Compte rendu

Commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005

 

– Audition réunissant :

– M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (Arpejeh), Mme Bérangère Lopes, chargée de mission, et M. Fabrice Laffargue, conseiller

– Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le Droit au Savoir et à l’Insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées (« Droit au savoir »)

– M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (Fédéeh), M. Jérémie Colomes, secrétaire général, et Mme Héléna Correia, responsable du pôle « Accompagnement dans les études »

– M. Xavier Quernin, campus manager, chargé de mission handicap à UniLaSalle, M. Julien Soreau, responsable du pôle Diversité et égalité des chances de l’EM Normandie, et Mme Stéphanie Lefèvre, chargée de mission handicap de la commission Diversité de la Conférence des grandes écoles              2

– Présences en réunion..............................17


Mardi
30 avril 2019

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
Mme Jacqueline Dubois, Présidente de la commission d’enquête
 


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COMMISSION D’ENQUÊTE SUR L’INCLUSION DES ÉLÈVES HANDICAPÉS DANS L’ÉCOLE ET L’UNIVERSITÉ DE LA RÉPUBLIQUE, QUATORZE ANS APRÈS LA LOI DU 11 FÉVRIER 2005

Mardi 30 avril 2019

L’audition débute à seize heures trente.

(Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d’enquête)

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La commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l’audition conjointe de M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (Arpejeh), Mme Bérangère Lopes, chargée de mission, et M. Fabrice Laffargue, conseiller, Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le Droit au Savoir et à l’Insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées (« Droit au savoir »), M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (Fédéeh), M. Jérémie Colomes, secrétaire général, et Mme Héléna Correia, responsable du pôle « Accompagnement dans les études », et M. Xavier Quernin, campus manager, chargé de mission handicap à UniLaSalle, M. Julien Soreau, responsable du pôle Diversité et égalité des chances de l’EM Normandie, et Mme Stéphanie Lefèvre, chargée de mission handicap de la commission Diversité de la Conférence des grandes écoles.

 

M. la présidente Jacqueline Dubois. Mes chers collègues, notre commission reprend aujourd’hui ses travaux en recevant plusieurs acteurs intervenant en faveur de l’inclusion des jeunes en situation de handicap dans l’enseignement supérieur : M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (ARPEJEH), Mme Bérangère Lopes, chargée de mission, et M. Fabrice Laffargue, conseiller ; Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le droit au savoir et à l’insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées ; M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH) , M. Jérémie Colomes, secrétaire général, et Mme Héléna Correia, responsable du pôle « Accompagnement dans les études » ; M. Xavier Quernin, campus manager, chargé de mission « handicap » à UniLaSalle, M. Julien Soreau, responsable du pôle « Diversité et égalité des chances » de l’EM Normandie, et Mme Stéphanie Lefèvre, chargée de mission « handicap » de la commission « Diversité » de la Conférence des grandes écoles.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

L’association ARPEJEH est une association d’intérêt général créée en 2008, qui réunit des entreprises et des acteurs publics engagés dans une politique active en faveur de l’emploi des personnes handicapées.

L’Association nationale pour le droit au savoir et à l’insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées, dite « Droit au savoir », regroupe 35 organisations, associations du secteur du handicap, fondations ou mutuelles. Elle vise à favoriser des actions innovantes dans le domaine de la scolarisation et de l’insertion professionnelle des jeunes de plus de 16 ans en situation de handicap.

La Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH) vise à faciliter les conditions de vie, d’études, d’intégration sociale et d’insertion professionnelle des jeunes en situation de handicap. Elle organise le travail de bénévoles.

Enfin, la commission « Diversité » de la Conférence des grandes écoles (CGE) accompagne la diversification des profils au sein de ces établissements. Je rappelle que la Conférence des grandes écoles a signé en 2008 une charte en faveur de l’amélioration de l’accès des étudiants en situation de handicap aux grandes écoles avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et celui du Travail. Je crois savoir que cette charte en est aujourd’hui à sa deuxième version.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bertrand Signé, Mme Bérangère Lopes, M. Fabrice Laffargue, Mme Marie-Pierre Toubhans, M. Pierre Mignonat, M. Jérémie Colomes, Mme Héléna Correia, M. Xavier Quernin, M. Julien Soreau et Mme Stéphanie Lefèvre prêtent successivement serment.)

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Après que nous aurons entendu le rapporteur, je vous donnerai la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je suis Sébastien Jumel, député de Dieppe, à l’origine de la création de cette commission d’enquête, dont nous avons souhaité dès le début qu’elle embrasse le champ de l’enseignement supérieur : c’est l’objet de la réunion de cet après-midi.

Notre volonté est d’étayer un diagnostic le plus fidèle possible de l’état actuel de la scolarisation des étudiants en situation de handicap, donc de mettre l’accent sur ce qui va bien, ce qui fonctionne bien, mais aussi d’appeler l’attention sur les dysfonctionnements, les articulations à améliorer et les marges de progression à exploiter. Nous voulons donc nourrir notre commission d’enquête de l’expertise de vos associations qui sont profondément et depuis longtemps engagées dans ce champ. Il s’agit non seulement de faire une photographie exacte de la situation, objectif déjà important en soi, mais aussi de nourrir la réflexion du Gouvernement afin de le conduire à prendre des mesures pour améliorer la situation.

Partant de la loi de 2005 et de ses principes généraux, généreux et consensuels, nous souhaitons examiner sa dimension opérationnelle et sa mise en œuvre concrète, et considérer, le cas échéant, l’opportunité d’en écrire un « acte II ». Tel est l’état d’esprit de la commission d’enquête.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Mesdames et messieurs, vous êtes très engagés pour l’insertion, non seulement scolaire mais aussi professionnelle. Nous allons maintenant vous écouter.

M. Pierre Mignonat, premier vice-président de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH). Je suis Pierre Mignonat, jeune diplômé en master de langues à l’université de Lyon, premier vice-président et référent de la commission « mobilité internationale » de la FEDÉEH.

La Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap, est née en 2010 de la conviction que les jeunes, en particulier les jeunes en situation de handicap, peuvent, par l’émulation et l’entraide, participer à la réussite des jeunes handicapés. Nos bénévoles sont issus d’un réseau de plus de 700 jeunes adhérents handicapés et de plus de 50 associations, parmi lesquelles la fédération des associations générales étudiantes (FAGE), première organisation étudiante, et 12 associations nationales de filière.

Nos activités reposent sur le tutorat scolaire, les bourses d’études, la formation des associations étudiantes, l’animation de groupes d’entraide, la formation aux techniques de recherche d’emploi, l’organisation de forums de recrutement et le parrainage vers l’emploi.

