échelle de cette dernière que le « signal prix » est perçu et peut inciter à la mise en place d’une politique de lutte contre les accidents du travail.

J’ajouterai quelques remarques sur la non-compensation par l’État des mesures qui impactent le budget de la sécurité sociale. Il est manifeste que jusqu'à présent, les gouvernements successifs ont géré ce sujet par une surcompensation de l’État auprès de la sécurité sociale dans les périodes à conjoncture dégradée, et à l’inverse par un retour des excédents de la sécurité sociale vers l’État lorsque la conjoncture s’améliorait. C’est une des voies que nous traçons dans notre rapport. L’alternative consisterait à créer un fonds de réserve. Rappelons d’ailleurs que le fonds de réserve des retraites a été constitué en prélevant les excédents de la sécurité sociale à la fin des années 1990. Ainsi ont été accumulés plus de 30 milliards d’euros, dont une partie est annuellement reversée à la CADES, à hauteur de 2 milliards d’euros, pour achever le remboursement de la dette sociale à l’horizon de 2024. Un choix peut donc être effectué entre ces deux branches de l’alternative. Ce choix est important dans un contexte où il n’existera plus de CADES après 2024, et où, par conséquent aucun mécanisme ne permettra de financer la dette qui s’accumule à court terme à l’ACOSS.

Monsieur Borowczyk, la question des réhospitalisations est faiblement documentée, que ces réhospitalisations fassent suite à des soins ambulatoires ou à des prises en charge en hospitalisation complète. Les études sur le sujet se contentent d’indiquer que la prise en charge ambulatoire ne donne pas lieu à davantage de réhospitalisations que la prise en charge classique. Pour autant, la prise en charge ambulatoire nécessite un accompagnement ultérieur en médecine de ville, en particulier à l’adresse des populations vieillissantes. L’assurance maladie y procède, au travers notamment de son programme d’accompagnement du retour à domicile (PRADO) après une hospitalisation.

Pour ce qui est de la filière visuelle, l’idée de faire travailler ensemble les orthoptistes et les ophtalmologues est excellente. Malheureusement, force est de constater qu’elle ne fonctionne pas. C’est la raison pour laquelle nous poussons plus avant le raisonnement. Aujourd'hui déjà, un certain nombre d’actes, comme le renouvellement des verres, peuvent être effectués par les orthoptistes à certaines conditions et sauf mention contraire du praticien. Le plus souvent, ils se font sous contrôle d’un ophtalmologue. Or, la population des ophtalmologues est aujourd'hui insuffisante, et ira s’amenuisant jusqu'en 2030. Dans un contexte démographique aussi tendu, un principe de réalité s’impose. Nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir l’organisation actuelle des soins, dans laquelle les ophtalmologues interviennent en premier recours. Au Royaume-Uni au contraire, le premier recours est assuré par les infirmiers, les ophtalmologues étant renvoyés en deuxième recours. Peut-être n’est-ce pas un schéma idéal, mais au moins cela prouve-t-il que notre organisation peut être interrogée. De façon assez prudente, nous plaidons – sous réserve d’une amélioration de la formation des opticiens comme des orthoptistes – pour qu’un certain nombre d’actes qui ne relèvent pas de l’approche de pathologies oculaires puissent être pris en charge par ces professions. Rappelons que ces dernières sont mentionnées au code de la santé publique, y compris les opticiens. En revanche, nous n’allons pas jusqu'à recommander de renvoyer les ophtalmologues en deuxième niveau dans la gradation des soins. Nous sommes attachés à une proximité médicale, pour qu’en premier niveau, la prise en charge des pathologies – y compris lorsqu’elles sont dépistées à l’occasion de soins très simples réalisés par les orthoptistes – soit assurée par des ophtalmologues.

Monsieur Lurton, notre rapport n’aborde pas cette année la politique familiale. En revanche, notre rapport précédent en dressait un bilan sur plusieurs années. Il en ressortait que notre politique familiale s’était rapprochée de celle de nos pays voisins, et que les mesures qui avaient été prises avaient rendu la redistribution plus efficace. L’existence d’excédents durables dans la branche famille, appelés à croître d’un milliard d’euros par an, peut donner des idées de dépenses nouvelles dans ce secteur. Ce n’est toutefois pas la position qu’avait exprimée la Cour jusqu'à présent.

Monsieur Cordier, les douanes sont en principe outillées pour lutter contre la contrebande de tabac. La réduction du tabagisme est manifeste. La preuve en est que nous assistons parallèlement à une explosion des ventes de substituts nicotiniques, lesquels sont désormais pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Il semble donc que le « signal prix » ait un effet majeur en termes de santé publique. Rappelons que le tabac cause 70 000 morts par an.

Enfin, le rendement actuel de la CRDS représente 7,9 milliards d’euros pour la CADES. Il conviendra d’ailleurs de redéfinir la destination de cette ressource après la disparition de la CADES en 2024.

 

 

 

 

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 16 heures 15

Présents. – M. Joël Aviragnet, Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, M. Belkhir Belhaddad, Mme Justine Benin, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Blandine Brocard, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Albane Gaillot, Mme Carole Grandjean, M. Jean-Carles Grelier, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Fadila Khattabi, M. Gilles Lurton, M. Thomas Mesnier, M. Jean-Philippe Nilor, M. Bernard Perrut, Mme Claire Pitollat, M. Alain Ramadier, Mme Mireille Robert, Mme Nicole Sanquer, M. Adrien Taquet, M. Jean-Louis Touraine, Mme Élisabeth Toutut-Picard, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Michèle Peyron, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, Mme Geneviève Levy, Mme Isabelle Valentin