Compte rendu
Commission d’enquête sur l’évaluation
des politiques publiques
de santé environnementale
– Audition, ouverte à la presse, de M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et de M. Clément Lenoble, chargé de mission auprès du directeur général 2
Mercredi
7 octobre 2020
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 15
session ordinaire de 2020-2021
Présidence de
Mme Élisabeth Toutut-Picard,
présidente
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L’audition débute à quatorze heures.
Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous recevons M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et M. Clément Lenoble, chargé de mission auprès du directeur général.
L’Ineris est placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique. Il est connu pour son rôle dans la prévention des risques liés directement aux activités économiques pour la santé des personnes et l’environnement. Vous apportez votre expertise notamment aux pouvoirs publics pour la maîtrise des risques technologiques aussi bien dans la durée qu’en cas d’urgence ou de crise.
Notre commission d’enquête s’intéresse à l’Ineris en suivant plusieurs approches. La première est une approche institutionnelle pour comprendre le rôle de l’Ineris et sa spécificité par rapport aux autres agences comme l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). La deuxième est une approche opérationnelle qui s’intéresse à votre intervention comme partenaire de la mise en œuvre d’actions du PNSE ou à votre appréciation de la question des données de santé environnementale et de leur interopérabilité. La dernière approche à laquelle nous nous intéressons concerne le rôle de vigie de l’Ineris, par exemple, dans la question des risques chroniques et des risques associés aux substances d’intérêt émergent.
(M. Raymond Cointe prête serment.)
M. Raymond Cointe, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). L’Ineris est relativement récent : il a été créé voici trente ans, en 1990, mais nous sommes porteurs d’une expertise plus ancienne dans le domaine des risques technologiques puisque nous sommes les héritiers du Centre d’étude et de recherche des charbonnages de France (CERCHAR). Son histoire a été très fortement marquée par la catastrophe de Courrières qui a fait plus de mille victimes en 1906. C’est la plus importante catastrophe minière de l’histoire en Europe.
Comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, tout en ayant un passé industriel, l’Ineris est aujourd’hui sous la tutelle unique du ministère chargé de l’environnement. Nos missions ont été fixées au moment de notre création en 1990 : contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens ainsi que sur l’environnement.
Ce sont ces trois dimensions qui conduisent notre travail d’évaluation des risques dans un contexte où il n’est pas toujours possible de réduire les risques dans chacune de ces trois dimensions. Par exemple, la suppression pour lutter contre le changement climatique des gaz fluorés utilisés en climatisation réduit certes le risque pour l’environnement mais, comme ils sont remplacés par des gaz inflammables, il apparaît un risque pour la sécurité qu’il convient d’évaluer. Inversement, les retardateurs de flamme bromés utilisés dans certains produits améliorent leur résistance face à l’incendie mais peuvent créer un risque pour la santé. Enfin, en imposant comme aujourd’hui très largement le port du masque pour lutter contre l’épidémie, nous pouvons créer un problème pour l’environnement.
De ce point de vue, il n’est pas inutile de revenir sur la formulation « santé-environnement » qui peut être ambiguë sans préciser s’il s’agit « de santé puis d’environnement » ou « de santé ou d’environnement ». La commission d’enquête s’intéresse à la santé environnementale qui est plus clairement définie puisqu’il s’agit de l’impact de l’environnement sur la santé. Toutefois, il faut aussi bien s’assurer que les questions de toxicité aiguë et immédiate pour les populations sont bien prises en compte en cas d’accident, ce qui fait partie des rôles de l’Ineris.
Cette vision globale de la santé, de la sécurité et de l’environnement fait la spécificité de l’Ineris. De notre point de vue, il est important de ne pas créer de frontière entre ces trois domaines. Il y a exactement un an, nous étions très fortement mobilisés autour de l’incendie de Lubrizol. Nous avons été amenés à traiter quasiment en même temps les sujets de sécurité, de risque accidentel dans les premières heures de l’incendie, les sujets sanitaires dans le suivi post-accidentel puis – même si nous aurions pu nous y intéresser plus – les sujets proprement environnementaux.
L’Ineris est un opérateur de recherche et d’expertise. Nous avons développé une importante capacité d’expertise propre, alimentée par nos travaux de recherche parfois très anciens puisque certains ont été initiés en 1906 après la catastrophe de Courrières. Cette capacité d’expertise et de recherche est mise à la disposition des pouvoirs publics, du Gouvernement, mais aussi des agences sanitaires. Nous avons des relations avec l’ANSES et Santé publique France mais aussi avec des organes consultatifs dans le domaine sanitaire, notamment le Haut conseil de santé publique.
Nous avons un passé industriel et notre mission est donc aussi d’appuyer les entreprises pour la gestion de leurs risques. Nos relations avec elles sont évidemment encadrées par des règles déontologiques strictes depuis vingt ans.
Nous sommes très présents au niveau européen, notamment dans le domaine de la recherche. Nous sommes fiers que l’Ineris ait été en 2018 classé troisième organisme financé dans le cadre du programme européen Horizon 2020, après un organisme britannique et un organisme suédois.
Cette forte présence au niveau européen contribue à notre mission de veille sur les risques émergents. Nous avons notamment créé en 2006 en partenariat avec des collègues allemands le réseau Network of reference laboratories, research centers and related organisations for monitoring of emerging environmental substances (NORMAN) qui vise à rendre plus efficace au niveau européen le partage d’informations sur les substances d’intérêt émergent, à faciliter l’harmonisation des nouveaux outils pour surveiller ces substances et améliorer la qualité des données.
Notre rôle est uniquement un rôle d’expertise et de recherche. Nous n’avons pas de rôle de gestion des risques même si nous avons une activité très opérationnelle d’appui aux pouvoirs publics en situation d’urgence. Nous avons un dispositif d’astreinte opérationnel 24 heures sur 24. Nous avons ainsi été sollicités par les services de la préfecture dès les premières heures lors de l’incendie de Lubrizol.
Nous avons également développé une compétence dans le domaine de l’analyse socioéconomique pour ne pas limiter notre expertise à la seule évaluation des risques au sens strict. Nous avons coorganisé en 2017 le congrès de la Société francophone de santé et environnement (SFSE) sur l’évaluation socioéconomique dans le domaine de la santé et de l’environnement.
En termes de budget, nos recettes sont de l’ordre de 65 millions d’euros par an. Une grosse moitié de ces recettes provient de notre activité d’expertise pour le compte des pouvoirs publics, un quart environ de notre activité de conseil aux entreprises et 20 % de notre activité de recherche. 40 % de notre budget est consacré à ce que nous appelons le risque chronique, c’est-à-dire aux risques à long terme pour la santé et l’environnement.
Nous sommes en phase active de préparation de notre prochain contrat d’objectifs et de performance avec notre tutelle pour la période 2021-2025, dans un contexte assez contraint au moins en ce qui concerne les effectifs. Comme la plupart des opérateurs du ministère de la transition écologique, nos effectifs diminuent de 2 % par an environ depuis 2013. Nous focalisons donc nos activités sur les sujets que nous identifions comme prioritaires. Nous avons regroupé ces sujets autour de trois grandes thématiques.
La première est la maîtrise des risques liés à la transition énergétique et au développement de l’économie circulaire. Il s’agit essentiellement d’actions liées à la sécurité, par exemple aux risques d’explosion de l’hydrogène ou aux batteries. Deux sujets méritent d’être notés en ce qui concerne le volet sanitaire :
– les questions d’après-mine, c’est-à-dire les risques pour la santé liés aux anciennes exploitations minières alors qu’initialement, nous ne nous étions guère intéressés qu’aux risques d’effondrement ;
– la dangerosité des substances présentes dans les produits, en particulier lors de leur réutilisation ou leur recyclage.