L’ensemble de nos actions permettent d’identifier différents obstacles qui compromettent le parcours d’étude des jeunes handicapés.

Le rapport sera présenté par le secrétaire général. Sa rédaction est le résultat d’un travail collaboratif de l’ensemble des membres de l’association.

M. Jérémie Colomes, secrétaire général de la Fédération étudiante pour une dynamique études et emploi avec un handicap (FEDÉEH). Je suis doctorant à l’université de Poitiers, donc encore étudiant.

Les premiers sujets dont on nous parle concernent indéniablement les concours et les conditions d’examen. Lorsqu’elles passent le bac, par exemple, de nombreuses personnes ne voient pas reproduits les aménagements auxquels elles ont eu droit pendant toute l’année scolaire. Cette problématique est très anxiogène et injuste à l’égard de personnes qui passent d’une situation A à une situation B lors d’un examen qui peut revêtir une importance majeure. C’est un point sur lequel il convient d’agir.

Les solutions passent principalement par le respect de la loi : réaliser les aménagements nécessaires pour garantir des conditions de formation adaptées et équitables est une mission de service public. L’État doit les mettre en œuvre directement ou les déléguer, notamment en mobilisant les associations.

Nous constatons un manque de ressources humaines patent. Il faut injecter des moyens afin d’assurer une homogénéité territoriale. Il est inacceptable qu’aujourd’hui l’on n’ait pas les mêmes possibilités à Nice et à Poitiers. Lorsqu’un jeune fait appel à notre association, nous sommes parfois obligés de l’alerter sur le fait que, malgré la qualité de son dossier, il devra tenir compte de l’inaccessibilité aux fauteuils roulants dans nombre de lycées – en Ile-de-France, seuls 24 lycées sur 465 sont accessibles pour ce qui concerne les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et les sections techniques spécialisées (STS) – et que, dans un grand nombre de cas, il devra apprendre à lever lui-même des fonds privés s’il veut disposer d’un codeur en langue des signes française (LSF). Nous lui disons que certains enseignants refuseront tout simplement d’être enregistrés ou de transmettre leurs cours dans un format accessible, voire que la numérisation d’un manuel pourra prendre des semaines et des semaines, ce qui parfois ne permet pas de passer l’examen.

Aujourd’hui encore, pour de très nombreux jeunes, la réputation d’accessibilité en établissement détermine le choix d’orientation. Le risque de réorientation et de décrochage s’en trouve aggravé, dans la mesure où l’orientation devient contrainte.

Un second vecteur d’éviction potentielle, assez récent, est lié à Parcoursup. Cette année, les étudiants handicapés ont la possibilité de signaler leur handicap et de préciser quels aménagements ils ont eus dans le secondaire ; mais il n’existe aucune garantie de confidentialité quant à ces informations, qui parviendront directement aux commissions de sélection, notamment pour l’accès aux CPGE. Il est certain que l’absence de confidentialité crée un risque de discrimination supplémentaire au regard de l’accès aux CPGE. Comme bien d’autres étudiants handicapés, je puis vous assurer que nous sommes exposés à des préjugés récurrents, notamment dans les sélections. Qu’ils soient bienveillants – songeons au fameux « il ne pourra y arriver, ne lui permettons pas d’entrer » – ne les rend que plus insupportables.

Par ailleurs, le temps de l’étudiant et le temps nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’aménagement ne coïncident pas toujours ; des décalages peuvent rendre les aménagements inutiles, car bien trop tardifs.

Bien entendu, certains étudiants s’en sortent. Ceux-là sont passés virtuoses dans l’art de l’anticipation et de la compensation. Ils peuvent se révéler aussi, voire plus, performants que d’autres étudiants handicapés. Mais ils sont très loin d’être la majorité. Ce n’est pas un hasard si le tutorat collectif déployé par la FEDÉEH est la déclinaison d’un programme visant à pallier des phénomènes de censure et d’autocensure que rencontrent les élèves issus de quartiers défavorisés.

L’accompagnement humain, qu’il soit exercé par un pair ou par un professionnel, est déterminant. Or, comme beaucoup peuvent en témoigner, l’apport de la FEDÉEH sur ce plan est très efficace. Elle nous aide à gérer notre charge mentale, qui est supérieure à celle d’un autre étudiant. Cela conduit la FEDÉEH à vouloir développer ce bénévolat, si elle trouve des ressources suffisantes. Nous suivons en ce sens la prescription du comité interministériel du handicap de 2007, qui demande d’intensifier les dispositifs au service de la réussite. L’apport des associations est ici déterminant, en particulier celui des associations locales.

M. Bertrand Signé, président de l’association Accompagner la réalisation des projets d’études de jeunes élèves et étudiants handicapés (ARPEJEH). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, merci de votre accueil et de nous fournir l’occasion de nous exprimer devant vous aujourd’hui.

Comme vous l’avez dit, madame la présidente, l’association ARPEJEH a été créée en 2008 dans un but précis : accompagner les jeunes en situation de handicap, de la classe de troisième au niveau « bac + 5 », dans la construction de leur projet professionnel. Depuis sa création, ARPEJEH a ainsi accompagné plus de 10 000 jeunes.

L’association ARPEJEH a un positionnement original qui vise à mettre en relation les jeunes encadrés par l’Éducation nationale avec le monde du travail. Pour ce faire, elle s’appuie sur deux partenaires indispensables. Le principal est l’Éducation nationale. Nous avons signé sept conventions avec des académies et nous bénéficions d’un agrément national. Nous avons des contacts privilégiés avec les élèves via les conseillers techniques pour l’adaptation et la scolarisation des jeunes en situation de handicap, qui nous facilitent la communication et l’orientation. De l’autre côté, nous avons un réseau d’entreprises. En 2008, cinq entreprises ont contribué à fonder l’association et celle-ci compte aujourd’hui plus de 80 employeurs – entreprises, syndicats professionnels et administrations – qui s’engagent à contribuer à la formation des jeunes par diverses actions dont, en premier lieu, des périodes d’immersion professionnelle.

Pour comprendre comment nous agissons, il convient de rappeler que l’association ARPEJEH a été créée parce que des employeurs qui étaient prêts à embaucher des jeunes en situation de handicap ne trouvaient pas les profils correspondant aux activités qu’ils souhaitaient leur confier. D’où la volonté de mettre l’accent sur la formation et sur l’incitation à s’engager vers des études et des formations, en lien avec l’enseignement supérieur, tel que vient de l’évoquer la FEDÉEH.

Nous constatons que les personnes en situation de handicap ne sont pas qualifiées. Nous savons tous que 80 % des jeunes en situation de handicap n’ont pas le bac. Partant de ce constat, ARPEJEH met l’accent sur la formation. Notre ambition, identique à celle de votre commission, est de proposer des solutions garantissant la poursuite d’un parcours scolaire et professionnel jusqu’à l’inclusion. Cela implique non seulement d’offrir des perspectives d’avenir, mais surtout de donner envie de poursuivre des études. Nous sommes convaincus que cela commence très jeune, dès le stage de troisième. Le stage de troisième est un élément charnière de l’orientation. Cette première immersion dans le monde professionnel permet aux jeunes une prise de conscience : ils réalisent que le monde du travail peut les accueillir et qu’en faisant des efforts pour acquérir des compétences, ils pourront l’intégrer.

Le stage de troisième a un effet incitatif majeur, d’abord contre l’autocensure. Dans notre société, il existe certes beaucoup de préjugés au sujet du handicap, mais aussi beaucoup d’autocensure de la part des jeunes. Mettre des jeunes dans l’entreprise leur offre la possibilité de comprendre qu’ils peuvent y avoir une place.

Au-delà du handicap, comme tous les jeunes, en troisième, ils ne savent pas ce qu’ils veulent faire. Or je citerai l’exemple d’un jeune qui, après avoir fait un stage de troisième dans une entreprise du réseau ARPEJEH, s’est orienté vers un bac pro gestion-administration, qu’il a validé avec mention, et qui est aujourd’hui étudiant en cinéma à la Sorbonne. Le stage de troisième est vraiment un déclencheur sur lequel il faut mettre l’accent, mais tout le monde n’y a pas accès alors qu’il est obligatoire. Beaucoup de jeunes en situation de handicap n’y ont pas accès. En les privant du stage de troisième, on obère leurs chances d’accéder au degré supérieur. Mécaniquement, les jeunes ont alors moins accès aux immersions professionnelles après la troisième et jusqu’au bac. C’est pourquoi nous combinons notre objectif premier avec l’implication directe des entreprises.

Nous savons par expérience que les entreprises ne s’impliquent pas suffisamment pour accueillir les jeunes en situation de handicap. Il existe des inquiétudes. C’est difficile, il faut organiser l’accueil, il faut y consacrer de l’énergie, mais si l’on baisse les bras à la première difficulté, c’est définitivement perdu. Les associations comme la nôtre doivent faire prendre conscience aux employeurs qu’ils ont tout intérêt à s’engager en faveur de la qualification des jeunes en situation de handicap. En investissant et en s’investissant dans la formation des jeunes, les entreprises créent une culture du handicap en interne. Au-delà, elles forment des jeunes à des métiers d’avenir pour lesquels elles pourront recruter. D’une part, le jeune peut se professionnaliser dans le cadre d’un parcours qui le mène vers l’emploi, et, d’autre part, le recrutement est facilité pour l’employeur. C’est une réponse directe au problème que j’évoquais en introduction.

En résumé, l’accès des jeunes en situation de handicap à des périodes d’immersion professionnelle dès la classe de troisième est un élément majeur pour prolonger leur parcours scolaire et réussir l’inclusion jusqu’à l’enseignement supérieur. Cela implique de mobiliser l’ensemble des acteurs autour de l’Éducation nationale, notamment les associations comme ARPEJEH qui facilitent le lien avec le monde du travail. Cela implique également d’inciter les employeurs à se saisir de la formation pour soutenir le travail quotidien de l’Éducation nationale dans son accompagnement des élèves en situation de handicap. Mobiliser les acteurs et inciter les employeurs sont des défis que nous sommes prêts à relever avec vous.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je le dis pour l’orateur qui vient de s’exprimer et pour les suivants : nous attendons de vous que vous nous bousculiez et que vous ne vous cantonniez pas au politiquement correct. Je le dis aussi pour nous réveiller nous-mêmes. Quand vous dites – c’est très fort ! – que les stages de troisième ne sont pas accessibles aux jeunes en situation de handicap, que faire concrètement ? Quand vous dites poliment que les entreprises ne jouent pas le jeu, quels dispositifs préconisez-vous pour qu’elles soient contraintes de jouer le jeu ? Nous ne sommes pas ici pour ronronner !

Mme la présidente Jacqueline Dubois. C’est le but des questions que nous vous poserons par la suite.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. C’est aussi l’état d’esprit de la commission.

M. Julien Soreau, responsable du pôle Diversité et égalité des chances de l’EM Normandie. Merci de nous avoir invités à participer à cette commission.

J’ai l’honneur de représenter la Conférence des grandes écoles et l’ensemble des référents handicap qui y travaillent. Un référent handicap dans une grande école est avant tout un professionnel qui accueille les étudiants en situation de handicap et qui, avec lui et avec le corps professoral, étudie les besoins, notamment d’aménagement de scolarité. Il est également présent au sein de l’établissement pour sensibiliser le corps professoral, contribuer à la mise en place de ces aménagements et aider l’ensemble de l’école – personnels et étudiants au sens large – dans le déploiement d’une véritable politique inclusive pour l’étudiant.

La Conférence des grandes écoles a mis en place depuis 2007 un groupe de travail dédié aux questions du handicap. Sa mission est d’accompagner et de favoriser la mobilité et l’inclusion des étudiants en situation de handicap au sein des grandes écoles. Il se veut un groupe d’échange de bonnes pratiques, mais il a également élaboré des outils qui favorisent concrètement l’inclusion et l’accompagnement des étudiants handicapés dans l’enseignement supérieur : on peut citer la rédaction d’un guide à l’attention des nouveaux référents, qui leur permet d’entrer rapidement en fonction, ainsi que des fiches pratiques destinées aux étudiants ou aux responsables des banques d’épreuves, indiquant notamment les démarches administratives à engager en vue de fluidifier et de faciliter la mise en place des aménagements pour les concours.

Nous avons également travaillé avec la commission des titres d’ingénieur (CTI) en vue d’aménager les modalités d’évaluation du niveau d’anglais, notamment pour les étudiants atteints de troubles « dys ». Il faut savoir que le diplôme d’ingénieur nécessite un certain niveau en anglais et, pour les étudiants ayant des troubles « dys », l’apprentissage de l’anglais peut être problématique. C’était souvent un frein à la diplomation, alors que ces étudiants peuvent obtenir par ailleurs des résultats brillants. Avec la CTI, nous avons réussi à mettre en place des aménagements relativement simples qui permettent à l’étudiant d’obtenir son diplôme à l’issue de ses cinq ans d’études.

Afin de rendre compte des réalités du handicap au sein de nos écoles, le groupe de travail a également publié, il y a quelques mois, le premier baromètre du handicap dans les grandes écoles, document que nous vous remettrons.

Nous portons également, depuis bientôt deux ans, un plaidoyer pour la création d’un statut international d’étudiant en situation de handicap, notamment auprès de l’ONU et du gouvernement français. Il s’agit de permettre aux étudiants en situation de handicap de vivre pleinement leur mobilité internationale sans subir de discriminations liées à leur handicap.

Vous l’avez rappelé, Madame la présidente, nous avons également renouvelé notre charte handicap, il y a quelques mois, le 11 février 2019, en présence de Mme Vidal, de Mme Cluzel et de Mme Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles. Cette seconde charte, après la première signée en 2008, met l’accent sur l’amélioration du continuum entre les études secondaires, les études supérieures et la vie professionnelle. Nous avons également axé notre charte sur la promotion de la vie étudiante comme vecteur inclusif majeur. Nous souhaitons aussi garantir l’accès au sport pour tous, donc aux étudiants en situation de handicap et – nous l’avons déjà évoqué – nous souhaitons faciliter la mobilité internationale de nos étudiants en situation de handicap.

Le nombre d’étudiants concernés augmente chaque année dans nos établissements. C’est une véritable fierté. C’est surtout une victoire pour ces étudiants qui, nous l’espérons, choisissent dorénavant leur formation non plus par défaut ou en fonction de leur handicap, mais selon leur projet professionnel et leur talent.

Ces résultats, excellents à nos yeux, même si cela n’est pas encore suffisant, ont été rendus possibles grâce à une politique proactive de nos établissements et à l’engagement sans faille de nos référents handicap, qui proposent un véritable accompagnement individualisé – nous insistons sur l’expression « accompagnement individualisé » – pour les étudiants en situation de handicap.

Monsieur le rapporteur, nous notons malheureusement encore quelques freins, principalement deux.

Concernant la transition entre le secondaire et le supérieur, le désengagement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans l’accompagnement administratif et la reconnaissance des aménagements pose problème aux grandes écoles. Lorsque les étudiants choisissent de s’orienter vers l’université, ils ont accès au service médical universitaire qui est habilité à mettre en place des aménagements de scolarité. Cette possibilité n’existe malheureusement pas au sein des grandes écoles. En tout cas, la majorité de nos écoles n’ont pas de service médical universitaire agréé et les MDPH ne traitent plus les dossiers d’aménagement pour nos étudiants. Par conséquent, la plupart d’entre nous mettent en place des aménagements de scolarité en toute illégalité. Nous privilégions des aménagements concrets pour nos étudiants, même s’ils n’obtiennent pas de reconnaissance administrative officielle.

Nous avons des propositions à faire ; nous pourrons peut-être en discuter lors de l’échange des questions et des réponses. Nous nous sommes rapprochés de madame Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), en vue de trouver une solution avec les MDPH, par un système dérogatoire ou accéléré pour la prise en compte d’aménagements de scolarité et d’examens pour nos étudiants en situation de handicap.

Le deuxième frein important dans l’accompagnement de nos étudiants concerne le financement de nos missions handicap. La très grande majorité de nos établissements ne bénéficient pas de subventions dédiées des ministères de tutelle. Nos missions handicap sont actuellement financées sur fonds propres ou grâce à des partenariats avec des entreprises dans le cadre des accords agréés. Malheureusement, ceux-ci sont remis en question par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ce qui risque de poser un problème à un grand nombre de nos écoles. Nous avons constaté que les grandes écoles qui ont développé les meilleures dynamiques inclusives ont des partenariats financiers, notamment avec des entreprises, qui entrent dans le cadre des accords agréés. Nous sommes déjà intervenus auprès de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et auprès du Parlement par le biais d’une proposition d’amendement, malheureusement rejetée en deuxième lecture. C’est pourquoi nous souhaitons alerter la commission d’enquête sur l’effet collatéral de cette loi sur l’accessibilité aux cursus des grandes écoles et, par conséquent, sur les freins à la formation et à l’insertion professionnelle des futurs emplois directs tant recherchés par les entreprises. Il faut savoir que nos écoles diplôment très majoritairement au niveau « bac + 5 » et que nous n’avons pas constaté de différence entre un étudiant en situation de handicap et un étudiant qui ne l’est pas. Il va jusqu’à la diplomation dans les mêmes proportions qu’un étudiant qui n’a pas de handicap. Lorsqu’un étudiant arrive dans une de nos grandes écoles, il va jusqu’à la diplomation. C’est une de nos forces. Nous souhaiterions avoir encore les moyens, notamment humains, de poursuivre notre travail sereinement pour le bien des étudiants en situation de handicap et de la société.

Mme Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale de l’Association nationale pour le droit au savoir et à l’insertion professionnelle des jeunes personnes handicapées. Il me revient donc de clore ce premier tour. Je vous remercie de cette audition. L’association Droit au savoir souhaite évoquer trois points liminaires et cinq axes de nature à compléter la note que nous vous avons transmise hier.

Je rappellerai que, quatorze ans après la loi de 2005, les enjeux relatifs aux parcours des jeunes en situation de handicap, à l’école et dans l’enseignement supérieur inclusif, s’articulent autour de trois axes importants. Le premier, ce sont les sujets qui n’avaient pas été traités dans cette loi et qui restent d’actualité. Le deuxième, ce sont les écarts constatés entre la volonté du législateur et les réalisations concrètes dans les territoires. Le troisième, c’est ce qu’on pourrait appeler les effets secondaires à la fois de la loi de 2005 et de la ratification par la France de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.

Notre réflexion s’inscrit dans une logique de parcours qui demande à la fois anticipation et souplesse pour davantage sécuriser les transitions mais aussi pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en situation de handicap.

Nous entendons également souligner l’importance d’intégrer les problématiques spécifiques des jeunes en situation de handicap dès les premières réflexions que nous pouvons porter, notamment dans la perspective de la rédaction d’un projet de loi. Nous pensons qu’il est toujours préférable, dans une logique de construction d’une société inclusive, d’éviter de réparer en surajoutant des dispositifs particuliers à un dispositif de droit commun. Cela implique de considérer dès le départ que ce dispositif s’adresse à tous, d’autant que cela permet de penser des modalités utiles à d’autres jeunes qui pourraient en avoir besoin.

J’en viens aux cinq axes qui nous semblent importants.

Le premier est un phénomène important depuis la loi de 2005, à savoir le développement d’une logique de massification, au niveau du primaire, du secondaire et, d’une certaine façon, dans l’enseignement supérieur. Quand évoque l’enseignement supérieur, on pense aux grandes écoles et aux universités, mais on pourrait aussi penser à toutes les filières dépendant d’autres ministères, comme ceux de la culture, de l’agriculture, de la défense, et à toutes les filières dépendant des régions, notamment les instituts régionaux de travail social (IRTS) et les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Le champ est très vaste. On ne saurait le réduire à certains établissements.

Ces jeunes qui arrivent dans l’enseignement supérieur, nous les appelons parfois « les rescapés du système scolaire », parce qu’on voit bien qu’avec 350 000 jeunes dans le primaire et dans le secondaire, et près de 29 000 dans l’enseignement supérieur, certaines transitions constituent, aujourd’hui encore, des cassures. Je pense notamment aux jeunes de 15-16 ans : un rapport des inspections générales publié en 2012 rappelait qu’il y avait une cassure autour de cet âge, qui correspondait à « une sortie massive du système éducatif ordinaire ». On mesure clairement l’importance de l’obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans
– actuellement dans le débat public –, qui servira aussi aux jeunes en situation de handicap, pour peu qu’on l’étende à l’ensemble des jeunes, y compris à ceux qui sont dans des établissements médico-sociaux.

Passage au lycée, passage dans le supérieur, passage du statut scolaire au statut d’apprenti – qui emporte certaines conséquences en termes d’accompagnement, de transport adapté, d’adaptation et d’évaluation des besoins : des barrières d’âge existent encore aujourd’hui. Pour les jeunes en situation de handicap, elles sont nombreuses : 16, 18, 20 et 25 ans. Toutes ces transitions sont des moments à risque. Elles doivent être anticipées, fluidifiées et accompagnées par des dispositifs de droit commun et, quand c’est nécessaire, par des dispositifs spécifiques et par des professionnels formés, afin de permettre aux jeunes d’aller au plus loin de leurs projets et de leurs parcours.

De nouvelles problématiques sont liées à ce que l’on pourrait appeler le «  passage à l’étape suivante ». De nouveaux processus de scolarisation ont été créés – les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) : ULIS-collège, ULIS-lycée –, mais que propose-t-on à ces jeunes après une ULIS en lycée professionnel ? On a créé, il y a quelques années, des attestations de compétence mais il n’y a pas de retour sur leur utilisation ou sur leur valorisation. Il convient probablement de les uniformiser pour les rendre plus visibles du côté des employeurs.

Dans cette logique, afin de mieux anticiper ces parcours, avoir la vision la plus fine possible et orienter les politiques publiques, il conviendrait de coordonner les données. Elles existent mais sont éparses en fonction des tutelles et comme elles ne sont pas mises en correspondance, il est difficile d’avoir une vision globale.

Il faut aussi lutter contre les inégalités de traitement. Mais comme cela a déjà été évoqué, je n’y reviendrai pas.

Quatrièmement, l’une des nouveautés de la loi de 2005 était de faire apparaître, pour la première fois, les étudiants en situation de handicap dans la loi. Il me semble qu’aujourd’hui, si l’on devait franchir une nouvelle étape, il faudrait accentuer l’effort actuel, notamment au regard de la participation à la vie sociale et à la citoyenneté et dans le sens de l’accessibilité universelle des campus. Des cadres ont été mis en place, des chartes ont été signées. La loi du 27 juillet 2013 contient plusieurs éléments importants, y compris quant au rôle même de l’enseignement supérieur, qui se voit attribuer pour mission de participer à la construction d’une société inclusive. Cette loi permet aussi à chaque université d’adopter un schéma directeur pluriannuel du handicap avec des indicateurs annuels en vue de développer une réelle politique d’établissement et de créer de la transversalité.

Je ferai quelques propositions. Vous le savez, la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants introduit un droit au réexamen dans le cadre de Parcoursup ; nous souhaitons que ce droit au réexamen soit étendu au passage en master. En outre, le plan d’accompagnement de l’étudiant handicapé (PAEH) aux études supérieures doit être aussi reconnu et opposable en vue d’une mise en œuvre concrète ; aujourd’hui, 85 % étudiants reconnus par les structures handicap des universités bénéficient d’un tel plan d’accompagnement. Enfin, les schémas directeurs pluriannuels de la politique du handicap devraient être étendus à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur.

J’évoquerai aussi les besoins identifiés restés sans réponse, notamment en ce qui concerne le logement et l’hébergement : le panel des solutions possibles n’est pas complet sur tous les territoires, alors que les enjeux sont réels en termes de mobilité et de poursuite des études. Les services d’accompagnement vont rarement au-delà de 20 ans, parfois 25 ans. Or les besoins perdurent et la progression vers l’autonomie nécessite parfois étayage et soutien. Ces services doivent donc aller plus loin. Enfin, l’aide au travail personnel à domicile a été reconnu comme un besoin spécifique pour les étudiants en situation de handicap, dès les premiers travaux du comité de pilotage étudiant suite à la loi de 2005, mais sa ligne de financement est restée vierge.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour ces témoignages et ces informations qui, tout en embrassant un champ très large, sont souvent très précises. En vous écoutant, je me suis rappelé ce que m’avait dit un jeune sportif de haut niveau : « Au lycée, on est très bien accompagné, mais quand on passe à la fac, cela devient très difficile ». À l’instar des sportifs de haut niveau, les étudiants en situation de handicap doivent déployer beaucoup plus d’énergie pour réussir.

Dans la recherche de moyens financiers, vous paraît primordial de recourir davantage aux MDPH ou d’aller chercher l’argent auprès des entreprises, par exemple ?

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation d’être un peu plus « cash », non que mon objectif soit de mettre l’accent sur ce qui ne va pas, mais l’objectif de notre commission d’enquête est de trouver des solutions et des marges d’amélioration.

Vous avez peu parlé de l’adaptation des examens et des concours aux jeunes en situation de handicap. Avez-vous des propositions concrètes à formuler ? Est-ce qu’il existe des marges d’optimisation ?

L’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, l’autonomie et la marge de manœuvre des grandes écoles conduisent probablement à l’accentuation des inégalités territoriales dans ce domaine. Quel est votre regard sur la manière dont les universités satisfont à vos attentes ? Quels sont les bons et les mauvais élèves ?

M. Olivier Gaillard. Ma question s’adresse à M. Signé. Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de visiter l’entreprise Ergosanté, dans le sud des Cévennes, qui emploie des jeunes en difficulté sociale et en situation de handicap. Vous avez indiqué que 80 % des personnes handicapées n’ont pas le baccalauréat. Au regard de ceux que vous qualifiez de « rescapés », dans le contexte économique actuel, alors que nous manquons de travailleurs manuels, ne seriez-vous pas en train de vous orienter, au travers de l’Éducation nationale, dans la même perspective que pour les personnes valides, pour lesquelles on vise 80 ou 90% de bacheliers ? Comment les gens en situation de handicap sont-ils accueillis par les organismes de formation ?

Mme Géraldine Bannier. Je partirai d’un cas concret pour évoquer une difficulté qui n’a pas encore été abordée. Des parents aux moyens modestes dont la fille est en école d’ingénieur m’ont signalé l’inégalité entre les étudiants qui ne sont pas en situation de handicap et qui peuvent travailler l’été pour financer une partie de leurs études et leur fille qui n’a pas accès aux jobs d’été. Quand on est en situation de handicap, il est difficile de décrocher un emploi l’été, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour les parents. Par ailleurs, cette école d’ingénieur n’avait pas de référent. La jeune fille était apparemment la première étudiante en situation de handicap à intégrer cette école et des aménagements ont été mis en place. Cette situation est-elle générale ou ne concerne-t-elle que les grandes écoles ?

Mme Béatrice Piron. J’ai rencontré une auxiliaire de vie qui accompagne des jeunes handicapés en classe préparatoire ; elle a accompagné des élèves qui ont réussi malgré de lourds handicaps, dont Thomas Mordant, qui a obtenu le bac à 14 ans et qui, aujourd’hui âgé de 20 ans, termine ses études à Normale Sup. Incapable d’écrire, il a toujours besoin d’un rédacteur, car il passe ses concours en dictant. Jusqu’aux classes préparatoires et même actuellement à Normale Sup, il avait besoin d’un accompagnement. Or les auxiliaires de vie qui l’ont accompagné jusqu’à la fin des classes préparatoires devaient avoir un niveau différent de celles qui opèrent en école primaire ou en collège. À Versailles, nous avons la chance d’avoir un lycée où une auxiliaire de vie est professeure agrégée de mathématiques et de sciences physiques, mais peu sont en ce cas en France. En tant qu’associations, faites-vous des recommandationssur ce sujet ? Pouvez-vous proposer ou aider à trouver du personnel ? Qu’en est-il pour les devoirs, problématique très importante pour les études supérieures, qui n’est pas prise en compte dans les horaires des auxiliaires de vie ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Avez-vous des éléments statistiques au sujet des référents handicap. Combien ont été mis en place ?

Monsieur Soreau, vous avez parlé d’un projet avec l’ONU. Connaissez-vous le nombre d’étudiants en situation de handicap ayant accès au programme Erasmus ? En période d’élections européennes, c’est peut-être le moment de faire une « étape » par les projets européens.

M. Bertrand Bouyx. Monsieur Colomes, vous dites que certains enseignants n’adaptent pas le contenu de leur enseignement à leurs publics, surtout quand ils ont un handicap. Quelles sont les obligations auxquelles sont soumis les enseignants dans ce domaine ?

M. Xavier Quernin. Concernant la recherche de l’argent – le nerf de la guerre –, nous préconisons la poursuite de l’accès aux subventions d’entreprises, parce que nous savons que les budgets des ministères sont de plus en plus serrés et que si les missions handicap sont subventionnées dans les universités, en revanche, aucun budget n’est prévu pour les grandes écoles. La contribution que nous vous avons transmise contient une proposition faite en lien avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), au regard de la loi sur l’obligation de l’emploi des travailleurs handicapés. Votre aide serait déterminante. Nous préconisons donc la recherche de fonds du côté des entreprises, afin d’encourager le continuum entre l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise : les entreprises qui s’engagent auprès de grandes écoles s’engagent aussi à aider les étudiants à trouver par la suite des stages, des apprentissages et de l’emploi. Cette proposition représente une dynamique gagnante.

Pour ce qui est de l’adaptation des examens et des concours, nous avons réalisé, il y a quelques années, 17 fiches pratiques qui ont été envoyées à l’ensemble des banques d’épreuves et à des représentants d’associations de conseillers d’orientation. Elles sont également en ligne sur le site internet de la Conférence des grandes écoles, afin que les jeunes en situation de handicap sachent quelles démarches peuvent être engagées et les délais à respecter pour réunir toutes les conditions à la mise en place des aménagements.

Ces fiches donnent des conseils pratiques aux banques d’épreuves afin de faciliter la mise en place des aménagements ; elles indiquent notamment les associations qui peuvent les aider. Cependant, certaines banques d’épreuves semblent toujours en ignorer l’existence, alors que nous avons beaucoup communiqué à ce sujet. Il y a un an, nous recevions des référents de banques d’épreuves, parce que nous avions eu beaucoup de remontées sur des aménagements qui n’avaient pas été mis en place. Nous avons réexpliqué le fonctionnement, l’intérêt et surtout l’obligation de rendre accessibles les concours, au regard de notre obligation, en tant que grande école, de rendre accessibles les études que nous proposons, mais il y a encore des actions de sensibilisation et de communication à réaliser auprès des banques d’épreuves.

C’est aussi le cas pour les conseillers d’orientation. Lors de notre présence des stands « handicap » du salon de l’étudiant, à Paris, nous recevons souvent des lycéens auxquels on a dit qu’ils ne pourraient pas faire d’études supérieures parce qu’ils sont dyslexiques. Dans l’école UniLaSalle, plus d’une soixantaine d’étudiants qui se sont déclarés comme étant dyslexiques sont accompagnés par la mission handicap dont je suis chargé de mission. Il faut apporter dès le lycée des conseils plus précis aux jeunes en situation de handicap afin qu’ils prennent le temps de déterminer leur cursus et ne voient pas leurs ambitions limitées par le handicap.

M. Bertrand Signé. Monsieur le rapporteur, l’association ARPEJEH a élaboré un livre blanc qui vous a été transmis et dans lequel nous formulons un certain nombre de recommandations.

Les témoignages montrent la complémentarité de nos actions, car elles concernent le parcours du jeune : avant d’accéder à l’enseignement supérieur, il faut franchir de nombreuses étapes. Nous avons avant tout besoin de coordination et de statistiques. On ne progresse que sur ce qu’on mesure ! S’agissant de l’impératif de coordination, nous travaillons avec des académies dont les approches peuvent être différentes ; de même, nous avons du mal à communiquer avec les associations. Si l’on veut réellement progresser, il faut des chiffres, de la coordination et des objectifs.

J’ai insisté fortement sur le stage de troisième parce qu’il me paraît révélateur à plus d’un titre. Si la finalité de tous ces efforts est bien entendu de faire des études, l’objectif est l’inclusion, l’entrée dans la société et dans la vie. Pour ce faire, l’entreprise est un bon levier, à deux titres. D’une part, elle permet aux jeunes de découvrir qu’ils peuvent faire des études. Comme à tout un chacun, il faut leur donner envie. Voir concrètement en entreprise ce qu’il est possible de faire est de nature à donner envie et à dépasser l’autocensure, car beaucoup se disent : ce n’est pas pour moi. D’autre part, il n’y a pas que le diplôme. Quand un jeune est mis en entreprise, il arrive que le chef d’entreprise constate qu’il peut lui confier des tâches, au-delà de la demande classique d’un niveau BTS ou « bac + cinq ». Des jeunes peuvent apporter des choses à l’entreprise sans avoir obtenu ces diplômes. C’est notamment le cas pour les jeunes qui ont des troubles « dys ».

Comment faire ? L’entreprise suivra si on lui propose des objectifs réalistes. L’obligation d’emploi d’au moins 6 % des personnes handicapées prévues dans la loi de 2005 n’a pas pleinement fonctionné, car si l’entreprise ne peut pas faire « matcher » des jeunes et ses activités, elle n’y répondra pas. La bonne méthode consiste à mettre plus tôt en relation les jeunes et l’entreprise. C’est pourquoi le stage de troisième me paraît important. Je m’inquiète de constater que ça ne marche pas bien et le manque d’éléments de mesure est un signe qui doit nous alerter.

Par ailleurs, il faut distinguer le secteur protégé et le secteur ordinaire. Pour ses 80 entreprises, l’ARPEJEH a sept chargés de mission répartis les régions, qui vont aider sur la façon de mettre en relation et d’accueillir. Proposer une immersion à un jeune en situation de handicap se prépare et s’accompagne. Nous travaillons grâce à quelques dispositifs pré-établis. En effet, tous dans cette salle, nous avons connaissance de réussites et d’échecs ; or, au regard du nombre de jeunes concernés, nous devons essayer d’avoir une approche un peu « macro », avec des dispositifs qui parfois donneront des résultats et parfois ne fonctionneront pas. Il faut aussi dépasser l’émotion que suscite la problématique du handicap. Il faut quelques objectifs forts, préparés, travaillés et réalistes, ainsi que des dispositifs incitatifs. Les évolutions en matière de financement nous inquiètent.

Mme Marie-Pierre Toubhans. S’agissant des moyens, la contribution aux établissements du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est inchangée depuis 2007, ce qui doit « relativiser » les sommes que reçoivent les universités au titre de la politique du handicap. À cela s’ajoutent les besoins en personnels. Pour une structure dédiée au handicap, il est important d’avoir du personnel et de faire de la formation continue. En effet, on s’inscrit dans une logique d’accueil, d’accompagnement, d’évaluation des besoins, de réévaluation si nécessaire, qui demande de la disponibilité. Le nombre d’étudiants dans les universités croît à un taux supérieur à 10% depuis 2006, mais celui du personnel ne connaît pas une telle évolution.

En ce qui concerne l’autonomie des établissements, le schéma directeur pluriannuel du handicap, qui avait été introduit dans la charte Université-handicap de 2012 et qui a été consacré dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche de 2013, impose aux établissements de réfléchir à la mise en œuvre des quatre thématiques dont ils ont la responsabilité : l’accessibilité du bâti – le dernier rapport de l’observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement chiffre les travaux d’adaptation à 350 millions d’euros d’ici 2024, ce n’est donc pas un sujet annexe –, la recherche, l’emploi et la formation. L’enjeu est de faire coïncider ces quatre dimensions et de créer des synergies de façon, par exemple, que ce qui est produit en termes de recherche soit utile pour la formation en termes pédagogiques. Bien évidemment, les schémas directeurs peuvent être très différents d’une université à l’autre.

Nous parlons d’aménagements d’examens et de concours, vous dites adaptation ; le troisième degré est la dispense. Concernant les aménagements, on constate que des éléments se mettent en place. Pour l’adaptation, c’est beaucoup plus difficile parce que cela touche à la nature même de l’épreuve. Encore aujourd’hui, il y a beaucoup d’interrogations à ce sujet. C’est une réflexion importante à mener pour que l’enseignement supérieur soit réellement inclusif. Pour l’épreuve de français du baccalauréat, que vous choisissiez la dissertation ou le commentaire de texte, on évalue les mêmes compétences sans que cela ne pose de problème à personne. Pourquoi ne pas s’orienter vers une adaptation similaire dans d’autres matières, puisque l’on doit avant tout évaluer des compétences ?

Je rappellerai que l’accompagnement dans l’enseignement supérieur obéit à des logiques différentes de celles en vigueur dans le secondaire. Après la loi de 2005, une réflexion a été engagée visant à passer d’une logique de cas par cas à une systématisation de l’accompagnement. Les établissements d’enseignement supérieur ont la responsabilité de l’accessibilité au contenu du savoir et des bâtiments, ils n’ont pas la responsabilité de ce qui relève des actes essentiels de la vie quotidienne. Ils ont financièrement la responsabilité de l’accessibilité, mais il revient à la prestation de compensation du handicap (PCH) de financer les auxiliaires de vie. C’est différent du secondaire, non seulement parce que les jeunes adultes relèvent de problématiques différentes, mais aussi parce que l’enseignement supérieur exige un certain niveau de compétence, y compris pour prendre des notes. Je prends souvent l’exemple d’un étudiant en russe : il a besoin de quelqu’un qui sache écrire et comprendre le russe. C’est pourquoi on privilégiera les preneurs de notes de l’année ou de l’année supérieure. Les emplois étudiants ont été créés pour répondre à ces problématiques particulières.

M. Jérémie Colomes. En matière d’accompagnement financier, vous avez évoqué l’entreprise. Je pars du principe que vous parlez de l’accompagnement financier des personnes handicapées et non des structures qui les entourent. L’accompagnement financier est très difficilement lisible pour les personnes handicapées. À l’offre de la MDPH s’ajoutent les offres proposées par les régions, les départements, certaines mairies, des mécènes, des associations, et cela devient rapidement illisible. Ajouter un nouvel échelon, c’est-à-dire un nouvel accompagnement financier, perdra plus encore les personnes en situation de handicap qui ne recourent déjà pas à tous ceux auxquels elles auraient droit.

En outre, un grand nombre de surcoûts ne sont pas reconnus ou sont mal pris en charge. Dans certains cas, des aménagements nécessaires ne sont pas pris en charge. Il faut faire un état des lieux des surcoûts en interrogeant les personnes handicapées pour mesurer les difficultés qu’elles rencontrent. Il y a autant de surcoûts possibles que de handicaps. Je ne me ferai pas le porte-parole de dossiers que je ne connais pas.

Du côté des entreprises, pourquoi prendre un handicapé en stage et pourquoi salarier un handicapé, alors qu’une personne qui n’est pas handicapée serait disponible ? Il y a des obligations légales, comme l’obligation d’employer au moins 6 % de personnes handicapées. Cela suffit-il ou faut-il aller plus loin ? Pourquoi ne pas créer un dispositif équivalent au crédit d’impôt recherche pour les personnes handicapées ?

Concernant l’adaptation des concours, quelqu’un ayant utilisé toute l’année un ordinateur pour prendre des notes peut se retrouver au concours avec un preneur de notes, ce qui peut être générateur de stress et affecter sa note finale. L’idée de rendre opposables les plans de compensation du handicap me paraît bonne. En tout état de cause, il faut s’assurer d’une continuité entre l’aménagement intervenu en cours d’année et l’aménagement pour le concours ou pour l’examen.

Pourquoi certains enseignants n’adaptent-ils par leur contenu ? D’abord, parce qu’ils ne sont pas outillés. Ils ne savent pas comment adapter leurs cours et ils pensent que cela représente des efforts trop importants. Ensuite, ils sont relativement peu contraints : s’il y a des obligations pour les examens ou les concours, il y en a encore relativement peu vis-à-vis des enseignants. Je n’ai jamais vu prononcer de sanctions, ne serait-ce que parce que les étudiants handicapés ne réclament jamais le respect de leurs droits pour la simple raison que le temps judiciaire ou des recours n’est pas celui des études. En introduisant un recours, on perd notre année d’étude et on ne sera jamais réaccepté dans la formation. Il faut mettre en place des voies de recours efficaces qui soient inscrites dans le temps de l’étudiant. De plus, il faut créer une culture du handicap. Les enseignants doivent être en capacité d’appréhender ce qu’est le handicap, ne pas avoir « peur » du handicap et savoir qu’ils peuvent facilement créer des outils de nature à rendre leurs cours accessibles. Autrement dit, il faut former les enseignants. Aujourd’hui, ce n’est absolument pas fait. Nous l’évoquons longuement dans une contribution au grand débat national que nous vous enverrons.

M. Pierre Mignonat. Vous nous interrogez au sujet du programme Erasmus et du nombre d’étudiants handicapés qui y participent. Je ne dispose pas de statistiques mais ils sont de plus en plus nombreux. Nous pouvons nous en féliciter mais il faut qu’ils en aient mieux connaissance. Beaucoup n’utilisent pas tous les mécanismes disponibles, notamment Erasmus +. C’est l’idée que nous portons, avec le groupe de travail handicap de la CGE, la FEDÉEH et sa commission mobilité internationale. Cela permettrait d’avoir de meilleurs dossiers, de meilleurs profils, parce que même à diplôme égal, un étudiant handicapé a plus de risques d’être au chômage qu’une personne sans handicap.

De même, il est plus difficile de trouver des stages, ce qui pose des problèmes pour les masters professionnalisants où la réalisation d’un stage permet la validation du diplôme. Trouver plus facilement des stages permettrait une meilleure adéquation des aides techniques et des logiciels existants dans le monde de l’entreprise, parce que même les employeurs ne connaissent pas toujours l’accessibilité numérique, notamment pour la gestion des stocks.

M. Julien Soreau. Concernant le programme Erasmus, notre projet ne vise pas seulement l’Europe mais aussi l’international. Nous ne souhaitons pas que nos étudiants se limitent à une destination européenne alors qu’ils ont peut-être des envies d’Asie, d’Amérique latine ou d’Amérique du Nord. Nous souhaitons que ce projet permette aux étudiants de choisir et non pas de subir une orientation. Je rappelle que, dans la plupart des cursus, un semestre à l’étranger est obligatoire.

Normalement, dans toutes nos écoles, il y a au moins un référent. Quand il n’y a pas de référent nommé, le directeur général en fait office. Bien sûr, il y a des disparités entre nos écoles : certaines proposent des référents à hauteur de 5 % du temps de travail, d’autres, et vous en avez un exemple devant vous, sont à 100 % sur ces missions, ce qui change la donne. À titre d’exemple, il y a seulement trois ans, EM Normandie avait 17 étudiants en situation de handicap ; nous avons créé un pôle diversité – la mission existait déjà mais nous l’avons autonomisée et rendue plus visible – et nous en sommes aujourd’hui à 70 étudiants. Je n’ai pas multiplié les étudiants en situation de handicap, ils se sont juste « autorisés » à se déclarer. Au sein de nos établissements, nous passons quasiment la première année à dédramatiser la situation de handicap de chaque étudiant. Certains pensent ne pas être en situation de handicap. Quand l’un nous dit : « Je suis juste épileptique », nous lui répondons : « Tu es en situation de handicap, même si on t’a dit le contraire ». Nous passons beaucoup de temps à leur rendre confiance.

Enfin, dans les grandes écoles, on n’a pas accès aux dispositifs d’accompagnement des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). D’évidence, il faut que l’accompagnant, le rédacteur ou le secrétaire ait un niveau scolaire suffisant pour prendre des notes. Nous proposons que, dans le cadre de la journée de solidarité, nos alumni, nos anciens étudiants, aillent passer les examens avec les étudiants. Ce serait une façon d’impliquer davantage la société dans l’aide au handicap. Ces gens diplômés, au niveau académique suffisant, contribueraient ainsi à l’inclusion.

Mme la présidente Jacqueline Dubois. Merci pour toutes vos contributions particulièrement intéressantes.

M. Sébastien Jumel, rapporteur. Nous lirons attentivement vos contributions écrites. N’hésitez pas à les enrichir après cette audition.

 

L’audition s’achève à dix-sept heures quarante-cinq.

 

 

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005

 

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 16 heures 30

Présents.  Mme Géraldine Bannier, M. Bertrand Bouyx, Mme Blandine Brocard, Mme Danièle Cazarian, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marianne Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, M. Sébastien Jumel, Mme Béatrice Piron, Mme Nathalie Sarles

Excusés.  M. Christophe Bouillon, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel