Compte rendu

Mission d’information sur l’application
du droit voisin au bénéfice
des agences, éditeurs et
professionnels du secteur de la presse

– Audition de M. Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde et de M. Grégoire de Vaissière, président du directoire du groupe L'Obs              2

– Présences en réunion...............................8


Jeudi
23 septembre 2021

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 9

session extraordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Virginie Duby-Muller,
Présidente

 


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MISSION D’INFORMATION SUR L’APPLICATION DU DROIT VOISIN
AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS
ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Jeudi 23 septembre 2021

La séance est ouverte à dix heures trente.

(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)

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La mission d’information auditionne M. Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde et M. Grégoire de Vaissière, président du directoire du groupe L'Obs.

 

Mme la présidente Virginie Duby-Muller. Bonjour à tous. Nous poursuivons notre série d’auditions dans le cadre de la mission d’information sur le droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse.

Cette mission d’information apparaît très importante après la décision prise cet été par l’Autorité de la concurrence. Vous êtes aux premières loges pour nous parler de l’évolution du secteur et des mutations du modèle de la presse. Nous souhaitons d’abord que vous nous fassiez part de cette évolution à travers vos publications respectives, au regard de l’émergence des GAFAM. Nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions liées au vote de la loi, qui soulève encore quelques difficultés puisqu’elle n’est toujours pas entrée en vigueur de façon concrète.

Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

M. Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde. Afin de mieux préciser le contexte, le groupe le Monde a construit sa croissance sur le développement de ses activités numériques, de manière assez autonome et depuis plusieurs années, grâce à l’abonnement numérique. Si les GAFA ont gagné une partie importante du marché publicitaire, ils représentent à nos yeux un moteur de croissance de notre activité numérique.

La construction de nos rapports avec les GAFA passe par la préservation de notre indépendance et la protection des données de nos utilisateurs. Pour autant, nous souhaitons conserver la capacité à accélérer notre développement.

Parmi ces GAFA, je pense particulièrement à Facebook et à Google, avec qui nous avons établi des partenariats à long terme depuis déjà plusieurs années. Ils ont permis à notre portefeuille d’abonnés numériques d’atteindre des niveaux particulièrement élevés. À titre d’exemple, Le Monde enregistre aujourd’hui 400 000 abonnés numériques, un nombre à comparer aux 300 000 abonnés à L’Équipe et aux 200 000 au Figaro.

L’abonnement numérique du Monde nous permet de réaliser un chiffre d’affaires de l’ordre de 50 millions d’euros, qui finance entièrement la rédaction du journal, print et numérique.

Notre croissance numérique nous apporte donc cette indépendance éditoriale.

S’agissant des droits voisins, nous avons suivi l’état des discussions entre l’APIG et les plateformes il y a un plus d’un an et constaté leur impasse. Les montants exigés par l’APIG se sont révélés sensiblement plus élevés de ceux proposés par Google, sans possibilité d’évolution de la discussion. Nous avons considéré qu’il était de notre responsabilité d’essayer de relancer les discussions, en privilégiant les échanges directs avec Google et Facebook.

La même démarche a été empruntée par L’Obs. Nous avons abouti, dans les deux cas, à des accords, l’un avec Google, l’autre avec Facebook. Ces accords incluent la rémunération de droits voisins.

Lorsque j’entends d’autres intervenants déclarer qu’aucun accord n’a été signé ou qu’aucune rémunération n’a été versée, je me dois de corriger cette assertion en précisant que des accords ont bien été signés, en tout cas dans le périmètre de mon groupe, et sur une base suffisamment équilibrée.

Pour autant, nous sommes restés vigilants, s’agissant notamment de notre indépendance absolue sur les contenus diffusés, sur la préservation de nos données et sur la capacité à signer de nouveaux accords avec d’autres plateformes ou à s’impliquer directement dans d’autres projets.

Le groupe Le Monde a cherché à débloquer la négociation, figée depuis très longtemps, compte tenu de notre statut un peu particulier dans le paysage de la presse française. Le souhait a été de trouver un accord permettant d’accélérer notre développement sans obérer notre indépendance ou la préservation de nos données.

M. Grégoire de Vaissière, président du directoire du groupe L’Obs. Je vous ai proposé d’organiser cette audition en commun puisque les groupes Le Monde et L’Obs sont détenus par les mêmes actionnaires. À ce titre, notre stratégie de transformation du modèle économique repose sur les mêmes fondamentaux, même si elle apparaît plus lente et tardive en ce qui concerne la presse magazine d’information, dont le modèle reste principalement le print. La nécessaire transition numérique de notre modèle économique a néanmoins été enclenchée.

