Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

  Audition de Mme Anne Grand d’Esnon, pressentie par le président de l’Assemblée nationale pour siéger au sein du collège du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)              2

  Vote à bulletins secrets sur cette nomination, en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication              16

 


Mardi
8 juin 2021

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 58

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 8 juin 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La Commission procède à l’audition de Mme Anne Grand d’Esnon, pressentie par le président de l’Assemblée nationale pour siéger au sein du collège du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

M. le président Bruno Studer. Nous nous retrouvons cet après-midi pour auditionner Mme Anne Grand d’Esnon et émettre un avis sur sa désignation par M. le président de l’Assemblée nationale en tant que membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en remplacement de Mme Michèle Léridon, décédée le 4 mai dernier.

En application de l’article 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les six membres du CSA autres que son président sont désignés par les présidents des assemblées parlementaires – trois par le président de l’Assemblée nationale et trois par le président du Sénat.

La procédure de désignation soumet le choix du président de chacune des assemblées « à un avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. »

Les membres du CSA doivent être choisis « en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques. »

Dans le cas particulier du remplacement d’un membre décédé, la personnalité choisie pour le remplacer est désignée pour la durée du mandat restant à courir. En l’espèce, la durée étant supérieure à deux ans, le mandat ne sera pas renouvelable.

En conséquence, afin de préserver la parité au sein du collège, le président de l’Assemblée nationale devait à nouveau proposer une candidate. Le 25 mai dernier, j’ai reçu un courrier de M. Richard Ferrand me faisant part de son souhait de désigner Mme Anne Grand d’Esnon, à laquelle je souhaite la bienvenue dans cette commission.

Madame Grand d’Esnon, vous êtes diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et titulaire d’une maîtrise de droit privé. Vous avez commencé votre carrière comme assistante parlementaire à l’Assemblée nationale, avant de rejoindre l’École nationale d’administration (ENA) en tant que chargée de mission auprès du directeur.

En 1999, vous avez été nommée secrétaire générale de la jeune chaîne parlementaire de l’Assemblée nationale (LCP-AN), alors présidée par M. Yvan Levaï.

Vous avez ensuite rejoint France Télévisions en 2003, tout d’abord comme directrice des relations institutionnelles, puis, depuis 2014, comme directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes, sujet hautement sensible. Vous y assurez notamment le secrétariat du comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes.

Madame, l’audition va vous permettre de vous présenter et de nous préciser les compétences que vous pourriez apporter au CSA, ainsi que les domaines qui, en tant que conseillère, vous tiendraient particulièrement à cœur.

Le Parlement examine actuellement le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Nous auditionnerons la ministre lundi. Nous serons donc attentifs à votre regard sur les dispositions proposées : la fusion du CSA et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) va renforcer de façon notable les missions et les responsabilités du nouveau régulateur.

Comment pensez-vous contribuer aux nouvelles compétences de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) en gestation, d’autant que, depuis 2017, le Parlement lui a déjà conféré de nouvelles responsabilités en matière de lutte contre la manipulation de l’information, contre l’accès à la pornographie pour nos plus jeunes, contre les discours de haine sur internet ou contre le travail des enfants sur les plateformes de vidéos.

Mme Anne Grand d’Esnon. Je suis honorée d’avoir été proposée à votre commission par le président de l’Assemblée nationale pour poursuivre le mandat brutalement interrompu de Michèle Léridon au CSA.

Je suis émue à double titre. En premier lieu, j’ai une pensée très particulière pour Michèle Léridon, dont la disparition brutale a été un véritable choc pour le CSA et pour tous ceux qui, comme moi, travaillaient de manière régulière avec elle, puisqu’elle était mon interlocutrice privilégiée sur les sujets que je traitais à France Télévisions, notamment ceux liés au pluralisme et à la déontologie. J’ai beaucoup apprécié nos échanges directs et enrichissants. Cette grande professionnelle était très respectée par chacun.

En second lieu, je suis émue parce que c’est une grande fierté de me présenter devant vous, ici à l’Assemblée nationale. J’ai commencé ma carrière comme assistante parlementaire au sein de cette maison, qui m’est toujours restée chère. M. le président de la commission vient de retracer en quelques mots mon parcours. J’y reviendrai avant de vous expliquer en quoi ma nomination comme membre du CSA, si vous l’acceptiez, constituerait l’aboutissement cohérent de mon expérience professionnelle.

J’ai débuté ici comme assistante parlementaire de M. Philippe Auberger, il y a un peu plus de trente ans. J’ai pu mesurer l’investissement et l’exigence qui animent les députés dans l’élaboration des lois de la République. Cette expérience m’a aussi donné le goût des débats, qui sont l’incarnation de l’exercice de la démocratie. Ensuite, je suis devenue chargée de mission auprès du directeur de l’ENA. Dans quelques années, certains se demanderont peut‑être ce que signifie cet acronyme… À cette époque déjà, l’ENA était en pleine réflexion sur son devenir et ses besoins de réforme. Mon expérience dans cette école d’application a été formatrice à bien des égards. J’ai pu y développer ce qui a constitué l’un des fils rouges de ma carrière, le goût du service public.

L’étape suivante de mon parcours m’a à nouveau rapprochée de l’Assemblée nationale et a été ma première expérience dans le secteur des médias, secteur que je n’ai plus quitté depuis plus de vingt ans. Je suis en effet devenue secrétaire générale de La Chaîne parlementaire de l’Assemblée nationale (LCP-AN), lors de sa création fin 1999, poste que j’ai occupé jusqu’en 2003. LCP est née d’une proposition commune des deux présidents des assemblées de l’époque, MM. Christian Poncelet et Laurent Fabius, qui souhaitaient créer une chaîne parlementaire et civique commune aux deux chambres. L’idée était de façonner une chaîne plus vivante et plus moderne que Canal Assemblée, qui retransmettait les travaux parlementaires, les débats et les questions au Gouvernement. Cette nouvelle chaîne devait diffuser également des débats de société, mais surtout faire entrer la télévision au sein de la représentation nationale.

À sa création, la chaîne ne faisait pas l'unanimité, mais je crois que nous partageons tous aujourd’hui le constat de son utilité, car elle favorise la pédagogie et la transparence, plus que jamais indispensables pour nourrir la confiance dans la démocratie et ses représentants. La mise en place des structures et du partage d’antenne fut complexe ; nous avions beaucoup échangé avec notre sœur, Public Sénat, qui partageait le canal.

Avec Yvan Levaï, nommé à la tête de La Chaîne parlementaire de l’Assemblée nationale, nous nous posions déjà la question de l’éthique et de la façon dont nous devions traiter du travail des députés, mais aussi de leur image. Nous avions initié des portraits de députés, toujours utiles pour faire connaître à nos concitoyens le rôle essentiel des élus que vous êtes. Nous avions aussi souhaité diffuser des débats de société, comme notre convention nous y incitait. Nous avons instauré l’émission Droit de question, créée en écho à l’émission Droit de réponse de Michel Polac. Les sujets sociétaux y étaient abordés, toujours dans le respect du téléspectateur. Dès sa création, nous avions prévu d’enregistrer cette émission quelques heures avant sa diffusion, afin d’éviter tout débordement ou propos litigieux à l’antenne. J’ai le souvenir de débats animés, mais toujours respectueux de la représentation nationale. Il est certain que LCP, que nous avons tous vue grandir, a trouvé sa place au sein du paysage audiovisuel français et est devenue un média incontournable de l’offre citoyenne, notamment en retransmettant les auditions des commissions d’enquête et les débats parlementaires, mais aussi des documentaires.

J’ai ensuite rejoint France Télévisions, où je travaille depuis dix-sept ans. J’ai d’abord été nommée directrice des relations institutionnelles, puis, au plus près des antennes, au poste de directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes. En tant que directrice des relations institutionnelles, j’ai traité de sujets extrêmement divers. Les périodes les plus marquantes ont été celles des grandes lois audiovisuelles de 2009 et 2013, qui ont placé France Télévisions au cœur des débats politiques et citoyens. D’importants sujets ont été abordés, comme la suppression en soirée de la publicité sur les chaînes publiques de télévision et la question des nominations, par le Président de la République, des présidents de France Télévisions, Radio France et de France Médias Monde (FMM), société chargée de l’audiovisuel extérieur. Les sociétés publiques de l’audiovisuel ont aussi été réorganisées : France Télévisions est devenue une société unique, avec différentes antennes. Les débats étaient nombreux et des centaines d’amendements déposés.

Depuis 2014, j’exerce les fonctions de directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes. C’est évidemment au cours de cette période que j’ai été au plus près du CSA. Je crois pouvoir dire que j’ai développé des connaissances et un savoir-faire qui m’ont préparée à exercer la fonction de membre du collège, si vous acceptez ma nomination. À ce poste, jour après jour et dans des contextes très variés, je suis en prise directe avec les difficultés concrètes que peut poser l’application de l’édifice législatif et réglementaire garantissant la maîtrise des antennes. J’ai aussi fait l’expérience de l’équilibre toujours fragile entre les règles indispensables pour garantir le pluralisme, le respect de la dignité humaine ou la protection de la jeunesse et le respect de la liberté d’expression et de communication. En lien constant avec le CSA, j’ai pu mesurer à quel point le régulateur dispose d’un rôle essentiel, qu’il remplit avec un grand professionnalisme, dans un dialogue constant avec les éditeurs.

En France, le CSA est garant de la liberté de communiquer. Sans régulation, il n’y a pas de liberté, et c’est un bien précieux qu’il faut préserver en démocratie. Le régulateur peut être critiqué, en raison des contraintes qu’il impose. Il est vrai qu’elles sont nombreuses, mais elles sont nécessaires pour que les libertés puissent s’exercer dans les meilleures conditions au sein du paysage audiovisuel français.

Le CSA est bien plus qu’une autorité dotée d’un pouvoir de sanction, c’est un interlocuteur pour tous les éditeurs, une instance avec laquelle nous travaillons pour veiller au respect des principes fondamentaux et démocratiques auxquels nous sommes tous attachés. La présence d’un régulateur audiovisuel, indépendant, puissant, doté de pouvoirs étendus de contrôle et de sanction est bien souvent le gage de la vitalité démocratique d’un pays.

En tant que législateur, vous accompagnez et anticipez les évolutions essentielles de la société. Le CSA assume ensuite la charge de veiller à la bonne mise en œuvre et au respect des règles et des objectifs que vous définissez.

J’ai acquis une grande expertise en matière de pluralisme, ce dernier reposant avant tout sur l’équilibre des temps de parole. Les règles sont complexes et leur mise en œuvre doit constamment s’adapter à l’évolution des forces politiques et aux particularités de chaque période électorale. Cela exige de faire preuve de beaucoup de pédagogie et d’être parfaitement coordonnée avec les équipes éditoriales, pour qui ces règles sont vécues comme assez contraignantes.

Mon expérience de terrain pourrait être précieuse pour le CSA, notamment dans le contexte des importantes échéances électorales à venir. Il est essentiel que chaque éditeur puisse rendre compte au CSA de l’équilibre des temps de parole sur ses antennes ; c’est une garantie d’impartialité et, donc, de confiance du public dans un paysage qui a été rapidement bouleversé. L’émergence assez récente de médias audiovisuels d’opinion, inspirés de modèles étrangers mais nouveaux dans le paysage français, pose question tant au législateur qu’au régulateur. En effet, la frontière est parfois ténue entre une information et l’expression d’une sensibilité ou d’un courant d’opinion.

Au-delà du pluralisme, ma mission à France Télévisions englobe le respect de la déontologie des programmes au sens large. La déontologie implique une exigence et une vigilance constantes, d’autant plus grandes lors des périodes tragiques de notre vie collective.

Comme chacun d’entre nous, j’ai été profondément marquée par les attentats de 2015 mais aussi par les exigences déontologiques accompagnant le traitement de l’information sur les antennes. Je me souviens notamment des nombreux échanges entre les éditeurs et le CSA, la couverture médiatique des événements ayant suscité des critiques. Entre l’attente des téléspectateurs, très forte, et l’urgence du traitement de ces événements, des débordements avaient malheureusement eu lieu à l’antenne ; ils étaient cependant sans commune mesure avec ceux constatés sur les réseaux sociaux. Réunis par le même esprit de responsabilité, nous avions alors envisagé les moyens de prévenir de possibles dérives ultérieures. Cet esprit de responsabilité a abouti à la rédaction d’un code de bonne conduite, sous l’égide du CSA, intitulé Précautions relatives à la couverture audiovisuelle d’actes terroristes, toujours applicable à l’ensemble des médias audiovisuels.

Cette méthode, impliquant dialogue et responsabilité, me semble importante. Une régulation efficace ne peut consister uniquement en une vision verticale des choses, imposant les règles du jeu. Au contraire, les règles doivent se construire en impliquant tous les acteurs, dans un dialogue constant, pour proposer des solutions adaptées à tous.

Ces dernières années, le législateur a permis aux médias de prendre conscience de leur responsabilité citoyenne. La radio et la télévision rassemblent chaque jour des millions de Français ; à ce titre, elles ont un impact sur notre société et doivent veiller à ce que le téléspectateur se reconnaisse dans l’offre qu’il entend ou qu’il voit. La mission d’accompagnement sociétale confiée au CSA est à ce titre indispensable.

Quelques exemples : la protection des mineurs a toujours été un enjeu essentiel de la régulation, dès la création du CSA. J’y ai toujours été très sensible. Le rôle des médias est déterminant quant à la conception du monde que nous transmettons à nos enfants. Ils ont un rôle éducatif et remplissent une mission d’exemplarité. En outre, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait de l’accessibilité des programmes une priorité. Aujourd’hui encore, moins de 1 % de personnes en situation de handicap sont présentes sur les antennes, comme l’a montré le CSA. Plus récemment, la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes nous a permis de franchir un cap significatif, grâce à l’action déterminée du CSA en faveur des expertes. Pour autant, il ne faut pas relâcher nos efforts, comme l’a montré la crise sanitaire, la juste représentation de la diversité demeurant une préoccupation constante.

Le législateur comme le CSA doivent désormais également faire face à d’autres défis. En tant que professionnelle et citoyenne, je suis frappée depuis plusieurs années par l’écart qui s’est creusé entre l’encadrement des acteurs dits traditionnels – télévisions et radios – et la situation des plateformes et réseaux numériques. Ces derniers échappent encore en partie à la régulation, alors même qu’ils occupent une place de plus en plus importante dans les usages médiatiques des Français, voire majoritaire chez les plus jeunes.

La représentation nationale l’a pris en compte et a été très active. Plusieurs textes essentiels ont été adoptés ces dernières années pour essayer de protéger les citoyens contre les dérives potentielles des nouveaux médias, en confiant au CSA de nouvelles responsabilités. Je ne citerai que les plus marquants : la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information impose aux plateformes de mettre en place des outils de signalement des fausses informations et confie au CSA de nouvelles prérogatives ; la loi du 24 juin 2020 vise, elle, à lutter contre les contenus haineux en ligne. Grâce aux initiatives des parlementaires, en particulier au sein de cette commission, le CSA est désormais doté de compétences pour lutter contre la haine en ligne et la manipulation de l’information sur les réseaux sociaux. Voilà qui constitue une première étape majeure et fondatrice. La loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne impose aux plateformes d’adopter des chartes, dont le contenu et l’effectivité seront supervisés par le CSA.

Ce mouvement se prolonge par la transformation progressive de la régulation du secteur audiovisuel, afin d’y inclure l’ensemble des médias. La création envisagée de l’ARCOM, issue de la fusion entre la Hadopi et le CSA, inscrite dans le projet de loi qui sera prochainement examiné par votre commission, a pour but de renforcer les pouvoirs du régulateur sur la sphère numérique. En effet, si vous décidez sa création, l’ARCOM exercera un contrôle sur la diffusion des programmes des médias traditionnels, mais aussi de ceux en ligne, et se verra confier des pouvoirs étendus à l’égard de tous les acteurs. Cela constituerait une importante avancée.

Par ailleurs, grâce à la transposition de la directive sur les services de médias audiovisuels, dite SMA, les plateformes étrangères de vidéos à la demande qui ciblent le public français vont désormais être intégrées à notre système de financement de la création. Le CSA est chargé d’assurer le contrôle effectif de ces nouvelles obligations, comme il le fait depuis longtemps pour les chaînes de télévision traditionnelles. Voilà une vraie bonne nouvelle, qui permettra notamment de protéger les auteurs et leurs ayants droit.

Les enjeux auxquels nous faisons face dépassent le cadre national. Alors que les acteurs médiatiques sont de taille mondiale, la France ne pourra sans doute pas se doter seule des moyens nécessaires pour assurer une régulation accrue. Je suis convaincue que c’est aussi au niveau européen que tout se jouera. Plusieurs textes sont actuellement en discussion à la Commission européenne. Il s’agit de textes structurants, qui devraient ouvrir la voie à une régulation plus complète des acteurs du numérique. Ils permettront d’exiger des plateformes plus de transparence, notamment sur leurs algorithmes, et contribueront à mettre fin à certaines dérives très préoccupantes, contre lesquelles nous ne pouvons nous résigner à l’impuissance. Ces textes prévoient aussi une coopération plus étroite entre régulateurs européens, indispensable pour mettre en commun nos méthodes et nos outils, et ainsi peser davantage face aux géants numériques.

Voilà, en quelques mots, les sujets aussi complexes que passionnants auxquels je souhaiterais consacrer mon expérience et mon énergie en tant que membre du CSA, si vous en décidez ainsi. J’ai conscience de la responsabilité qui serait la mienne, et de votre ambition concernant l’adaptation de notre réglementation au monde du numérique et le rôle citoyen des médias. Vous pouvez compter sur ma détermination et mon engagement plein et entier.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Nous sommes réunis pour nous prononcer sur la désignation de Mme Anne Grand d’Esnon comme membre du CSA, sur proposition du président de l’Assemblée nationale. Notre audition est la conséquence d’un événement malheureux, le décès brutal, le 4 mai dernier, de Mme Michèle Léridon, membre du CSA désignée en janvier 2019. Encore une fois, au nom de mon groupe, mais également au nom de tous les membres de notre commission, je tiens à saluer la mémoire de Mme Léridon.

Il nous revient de nous prononcer sur votre nomination, madame, comme le prévoit l’article 4 de la loi du 30 septembre 1986. Cette nomination obéit à une procédure particulière, distincte de celle prévue par l’article 13 de la Constitution. En effet, depuis 2013, les commissions chargées des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat exercent un pouvoir de contrôle sur la désignation par chaque président d’un nouveau membre du CSA. Cette nomination ne peut être confirmée que si les votes positifs, et non les votes négatifs, représentent au moins trois cinquièmes des voix dans chacune des commissions.

Votre parcours, madame Grand d’Esnon, ne laisse guère planer de doute sur votre connaissance du secteur de l’audiovisuel. Vous avez été secrétaire générale de La Chaîne parlementaire durant plusieurs années, avant de rejoindre en 2003 le groupe France Télévisions, dans différentes fonctions. Avant d’assumer la fonction de secrétaire générale de La Chaîne parlementaire, vous aviez déjà eu à connaître de notre institution parlementaire, puisque vous y avez exercé la fonction d’assistante parlementaire, au tout début de votre carrière.

Dans le cadre de vos premières fonctions au sein de France Télévisions, vous étiez chargée des relations avec le Parlement et le ministère de la culture, ainsi qu’avec le CSA. Pouvez-vous revenir sur cette expérience au sein du groupe de l’audiovisuel public ? Que vous a-t-elle apporté sur votre vision de la régulation du secteur audiovisuel ?

La loi de 1986 a attribué au CSA de nombreuses compétences. Il a notamment pour mission de veiller au respect des droits du public, à la protection des consommateurs, à la déontologie de l’information et des programmes, au pluralisme politique, à la poursuite de l’objectif de cohésion sociale ainsi qu’à la promotion de la diversité culturelle et de la production audiovisuelle française. Ces sujets vous sont particulièrement familiers, puisque vous occupez depuis 2014 le poste de directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes. Aussi, en quoi cette deuxième expérience au sein du groupe de l’audiovisuel public pourrait-elle être un atout dans vos nouvelles fonctions de membre du CSA ?

Quelles orientations souhaiteriez-vous donner à votre mandat ? Comment pourriez‑vous contribuer à assurer le respect du pluralisme politique, qui constitue un véritable défi, comme le montrent certaines déclarations récentes relatives au rôle grandissant des chaînes d’information et d’opinion, qui, étant assez nouvelles dans notre paysage médiatique, suscitent des interrogations quant au décompte du temps de parole, par exemple d’éditorialistes ?

J’en viens au projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, qui sera examiné par notre commission la semaine prochaine et qui prévoit la création de l’ARCOM, fruit de la fusion entre le CSA et la Hadopi. Ce super régulateur reprendra les compétences des deux autorités : lutte contre le piratage et régulation du secteur de l’audiovisuel et du numérique. Quels sont les principaux défis auxquels devra faire face cette nouvelle entité ? Comment voyez-vous le rôle du CSA avant sa transformation ? Quelle est votre vision de la régulation des plateformes numériques ? Les défis sont à la fois nationaux et européens, plusieurs textes étant en discussion au sein des institutions européennes. Les propositions de règlements dites Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) ont été présentées par la Commission européenne le 17 décembre dernier. Ils sont discutés entre les deux colégislateurs que sont le Parlement et le Conseil des ministres européens.

Mme Céline Calvez (LaREM). Je souhaite tout d’abord rendre un hommage appuyé à Michèle Léridon, qui nous a quittés il y a un mois. Nous avions auditionné cette journaliste engagée et travaillé avec elle. Elle a beaucoup fait pour l’information et pour la place des femmes en son sein.

Madame, vous êtes revenue sur vos liens avec l’Assemblée nationale. Au-delà de vos fonctions d’attachée parlementaire, vous avez contribué à l’édification de l’outil qui participe à une meilleure information sur nos activités parlementaires, à savoir La Chaîne parlementaire. Je vous en remercie. Voilà qui rend d’autant plus pertinent le fait que le président de l’Assemblée nationale propose votre nomination.

Au-delà de votre attachement à l’Assemblée nationale, vous avez aussi su montrer votre attachement à l’équilibre politique. Alors que des échéances électorales sont proches, vous avez évoqué l’équilibre des temps de parole. L’appréciation des temps de parole ne nécessite-t-elle pas des améliorations ?

De grands défis attendent le CSA et la future ARCOM. Grâce à notre action, des prérogatives telles que la lutte contre la manipulation des informations, la lutte contre les contenus haineux ou encore l’encadrement de l’expression des enfants sur les plateformes leur incombent.

Ma question portera sur la place des femmes dans les médias. L’année dernière, une mission sur leur place en temps de crise m’a été confiée par le Premier ministre. Parmi mes recommandations, certaines concernaient directement le CSA et visaient à renforcer la fréquence de la remontée, par les médias eux-mêmes, des données quantitatives et qualitatives sur la place des femmes sur les antennes ; d’autres portaient sur la capacité de contrôle du CSA, notamment sur le renforcement des pouvoirs d’enquête du Conseil. Comment pourrions-nous avancer, en mettant à profit la discussion du projet de loi qui créera la future ARCOM ?

M. Maxime Minot (LR). Je ne peux qu’imaginer la difficulté que constitue le fait de remplacer de manière si soudaine Mme Léridon, dont le professionnalisme a été salué et reconnu. À la tête du groupe de travail sur le pluralisme, la déontologie et la supervision des plateformes en ligne, elle occupait un poste clé au CSA. Cette tâche est importante et ardue, à un an des élections présidentielles. À l’automne prochain, le régulateur rendra une délibération sur la comptabilisation des temps de parole, qui prendra effet le 1er janvier 2022. Cette échéance va obliger le CSA à exiger la plus grande vigilance des chaînes de télévision, y compris à l’égard des chaînes du service public auquel vous appartenez. Quelles garanties pouvez-vous apporter alors que France Télévisions est souvent taxée de militantisme ? Je pense notamment à la polémique concernant le documentaire impliquant Mme d’Ornellas.

Mme Sophie Mette (MoDem). Vous êtes pressentie pour siéger au sein du CSA suite à la disparition de la regrettée Michèle Léridon. Nous saluons votre parcours. Vous êtes directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes de France Télévisions, après avoir longtemps été chargée des relations institutionnelles du groupe audiovisuel public. Avant cela, vous aviez décroché une maîtrise de droit privé et un diplôme de l’IEP de Paris. Vous avez aussi été décorée de la médaille de chevalier de l’Ordre national du mérite.

Le CSA va bientôt être métamorphosé. En décembre ou en janvier, si une majorité de députés s’expriment en faveur d’un tel changement, il devrait fusionner avec la Hadopi pour devenir l’ARCOM. En tant que rapporteure, aux côtés d’Aurore Bergé, du projet de loi qui doit entériner le futur du CSA, c’est bien sûr sur ces échéances que je voudrais vous entendre.

Nous avons suivi les échanges qui ont eu lieu au Sénat et mené de nombreuses auditions de représentants du secteur audiovisuel. Certains sujets ont émergé et j’aimerais avoir votre point de vue : un dispositif de transaction pénale a été introduit par le Sénat, visant non plus à pénaliser financièrement exclusivement les sites pirates, mais aussi les contrevenants. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, quelle est votre opinion sur les injonctions dynamiques, la sensibilisation aux dangers du piratage, et, plus largement, sur les prérogatives du futur régulateur ? Toutes vos précisions concernant l’ARCOM seront les bienvenues.

Mme Michèle Victory (Soc). Votre audition pour intégrer le collège du CSA a lieu dans une période particulièrement chargée pour ce dernier. Ses missions sont nombreuses et variées et l’institution va être exposée. Votre parcours personnel semble de nature à vous permettre de prendre avec intelligence la succession de Michèle Léridon.

L’élection présidentielle va se tenir dans moins d’un an et il vous reviendrait donc de mener la réflexion autour du décompte des temps de parole. Concernant les actuelles et futures missions du régulateur des contenus des plateformes en ligne, le CSA devra prendre toute sa part dans la lutte contre les contenus haineux et violents qui envahissent les réseaux sociaux. Enfin, à une semaine du début de l’examen par notre commission du projet de loi entérinant la fusion entre le CSA et la Hadopi pour créer une nouvelle autorité, et après l’annonce du projet de fusion entre TF1 et M6, le Conseil ne manque pas de missions et de chantiers.

Concernant plus précisément le projet de fusion engagé par les deux groupes audiovisuels, de nombreuses questions émergent, par exemple sur le rôle du CSA dans le contrôle de cette opération de grande envergure, opération qui va sans aucun doute bouleverser le paysage de la télévision française. Cette fusion risque d’instaurer un quasi‑monopole sur le secteur de la publicité – à hauteur de 70 % – et pourrait placer le groupe, qui ne possède pas moins de dix chaînes, dans une situation de monopole médiatique et culturel tout à fait inédit. L’argument selon lequel il est nécessaire de développer une entité capable de concurrencer les géants du numérique est certes légitime, mais on ne peut ignorer le respect strict de la législation anti-concentration. Pensez-vous que cette dernière soit adaptée aux enjeux de notre époque et qu’elle réponde à l’exigence de pluralité du paysage audiovisuel ?

M. Pierre-Yves Bournazel (Agir Ens). J’ai moi aussi une pensée pour Mme Léridon, alors que nous nous réunissons pour vous entendre, madame, sur son remplacement. Je vous remercie de votre présence, ainsi que de vos propos introductifs. Votre parcours montre votre compétence en matière de déontologie et de pluralisme.

Le respect d’un pluralisme des opinions et une bonne circulation des idées au sein des médias sont un enjeu majeur dans une démocratie qui se veut apaisée et tournée vers l’avenir. L’une des missions du CSA est de veiller au bon respect de l’expression pluraliste des courants de pensée d’opinion à la télévision et à la radio, en particulier dans les émissions d’information politique et générale. Il s’agit d’une mission difficile, et ô combien complexe. Les chaînes d’information en continu ont un poids croissant et nous constatons la multiplication des canaux, ainsi que des changements importants, ces dernières années, dans le traitement de l’information.

Vous avez évoqué le développement des chaînes d’opinion et ses conséquences sur le pluralisme. Vous connaissez parfaitement le sujet. Je souhaitais recueillir votre avis sur les évolutions envisageables, afin de continuer à assurer une pluralité politique au sein des médias et de faire en sorte que les débats auxquels nos concitoyens assistent, par exemple à la télévision, respectent la déontologie électorale et assurent le pluralisme essentiel à une démocratie.

M. Stéphane Testé. Nous assistons, ces dernières années, au glissement progressif des horaires de diffusion des programmes de première partie de soirée. En effet, ces programmes débutent de plus en plus tard : ils débutaient à vingt heures quarante-cinq à la fin des années quatre-vingt-dix, et il n’est pas rare qu’ils débutent désormais à vingt et une heures quinze sur de nombreuses chaînes publiques de télévision. Ce glissement mécontente de nombreux téléspectateurs, notamment les familles et les personnes âgées. Quelle solution préconisez-vous afin que les chaînes de télévision débutent leur programme de première partie de soirée avant vingt et une heures ? Une concertation large est-elle envisageable ?

M. Jean-Jacques Gaultier. Madame, vous arrivez à un moment particulier pour le CSA. Sa très probable transformation en ARCOM est un tournant. Faut-il que l’ARCOM en reste à sept membres, à l’image de l’actuel CSA, ou ce nombre doit-il augmenter ?

La question sur la transaction pénale vous a été posée par Mme Sophie Mette, je n’y reviens pas. Cependant, les membres du CSA doivent se poser la question de l’utilité et de la pertinence de cette mesure, qui ne fait pas l’unanimité, y compris, d’ailleurs, au sein du CSA.

Quel est votre avis sur les dispositifs anti-concentration, à la fois pour les radios et les chaînes de télévision, notamment locales ?

Enfin, le CSA étant doté d’un pouvoir de contrôle, et de sanctions éventuelles, quel est votre point de vue sur les cas de manquement aux obligations de production de la part des éditeurs ? À quelle échelle situez-vous la sanction ? S’agit-il d’un plafond par rapport au montant des obligations ou par rapport au montant du manquement ?

Mme Géraldine Bannier. Lors de précédentes auditions de membres de CSA, notamment celle de Michèle Léridon dont je salue la mémoire, j’avais souligné le problème de l’équité en matière de représentation politique, d’égalité entre les femmes et les hommes
– nous connaissons bien le sujet grâce aux travaux de Mme Calvez – mais aussi de représentation des territoires.

De fait, pour des raisons purement pratiques, il est plus fréquent de voir sur les plateaux de télévision des élus de la capitale que des élus de province, notamment du vendredi au dimanche. Nous pouvons aussi nous interroger sur la plus grande difficulté d’élus de territoires moins denses à être vus et entendus. Il est clair qu’ils ne peuvent pas faire le poids en matière d’audimat, à part, peut-être, sur LCP. Le citoyen lambda me dit souvent : « On voit toujours les mêmes ! » Voilà qui n’aide guère à redorer ou à renouveler l’image de la sphère politique. Qu’en pensez-vous ? Quelles recommandations le CSA pourrait-il faire, s’il aboutissait au même constat, à quelques encablures d’une période électorale intense ?

M. Stéphane Claireaux. Dès l’annonce de la fin de France Ô, plusieurs députés ultramarins – mais pas seulement – se sont mobilisés afin de préserver la visibilité des Ultramarins sur les chaînes du service public. Un pacte pour la visibilité des outre-mer a finalement été signé entre France Télévisions, le ministère de la culture et celui des outre-mer. Comment poursuivre le travail entamé par le CSA relatif à la diversité et à la visibilité ultramarines dans les médias audiovisuels ?

Nos voisins francophones, suisses et belges, possèdent un conseil déontologique de la presse et des médias. Ils occupent respectivement, en 2021, la dixième et la onzième places de l’index de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse, alors que la France n’occupe que le trente-quatrième rang. Vous êtes depuis 2014 directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes à France Télévisions. Que pensez-vous de la création d’un conseil déontologique de la presse et des médias en France ? Un tel conseil serait-il concurrent du CSA, et inutile, ou au contraire complémentaire et bienvenu ?

Mme Anne Grand d’Esnon. À l’époque où j’étais directrice des relations institutionnelles de France Télévisions, j’étais en lien permanent avec le Parlement et je m’étais rendu compte à quel point la télévision appartient à tout le monde. Il est donc important que le téléspectateur puisse s’y retrouver. Le nombre d’amendements déposés sur chaque projet de loi était colossal et balayait tous les sujets. Nous avions de longs débats sur les contenus – il fallait que les émissions abordent toutes les thématiques.

S’agissant de la suppression de la publicité en soirée, pilotée par la commission Copé sur l’audiovisuel public, nous avions réussi à maintenir le parrainage, sauvegardant ainsi le financement de France Télévisions. Pour les télévisions privées, la publicité était passée de six à neuf minutes par heure, avec la possibilité d’une seconde coupure publicitaire. Ces débats étaient passionnants – on parlait assez peu des plateformes à l’époque.

Le respect du pluralisme est une garantie pour la démocratie. Chacun doit pouvoir être représenté à l’antenne. Les médias me semblent responsables. Comme média de service public, France Télévisions fait face à une responsabilité particulière, d’autant plus que le groupe propose un grand nombre d’émissions politiques en dehors des campagnes.

La question est très sensible, notamment durant les périodes électorales, ce qui montre que la télévision a encore un certain poids. La période hors élections est également complexe à gérer, à cause de l’éclatement du paysage politique. Le CSA a dû modifier sa délibération, qui était autrefois plus facile à suivre. Nous sommes d’abord passés du système des trois tiers à celui des quatre quarts, pour prendre en compte les partis non représentés. Hors élections, c’est désormais le système du « un tiers, deux tiers » qui prévaut : un tiers du temps doit être réservé à l’exécutif, et les deux autres tiers aux partis politiques – mais qu’est‑ce qu’un parti politique ? De nombreux critères sont pris en compte, comme les résultats aux élections, les sondages, la dynamique de campagne, le nombre d’élus ou les groupes politiques. Cette multiplicité des critères, si elle autorise une certaine liberté, peut faire l’objet de polémiques, notamment si l’on ne s’empare que d’un critère.

Hors élections, quand une personnalité politique évoque des sujets non électoraux, son temps de parole est comptabilisé d’une certaine façon. Pendant les périodes électorales, le décompte est différent. Un double décompte s’impose donc. Il est légitime que de nombreux débats soient organisés pour que les électeurs puissent connaître les aspirations et les programmes des personnalités politiques. Mais dès qu’un homme politique parle, son temps de parole est comptabilisé.

Concernant la représentation en période électorale, une loi votée avant la dernière élection présidentielle a prévu de prendre en compte les conditions horaires de programmation, une émission tôt le matin et une autre, tard le soir, ne rencontrant pas la même audience. Le CSA a donc fixé des tranches horaires pour la présentation des programmes lors de la dernière élection présidentielle – je rappelle que, durant les quinze derniers jours de la campagne, l’égalité stricte des temps de parole s’impose. Ces dispositions ont été assez difficiles à appliquer pour les médias – le CSA en a convenu a posteriori – mais, de par ma fonction à France Télévisions, j’y ai toujours été attentive. Ainsi, certaines grandes émissions politiques débutant à vingt et une heures basculaient dans une autre tranche horaire à partir de vingt‑deux heures trente.

Comptabiliser les déclarations des éditorialistes contreviendrait à la liberté éditoriale des médias. Or la mission première du CSA est de garantir la liberté d’expression et cette liberté éditoriale. Il faut revenir aux principes du pluralisme et du décompte des temps de parole. La loi de 1986 dispose que le CSA assure le respect des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, et que ces derniers transmettent les données relatives au temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux, les magazines et les programmes, données qu’ils communiquent également aux présidents des assemblées et aux responsables des différents partis politiques représentés. Qu’est-ce qu’une personnalité politique ? Pour le CSA, il s’agit d’une personnalité qui appartient à un parti ou qui indique qu’elle va en créer un, qui exerce un mandat ou qui a un passé d’élu et qui participe à un débat politique. Par exemple, Arnaud Montebourg verra son temps de parole comptabilisé, tout comme Ségolène Royal. Certaines personnalités politiques, qui quittent le débat politique et le font savoir, ne sont plus comptabilisées, mais elles peuvent être réintégrées dans le système de comptage par le CSA, qui décide au cas par cas. Le référentiel compte plus de 1 500 personnalités !

Hors période électorale, j’ai déjà évoqué le système du « un tiers deux tiers ». En période électorale, une règle pourrait toutefois s’appliquer aux journalistes et aux éditorialistes : celle de la prise en compte des propos correspondant à un soutien d’un candidat. Si ces personnalités soutiennent un candidat, leur temps de parole pourrait ainsi être comptabilisé. Mais, dans ce cas, peuvent-elles rester à l’antenne ? La délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale est claire : si un journaliste se déclare candidat, il ne peut rester à l’antenne et n’est autorisé à réaliser des reportages que sur des sujets non politiques pendant la durant de la campagne officielle. C’est une disposition importante. Le CSA reste le garant de la liberté d’expression et de la liberté éditoriale, grâce aux règles qu’il impose.

Concernant la place des femmes dans les médias, le Parlement a joué un rôle essentiel. À la suite de l’adoption de la loi du 4 août 2014 précitée, les femmes sont davantage apparues à l’antenne. Auparavant, le CSA avait mis en place un baromètre de la diversité, données chiffrées sur la représentation de la société française. Malgré un aspect très quantitatif, ce baromètre a constitué un premier pas. À la suite de la loi de 2014, la délibération du 4 février 2015 relative au respect des droits des femmes dans les médias audiovisuels nationaux a imposé la transmission de données par type de programme et type d’exposition – chroniqueuses, journalistes, invitées politiques, etc. D’ailleurs, depuis 2017, les invitées politiques sont plus nombreuses, ce qui est probablement lié à la composition de la représentation nationale.

L’évolution des stéréotypes est fondamentale : de quelle manière les femmes sont‑elles représentées dans les fictions, les programmes jeunesse ou la téléréalité ? La qualification des expertes est également importante. Madame Calvez, votre rapport a joué un rôle moteur, rappelant que les femmes expertes doivent aussi être présentes lors des débats sur des sujets régaliens. Au moment de la crise sanitaire, un grand nombre d’épidémiologistes hommes sont intervenus dans les médias. Ce défaut doit être corrigé.

Il est très important de pointer du doigt les difficultés et de trouver des solutions : publications, rapports et comparaisons entre médias, voilà qui peut faire progresser la société. Vous, législateurs, menez le combat. Ensuite, le CSA applique vos décisions. En publiant des rapports, en rassemblant des données, le CSA permet à la société de prendre conscience de la réalité de la situation. Le téléspectateur doit se reconnaître dans la télévision, publique ou privée, miroir de la société. Depuis quelques années, le CSA a beaucoup œuvré auprès des médias, en mettant notamment en avant les progrès des uns et en lumière les manques des autres. Les médias diffusent aussi de nombreuses campagnes, comme celle sur les violences faites aux femmes. Si l’amélioration est sensible, nous devons cependant aller plus loin.

Concernant l’évolution de la pluralité politique au sein des médias, de nombreux partis sont représentés sur les antennes, mais c’est surtout la fréquence et de la régularité de l’apparition des personnalités politiques issues de ces partis qu’il faut gérer. Ainsi, lors de la crise sanitaire, les membres du Gouvernement, notamment le Premier ministre et le ministre de la santé, étaient très exposés, ce qui a considérablement augmenté le temps de parole du Gouvernement. Nous avons donc essayé de faire au mieux. Toutefois, dans sa délibération, le CSA avait prévu des circonstances exceptionnelles, ce qui souligne sa démarche de dialogue avec les médias et les éditeurs puisqu’il a appliqué ces dispositions particulières.

Le CSA et l’Autorité de la concurrence auront leur mot à dire sur la fusion entre TF1 et M6. Le premier interviendra sur le nombre de canaux TNT, qui doit passer de dix à sept, et sur la pluralité de l’information, car ces chaînes en produisent. Nous sommes au tout début du processus. Le projet vise à faire face aux géants du numérique, dans un contexte bouleversé. Il est difficile de faire des projections, mais cette fusion va probablement créer des problèmes de concentration dans le domaine de la publicité, de l’information et des difficultés en matière de pluralisme et de concurrence.

Le pacte pour la visibilité des outre-mer, issu de la disparition de France Ô, me semble très intéressant et bien pris en compte sur les différentes antennes du service public. Cela me semble d’ailleurs préférable à une unique chaîne, centrée sur les problématiques de l’outre-mer. Il serait pertinent que ce débat dépasse les seules chaînes du service public.

Il en va de même pour la représentation des territoires et des élus de province. Cependant, pour une fois, je défends la maison ! France 3 Régions va organiser environ cent trente débats pour les élections départementales et régionales. Même si nous ne devons pas simplement profiter de l’occasion que représentent les élections, elles permettent la tenue de débats locaux. En outre, France 3 et France Bleu proposent des émissions conjointes à huit heures trente le matin et la diffusion de France 3 Régions est allongée le soir. Lors de la crise sanitaire, les téléspectateurs ont plaidé pour un plus grand ancrage local de leurs informations et les médias doivent apprendre à se délocaliser.

Le baromètre sur la diversité intègre d’ailleurs un critère géographique. Cependant, montrer de beaux paysages ne suffit pas et des acteurs locaux doivent aussi s’exprimer à l’antenne de leur territoire ou de leur région. Les élections régionales et départementales vont nous y aider.

La loi du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique, dispose que les médias de service public doivent diffuser des modules d’éducation civique afin d’expliquer ce que sont ces élections régionales et départementales. Il ne s’agit pas d’une incitation au vote, mais d’une présentation de l’utilité du vote. Il me semble intéressant de multiplier de telles initiatives.

Vous m’avez interrogée sur le début tardif des émissions du soir. Lors des débats sur la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, la suppression de la publicité après vingt heures sur les antennes du service public laissait espérer des programmes moins dépendants de l’audience, plus qualitatifs et moins tardifs. Il y a eu une petite dérive mais comme les médias restent concurrents et que ces programmes de première partie de soirée sont un carrefour d’audience, cela n’aide pas… Le CSA rappelle les médias à l’ordre et des concertations ont eu lieu. Il est effectivement important que la première partie de soirée ne démarre pas trop tard. Pourtant, avec la campagne présidentielle à venir, les émissions risquent de dépasser minuit !

Il m’est difficile de me prononcer sur le nombre de membres qui pourraient composer le collège de l’ARCOM. C’est vous, élus, qui allez le décider et je ne me permettrai pas de le faire à votre place, par respect du législateur. Dans tous les cas, il faudra que les membres soient complémentaires, tout comme les expertises.

Il est important que l’ARCOM puisse lutter contre le piratage afin de protéger les auteurs, les ayants droit ou l’équilibre économique des manifestations sportives. Cela participe d’un exercice sain de la citoyenneté et de la concorde entre citoyens. Même si je suis une technicienne du pluralisme et de la déontologie, et que cela me prend beaucoup de temps, en tant que citoyenne, j’estime qu’un tel transfert de prérogatives est très positif. Le législateur accompagne d’ailleurs ce mouvement depuis des années.

La transaction pénale permettrait d’aller plus vite qu’une décision judiciaire, si j’ai bien compris. Je ne suis ni pour ni contre. Le législateur décidera. En tant qu’ancienne assistante parlementaire, j’estime que c’est vous, élus, qui avez les moyens de prendre les bonnes décisions. Le législateur légifère, le CSA applique. De leur côté, les chaînes appliquent les lois, ainsi que les délibérations et décisions du CSA.

M. Stéphane Claireaux. Qu’en est-il d’un conseil déontologique de la presse ?

Mme Anne Grand d’Esnon. Plusieurs dispositifs existent. La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite loi Bloche – du nom d’un ancien président de cette commission – a abouti à la création de comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes au sein des médias disposant de chaînes d’information. Ces comités donnent des avis mais n’ont pas de pouvoir de sanction. Ils fonctionnent bien. Dans l’affaire de la diffusion des propos d’un éditorialiste de CNews, le comité avait ainsi proposé que l’émission soit diffusée en différé.

En outre, tous les médias disposent de commissions internes traitant de la déontologie des journalistes. Les structures existent, donnant une résonance croissante aux questions éthiques, mais se pose la question des pouvoirs qui leur sont conférés, qui ne peuvent faire doublon avec des instances déjà en place.

M. le président Bruno Studer. Madame, je vous remercie.

*


La commission procède ensuite au vote à bulletins secrets sur cette désignation en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

 

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, voici le résultat du scrutin :

– nombre de votants : 22

– nombre de suffrages exprimés : 21

– pour : 21

– contre : 0

 

La commission donne en conséquence un avis favorable à la désignation de Mme Anne Grand d’Esnon aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

 

 

La séance est levée à dix-huit heures trente.

 

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