La deuxième grande thématique concerne la maîtrise des risques au niveau territorial, qu’il s’agisse d’un site industriel ou d’un territoire. Les différents volets de notre action sont la métrologie des pollutions, l’expertise sur les droits de transfert et d’exposition des produits chimiques ainsi que l’évaluation des risques en s’appuyant sur des valeurs de référence, notamment celles définies par l’ANSES.
C’est bien sûr à l’ANSES qu’il appartient d’établir les valeurs toxicologiques de référence au niveau national et nous nous occupons de leur application sur le terrain, du développement de méthodologies et de recommandations pour procéder à l’évaluation des risques sur la base de ces valeurs de référence. Nous développons des boîtes à outils mises à la disposition de tous et, le cas échéant, nous intervenons sur certains sujets spécifiques. Toutefois, l’Ineris n’a pas d’implantation dans les territoires et notre action est donc limitée à une action de formation des intervenants et à une intervention sur quelques dossiers particulièrement sensibles ou emblématiques.
La troisième thématique est la connaissance des dangers des substances chimiques et de leur impact sur la santé et la biodiversité. Nous avons des partenariats forts, notamment en ce qui concerne la qualité des milieux, puisque nous animons le laboratoire central de la qualité de l’air et le laboratoire national de référence pour la surveillance des milieux aquatiques, AQUAREF.
Nous avons des installations d’essais, uniques en France et pour certaines en Europe, qui nous permettent de conduire des recherches en matière d’écotoxicologie et de toxicologie, ainsi que des partenariats de recherche avec deux unités mixtes de recherche.
Je précise pour être tout à fait complet que nous ne travaillons pas sur le risque biologique. S’agissant des agents physiques, nous ne travaillons que sur les champs électromagnétiques, avec également des installations d’essais uniques en France et en Europe pour évaluer l’impact des ondes sur l’homme et sur les animaux.
Enfin, même si le paysage des données environnementales reste aujourd’hui encore morcelé, nous jouons un rôle assez important en la matière. Nous gérons la base nationale sur la qualité de l’air, GEOD’AIR ainsi que la base consacrée aux émissions industrielles, IREP. Nous utilisons bien sûr les données produites par les autres opérateurs ou nos travaux d’évaluation des risques. Nous avons, à ce titre, produit pour les besoins du PNSE4 l’inventaire des bases de données environnementales et spatialisées qui existent aujourd’hui.
Il est clair que des progrès restent à faire, ne serait-ce que pour l’interopérabilité de ces bases. Nous l’avons vécu très concrètement sur un sujet assez ponctuel mais qui illustre bien le problème, lors de l’incendie de Lubrizol : Santé publique France nous a demandé de rassembler l’ensemble des données produites dans une même base pour pouvoir l’utiliser et la cartographier. Le travail vient d’être terminé mais nous avons bien vu qu’il reste des progrès à faire pour utiliser toutes ces données, surtout si nous souhaitons le faire en temps réel.
Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Quelles propositions pourriez-vous faire à la commission pour améliorer les politiques publiques en matière de santé environnementale ? Comment l’Ineris pourrait-il participer à cette amélioration éventuelle des collaborations entre services, agences et à la mise en commun des données ?
M. Raymond Cointe. Il m’est difficile de répondre d’un point de vue général. Du point de vue de l’Ineris, nous regardons surtout comment nous articuler au mieux avec l’ensemble des opérateurs qui interviennent, notamment dans le domaine santé-environnement.
Nous sommes dans un contexte assez contraint en matière d’effectifs, peut-être de façon particulièrement importante dans le cas de l’Ineris du fait que nous sommes sous la tutelle du ministère de l’environnement. Nous sommes obligés de faire des choix dans nos domaines prioritaires d’intervention. Encore plus que d’habitude, nous sommes amenés dans ces choix à éviter la redondance avec les autres opérateurs et à développer autant que possible les partenariats. La question de la redondance ou de la clarification du positionnement de certains opérateurs aurait pu se poser dans le passé mais, dans le domaine de la santé environnementale, c’est de moins en moins le cas.
Notre souci est de maintenir notre vision globale. L’expérience récente de l’incendie de Lubrizol nous montre bien l’importance de traiter en parallèle les questions de risque accidentel et de risque chronique. Dans le cas de Lubrizol, nous avons pu nous articuler de manière très fluide avec l’ANSES. L’ANSES et l’Ineris ont été saisis conjointement sur le volet post-accidentel, dans les premiers jours après l’incendie. La valeur ajoutée évidente de l’Ineris est l’évaluation de la situation liée à l’incendie, ce que nous appelons dans le jargon technique le « terme source », c’est-à-dire l’identification des polluants libérés lors des premières campagnes d’analyses et de mesures dans le domaine de la santé environnementale. L’ANSES a de son côté la compétence dans le domaine alimentaire et nous avons travaillé ensemble pour fournir les premières évaluations du risque.
Une autre de nos principales préoccupations est celle de la donnée dans le domaine santé-environnement, particulièrement des données environnementales. Nous avons un certain nombre de bases de données que nous opérons nous-mêmes tandis que d’autres sont opérées par d’autres opérateurs. Le plus raisonnable à moyen terme serait de s’assurer de l’interopérabilité de l’ensemble de ces bases de données pour bénéficier d’une vision globale en temps réel dans le cas de situations accidentelles, en temps raisonnable pour les autres sujets. Ces données seront de plus en plus indispensables pour les travaux des uns et des autres en matière d’évaluation des risques.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. J’aimerais savoir comment vous avez évalué la participation de votre institut à la mise en œuvre du PNSE3 et connaître les actions dont vous êtes partenaire. Ces actions ont-elles atteint leurs objectifs ?
M. Raymond Cointe. Nous avons été assez fortement impliqués dans le PNSE3. Tout le monde connaissant les rapports d’inspection sur ce PNSE3, je ne parlerai pas de la gouvernance de ce plan mais je cite quelques avancées sur lesquelles l’Ineris est intervenu.
Nous avons travaillé dans le domaine des perturbateurs endocriniens à la mise en place de la plateforme public-privé sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les perturbateurs endocriniens (PEPPER). Cette plateforme vise à mettre en place des méthodes permettant de déterminer si une substance est ou non un perturbateur endocrinien. Nous avons travaillé en lien avec les fédérations professionnelles et un certain nombre d’autres acteurs. Nous avons obtenu des financements de la banque publique d’investissement (BPI). La plateforme créée est une structure indépendante de l’Ineris car elle a vocation à avoir un pilotage public-privé. Mise en place au début de cette année, elle commence maintenant à développer son programme de travail pour faire en sorte que la validation des méthodes permettant de déterminer si telle ou telle substance est ou non un perturbateur endocrinien aille plus vite.
Dans un contexte public-privé également, nous avons travaillé à un guide sur la substitution pour expliquer les démarches à suivre pour substituer des substances ou des méthodes alternatives à des substances ou des produits dangereux. Ce travail a été fait dans un groupe de travail du groupe santé-environnement (GSE) en lien avec les entreprises concernées.
Nous avons mené des approches de travaux de recherche sur des sujets liés à l’exposome pour une meilleure intégration des relations entre les données que nous avons en matière de pollution et les impacts sur l’homme. Nous avons mobilisé l’ensemble de nos équipes, aussi bien celles chargées de l’évaluation des risques et de la cartographie des pollutions que celles qui travaillent sur la toxicologie. C’est un programme exploratoire qui est, je pense, assez prometteur pour faire des évaluations de l’exposome sur un certain nombre de cas concrets. Nous l’avons déjà fait pour le plomb et pour les pesticides, à partir des données existantes sur les ventes de pesticides notamment.
Nous avons également conduit, avec l’ANSES et les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, la campagne exploratoire de mesure des pesticides dont les résultats ont été récemment publiés. Elle a permis de valider les méthodes pour faire ces mesures de pesticides. C’est l’ANSES qui a été chargée du volet de l’évaluation des risques. Cette campagne évalue la pollution de fond par les pesticides et non la pollution à proximité des sites affectés.
Nous sommes aussi présents en matière de labellisation et de certification, pas tellement dans le domaine santé-environnement mais plutôt dans d’autres domaines. À la demande de notre ministère de tutelle et plus précisément de Ségolène Royal, nous avons mis en place une certification pour les tickets de caisse sans bisphénol qui vous permet de voir apparaître le logo de l’Ineris sur quelques tickets de caisse lors de vos achats. Cela peut sembler anecdotique mais c’est techniquement assez compliqué puisque la marque Ineris doit apporter la garantie qu’aucun bisphénol n’est ajouté au ticket lors de la fabrication.
Nous avons piloté le projet européen NanoReg2 dans le domaine des nanomatériaux. Il vise à harmoniser les méthodes de caractérisation des nanomatériaux et d’étude de leur toxicité.
Même si cela fait liste à la Prévert, ce qui est d’ailleurs un peu le problème du PNSE3, ce sont des jalons qui ont été posés lors de la période couverte par celui-ci.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. À combien évaluez-vous l’enveloppe budgétaire consacrée par votre institut à la mise en œuvre du PNSE3 ? Certains effectifs travaillent-ils exclusivement à ces questions ?
M. Raymond Cointe. Non, personne ne se consacre spécifiquement au PNSE3 ni même véritablement au sujet de la santé environnementale. Dans le cadre de notre prochain contrat d’objectifs et de performance, nous réfléchissons à une évolution de notre organisation mais l’Ineris est actuellement organisé en trois directions thématiques :
– une direction des risques sol et sous-sol qui s’intéresse peu aux sujets de santé environnementale ;
– une direction des risques accidentels qui couvre les sujets de sécurité aux premières heures d’un accident et peut être impliquée dans des sujets de santé environnementale, notamment lorsque nous réfléchissons aux valeurs de toxicité aiguë utilisées pendant les accidents ;
– une direction des risques chroniques qui traite pour l’essentiel des sujets de santé environnementale, encore que cette direction s’intéresse aussi bien aux effets sur la santé qu’aux effets sur l’environnement. Nous avons des équipes de recherche en toxicologie mais aussi en écotoxicologie. Il est parfois difficile de séparer ce qui relève de la biodiversité de ce qui relève de la santé.
Nous consacrons environ 40 % de notre budget à des sujets liés à la santé environnementale. Il faudrait rentrer dans les détails de notre comptabilité analytique pour affiner.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. Au niveau territorial, quelle est l’implication de votre institut dans les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ?
M. Raymond Cointe. L’Ineris n’a quasiment plus d’implantation territoriale. Notre siège est situé dans l’Oise, à Verneuil-en-Halatte. C’est le siège historique du CERCHAR. L’Ineris se trouve en bordure de l’Ile-de-France, un peu éloigné de l’agglomération parisienne compte tenu du fait que nous avons des activités potentiellement dangereuses, en tout cas qui produisent un certain nombre de nuisances. Nous avons peu de riverains.
Par ailleurs, nous avons des implantations en région uniquement dans le cadre de partenariats de recherche ou d’expertise.
Nous sommes donc implantés :
– à Nancy où nous avons un partenariat historique avec l’École des Mines de Nancy sur les sujets liés aux mines ;
– à Aix-en-Provence où nous avons un partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille et plus précisément avec le Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE) sur des sujets liés à l’économie circulaire.
Contrairement à d’autres opérateurs présents dans l’ensemble des régions, notre capacité d’intervention dans les régions est donc assez limitée. Nous intervenons très concrètement sur des éléments de doctrine, en établissant des boîtes à outils mises à la disposition de tous sur l’évaluation des risques. Nous pouvons parfois intervenir localement, pas dans l’ensemble des régions, mais nous avons été impliqués dans deux PRSE pour des travaux autour de la cartographie territorialisée des risques et des inégalités environnementales.
M. Yannick Haury. Les effets dits « cocktail » ou l’addition des substances constituent-ils à votre avis un sujet à prendre en compte ? Nos connaissances sont-elles suffisantes ou faut-il poursuivre les recherches sur ces effets ?
M. Raymond Cointe. C’est bien sûr un sujet à prendre en compte. Des sujets liés à l’interaction entre divers polluants sont déjà pris en compte et nous avons des méthodes, parfois rudimentaires, qui permettent d’avoir une première approche de la question.
Lorsque nous intervenons en urgence comme nous l’avons fait pour l’incendie de Lubrizol, nous avons une petite idée des types de polluants qui peuvent être émis et de leurs potentielles interactions. Les effets de la présence de plusieurs polluants sont donc, au moins en partie, pris en compte.
Il est évident que c’est un sujet de recherche qui reste ouvert et nous continuons à mener des recherches sur plusieurs volets de ce sujet. Nous ne sommes pas totalement désarmés ; nous avons des outils, relativement rudimentaires. Nous pourrions faire beaucoup mieux mais cela nécessiterait des programmes de recherche sophistiqués.
J’ai parlé de notre projet exploratoire sur l’exposome. C’est ce type de projet qui nous permet d’avoir des modélisations, notamment numériques, de l’impact de tel ou tel polluant sur tel ou tel organe. Nous pouvons en utilisant ces modèles faire des simulations d’effet-cocktail. Nous en sommes encore à la phase de recherche et je ne garantis pas la mise en œuvre pratique ou l’application opérationnelle en situation d’urgence dans les prochains mois ni même les prochaines années.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez parlé de « méthodes rudimentaires » ce qui n’est pas très rassurant pour étudier l’effet-cocktail et la chronicité de l’exposition. Sur quoi faudrait-il se baser selon vous pour avoir des méthodes plus efficaces ? Faut-il se baser sur la gouvernance ou sur autre chose ?
M. Raymond Cointe. Je me suis peut-être mal exprimé. J’ai une formation d’ingénieur et le terme « rudimentaires » désigne pour moi des méthodes simples. Généralement, ces méthodes simples sont associées à des facteurs de sécurité importants. Une méthode rudimentaire peut avoir comme effet de prendre des marges de sécurité importantes dans les calculs qui sont effectués.
Beaucoup de progrès sont faits en ce moment, notamment dans le domaine de la modélisation numérique de l’exposome, aussi bien en ce qui concerne les substances que leur impact. Ces méthodes présentent d’importantes perspectives de progrès dans les prochaines années. Elles méritent d’être développées en lien avec les méthodes expérimentales et c’est ce que nous faisons à l’Ineris.
En revanche, je suis incapable de vous donner un calendrier précis et de dire quel type d’effet-cocktail nous serions capables de traiter d’ici deux ou trois ans.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. Que faudrait-il améliorer selon vous en matière de prévention pour accroître l’efficacité de la politique de santé environnementale ?
M. Raymond Cointe. La question est vaste et je ne peux vous répondre que du point de vue de l’Ineris. Comme nous l’avons vu lors de l’incendie de Lubrizol, au-delà de la gestion du risque immédiat qui est un sujet que nous savons assez bien traiter, nous sentons qu’il reste des progrès à faire sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce type d’accident. Nous réfléchissons d’ailleurs pour notre prochain contrat d’objectifs et de performance à l’amélioration de notre capacité de réaction.
En ce qui concerne les risques chroniques, il reste du travail sur la connaissance des substances, en particulier émergentes, leur évaluation et la hiérarchisation des risques. Nous le faisons dans le cadre du réseau NORMAN. Il reste à élaborer des valeurs de référence.
M. Yannick Haury. La dimension territoriale vous semble-t-elle importante lorsque des élus de collectivités locales décident de diminuer les risques d’exposition des populations ? Les élus locaux doivent-ils s’approprier ces sujets dans leurs documents d’urbanisme, de prospective ?
M. Raymond Cointe. Il me paraît évident que l’amélioration d’un certain nombre de problèmes en santé environnementale passe par une action au niveau local. L’Ineris ne peut pas apporter un appui local dossier par dossier mais nous souhaitons mettre à la disposition de tous et notamment des collectivités locales des boîtes à outils permettant de faire un travail d’évaluation des risques qui est nécessaire dans les politiques locales.
Historiquement, le CERCHAR a déployé son expertise en matière d’évaluation des risques autour des sites industriels. Nous voyons de plus en plus que ces préoccupations ne concernent pas que les émissions des sites industriels et nous avons étendu notre expertise à d’autres sujets tels que la qualité des milieux, la qualité de l’air et de l’eau. Nous avons développé toute une panoplie d’outils que nous sommes prêts à mettre à disposition. Il est arrivé que nous intervenions sur des cas très spécifiques, par exemple à la demande de l’agence régionale de santé (ARS). Nous pouvons le refaire, mais nous sommes plus dans une logique de mise à disposition d’outils pour les collectivités locales.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. Vous avez parlé à plusieurs reprises des substances émergentes. Quelles sont-elles ?
M. Raymond Cointe. Sans donner une liste de l’ensemble des substances, un certain nombre de préoccupations sont émergentes ou en partie émergées. L’Ineris travaille depuis une vingtaine d’années sur la perturbation endocrinienne et toutes les substances qui peuvent être perturbateurs endocriniens. C’est techniquement assez compliqué puisque nous ne disposons actuellement pas de méthodes d’essais pour déterminer le caractère perturbateur endocrinien ou non de certaines substances.
Il faut ensuite caractériser la présence dans l’environnement d’un certain nombre de substances, résidus de médicaments ou autres. C’est l’objet du réseau NORMAN puisque nous ne connaissons pas forcément la présence de ces substances et nous ne les trouverons évidemment pas si nous ne les recherchons pas. Il s’agit de savoir quels types de substances sont susceptibles d’être présentes et dans quelles quantités.
L’exemple de la campagne de recherche des pesticides illustre bien cette question. L’objet de cette campagne était de faire des mesures du fond de pesticides sur l’ensemble du territoire en fonction des caractéristiques des zones dans lesquelles nous faisions des mesures. Ce type de travail mérite d’être poursuivi pour un certain nombre de substances.
Mme Sandrine Josso, rapporteure. De quoi auriez-vous besoin, sur le plan humain, sur le plan de la recherche ?
M. Raymond Cointe. Si nous avions plus de moyens, nous pourrions évidemment les utiliser. Notre point de préoccupation essentiel à l’Ineris concerne les effectifs. Nous perdons 2 % de nos effectifs, c’est-à-dire dix personnes par an depuis 2013, ce qui commence à faire beaucoup. Notre contrainte essentielle aujourd’hui est celle-là, même si cela ne nous empêche pas d’essayer de garder notre capacité d’expertise en développant un certain nombre de partenariats.
Je pense qu’il est important de continuer à travailler sur les méthodes d’analyse et de mesure mais nous avons dans ce domaine des moyens tout à fait satisfaisants. Nous devons développer nos partenariats avec nos partenaires européens.
Très concrètement, ce qui me manque le plus actuellement pour développer nos capacités d’expertise, ce sont des bras.
Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie pour cette présentation très éclairante.
L’audition s’achève à quatorze heures cinquante.
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