Aujourd’hui, nous comptons 27 000 abonnés numériques sur un portefeuille global de 175 000 abonnés. Il n’en demeure pas moins que nous dépendons fortement du numérique, s’agissant de l’audience de nos sites, et donc du relais des moteurs de recherche.

Lorsque Google nous a proposé un projet de partenariat afin de mettre en avant nos contenus et le savoir-faire de notre rédaction tout en encadrant les droits voisins, nous avons accepté parce que la démarche s’inscrivait dans le sens de la transition numérique d’exposition et de monétisation de nos contenus. Nous préservions aussi l’indépendance de notre rédaction, notre modèle économique et nos données, un aspect très important.

Mme la présidente Virginie Duby-Muller. Pouvez-vous nous relater les points durs de ces négociations ? Avez-vous déjà perçu des rémunérations de la part de Google et Facebook au titre de ces droits voisins ?

M. Louis Dreyfus. L’accord passé avec Facebook est récent et n’a pas encore donné lieu à une rémunération, ce qui ne saurait tarder. Une rémunération a déjà été mise en place par Google.

J’ai cru comprendre, après la lecture des auditions précédentes, que cette situation ne concernait pas d’autres acteurs, mais je me dois de vous dire que c’est bien le cas pour le groupe Le Monde.

Parmi les points durs de la négociation, nous avons évoqué les limites au droit d’exploitation de nos contenus par Google. Ce sont aussi les garanties en termes de protection de nos contenus et de respect de l’indépendance éditoriale de notre production. Nous avons également souhaité que les accords signés ne génèrent pas chez nous des coûts prohibitifs qui obéreraient les redevances susceptibles de nous être versées.

M. Laurent Garcia, rapporteur. Je remercie nos interlocuteurs, dont le discours s’avère bien différent de ceux entendus jusqu’à présent. Les plateformes savent donc mener des négociations jusqu’à leur terme pour aboutir à un accord équilibré, comme l’a indiqué M. Dreyfus. Auriez-vous des conseils à donner à vos homologues de la presse à ce sujet ?

D’autres personnes auditionnées nous ont indiqué que les perpétuelles demandes d’informations de la part de Google ou des plateformes servaient avant tout à retarder l’accord. Avez-vous perçu cet aspect, même si, en tant que président du directoire du groupe Le Monde, vous bénéficiez d’une avance différente ?

M. Louis Dreyfus. Mes confrères et amis n’ont pas la même assise et ce n’est donc pas le sujet. Les modes de négociation sont différents. Le fait d’avoir négocié directement a permis de gagner en efficacité.

Je m’appuie sur une analogie. Si vous rassemblez vos mandants dans une même pièce pour savoir quelle somme il convient de demander à un tiers disposant de moyens importants, vous donnez lieu à une forme de demande inflationniste dès lors que le tiers est absent de la pièce. Lorsque vous sortez de cette pièce, vous constatez que le mandat de négociation s’avère beaucoup trop élevé. Par ailleurs, le nombre élevé d’acteurs à la recherche de ce financement a généré une disproportion des demandes, loin de la réalité des droits que nous pouvions obtenir. Engager une relation directe permet de profiter d’une discussion plus équilibrée.

Je me garderai bien de donner des conseils à mes confrères, mais je pense qu’il faut savoir raison garder. La loi, sauf erreur de ma part, mentionne l’IPG comme critère d’attribution et j’estime qu’il ne faut pas s’écarter de ce critère, au risque que le bénéfice soit dilué par le nombre de bénéficiaires. Ma recommandation est que l’IPG reste le critère d’attribution.

Mme Émilie Cariou. J’aimerais recevoir davantage de précisions, s’agissant notamment de l’accord passé avec Google. Parlez-vous d’un accord au titre des droits voisins ou bien d’un accord commercial d’une autre nature ?

M. Louis Dreyfus. Nous avons passé plusieurs accords, dont l’un inclut les droits voisins. Les autres accords sont commerciaux ou de codéveloppement.

M. Grégoire de Vaissière. Il s’agit de l’accord lié à Showcase, dont vous avez entendu parler précédemment.

Mme Émilie Cariou. Cet accord inclut-il le référencement ou bien se concentre-t-il sur l’usage, par Google News, de vos contenus ?

M. Louis Dreyfus. Oui, c’est bien l’usage, par Google Showcase, de nos contenus.

Mme Émilie Cariou. En ce qui concerne Facebook, vous dites avoir commencé à conclure un premier accord.

M. Louis Dreyfus. Nous l’avons signé.

Mme Émilie Cariou. Est-ce un accord de mise en avant ?

M. Louis Dreyfus. Il inclut également les droits voisins.

M. Grégoire de Vaissière. Nous parlons du lancement d’un service d’actualités dans lequel nos contenus seront proposés, à l’instar de Showcase. L’accord prévoit la rémunération au titre des droits voisins.

M. Louis Dreyfus. La prochaine étape, logique et en conformité avec les dispositions législatives, consistera à ouvrir une discussion en interne, avec les organisations syndicales, pour prévoir une juste répartition de ces droits voisins avec la rédaction.

Mme Émilie Cariou. Oui, avec les auteurs. Si la démarche de gestion collective se met en place, souhaiterez-vous y participer ?

M. Louis Dreyfus. Je comprends que des acteurs peuvent souhaiter la présence d’un intermédiaire rémunéré. Aujourd’hui, je dispose de contrats signés qui produisent déjà des revenus et qui ne justifient pas que je verse une commission à un intermédiaire. Néanmoins, je peux comprendre que pour des acteurs d’une autre taille, ou qui n’ont pas réussi les voies et moyens de conclure l’accord, la recours à un intermédiaire se justifie. Ce ne sera pas notre cas.

Mme Michèle Victory. Sommes-nous d’accord sur le fait que le poids de vos 400 000 lecteurs numériques a fait la force de vos négociations avec les GAFA ?

M. Louis Dreyfus. Mme la députée, je me permets de vous corriger : nous avons bien 400 000 abonnés numériques, mais nous comptons environ 2,5 millions de lecteurs numériques.

Effectivement, le groupe Le Monde profite d’une taille critique qui permet d’avancer dans les négociations. Avec nos actionnaires, nous avons considéré que le fait de conclure un accord contribuerait à débloquer la négociation pour d’autres acteurs. D’ailleurs, peu de temps après cet accord, d’autres titres ont annoncé des signatures d’accords. La discussion entre les syndicats professionnels et les représentants de Google s’est figée pendant un moment. Il a fallu que des acteurs individuels, capables de définir une position de place, évoluent.

Un partenariat efficace avec les GAFA peut nous aider à développer une audience, des revenus et donc à assoir notre indépendance économique. Effectivement, les GAFA ont accaparé une part trop importante du marché publicitaire, mais ils nous ont permis de développer des lignes de revenus contribuant à installer un groupe structurellement rentable.

Mme Michèle Victory. À la suite de cet accord, les contenus utilisés par Google le sont-ils correctement ? Avez-vous constaté des entorses ? Êtes-vous pleinement satisfaits ?

M. Louis Dreyfus. Oui, à tel point que les financements ont commencé à être versés au Monde sans que la mise en avant des contenus soit effective. Les discussions avec l’autorité de la concurrence ont en effet bloqué la mise en avant de Showcase. Très concrètement, nous recevons des revenus issus de cet accord sans avoir encore eu l’occasion de livrer nos contenus.

Mme la présidente Virginie Duby-Muller. Au terme de la décision de l’Autorité de la concurrence, prise le 13 juillet dernier, entendez-vous renégocier cet accord ou le considérez-vous comme satisfaisant ?

M. Louis Dreyfus. Il me semblerait de mauvaise foi d’utiliser une décision de l’Autorité de la concurrence, qui ne concerne pas notre accord, pour demander à Google de renégocier à la hausse les accords financiers. En revanche, je retiens que l’Autorité de la concurrence souhaite que soit précisé, s’agissant des accords plus larges, le montant relatif aux droits voisins. J’ai eu l’occasion de le dire aux représentants des plateformes. Si nous pouvons envisager un avenant afin que le montant apparaisse très clairement, en respect de la décision de l’Autorité de la concurrence, la démarche serait de bon aloi. Elle permettrait de nourrir une discussion plus simple avec les organisations syndicales dès lors que l’assiette de négociation serait définie dans le cadre de l’accord. Je pense que c’est l’évolution que nous pouvons souhaiter.

M. Laurent Garcia, rapporteur. Vous seriez donc favorable au fait que la rémunération « dédiée » aux droits voisins apparaisse plus clairement. Lors de vos discussions avec Google, avez-vous eu la possibilité d’estimer le montant de vos droits non perçus ?

M. Louis Dreyfus. Au terme de la négociation, nous avons considéré que le montant proposé se révélait suffisamment important pour être jugé à la hauteur des droits que nous pouvions obtenir.

Il est toujours difficile pour des acteurs de négocier avec Google en estimant que la discussion permettra d’aboutir à un chiffre précis, pourcentage d’un chiffre d’affaires ou d’une audience. La négociation a été longue, pas toujours simple, et menée directement auprès des plateformes. Elle s’est conclue par la signature d’un accord. Il me serait difficile de vous dire qu’il ne nous convient pas.

M. Laurent Garcia, rapporteur. J’ignore si vous avez le droit d’apporter cette précision, mais combien de temps a duré la négociation ?

M. Louis Dreyfus. Nous avons dû l’initier un peu avant le mois d’août pour la conclure en octobre, après trois mois de négociations très intenses.

M. Grégoire de Vaissière. Pour notre part, la négociation s’est prolongée jusqu’en décembre.

Mme Émilie Cariou. Avez-vous lancé les discussions avec Apple au sujet des Apple News, notamment disponibles sur l’iPhone ?

M. Louis Dreyfus. Non, pas encore.

M. Grégoire de Vaissière. Aujourd’hui, la mise en avant est gérée automatiquement par Apple. Les éditeurs ne disposent d’aucun droit d’accès ou de regard sur cette mise en avant.

M. Louis Dreyfus. Nous comptons bien, à la suite des accords signés avec Google et Facebook, ouvrir cette discussion, qui est d’ailleurs déjà entamée, avec Apple. Nous verrons de quelle manière il sera possible de conclure un nouvel accord.

Une nouvelle fois, lancer cette négociation en vue de trouver un accord équilibré ne suppose par l’implication d’un intermédiaire, s’agissant en tout cas du groupe Le Monde.

Mme Émilie Cariou. Si je comprends bien vos propos, vous évoquez la gestion collective dès lors qu’elle convient à certains acteurs, mais cette gestion ne sera pas obligatoire.

M. Louis Dreyfus. Je peux me tromper, mais l’histoire de la presse a montré que lorsque les titres se regroupent pour créer une instance d’intermédiation, la démarche se veut très consommatrice de cash et finalement peu efficace.

J’ai la chance de diriger un groupe ayant atteint une taille critique, au poids statutaire certain et je considère que la défense de nos intérêts peut être menée directement avec les plateformes.

Mme la présidente Virginie Duby-Muller. La rémunération est-elle fixée sur des critères objectifs ou bien s’agit-il d’une enveloppe forfaitaire annuelle ?

M. Louis Dreyfus. C’est bien une enveloppe forfaitaire annuelle, sur la base d’un contrat signé pour trois ans.

M. Laurent Garcia, rapporteur. Vous percevez la même somme pendant trois ans, période au terme de laquelle vous relancez la négociation ?

M. Louis Dreyfus. C’est le principe de l’enveloppe forfaitaire. Son montant est fixe.

Mme la présidente Virginie Duby-Muller. Nous avons pu traiter le sujet dans le délai imparti. Souhaitez-vous apporter une conclusion ?

M. Louis Dreyfus. Pour nous, le critère IPG reste central. La conclusion des accords passés avec ces plateformes permettra une juste rémunération des éditeurs, dans le respect de la loi. Elle contribuera à accélérer nos développements numériques et donc notre indépendance économique. Ce sera enfin une répartition au bénéfice des auteurs, un aspect important au sein d’une industrie, longtemps confrontée à la juste rémunération de ses auteurs.

Retarder les négociations ou la conclusion d’un accord me semble préjudiciable au modèle économique de chacun des acteurs et auteurs, qui ne bénéficient pas des revenus supplémentaires.

Mme la présidente Virginie Duby-Muller. Ce sera le mot de la fin. N’hésitez pas à nous transmettre tout nouvel élément. Nous vous remercions de votre disponibilité et de la qualité de vos propos.

 

 

La réunion se termine à onze heures.

 

 

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Membres présents ou excusés

 

Mission d'information sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

 

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 10 heures 30

Présents. – Mme Émilie Cariou, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia, Mme Michèle Victory