Compte rendu

Commission d’enquête
sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables,
sur la transparence des financements
et sur l’acceptabilité sociale
des politiques de transition énergétique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Yves Lederer, président du Groupe Coriance, sur la cogénération, accompagné de M. Geoffroy Missy, energy manager (opérateur en énergie)              2

 


Jeudi
6 juin 2019

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de M. Julien Aubert,
Président

 


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La séance est ouverte à onze heures.

M. le président Julien Aubert. Pour notre audition consacrée à la cogénération, nous accueillons les représentants du groupe Coriance : M. Yves Lederer, son président, et M. Geoffrey Missy, energy manager, opérateur en énergie.

Filiale de Gaz de France à l’origine, Coriance est devenu un opérateur indépendant, agissant en particulier comme délégataire pour l’exploitation de réseaux de chaleur et de froid urbains.

Coriance a une grande expérience de l’utilisation de la chaleur dégagée par la production d’électricité pour le chauffage et la production d’eau chaude.

C’est le cas pour les réseaux de chaleur que vous exploitez à partir de la biomasse à Pierrelatte, Dijon, Bondy ou Les Mureaux, ou à partir de la géothermie à Fresnes, Chelles ou Meaux.

Quel est le rendement des différents types de cogénération ?

Quels sont les coûts de production électrique des différents types de cogénération ?

Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ne prévoit pas d’appel d’offres de cogénération biomasse sur sa durée en faisant de la valorisation énergétique la priorité avant la cogénération à haut rendement. Qu’en pensez-vous ? Ce sujet étant moins traité que l’éolien ou le photovoltaïque, pourriez-vous nous en expliquer les subtilités et nous indiquer les enjeux de la cogénération ?

Comment prenez-vous en compte les enjeux environnementaux des installations de cogénération à partir de la biomasse ?

Monsieur le président, nous allons vous écouter pour un exposé liminaire de quinze minutes. Ensuite, les membres de la commission d’enquête vous interrogeront à leur tour avec, d’abord, les questions de notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.

S’agissant d’une commission d’enquête, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(M. Yves Lederer et M. Geoffrey Missy prêtent successivement serment.)

M. Yves Lederer, président du groupe Coriance. Monsieur le président, merci de nous avoir conviés à participer à cette commission d’enquête.

Coriance est un groupe spécialisé dans les délégations de service public de chauffage et de froid urbain – principalement de chauffage -, et un grand nombre des réseaux de chaleur que nous exploitons sont alimentés par des énergies renouvelables et par de la cogénération.

J’établirai d’emblée une distinction entre les systèmes de cogénération, comme vous l’avez fait. Nous faisons fonctionner vingt installations avec des cogénérations gaz, turbines ou moteurs, installations qui produisent de l’électricité et dont on récupère la chaleur lors du refroidissement afin d’alimenter nos réseaux de chaleur. Nous exploitons une cogénération biomasse, à Pierrelatte, dans la Drôme. Nous avons par ailleurs des chaufferies biomasse, qu’il convient de distinguer de la cogénération biomasse de Pierrelatte, où nous produisons, à partir de bois, de l’électricité qui est vendue à EDF et où nous récupérons de la chaleur pour alimenter autour de la ville des serres, le site industriel Georges-Besse II de l’ex-Areva, la ferme aux crocodiles, le site touristique de la Drôme et la ville de Pierrelatte.

Jusqu’alors, la cogénération gaz fonctionnait avec un système dit d’obligation d’achat qui prévoyait, moyennant certaines conditions techniques, par des contrats d’une durée de douze ans, un prix de vente d’électricité par EDF permettant aux réseaux de chaleur de bénéficier d’une recette électrique, donc de conférer une compétitivité certaine à la vente de chaleur. C’est un premier vrai sujet pour l’avenir proche, dans la mesure où ces contrats d’obligation d’achat dits C13 concernent des cogénérations d’une puissance jusqu’à 12 mégawatts électriques. Toutefois le contrat C16 qui correspond aux contrats en cours va jusqu’à un mégawatt, ce qui, pour un réseau de chaleur, est très petit. Certains C13 sont encore en cours, mais pour ceux arrivant à échéance, rien n’est prévu pour succéder à ce dispositif, en sorte que les recettes électriques dont bénéficient les délégations de service public concernées vont s’éteindre, avec des conséquences potentielles. Nous-mêmes et beaucoup de nos confrères avons beaucoup de contrats à l’intérieur desquels le contrat C13 de vente d’électricité s’arrête avant la fin de la délégation le service public. Or le prix de revient du mégawattheure chaleur provenant d’une installation de cogénération est d’environ 5 euros le mégawattheure, tarif imbattable puisque tout autre mode de production ne bénéficie pas de recettes associées, en l’occurrence, les ventes d’électricité.

Voir arriver l’arrêt de ces cogénérations est pour nous un sujet de préoccupation majeur, pour nous-mêmes, en tant que délégataires de service public, mais aussi pour nos délégants concernés. Dans certains contrats récents, l’arrêt du C13 est anticipé, mais les contrats plus anciens prévoyaient un renouvellement du C13. Si le C13 s’arrête, l’impact sur les prix de vente de chaleur dans les nombreux cas concernés représentera une hausse de 10 à 15 %, ce qui n’ira pas sans poser de problème, nous seulement au regard du prix de chauffage et d’eau chaude sanitaire, mais aussi parce que nos réseaux de chaleur alimentent en grande partie des quartiers populaires, des bailleurs sociaux, des copropriétés parfois en difficulté.

Nous appelons de nos vœux de prévoir au moins un dispositif d’amortissement pour la fin de la cogénération. Nous sommes prêts à discuter quels types d’amortissements pourraient être mis en place, d’autant que souvent, ces cogénérations gaz, qui ont l’inconvénient de fonctionner à partir d’une énergie fossile, sont associées à des énergies renouvelables. C’est le cas à Fresnes de la géothermie et de la cogénération gaz et aux Mureaux de la biomasse et de la cogénération gaz. À notre sens, l’association énergies renouvelables majoritaires et cogénération gaz est très pertinente, parce qu’elle permet, d’une part, de développer de l’énergie renouvelable, et, d’autre part, d’être économiquement compétitive face aux énergies purement fossiles.

Nous avons déjà connu des exemples de démantèlements d’outils industriels qui fonctionnaient. Un système d’amortisseur, voire de poursuite de l’utilisation de ces outils, pourrait être envisagé. Nous savons que le système d’obligation d’achat conduit à un prix de vente de l’électricité majoré pour EDF. Ce prix pourrait être réduit, mais l’annulation totale et brutale poserait des problèmes dans le cadre de ces délégations de service public. Le nouveau contrat mis en place, le C16, n’est pas adapté aux dispositifs de réseaux de chaleur classiques.

La cogénération biomasse fait l’objet d’un dispositif différent qui utilise une énergie renouvelable. Il existe deux dispositifs favorisant la cogénération biomasse. Il y a, d’une part, un dispositif d’obligation d’achat, garantissant un prix de vente de l’électricité à EDF, comme pour la cogénération gaz. D’autre part, il existait des appels à projet par la commission de régulation de l’énergie (CRE) de construction et d’exploitation d’exploitations de cogénération biomasse. Pour celle de Pierrelatte, nous avons conclu un contrat d’obligation d’achat sur vingt ans pendant lesquels EDF s’engage à nous racheter l’électricité à un prix donné. Contrairement aux cogénérations gaz qui ne fonctionnent que cinq mois par an, l’hiver, de novembre à mars, puis s’arrêtent, l’obligation d’achat de la cogénération biomasse est valable toute l’année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

En outre, les appels à projet de la CRE concernaient des cogénérations biomasses d’une puissance relativement importantes nécessitant un puits de chaleur conséquent associé. De ce fait, cela ne pouvait concerner que des sites ayant besoin de quantités de chaleur très importantes. En outre, dans la mesure où nous répondons à des appels d’offres de délégations de service public, il fallait que l’appel à projet tombe au moment d’un appel d’offres, ce qui était complexe à gérer. Compte tenu de ces deux contraintes, nous avons répondu une fois dans la vie de notre groupe à un appel à projet de la CRE, lequel n’a d’ailleurs pas été couronné de succès. Ce dispositif n’était pas favorable à une implantation sur des réseaux de chaleur classiques.

M. le président Julien Aubert. Votre présence sur le site de Pierrelatte ne résulte donc pas d’un appel à projets de la CRE ?

M. Yves Lederer. Non. Elle résulte d’un contrat d’obligation d’achat conclu dans un contexte particulier. Le réseau de chaleur de Pierrelatte était alimenté par les eaux de refroidissement de la centrale Areva à un prix de vente par le délégataire proche de zéro, un niveau historiquement faible qui nous permettait de proposer aux serres environnantes un prix de chaleur extrêmement compétitif. Toutefois, il était prévu qu’Areva arrête son dispositif technique de refroidissement pendant notre contrat de délégation de service public, ce qui a été fait. Nous devions proposer un système de substitution pour continuer à proposer aux serres le tarif le plus compétitif possible, sachant qu’il était impossible d’obtenir un tarif identique. Dans le cadre de notre délégation de service public, nous avons étudié un dispositif de substitution dans les conditions initialement prévues. Nous avons envisagé de mettre en place une installation de cogénération gaz avec obligation d’achat. Elle aboutissait à des tarifs de vente de chaleur compétitifs mais multipliant par quatre le prix de vente aux serristes. Le contrat d’obligation d’achat biomasse permettait d’avoir un prix de vente de chaleur inférieur au prix de vente cogénération gaz. Il conduisait tout de même à plus que doubler le prix de vente de chaleur aux serristes mais restait à un prix inatteignable autrement. C’est dans ces circonstances que nous avons construit cette cogénération biomasse. C’était le moins mauvais système trouvé à l’époque pour se substituer aux eaux de refroidissement d’Areva. Nous nous sommes placés sous le régime de l’obligation d’achat et non sous celui d’un projet CRE. Tel est brièvement résumé le dispositif de cogénération, chez Coriance, gaz et biomasse à Pierrelatte.

M. le président Julien Aubert. Vous avez donc plutôt de la cogénération gaz. Sans l’aide via le tarif d’achat, votre modèle économique serait grandement compliqué.

M. Yves Lederer. Oui.

M. le président Julien Aubert. Puis vous avez la biomasse, qui ne peut passer pour vous par les appels à projets de la CRE.

M. Yves Lederer. C’est compliqué.

M. le président Julien Aubert. Il vous reste donc le modèle biomasse hors CRE.

M. Yves Lederer. Absolument !

M. le président Julien Aubert. Je suis tombé sur un article ainsi rédigé : « Centrale biomasse : polémique à Pierrelatte, un contentieux opposant à la branche énergies renouvelables du groupe Areva au groupe Coriance. La première a vendu une centrale biomasse à la seconde qui l’exploite. L’installation a coûté à Coriance la somme de 45 millions d’euros, mais l’exploitant dénonce un défaut de conception et un « dysfonctionnement majeur ». Le rendement de la centrale ne serait pas conforme au contrat ».

Vous avez un problème dans le gaz, un problème avec la CRE et sur la seule unité où vous n’êtes ni dans l’un ni dans l’autre, vous avez un contentieux avec Areva…

M. Yves Lederer. Un ex-contentieux ! Cet article doit remonter à quelques années.

M. le président Julien Aubert. 2015.

M. Yves Lederer. La construction de cette centrale a donné lieu à une négociation avec Areva. Il s’agissait de confier à Areva qui, à l’époque, avait une unité renouvelable, la construction de notre centrale clé en main. En contrepartie, Areva devait raccorder son site Georges-Besse II à notre réseau de chaleur et nous acheter de la chaleur, afin de mieux mutualiser nos investissements et nos ventes de chaleur. Sauf que la centrale a eu un défaut de conception majeur. Au-delà d’une température extérieure de 20 degrés, le rendement de la centrale baissait. Dans la Drôme, à Pierrelatte, il faut souvent plus de 29 degrés. Le rendement électrique baissait proportionnellement à la chaleur extérieure et nous étions en déficit de recettes électriques considérable par rapport à notre business plan original.

M. le président Julien Aubert. Je n’ai pas compris votre lien avec Areva.

M. Yves Lederer. À l’époque, Areva ne faisait pas que du nucléaire et avait une unité de construction d’installations d’énergies renouvelables. Des mauvaises langues disaient que c’était pour enjoliver l’aspect nucléaire. Nous leur avons donc passé commande de construction de notre centrale. Ils l’ont construite avec ce défaut de conception. Nous sommes ainsi entrés en contentieux, revendiquant une correction du défaut et une indemnisation du manque à gagner provoqué par ce défaut.

Pendant ce contentieux, Areva a connu les problèmes que nous savons. Nous étions confiants sur l’issue du contentieux, mais il était question de démantèlement et de disparition. À la fin du processus de démantèlement d’Areva, sous l’égide de notre délégant, le conseil départemental de la Drôme, nous avons trouvé une issue transactionnelle avec le groupe pour solder le contentieux, avec une indemnisation financière d’Areva, avec laquelle nous avons financé la correction du défaut de conception. Ce problème est derrière nous.

M. le président Julien Aubert. Aujourd’hui, vous n’avez plus de problème…

M. Yves Lederer. Non !

M. le président Julien Aubert. …avec les riverains ?

M. Yves Lederer. Nous n’avons pas de problème majeur avec les riverains. Une personne se livre à des contentieux depuis toujours. Il doit en être à la septième procédure judiciaire, toutes perdues par lui. Globalement, la centrale fonctionne comme elle le devait. Il n’y a plus de sujet particulier sur cette centrale. En revanche, comme vous l’indiquiez, il y a un sujet sur la cogénération gaz, avec l’arrêt du contrat C13, et la cogénération biomasse. Le système d’obligation d’achat est toujours en vigueur mais il nécessite un volume très important sur de grosses installations.

M. le président Julien Aubert. Nous essayons de comprendre. Tous les projets de cogénération sont généralement financés par des aides publiques, des fonds européens, des aides des collectivités, et vous avez, de plus, le tarif d’obligation d’achat. Il y a donc plusieurs types d’aide.

M. Yves Lederer. En l’occurrence, ces projets ne sont pas financés par des aides. Ils ne sont financés que par le tarif d’obligation d’achat, sans aucune subvention.

M. le président Julien Aubert. Vous n’avez eu aucune aide à la construction du projet de Pierrelatte ?

M. Yves Lederer. Aucune, zéro !

M. le président Julien Aubert. C’est vous qui avez payé Areva.

M. Yves Lederer. Nous avons payé rubis sur l’ongle les 45 millions d’euros évoqués.

Les énergies renouvelables bénéficient d’aides du fonds chaleur pour la construction d’un puits de géothermie ou d’une chaufferie biomasse, mais les cogénérations ne bénéficient d’aucune aide, celle-ci étant représentée par le tarif d’obligation d’achat. Le problème, c’est la disparition de celui-ci.

M. le président Julien Aubert. Nous avons regardé les montages financiers dans l’éolien. Dans le domaine de la cogénération, après l’annonce de la tenue d’auditions, on nous a envoyé le contrat de Pierrelatte signé par Areva et le chauffagiste de l’époque, LLT, précisant le partage de la rémunération. Areva devait percevoir 27 millions d’euros et LLT 17 millions d’euros et, concernant Areva, une partie va à l’offshore et une autre à l’onshore. Je voudrais connaître votre point de vue, parce que vous êtes concerné au premier chef pour avoir repris l’usage et parce que vous construisez des centrales. Je ne comprends rien à la manière dont tout ceci s’articule. De plus, vous avez parlé du délégataire. Pouvez-vous nous expliquer comment cela s’organise ?

M. Yves Lederer. Nous avons répondu à un appel d’offres lancé par le syndicat mixte d’aménagement rural de la Drôme, émanation du conseil départemental, en vue de prendre une délégation de service public d’alimentation en chauffage de Pierrelatte et de la zone alentour. Nous l’avons remporté et nous avons pris en charge le contrat de délégation de service public, prévoyant que nous devions à un moment donné mettre en place un procédé de substitution à la fourniture de chaleur par Areva via son système de refroidissement. La solution qui a été trouvée et bénie par le délégant et les clients était la cogénération biomasse. Nous avons signé un avenant au contrat de concession prévoyant cette construction. Nous, Coriance, avons signé avec un groupement Areva-LLT dont Areva était mandataire, Areva étant l’ensemblier de la centrale et LLT le fournisseur de la chaudière. Moyennant la modique somme de 45 millions d’euros, ce groupement a construit cette installation.

M. le président Julien Aubert. Vous leur avez donné 45 millions d’euros.

M. Yves Lederer. Nous leur avons donné 45 millions d’euros, sans aucune aide. La répartition entre eux est probablement celle que vous venez d’évoquer. Normalement, cet argent rejoignait la division énergies renouvelables d’Areva mais cela nous échappe. Vu par nous, c’est relativement simple.

M. le président Julien Aubert. Qu’est-ce qu’on désigne par la partie offshore et la partie onshore ? Cela a-t-il trait à la cogénération ?

M. Geoffrey Missy, energy manager (opérateur en énergie). Il y a un quiproquo. Dans le domaine de l’éolien, on parle d’offshore et d’onshore en fonction de la position des éoliennes, sur terre ou en mer. À mon sens, l’offshore et l’onshore que vous évoquez sont liés à des montages financiers propres à Areva et qui nous sont étrangers.

M. Yves Lederer. C’est un sujet totalement indépendant de notre cogénération.

M. le président Julien Aubert. Mais comme c’est vous qui avez payé, il est toujours intéressant de chercher à savoir. Nous essayons de comprendre comment tout ceci fonctionne.

Existe-t-il aujourd’hui un risque de suppression du tarif d’obligation d’achat en biomasse ?

M. Yves Lederer. Nous ne le savons pas.

M. le président Julien Aubert. Est-ce que des projets du type E.ON sont susceptibles de vous gêner dans le développement de cogénération de biomasse ?

M. Yves Lederer. Vous évoquez le projet d’E.ON dans le Sud, à Gardanne ?

M. le président Julien Aubert. Le Projet, avec un grand P !

M. Yves Lederer. Ce projet brandi comme une menace a longtemps ressemblé pour nous à un serpent de mer. La menace qu’il pouvait et qu’il peut toujours représenter pesait sur l’approvisionnement en biomasse de notre centrale de Pierrelatte. Nos rayons d’approvisionnement en bois pouvant se chevaucher, nous craignions une sorte de surenchère sur les prix d’achat. Je ne sais pas trop où en est ce projet de Gardanne dont on parle depuis des années, qui est différé, qui s’est heurté à des difficultés. Aujourd’hui, il n’a pas d’impact sur notre situation à Pierrelatte.

Lorsque nous nous sommes lancés dans cette cogénération biomasse, tout le monde, aussi bien les instances locales que nos actionnaires, nous mettait en garde sur la difficulté à trouver les quantités de bois nécessaires. Notre arrêté d’exploitation prévoit que 80 % du bois doivent venir de moins de cent kilomètres autour de la centrale, ce qui a du sens en termes de transition énergétique. Or je me plais à dire qu’à Pierrelatte, nous avons rencontré tous les problèmes possibles, avec Areva, avec des clients, avec l’environnement, avec le voisin dont j’ai parlé, sauf celui lié à l’approvisionnement en biomasse, qui n’a posé jusqu’à présent aucun problème. On est totalement dans les prix prévus et on trouve très facilement le bois dans les cent kilomètres prévus. Je ne sais pas si le projet de Gardanne fonctionnera un jour au bois tel qu’il était prévu. J’avais entendu dire que le bois devait venir en partie du Canada. Après avoir éprouvé des craintes, au début, nous vivons avec ce projet sans peur excessive d’impact sur notre propre centrale.

M. le président Julien Aubert. Aujourd’hui, vous vous orientez beaucoup vers le gaz. Craignez-vous l’arrêt par General Electric du site de Belfort et le démantèlement d’une filière. Vous dites que la suppression du tarif d’obligation d’achat vous pose un problème économique et on entend des fabricants de turbines à gaz dire qu’ils vont arrêter d’en faire. Concrètement, y a-t-il un risque de voir disparaître la cogénération gaz ?

M. Geoffrey Missy. On veut voir la disparition de la cogénération gaz sous deux angles. Le premier est celui, d’ordre économique, précédemment évoqué, en lien avec les tarifs d’obligation d’achat aujourd’hui plafonnés à un mégawatt. Le site de Belfort, ce sont des turbines, donc des puissances bien supérieures à ce mégawatt. Le second est la possibilité, liée au tissu industriel français, de disposer de ces machines le jour où l’on souhaite en acheter. À Coriance, nous sommes directement concernés par cette question, puisque nous avons une turbine à gaz produite par General Electric qui fonctionne sur le marché libre et nous sommes en discussion avec eux au sujet de la rénovation de cette capacité. Nous souhaiterions continuer à exploiter les turbines à gaz dans notre portefeuille pour toutes les raisons qui ont été évoquées, mais le contexte réglementaire lié à l’obligation d’achat nous empêche de créer de nouvelles unités.

M. Yves Lederer. En résumé, le problème qui se pose à Belfort avec General Electric ne devrait pas nous impacter. Sur nos vingt unités de cogénération gaz, il y a quatre turbines et seize moteurs. La plupart des cogénérations gaz sur réseau de chaleur sont alimentées par des moteurs, qui ne sont pas fabriqués par General Electric.

M. le président Julien Aubert. Pourriez-vous nous expliquer la différence entre turbines et moteurs ?

M. Geoffrey Missy. C’est une distinction purement technique. Ces moteurs, comparables à ceux de nos voitures, fonctionnent grâce à un système de pistons et de vilebrequins alimentés au gaz. Historiquement, ils équipaient les bateaux, fonctionnaient au fioul et ont été transformés pour fonctionner au gaz. On retrouve aujourd’hui la déclinaison de ces moteurs dans nos unités de cogénération. Quant aux turbines, on y décompresse du gaz dans une machine tournante pourvue d’ailettes. La pression entraîne un alternateur pour produire de l’électricité.

M. Yves Lederer. À l’avenir, s’il était envisagé de relancer le système de cogénération gaz, on pourrait totalement fonctionner avec des moteurs ou des turbines. General Electric n’est pas le seul fabricant de turbines. Celles que nous utilisons ne sont pas des turbines General Electric.

Aujourd’hui, aucun dispositif ne permet de mettre en place de nouvelles cogénérations. Quand on a un projet de réseau de chaleur, soit en création soit en reprise, il importe de connaître les règles du jeu. La construction d’une unité de cogénération gaz est aujourd’hui exclue. Notre problème, c’est la règle du jeu en cours. Nous nous féliciterions de la remise en place d’un système visant à multiplier les cogénérations gaz, mais nous sommes actuellement préoccupés par l’arrêt possible de celles qui existent sur des réseaux. Elles ne sont pas très nombreuses mais elles mériteraient qu’on s’en occupe. Le sujet n’est pas d’en construire de nouvelles mais de gérer l’extinction de celles qui sont en place.

M. le président Julien Aubert. Pourquoi en a-t-on décidé ainsi ? Nous avons des industries fortement subventionnées. Pour l’éolien, les représentants du ministère ont expliqué qu’il fallait absolument conserver les mécanismes d’aide. Ce sont des volumes bien supérieurs aux vôtres. Quand vous faites du fossile, on vous dit que vous êtes du mauvais côté de la barrière. Êtes-vous un acteur trop petit, pas en tant que Coriance mais parce que votre activité est marginale en termes de volumes, donc au pouvoir de lobbying moins important ? Est-ce parce que vous n’arrivez pas à rencontrer les gens du ministère ou parce qu’ils ne vous écoutent pas ? Est-ce pour une autre raison qu’il serait temps d’indiquer à cette commission car l’idée, c’est aussi de comprendre comment sont opérés les arbitrages budgétaires ?

M. Yves Lederer. Merci pour cette question ! Tout le monde reconnaît que le réseau de chaleur est le meilleur vecteur de valorisation de l’énergie renouvelable. On pourrait donc s’attendre à des dispositifs d’aide massifs. Le montant de celle du fonds chaleur a été réduit, ces dernières années. Il va augmenter dans le cadre de la PPE mais cela ne résout pas tout, d’autant que face aux énergies renouvelables que nous développons, nous sommes concurrencés par le gaz, qui est très peu cher. Or pour concurrencer le gaz avec des offres d’énergies renouvelables compétitives, il faut des aides. Les aides accordées en milliards d’euros à l’éolien sont sans commune mesure avec celles du fonds chaleur qui, lui, apporte des aides aux réseaux de chaleur renouvelable. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais c’est une réalité. Pour que la France atteigne ses objectifs en termes de transition et de pourcentage d’énergies renouvelables, il était prévu de développer les réseaux de chaleur existants en raccordant de plus en plus de bâtiments et de créer de nouveaux réseaux d’énergie renouvelable. Du retard a été pris par rapport aux objectifs. Le fonds d’aide prévu n’est pas suffisant pour tenir ces objectifs.

Je ne sais pas pourquoi les fonds sont à ce point aiguillés vers l’éolien. Les forces de lobbying sont probablement supérieures à celles de notre profession. Vous avez raison aussi de dire que la cogénération gaz est du mauvais côté de la barrière. Toutefois, avec une énergie gaz, on en fabrique deux : de la chaleur et de l’électricité, ce qui est assez vertueux. Je le répète, cela fait toujours mal au cœur de démanteler un outil industriel qui fonctionne et qui apporte de l’économie.

M. le président Julien Aubert. La cogénération biogaz peut-elle exister ?

M. Yves Lederer. Merci encore de la question, parce que nous cherchons à faire passer des arguments, ce qui, à la petite échelle de Coriance, n’est pas simple. Nous les portons à notre fédération professionnelle en espérant qu’elle les porte à son tour.

Les installations de cogénérations gaz sont peu appréciées car considérées comme situées du mauvais côté, mais nous sommes convaincus qu’elles ont du sens, surtout quand elles sont déjà là. Nous voulons favoriser leur prolongation ou la mise en place du système d’amortisseurs que j’évoquais. Deux arguments peuvent être avancés. Le premier, et vous l’avez évoqué, Monsieur le président, est le remplacement vertueux du gaz naturel par du biogaz pour faire fonctionner le moteur ou la turbine. Le biogaz coûtant plus cher que le gaz naturel, il y aurait tout de même un effet économique mais bien moins grave qu’un arrêt total. Le second invite à considérer que lorsqu’une cogénération gaz est implantée sur un réseau de chaleur alimenté à plus de 50 ou 60 % par du renouvelable par ailleurs, le système est globalement vertueux. Il serait absurde de regarder la cogénération en tant que telle, parce qu’à nos yeux, il faudra toujours associer aux énergies renouvelables des énergies fossiles pour le secours ou l’appoint, comme nous le faisons systématiquement. Dès lors que nous construisons un réseau de chaleur bois biomasse ou géothermie, nous en doublons toujours la puissance par des chaudières à gaz. Nous délivrons un service public. Si nous avons un problème sur une chaudière bois ou un puits de géothermie, il faut pouvoir fournir de la chaleur aux habitants. Pour le garantir, nous mettons toujours la même puissance en gaz en vue de l’utiliser en secours ou en appoint.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Pourriez-vous nous donner un éclairage international. Avez-vous connaissance à l’étranger d’actions pertinentes au regard de la cogénération en France ?

M. Yves Lederer. J’ai peu d’éléments à vous fournir au sujet de l’international. J’ai entendu dire qu’en Allemagne, le système de cogénération serait bien plus promu et développé qu’en France. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui des dispositifs d’aide aux cogénérations dans les autres pays européens. Nous n’avons pas fait de benchmark à ce sujet, nous nous sommes focalisés sur notre système français.

Nous voyons arriver avec appréhension la fin de contrats C13 dans certaines collectivités. Nous essayons de mobiliser les élus auprès desquels nous travaillons dans les villes concernées afin qu’eux-mêmes portent cette parole. Dans le passé, nous l’avons déjà fait avec succès. Peu avant l’extinction du dispositif précédent, les pouvoirs publics avaient longtemps laissé planer le doute sur la prorogation du système. Quand le décret est paru, il n’y avait plus rien. Je rappelle que ces cogénérations fonctionnent du 1er novembre au 31 mars. Or le décret destiné à proroger à nouveau les cogénérations a été signé le 28 octobre, lesquelles ont redémarré deux jours plus tard. Les situations étaient tendues. À l’époque, notre fédération avait demandé à chaque adhérent de rencontrer les autorités délégantes, notamment les maires qui étaient aussi parlementaires, afin qu’ils interviennent au Parlement. Certains l’avaient fait. Aujourd’hui, certaines collectivités locales vont se heurter à un problème. En tant que délégataires de services publics, nous allons nous retourner vers le délégant en faisant valoir la difficulté économique et le déséquilibre du contrat de délégation, en vue de négocier un avenant.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Après avoir été alertée sur le sujet, j’avais demandé des explications sur un cas particulier mais je n’avais pas l’idée du nombre de collectivités concernées. Cela touche principalement des quartiers peu favorisés. Savez-vous combien de personnes pourraient être concernées ?

M. Yves Lederer. Je ne peux pas vous répondre immédiatement. Nous allons regarder chez nous les cogénérations et les villes concernées ainsi que le nombre de logements et d’habitants desservis. Pour toute la profession des réseaux de chaleur, des organismes nationaux ou notre fédération professionnelle pourraient le faire. Nous vous communiquerons ces éléments. À l’échelle nationale, un nombre élevé de foyers, souvent populaires, doit être concerné.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Je souhaiterais, ainsi que M. le président, que vous puissiez nous communiquer les éléments les plus précis possible et dans les meilleurs délais.

M. le président Julien Aubert. Merci pour ces précisions qui auront permis d’y voir plus clair sur vos enjeux.

La séance est levée onze heures cinquante.

 

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Membres présents ou excusés

 

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

 

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 11 heures

 

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, Mme Marjolaine Meynier-Millefert

 

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie