Compte rendu

Mission d’information de la
Conférence des présidents
sur la révision de la
loi relative à la bioéthique

– Audition de Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), de Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, et de Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires              2

– Présences en réunion..............................10

 


Mardi
9 octobre 2018

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 28

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Xavier BRETON,
président
 

 


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 9 octobre 2018

(Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission)

La Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l’audition de Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), de Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, et de Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires.

L’audition débute à seize heures trente.

M. Xavier Breton, président. Nous reprenons notre séquence d’auditions en accueillant des représentants de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), à savoir Mme Marie-Andrée Blanc, sa présidente, Mme Guillemette Leneveu, sa directrice générale, ainsi que Mme Claire Ménard, chargée de relations parlementaires.

L’Union nationale des associations familiales, qui regroupe 7 000 associations sur tout le territoire français, est chargée de promouvoir, défendre et représenter auprès des pouvoirs publics les intérêts des familles vivant sur le territoire français, quelles que soient leurs croyances ou leur appartenance politique.

Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, notre mission d’information est régulièrement amenée à s’interroger sur des sujets liés à l’évolution sociétale du modèle familial, c’est pourquoi nous souhaiterions entendre votre analyse sur ces sujets.

Je vous donne donc maintenant la parole pour un exposé liminaire, avant que nous ne poursuivions par un échange de questions et de réponses. À toutes fins utiles, je rappelle que nos débats sont filmés et enregistrés.

Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l’UNAF est l’institution chargée par la loi de représenter les 18 millions de familles vivant sur le territoire français et de donner officiellement avis aux pouvoirs publics sur les questions d’ordre familial. Nous avons engagé il y a quelques mois une large consultation auprès des mouvements familiaux adhérant à notre union afin de recueillir la diversité de leurs opinions, et leurs contributions ont enrichi la réflexion de l’UNAF.

L’UNAF est attachée aux principes définis par le législateur dans le cadre des lois dites de bioéthique de 1994, à savoir la dignité de la personne, l’inviolabilité du corps humain, la non-patrimonialité et le respect du consentement. Depuis, au regard des projets en matière de génétique et compte tenu des questionnements environnementaux actuels, un autre principe éthique semble s’être affirmé : le principe de réversibilité.

Ces principes constituent la boussole à partir de laquelle nous cherchons à examiner les demandes sociétales, le progrès en matière de recherche et les possibles usages des acquis de la science et des techniques. Ils doivent être appréciés concrètement dans une recherche d’équilibre entre les droits et les libertés individuels et collectifs, avec l’exigence d’une responsabilité à l’égard des plus vulnérables et des générations futures et au regard de la singularité que nous accordons à l’être humain. C’est sur cette base que nous souhaitons que les orientations techniques et scientifiques, ainsi que les questions sociétales qui en découlent, soit abordées.

Il faudrait non seulement inscrire, dans le préambule de la future loi sur la bioéthique, la prise de conscience des enjeux futurs ainsi que les conséquences pour l’humanité des choix qui seront faits – comme le suggère le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) –, mais aussi et surtout traduire cette préoccupation dans les choix à venir. Le temps imparti à cette audition ne permettant pas d’aborder l’ensemble des sujets liés à la bioéthique, nous évoquerons donc essentiellement ceux liés à la procréation.

L’UNAF a conduit sa réflexion à l’égard des questions de procréation en suivant cette logique et en cherchant à estimer les conséquences éthiques qui résulteraient de l’acceptation de certaines demandes pour l’ensemble de la société. Cette démarche nous a amenés à nous poser des questions quant aux effets de certaines évolutions possibles, notamment sur l’accroissement éventuel des inégalités sociales, l’avenir d’une assurance maladie solidaire, le risque d’une marchandisation accrue de la procréation et des produits du corps humain, ainsi que le sens et la finalité de la filiation.

Le désir d’enfant, celui de devenir père ou mère et de s’inscrire dans une histoire intergénérationnelle, sont les ressorts psychologiques et sociaux autour desquels s’articulent la politique familiale et ses composantes – faciliter la venue d’un enfant, compenser les charges liées à l’enfant, assurer le renouvellement des générations, concilier la vie familiale et l’activité professionnelle, soutenir la parentalité et conforter les solidarités familiales.

La collectivité soutient ainsi la réalisation de projets parentaux et familiaux, non seulement pour répondre à des aspirations individuelles – avoir des enfants est souvent vécu comme une condition de réalisation de soi –, mais aussi dans un objectif d’investissement social pour l’avenir et la prospérité économique.

Néanmoins, cette solidarité procréative peut être encadrée et limitée pour des raisons éthiques, sociales et économiques. Plusieurs constats et revendications viennent ainsi aujourd’hui se télescoper autour des questions de bioéthique relatives à la procréation. Le premier constat tient à la baisse de la fertilité – notamment à la baisse de qualité des gamètes mâles observée dans la majorité des pays occidentaux –, qui accroît la demande de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP).

Le deuxième constat est lié à l’activité économique et au décalage des grossesses vers des âges plus avancés, auxquels la fertilité des femmes est moindre, ce qui accentue également la demande de recours à ces techniques, ainsi qu’à la conservation des ovocytes.

Le troisième constat est celui de demandes visant à la reconnaissance sociale de nouvelles configurations familiales. À cette thématique se greffe une revendication d’égalité des droits et de non-discrimination, qui imprègne l’ensemble du champ social. Ici, elle recoupe à la fois l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) elle-même et certaines de ses conséquences, dont la question de l’anonymat et du droit des enfants nés d’une insémination avec donneur à connaître leurs origines, mais aussi l’accès à la gestation pour autrui (GPA). Cette dernière engage un questionnement supplémentaire sur l’utilisation du corps d’autrui au profit de la réalisation d’un projet personnel, et sur la possibilité ou non d’encadrer de manière éthique cet usage.

Le quatrième constat, qui découle des premiers, est celui de l’extension de la sphère marchande et technologique à l’ensemble de la procréation.

Le cinquième et dernier constat est celui de la cohérence, parfois difficile, entre les objectifs poursuivis par les politiques publiques, ce que trois exemples peuvent illustrer.

Les exigences en matière de respect des droits de l’enfant sont considérées comme prioritaires, avec des politiques de protection de l’enfance qui se redessinent en ce moment autour de la question des besoins fondamentaux de l’enfant – dont traite la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Accorder aux adultes une plus grande liberté en matière de procréation suppose de tenir compte préalablement des conséquences pour les enfants au regard de leurs besoins fondamentaux.

Une autre priorité des politiques publiques est celle consistant à chercher à limiter les inégalités sociales liées aux revenus. Selon nous, la question prioritaire devrait être de s’interroger sur la possibilité, en cas d’extension des droits en matière de PMA, de satisfaire l’effectivité des droits ouverts. Comment veiller à ce que cette extension des droits et la difficulté de les satisfaire ne conduisent pas à un marché de la procréation augmentant des inégalités que nos politiques cherchent pourtant à limiter ?

Enfin, les politiques familiales et d’égalité entre les femmes et les hommes ont pour objectif de renforcer la place des pères, que ce soit en termes de parentalité, de congés parentaux, ou en cas de séparation. L’effacement institutionnalisé de la place du père pose la question de sa cohérence avec nos politiques publiques qui cherchent, a contrario, à soutenir et à encourager l’implication des pères auprès des enfants.

Au-delà des questions de cohérence, il nous semble essentiel de bien prendre la mesure de ce qu’impliqueraient les nouveaux droits, de réfléchir à ce que ces pratiques, qui peuvent être envisagées sur le plan éthique lorsqu’elles sont prises individuellement, peuvent avoir comme conséquences sur un plan plus large. Cela nécessiterait pour le moins que l’on cerne parfaitement les contours de ces conséquences et que l’on s’assure des moyens d’y répondre.

Pour ce qui est de la question de l’extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, nous avons pris note du changement de position du CCNE en juin 2017, en dépit des nombreux questionnements qu’il soulève lui-même dans son avis. Son dernier avis, rendu en septembre 2018, confirme sa position sans pour autant avoir levé les doutes et les incertitudes qui avaient été soulevés.

Nous avons également pris connaissance de l’étude du Conseil d’État de juin 2018, qui propose notamment des solutions juridiques aux évolutions possibles du droit de la filiation en cas d’ouverture de la PMA aux couples de femmes, tout en soulignant au préalable que le droit ne commande aucunement de modifier les critères d’accès à la PMA. À sa lecture, il paraît bien difficile de faire évoluer le droit de la filiation afin de permettre une éventuelle ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes sans remettre en cause un édifice qui concerne actuellement toutes les familles. L’établissement d’une filiation directe, sans passer par l’adoption, sera une rupture majeure en ce qu’elle reviendra à reconnaître juridiquement la possibilité d’être issu de deux personnes de même sexe. Comme le Conseil d’État le dit lui-même, « ces options conduisent, pour la première fois en droit français, à dissocier radicalement les fondements biologiques et juridiques de la filiation d’origine, en prévoyant une double filiation maternelle ».

Aujourd’hui, les possibilités d’accès à la PMA sont encadrées par des critères médicaux d’infertilité et de risques de transmission d’une maladie grave. Avec l’abandon définitif de ces critères, les questions se multiplient. Il serait en effet difficile de réserver aux seuls couples de personnes de même sexe la possibilité d’avoir recours à la PMA pour des critères autres que médicaux. Par exemple, faudrait-il ouvrir la PMA à des couples hétérosexuels désirant y avoir recours par choix, afin de bénéficier d’une sélection de gamètes ? La question posée, in fine, par la possibilité de recours à la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes, dépasse largement celle de la seule égalité des droits.

En fait, la PMA n’est pas un droit des couples hétérosexuels qui serait refusé aux couples qui ne le sont pas, car elle n’est pas autorisée pour tous les couples hétérosexuels, mais limitée à des cas précis. Si l’on veut aligner strictement les droits des couples de femmes et des femmes seules sur ceux des couples hétérosexuels, il ne faudra ouvrir la PMA qu’à celles de ces femmes souffrant d’infertilité ou risquant de transmettre une maladie grave – sinon, c’est la reconnaissance d’un droit pour tous à la PMA qui est finalement en jeu… Si tel est le cas, comment s’assurer que chacun pourra être en mesure de jouir de ce droit, et quelles seront les conséquences en cascade de l’instauration de ce droit ?

Pourra-t-on, par exemple, maintenir le principe de gratuité des dons de gamètes, ou faudra-t-il renoncer à celui-ci pour satisfaire ce nouveau droit ? Comment évaluer plus largement, le cas échéant selon quelles méthodes et quels critères – et en donnant quelle place au principe de justice – les incidences possibles d’une disjonction aussi radicale entre la sexualité, la procréation et la filiation sur l’ensemble de la société ? Certaines des questions soulevées ne peuvent être tranchées sous le seul angle de la bioéthique : elles relèvent d’une réflexion politique plus large qui doit interroger le sens et la finalité de la solidarité collective dans un contexte de financement restreint.

L’ouverture de la PMA aux femmes seules pose aussi la question de la cohérence des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics. Ainsi, les femmes seules avec charge d’enfants sont désignées comme vulnérables par les politiques publiques et font l’objet d’interventions sociales prioritaires. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a limité l’augmentation des aides aux parents aux seules familles monoparentales, sans conditions de ressources, au motif que la situation de monoparentalité apporte des contraintes qui ne sont pas que financières.

Dans son étude de juin dernier, le Conseil d’État établit le lien entre la situation de monoparentalité ainsi créée et « un risque accru de vulnérabilité ». Quant au CCNE, il souligne dans son avis 129 l’existence de ce même risque, mais il en tire la conclusion qu’il faut tout de même permettre l’ouverture de la PMA aux femmes seules, au motif que la situation des enfants nés d’un projet de femme seule pourrait être plus protectrice que celle d’un enfant vivant dans une famille où la monoparentalité résulte des aléas de la vie.

Or, aucun élément ne vient démontrer cette idée : élever un enfant lorsqu’on est totalement seul, sans l’apport d’un second parent – même peu présent – et sans le soutien d’une belle-famille – fût-elle trop présente –, est pour le moins tout aussi difficile dans la quotidienneté.

J’en viens à la question de l’autoconservation des ovocytes.

Au-delà de la liberté des femmes face à leur projet de maternité, favoriser la conservation des ovocytes dans le seul but de permettre aux femmes de reporter leur grossesse afin d’accéder à une égalité professionnelle ne nous semble pas participer d’un projet d’émancipation des femmes. C’est pour nous une réponse erronée au problème que constitue l’inégalité professionnelle entre femmes et hommes du fait de la maternité. L’autoconservation des ovocytes ne conduit-elle pas les femmes à soumettre leur désir d’enfant aux contraintes du marché du travail ?

Il convient en outre de rappeler que toute grossesse tardive augmente les risques médicaux pour la femme et son enfant. Une information auprès du grand public, en particulier auprès des plus jeunes, filles et garçons, nous paraît indispensable.

C’est, de notre point de vue, à la société de permettre aux femmes de mener à bien leur projet d’enfant sans avoir à repousser l’âge de leur grossesse, et sans que ce projet n’entrave leur parcours professionnel. C’est pourquoi les lois de bioéthique ne doivent pas être conçues indépendamment d’une réflexion sur la politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Il appartient aux pouvoirs publics de développer davantage de dispositifs permettant cette conciliation et au monde du travail de ne plus considérer la maternité comme un obstacle.

Le CCNE se dit « favorable à la possibilité de proposer, sans l’encourager, une autoconservation ovocytaire de précaution ». La formule employée est assez symptomatique de l’économie générale du recours à l’éthique dans notre société. Ainsi, tout en étant conscient des effets délétères de la banalisation d’une telle pratique, le CCNE limite son avis à l’examen éthique des revendications individuelles, en espérant que l’acceptation ne vaudra pas encouragement. La question que nous posons est de savoir si cette attention éthique portée uniquement aux pratiques et demandes individuelles ne conduit pas à une forme de déresponsabilisation collective.

Nous nous interrogeons sur le changement de position du CCNE à seulement un an d’intervalle… Quand on voit la pression qui s’exerce d’ores et déjà sur les femmes de la part de certains employeurs, on ne peut que s’inquiéter d’une telle proposition. Quel est le message envoyé ? Si la loi offre la possibilité de retarder sa grossesse, quelle marge de manœuvre restera-t-il aux femmes pour résister ? C’est une fausse liberté accordée aux femmes.

M. le président Xavier Breton. Je vous prie de m’excuser, mais nous allons devoir suspendre notre réunion durant quelques minutes afin de permettre aux membres de notre mission d’information d’aller voter en séance publique.

La réunion, suspendue à seize heures cinquante, reprend à dix-sept heures cinq.

Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’UNAF. Pour ce qui est de l’anonymat des dons de gamètes, l’UNAF avait souhaité, dès 2008, que les modalités de mise en œuvre des dons de gamètes puissent être réinterrogées, le dispositif étant de plus en plus contesté au regard du souhait de certains enfants issus de ces dons de connaître ne serait-ce qu’une partie de leurs origines. Par ailleurs, l’évolution des technologies, l’importance de la génétique dans la médecine prédictive, la puissance du traitement des données et la potentielle facilité d’accès à des tests génétiques, font que le système actuel est fragilisé.

Si le principe de l’anonymat doit être maintenu au moment du don, tant à l’égard du donneur que des bénéficiaires du don, il nous semble aujourd’hui nécessaire de réfléchir à des évolutions permettant un meilleur accès des enfants devenus majeurs à des informations sur leurs origines, avec un encadrement.

Des évolutions sont possibles, s’inspirant de ce qui se fait pour les enfants nés sous le secret. La question de l’accès des enfants nés d’un don de gamètes à leurs origines, ou du moins à une partie de leurs origines, a en effet des points communs avec celle posée par les enfants nés sous le secret, même si leur naissance et leur vécu sont différents. On pourrait ainsi créer une autorité indépendante équivalente au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), qui centraliserait les données médicales déjà recueillies par les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), ainsi que d’autres données « sociales », ou bien confier directement cette mission au CNAOP, en en modifiant les statuts et le financement en conséquence.

Dans la logique de la loi du 4 mars 2002, l’initiative d’accéder ou non aux informations serait laissée à la libre appréciation de l’enfant né d’une insémination artificielle avec don de sperme (IAD), pour respecter son droit d’être « tenu dans l’ignorance de ses origines » si tel est son choix. Il serait en effet délétère d’imposer à tous les enfants l’obligation de savoir s’ils sont nés d’une IAD et, pour ceux dont ce serait le cas, l’obligation de connaître l’identité du donneur.

Dans le cas où le législateur souhaiterait permettre l’accès à des données identifiantes, il nous semble que cette levée de l’anonymat à la majorité de l’enfant ne devrait être possible qu’avec le consentement du donneur, recueilli lors du don et réitéré lors de la demande effectuée par l’enfant.

En tout état de cause, il est important de distinguer la question de la connaissance des origines de celle de l’établissement de la filiation. L’accès à la connaissance des origines ne doit pas conduire à l’établissement de nouvelles filiations, afin de garantir la sécurité et la stabilité de l’enfant, de ses parents et de l’ensemble de la famille, ainsi que celles du donneur. On peut penser que l’article 311-19 du code civil offre déjà la garantie nécessaire sur ce point, en précisant qu’en « cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation ».

Au sujet de la GPA, je serai brève. L’UNAF considère qu’aucune disposition ne peut rendre cette pratique « éthique », compte tenu du fait qu’elle contrevient lourdement au respect de la quasi-totalité des principes fondant notre droit de la bioéthique : indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, impossibilité d’estimer la réalité du consentement libre et éclairé, réification de l’enfant, etc. Nous partageons les conclusions du Conseil d’État et du CCNE. En outre, la France s’honorerait à suivre la recommandation récente de ce dernier en prenant l’initiative d’une négociation internationale ayant pour ambition l’interdiction de la GPA.

Mesdames et messieurs les députés, pour terminer je souhaiterais dire deux mots relatifs au développement de la médecine prédictive et à ses éventuels impacts sur le système d’assurance maladie.

Le croisement du séquençage du génome du patient et de son mode de vie devrait permettre de lui administrer un traitement fortement individualisé. Il s’agit d’une avancée considérable, mais non dénuée de risques, puisqu’elle peut enfermer la personne dans un groupe où on l’aura catégorisée. Le patient devra-t-il délivrer le maximum d’informations concernant non seulement sa santé, mais aussi son mode de vie et son environnement, puisque ceux-ci peuvent influer sur son état de santé et la potentialité de développer des pathologies ?

Quid, par conséquent, de la possibilité pour la personne de masquer certaines informations ? N’allons-nous pas contrôler l’observance du patient et ne serons-nous pas tentés de le sanctionner s’il n’est pas assez observant ? N’allons-nous pas aboutir à ce que l’assurance maladie obligatoire impose à l’assuré de suivre un mode de vie compatible avec le traitement approprié ?

Le Conseil d’État, dans son étude de juin 2018, rappelle que la loi ne permet pas de conditionner, de façon générale, la prise en charge par l’assurance maladie, et que si une évolution vers plus de conditionnalité n’apparaît pas se heurter à un obstacle constitutionnel, il relève néanmoins qu’une telle démarche serait porteuse de risques. Quant au CCNE, il réaffirme l’interdit pour les assurances et les employeurs de disposer de ces informations en s’appuyant sur le principe de non-discrimination du fait des caractéristiques génétiques.

Nous rejoignons bien évidemment ces deux analyses : en effet, nous pensons qu’introduire un principe général de conditionnalité risque, à terme, d’aboutir à la mise en place d’un système extrêmement intrusif et potentiellement délétère. Si ces questions ne doivent pas être éludées, les réponses qui y seront apportées ne devront pas remettre en cause notre système d’assurance maladie fondé sur les valeurs de solidarité et d’universalité.

M. le président Xavier Breton. Merci, madame, pour ce tour d’horizon des diverses questions sur lesquelles nous réfléchissons.

L’UNAF a-t-elle un point de vue particulier sur le transfert post-mortem d’embryons, la possibilité pour une veuve d’implanter, dans un délai restant à définir, un embryon conçu dans le cadre du projet parental du couple, l’époux étant décédé – sujet qui avait été évoqué en 2011 ?

Mme Marie-Andrée Blanc. L’état d’esprit dans lequel, en toute humilité, nous avons préparé cette audition avec l’ensemble de nos mouvements familiaux a été que l’objet de cette mission d’information était d’approfondir les sujets et faire émerger des problématiques.

En tout état de cause, je ne suis pas en mesure de répondre à la question que vous m’avez posée, car nous n’en avons pas débattu.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Merci, madame, pour votre synthèse que j’ai trouvée intéressante et prudente dans son expression, mais j’imagine que vous devez tenir compte du point de vue de diverses associations ; il me semble d’ailleurs que votre présentation marque quelques évolutions par rapport aux positions historiques de votre organisation.

Vous avez considéré que, du fait de la pression du regard social pesant sur les couples, le besoin d’enfant serait plus fort aujourd’hui. Il me semble pour ma part que les sociétés primitives ressentaient déjà cette nécessité de prouver socialement qu’hommes et femmes n’étaient pas infertiles, et que, dans beaucoup de cas, ils recouraient aux moyens non médicaux qu’ils avaient à leur disposition pour compenser ou travestir cette infertilité. Croyez-vous que quelque chose dans la société moderne accroisse ce besoin d’enfant, ou est-il aussi ancien que l’humanité ?

C’est par ailleurs à juste titre que vous estimez que les infertilités augmentent, pour des raisons différentes, chez l’homme et la femme. En conséquence, pensez-vous que le recours au soutien médical ira croissant à l’avenir, quelle que soit sa forme, courante comme la PMA, l’insémination artificielle ou la fécondation in vitro, ou toutes autres techniques jouant sur la préparation des gamètes ?

Ensuite, l’intérêt de l’enfant nous paraît être la chose la plus importante, et vous avez raison de dire que la question de la filiation est difficile pour tous les enfants. Seriez-vous prête à convenir qu’il faut que nous aboutissions, au terme de nos réflexions, à des droits strictement identiques pour tous les enfants, quels qu’aient pu être les moyens employés pour leur conception, fût-ce une GPA pratiquée à l’étranger ? L’enfant n’est pas à l’origine de son mode de procréation ; il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne bénéficie pas de la totalité des droits.

Cela impliquerait que la filiation soit directe plutôt que par adoption, car ce procédé comporte des risques, par exemple si, entre la procréation et le terme de la démarche d’adoption, l’un des parents décède. Puisque, pour vous aussi, le droit de l’enfant prime, cela doit-il à vos yeux nous conduire à remanier profondément nos textes afin que, de façon quasi systématique, tous les enfants puissent bénéficier directement de la totalité des droits avec leurs vrais parents, c’est-à-dire ceux qui les élèvent, quelles que soient les conditions de procréation?

Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l’Union nationale des associations familiales (UNAF). S’agissant de l’évolution de l’institution, il est vrai que l’UNAF a pris acte de l’engagement du Président de la République sur la question de la PMA, ce qui ne veut pas dire que cette pratique ne soulève pas d’interrogations. Mais ce qui nous paraît très important, c’est qu’au moment où le législateur prendra une décision, il puisse bien réfléchir une fois de plus aux conséquences que nous avons soulignées dans notre intervention.

Je ne suis pas sûre que nous ayons dit que le besoin d’enfant soit nécessairement plus important aujourd’hui. En revanche, que les aspirations individuelles soient très fortes me paraît évident, de même que le fait que tout cadre fixé soit vécu comme une restriction toujours moins bien acceptée. Cela constitue peut-être l’évolution de la plus notable.

En ce qui concerne le besoin de gamètes, le problème est de savoir si la situation est inexorable, et c’est pourquoi nous avons beaucoup insisté sur l’autoconservation des ovocytes. La question posée est celle de la grossesse des femmes, du fait qu’elles travaillent en plus grand nombre qu’autrefois, ainsi que de savoir s’il est inéluctable qu’elles sacrifient une part de leur projet professionnel au profit de leur vie familiale – ce qui se produit en Allemagne où 40 % des femmes cadres ne pourront pas avoir d’enfant.

Nous pourrions accepter ce modèle qui implique un recul de l’horloge biologique nécessitant le recours à d’autres moyens de conception. Mais nous pouvons aussi considérer qu’il revient à la société et aux politiques publiques de faire en sorte que des jeunes femmes puissent à la fois s’épanouir dans leur vie professionnelle et dans leur désir d’enfant.

Il est en outre très clair à nos yeux que les enfants ne doivent pas être victimes d’inégalités qui seraient fonction des projets parentaux, question qui se pose particulièrement pour la GPA. On nous oppose régulièrement que ces enfants sont là, qu’ils ont été conçus ainsi, que l’on ne leur a pas demandé leur avis, qu’ils vivent sur le territoire national et qu’il n’y a donc pas de raison de prévoir pour eux un régime différent.

Tout cela est exact, mais la question qui se pose à nous est de savoir comment renforcer l’interdit pesant sur la GPA afin d’éviter que ces situations ne soient créées ; car cette pratique est à l’origine de situations problématiques auxquelles nous devons répondre par la suite. Notre position, assez largement partagée, est donc qu’il conviendrait d’interdire purement et simplement la GPA.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cet interdit ne concernerait que la France ?

Mme Guillemette Leneveu, directrice générale. Nous demandons précisément que cet interdit soit de portée internationale ; d’ailleurs, toutes les évolutions réalisées dans le domaine de l’adoption, qui protègent les enfants du trafic, relèvent de conventions internationales.

M. le président Xavier Breton. Merci beaucoup, mesdames, pour ces échanges.

 

L’audition s’achève à dix-sept heures vingt.

 

 

 

Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Réunion du Mardi 9 octobre 2018 à 16 h 15

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Caroline Janvier, M. Jean François Mbaye, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine