Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Parly, ministre des Armées et de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées.


Lundi
11 mai 2020

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 50

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à seize heures dix.

Mme la présidente Françoise Dumas. Aujourd’hui même, commence une nouvelle phase de la crise sanitaire qui frappe notre pays et dans laquelle les armées ont été à la fois touchées et engagées. C’est à ce titre, Madame la ministre et Madame la secrétaire d’État, qu’il est important pour la continuité du contrôle parlementaire de pouvoir faire avec vous des bilans d’étape réguliers, de faire le point de l’impact de la crise sur nos armées ainsi que de leur action dans la gestion de celle-ci.

Vous aviez déjà répondu à notre sollicitation en ce sens le 17 avril. D’un commun accord, nous avons souhaité que cette audition soit publique, c’est-à-dire retransmise en direct par internet. Je crois en effet que la transparence est la condition de la confiance, et que la confiance des Français est plus cruciale aujourd’hui que jamais ; c’est la clé du succès de la lutte contre la pandémie. Cette mesure de transparence a d’ailleurs été très appréciée le 17 avril ; c’est pourquoi, les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous avons choisi ensemble de déroger une nouvelle fois à nos coutumes, et de diffuser également l’audition de ce jour en direct.

C’est donc en public, Madame la ministre, Madame la secrétaire d’État, que nous étudierons avec vous ce bilan de l’action de votre ministère dans cette période de crise.

À ce titre, vous pourrez nous présenter les derniers développements de l’opération Résilience, ses premiers retours d’expérience concernant le format et l’équipement des armées, directions et services du ministère – je pense notamment au SSA.

 

Vous pourrez aussi, par extension, nous dire comment les armées s’organisent pour être en mesure de poursuivre leurs autres opérations, tant sur le territoire national – je pense à Sentinelle – que sur des théâtres extérieurs.

Je disais à l’instant que, dans cette crise, les armées ont été non seulement engagées, mais aussi touchées. Et, en particulier, un point retiendra assurément l’attention de mes collègues et du public : le résultat des enquêtes relatives à la contamination des équipages du groupe aéronaval. Madame la ministre, le 17 avril, vous nous aviez indiqué avoir lancé deux enquêtes, une enquête de commandement et une enquête épidémiologique. Nous sommes très intéressés par leurs résultats, ainsi que par vos vues et vos dispositions sur les suites à leur donner.

Enfin, peut-être voudrez-vous nous dire quelques mots de l’impact de la crise sur la politique mémorielle. Ces derniers jours, nous avons déjà fêté Camerone, puis le 8 mai, d’une façon tout à fait particulière ; je suis certaine que nombre de députés et de Français sont attentifs à la façon dont les manifestations patriotiques pourront se tenir dans les semaines à venir. Je pense en particulier au 14 juillet. Et, de façon générale, à l’heure où la cohésion nationale est mise à rude épreuve, l’enjeu est plus important que jamais.

Mme Florence Parly, ministre des Armées. Les épreuves se succèdent, particulièrement éprouvantes pour notre communauté de défense. Au ministère des Armées, la mission ne s’est jamais interrompue, la préparation opérationnelle et les combats non plus. Je commencerai donc par rendre hommage aux quatre militaires qui ont perdu la vie à l’entraînement et en opération au cours des dernières semaines : l’infirmier en soins généraux de deuxième grade Quentin Le Dillau et le sergent-chef Pierre Pougin de la base aérienne de Cazaux ; le brigadier-chef Dmytro Martynyouk et le brigadier Kévin Clément, morts pour la France au Mali. Chaque jour nos militaires sont engagés pour la protection des Français au prix de leur vie ; ne l’oublions jamais.

Comme je m’y étais engagée, je suis venue vous présenter les principales conclusions des enquêtes que j’ai demandées concernant l’épidémie survenue à bord du porte‑avions CharlesdeGaulle.

Je commencerai par vous donner des nouvelles des marins : tous sont désormais guéris et ont rejoint leurs familles, à l’exception d’un seul, encore hospitalisé après être sorti de réanimation.

J’en viens au déroulement des faits tel qu’éclairé par les observations des enquêtes diligentées par le chef d’état-major des armées, le chef d’état-major de la marine et le service de santé des armées.

Le groupe aéronaval a appareillé de Toulon le 21 janvier, alors que l’épidémie de Covid-19 n’était pas encore déclarée en France. Sa mission comportait deux phases : la première en soutien à l’opération Chammal en Méditerranée, la seconde orientée vers une préparation opérationnelle de haut niveau en Atlantique Nord.

Après sa participation à la première phase, le groupe aéronaval effectue une première escale de six jours au port de Limassol à Chypre, du 21 au 26 février. Il reprend ensuite la mer en direction de l’Atlantique, conduisant à plusieurs reprises des mouvements aériens qui ont amené jusqu’à lui du personnel en renfort, en relève ou de retour. Ces mouvements ont eu lieu depuis Chypre, la Sicile, les Baléares, l’Espagne continentale et le Portugal.

À compter de l’escale de Chypre, des mesures sont prises pour empêcher l’introduction et la propagation du virus – séances d’information sur le coronavirus, questionnaires soumis à toute personne montant à bord. C’est pourtant entre l’escale à Chypre et celle à Brest que l’enquête épidémiologique situe les premières introductions du virus à bord.

En mer comme à quai, les mouvements de renfort, de relève, de retour après absence ou d’acheminement de matériel sont fréquents sur le porte-avions, qui demeure un aéroport flottant. L’escale à Brest du 13 au 16 mars n’est pas à l’origine de la première introduction du virus à bord, mais l’enquête révèle qu’elle a été l’occasion de sa réintroduction et un facteur d’accélération de sa propagation.

Cette escale était planifiée dans la mission et a été confirmée par l’état-major de la marine le 5 mars. Le porte-avions n’était pas retourné à Brest depuis dix ans. L’escale a été jugée nécessaire tant pour des raisons logistiques que pour le moral et la régénération des équipages, dont une partie des familles habite en région Bretagne.

Diverses mesures de précaution ont été prises, en cohérence avec la réglementation en vigueur en France, sachant que la fermeture des bars et restaurants a été effective le samedi 14 mars à minuit, et le confinement annoncé le 16 mars au soir, après que le porte-avions a quitté Brest. Les visites des familles et des autorités à bord ont été annulées. Les marins ont eu interdiction de se rendre dans les zones de Bretagne touchées par le virus, et les consignes sanitaires ont été rappelées. Les personnels qui ont mis pied à terre ou qui ont embarqué lors de cette escale ont été soumis à un questionnaire et ont fait l’objet d’un suivi médical spécifique.

Pendant l’escale, un plan de continuité de l’activité a été élaboré pour le porte‑avions, puis des mesures de distanciation ont été prises après celle-ci. L’enquête épidémiologique confirme que ces mesures de distanciation ont été efficaces et qu’elles ont considérablement ralenti la propagation du virus au sein de l’équipage. Cependant, parce qu’elles ont réduit les échanges sur le porte-avions au strict minimum, ces mesures de confinement ont beaucoup pesé sur les liens de commandement et sur le moral de l’équipage, inquiet pour les familles à terre et sensible à l’écart entre une France à l’arrêt et une mission non interrompue. La motivation s’est étiolée, et l’esprit d’équipage en a pris un coup.

C’est pourquoi, au terme de la quatorzaine qui avait été imposée à bord, et en l’absence de cas identifiés, le 30 mars, le commandement a pris la décision d’assouplir, dans le respect  des  mesures  de distanciation, les  mesures  très  strictes  qui  avait  été  instaurées – rétablissement des briefings et de la pratique du sport, et même organisation d’un concert avec l’orchestre amateur du bord. Sans doute, cet excès de confiance du commandement et de son service médical a-t-il contribué à accélérer la propagation du virus.

Les signaux faibles de la présence du virus à bord n’ont pas été identifiés à temps. Le virus a circulé parmi une population jeune, en bonne santé et entraînée ; en pleine mer, en février, quelques marins ont développé des symptômes interprétés comme un état grippal, assez habituel à bord en cette saison. Le seul cas douteux s’est révélé négatif, après un scanner pulmonaire, le 21 mars.

Le doute s’installe le 5 avril, lorsque le commandement reçoit l’information qu’un officier débarqué au Danemark le 30 mars a été testé positif, et que le nombre de patients se présentant à l’infirmerie augmente par rapport aux jours précédents. Les mesures barrière strictes sont alors immédiatement rétablies, ce qui a permis de freiner à nouveau la propagation du virus. Les trois cas les plus vulnérables sont évacués le 6 avril.

L’information n’est toutefois remontée à l’état-major des armées et au ministère que le 7 avril. Je décide alors l’interruption immédiate de la mission du groupe aéronaval et demande le retour à Toulon du porte-avions.

La propagation de la maladie a été très rapide. Elle a surpris le commandement et a momentanément pris de court l’organisation logistique du bâtiment. Jusqu’à quatre-vingt-cinq marins ont été mis en isolement dans les tranches avant du navire, dans des conditions initialement précaires, pour protéger les autres, ce qui n’a pas été bien vécu. La situation a néanmoins été reprise en main dans les quarante-huit heures suivantes.

L’arrivée à Toulon, le 12 avril, a également été un moment difficile. Après deux mois et demi d’absence, et alors que tous aspiraient à retrouver leur famille, il a fallu passer l’épreuve des tests, pour près de 1 300 marins celle de la maladie, pour les autres celle de la quatorzaine en enceinte militaire. Je salue l’effort hors normes accompli par le service de santé des armées, par le commandement de la marine à Toulon et par les services de soutien pour faire face à cette situation exceptionnelle.

Quelle analyse et quelles conclusions tirer de cette épreuve ?

Au regard des informations dont nous disposons aujourd’hui, il y a eu des erreurs dans l’appréciation des mesures à prendre pour combattre le coronavirus. La principale a été de persister dans une stratégie fondée sur le retour d’expérience de l’épidémie de H1N1, surmontée en 2009 par le porte-avions sans interruption de son activité opérationnelle. Or le coronavirus n’est pas la grippe H1N1.

L’enquête épidémiologique souligne que le signal épidémique n’a pas été détecté, compte tenu notamment des cas asymptomatiques ou peu symptomatiques, et alors que les symptômes associés au Covid-19 étaient alors insuffisamment décrits.

Le commandement a pris ses décisions au regard des informations dont il disposait alors, et en s’appuyant sur les conseils des médecins du bord. Il a toujours eu le souci de la santé de son équipage. Dès la mi-février, et pendant la suite de la mission, il a pris des mesures face à la menace et a constamment veillé à prévenir le risque. Les enquêtes soulignent cependant que le commandement, son conseil médical et leur hiérarchie ont été excessivement confiants dans la capacité du groupe aéronaval à faire face au coronavirus.

Tout cela confirme que, face à un phénomène évolutif et très peu connu, c’est par la rigueur des mesures sanitaires qu’une mission peut perdurer. Nous allons tirer le plus grand profit de l’enquête épidémiologique conduite par le Centre d’épidémiologie et de santé publique du service de santé des armées. Elle est utile pour améliorer la connaissance du virus et sera accessible à toute la communauté scientifique. Elle nous a permis d’approfondir nos procédures de lutte contre la propagation du virus lors de la préparation opérationnelle des bâtiments et pour les opérations menées par les trois armées. Elle inspire également la stratégie sanitaire que j’ai souhaité mettre en place dans toutes les armées, directions et services, et qui comprend notamment une surveillance médicale, des quatorzaines et des tests PCR, même si l’enquête épidémiologique a souligné leurs limites.

Nous partagerons également nos retours d’expérience avec nos partenaires étrangers, comme je l’ai fait la semaine dernière lors d’une audioconférence avec mes collègues de l’initiative européenne d’intervention.

L’enquête a aussi révélé des défauts de coordination et de partage de l’information entre les différentes chaînes de commandement et au sein des différents niveaux de celles-ci. Ces chaînes ont fonctionné de manière trop cloisonnée et la transmission de l’information a été trop lente et partielle. Le dialogue entre les acteurs a été insuffisant et n’a pas permis de croiser les regards et les analyses. La remontée tardive d’information, le 7 avril, concernant la présence du virus à bord en constitue un exemple. J’ai donc demandé au chef d’état-major des armées de me faire des propositions s’agissant de l’organisation de ces différentes chaînes de commandement et de leur articulation. Elles s’appliqueront à toutes les armées, directions et services.

Il faudra aussi en tirer les conclusions en matière de communication vis-à-vis des équipages et de leurs familles. Les marins, tout comme les autres militaires engagés en opération ou en préparation opérationnelle, sont régulièrement en contact avec leurs familles, elles-mêmes soumises à un flot continu d’informations, parfois de désinformation. Nous devons donc mieux communiquer, de manière plus détaillée et pédagogique.

Même s’il y a eu des erreurs, les enquêtes n’ont pas signalé de fautes de commandement. Elles soulignent plutôt la pertinence des décisions prises quand le coronavirus a été détecté, qui ont permis de prendre en charge les malades. Elles estiment également que l’équipage a conduit sa mission à bien dans un contexte très difficile. Notre priorité est désormais de communiquer aux marins et à leurs familles comment nous nous adapterons pour garantir leur sécurité sanitaire pendant les opérations.

Le porte-avions, ses aéronefs et ses escorteurs ont été nettoyés, vérifiés et désinfectés. Les équipages sont, heureusement, guéris. Je souhaite au marin encore hospitalisé un très prompt rétablissement et à tous ceux qui ont pu rejoindre leur famille, un repos familial bien mérité.

Les conclusions des enquêtes seront mises en ligne demain.

Le ministère des armées a activement préparé le 11 mai et sa reprise progressive d’activité, dans le cadre fixé par le Premier ministre, avec deux priorités : la santé des militaires, des agents et de leur famille ; la poursuite des missions au service de la protection des Français. Nous reprenons progressivement le recrutement et la formation, ainsi que les activités essentielles à la préparation des missions à venir.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées. Je remercie tous les élus, maires et parlementaires, pour la très bonne tenue des cérémonies du 8 mai. Tout s’est bien passé dans toutes les communes de France, dans le respect des normes sanitaires et des préconisations ministérielles.

Les prochaines cérémonies nationales seront celles du 18 juin et du 19 juillet, journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France. Celle du Mont Valérien sera organisée dans un format très allégé mais, partout, elles devront se dérouler dans le respect des règles sanitaires. Notre objectif premier est de protéger les anciens, et tous les anciens combattants présents. Les préfets auront la possibilité d’adapter le format des cérémonies en fonction des contingences locales.

Le 14 juillet sera célébré, même si les manifestations rassemblant plus de 5 000 personnes seront toujours interdites. Les commémorations régionales ou locales, organisées par les collectivités ou les associations – le 6 juin en Normandie, l’hommage aux résistants dans le Vercors en juillet, le débarquement de Provence – seront maintenues, mais leur fréquentation devra être limitée et leur organisation devra respecter les modalités précédemment énoncées.

Nous continuerons donc à faire mémoire ensemble.

M. Jean-Michel Jacques. Je suis un ancien infirmier de la marine, mais également l’ancien maire d’une commune voisine d’un des premiers clusters bretons, dans le Morbihan. Notre perception de la crise était, alors, totalement différente. J’imagine bien la situation au moment de l’arrivée du Charles-de-Gaulle dans le Finistère, qui n’était pas encore atteint par l’épidémie. Il est facile de refaire l’histoire après coup.

Je m’interroge sur la vitesse à laquelle le virus a pu se propager au sein du CharlesdeGaulle. L’enquête épidémiologique a-t-elle aidé à le comprendre ? Doit-on en conclure qu’il faut revoir les règles d’hygiène et les procédures à bord, voire la conception des bateaux ?

M. Charles de La Verpillière. Notre rôle n’est évidemment pas de statuer sur les responsabilités militaires ou politiques.

Une mission d’information a été diligentée par le président de l’Assemblée nationale et une commission d’enquête créée au Sénat.

Je m’étonne que vous évoquiez des « erreurs d’appréciation » – et non des fautes – du commandement et de son service médical, et une transmission partielle et trop lente des informations au sein des différentes chaînes de commandement. La situation d’un porte‑avions et de ses escorteurs est très différente de celle d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, presque totalement coupé du monde et dans lequel le commandant assume toutes les responsabilités. Dans le cas du groupe aéronaval Charles de Gaulle, le commandant du navire n’était pas seul puisque l’amiral commandant le groupe aéronaval l’accompagnait. En outre, les liaisons sont permanentes avec les échelons supérieurs, militaires ou politiques. Comment ces derniers ont-ils pu ne pas être informés au jour le jour, voire heure par heure, de ce qui se passait à bord ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Les cérémonies du 8 mai ont compté un nombre réduit de participants cette année, mais il y a eu beaucoup plus d’émotion et de recueillement.

Nous avons constaté une nouvelle fois la capacité de nos forces armées à se mobiliser face à une crise non militaire. Quelles conclusions en tirez-vous s’agissant du lien entre l’armée et la nation ? Quelles pistes de réflexion peut-on suivre, notamment s’agissant des réservistes citoyens et opérationnels ?

M. Joaquim Pueyo. Les éléments que vous nous avez communiqués répondent à notre souhait d’une enquête transparente et de conclusions très claires. Allez-vous adresser des recommandations très fortes à toutes les armées afin de rétablir la confiance des militaires et de ceux qui aspirent à en faire partie ?

S’agissant des opérations extérieures, quel message enverrez-vous demain à vos homologues européens ? La crise aura des effets directs sur les budgets nationaux et européens, mais j’espère que l’Europe de la défense pourra repartir.

Ne pensez-vous pas qu’il faudra retravailler avant 2021 sur la loi de programmation militaire (LPM) ?

M. Olivier Becht. Je voudrais remercier nos armées pour leur rôle remarquable durant la crise. L’élément militaire de réanimation déployé à Mulhouse sera-t-il remonté dans un autre territoire, par exemple ultramarin ?

M. Yannick Favennec Becot. Y a-t-il un risque de perturbation des opérations extérieures, notamment à cause d’une baisse de la production industrielle qui conduirait à un retard de livraison des drones Reaper au Sahel ?

Envisagez-vous des mesures, telles que des prolongations de contrat, ou des rappels pour compenser un éventuel manque d’effectifs dans les mois à venir ?

M. Bastien Lachaud. Merci pour cet exercice de transparence, qui est trop rare. L’Association des journalistes de défense a fait état, dans une lettre ouverte, de nombreuses entraves à l’exercice de leur profession et les parlementaires ont également à se plaindre d’un manque de transparence. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la commission des finances, le souligne régulièrement. Quelles dispositions comptez-vous prendre ?

Nous avons appris par la presse que les services de renseignement américains ont donné l’alerte dès le mois d’octobre dernier. À quelle date et en quels termes la DGSE vous a‑t-elle avertie ?

M. André Chassaigne. Je salue les propos de la ministre : reconnaître des erreurs est assez rare. Je m’interroge, en revanche, sur un tweet du 8 mai dernier qui a oublié certains pays.

Le service de santé des armées a été très affaibli depuis des décennies alors qu’il a un rôle extrêmement important à jouer. Il faut renforcer ses moyens et se doter d’un hôpital militaire de campagne directement mobilisable. Allez-vous le faire ?

Mme Florence Parly, ministre des Armées. S’agissant de la contagion à bord du Charles-de-Gaulle, je rappelle que le virus ne cesse pas de nous étonner, et il faut aussi avoir à l’esprit le contexte : le porte-avions est un navire ancien ; il héberge près de 1 800 marins dans des postes d’équipage comptant entre 10 et 40 lits, alors que les chambrées sont de 4 ou 6 personnes dans des bâtiments plus récents. La promiscuité est la règle. On s’agrippe aux rampes dans les échappées, ces escaliers très raides et très étroits entre les ponts ; les coursives ont été dimensionnées pour les besoins fonctionnels, et pas du tout pensées pour permettre la distanciation physique désormais requise. Un bâtiment de guerre n’est pas un paquebot. Malgré cela, les mesures de protection strictes qui ont été prises, notamment un nettoyage extrêmement régulier des équipements, se sont avérées efficaces pour ralentir l’épidémie. Néanmoins, force est de constater qu’il peut y avoir des zones où le nettoyage aurait dû être approfondi et renouvelé encore plus régulièrement.

Ce qui importe aujourd’hui est que l’équipage est sauf, et il faut tirer toutes les leçons des observations qui ont été faites.

Nous allons désormais disposer de tests PCR en nombre. Même s’ils ne sont pas fiables à 100 %, ils vont considérablement nous aider à identifier les personnes susceptibles de porter le virus. Nous aurons à bord des outils permettant de faire les tests selon les règles de l’art – il faut des machines permettant d’absorber les mouvements du navire.

Tout ce que nous avons appris grâce à l’enquête concernant le Charles-de-Gaulle sera utile pour l’ensemble des bâtiments de la marine nationale et des autres pays européens, mais aussi pour l’armée de l’air et l’armée de terre. Les travaux qui ont été conduits permettent d’en savoir plus sur le virus – c’est pourquoi il faut partager avec toute la communauté scientifique les résultats de l’enquête épidémiologique – et ils serviront à prévenir, je l’espère, toute résurgence à bord de nos navires.

L’enquête a montré que le fonctionnement du groupe aéronaval a été trop cloisonné : les informations ne sont remontées que partiellement et n’ont pas toujours emprunté les bons embranchements. Là encore, nous devrons en tirer toutes les leçons. J’ai donc demandé au chef d’état-major des armées de me faire des propositions afin que le ministère fonctionne mieux.

La crise a montré que nos armées sont au service de nos concitoyens. Alors que leurs interventions étaient jusqu’à présent plutôt liées aux catastrophes naturelles, elles ont montré toute leur capacité à répondre à une crise sanitaire : nombreuses évacuations sanitaires par avion, adaptations de nos hélicoptères, divers soutiens logistiques aux EHPAD et pharmacies, entre autres. Je ne doute pas que le lien entre l’armée et la nation en sortira renforcé, ce qui légitime encore plus le service national universel.

Le rétablissement de la confiance est, en effet, essentiel car il y va de la tranquillité d’esprit de nos militaires : la priorité des priorités est bien la préservation de leur santé, de leur famille et de l’ensemble des Français.

L’autonomie stratégique est nécessaire sur le plan européen dans les domaines opérationnel et industriel, à l’heure où certains partenaires ont tendance à se replier sur eux‑mêmes et où certaines puissances multiplient les démonstrations d’influence après avoir multiplié les démonstrations de puissance. La Chine profite ainsi de cette crise sanitaire pour faire prospérer certaines idées que vous me permettrez de ne pas partager.

Nous aurons l’occasion de tester les ambitions des Européens lorsque le cadre financier pluriannuel sera à nouveau discuté et le budget du Fonds européen de la défense arrêté. Selon moi, il est absolument nécessaire de préserver les moyens initialement envisagés, de l’ordre de 13 milliards. Revoir nos ambitions à la baisse serait une faute.

Nous travaillons à l’actualisation de la loi de programmation militaire, qui est en effet prévue en 2021. Nous devons y intégrer les conséquences de cette crise.

L’élément militaire de réanimation de Mulhouse, dont le dernier patient est sorti il y a quelques jours, a rendu de grands services. Son démontage sera achevé d’ici au 21 mai et dix lits de réanimation seront redéployés à l’hôpital de Mayotte d’ici à la fin du mois.

Le risque de perturbation des opérations extérieures en raison d’éventuels ralentissements des livraisons est, pour l’instant, contenu. Nous avons dialogué étroitement avec les industriels de la défense pour éviter ce type de situation et nous avons mis l’accent sur le maintien en condition opérationnelle de nos équipements. Il est toutefois encore un peu tôt pour dresser un état des lieux d’éventuels retards.

À l’inverse, nous veillons également à identifier tout ce qui pourrait contribuer à des anticipations et à des accélérations de manière à ce que les moyens en investissement de la mission « Défense » puissent être mis au service de la remise en route de l’économie française. Ces activités industrielles, très ancrées dans les territoires et dont peu d’emplois sont délocalisés ou délocalisables, constituent un outil particulièrement précieux.

En matière de recrutement, nous avons pris du retard et nous nous employons à mettre les bouchées doubles : les centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) ont rouvert aujourd’hui, et vous discuterez prochainement du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19, qui contient des mesures permettant notamment d’allonger la durée de l’engagement de nos personnels au-delà des dates butoir prévues.

La presse doit pouvoir faire son travail dans les meilleures conditions possibles. J’ai donc demandé qu’une rencontre soit organisée entre l’Association des journalistes de défense et l’ensemble des communicants du ministère des armées afin de clarifier la situation et d’améliorer le dialogue et les méthodes.

Nous avons répondu aux questions de Monsieur le député Cornut-Gentille. La seule limite que je vois à la communication de données est que certaines ont un caractère classifié. L’année dernière, je lui avais communiqué les chiffres demandés, et regretté qu’ils ne figurent pas dans son rapport.

Ce n’est pas le rôle des services de renseignement de s’occuper des informations relatives à la santé ; ce sont les pays concernés qui les communiquent à l’Organisation mondiale de la santé, ce qu’a fait la Chine le 31 décembre en l’avertissant de la présence d’une épidémie dont les caractéristiques s’avéraient inconnues.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées. Vous avez raison, Monsieur Chassaigne, de signaler ce tweet totalement incomplet, qui omettait de nombreux alliés de la France. J’ai demandé qu’il soit rapidement effacé. L’ambassadeur de Russie en France et celui de France en Russie nous avaient demandé de faciliter la venue de vétérans aux cérémonies qui devaient avoir lieu le 9 mai, mais l’épidémie mondiale ne nous a pas permis de les accueillir. L’escadron Normandie-Niemen, qui est implanté dans ma ville de Mont-de-Marsan, marque toujours les liens forts qui existent entre le France et la Russie.

Le service de santé des armées a pu mettre à disposition des moyens, structurer des actions de façon rapide, efficace et coordonnée, créer des services Covid pour venir en soutien aux hôpitaux en difficulté. Il est totalement intégré à la santé publique en général, mais sa vocation première reste le soutien de nos forces. Depuis 2017, nous avons stoppé les déflations prévues dans le plan SSA 2020 et fait remonter les effectifs du service de santé. Les hôpitaux se transforment : deux sont des hôpitaux militaires purs, quatre autres entités sont des hôpitaux civilo-militaires qui ont été développés en fonction des besoins des territoires. Reste que nous devons veiller au maintien de l’efficience de ce service, en particulier par le recrutement de médecins et leur fidélisation ainsi que celle des personnels soignants.

Mme Patricia Mirallès. Les missions que les forces armées accomplissent sur notre territoire mettent en lumière toute l’étendue de leur dévouement et de leurs compétences au service de l’intérêt général. La crise va mettre à mal le budget de l’État et les restrictions vont s’imposer. En dépit des conditions financières déjà tendues pour nos forces et nos soldats, prévoyez-vous de défendre ce budget dans ses conditions actuelles ? Si oui, quels arguments avancerez-vous à l’appui ?

M. Didier Le Gac. Votre décision de mettre en ligne dès demain les conclusions des enquêtes est une bonne nouvelle pour la démocratie.

L’armée et la direction générale de l’armement (DGA) devaient avoir instruit pour le printemps le dossier au vu duquel le Président de la République doit rendre son arbitrage sur les grandes lignes du programme de porte-avions de nouvelle génération. Cet arbitrage sera‑t‑il bien rendu cet été ?

M. Thibault Bazin. Quelles sont les informations sur la contamination qui n’ont pas été transmises du groupe aéronaval à la terre ?

Lors de la précédente audition, nous sommes convenus de l’intérêt d’un suivi épidémiologique a posteriori de la population du porte-avions. L’enquête s’est-elle poursuivie ? Y a-t-il eu de nouveaux tests PCR à J + 14 ? Avez-vous procédé à des tests sérologiques pour mesurer l’immunité collective ?

M. Philippe Folliot. Un différend oppose la Grèce et la Turquie en Méditerranée orientale, à la suite d’un accord turco-libyen de délimitation maritime. Quels moyens avons‑nous sur place pour montrer à nos amis Grecs que nous les soutenons, et que peut-on faire pour que la convention de Montego Bay soit pleinement appliquée ? Comptez-vous aborder cette question demain, lors de la réunion des ministres européens de la défense ?

M. Pierre Venteau. L’opération Résilience a montré la nécessité de tisser des liens de plus en plus étroits avec l’autorité civile. Quelles mesures comptez-vous prendre pour pérenniser les liens de confiance entre l’armée et nos territoires dans l’après Covid-19 ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Pour la protection de nos actifs stratégiques dans les secteurs intégrés à l’échelle européenne, le gouverneur de la Banque de France a repris l’idée émise par des industriels d’un fonds de recapitalisation adossé à la Banque européenne d’investissement. Qu’en pensez-vous ? Comment se positionnent les acteurs français sur le dossier Photonis ? Une interdiction d’investissement a-t-elle été prononcée à l’encontre de l’entreprise américaine Teledyne ?

M. Jacques Marilossian. Les chefs d’état-major, les présidents des groupements industriels estiment que le budget de la défense ne doit pas être sacrifié dans le cadre d’un plan de relance global, compte tenu de son impact immédiat sur l’économie française. Le ministère des armées peut-il mobiliser plus rapidement des crédits dans un projet de loi de finances rectificatif dès 2020, voire dans le projet de loi de finances pour 2021, sans oublier les porte-avions dans la loi de programmation militaire ?

M. Jean-Louis Thiériot. Quelle est l’analyse des armées sur le dossier des Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM), dont on sait qu’elles font partie des fournisseurs de premier rang de la DGA ? Y a-t-il un plan d’aide ? Quels sont les risques de perdre une entreprise stratégique du fait d’investissements directs étrangers ? Quels sont les soutiens possibles au niveau des armées ou éventuellement interministériel ?

M. Stéphane Trompille. Quels dispositifs prévoyez-vous pour que la célébration du 14 juillet, légitime et attendue par nos concitoyens, puisse se dérouler dans le respect de la sécurité sanitaire ? Les soignants militaires seront-ils mis à l’honneur ?

Mme Florence Parly, ministre des Armées. On peut toujours avoir des craintes concernant le budget des armées, mais je suis convaincue qu’il est l’un des outils du plan de relance – c’est même le premier qui soit prêt ! Nous mobiliserons la commande publique et ferons usage de tous les instruments dont nous disposons pour défendre les filières industrielles et les entreprises qui irriguent l’économie nationale. Je ne suis pas en train de m’interroger sur de possibles sacrifices budgétaires ; bien au contraire, je veux utiliser la puissance de feu des armées qui, dans ce domaine, est considérable !

Ensuite, nous travaillerons ensemble pour dimensionner ce que seront les moyens des armées à l’avenir. Mais la crise nous renforce dans nos analyses en montrant que les menaces et les risques que nous avions identifiés en 2017, avant d’élaborer la LPM, sont plus intenses et plus aigus encore qu’imaginé.

S’agissant du porte-avions nouvelle génération, nous sommes prêts. Les arbitrages seront rendus dans le calendrier fixé.

Le nombre de cas de Covid-19 sur le Charles-de-Gaulle est devenu significatif le 5 avril. J’en ai été informée, comme le chef d’état-major des armées, quarante-huit heures plus tard. Leur prochaine audition sera l’occasion pour le général Lecointre et l’amiral Prazuck, chef d'état-major de la marine, de vous expliquer ce qui, de leur point de vue, n’a pas bien fonctionné dans la transmission des informations.

Des tests sérologiques ont été effectués avant que le bâtiment ne regagne son port d’attache.

Je suis en contact permanent avec mon homologue grec. Des moyens de la marine nationale sont mobilisés en Méditerranée orientale pour sécuriser si besoin la zone économique exclusive de Chypre, où s’exercent régulièrement les contestations turques.

Le lien entre l’autorité civile et l’autorité militaire se construit depuis l’opération Sentinelle, il est précieux. Je rappelais tout à l’heure aux officiers du Centre des hautes études militaires (CHEM) l’importance du dialogue interministériel, dont la crise nous a appris combien il était essentiel.

Il faudra faire preuve d’imagination pour venir en aide aux petites entreprises essentielles pour notre autonomie stratégique. Au-delà de la commande publique, les fonds de recapitalisation font partie de la panoplie des outils dont nous devrions pouvoir disposer.

Le ministre de l’économie examine la situation de Photonis, à la recherche d’une solution permettant de préserver le caractère souverain des activités de la PME – la cession à un tiers étranger est, pour le moment, suspendue. De même, la branche innovation et systèmes du groupe CNIM est très importante pour le ministère des armées et s’il devait être cédé, les activités de défense devraient nécessairement rester sous contrôle français.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées. Une cérémonie nationale aura bien lieu le 14 juillet. Si je ne peux encore vous dire quelle forme elle prendra, il ne fait pas de doute que les soignants seront célébrés. Les déclinaisons dans les départements se feront selon les règles sanitaires en vigueur, sous le contrôle des préfets.

Mme la présidente Françoise Dumas. Madame la ministre, Madame la secrétaire d’État, nous souhaitons vous retrouver dans deux ou trois semaines, ce qui permettra aux députés qui n’ont pu le faire aujourd’hui de vous interroger. Vous occupez une position centrale dans la crise, votre rôle sera aussi essentiel dans la reconstruction ; nous avons donc plus que jamais besoin de vous entendre.

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La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean‑Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, Mme Albane Gaillot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Nicolas Meizonnet, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Sylvain Brial, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Joachim Son-Forget